Titre XV de la Constitution (Suite)
Discussion générale
M. François Fillon, Premier ministre. - (Applaudissements à droite ) Voici soixante ans qu'en France, avec détermination et constance, l'intérêt national épouse l'ambition européenne. Soixante ans que la passion française trouve dans l'aventure européenne son horizon, son aboutissement, l'élargissement de ses perspectives aux dimensions plus vastes de notre continent. Soixante ans que le rêve européen reçoit de l'initiative française ses élans et ses caps.
Soixante ans après la fin de la seconde guerre mondiale, l'Europe est plus qu'une ambition, qu'une aventure, qu'un rêve : elle est cette réalisation commune à laquelle vingt-sept pays libres se sont joints, pour s'accorder mutuellement les garanties de la paix et partager les réussites de l'intégration économique et monétaire. Gouvernements de gauche et de droite, de l'Ouest et de l'Est, tous ont bâti notre maison commune. Sans équivalent au monde, l'entreprise européenne est inédite, radicalement nouvelle. Nulle part ailleurs un tel défi n'a été lancé : unir un continent ravagé par des siècles de guerres et d'hostilités, créer un ensemble continental cohérent quand les anciens empires européens avaient laissé le souvenir de tant de luttes, construire les moyens d'agir collectivement, tout en préservant des spécificités nationales si chèrement conquises.
La construction européenne est en train de réussir ce pari que beaucoup jugeaient insensé. L'Union européenne a beaucoup de compétences et de pouvoirs, mais sa force ne vient ni de la contrainte armée, ni de la domination d'une coalition d'États sur les autres. Sa force, c'est la libre volonté d'union qui joint ses membres, les élargissements successifs en sont la preuve éclatante. Sa force, c'est son mode de décision démocratique, que ce soit au Conseil ou au Parlement européen -et ce caractère démocratique est notablement renforcé par le traité de Lisbonne. Sa force, c'est la synthèse entre les institutions démocratiques de l'Union et l'identité préservée des États membres -et le traité de Lisbonne réaffirme clairement cette synthèse. La seule vraie force de contrainte qui régisse l'Union, c'est le respect du droit, pierre angulaire de la construction européenne. Le règne du droit démocratiquement élaboré a remplacé en Europe le règne de la violence comme moyen de contrainte ultime. C'est un progrès fondamental, qui fait de l'Europe une vraie terre de civilisation, et un exemple pour d'autres régions du monde. C'est pour saluer le rôle du droit européen que j'ai profité de ma rencontre avec Jean-Claude Juncker, vendredi dernier à Luxembourg, pour accomplir la première visite d'un Premier ministre français auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.
Constatons-le une fois de plus, avec une reconnaissance particulière pour ceux dont le courage a précédé et préparé nos efforts : devant cet exceptionnel objet de fierté qu'est l'Europe, les hésitations, les lenteurs, les réticences ont toujours cédé le pas. Elles doivent continuer de le faire aujourd'hui. Faut-il le rappeler ? J'ai été moi-même contre le traité de Maastricht -traité imparfait, dans lequel les avancées économiques de la construction ne recevaient pas, selon moi, une contrepartie politique suffisante. Je n'ai pas été le seul à redouter l'avènement d'une Europe boiteuse, incapable de gouverner comme il l'aurait fallu l'intégration économique poussée qu'elle se promettait d'atteindre. J'ai constaté depuis, comme beaucoup, que mes craintes n'étaient pas infondées. Aujourd'hui, le traité de Lisbonne leur répond et les apaise. A l'heure où l'accueil des anciens pays de l'Est exige d'adapter nos procédures, il clarifie le fonctionnement politique de l'Europe, et il en renforce opportunément les structures.
Cette satisfaction institutionnelle n'est pas la seule raison de mon intervention : d'autres motifs relèvent de mon sentiment intime, et je sais qu'ils parlent au coeur des Français. Dans le projet européen converge l'essentiel de nos héritages culturels et humains. L'expérience démocratique, universitaire, scientifique et industrielle : autant de domaines dans lesquels l'histoire a donné à nos pays le privilège d'une fertilité séculaire ! Nous sommes -vous, moi, Français, Européens- les détenteurs d'un grand patrimoine intellectuel, artistique, philosophique et institutionnel commun. De Londres à Athènes, de Madrid à Varsovie, nous sommes les héritiers de cet espace à la fois charnel et imaginaire où nos manières de vivre et de penser s'enracinent. Je vous livre cette conviction personnelle qui m'a toujours guidé : plus le XXIe siècle sera secoué de tensions nouvelles et travaillé par le déplacement des lignes de partage, plus grande apparaîtra la valeur de l'espace d'équilibre européen !
