Avenir des services publics en zone rurale (Question orale avec débat)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Simon Sutour à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, sur l'avenir des services publics dans les zones rurales.
M. Simon Sutour, auteur de la question. - Je suis heureux que les territoires ruraux bénéficient d'une attention particulière dans le cadre de cette journée.
Mettre l'accent sur les zones rurales n'est pas dans l'air du temps, car les métropoles mobilisent l'attention. Les territoires ruraux sont donc oubliés, alors qu'ils sont frappés par la crise économique à un moment où ils subissent un désengagement sans précédent de l'État.
Mon intervention sera constructive, parce que l'avenir des territoires nous concerne tous. C'est pourquoi je ne doute pas de l'attention du Gouvernement, dont je souhaite qu'il apporte des réponses concrètes. Je me ferai le porte-parole des élus ruraux, dans l'impossibilité aujourd'hui de satisfaire les besoins élémentaires de leurs administrés, alors que la crise économique et sociale aiguë exige une intervention publique accrue au service de nos concitoyens les plus fragiles.
Cette situation est doublement injuste pour les élus. En effet, ils sont en grande majorité dévoués à la population et s'évertuent, malgré le fort désengagement de l'État, à faire en sorte que les zones rurales ne deviennent pas le désert français du XXIe siècle. Or, le délitement des services publics fait craindre à court terme leur disparition dans les zones éloignées des agglomérations. Disposer de services publics efficaces et accessibles à tous les citoyens est un principe admis dans notre République, mais de moins en moins réalisé. Les bonnes intentions affichées par le Gouvernement se heurtent à la réalité des faits. Maintes fois promise, la concertation est quasiment inexistante.
La charte sur les services publics en milieu rural n'est pas respectée. Se croyant protégés par elle, les élus locaux pensaient être des partenaires à part entière de l'exécutif. Alors qu'ils sont souvent de formidables interlocuteurs, pour avoir eux-mêmes modernisé leurs services, la concertation promise n'a pas eu lieu, les élus locaux apprenant par voie de presse la fermeture de telle gendarmerie, de telle trésorerie ou de tel tribunal sans avoir était consultés, sans que les conséquences des fermetures n'aient été évaluées.
Je ne soutiens pas l'immobilisme, car l'évolution des services publics en zone rurale n'est pas un tabou. Mais la logique purement comptable du Gouvernement conduit exclusivement à des fermetures, en excluant toute adaptation permettant de conjuguer qualité, efficacité et maîtrise des coûts.
On peut distinguer les atteintes directes, comme les fermetures d'agences postales ou d'hôpitaux, et les atteintes indirectes, moins visibles mais aussi dévastatrices, comme la disparition de l'ingénierie publique dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). On constate depuis quelques années que la disponibilité des services publics se détériore dans les zones les moins densément peuplées, au mépris des principes de solidarité et de cohésion territoriale, qu'il s'agisse d'école, des structures d'accueil pour la petite enfance ou les personnes âgées, des transports ou des services de sécurité.
Le temps imparti ne me permet pas d'aborder toutes les atteintes faites aux services publics, notamment aux services de proximité en milieu rural. A ce point du débat, je ne peux m'empêcher de souligner qu'un seul sénateur est présent sur les bancs de droite dans notre assemblée. Je n'en déduis pas que les autres se désintéressent du sujet, mais il faudra en tenir compte pour le crédit, le sérieux et la cohérence du Sénat.
M. René-Pierre Signé. - Ce sont des citadins...
M. Simon Sutour, auteur de la question. - Je voudrais insister aujourd'hui sur le service public postal et les gendarmeries, deux thèmes emblématiques pour l'aménagement du territoire.
Encore publique, La Poste se désengage du milieu rural. Pas un jour ne passe sans que nous soyons saisis pour des fermetures de bureaux de poste. La transformation du statut de cette entreprise ne laisse rien présager de positif, car la privatisation accélérerait la fermeture des agences les moins rentables, remises aux collectivités territoriales. Or, le Grand conseil des communes de France sait que les collectivités ne peuvent plus assumer de nouveaux transferts de charges.
Il ne devrait pas y avoir de citoyens de seconde zone et la péréquation nationale devrait garantir le prix unique du timbre, la distribution du courrier six jours sur sept et la possibilité d'effectuer les opérations postales ou bancaires à des distances raisonnables du domicile.
La fracture numérique est un autre échec pour le Gouvernement. Malgré l'effort notamment des régions, elle persiste. Les élus ruraux demandent au moins que la téléphonie filaire fonctionne bien, car elle se détériore. Nos concitoyens peuvent passer deux ou trois jours sans liaison !
M. René-Pierre Signé. - Il n'y a pas de dépannage !
M. Simon Sutour, auteur de la question. - Le service universel de base n'est donc pas assuré. Parallèlement, la subsistance de zones blanches pour la téléphonie mobile compromet l'appel aux secours en cas de besoin, puisque les réseaux filaires ne sont pas fiables. C'est inadmissible au XXIe siècle !
Lorsque nous avons discuté le 17 décembre le projet de loi relatif à la gendarmerie nationale, Mme Alliot-Marie avait assuré qu'il n'y aurait aucun plan de fermeture de brigades. Or, quatre fermetures administratives ont déjà eu lieu en Meurthe-et-Moselle. Dans mon département, il est question de supprimer les gendarmeries de Sauve et Génolhac. D'après le ministère, à Sauve, on trouve trois brigades sur un trajet de 15 km et deux brigades suffiraient largement pour la sécurité routière locale. L'argument est irrecevable : les gendarmes doivent surtout protéger les biens et les personnes dans l'ensemble des communes. Avec le glissement inquiétant de la délinquance vers les zones périurbaines et rurales, nous ne pouvons laisser des pans entiers du territoire sans force de sécurité. Peut-être m'apporterez-vous une bonne nouvelle...
Lancée en 2007, la révision générale des politiques publiques est un plan à peine déguisé réduisant les effectifs de la fonction publique. Sans avoir fait l'objet de la moindre étude d'impact, les nouvelles cartes judiciaire, hospitalière ou militaire sont mises en oeuvre de façon désordonnée.
Pour illustrer cette pagaille, je prendrai l'exemple des sous-préfectures, dont une quinzaine sont menacées de disparition. Il avait été envisagé de supprimer celle du Vigan, puis de la maintenir, mais... sans sous-préfet. Comme cela ferait désordre, on va y installer un sous-préfet Canada dry, en la personne d'un « conseiller d'administration » mais on le dotera d'un uniforme : il paraît que cela lui donnera du lustre. (Sourires) La suite au prochain épisode...
Franchement, c'est se compliquer la vie pour rien...
J'attends le prochain épisode de la RGPP, dont je n'ai toujours pas compris à quoi elle sert, si ce n'est à réaliser des économies. Je ne peux d'ailleurs m'empêcher d'en rapprocher les milliards que coûte le bouclier fiscal...
