Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Conseil constitutionnel (Contentieux électoral)
Conseil constitutionnel (Saisine)
Approvisionnement électrique de la France (Question orale avec débat)
Hommage à une délégation d'Azerbaïdjan
SÉANCE
du mardi 30 octobre 2007
14e séance de la session ordinaire 2007-2008
présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président
La séance est ouverte à 10 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Conseil constitutionnel (Contentieux électoral)
M. le président. - M. le président du Sénat a été informé du rejet par le Conseil constitutionnel, dans sa séance du 25 octobre 2007, de la requête contestant les opérations électorales auxquelles il a été procédé le 26 août 2007 dans le département de l'Hérault pour l'élection d'un sénateur.
Acte est donné de cette communication.
Conseil constitutionnel (Saisine)
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel deux lettres par lesquelles il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, le 25 octobre 2007, par plus de soixante députés, et le 26 octobre 2007 par plus de soixante sénateurs, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.
Acte est donné de cette communication.
Le texte des ces saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Dépôt d'un rapport
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 52 de la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, le rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.
Ce rapport fera l'objet d'une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, lors de notre séance du 8 novembre.
Retrait d'une question orale
M. le président. - J'informe le Sénat que la question orale n°72 de M. Jean-Pierre Chauveau est retirée du rôle des questions orales et de l'ordre du jour de la séance du mardi 6 novembre 2007, à la demande de son auteur.
Renvoi pour avis
M. le président. - J'informe le Sénat que le projet de loi relatif aux archives, dont la commission des lois est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des affaires culturelles.
Approvisionnement électrique de la France (Question orale avec débat)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Bruno SIDO à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables sur l'approvisionnement électrique de la France.
M. Bruno Sido, auteur de la question. - Il y a un an à peine, se produisait l'une des plus importantes pannes électriques subies par les Européens, touchant quinze millions de foyers. Bien que ses conséquences fussent bénignes, -elle se produisit un samedi soir à 23 heures et ne dura qu'entre cinq minutes et une heure- elle révéla combien nos réseaux électriques nationaux dépendent de leur interconnexion à l'autre bout du continent, mais aussi combien toute notre organisation sociale et économique exige ce bien si particulier et si vital qu'est l'électricité. Aussi une mission d'information est-elle apparue nécessaire, pour analyser les causes réelles de l'incident, évaluer les risques pesant sur notre approvisionnement électrique, et faire des propositions pour améliorer la sécurité de cet approvisionnement.
De janvier à juin dernier, la mission que j'ai eu l'honneur et le plaisir de présider a auditionné une cinquantaine de personnalités représentatives du secteur de l'électricité, nous nous sommes déplacés à Bruxelles et dans six pays européens, ainsi que sur des sites de production en région parisienne et à Dunkerque.
Dans notre rapport d'information, nous ciblons les domaines où il nous faut agir pour garantir la sécurité d'approvisionnement électrique de la France : la production, le transport et la distribution, la maîtrise de la consommation.
Commençons par un constat : le système électrique français fonctionne correctement, il garantit une fourniture d'électricité d'excellente qualité, avec une grande régularité et à un coût satisfaisant. Notre approvisionnement électrique est donc sûr, ce qui ne nous empêche pas de vouloir le conforter, voire l'améliorer.
Quelques observations liminaires. L'électricité n'étant pas stockable, ni remplaçable dans bien des circonstances, la notion de service public paraît bien adaptée à sa fourniture, plutôt que les seuls marchés libéralisés. Notre sécurité d'approvisionnement, ensuite, s'inscrit dans le cadre communautaire sur l'énergie fixé par le Conseil européen en mars dernier. Or, celui-ci a retenu deux autres axes qui peuvent être contradictoires avec la recherche de la sécurité d'approvisionnement : l'amélioration de la compétitivité du marché et la lutte contre le réchauffement climatique.
A la lumière ce ces observations, notre rapport d'information a formulé plusieurs principes directeurs. D'abord, il est nécessaire pour la France de conserver une maîtrise publique dans le domaine électrique, et pour l'Europe de bâtir un système où la régulation publique nous évitera les crises d'approvisionnement. Ensuite, la composition des bouquets énergétiques des différents pays interconnectés ne saurait rester une question d'ordre national et l'interconnexion des réseaux électriques doit faire primer les préoccupations de sécurité et de solidarité sur les intérêts commerciaux. Enfin, la sécurité d'approvisionnement passe par la maîtrise de la demande d'électricité : gestion des « pointes », mécanismes dits « d'effacement » ou encore à efficacité énergétique des processus industriels, des bâtiments et des équipements. Beaucoup de nos comportements doivent changer, non pas forcément pour moins consommer d'électricité, mais pour toujours la consommer mieux.
Voilà quelles sont les bases du rapport adopté le 27 juin par l'ensemble des membres de la mission commune d'information, à l'exception de Mme Voynet.
Trois événements, depuis, ont renforcé l'actualité de nos travaux. Le Grenelle de l'environnement, d'abord, dont j'ai apprécié la richesse des débats, en tant que président du groupe de suivi du Sénat. Des décisions essentielles ont été adoptées la semaine dernière à l'issue des trois journées de tables rondes et le Président de la République a publiquement annoncé, jeudi, ses engagements : je me félicite qu'en matière d'électricité, la réflexion collective ait formulé des propositions très proches des nôtres. Le bon sens l'emporte : la meilleure façon de sécuriser l'approvisionnement électrique, c'est encore de ne pas gaspiller l'électricité !
Les plus importantes des propositions du groupe n°1 du Grenelle -« Lutter contre le changement climatiques et maîtriser la demande d'énergie »-, relèvent du secteur du bâtiment : rendre obligatoires les normes de construction haute performance environnementale (HPE) pour toutes les constructions neuves, procéder à la rénovation thermique progressive du parc ancien de logements et de bureaux pour en améliorer l'isolation. Compte-tenu de la place qu'occupe ce secteur dans le bilan énergétique national -près de la moitié de l'énergie finale consommée en France- il s'agit évidemment d'une piste prioritaire.
Notre mission l'avait elle-même considérée comme telle puisque, dans ce bilan, la part de l'électricité est prépondérante : représentant les deux tiers de la consommation du résidentiel-tertiaire, elle a fortement augmenté en trente ans en raison de cette particularité française qu'est le chauffage électrique, qui équipe encore 70 % des constructions récentes.
Notre mission a proposé pour le bâtiment une demi-douzaine de mesures complémentaires : favoriser, dans les bâtiments nouveaux, l'installation de systèmes de chauffage alternatifs aux convecteurs électriques ; modifier l'assiette et certains taux du crédit d'impôt dédié aux économies d'énergie ; moduler les droits de mutation pesant sur les bâtiments disposant des labels HPE et haute qualité énergétique (HQE) et imposer l'utilisation de ces labels pour toutes les constructions ou rénovations de bâtiments appartenant à l'Etat ; instituer, pour les particuliers, un prêt à taux zéro pour les dépenses réalisées sur des bâtiments existants ayant pour objet de réduire la consommation d'énergie et, pour les collectivités publiques, un fonds de déclenchement des investissements immobiliers efficaces en énergie pour les bâtiments publics.
Mais ces mesures resteront lettre morte sans information sur les nouveaux matériaux et techniques économes d'énergie, ni formation des professionnels sur des matériaux et techniques.
C'est que la méconnaissance et l'absence de savoir-faire sont des freins plus puissants que le coût de l'investissement ou la fiscalité. Il faut donc établir un plan national de formation des professionnels à la performance énergétique du bâtiment et orienter le programme national de recherche et d'expérimentation sur l'énergie dans les bâtiments (Prebat) vers cette question. Les mesures pratiques du Grenelle de l'environnement devront aussi reprendre les propositions de la mission d'information ; le groupe I a du reste formulé certaines propositions identiques aux nôtres et qui ont été expressément approuvées par le Président de la République dans son intervention de jeudi. Je m'en félicite vivement ! Je pense à l'étiquetage énergétique à tous les appareils de grande consommation électrique, aux régimes de veille économes, à l'interdiction de la vente des lampes à incandescence à l'horizon 2010, à la part des énergies renouvelables.
Le seul point d'achoppement entre nos travaux et ceux du Grenelle de l'environnement, c'est évidemment le recours à l'énergie nucléaire. La mission recommande le maintien de l'option nucléaire et le remplacement du parc actuel par les technologies nucléaires les plus avancées ; et ce, pour faire face au défi du changement climatique et assurer la sécurité d'approvisionnement électrique du pays.
La Commission européenne a adopté, le 19 septembre dernier, le troisième « paquet énergie ». Je suis partagé entre la satisfaction d'y trouver des propositions répondant à nos préconisations et l'inquiétude d'y lire des orientations dangereuses car inadaptées à l'électricité. La création d'une agence de coopération des régulateurs nationaux, habilitée à prendre des décisions contraignantes satisfait notre proposition n°17 ; l'indépendance, assortie de garanties, des régulateurs nationaux répond en partie à notre proposition n°16 ; la nouvelle organisation des gestionnaires européens de réseau de transport, chargée notamment d'élaborer normes de sécurité et codes commerciaux et techniques et de coordonner les investissements, correspond à nos propositions n° 13 et 14.
Mais je m'inquiète de certaines orientations, en particulier cette obligation de séparation patrimoniale entre producteurs d'électricité et gestionnaires de réseaux de transport, le fameux « unbundling ». Pour régler un problème qui se pose dans certains pays, la Commission s'enferre dans une seule direction, faisant fi du modèle français parfaitement efficace pour garantir, grâce à un contrôle et une régulation publics rigoureux, l'indépendance du gestionnaire du réseau, l'accès non discriminatoire au réseau et les investissements de capacité. La Commission se rend ici coupable d'un raisonnement strictement idéologique bien regrettable. Je souhaite que le Gouvernement poursuive son entreprise pédagogique pour obtenir une majorité en faveur de l'organisation française. Mais le biais idéologique colore l'ensemble du paquet énergie, surtout dans ce qu'il ne propose pas. Fidèle à sa doxa traditionnelle, la Commission estime que l'approfondissement de la libéralisation du marché de l'énergie va améliorer les choses. Elle fait fausse route ! Ce secteur a besoin d'une forte maîtrise publique. (Applaudissements sur les bancs socialistes où on se déclare heureusement surpris))
Notre système électrique, dont la performance tient à la puissance du parc productif, à l'étendue et la sûreté des réseaux, à la qualité du service et le niveau raisonnable des prix, s'est construit dans ce cadre. Cette efficacité résulte du programme nucléaire, du bilan prévisionnel réalisé par Réseau de transport d'électricité (RTE), de la programmation pluriannuelle des investissements, bref, d'un ensemble de mécanismes qui impose des responsabilités à la puissance publique. Du reste, nos voisins ne seraient pas mécontents d'avoir l'usufruit de notre appareil productif...sans en supporter les contraintes. (M. Raoul renchérit). Ils réclament donc un renforcement des interconnexions transnationales, non pour accroître la solidarité entre les pays mais bien pour bénéficier de l'électricité nucléaire française à bas prix !
M. Daniel Raoul. - Les hypocrites !
M. Bruno Sido. - Or, la France n'a pas vocation à devenir le poumon nucléaire de l'Europe ! Pas plus que les Français n'ont à supporter un prix de l'électricité déterminé par le coût marginal de la production de centrales à fioul étrangères -ce qui n'a rien d'un mécanisme de marché ! Il manque dans le paquet tout un pan de mesures qui garantiraient la sécurité d'approvisionnement électrique de l'Union européenne. Il faut obliger chaque Etat membre à élaborer un document prospectif à dix ans, la Commission en effectuant la synthèse ; instaurons aussi des normes minimales de production afin que chaque Etat soit en mesure de produire globalement l'électricité qu'il consomme ; développons des interconnexions internationales aux seuls endroits où la sûreté des réseaux l'impose, non les flux commerciaux.
Nous avons aussi préconisé une déclaration d'utilité publique européenne pour les grandes structures intégrées d'intérêt supérieur européen et je regrette que cette idée ne figure pas dans le projet de la Commission.
Le rapport du président de la « commission énergie » du Centre d'analyse stratégique aborde aussi de nombreux aspects examinés par notre mission. Il formule des propositions similaires. L'extension aux propriétaires-bailleurs des avantages fiscaux pour les dépenses favorisant les économies d'énergie et l'utilisation d'énergies renouvelables me semble très utile. Il convient en effet de trouver le moyen d'inciter les propriétaires-bailleurs à investir dans la performance énergétique.
Je veux féliciter nos trois rapporteurs pour la qualité de leur travail. Nos quarante propositions doivent toutes être mises en oeuvre car elles sont indispensables à la sécurisation de l'approvisionnement électrique de la France et de l'Union européenne. Monsieur le Secrétaire d'Etat, pourrez-vous nous dire quelles suites législatives et réglementaires le Gouvernement entend donner à ces quarante préconisations ? Et quelles initiatives comptez-vous prendre quand la France exercera la présidence de l'Union européenne, pour combler les insuffisances du troisième paquet énergie de la Commission européenne ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer si telle ou telle de nos propositions ne recueille pas l'agrément du Gouvernement -et pourquoi ?
Ce dialogue entre le Gouvernement et le Sénat se poursuivra lorsque le Parlement examinera les textes résultant du Grenelle de l'environnement puis une proposition de résolution sur le paquet énergie, mais je vous suis reconnaissant d'accepter de l'ouvrir dès à présent. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Marc Pastor. - Je salue l'heureuse initiative de notre collègue et note que nous sommes tous en phase et soutenons tous le rôle de l'acteur public dans le secteur de l'électricité. Au sein de la mission, j'ai été chargé plus spécialement de la production électrique. J'ai constaté, à l'occasion de mes investigations, un certain désordre au plan européen sur la question de l'énergie. (M. Desessard applaudit). En Allemagne, le même gouvernement comprend des ministres pro-nucléaire et des ministres pro-éolien ; le gouvernement italien refuse le nucléaire mais ne serait pas hostile à ce que soient édifiées deux ou trois centrales nucléaires juste de l'autre côté de la frontière. L'Espagne fait une pause dans le développement de l'éolien, les Anglais s'aperçoivent aujourd'hui, leurs réserves de gaz de la mer du Nord diminuant, que cette source ne suffit pas. Quant aux Polonais, ils sont preneurs de tout ce que l'on pourra leur proposer, 90 % de leurs centrales, au charbon, étant très polluantes. S'agissant du transport de l'électricité, un code de la route commun serait hautement nécessaire !
La France produit son électricité sur son territoire ; c'est déjà un point très positif ! Les moyens de production doivent être adéquats pour satisfaire la consommation, c'est une règle de base consacrée dans la loi de février 2000. RTE a depuis deux ans l'obligation d'effectuer un bilan pluriannuel et d'anticiper les risques. Le Gouvernement établit la programmation pluriannuelle des investissements (PPI).
La PPI, gage de diversité des sources de production, constitue l'une des traductions concrètes de la politique énergétique nationale. Ces deux outils, qui relèvent de la maîtrise publique du secteur, permettent donc d'anticiper et de prévenir les risques de défaillance de l'offre d'électricité. Le bilan de RTE met régulièrement en évidence les fragilités des régions Bretagne et PACA, sous-équipées, la première, en moyens de production et, la seconde, en moyens de transport.
La mission a d'ailleurs préconisé l'institution d'une obligation d'équilibrage régional entre production et consommation qui pourrait être définie sur la base de grandes régions électriques. Cette règle de bon sens est malheureusement loin d'être partagée en Europe : nombre de nos partenaires n'ont pas une conception aussi active de la politique énergétique et font preuve d'une foi intangible dans les vertus du marché dans lequel ils voient un outil efficace de régulation et d'incitation aux investissements. La Commission européenne partage au demeurant cette vision, à laquelle notre mission s'est opposée à l'unanimité. Ce modèle conduit nombre d'États à fonder le développement de leurs moyens de production en très grande partie sur des centrales à gaz. Il est vrai que celles-ci peuvent mises en service en moins de deux ans et émettent moins de C02 que leurs concurrentes directes, les centrales à charbon. Pour autant, cette évolution est assez inquiétante au regard de la sécurité d'approvisionnement et de l'indépendance politique de l'Union européenne. Celle-ci importe déjà près de 57 % de son gaz et ce pourcentage devrait passer à 84 % en 2030. La diversification permise par le gaz naturel liquéfié ne suffira pas pour réduire le poids dominant de la Russie dans nos importations.
D'autre part, la plupart de ces mêmes pays refusent tout développement de capacités nucléaires sur leur territoire mais verraient d'un bon oeil leur installation chez leurs voisins, en l'occurrence la France pour l'Europe occidentale, ce qui leur permettrait d'importer de l'électricité bon marché. La mission a la conviction que la France n'a pas vocation à devenir le poumon nucléaire de l'Europe et à être le seul pays à devoir gérer tous les à-côtés sociaux et environnementaux de cette option énergétique. Pour ces raisons, il est indispensable de réorienter en profondeur la politique communautaire de l'énergie.
M. Sido a rappelé les principales propositions de la mission : obligation pour chaque État de réaliser des bilans prévisionnels d'équilibre entre l'offre et la demande, ainsi qu'un document prospectif indiquant comment est garanti cet équilibre, construit sur le modèle de la PPI française ; imposition de normes minimales de production afin qu'aucun État ne puisse fonder la satisfaction durable de ses besoins en électricité sur les importations. Dans l'idéal, cette vision prendrait corps au sein d'un pôle européen de l'énergie. Cette organisation, fondée sur une réelle solidarité entre pays, tiendrait compte des conceptions de chacun vis-à-vis du bouquet énergétique.
Malheureusement, les dernières propositions de la Commission européenne ne s'inscrivent absolument pas dans cette logique. Le troisième paquet énergie tend à renforcer la concurrence dans les secteurs de l'électricité et du gaz, et propose la séparation patrimoniale entre les entreprises de production et celles chargées du transport. Cette proposition très dangereuse va casser nos groupes énergétiques alors qu'à l'étranger se constituent des mastodontes qui, comme Gazprom, n'auront pas à subir de telles contraintes.
Quel bilan tirer des premières années d'ouverture à la concurrence des marchés énergétiques ? Les entreprises qui s'y sont engagées ont demandé une marche arrière... La Commission plaide en faveur d'un recours accru aux marchés libres et considère que les prix de l'électricité ont vocation à converger en Europe au fur et à mesure de l'unification des marchés intérieurs. Mais plusieurs raisons empêchent d'appliquer à l'électricité les règles habituelles du marché. D'une part, ce bien est tout à fait hors norme en raison de ses caractéristiques physiques : non stockable, il nécessite un équilibrage permanent entre l'offre et la demande. D'autre part, les différentes techniques de production n'ont pas le même coût et rien ne justifie que l'électron nucléaire soit facturé le même prix que l'électron issu d'une centrale à charbon ou à gaz. C'est pourquoi nous ne pouvons nous satisfaire du nouveau train de mesures de libéralisation présenté par la Commission.
Les décisions -mais aussi l'absence de décision- prises par les États ont des effets directs sur l'organisation du secteur électrique des pays voisins. L'Europe de l'électricité présenterait un tout autre visage sans les 63 TWh d'électricité d'origine nucléaire exportés chaque année par la France. Les obligations de réduire les émissions de C02 vont devenir de plus en plus pressantes, chaque État devra en tirer les conséquences dans la composition de son bouquet énergétique. Il est irréaliste de penser que la Pologne, qui produit plus de 90 % de son électricité à partir de charbon, sera en mesure d'atteindre l'objectif de réduction de 20 % de CO2 d'ici 2020.
