Approvisionnement électrique de la France (Question orale avec débat)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Bruno SIDO à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables sur l'approvisionnement électrique de la France.
M. Bruno Sido, auteur de la question. - Il y a un an à peine, se produisait l'une des plus importantes pannes électriques subies par les Européens, touchant quinze millions de foyers. Bien que ses conséquences fussent bénignes, -elle se produisit un samedi soir à 23 heures et ne dura qu'entre cinq minutes et une heure- elle révéla combien nos réseaux électriques nationaux dépendent de leur interconnexion à l'autre bout du continent, mais aussi combien toute notre organisation sociale et économique exige ce bien si particulier et si vital qu'est l'électricité. Aussi une mission d'information est-elle apparue nécessaire, pour analyser les causes réelles de l'incident, évaluer les risques pesant sur notre approvisionnement électrique, et faire des propositions pour améliorer la sécurité de cet approvisionnement.
De janvier à juin dernier, la mission que j'ai eu l'honneur et le plaisir de présider a auditionné une cinquantaine de personnalités représentatives du secteur de l'électricité, nous nous sommes déplacés à Bruxelles et dans six pays européens, ainsi que sur des sites de production en région parisienne et à Dunkerque.
Dans notre rapport d'information, nous ciblons les domaines où il nous faut agir pour garantir la sécurité d'approvisionnement électrique de la France : la production, le transport et la distribution, la maîtrise de la consommation.
Commençons par un constat : le système électrique français fonctionne correctement, il garantit une fourniture d'électricité d'excellente qualité, avec une grande régularité et à un coût satisfaisant. Notre approvisionnement électrique est donc sûr, ce qui ne nous empêche pas de vouloir le conforter, voire l'améliorer.
Quelques observations liminaires. L'électricité n'étant pas stockable, ni remplaçable dans bien des circonstances, la notion de service public paraît bien adaptée à sa fourniture, plutôt que les seuls marchés libéralisés. Notre sécurité d'approvisionnement, ensuite, s'inscrit dans le cadre communautaire sur l'énergie fixé par le Conseil européen en mars dernier. Or, celui-ci a retenu deux autres axes qui peuvent être contradictoires avec la recherche de la sécurité d'approvisionnement : l'amélioration de la compétitivité du marché et la lutte contre le réchauffement climatique.
A la lumière ce ces observations, notre rapport d'information a formulé plusieurs principes directeurs. D'abord, il est nécessaire pour la France de conserver une maîtrise publique dans le domaine électrique, et pour l'Europe de bâtir un système où la régulation publique nous évitera les crises d'approvisionnement. Ensuite, la composition des bouquets énergétiques des différents pays interconnectés ne saurait rester une question d'ordre national et l'interconnexion des réseaux électriques doit faire primer les préoccupations de sécurité et de solidarité sur les intérêts commerciaux. Enfin, la sécurité d'approvisionnement passe par la maîtrise de la demande d'électricité : gestion des « pointes », mécanismes dits « d'effacement » ou encore à efficacité énergétique des processus industriels, des bâtiments et des équipements. Beaucoup de nos comportements doivent changer, non pas forcément pour moins consommer d'électricité, mais pour toujours la consommer mieux.
Voilà quelles sont les bases du rapport adopté le 27 juin par l'ensemble des membres de la mission commune d'information, à l'exception de Mme Voynet.
Trois événements, depuis, ont renforcé l'actualité de nos travaux. Le Grenelle de l'environnement, d'abord, dont j'ai apprécié la richesse des débats, en tant que président du groupe de suivi du Sénat. Des décisions essentielles ont été adoptées la semaine dernière à l'issue des trois journées de tables rondes et le Président de la République a publiquement annoncé, jeudi, ses engagements : je me félicite qu'en matière d'électricité, la réflexion collective ait formulé des propositions très proches des nôtres. Le bon sens l'emporte : la meilleure façon de sécuriser l'approvisionnement électrique, c'est encore de ne pas gaspiller l'électricité !
Les plus importantes des propositions du groupe n°1 du Grenelle -« Lutter contre le changement climatiques et maîtriser la demande d'énergie »-, relèvent du secteur du bâtiment : rendre obligatoires les normes de construction haute performance environnementale (HPE) pour toutes les constructions neuves, procéder à la rénovation thermique progressive du parc ancien de logements et de bureaux pour en améliorer l'isolation. Compte-tenu de la place qu'occupe ce secteur dans le bilan énergétique national -près de la moitié de l'énergie finale consommée en France- il s'agit évidemment d'une piste prioritaire.
Notre mission l'avait elle-même considérée comme telle puisque, dans ce bilan, la part de l'électricité est prépondérante : représentant les deux tiers de la consommation du résidentiel-tertiaire, elle a fortement augmenté en trente ans en raison de cette particularité française qu'est le chauffage électrique, qui équipe encore 70 % des constructions récentes.
Notre mission a proposé pour le bâtiment une demi-douzaine de mesures complémentaires : favoriser, dans les bâtiments nouveaux, l'installation de systèmes de chauffage alternatifs aux convecteurs électriques ; modifier l'assiette et certains taux du crédit d'impôt dédié aux économies d'énergie ; moduler les droits de mutation pesant sur les bâtiments disposant des labels HPE et haute qualité énergétique (HQE) et imposer l'utilisation de ces labels pour toutes les constructions ou rénovations de bâtiments appartenant à l'Etat ; instituer, pour les particuliers, un prêt à taux zéro pour les dépenses réalisées sur des bâtiments existants ayant pour objet de réduire la consommation d'énergie et, pour les collectivités publiques, un fonds de déclenchement des investissements immobiliers efficaces en énergie pour les bâtiments publics.
Mais ces mesures resteront lettre morte sans information sur les nouveaux matériaux et techniques économes d'énergie, ni formation des professionnels sur des matériaux et techniques.
C'est que la méconnaissance et l'absence de savoir-faire sont des freins plus puissants que le coût de l'investissement ou la fiscalité. Il faut donc établir un plan national de formation des professionnels à la performance énergétique du bâtiment et orienter le programme national de recherche et d'expérimentation sur l'énergie dans les bâtiments (Prebat) vers cette question. Les mesures pratiques du Grenelle de l'environnement devront aussi reprendre les propositions de la mission d'information ; le groupe I a du reste formulé certaines propositions identiques aux nôtres et qui ont été expressément approuvées par le Président de la République dans son intervention de jeudi. Je m'en félicite vivement ! Je pense à l'étiquetage énergétique à tous les appareils de grande consommation électrique, aux régimes de veille économes, à l'interdiction de la vente des lampes à incandescence à l'horizon 2010, à la part des énergies renouvelables.