M. Joël Bourdin. - C'est cet après-midi !
M. Simon Sutour, auteur de la question. - Ne les récupère-t-on pas ainsi ?
Je m'interroge encore sur les promesses d'un service public rendu plus efficace. Tous mes collègues pensent de même, bien que nous ne puissions pas tous le dire aussi clairement. A force de fermetures de trésoreries, d'hôpitaux de proximité ou de gendarmeries, la qualité du service public rendu baisse. Peut-être serez-vous en mesure de répondre à nos interrogations et de nous expliquer comment ces fusions et suppressions assureront le développement harmonieux de nos territoires et en garantiront l'attractivité économique, résidentielle et touristique. Les finances locales, malmenées par l'État, ne peuvent plus le suppléer et les Français qui le savent s'en inquiètent. Comment allez-vous lutter contre la fracture territoriale et éviter qu'elle se transforme en un gouffre ? (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Blanc. - Quand on est rural, on sait que certains territoires sont difficiles d'accès. Je ne pourrai rester jusqu'au terme de ce débat mais je tenais à y participer. Je remercie M. Le Cam de m'avoir permis de m'exprimer. Je le ferai à ma manière mais nous cherchons tous à traduire les interrogations du monde rural.
Votre expérience de maire d'une petite commune avant de le devenir de Toulon vous rend sensible à cette interrogation : pourquoi les ruraux seraient-ils des victimes ? Il nous appartient d'inventer des réponses plus adaptées aux exigences d'une gestion à la fois plus économe et qui assure la qualité du service face à des situations nouvelles. Une mission nouvelle incombe à l'État, traditionnellement en charge des gendarmeries et des tribunaux ; il lui revient désormais d'être le garant des engagements pris envers le monde rural par de grands services publics qui, comme La Poste ont changé de statut. Nous souhaitons que les nécessaires évolutions prennent en compte les besoins de l'espace rural et que les regroupements de services, loin de s'effectuer à ses dépens, se traduisent par une amélioration du service rendu au public.
La loi de 2005 a créé un cadre pour le développement des pays ruraux avec la conférence rurale et l'élaboration d'une charte. Où en est-on de la réflexion commune ? D'autres dispositions sont venues compléter ce cadre, ainsi pour la distribution d'énergie. On constate pourtant que des difficultés sont apparues depuis l'ouverture de ce marché à la concurrence. Nous ne désespérons donc pas que l'on retrouve une capacité de réponse adaptée : au-delà de certains conflits, les accords passés avec La Poste ont permis de maintenir une agence postale et d'y rendre d'autres services au public. Il y a des éléments très positifs. C'est dire que nous ne redoutons nullement de poser clairement la question des services rendus au public.
Je veux attirer votre attention sur les nouvelles technologies. La fracture numérique existe alors qu'il pourrait y avoir là une chance pour l'espace rural. Vous avez encouragé l'installation de la fibre optique et du haut débit, ce qui va pousser France Télécom à reconsidérer ses tarifs. Il faut cesser de se concentrer sur les métropoles et les bourgs-centres pour desservir tout notre espace.
Voilà des réponses nouvelles que vous pouvez porter. C'est pourquoi je m'étais réjoui de votre nomination à l'Aménagement du territoire. Il était en effet essentiel que nous ayons un interlocuteur dans la réflexion sur l'attractivité de nos territoires et la qualité de la vie. La santé...
M. Jean-Luc Fichet. - Eh oui !
M. Jacques Blanc. - ...c'est l'hôpital, mais c'est aussi le médecin, les maisons médicales, l'installation des jeunes à encourager dans le respect de la liberté d'installation. (Approbations sur plusieurs bancs)
Les élus ruraux sont prêts à prendre en compte les nécessaires évolutions mais avec le souci de répondre aux attentes justifiées de la population de nos territoires. Prenons le temps de débattre des évolutions qu'autorise déjà la loi comme des aménagements nécessaires. (Applaudissements à droite)
M. Gérard Le Cam. - Je n'ai jamais entendu un élu critiquer les services publics en milieu rural, au contraire, chacun s'accorde sur leur caractère indispensable et sur la nécessité de les développer pour assurer l'égalité. Cependant, beaucoup ont accepté des lois, des directives qui détruisent le service public à la française, qui serait contraire à la concurrence, « libre et non faussée ». L'Union européenne subordonne l'intérêt général à la concurrence et le traité de Maastricht érige en objectif la réduction de la dépense publique.
Le traité de Lisbonne a érigé en règle intangible la concurrence libre et non faussée, la Lolf et la RGPP sont chargées de parachever le sale boulot.
« Depuis plus de 30 ans, l'État abandonne les campagnes françaises ». Ainsi s'insurgeaient en novembre 2008 les députés ruraux du PCF et du Modem, André Chassaigne et Jean Lassalle. Ils poursuivaient : « L'État ne porte plus une véritable politique d'aménagement du territoire et des espaces ruraux. Les agriculteurs, ruinés par des prix agricoles qui n'ont jamais été aussi bas, partent en faillite sans repreneur, suivis par les commerçants et artisans qui ne trouvent personne à qui transmettre leur fonds de commerce ou leur savoir-faire. Les entrepreneurs désertent, faute de soutien bancaire et d'infrastructures de transport dignes de ce nom. Les élus assistent, impuissants, à l'empilement de normes et de lois qui les paralysent et souvent au surendettement de leur commune qui bloque toute vision d'avenir. » En septembre 2008, au cours de la campagne des sénatoriales en Côtes-d'Armor, nous avons été impressionnés par ce sentiment d'abandon qui régnait chez les élus de toute sensibilité.
Ceux du centre-Bretagne attendent depuis plus de 40 ans la modernisation à 2 x 2 voies de l'axe routier central.
M. Jacques Berthou. - Très bien !
M. Gérard Le Cam. - L'Association des maires des Côtes-d'Armor enquête sur le schéma départemental des services de proximité. Elle constate que lorsque l'on parle de services à la population, les ménages citent le plus souvent les médecins, les mairies, l'enseignement primaire, La Poste, les commerces de proximité, les pharmaciens, les pompiers, l'hôpital, les services de maintien à domicile et les services infirmiers. Les éléments à améliorer sont : la rapidité des réponses aux demandes ; le temps d'attente ; les horaires d'ouverture. Les cinq services que doit prioritairement proposer une commune rurale sont dans l'ordre : l'enseignement primaire, la mairie, les médecins, les commerces de proximité et La Poste. Enfin, les priorités d'action vont vers les services liés à la santé et aux personnes âgées, ceux liés à l'éducation, l'enfance, la jeunesse et enfin, les services liés à la sécurité.
