mardi 8 avril 2025
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Audition de M. André Laignel, premier vice-président de l'Association des maires de France (AMF)
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous débutons les travaux de notre mission d'information sur le bilan de l'intercommunalité, installée il y a une semaine, par l'audition d'un acteur clef pour notre sujet, l'Association des maires et des présidents d'intercommunalités de France (AMF). Cette réunion fait l'objet d'une captation vidéo et sera disponible sur le site internet du Sénat.
Nous avons le plaisir d'accueillir le premier vice-président de l'AMF, André Laignel, maire d'Issoudun depuis 1977 - avant la décentralisation et le contrôle a posteriori ! -, président de la communauté de communes du Pays d'Issoudun et co-président de la commission « Intercommunalité » de l'AMF.
Monsieur le ministre, nous vous remercions chaleureusement de vous être rendu très rapidement disponible pour nous faire partager votre grande expérience en matière de décentralisation et plus précisément nous livrer votre regard sur l'évolution de l'intercommunalité. J'ajoute que vous êtes accompagné par Marie-Cécile Georges, responsable de la mission « Intercommunalités et territoires » de l'AMF.
Notre mission d'information, créée à l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), n'a pas pour objectif de remettre en cause le principe de l'intercommunalité, ni l'ensemble de l'architecture mise en place il y a maintenant dix ans, mais d'identifier les freins et blocages de toute nature qui entravent le bon fonctionnement de certaines structures intercommunales.
En adoptant une démarche pragmatique, au plus près des réalités de terrain, nous avons à coeur de trouver avec les élus, en particulier les maires et les présidents d'intercommunalités, des voies d'amélioration pour garantir le meilleur fonctionnement possible de notre démocratie locale, notamment en termes de gouvernance et de service rendu aux citoyens. Notre rapporteure, Maryse Carrère, est pleinement déterminée à mener à bien cette tâche.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Le RDSE a demandé la création de cette mission d'information pour disposer d'une photographie de l'intercommunalité et de la mise en place effective de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).
Par vos fonctions actuelles et passées, vous connaissez les relations entre les communes et les communautés de communes, dans divers territoires. Quelle est votre analyse de la coopération locale ? Est-elle satisfaisante, y a-t-il des points à améliorer ?
M. André Laignel, premier vice-président de l'AMF. - Je suis ici au titre de l'AMF, première association des intercommunalités avec 1 000 adhérents intercommunaux sur 1 230 structures. L'intercommunalité est pour l'AMF un élément important. Je préside depuis plus de trente ans une intercommunalité. J'ai fait partie des premiers pelotons, en étant le second de la région à mettre en place une intercommunalité.
Je suis très attaché à l'intercommunalité, dont il existe plusieurs conceptions : la première est la conception supracommunale de l'intercommunalité. Si vous me connaissez un peu, vous savez que ce n'est pas la mienne ni celle de l'AMF.
Ensuite, la seconde conception fait de l'intercommunalité un outil indispensable pour l'avenir des communes. Il y a trois collectivités définies constitutionnellement - la région, le département et la commune - et de nombreux outils au service des collectivités territoriales. Un des plus éminents est l'intercommunalité. Les intercommunalités sont de formes variées : les syndicats intercommunaux sont vieux de plusieurs décennies, voire des siècles ; les intercommunalités à fiscalité propre sont plus récentes. C'est là que s'inscrivent le présent et le passé des communautés, que ce soit des communautés de communes, des communautés d'agglomération ou des communautés urbaines, voire des métropoles.
L'AMF a toujours été favorable aux métropoles dès lors qu'on parlait de métropoles d'équilibre de niveau européen. À partir d'un certain moment, nous avons toutefois eu le sentiment que l'objectif n'était plus au rendez-vous et que la liste des métropoles avait fait l'objet de diverses appréciations, certaines objectives, d'autres subjectives... Elles existent et ont un rôle important à jouer. Il y a eu des débats lors de la mise en place de la loi NOTRe et de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam). J'exerçais déjà les mêmes responsabilités à l'AMF et avais pris certaines positions. Dix ans après, je crains que l'évolution nous ait en grande partie donné raison.
Pour nous, l'intercommunalité sous toutes ses formes est un outil, et un outil indispensable, d'abord de mutualisation.
Nous définissons notre vision de l'intercommunalité à travers trois termes. D'abord, la liberté - certaines lois ont fait reculer les libertés. Ensuite, la subsidiarité. Enfin, la responsabilité - il n'y a pas de liberté sans responsabilité.
C'est autour de ces trois termes que nous avons toujours élaboré la doctrine de l'AMF et que nous avons affirmé, tout au long des débats puis des votes sur les différents textes, notre sentiment, positif ou non.
On ne peut pas globaliser notre avis sur la loi NOTRe : il y a des choses excellentes et nécessaires. Mais nous avons actuellement le sentiment que cette loi, dans sa manière de transformer l'intercommunalité, a constitué un recul des libertés. L'intercommunalité, telle que nous l'avons toujours conçue au sein de l'AMF, est une intercommunalité choisie, quels que soient le mode et le niveau d'intercommunalité. La loi NOTRe, comme la loi Maptam, a très largement rompu avec cette vision des institutions locales.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Merci de votre introduction qui nous donne quelques informations sur votre vision des choses, que beaucoup d'entre nous partagent.
On a l'impression que l'intercommunalité est différente selon les territoires. Dans certains d'entre eux, elle devient une collectivité supracommunale, et non plus un outil. Dans d'autres, elle constitue un outil de développement et de coopération entre les communes. Au sein de l'AMF, disposez-vous de chiffres pour évaluer cela ? Avez-vous connaissance d'intercommunalités où les choses se passent très mal, ou au contraire très bien ?
M. André Laignel. - Je ne suis pas sûr que nous ayons une liste exhaustive ni même un chiffrage précis. Des difficultés nous sont remontées. Il est incontestable qu'une certaine méfiance à l'égard de l'intercommunalité s'est développée ces dix dernières années, avec un certain recul des maires par rapport à l'idée intercommunale. Je le regrette. L'idée intercommunale doit être vivante, en développement, mais maîtrisée. Le mouvement qui a consisté à marier les communes a souvent dépendu de la qualité des préfets sur le terrain.
M. André Laignel. - L'AMF souhaite que le couple maire-préfet se développe, à condition que le préfet ait une marge d'autonomie et une capacité de dialogue - plutôt que de devoir téléphoner au cabinet du ministre à chaque question...
Durant la mise en place de cette intercommunalité, parfois à marche forcée, il y a eu des préfets zélés - j'utilise un terme aimable -, ce qui a conduit à une certaine brutalité. Là où cela s'est passé ainsi, le malaise reste encore présent et s'est même parfois amplifié.
Dans mon département rural, je me suis battu pour que ma communauté reste ce qu'elle était, à taille humaine - 20 000 habitants - et avec un bon fonctionnement. J'ai refusé de céder aux « pressions » locales et surtout préfectorales. Je m'en porte bien. Malheureusement, quelques intercommunalités voisines ont cédé aux injonctions et continuent à ne pas fonctionner dans les meilleures conditions.
Il y a une semaine, je coprésidais une réunion de commission en visioconférence réunissant plusieurs dizaines de présidents d'intercommunalité. Comme souvent, nous avons des remontées de terrain, plus nombreuses qu'avant les lois adoptées il y a dix ans. Cela laisse des traces.
On ne peut pas tout mettre sur le dos des préfets. Cela dépend aussi de la manière dont les présidents d'intercommunalité se comportent. Je serai équanime. Président d'intercommunalité, je veille à la liberté d'administration de mes communes. Nous sommes très nombreux à être dans cet état d'esprit, heureusement. Ce n'est pas toujours ni absolument partagé. Il peut y avoir des volontés intégratrices ou des petits comtés... Tel que nous le percevons, c'est une infime minorité ; nous avons une vision suffisamment large et panoramique pour le dire. Mais ici ou là, des volontés de personnalisation des présidences d'intercommunalité peuvent poser des difficultés.
Tout ne réside pas dans l'évolution de la loi ni dans la manière dont les préfets ont pu, sur commande, l'interpréter. Le gros des difficultés inventoriées aujourd'hui consiste à la fois en des cartes d'intercommunalité sans véritable adhésion des collectivités de base et des transferts de compétences obligatoires qui ne correspondaient pas toujours aux attentes ni à la volonté des élus communaux. On le voit : malheureusement, le recul de l'idée intercommunale est assez constant dans les derniers sondages.
Dans certains d'entre eux, l'idée intercommunale vient très loin dans l'ordre de préférence des concitoyens. La commune et les maires sont, de beaucoup, les structures et les élus préférés de nos concitoyens. Tous les sondages depuis dix ans vont dans le même sens. L'intercommunalité arrive très loin derrière les départements et les régions dans l'appréciation des élus eux-mêmes, sans parler de la population : les gens ont du mal à savoir ce qui relève de la commune ou de l'intercommunalité.
Président d'intercommunalité depuis plus de trente ans, je crois que jamais un citoyen n'est venu me voir en tant que président d'intercommunalité. Ce n'est pas un problème d'information : tout le monde sait que je préside une intercommunalité dans un territoire rural, avec 20 000 habitants et douze communes. Mais les gens viennent voir soit le représentant de l'AMF, soit le maire... D'autres élus peuvent avoir un vécu très différent du mien, mais je ne suis pas isolé dans ma tour d'ivoire au sein de l'AMF et de la commission Intercommunalité en particulier : ce que je vous dis serait ratifié à plus de 90 %...
Mme Cécile Cukierman. - La véritable difficulté de cette mission demeurera l'évaluation qualitative. Aurait-il fallu une commission d'enquête pour que chacun s'exprime, obligatoirement, sur ce qu'il pense, vit et ressent au sein de l'intercommunalité ?
En tant que législateurs, nous voulons déboucher sur des évolutions qui ne renversent pas la table, mais qui doivent traduire ce que nous ressentons tous collectivement, à savoir ce point de tension et de crispation entre le maire, son conseil municipal et l'intercommunalité. Cela pèse, car tout le temps consacré par les uns et par les autres est fait pour répondre aux besoins de la population.
J'apporterai quelques nuances à vos propos relatifs aux lois Maptam et NOTRe. Je ne remets pas en cause les déclarations de l'AMF à l'époque. Eussent-elles été plus fortes qu'elles eussent peut-être été mieux entendues...
Nous avons tous vécu des réunions de commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) douloureuses, compliquées. J'entends votre analyse sur la qualité des préfets et des présidents d'intercommunalité, mais dans de nombreux départements, la question ne s'est même pas posée.