Le groupe socialiste souhaite donc que le Gouvernement agisse fermement dans le cadre des négociations sur le troisième paquet énergie pour défendre l'idée d'une politique intégrée de l'énergie, refuser la séparation patrimoniale et défendre l'existence des tarifs réglementés. Et que compte-t-il faire au plan national pour faire vivre les 40 propositions de notre mission, votées à l'unanimité moins une voix, ce qui n'est pas rien ? (Applaudissements à gauche et sur divers autres bancs)
M. Yannick Texier. - À la suite de la panne électrique du 4 novembre 2006, le Sénat a mis en place une mission d'information sur l'approvisionnement électrique. Présidée par M. Sido, cette mission a effectué de nombreuses auditions et plusieurs déplacements dans des pays européens avant de présenter les fruits de ses analyses en juin dernier et cette question orale. Cette pertinente initiative donne un écho aux travaux écrits de la mission, enrichit nos échanges avec le Gouvernement. La mission défend une approche globale en termes de sécurité et d'indépendance énergétique, tant au niveau national qu'européen, tout en intégrant les impératifs de préservation de l'environnement. Elle contribue à la définition de notre position face à la Commission ; enfin, elle est d'actualité, au lendemain des premières conclusions du Grenelle de l'environnement et à la veille de la présidence française de l'Union.
Si les conclusions de la mission Sido sont relativement rassurantes sur le court terme, elles plaident pour une grande vigilance sur le plus long terme. Le groupe UMP partage cette analyse. Nous sommes conscients que toute politique en la matière doit intervenir sur plusieurs fronts : anticiper l'évolution de la demande ; préserver un bouquet énergétique national équilibré ; diversifier la fourniture ; améliorer la prévisibilité des prix de l'électricité ; maintenir un réseau de transport et de distribution ; maîtriser la demande d'électricité, Comme la mission, nous nous interrogeons sur la nécessité de tenir compte, dans nos choix, des caractéristiques propres à l'électricité, qui ne se stocke pas, qui n'est pas substituable dans de nombreuses circonstances et dont la consommation est relativement inélastique aux prix. C'est pourquoi nous entendons conforter notre bouquet énergétique. Cela suppose de trouver le juste équilibre entre le maintien de l'option nucléaire et le développement des énergies renouvelables afin de tenir nos engagements en la matière.
Les décisions arbitrées dans le cadre du Grenelle de l'environnement répondent en partie aux suggestions de la mission. Le Gouvernement peut-il nous faire part de son appréciation sur ses quarante préconisations, et en particulier sur les points suivants : quels arguments développer face à la Commission qui veut imposer un démantèlement de nos grands groupes intégrés tels EDF ou GDF ? Où placer le curseur entre ouverture du marché et régulation ? Quelle sera notre position quant à la création d'une Agence européenne des régulateurs nationaux de l'énergie ? Qu'en sera-t-il de la proposition de la mission d'établir des documents prospectifs communs au niveau européen ? Et de celle de créer une procédure de déclaration d'utilité publique européenne pour les grandes infrastructures ?
Ce débat nous permet de participer pleinement aux prémisses de ce que devrait être l'Europe de l'énergie, garantie de la meilleure sécurité d'approvisionnement possible. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes)
M. Michel Billout. - J'espère que les quarante propositions de la mission trouveront une rapide traduction législative et réglementaire. Nous vivons en effet une dérive institutionnelle particulièrement grave où le Parlement tend à être privé de son pouvoir législatif, comme en témoigne le nombre de projets de lois passés en urgence, notamment dans le secteur de l'énergie. En témoigne également la censure de la commission des finances sur toute proposition engageant les deniers publics comme lorsque le groupe communiste a proposé la fusion entre EDF et GDF, censure qui empêche tout débat de fond sur la politique nationale énergétique et les alternatives au projet proposé par le Gouvernement. La mission de notre Parlement est désormais réduite à la simple exécution de la volonté présidentielle. Je suis donc attaché à ce que les propositions approuvées par la quasi-totalité des membres de la mission ne tombent pas dans l'oubli et trouvent une traduction concrète. J'appuie donc la demande du président Sido.
Il y a maintenant un an, notre groupe soumettait au Sénat une résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité de novembre 2006. Arguant de la dimension communautaire d'une telle commission et de l'impossibilité des parlementaires français de contraindre nos partenaires européens, c'est une mission d'information sur la sécurité d'approvisionnement en France et en Europe qui a vu le jour. Ses conclusions mettent en lumière les contradictions des politiques libérales imposées par les directives européennes. Il faudrait, selon la Commission européenne, démanteler les monopoles publics et organiser la concurrence entre les opérateurs alors même que ceux-ci remplissent une mission d'intérêt général. Cette nouvelle organisation, selon la Commission, bénéficierait aux clients qui disposeraient d'une offre plus attractive par le jeu de la concurrence ! Pourtant, la mission fait un tout autre constat : la libéralisation du secteur énergétique s'est soldée par une hausse vertigineuse des tarifs et par des risques accrus sur la sécurité d'approvisionnement. En outre, les besoins de production et le vieillissement du parc nucléaire français imposent des investissements massifs. Dans un monde où les ressources énergétiques se raréfient, l'électricité est un bien particulier car non stockable. La mission a souligné les risques de rupture dans la sécurité d'approvisionnement, de perte d'indépendance énergétique et donc d'indépendance économique et politique. Elle a conclu que l'énergie n'est pas une commodité comme les autres, que sa maîtrise doit rester du ressort de la puissance publique et que, selon les termes même du rapport, ce secteur ne peut être laissé à la seule « main invisible » du marché.
Les rapporteurs, inquiets de l'envolée des tarifs dans la plupart des pays de l'Union, proposent le maintien des tarifs réglementés et des contrats d'approvisionnement de « long terme ». Les événements nationaux, européens et internationaux intervenus depuis dans le secteur de l'énergie confirment les conclusions de la mission. Ainsi, le nouveau Président de la République a annoncé le prochain rapprochement entre Alsthom et Areva, c'est-à-dire l'ouverture aux capitaux privés de la construction de centrales, de la production énergétique et de la gestion des déchets. Il a également contribué à la fusion entre GDF et Suez. Avec ce nouveau groupe privé dont l'État détiendra seulement 35 % des actions, on organise la perte de la maîtrise publique sur le secteur du gaz, où les intérêts des actionnaires et leur logique de profit maximum prévaudront. Les PDG du futur groupe ont annoncé que les actionnaires recevront plus de la moitié du résultat net sous forme de dividendes, qui devraient croître de 10 à 15 % par an en moyenne entre 2007 et 2010. Voilà les priorités industrielles de ce nouveau groupe !
Autre élément inquiétant : dans sa première déclaration, le PDG de Gaz de France, Gérard Mestrallet, indique que « le nouveau groupe GDF-Suez prendra la décision, en 2008 ou 2009, de construire un ou plusieurs réacteurs nucléaires de troisième génération, en Europe, dans les pays où cela sera possible et souhaitable » afin de « disposer de ces capacités entre 2017 et 2020 ». Nous pouvons donc sérieusement douter de la pérennité du monopole d'EDF sur la production de l'énergie nucléaire. J'avais déjà évoqué cette crainte lors de la discussion sur la loi relative à la transparence et à la sécurité nucléaire, il y a plusieurs mois.
Si la mission d'information réaffirme le choix du nucléaire, notamment pour des impératifs environnementaux, elles reconnait que la sûreté nucléaire ne peut être garantie que par une forte maîtrise publique, seule capable de transparence sur les objectifs industriels et de recherche et sur la sécurité des installations. Monsieur le ministre, nous voudrions des précisions à ce sujet.
Une nouvelle directive, parachevant le marché de l'énergie, vient d'être adoptée, qui prône la séparation patrimoniale entre les réseaux de transport et les centres de productions. Le président et les rapporteurs de la mission ont exprimé dans un communiqué de presse leurs réserves sur ce nouveau paquet énergétique et, notamment, sur la pérennité des contrats d'approvisionnement dits de long terme. Cette fuite en avant libérale conduit aujourd'hui M. Sido, membre éminent de la majorité parlementaire, à interroger le ministre d'État à l'écologie sur les suites que le Gouvernement entend donner aux quarante propositions de son rapport. Je soutiens une telle initiative, s'agissant d'un rapport voté à la quasi-unanimité des membres de la mission. Si un consensus existe entre les parlementaires pour reconnaître que l'énergie n'est pas un produit de consommation comme les autres et que sa maîtrise doit être publique, le Gouvernement doit l'entendre et proposer une transcription législative et réglementaire des quarante propositions.
Notre groupe estime qu'il faut aller encore au-delà d'un simple perfectionnement de la régulation du secteur de l'énergie : c'était le sens de mon intervention lors de la discussion de la proposition de loi de notre collègue Ladislas Poniatowski. Il y a une antinomie fondamentale entre la concurrence libre et non faussée et le maintien d'un service minimal pour chacun. Dans la configuration libérale, les tarifs réglementés sont voués à disparaître et toute disposition transitoire ou dérogatoire ne peut être qu'une correction à la marge. Le Gouvernement doit complètement réorienter notre politique énergétique aux niveaux national et communautaire et, pour cela, renégocier les directives européennes. L'ouverture à la concurrence n'a pas atteint les objectifs escomptés, bien au contraire, et certains pays reviennent progressivement à une plus ample maîtrise publique. L'énergie, denrée exceptionnelle, ne peut être considérée comme une simple marchandise. Une politique ambitieuse, donnant la priorité à la recherche d'économies d'énergie, à la diversification des moyens de production et à la coopération avec les autres acteurs européens ne peut se réaliser qu'avec des opérateurs publics porteurs de l'intérêt général. Car, depuis l'ouverture de leur capital, la politique des opérateurs historiques a changé de cap : les contrats de service public mentionnent maintenant l'objectif d'augmenter la rentabilité pour les actionnaires.
Finalement, les anciens monopoles qui auraient dû du être modernisés et démocratisés seront remplacés par des oligopoles privés dont la Direction de la concurrence de la Commission européenne estime le nombre à cinq ou six d'ici une dizaine d'année. Les sénateurs communistes estiment qu'une véritable maîtrise publique suppose des capitaux uniquement publics au sein des opérateurs énergétiques, toute entrée de capitaux privés modifiant irrémédiablement la politique d'entreprise. D'autre part, il faut renforcer les coopérations entre les opérateurs historiques au sein d'un pôle public de l'énergie qui s'étendrait au pétrole. C'est pourquoi nous avons proposé la fusion d'EDF et de GDF au sein d'un nouvel établissement public, fusion immédiatement repoussée au nom des contreparties qui seraient prétendument imposées par Bruxelles. Pourtant, la création du géant Suez-GDF se fait également au prix d'importantes contreparties, notamment la cession de contrats d'approvisionnement de long terme pour GDF, la séparation du pôle environnement pour Suez et la création du principal concurrent d'EDF en France. Et tout cela, sans les bénéfices d'une maîtrise publique.
L'avenir énergétique de la France est avant tout affaire de choix politiques. Ses enjeux se combinent à ceux du Grenelle de l'environnement car travailler à maîtriser la consommation, à développer les énergies renouvelables et non polluantes, ainsi qu'à l'égal accès de tous à ce bien universel suppose une véritable maîtrise publique du secteur. Le développement durable nécessite d'être dégagé de la pression des marchés financiers et des intérêts de court terme. Le rapport de la mission prône cette maîtrise publique et la création d'instruments de régulation prospectifs. Ses propositions doivent trouver une traduction législative et règlementaire courageuse. (Applaudissements à gauche)
M. Marcel Deneux. - La meilleure électricité est encore celle qui n'est pas consommée. (M. Desessard apprécie) La maîtrise de la demande permet de relâcher les contraintes financières, techniques et politiques, de réduire notre dépendance énergétique, de faire des économies à long terme pour les ménages et les industriels, et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. C'est donc un impératif majeur et je me félicite que les pays de l'Union se soient donné pour objectif de réduire de 20 % la consommation énergétique de l'Europe par rapport aux projections pour l'année 2020.
La France s'est fixé pour objectif une amélioration de l'intensité énergétique finale de 2 % en 2015 et 2,5 % à partir de 2030.
La logique du marché ne suffit pas, ce qui impose la mise en place permanente d'une politique publique. Il s'agit d'abord d'incitations aux économies. Je ne reviens pas sur l'isolation des bâtiments sinon pour rappeler les recommandations de la mission sénatoriale. La consommation du secteur résidentiel augmente du fait du nombre des équipements blancs et bruns. La réglementation est insuffisante. Avec une limitation de la puissance en veille à 1 watt des produits bruns, on pourrait obtenir une réduction de 10 % de la consommation totale des ménages. Un document de travail de la Commission européenne préconise d'ailleurs de fixer un tel minimum puis de passer à un plancher de 0,5 watt.
Pour favoriser les appareils de classe A et A++, la meilleure solution est de fixer la TVA à 5,5 % pour les produits dont la liste serait régulièrement revue. Je souhaite que la France profite de sa présidence pour défendre la TVA à taux réduit pour les produits éco-labellisés.
L'interdiction unilatérale des ampoules à incandescence permettra d'économiser l'équivalent de la production d'une tranche de centrale nucléaire. J'ai donc été ravi d'entendre le Président de la République retenir cet objectif.
Certaines économies supposent un changement de nos habitudes. L'information peut passer par des affichettes disposées dans les écoles, les administrations et les entreprises. Le président et les rapporteurs de la mission sénatoriale ont écrit aux questeurs pour demander qu'il y en ait également au Sénat, notamment pour recommander d'éteindre les bureaux avant de les quitter. On a commencé à remplacer les ampoules à incandescence par des dispositifs plus économes. En se dotant de systèmes d'éclairage automatiques, le Sénat serait à la pointe en matière d'économies d'énergie.
L'idéal serait un véritable bilan carbone. Cela viendra. La circulaire du Premier ministre, en date de septembre 2005, souligne que l'État doit être exemplaire, en particulier en acquérant des équipements économes. Il faudra en contrôler l'application, surtout dans les services déconcentrés. L'État doit en effet promouvoir les bonnes pratiques, telles que le recours à des régulateurs variateurs pour l'éclairage public.
Le cahier des charges de France Télévisions et de Radio-France doit les obliger à diffuser des émissions en la matière. Un travail doit également être mené en direction des plus jeunes. La récente directive du ministère de l'éducation est une bonne initiative. Le rapport que j'avais rédigé au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques a été diffusé par le CNDP sous forme de 6 500 Cdrom, utilisables en première et en terminale, ainsi que M. Darcos va le rappeler aux recteurs.
L'amélioration de l'efficacité énergétique des entreprises représente un potentiel d'économies de 20 TW/h l'an. Il faut améliorer les procès industriels sans grever la productivité. Trois programmes européens de soutien ont été mis en place à cet effet mais, comme on ne peut pas multiplier les aides, il est temps que celles de l'État et des collectivités locales soient conditionnées par le respect de certains critères : c'est économiquement rentable à moyen terme.
On a pu s'interroger sur la volonté politique du Gouvernement. Depuis la présidentielle et le Grenelle de l'environnement, ce n'est plus possible : le temps est venu de passer à l'action. Quelles seront vos priorités, quels engagements allez-vous prendre sur les certificats d'énergie et que pensez-vous de ma proposition de décaler le changement d'heure ?
M. Daniel Raoul. - Comment ne pas évoquer le troisième paquet de libéralisation en matière d'électricité et de gaz ? Il se traduira par cinq nouvelles propositions législatives, dont la mesure phare est la séparation patrimoniale de la gestion des réseaux de fourniture d'énergie ? Neuf États dont la France avaient, en juin, fait part de leur opposition mais la Commission européenne a saisi le Parlement européen le 19 septembre. Pour contourner la minorité de blocage en cours de cristallisation, elle a imaginé ce que Bruxelles nomme dans son jargon le système ISO, mais aucune évaluation des précédentes directives n'a été réalisée.
C'est la fin du service public de l'énergie qui est proposée malgré la désignation de fournisseurs en dernier ressort pour les plus défavorisés. Les questions sur les investissements et la sécurité de l'approvisionnement restent sans réponse. Or les groupes intégrés ont tendance à investir dans les interconnexions alors que les gestionnaires de réseaux vivent sur des goulots d'étranglement.
Comment en outre se garantir contre une prise de contrôle par un opérateur extérieur à l'Union européenne ? On évoque un examen des dossiers au cas par cas : c'est reconnaître la nature stratégique du secteur de l'énergie.
Au total, ce troisième paquet est inacceptable, même si la coopération européenne en matière de normes techniques est une bonne chose. La construction d'une politique européenne de l'énergie ne peut être fondée sur le seul marché ; nous avons besoin d'une véritable politique publique en matière d'objectifs environnementaux, de sécurité d'approvisionnement, de régulation des prix, d'investissement, ainsi que le réclame la Confédération européenne des syndicats. Comme le dit M. Boiteux, dont la compétence ne peut être mise en doute, « l'ouverture du marché n'a pas pour effet de faire baisser les prix ; c'est la hausse des prix qui permet l'existence du marché ».
De plus, le service universel de l'énergie n'est nullement garanti : champ d'application très réduit, absence de financement et de mécanismes de contrôle des prix... On peut également avoir des doutes sur le niveau d'investissement dans les réseaux et sur l'application du principe de proportionnalité.
Avec le troisième paquet, Bruxelles poursuit son offensive, considérant que les entreprises verticalement intégrées ont tendance à sous-investir et à privilégier leurs sociétés de vente. Nous allons vers un démantèlement des opérateurs historiques, car c'est l'architecture même des entreprises et la régulation fondée sur les obligations de service public qui sont attaquées. La séparation patrimoniale ouvre la voie à la privatisation d'EDF -et la rend opéable- et à celle de RTE, comme d'ailleurs de GRT.
Comment construire une politique européenne de l'énergie sans maîtrise publique ? Quelle position le Gouvernement français défendra-t-il lors du conseil des transports de novembre ? La présidence française au second semestre 2008 agira-t-elle pour faire évoluer le dogme de la Commission, selon lequel la concurrence fait baisser les prix, alors que les faits lui donnent invariablement tort ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean Desessard. - Je salue M. le ministre des transports, qui sera bientôt celui des autoroutes ferroviaires et maritimes...
J'approuve plusieurs points de ce rapport, sa critique virulente de la libéralisation du marché de l'énergie, de l'abandon des tarifs régulés, des projets de directive. L'électricité n'est pas un bien comme les autres, elle ne se stocke pas, c'est un bien de première nécessité, sa gestion détermine notre indépendance énergétique et notre niveau de pollution. Pourquoi certains parlementaires de la majorité critiquent-ils la libéralisation en France alors que leurs collègues du Parlement européen votent en sens contraire depuis dix ans ?
M. Bruno Sido. - Ce sont des jean-foutre !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission. - Leur mode d'élection n'est pas le même !
M. Jean Desessard. - Je le sais d'expérience, il n'est pas facile de faire cohabiter plusieurs courants dans un même parti ! (Sourires)
J'approuve aussi cette affirmation du rapport selon laquelle la France n'a pas vocation à se transformer en poumon nucléaire de l'Europe -j'ajouterai : en poubelle radioactive. Arrêtons d'exporter une électricité que nous vendons à perte -d'autant que nous assumons seuls la gestion des déchets ! (M. Sido approuve) Notre surplus s'explique par les prévisions surévaluées du lobby nucléaire -nous étions en 2000 deux fois en dessous de celles avancées par EDF en 1975. La France n'a pas plus vocation à devenir l'exportatrice universelle de la technologie nucléaire : c'est pourquoi il faut refuser la construction de l'EPR, qui produira encore plus d'électricité alors qu'il faudrait l'économiser, et qui servira de maquette pour l'exportation.
C'est dire que les sénatrices et sénateurs Verts n'approuvent pas la position prise par le rapport en faveur du nucléaire ; ils sont rejoints par 54 % des Français qui, conscients des dangers de la filière, jugent anormal qu'on investisse trois milliards d'euros dans une nouvelle centrale. Contrairement à ce qu'affirme le rapport, le nucléaire ne garantit pas notre indépendance énergétique, car il est lui-même dépendant de l'uranium, et donc du Niger, du Canada ou de l'Australie ; ce minerai est une ressource non renouvelable qui sera sans doute épuisée dans soixante-dix ans. (M. Sido le conteste) Son cours a été multiplié par dix depuis 2002. Et la quatrième génération de réacteurs, qui permettrait de recycler ses propres déchets, n'en est qu'au stade de la spéculation...