Au service de cet idéal de progrès et de rayonnement, le Président de la République a réclamé la constitution d'un groupe de réflexion, capable de projeter sur l'avenir notre projet européen. Le Conseil de décembre 2007 a décidé la création du groupe « Horizon 2020-2030 » présidé par Felipe Gonzales, groupe qui veut poser sans détour les questions que l'Europe adresse à notre génération, et dont la réflexion institutionnelle ne doit pas faire oublier la primauté. Quel modèle de société voulons-nous pour l'Union ? Quelle identité ? Quelles frontières ? Quelle civilisation désirons-nous construire ensemble ? Ces grandes interrogations coïncident avec l'étape institutionnelle que nous devons franchir aujourd'hui.
Avec le traité de Lisbonne, la France reprend la main en Europe ; et c'est l'Europe elle-même qui se trouve relancée. Il y a quelques mois seulement, sous le coup de notre hésitation, l'Europe marquait un temps d'arrêt. Le double « non » français et néerlandais l'entravait. L'inquiétude et le doute tournaient tous les regards contre nous. Pourquoi ? Parce que nous les éprouvions nous-mêmes. Nicolas Sarkozy a pesé de toute sa volonté pour que soit dépassée cette querelle franco-française sans issue. Il a compris que les partisans du « non » et ceux du « oui », s'ils ne s'accordaient pas sur une même idée de l'Europe, partageaient le même désir de la voir avancer. Il s'est alors efforcé de transcender les clivages qui, en divisant la France, immobilisaient l'Europe. Il s'est engagé, pendant la campagne présidentielle, à ce qu'aboutissent, rapidement, nos points de consensus. Sa promesse, réaliste, transparente, a été invariable : négocier un nouveau traité, plus simple, qui concrétise les avancées institutionnelles urgentes, tout en prenant acte des craintes exprimées par le « non » majoritaire ; une fois ce traité négocié, le faire valider le plus rapidement possible par le Parlement. Tout au long de sa campagne, Nicolas Sarkozy a énoncé à haute voix sa stratégie pour l'Europe. Personne ne peut lui reprocher d'être resté fidèle à ce qu'il avait dit, fidèle à ce qu'il a fait. (Applaudissements à droite).
C'est fort de la confiance que lui ont accordée les Français que le Président de la République...
M. Robert Bret. - Les sondages sont en baisse !
M. François Fillon, Premier ministre. - ...en coordination avec Angela Merkel, présidente de l'Union, a négocié le traité nouveau. Et forts de cette même volonté, nous allons faire aujourd'hui un pas essentiel vers sa ratification.
M. Robert del Picchia. - Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. - Le Président de la République a pris la mesure des craintes françaises et a fait tomber la plupart des obstacles à ce vote. La nature même du texte, d'abord : la notion de constitution paraissait redoutable, elle a disparu. Le traité de Lisbonne complète les traités existants, il respecte le traité sur l'Union européenne et le traité sur la Communauté européenne, rebaptisé « traité sur le fonctionnement de l'Union ». Les symboles constitutionnels ont disparu.
La concurrence libre et non faussée, ensuite : le texte de 2005 en faisait un objectif pour l'Europe, elle est à présent replacée au rang plus juste de « moyen » du dynamisme économique. (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) Autre obstacle effacé, l'incertitude sur le rôle des parlements nationaux. Pour la première fois, grâce au contrôle de subsidiarité, un traité européen vous ouvre, à vous parlementaires, la possibilité de peser sur les propositions de la Commission. (« Très bien » à droite) Conformément au désir des Français, le même traité renforce le rôle et les compétences des États et des collectivités territoriales, précisant leurs prérogatives et indiquant explicitement que la sécurité nationale reste « de la seule responsabilité de chaque État membre ». Le rôle déterminant des autorités nationales, régionales et locales dans l'organisation des services publics se voit désormais garanti. Enfin, et c'est le principal motif d'optimisme, le traité de Lisbonne assure à l'Europe des moyens d'action renouvelés.