Vous êtes premier vice-président de l'AMF ; tout le monde le sait, à commencer par votre préfet. Au moment d'une fusion, on ne traite pas un président d'intercommunalité, premier vice-président de l'AMF, qui n'est pas du même bord politique que le président de l'AMF, de la même manière que le président d'une intercommunalité du département de la Loire qu'on ne sait même pas placer sur une carte place Beauvau...
Comment cette évaluation peut-elle faire gagner en qualité ?
J'ai voté contre ces lois, pour différentes raisons, mais je ne fais pas partie de ceux qui veulent les abroger et revenir à la case départ. Nous devons travailler collectivement à des améliorations. Quelles grandes évolutions seraient nécessaires pour ramener de la sérénité dans les communes, au-delà des simples questions de périmètre ?
Les maires sont à l'image de nos concitoyens. Cela me désole et me rassure à la fois. Lorsque l'individualisme se renforce dans notre société, les maires en sont aussi l'expression : partager et faire avec les autres, pour mieux faire, est antinomique avec l'individualisme ambiant.
Comment ramener un peu de bon sens pour que cela fonctionne ? Comment rééquilibrer les choses pour à la fois conforter la place de la commune et répondre au besoin d'intercommunalité pour faire mieux à plusieurs ?
M. André Laignel. - Merci de votre humour et de vos questions. Personnellement, j'ai toujours dit haut et fort mon opposition à loi NOTRe. Je n'ai aucun problème, même si ceux qui la portaient pouvaient être mes amis. Tout le monde au sein de l'AMF connaît mes positions, ce qui ne m'a pas valu que des compliments.
Mme Cécile Cukierman. - Vous parlez au nom de l'association, pas en votre nom personnel ?
M. André Laignel. - L'association a eu les mêmes positions. Elle l'a fait peut-être moins vigoureusement. Nous sommes une association complexe, tirant sa richesse de cette complexité. Elle rassemble toutes les familles politiques. Dans la plupart des cas, nous savons transcender les clivages. À l'époque, même si le Gouvernement était de gauche, cela n'a pas été un débat droite-gauche. L'AMF s'est prononcé contre les dispositions de la loi NOTRe relatives aux intercommunalités. Je rappelle que cette loi comporte également de bonnes dispositions, justifiées et utiles.
J'ai eu de vifs débats, y compris publics, avec le rapporteur du texte, Olivier Dussopt. Nous nous sommes dit des choses correctes, mais « viriles ». Je n'ai pas à faire d'aggiornamento de mon analyse ni de celle de l'AMF. On peut toujours regretter que l'AMF n'ait pas mis plus de vigueur à défendre sa position, négative par rapport à l'essentiel de la loi NOTRe.
Il y a eu une certaine tension, accrue ces dernières années, dans de nombreux endroits, et un recul de l'idée intercommunale. Je le regrette, car je suis favorable à l'intercommunalité, mais avec des conditions bien précises qui maintiennent la totale autonomie des collectivités.
Je ne suis pas favorable à l'abrogation. Je ne pense pas qu'un retour en arrière, brutal et sans nuance, améliorerait les choses.
Je parle avec la même franchise que si j'étais devant une commission d'enquête. Tel est le vécu des élus de l'AMF et le mien, qui nous permettent d'avoir une idée claire.
Nous sommes pour la suppression des CDCI. Qu'on ne se serve pas une fois encore de cet outil pour tricoter une nouvelle évolution de terrain, qui refléterait probablement mal le souhait des élus. On attribue à Scarron les vers suivants : « Et je vis l'ombre d'un cocher, qui, tenant l'ombre d'une brosse, nettoyait l'ombre d'un carrosse. » Cette ombre est une bonne description de ce que sont les CDCI !
Pour le reste, l'AMF ne se contente pas de faire des constats. Nous émettons une série de propositions.
Nous sommes ainsi favorables à une amélioration des outils de gouvernance. Depuis la loi NOTRe, il y a eu quelques évolutions. Je pense notamment au caractère obligatoire de la conférence des maires, en faveur de laquelle l'AMF a fortement plaidé. Dans beaucoup d'intercommunalités, en effet, les maires en étaient évincés. Ce n'est plus le cas, à l'exception de la métropole de Lyon, certaines communes n'étant pas représentées dans les instances - nous le dénonçons : chaque maire doit avoir un droit de parole et d'action au sein de l'intercommunalité.
Nous avons soutenu le principe d'un pacte de gouvernance facultatif. Si les textes d'encadrement nous paraissent souhaitables, nous nous opposons au caractère obligatoire du projet de territoire. C'est bien la commune qui est l'objet d'un tel projet. Lorsque les élus locaux le souhaitent, des textes peuvent permettre la mise en oeuvre de politiques communes, mais cela ne doit pas être une obligation. L'AMF a déjà proposé nombre d'amendements sur le sujet, et elle continuera à le faire si de futurs textes s'y prêtent.
Nous souhaitons réintroduire de la souplesse dans les périmètres des intercommunalités là où subsistent des difficultés, pour mieux tenir compte des bassins de vie. Actuellement, la possibilité d'un réexamen n'est pas ouverte.
De même, en matière de compétences des intercommunalités, il nous paraîtrait préférable que, suivant la typologie des territoires, la répartition des responsabilités relève des communes.
Dans un souci de simplification, quatre groupes de compétences pourraient être partagés par les communautés de communes et d'agglomération, au sein desquels les communes et l'intercommunalité définiraient les compétences communautaires et leur périmètre d'exercice. Nous nous opposons au transfert bloqué d'une compétence.
Ces quatre groupes seraient les suivants : l'économie ; l'aménagement du territoire, la mobilité et l'habitat ; la politique de la ville ; l'environnement et la transition écologique.
Ces compétences devraient être réparties en fonction des réalités de chacune des intercommunalités. La politique de la ville, par exemple, ne peut concerner que les communes qui comptent des quartiers prioritaires. Il en va de même pour le transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement ». Si nous avions fait preuve d'un peu de sagesse à l'époque, nous aurions évité dix années de débat, ainsi que la pagaille qui en résulte aujourd'hui. En effet, certains élus regrettent amèrement d'avoir engagé des crédits importants, quand bien même ils étaient contre ce principe. Je me suis personnellement fortement opposé à cette obligation, comme tous les maires de ma communauté. Je salue aujourd'hui l'évolution législative qui rend ce choix libre.
Dans les congrès départementaux, je dis souvent, par plaisanterie, que dans l'Indre, nous ne sommes pas assez intelligents pour avoir des nappes phréatiques qui épousent la géographie des intercommunalités - mais je reconnais que nous sommes sans doute un département très arriéré !
Dans certains territoires, il est parfaitement naturel d'organiser la politique de l'eau à l'échelle du département, tandis qu'ailleurs, il n'y a aucune raison de revenir sur le système en vigueur. Une forme de souplesse doit présider à l'évolution de l'intercommunalité.
M. Jean-Pierre Grand. - On oublie trop souvent que l'intercommunalité n'est pas une collectivité de plein exercice.
Pourrions-nous faire le point sur les métropoles ? Je suis loin d'être défavorable à ce type d'intercommunalité, puisque j'ai milité pour que la communauté d'agglomération de Montpellier évolue vers ce statut. Cependant, quelques années plus tard, on mesure les limites de l'exercice. On sait à quelles difficultés financières, administratives et techniques sont confrontés les présidents des treize métropoles françaises.
J'en prendrai pour seul exemple le financement de l'espace public. En effet, l'espace public de nos communes est devenu propriété de la métropole. Il ne s'agit pas de revenir sur cette mesure. En revanche, je suis très favorable à l'idée de donner les pleins pouvoirs aux communes pour financer et réaliser les travaux y afférents.
Lorsque des travaux sont réalisés, la métropole facture le coût réel, alors qu'à l'époque où les maires réalisaient eux-mêmes ces opérations, ils pouvaient demander des subventions, puisque c'était leur propriété ! Et vous le savez, les maires sont très attachés à l'espace public. Nous devrions davantage réfléchir sur ce sujet.
M. André Laignel. - Je l'ai rappelé dans mon propos liminaire : l'intercommunalité est un établissement public. Il n'y a que trois niveaux de collectivités - les régions, les départements et les communes -, tandis que les intercommunalités peuvent prendre d'innombrables formes et sont seulement des outils.
On compte dorénavant vingt et une métropoles en France. Certaines fonctionnent bien, d'autres moins - chacun sait, par exemple, que la métropole du Grand Paris est pour l'heure inachevée.
Vous avez évoqué le transfert de propriété. Dès lors que la voirie est la propriété de la métropole et non plus de la commune, la nature des relations est transformée. La définition de l'intérêt communautaire pourrait-elle y remédier ? Peu de métropoles ont utilisé cette possibilité juridique, qui, par la souplesse qu'elle apporte, pourrait répondre, en partie, à votre préoccupation.
Dans mon intercommunalité, par exemple, nous avons distingué la voirie communautaire de la voirie communale, sur la base de critères simples, car nous n'avions pas les moyens de la conserver dans son ensemble. Certes, l'opération a demandé l'intervention de nombreux géomètres, mais c'est cela aussi, le travail de terrain !
M. David Margueritte. - Je partage votre vision de l'intercommunalité fédérative ou associative. Néanmoins, vous estimez que la loi NOTRe a fait reculer la liberté intercommunale en matière, d'une part, de transfert de compétences, d'autre part, de périmètre.
Sur le premier point, vous proposez un modèle d'intercommunalité resserré autour de quatre groupes de compétences obligatoires. Ne craignez-vous pas que cette proposition n'aboutisse à une forme d'émiettement intercommunal, provoquant la résurrection d'un grand nombre de syndicats, au point de complexifier encore le paysage institutionnel ?
Sur le second point, vous vous prononcez pour la suppression des CDCI et la réintroduction d'une plus grande souplesse. Vous prônez donc une liberté d'association sur les périmètres que les communes souhaitent, en fonction d'un projet de territoire. Mais prenons l'exemple de la relance du projet nucléaire français. Imaginons une petite communauté de communes qui verrait s'installer sur son territoire un réacteur pressurisé européen (EPR), générant une ressource fiscale majeure. Sans un peu de volonté intégratrice, aucune communauté de communes rationnelle n'aurait envie de partager cette richesse ! La question s'est posée dans mon département, et elle se posera également à l'avenir, à Penly par exemple.