Cette étude grandeur locale vaut pour une majorité des territoires ruraux, même si ceux-ci ne sont pas uniformes. Les défaillances souvent constatées dans ces secteurs clés sont ressentis comme des abandons, du mépris à l'égard de la ruralité et de ses habitants. Chaque recul des services publics augmente les distances à parcourir, les coûts induits, la dépendance des plus fragiles et l'accessibilité aux services. « La condition sine qua non du développement démographique de l'espace rural est son accessibilité » écrivaient nos collègues François-Poncet et Belot
Dans un monde captif où la voiture est souvent le seul moyen de se déplacer, la flambée des cours des carburants a été durement ressentie. Les grandes infrastructures routières et ferroviaires tardent à se concrétiser au gré des contrats de projet État-région, qui demandent toujours plus aux collectivités locales. Ceux qui connaissent un problème grave de santé en week-end encourent un risque bien plus élevé qu'en milieu urbain. La permanence des soins a été mise à mal depuis décembre 2003 par votre Gouvernement ; la démographie médicale accentue les déserts sanitaires ruraux. Dans ma commune qui compte 2 500 habitants, il ne reste que deux médecins ; il en faudrait le double. Nous sommes contraints de faire appel à un cabinet de recherche de médecins à l'étranger. Coût de l'opération : 14 000 euros.
Mme Nathalie Goulet. - Nous avons aussi ce problème.
M. Gérard Le Cam. - Je ne puis manquer de citer la phrase qui tue, entendue hier dans ma mairie par un représentant de La Poste : « Le fonds de péréquation de l'État est de 140 millions, il en faudrait 260 pour rester en milieu rural »
Comment ne pas rapporter la situation des services publics en zone rurale au projet de réforme territoriale du Gouvernement ? Les communes réputées trop petites et trop nombreuses coûteraient trop cher. Il faudrait donc les supprimer comme si l'addition des pauvretés avait jamais fait des riches ! Les communes jouent pourtant un rôle irremplaçable d'amortisseur social. Qui assure des efforts considérables avec une DGF qui n'augmente plus ? On veut regrouper les écoles par paquets de quinze dans des Epep. C'est encore cette logique de privatisation des services publics rentables, quand ceux qui ne le sont pas doivent être pris en charge par les collectivités territoriales.
Nous avons une conception radicalement différente des services publics, qui doivent être défendus au nom de la subsidiarité. Il est déjà possible de changer beaucoup. Avec le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite et la RGPP, on assiste à un véritable Recul Général Pour les Populations. Les moyens financiers des communes et tout particulièrement la DGF, doivent être revus à la hausse en taxant les actifs financiers et la spéculation. Un moratoire sur les suppressions de services publics en milieu rural est nécessaire. La taxe d'aide au commerce et à l'artisanat doit être intégralement réaffectée au commerce et à l'artisanat de proximité. Un plan pluriannuel de réappropriation des grands services publics est indispensable pour les secteurs vitaux de l'eau, de l'énergie, de la santé, des transports, de l'éducation et des communications.
Oui, We can do it ! Nous pouvons faire de la ruralité une grande cause nationale ! (Applaudissements à gauche)
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Raymond Vall. - Je remercie M. Sutour d'avoir posé cette question. J'aurais souhaité une assistance plus fournie, mais le découragement explique peut-être l'absence de nos collègues...
Le constat a été fait, la situation est grave, les difficultés des territoires ruraux sont nombreuses : la fracture numérique, les zones blanches, la désertification médicale, la disparition annoncée des hôpitaux de proximité et une RGPP qui est annonciatrice de la disparition des derniers services publics de proximité ou au mieux de leur dégradation ; les tribunaux de proximité, les Tass, les trésoreries, les DDE, et les chambres de commerce. S'y ajoute une recentralisation excessive au niveau régional du pouvoir de décision : EDF, ERDF, SNCF, RFF, Météo, organismes bancaires, transfert aux préfectures de régions de pouvoirs de décision en matière de planification des aides publiques, des fonds européens et enfin la perspective de fermeture de nombreuses sous-préfectures.
Dans ces conditions, il n'est pas contestable que la désertification de nos campagnes est en marche : la disparition des médecins et l'impossibilité pour certaines entreprises d'attirer les compétences et les talents nécessaires à leur survie sont les premiers marqueurs d'une régression qu'il convient de stopper au plus vite.
Dans le sud-ouest, la tempête Klaus a provoqué la désolation et le chaos, mais surtout prouvé la nécessité vitale de garder des services publics de proximité au plus près des populations rurales. Cette ruralité sacrifiée doit pourtant trouver des ressources pour soulager les finances de l'État, dans certains domaines dont il a pourtant gardé la compétence, tels que l'entretien ou l'aménagement des routes nationales. Rien qu'en Midi-Pyrénées, la remise en état des voies ferrées va coûter 500 millions à la région, qui devra supprimer certaines de ses aides aux infrastructures routières. Plus d'un milliard est demandé aux différentes collectivités concernées pour engager la réalisation et les études de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux-Toulouse. Quel espoir pouvons-nous garder dans ces territoires ruraux quand tous les moyens et leviers de décisions seront encore plus concentrés dans les futures métropoles régionales décrites par le projet de la commission Balladur ?
Certaines disposent déjà de plusieurs pôles de compétitivité devenus de véritables aspirateurs d'économie et de population active, au détriment des territoires qui les entourent et qui pour autant doivent faire face à l'accueil d'une partie de populations qui ont fait le choix de vivre dans nos campagnes.
C'est le constat qui a été fait par le ministre de l'intérieur de 2006, M. Sarkozy, et qui a déclenché l'appel à projet des pôles d'excellence rurale afin de maintenir un développement économique équilibré. Les 380 PER qui ont été labellisés et qu'il faut bien sûr évaluer ont fait renaître l'espoir. Les coopérations intercommunales qui les portent constituent des bassins de vie d'environ 15 à 25 000 habitants pour lesquels il est indispensable de maintenir un niveau de service public suffisant alors qu'il est aujourd'hui menacé. C'est sur cet échelon qu'il me paraît pertinent de travailler à l'élaboration d'une nouvelle politique d'aménagement du territoire, une politique à l'échelle nationale impliquant de l'État qu'il pérennise les services publics de proximité.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Raymond Vall. - Il faudra intégrer la notion de péréquation financière des ressources fiscales entre le territoire de création de la richesse et celui du lieu de vie. Il n'est plus concevable de poursuivre une politique purement comptable sans discerner la particularité rurale. II est temps de reconsidérer notre politique d'aménagement de ces territoires et de prendre en compte les besoins des populations qui y résident.
