Fonctionnement des assemblées parlementaires
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, complétant l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Discussion générale
M. Eric Besson, secrétaire d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique - J'interviens à la demande de Roger Karoutchi, empêché.
Cette proposition de loi a été présentée à l'Assemblée nationale par son président, Bernard Accoyer. Il est rare que le président d'une assemblée prenne une telle initiative ; celle-ci se justifie par la nécessité de renforcer l'action des commissions d'enquête parlementaires en accordant une plus grande protection aux personnes témoignant devant elles. Depuis quelque temps, ces dernières subissent des pressions, sous la forme notamment de poursuites en diffamation destinées à les déstabiliser. S'il est essentiel de les protéger, il ne s'agit pas pour autant de leur accorder une immunité identique à celle des parlementaires.
A quelques jours de l'examen par votre Assemblée du projet de loi constitutionnel de modernisation des institutions de la Ve République, le Gouvernement estime utile de conforter le rôle des commissions d'enquête, instrument efficace du contrôle parlementaire. Leur poids et leur influence n'ont cessé de croître du fait de l'élargissement de leurs moyens d'investigation et, depuis 1991, de la publicité des auditions. Cette évolution n'a pas été sans conséquences sur les témoins qui s'expriment, sauf exception, publiquement. En témoigne la médiatisation des travaux de la commission sur l'affaire dite « d'Outreau ».
Actuellement, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, toute personne convoquée par une commission d'enquête doit comparaître et déposer sous serment. Un refus ou un faux témoignage l'exposerait à des poursuites pénales, mais elle ne dispose d'aucune protection et ne bénéficie pas de l'immunité prévue par l'article 26 de la Constitution ou par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881. Le témoin peut être poursuivi pour diffamation, injure ou outrage pour les propos tenus lors de son audition.
La proposition de Bernard Accoyer apporte une solution équilibrée. Elle permet d'éviter que le témoin ne subisse des pressions, sans lui accorder une immunité totale qui risquerait de transformer les commissions en lieux de règlements de comptes. Elle institue une immunité partielle couvrant les poursuites pour diffamation, injures et outrages liés aux propos tenus ou écrits produits devant une commission d'enquête. Toutefois, le faux témoignage relève toujours de la juridiction pénale et le président de la commission, chargé de la police des travaux, peut ordonner le huis clos pour faire cesser les débordements.
Ce régime s'apparente à celui prévu par la loi de 1881 pour les témoins appelés à s'exprimer devant la justice. Votre commission a souhaité mentionner ces règles plutôt que l'ordonnance de 1958, et a aligné la rédaction de l'ajout à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 sur celle de l'article 41 de la loi de 1881. Le Gouvernement est favorable aux amendements de la commission.
Je remercie vivement le sénateur Garrec pour la grande qualité de son rapport et des travaux réalisés au nom de la commission des lois, présidée par M. Hyest. Au moment où il souhaite renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement, le Gouvernement estime cette proposition opportune et vous invite à l'adopter. (Applaudissements à droite et au centre)
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois. - Les actions en diffamation engagées contre des personnes entendues par la commission créée en 2006 pour enquêter sur l'influence des mouvements à caractère sectaire ont conduit l'Assemblée nationale à adopter le 3 avril dernier, sur la proposition de son président, un texte instituant une immunité relative au profit des témoins des commissions d'enquête. Cet instrument majeur du contrôle parlementaire dispose aujourd'hui de pouvoirs d'investigation -particulièrement des moyens de contrainte, d'essence judiciaire, pour le recueil des témoignages. La personne convoquée par une commission d'enquête doit déférer à cette demande et déposer sous serment, sous peine d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 7 500 euros. En outre, le tribunal peut prononcer l'interdiction de tout ou partie de l'exercice des droits civiques. En cas de faux témoignage ou de subornation de témoins, la personne s'expose à des peines allant jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende. Le témoin se trouve donc très contraint -sous la réserve, dans certains cas, de l'opposition du secret professionnel.