Les Français ne se défient pas d'une Europe qui bouge, qui décide, qui intervient. Ce qu'ils redoutent, c'est une Europe inerte, pesante, engoncée dans des procédures qui la ralentissent et la condamnent à l'impuissance. Le traité de Lisbonne éloigne cette menace. Un président du Conseil européen, élu pour deux ans et demi renouvelables, va conférer à l'institution politique suprême un visage et une stabilité. Avec la nomination d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, jouissant de moyens renforcés, l'Union pourra développer une véritable politique extérieure commune. Le nouveau traité ouvre la possibilité de « coopérations structurées » réunissant un groupe d'États, avec des pouvoirs larges. La défense européenne aura enfin ce cadre d'action dont des crises régionales rappellent régulièrement la nécessité. Le traité instaure un processus de décision plus démocratique et plus efficace. Le champ de la majorité qualifiée est étendu, mesure de bon sens dans une Europe plus vaste. Au Conseil, les pays peuplés comme la France seront favorisés par la « double majorité » retenue comme mode de vote. Le Parlement européen verra ses pouvoirs renforcés. Ce sont là les gages d'un progrès de la vie démocratique en Europe.
Le traité de Lisbonne tend aussi à renforcer nos politiques économiques ; il institutionnalise l'Eurogroupe et lui confère un pouvoir de décision. Pour relever les défis énergétique et environnemental, il instaure le principe, essentiel, de la solidarité entre États membres. Le Conseil aura la faculté d'adopter les mesures appropriées en cas de difficulté d'approvisionnement.
Chaque pays possède, en matière sociale, ses approches, ses traditions. Les partenaires sociaux sont donc confirmés dans leurs missions. Le traité instaure une clause sociale générale, de portée très large. L'Union devra prendre les exigences sociales en compte dans l'ensemble de ses politiques. Nos services publics reçoivent par ce biais une garantie sans précédent !
Nous sommes tous déterminés à faire de l'Europe un vaste espace de liberté, de sécurité et de justice. Pour mieux lutter contre la criminalité transfrontalière, le traité attribue à Eurojust des moyens plus conséquents. II prévoit la possibilité de créer un parquet européen. II dote enfin l'Union d'une charte des droits fondamentaux jouissant d'une valeur juridique égale à celle de traités.
Acceptons-en les promesses : le traité de Lisbonne apparaît comme une chance unique de réconcilier la prudence légitime des Français avec leur ambition européenne. Après le référendum, on nous a expliqué qu'il existait une France du oui et une France du non ; qu'une partie du pays résistait à la construction européenne ; que deux camps se dressaient l'un contre l'autre. La vérité, c'est qu'il n'existe qu'une seule France : elle entend jouer son rôle dans la construction européenne et, si elle a fait preuve de beaucoup de circonspection devant les manières d'y parvenir, elle tient ici une réelle occasion d'accomplir sa volonté selon ses voeux. La dernière décennie aura été une décennie d'épreuves : traité d'Amsterdam, remis en question aussitôt après sa signature ; débat entre fédéralistes et partisans d'une Europe intergouvernementale ; traité de Nice si délicat à négocier ; projet constitutionnel impossible à conclure. Nous avons eu plus que notre part de lassitude et de conflits !
Aujourd'hui, avec le traité de Lisbonne, plus réaliste, centré sur des équilibres plus respectueux du dessein français, une part du rêve original revit, une part de la ferveur initiale renaît. Le rôle et les compétences des États membres sont réaffirmés, les moyens d'action de l'Union confortés, l'expression de nos priorités politiques possible. La présidence française du second semestre 2008 sera l'opportunité de recentrer sur ces priorités un débat trop longtemps confisqué par les questions institutionnelles. Nous aurons la possibilité d'agir. Que demandent les citoyens européens aujourd'hui ? Une lutte efficace contre le réchauffement de la planète, la sécurité des approvisionnements énergétiques, une vraie politique commune de l'immigration -dont le chef du gouvernement espagnol a récemment appuyé l'idée- ainsi qu'une politique de défense digne de ce nom. Ils demandent aussi des mesures de stabilisation et de transparence pour les marchés financiers ; et le lancement d'une revue générale des politiques européennes analogue à celle que nous menons en France.