Le seul point d'achoppement entre nos travaux et ceux du Grenelle de l'environnement, c'est évidemment le recours à l'énergie nucléaire. La mission recommande le maintien de l'option nucléaire et le remplacement du parc actuel par les technologies nucléaires les plus avancées ; et ce, pour faire face au défi du changement climatique et assurer la sécurité d'approvisionnement électrique du pays.
La Commission européenne a adopté, le 19 septembre dernier, le troisième « paquet énergie ». Je suis partagé entre la satisfaction d'y trouver des propositions répondant à nos préconisations et l'inquiétude d'y lire des orientations dangereuses car inadaptées à l'électricité. La création d'une agence de coopération des régulateurs nationaux, habilitée à prendre des décisions contraignantes satisfait notre proposition n°17 ; l'indépendance, assortie de garanties, des régulateurs nationaux répond en partie à notre proposition n°16 ; la nouvelle organisation des gestionnaires européens de réseau de transport, chargée notamment d'élaborer normes de sécurité et codes commerciaux et techniques et de coordonner les investissements, correspond à nos propositions n° 13 et 14.
Mais je m'inquiète de certaines orientations, en particulier cette obligation de séparation patrimoniale entre producteurs d'électricité et gestionnaires de réseaux de transport, le fameux « unbundling ». Pour régler un problème qui se pose dans certains pays, la Commission s'enferre dans une seule direction, faisant fi du modèle français parfaitement efficace pour garantir, grâce à un contrôle et une régulation publics rigoureux, l'indépendance du gestionnaire du réseau, l'accès non discriminatoire au réseau et les investissements de capacité. La Commission se rend ici coupable d'un raisonnement strictement idéologique bien regrettable. Je souhaite que le Gouvernement poursuive son entreprise pédagogique pour obtenir une majorité en faveur de l'organisation française. Mais le biais idéologique colore l'ensemble du paquet énergie, surtout dans ce qu'il ne propose pas. Fidèle à sa doxa traditionnelle, la Commission estime que l'approfondissement de la libéralisation du marché de l'énergie va améliorer les choses. Elle fait fausse route ! Ce secteur a besoin d'une forte maîtrise publique. (Applaudissements sur les bancs socialistes où on se déclare heureusement surpris))
Notre système électrique, dont la performance tient à la puissance du parc productif, à l'étendue et la sûreté des réseaux, à la qualité du service et le niveau raisonnable des prix, s'est construit dans ce cadre. Cette efficacité résulte du programme nucléaire, du bilan prévisionnel réalisé par Réseau de transport d'électricité (RTE), de la programmation pluriannuelle des investissements, bref, d'un ensemble de mécanismes qui impose des responsabilités à la puissance publique. Du reste, nos voisins ne seraient pas mécontents d'avoir l'usufruit de notre appareil productif...sans en supporter les contraintes. (M. Raoul renchérit). Ils réclament donc un renforcement des interconnexions transnationales, non pour accroître la solidarité entre les pays mais bien pour bénéficier de l'électricité nucléaire française à bas prix !
M. Daniel Raoul. - Les hypocrites !
M. Bruno Sido. - Or, la France n'a pas vocation à devenir le poumon nucléaire de l'Europe ! Pas plus que les Français n'ont à supporter un prix de l'électricité déterminé par le coût marginal de la production de centrales à fioul étrangères -ce qui n'a rien d'un mécanisme de marché ! Il manque dans le paquet tout un pan de mesures qui garantiraient la sécurité d'approvisionnement électrique de l'Union européenne. Il faut obliger chaque Etat membre à élaborer un document prospectif à dix ans, la Commission en effectuant la synthèse ; instaurons aussi des normes minimales de production afin que chaque Etat soit en mesure de produire globalement l'électricité qu'il consomme ; développons des interconnexions internationales aux seuls endroits où la sûreté des réseaux l'impose, non les flux commerciaux.
Nous avons aussi préconisé une déclaration d'utilité publique européenne pour les grandes structures intégrées d'intérêt supérieur européen et je regrette que cette idée ne figure pas dans le projet de la Commission.
Le rapport du président de la « commission énergie » du Centre d'analyse stratégique aborde aussi de nombreux aspects examinés par notre mission. Il formule des propositions similaires. L'extension aux propriétaires-bailleurs des avantages fiscaux pour les dépenses favorisant les économies d'énergie et l'utilisation d'énergies renouvelables me semble très utile. Il convient en effet de trouver le moyen d'inciter les propriétaires-bailleurs à investir dans la performance énergétique.
Je veux féliciter nos trois rapporteurs pour la qualité de leur travail. Nos quarante propositions doivent toutes être mises en oeuvre car elles sont indispensables à la sécurisation de l'approvisionnement électrique de la France et de l'Union européenne. Monsieur le Secrétaire d'Etat, pourrez-vous nous dire quelles suites législatives et réglementaires le Gouvernement entend donner à ces quarante préconisations ? Et quelles initiatives comptez-vous prendre quand la France exercera la présidence de l'Union européenne, pour combler les insuffisances du troisième paquet énergie de la Commission européenne ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer si telle ou telle de nos propositions ne recueille pas l'agrément du Gouvernement -et pourquoi ?
Ce dialogue entre le Gouvernement et le Sénat se poursuivra lorsque le Parlement examinera les textes résultant du Grenelle de l'environnement puis une proposition de résolution sur le paquet énergie, mais je vous suis reconnaissant d'accepter de l'ouvrir dès à présent. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Marc Pastor. - Je salue l'heureuse initiative de notre collègue et note que nous sommes tous en phase et soutenons tous le rôle de l'acteur public dans le secteur de l'électricité. Au sein de la mission, j'ai été chargé plus spécialement de la production électrique. J'ai constaté, à l'occasion de mes investigations, un certain désordre au plan européen sur la question de l'énergie. (M. Desessard applaudit). En Allemagne, le même gouvernement comprend des ministres pro-nucléaire et des ministres pro-éolien ; le gouvernement italien refuse le nucléaire mais ne serait pas hostile à ce que soient édifiées deux ou trois centrales nucléaires juste de l'autre côté de la frontière. L'Espagne fait une pause dans le développement de l'éolien, les Anglais s'aperçoivent aujourd'hui, leurs réserves de gaz de la mer du Nord diminuant, que cette source ne suffit pas. Quant aux Polonais, ils sont preneurs de tout ce que l'on pourra leur proposer, 90 % de leurs centrales, au charbon, étant très polluantes. S'agissant du transport de l'électricité, un code de la route commun serait hautement nécessaire !