Un bouleversement a été apporté par l'adoption, en 1991, du principe de la publicité des auditions, auparavant soumises à la règle du secret. Les circonstances de l'audition déterminent les conséquences judiciaires qui peuvent en résulter, créant une situation inégalitaire : la jurisprudence a refusé aux personnes convoquées par les commissions d'enquête le bénéfice de l'immunité parlementaire, prévue par la Constitution et reprise par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui protège de toute poursuite « les discours tenus dans le sein de l'Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l'une de ces deux assemblées » et le compte rendu des séances publiques des assemblées fait de bonne foi.
Cette protection ne bénéficie aux témoins que par ricochet. Dans le cas particulier de la diffamation publique, le juge considère que la publication des propos incriminés dans le rapport de la commission résulte d'une décision souveraine de l'assemblée concernée. En conséquence, la faute personnelle du témoin est couverte par le huis clos dans lequel s'est déroulée son audition, et l'action en diffamation publique est irrecevable.
La protection des témoins a donc été grandement entamée par la publicité des auditions des commissions d'enquête. Toutefois, si l'information des parlementaires doit être la plus complète possible et s'il faut, à cette fin, entourer les témoins de garanties propres à encourager une expression libre, cette protection ne saurait s'organiser au détriment des tiers. L'Assemblée nationale a donc adopté un système qui concilie les garanties dues aux personnes déposant sous la contrainte et la préservation des droits des tiers qui s'estimeraient lésés par les propos tenus.
Le dispositif retenu s'inspire de l'immunité prévue par le troisième alinéa de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, au bénéfice notamment des témoins aux procès, qui interdit toute action en diffamation, injure ou outrage pour « les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ». La même exemption s'étend aux comptes rendus fidèles, faits de bonne foi, des débats. En revanche, elle ne s'applique pas aux faits diffamatoires étrangers à la cause. Le texte assure donc aux personnes convoquées une immunité couvrant l'ensemble des éléments -oraux ou écrit- portés à la connaissance des commissions d'enquête dans la mesure où ils correspondent à l'objet de l'enquête. La protection est étendue aux comptes rendus de bonne foi des réunions publiques des commissions, corollaire de la publicité voulue par le législateur de 1991. Le champ d'intervention de cette protection est circonscrit à trois types d'infraction -diffamation, outrage et injure.
Votre commission des lois comprend les préoccupations exprimées par l'Assemblée nationale concernant les conséquences de l'ouverture des auditions sur la responsabilité des témoins, qui avaient traversé l'esprit du législateur de 1991.
Notons toutefois le faible nombre de poursuites engagées au regard des centaines de témoins convoqués. Par ailleurs, ceux-ci peuvent toujours demander le huis clos. Nous avions ainsi demandé le secret des auditions lors de la commission d'enquête sur les dysfonctionnements de l'administration de l'État en Corse, sujet particulièrement sensible...
Désormais, le régime sera le même, que le témoignage soit public ou à huis clos, et la sincérité des témoignages sera garantie. Toutefois, l'immunité ne couvre pas les propos et écrits étrangers à l'objet de l'enquête et le faux témoignage ou la subornation de témoin continueront à être pénalement sanctionnés.
Votre commission propose deux amendements afin d'encadrer le dispositif. Cette nouvelle immunité imposera une responsabilité supplémentaire aux présidents des commissions d'enquête pour assurer la modération et la sérénité des auditions. Je leur souhaite bien du plaisir...