Entre ces priorités politiques européennes et nous, il n'y a plus que l'adhésion au traité de Lisbonne. Pour nous consacrer à la préparation de l'avenir, il n'y a plus qu'un texte à ratifier. La France, future présidente de l'Union, sera largement responsable de la mise en oeuvre technique et politique du traité qui entrera en vigueur au 1er janvier 2009. Pour jouer dans l'Europe le rôle de moteur et de référence auquel il prétend, notre pays se doit de ratifier le traité le plus rapidement possible. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre) C'est pourquoi le Président de la République a saisi le Conseil constitutionnel au lendemain de la signature à Lisbonne, avant même d'amorcer les procédures de ratification. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 20 décembre. Sa décision a conduit à la rédaction du présent projet de loi, première étape indispensable à la ratification. Ce texte porte de larges espérances, celles de la France, qui croit à son avenir européen, à celui de l'Europe, qui guette l'impulsion française avec une attention extrême. Je veux croire que le Sénat répondra à cette double espérance. (Applaudissements sur les bancs UMP et sur la plupart des bancs UC-UDF)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - (Applaudissements à droite) Cette révision constitutionnelle est un préalable à la ratification de l'ambitieux et nécessaire traité de Lisbonne et constitue la première étape de ce processus. Dans sa décision du 20 décembre 2007, le Conseil constitutionnel a en effet relevé dans le traité des dispositions qui appellent une révision de notre Constitution, comme l'a rappelé le doyen Gélard dans son rapport.
Il s'agit tout d'abord des compétences et du fonctionnement de l'Union. Les nouveaux transferts de compétences au profit des institutions de l'Union affectent les conditions d'exercice de la souveraineté nationale. Le Conseil constitutionnel avait fait les mêmes constatations en 1992 pour le traité de Maastricht et en 1997 pour le traité d'Amsterdam. Ces transferts concernent par exemple la coopération judiciaire en matière pénale ou la création d'un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.
De nouvelles prérogatives sont reconnues aux parlements nationaux. Ceux-ci auront désormais la faculté de s'opposer à une décision du Conseil européen mettant en oeuvre une procédure de révision simplifiée des traités. Chaque assemblée parlementaire participera au contrôle du respect du principe de subsidiarité et une majorité de parlements nationaux pourra s'opposer à une proposition de la Commission qui empièterait sur les compétences des États membres. Les parlements nationaux pourront aussi refuser le recours à la « clause passerelle » qui, adoptée à l'unanimité du Conseil, provoquera le passage d'une procédure législative spéciale à la procédure ordinaire.
L'Assemblée nationale a approuvé le présent projet en première lecture le 16 janvier sans apporter de modifications. L'article premier lève les obstacles constitutionnels à la ratification du traité de Lisbonne. L'article 2 modifie le titre XV de la Constitution -qui s'intitulera désormais « De l'Union européenne »- pour tirer les conséquences du traité.
Son entrée en vigueur entrainera également des changements de fond. L'article 88-1 inscrit de manière pérenne le principe du consentement du constituant aux transferts de compétence. Deux articles nouveaux permettront au Parlement français d'exercer des pouvoirs nouveaux, qu'il s'agisse de veiller au respect du principe de subsidiarité avec l'article 88-6 ou de s'opposer au passage de l'unanimité à la majorité avec l'article 88-7.
L'article 3 supprime la référence au traité constitutionnel, devenue sans objet.
Le Gouvernement s'est strictement limité à l'objectif d'une ratification rapide du traité de Lisbonne. Certes, la construction européenne soulève de nombreuses questions, que M. Gélard évoque dans son rapport, mais elles seront réglées lors de l'examen des propositions du comité présidé par M. Balladur.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Très bien !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Pour l'heure, nous en sommes à la modernisation des institutions européennes. Ne tardons pas ! (Applaudissements à droite et sur de nombreux bancs au centre)
M. Jean-Pierre Raffarin. - Excellent !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Le 20 décembre, le Conseil constitutionnel a jugé qu'une révision constitutionnelle était nécessaire préalablement à la ratification du traité de Lisbonne, qu'elle distingue du projet de traité constitutionnel, justifiant ainsi une nouvelle analyse de ses dispositions. Les travaux de votre commission des lois ont également parfaitement exposé les enjeux du débat.