Comment gérer cette liberté totale que vous préconisez, au regard de la nécessaire solidarité financière à l'échelle territoriale, dans le cas de projets de territoires ? Certaines communautés ne risqueraient-elles pas de capter l'intégralité des ressources, au détriment de leurs voisines ?
M. André Laignel. - Votre question est parfaitement légitime. Cependant, la réponse ne doit pas être recherchée seulement dans les textes qui concernent les intercommunalités. Le sujet est plutôt celui de la répartition de la fiscalité.
Là où sont installés des équipements exceptionnels, il conviendrait de fixer une répartition de la fiscalité très différente de celle qui prévaut aujourd'hui. Il n'y a pas de décentralisation sans péréquation - terme auquel je tiens ! Sans cela, c'est la loi du plus fort. Il ne peut donc non plus y avoir d'intercommunalité réussie sans péréquation, que ce soit à l'intérieur de l'intercommunalité ou entre des périmètres à déterminer.
Ainsi, la réponse à votre question réside plutôt dans la répartition de la fiscalité que dans celle des compétences des collectivités.
Mes propos sont peut-être davantage ceux du président du comité des finances locales que ceux du coprésident de la commission Intercommunalité de l'AMF. De manière générale, la répartition de la richesse fiscale devrait être fixée autrement dans notre pays.
Mme Ghislaine Senée. - Vous dites que vous portez des propositions sur la conférence des maires. Mais dix ans plus tard, on constate une très grande disparité sur les territoires. Certaines intercommunalités sont des coquilles vides, tandis que d'autres se sont emparées d'un maximum de compétences. Malgré tout, l'intercommunalité fait l'objet d'une forte incompréhension, voire d'une méconnaissance, de la part de la population, quand bien même cet outil rend des services, notamment en matière de gestion des déchets ou de voirie.
Vous avez défini quatre groupes de compétences : mais comment aménager les mobilités, par exemple, sans un véritable projet de territoire, qui fédérerait d'ailleurs aussi les habitants ?
Vous appelez à davantage de souplesse. Comment l'apporter ? Le travail des commissions locales d'évaluation des charges transférées (Clect) témoigne bien de la complexité en la matière. Un état des lieux des compétences transférées a-t-il été dressé ?
Par ailleurs, les pouvoirs de police n'ont pas été transférés aux intercommunalités en même temps que l'espace public. C'est une véritable problématique, notamment en matière de réponse au dérèglement climatique. Dans mon département, des communes font face à l'effondrement de carrières de gypse, alors que la gestion de la voirie et du réseau de bus a été transférée à l'intercommunalité. Le maire s'interroge donc sur la pertinence d'un arrêté d'interdiction, car il est pénalement responsable de la sécurité des routes sur son territoire. Avez-vous entendu des remontées de ce type ? Identifiez-vous des réponses concrètes à apporter aux maires ?
M. André Laignel. - Nous avons conscience de ces difficultés. Vous auriez d'ailleurs pu prendre l'exemple de la loi du 30 décembre 2017 relative à l'exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), dite loi Gemapi. L'État transfère à la hache les digues et les barrages aux collectivités, sans leur donner de véritables moyens pour faire face à cette compétence, sachant que la responsabilité des élus locaux sera engagée en cas d'inondation. Or il ne suffit pas d'avoir un plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) pour régler les problèmes !
Nous allons être confrontés de plus en plus régulièrement aux problématiques liées à l'eau, tant en matière de gestion des risques que de répartition de la ressource. Mais pour l'heure, il n'existe pas de solution. L'État choisit actuellement de se débarrasser de ces questions, en se contentant d'appeler les communes à prélever l'impôt - tout en nous refusant, dans le même temps, un impôt pour faire face à nos besoins quotidiens. À ce titre, la loi Gemapi est bel et bien une loi de débarras !
Ce n'est pas une solution. Dans mon département, la Creuse comme l'Indre débordent fréquemment. Or les élus locaux des petites communes se sentent incapables d'apporter une réponse à ce risque. Ce transfert brutal de compétences, sans ressources associées, est un vrai problème.
Cela fait dix ans que nous réclamons une véritable responsabilité de l'État dans les domaines qui doivent relever de la solidarité. Sans cela, la chance de compter une belle rivière sur son territoire se transforme en un souci absolu pour l'élu concerné. Les digues ou les barrages sont parfois concentrés sur quelques communes, alors qu'ils assurent la bonne circulation de l'eau sur des centaines de kilomètres. Or, aucun moyen de péréquation n'est prévu.
Je partage donc votre interrogation. Nous étions défavorables au transfert de la compétence Gemapi, car beaucoup de communes ne sont pas capables de faire face à l'ampleur des investissements que nécessitent les politiques de prévention.
Nous avons tous des projets de territoire : c'est une question de pragmatisme ! En revanche, nous refusons que ces projets soient obligatoires et, surtout, qu'une majorité puisse les imposer à une minorité, parfois à quelques voix près. Nous voulons que le projet résulte d'un dialogue et d'un consensus permanents. Dans l'immense majorité de nos collectivités, d'ailleurs, ces projets ne sont pas rédigés. Ils vivent, tout simplement - bien ou mal, mais qu'ils soient rédigés n'y changerait pas grand-chose !
Mme Évelyne Perrot. - Dans mon département, le parc naturel régional (PNR) de la Forêt d'Orient compte actuellement 53 communes ; elles devraient être bientôt 87. Il se trouve qu'il a été morcelé en cinq intercommunalités.
À l'origine, ce projet de territoire était souhaité par les communes puisqu'il faisait suite à la construction du grand réservoir de l'Aube, d'une superficie de 5 000 hectares. Par ailleurs, il devait contribuer au développement touristique, dans le cadre du PNR. Toutefois, après l'adoption de la loi NOTRe, c'est une intercommunalité qui a dû prendre les choses en charge. Or elle n'a absolument pas exercé sa compétence touristique. En conséquence, nous sommes contraints, aujourd'hui, de revoir la charte du PNR.
Nous ne savons pas comment sortir de cette impasse. Le préfet n'a rien voulu savoir et a morcelé le territoire autant qu'il le souhaitait. Quant à la communauté d'agglomération, elle est venue grignoter les villages, jusqu'aux bords d'eau et aux plages. Bref, c'est un mauvais exemple d'intercommunalité. Il nous faut plus de souplesse pour remettre de l'ordre dans ce bazar, si j'ose dire, d'autant que notre territoire risque de perdre l'appellation de parc naturel régional.
M. André Laignel. - Vous donnez ici l'exemple d'une division forcée qui s'est opérée contre le souhait des collectivités. C'est la raison pour laquelle nous pensons que les choix doivent se faire à la base.
Vous me répondrez que, en donnant un droit de veto à toutes les communes, on n'arrive à rien. Néanmoins, on peut requérir un vote à la majorité qualifiée, soit les deux tiers des communes représentant au moins la moitié de la population, ou la moitié des communes représentant les deux tiers de la population. Ce peut être un bon outil pour lever des blocages minoritaires, compte tenu de l'importance du projet et de son caractère d'intérêt général.
Ayant été député européen pendant dix ans, je fais bien la différence entre majorité qualifiée et veto. Surtout, je connais les difficultés que peuvent entraîner les blocages lorsqu'on applique la règle de l'unanimité. Toutefois, je pense qu'il faut s'efforcer de tendre vers un consensus le plus large possible.
M. Daniel Guéret. - Je commencerai par rendre hommage à la cohérence dont vous faites preuve depuis plusieurs décennies sur la question de l'intercommunalité. Je suis membre d'une intercommunalité depuis 2001 et j'en ai même été le vice-président. À l'origine, elle était composée de 7 communes ; aujourd'hui, elle en compte 66, pour un total de 140 000 habitants.
Cette expérience m'a permis de constater les différents types de gouvernance et d'observer la manière dont fonctionnaient les autres intercommunalités de mon département.
Aujourd'hui, je vois deux dangers monter. Le premier concerne le lien entre le citoyen et l'intercommunalité. Lors des réunions de quartier, les maires sont interrogés par leurs administrés sur la gestion des déchets, les transports et la sécurité. Or ils renvoient systématiquement la balle à l'agglomération. Dans ces conditions, les citoyens commencent à douter de l'utilité des maires.
Partant de ce constat, on pourrait être tenté de voter directement pour les représentants de l'agglomération : c'est là le second danger ; j'y vois même une intention délibérée de la part de l'État. Lors de la crise sanitaire, je m'étais étonné auprès de la préfète que les présidents d'intercommunalité soient devenus des interlocuteurs privilégiés, au détriment des maires. Il est sans doute plus facile pour l'État de dialoguer avec eux, d'autant qu'ils sont moins nombreux.
Naturellement, les présidents d'intercommunalité, par réflexe humain et démocratique, se sentent à la tête d'un petit comté. Aujourd'hui, à un an des élections municipales, les maires commencent à préparer leur campagne. Or ils ne savent pas à quoi s'engager, car, à part s'occuper de la qualité des trottoirs et de l'éclairage public, ils savent que toutes les compétences seront exercées par l'agglomération. Celle-ci conduit des programmes qui ne sont validés par personne à la base. Cela pose un véritable problème démocratique.
Au sein des conseils municipaux, les maires rendent compte de façon très aléatoire des actions entreprises par l'agglomération. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé, dans mon département, d'organiser trois conférences par an pour informer les conseillers municipaux de l'agglomération des politiques mises en oeuvre par cette dernière.
Comment percevez-vous ces évolutions ? Ne pensez-vous pas que nous devrions être extrêmement vigilants quant à la tournure qu'elles pourraient prendre dans les années à venir ?
M. André Laignel. - Je partage vos interrogations. Nous voyons bien la tentation de l'État de renvoyer à l'échelon intercommunal la plupart des décisions, même lorsqu'elles ne relèvent pas de l'intercommunalité.
Nous sommes issus de la même région, monsieur le sénateur ; j'ai donc connu les évolutions que vous décrivez dans mon département et je les ai parfois combattues. Dans le cadre intercommunal, je m'efforce de préserver l'identité de chacune des communes et je refuse de délibérer quand la question ne relève pas de l'intercommunalité.
Je sais que mon comportement n'est pas partagé par tous les présidents d'intercommunalité. Il faudrait sans doute pouvoir le traduire de manière réglementaire ou législative. Toutefois, veillons à ne pas créer de carcans. Nous ne saurions déshabiller les communes de leurs responsabilités, mais, en même temps, nous avons besoin de mutualisation.