Sous réserve de ces amendements, votre commission vous propose d'adopter cette proposition de loi. (Applaudissements)
M. Pierre-Yves Collombat. - Les commissions d'enquête sont l'un des instruments essentiels du contrôle parlementaire, même si la France en limite considérablement l'usage. Au Portugal, 10 % des parlementaires peuvent demander l'ouverture d'une commission d'enquête, présidée par le groupe à l'origine de la proposition. En Belgique ou au Luxembourg, le fait que la justice soit saisie n'empêche pas le Parlement d'enquêter. D'une manière générale, dans les pays de l'Union, les commissions parlementaires ont des pouvoirs quasi judiciaires. Leurs conclusions sont parfois discutées en séance publique. On déplorera donc que le projet de révision constitutionnelle ne supprime pas cet obstacle au contrôle parlementaire, comme l'avait proposé le comité Balladur, et que la question des commissions d'enquête ait été évacuée...
Malgré ces obstacles, les commissions d'enquête sont devenues des outils essentiels du contrôle parlementaire. La publicité des auditions, depuis 1991, puis leur médiatisation, parfois en direct, en ont fait une pièce essentielle du débat démocratique.
Or, dans le même temps, les témoins voient leur position fragilisée. Dans son arrêt du 23 novembre 2004, la Cour de cassation a refusé de leur étendre la protection accordée aux témoins des tribunaux. Des professionnels du harcèlement judiciaire exploitent les lacunes de l'État de droit : sept des témoins entendus par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les mineurs victimes des sectes ont fait l'objet de plaintes. Même les parlementaires se retrouvent devant la justice pour leurs propos tenus devant des journalistes !
Cette proposition de loi est opportune et justifiée. La légitimité du Parlement vaut bien celle des tribunaux ; les témoins entendus par ses commissions d'enquête ont droit à la même protection.
Le dispositif existant garantit les droits des tiers éventuellement mis en cause : possibilité d'auditions à huis clos, de poursuites pour faux témoignage et subornation de témoins, protection limitée aux propos en rapport direct avec l'affaire, obligation de bonne foi pour les comptes rendus.
Le groupe socialiste votera donc ce texte en l'état.
J'ai toutefois déposé un amendement visant à améliorer encore le travail parlementaire.
L'ordonnance de 1958 prévoit que toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. Sauf quand l'entourage du Président de la République est concerné... N'ont pas répondu à la convocation du Parlement : le porte-parole du Président Giscard d'Estaing en 1979 ; Gilles Ménage, directeur de cabinet du Président Mitterrand concernant l'hospitalisation en France de Georges Habache, en 1992 ; Mme Cécilia Sarkozy, dans l'affaire des infirmières bulgares. Dans les deux derniers cas, la commission d'enquête aurait renoncé à son projet, réglant ainsi élégamment la question... Soudaine illumination des parlementaires ? Au nom de la sacro-sainte séparation des pouvoirs qui, étrangement, autorise l'audition des membres du gouvernement ou du secrétaire général de la Présidence, mais pas celle des « envoyés personnels du Président » !
Selon David Martinon, alors porte-parole de l'Élysée en 2007, il serait « inconstitutionnel » et constituerait une « entorse au principe de séparation des pouvoirs » que Nicolas Sarkozy réponde à une commission d'enquête parlementaire -ce que personne n'a demandé. « Par extension, ajoute-t-il, Mme Sarkozy, puisqu' elle était son envoyée personnelle, tombe sous la même règle ». Shiva a de multiples bras ; le Président de la République française a, lui, des « extensions », dont on aimerait connaître le statut juridique. (On s'amuse du choix de ce vocable sur les bancs socialistes)
Dans un entretien à L'Est républicain, Mme Cécilia Sarkozy précise qu'elle était en Libye « en tant, que femme, en tant que mère, avec la ferme intention de sauver des vies ». « On ne m'empêchera jamais d'essayer d'aider ou de soulager la misère du monde », ajoute-t-elle.
Elle s'est refusée à être entendue par la commission parlementaire...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - C'est faux.
M. Pierre-Yves Collombat. - ... estimant : « ce n'est pas ma place ».
Le Secrétaire général de l'Élysée peut être entendu, mais pas une femme et une mère ayant la ferme intention de sauver des vies... Essuyons une larme et comprenne qui pourra... (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Catherine Troendle. - Les commissions d'enquête, moyens privilégiés du contrôle parlementaire, ont produit des travaux significatifs sur de grands sujets de société. Leur champ d'intervention s'est élargi et leurs moyens d'investigation ont été renforcés. La loi du 20 juillet 1991 a fait de la publicité de leurs travaux la règle et du huis clos, l'exception.
