Création d'une délégation parlementaire pour le renseignement

Discussion générale

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - Je tiens à souligner le caractère novateur de ce texte : pour la première fois en France, le Parlement va être associé au suivi des activités des services de renseignement. Ces dernières années, un large consensus politique s'est dégagé en ce sens. En témoignent les nombreuses propositions de loi déposées sous les dernières législatures par l'ensemble des groupes parlementaires. Plusieurs ministres, sous diverses majorités, ont déclaré ne pas voir d'objection à une telle instance, si ses règles de fonctionnement tiennent compte des spécificités de l'activité de renseignement. Telle est aussi la position des principaux directeurs de service.

Ce texte honore les engagements pris en décembre 2005 devant votre assemblée par Nicolas Sarkozy, lors de l'examen du projet de loi de lutte contre le terrorisme qu'il avait présenté en tant que ministre d'État. Il avait alors donné un accord de principe sur la création d'un organe de contrôle, tout en souhaitant ne pas prendre de décision hâtive afin de mettre au point une rédaction associant au mieux discrétion, transparence et démocratie. Cet engagement est aujourd'hui respecté. Le texte qui vous est présenté répond également au voeu de Nicolas Sarkozy, en tant que président de la République, de renforcer le poids du Parlement.

Ce projet de loi répond également à une évolution de la situation internationale et géopolitique. Avec la fin de la guerre froide, de nouvelles menaces sont apparues : plus larvées, plus diffuses, moins étatiques -terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, attaques informatiques, tentatives d'affaiblissement de notre patrimoine économique, scientifique et technologique. Notre monde est devenu plus pacifique avec la fin de l'ordre bipolaire, mais aussi plus instable, car l'adversaire est invisible et imprévisible.

De ce fait, les services de renseignements ont dû évoluer. Leur action s'est élargie et diversifiée. Le caractère secret de leurs activités doit être préservé et protégé, tout en étant concilié avec la nécessité légitime d'informer le Parlement.

Les activités liées au renseignement sont mal connues des Français et elles n'ont n'a pas la place qui devrait être la leur dans le processus de décision. En associant le Parlement au suivi du renseignement, nous allons donner à nos services spécialisés une nouvelle légitimité aux yeux de nos concitoyens tout en favorisant l'émergence d'une réelle culture du renseignement. C'est l'objet de ce texte.

Cinq directions relèveront de la compétence de la délégation : la direction générale de la sécurité extérieure, la direction du renseignement militaire, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la direction de la surveillance du territoire et la direction centrale des renseignements généraux. La délégation sera constituée de trois députés et trois sénateurs.

En seront membres de droit les présidents des commissions permanentes de la défense et des lois de chaque assemblée. Y siègeront également un député et un sénateur désignés par le président de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette désignation permettra d'associer l'opposition à cette fonction démocratique essentielle.

La délégation recevra des informations sur le budget, l'activité générale et l'organisation des services de renseignement. Elle pourra entendre les ministres de l'intérieur et de la défense, les directeurs des services de renseignement ainsi que le secrétaire général de la défense nationale. Elle remettra un rapport au président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Afin de préserver la sécurité des personnes et la conduite des opérations, certains éléments seront cependant exclus des communications destinées à la délégation. Il en va ainsi de tout ce qui pourrait mettre en péril l'anonymat, la sécurité ou la vie d'une personne ; des informations liées aux modes opératoires propres à l'acquisition du renseignement, touchant aux relations entretenues avec des services étrangers ou aux activités opérationnelles en cours ou passées.

Cette dernière restriction est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a jugé le 27 décembre 2001 que « s'il appartient au Parlement d'autoriser la déclaration de guerre, de voter les crédits nécessaires à la défense nationale et de contrôler l'usage qui en a été fait, il ne saurait en revanche, en la matière, intervenir dans la réalisation d'opérations en cours ».

Par nature, le Parlement est un lieu de débat et de parole. Cependant, afin que soient respectées les règles de sécurité inhérentes au renseignement, les travaux de la délégation devront être couverts par le secret de la défense nationale. Les services devront donc faire état d'informations couvertes par le secret de la défense nationale, sans bien sûr dévoiler les éléments à caractère opérationnel, ni leurs sources. Car la protection du secret est le fondement même du succès de ce type de services. Le secret est aussi pour eux un gage d'efficacité.

Il leur permet de se préserver d'éventuelles actions hostiles et de protéger leurs sources, sans lesquelles il n'y aurait tout simplement pas de renseignement. Dans certains cas, le secret est même une question de survie : lorsqu'un de nos services reçoit des informations d'un service étranger, il s'engage à ne pas les retransmettre à un autre service sans l'autorisation du service émetteur. Cette règle dite du « tiers service » est fondamentale.

Les parlementaires membres de la délégation devront concilier cet impératif du « besoin d'en connaître » avec leur statut de représentants de la nation. La participation de plusieurs parlementaires aux commissions administratives de vérification des fonds spéciaux et du secret de la défense nationale montre que l'on peut parfaitement concilier les deux.

En conciliant ces contraintes, les services et les parlementaires fonderont leurs relations sur la confiance. Cette notion est fondamentale ; c'est notre capacité à l'instaurer qui fera le succès des travaux de la délégation et qui fondera la confiance des citoyens dans leurs services de renseignement.

Avant de conclure, je rends hommage à l'action des femmes et des hommes qui composent nos services de renseignement. Ils jouent un rôle majeur pour préserver les intérêts et la sécurité de notre pays, en faisant preuve d'abnégation, d'une totale discrétion et d'une grande sérénité. La constitution de cette délégation, c'est aussi une reconnaissance de leur rôle.

Ce projet de loi permet l'information du Parlement sur l'activité des services spécialisés selon les exigences propres à toute démocratie, tout en assurant la sécurité de ces spécialistes qui accomplissent une mission essentielle pour la sécurité de notre pays et pour la défense de nos intérêts dans le monde.

Cette ambition peut être partagée sur tous les bancs de cette assemblée. Il appartient aux historiens d'analyser les raisons qui ont pu aboutir, à certains moments, à une méconnaissance des citoyens de leurs services de renseignement. Mais il revient aux hommes politiques de contribuer à remettre à l'honneur l'activité de renseignement et d'en souligner les enjeux. (Applaudissements au centre et à droite)

M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois. - Le projet vient réparer une anomalie car, le Portugal excepté, la France est la seule grande démocratie à ne pas avoir un organe parlementaire dédié aux services de renseignement, alors que ceux-ci constituent un pan majeur de l'activité gouvernementale. Ce confinement résulte d'une autocensure et de la méfiance des services de renseignement. Respectueux du « domaine réservé » du Parlement, il serait inapte à connaître de questions par nature secrètes. Il est vrai que notre raison d'être est plutôt la transparence. Il fallait donc concevoir un organe ad hoc.

Avec le président de la commission de la défense, nous avons organisé des auditons communes. Je remercie tous ceux qui y ont participé et ceux qui y sont venus dire que travailler avec nous n'était pas dangereux. (Sourires)

Nous franchissons aujourd'hui un premier pas. Sans remettre en cause l'équilibre du texte et avec le souci d'établir la confiance, nous vous proposerons plusieurs amendements, conformes au rôle de la représentation nationale.

Le Parlement n'est pas en mesure de connaître de l'activité du renseignement car il se heurte très vite au secret défense. Un tel suivi serait pourtant bénéfique car la sécurité intérieure et la sécurité extérieure sont de plus en plus étroitement imbriquées. Comme eût dit M. de La Palice, entre tout dire et ne rien dire, il y a une marge importante. (Sourires) Il est important que le Parlement sache que les services sont bien coordonnés et que ceux-ci cessent de souffrir d'une mauvaise image. L'ensemble des personnes auditionnées ont d'ailleurs exprimé un sentiment positif.

Les choix des pays étrangers sont très divers, que présente l'opuscule que nous avons établi...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Un rapport.