Je conclurai avec Pierre Mendès-France : « il ne faut jamais sacrifier l'avenir au présent » (Applaudissements à gauche)
M. Pierre-Yves Collombat. - Une note d'ambiance pour commencer, afin de la réchauffer un peu.
Transports ferroviaires : suppression d'arrêts dans le Lot et la Creuse. Des élus bloquent des trains. Ils sont convoqués à la gendarmerie, déférés au parquet, assignés à comparaître devant le tribunal correctionnel pour entrave à la circulation. Quelques-uns de ces malfaiteurs feront l'objet d'une demande de mise sous contrôle judiciaire de la part du procureur de la République.
La Poste : on poursuit le processus de réduction des quarts d'heures d'ouverture des guichets, de transformation des bureaux de plein exercice en agences communales ou « points Poste », de concentration des boîtes aux lettres des particuliers pour raccourcir les tournées. Il y a un mois, une trentaine de maires ruraux de l'Hérault, département particulièrement menacé de désertification, manifestent en écharpe, devant le bureau de poste de Cruzy, menacé de fermeture.
Écoles : fermetures de classes dans le Loir-et-Cher et dans la Haute-Vienne. A ce jour, toutes les propositions d'aménagement de leur régime pour tenir compte des moyens réels dont ces communes disposent ont été refusées par le Gouvernement et sa majorité.
Nous en aurons tout à l'heure une nouvelle démonstration.
Mme Nathalie Goulet. - Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. - A la fin de l'année, les communes récalcitrantes seront déférées au tribunal administratif. Dans certains départements, comme le Var où le tribunal administratif s'est particulièrement distingué, les affaires sont toujours pendantes en appel.
Santé : au nom des grands principes et des petites économies, la fermeture des maternités et des hôpitaux de proximité se poursuit. En revanche, le projet de loi HPST, en cours de discussion, ne prévoit que des mesures incitatives pour enrayer la raréfaction des services médicaux en zone rurale. On connaît l'efficacité de telles mesures...
TNT : actuellement, grâce aux investissements des collectivités locales, 98 % de la population reçoit la télévision analogique. La loi n'impose qu'une couverture à 95 % pour la TNT qui la remplacera fin novembre 2011. Si l'on en reste à la liste des réémetteurs devant être transformés par les opérateurs, publiée par le CSA en décembre, 40 % des départements ne seront même pas couverts à 91 %, malgré l'engagement du Gouvernement. En outre, tous les amendements visant à réduire cette injustice, présentés ici même lors de la discussion de la loi sur l'audiovisuel, ont été refusés par le Gouvernement et sa majorité. Mme la ministre de la culture estimait en effet que « l'obligation de couvrir 91 % de la population serait excessive, car actuellement la couverture analogique, pour l'ensemble des départements, n'atteint pas 80 % », ce qui est totalement faux. Second argument : il faut éviter des surcoûts supplémentaires pour les chaînes qui sont « dans une situation économique difficile ». Sortez les mouchoirs.
Je pourrais continuer en invoquant l'ingénierie publique euthanasiée par la RGPP, les problèmes avec ERDF ou France Télécom, l'impact de la réforme de la formation des enseignants sur les antennes locales des IUFM, les problèmes rencontrés par la gendarmerie, mais cela n'ajouterait rien au tableau.
Hier, aujourd'hui, demain, le constat fut, est et sera le même : le service public en milieu rural poursuit son lent naufrage. La résistance opiniâtre de la population et de ses élus permet seulement de le ralentir, alors même que le monde rural accueille de plus en plus d'habitants d'origine urbaine, le tout sur fond de dénégation des gouvernements successifs, qui adorent le service public rural, particulièrement en période électorale. M. Sutour a rappelé le caractère purement décoratif de telles déclarations mais les pratiques restent inchangées. A quand un Grenelle pour un service public durable en milieu rural ? Ce serait tout à fait tendance... (Sourires)
Nous en sommes là parce qu'aucun des gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans n'a voulu tirer les conséquences de la prétendue modernisation du service public. Avant les années 1990, le service public, c'était l'ensemble des services que la République devait à ses citoyens non pour leur confort mais pour leur permettre d'exercer réellement leur citoyenneté. Dans une République « indivisible et sociale », selon l'article premier de la Constitution, les citoyens doivent bénéficier de services équivalents. Assurer, sur l'ensemble du territoire, fut-ce selon des modalités différentes, le service public était donc une obligation politique de la puissance publique, financée directement par les budgets de l'État, des collectivités locales et des organismes sociaux, et indirectement par les ressources que les grandes entreprises publiques tiraient de leur monopole.
Avec l'Europe du marché unique et de la « concurrence libre et non faussée » le paysage change totalement. C'est au marché qu'il appartient désormais de produire et de distribuer les services. Le service public ne subsiste qu'à titre de concession temporaire à l'histoire et à l'archaïsme. Certains services continuent à être financés sur des budgets publics, mais les crédits vont en se contractant.
Autre concession à l'archaïsme : les « services d'intérêt général » et les « services universels ». Au prix de quelques acrobaties sémantiques, d'un peu de créativité budgétaire et d'ingénierie financière, il reste possible de financer des services dans les secteurs où le seul jeu du marché ne suffit pas. Des fonds de péréquation sont alors créés, mais cette « modernisation » se révèle vite une usine à gaz, d'où le peu d'entrain à les mettre en place et à les financer. Mais comment faire autrement si on entend vraiment sortir de l'impasse et de la guérilla actuelle ?
Nous attendons du Gouvernement une réponse claire à cette question : veut-il mettre en place un système de financement pérenne du service public en milieu rural ? Si oui, il doit en tirer les conséquences budgétaires. Pour les services assurés par les acteurs du marché concurrentiel, il lui faut chiffrer le surcoût « service public » mis à leur charge et en prévoir le financement.
Nous en sommes loin, même dans les secteurs où une telle mesure serait simple à mettre en oeuvre, comme pour La Poste. Les estimations oscillent entre 70 et 700 millions. Si le chiffre de 350 millions est le plus fréquemment retenu, c'est qu'il est le plus répété.
Le fonds de péréquation territorial créé par la loi postale est doté, de façon virtuelle, de 130 millions. Il s'agit de la compensation, par La Poste, des exonérations de fiscalité locale dont elle bénéficie, donc de l'argent dû aux collectivités locales ! Ce fonds, créé pour éviter à La Poste d'être accusée par les banquiers de bénéficier d'avantages concurrentiels indus, est donc aussi précaire que les exonérations. Rien à voir donc avec les ruraux et leurs services publics.
Le fonds de péréquation territorial a été détourné de son objet avec la complicité active de l'État : le financement du réseau nécessaire à la couverture de l'ensemble du territoire, sans considération pour le statut juridique des fameux « points de contact », sert au financement du désengagement de La Poste qui se défausse sur les agences communales et les « points Poste ».
Cette guérilla est le signe de la perversion d'un dispositif prometteur au moment de sa création. Personne aujourd'hui n'est plus dupe de ce double langage.