Ainsi exposées, les personnes entendues se trouvent aujourd'hui dans une situation juridique particulièrement fragile. Toute personne convoquée par une commission d'enquête parlementaire est tenue de comparaître et de déposer sous serment, un refus ou un faux témoignage pouvant entraîner des poursuites pénales, mais elle ne bénéficie d'aucune protection légale pour les propos tenus devant la Commission. En 2004, la Cour de cassation a soumis ces témoins au droit commun de la diffamation, contrairement au témoignage devant un tribunal. Certains témoins ont ainsi été poursuivis ; d'autres ont fait l'objet de pressions visant à les dissuader de témoigner.
Cette situation inadmissible est préjudiciable au bon fonctionnement des commissions d'enquête. Si la liberté de parole n'est plus assurée, la qualité du travail d'enquête qui repose sur la sincérité et l'exhaustivité des témoignages en est affectée. Protéger les témoins et les prémunir contre un recours abusif est une exigence morale mais aussi une nécessité.
Cette proposition de loi est particulièrement opportune, et je salue, au nom du groupe UMP, l'initiative du président Accoyer. Les personnes déposant devant une commission d'enquête ne pourront plus être poursuivies pour diffamation, injure ou outrage. La même immunité s'applique également pour les comptes rendus de bonne foi, publiés en annexe des rapports, les diffusions télévisées ou la reprise de certains propos dans les médias.
Toutefois, l'immunité ne saurait être absolue : les propos mensongers doivent être sanctionnés par la loi. Comme vient de le dire notre rapporteur, il convient donc de préserver les droits des tiers qui s'estimeraient lésés par les paroles prononcées en cours d'audition.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce texte parfaitement équilibré qui concilie efficacité et publicité des débats et qui protège les témoins, tout en posant des garde-fous pour préserver les droits des tiers. (Applaudissements à droite)
M. François Zocchetto. - Cette proposition de loi répond à une offensive judiciaire menée par les mouvements sectaires suite aux auditions qui se sont déroulées dans le cade de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale portant sur leur influence. Ceux-ci ont en effet entamé un bras de fer judiciaire en déposant un grand nombre de plaintes en diffamation contre les témoins qui étaient contraints de prêter serment alors qu'ils ne bénéficiaient d'aucune immunité.
Nous saluons donc ce texte qui permettra de défendre les témoins. Toutefois, l'immunité dont ils bénéficieront ne sera que relative puisqu'ils ne seront protégés que pour des infractions bien définies : la diffamation, l'injure et l'outrage. En revanche, l'immunité ne jouera pas si les propos tenus ne correspondent pas à l'objet de l'enquête. Enfin, les faux témoignages ou la subornation de témoins resteront pénalement répressibles.
Le double objectif du texte est respecté : protéger les témoins qui déposent sous serment et concilier les droits des tiers et ceux des commissions. Il est évidemment très important que les personnes entendues sous serment puissent s'exprimer sans crainte, d'autant que les missions des commissions d'enquêtes touchent souvent aux libertés individuelles. L'exemple des sectes est particulièrement congruent car leurs dirigeants ont parfois une emprise morale et psychologique extrêmement forte.
La liberté de témoignage permettra aux commissions d'enquête de faire la lumière sur un sujet précis. En leur offrant les meilleures conditions de fonctionnement, elles pourront ainsi remplir au mieux leur mission. Ce pouvoir d'enquête est d'autant plus important qu'il fait partie des prérogatives parlementaires et qu'il participe à la revalorisation du Parlement.
Notre groupe votera donc cette proposition de loi.