M. René Garrec, rapporteur. - L'opposition est toujours représentée et le secret respecté. Chez nous, les services sont soumis à des contrôles internes mais ils ne sont pas synthétisés. N'oublions pas qu'il existe des commissions administratives telles que la CADA, la CNIL, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité ou la commission consultative du secret de la défense nationale, M. Fourcade présidant la Commission de vérification des fonds spéciaux.

M. Quilès expliquait que tout se passe très bien dès qu'on travaille avec les services et qu'on établit une relation de confiance. Cependant sa proposition de loi n'a pas prospéré, non plus que celle de M. About. Lors du vote de la loi du 23 janvier 2006, plusieurs de nos collègues dont M. Peyronnet ont déposé des amendements et le gouvernement a accepté de constituer un groupe de travail. Le projet dont nous débattons en procède.

Le paragraphe I crée une délégation parlementaire pour le renseignement commune à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle comprendra trois députés et trois sénateurs. Les présidents des commissions des lois et de la défense seront membres de droit, le président de chaque Assemblée veillant à la représentation de l'opposition. Les présidents de commission présideront à tour de rôle la délégation qui aura une mission de simple suivi des services de renseignement. Relèvent de sa compétence la DGSE, la DRM, la DPSD, la DST et la DCRG, une liste que pourrait compléter l'Unité de coordination de lutte anti-terroriste et la direction des affaires stratégiques du ministère de la défense. La compétence est donc définie suivant un critère organique : la délégation connaîtra de l'activité générale, de l'organisation, du budget et des moyens des services spécialisés mais non des activités opérationnelles, passées ou en cours, non plus que des relations avec les services étrangers - un service reste propriétaire de ses informations.

Les ministres de l'intérieur et de la défense adresseront à la délégation les informations ou éléments d'informations, sans que celle-ci puisse les demander. Le projet, en énonçant la liste des personnes qu'elle est susceptible d'auditionner, semble exclure la possibilité d'entendre des personnalités extérieures, voire des subordonnés des directeurs des services ou du secrétaire général de la défense nationale Cela apparaît très fermé mais logique.

La délégation, qui sera dotée d'un secrétariat propre, adressera un rapport annuel au président de la République, au Premier ministre et au président des deux Assemblées.

Le règlement intérieur de la délégation définira son organisation mais les paragraphes V et VI du projet assurent le secret de ses délibérations, couvertes par le secret défense. Ses membres y seront habilités mais non son secrétariat - il faudra y pourvoir. Cependant, toutes les informations relatives aux services de renseignement n'en relèvent pas, notamment leur budget.

Le paragraphe VI permettra enfin de sanctionner la violation du secret défense, y compris par les parlementaires.

Les auditions ont fait apparaître un décalage entre l'appréciation portée sur le texte par les responsables des services et ce qui a été dit par d'autres, qui jugent le projet restrictif, manifestant même une certaine méfiance à l'égard des parlementaires. La commission proposera des amendements afin d'aménager la liberté d'action de la Délégation, de porter de trois à quatre le nombre de parlementaires appelés à y siéger, de permettre l'audition de responsables étrangers et du Premier ministre. Enfin, ma religion n'est pas faite sur un dernier point, la transmission à la Délégation du rapport de la Commission de vérification des comptes spéciaux. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Robert del Picchia, en remplacement de M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - L'action des services de renseignement est un volet essentiel des politiques de sécurité, face aux défis croissants de l'heure ; le secret est inhérent à leur fonctionnement et est la condition de l'efficacité de leur action. Comment concilier cet impératif du secret et les principes démocratiques ? Un point d'équilibre a été trouvé dans la plupart des pays étrangers entre la mise à l'écart totale des parlementaires et un contrôle de droit commun incompatible avec l'activité des services.

Depuis dix ans, plusieurs propositions de loi ont été déposées pour créer une instance parlementaire spécialisée ; la mise en place en 2002 de la Commission de vérification des comptes spéciaux a en quelque sorte renforcé le paradoxe français : les parlementaires qui y siègent ont connaissance de certaines activités parmi les plus sensibles, mais il n'existe pas d'instance à compétence générale. Le présent texte, qui fait l'objet d'un large consensus, comble cette lacune. Plusieurs ministres, sous différentes majorités, n'ont pas émis d'objection à la création d'une instance spécialisée, pourvu que ses compétences et les règles de fonctionnement tiennent compte de la spécificité de la matière traitée ; de leur côté, les directeurs des services n'y sont pas hostiles et y trouvent même des avantages, sous réserve que des garanties minimales soient apportées. Le précédent gouvernement a donné l'impulsion nécessaire, son successeur reprend l'ouvrage.

La commission des affaires étrangères et de la défense se félicite du dépôt de ce texte et en approuve le contenu, qui reprend une formule qu'elle appelait de ses voeux : effectif restreint, pluralisme, préservation du secret, règles de fonctionnement adaptées -moins une instance de contrôle qu'un canal d'information du Parlement, qui permette à celui-ci d'évaluer la politique du renseignement sans interférer dans sa conduite. La Délégation disposera des données nécessaires à l'évaluation de l'organisation et des moyens, comme des enjeux.

Fallait-il aller plus loin ? La commission estime que l'équilibre du texte doit être préservé, car il répond à deux exigences essentielles : concilier l'information du Parlement et la préservation de l'efficacité des services ; favoriser l'établissement d'une relation de confiance entre la délégation et les responsables des services.

Les amendements qu'elle a déposés en concertation avec la commission des lois s'inscrivent dans cette démarche et permettent à la Délégation de jouer pleinement son rôle : élargissement de la composition de celle-ci tout en en préservant le caractère restreint, ou possibilité de solliciter des informations autres que celles relatives à la conduite des opérations. Nous n'entendons pas doter la nouvelle instance des pouvoirs d'une commission d'enquête, mais la formulation restrictive du projet de loi conduit à une incohérence : les commissions permanentes, qui ne sont pas soumises aux mêmes règles de la confidentialité, peuvent entendre des personnes qui seraient interdites de parole devant la Délégation. Nous souhaitons en outre que le rapport de la Commission de vérification des comptes spéciaux soit transmis à la Délégation. Sous ces réserves, la commission des affaires étrangères et de la défense a approuvé ce texte.

Notre culture du renseignement n'est pas encore celle des pays anglo-saxons. Il n'est pas bon que le renseignement reste à l'écart du débat national, au risque d'entretenir la méfiance. La Délégation, dont on ne saurait surestimer la portée, contribuera cependant à une meilleure compréhension des enjeux liés au renseignement.

De nombreux pays se sont dotés d'une législation spécifique qui fonde l'action du renseignement sur un mode dérogatoire au droit commun ; la France ne pourrait-elle renforcer la sécurité juridique de l'action des services et de ses personnels ? En outre, une première orientation vient d'être donnée en Conseil des ministres quant à la nécessité d'une meilleure coordination entre les services. Le chantier de la fusion est lancé. Il conviendrait au-delà de réfléchir aux liens entre ceux-ci et les autorités politiques. Quid, par exemple, de ce Conseil de sécurité nationale dont on a tant parlé pendant la campagne électorale ? Où en est ce dossier, monsieur le ministre ? Nul doute que la future Délégation, dont le rôle sera très précieux, se penchera sur la question ...

Par conséquent, nous invitons le Sénat à approuver ce projet de loi, assorti des amendements proposés par nos commissions. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Pour la clarté des débats, nous proposons d'examiner en priorité l'amendement n°26 de M. Peyronnet, lequel vise à réécrire l'article unique du texte.

La priorité, acceptée par le gouvernement, est de droit.

M. Patrice Gélard. - Après plusieurs tentatives avortées, ce texte constitue la première manifestation claire d'un gouvernement en faveur d'une association plus étroite du Parlement aux questions de renseignement. Je remercie M. Karoutchi de l'avoir inscrit à l'ordre du jour du Sénat dans des délais aussi brefs, conformément à la promesse du Président de la République. C'est de très bon augure pour les réformes que nous allons engager !