Ce dont les ruraux ont besoin, monsieur le ministre, c'est précisément de l'abandon de ce double langage. Ils n'ont aucun besoin de déclaration de principes, de chartes de bonne conduite et autres nuages de fumée mais simplement d'actes. La problématique est claire : les services publics doivent être financés. Les outils pour y répondre sont identifiés et ils peuvent être compatibles avec nos engagements européens. Il ne reste plus qu'à vouloir. Le voulez-vous ? (Applaudissements à gauche)
Mme Anne-Marie Escoffier. - Je ne parlerai pas de ruralité mais de ruralités. Ce pluriel n'est pas neutre, car il rend compte de la réalité de nos territoires, si différents les uns des autres et si riches de ces différences. Dès lors, toutes les mesures qui prétendent apporter les mêmes remèdes à des maux multiples et souvent mal diagnostiqués, se révèlent inefficaces.
J'avais cru que jamais ne se reproduirait la situation dramatique vécue par la Creuse en 2004 où la population, maires en tête de cortèges, avait manifesté sa colère face à la désertification de son territoire. Tout laisse penser que les leçons de l'accablante impéritie de l'État n'ont pas été tirées : il suffit pour s'en convaincre d'entendre mon collègue Fauconnier tracer le tableau affligeant de la réorganisation irréfléchie des services publics en Aveyron. Chacun ici pourrait citer de tels exemples dans son département.
Et pourtant, nos ruralités méritent un autre sort et plus de respect. Certes, il y eut la loi du 23 février 2005 portant développement des territoires ruraux, avec la création des zones de revitalisation rurale et des pôles d'excellence rurale, mesures qui avaient pour but de dénouer l'opposition de destins entre des zones urbaines et rurales étrangères les unes aux autres. Mais je m'interroge sur la coupable inertie de l'État à mettre en place directement ou indirectement des lieux où la population pourrait trouver réunis tous les services publics. Certes, des maisons de services publics, des relais de services publics, des points publics ont été créés : ce sont des formes de guichets uniques qui permettent de mutualiser les moyens de fonctionnement. Ce type de formule s'est répandue depuis longtemps dans tous les pays d'Europe, au rythme des progrès des technologies de l'information. En France, de tels guichets uniques permettraient de compenser la raréfaction des services publics sur nos territoires ruraux : plutôt que de contraindre la population à se déplacer de plus en plus loin, il faudrait que les personnels des services publics aillent au devant d'elle pour lui apporter ce service de proximité si souvent espéré.
Sans vouloir accabler davantage le Gouvernement, permettez-moi tout de même de vous poser plusieurs questions, monsieur le ministre : l'État souhaite-t-il concrètement développer ou, du moins, réorganiser les services publics en milieu rural ? Quelles seront les conséquences de la RGPP au niveau départemental et infra-départemental ? Enfin, les relais de services publics mis en place dans le cadre de la modernisation de l'État vont-ils enfin se multiplier ?
Je veux encore croire à un État garant des principes d'égalité et de fraternité inscrits dans la Constitution, garants d'une société généreuse et solidaire. (Applaudissements)
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
M. Alain Fauconnier. - Notre collègue Sutour a été bien inspiré de poser cette question sur l'avenir des services publics dans les zones rurales. Sa question, en effet, traduit le malaise des élus, face à ce qui, au nom d'une prétendue « modernisation », est un véritable démantèlement de ce qui a cimenté la Nation. Depuis quelques années, il ne se passe pas un jour sans que les élus, et en premier lieu les maires, apprennent la fermeture de tel ou tel service, au nom de ce qui est désormais le dogme du Gouvernement : la révision générale des politiques publiques, le faux nez de l'inavouable rentabilité financière. A aucun moment n'ont été réfléchies les conséquences humaines, sociales et économiques qui en découlent et qui seront plus onéreuses qu'on ne croit. Qu'on le veuille ou non -et je vous renvoie ici aux célèbres « Lieux de mémoires » de Pierre Nora ou à la non moins remarquable « Histoire des passions françaises » de Théodore Zeldin, ce sont les services publics qui ont construit, au fil des décennies, le tissu au sein duquel la France républicaine a forgé son identité et ses valeurs : je veux parler des écoles, des lycées, des bureaux de poste, des tribunaux, des perceptions, des trésoreries, des hôpitaux, des unités de gendarmerie, des grands services, tels qu'EDF, La Poste, France Télécom... Je constate, avec les historiens, que de Lille à Montpellier, de Brest à Strasbourg, de Bayonne à Sarreguemines, du plus petit village de la Lozère au fin fond du Finistère, les services publics ont largement participé à la construction de l'identité nationale. Depuis l'école du Grand Meaulnes jusqu'à la classe du philosophe Alain...
Mme Nathalie Goulet. - Né à Mortagne-au-Perche !
M. Alain Fauconnier. - ...à Normale Sup, la France était une pyramide de compétences et de savoirs, dans laquelle chacun avait son rôle. Un rôle qui faisait de chacun le maillon d'une chaîne cohérente et complémentaire, laquelle, au-delà des différences, cimentait la communauté nationale. Comme naguère Voltaire disait que « la messe est l'opéra du pauvre », ne dit-on pas que les services publics sont le patrimoine des pauvres ? C'est-à-dire un bien que tous les Français avaient, jusque-là en commun, sans aucune distinction de classe. Bien sûr, je ne suis pas rigide et je sais que tout évolue mais je ne suis pas persuadé que ce soit un bon calcul de substituer systématiquement la seule logique comptable à l'esprit même d'une Nation.
En tant que maire et que sénateur, je mesure l'importance d'une sous-préfecture, d'un commissariat de police, d'un tribunal d'instance ou d'un petit hôpital. C'est dire mon inquiétude, notre inquiétude, face à ce délitement général et progressif des services publics pour ne pas dire leur destruction : EDF a fermé tous ses points d'accueil ; la SNCF interrompt certaines de ses lignes ; la fracture numérique accentue les disparités de couverture haut débit ; l'accueil de la petite enfance se voit remis en cause par des coupes radicales allant jusqu'à 40 % dans certains territoires ; La Poste est fragilisée par l'ouverture à la concurrence... Autant d'atteintes à la notion même de service public !
Dans le rural profond, tous ces services physiques sont remplacés par ce qui est présenté comme une modernité, les centres d'appel, l'appel téléphonique. Vous composez le numéro et vous entendez une bande sonore vous expliquant qu'il vous faut faire le 1, le 2, le 3 ou le 4. Puis vous tapez et attendez les instructions. Vous vous trompez et vous entendez le même message. Au troisième essai, vous avez épuisé votre interlocuteur virtuel et il n'y a plus personne pour vous répondre. Imaginez un instant le désarroi d'une personne âgée, confrontée à un problème de retraite, de MSA ou de coupure EDF. Ajoutez à cette situation qu'au rythme où nous allons, demain, il faudra à cette grand-mère un portable -s'il passe- puisque de plus en plus les fils téléphoniques restent des mois au sol dans nos villages reculés. Ce n'est pas que de l'abandon, c'est du mépris et une telle société va inéluctablement dans le mur !