Le traité de Lisbonne est le fruit de la volonté politique de répondre à une situation inédite : deux États membres avaient refusé par référendum le traité constitutionnel, que dix-huit autres, représentant 56 % de la population, avaient refusé. Six mois après, en janvier 2006, vingt États réunis à Madrid ont demandé une poursuite du processus de ratification : pour la première fois, l'Europe se réunissait sans la France et cela pour débattre de son avenir ! Certains ont alors cru à une impasse du projet européen, partagé entre élargissement et approfondissement. Cependant, une Union forte de vingt-sept États ne pouvait en rester aux traités existants. Elle ne saurait, avec celui de Nice, affronter les défis actuels ni prendre une place à la hauteur de sa puissance économique, non plus qu'incarner ce qu'elle a toujours été, une véritable civilisation, ainsi que l'un de mes prédécesseurs le pensait en 1976. (« Très bien » ! à droite)
L'addition des volontés ne fonctionne plus quand la règle de l'unanimité entrave la prise de décision. Le fonctionnement de l'Union n'est pas assez démocratique, qui n'associe pas assez les citoyens, réduit le Parlement européen à la portion congrue, ne laisse aucun rôle aux parlements nationaux et ne tient pas assez compte de la démographie.
La première mission de l'Union est de promouvoir la paix mais, pour prévenir les conflits, ses membres doivent s'engager ensemble à développer une capacité de défense. Sa deuxième mission est de relever les défis que sont l'immigration, le changement climatique, la nouvelle donne énergétique, la solidarité face aux catastrophes et le terrorisme. Ce que les Européens ne feront pas pour eux, personne ne le fera à leur place. Pour agir, il est urgent de s'en donner les moyens juridiques. C'est l'objet du traité de Lisbonne, qui apporte une véritable clarification institutionnelle.
Le traité répond aussi aux préoccupations de nos concitoyens et promeut des valeurs nouvelles, plus solidaires, que l'Europe protègera de la mondialisation. La concurrence libre et non faussée n'est plus un objectif de l'Union et la France pourra garantir l'accès aux services publics sur l'ensemble de son territoire. La représentation nationale veillera au respect du principe de solidarité et contribuera à la définition des politiques.
L'Europe sera plus démocratique grâce à ce traité, le premier signé à vingt-sept, le premier à dépasser les anciens clivages entre les anciens et les nouveaux membres, entre les partisans du oui et ceux du non, grâce au travail du Président de la République et aux présidences allemande et portugaise. Comme il ne s'agit pas d'un nouveau traité constitutionnel, vingt-six États membres le ratifieront par la voie parlementaire, ce que n'autorise pas la Constitution de l'Irlande. L'engagement de la France dans une procédure parlementaire en a accru la crédibilité. Le traité crée une dynamique nouvelle. La Hongrie l'a ratifié et une vingtaine d'États s'apprêtent à le faire au premier semestre 2008. Les anciens pays de l'Est sont parmi les premiers à le ratifier et le Danemark veut entrer de plain-pied et abandonner ses protocoles.
Le 1er juillet, nous aborderons la présidence européenne avec une dynamique nouvelle car le traité nous permet de clore un débat institutionnel pendant depuis les années 1990 et de nous consacrer à l'essentiel ; de nouvelles politiques en matière de défense, d'énergie, de développement durable ou de gestion des flux migratoires dont il ne définit toutefois pas le contenu : cela reviendra au Parlement, aux citoyens.
Notre présidence de l'Union en sera l'occasion. Elle ne pourra pas tout faire mais ouvrira une page nouvelle. Après cinquante ans, l'Europe doit trouver sa place dans le monde. Grâce à cette révision et au traité, en voilà l'opportunité. (Applaudissements à droite et sur les bancs UC-UDF)
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. - Ce texte ne doit pas nous étonner. Il présente beaucoup de points communs avec celui de 2005...
M. Robert Bret. - Bonnet blanc...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Alors, points communs ou pas ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Il se conforme strictement à l'avis du Conseil constitutionnel -même si je regrette que celui-ci ne motive pas plus précisément les incompatibilités avec la Constitution.
Rien de plus, rien de moins que ce que le Conseil a préconisé figure dans ce texte que l'Assemblée nationale a adopté sans amendement. Un regret cependant : j'ai découvert trois amendements car, outre le Gouvernement et les parlementaires, une troisième autorité possède, semble-t-il, le droit d'amendement, le service de la séance de l'Assemblée nationale...
Il s'est permis d'ajouter trois amendements : pour des raisons difficilement explicables, il a transformé par trois fois « à l'article » par « dans l'article ».
M. René Garrec. - C'est moins élégant !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - C'est effectivement moins élégant et je souhaite que le Sénat rétablisse la formulation initiale.
Une précision s'impose : il ne s'agit pas ce soir de ratifier le traité -ce sera fait ultérieurement- mais de modifier la Constitution. Je tenais à faire cette mise au point après les discussions de tout à l'heure où certains semblaient ne pas avoir très bien compris (Exclamations à gauche)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est vrai, nous sommes trop bêtes !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Le texte que nous examinons n'a qu'un but : permettre la ratification, et rien d'autre.