On peut faire les mêmes remarques pour le gaz, que nous importons en totalité, alors qu'il existe en France de nombreux sites qui pourraient produire du gaz de décharge, bien moins nocif pour l'effet de serre. Le biogaz pourrait représenter jusqu'à 20 % de notre consommation, contre seulement 0,5 % aujourd'hui.
Notre sécurité d'approvisionnement réside avant tout dans les énergies renouvelables. Le Grenelle de l'environnement a fixé des objectifs ambitieux, mais sans prévoir le financement pour les atteindre. Il y faudrait des milliards, mais on les affecte au nucléaire ! Dans l'hydraulique comme dans les cycles combinés, nous avons perdu notre avance. Il faut faire des choix.
Nous devons en outre consommer moins, ce qui passe par une politique tarifaire incitative et des certificats d'économie d'énergie ambitieux. Notre consommation finale d'électricité a été multipliée par trois en trente-cinq ans. EDF a longtemps fait la promotion de la surconsommation et ses agents commerciaux sont encore payés au KWh vendu ! Pourtant, les gisements d'économies existent, l'éclairage, l'appareillage, l'isolation des logements, le chauffage électrique, qui représente encore 12 % de la consommation et équipe 70 % des maisons récentes. M. Sido parle d'aberration, mais sans en tirer les conséquences... Pourquoi ne pas imiter les Danois, qui ont interdit ce mode de chauffage, sauf cas de force majeure ?
Toutes ces avancées supposent une régulation forte, une organisation souple, diversifiée, décentralisée -tout le contraire du nucléaire. Comme le rapport fait la part belle à ce dernier, les sénatrices et sénateurs Verts ne peuvent l'approuver.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. - En mon nom, et en celui de M. Borloo, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence, je vous remercie pour le travail de la mission commune d'information présidée par M. Sido et je salue la grande qualité du rapport de MM. Deneux, Billout et Pastor. Après l'incident du 4 novembre 2006, qui avait plongé l'Europe dans le noir, vous avez réalisé de nombreuses auditions pendant six mois et appréhendé toute l'ampleur du sujet. Vous avez élargi vos investigations bien au-delà de la sécurité des réseaux, pour examiner tout ce qui détermine l'approvisionnement électrique. Examinant la régulation du secteur, vous avez placé votre réflexion dans le cadre des autres objectifs de notre politique de l'énergie : compétitivité et pouvoir d'achat d'une part, protection de l'environnement et lutte contre le changement climatique d'autre part.
Le Gouvernement se réjouit de la communauté de vues entre les orientations générales de sa politique énergétique et les recommandations du rapport, en dépit de quelques nuances. Le premier constat de votre mission, c'est que la sécurité de l'approvisionnement électrique est assurée en France. Nous disposons d'instruments -le bilan prévisionnel des besoins et la programmation des investissements- et d'acteurs -l'administration, la Commission de régulation de l'énergie, le Réseau de transport d'électricité- qui garantissent sa sécurité. La maîtrise publique jouant un rôle majeur, le Gouvernement est attaché à ce qu'elle perdure, conformément aux souhaits de M. Billout.
Pour l'essentiel, nous partageons l'analyse du rapport quant au bien-fondé de la politique suivie en France depuis plusieurs années. Un double mouvement modifie en profondeur notre politique énergétique : la lutte contre le changement climatique, dans l'esprit du Grenelle de l'environnement, et la constitution d'un marché intégré de l'électricité au sein de l'Union européenne.
Les travaux de la mission d'information, qui interviennent à point nommé, montrent la convergence d'intérêts entre la lutte contre le changement climatique et la sécurité d'approvisionnement. Selon le nouvel adage, l'électricité la moins chère et la plus sûre est celle que l'on ne consomme pas ; c'est aussi la plus protectrice de notre environnement. Les conclusions du Grenelle annoncent de grandes réformes, dont les plus ambitieuses ont trait à nos modes de consommation. Les mesures les plus emblématiques préconisées par votre rapport concernent l'efficacité énergétique et la réduction de la consommation, dont l'urgence a été appelée par M. Deneux.
Ainsi, un programme de rupture dans le bâtiment neuf ira vers des solutions à énergie positive, avec des exigences de performance énergétique très élevée pour les bâtiments publics dès 2010 et une généralisation en 2012 des logements neufs à basse consommation. S'ajoute une rénovation thermique exceptionnelle du bâti existant. Enfin, un plan de développement des énergies renouvelables s'inscrit dans l'objectif européen de 20 % en 2020. Il n'y a pourtant pas lieu de pavoiser : ce magnifique programme dans le bâtiment s'explique par le retard accumulé. Nous devons maintenant retrousser nos manches.
M. Jean Desessard. - Absolument ! Et attribuer des moyens !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. - Oui, et assurer la formation des professionnels. L'ampleur de ces réformes et l'importante mobilisation de tous les acteurs passe par des mesures réglementaires, des incitations et une large information. Les propositions de la mission seront examinées plus avant dans le cadre de cette réflexion.
À titre d'exemple, la rénovation énergétique des bâtiments est un investissement dont le retour est étalé. Cet effort financier exige un juste partage des coûts et des économies entre bailleurs et locataires. Des mécanismes financiers innovants seront proposés en ce sens.
De même, l'action auprès de l'Union européenne en faveur de l'étiquetage des produits bruns, la limitation de la puissance de veille des appareils et l'interdiction programmée des ventes de lampes à incandescence supposent un renforcement de la réglementation et des plans d'accompagnement.
Monsieur Deneux, on estime à un térawatt-heure l'économie procurée par le changement d'heure introduit en France dès 1975. Le rapport que la Commission européenne doit remettre avant la fin de l'année au sujet du passage à l'heure d'été permettra d'examiner une éventuelle évolution du dispositif.
Le Grenelle de l'environnement a insisté sur le fait que notre ambition en matière d'énergie renouvelable allait de pair avec une haute qualité environnementale pour chacune des filières. Nous devons donc assurer l'acceptabilité paysagère des éoliennes, préserver les ressources halieutiques menacées par la filiale hydraulique, sans oublier de protéger les sols face aux biocarburants. Il reste que les gisements existent, comme la valorisation de la biomasse. Nous devons donc élaborer un plan pour chaque filière.
Le développement des énergies renouvelables et les progrès de l'efficacité énergétique permettront peut-être de réduire la part du nucléaire, mais le Président de la République a souligné qu'il était impossible d'obtenir une énergie compétitive, sûre et produisant peu de gaz carbonique en écartant la filière nucléaire, qui n'est donc nullement remise en cause.
Monsieur Pastor, les tarifs réglementés de vente de l'électricité sont compatibles avec les directives européennes, car ils couvrent les coûts de production : leur niveau reflète simplement la compétitivité de notre production. La filière électronucléaire contribue à limiter l'émission de gaz carbonique, avec une économie de 300 à 400 millions de tonnes par rapport à une production basée sur le charbon. Monsieur Desessard, le nucléaire contribue à la sécurité d'approvisionnement global, car il diversifie nos sources d'approvisionnement.
En revanche, le Gouvernement est plus réservé envers l'opportunité d'obligations minimales de production imposées à chaque État membre, car elles pourraient conduire à des choix non optimaux. Il faut d'abord mettre l'accent sur des planifications nationales coordonnées au niveau européen.
J'en viens ainsi à l'avènement d'une politique européenne de l'énergie.
Votre mission a conduit ses travaux pendant que se préparait une série de directives sur le marché intérieur de l'énergie. A cette occasion, la France a souligné certains dysfonctionnements, elle a formulé de nombreuses propositions et dit son attachement à l'émergence d'un marché de l'électricité intégrée, sûr et bénéficiant aux consommateurs finaux. Là est le coeur de notre message : l'Europe de l'énergie ne se fera qu'au bénéfice des consommateurs ; dans un secteur aussi complexe que l'électricité, le rôle des pouvoirs publics est primordial.
Vous insistez sur l'importance des interconnexions et la nécessaire coordination au niveau européen des réglementations qui s'appliquent aux gestionnaires de réseau de transport en France. Nous portons haut ce message à Bruxelles.
La sûreté du système électrique passe par un contrôle strict du gestionnaire de réseau de transport, que défend la France et que reprend partiellement le troisième paquet. Tout manquement à ces règles, à l'image de ce qui s'est passé le 4 novembre 2006 en Allemagne, doit être sanctionné. La France milite pour une régulation contraignante, comme le propose la mission commune d'information.
La séparation patrimoniale a été présentée par la Commission européenne comme la réponse aux dysfonctionnements du marché et notamment au problème de sûreté du système électrique. La France ne partage pas cette position : RTE a parfaitement démontré sa capacité à gérer le système électrique -le dernier incident majeur remonte au 12 janvier 1987.
Le renforcement de la sûreté passe aussi par une coopération accrue entre les gestionnaires de réseaux de transport. Là encore, la France a montré sa volonté d'être exemplaire. Le mémorandum d'entente signé le 6 juin 2007 par les ministres de l'énergie des cinq pays du forum -Belgique, Luxembourg, France, Allemagne, Pays-Bas- affiche des objectifs précis : élaborer un bilan prévisionnel global, créer une échelle de classification des incidents réseaux, mettre en place une plate-forme commune de coordination des gestionnaires de réseaux de transport. Ces objectifs rejoignent les propositions de la mission commune du Sénat et devraient être mieux pris en compte par le troisième paquet.
La France devra peser dans les négociations entamées il y a quelques semaines dans le cadre du Conseil européen pour aboutir à un texte ambitieux, qui ne pénalise pas nos opérateurs. La France et l'Allemagne ont réuni autour d'eux sept pays européens, sceptiques devant une mesure qu'ils jugent disproportionnée, et s'efforceront ensemble de faire évoluer les projets de textes.
Concernant la politique européenne de l'énergie, le Gouvernement reprend à son compte la quasi-totalité des propositions de la mission du Sénat, malgré quelques réserves, notamment sur l'idée d'encadrer le fonctionnement du réseau par des textes européens juridiquement contraignants ou sur celle d'encadrer le développement des interconnexions, processus assez lourds qui pourraient à terme ralentir l'intégration européenne. La France est en revanche favorable à une régulation concrète au niveau européen et à la mise en place des coordinateurs européens qui permettent de fluidifier le dialogue entre les pays sur des projets d'interconnexion.
Sans céder à l'unanimisme, ennemi de la démocratie, je tiens à rendre hommage aux enseignements précieux portés par la mission commune d'information. Je souhaite que ce dialogue fructueux entre le Gouvernement et la Haute assemblée se poursuive, et s'intensifie avec la déclinaison des différents programmes opérationnels issus du Grenelle de l'environnement. (Applaudissements à droite et au centre)
La séance est suspendue à 11 h 50.
présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président
La séance reprend à 16 heures 15.
Rappel au Règlement
M. Louis de Broissia. - J'ai été ému, comme plusieurs de mes collègues, par les récentes déclarations qu'un responsable fort sympathique d'un syndicat de salariés tout aussi sympathique a faites dans la presse à propos d'une affaire concernant une organisation syndicale patronale. En effet, celui-ci a mis en cause de façon très peu sympathique le Parlement. Il affirme que « personne n'a de preuve que les organisations syndicales sont corruptibles et achetables », mais laisse entendre que les parlementaires le sont.
« Depuis des années, dit ce sympathique leader syndical, l'UIMM a réussi à faire passer des amendements à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Comment font-ils pour trouver des députés qui les soutiennent, et des majorités parlementaires, y compris contre l'avis du Gouvernement. » C'est une mise en cause du Parlement, que je condamne. J'ai écrit à ce sympathique leader pour lui dire ceci : « Si vous connaissez des faits qui confirment vos allégations, dévoilez-les, citez des noms, saisissez la Justice. L'article 40 du Code de procédure pénale est expressément rédigé en ce sens. Sinon la loi de 1881 sur la liberté de la presse pourrait vous être appliquée ; son article 29 définit la diffamation. »
J'aimerais entendre votre position sur ces allégations qui mettent en cause le travail des parlementaires. (Applaudissements sur la plupart des bancs)
M. le Président. - Les applaudissements de nos collègues valent réponse.
Hommage à une délégation d'Azerbaïdjan
M. le Président. - J'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation du Parlement de la République d'Azerbaïdjan, conduite par son président, M. Oktay Assadov.
Le Sénat se réjouit d'accueillir à nouveau un haut responsable azerbaïdjanais quelques mois après avoir reçu le Président de la République d'Azerbaïdjan, Son Excellence M. ALIYEV, pendant sa visite d'État.
Je formule des voeux pour que cette visite contribue au renforcement des liens qui unissent notre pays à la république d'Azerbaïdjan, qui a un rôle important à jouer dans la stabilité régionale, notamment au Caucase méridional.
(Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent)
Dépôt d'un rapport
M. le Président. - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004, le rapport sur la mise en application de la loi du 18 avril 2006 de programme pour la recherche.
Acte est donné du dépôt de ce rapport, qui sera transmis à la commission des affaires culturelles, à la commission des affaires économiques et à la commission des finances, et sera disponible au bureau de la distribution.
Sécurité des manèges
M. le Président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la sécurité des manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction.
Discussion générale
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques. - (Applaudissements à droite) Cette proposition de loi est un texte attendu depuis longtemps. Enfin ! Enfin, nous allons nous intéresser à un domaine longtemps ignoré par le législateur : les manèges des fêtes foraines et des parcs de loisirs. Ces activités ont pris une place grandissante dans notre société, jusqu'à devenir une industrie. En témoigne le succès des parcs thématiques et des fêtes foraines traditionnelles organisées dans nos communes. Chaque année, près de cent millions de personnes montent dans un manège. Ces manèges ont considérablement changé ces dernières années : toujours plus haut, toujours plus vite, pour des clients amateurs de sensations toujours plus fortes. Cela crée des accidents toujours plus graves, dont le dernier en date à la fête des Loges où un père et son fils ont trouvé la mort dans un booster.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune réglementation spécifique n'encadre la fabrication et l'exploitation des attractions foraines ! Et cela parce que, historiquement, la fête foraine a été un espace de liberté. Les forains ont ainsi développé une grande autonomie dans l'organisation de leur activité. Les pouvoirs publics ont certes réinvesti cet espace, en matière d'ordre public ou de contrôle sanitaire, mais la sécurité des machines elles-mêmes a été négligée. La réglementation française est minimale. Un protocole a bien été signé en 1983 par les syndicats de forains et certains bureaux de contrôle technique à l'initiative du ministère de l'intérieur, mais il est désormais obsolète. L'article L221-1 du code de la consommation impose certes une obligation générale de sécurité des produits, mais la DGCCRF n'a pas les moyens techniques de contrôler des manèges. Le code général des collectivités territoriales donne au maire des pouvoirs de police en matière de grands rassemblements, de foires ou de jeux, mais les élus des petites communes n'ont pas les moyens de contrôler la sécurité des attractions et se limitent à un simple contrôle documentaire. La réglementation européenne, encore embryonnaire, repose sur une norme de 2004 que la France a mis trois ans à intégrer. Au final, le système actuel de contrôle de la sécurité des attractions repose sur les forains eux-mêmes.
Bien avant le drame de la fête des Loges, l'Association des maires de France réfléchissait à des dispositions législatives et réglementaires. Son groupe « fête foraine », que j'ai l'honneur de présider, a mené une importante concertation avec les forains, qui a abouti à la signature, le 17 août dernier, d'une convention signée par les professionnels, les organismes de contrôle, les maires et les ministres concernés. C'était une avancée considérable : les exploitants ont accepté le principe d'un contrôle technique périodique selon le type d'attraction et son niveau de sensation. Mais ces engagements ne valent que ceux qui y consentent ; il fallait donc une loi qui définisse des obligations pour l'ensemble de la profession. C'est l'objet de cette proposition, qui donnera une assise législative à la convention du 17 août 2007.
Ce texte novateur crée une obligation générale de sécurité pour l'ensemble des attractions en France. Manèges, machines, installations pour fêtes foraines ou pour parcs d'attraction, devront être conçus, construits, installés et exploités sans porter atteinte à la santé des personnes. Dans la mesure où certains manèges sont aujourd'hui exploités hors des fêtes foraines et des parcs de loisirs, j'ai proposé à la commission des affaires économiques d'élargir le champ d'application de ma proposition initiale afin qu'elle englobe ces machines, installées le plus souvent sur les parkings des centres commerciaux ou sur les places de village.
Ce texte crée ensuite une obligation de contrôle technique initial et périodique. Il s'agit là d'une avancée considérable. Ce n'est pas la seule puisque ces contrôles, à la charge des exploitants, devront être effectués par des organismes agréés par l'État, indépendants économiquement et juridiquement des exploitants.
Voilà le cadre général fixé par la proposition que vous soumet la commission des affaires économiques. Ce cadre sera complété par un décret en Conseil d'État et deux arrêtés. La commission des affaires économiques souhaite que ce nouveau dispositif entre en vigueur dès janvier 2008. Je conclurai en indiquant que la commission des affaires économiques s'est prononcée à l'unanimité en faveur de cette proposition de loi. J'espère vous avoir convaincus de l'importance de ce texte : nous faisons un grand pas dans l'organisation de l'espace des fêtes foraines et des parcs d'attractions, dans l'intérêt de tous : les utilisateurs avant tout, mais aussi les exploitants eux-mêmes et, bien sûr, les élus locaux. (Applaudissements au centre et à droite)
La norme Afnor est à votre disposition. (On s'en félicite)
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. - Je tiens à remercier le sénateur Hérisson pour la pertinence de sa proposition de loi, qui concrétise un remarquable travail de concertation avec les professionnels et l'Association des maires de France.
Je souhaite tout d'abord saluer la mémoire de Claudine Ségelle, fonctionnaire de grand talent qui a disparu accidentellement le 31 août dernier. Sous-directrice à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, elle avait pris en main le dossier sur la sécurité des manèges. Elle n'avait pas compté son temps, apportant son dynamisme, sa clarté de vue et son efficacité pour assurer le suivi de ce dossier et contribuer à la préparation du texte qui vous est soumis aujourd'hui, en pleine collaboration avec les services du ministère de l'intérieur, l'Association des maires de France et les exploitants forains. J'ai travaillé avec elle et, comme M. Hérisson, j'ai pu apprécier son engagement au service de l'État et de la sécurité. C'est une fonctionnaire de très grande qualité que nous avons perdue et je souhaitais honorer sa mémoire.
La sécurité des personnes est une préoccupation majeure du Gouvernement, et le dramatique accident survenu le 4 août 2007 à la fête des Loges, qui venait après divers accidents de manège ayant entraîné des blessures, a remis sur la scène publique un vide juridique qu'il est nécessaire de combler.
Depuis plusieurs mois, les forains, les maires et l'administration travaillaient de concert à l'élaboration de textes précisant les modalités et la périodicité du contrôle technique des manèges forains, en tenant compte de l'évolution du matériel et de la nécessaire indépendance des organismes chargés du contrôle technique. Les réflexions étaient déjà très engagées quand l'accident du 4 août 2007 a amené l'ensemble des acteurs à marquer rapidement une évolution pour améliorer la sécurité des manèges, sous la forme de la convention du 17 août 2007, qui préfigure l'architecture de l'encadrement législatif et réglementaire que nous souhaitons mettre en place.
Il convient de définir les responsabilités et les obligations. Or il faut procéder par la voie législative puisqu'un contrôle technique est créé, dont le non-respect entraînerait une interdiction d'installation, ce qui constitue une restriction à la liberté du commerce et de l'industrie.
La proposition a été élaborée en concertation avec les professionnels, les maires, l'administration et le Gouvernement. Il s'agit d'assurer la sécurité des personnes. L'article 1er transpose aux biens itinérants l'article L0221.1 du code de la consommation qui vise la sécurité des produits et services. L'article 2 impose pour tout matériel un contrôle technique initial puis renouvelé régulièrement par un organisme agréé. L'article 3 renvoie à un décret en Conseil d'Etat. Le dispositif s'inspire du contrôle technique sur les véhicules. J'ajoute que les mesures législatives seront complétées par un décret et des arrêtés d'application sur lesquels l'administration travaille déjà.