Tous ces problèmes, y compris ceux dont je n'ai pas parlé, vous les connaissez bien, monsieur le ministre. Non seulement vous êtes un élu, mais encore avez longtemps siégé dans cet hémicycle en tant que sénateur du Var. Vos amis aussi les connaissent, qui les vivent, quotidiennement, sur le terrain, autant que nous, même s'ils n'osent pas s'en plaindre -il suffit, pour s'en convaincre, de voir le vide de ce côté de l'hémicycle ce matin...
La réforme de la carte judiciaire a porté un sérieux coup à la cohérence d'un système. Une réforme était probablement nécessaire, mais je conteste la manière dont elle a été conduite, en particulier l'absence à peu près totale de concertation avec les élus et les professionnels. La décision de fermer deux instances dans le sud de mon département -le tribunal de grande instance de Millau et celui de Saint-Affrique, ma propre commune- s'est faite sans concertation : je n'ai jamais été consulté. De même, leur fermeture, initialement prévu pour janvier 2011, a été, par le fait du prince, subitement avancé au 1er octobre 2009, sans en informer les maires concernés. Croit-on que la délinquance et la criminalité vont baisser parce qu'il n'y aura plus de justice de proximité, mais des structures éloignant en moyenne les plaignants à 70 km de leur domicile ?
Mme Nathalie Goulet. - Scandaleux !
M. Alain Fauconnier. - La sécurité sera-t-elle mieux assurée lorsque les quelques gendarmes restant passeront 50 % de leur temps sur la route...
Mme Nathalie Goulet. - A chercher où c'est !
M. Alain Fauconnier. - ...pour les extractions des prisonniers ? La justice sera-t-elle mieux rendue parce que les juges et les avocats passeront, eux aussi, leur temps en voiture ? C'est là une fuite en avant qui détruit et détruit de plus en plus vite...
La réforme de la gendarmerie n'a pas été plus heureuse. Pratiquement personne ne la désirait. Là encore, cette loi, née dans la douleur, n'offre pas les garanties nécessaires quant à la pérennité de la présence territoriale de la gendarmerie et au maintien des brigades. La sécurité des populations rurales en pâtira.
M. Yvon Collin. - C'est une garantie républicaine...
M. Alain Fauconnier. - Comme pour la carte judiciaire, les sénateurs socialistes ont, à juste titre, regretté que le service de proximité que rend la gendarmerie dans nos départements risque d'être, à l'avenir, compromis par cette réforme. Nous n'avons pas été écoutés et il est fort probable que, là encore, on s'en repentira bientôt. L'objectif était simple en Midi-Pyrénées : rendre 300 postes de gendarmes au titre de la RGPP !
Plus alarmant encore, la santé de nos compatriotes est en jeu. Le projet de loi « Hôpital, patients, santé, territoire » ne va en rien régler la fracture ville/campagne ; au contraire, elle l'aggravera. Jusqu'à présent, l'hôpital incarnait, particulièrement dans les villes moyennes et petites, pour ne pas dire à la campagne, la certitude d'être soigné. Or, gérer les hôpitaux comme les entreprises, avec pour seul critère celui de la rentabilité financière est contradictoire avec les notions de service public de santé, de qualité des soins, de tradition humaniste et même d'éthique médicale. Vous voulez transformer l'hôpital public, lieu de rencontre d'une confiance et d'une conscience, en une gigantesque grande surface où se rencontreront des clients et des marchands de soins.
Pour nous, l'hôpital public a une triple mission : une mission de soins de qualité ; une mission de cohésion sociale, le SDF, le chômeur ou l'exclu y étant soignés aussi bien que le cadre supérieur ; une mission d'aménagement du territoire. Une petite ville, qui perd les services actifs de son hôpital, perd toute ambition à jouer son rôle de ville de centralité sur son territoire. Je ne nie pas l'intérêt d'instaurer des communautés hospitalières de territoire, mais à la condition de respecter l'identité et la complémentarité des établissements hospitaliers et de ne pas se contenter d'une restructuration purement économique, asphyxiant les hôpitaux de proximité existants. L'Association des petites villes de France ne s'y est pas trompée, qui n'a approuvé la création des CHT qu'à la condition de « crédibiliser les petites structures hospitalières et leurs services et non les démanteler ».
Ceci m'amène à parler de la permanence des soins. Monsieur le ministre, votre territoire -le Var- est plutôt bien loti sur ce plan -quoiqu'il faudrait s'en assurer dans l'arrière-pays-, mais je ne peux pas imaginer que vous ne soyez pas soucieux de ce qui se passe ailleurs. D'ici trois à cinq ans, des pans entiers du territoire n'auront plus de médecins généralistes et le seul recours restera le petit hôpital de proximité. La Générale de santé n'assurera jamais une mission de service public dans le Massif Central ou sur l'ensemble des petits territoires ruraux. Il ne restera donc que l'hôpital public, et sans hôpital public de proximité, aucun médecin généraliste ne s'installera. Se généralisera alors ce que nous commençons à vivre : les centres d'appel des médecins libéraux après 19 heures et le week-end. Vous téléphonez du fin fond de l'Aveyron à votre médecin pour l'angine de votre petite fille et vous tombez sur un centre d'appel à Toulouse ; un médecin, au bout du fil, vous délivre une ordonnance par téléphone, qu'il faxe ensuite à la pharmacie de garde.
M. Yvon Collin. - Personne ne le croit.
M. Alain Fauconnier. - C'est pourtant vrai ! Nous en sommes déjà là. Imaginez un instant la surprise des personnes âgées ou d'un citoyen en grande difficulté. Restera le recours aux urgences du petit hôpital de proximité, s'il existe encore, ou le 115. Voilà la vraie vie de nos territoires...
La vraie vie, encore, c'est la difficulté de placer une personne âgée en difficulté respiratoire lorsque le petit hôpital a fermé ses portes. Que répond-on, chaque jour, au médecin qui cherche un lit ? « Quel âge a-t-elle ? » Si elle a plus de 70 ans ou quelquefois moins, on ne la prend pas, en prévision de l'accueil d'une urgence pour un plus jeune ». Nous en sommes là !
Nos collègues ruraux savent qu'il est plus facile d'avoir dans les quinze minutes un vétérinaire pour assurer un vêlage difficile -Monsieur le Président du Sénat ne saurait l'ignorer- qu'un médecin pour soigner la détresse d'un bébé.
Mme Nathalie Goulet. - C'est vrai !