Avec ce texte, il s'agit de trouver un juste équilibre entre secret, transparence et démocratie. Comment assurer l'information du Parlement sur des sujets dont le caractère secret est vital à la sécurité intérieure et extérieure ?

Transparence et secret, quel beau sujet de réflexion ! Surtout lorsqu'il s'agit de l'activité de renseignement et du Parlement, c'est-à-dire de la protection de la démocratie et de son expression. Transparence et secret, les vertus de l'un sont les limites de l'autre. L'autonomie de ces termes est irréductible. Reste le problème de leur articulation concrète...

Plus qu'un droit, la transparence est devenue une exigence morale : ce qui est caché suscite aussitôt la suspicion. Pour autant, le secret reste essentiel. Sans lui, point de protection de l'individu et de la nation. Il est même vital quand il y va de la sécurité nationale et de la protection de nos intérêts. Tout ne doit pas être transparent. Et, la transparence sert parfois de prétexte à des discours et actions obscurs. Cette utopie, lorsqu'elle est récupérée, peut mettre en danger nos libertés, notre démocratie et sa capacité d'action face à une menace.

Transparence et opacité, je n'aime guère ces mots lorsqu'ils sont utilisés à propos de la chose publique. Selon le Petit Robert, la transparence, est la qualité de ce qui laisse apparaître la réalité tout entière. Or, comment exiger de quelqu'un qu'il se dévoile totalement ? La barrière infranchissable de l'intimité permet aux personnes physiques de protéger leur « misérable petit tas de secrets ». L'entreprise et l'administration ont également besoin du secret. Plutôt que de transparence, parlons de droit à l'information et à la communication. Celui-ci est d'ailleurs un droit légitime et fondamental du Parlement.

La création d'une instance parlementaire spécialisée dans le renseignement, outre qu'elle répond à une exigence démocratique, confortera la politique du renseignement, essentielle pour notre sécurité. Comme l'a rappelé M. Garrec, elle met fin à une singularité française, que d'aucuns qualifieront d'anomalie : la France était l'un des seuls pays d'Europe à être dépourvue d'un tel organe de suivi. Elle permettra au Parlement de remplir sa mission de contrôle tout en préservant le caractère secret des activités de renseignements, tout à fait indispensable -je pense à la lutte contre le terrorisme. Dans un souci de pragmatisme, la future délégation sera un organe de suivi, et non un organe de contrôle. Commune aux deux chambres, le nombre de ses intervenants sera limité. Cela favorisera la protection du secret et la construction d'une relation de confiance avec les services de renseignement, et exigera une parfaite coordination entre les assemblées -ce qui ne va toujours de soi. Cette délégation aura pour principale fonction de mieux prendre en compte au niveau politique les enjeux du renseignement.

Les commissions et le groupe de l'UMP sont favorables à ce qu'elle soit composée d'un nombre restreint de membres. Nous souhaitons cependant porter l'effectif à huit, quatre députés et quatre sénateurs. Ensuite, les informations qui lui seront fournies sont limitées au budget, à l'activité générale et à l'organisation des services de renseignements. Sont exclus les éléments relatifs aux activités opérationnelles, aux relations avec des services étrangers et aux données pouvant mettre en péril la vie des agents. Tout cela paraît logique. Cependant, à l'instar des rapporteurs, nous souhaitons préciser les missions de la délégation et ses pouvoirs d'information. Quant à l'articulation avec la commission de vérification des fonds spéciaux, nous devons trouver une solution satisfaisante.

En conclusion, la création de cette délégation représente une grande nouveauté tant pour le Parlement que pour les services spécialisés. De fait, cet organe contribuera à une meilleure prise en compte de la politique du renseignement, essentielle pour notre sécurité nationale. (Applaudissements à droite)

Mme Hélène Luc. - La création d'une délégation parlementaire s'imposait. Avec le Portugal, la France était l'un des rares pays d'Europe où le Parlement n'exerçait aucun contrôle sur la politique du renseignement, bien que la Constitution lui reconnaisse cette compétence. Et, les services de renseignements ne sont pas le bras armé de tel ou tel gouvernement, mais des services composés de fonctionnaires dont la mission est d'assurer la sécurité de nos concitoyens. Ils ont été trop souvent utilisés à des fins politiciennes. L'affaire Clearstream a montré que beaucoup restait à faire en matière de transparence.

Comme l'a relevé le président Vinçon, « il n'est pas bon, il n'est pas sain que le renseignement soit tenu à l'écart du débat national. Cela alimente un regard de méfiance et de suspicion ». Le groupe CRC soutient cette exigence démocratique. Nous souhaitons que cette délégation respecte le pluralisme dans sa composition et rende ses travaux publics pour que les citoyens et les élus puissent y avoir accès. Il en va de sa légitimité et de sa crédibilité. Le 13 juin dernier, lors d'une passionnante audition, M. Warusfel m'a confortée dans cette opinion. Pour autant, une certaine part de secret doit être préservée. Face à une menace devenue multiforme, l'arme du nucléaire n'est plus qu'un outil parmi d'autres.

La création d'une telle instance est nécessaire pour des raisons non seulement budgétaires mais démocratiques : le contrôle et l'information recueillie permettront une meilleure appréciation des besoins et des contraintes des services. Elle est d'autant plus nécessaire qu'à la suite du 11 septembre, le pilotage et l'organisation de notre sécurité nationale sont, pour des raisons d'efficacité, concentrés au plus haut niveau de l'État. Comme les autres grands pays, nous nous orientons vers la création d'un service unique à travers la fusion de la DST et des Renseignements généraux. Tel est bien le sens, même si le calendrier n'est pas encore fixé, de la communication qui a fait suite au conseil des ministres de mercredi. L'emménagement des deux services dans un immeuble commun n'est pas que symbolique. En ce domaine comme dans tous les autres, l'intention du Président de la République est bien d'aller vite, quitte à brûler les étapes, sans tenir compte de la volonté des premiers concernés, dans une course à la présidentialisation du régime.

Je souhaite pour ma part que nous prenions le temps de la réflexion à l'occasion des débats sur la future loi d'orientation pour la sécurité intérieure. La réflexion en cours sur la modification des structures et la centralisation des lieux de décision rend d'autant plus nécessaire un contrôle parlementaire, c'est-à-dire démocratique. C'est une question de légitimité et de confiance. M. de Bousquet, directeur de la DST, ne rappelle-t-il pas lui-même que dans toute démocratie moderne, la confiance accordée aux services dépend de la capacité des autorités politiques à contrôler leur activité ?

Il est vrai, et les acteurs eux-mêmes le reconnaissent, que notre dispositif de sécurité nationale est obsolète : il a peu et mal évolué depuis sa création, dans les années 1950. Ses objectifs, ses structures, ses modes d'intervention, sont devenus inadaptés pour faire face aux crises régionales, aux mouvements terroristes, à la prolifération des armes de destruction massive, à l'installation d'un bouclier antimissile en Europe. C'est aussi grâce aux moyens humains et matériels, notamment en matière de haute technologie, qui seront mis à la disposition des services, que l'on y remédiera et nos rapporteurs ont raison de considérer que la délégation parlementaire devrait avoir compétence non seulement sur l'organisation et les missions des services, mais aussi sur les moyens techniques dont ils disposent.

Les parlementaires qui seront membres de la délégation, mieux informés des réalités du monde du renseignement, seront mieux à même de sensibiliser leurs collègues sur les chapitres budgétaires des ministères concernés. Il ne s'agit pas d'exercer un droit de regard a priori sur l'affectation des fonds, mais de permettre aux parlementaires de voter les budgets en toute connaissance de cause, pour répondre aux exigences de la sécurité nationale.

Certes, un contrôle partiel existe déjà, avec la commission, composée de parlementaires et de magistrats de la Cour des Comptes, chargé, depuis 2002, de vérifier a posteriori l'utilisation des fonds spéciaux. Mais ce n'est là qu'une ébauche, puisque cette simple vérification administrative ex post est de surcroît classée « confidentiel défense ».