Les 35 000 adhérents de l'AMF sont presque tous viscéralement opposés à ce qu'on élise les représentants de l'intercommunalité au suffrage universel. Cela reviendrait à tuer les communes.
Étant donné le monde perturbé dans lequel nous vivons, si vous éloignez encore du citoyen les lieux de responsabilité et de décision, vous pouvez tous ranger votre écharpe tricolore au placard ! C'est là un combat fondamental pour la démocratie et je pense que le Sénat en a conscience.
M. Lucien Stanzione. - Comment envisagez-vous l'avenir du rapport entre l'intercommunalité et les communes ? Par ailleurs, comment percevez-vous l'élargissement du pouvoir de dérogation du préfet, sujet sur lequel le Sénat mène actuellement une mission d'information, dans le cadre intercommunal ?
M. André Laignel. - Nous voulons tous de la souplesse. Dès lors, nous sommes favorables à un élargissement des pouvoirs de dérogation du préfet, pourvu qu'il s'opère conformément aux textes existants.
Une dérogation est une simple possibilité d'assouplissement, de facilitation, d'adaptation. Elle n'autorise pas à faire le contraire de ce qu'énoncent les textes. Ainsi, le débat sur ce sujet doit se dérouler de manière encadrée. Évitons de revenir au temps des préfets sous Napoléon III. C'est un modèle qui n'est pas adapté aujourd'hui, pas plus qu'il ne l'était à l'époque : je vous renvoie au pamphlet rédigé par Victor Hugo en 1852, Napoléon le Petit.
Il existe beaucoup de situations dans lesquelles il serait absurde de ne procéder à aucune adaptation, d'où la nécessité de développer plus de souplesse. En revanche, cela ne saurait servir de prétexte pour donner au préfet le pouvoir de compléter, à titre dérogatoire, la carte des intercommunalités.
Aujourd'hui, l'ensemble du territoire français est couvert par des intercommunalités. Dès lors, nous n'avons plus besoin des CDCI. En revanche, des demandes d'ajustement des périmètres peuvent être formulées et nous devons y répondre dans le cadre de procédures spécifiques et encadrées. Il s'agit non pas de démembrer ce qui existe, mais de mettre en oeuvre une procédure de réexamen et de procéder à des adaptations, chaque fois qu'elles sont nécessaires. Telle est la position de l'immense majorité des présidents d'intercommunalité.
Encore faut-il que les dispositifs existent et permettent d'apporter de la souplesse dans de bonnes conditions. Par exemple, si un quart des maires d'une communauté soulèvent une difficulté, nous pourrions instituer une procédure d'appel, soit en matière de compétences, soit en matière de périmètre.
On peut imaginer qu'un consensus se dégage pour surmonter la difficulté. Le cas échéant, la question pourrait être réglée par un vote à la majorité qualifiée.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Nous vous remercions pour ces propos, car nous attendons de vous des propositions pour améliorer nos outils, notamment sur le plan de la gouvernance.
La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite « loi Engagement et proximité », et la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « loi 3DS », ont constitué un premier jalon pour entériner des possibilités d'évolution de la carte intercommunale.
Avez-vous des exemples de fusion ou de scission d'intercommunalités ? Des communes ont-elles quitté une intercommunalité pour en rejoindre une autre ?
Par ailleurs, vous avez parlé de la souplesse dans la répartition des compétences qu'offrait les syndicats intercommunaux à la carte. Il est arrivé, dans certains territoires, que soit transférée à la communauté de communes une compétence comme la compétence scolaire, qui n'était exercée auparavant que par une partie des communes membres de l'intercommunalité. Il faudrait sans doute réfléchir à un mécanisme d'accompagnement financier pour éviter que les communes qui n'exercent pas cette compétence soient conduites à la payer deux fois, c'est-à-dire à l'échelon communal et à l'échelon intercommunal.
Enfin, nous n'évoquerons pas la compétence Gemapi dans notre rapport d'information, car la délégation aux collectivités territoriales mène actuellement des travaux sur cette question. Je souhaitais toutefois en dire quelques mots aujourd'hui. Cette compétence a été fixée par un amendement adopté à deux heures du matin lors de l'examen de la loi Maptam, sans étude d'impact. Depuis 2014, aucune modification législative n'est intervenue. Il est donc temps de nous pencher sur cette question.
Étant élue d'un territoire de montagne, je sais combien il est difficile de veiller à ce que la taxe relative à la compétence Gemapi soit levée de façon équitable. En outre, il n'est pas aisé de gérer les dossiers de prévention des inondations.
Vous avez également évoqué la compétence en matière d'eau et d'assainissement. En ce domaine, nous sommes parvenus à engager certaines évolutions, grâce à l'obstination dont a fait preuve le Sénat depuis dix ans.
Du reste, je vous remercie de nous avoir fait part de la vision de l'AMF sur l'intercommunalité et ses relations parfois complexes avec les communes. N'hésitez pas à nous communiquer davantage d'éléments à l'avenir.
Mme Marie-Cécile Georges, responsable de la mission Intercommunalités et territoires de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité. - Depuis 2021, deux procédures de scission et deux procédures de fusion ont été engagées. En outre, dix-huit communes ont changé de communauté. Enfin, huit changements de catégorie sont intervenus : ainsi, on compte davantage de communautés d'agglomération. Nous pourrons vous communiquer dans le détail l'évolution de la carte intercommunale, que nous mettons à jour chaque année.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Il y a donc eu très peu de scissions ou de fusions.
M. André Laignel. - En effet, mais la pandémie n'a pas facilité les choses. L'ensemble des élus n'ont pas pris conscience des nouvelles possibilités qui leur ont été offertes, mais cela devrait changer.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Le fait de quitter une intercommunalité pour une autre ou de fusionner les intercommunalités entraîne des conséquences fiscales, en particulier pour les citoyens. Les choses sont suffisamment complexes aux yeux des élus pour qu'ils appuient sur la pédale de frein.
M. André Laignel. - C'est exact. En outre, nous entrons dans une période préélectorale qui, à l'évidence, gèlera toute évolution, y compris juridiquement.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Vous avez rappelé, dans votre propos liminaire, que l'intercommunalité était souvent une simple construction. Dès lors, il est plus facile de la détricoter que si elle était une institution véritablement solide.
Par ailleurs, vous affirmez qu'il est l'heure de repenser les découpages sur les territoires, en fonction de l'évolution des réalités locales ; à cet égard, vous évoquiez le bassin d'emploi ou de vie. En revanche, vous êtes favorable à la suppression des CDCI : cela me heurte qu'un élu comme vous puisse souhaiter cela dans la mesure où elles sont essentiellement composées d'élus !
Enfin, contrairement au secteur privé, nous avons beaucoup de mal à procéder à des mutualisations dans le secteur public, alors que tout le monde souhaite s'engager dans cette voie pour faire des économies. En ce domaine, nous sommes souvent déçus ; les chambres régionales des comptes en ont donné de nombreux exemples. Quel est votre avis sur ce sujet ?
M. André Laignel. - L'objectif des CDCI, qui consistait à couvrir d'intercommunalités l'ensemble du territoire national, est désormais atteint. Je le répète, il faudrait mettre en place une procédure d'appel pour les communes, soit en matière de compétences, soit en matière de périmètre. Si elles ne parviennent pas à se mettre d'accord, il faudra, à ce moment-là, créer une instance à la place des CDCI, avec un autre objectif.
Un collectif d'élus pourrait être saisi, avec le préfet, afin d'arbitrer le conflit. En tout état de cause, la demande des communes devrait être satisfaite, si elle est justifiée.
Les CDCI n'ont pas très bien fonctionné sur le terrain et ont souvent donné lieu à des batailles de clans. En outre, il semble que l'intérêt local n'ait pas toujours été conforme à l'intérêt général.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - En effet, il y a eu quelques arrangements...
M. André Laignel. - Je ne vais pas faire le procès des CDCI. Elles ont bien ou mal fonctionné suivant le poids qu'avaient les élus au sein de telle ou telle commission.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous vous remercions, monsieur Laignel, madame Georges, pour votre venue.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h30.
Mercredi 9 avril 2024
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Audition de M. Éric Krezel, vice-président national de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), maire de Ceffonds et vice-président de la communauté d'agglomération du Grand Saint-Dizier, Der et Vallées
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur le bilan de l'intercommunalité par l'audition de l'Association des maires ruraux de France, interlocuteur clé pour le sujet que nous avons à traiter. Je précise qu'elle fait l'objet d'une diffusion en visioconférence et qu'elle sera disponible sur le site internet du Sénat. Nous avons le plaisir d'accueillir son vice-président national, Éric Krezel, maire de Ceffonds, dans la Haute-Marne, et vice-président de la communauté d'agglomération du Grand Saint-Dizier, Der et Vallées, qui dispose donc à ce titre du double éclairage, maire d'une des communes et vice-président de l'intercommunalité.
Monsieur Krezel, nous vous remercions chaleureusement de vous être rendu très rapidement disponible pour nous faire partager votre grande expérience en matière de décentralisation. Et plus précisément, nous livrer votre regard sur l'évolution de l'intercommunalité et nous dire quels sont, selon vous, les critères de sa réussite. En particulier, nous sommes plusieurs autour de cette table à être particulièrement sensibles au sujet des intercommunalités dites XXL, qui regroupent un grand nombre de communes et au sein desquelles les maires des plus petites d'entre elles, se sentent démunis et souvent tenus pour quantité négligeable.
Je vous précise que notre mission d'information, créée à l'initiative du groupe RDSE, Rassemblement Démocratique et Social Européen, n'a pas pour objectif de remettre en cause le principe de l'intercommunalité, mais d'identifier les freins et blocages de toute nature qui entravent le bon fonctionnement de certaines structures intercommunales. En adoptant une démarche pragmatique au plus près des réalités du terrain, nous avons à coeur de trouver avec les élus, en particulier les maires et les présidents d'intercommunalités, des voies d'amélioration pour garantir le meilleur fonctionnement possible de notre démocratie locale, notamment en termes de gouvernance et de services rendus aux citoyens.
Je sais que notre rapporteur, Marie Carrère, que je salue, tient à accorder une importance particulière aux territoires ruraux. Aussi, je lui cède sans plus tarder la parole.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Monsieur le vice-président, je suis ravie de vous accueillir. Il nous a paru incontournable de vous associer à nos travaux pour que vous puissiez nous dire comment vous appréhendez aujourd'hui l'intercommunalité, comment les communes rurales vivent l'intercommunalité, et nous faire part aussi de son évolution depuis que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a procédé au regroupement et aux fusions de ces intercommunalités dans les territoires.