La France produit son électricité sur son territoire ; c'est déjà un point très positif ! Les moyens de production doivent être adéquats pour satisfaire la consommation, c'est une règle de base consacrée dans la loi de février 2000. RTE a depuis deux ans l'obligation d'effectuer un bilan pluriannuel et d'anticiper les risques. Le Gouvernement établit la programmation pluriannuelle des investissements (PPI).
La PPI, gage de diversité des sources de production, constitue l'une des traductions concrètes de la politique énergétique nationale. Ces deux outils, qui relèvent de la maîtrise publique du secteur, permettent donc d'anticiper et de prévenir les risques de défaillance de l'offre d'électricité. Le bilan de RTE met régulièrement en évidence les fragilités des régions Bretagne et PACA, sous-équipées, la première, en moyens de production et, la seconde, en moyens de transport.
La mission a d'ailleurs préconisé l'institution d'une obligation d'équilibrage régional entre production et consommation qui pourrait être définie sur la base de grandes régions électriques. Cette règle de bon sens est malheureusement loin d'être partagée en Europe : nombre de nos partenaires n'ont pas une conception aussi active de la politique énergétique et font preuve d'une foi intangible dans les vertus du marché dans lequel ils voient un outil efficace de régulation et d'incitation aux investissements. La Commission européenne partage au demeurant cette vision, à laquelle notre mission s'est opposée à l'unanimité. Ce modèle conduit nombre d'États à fonder le développement de leurs moyens de production en très grande partie sur des centrales à gaz. Il est vrai que celles-ci peuvent mises en service en moins de deux ans et émettent moins de C02 que leurs concurrentes directes, les centrales à charbon. Pour autant, cette évolution est assez inquiétante au regard de la sécurité d'approvisionnement et de l'indépendance politique de l'Union européenne. Celle-ci importe déjà près de 57 % de son gaz et ce pourcentage devrait passer à 84 % en 2030. La diversification permise par le gaz naturel liquéfié ne suffira pas pour réduire le poids dominant de la Russie dans nos importations.
D'autre part, la plupart de ces mêmes pays refusent tout développement de capacités nucléaires sur leur territoire mais verraient d'un bon oeil leur installation chez leurs voisins, en l'occurrence la France pour l'Europe occidentale, ce qui leur permettrait d'importer de l'électricité bon marché. La mission a la conviction que la France n'a pas vocation à devenir le poumon nucléaire de l'Europe et à être le seul pays à devoir gérer tous les à-côtés sociaux et environnementaux de cette option énergétique. Pour ces raisons, il est indispensable de réorienter en profondeur la politique communautaire de l'énergie.
M. Sido a rappelé les principales propositions de la mission : obligation pour chaque État de réaliser des bilans prévisionnels d'équilibre entre l'offre et la demande, ainsi qu'un document prospectif indiquant comment est garanti cet équilibre, construit sur le modèle de la PPI française ; imposition de normes minimales de production afin qu'aucun État ne puisse fonder la satisfaction durable de ses besoins en électricité sur les importations. Dans l'idéal, cette vision prendrait corps au sein d'un pôle européen de l'énergie. Cette organisation, fondée sur une réelle solidarité entre pays, tiendrait compte des conceptions de chacun vis-à-vis du bouquet énergétique.
Malheureusement, les dernières propositions de la Commission européenne ne s'inscrivent absolument pas dans cette logique. Le troisième paquet énergie tend à renforcer la concurrence dans les secteurs de l'électricité et du gaz, et propose la séparation patrimoniale entre les entreprises de production et celles chargées du transport. Cette proposition très dangereuse va casser nos groupes énergétiques alors qu'à l'étranger se constituent des mastodontes qui, comme Gazprom, n'auront pas à subir de telles contraintes.
Quel bilan tirer des premières années d'ouverture à la concurrence des marchés énergétiques ? Les entreprises qui s'y sont engagées ont demandé une marche arrière... La Commission plaide en faveur d'un recours accru aux marchés libres et considère que les prix de l'électricité ont vocation à converger en Europe au fur et à mesure de l'unification des marchés intérieurs. Mais plusieurs raisons empêchent d'appliquer à l'électricité les règles habituelles du marché. D'une part, ce bien est tout à fait hors norme en raison de ses caractéristiques physiques : non stockable, il nécessite un équilibrage permanent entre l'offre et la demande. D'autre part, les différentes techniques de production n'ont pas le même coût et rien ne justifie que l'électron nucléaire soit facturé le même prix que l'électron issu d'une centrale à charbon ou à gaz. C'est pourquoi nous ne pouvons nous satisfaire du nouveau train de mesures de libéralisation présenté par la Commission.
Les décisions -mais aussi l'absence de décision- prises par les États ont des effets directs sur l'organisation du secteur électrique des pays voisins. L'Europe de l'électricité présenterait un tout autre visage sans les 63 TWh d'électricité d'origine nucléaire exportés chaque année par la France. Les obligations de réduire les émissions de C02 vont devenir de plus en plus pressantes, chaque État devra en tirer les conséquences dans la composition de son bouquet énergétique. Il est irréaliste de penser que la Pologne, qui produit plus de 90 % de son électricité à partir de charbon, sera en mesure d'atteindre l'objectif de réduction de 20 % de CO2 d'ici 2020.