A titre personnel, je partage le souci du président Hyest qui a estimé que les présidents de commission d'enquête devront veiller à « assurer la modération et la sérénité des auditions, propres à respecter les divers intérêts en présence ». Il en va de l'équilibre et du respect des droits de chacun.
Enfin, je ne pense pas que l'amendement de M. Collombat soit nécessaire même si l'intention est louable. Les personnes qui sont convoquées devant une commission d'enquête sont tenues de se déplacer et les textes actuels permettent de recourir à la force publique.
M. Jean-Louis Carrère. - La preuve !
M. François Zocchetto. - Le président de la commission d'enquête dispose de tous les moyens nécessaires pour y parvenir. Il s'agit, en fait, de la même procédure que celle prévue pour les tribunaux et personne ne l'a contestée à ce jour.
M. René Garrec, rapporteur. - Eh oui !
M. François Zocchetto. - Il est en revanche vrai que certaines commissions d'enquête ont décidé de ne pas recourir à la force publique. (Applaudissements au centre et à droite)
La discussion générale est close
Discussion des articles
Article additionnel
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Garrec, au nom de la commission.
Avant l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d'enquête créée, en leur sein, par l'Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d'y déposer, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi. »
M. René Garrec, rapporteur. - L'immunité proposée par l'Assemblée nationale doit figurer dans l'article 41 de la loi de 1881 sur la presse, qui regroupe déjà les dispositions relatives à l'immunité parlementaire et à celle dont bénéficient les témoins devant les tribunaux.
Il convient d'autre part de restreindre la protection nouvelle au seul cadre des réunions des commissions d'enquête et d'exiger du compte rendu des réunions publiques la bonne foi, comme l'ont prévu les députés, mais aussi la fidélité, ce qui implique qu'il ne procède pas à une dénaturation ou à une falsification des faits.
Les commissions d'enquête parlementaire sont apparues sous la Restauration sans aucune base juridique jusqu'en 1914. Après le cas Rochette, il a été prévu une protection des témoins devant les commissions parlementaires qui restaient tenues au secret. Sous la IVe République, les témoins étaient protégés mais sous la Ve, tel ne fut plus le cas. Ensuite, deux de nos illustres collègues ont animé une commission d'enquête sur l'ORTF mais des témoins ayant refusé de déférer aux convocations, le Sénat a instauré des sanctions équivalentes à celles prévues à l'encontre des témoins refusant de se présenter devant un tribunal.
M. Eric Besson, secrétaire d'État. - L'insertion de cette protection supplémentaire ne pose pas de difficulté particulière. L'avis est donc favorable.
L'amendement n°1 est adopté et devient un article additionnel.
Article unique
I. - Après le troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, pour injure ou outrage, ni les propos tenus ou les écrits produits par la personne tenue de déposer devant une commission d'enquête, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi. »
II. - Dans le dernier alinéa de l'article L. 613-20 du code monétaire et financier, le mot : « quatrième » est remplacé par le mot : « cinquième ».
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Garrec, au nom de la commission.
Rédiger comme suit cet article :
Le troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les dispositions du troisième alinéa de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse lui sont applicables. ».
M. René Garrec, rapporteur. - Comme je l'ai déjà dit, il est préférable de renvoyer aux dispositions de la loi de 1881 relatives à l'immunité accordée aux personnes entendues.
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par MM. Collombat, Repentin, Frimat et C. Gautier.
Avant le I de cet article, insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... - Dans la première phrase du troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, après les mots : « Toute personne », sont insérés les mots : « à l'exception du seul Président de la République ».
M. Pierre-Yves Collombat. - S'il est normal que le Président de la République ne dépose pas devant une commission d'enquête, rien ne justifie que ses collaborateurs, officiels ou officieux, ne répondent pas à une convocation. On me dit que le texte est clair mais, dans la pratique, les choses ne l'ont pas été.
M. René Garrec, rapporteur. - Selon l'article 67 de la Constitution, le Président de la République « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu ».