Ce texte va dans le sens de l'action menée par le Gouvernement pour améliorer la sécurité des consommateurs ; désormais l'activité dans les fêtes foraines et parcs d'attraction s'exercera dans de meilleures conditions. (Applaudissements à droite et au centre).
M. Jean-Marc Pastor. - Fête foraine de Lille, parc de loisirs Nigloland dans l'Aube, fête foraine de Creil, fête du parc Saint-Paul, parc Astérix, fête des Loges... Combien de lieux de fête et de loisir ont connu des accidents parfois dramatiques comme celui du 4 août dernier !
Cette actualité motive la présente proposition de loi et je salue le travail de notre collègue pour donner une base légale à la réglementation sur la sécurité des manèges. Il n'existait jusqu'à l'été dernier qu'un protocole d'accord, datant de 1984. Le dispositif encadrant l'activité d'exploitant de manège ne reposait ni sur une réglementation ni sur une norme. Une exception en Europe !
La Commission de sécurité des consommateurs, à la fin de l'année 2006, soulignait l'absence d'information exhaustive sur les accidents survenus dans des fêtes foraines ou des parcs de loisirs. Seules des données ponctuelles sont disponibles, émanant des parcs de loisirs, des hôpitaux, de l'Institut national de veille sanitaire. On a ainsi recensé une centaine d'accidents par an depuis 1992, chiffre en hausse -mais qui diminue relativement au nombre de visiteurs. Les pouvoirs publics ne pourraien-ils créer une surveillance statistique spécifique, en prescrivant des déclarations ? Je conçois la difficulté méthodologique mais une telle collecte est indispensable pour apprécier la nature et la gravité des accidents, leurs causes -défaillances techniques dramatiques en raison de la vitesse ou de la hauteur accrues des structures, comportement des clients... Les données actuelles recensent l'erreur humaine, le plus souvent un défaut de prudence des passagers, et la défaillance technique -les matériels sont fortement sollicités, d'autant que les jeunes gens sont de plus en plus friands de sensations fortes.
Il n'existe pas de réglementation européenne relative à la sécurité des manèges. Le principe de subsidiarité s'applique : les tentatives de directives et les propositions de la Commission européenne depuis quinze ans n'ont pas abouti ; les matériels d'attraction sur les matériels de fêtes foraines et de parcs de loisirs n'ont pas été intégrés à la directive du 17 mai 2006 sur les machines. Les particularismes nationaux de la profession paraissent empêcher toute harmonisation. En France, priorité est donnée aux mesures volontaires initiées par les entreprises en coordination avec les pouvoirs publics. Les mesures réglementaires n'interviennent qu'en cas d'insuffisance et sont fort rares.
On nous propose aujourd'hui un dispositif législatif. La loi « parle » au peuple ; sans loi, point de crédibilité. Elle a d'ailleurs tendance à devenir un instrument au service de la communication plutôt qu'au service du droit. Souvenons-nous des observations de Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, comme de celles du Conseil d'Etat sur la qualité des lois.
Les pouvoirs publics effectuent des contrôles des produits et des services, ils élaborent des textes réglementaires et veillent à la qualité de l'information fournie au consommateur. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression de fraudes (DGCCRF) veille au respect de l'obligation générale de sécurité définie à l'article L 221-1 du code de la consommation.
La normalisation constitue une des voies fréquemment préconisées par la Commission de la sécurité des consommateurs (CSC). La CSC sollicite souvent les pouvoirs publics afin qu'ils interviennent auprès des autorités de normalisation. Au cas présent, la CSC a recommandé d'homologuer la norme européenne EN 13.814 « machines et structures pour fêtes foraines ». C'est chose faite depuis le 17 septembre. Faut-il voir une coïncidence entre d'une part l'homologation prononcée par l'AFNOR le 17 août 2007, la signature le même jour d'une convention liant le Gouvernement, l'Association des maires de France, les représentants des forains et les bureaux de contrôle ; et d'autre part l'accident de la fête des Loges le 4 août ? Le Gouvernement a réagi très vite -sans doute une volonté élyséenne. Ce texte est le dernier étage de l'édifice.
Je me souviens, en 2002, du premier projet de loi présenté par le gouvernement Raffarin. Il portait sur la sécurité dans les piscines privées et rendait obligatoire à compter du 1er janvier 2004 l'installation de matériel normalisé visant à prévenir le risque de noyade. La CSC avait, comme pour les manèges, préconisé un système contraignant. Hélas, l'application de la loi se heurta à l'impossibilité pratique, pour les propriétaires de piscine, de se procurer un matériel conforme à des normes AFNOR...qui n'étaient pas encore fixées ! Le Gouvernement a dû autoriser des systèmes de sécurité non normalisés...
La loi de 2002 prévoyait l'application de normes qui n'existent pas encore. A l'inverse, ce texte ne prévoit pas l'application d'une norme qui pourtant existe, (M. Daniel Raoul renchérit) homologuée certes très récemment en France mais depuis plusieurs années dans l'Union européenne. La proposition de loi n'y fait aucune référence. Pourquoi vous être arrêté en chemin ? Vous n'allez pas au bout de la logique et ne rendez pas obligatoire le respect de la norme dont vous avez demandé l'homologation il y a deux mois et demi. La proposition de loi se prive ainsi d'une grande part de son efficacité. A quoi sert alors de mobiliser le Parlement ?
Pour l'heure, la DGCCRF, faute de compétence technique, n'exerce aucune surveillance préventive des matériels d'attraction. Les interventions après accidents ne sont pas même systématiques. Quant aux bureaux de contrôle, ils considèrent comme obsolète le protocole d'accord de 1984, certains, les plus grands, refusant simplement de l'appliquer. Ce protocole prévoit que les bureaux de contrôle n'interviennent qu'à la demande de l'exploitant.
Pourtant, il sert toujours de base à la délivrance de certificats de conformité sur lesquels s'appuient les maires pour autoriser l'exploitation des manèges sur le territoire de leur commune. Ils n'ont pas les moyens de vérifier si les manèges sont en état ni si les réserves émises par les bureaux de contrôles ont été levées. Il faut donc uniformiser tout cela et le meilleur vecteur pour cela est la norme NF.
Le contrôle des règles du code du travail en matière de santé et sécurité des salariés n'est pas non plus à négliger. Les inspecteurs du travail semblent ne plus être associés aux commissions de sécurité depuis quelques années. Nous confirmez-vous cette évolution néfaste ?
Il faut aussi mettre l'accent sur la formation des professionnels, permanents ou saisonniers, intervenant sur les manèges forains et qui, souvent, s'occupent aussi de l'entretien, des contrôles, de la manutention et de la maintenance courante. Ils doivent pouvoir suivre des modules de formation débouchant sur une qualification. Que prévoyez-vous pour cela ?
Les prestataires doivent aussi être tenus d'informer les utilisateurs des risques encourus ou des contre-indications. Prévoyez-vous une disposition réglementaire en la matière ?
L'activité foraine est indispensable à l'animation économique et culturelle locale et celle des parcs de loisirs à la création d'emplois fixes ou saisonniers. La concertation doit aboutir maintenant à un dispositif actualisé, cohérent et acceptable par tous. Tous doivent se rejoindre sur l'objectif final : garder aux manèges leur vocation de divertissement public dans les meilleures conditions possibles de sécurité, ce qui pourrait faciliter la reconnaissance officielle d'un art forain comme partie intégrante du patrimoine historique et culturel de la France, comme cela a été le cas pour l'art du cirque. J'espère que les petites améliorations que nous proposons seront acceptées, car il y a urgence. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur certains bancs du RDSE).
Mme Françoise Henneron. - Après l'accident du 4 août dernier à Saint-Germain-en-Laye, la ministre de l'intérieur, a réagi rapidement en signant une convention, le 17 août, avec les représentants des forains, les organismes de contrôle, l'Association des maires de France et les ministres de la consommation et des entreprises. Ce texte dresse la liste des différents matériels en place et les exigences de contrôle selon leur dangerosité. Un manège pour enfants devra être contrôlé tous les trois ans, tandis que les manèges à sensations fortes devront l'être au moins chaque année. Aussi surprenant que cela paraisse, les manèges et attractions ne sont soumis, en France, à aucun texte spécifique, ce qui tient, pour partie, à des raisons historiques qui ont fait de la fête foraine un espace de liberté. La réglementation en vigueur date de 1983 et, près de vingt-cinq ans après, il fallait prendre de strictes dispositions de sécurité pour de nouveaux manèges qui sont sans comparaison avec ceux de 1983. La sécurité des manèges et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction relevant encore simplement de l'obligation générale de sécurité inscrite dans le code de la consommation, une réglementation spécifique est aujourd'hui la bienvenue.
On peut aussi s'interroger sur l'extrême sophistication technique de ces attractions, qui n'a pour but que de répondre à une demande croissante de sensations fortes. Il ne faut peut-être pas aller trop loin. Les manèges des fêtes foraines et des parcs d'attraction attirent entre quatre-vingt-dix et cent millions de personnes par an. Ils vont de plus en plus haut, de plus en plus vite, avec des accélérations parfois considérables et sans doute faudrait-il examiner de plus près leurs conséquences sur la santé des utilisateurs. Certains nouveaux manèges sont beaucoup trop violents pour un grand nombre de personnes, qui l'ignorent sans doute avant d'y monter et qui consultent fréquemment pour des troubles différés, sans qu'il y ait eu nécessairement accident. Elles se plaignent de maux de tête, de bourdonnements d'oreille, de douleurs cervicales ou dorsales, de vertiges ou de nausées. Les manèges multidirectionnels à brusques accélérations positives et négatives, entraînant une désorientation spatiale chez les usagers, seraient les plus néfastes. Il ne faut pas non plus négliger les accidents cardio-vasculaires. La CSC relève une plus forte proportion d'accidents chez les enfants que chez les adultes.
La plupart des accidents recensés relèvent d'un défaut de comportement ou de surveillance des utilisateurs et le système de retenue des passagers de certains manèges ne convient peut-être pas toujours aux usagers de petite taille. Certains manèges devraient être réservés aux plus de 16 ans par exemple et les consignes de sécurité devraient être bien expliquées avant l'embarquement.
Le groupe UMP se félicite de l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de loi et il en remercie Mme le ministre de l'intérieur. Le protocole du 17 août dernier est conforté aujourd'hui par ce texte, que nous approuvons sans réserve, et qui devrait être suivi d'un décret et de deux arrêtés. Je ne peux terminer mon propos sans rendre hommage au rapporteur et initiateur de ce texte. (Applaudissements à droite).
Mme Odette Terrade. - Suite à l'accident du 4 août 2007, cette proposition de loi a été présentée comme l'expression de la volonté du Gouvernement et du Président de la République d'assurer rapidement une meilleure sécurité des manèges et attractions foraines. Si la manière laisse à penser que la réaction a été rapide, nous considérons au contraire qu'elle a été étonnamment longue et que bien des accidents auraient pu être évités si la question de la sécurité des installations foraines n'était pas tombée dans l'oubli depuis plusieurs années. En 1995, suite à l'avis de la Commission de sécurité des consommateurs, la DGCCRF et la Direction de la défense et de la sécurité civile avaient rédigé un projet de décret sur la sécurité des matériels d'attraction. Or, en raison de l'opposition d'une partie des exploitants, le Gouvernement n'y avait pas donné suite, ce qui est d'autant plus regrettable que la voie réglementaire choisie à l'époque est la plus adaptée. A l'heure où nous est asséné l'objectif de simplification du droit, on peut s'étonner que la majorité propose de légiférer en ce domaine.
Nous sommes évidemment d'accord sur l'obsolescence du protocole de 1984, et nous saluons le travail des professionnels et des collectivités locales dans la rédaction de la nouvelle convention du 17 août. Celle-ci n'engageant que ses signataires, une réglementation nationale unique doit s'imposer à tous. Le règlement, comme en témoigne le contenu de la proposition de loi qui y renvoie pour la plupart des dispositions nouvelles, aurait été suffisant pour régler la question. Les manèges relèvent de l'obligation de sécurité prévue à l'article L221-1 du code de la consommation, article qui impose aux professionnels d'assurer la sécurité de leurs équipements. En cas d'accident ou de danger grave et immédiat, ce code prévoit la suspension de l'activité du manège par la DGCCRF ou des mises en garde pour demander la mise en conformité. De plus, les maires ou à défaut les préfets sont compétents pour imposer les mesures nécessaires au maintien de l'ordre public.
Le ministère de l'intérieur a élaboré plusieurs circulaires et la question peut sembler réglementaire mais, puisque le Parlement est saisi, nous attendons une information claire sur les décrets dont on nous a dit ce matin qu'ils étaient presque prêts. Leurs exigences ne sauraient être en-deçà de la convention et nous souhaitons des précisions sur la procédure d'agrément. (Marques d'approbations sur les bancs socialistes)
On peut s'interroger sur l'utilité de l'article premier qui reprend l'article 221-1 du code de la consommation. L'article 2 crée une obligation de contrôle technique par des organismes agréés. L'article 3 prévoit un décret en Conseil d'État. Quelles seront les exigences en matière de sécurité ? La Commission européenne a élaboré une norme dont les professionnels ont retardé la publication en France. L'amendement du groupe socialiste prévoyant la référence à la norme EN 13814 peut constituer un garde-fou si le texte ne constitue pas une normalisation par le bas en n'exigeant de contrôle que tous les cinq ans alors qu'il faudrait renforcer la sécurité. (M. Pastor en convient) La fréquence des contrôles est en effet essentielle ; la Commission de sécurité des consommateurs a suggéré un carnet de vie pour chaque attraction -il ne serait pas inutile d'effectuer un contrôle à chaque cession car celles-ci concernent 70 % du parc de matériel.
Les maires n'ont pas la compétence technique, ils ne peuvent, dit le rapport, procéder qu'à des contrôles documentaires. Quant à la DGCCRF, elle manque de personnel. Les contrôles sont donc confiés à des bureaux de vérification coûteux ou à d'anciens forains. Pourquoi ne pas renforcer la DGCCRF ?
Il convient enfin de réfléchir à la nature des accidents et de renforcer l'information du public. Il faut déterminer une réglementation nationale qui serait appliquée par du personnel qualifié.
Nous voterons ce texte mais serons attentifs à la nouvelle réglementation comme à la position du Gouvernement pendant le budget si nous proposons d'augmenter les moyens de la DGCCRF. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC)
La discussion générale est close.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - M. Pastor a justifié la nécessité d'une nouvelle législation en rappelant le nombre des accidents et en soulignant que le protocole existant est insuffisant. Je veux le rassurer sur l'harmonisation européenne : le décret fera référence à la norme communautaire. Vous avez souligné l'importance de la loi sur la sécurité des piscines. J'ai alerté Mme Boutin car nous devons encore l'améliorer.
Mme Henneron a excellemment présenté l'évolution technologique, qui propose toujours plus de sensations. Il convient de souligner que, si les consignes de sécurité sont élaborées par les fabricants de manèges, la DGCCRF les contrôle et je lui ai demandé d'être vigilante. En ce qui concerne l'information des consommateurs, j'ai pu vérifier qu'elle s'est déjà améliorée.
Mme Terrade a posé des questions importantes. A l'heure actuelle les contrôles périodiques s'effectuent chez les forains volontaires dans le cadre de la convention du 17 août dernier. Avec la proposition de loi, les organismes seront agréés en fonction de leur compétence par une commission où siègeront des organisations de consommateurs, des élus, des représentants de l'État et des personnalités qualifiées.
Vous m'interrogez enfin sur l'articulation entre la convention du 17 août et le futur dispositif : celui-ci se substituera à celle-là.
Discussion des articles
Article premier
Les manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction ou tout autre lieu d'installation ou d'exploitation, doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, être conçus, construits, installés, exploités et entretenus de façon à assurer la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Pastor et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
Les machines de levage ou portage de personnes doivent être conçues, construites ou équipées de façon que les accélérations et décélérations de l'habitacle ne créent pas de risques pour les personnes.
M. Jean-Marc Pastor. - Des accidents atypiques surviennent sur les attractions extrêmes, les loopings, les chutes de 150 mètres avec des accélérations de 6 G. Des médecins se sont interrogés : faut-il interdire ces accélérations trop brutales, les États-Unis interdisant les manèges à 4 G ? Une récente étude souligne en effet les risques pour les personnes souffrant de troubles vasculaires ou neurologiques. Sans être docteur, je pense que le législateur doit être très vigilant sur les manèges multidirectionnels.
Mon amendement n'invente rien, qui reprend les termes de la directive européenne du 17 mai 2006 : il faut poser des limites à la recherche permanente du sensationnel.
Notre amendement vise spécialement les attractions de quatrième catégorie, qui sont les plus dangereuses.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Ce qui est vrai pour l'ensemble des manèges l'est évidemment pour ceux que vous visez. L'amendement, qui ne fait que rappeler une obligation générale de sécurité, me semble satisfait. Retrait ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Même avis, l'amendement n'apporte pas d'élément nouveau. Les phénomènes d'accélération et de décélération sont implicitement visés par l'article premier et ne méritent pas une mention particulière. Retrait sinon rejet.
M. Jean-Marc Pastor. - Je suis à demi convaincu. Une formule 1 ne se conduit pas comme n'importe quel véhicule. Les manèges de quatrième catégorie méritent d'être soumis à des obligations supplémentaires de sécurité. Lors de l'accident d'août dernier, des personnes sont restées sept heures à soixante-dix mètres de hauteur ; le département ne disposait d'aucune échelle pour les secourir.
M. Daniel Raoul. - Des accélérations de 6G ou plus ont des conséquences sur la santé ; il faut une réglementation spécifique. Notre amendement se justifie pleinement.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Pastor et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Tout nouveau manège, machine et installation pour fêtes foraines ou pour parcs d'attraction mis en service en France doit être conforme à la norme NF EN 13814 à compter de la publication de la présente loi.
M. Michel Teston. - C'est la vie de nos concitoyens qui est en jeu. Nous proposons d'aller plus loin que le rapporteur, qui n'entend faire de la norme NF EN 13814 qu'une simple référence technique. Comme nous admettons que la profession peut avoir du mal à s'adapter, nous ne visons que les matériels nouvellement installés ; nous aurons d'autres amendements pour les matériels existants.
J'ajoute que le décret du 26 janvier 1984 permet déjà au ministre en charge de l'industrie de rendre obligatoire par arrêté une norme française homologuée ou une norme étrangère reconnue équivalente. Mais le Gouvernement choisit la voie législative, comme il le fait souvent ces temps-ci pour répondre au moindre fait divers dramatique ...
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Tout cela est de nature règlementaire. Les auteurs de l'amendement auront satisfaction avec le décret d'application prévu à l'article 2. Retrait, sinon rejet.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Même avis. Ce décret fera référence à la norme visée par l'amendement. Et un décret est plus facile à modifier qu'une loi.
M. Michel Teston. - Devant cet engagement, dont le groupe socialiste a pris bonne note, je retire l'amendement.
L'amendement n°1 rectifié est retiré.
Article additionnel
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Pastor et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les mesures prises doivent avoir pour objectif de supprimer tout risque durant la durée d'existence prévisible du manège ou de la machine, y compris les phases de transport, de montage, de démontage, de mises hors service et de mise au rebut.
M. Michel Teston. - Nous rappelons l'objectif de sécurité mentionné dans la directive du 17 mai 2006 en l'adaptant aux spécificités des manèges qui sont démontés et remontés.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Cette rédaction est trop vague et moins exigeante que le texte, qui prescrit une obligation de sécurité. La prise en compte des spécificités des manèges forains est en outre du domaine règlementaire. Retrait, sinon rejet.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Même avis.
M. Michel Teston. - Je maintiens l'amendement, qui fait référence à la directive.
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
Article 2
Les manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction ou tout autre lieu d'installation ou d'exploitation sont soumis à un contrôle technique initial et périodique portant sur leur état de fonctionnement et sur leur aptitude à assurer la sécurité des personnes. Ce contrôle technique, effectué par des organismes agréés par l'Etat, est à la charge des exploitants.