Selon vous, l'intercommunalité est-elle aujourd'hui une réussite ? On sait qu'il y a des territoires où elle fonctionne bien, d'autres où elle fonctionne moins bien. Avez-vous des exemples à nous fournir d'intercommunalités qui fonctionnent bien ? Quelles sont les possibles pistes d'amélioration que vous auriez identifiées ? Quel est, selon vous, le sens de l'intercommunalité ? S'agit-il d'une « supracommune » ou est-ce toujours un outil au service des communes qui la composent ?
Je souhaiterais également avoir votre avis sur la carte des intercommunalités ainsi que sur leur gouvernance. Nous savons tous que la réussite de l'intercommunalité est souvent liée à son mode de gouvernance.
Dresser le bilan de l'intercommunalité suppose également de s'interroger sur l'exercice de leurs compétences et nous serons attentifs à votre témoignage et vos propositions à ce sujet.
M. Éric Krezel, vice-président national de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - L'AMRF estime que l'intercommunalité est utile et porteuse de sens. Mais comment faire en sorte que les intercommunalités fonctionnent bien ? La loi NOTRe, avec ses dispositifs et ses superficies XXL, a aggravé la situation par rapport à la gestion de proximité précédente, qui semblait mieux fonctionner.
Avant de vous répondre, j'aborderai deux sujets de préoccupation. Le premier a trait au rôle de la fonction publique territoriale et la connaissance qu'elle a du fonctionnement des intercommunalités. Nous sommes souvent confrontés à des questionnements ou des retours d'agents territoriaux qui ne connaissent pas du tout le fonctionnement de l'intercommunalité. Il leur est difficile de comprendre qu'un jour ils travaillent pour la ville de Saint-Dizier, et, qu'à compter du lendemain - nous sommes alors en 2017 -, ils travaillent pour les 60 communes de la communauté d'agglomération. Ils ont exercé leur métier comme ils savaient le faire. En matière d'urbanisme, par exemple, je pense à une personne qui a instruit un dossier concernant ma commune au sein de la communauté d'agglomération. Je souhaitais voir les choses avancer rapidement, car il s'agissait d'un projet économique important. Mais je me suis vu répondre que le dossier devait d'abord passer entre les mains du chef de service, puis du maire de Saint-Dizier. J'ai dû faire comprendre que, dans ce cas, les fonctionnaires exerçaient leur métier pour les 60 communes de la communauté et que j'étais donc leur interlocuteur direct. Il existe une forme d'incompréhension du rôle et de la place des maires. Une intercommunalité, ce n'est pas une entité unique, avec un maire et une équipe, mais ce sont 60 entités. Et donc chacune doit être respectée, quelle que soit sa taille.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - La situation que vous décrivez remonte à plus de sept ans : avez-vous observé depuis une évolution dans le comportement des fonctionnaires territoriaux ? Les gens ont-ils compris que l'intercommunalité existait ?
M. Éric Krezel. - À force de pédagogie, les choses se sont améliorées.
J'en viens à mon second point, qui concerne les outils à la disposition des communes. Les intercommunalités XXL ont permis aux communautés, agglomérations, de disposer d'un certain nombre d'outils et d'applications techniques coûteuses. Ceux-ci peuvent se révéler très utiles mais, au quotidien, ils sont parfois difficiles à maîtriser par les élus, qui exercent par ailleurs une activité professionnelle.
À votre question sur l'appréciation globale de l'intercommunalité, je répondrai qu'elle est nécessaire mais qu'elle ne constitue pas une réussite. Il nous faut encore progresser sur certains points, notamment s'agissant de la place des communes. La représentation des communes est fondée sur leur population. En fonction de ce principe, je suis le seul élu de ma commune au conseil communautaire, alors que celle-ci fait presque la taille de celle de Saint-Dizier, représentée par plus de 20 membres. À l'évidence, nous n'avons pas la même influence, alors que, compte tenu de cet élément, ma commune est au coeur des problématiques d'adaptation au changement climatique.
La question de l'espace est donc importante. À mon sens, on ne peut donc pas répondre de manière binaire à la question de la réussite de l'intercommunalité. L'intercommunalité est nécessaire, mais ce qui manque aux intercommunalités, c'est peut-être le sens pratique. Je vais prendre un exemple : comme je l'explique régulièrement aux membres de mon conseil municipal, ce n'est pas parce que l'intercommunalité permet de mutualiser les moyens qu'elle peut tout faire. Ainsi, pour installer des guirlandes de Noël ou couper des arbres en hauteur, l'agglomération dispose de matériel grâce à des mutualisations, mais les communes ne peuvent en bénéficier, car ce n'est pas le rôle ni la compétence de l'intercommunalité. Or les citoyens ne comprennent pas les questions de compétence et d'organisation. Ils pensent que l'intercommunalité doit faire ce que la commune ne peut pas faire, avec des moyens supplémentaires.
La question de l'évolution des intercommunalités vers une supra-communalité n'est donc pas encore réglée. On a regroupé les communes, on a effectué des coupes dans le taux de fiscalité, mais les moyens ne sont pas répartis de façon totalement juste. Cela irait s'il y avait un organisme supra-communal avec des moyens qui répondait à nos problèmes, mais ce n'est pas le cas. Il y a donc un sujet de rediscussion des moyens : si on veut améliorer l'intercommunalité, il faut revoir l'attribution des moyens. Dans ma communauté d'agglomération, on a transmis presque la moitié de la fiscalité à l'intercommunalité. Sur le principe, c'est logique que l'intercommunalité soit bénéficiaire de la fiscalité économique, car elle a les compétences en matière de développement économique. Mais est-ce bien légitime qu'elle capte la moitié de l'ensemble de la fiscalité ?
Le message des intercommunalités est qu'elles font déjà beaucoup avec leurs moyens et qu'elles ne peuvent pas faire plus. Elles ont un plafond en la matière. Nous souhaiterions qu'elles fassent plus et mieux, mais elles sont déjà prises par « l'effet ciseaux » du fait des compétences obligatoires, comme l'eau et l'assainissement, qui ont nécessité de mettre en place de programmes d'investissement à long terme. Ces compétences mobilisent une bonne partie de leurs investissements, laissant peu de place pour faire autre chose.
Je répondrai très rapidement à la question de la carte intercommunale : il n'y a pas beaucoup d'évolution, et rares sont ceux qui demandent une modification.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - À ce sujet, les lois « Engagement et proximité » et « 3DS » de 2019 et 2021 ont donné des possibilités de fusion d'intercommunalités ou de scission d'intercommunalités. Avez-vous des exemples, notamment en milieu rural, de communes qui ont voulu changer de communauté de communes ou des communautés qui ont fusionné ?
M. Éric Krezel. - Nous ne disposons pas de chiffres, tant cela est rare. Il y a eu un ou deux exemples de tentatives, mais je ne suis même pas certain qu'elles aient abouti. Il n'y a donc pas vraiment de demande à ce sujet.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - La demande n'est-elle pas faite parce que la démarche est trop complexe ? Sortir d'une intercommunalité engage beaucoup de conséquences, notamment sur la fiscalité et les compétences. Est-ce cela qui bloque, ou les communes se contentent-elles de leur intercommunalité, car elles s'y trouvent bien ?
M. Éric Krezel. - Je ne pense pas que la totalité des communes se trouve bien. Il y a une vraie complexité, notamment en ce qui concerne les questions financières, en termes de convergence des taux de fiscalité et de périmètre de compétences. Tout le monde est un peu fatigué de tout cela. Je connais très peu de demandes, seules deux sont remontées à l'AMRF et, comme je vous l'ai dit, je ne suis même pas sûr qu'elles aient abouti.
Sur le rôle du préfet, il n'y a pas grand-chose à dire, si ce n'est que l'État doit être acteur de ces questions de mutualisation et de meilleure gestion. Le préfet doit participer à ces discussions. La façon dont cela a été fait en 2017 a été parfois un peu cavalière dans certains territoires. Il faut qu'il y ait un échange entre les collectivités et l'État. Les possibilités existent, mais comme on ne les a pas utilisées ces dernières années, je ne peux pas en dire beaucoup plus.
M. Jean-Marie Mizzon, président. -Avant de poursuivre, nous allons laisser la parole à nos collègues.
Mme Isabelle Briquet. - Merci pour vos explications, monsieur le président. J'ai quelques interrogations par rapport à l'exemple que vous évoquiez tout à l'heure : la commune qui n'aurait pas les moyens de couper ses arbres ou de les entretenir... ni les habitants ni les élus ne comprennent que l'intercommunalité ne le fasse pas à la place de la commune. N'avez-vous pas défini quelles compétences étaient transférées et quelles compétences étaient conservées ? C'est pourtant la base. Lorsqu'on transfère des compétences, on transfère les moyens qui vont avec. Selon le régime de fiscalité, on a une attribution de compensation en retour, avec une restitution d'une partie de vos ressources - on peut même contribuer si on transfère plus de charges que de ressources. Je ne comprends donc pas trop l'interrogation que vous formulez, car pour moi, c'est plutôt clair. Mais je prends volontiers vos explications complémentaires.
Avez-vous participé à la constitution de votre intercommunalité dès le départ ? Étiez-vous maire quand celle-ci s'est installée ? Cela peut changer la vision qu'on peut en avoir. Quand on a été bâtisseur de son intercommunalité, on a une vision différente de celle de quelqu'un qui arrive en cours de route - a fortiori lorsqu'il y a eu des fusions de communautés de communes après, avec des compétences qui ne sont pas exercées ou des compétences différentes dans chaque communauté qui a fusionné. Cela devient encore plus compliqué.
Mme Évelyne Perrot. -Puis-je compléter la question de ma collègue ? Vos communes ont-elles déjà été membres d'un syndicat intercommunal à vocation multiple (Sivom) ?
M. Éric Krezel. - Vous avez bien identifié les deux niveaux de questions. Notre petite communauté de communes de 6 000 habitants a été rattachée à une communauté existante, celle de Saint-Dizier, qui résultait déjà de la fusion de deux autres. J'ai donc suivi tout l'historique, étant élu depuis 2008.
Pour vous répondre, il faut distinguer deux niveaux. Il y a d'abord le maire qui se retrouve entre deux feux. Lui connaît les compétences de son intercommunalité, mais ses habitants, ses adjoints, les conseillers municipaux, ne les connaissent pas forcément. Eux qui font au maire le procès d'être l'avocat de l'intercommunalité. J'ai expliqué que je ne suis pas un avocat, mais que je tente de clarifier les choses. J'ai rappelé que l'intercommunalité n'a pas la compétence en matière de matériel ni de personnel, ce qui explique qu'elle ne puisse pas agir sur ces questions.