S'il est arrivé que des collaborateurs de ministres ne soient pas venus, à chaque fois ce fut au président de la commission de décider. Et dans le cas particulier d'un envoyé spécial du Président de la République, c'est aussi la commission qui a décidé de ne pas l'entendre et, ainsi, de ne pas aller au bout de ses pouvoirs. Les commissions ont déjà tous les pouvoirs nécessaires. Donc, retrait ou rejet.
M. Eric Besson, secrétaire d'État. - Avis favorable à l'amendement de coordination n°2, et retrait ou rejet du n°3. La question n'est pas nouvelle, elle s'était déjà posée dans les années 80 lorsque Gilles Ménage, collaborateur de François Mitterrand, avait refusé de témoigner sur l'affaire Habbache et n'avait pas été poursuivi. Devant la commission d'enquête sur la libération des infirmières bulgares, MM Guéant et Levitte sont venus témoigner. Une lecture rigoureuse du principe de la séparation des pouvoirs nous paraît s'opposer à ce qu'une commission d'enquête impose obligatoirement -j'insiste sur l'adverbe- à un collaborateur de l'Élysée de déférer à une convocation. Alors que le Président de la République n'est pas responsable politiquement devant les assemblées, il ne paraît pas possible que ses collaborateurs puissent l'être d'une manière directe ou indirecte. Or l'obligation de témoigner devant une commission parlementaire pourrait conduire à un tel résultat. La décision du Président de la République de le leur permettre est respectueuse de nos institutions et en même temps très ouverte, conformément aux principes de démocratie irréprochable.
M. Pierre-Yves Collombat. - Il s'agit d'un problème général et non de telle ou telle affaire. En disant que seul le président ne vient pas devant une commission, nous signifions que tous les autres sont tenus d'y aller. La décision, dépendrait, paraît-il, du président de la commission. Or, déjà le Parlement ne dispose pas de beaucoup de pouvoirs ; qu'il commence donc par les exercer ! Quant à la séparation des pouvoirs, telle que vous l'envisagez, c'est en réalité le fait du prince. Et en République, en principe, il n'y a pas de prince. Mais, de plus en plus, on constate qu'il y a un prince dans cette République...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Autant l'explication de M. Garrec, selon laquelle la commission s'était elle-même censurée, pouvait paraître logique, autant l'argumentation du ministre ne l'est pas. A l'entendre et en l'extrapolant, le Parlement ne peut auditionner aucun membre de l'exécutif ! Nous voterons l'amendement n°3 rectifié bis, même si, hélas, cela ne changera rien à la réalité qui est la nôtre aujourd'hui.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Je voterai cet amendement. Il fut un temps où les ministres et leurs collaborateurs étaient tous poursuivis devant la Haute cour de justice. Puis est venue une modification constitutionnelle, erronée, qui a dissocié les cas des uns et des autres, si bien que, dans l'affaire du sang contaminé, les ministres sont passés en Haute cour et les collaborateurs devant le tribunal correctionnel. Il est normal que tous, à l'exception du Président de la République, soient entendus par une commission d'enquête.
M. Jean-Pierre Sueur. - Les propos du ministre m'étonnent. Le Président de la République est très désireux de venir s'exprimer devant le Parlement. Même si on l'entend assez souvent, même si on connaît sa pensée (Mme Borvo Cohen-Seat s'esclaffe) qu'il nous expose matin, midi et soir, il veut encore venir devant sénateurs et députés pour que nous puissions être encore davantage pénétrés de ses propos. C'est pourquoi je ne comprends pas qu'on refuse qu'une personne liée au président vienne devant une commission parlementaire. On en arrive à une zone grise qui n'a aucune validité juridique. Il y a d'une part le Président de la République et, d'autre part, des citoyens qui accomplissent des missions publiques, comme Cécilia Sarkozy l'a fait en Libye. Ceux-ci doivent pouvoir venir devant une commission parlementaire.