Le groupe socialiste souhaite donc que le Gouvernement agisse fermement dans le cadre des négociations sur le troisième paquet énergie pour défendre l'idée d'une politique intégrée de l'énergie, refuser la séparation patrimoniale et défendre l'existence des tarifs réglementés. Et que compte-t-il faire au plan national pour faire vivre les 40 propositions de notre mission, votées à l'unanimité moins une voix, ce qui n'est pas rien ? (Applaudissements à gauche et sur divers autres bancs)
M. Yannick Texier. - À la suite de la panne électrique du 4 novembre 2006, le Sénat a mis en place une mission d'information sur l'approvisionnement électrique. Présidée par M. Sido, cette mission a effectué de nombreuses auditions et plusieurs déplacements dans des pays européens avant de présenter les fruits de ses analyses en juin dernier et cette question orale. Cette pertinente initiative donne un écho aux travaux écrits de la mission, enrichit nos échanges avec le Gouvernement. La mission défend une approche globale en termes de sécurité et d'indépendance énergétique, tant au niveau national qu'européen, tout en intégrant les impératifs de préservation de l'environnement. Elle contribue à la définition de notre position face à la Commission ; enfin, elle est d'actualité, au lendemain des premières conclusions du Grenelle de l'environnement et à la veille de la présidence française de l'Union.
Si les conclusions de la mission Sido sont relativement rassurantes sur le court terme, elles plaident pour une grande vigilance sur le plus long terme. Le groupe UMP partage cette analyse. Nous sommes conscients que toute politique en la matière doit intervenir sur plusieurs fronts : anticiper l'évolution de la demande ; préserver un bouquet énergétique national équilibré ; diversifier la fourniture ; améliorer la prévisibilité des prix de l'électricité ; maintenir un réseau de transport et de distribution ; maîtriser la demande d'électricité, Comme la mission, nous nous interrogeons sur la nécessité de tenir compte, dans nos choix, des caractéristiques propres à l'électricité, qui ne se stocke pas, qui n'est pas substituable dans de nombreuses circonstances et dont la consommation est relativement inélastique aux prix. C'est pourquoi nous entendons conforter notre bouquet énergétique. Cela suppose de trouver le juste équilibre entre le maintien de l'option nucléaire et le développement des énergies renouvelables afin de tenir nos engagements en la matière.
Les décisions arbitrées dans le cadre du Grenelle de l'environnement répondent en partie aux suggestions de la mission. Le Gouvernement peut-il nous faire part de son appréciation sur ses quarante préconisations, et en particulier sur les points suivants : quels arguments développer face à la Commission qui veut imposer un démantèlement de nos grands groupes intégrés tels EDF ou GDF ? Où placer le curseur entre ouverture du marché et régulation ? Quelle sera notre position quant à la création d'une Agence européenne des régulateurs nationaux de l'énergie ? Qu'en sera-t-il de la proposition de la mission d'établir des documents prospectifs communs au niveau européen ? Et de celle de créer une procédure de déclaration d'utilité publique européenne pour les grandes infrastructures ?
Ce débat nous permet de participer pleinement aux prémisses de ce que devrait être l'Europe de l'énergie, garantie de la meilleure sécurité d'approvisionnement possible. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes)
M. Michel Billout. - J'espère que les quarante propositions de la mission trouveront une rapide traduction législative et réglementaire. Nous vivons en effet une dérive institutionnelle particulièrement grave où le Parlement tend à être privé de son pouvoir législatif, comme en témoigne le nombre de projets de lois passés en urgence, notamment dans le secteur de l'énergie. En témoigne également la censure de la commission des finances sur toute proposition engageant les deniers publics comme lorsque le groupe communiste a proposé la fusion entre EDF et GDF, censure qui empêche tout débat de fond sur la politique nationale énergétique et les alternatives au projet proposé par le Gouvernement. La mission de notre Parlement est désormais réduite à la simple exécution de la volonté présidentielle. Je suis donc attaché à ce que les propositions approuvées par la quasi-totalité des membres de la mission ne tombent pas dans l'oubli et trouvent une traduction concrète. J'appuie donc la demande du président Sido.
Il y a maintenant un an, notre groupe soumettait au Sénat une résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité de novembre 2006. Arguant de la dimension communautaire d'une telle commission et de l'impossibilité des parlementaires français de contraindre nos partenaires européens, c'est une mission d'information sur la sécurité d'approvisionnement en France et en Europe qui a vu le jour. Ses conclusions mettent en lumière les contradictions des politiques libérales imposées par les directives européennes. Il faudrait, selon la Commission européenne, démanteler les monopoles publics et organiser la concurrence entre les opérateurs alors même que ceux-ci remplissent une mission d'intérêt général. Cette nouvelle organisation, selon la Commission, bénéficierait aux clients qui disposeraient d'une offre plus attractive par le jeu de la concurrence ! Pourtant, la mission fait un tout autre constat : la libéralisation du secteur énergétique s'est soldée par une hausse vertigineuse des tarifs et par des risques accrus sur la sécurité d'approvisionnement. En outre, les besoins de production et le vieillissement du parc nucléaire français imposent des investissements massifs. Dans un monde où les ressources énergétiques se raréfient, l'électricité est un bien particulier car non stockable. La mission a souligné les risques de rupture dans la sécurité d'approvisionnement, de perte d'indépendance énergétique et donc d'indépendance économique et politique. Elle a conclu que l'énergie n'est pas une commodité comme les autres, que sa maîtrise doit rester du ressort de la puissance publique et que, selon les termes même du rapport, ce secteur ne peut être laissé à la seule « main invisible » du marché.
Les rapporteurs, inquiets de l'envolée des tarifs dans la plupart des pays de l'Union, proposent le maintien des tarifs réglementés et des contrats d'approvisionnement de « long terme ». Les événements nationaux, européens et internationaux intervenus depuis dans le secteur de l'énergie confirment les conclusions de la mission. Ainsi, le nouveau Président de la République a annoncé le prochain rapprochement entre Alsthom et Areva, c'est-à-dire l'ouverture aux capitaux privés de la construction de centrales, de la production énergétique et de la gestion des déchets. Il a également contribué à la fusion entre GDF et Suez. Avec ce nouveau groupe privé dont l'État détiendra seulement 35 % des actions, on organise la perte de la maîtrise publique sur le secteur du gaz, où les intérêts des actionnaires et leur logique de profit maximum prévaudront. Les PDG du futur groupe ont annoncé que les actionnaires recevront plus de la moitié du résultat net sous forme de dividendes, qui devraient croître de 10 à 15 % par an en moyenne entre 2007 et 2010. Voilà les priorités industrielles de ce nouveau groupe !