M. Alain Fauconnier. - Nous en sommes là.
Je vous engage, Monsieur le ministre, et avec vous l'ensemble du Gouvernement, à mesurer cet état des lieux pour changer de politique. N'oubliez pas que l'égalité est au deuxième rang dans la devise de la République. Qu'entre l'urbain et le rural, on n'instaure pas une France à deux vitesses : celle qui bénéficie de l'emploi, des équipements et des services, et l'autre à qui il ne restera que le chômage, le sous-équipement et l'absence de services. Après un siècle de démocratisation, d'aménagement du territoire et de répartition des richesses nationales, va-t-on revenir deux siècles en arrière ? C'est, apparemment, ce que le Gouvernement nous réserve. Nous en appelons au sursaut des élus ruraux de cette assemblée et à la solidarité de nos collègues urbains. Il en va de l'harmonie de notre vieux et ambitieux pays. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur ceux du RDSE)
M. Claude Biwer. - Je parlerai un peu plus que les cinq minutes qui me sont accordées parce que j'interviens aussi pour M. Jean Boyer, que les horaires du service public de la SNCF ont contraint de quitter l'hémicycle.
La population rurale aspire légitimement à la parité. L'évolution de notre société accentue les différences entre les territoires urbains et ruraux et le décalage qui se creuse ainsi entre les deux types de population affecte particulièrement la qualité du service public. Il suffit, pour s'en convaincre, d'écouter les inquiétudes exprimées depuis plusieurs années aux congrès de l'Association des maires de France.
Dès 2003, selon une consultation de l'AMF, 79 % des élus estimaient que le maintien des bureaux de poste dans les communes rurales était une impérieuse nécessité. La Poste s'est organisée avec les communes et communautés de communes. Mais il faut reconnaître que le service postal rendu par un secrétaire de mairie ne peut être identique à celui rendu par un professionnel. Le Parlement avait ouvert l'horizon financier de La Poste en contrepartie du service public local : cet équilibre a été un peu oublié. Il y quelques années, le groupe de l'Union centriste avait déposé une proposition de loi tendant à instaurer un moratoire aux fermetures de services publics en milieu rural. A l'époque, le Gouvernement avait pris des engagements, mais la situation a continué à se dégrader.
Certes, les services publics ne sauraient s'abstraire des nécessités économiques et doivent optimiser leurs coûts. Mais est-il normal que tant d'entre eux disparaissent ? Nous venons d'apprendre, dans mon département, que la police de l'air et des frontières allait plier bagage : la France aurait-elle annexé la Belgique et le Luxembourg ? (Sourires) Et tout cela, sans aucune concertation. Que deviendront les services de santé après la prochaine loi sur l'hôpital et les territoires ? On supprime aussi beaucoup de transports. Nous avons la chance que des TGV traversent notre région : hélas, ils passent mais deux seulement sur trois cents s'arrêtent ! (Même mouvement) L'agriculture est en recul, les paysans sont de moins en moins nombreux. Il y aussi la révision de la carte militaire. Dans le nord-est, la présence militaire est traditionnellement forte et elle a empêché l'industrialisation ; or aujourd'hui les militaires s'en vont ! Dans une commune de 5 000 habitants, perdre 1 000 militaires n'est pas sans conséquences...
On a cherché comment apporter de l'oxygène : les zones de revitalisation rurale ont été utiles, les pôles d'excellence rurale aussi. Mais avec 60 euros de DGF par habitant, contre 600 à Paris, comment s'en sortir ? Il existe des outils : dotation spéciale rurale, DGE, péréquation. Et pourquoi ne pas installer des zones franches en milieu rural ? M. Marleix nous avait fait une réponse encourageante mais nous n'avons rien vu venir. J'ai déposé une proposition de loi en ce sens et j'espère qu'un jour nous aurons satisfaction. (Applaudissements)
M. Hubert Falco, secrétaire d'État chargé de l'aménagement du territoire. - Vous vivez vos territoires : je les vis avec vous. Regardons la réalité en face : notre monde rural -j'en suis issu- n'est pas uniforme, il est composé d'éléments très différents. Dans les Causses ou les Cévennes, on compte deux à trois habitants au kilomètre carré. Mais dans le pays des Portes de Gascogne, la population, avec le développement toulousain, ne cesse de croître.
Les enjeux sont donc divers, les besoins aussi. Certains territoires isolés se sentent abandonnés ; le maintien des services publics, alors, est vital. Mais la majorité des territoires ruraux connaît un essor démographique...
Mme Nathalie Goulet. - Des noms !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. - ...et possède une économie résidentielle. Ne faisons pas la ville à la campagne, imaginons un développement durable respectueux de l'identité de chaque territoire.
M. Yvon Collin. - Et rentable !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. - Pensons aux services liés aux nouveaux besoins. L'attente, du reste, porte plus sur les services au public que sur les services publics. La réalité n'est pas toujours comptable : davantage de services au public, ce n'est pas nécessairement davantage d'emplois publics ; moins d'emplois publics, ce n'est pas toujours moins de services.
Vérité et volontarisme doivent prévaloir : reconnaissons que tout ne va pas bien, mais que le service public ne peut être le même qu'il y a 30 ans.
Mme Nathalie Goulet. - On le sait bien.
M. Simon Sutour, auteur de la question. - Mais il doit continuer à exister !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. - Il faut réformer et être inventifs.
Mme Nathalie Goulet. - A Neuilly par exemple ?
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. - Il faut être au plus près des besoins. Je ferai en sorte que les engagements soient respectés. Concernant le service postal, je suis attaché à faire respecter la norme d'accessibilité inscrite dans la loi de 2007. Je m'y attellerai en lien avec l'Observatoire national de la présence postale, présidé par M. Hérisson.
A ma demande, La Poste s'est engagée à résoudre avec les élus locaux la situation des neuf départements, dont ceux de MM. Biwer et Vall, où la norme des cinq kilomètres ou des vingt minutes n'est pas respectée. La future loi postale devra prendre en compte les objectifs de présence territoriale et prévoir les moyens financiers de la garantir. Toutefois, les 17 000 points de contact existants rendent à nos concitoyens les services qu'ils attendent.
A mon arrivée, j'ai découvert que le plan de couverture en téléphonie mobile avait laissé de côté 364 communes situées en zones blanche. J'ai obtenu des opérateurs et des partenaires qu'elles soient intégralement couvertes ; 80 % seront desservies fin 2010, et la totalité en 2011.
Anne-Marie Escoffier a évoqué les zones de revitalisation rurale. Monsieur Biwer, je vous rappelle qu'il s'agit de zones franches car elles bénéficient pendant cinq ans d'exonérations de taxe professionnelle, d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés. Ce système de défiscalisation, sans comparaison en Europe, permet à 14 000 communes de développer des services, notamment des activités libérales ou de santé.
Mme Nathalie Goulet. - Il n'y en a pas.