L'autre raison de fond justifiant la création d'une délégation est d'ordre démocratique. L'idée, avancée dans une proposition de loi en 1999 est ressurgie en 2002, lors de la discussion du projet de loi relatif au terrorisme. Introduisant de nouveaux moyens, comme la consultation directe de certains fichiers, la loi soulevait la question de l'équilibre entre impératifs de sécurité publique et sécurité privée des citoyens, dès lors que l'exécutif exerçait une autorité sans partage.

Ce texte représente donc une avancée puisque le contrôle est inexistant aujourd'hui. Il préserve l'équilibre entre la nécessité de protéger la confidentialité des activités opérationnelles et l'exigence d'une information réelle et fiable de la représentation nationale. Mais au regard de la configuration nouvelle des services qui se profile, il reste trop timide, se contentant d'entrouvrir une fenêtre quand il faudrait l'ouvrir en grand. Nos deux commissions en ont conscience, qui proposent des améliorations, hélas insuffisantes. Ainsi, porter le nombre de membres à huit ne permettra pas la représentation de tous les groupes. Nous proposerons d'aller plus loin pour respecter le pluralisme de la composition de chaque assemblée. Tous les groupes doivent avoir accès à la même information. Nous approuvons l'élargissement des possibilités d'auditions de personnalités qualifiées, et proposerons un amendement allant dans le même sens. Nous approuvons de même, pour connaître le travail réalisé par la commission de vérification des fonds spéciaux, que nos commissions prévoient que son rapport soit également adressé à la délégation.

Pour le futur, nous serons vigilants sur le fonctionnement de cette délégation et la fiabilité des informations qui lui seront communiquées. Notre vote dépendra du sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC)

M. Didier Boulaud. - Nous sommes réunis pour tenter de mettre fin à une singularité française, que dis-je, à une véritable anomalie de notre système démocratique, puisque, comme le reconnaît le rapporteur de la commission des lois, notre Parlement est « le dernier des grandes démocraties occidentales à ne pas être doté d'un organe parlementaire ad hoc dédié au suivi ou au contrôle des services de renseignement ».

Souvent, on nous a dit qu'il n'était pas souhaitable, au nom de l'efficacité, que le Parlement s'immisce dans les affaires de renseignement. Vérité en deçà des Pyrénées... ?

Sans remonter jusqu'à l'affaire Dreyfus, ni exposer ici ce qu'un livre récent appelle les « histoires secrètes de la Vème République », rappelons que nombreux sont les parlementaires qui ont plaidé, il y a quelques mois encore, pour la création d'une telle instance. J'ai eu moi-même, à la lueur crépusculaire du vingtième siècle finissant, l'honneur de présider les réunions de la Commission de la défense de l'Assemblée nationale consacrées au débat et à l'adoption de la proposition de loi Quilès, Paetch, Boulaud, Sandrier, Voisin, tendant à la création de deux délégations, propres à chaque chambre, chargées du suivi des services de renseignement. Ce texte, déposé le 25 mars 1999 et adopté par la commission de la défense et des forces armées le 23 novembre de la même année est resté, hélas, lettre morte. Le représentant du RPR, M. Galy-Dejean, avait alors voté contre, considérant que la culture du renseignement en France « n'a rien de commun avec celle que connaissent d'autres pays » et que « les exemples étrangers ne sont pas transposables ». Je suis heureux de constater que le RPR a changé d'avis en devenant UMP.

A la même époque, en février 1999, le président Vinçon, notre rapporteur d'aujourd'hui, proposait au Sénat un texte sur le même sujet : la création de deux comités parlementaires d'évaluation de la politique nationale de renseignement, à l'Assemblée nationale et au Sénat. Combien il avait raison ! Je vous proposerai de reprendre cette proposition pertinente.

Plus récemment encore, lors du débat sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, proposa, en réponse aux amendements des députés et des sénateurs, la création d'un groupe de travail réunissant les représentants des groupes parlementaires des deux assemblées et les fonctionnaires, au plus haut niveau, des services de renseignement. Les conclusions de ce groupe de travail devaient être rendues avant le 15 février 2006, afin qu'une proposition ou un projet de loi puisse être rapidement déposé. Or, cette promesse ne fut que partiellement tenue. S'il y a bien un projet de loi, déposé par M. Cuq, il n'y a pas eu de groupe de travail.

Cette promesse non tenue explique-t-elle le manque d'attention du texte aux propositions exprimées naguère par les parlementaires ?

Durant la dernière campagne électorale, l'heure était à la dénonciation du « domaine réservé ». Il s'agit à présent de placer les promesses face à la dure réalité de l'action, et notamment de l'action parlementaire.

Nous ne devons pas nous contenter d'une commission croupion, qui ne fera que mieux conforter l'extension du domaine du secret.

Nous ne devons pas nous contenter d'un moignon de commission ou d'un office quelconque faisant semblant d'être informé pour mieux conforter l'extension du domaine du secret. Nous devons obtenir des droits nouveaux dont de véritables capacités d'enquête et de contrôle. Sinon, le domaine réservé condamnable -et si condamné en période électorale !- aura encore de beaux jours devant lui.

Bien évidemment, le « secret défense » s'impose à nous et nous oblige ; de même, le maniement des informations « classifiées » doit s'effectuer avec précaution. La difficulté réside dans la nécessité de la protection maximale des informations couvertes par le secret défense et aussi dans une certaine culture du « secret » qui dépasse parfois le raisonnable. Toutefois, nous n'acceptons pas les préjugés inutiles ou les procès d'intention : depuis 2002 le travail de la Commission de vérification, accepté par la « communauté du renseignement » montre qu'il est possible d'oeuvrer de manière responsable pour le plus grand bénéfice du Parlement, du gouvernement et... des services.

Il faut bien entendu précaution et vigilance mais trop de secret tue le secret et le mystère qui accompagne souvent nos services de renseignements n'aboutit qu'à conforter une réputation sulfureuse. S'il n'y a rien de répréhensible à cacher pourquoi prêter le flanc aux critiques ?

Il faut établir une relation de confiance entre les parlementaires et les responsables des services et ne pas s'arrêter en si bon chemin. Il faut aussi que le respect règne entre les citoyens et les agents de ces services qui sont avant tout, au service de la République et non pas d'un parti ou d'un clan. Ainsi un apport non négligeable de ce texte pourrait être de sortir le monde du renseignement de son isolement actuel, ce qui éviterait la malsaine tentation d'utiliser des services aux fins partisanes ou personnelles qui font les délices d'un hebdomadaire satirique, qui aime bien se déchaîner quand il s'agit de « barbouzes ».(Sourires)

Je me félicite qu'aujourd'hui un consensus existe pour penser que le suivi parlementaire des services de renseignement est utile à la démocratie. Toutefois, le Parlement se heurte aux frontières imposées par le « secret défense » et il faut que cela change. Nos rapporteurs l'ont signalé : la seule limite acceptable à la compétence du Parlement est celle tracée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 décembre 2001, concernant son intervention « dans les opérations en cours ».

Le moment est venu de créer une instance parlementaire spécialisée ayant accès aux informations classifiées dans le cadre du strict respect de règles de confidentialité et du secret défense. L'évolution du contexte stratégique, la construction européenne, l'apparition de réseaux criminels transfrontières, la menace terroriste, rendent moins évidente la distinction entre les dimensions intérieures et extérieures de la sécurité nationale. Face à des menaces opaques et diverses, l'Etat mobilise toute une panoplie comprenant les moyens des ministères de l'intérieur, de la défense, de la justice et de l'économie et finances. Face à la nouvelle donne stratégique, le renseignement, pivot de la sécurité nationale, permet une action efficace dans le domaine de la sécurité par la prévention, c'est-à-dire en agissant avant que le péril devienne trop dangereux

Dans un cadre de mondialisation de l'économie et de relations internationales instables, le renseignement constitue le premier rempart et aussi la première des actions destinées à protéger la population française. L'efficacité de ces services se mesure à leur capacité à anticiper, à empêcher les menaces en amont, très en amont...