Autre élément inquiétant : dans sa première déclaration, le PDG de Gaz de France, Gérard Mestrallet, indique que « le nouveau groupe GDF-Suez prendra la décision, en 2008 ou 2009, de construire un ou plusieurs réacteurs nucléaires de troisième génération, en Europe, dans les pays où cela sera possible et souhaitable » afin de « disposer de ces capacités entre 2017 et 2020 ». Nous pouvons donc sérieusement douter de la pérennité du monopole d'EDF sur la production de l'énergie nucléaire. J'avais déjà évoqué cette crainte lors de la discussion sur la loi relative à la transparence et à la sécurité nucléaire, il y a plusieurs mois.
Si la mission d'information réaffirme le choix du nucléaire, notamment pour des impératifs environnementaux, elles reconnait que la sûreté nucléaire ne peut être garantie que par une forte maîtrise publique, seule capable de transparence sur les objectifs industriels et de recherche et sur la sécurité des installations. Monsieur le ministre, nous voudrions des précisions à ce sujet.
Une nouvelle directive, parachevant le marché de l'énergie, vient d'être adoptée, qui prône la séparation patrimoniale entre les réseaux de transport et les centres de productions. Le président et les rapporteurs de la mission ont exprimé dans un communiqué de presse leurs réserves sur ce nouveau paquet énergétique et, notamment, sur la pérennité des contrats d'approvisionnement dits de long terme. Cette fuite en avant libérale conduit aujourd'hui M. Sido, membre éminent de la majorité parlementaire, à interroger le ministre d'État à l'écologie sur les suites que le Gouvernement entend donner aux quarante propositions de son rapport. Je soutiens une telle initiative, s'agissant d'un rapport voté à la quasi-unanimité des membres de la mission. Si un consensus existe entre les parlementaires pour reconnaître que l'énergie n'est pas un produit de consommation comme les autres et que sa maîtrise doit être publique, le Gouvernement doit l'entendre et proposer une transcription législative et réglementaire des quarante propositions.
Notre groupe estime qu'il faut aller encore au-delà d'un simple perfectionnement de la régulation du secteur de l'énergie : c'était le sens de mon intervention lors de la discussion de la proposition de loi de notre collègue Ladislas Poniatowski. Il y a une antinomie fondamentale entre la concurrence libre et non faussée et le maintien d'un service minimal pour chacun. Dans la configuration libérale, les tarifs réglementés sont voués à disparaître et toute disposition transitoire ou dérogatoire ne peut être qu'une correction à la marge. Le Gouvernement doit complètement réorienter notre politique énergétique aux niveaux national et communautaire et, pour cela, renégocier les directives européennes. L'ouverture à la concurrence n'a pas atteint les objectifs escomptés, bien au contraire, et certains pays reviennent progressivement à une plus ample maîtrise publique. L'énergie, denrée exceptionnelle, ne peut être considérée comme une simple marchandise. Une politique ambitieuse, donnant la priorité à la recherche d'économies d'énergie, à la diversification des moyens de production et à la coopération avec les autres acteurs européens ne peut se réaliser qu'avec des opérateurs publics porteurs de l'intérêt général. Car, depuis l'ouverture de leur capital, la politique des opérateurs historiques a changé de cap : les contrats de service public mentionnent maintenant l'objectif d'augmenter la rentabilité pour les actionnaires.
Finalement, les anciens monopoles qui auraient dû du être modernisés et démocratisés seront remplacés par des oligopoles privés dont la Direction de la concurrence de la Commission européenne estime le nombre à cinq ou six d'ici une dizaine d'année. Les sénateurs communistes estiment qu'une véritable maîtrise publique suppose des capitaux uniquement publics au sein des opérateurs énergétiques, toute entrée de capitaux privés modifiant irrémédiablement la politique d'entreprise. D'autre part, il faut renforcer les coopérations entre les opérateurs historiques au sein d'un pôle public de l'énergie qui s'étendrait au pétrole. C'est pourquoi nous avons proposé la fusion d'EDF et de GDF au sein d'un nouvel établissement public, fusion immédiatement repoussée au nom des contreparties qui seraient prétendument imposées par Bruxelles. Pourtant, la création du géant Suez-GDF se fait également au prix d'importantes contreparties, notamment la cession de contrats d'approvisionnement de long terme pour GDF, la séparation du pôle environnement pour Suez et la création du principal concurrent d'EDF en France. Et tout cela, sans les bénéfices d'une maîtrise publique.
L'avenir énergétique de la France est avant tout affaire de choix politiques. Ses enjeux se combinent à ceux du Grenelle de l'environnement car travailler à maîtriser la consommation, à développer les énergies renouvelables et non polluantes, ainsi qu'à l'égal accès de tous à ce bien universel suppose une véritable maîtrise publique du secteur. Le développement durable nécessite d'être dégagé de la pression des marchés financiers et des intérêts de court terme. Le rapport de la mission prône cette maîtrise publique et la création d'instruments de régulation prospectifs. Ses propositions doivent trouver une traduction législative et règlementaire courageuse. (Applaudissements à gauche)
M. Marcel Deneux. - La meilleure électricité est encore celle qui n'est pas consommée. (M. Desessard apprécie) La maîtrise de la demande permet de relâcher les contraintes financières, techniques et politiques, de réduire notre dépendance énergétique, de faire des économies à long terme pour les ménages et les industriels, et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. C'est donc un impératif majeur et je me félicite que les pays de l'Union se soient donné pour objectif de réduire de 20 % la consommation énergétique de l'Europe par rapport aux projections pour l'année 2020.
La France s'est fixé pour objectif une amélioration de l'intensité énergétique finale de 2 % en 2015 et 2,5 % à partir de 2030.
La logique du marché ne suffit pas, ce qui impose la mise en place permanente d'une politique publique. Il s'agit d'abord d'incitations aux économies. Je ne reviens pas sur l'isolation des bâtiments sinon pour rappeler les recommandations de la mission sénatoriale. La consommation du secteur résidentiel augmente du fait du nombre des équipements blancs et bruns. La réglementation est insuffisante. Avec une limitation de la puissance en veille à 1 watt des produits bruns, on pourrait obtenir une réduction de 10 % de la consommation totale des ménages. Un document de travail de la Commission européenne préconise d'ailleurs de fixer un tel minimum puis de passer à un plancher de 0,5 watt.