La question des compétences reste nébuleuse pour les citoyens et les conseillers municipaux, qui ne la maîtrisent guère. Cela entraîne des feux croisés difficiles à gérer pour le maire. J'y suis souvent confronté. Lorsque l'on maîtrise les compétences, on peut discuter du lissage de la fiscalité, des moyens, des attributions de compensation. Mais le maire est vraiment le passage obligé pour toutes ces questions.
Les citoyens pensent qu'il y a un organisme au-dessus de la commune, qui peut faire ce qu'elle ne peut pas faire, à savoir l'intercommunalité. Personnellement, j'espère maîtriser modestement les compétences de l'intercommunalité, mais les critiques viennent d'ailleurs et visent la totalité du bloc communal, y compris le maire. Étant également vice-président de ma communauté de communes, je suis particulièrement visé.
En réponse à votre question, Madame Perrot, oui, nous étions réunis en Sivom. L'association des maires ruraux a réfléchi à ces questions et a constaté qu'à l'époque des Sivom, le système fonctionnait très bien. Les communautés de communes qui fonctionnent bien sont souvent issues d'un Sivom élargi et étoffé. Mais chez nous, il y a eu une cassure : le Sivom a été dissous, et, deux ans après, l'intercommunalité s'est agrandie, pour ainsi dire sur les cendres du Sivom. Depuis, il n'y a plus de construction collective, ce ne sont pas les mêmes communes, les mêmes acteurs. Je suis nostalgique du Sivom et de son efficacité.
M. Jean-Marc Delia. - Monsieur le vice-président, vous avez assisté à l'ensemble de ces fusions. 10 ans après la loi NOTRe, notez-vous une diminution des effectifs d'agents publics dans les communes, au profit de l'agglomération qui a récupéré des compétences, ou bien y a-t-il eu une multiplication des couches administratives avec le recrutement de personnels supplémentaires au niveau de l'agglomération, se cumulant avec ceux des communes ?
Avez-vous mis en place des services communs, qui ont l'avantage d'être plus souples, au-delà des transferts de compétence ?
Comment réagissent les élus, notamment dans les petites communes, lorsqu'un problème surgit dans la gestion d'une compétence exercée par une agglomération ? Est-ce que par exemple, en cas de problème dans la gestion des déchets, les élus municipaux peuvent dire : « Ce n'est pas nous, c'est l'agglomération qui ne fait pas son travail » ? Cela peut créer une situation désagréable entre l'usager et les élus municipaux, qui n'exercent plus directement cette compétence, mais qui représentent aussi l'agglomération sur le territoire de la commune.
En cas de difficultés dans l'exercice d'une compétence par l'intercommunalité, les services de l'agglomération répondent-ils aux élus des petites communes, ou bien ne s'expliquent-ils qu'auprès du président de l'intercommunalité ? Autrement dit, la gouvernance des agglomérations est-elle adaptée, pour les petites communes, concernant les compétences exercées sur leur territoire par l'agglomération ? Je pense que nous ressentons tous un peu cette situation dans les petites communes.
M. Éric Krezel. - Nous nous posons tous ces nombreuses questions.
S'agissant de la question des effectifs, nous avons vu un certain nombre d'embauches de nouveaux agents dans les agglomérations. La loi NOTRe et les grandes intercommunalités créées à la suite de son entrée en vigueur ont donc rajouté des strates ; la chaîne de décision est passée de trois à six niveaux. C'est une réelle difficulté pour les maires, car, depuis 2017, ce sont les services de l'agglomération qui répondent à leurs interrogations. Ce sont de mauvaises habitudes ; ce n'est pas inscrit dans la loi NOTRe, mais c'est comme cela que les choses se passent dans la pratique.
Concernant les services communs, certaines agglomérations, comme celle de Chaumont, ont par exemple créé des services communs de secrétariat qui ont montré leur utilité. Ces services communs permettent aux secrétaires de mairie de bénéficier d'une rotation, ce qui limite les absences. Cette pratique génère également une forme de solidarité entre communes, ce qui est intéressant. Même si ce n'est pas à la hauteur de ce qui avait été annoncé avant l'examen de la loi NOTRe, des services communs se sont mis en place et fonctionnent bien.
Le dessaisissement des élus municipaux - et notamment ruraux - pour certaines compétences est un problème réel, notamment en ce qui concerne la question de l'eau et de l'assainissement ou encore la question des ordures ménagères. Le fait d'être complètement dessaisi de ces questions est problématique. Pour prendre l'exemple de ma commune, le syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères (Smictom) exerce cette compétence depuis plus de 40 ans. Un matin, les services compétents n'ont pas pu passer ramasser les ordures à cause d'un problème technique sur un camion, mais ils sont revenus dès le lendemain matin. Entre temps, 15 personnes sont venues à la mairie pour demander la raison pour laquelle les ordures ménagères n'avaient pas été ramassées ; aucune de ces personnes n'avait pris contact avec le Smictom au préalable. Ils identifient la commune comme en charge du ramassage des ordures ménagères, alors que la compétence a été transférée au syndicat intercommunal il y a longtemps. Cette situation est un peu lourde pour les élus ; elle est liée pour partie à la méconnaissance du fonctionnement des intercommunalités de la part de la population, ainsi qu'au souhait d'avoir un interlocuteur physique local.
Concernant les grosses intercommunalités, ce sujet a été abordé notamment au congrès national des maires ruraux, à l'Alpe d'Huez en 2023, avec, plus précisément, la question des hiérarchies et du rôle prépondérant des présidents des intercommunalités.
Une autre question connexe qui me préoccupe est liée au fait que les préfets ou les interlocuteurs tels qu'Enedis, ne s'adressent qu'aux présidents d'intercommunalité, et pas aux élus des communes membres. C'est une vraie difficulté, dans le cas des intercommunalités comptant 60 communes membres par exemple, que je ne sais pas comment résoudre.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Les présidents et les préfets prennent parfois des libertés qu'ils n'ont pas.
M. Jean-Claude Anglars. - Comment percevez-vous la préparation des élections municipales à venir ?
Vous avez bien identifié le problème relatif aux communautés de communes XXL : les communes n'ont plus leur mot à dire, la gouvernance n'est plus choisie, mais subie. Les textes déterminent le nombre de délégués au conseil communautaire, et beaucoup de communes se sentent dessaisies.
Au-delà des communes et des maires, cela concerne aussi les citoyens. Avez-vous réfléchi, au sein de votre association, à la manière de redonner du sens aux choses et de remettre de la proximité dans l'action publique locale ? On sait que les lois NOTRe et Maptam, sous couvert de rationalisation, ont été faites pour supprimer deux échelons : la commune et les départements.
On voit aujourd'hui qu'il y a une crise, que vous avez bien décrite, avec des élus qui se sentent complètement dépossédés. Les maires pourront-ils présenter des listes aux prochaines élections municipales ? Comment voyez-vous la situation au niveau de votre association ?
M. Éric Krezel. - Le sujet des élections municipales est important, et implique la mise en place d'un statut de l'élu, pour lequel nous nous battons depuis longtemps ; j'espère à ce sujet que la proposition de loi sénatoriale portant création d'un statut de l'élu local sera rapidement adoptée.
La récente proposition de loi étendant le scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1 000 habitants, adoptée définitivement lundi, apporte davantage encore de complexité pour les élus locaux.
Avoir un seul élu par commune représenté auprès de chaque intercommunalité n'est pas souhaitable. Cela ne fonctionne pas bien : il suffit d'une absence pour que la position d'une commune ne soit pas prise en compte, et cela focalise toutes les responsabilités sur les maires, qui sont déjà confrontés à de nombreuses autres questions. Il faudrait que deux ou trois élus municipaux soient présents pour leur permettre de mieux écouter les sujets évoqués au niveau intercommunal, même si j'entends qu'il n'est pas possible de débattre à 300 personnes.
La conférence des maires a été instaurée dans toutes les intercommunalités. Je pense qu'elle ne fonctionne pas de manière optimale et qu'elle a été détournée de son objet. De nombreux maires ne s'y rendent plus : les réunions durent une heure seulement, pour traiter de sujets complexes tels que le « zéro artificialisation nette » (ZAN) ou de la compétence eau et assainissement, ce qui ne permet pas réellement d'écouter les élus municipaux. Il y a une vraie préoccupation à ce sujet.
La conférence des maires devrait être une instance où l'on discute, avec une vraie concertation et où l'on prend des décisions, plutôt qu'une simple réunion d'information. Certaines décisions devraient être obligatoires, par exemple sur le ZAN et sur l'eau et l'assainissement.
Je propose également l'instauration du vote à bulletin secret au conseil communautaire. Sur des sujets consensuels, voter à bulletin secret est inutile. Mais pour certains sujets importants, il faut voter obligatoirement à bulletin secret, ce qui est possible d'un point de vue technique. On peut par exemple utiliser des téléphones portables pour voter. Cela permettrait aux maires - et notamment aux maires de petites communes - d'exprimer leur désaccord, sans avoir à s'exprimer devant 100 personnes sur un sujet qu'ils ne maîtrisent pas entièrement. Cela inciterait les intercommunalités à donner plus d'explications en amont, pour que les décisions soient prises en connaissance de cause.
M. David Margueritte. - Merci, monsieur le vice-président, pour vos éléments de réflexion.
Je rebondis tout d'abord sur le vote à bulletin secret au sein du conseil communautaire. Je rappelle qu'il est possible dans deux cas : lorsqu'un tiers des membres le demande et lorsqu'il y a lieu de procéder à une nomination ou à une présentation. J'ai un exemple récent d'une intercommunalité proche de chez moi qui a demandé à adopter son budget à bulletin secret, ce qui a d'ailleurs changé les rapports de force habituels, avec un budget adopté à deux voix près.
Je voudrais ensuite revenir sur votre constat d'une méconnaissance de l'intercommunalité que, je crois, nous sommes nombreux à partager. La méconnaissance de nos concitoyens, mais aussi parfois de certains élus, du fonctionnement de l'intercommunalité est sans doute dû à un manque d'informations. Et pourtant, un certain nombre d'outils de communication existent pour répondre aux questions « Qui fait quoi ? », « Qui finance quoi ? ». Vous en avez d'ailleurs cité un, la conférence des maires. J'ajouterai le pacte de gouvernance qui permet d'organiser le dialogue et la coordination entre les communes et l'intercommunalité. Le pacte fiscal et financier permet, quant à lui, d'aborder les questions de dotation de solidarité communautaire et de fonds de concours d'investissement au bénéfice des communes.