Je voudrais quand même faire part de plusieurs regrets. Le premier est d'ordre général : chaque fois que nous ratifions un traité, ou presque, nous sommes obligés de modifier notre Constitution. Certains pays, comme le Portugal, ont fait en sorte d'éviter cette procédure lourde grâce à une clause « européenne ». Dans mon rapport, j'ai repris la proposition de Joël Rideau pour que la Constitution ne soit pas modifiée à chaque ratification de traité.
Autre regret : le maintien de l'obligation d'un référendum à chaque nouvelle entrée d'un pays dans l'Union européenne.
M. Charles Gautier. - C'est une idée de Chirac !
Or, nous ne savons pas utiliser le référendum en France. Nous nous en servons non pas pour adopter un texte ou une décision mais pour sanctionner, ou non, un exécutif ou un gouvernement. Il sert de plébiscite !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La droite adore les plébiscites !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Un référendum ne devrait concerner qu'un texte, pas autre chose !
M. Jean-Luc Mélenchon. - Dites-le aux Français !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Vous croyez qu'ils ne comprennent pas ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Je ne voudrais pas que l'entrée éventuelle de la Norvège soit refusée par notre pays si un ministre avait le malheur, au moment du vote, de déplaire à l'opinion publique. Nous pourrions aussi nous inspirer de ce qui se fait dans la moitié des pays européens : lorsqu'un référendum ne rassemble pas 50 % des inscrits, il est considéré comme inopérant. Il faudra revenir sur la question du référendum lors de la révision constitutionnelle du printemps.
M. Charles Gautier. - C'est vous qui avez voulu ce mécanisme !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Et alors ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ce n'est pas croyable !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Nous devrons remettre à plat cette procédure.
Je regrette également que, pour la participation des ressortissants européens lors des élections locales, le principe de réciprocité ait été maintenu puisque maintenant tous les pays reconnaissent ce droit de vote. Nous devrons corriger cette anomalie lors de la prochaine révision.
Je vois aussi un problème de terminologie juridique : comme il est d'usage, le texte du traité utilise un vocabulaire emprunté au français, à l'anglais et à l'allemand. Ce langage n'a pas de précision juridique. Dans le traité de Lisbonne les actes législatifs européens ne sont pas définis par le fond, mais par la forme. C'est pourquoi certains des actes législatifs seront, dans notre droit, de nature règlementaire. Ce problème suscite un certain nombre d'incompréhensions de la part de nos concitoyens : il faut leur dire qu'un acte « législatif » européen et un acte législatif français ne sont pas toujours de même nature.
Ce projet de loi comporte quatre articles, dont un seul est vraiment important. Le premier permet la ratification du traité de façon globale. Le Parlement sera libre de le ratifier, ou non. L'article 2 supprime la référence aux « Communautés européennes » pour lui substituer l'« Union européenne ». Il est en outre très important car il transforme notre Constitution en récrivant l'article 88-1 qui concerne les dispositions générales applicables à tous. L'article 88-2 ne me parait pas totalement utile, même s'il concerne le mandat d'arrêt européen, car l'article 88-1 aurait pu suffire. Pourtant, l'article 88-2 permettra de tenir compte de modifications ultérieures pour l'application de ce mandat d'arrêt. Je n'y suis donc pas opposé. L'article 88-4 est fondamental car il traite des actes législatifs européens. Les articles 88-6 et 88-7 mettent en place de nouveaux droits pour le Parlement, comme l'a dit Mme la garde des Sceaux. Ainsi, l'article 88-6 permet à chacune des chambres de transmettre des avis motivés sur l'application du principe de subsidiarité et de recourir auprès de la Cour de justice de l'Union européenne. L'article 88-7 permet, quant à lui, au Parlement de voter une motion pour s'opposer à la modification des règles d'adoption de certains actes de l'Union. Chaque Parlement européen se voit donc doté d'un droit de veto.
Je souhaite que ces deux articles soient rapidement traduits dans notre Règlement afin que nous puissions organiser une veille efficace. La Délégation aux affaires européennes, transformée en comité, pourrait utilement en être chargée afin de surveiller ce qui se passe à Strasbourg et à Bruxelles. (M. del Picchia applaudit)
Votre commission des lois propose l'adoption de ce texte, tel qu'il est rédigé. (Applaudissements à droite)