Pour favoriser les appareils de classe A et A++, la meilleure solution est de fixer la TVA à 5,5 % pour les produits dont la liste serait régulièrement revue. Je souhaite que la France profite de sa présidence pour défendre la TVA à taux réduit pour les produits éco-labellisés.
L'interdiction unilatérale des ampoules à incandescence permettra d'économiser l'équivalent de la production d'une tranche de centrale nucléaire. J'ai donc été ravi d'entendre le Président de la République retenir cet objectif.
Certaines économies supposent un changement de nos habitudes. L'information peut passer par des affichettes disposées dans les écoles, les administrations et les entreprises. Le président et les rapporteurs de la mission sénatoriale ont écrit aux questeurs pour demander qu'il y en ait également au Sénat, notamment pour recommander d'éteindre les bureaux avant de les quitter. On a commencé à remplacer les ampoules à incandescence par des dispositifs plus économes. En se dotant de systèmes d'éclairage automatiques, le Sénat serait à la pointe en matière d'économies d'énergie.
L'idéal serait un véritable bilan carbone. Cela viendra. La circulaire du Premier ministre, en date de septembre 2005, souligne que l'État doit être exemplaire, en particulier en acquérant des équipements économes. Il faudra en contrôler l'application, surtout dans les services déconcentrés. L'État doit en effet promouvoir les bonnes pratiques, telles que le recours à des régulateurs variateurs pour l'éclairage public.
Le cahier des charges de France Télévisions et de Radio-France doit les obliger à diffuser des émissions en la matière. Un travail doit également être mené en direction des plus jeunes. La récente directive du ministère de l'éducation est une bonne initiative. Le rapport que j'avais rédigé au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques a été diffusé par le CNDP sous forme de 6 500 Cdrom, utilisables en première et en terminale, ainsi que M. Darcos va le rappeler aux recteurs.
L'amélioration de l'efficacité énergétique des entreprises représente un potentiel d'économies de 20 TW/h l'an. Il faut améliorer les procès industriels sans grever la productivité. Trois programmes européens de soutien ont été mis en place à cet effet mais, comme on ne peut pas multiplier les aides, il est temps que celles de l'État et des collectivités locales soient conditionnées par le respect de certains critères : c'est économiquement rentable à moyen terme.
On a pu s'interroger sur la volonté politique du Gouvernement. Depuis la présidentielle et le Grenelle de l'environnement, ce n'est plus possible : le temps est venu de passer à l'action. Quelles seront vos priorités, quels engagements allez-vous prendre sur les certificats d'énergie et que pensez-vous de ma proposition de décaler le changement d'heure ?
M. Daniel Raoul. - Comment ne pas évoquer le troisième paquet de libéralisation en matière d'électricité et de gaz ? Il se traduira par cinq nouvelles propositions législatives, dont la mesure phare est la séparation patrimoniale de la gestion des réseaux de fourniture d'énergie ? Neuf États dont la France avaient, en juin, fait part de leur opposition mais la Commission européenne a saisi le Parlement européen le 19 septembre. Pour contourner la minorité de blocage en cours de cristallisation, elle a imaginé ce que Bruxelles nomme dans son jargon le système ISO, mais aucune évaluation des précédentes directives n'a été réalisée.
C'est la fin du service public de l'énergie qui est proposée malgré la désignation de fournisseurs en dernier ressort pour les plus défavorisés. Les questions sur les investissements et la sécurité de l'approvisionnement restent sans réponse. Or les groupes intégrés ont tendance à investir dans les interconnexions alors que les gestionnaires de réseaux vivent sur des goulots d'étranglement.
Comment en outre se garantir contre une prise de contrôle par un opérateur extérieur à l'Union européenne ? On évoque un examen des dossiers au cas par cas : c'est reconnaître la nature stratégique du secteur de l'énergie.
Au total, ce troisième paquet est inacceptable, même si la coopération européenne en matière de normes techniques est une bonne chose. La construction d'une politique européenne de l'énergie ne peut être fondée sur le seul marché ; nous avons besoin d'une véritable politique publique en matière d'objectifs environnementaux, de sécurité d'approvisionnement, de régulation des prix, d'investissement, ainsi que le réclame la Confédération européenne des syndicats. Comme le dit M. Boiteux, dont la compétence ne peut être mise en doute, « l'ouverture du marché n'a pas pour effet de faire baisser les prix ; c'est la hausse des prix qui permet l'existence du marché ».
De plus, le service universel de l'énergie n'est nullement garanti : champ d'application très réduit, absence de financement et de mécanismes de contrôle des prix... On peut également avoir des doutes sur le niveau d'investissement dans les réseaux et sur l'application du principe de proportionnalité.
Avec le troisième paquet, Bruxelles poursuit son offensive, considérant que les entreprises verticalement intégrées ont tendance à sous-investir et à privilégier leurs sociétés de vente. Nous allons vers un démantèlement des opérateurs historiques, car c'est l'architecture même des entreprises et la régulation fondée sur les obligations de service public qui sont attaquées. La séparation patrimoniale ouvre la voie à la privatisation d'EDF -et la rend opéable- et à celle de RTE, comme d'ailleurs de GRT.
Comment construire une politique européenne de l'énergie sans maîtrise publique ? Quelle position le Gouvernement français défendra-t-il lors du conseil des transports de novembre ? La présidence française au second semestre 2008 agira-t-elle pour faire évoluer le dogme de la Commission, selon lequel la concurrence fait baisser les prix, alors que les faits lui donnent invariablement tort ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean Desessard. - Je salue M. le ministre des transports, qui sera bientôt celui des autoroutes ferroviaires et maritimes...
J'approuve plusieurs points de ce rapport, sa critique virulente de la libéralisation du marché de l'énergie, de l'abandon des tarifs régulés, des projets de directive. L'électricité n'est pas un bien comme les autres, elle ne se stocke pas, c'est un bien de première nécessité, sa gestion détermine notre indépendance énergétique et notre niveau de pollution. Pourquoi certains parlementaires de la majorité critiquent-ils la libéralisation en France alors que leurs collègues du Parlement européen votent en sens contraire depuis dix ans ?
M. Bruno Sido. - Ce sont des jean-foutre !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission. - Leur mode d'élection n'est pas le même !