Malgré l'existence de ces outils, le constat d'un manque de connaissance sur ce qu'est l'intercommunalité persiste. Comment l'expliquer ? Pourquoi la conférence des maires est-elle parfois désertée ? Je partage votre idée d'une conférence des maires plus décisionnelle. Comment imaginer des systèmes de majorité qualifiés pour redemander des délibérations sur certains grands sujets qui animent l'agglomération ?
Je regrette que ces questions ne suscitent pas plus d'implication de la part des élus dans les territoires. S'agit-il d'une méfiance à l'égard de l'intercommunalité ou d'un manque d'explication sur le fonctionnement de ces outils ?
J'aimerais également savoir ce qu'il en est des pôles de proximité, destinés aux grandes intercommunalités. Avez-vous des retours sur leur fonctionnement et sur ce qu'ils ont pu apporter en termes de proximité ?
M. Éric Krezel. - Effectivement, un certain nombre d'outils existent. Au-delà d'une méconnaissance de l'intercommunalité, il existe une méconnaissance des institutions en général. C'est vrai de la fonction publique territoriale et plus largement, de l'ensemble des citoyens.
L'AMRF a proposé un statut de l'élu incluant une formation initiale. Il y a un manque important en matière de formation. Je dois souvent rappeler à mes collègues membres du bureau de l'intercommunalité pourquoi nous avons prévu le pacte de gouvernance, le pacte fiscal et financier ; j'ai parfois le sentiment qu'ils ne se sentent pas concernés.
Il me paraît essentiel de former et d'associer davantage les élus. Ce n'est pas très compliqué, mais il y a encore trop peu d'efforts en ce sens.
En tant qu'agent de l'État, j'ai souvent été amené à expliquer des sujets à des élus. Mes deux casquettes me permettent de faire cela, mais il n'y a pas toujours cet effort de pédagogie dans les intercommunalités.
En résumé, il me semble qu'il y a une importante marge de progression en matière de formation, de communication, de pédagogie.
S'agissant des pôles de proximité, je n'ai pas eu de retour. Cela signifie sans doute qu'il n'y a pas d'alerte. En général, s'il y a un sujet, il nous remonte à un moment ou à un autre.
Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Monsieur le vice-président, je vais insister sur le ressenti que vous avez évoqué, celui de l'élu d'une petite commune rattachée à une communauté d'agglomération. S'il n'est pas dans l'exécutif intercommunal, il se sent perdu et inutile. Le nombre d'élus communaux est également un aspect important. Dans les petites communes, il n'y a souvent qu'un seul élu, le maire. Ne faudrait-il pas que ces communes aient au moins deux représentants au niveau de l'intercommunalité, même si cela signifie un nombre plus élevé de participants ? Cela permettrait une meilleure représentation, notamment au sein de la conférence des maires. J'en parle d'expérience, ayant fait partie de l'exécutif d'une communauté de communes. Lorsque l'on est dans l'exécutif, on connaît les dossiers et on peut s'exprimer plus facilement.
J'aimerais également connaître votre position s'agissant des compétences obligatoires des intercommunalités. Faut-il des assouplissements ? Un retour en arrière ? L'objectif étant que les communes se sentent bien intégrées au sein de l'intercommunalité.
La communication entre les élus et en direction des administrés est effectivement un sujet essentiel. Dans votre communauté d'agglomération, avez-vous mis en place des dispositifs de communication ? Ne faudrait-il pas encourager les adjoints municipaux à communiquer efficacement au sein de leur conseil municipal ? Ne faudrait-il pas envisager la création d'une instance de communication intercommunale ou tout du moins de rendre obligatoire la communication au sein de l'intercommunalité ?
M. Éric Krezel. - La question de la place de l'élu est au coeur du sujet. L'engagement de l'élu est moins important en 2025 qu'il ne l'était en 2021, ce qui est inquiétant. Lors du vote du budget de mon intercommunalité la semaine dernière, sur 100 élus, seuls 30 avaient leur tablette allumée et je doute que tous suivaient les débats.
La démobilisation des élus est un véritable problème. Les présidents et vice-présidents d'intercommunalités ont été présents dans les communes les premières années, il revenait ensuite aux maires de prendre le relais en termes de communication. Mais si le maire ne comprend pas lui-même le fonctionnement de l'intercommunalité, il ne peut pas s'en faire le relais auprès de ses adjoints, de ses conseillers municipaux et de ses administrés.
La formation des présidents d'intercommunalité est un problème, ils ne sont pas préparés à partager leurs connaissances. L'intercommunalité n'est pas une commune, c'est une entité à part, composée de 65, 60, 40 composantes, qui sont les communes. Il faudrait parvenir à faire projet ensemble, en additionnant les idées de chacun, mais c'est une démarche qui fait défaut aux élus.
Et pourtant, des outils comme la conférence des maires existent, mais ils sont mal utilisés.
Je pense aussi au cabinet du président de l'intercommunalité qui, à mon sens, a aussi un rôle de communication à jouer. Il est au service de tous les maires. Pourquoi ne pas également envisager un organe, un service, spécifiquement dédié à la communication, qui fasse le lien entre l'intercommunalité et les communes ? Certains maires ruraux apprennent dans le journal ce qui se passe dans l'intercommunalité !
Mme Marie-Jeanne Bellamy. - La communication est un sujet important. Il ne s'agit pas simplement de présenter ce que l'on a fait. Il est plutôt question de communiquer, peut-être au moins une fois par an, sur le rôle des élus et sur le fonctionnement, qui est un sujet qui frustre beaucoup d'élus. On oublie souvent ce qu'on vote et ce qu'on ne vote pas.
M. Lucien Stanzione. - Monsieur le vice-président, je vous sens déçu, peut-être même désabusé. Est-ce le reflet de votre ressenti personnel ou un sentiment général au niveau des petites communes et des petites intercommunalités rurales ?
Vous avez dit que le Sivom fonctionnait bien avant. Qu'est-ce qui s'est cassé avec l'arrivée de l'intercommunalité ?
Avez-vous l'impression que les maires rencontrent beaucoup moins le préfet qu'auparavant ?
M. Éric Krezel. - À votre première question, la réponse est oui. Je suis déçu. Mais, comme je vous l'ai dit, lorsqu'il y a un tonnerre d'applaudissements quand, dans un congrès réunissant tous les présidents départementaux, quelqu'un raconte une anecdote qui s'est mal passée avec son intercommunalité, c'est que le sentiment est largement partagé.
Il y a un vrai enjeu. Qu'est-ce qui pourrait motiver quelqu'un à agir dans sa commune ? C'est l'initiative, c'est le projet. Nous y travaillons depuis deux ans à travers un dispositif qu'on appelle le Grand Atelier sur la transition écologique. Pour nous, le monde rural, c'est 88 % de l'espace. C'est dans les territoires ruraux que la transition écologique devra se faire.
Des projets voient le jour. Par exemple, une commune proche de chez moi a réalisé un dispositif d'autoconsommation de grande envergure. Il a permis d'avoir une consommation moins coûteuse en électricité pour les habitants. C'est une commune nouvelle, avec plusieurs villages qui se sont rassemblés, qui a fait ça.
Ce projet est complètement passé sous les radars. La maire l'a présenté à l'intercommunalité et elle attend toujours une réponse, depuis un an et demi. Qu'est-ce qu'il se passe ? On critique les communes qui n'innovent pas et celles qui innovent passent sous les radars.
C'est pour cela que je suis désabusé. Même lorsque les communes arrivent à innover dans le petit espace d'initiative qui leur reste, et en dépit de la question des moyens, comme avec ce dispositif d'autoconsommation, elles ne sont pas accompagnées par les intercommunalités. Alors même qu'il s'agit d'un supra-organisme de la part duquel on s'attendrait à un accompagnement.
À propos du Sivom, j'ai une anecdote que je raconte souvent. En 2010 ou 2011, nous avons eu besoin de changer une balayeuse qui avait 40 ans. Cela nous avait pris quatre mois. Nous sommes entrés dans l'intercommunalité en janvier 2017. En juin, j'ai demandé comment nous allions faire pour les balayeuses, car l'ancienne avait été vendue. Il a fallu attendre 2025 pour en acheter une nouvelle !
Entre-temps, nous avons eu recours à un prestataire pour que des balayeuses passent dans nos villages. C'est incompréhensible pour moi et c'est encore plus incompréhensible pour les habitants. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas.
En réponse à la question sur les relations maires-préfets, je constate que les maires voient beaucoup moins les préfets, mais beaucoup plus les sous-préfets. Le lien avec les sous-préfets s'est renforcé ; ces derniers apparaissent comme des interlocuteurs plus neutres, notamment par rapport aux grandes intercommunalités.
M. Jean-Marc Delia. - Je voudrais avoir votre avis sur la gouvernance. Dans les Sivom, les présidents étaient souvent des adjoints au maire, et non nécessairement des maires. Avez-vous un avis sur le mode de gouvernance des agglomérations qui est peut-être moins personnalisé ?
M. Éric Krezel. - Le problème n'est pas le mode de gouvernance : un président, des vice-présidents, c'est une organisation normale. Il serait peut-être possible de rajouter des groupes territoriaux, mais ce serait sans doute dangereux.
Le problème, c'est la mauvaise utilisation des outils de gouvernance comme la conférence des maires ou le simili-cabinet. Il manque des sanctions pour permettre leur véritable effectivité. Il serait, par exemple, envisageable de prévoir une obligation d'information préalable. Si l'information n'est pas donnée, alors la décision ne s'applique pas.
M. Yves Bleunven. - Au regard de votre vécu et de votre expérience, quelles recommandations formuleriez-vous quant à la taille des intercommunalités ? Est-elle, selon vous, la principale cause de problème ? Autrefois, nous étions sur de petits périmètres, la mutualisation était plus facile à mettre en place. J'ai l'impression que la très grande taille des intercommunalités complique les choses, car la mutualisation devient très complexe à mettre en oeuvre.
M. Éric Krezel. - Je partage votre interrogation sur la question de la taille qui est un véritable problème. Comme nous sommes extrêmement mobilisés et focalisés sur la question des grandes intercommunalités, nous ne nous occupons plus des autres sujets.