M. Simon Sutour, auteur de la question. - Le constat est accablant.
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. - Ce dispositif est insuffisamment connu et valorisé, mais les engagements de l'État doivent être tenus et respectés. Les préfets ont reçu pour instruction, dès mai 2008, de veiller à la promotion et à la mise en oeuvre du dispositif. Son évaluation est en cours, et le diagnostic se fera avec les parlementaires.
Vous êtes plusieurs à m'avoir interrogé sur les pôles d'excellence rurale, initiés en 2006. J'ai fait en sorte que les objectifs en soient atteints et que l'État respecte ses engagements : sur les 379 pôles Iabellisés, 355 auront conduit leur projet à terme, dont une large majorité à la fin de cette année. Ils constituent un élément fort de la relance dans les territoires ruraux, avec 160 millions d'euros de crédits de paiement cette année -sur un engagement total de 235 milions-, avec notamment 32 millions fléchés sur 52 pôles privilégiant les services d'accueil de la petite enfance et de prise en charge des personnes dépendantes.
A la fin de cette année, une fois la première vague achevée, je proposerai au Premier ministre de lancer une deuxième vague de pôles d'excellence rurale, recentrée sur les services publics et les services au public. Je souhaite en débattre avec les parlementaires et les élus des territoires, sur la base de l'évaluation réalisée, et je collaborerai naturellement avec le groupe d'étude que le Sénat vient de constituer sur ce sujet.
Je suis sensible également aux questions d'accessibilité des territoires soulevées par Simon Sutour, Claude Biwer et Alain Fauconnier. En accord avec Jean-Louis Borloo, je suis intervenu sur plusieurs sujets relevant de l'urgence territoriale, sans préjudice du travail engagé avec la SNCF dans le cadre de la charte des services publics.
M. Pierre-Yves Collombat. - Elle ne la respecte pas.
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. - Notre volonté d'agir s'exprime aussi par la réforme. Le Premier ministre m'a chargé de reprendre la charte des services publics en milieu rural signée en 2006 par l'État, l'Association des maires de France et seize opérateurs. J'en présenterai le bilan avec Jacques Pélissard et vous-mêmes.
Mme Nathalie Goulet. - Et les maires ruraux ?
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. - Je suis très ouvert aux maires ruraux -le président de leur association siège à l'Observatoire de La Poste.
Certaines pistes se dégagent d'ores et déjà. Il faut que les parties s'engagent à fixer des normes de qualité et s'organisent sur la base de la mutualisation et du partenariat. Ainsi, les initiatives telles que les relais de services publics -127 labellisés à ce jour- ou les maisons de santé pluridisciplinaires sont exemplaires. Madame Escoffier, la mairie, La Poste, une agence de Pôle emploi, une sous-préfecture peut offrir à nos concitoyens des bouquets de services.
Pour ce qui est de l'accès à internet, grâce au plan France numérique 2012 les opérateurs développent un service à haut débit pour tous nos concitoyens à un prix raisonnable. Toutefois, il faut assurer l'attractivité numérique de nos territoires ruraux pour les entreprises en les raccordant au très haut débit. D'ici cinq ans, 75 % des zones d'activités d'intérêt communautaire doivent en bénéficier et la fibre optique doit desservir toutes les communes de plus de 1 000 habitants. (Marques d'approbation) Pour encourager les collectivités, nous les accompagnerons dans la réalisation de schémas directeurs du numérique.
Monsieur Fauconnier, l'action du Gouvernement en matière de démographie médicale est sans doute la question la plus prégnante dans nos territoires ruraux. Mon ministère a initié en son temps le développement de la télémédecine et des maisons de santé, mais les démarches locales ne peuvent suffire. La loi « Hôpital, patients, santé et territoires », que Roselyne Bachelot vous présentera bientôt, est cruciale, et je l'ai défendue à l'Assemblée nationale aux côtés du ministre de la santé. Son examen par le Sénat permettra certainement de l'améliorer encore.
La demande et le niveau d'exigence en matière de services, la manière de les rendre et leur organisation évoluent avec la population de nos territoires, les technologies, le partage des responsabilités entre l'État et les collectivités, le public et le privé. Dans ce contexte en mutation, il nous faut une ligne de conduite et une méthode de travail claires. Nous devons privilégier les projets à l'échelle du bassin de vie, s'appuyant sur des objectifs d'accessibilité et de qualité, soucieux d'efficacité grâce à la mutualisation des ressources.
Il y aurait bien d'autres réponses à apporter à vos multiples interrogations sur l'avenir des territoires ruraux. Je remercie les orateurs pour leurs interventions, riches d'expérience, et pour leurs questions pertinentes. (Applaudissements)
M. Simon Sutour, auteur de la question. - Je suis heureux que la problématique des services publics en milieu rural ait été abordée devant le grand conseil des communes de France. Nous, sénateurs, sommes confrontés tous les jours à des difficultés liées aux services de La Poste, des écoles, à la fracture numérique...
Sans même parler de la téléphonie mobile et des zones blanches, l'exemple de la téléphonie filaire est très éclairant. Les années précédentes, nous ne connaissions aucune difficulté. Or nombre de communes me rapportent aujourd'hui que le réseau ne fonctionne pas pendant plusieurs jours sans être réparé. On assiste à une dégradation considérable du service public depuis quelques années.
Monsieur le ministre, dans votre réponse, dont je vous remercie car je sais que vous êtes sensible aux problèmes du monde rural en tant qu'ancien élu d'une petite commune et ancien sénateur, vous n'avez pas abordé la question de la gendarmerie...
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. - J'avais prévu de le faire !
M. Simon Sutour, auteur de la question. - Le transfert vers l'Intérieur a déjà commencé alors que la loi n'a même pas été votée par l'Assemblée nationale !
Mme Nathalie Goulet. - Il est vrai que le budget est déjà transféré...
M. Simon Sutour, auteur de la question. - J'en ai l'exemple dans mon département avec la brigade de Sauve à propos de laquelle j'ai posé une question à Mme la ministre de l'intérieur. Soyez certains que nous nous battrons sur cette question, malgré cette assemblée quelque peu déserte. Au reste, l'absence de sénateurs d'un certain côté de l'hémicycle s'explique peut-être par la difficulté qu'il y a à défendre certaines positions plus que par l'heure tardive... Nous ne demandons rien d'extraordinaire, sinon une péréquation effective, le respect de ce principe républicain fondamental qu'est l'égalité entre tous les citoyens, quel que soit leur territoire, et un service public de qualité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du RDSE et de l'Union centriste)
Le débat est clos.
M. le président. - Je vais suspendre. Exceptionnellement, nous reprendrons la séance à 15 heures 30 au lieu de 16 heures.
La séance est suspendue à 14 h 5.
présidence de M. Roger Romani,vice-président
La séance reprend à 15 h 30.