Il est difficile de mesurer l'efficacité et la performance de ces services ; c'est quand il ne se passe rien qu'ils sont performants... Or, cela est mal accepté par les médias et par un public avide de sensations fortes et d'images choc. De plus, l'opacité dans laquelle baignent les actions des services n'arrange pas les choses. La transparence démocratique évitera les malentendus.

Cette « première ligne de défense » est constituée en France des services de renseignement intérieur et de renseignement extérieur dont la coordination est toujours problématique. Si certaines structures sont chargées de cette coordination -notamment le comité interministériel du renseignement-, celle-ci n'a aucun caractère opérationnel, la coopération entre les services reposant principalement sur les relations directes entre les cadres et les agents des différents services.

A l'heure actuelle, le rapprochement des services devrait prendre une dimension concrète avec le déménagement en cours, sur un même site, à Levallois-Perret, de la DST, de la DCRG mais aussi de la DNAT, qui traite judiciairement la majorité des dossiers de terrorisme d'origine interne dont s'occupent les Renseignements généraux en matière de police administrative.

Il serait nécessaire que l'organe parlementaire que nous allons créer puisse rapidement suivre les évolutions proposées par l'exécutif en matière de renseignement. On voit surgir des projets de fusion des services, des instances nouvelles, des tentatives de redéfinition des rôles entre l'extérieur et l'intérieur, la défense et la police...etc. Des interrogations se font jour sans qu'on voit encore la logique de la politique à l'oeuvre. Par exemple, est-ce que le déménagement des RG, de la DST et d'une partie de la PJ dans les locaux communs à Levallois-Perret est l'acte de naissance non avoué d'une « Direction générale de la sécurité intérieure » ? Voilà du pain sur la planche pour les délégations au renseignement.

Pour être efficaces, ces délégations doivent remplir certaines conditions. D'abord, l'opposition doit être représentée et l'équilibre des opinions politiques respecté. Un effectif trop réduit ne permettrait pas de respecter ce principe. Nos amendements iront dans ce sens. L'argument de proposer un « nombre réduit des membres pour garantir le secret » ne nous semble pas pertinent. Ce serait faire injure à la représentation parlementaire que de laisser entendre que le respect du « secret » dépend du nombre de sénateurs participant à la délégation. Nos amendements tendent à augmenter raisonnablement le nombre des membres tout en respectant le principe de pluralité d'opinions en son sein.

Je crains que le projet de loi ne place la future délégation dans un rôle purement passif ; au contraire, elle ne doit pas être un simple spectateur de l'action du gouvernement en matière de renseignement. Etre informé n'est pas synonyme de contrôler.

Le Parlement doit aussi étudier les questions liées à la coordination des services de renseignement, aux budgets alloués, à leur utilisation, ainsi qu'aux orientations stratégiques de leur travail. Le projet de loi limite énormément le champ des compétences de la délégation proposée : seuls les services de renseignement placés sous l'autorité des ministres de la défense et de l'intérieur sont inclus. Or, il lui faudrait couvrir l'ensemble des activités de renseignement, y compris aux services qui dépendent du ministère de l'économie.

Je souhaite qu'on donne la priorité à une vision globale, stratégique, du renseignement, vision susceptible de couvrir toutes ses facettes : financière, politique, militaire, économique, sanitaire, spatiale, etc. A des menaces changeantes et protéiformes nous devons opposer un renseignement tous azimuts capable de s'adapter en permanence et les délégations parlementaires ad hoc doivent y contribuer. Voilà pourquoi cet organisme inédit et novateur doit prendre en compte le caractère interministériel du renseignement, en couvrant toute l'action du gouvernement en la matière, y compris celle du Premier ministre. Il aura à traiter de la coordination des services, de leur pilotage et de leurs orientations stratégiques. Il ne peut pas s'agir d'un simple suivi du travail des services à partir, exclusivement, des informations transmises par les services eux-mêmes.

Les membres de cette instance pourront-ils demander à se faire communiquer des informations et des documents qui leur sembleraient utiles à leur mission ? Les seuls ministres décideront-ils des informations transmises ?

Sur les personnalités susceptibles d'être auditionnées, nous allons proposer des amendements. Elle pourra aussi -si le besoin se fait sentir- se pencher sur l'essor du « renseignement privé ». Dans le cadre du respect de la loi et du secret défense, les parlementaires de la délégation doivent être libres de travailler en cherchant les informations et la documentation là où elles se trouvent, auprès des ministres, bien entendu, mais aussi auprès de toute autre personne susceptible de l'éclairer. Il n'est pas acceptable que le projet de loi interdise aux parlementaires d'entendre des personnes extérieures aux services de renseignement.

Quid des agents ayant quitté le service depuis un certain temps, très bavards dans la presse, dans des livres ou des émissions de télévision et que les membres de la délégation ne pourraient pas auditionner ? Cette méfiance -pour ne pas dire plus- à l'égard du Parlement est insupportable. Je sais que je peux compter sur l'accord d'une large majorité dans cet hémicycle puisque le rapport de M. Garrec signale, page 32 : « afin de permettre à la délégation de diversifier ses sources d'information, votre commission vous propose de prévoir que la délégation peut recueillir toutes les informations utiles l'accomplissement de sa mission ».

Par ailleurs, les membres de la délégation auront toujours un oeil ouvert sur ce qui se passe en Europe ; parce que les dangers, doivent être de plus en plus appréhendés, pour être maîtrisés efficacement, à l'échelle de l'Union européenne.

Le projet de loi prévoit que cette instance aborde l'activité générale, l'organisation, le budget et les moyens de ces services spécialisés. Ainsi nous pourrons nous pencher utilement sur le recrutement et la formation des agents. Que cette instance ne puisse pas connaître des activités opérationnelles en cours me semble dans la droite ligne de la logique gouvernementale. Cependant, en ce qui concerne les activités opérationnelles passées, le débat doit s'ouvrir... Je pense notamment au travail qui pourrait être effectué sur des situations passées qui pourraient nous servir à mieux préparer l'adaptation de nos services aux nouvelles situations.

Je suis d'accord avec la proposition de rédaction d'un rapport public qui respecterait le secret-défense et la confidentialité des informations recueillies.

D'autres propositions méritent qu'on s'y attarde. Le projet de loi tend à bien délimiter la mission des délégations, notamment en ce qui concerne les informations touchant aux relations entretenues par nos services spécialisées avec des services étrangers. Je comprends bien le pourquoi de cette limitation voulue par le gouvernement, toutefois est-ce que cette contrainte s'applique seulement aux échanges d'informations et des « services » entre les services nationaux et étrangers ou doit-elle aller jusqu'à nous interdire d'analyser la politique générale qui sous-tend ces relations et en conséquence la direction prise par une politique de coopération et d'alliances ?

Mon collègue Garrec le signale dans son rapport : si elle avait existé, la délégation n'aurait pas été informée par exemple de la création de la cellule « Alliance-base » en collaboration avec la CIA et d'autres services occidentaux sur le territoire français.

Un autre exemple est fourni par les enquêtes parlementaires qui ont lieu autour du dossier dits des « vols de la CIA ». Des membres de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ont pu mener une mission d'information en essayant d'établir les liens et les actions développées par des services des pays européens en coopérant avec des services non européens. Pourrons-nous mener un travail de ce type à l'avenir ? Il faut faire attention à ne pas brider les capacités de l'instance que nous sommes en train de créer, à force de limiter ses compétences... L'effet obtenu pourrait être négatif.

Malgré les imperfections que je viens de signaler, ce projet de loi a le mérite d'exister ; il constituera un premier pas dans la bonne direction si nos débats servent à apporter de substantielles modifications.

Je souhaite que nos amendements destinés à l'améliorer soient pris en compte par notre Assemblée : il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin !

Et puis, dans un an, nous verrons. Nous allons essuyer les plâtres ; il faudra réajuster nos méthodes, en coopération avec les services de renseignement eux-mêmes. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Fourcade. - Après les excellents rapports de MM. Garrec et Vinçon -présenté par M. del Picchia- et après l'intervention de M. Karoutchi, je ne vais pas recommencer l'exégèse de ce texte. Si l'on se réfère à l'histoire des velléités parlementaires dans ce domaine, l'on pourrait remonter jusqu'à Daladier, en 1939, et évoquer la IVe République. J'observe simplement que nous traitons de l'activité de quelques milliers de fonctionnaires de l'État, civils ou militaires, qui, dans un monde troublé, difficile, essaient de protéger l'ensemble de la communauté française. (M. le président de la commission des lois : « Très bien ! ») M. le ministre a justement rendu hommage à ces personnels qui méritent, non pas que l'on parle de contrôler leurs activités, mais qu'on situe leur rôle dans la sécurité de notre pays et qu'on leur donne les moyens d'agir, en termes technologiques, d'efficacité, et d'ouverture sur le monde.

Deux questions me paraissent se poser à propos de ce texte : est-il opportun ? N'est-il pas trop timide ?

Sur l'opportunité de ce texte, M. Gélard a fort bien dit ce qu'il fallait au nom du groupe UMP. Il est bon de ne créer qu'un organisme unique pour les deux assemblées, car la création de deux commissions spécialisées conduirait à la surenchère. Aussi ce projet répond-il à l'essentiel : il permet de donner aux dirigeants des commissions compétentes et à quelques parlementaires supplémentaires la possibilité de voir ce qui se passe, d'être informés et de vérifier si l'effort budgétaire que leur consacre la nation permet aux quelques directions concernées, qui sont six à huit, selon que l'on y ajoute, par exemple, la direction générale des douanes, de faire face aux menaces, assez importantes aujourd'hui, pour notre pays.

Ce texte a sans doute été assez difficile à mettre au point. J'en veux pour preuve le fait que lors des discussions et des auditions auxquelles nous avons procédé, tous les directeurs des services concernés nous ont dit que ce texte était parfait (Sourires) ! C'est dire s'il a dû être très longuement négocié avec eux...

Ce texte est également opportun pour plusieurs raisons qu'ont exposées nos commissions. D'abord, parce qu'il met la France au même niveau que ses partenaires européens ; ensuite, parce qu'il permet d'orienter l'action du gouvernement et de faire bénéficier du progrès technologique les services compétents.

Ce projet présente deux avantages supplémentaires. Tout d'abord, il marque le désir du Parlement et du gouvernement de lutter contre le mal français le plus important, qui est le cloisonnement des activités, chacun faisant son petit travail dans son petit coin... Nous connaissons cela : on nous parle volontiers de décloisonnement, de décentralisation, et nous constatons à chaque fois sur le terrain que le cloisonnement demeure... Ensuite, parce qu'il est important d'indiquer à l'opinion publique notre politique ; c'est pourquoi je suis favorable à la proposition d'un rapport public qui a été faite par les deux rapporteurs. Oui, il importe que nos responsables politiques et nos concitoyens -bien loin des clichés des romans policiers ou des séries télévisées qu'ils absorbent à longueur de semaine- soient informés des activités relatives à la sécurité intérieure et extérieure de notre pays et sachent que les services qui s'en occupent sont peuplés de gens sérieux, travaillant de manière précise, avec des orientations claires, en obtenant des résultats réellement importants. Ainsi, la création de cette délégation participera au décloisonnement des services et à l'amélioration de l'image de ceux qui ont la responsabilité de la sécurité de l'ensemble de la communauté française.

Ce texte est-il trop timide ? Fallait-il aller plus loin ? (On le soutient sur les bancs des groupes CRC et socialiste) Je ne le crois pas. Il faut commencer de manière modérée. Comme l'a fort bien dit M. Karoutchi, ce texte essaie de concilier la protection du secret et l'ouverture démocratique. Aussi son article unique -sur lequel ont été déposés beaucoup d'amendements- est-il empreint de la timidité nécessaire. On ne peut pas passer brutalement d'un système où il n'y a pas d'information suffisante des parlementaires à un système où l'ensemble des activités seraient contrôlées par les parlementaires. Il me semble que ce projet réussit à atteindre le juste milieu. Avec les amendements de nos deux commissions, je le soutiendrai.

Je veux enfin livrer un témoignage. Depuis 2001, le gouvernement a supprimé les fonds spéciaux, qui servaient à beaucoup de choses, comme j'ai pu moi-même en faire l'expérience lorsque j'étais au gouvernement. Mais enfin, l'usage des fonds spéciaux est désormais réservé aux services et c'est pourquoi l'on a créé, en 2001, une commission -qui réunit quatre parlementaires et deux membres de la Cour des Comptes- travaillant dans le secret, pour contrôler cet usage, par la DST, la DGSE, le groupement d'interceptions téléphoniques, mais aussi le Quai d'Orsay -la direction du renseignement militaire et les renseignements généraux ne disposant pas, eux, de tels fonds.

Cette commission a un périmètre d'intervention limité, plus limité que celui du présent texte. Étant membre de cette commission, aux côtés de notre collègue Marc, pour le Sénat, et de MM. Quilès et Galy-Dejean pour l'Assemblée nationale, je constate que nos pouvoirs d'intervention et de contrôle ont été progressivement acceptés par les services. Je tenais à le dire, parce que j'ai connu des services administratifs qui auraient résisté à de telles velléités de contrôle. Les services nous ont ouvert leurs budgets, bien entendu dans le respect de l'anonymat et du secret des opérations. Il serait absurde qu'un parlementaire demande pourquoi il est décidé d'envoyer telle mission à tel endroit. Mais les rapports que nous avons faits ces dernières années ont permis au Parlement d'y voir plus clair sur les efforts et les problèmes de mises à jour technologiques notamment, auxquels sont confrontés nos services, quand les techniques, cryptographiques, par exemple évoluent rapidement ou quand certaines opérations doivent s'écarter des procédures de marchés publics et que les fonds spéciaux trouvent ici toute leur utilité.

Je peux témoigner de ce que tous les services et notamment la DGSE et la DST, qui sont les plus consommateurs de fonds spéciaux, nous ont permis, non seulement d'effectuer nos vérifications, mais aussi de voir comment ils fonctionnent sur le terrain, notamment dans nos postes à l'étranger, où, sans rien révéler de secret, j'ai pu constater que nos agents travaillent dans des conditions convenables, selon des objectifs parfaitement orientés et clairs, qui leur permettent d'obtenir des résultats.

La commission de vérification des fonds spéciaux doit-elle envoyer un rapport à la délégation parlementaire pour le renseignement ? Je ne le pense pas, parce que le texte qui nous est soumis précise que la délégation parlementaire ne s'occupe pas du financement des opérations. Il faut donc pour l'instant s'en tenir là et nous verrons plus tard s'il est nécessaire de fusionner ces deux instances pour créer une seule délégation (Mme Luc et M. Boulaud : « c'est ce que nous proposons ! ») Je suis persuadé que cette restructuration interviendra à son heure, dans quelques années...

Nous devons, aujourd'hui, pour toutes les administrations et le personnel concernés, nous féliciter des premiers efforts de coordination et de décloisonnement que nous constatons, en tout cas sur le plan national, parce qu'il en va différemment à l'étranger, comme j'ai pu le voir dans un cas précis.

Tout en conservant le respect du secret de la défense, nous pouvons donner à l'ensemble de nos collègues et à l'opinion publique des informations sur des services dont nos concitoyens ont besoin face aux turbulences du monde d'aujourd'hui. C'est pourquoi ce texte mérite, je le répète, d'être voté tel qu'il est, avec les amendements qui nous sont proposés par nos commissions. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat - Chacun s'accorde à estimer que ce texte est un premier pas, un geste. MM Fourcade et Garrec ont aussi indiqué qu'il constituait l'aboutissement d'une longue maturation. Certes, tout est toujours perfectible. Certains jugent ce projet insuffisant. Mme Luc, M. Boulaud plus encore, ont évoqué le texte de 1999, le précédent Quilès, voire Daladier. (Sourires) Il y a en tout cas une volonté du gouvernement d'agir, enfin. Et nous le faisons après un long débat. Vouloir modifier profondément le texte, c'est juger que la maturation n'est pas encore suffisante, ou souhaiter un autre système ; c'est surtout renvoyer l'affaire aux calendes grecques !