M. Jean Desessard. - Je le sais d'expérience, il n'est pas facile de faire cohabiter plusieurs courants dans un même parti ! (Sourires)
J'approuve aussi cette affirmation du rapport selon laquelle la France n'a pas vocation à se transformer en poumon nucléaire de l'Europe -j'ajouterai : en poubelle radioactive. Arrêtons d'exporter une électricité que nous vendons à perte -d'autant que nous assumons seuls la gestion des déchets ! (M. Sido approuve) Notre surplus s'explique par les prévisions surévaluées du lobby nucléaire -nous étions en 2000 deux fois en dessous de celles avancées par EDF en 1975. La France n'a pas plus vocation à devenir l'exportatrice universelle de la technologie nucléaire : c'est pourquoi il faut refuser la construction de l'EPR, qui produira encore plus d'électricité alors qu'il faudrait l'économiser, et qui servira de maquette pour l'exportation.
C'est dire que les sénatrices et sénateurs Verts n'approuvent pas la position prise par le rapport en faveur du nucléaire ; ils sont rejoints par 54 % des Français qui, conscients des dangers de la filière, jugent anormal qu'on investisse trois milliards d'euros dans une nouvelle centrale. Contrairement à ce qu'affirme le rapport, le nucléaire ne garantit pas notre indépendance énergétique, car il est lui-même dépendant de l'uranium, et donc du Niger, du Canada ou de l'Australie ; ce minerai est une ressource non renouvelable qui sera sans doute épuisée dans soixante-dix ans. (M. Sido le conteste) Son cours a été multiplié par dix depuis 2002. Et la quatrième génération de réacteurs, qui permettrait de recycler ses propres déchets, n'en est qu'au stade de la spéculation...
On peut faire les mêmes remarques pour le gaz, que nous importons en totalité, alors qu'il existe en France de nombreux sites qui pourraient produire du gaz de décharge, bien moins nocif pour l'effet de serre. Le biogaz pourrait représenter jusqu'à 20 % de notre consommation, contre seulement 0,5 % aujourd'hui.
Notre sécurité d'approvisionnement réside avant tout dans les énergies renouvelables. Le Grenelle de l'environnement a fixé des objectifs ambitieux, mais sans prévoir le financement pour les atteindre. Il y faudrait des milliards, mais on les affecte au nucléaire ! Dans l'hydraulique comme dans les cycles combinés, nous avons perdu notre avance. Il faut faire des choix.
Nous devons en outre consommer moins, ce qui passe par une politique tarifaire incitative et des certificats d'économie d'énergie ambitieux. Notre consommation finale d'électricité a été multipliée par trois en trente-cinq ans. EDF a longtemps fait la promotion de la surconsommation et ses agents commerciaux sont encore payés au KWh vendu ! Pourtant, les gisements d'économies existent, l'éclairage, l'appareillage, l'isolation des logements, le chauffage électrique, qui représente encore 12 % de la consommation et équipe 70 % des maisons récentes. M. Sido parle d'aberration, mais sans en tirer les conséquences... Pourquoi ne pas imiter les Danois, qui ont interdit ce mode de chauffage, sauf cas de force majeure ?
Toutes ces avancées supposent une régulation forte, une organisation souple, diversifiée, décentralisée -tout le contraire du nucléaire. Comme le rapport fait la part belle à ce dernier, les sénatrices et sénateurs Verts ne peuvent l'approuver.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. - En mon nom, et en celui de M. Borloo, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence, je vous remercie pour le travail de la mission commune d'information présidée par M. Sido et je salue la grande qualité du rapport de MM. Deneux, Billout et Pastor. Après l'incident du 4 novembre 2006, qui avait plongé l'Europe dans le noir, vous avez réalisé de nombreuses auditions pendant six mois et appréhendé toute l'ampleur du sujet. Vous avez élargi vos investigations bien au-delà de la sécurité des réseaux, pour examiner tout ce qui détermine l'approvisionnement électrique. Examinant la régulation du secteur, vous avez placé votre réflexion dans le cadre des autres objectifs de notre politique de l'énergie : compétitivité et pouvoir d'achat d'une part, protection de l'environnement et lutte contre le changement climatique d'autre part.
Le Gouvernement se réjouit de la communauté de vues entre les orientations générales de sa politique énergétique et les recommandations du rapport, en dépit de quelques nuances. Le premier constat de votre mission, c'est que la sécurité de l'approvisionnement électrique est assurée en France. Nous disposons d'instruments -le bilan prévisionnel des besoins et la programmation des investissements- et d'acteurs -l'administration, la Commission de régulation de l'énergie, le Réseau de transport d'électricité- qui garantissent sa sécurité. La maîtrise publique jouant un rôle majeur, le Gouvernement est attaché à ce qu'elle perdure, conformément aux souhaits de M. Billout.
Pour l'essentiel, nous partageons l'analyse du rapport quant au bien-fondé de la politique suivie en France depuis plusieurs années. Un double mouvement modifie en profondeur notre politique énergétique : la lutte contre le changement climatique, dans l'esprit du Grenelle de l'environnement, et la constitution d'un marché intégré de l'électricité au sein de l'Union européenne.
Les travaux de la mission d'information, qui interviennent à point nommé, montrent la convergence d'intérêts entre la lutte contre le changement climatique et la sécurité d'approvisionnement. Selon le nouvel adage, l'électricité la moins chère et la plus sûre est celle que l'on ne consomme pas ; c'est aussi la plus protectrice de notre environnement. Les conclusions du Grenelle annoncent de grandes réformes, dont les plus ambitieuses ont trait à nos modes de consommation. Les mesures les plus emblématiques préconisées par votre rapport concernent l'efficacité énergétique et la réduction de la consommation, dont l'urgence a été appelée par M. Deneux.
Ainsi, un programme de rupture dans le bâtiment neuf ira vers des solutions à énergie positive, avec des exigences de performance énergétique très élevée pour les bâtiments publics dès 2010 et une généralisation en 2012 des logements neufs à basse consommation. S'ajoute une rénovation thermique exceptionnelle du bâti existant. Enfin, un plan de développement des énergies renouvelables s'inscrit dans l'objectif européen de 20 % en 2020. Il n'y a pourtant pas lieu de pavoiser : ce magnifique programme dans le bâtiment s'explique par le retard accumulé. Nous devons maintenant retrousser nos manches.