M. le président. Amendement n°4, présenté par M. Pastor et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Compléter cet article par les mots :
qui tiendront à jour un carnet de vie du manège ou des machines conformément à un contenu défini par décret.
M. Daniel Raoul. - Je souhaite que M. le ministre donne son avis à propos des machines dont les usagers subissent des accélérations ou des décélérations supérieures à 6 G, ce qui peut être dangereux pour des personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires ou neurologiques. Ces cas sont avérés.
Les manèges relèvent du régime général de sécurité institué par le code de la consommation dont la DGCCRF doit assurer le respect. En l'absence de risques, les professionnels doivent être en mesure de démontrer par tous moyens qu'ils respectent l'article L. 221-1 du code de la consommation. Après un accident ou face à un danger grave et immédiat, les articles L. 221-6 et L. 224-5 du code de la consommation permettent de fermer les manèges, dont la mise en conformité peut en outre être exigée. Toutefois, par manque de compétence technique, la DGCCRF n'effectue aucune surveillance a priori ; ses interventions après un accident restent rares.
En cas de cession, on applique le protocole de 1984, qui est obsolète puisqu'il n'impose pas au propriétaire de tenir à jour un carnet de vie, pourtant indispensable pour apprécier la réalisation des travaux de sécurité. Je rappelle qu'il est particulièrement difficile à un organisme certificateur de contrôler deux fois le même manège au cours des inspections triennales, puisque ces équipements sont éminemment mobiles.
Il importe que les exploitants tiennent à jour un carnet relatant les incidents, sur le modèle du celui imposé aux communes pour chaque équipement municipal.
M. Pierre Hérisson, rapporteur - L'article 6 du projet de décret devrait prévoir un dossier technique pour chaque matériel, mais la commission a souhaité connaître l'avis du Gouvernement.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Cette disposition est légitime sur le fond, mais elle figure dans le projet de décret d'application, car elle est de nature réglementaire. J'en sollicite le retrait.
M. Daniel Raoul. - Je prends acte de cette avancée. Lorsque nous avons rédigé les amendements, nous ne connaissions pas les projets de décret. Bravo pour la préparation des textes d'application, mais j'attends toujours une réponse au sujet des accélérations dépassant 6 G.
L'amendement n°4 est retiré.
L'article 2 est adopté.
Article additionnel
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par M. Pastor et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Tout exploitant de manèges, machines et installation pour fêtes foraines ou parcs d'attraction est tenu de faire connaître au public, par voie d'affichage, le nom de l'organisme certificateur et la date de la dernière visite de contrôle de l'équipement.
M. Jean-Marc Pastor. - Il convient d'informer clairement les consommateurs, qui exigent la transparence, surtout lorsque l'enjeu est vital.
La norme NF 13 814 ne peut être purement et simplement généralisée, mais l'affichage permettra, pour un coût marginal, de faire connaître les contrôles effectués par l'exploitant.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Cette disposition améliorant l'information du public est pertinente. Avis favorable. (Exclamations à droite.)
M. Jean-Marc Pastor. - L'argumentation a convaincu !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Cette disposition ne figurait ni dans le texte initial ni dans le projet de décret, mais le Gouvernement est sensible aux arguments. Elle peut figurer dans la loi ou le décret. Sagesse.
Monsieur Daniel Raoul, les dispositifs induisant des accélérations ou des décélérations supérieures à 6 G ne font pas l'objet d'une réglementation spécifique, mais les professionnels informent les utilisateurs avec des pictogrammes ou des messages d'alerte.
L'amendement n°2 rectifié est adopté et devient article additionnel. L'article 3 est adopté.
Interventions sur l'ensemble
M. Jean-Marc Pastor. - Ce texte n'est pas dénué d'importance, puisque nous légiférons pour la première fois sur ce sujet. Chaque fois qu'il accueille un tel équipement sur sa commune, le maire engage sa responsabilité. Il est bon de clarifier la situation.
Lors de la discussion générale, je n'ai pas indiqué comment notre groupe allait voter. Parmi les cinq amendements que nous avons présentés, deux seront satisfaits par un décret, le Sénat vient d'en adopter un autre. Je n'avais jamais obtenu un tel résultat comme parlementaire de l'opposition ! La vie de la société française serait bien meilleure si cela se produisait plus souvent. À titre d'encouragement, nous voterons la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes, au centre et à droite.)
Les conclusions de la commission sont adoptées.
Finances locales
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi d'orientation sur les finances locales relative à la solidarité financière et la justice fiscale présentée par M. François Marc et les membres du groupe socialiste et plusieurs de leurs collègues.
Je rappelle que la Conférence des présidents du 6 décembre 2006 a décidé que, lorsque l'auteur d'une proposition de loi discutée dans le cadre du droit de tirage des groupes n'en était pas le rapporteur, il s'exprimait en premier, pendant quinze minutes.
Discussion générale
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. - Faut-il réformer les finances locales ? Oui : depuis au moins trente ans, la nécessité d'une réforme ambitieuse est régulièrement mise en avant au sein des associations d'élus et dans les multiples colloques consacrés à ce sujet. Pourtant, rien ne bouge vraiment. Réformer les « quatre vieilles », répartir autrement les dotations de l'État, accentuer la péréquation : les axes de la réforme souhaitée font l'objet d'un consensus d'intention. Que faut-il aujourd'hui pour les concrétiser ? Une vraie volonté politique ! Produire des rapports et prononcer des discours réclamant une réforme des finances locales est une chose, la concrétiser par un travail législatif en est une autre. Cette proposition de loi vise à transformer des discours vertueux en acte courageux.
Il y a urgence, car la situation financière des collectivités locales a subi depuis 2002 les effets déstabilisateurs de la décentralisation, avec, notamment, un transfert de la fiscalité d'État vers une fiscalité locale archaïque. Les transferts de charges non compensées ont fragilisé les finances des collectivités les plus exposés. En outre, la répartition des dotations de l'État est contestée ; la péréquation est insatisfaisante.
Les disparités énormes de potentiel fiscal entre les communes posent la question de l'égalité de nos concitoyens devant les services publics de proximité, comme l'école : dans une commune pauvre, la qualité des infrastructures et des prestations sera inévitablement plus modeste.
Il est urgent d'agir avec pragmatisme et réalisme. Certes, cette proposition de loi ne prépare pas le grand soir de la fiscalité locale : c'est une loi d'orientation qui ouvre la voie à une reconstruction de notre système, en cherchant à corriger des inégalités criantes et à promouvoir une meilleure péréquation. Elle se veut annonciatrice d'évolutions complémentaires et réponse aux préoccupations des élus.
L'Association des Maires de France (AMF), l'Association des Départements de France (ADF) et l'Association des Régions de France (ARF) sont unanimes sur l'urgence de réformer la fiscalité locale.
M. Michel Moreigne. - Très bien.
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. - Leurs priorités, exprimées dans un manifeste commun il y a un mois, sont claires : restaurer l'autonomie fiscale des collectivités ; opérer un transfert de ressources fiscales, par exemple au travers de la création d'une taxe additionnelle de type CSG affectée aux départements, et renforcer la péréquation.
Ces revendications légitimes interviennent dans un climat général d'insatisfaction des élus locaux.
M. Jean-Marc Pastor. - Oui !
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. - Les évolutions liées à l'acte II de la décentralisation ont nourri la méfiance et la colère des collectivités locales. Les charges locales ont explosé et la promesse d'une compensation à l'euro près a fait long feu. La taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB) n'a été qu'allégée, augmentant encore les dégrèvements et abattements divers. La réformette de la taxe professionnelle a eu des effets redoutables : au lieu de suivre les recommandations de la commission Fouquet, le Gouvernement s'est contenté de simples retouches cosmétiques, laissant ainsi le champ libre aux optimisations fiscales et dépouillant les collectivités locales de leur capacité de décision sur leur principale ressource fiscale. On évalue les pertes annuelles de recettes à 600 millions d'euros.
Il est inacceptable que l'État dispose ainsi des ressources des collectivités locales sans les consulter. M. Mercier confirmera certainement qu'un tel comportement ne peut que nourrir l'insatisfaction des élus locaux. (Marques d'approbation à gauche)
En 2005, le rapport Pébereau recommandait déjà à l'État de ne plus imposer unilatéralement aux collectivités de nouvelles ponctions de ressources. Tous les rapports entre 2000 et 2006 ont plaidé pour l'autonomie financière des collectivités et pour une meilleure péréquation : le rapport Mauroy, qui a déjà préconisé une CSG locale, le rapport Pébereau, le rapport Valletoux, qui a prôné la péréquation et avancé l'idée d'une CSG départementale, le rapport Richard, que M. Copé, alors ministre du budget, a qualifié de « fondateur ».
Le 18 octobre dernier, le président Poncelet lui-même a plaidé devant l'ADF en faveur d'« une refondation du financement des collectivités territoriales », citant la CSG comme moyen de financer les dépenses sociales des départements et demandant de nouveaux systèmes de péréquation. (Marques d'approbation à gauche) Selon M. Philippe Laurent, président de la commission des finances de l'AMF, « la crise des finances locales est désormais devant nous. Les équilibres budgétaires sont clairement menacés, à moins qu'une réforme profonde de la fiscalité locale ne vienne rendre une réelle liberté fiscale aux collectivités. » M. Mercier a proposé ici, en 2005, d'en « revenir aux vieilles recettes », en envisageant d'instaurer des centimes additionnels sur la CSG, affectés aux départements.
Le constat et les objectifs sont unanimement partagés. Le moment est venu d'entreprendre cette réforme sans plus attendre. C'est d'abord une question de légitimité républicaine. Le cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution dispose désormais que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. » Le principe de péréquation doit désormais faire l'objet d'un suivi spécifique, au même titre que le principe de l'autonomie qui a fait l'objet d'une loi d'orientation. C'est, en deuxième lieu, un besoin impératif de corriger les inégalités et de renforcer la justice fiscale. Nous savons qu'une réforme efficace et adaptée peut remédier aux écarts de ressources entre collectivités. C'est, enfin, une question d'opportunité politique. Les points de convergence sur le sujet l'emportent aujourd'hui sur les points de désaccord. Nous sommes au début d'une législature : c'est le temps de l'action. La conjoncture est aujourd'hui idéale pour lancer la réforme de notre fiscalité locale.
L'article premier de notre proposition de loi limite les écarts de ressources entre les collectivités. Selon le rapport de MM. Gilbert et Guengant, la différence de potentiel fiscal par habitant peut atteindre un rapport de 1 à 8 500 selon les communes ! Nous instaurons donc un filet de sécurité, à travers un mécanisme de seuil, garanti par la péréquation : pour les communes, le potentiel financier ne pourrait être inférieur à 80 % du potentiel financier moyen de la strate démographique, ce taux étant porté à 90 % pour les départements et à 95 % pour les régions.
L'article 2 pose les jalons d'un impôt local moderne, en s'inspirant de nos voisins européens : la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, l'Italie, le Royaume-Uni, la Suède disposent tous d'un impôt local sur le revenu, particulièrement bienvenu en termes de lisibilité et de justice fiscale. La création d'une contribution additionnelle à la CSG, affectée aux départements, est une piste pertinente, d'autant que les départements assument désormais des dépenses sociales et de solidarité et que l'assiette de la CSG est large. L'article 2 propose donc qu'un rapport étudie, d'ici à la rentrée parlementaire de 2008, les conditions d'une telle réforme et les modalités de mise en oeuvre d'un fonds de solidarité départemental chargé de la péréquation horizontale de cette nouvelle ressource.
Nous sommes à la croisée des chemins face à une fiscalité locale à bout de souffle...
M. Roland du Luart. - C'est vrai.
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. - ...et au désengagement de l'État, nous devons mettre fin au système financier archaïque et inégalitaire dans lequel se débattent les collectivités sans recourir davantage à des expédients. Il est urgent de garantir une fiscalité locale plus juste et adaptée à leur besoins. A l'heure où l'on parle de la revalorisation de l'initiative parlementaire, où le président du Sénat approuve nos propositions, je compte sur votre mobilisation pour que ce texte aboutisse, dans sa version originale, et que l'on passe enfin à l'acte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des finances. - Avec ce texte ressurgissent les aspects politiques des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Je note que M. Marc, lorsqu'il a énuméré les récentes difficultés dans ce domaine, n'a pas rappelé que l'allocation personnalisée d'autonomie a été la dépense imposée aux collectivités la moins bien financée par l'État. (Murmures à gauche) En témoignent les difficultés de la Creuse...
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous avez eu six ans pour régler ce problème !
M. Michel Mercier, rapporteur. - Chacun peut venir à la tribune battre sa coulpe. (« Ah ! » à gauche) Disons simplement que le point de vue varie selon que l'on est dans la majorité ou l'opposition.
La question des relations financières entre État et collectivités se pose depuis 1982. En effet, les collectivités, avec une fiscalité héritée du XIXe siècle, ont dû faire face à des dépenses des XXe et XXIe siècles, conséquences des lois de décentralisation successives. Par conséquent, on s'est beaucoup interrogé sur les recettes, sans examiner de plus près les dépenses. Or celles-ci sont souvent imposées par l'État aux collectivités territoriales, ce qui pose le problème du rôle du Parlement.
En matière de finances locales, on pourrait résumer la situation ainsi : grandes difficultés, grandes disparités entre moyens de financement et actions à financer, fortes inégalités entre collectivités. Ce texte tente de remédier à cette situation en proposant de renforcer, à l'article premier, la péréquation. Péréquation ! Ce mot magique aurait le pouvoir de résoudre tous nos problèmes en matière de finances locales. Il s'agit de mieux répartir les dotations de l'État entre collectivités. Par parenthèse, je souligne que l'État est devenu le premier contribuable local,...
M. François Marc. - Exact !
M. Michel Mercier, rapporteur. - ...ce qui est révélateur d'un profond malaise. Nous avons déjà introduit beaucoup de péréquation en matière de finances locales, la contribution la plus efficace en la matière est la dotation forfaitaire de la DGF. En réalité, l'écart de potentiel fiscal entre collectivités diffère selon le niveau de collectivité : il est de 1 à 1,5 pour les régions, de 1 à 4 pour les départements et de 1 à l'infini pour les communes. La proposition de M. Marc, extrêmement audacieuse, est de fixer un seuil de potentiel financier pour chaque type de collectivités. Outre qu'elle suppose de redéfinir le potentiel financier, elle a un coût très élevé : 920 millions, dont 780 à la charge des seules communes. De plus, ce renforcement de la péréquation se ferait vraisemblablement à enveloppe fermée.
Voix à gauche. - La péréquation, ce n'est pas autre chose !
M. Michel Mercier, rapporteur. - Nous ne pouvons pas légiférer à la légère quand de telles sommes sont en jeu. D'autant que les collectivités vont subir les conséquences de la réforme de l'indexation des dotations de l'État.
A défaut d'accepter la proposition de M. Marc, la commission des finances suggère de faire un geste en faveur des communes, qui connaissent les inégalités les plus fortes, en réduisant la fourchette maximale d'évolution de garantie de la DGF à 15 %, et non plus de 25 %. Cette modification paraît timide -elle coûterait 10 millions, contre 720-, mais en l'absence de simulations précises, il faut prudence garder. Quant à la Creuse, la situation financière de ce département ne pourra être réglée que par des mesures spécifiques. (M. Michel Moreigne s'exclame)
A l'article 2, M. Marc propose d'étudier la possibilité d'affecter une part de CSG aux collectivités pour financer les dépenses sociales qui leur ont été confiées par les lois de décentralisation telles que le RMI, les allocations pour les personnes âgées, pour les personnes handicapées, etc. Cela semble juste, car le niveau de ces prestations sociales est fixé par l'État chaque 1er janvier. Cette proposition, qui reprend des travaux plus anciens, semble acceptable à la commission sous réserve de quelques modifications formelles.
Nous partageons l'objectif de M. Marc de renforcer la péréquation. Mais le coût du dispositif envisagé est trop élevé et n'a pu faire l'objet d'une simulation exacte ni par M. Marc, ni par la commission et ni par le Gouvernement -ce qui montre l'importance pour le Parlement d'avoir la capacité d'établir ses propres simulations.
Bref, la commission des finances accepte l'article 2 et refuse l'article premier, qui pourrait être modifié par une disposition de moindre ampleur si l'État nous fournit les précisions nécessaires. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. - Nous voici réunis pour examiner une proposition de loi concise mais qui pose des questions très importantes. Je vous dis d'emblée que le Gouvernement n'est pas favorable à son adoption, parce que les conditions d'un examen approfondi des questions soulevées ne sont pas réunies.
À l'article premier, votre commission souhaite modifier la fourchette maximale d'évolution de la dotation dite « de garantie », au sein de la dotation forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Jusqu'à présent, cette part peut évoluer, par choix du comité des finances locales, selon un taux compris entre 0 % et 25 % du taux de croissance annuelle de la DGF. Vous proposez de réduire la marge de manoeuvre du comité des finances locales et de ramener cette fourchette entre 0 % et 15 %. Je partage l'objectif : dégager des marges de manoeuvre supplémentaires au profit des dotations de péréquation.
Compte tenu du taux de la DGF en 2008 qui sera de 2,08 %, votre proposition aurait pour effet de déplacer l'année prochaine moins de 10 millions au sein d'une DGF des communes et des intercommunalités qui pèse plus de 22 milliards. C'est un effort intéressant mais il me parait préférable de ne pas modifier la répartition de la DGF par touches successives : la DGF doit être considérée dans son ensemble, avec en perspective les futurs enjeux.
En 2009, la DGF devra absorber l'impact des augmentations de population liées à la prise en compte des résultats du recensement rénové de la population. Une réflexion est engagée sur ce sujet depuis février 2007 au sein de l'administration, comme au sein du comité des finances locales, lequel a réuni un groupe de travail chargé de cette question. C'est dans ce cadre qu'il nous faudra réfléchir ensemble. Si cela apparaît nécessaire, ces réflexions déboucheront en 2008 sur une adaptation à la procédure de recensement rénovée des modalités de répartition de plusieurs dotations.
Du reste, la réflexion ne se limitera certainement pas au complément de garantie : le recensement rendra nécessaire une réforme plus globale, qui sera présentée dans le projet de loi de finances pour 2009. L'objectif de visibilité auquel aspirent les élus locaux comme les citoyens suppose de ne pas légiférer pour une année seulement, sur un seul aspect des enjeux qui attendent la DGF.
Le Gouvernement a rappelé à plusieurs reprises sa volonté de préparer toutes les réformes les concernant en concertation avec les collectivités territoriales. Or votre proposition de loi n'a pas été soumise au comité des finances locales, qui n'a pu donner son avis sur d'éventuelles simulations. De plus, le Premier ministre a pris l'engagement devant les trois principales associations d'élus locaux de les associer dans le cadre de la Conférence nationale des exécutifs. Cet engagement sera tenu. Enfin, le Premier Ministre a confié au sénateur Alain Lambert une mission de réflexion générale sur la réforme des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Il s'agit d'inscrire ces relations dans une vision pluriannuelle pour offrir aux collectivités territoriales un cadre clair et connu à l'avance. C'est à l'issue de ces travaux, qui doivent être présentés d'ici fin novembre au conseil de la modernisation présidé par le Président de la République et par le Premier ministre, que devront être discutées les réformes de la DGF.
Avec l'article 2, vous souhaitez que le Gouvernement dépose, avant septembre 2008, un rapport étudiant les modalités d'une substitution d'une taxe additionnelle à la CSG à la part départementale de la taxe d'habitation. Vous souhaitez en outre que soit explorée la piste consistant à moduler le taux de cette nouvelle taxe additionnelle à la CSG, et que soient simulées les conséquences financières pour l'État, les départements et les contribuables, d'une telle réforme, dont les effets pourraient être étalés dans le temps.
Sur le fond, je ne nie pas l'intérêt de la piste que vous évoquez, même si certains éléments me conduisent à la plus grande circonspection, à commencer par ses effets sur les revenus des ménages : la CSG est un impôt proportionnel alors que la taxe d'habitation est progressive puisqu'elle dépend de la valeur locative de l'habitation et qu'elle est plafonnée à 3,44 % du revenu fiscal de référence du contribuable.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est un impôt sur le revenu...