Je suis d'accord avec une partie de ce qui a été dit. Il s'agit d'un premier pas. Mais pour qu'une vraie relation de confiance s'instaure entre le Parlement et les services de renseignement, cette première étape doit s'accomplir.

M. Robert del Picchia. - Absolument !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat. - M. Boulaud a raison de dire : « nous verrons d'ici un an ».

M. Jean-Claude Peyronnet. - Est-ce un engagement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat. - Non, puisque j'ignore ce qui sera nécessaire ! Je demande à tous les sénateurs d'adopter le texte ; dans un an, nous verrons. Aujourd'hui, il s'agit d'un acte fort, pour établir une confiance réciproque entre le Parlement et les services de renseignement. Le Parlement réaffirme que le renseignement est au service de l'intérêt général, de la République et non de tel ou tel gouvernement. Pour assurer cette confiance mutuelle, il faut adopter le présent texte. (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Article unique

Il est inséré dans l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires un article 6 nonies ainsi rédigé :

« Art. 6 nonies. - I. - Il est constitué une délégation parlementaire pour le renseignement, commune à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle est composée de trois députés et de trois sénateurs.

« II. - Les présidents des commissions permanentes compétentes en matière de défense et des lois de chaque assemblée sont membres de droit de la délégation parlementaire pour le renseignement. Ils président successivement la délégation pour une durée d'un an.

« Les autres membres de la délégation sont désignés par le président de chaque assemblée de manière à assurer une répartition pluraliste. Le député qui n'est pas membre de droit est désigné au début de chaque législature et pour la durée de celle-ci et le sénateur, après chaque renouvellement partiel du Sénat.

« III. - La délégation parlementaire désigne en son sein un rapporteur.

« IV. - La délégation parlementaire pour le renseignement est informée sur l'activité générale et sur les moyens des services spécialisés à cet effet placés sous l'autorité des ministres de la défense et de l'intérieur.

« Ces ministres adressent à la délégation des informations et des éléments d'appréciation relatifs au budget, à l'activité générale et à l'organisation des services placés sous leur autorité. Ces informations et ces éléments d'appréciation ne peuvent porter sur les activités opérationnelles de ces services, les instructions données par les pouvoirs publics à cet égard et le financement de ces activités. Ils ne peuvent non plus porter sur les relations de ces services avec des services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement.

« Seuls les ministres et les directeurs des services mentionnés au premier alinéa du présent paragraphe ainsi que le secrétaire général de la défense nationale peuvent être entendus par la délégation parlementaire pour le renseignement.

« V. - Les membres de la délégation sont autorisés ès-qualités à connaître des informations ou des éléments d'appréciation définis au IV et protégés au titre de l'article 413-9 du code pénal, à l'exclusion des données dont la communication pourrait mettre en péril l'anonymat, la sécurité ou la vie d'une personne relevant ou non des services intéressés, ainsi que les modes opératoires propres à l'acquisition du renseignement.

« Les agents des assemblées parlementaires, désignés par le président de la délégation pour assister les membres de celle-ci, doivent être autorisés, dans les conditions définies pour l'application de l'article 413-9 du code pénal, à connaître des mêmes informations et éléments d'appréciation.

« VI. - Les travaux de la délégation parlementaire pour le renseignement sont couverts par le secret de la défense nationale.

« Les membres de la délégation et les agents des assemblées mentionnés au V sont astreints au respect du secret de la défense nationale pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en ces qualités.

« VII. - Un rapport annuel est remis par le président de la délégation au Président de la République, au Premier ministre et au président de chaque assemblée.

« VIII. - La délégation parlementaire pour le renseignement établit son règlement intérieur. Celui-ci est soumis à l'approbation du bureau de chaque assemblée. »

Mme la présidente. - Amendement n°26, présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n°581100 du 17 novembre 1958 :

« Art. 6 nonies. - I. - Il est constitué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, une délégation au renseignement chargée de suivre et d'évaluer les activités des services qui concourent au renseignement, en examinant leur organisation et leurs missions générales, leurs compétences et leurs moyens, afin d'assurer, dans les conditions prévues au présent article, l'information de leur assemblée respective.

« II. - Chaque délégation au renseignement est composée d'une part, des présidents des commissions compétentes chargées respectivement des affaires de sécurité intérieure, des affaires de défense, des affaires de politique extérieure et des affaires financières, membres de droit, et d'autre part, d'un membre de chacun des groupes politiques de l'assemblée concernée.

« Dans chacune des assemblées, le président de la délégation au renseignement et le rapporteur de la délégation au renseignement sont désignés de manière à assurer une répartition pluraliste.

« III. - La délégation au renseignement de l'Assemblée nationale est désignée au début de chaque législature.

« La délégation au renseignement du Sénat est désignée après chaque renouvellement partiel de cette assemblée.

« IV. - Les délégations au renseignement recueillent les informations utiles à l'accomplissement de leur mission.

« Elles entendent le Premier ministre, le secrétaire général de la défense nationale, les ministres ayant autorité sur les services qui concourent au renseignement, les directeurs de ces services ou toute autre personne placée sous leur autorité et déléguée par eux.

« Elles entendent également toute personne susceptible de les éclairer et ne relevant pas de ces services.

« Ces informations et leur appréciation ne peuvent porter sur les activités opérationnelles en cours et à venir des services qui concourent au renseignement. Dans ce cadre, elles ne peuvent porter sur les relations de ces services avec des services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement.

« V. - Les membres des délégations au renseignement sont autorisés ès qualités à connaître des informations ou des éléments d'appréciation définis au IV et protégés au titre de l'article 413 9 du code pénal, à l'exclusion des données dont la communication mettrait en péril l'anonymat, la sécurité ou la vie d'une personne relevant ou non des services intéressés, ainsi que les modes opératoires propres à l'acquisition du renseignement.

« Les agents des assemblées parlementaires désignés pour assister les membres des délégations au renseignement doivent être habilités, dans les conditions définies pour l'application de l'article 413 9 du code pénal, à connaître des mêmes informations et éléments d'appréciation.

« VI. - Les travaux des délégations au renseignement sont couverts par le secret de la défense nationale.

« Les membres de la délégation et les agents des assemblées mentionnés au V sont astreints au respect du secret de la défense nationale pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en ces qualités.

« VII. - Chaque délégation au renseignement établit au moins une fois par an un rapport public dressant le bilan de ses activités. Ce rapport est remis par le président de la délégation au Président de la République, au Premier ministre et au président de chaque assemblée.

« VIII. - La délégation au renseignement de l'Assemblée nationale et celle du Sénat peuvent décider de tenir des réunions conjointes.

« IX. - Chaque délégation au renseignement établit son règlement intérieur. Celui-ci est soumis à l'approbation du Bureau de son assemblée.

« Les dépenses de la délégation au renseignement de l'Assemblée nationale et du Sénat sont financées et exécutées comme dépenses des assemblées parlementaires dans les conditions fixées par l'article 7 ci-après. »

M. Jean-Claude Peyronnet. - Nous réécrivons le texte. Tout le monde est d'accord avec l'objectif. Mais si les services de renseignement sont convaincus par ce projet, peut-être est-ce parce qu'il ne va pas très loin...

M. Didier Boulaud. - Il ne sert à rien !

M. Jean-Claude Peyronnet. - Les directeurs des administrations centrales sont rarement ravis de voir arriver le Parlement...Je comprends ce que dit le ministre, ainsi que M. Fourcade sur les aspects financiers. Monsieur le ministre, votre présentation des choses me paraît curieuse cependant, car les services de renseignement n'ont pas à « faire confiance au Parlement » ! (M. Boulaud rit) Mais peut-être les mots ont-ils dépassé votre pensée ?

Nous ne nous opposerons pas au texte ; nous le voterions avec conviction si notre amendement était adopté ; nous nous abstiendrons s'il ne l'est pas.