M. Jean Desessard. - Absolument ! Et attribuer des moyens !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. - Oui, et assurer la formation des professionnels. L'ampleur de ces réformes et l'importante mobilisation de tous les acteurs passe par des mesures réglementaires, des incitations et une large information. Les propositions de la mission seront examinées plus avant dans le cadre de cette réflexion.
À titre d'exemple, la rénovation énergétique des bâtiments est un investissement dont le retour est étalé. Cet effort financier exige un juste partage des coûts et des économies entre bailleurs et locataires. Des mécanismes financiers innovants seront proposés en ce sens.
De même, l'action auprès de l'Union européenne en faveur de l'étiquetage des produits bruns, la limitation de la puissance de veille des appareils et l'interdiction programmée des ventes de lampes à incandescence supposent un renforcement de la réglementation et des plans d'accompagnement.
Monsieur Deneux, on estime à un térawatt-heure l'économie procurée par le changement d'heure introduit en France dès 1975. Le rapport que la Commission européenne doit remettre avant la fin de l'année au sujet du passage à l'heure d'été permettra d'examiner une éventuelle évolution du dispositif.
Le Grenelle de l'environnement a insisté sur le fait que notre ambition en matière d'énergie renouvelable allait de pair avec une haute qualité environnementale pour chacune des filières. Nous devons donc assurer l'acceptabilité paysagère des éoliennes, préserver les ressources halieutiques menacées par la filiale hydraulique, sans oublier de protéger les sols face aux biocarburants. Il reste que les gisements existent, comme la valorisation de la biomasse. Nous devons donc élaborer un plan pour chaque filière.
Le développement des énergies renouvelables et les progrès de l'efficacité énergétique permettront peut-être de réduire la part du nucléaire, mais le Président de la République a souligné qu'il était impossible d'obtenir une énergie compétitive, sûre et produisant peu de gaz carbonique en écartant la filière nucléaire, qui n'est donc nullement remise en cause.
Monsieur Pastor, les tarifs réglementés de vente de l'électricité sont compatibles avec les directives européennes, car ils couvrent les coûts de production : leur niveau reflète simplement la compétitivité de notre production. La filière électronucléaire contribue à limiter l'émission de gaz carbonique, avec une économie de 300 à 400 millions de tonnes par rapport à une production basée sur le charbon. Monsieur Desessard, le nucléaire contribue à la sécurité d'approvisionnement global, car il diversifie nos sources d'approvisionnement.
En revanche, le Gouvernement est plus réservé envers l'opportunité d'obligations minimales de production imposées à chaque État membre, car elles pourraient conduire à des choix non optimaux. Il faut d'abord mettre l'accent sur des planifications nationales coordonnées au niveau européen.
J'en viens ainsi à l'avènement d'une politique européenne de l'énergie.
Votre mission a conduit ses travaux pendant que se préparait une série de directives sur le marché intérieur de l'énergie. A cette occasion, la France a souligné certains dysfonctionnements, elle a formulé de nombreuses propositions et dit son attachement à l'émergence d'un marché de l'électricité intégrée, sûr et bénéficiant aux consommateurs finaux. Là est le coeur de notre message : l'Europe de l'énergie ne se fera qu'au bénéfice des consommateurs ; dans un secteur aussi complexe que l'électricité, le rôle des pouvoirs publics est primordial.
Vous insistez sur l'importance des interconnexions et la nécessaire coordination au niveau européen des réglementations qui s'appliquent aux gestionnaires de réseau de transport en France. Nous portons haut ce message à Bruxelles.
La sûreté du système électrique passe par un contrôle strict du gestionnaire de réseau de transport, que défend la France et que reprend partiellement le troisième paquet. Tout manquement à ces règles, à l'image de ce qui s'est passé le 4 novembre 2006 en Allemagne, doit être sanctionné. La France milite pour une régulation contraignante, comme le propose la mission commune d'information.
La séparation patrimoniale a été présentée par la Commission européenne comme la réponse aux dysfonctionnements du marché et notamment au problème de sûreté du système électrique. La France ne partage pas cette position : RTE a parfaitement démontré sa capacité à gérer le système électrique -le dernier incident majeur remonte au 12 janvier 1987.
Le renforcement de la sûreté passe aussi par une coopération accrue entre les gestionnaires de réseaux de transport. Là encore, la France a montré sa volonté d'être exemplaire. Le mémorandum d'entente signé le 6 juin 2007 par les ministres de l'énergie des cinq pays du forum -Belgique, Luxembourg, France, Allemagne, Pays-Bas- affiche des objectifs précis : élaborer un bilan prévisionnel global, créer une échelle de classification des incidents réseaux, mettre en place une plate-forme commune de coordination des gestionnaires de réseaux de transport. Ces objectifs rejoignent les propositions de la mission commune du Sénat et devraient être mieux pris en compte par le troisième paquet.
La France devra peser dans les négociations entamées il y a quelques semaines dans le cadre du Conseil européen pour aboutir à un texte ambitieux, qui ne pénalise pas nos opérateurs. La France et l'Allemagne ont réuni autour d'eux sept pays européens, sceptiques devant une mesure qu'ils jugent disproportionnée, et s'efforceront ensemble de faire évoluer les projets de textes.
Concernant la politique européenne de l'énergie, le Gouvernement reprend à son compte la quasi-totalité des propositions de la mission du Sénat, malgré quelques réserves, notamment sur l'idée d'encadrer le fonctionnement du réseau par des textes européens juridiquement contraignants ou sur celle d'encadrer le développement des interconnexions, processus assez lourds qui pourraient à terme ralentir l'intégration européenne. La France est en revanche favorable à une régulation concrète au niveau européen et à la mise en place des coordinateurs européens qui permettent de fluidifier le dialogue entre les pays sur des projets d'interconnexion.
Sans céder à l'unanimisme, ennemi de la démocratie, je tiens à rendre hommage aux enseignements précieux portés par la mission commune d'information. Je souhaite que ce dialogue fructueux entre le Gouvernement et la Haute assemblée se poursuive, et s'intensifie avec la déclinaison des différents programmes opérationnels issus du Grenelle de l'environnement. (Applaudissements à droite et au centre)
La séance est suspendue à 11 h 50.
présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président
La séance reprend à 16 heures 15.