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Il faudra expliquer les inévitables transferts de charge fiscale entre contribuables ! Comment mettre en oeuvre les mécanismes de lissage que vous appelez de vos voeux, pour des impositions aussi délicates que la taxe d'habitation, gérée par l'administration fiscale, et la CSG, gérée par les administrations sociales ?
Comment limiter le pouvoir de taux des collectivités ? L'un des maux dont souffre la fiscalité locale c'est la superposition sur une même assiette fiscale de plusieurs autorités politiques ayant le pouvoir de voter un taux, si bien que personne ne sait qui est responsable d'une augmentation du taux global. Vous mettez certes fin à la superposition commune-département sur l'assiette de la taxe d'habitation, mais vous en recréez une -et de taille !- sur l'assiette de la contribution sociale généralisée, qui a pour vocation de financer les dépenses de protection sociale. Je comprends votre logique, qui témoigne de l'importance des départements dans l'action sociale, mais comment réagiront nos concitoyens lorsqu'on leur dira que, pour un même salaire brut, leur salaire net est différent d'un département à un autre ?
Les départements pourraient ne pas pouvoir moduler le taux. Cela serait conforme au principe constitutionnel d'autonomie financière, mais cela ne serait-il pas perçu comme un recul pour les collectivités départementales ?
Bref, cette proposition vient un peu trop tôt. Le Gouvernement a ouvert le chantier de la réforme de la fiscalité locale, ce sera l'un des points de la revue générale des prélèvements obligatoires, menée par Christine Lagarde en liaison étroite avec Michèle Alliot-Marie et Éric Woerth. Les propositions du Gouvernement seront soumises à la consultation au cours du premier semestre 2008 et la Conférence nationale des exécutifs, installée par le Premier ministre, sera le lieu de concertation politique naturel de ces propositions. Trois sujets prioritaires ont été identifiés par le Gouvernement : la taxe professionnelle, la révision des valeurs locatives foncières et la spécialisation de la fiscalité locale avec trois impératifs : limiter le nombre de collectivités qui prélèvent de l'impôt sur une même assiette ; diversifier les ressources fiscales des collectivités ; limiter les transferts de charges entre contribuables. Laissons-nous le temps de l'expertise et de la concertation.
Je reconnais donc les mérites de votre proposition de loi mais je crois que nous devons avoir ce débat, début 2008, et qu'iI faut l'intégrer dans une réflexion d'ensemble. C'est pour ces raisons que le Gouvernement n'est pas favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Fourcade. - Cette proposition de loi a au moins le mérite de provoquer un débat, ce qui est une bonne chose pour le Parlement de la République. Le Sénat a toujours la volonté de remplir pleinement sa mission de représentant des collectivités locales : il est à l'origine de réformes majeures pour la décentralisation, pour l'autonomie des collectivités locales.
L'UMP a porté une attention particulière à cette proposition de loi dont l'article premier n'est pas équilibré : il a un côté flou et aventureux.
Il y a moins à dire sur l'article 2, puisqu'une taxe additionnelle à la CSG a souvent été envisagée.
Limiter les écarts de ressources : vieux débat, dans lequel nous ne disposons cependant pas de tous les instruments de mesure... Aujourd'hui, la DGF est fonction de la population locale. Mais l'Insee n'est pas capable de nous indiquer précisément quelle est le nombre exact d'habitants ! L'estimation reste fondée sur le recensement de 1999 ; la DGF demeure donc identique pour telle collectivité qui perd beaucoup d'habitants -comme elle demeure inchangée pour telle autre qui en gagne. Les écarts de ressources réels ne pourront être mesurés qu'en 2009 ; et encore l'Insee travaillera-t-il à partir des recensements partiels de 2006, 2007 et 2008. Aucun mécanisme de resserrement des écarts en fonction de la population ne sera exact.
J'ai apprécié le rapport de M. Mercier, très précis sur la péréquation ; il a bien évoqué la réforme de la DGF, qui avait été engagée sur proposition du comité des finances locales que j'ai présidé durant de longues années. M. Marc, en revanche, a omis de citer les grands mécanismes de péréquation qui existent déjà ; je conçois qu'il veuille les renforcer, mais nous n'avons pas les instruments de mesure fiables dont nous aurions besoin. Un astucieux amendement de la commission des finances permettrait de jouer sur une réduction du pouvoir du comité des finances locales concernant la fixation du complément de garantie. C'est un premier pas, ce n'est pas la grande réforme attendue...
Les flux et l'efficacité des dotations de péréquation ont été renforcés dans le passé récent : DSU, dotation de solidarité des départements, dotation de service minimum... (« Expliquez-le aux maires ! » sur les bancs socialistes) Mais je note que les départements et les régions, chaque fois qu'il s'est agi d'ajuster la péréquation, ont toujours bloqué au maximum ! Il est bien difficile de toucher aux équilibres entre les différentes collectivités.
La méthode de M. Marc est un peu brutale : elle peut être aisément appliquée à un certain niveau d'agrégation, entre les 22 Länder par exemple ; elle le serait plus difficilement entre 36.000 communes, 2.000 EPCI, sans oublier les départements et les régions. Comment, en outre, avoir une idée des conséquences pratiques ?
Laissons jouer la réflexion engagée ces derniers mois dans plusieurs instances. Le comité des finances locales a créé le 6 février un groupe de travail pour évaluer l'impact de la procédure de recensement rénovée sur la répartition des dotations. Le Premier ministre a confié une mission à Alain Lambert sur les relations État-collectivités locales, dans le cadre de la révision des politiques publiques. Et M. Mercier a raison, qu'il faut se pencher non seulement sur les recettes mais aussi sur les dépenses. La commission consultative des transferts de charges devrait du reste être pérennisée -et saisie chaque fois que se produit un transfert occulte. Qu'il s'agisse de la gestion des objets perdus, des passeports, des cartes d'identité, ces charges imprévues dans les budgets locaux sont bien gênantes. Troisième lieu de réflexion, la conférence nationale des exécutifs, créée pour accueillir la concertation entre le Gouvernement et les collectivités. Tout cela devrait aboutir à une nouvelle architecture de la fiscalité locale, aujourd'hui obsolète.
J'ai eu la satisfaction de vous entendre dire, monsieur le ministre -mais tiendrez-vous votre promesse ?- que vous envisagiez de mettre en oeuvre la révision des valeurs locatives. (Rires) Les bénéficiaires se tairont, ceux qui seront désavantagés crieront très fort. Ne serait-il pas sage de suivre une proposition de M. Mauroy : donner aux collectivités la faculté de rapprocher les nouvelles bases des valeurs vénales ? C'est cela, l'autonomie des collectivités !
Notre commerce extérieur est en grave déficit, les entreprises se délocalisent, est-il vraiment judicieux d'aggraver le poids de la fiscalité ? Appliquer une taxe additionnelle à la CSG exigerait à mon sens de minorer ailleurs les prélèvements, car on ne peut encore demander au contribuable de payer plus.
Le groupe UMP est favorable à la réflexion menée pour renforcer la péréquation et réformer la fiscalité locale. Nous avons remarqué les efforts de M. Mercier pour rendre le contenu de la proposition de loi plus acceptable et son texte a considérablement atténué la portée de l'article premier. Nos réserves sur le principe comme sur la méthode demeurent pourtant. Le groupe ne prendra pas part au vote d'un texte trop flou et qui ne fait pas progresser la réforme fiscale. Attendons les résultats des réflexions en cours ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Marie-France Beaufils. - La péréquation des ressources entre collectivités territoriales imprègne les débats sur les finances locales depuis trente ans au moins, quand a été mise en place la DGF. D'autant qu'au fil des ans, l'État se défausse de nombreuses obligations sur les collectivités territoriales : politiques de formation professionnelle, du logement, infrastructures routières, politiques sociales, notamment en direction des plus vulnérables et des personnes âgées ou dépendantes et des handicapés. Il n'est pas aujourd'hui un ministre qui ne propose une nouvelle action sans considérer les collectivités territoriales comme des « partenaires privilégiés », autrement dit des payeurs quasi exclusifs... Or toutes les collectivités concernées ne disposent pas des mêmes ressources et certains écarts se sont accrus. L'exposé des motifs souligne fort justement que « l'action de l'État ne parvient pas à réduire la fracture territoriale » et que « les impôts locaux, reposant sur des bases archaïques, sont sources d'injustices, aussi bien pour les contribuables que pour les collectivités ». Il est vrai également que « les correctifs ont conduit à plafonner plutôt qu'à réformer » les prélèvements fiscaux. Je ne peux en revanche partager l'idée que les marges de manoeuvre budgétaires de l'État sont plus que jamais limitées : les gouvernements qui viennent de se succéder ont multiplié les initiatives pour réduire les recettes fiscales.
La dernière en date est la loi TEPA, avec son bouclier fiscal ramené à 50 %, alors qu'il venait juste d'être instauré à 60 % par la loi de finances 2007. Toutes ces mesures n'ont pour objet que de répondre aux attentes d'une infime minorité de contribuables ou aux exigences d'optimisation fiscale des grands groupes, alors que la vraie question est celle de l'opportunité de confier aux collectivités territoriales la responsabilité de répondre à tout besoin social. L'autonomie des personnes âgées en est un parfait exemple : on a refusé de traiter leur situation sous l'angle de la dégradation de leur santé pour ne la considérer que comme un problème social. On constate, de surcroît, de profondes inégalités géographiques et nombre de départements ruraux comptent une proportion particulièrement élevée de plus de 60 ans et même de plus de 75 ans. En 1999, la Creuse comptait plus de 14 % de plus de 75 ans, contre 4,5 % dans le Val d'Oise qui supporte d'autres charges. La Creuse ne peut faire face aux obligations de l'APA, ce qui l'oblige à exiger davantage de l'imposition locale. Le mode de financement de l'action en faveur des personnes âgées est profondément inadapté, malgré les outils de péréquation, bien imparfaits, qui ont été mis en place.
En fait, avec le deuxième volet de la décentralisation, en faisant le choix de la responsabilité locale, on a fait le choix de décharger l'État de ses obligations alors même qu'une bonne part des compétences d'action sociale transférées aux départements relève de la Sécurité sociale collective, universelle et égalitaire. C'est bien pourquoi, depuis de longues années, le groupe CRC propose un cinquième risque de la Sécurité sociale. La proposition de verser une part de CSG aux collectivités territoriales semble reconnaître cette réalité mais, en même temps, on refuse d'aller au bout de la démarche. C'est la réduction des indemnisations Assedic qui est responsable de l'augmentation du nombre d'allocataires du RMI.
Toute évolution des mécanismes de finances locales doit poser clairement la question des contours et du contenu des responsabilités assumées par les collectivités territoriales. Nous continuons de penser que le transfert aux collectivités territoriales des routes, des bâtiments scolaires, d'une grande partie de l'action sociale, de la formation permanente et de l'apprentissage, d'une bonne part des charges d'infrastructure publique ne constitue pas la réponse la plus pertinente aux besoins collectifs. L'État enregistre depuis 2004 une compression de son déficit, l'essentiel des charges d'investissement public étant désormais assumé par les collectivités locales : un des effets de la décentralisation pratiquée durant la précédente législature est d'avoir porté sous la barre des 5 % la part du budget de l'État consacrée aux dépenses d'investissement !
Le présent texte traite un aspect relativement restreint du financement des collectivités, ce qui peut se comprendre compte tenu du peu de temps accordé au débat de nos propositions de loi. Mais concevoir la péréquation à enveloppe constante et dans le cadre d'une progression plus que limitée des concours budgétaires de l'État aux collectivités locales revient à battre en brèche les principes d'autonomie de ces collectivités. Et la péréquation horizontale qui nous est présentée revient à partager la misère. Une véritable péréquation suppose de nouveaux outils et de nouvelles recettes fiscales, elle commence par mettre en cause les actuels allégements de la fiscalité des entreprises. Elle pourrait aussi passer par une cotisation minimale de taxe professionnelle qui risque de rapporter cette année 2,5 milliards à l'État, soit deux fois et demie la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et plus que la DGF des groupements ! Notre proposition de taxer les actifs financiers des entreprises, inscrite dans une proposition de loi déposée en mars 2005, permettrait de financer une véritable péréquation au profit de l'initiative locale et de l'activité économique : l'industrie paie aujourd'hui 69 % de la taxe professionnelle alors qu'elle ne participe que pour 32 % à la valeur ajoutée ; à l'inverse, les activités financières produisent 35 % de la valeur ajoutée et s'acquittent de 2,5 % de la taxe professionnelle !
Quand la commission des finances laisse supposer que la péréquation serait améliorée par une évolution garantie de DGF selon un taux égal au plus à 15 % de la progression de la dotation, elle ne tient pas compte des conséquences des mesures déjà mises en oeuvre. Celles de la loi de finances 2007 se sont traduites, pour 3 000 communes, par un gel de leur garantie qui n'a représenté qu'un volume de 13 millions d'euros. N'oublions pas non plus les dispositions gouvernementales contenues dans la loi de finances pour 2008 : pacte de stabilité imposé à toute force, nouvelle atteinte à la DCTP et minorations de plusieurs compensations relatives à la taxe professionnelle ou au foncier non bâti. (Applaudissements à gauche)
M. Aymeri de Montesquiou. - La consolidation de la décentralisation menée par Jean-Pierre Raffarin a placé les budgets des collectivités locales au coeur de profondes réformes. Avec la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, le législateur a affirmé à deux reprises les principes constitutionnels de libre administration et d'autonomie financière des collectivités locales. Leurs finances ont ainsi subi de multiples allégements fiscaux. En 2005 et 2006 ont été votés l'exonération de 20 % des bases de la taxe foncière sur les propriétés non bâties et le plafonnement à 3,5 % du calcul de la cotisation de taxe professionnelle des entreprises.
Ces réformes ont paradoxalement renforcé le poids de l'État. La part des compensations et dégrèvements est passée de 22 % au milieu des années 90 à près de 34,6 % en 2003. L'intégration de ces compensations dans la DGF a fait artificiellement chuter ce ratio à 26,9 % en 2006. Le Conseil constitutionnel a rappelé à de nombreuses reprises que l'autonomie financière est l'indispensable corollaire de la libre administration des collectivités locales, mais le ratio d'autonomie financière pour 2005 a encore reculé pour les communes. Élu d'un département rural, je me fais, monsieur le ministre, l'écho de l'inquiétude des élus des communes rurales face à la dégradation constante de leurs ressources. La modification de la dotation Élu local, en 2005, a majoré artificiellement la richesse de nombreuses communes et privé une majorité d'entre elles d'un mécanisme financier vital en zone rurale.
La plupart des transferts de compétence intervenus depuis 2003 ont concerné les départements, les régions et les EPCI. Les dernières lois de finances en ont tiré les conséquences en octroyant à ces catégories de collectivités des compensations plus favorables. Mais les communes rurales ont été superbement ignorées. Ainsi, la dotation de solidarité urbaine s'appuie sur des critères objectifs de solidarité au profit des communes à faible potentiel fiscal, mais les règles de calcul de la fraction bourg-centres de la dotation de solidarité rurale aggravent encore les disparités d'un monde rural déjà économiquement fragile.
Toujours aussi frappante est la différence de traitement entre les multiples catégories d'EPCI, sans que le seul degré d'intégration de l'établissement public justifie les écarts de niveaux de dotations. En 2006, la DGF par habitant des communautés de communes à TPU simple atteint 21,95 euros, contre 42,38 euros pour les communautés d'agglomération et même 83,60 euros pour les communautés urbaines. Monsieur le ministre, vous devez mettre fin à une situation aussi inéquitable. Parallèlement, près de 35.000 communes bénéficient du revenu de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, principale ressource fiscale des 21.000 communes de moins de 500 habitants, et pour 2.200 d'entre elles, en représentent plus de 50 %. Malheureusement, la réforme votée en 2006 prévoit d'indexer la compensation versée par l'État sur l'année 2005, ce qui réduit mécaniquement les ressources des communes rurales. Pour maintenir un niveau de ressources constant, elles seront obligées d'augmenter les autres taxes, malgré un potentiel fiscal très faible. N'est-ce pas en contradiction flagrante avec l'autonomie de décision des collectivités territoriales ? Une solution consisterait à prévoir un ratio de réévaluation annuelle de la compensation de l'État, du moins avant que la législation fiscale ne change à nouveau...
A l'heure de la grande compétition internationale, la taxe professionnelle constitue un double handicap. Handicap pour les communes qui, ayant sagement fait preuve de modération fiscale, pâtissent du plafonnement de la valeur ajoutée à 3,5 %. L'instauration d'un plafond de participation pénalise les petites communes, qui ne peuvent désormais plus moduler librement leur taux sans perdre des recettes fiscales.
Elles ne peuvent pas moduler librement leurs taux et certaines préfèrent attirer des entreprises qui ne créent pas d'emplois. Ce dispositif franco-français déroute les entreprises étrangères. Une concurrence fiscale malsaine s'installe entre les communes au détriment des plus rurales. Pourquoi ne pas retenir des bases dynamiques et ne pas faire progresser les dotations ? Les petites communes sont dépendantes de l'Etat : pourquoi brader l'autonomie fiscale ?
La proposition de loi de M. Marc pose un vrai problème. Selon un rapport de 2004, les inégalités se creusent entre communes, les mieux dotées ayant un pouvoir d'achat plus de huit mille fois supérieur à celui des plus pauvres. Les 10 % de communes les plus riches bénéficient de 28,7 % du pouvoir d'achat mais les 10 % les plus pauvres n'en ont que 1,3 %. Seule une péréquation peut réduire les inégalités mais les dotations accroissent les inégalités de plus du quart des communes.
Il n'est pas possible de réformer les péréquations sans une réflexion très approfondie et associant l'ensemble des collectivités locales. Si le Sénat, grand conseil des communes de France, a vocation à mener ce débat transpartisan, la majorité du RDSE juge qu'il est trop tôt pour légiférer. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Michel Moreigne. - C'est bien dommage !
M. Claude Biwer. - Je suis très heureux de cette occasion d'aborder ces questions en dehors du débat budgétaire. Si la péréquation est devenue un principe constitutionnel, elle tarde à se concrétiser. L'Etat dispose d'un outil puissant avec la DGF qui mobilise 39 milliards en 2007, mais cet outil n'a pas été suffisamment utilisé.
La DGF a succédé au VRTS dont elle prolonge les inégalités : la taxe sur les salaires était abondante là où se situaient les entreprises. Lors de l'établissement de la DGF, l'Association des maires de grandes villes a réussi à persuader les députés qu'il fallait différencier les dotations selon la population, créer une dotation ville-centre et, raffinement suprême, garantir une progression minimale destinée à figer les avantages acquis mais indus dont profitent Paris et des communes de sa banlieue.
Les choses se sont à peine améliorées depuis vingt-cinq ans. Les dotations de base varient toujours selon la population. La dotation ville-centre a été intégrée à la masse de la DGF. La création de la DSU et de la DSR a marqué un progrès, mais pas autant qu'espéré.
Comment donner un nouveau souffle à la péréquation ? Il faut mettre fin à la variation de la dotation de base en fonction de la population car les charges de centralité sont supportées par les agglomérations ou communautés. Il convient de doubler les crédits de la DSR, qui progresse moins vite que la DSU. Il importe aussi de remettre un peu d'ordre dans les dotations d'intercommunalité : les communautés urbaines ont quatre fois plus que les communautés de communes, ce qui est excessif et injuste. Une proposition de loi nous permettrait d'en débattre sereinement. Avec des communautés aux compétences très élargies, les charges de centralité sont allégées. Sans remettre en cause la DGF, on peut revaloriser la DSR, moins bien traitée que la DSU. De nombreuses communes rurales meusiennes ont un très faible budget, deux fois moindre que la moyenne départementale. Trop faibles, les dotations des communes rurales ne permettent pas d'acquitter les indemnités des maires et des adjoints, qui y renoncent en tout ou partie.