La formule retenue est inaboutie ; elle ne tient pas compte de notre culture et de nos pratiques. Elle privilégie le secret sur les investigations du Parlement. Or, la rénovation des pouvoirs du Parlement passe par un renforcement de sa mission de contrôle. Il nous semble indispensable que les membres de la délégation soient parfaitement informés. Or, il règne une méfiance à l'égard des parlementaires, M. Garrec l'a indiqué.

Notre logique est un peu différente de la vôtre : nous recherchons un meilleur équilibre entre légitimité, efficacité et préservation du secret.

Chaque assemblée doit avoir sa délégation et le Sénat, si prompt à défendre sa spécificité et l'utilité du bicamérisme, devrait rallier entier notre proposition. Nous insistons aussi sur le pluralisme, tant dans la composition des délégations que pour la répartition des fonctions de président et de rapporteur.

Sur le recueil des informations et les auditions, la commission proposera quelques avancées, mais selon nous, les délégations parlementaires doivent pouvoir entendre toute personne susceptible de les éclairer, dans le respect, bien sûr, du secret défense.

Nous comprenons la nécessité de la confidentialité, mais veillons à ce que ne se perpétue pas une culture du secret qui ferait obstacle à l'information du Parlement. Pluralisme et transparence au sein des délégations sont les conditions de leur crédibilité.

Si par malheur notre amendement n'était pas adopté, nous reviendrions à la charge point par point au fil de la discussion.

M. René Garrec. - rapporteur. Cet amendement reprend le texte proposé par M. Quilès en 1999. Ce projet de loi est parti d'une proposition de M. Peyronnet... L'hypothèse de deux délégations n'est pas opportune. Il me paraît très important que le Sénat et l'Assemblée nationale soient à parité : nous n'étions pas habitués à autant de confraternité. J'ajoute qu'avec une seule délégation les services n'auront qu'un seul interlocuteur, lequel ne sera pas tenté de tenir deux discours différents selon ses vis-à-vis ; ainsi limitera-t-on les effets du mensonge par omission. Et puis, l'Assemblée nationale a un peu tendance à considérer le Sénat comme second. Voilà pourquoi je juge excellent qu'il y ait une délégation unique.

Le financement ? J'aime ce qui marche. La commission administrative fonctionne bien. Nous avons obtenu des relations cordiales ; elles seront bientôt amicales !

Le secret est la chose la plus difficile à garder. Un bon secret tient 48 heures... Un mari croit avoir des secrets pour sa femme, mais elle lui fait les poches. (Sourires) Il s'agit de défendre la démocratie. Une démocratie qui ne se défend pas peut mourir, et une dictature la remplace.

Bref, il faut une commission unique et restreinte. Qu'elle se fasse connaître et apprécier ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Le gouvernement ne souhaite pas qu'il y ait deux commissions ; une seule lui paraît devoir suffire, en nombre restreint pour accomplir ce travail lourd en toute confidentialité. Le groupe socialiste en voudrait deux, avec huit ou neuf membres chacune, dotées d'un pouvoir d'interpellation. Ce n'est pas ce que nous souhaitons. Nous accepterons l'amendement de la commission, restons-en là.

M. Jean-Claude Peyronnet. - L'argument du péché d'omission plaiderait plutôt pour deux commissions qu'une seule...

Le nombre des groupes est variable ? Faisons confiance à l'imagination des parlementaires. Toutes les propositions antérieures prévoyaient des délégations plus nombreuses.

Le financement ? L'intervention de M. Fourcade m'a rappelé ce qu'a dit M. Quilès en audition, qu'il avait appris beaucoup plus de choses au cours de ses missions financières qu'en accédant aux ministères de l'intérieur et de la défense.

Mme Hélène Luc. - Nous n'avons pas déposé cet amendement mais nous le voterons.

L'amendement n°26 n'est pas adopté.

Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Garrec au nom de la commission des lois.

Rédiger comme suit le I du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 :

« I. - Il est constitué une délégation parlementaire au renseignement, commune à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle est composée de quatre députés et de quatre sénateurs.

M. René Garrec, rapporteur. - Nous modifions le titre.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - C'est de la grammaire !

Mme la présidente. - Sous-amendement n°28 à l'amendement n°1 de M. Garrec au nom de la commission des lois, présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Dans la dernière phrase de l'amendement n°1, remplacer les mots :

de quatre députés et de quatre sénateurs

par les mots :

de membres de droit et d'un membre désigné par chacun des groupes politiques

M. Didier Boulaud. - Même corrigé par la commission, le projet de loi écarte certains groupes politiques. Il classe secret défense les travaux de la Délégation, ce qui ne peut manquer d'avoir des conséquences pénales. M. Marsaud, qui connaît bien la question, prévoyait une commission de dix parlementaires. Et M. Lellouche, en proposait neuf, lui qui est ancien président de l'assemblée parlementaire du traité de l'Atlantique Nord.

M. René Garrec, rapporteur. - C'est autre chose !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Ce n'était pas une délégation parlementaire !

Mme la présidente. - Sous-amendement identique n°30 à l'amendement n°1 de M. Garrec au nom de la commission des lois, présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Dans la dernière phrase de l'amendement n°1, remplacer (deux fois) le chiffre :

quatre

par le chiffre :

cinq

M. Didier Boulaud. - Amendement de repli.

Mme la présidente. - L'amendement 14 de la commission des affaires étrangères est identique à l'amendement 1.

Amendement n°24, présenté par Mme Luc et les membres du groupe CRC.

Rédiger comme suit le I du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n°58 1100 du 17 novembre 1958 :

« I. - Il est constitué une délégation parlementaire au renseignement, commune à l'Assemblée nationale et au Sénat. Le règlement de chaque assemblée détermine le nombre de ses représentants à la délégation en garantissant la représentation de tous les groupes qui la composent.

Mme Hélène Luc. - Cette délégation apparaît bien réduite par rapport aux autres. La confidentialité ne doit pas exclure le pluralisme. Tous les sénateurs ne seraient-ils pas égaux ? Laissons chaque assemblée veiller au respect du pluralisme en composant sa représentation. Il faut respecter la parité. Le ministre ne m'a pas répondu alors que M. Sarkozy a insisté sur la transparence pendant sa campagne. Ses engagements ne sont-ils pas les vôtres ? Nous avons trop de retard pour nous contenter de franchir un pas. Si nous n'allons pas plus loin, les sénateurs communistes ne seront pas représentés et vous n'empêcherez pas la méfiance de s'installer. Il y va de la légitimité de la délégation, sur laquelle a beaucoup insisté l'universitaire que nous avions auditionné.

Mme la présidente. - Amendement n°27, présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger comme suit le I du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n°58 1100 du 17 novembre 1958 :

« I. - Il est constitué une délégation parlementaire au renseignement, commune à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle est composée de membres de droit et d'un membre désigné par chacun des groupes politiques.

M. Didier Boulaud. - Même argumentaire que pour l'amendement 28.

Mme la présidente. - Amendement n°29, présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Dans le I du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n°58 1100 du 17 novembre 1958, remplacer le chiffre :

trois

par le chiffre :

cinq

M. Didier Boulaud. - Texte même.

M. René Garrec, rapporteur. - Je me suis déjà expliqué à la tribune. Avis défavorable à tous les amendements des groupes car l'opposition sera représentée et, madame Luc, un sénateur communiste sera lui aussi tenu par le secret défense.

Mme Hélène Luc. - Un prétexte.

M. René Garrec, rapporteur. - Une logique.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Avis favorable aux amendements des commissions et défavorable aux autres.

Mme Hélène Luc. - Quelle réponse lapidaire ! Chaque sensibilité doit être représentée sinon vous n'empêcherez pas les citoyens de s'interroger.

Le sous-amendement 28 n'est pas adopté, non plus que le sous-amendement 30.

L'amendement 1, identique à l'amendement 14, est adopté ; les amendements 24, 27 et 29 deviennent sans objet.