M. Thierry Repentin. - Cette discussion nous éclaire sur le fonctionnement de cette Vème République. Un amendement qui renforce les pouvoirs du Parlement devrait faire consensus, d'autant qu'il renforce en même temps le statut du Président de la République dont on affirme qu'il est le seul à ne pas devoir répondre à l'injonction d'une commission parlementaire. Votre majorité qui cherche, paraît-il, à renforcer les pouvoirs du Parlement en même temps que ceux du Président, est en contradiction avec elle-même. Si quelqu'un peut ne pas déférer à la convocation d'une telle commission au motif qu'il a des liens avec le Président de la République, alors il faut définir ces liens. Sont-ils hiérarchiques, politiques, familiaux, voire affectifs ? Avec l'affaire Habbache, celle des avions renifleurs ou des infirmières bulgares, on a atteint les confins de ce que la République peut accepter. Cet amendement augmente les pouvoirs du Parlement, et il apporte non seulement une sécurité juridique mais aussi un peu de morale dans ce genre d'affaires.
M. François Zocchetto. - On voudrait faire croire qu'il y a des personnes qui pourraient se dispenser de venir devant une commission parlementaire. Mais non ! Hormis le Président de la République, la commission peut décider quelles personnes elle veut entendre et elle a les moyens de les faire venir.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le ministre a dit le contraire !
M. Charles Gautier. - Il a dit : « par courtoisie seulement » !
M. François Zocchetto. - Mme Borvo a souligné que des dispositions existent à ce sujet.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Oui, mais le ministre dit tout autre chose !
M. François Zocchetto. - La commission d'enquête prend la décision de convoquer qui elle veut ; elle peut ensuite contraindre la personne à répondre à sa convocation. Le texte existant est parfait ! Le Parlement mène les commissions d'enquête comme il l'entend. C'est ainsi que fonctionnent les tribunaux, pourquoi cela se passerait-il mal dans les commissions d'enquête parlementaires ?
M. Patrice Gélard. - Je rejoins M. Zocchetto : l'amendement est inutile. (M. le président de la commission renchérit) Le président d'une commission d'enquête a le droit de convoquer qui il souhaite et de requérir la force publique si nécessaire.
M. Thierry Repentin. - Cela va mieux en le disant !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous êtes en contradiction avec le ministre !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Le ministre est-il d'accord avec ce que dit M. Gélard ?
M. Eric Besson, secrétaire d'État. - J'ai très clairement exprimé la position du Gouvernement.
M. Charles Gautier. - Non ! Vous avez dit que les membres de l'Élysée étaient venus « par courtoisie » et avec une autorisation... Pouvez-vous nous confirmer que seul le Président de la République échappe aux auditions ? Si oui, l'amendement est inutile. Mais si ce traitement vaut pour les personnes liées au Président de la République, alors tous les Français, qui sont ses enfants (sourires), pourront demander à ce dernier de les dispenser de leur obligation !
M. René Garrec, rapporteur. - L'amendement ajoute-t-il quelque chose en droit ? Non. Quant aux faits, vous évoquez des précédents, je vous en rappelle un : M. Chevènement, convoqué, avait refusé de se rendre devant une commission d'enquête. Menacé d'une intervention de la force publique, il s'était écrié : « Ah bon ! La chose est possible ? »... Et il était venu !
M. Jean-Louis Carrère. - Mais la dernière fois, vous n'avez pas cru bon de procéder ainsi...
M. René Garrec, rapporteur. - Je comprends votre argument, nous avons un vrai bon débat parlementaire, mais je vous dis, moi, quels sont les pouvoirs du président de commission d'enquête.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Je trouve détestable de mentionner des cas personnels (on se récrie à gauche) et M. Collombat frôle la limite.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le Président de la République n'est pas un « cas personnel » !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Dans le cas précis que vous avez évoqué, la commission a estimé qu'il n'était pas essentiel d'entendre la personne. La question ne s'est donc pas posée.