Une double péréquation ? Cela reviendrait à instaurer une péréquation entre communes riches et une entre communes pauvres. Serait-il anormal de baisser la dotation de Paris pour augmenter celles des petites communes ? Ne créons surtout pas une communauté urbaine de Paris car cela coûterait des centaines de millions...
Mme Nicole Bricq. - Il faut le dire au Président de la République.
M. Claude Biwer. - Il faudrait revoir les critères de la dotation nationale de péréquation sans tenir compte de la population.
La proposition de loi suggère de remplacer la part départementale de la taxe d'habitation par une taxe additionnelle à la CSG. Il y a quelques années, nos collègues socialistes proposaient une taxe départementale sur le revenu. Ni l'une ni l'autre ne nous agréent. Nous regrettons que par manque de courage politique on n'ait pas mené à terme la révision des bases dans les années 1990, si bien qu'on conserve les bases de 1971 pour les propriétés bâties et celles de 1961 pour le foncier non bâti.
La fiscalité locale s'est réduite comme peau de chagrin. Je souhaite avec le président Poncelet que les collectivités locales disposent d'impôts modernes, justes et dynamiques.
Une remise à plat s'impose, même si je reconnais que ce n'est pas chose aisée. Nous avons tous en mémoire les tentatives de réforme de la taxe professionnelle et la « quadrature du cercle » évoquée à raison par M. Marini. Reste qu'une plus grande péréquation des ressources entre les communes et les intercommunalités est indispensable et possible, la DGF étant le meilleur levier pour la mener à bien. C'est affaire de volonté et de courage, de remise en cause d'avantages parfois indus. Je compte sur le Gouvernement pour qu'il nous fasse des propositions afin que la solidarité, inscrite en lettres d'or dans la Constitution, ne demeure pas lettre morte. (Applaudissements à droite)
M. Gérard Miquel. - Quand M. Marc m'a fait part de son souhait de déposer sa proposition de loi, j'ai trouvé l'idée intéressante. Connaissant la qualité de mes collègues de la commission des finances, dont certains sont président de conseil général, je ne doutais pas qu'ils y souscriraient ...
M. Jean Arthuis, président de la commission. - C'était aller un peu vite en besogne !
M. Gérard Miquel. - Et quand j'ai su que M. Mercier allait rapporter le texte, je me suis dis, connaissant sa générosité naturelle, qu'il l'approuverait.
M. Jean-Pierre Sueur. - Voilà qui commence bien !
M. Gérard Miquel. - A la lecture du tableau comparatif des potentiels fiscaux et financiers des départements, j'ai constaté que le mien, le Lot, était dans la même zone que la Mayenne, monsieur le président de la commission, c'est-à-dire en bas.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Nous sommes des départements pauvres !
M. Gérard Miquel. - J'ai constaté aussi que le Rhône, monsieur le rapporteur, était autrement classé ...Potentiel fiscal du Rhône, 647 euros par habitant -du Lot, 322 ; écart à la moyenne pour le Rhône, + 15,31 % -pour le Lot, - 25,72 %. Potentiel financier du Rhône par habitant, 641,29 euros -du Lot, 474,58 ; écart à la moyenne pour le Rhône, + 14,17 % -pour le Lot, - 15,51 %. Voilà qui démontre la nécessité d'une réforme et la mise en place de mécanismes de péréquation efficaces.
Les dépenses sociales des départements ont progressé de 37 % entre 2002 et 2006 ; leurs investissements comptent pour un tiers de l'effort national ; ils entretiennent 6 750 collèges publics, 385 000 kilomètres de routes ; leurs services sociaux suivent sept millions de personnes. En trois ans et demi, leurs compétences ont fortement augmenté, avec pour conséquences immédiates un accroissement de leurs budgets de 50 % et l'arrivée de sept cents agents supplémentaires en moyenne par collectivité. Et on nous annonce déjà le transfert des parcs de l'Équipement. Quid de la généralisation annoncée du RSA en 2008 et de la fusion des minima sociaux ? Les 25 millions prévus pour financer le surcoût du RSA sont bien insuffisants et le transfert du RMI va entraîner, fin 2007, une surcharge financière évaluée à 2,3 milliards d'euros.
Beaucoup considèrent qu'une réforme des finances locales doit précéder tout nouveau transfert de compétences. Le président Poncelet estimait récemment qu'un renforcement de l'autonomie des collectivités locales était une absolue nécessité. Les départements n'ont pas vocation à devenir les sous-traitants de l'État. Un fort décalage structurel existe entre l'importance du mouvement de décentralisation institutionnelle et les carences de la décentralisation financière qui l'accompagne. Plus de responsabilités pour les conseils généraux, cela veut dire plus d'autonomie financière. Il convient donc de doter les collectivités territoriales d'impôts locaux modernes, justes et dynamiques, de veiller aussi à ne pas creuser les inégalités territoriales, en mettant en oeuvre de nouveaux mécanismes de péréquation. La modernisation des impôts locaux est une des conditions de la justice sociale ; leurs bases, archaïques, sont sources d'injustices, tant pour les contribuables que pour les collectivités, et les correctifs apportés jusqu'ici ont plus conduit à plafonner certains prélèvements qu'à engager une réforme structurelle.
Une récente étude a montré la forte progression des dépenses sociales des départements, 7 % en 2006, et les difficultés qu'ils éprouvent à maîtriser l'évolution de prestations dont ils ne décident ni du montant, ni des critères d'attribution. Dans le même temps, on sait que les compensations de l'État sont gelées à la date des transferts et que les dotations ne vont plus progresser qu'en fonction de l'inflation, avec l'abandon annoncé du contrat de croissance et de solidarité. Quant à la fiscalité locale, elle est obsolète et injuste ; la seule ressource dynamique, la taxe professionnelle, ne progresse pratiquement plus depuis sa récente réforme et le rythme d'augmentation des droits de mutation n'est plus ce qu'il a été.
M. Fourcade a souhaité une expérimentation : pourquoi ne pas la mener au niveau départemental ? Le ministre de l'intérieur a décidé d'affecter aux départements une part des recettes des radars installés sur les routes départementales ; c'est un début, mais il ne s'agit que de 10 % du total. Et il conviendrait de répartir la somme, non en fonction du nombre de radars mais de l'importance du réseau routier.
Comme l'a souligné l'ADF, il faut imposer à l'État de ne plus intervenir dans la fiscalité locale sous la forme de dégrèvements ; confirmer le financement de la protection de l'enfance et instaurer un financement national pour les allocations individuelles de solidarité, tout en en assurant la gestion au niveau départemental ; renforcer enfin la solidarité financière entre les territoires. Aucune réforme de la fiscalité locale ne peut aujourd'hui se concevoir sans un dispositif de péréquation horizontale, car les ressources fiscales sont par nature inégalement réparties sur le territoire.
Pour réduire ces inégalités, il serait bon de créer un fonds de solidarité départemental alimenté par deux dispositifs de péréquation, l'un vertical, l'autre horizontal.
La réforme profonde du financement des collectivités territoriales doit être engagée, répondant aux exigences de simplification et de lisibilité, accompagnée de mécanismes de solidarité. Elle est d'autant plus nécessaire que les départements, comme les autres collectivités, vont devoir faire face aux conséquences du bouclier fiscal, de la réforme de la taxe professionnelle et de la suppression du contrat de croissance et de solidarité. Les travaux du groupe de travail « finances locales et décentralisation » ont dégagé cinq axes de réforme, dont le renforcement les mécanismes de péréquation verticale et le développement de nouveaux outils de péréquation horizontale, et la création d'une CSG locale au profit des départements. Le Président du Sénat y est favorable.
La proposition de loi, en développant ces axes, se propose d'amorcer la réforme. J'invite mes collègues à la voter. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Alain Lambert. - Si je suis favorable à l'élargissement des possibilités qu'offre l'ordre du jour réservé, je ne suis pas certain que nous nous apprêtions ce soir à être des législateurs exemplaires. Je fais miennes les réserves exprimées par M. Fourcade, sur la méthode comme sur le fond.
Il y a d'abord quelque paradoxe à, d'un côté, regretter le manque de concertation avec les élus locaux dans l'élaboration de la norme qui les concerne, et de l'autre adopter une proposition de loi d'orientation sur les finances locales sans consulter - excusez du peu- ni le comité des finances locales, ni les associations d'élus locaux et sans tenir le moindre compte des travaux en cours !
Certes, la péréquation est un sujet important, mais ses implications sont multiples. Ainsi, modifier la notion de potentiel fiscal, sans simulation ni concertation, exposerait les collectivités territoriales à de considérables risques budgétaires et irait à l'encontre de la culture de dialogue indispensable à la législation responsable, efficace et stable que nous appelons de nos voeux.
En 2003 et 2004, le Comité des finances locales a réalisé un important travail en vue de modifier la répartition des dotations de l'État. En février 2007, un nouveau groupe de travail a été créé sur le recensement, associant des parlementaires de l'opposition et de la majorité. Ne serait-il pas plus raisonnable de laisser travailler le Comité des finances locales, dont nous connaissons l'esprit de dialogue constructif ?
De surcroît, le Premier ministre a installé le 4 octobre la Conférence nationale des exécutifs, afin d'associer les collectivités territoriales à l'élaboration des normes nationales. Cette conférence devrait suivre la législation européenne et préparer la réforme des finances locales que nous appelons tous de nos voeux. Celle-ci doit être envisagée dans le cadre la revue générale des prélèvements obligatoires conduite par Mme Lagarde, ministre de l'économie et des finances, en totale concertation avec les collectivités territoriales. Modestement, je passe mes journées à auditionner des représentants des collectivités territoriales dans ce cadre. Notre rapport sera remis le 15 novembre.
Le dialogue préalable avec les élus de terrain est la clé de toute réforme des finances locales. Je fais appel à notre fierté de sénateurs, qui pensons -d'ailleurs souvent à juste titre- faire preuve de sagesse. Nous écrivons la loi, sinon d'une main tremblante, du moins dans un esprit fidèle à l'enseignement de Portalis. Certes, quand M. Mercier enseigne le droit à la faculté, il ne peut présenter chaque loi comme un modèle de méthode, mais il importe que le Sénat ait au moins la sagesse et la cohérence d'associer les élus locaux à son travail de réforme.
M. Mercier a presque tout dit à propos de la cohérence financière. À l'article premier, M. Marc utilise la notion de potentiel financier. Or, elle sert aujourd'hui à évaluer la richesse des collectivités territoriales. La modifier de façon brutale aurait des conséquences importantes et imprévisibles. Le rapporteur nous en a donné un exemple : il serait incohérent d'inclure les dotations de péréquation dans le potentiel financier, puisque ce dernier sert précisément à répartir celles-là ! Ainsi, la cohérence financière est indissociable des relations entre l'État et les collectivités territoriales, qu'il s'agisse des dépenses ou des recettes.
M. Fourcade a rappelé que la péréquation avait progressé, même si elle restait insuffisante. Ainsi, la part de la dotation de péréquation au sein de la DGF est passée de 6,66 % en 1994 à 15,05 % en 2007. La masse totale des crédits a plus que doublé depuis 2002, passant de 2,8 milliards d'euros à 5,9 milliards. Certes, les concours de l'État restent insuffisamment péréquateurs, mais il serait dangereux de traiter ce sujet à part.
J'en viens à la cohérence économique.
Les collectivités ne vivent pas en vase clos. Or, si la création d'une part additionnelle de CSG est une piste intéressante, d'ailleurs envisagée sur tous les bancs de notre assemblée, il serait improvisé, pour ne pas dire dangereux, de l'étudier dans un rapport spécifique. La CSG ayant pour finalité de financer la sécurité sociale, la création de la part additionnelle proposée aurait des implications financières qui dépassent très largement les problématiques locales.
La réforme des finances locales doit être examinée dans un cadre vaste englobant tous les prélèvements obligatoires. Lorsqu'il a mis en place la Conférence nationale des exécutifs, le Premier ministre a souligné que la réforme fiscale ne devait pas accroître la pression fiscale, qu'elle devait garantir l'autonomie financière des collectivités territoriales tout en évitant les transferts abrupts d'imposition et qu'elle devrait à terme limiter la part de la fiscalité locale pesant sur l'État. Tel est le sens de la révision générale engagée.
Je voterai donc contre la proposition de loi dans la rédaction proposée. Les recommandations de la commission des finances tendent à limiter les dégâts, mais si nous votons ce texte, nous n'aurons pas réalisé d'avancée législative majeure : nous aurons seulement évité le pire. À mes collègues socialistes, je dis qu'il n'est pas raisonnable de persévérer dans la rédaction initiale de leurs propositions. Si nous étions raisonnables, nous attendrions quelques semaines, ce qui nous éviterait l'aventure d'aujourd'hui, qui augure mal de l'ordre du jour réservé au Parlement : nous devrions donner l'exemple d'un travail législatif de qualité. Ce n'est pas ce que nous nous apprêtons à faire ce soir.
M. Michel Moreigne. - Il semble que le début de la péréquation remonte au versement représentatif de la taxe sur les salaires, institué en 1966. Par la suite, la création de la taxe professionnelle chère à M. Fourcade aboutit aux fonds départementaux et national de péréquation. Plus tard, se sont succédé les épisodes de la DGF, mais je rappelle à notre excellent rapporteur que c'est la loi du 29 décembre 1983 qui a créé une dotation minimale de fonctionnement en faveur des départements défavorisés. Vous n'étiez pas né, monsieur le rapporteur, (sourires) mais je tenais à ce rappel. Cette dotation minimale fait suite à l'engagement pris au Sénat par M. Defferre le 2 décembre 1982...
M. Michel Mercier, rapporteur. - Triste date pour la République !
M. Michel Moreigne. - ...à la suite d'amendements déposés par des parlementaires de l'Ariège, du territoire de Belfort, des Alpes-de-Haute-Provence et de la Creuse. Avec M. Dreyfus-Schmidt, je suis le dernier survivant parmi les signataires.
Je saute bien des épisodes pour arriver en 1990, quand le Président de la République a demandé, au cours d'un déplacement dans le Rhône, que des mécanismes retirent « à ceux qui ont beaucoup pour donner à ceux qui ont peu ». On ne saurait mieux définir la péréquation. Après les incidents de Bron, -chez vous, monsieur le rapporteur- le Fonds de solidarité de la région Île-de-France, la dotation de solidarité urbaine et la majoration de la dotation de fonctionnement minimale ont vu le jour en 1991, suivis en 1992 par le Fonds de correction des déséquilibres régionaux. J'arrête là l'historique, mais je voulais le rappeler à notre jeune rapporteur qui l'avait oublié.
M. le président. - M. Michel Mercier souhaiterait vous interrompre.
M. Michel Moreigne. - M. Mercier est un docte professeur : qu'il me laisse terminer !
Une péréquation volontaire s'est développée au sein des groupements à fiscalité propre issus de la loi d'orientation sur l'administration territoriale de 1992.
En 1995, l'article 68 de la loi d'aménagement et de développement du territoire a fixé un objectif : parvenir en 2010 à une situation dans laquelle les ressources locales par habitant se situeraient dans une fourchette de 80 % à 120 % de la moyenne nationale. Ce ratio reste cher au coeur des législateurs, puisque notre rapporteur s'y réfère pour trouver satisfaisante la situation de la région Limousin. Mais il oublie les conséquences que peut avoir un petit diviseur sur la valeur d'une fraction.
Sans revenir sur l'histoire récente, maintenant que je me suis un peu libéré, (sourires.) où en est-on ? Les sommes affectées à la péréquation restent insuffisantes ; la taxe professionnelle a subi le sort que l'on sait avec le plafonnement sans péréquation. Certains amendements présentés par le groupe socialiste à ce sujet ont succombé à l'hostilité de la majorité.
Ainsi, nous suggérions récemment de partager quelque peu la manne des droits de mutation à titre onéreux, dont quelques pourcentages péréqués auraient suffi à faire le bonheur de certaines collectivités. Nous avions également proposé une meilleure répartition des charges d'APA revenant à laisser à la charge de certains conseils généraux 21 % de leur potentiel fiscal, qui portait sur le fonds de financement de l'APA, dont 800 millions ne sont pas répartis : le président du conseil général du Rhône s'y était opposé avec une rigueur toute lyonnaise, oubliant que c'est M. Jean Puech, président de l'ADF, qui avait réclamé que les conseils généraux soient chargés de l'APA !
M. Alain Lambert. - Digne retour sur succession !
M. Michel Moreigne. - Je passe sur la dotation de fonctionnement minimale, qui oublie les départements les plus pauvres, et sur les conséquences d'une décentralisation toute particulière. La péréquation est loin d'être celle promise par le président de la République en 1990...
Je rends hommage à MM. François-Poncet et Bellot pour leur diagnostic et à M. Bourdin pour son rapport au nom de l'Observatoire des finances locales. La valeur médiane des droits de mutation par rapport aux dépenses réelles de fonctionnement est de 12,3 %, mais de 6,92 % seulement pour la Creuse, département que j'ai l'honneur de présider ; la contribution directe par habitant médiane est de 278 euros, mais de 217 seulement pour la Creuse -et pourtant le diviseur est petit ; la part médiane des dépenses d'équipement sur les dépenses totales est de 13,9 %, de 11,71 % dans la Creuse, l'épargne de gestion médiane de 148 euros, contre 135 chez nous ; l'épargne nette médiane de 92 euros, contre 72,02 -c'est à se demander comment on épargne encore dans la Creuse !
Les zones rurales aspirent à un aménagement du territoire équilibré, soucieux des particularités régionales et des écarts de richesse. La Creuse n'est pas les Hauts-de-Seine, comme l'ont récemment rappelé nos plus hautes autorités : je me réjouis de cette reconnaissance, mais les actes ne suivent pas. Les collectivités locales les plus aisées, comme le Rhône, améliorent encore leur santé financière en accroissant leurs bases fiscales et autres droits de mutation. Cela donne des idées : le pacte de croissance et de solidarité des dotations de l'État est écorné dans le budget 2008 ; on évoque aussi une remise en cause du FCTVA, ce qui pénaliserait l'investissement public local.
Depuis 2002, le département de la Creuse a dû augmenter ses impôts de plus de 50 % pour équilibrer son budget. La charge nette de l'APA est passée de quatre millions en 2004 à neuf millions en 2007 ; le déficit cumulé de la compétence RMI est aujourd'hui de cinq millions. La chambre régionale des comptes a constaté que ce département ne peut faire face à ces charges, sinon en augmentant chaque année la pression fiscale, dont le taux atteint les 10 %.
La limitation des exonérations de charges en zone de revitalisation rurale, prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale, coûtera environ 1,5 million, aggravant encore la situation. Bref, il manque à la Creuse environ 15 millions par an, soit un millième à peine de la dotation globale de fonctionnement de l'ensemble des départements. Le Président de la République s'est engagé à faire bouger les lignes : est-ce à ce point insurmontable de déplacer un millième d'une ligne budgétaire ? Quand on voit avec quelle facilité on a fait cadeau de quinze milliards à une minorité qui n'en demandait pas tant...
M. Jean-Pierre Sueur. - Elle a quand même accepté.
M. Michel Moreigne. - Il fallait proposer à nouveau des solutions péréquatrices pour les conseils généraux. Notre collègue rapporteur, élu de l'un des départements les plus nantis, dénature la proposition de loi. A ses yeux, il est urgent de continuer à ne rien faire, si ce n'est compatir -je l'en remercie- et continuer à pouvoir parler de péréquation. (Sourires) Ainsi faisaient ceux de Constantinople qui continuaient leur dispute sur le sexe des anges alors que leurs murailles s'effondraient ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Sueur. - Il faut toujours en revenir au célèbre choeur du Faust de Charles Gounod, dans lequel des soldats chantent « Marchons, marchons » -sans bouger d'un pouce. Nous ne cessons de dire qu'il est urgent d'avancer, or nous ne cessons de rester sur place. Heureusement, des élus courageux comme M. François Marc nous invitent à agir. Les griefs de M. Lambert m'ont étonné. J'ai suivi les travaux qui ont abouti, après deux ans et de nombreuses auditions, au rapport Perspectives de réforme des finances locales. Ce fut un gros travail, qui a permis d'envisager des solutions pour changer les choses. Cette proposition de loi en est directement inspirée.
