SÉANCE
du lundi 1er décembre 2008
32e séance de la session ordinaire 2008-2009
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
Secrétaires : M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Anne-Marie Payet.
La séance est ouverte à 10 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Rappel au Règlement
M. Jean-Pierre Sueur. - Ce rappel au Règlement se fonde sur l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, source de la Constitution et, partant, du Règlement du Sénat. M. Vittorio de Filippis, journaliste et ancien directeur du journal Libération, a été interpellé à son domicile le vendredi 28 novembre à 6 heures 40, en exécution d'un mandat d'amener délivré par un juge. Il a été arrêté devant ses enfants, menotté et emmené au commissariat du Raincy. Libération, dans son édition du 29 novembre, rapporte le témoignage de M. de Filippis sur cet épisode.
M. Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du quotidien, a écrit que les conditions de cette interpellation étaient volontairement humiliantes. Si l'on en croit les récits que l'on lit dans la presse, c'est le moins que l'on puisse dire ! D'après Libération et Le Monde, un fonctionnaire de police aurait dit à M. de Filippis, devant son fils : « Vous, vous êtes pire que la racaille ! ».
Je rappelle que ce qui a donné lieu à cette interpellation est une plainte en diffamation au sujet d'un commentaire hébergé par le site internet du journal, le 27 octobre 2006. Me Jean-Paul Lévy, avocat de M. de Filippis, a déclaré que c'était la première fois qu'il voyait un directeur de publication faire l'objet d'une interpellation et d'un mandat d'amener. Il a rappelé qu'en matière de presse, la détention n'existait pas. Et il s'est indigné du traitement effarant réservé à son client.
Me Yves Baudelot, avocat du journal Le Monde, a renchéri : « C'est invraisemblable et inacceptable : si l'on permet des perquisitions et des interpellations de cette nature, on contourne la loi ». La Société civile des personnels de Libération a, quant à elle, dénoncé « des méthodes judiciaires intolérables » et réclamé une enquête.
De nombreuses personnalités se sont émues de cette affaire. Le Syndicat national des journalistes s'est inquiété de « la démesure avec laquelle sont désormais instruits certains délits de presse ». L'association Reporters sans frontières a elle aussi vivement réagi.
Devant cette émotion intense et justifiée, je souhaite poser trois questions à Mme la garde des sceaux, qui se trouve parmi nous ce matin. Pensez-vous que la présence sur le site d'un journal du commentaire d'un internaute constitue de la part de la rédaction un acte de diffamation méritant un tel traitement ? Considérez-vous que les méthodes employées lors de cette interpellation sont compatibles avec les objectifs du projet de loi sur le secret des sources, que vous nous avez présenté ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Hélas oui !
M. Jean-Pierre Sueur. - Enfin, avez-vous demandé l'ouverture d'une enquête, ou allez-vous le faire ? Si oui, comptez-vous rendre publiques les conclusions de cette enquête ?
M. le président. - Je vous donne acte de ce rappel au Règlement. Mme la ministre vous répondra tout à l'heure.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je m'étonne du mutisme du Gouvernement. Les libertés fondamentales sont en jeu, et notre rôle de parlementaires est de veiller à leur respect.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je partage les inquiétudes de M. Sueur et je souhaite moi aussi connaître l'avis de Mme la ministre.
M. le président. - Madame la ministre, si vous le souhaitez, vous avez la parole.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - J'avais l'intention de répondre tout à l'heure : il n'y a pas lieu de dénoncer le mutisme du Gouvernement.
En ce qui concerne la procédure, elle est parfaitement régulière : un mandat d'amener a été délivré par un juge d'instruction à la suite d'une plainte déposée par une partie civile. Ni le Gouvernement ni le parquet ne sont à l'initiative de cette interpellation. Le mandat d'amener est une procédure à laquelle un juge d'instruction peut recourir, en particulier si la personne mise en cause n'a pas déféré aux convocations qui lui ont été préalablement adressées, comme c'est le cas dans cette affaire.
Nous sommes dans un État de droit, où la justice est indépendante. Nous avons eu plusieurs fois l'occasion d'en parler ici : le ministre de la justice peut délivrer des instructions au parquet, pas aux magistrats. Je ne l'ai jamais fait, et il ne me revient pas de juger, ni même de commenter une procédure judiciaire.
Quant aux conditions de garde à vue, le Président de la République a beaucoup fait pour les améliorer lorsqu'il était ministre de l'intérieur. Il a limité le recours à la fouille au corps, au nom de la dignité des personnes.
M. Jean-Pierre Sueur. - Avez-vous lu la presse ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Lors de la campagne présidentielle, il s'est engagé à améliorer la protection du secret des sources des journalistes en l'inscrivant dans la loi de 1881. Le projet de loi dont nous avons débattu a pour objet d'apporter des garanties en la matière et de mieux encadrer les procédures judiciaires dans le cas où un journaliste serait mis en cause.
J'ai demandé au parquet de se faire communiquer le dossier de M. de Filippis pour s'assurer qu'aucune irrégularité n'a été commise. Je vous communiquerai bien évidemment les informations dont je disposerai. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)