Si une commission d'enquête -hors le cas du Président de la République- insistait auprès d'une personne convoquée, celle-ci en refusant s'exposerait à des poursuites. Voilà le droit ! Tout le reste n'a pas d'importance. Aucun refus, fondé par exemple sur le secret défense, ne vaut si la commission insiste. En cas de problème, la justice se prononcerait. Votre amendement n'a aucun intérêt. Tout le monde peut être entendu, y compris les plus hauts serviteurs de l'État.
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous n'êtes pas d'accord entre vous !
M. Charles Gautier. - C'est le ministre que vous devez convaincre, monsieur le président de la commission !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Le ministre a son interprétation. La mienne est celle que je vous expose.
M. Josselin de Rohan. - Votons, nous trancherons.
M. Jean-Louis Carrère. - Le ministre, comme le président de la commission, peut donner son interprétation du droit, non pas dire quel est le droit !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est ce que j'ai fait mais vous n'avez rien compris ! (M. Carrère et M. le président de la commission se taxent réciproquement de discourtoisie)
M. Jean-Louis Carrère. - Le rapporteur n'aurait pas dû personnaliser son propos. Il a choisi son exemple.
M. René Garrec, rapporteur. - C'est le seul que je connaisse.
M. Jean-Louis Carrère. - Mais cette personnalisation est tendancieuse ! Soyons donc encore plus précis : une commission à majorité de droite exige que M. Chevènement défère à sa convocation : je le comprends. Elle n'a pas jugé utile de procéder aussi fermement avec Cécilia Sarkozy : comment faut-il le comprendre ?
M. René Garrec, rapporteur. - Ce n'est pas mon problème.
M. Jean-Louis Carrère. - Y avait-il une difficulté particulière à entendre une émissaire du Président de la République ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Non.
M. René Garrec, rapporteur. - Demandez-le plutôt aux députés.
M. Jean-Louis Carrère. - Leçon pour leçon, les présentations tendancieuses sont récurrentes dans notre Assemblée, de la part de la majorité ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, protestations à droite)
M. François-Noël Buffet. - Ce débat se déroule dans un climat déplorable et l'attitude de nos collègues à l'égard du président de notre commission des lois est tout aussi déplorable. Quand on pense au soin qu'il prend à expliquer la situation ! (M. Dreyfus-Schmidt trouve le propos flagorneur)
Le président de la commission n'aurait pas à dire le droit ? Il nous a dit ce que le droit permet et les propos de nos collègues socialistes me choquent.
M. René Garrec, rapporteur. - M. Chevènement, cela me semble intéressant de le noter, avait dit : « Je ne savais pas que le président de la commission avait ce pouvoir (requérir la force publique) et par conséquent je viendrai. »
M. Pierre-Yves Collombat. - Personne n'est discourtois, nous sommes tous passionnés. L'explication du président de la commission me convainc, elle signifie clairement qu'il n'existe pas d'extension du Président de la République ; et que celui-ci ne peut décider qui viendra ou ne viendra pas. Les choses ayant été ici nettement précisées en séance publique, on ne pourra plus nous asséner que « vient qui veut », selon le bon vouloir du prince. Je suis satisfait de ces précisions.
L'amendement n°3 rectifié bis est retiré.
L'amendement n°2 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4, présenté par M. Garrec, au nom de la commission.
Rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi :
Proposition de loi relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires
L'amendement rédactionnel n°4, accepté par le Gouvernement est adopté.
Intervention sur l'ensemble
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous voterons ce texte. Il fallait légiférer : il serait paradoxal que des personnes requises par ces commissions subissent un harcèlement judiciaire. L'exemple de la commission d'enquête sur les sectes était impressionnant : le travail accompli là par notre ami Jean-Pierre Brard, et son insistance, a été remarquable. Je sais combien ces choses peuvent être graves. Il est vrai qu'avec le huis clos les problèmes se posent de façon différente.
La proposition de loi est adoptée.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Et à l'unanimité. Bravo, monsieur Garrec !