Bien sûr, il y a Portalis... On nous dit qu'il désapprouverait cette proposition. Je n'en suis pas sûr. (Sourires) S'il revenait aujourd'hui, il constaterait que l'examen de la loi de finances initiale a été derechef interrompu pour qu'arrive de toute urgence devant le Parlement une proposition de loi singulière, à tous les égards, sur le financement de tel parti politique -que M. Mercier connaît bien. Que dirait Portalis ? S'il lisait les projets de loi que nous soumet le Gouvernement, il aurait matière à réflexion. Cette proposition de loi est d'une grande clarté. Clarté et simplicité qui lui eussent peut-être valu l'attribution du prix Portalis, eût-il existé. (Sourires)
La question de la valeur locative témoigne de l'ahurissant immobilisme de l'ensemble des responsables politiques.
Mme Françoise Henneron. - Merci de le reconnaître.
M. Jean-Pierre Sueur. - Celle-ci est en effet calculée selon des critères établis il y a 46 ans ; pour la taxe d'habitation, le mode de calcul a 37 ans ! Le système est archaïque.
J'habite la ville d'Orléans. Dans le quartier de la Source, ainsi nommé car s'y trouve la source du Loiret,...
M. Michel Mercier, rapporteur. - Et les chèques postaux ! (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur. - ... les impôts locaux sont plus élevés que dans des quartiers de l'agglomération qui présentent pourtant des caractéristiques dont cette ville nouvelle ne bénéficie pas.
Les élus, alertés par les habitants, se sont rendus à Bercy. Une étude, dont la teneur exacte n'a pas été communiquée, a conclu qu'il était possible de jouer sur les coefficients d'entretien. L'opacité qui règne aujourd'hui en la matière est décourageante. Le texte de M. Marc contient des pistes intéressantes pour traiter réellement la question des valeurs locatives.
Autre question soulevée par ce texte, celle de la prise en compte des revenus dans la fiscalité locale. M. Edmond Hervé, maire de Rennes, avait soumis un excellent rapport sur la question lorsqu'il était député. Il montrait, comme M. Mercier d'ailleurs, que cette solution est chose courante chez nos voisins européens. Mais l'on nous opposera, encore une fois, que l'heure n'est pas encore venue.
Enfin, la question de la péréquation. La répartition des dotations est une affaire importante en France puisque l'État représente le premier contributeur des collectivités. Je me souviens encore des déclarations enflammées lors de l'introduction du principe de la péréquation à l'article 72-2 de la Constitution. On soutenait alors qu'inscrire « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales » dans la Loi fondamentale représentait une avancée formidable. Mais que s'est-il passé depuis ? Notre nouveau Président de la République, qui semble représenter à lui tout seul chacun des ministres, y compris le premier d'entre eux, tant il se dépense sans compter, est resté fort discret sur les questions des finances locales. Monsieur le ministre, je vous le signale car il y a là un créneau à prendre ! (Sourires) Ce silence s'explique peut-être par son expérience politique qui ne l'a pas conduit à s'interroger davantage sur la péréquation... (Même mouvement). En la matière, il ne préconise pas la rupture, ce qui est regrettable, car il y a fort à faire !
Selon M. Lambert, la DGF aurait déjà un fort effet péréquateur. Elle représente, dans ce budget, 39 milliards, dont 5,9 pour la péréquation, soit 15 % comme l'établissait le rapport Gantier. Ce résultat est contestable puisque ces 15 % sont composés de la DSU qui représente seulement un milliard ; de la DSR, qui est tellement éparpillée, qu'elle n'a aucun effet péréquateur ; et, enfin, de la dotation d'intercommunalité, qui représente 2,2 milliards, dont on n'a jamais prouvé l'effet péréquateur -M. Biwer l'a bien montré lors de son intervention. Cette situation doit donc changer.
Ce texte a le mérite de la clarté. Sans compter qu'il est applicable de suite et compatible avec la seule réforme qui vaille aujourd'hui, celle consistant à limiter les critères de la DGF à trois ou quatre. En effet, malgré la réforme Hoeffel, la DGF est devenue un monument d'illisibilité à force d'additions de bonnes intentions. En attendant ce jour, adoptons l'excellent dispositif de M. Marc ! (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Article 1er
I. - Après la première phrase du onzième alinéa de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« A compter de [année suivant celle d'entrée en vigueur de la présente loi], cette garantie évolue selon un taux égal au plus à 15 % du taux de progression de l'ensemble des ressources de la dotation globale de fonctionnement. »
II. - Pour être applicable, le dispositif visé au I du présent article doit être précédé de la remise par le gouvernement de simulations adéquates.
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Marc et les membres du groupe socialiste.
Rédiger comme suit cet article :
I. - Dans le but de garantir aux collectivités territoriales les moyens financiers leur permettant d'assurer de façon équitable sur tout le territoire de la République un service public de proximité de bonne qualité, la loi définit les conditions d'un rapprochement progressif de leurs potentiels financiers.
Conformément au cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, la plus prochaine loi de finances met en place les dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales.
Cette loi arrête les éléments de la dotation forfaitaire et de la dotation de péréquation constitutive de la dotation globale de fonctionnement des communes, des départements et des régions.
Elle définit pour les régions, départements et pour chaque strate démographique communale, respectivement, une fourchette de variation du potentiel financier par habitant en fonction de la moyenne de la catégorie ou de la strate de population.
Les mécanismes de péréquation mis en place doivent en tout état de cause conduire à ce qu'aucune commune n'ait, dans le délai fixé par la loi, un potentiel financier par habitant inférieur à 80 % du potentiel financier moyen de sa strate démographique. Pour les départements, ce taux serait de 90 % et pour les régions de 95 %. La mesure des seuils ainsi déterminés s'opère sur la base d'une redéfinition précise du critère potentiel financier.
II. - Le dispositif prévu au I donne lieu à la mise en place d'un mécanisme de lissage de ses effets sur une période de dix ans, afin de limiter ses conséquences financières pour les collectivités.
III. - Les dispositions du I et du II entrent en vigueur à une date fixée par décret après avis du Comité des finances locales, lequel délibère au vu des simulations des effets de la mesure, fournies par l'administration dans les trois mois qui suivent l'adoption de la présente loi.
M. François Marc. - Cette proposition de loi est le fruit de la réflexion sur les finances locales menée depuis deux ans par le groupe socialiste. Chaque sénateur dispose ici d'une documentation très fournie sur cette question et sait quelle est la direction à prendre. La péréquation est une préoccupation partagée.
On nous oppose l'absence de concertation et de consultation. Il me semble, au contraire, que nous répondons aux demandes des élus locaux : leurs associations viennent de déposer un document commun appelant à une péréquation renforcée. Certes, nous proposons un dispositif limité -prendre en compte les revenus dans la fiscalité locale, affecter une part de CSG aux départements, renforcer la péréquation- mais ces améliorations seraient utiles et leur mise en oeuvre aisée.
Je remercie le rapporteur de ses propos constructifs. Si notre proposition revient à déplacer presqu'un milliard comme il le soutient, cela représente somme toute une somme modeste sur les 39 milliards de la DGF. Par ailleurs, nous proposons à l'article premier un lissage sur dix ans, soit cent millions par an.
Le dispositif que propose la commission des finances pour l'article premier n'est pas bon. En effet, seules les communes sont prises en compte, alors que les départements, plus encore que les régions, ont été touchés par la décentralisation. Selon M. Lambert, la proposition de la commission a simplement l'avantage de limiter les dégâts. D'où je conclue que M. Lambert ne tient pas en haute estime la péréquation ... (M. Alain Lambert s'exclame.) En réalité, la commission refuse d'avancer sur le terrain de la péréquation. Au reste, c'est écrit en toutes lettres dans le rapport à la page 27 : « Votre commission des finances considère qu'il n'est ni possible, ni souhaitable, de proposer une réforme d'ampleur de la péréquation, dans le cadre de la présente proposition de loi. »
Les choses sont claires ! Notre amendement restaure donc la rédaction initiale afin que la proposition marque une véritable avancée. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Michel Mercier, rapporteur. - Vous suggérez de rétablir la proposition initiale.
M. Bernard Frimat. - Logique...
M. Michel Mercier, rapporteur. - Nullement ! L'intention de M. Marc est bonne, mais encore faut-il savoir quoi faire et comment procéder. Je veux d'abord rétablir quelques erreurs dans l'intervention de M. Moreigne. Cher collègue, « Amicus Moreignus, sed magis amica veritas » (sourires) : il n'y a pas eu d'incidents à Lyon Bron, je le sais parce que j'y étais. Une large assemblée était réunie pour parler de politique de la ville et le sujet ne passionnait pas le Président de la République, si bien que j'ai eu une conversation personnelle avec lui... Et tout s'est terminé vers 13 h 15 chez Léon de Lyon. (Sourires)
Je conviens que la Creuse est confrontée à un grave problème : il y a lieu de le traiter. Mais prendre des mesures générales exige de disposer de simulations. Or, lisez la page 24 de mon rapport, j'y explique comment la Creuse ne figurerait pas parmi les bénéficiaires de la proposition de M. Marc : ce département fait déjà l'objet de mesures péréquatrices et son potentiel fiscal élargi au sens de la proposition se monte à 550 euros, 60 de trop pour espérer être aidé. La Creuse, qui a besoin de beaucoup, n'aurait rien !
Un mot encore d'un point fondamental qui concerne nos institutions -souhaitons que le comité Balladur y porte remède : nous ne disposons pas de moyens de simulation. Nous partageons l'ambition de M. Marc, tout comme nous avons voté la loi Pasqua- similaire, mais qui n'a jamais été appliquée. Nous ne pouvons accepter cet amendement. La rédaction de la commission des finances est certes plus modeste, mais elle débloque tout de même 10 millions d'euros supplémentaires pour la péréquation. Et lorsque les réflexions engagées seront achevées, nous pourrons aller plus loin. N'avançons pas à l'aveuglette, la Creuse mérite mieux. (Applaudissements au centre)
M. Bernard Frimat. - Intervention...creuse. (Rires)
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - J'ai dit mon avis sur la proposition de votre commission, il vaut bien sûr pour la version initiale. Je ne puis vous laisser affirmer que le Gouvernement ne veut pas accroître la péréquation ! La DSU augmentera cette année de 9,4 %, la DSR également si le comité des finances locales en est d'accord. Jamais la péréquation n'aura été aussi élevée. En revanche, n'allons pas modifier la répartition de la DGF par petites touches... Nous allons disposer des travaux de M. Lambert, de ceux du Comité des finances locales. Nous ne manquerons pas d'études d'impact, notamment sur le curseur. Le Gouvernement ne peut pas être d'accord avec les transferts que vous proposez, qui ne sont pas négligeables pour les communes.
Mme Marie-France Beaufils. - La présentation de M. Moreigne a bien illustré les difficultés des départements. Aujourd'hui, on raisonne uniquement en analysant les ressources d'une collectivité et son potentiel financier, sans tenir aucun compte de ses charges. La Seine-Saint-Denis a un potentiel énorme, mais des charges qui ne le sont pas moins.
Une chose me dérange dans la proposition de loi, par ailleurs intéressante : tant que l'on organisera le système à masse constante, on n'avancera pas. L'État consent cette année un effort sur la DGF mais ce sont les collectivités qui perçoivent de la DCTP qui en feront les frais ! Et elles ne sont pas toutes très riches. Nombre de collectivités vivent moins bien qu'avant à cause des formules de dotation, qui atténuent certaines recettes... Ne modifions pas à petites touches, recommande le ministre, mais n'a-t-on pas l'an dernier donné une petite touche à la DGF de 300 communes, pour 13 millions d'euros ?
L'État reçoit une ressource qui revient par nature aux collectivités, la taxe professionnelle, soit 2,5 milliards d'euros l'an prochain. Pourquoi celle-ci alimente-t-elle le budget général ?
La proposition de loi n'est pas suffisamment aboutie, je m'abstiendrai sur l'amendement. Mais le texte de la commission ne me convient pas.
M. Charles Guené. - La proposition m'émeut mais je me demande pourquoi l'inspiration vient à nos collègues lorsqu'ils ne sont plus aux affaires. M. Sueur, lyrique, nous emporte dans un opéra fabuleux. Marchons, marchons... même si ce doit être dans le brouillard ! Trop de précipitation, pas assez de simulations.
Le Président de la République a adressé une lettre de mission à Mme Lagarde précisant que, dès 2008, il conviendrait de procéder à la modernisation des valeurs locatives et la réforme de la péréquation.
On sent bien qu'une réflexion est sur le point d'aboutir. C'est pourquoi notre groupe ne peut voter cet amendement.
M. François Marc. - Nous proposons d'instituer un filet de sécurité pour les collectivités les plus pauvres qu'on ne peut laisser en l'état, face à l'augmentation de leurs charges. Il serait dangereux de voter le texte de la commission : contrairement à ce que l'un de vous a prétendu, nous avons en avons chiffré les conséquences et ce ne sont pas dix millions, mais sept qui seront dégagés, à répartir par le Comité des finances locales entre la DSU, la DSR et la dotation-groupements. Il ne restera pas grand-chose ...L'idée d'abaisser le seuil ne fonctionne que pour les départements et les régions ; or, précisément vous les avez exclus. Votre dispositif défavoriserait les 56 % de communes les plus pauvres et avantagerait celles ayant le plus fort potentiel fiscal. Il est contre-péréquateur et va exactement à l'encontre de l'objectif que nous poursuivons. (Applaudissements à gauche).
M. Jean-Pierre Sueur. - Lumineuse démonstration.
A la demande du groupe UMP, l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin
Nombre de votants | 321 |
Nombre de suffrages exprimés | 298 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 150 |
Pour l'adoption | 104 |
Contre | 194 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'article premier n'est pas adopté.
Article 2
Avant le 1er septembre 2008, le gouvernement dépose devant le Parlement un rapport étudiant les modalités de la substitution éventuelle, à la part départementale de la taxe d'habitation, d'une part additionnelle à la contribution sociale généralisée.
Ce rapport explore notamment les conditions et les limites dans lesquelles le taux de la part additionnelle visée au précédent alinéa pourrait faire l'objet d'une modulation à l'initiative des départements.
Il s'appuie sur toutes simulations utiles, quant aux effets d'une éventuelle réforme pour les contribuables, pour les départements, et pour le budget de l'Etat. Il envisage les dispositifs transitoires de lissage des effets de cette réforme pour les contribuables.
Mme Marie-France Beaufils. - Nous ne sommes pas favorables à cet article 2 qui rappelle la défunte taxe départementale sur le revenu. Compte tenu des différences de revenu fiscal moyen entre les départements, l'écart serait aussi important que l'écart actuel et cela pénaliserait les foyers fiscaux comprenant deux salariés. S'il faut revoir le financement de l'action sociale des départements, c'est du côté de la sécurité sociale qu'il faut s'orienter.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Cette proposition de loi est désormais privée de son article premier. Le rapporteur aura tenté de préserver à ce texte un minimum de crédibilité mais ses auteurs initiaux ne l'ont pas permis. Heureusement, nous allons vers de nouveaux rendez-vous et le rapport Lambert devrait permettre de mieux cadrer le débat. Le temps n'est plus où l'on pouvait spéculer sur les largesses de l'État, maintenant que tous les bancs appellent à la diminution des déficits publics. Mais instituer une péréquation sans aucun perdant, c'est la quadrature du cercle. Cela me rappelle le soir de discussion sur les finances locales où un orateur s'exclama : « Si vous tenez compte des dotations compensatrices, les pauvres ne sont plus pauvres ! »
Vous êtes nombreux à vous rappeler cette pathétique problématique.
Voter un article demandant au Gouvernement un rapport en 2008 nous vaudrait un blâme de Portalis.
M. Jean-Pierre Sueur. - Laissez le dormir !
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Il serait plus sage d'attendre le rapport que prépare M. Lambert et qui sera gage de cohérence. Je remercie le rapporteur d'avoir tenté de nous permettre se sortir avec un texte mais celui-ci ne saurait se réduire à l'article 2.
M. Alain Lambert. - M. Mercier souhaitait aboutir à un texte consensuel ; j'avais d'abord eu le sentiment, malgré l'absence de simulations, le défaut de constitutionnalité et les ambiguïtés que Mme Beaufils a débusquées, que la proposition de nos collègues socialistes n'était pas totalement improvisée mais elle n'est décidément pas assez constructive. Je me rallie à la proposition réaliste du président de la commission des finances car nous pourrons ainsi poursuivre ce travail et le mener à son terme correctement.
M. Michel Mercier, rapporteur. - Je remercie M. Lambert de son propos. Nous avons essayé d'aller au bout de la défense du rôle du parlementaire dans l'élaboration de la loi -n'est-ce pas l'un des objectifs du comité Balladur ? Nous avons vu aujourd'hui tout ce qui nous manque. L'article 2 ne relève pas de la loi : il n'a aucun caractère normatif. Peut-être demain pourrez-vous adopter une résolution. Dès lors que l'article 1er n'a pu être voté, nous ne voterons pas l'article 2 et comme président de groupe, je demande un scrutin public.
M. François Marc. - L'article 2 a été voté à l'unanimité de la commission des finances (Mme Beaufils le conteste) moins une voix. On peut l'adopter. On parle beaucoup aujourd'hui de revaloriser le rôle du Parlement, le Président du Sénat lui-même le souhaite et nous nous ferions hara-kiri ?
M. Alain Lambert. - Un rapport, cela se demande par lettre.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Il n'est pas de bonne méthode législative de demander des rapports au Gouvernement ; il est préférable de doter le Sénat de moyens d'expertises et de simulations. Le processus est extrêmement complexe et il nous faut l'aide du directeur général des collectivités locales pour nous en sortir. Lorsque vous prendrez connaissance du nombre presque infini des paramètres, vous vous demanderez comment expliquer les choix successifs des parlementaires. Il faudra y mettre bon ordre. Même si nous ne disposons pas d'un outil aussi élaboré, nous devons pouvoir évaluer les conséquences des hypothèses que nous envisageons. L'exercice sera difficile. En attendant, je vous appelle à la lucidité et au courage en m'engageant à ce que la commission des finances conduise sereinement et opiniâtrement ce travail.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - J'ai rappelé les engagements pris pour travailler dans la concertation. Un rapport a été demandé à M. Lambert. On ne peut à la fois demander la concertation et ne pas y procéder sur cette question.
A cet instant du débat, le Gouvernement ne souhaite pas l'adoption de l'article 2 mais il salue et le travail de votre rapporteur et la position de votre commission qui préfère un rejet à un simple rapport : nous avons encore à travailler ensemble.
A la demande du groupe UC-UDF, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 321 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l'adoption | 104 |
Contre | 217 |
Le Sénat n'a pas adopté. En conséquence, je n'aurai pas à mettre aux voix l'ensemble du projet.
Prochaine séance, mercredi 31 octobre 2007 à 15 heures.
La séance est levée à 21 heures.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du mercredi 31 octobre 2007
Séance publique
A QUINZE HEURES
Discussion du projet de loi (n° 28, 2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la lutte contre la corruption.
Rapport (n° 51, 2007-2008) de M. Hugues PORTELLI, fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.
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DÉPÔTS
La Présidence a reçu de :
- M. Jean Louis Masson une proposition de loi instaurant une dotation de solidarité rurale majorée au profit des communes de moins de 5 000 habitants dont une partie du territoire est située en zone urbaine sensible ;
- M. André Dulait un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant l'accord de partenariat, signé à Cotonou le 23 juin 2000, entre les membres du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et la Communauté européenne et ses États membres (n° 41, 2007-2008) et sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord interne entre les représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, relatif au financement des aides de la Communauté au titre du cadre financier pluriannuel pour la période 2008-2013 conformément à l'accord de partenariat ACP-CE et à l'affectation des aides financières destinées aux pays et territoires d'outre-mer auxquels s'appliquent les dispositions de la quatrième partie du traité CE (n° 42, 2007-2008) ;
- M. Henri de Richemont un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés (n° 40, 2007-2008) ;