Je pense que d'autres outils de coopération entre communes existent. Le rassemblement entre communes ne date pas des intercommunalités. Le réseau des eaux de ma commune a été réalisé en 1932, avec deux autres communes.
Les conventions intercommunales, c'est très simple. Une commune excentrée de mon intercommunalité a fondé un conseil numérique en partenariat avec 11 autres communes, dont 5 d'une autre intercommunalité. Ce modèle pourrait être répliqué sur d'autres sujets.
Pour moi, l'espace existe, mais il faut au préalable que l'intercommunalité l'admette. Sur les douze communes de ce conseil numérique, une s'est désistée. Elle apportait 3 000 euros sur le financement global. J'ai demandé à l'intercommunalité de participer au financement, mais elle a refusé, car elle estimait que cela ne relevait pas de sa compétence.
La solution pour moi est de donner la capacité à des groupes de sept ou huit communes de traiter des sujets qui les concernent grâce à un projet spécifique et avec l'aide de l'intercommunalité, qu'elle soit technique ou financière. Il faut abandonner l'idée de tout vouloir mutualiser à tout prix.
Il n'est pas possible de tout mutualiser au sein d'une structure trop grande ; il y aura toujours des désaccords. Le conventionnement et les ententes entre communes permettent, à l'inverse, de saisir des sujets à bras le corps et de les traiter. Et une telle approche permet à l'élu de retrouver toute sa place.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. -Je vous remercie monsieur le vice-président pour ces réponses. Vous faites un constat paradoxal : d'une part, vous témoignez de la déception voire du dépit des élus ruraux par rapport à l'intercommunalité, d'autre part, vous n'exprimez pas la volonté de revenir en arrière, ce qui pourrait être assimilé à de la résignation.
La différence entre une communauté de communes et un Sivom est le lien de dépendance direct que ce dernier avait avec la commune, notamment en termes de financement. Ce sont les subventions de chacune des communes qui venaient alimenter et conditionnaient le budget du Sivom. Cette dépendance n'existe pas entre la commune et la communauté de communes.
Vous avez mentionné la conférence des maires, un outil que le Sénat a voulu rendre obligatoire pour retisser le lien entre les communes et les communautés de communes. Pouvez-vous nous proposer une ou deux actions qui lui permettraient de renforcer ce lien ?
Enfin, concernant la problématique du partage des compétences, jugez-vous que le panel des compétences proposées pour les intercommunalités soit abouti et cohérent ? Ces compétences à la carte permettent-elles de répondre aux besoins des territoires ? Existe-t-il des compétences importantes que les communes ne souhaitent pas mutualiser à l'échelle d'une intercommunalité ?
M. Éric Krezel. - La conférence des maires est un bel outil qui n'est pas suffisamment voire correctement utilisé, ce qui est, pour moi, une déception.
Les maires y participent même s'ils peuvent regretter de ne pas avoir suffisamment de temps pour s'y exprimer. Cet outil pourrait avoir un rôle plus décisionnel, notamment en lien avec le pacte de gouvernance. Ce dernier définirait un ensemble de décisions qui ne pourraient être prises qu'après l'accord de la conférence des maires.
Je pense que le système de transfert des compétences à la carte gagnerait à être simplifié. Il devient illisible pour les citoyens qui ne comprennent pas les différences de répartitions qui peuvent exister entre deux communes limitrophes.
Ce système devrait plutôt se concentrer sur ce qui, à l'origine, légitimait l'intercommunalité, c'est-à-dire favorisait le développement économique et le développement touristique, mettait en cohérence les zones d'activités et évitait les concurrences entre communes.
La possibilité de définir et de modifier l'intérêt communautaire me semblait, a priori, une bonne chose. Cependant, comme beaucoup de mes collègues, j'ai pu constater que les délibérations du conseil communautaire portant modification de cet intérêt ne bénéficiaient pas d'une publicité suffisante au regard de l'importance du changement opéré.
Un dernier point que je souhaiterai aborder est celui des attributions de compensation (AC) et de la commission locale d'évaluation des charges transférées (Clect). En cas de conflit d'interprétation, le préfet ne peut pas intervenir, car la Clect est une organisation d'élus. Cette commission peut prendre des décisions contre lesquelles la commune ne peut pas réagir.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Compte tenu de l'augmentation de l'absentéisme, atteignez-vous le quorum à chaque réunion du conseil communautaire de votre communauté d'agglomération ?
M. Éric Krezel. - Le quorum est atteint malgré l'absentéisme.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Tout à l'heure, nous avons évoqué les conditions du vote à bulletin secret. La loi prévoit un certain nombre de cas où il est obligatoire de voter à bulletin secret. Une proposition de loi vise à ajouter à ces cas, de manière obligatoire, le vote à bulletin secret pour les décisions concernant le budget, les taux, les compétences ou le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). Est-ce le type de mesures que vous attendiez en parlant de vote à bulletin secret afin d'éviter les pressions qui pourraient être exercées sur certains maires ?
M. Éric Krezel. - Oui, ces mesures seraient effectivement les bonnes. À titre d'exemple, j'ai découvert que, dans mon agglomération, le règlement intérieur stipule qu'il faut une demande de 30 % des membres du Conseil pour qu'il y ait un vote à bulletin secret. Ce seuil de 30 % est trop élevé et ne sera pratiquement jamais atteint.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Cette proposition, si elle était votée, pallierait ce problème. Je vous propose de mettre un terme à cette réunion de travail en vous remerciant de votre présence.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h30.
Jeudi 10 avril 2025
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 11 h 35.
Audition de M. Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France, premier vice-président du conseil départemental de Saône-et-Loire et président du Grand Chalon
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pour notre troisième séquence de travail de la semaine, nous auditionnons Intercommunalités de France, interlocuteur incontournable pour la mission qui nous incombe. Cette réunion fait l'objet d'une captation vidéo et sera disponible sur le site internet du Sénat.
Nous avons le plaisir d'accueillir le président d'Intercommunalités de France, M. Sébastien Martin, premier vice-président du conseil départemental de Saône-et-Loire et président du Grand Chalon.
Monsieur Martin, nous vous remercions chaleureusement de vous être rendu très rapidement disponible pour nous faire partager votre grande expérience en matière de décentralisation et plus précisément nous livrer votre regard sur l'évolution de l'intercommunalité. Votre analyse sur la mise en application de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), ainsi que sur les relations entre intercommunalités et départements nous sera particulièrement utile.
Je vous précise que notre mission d'information, créée sur l'initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), a pour objectif non pas de remettre en cause le principe de l'intercommunalité, mais d'identifier les freins et blocages de toute nature qui entravent le bon fonctionnement de certaines structures intercommunales.
En adoptant une démarche pragmatique, au plus près des réalités de terrain, nous avons à coeur de trouver avec les élus, en particulier les maires et les présidents d'intercommunalités, des voies d'amélioration pour garantir le meilleur fonctionnement possible de notre démocratie locale, notamment en termes de gouvernance et de service rendu aux citoyens. Notre rapporteure, Maryse Carrère, est pleinement déterminée à mener à bien cette tâche délicate, mais passionnante.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je vous remercie d'être venu devant nous pour cette audition essentielle. Nous souhaitons bénéficier de votre expérience et de votre implication au sein d'Intercommunalités de France.
Nous aimerions connaître votre vision de l'intercommunalité. Pourriez-vous dresser un bilan succinct du fonctionnement de la nouvelle intercommunalité depuis le « Big Bang territorial » de 2017 ? La raison d'être de l'intercommunalité a-t-elle évolué ? Pouvez-vous identifier les facteurs de réussite et les blocages existants sur certains territoires ? Je précise que notre mission d'information a pour seul objectif d'établir un état des lieux, en aucun cas de faire un procès.
Nous souhaitons vous entendre sur quatre points essentiels.
Premièrement, la stabilisation de la carte intercommunale. La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique (« Engagement et proximité ») et la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (« 3DS ») ont donné des outils pour apaiser les tensions. Qu'en est-il aujourd'hui ? Avez-vous des exemples d'intercommunalités qui ont été modifiées, fusionnées ou divisées, et de communes qui ont quitté une intercommunalité pour une autre ?
Deuxièmement, qu'en est-il de la gouvernance des structures intercommunales ? Est-elle, selon vous, correctement organisée ? Sinon, existe-t-il des outils pour l'améliorer ?
Troisièmement, les compétences intercommunales. Une modulation est-elle possible en fonction des territoires ?
Enfin, je vous indique que nous ne traiterons pas spécifiquement du volet financier, qui fait l'objet d'une commission d'enquête, créée sur l'initiative du groupe écologiste - solidarité et territoires (GEST), sur la libre administration des collectivités territoriales. Nous n'aborderons pas non plus directement la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi) compte tenu des projets en cours.
M. Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France, premier vice-président du conseil départemental de Saône-et-Loire et président du Grand Chalon. - L'intitulé de votre mission d'information invite à analyser le fait intercommunal depuis la loi NOTRe. Il est important de rappeler que cette loi n'est pas sortie de nulle part, car d'autres textes l'ont précédée.
Des personnalités éminentes des deux chambres du Parlement, comme Dominique Perben - ancien maire de Chalon-sur-Saône -, Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Sueur ou Jacqueline Gourault, ont porté pendant des années cette réflexion sur la nécessité d'organiser notre pays autour des communes, elles-mêmes héritées des paroisses - il ne s'agit pas de remettre en cause ce choix.
Par ailleurs, dans la mesure où la France regroupe la moitié des communes d'Europe, dont 70 % comptant moins de 1 000 habitants, il était essentiel de mettre en place une solidarité territoriale et un mode de fonctionnement permettant de rendre les services, d'aménager le territoire et de coordonner les actions entre tous les partenaires de ce « mille-feuille territorial ».
La loi NOTRe a été portée par un gouvernement de gauche, quelques années après la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (RCT), portée par un gouvernement de droite. En relisant l'exposé des motifs de la loi RCT, j'ai réalisé que la loi NOTRe en avait finalisé le dispositif, qui visait à répondre à quatre objectifs principaux : réorganiser les collectivités autour de deux pôles - un pôle département-région et un pôle commune-intercommunalité - ; simplifier le paysage institutionnel en achevant la couverture intercommunale du territoire national ; créer des métropoles en offrant aux grandes agglomérations un cadre institutionnel plus adapté ; enfin, clarifier les compétences des différents niveaux de collectivités et encadrer la pratique des cofinancements.
La loi NOTRe a eu un impact majeur sur la question des périmètres. Elle a affecté de manière plus significative les départements et les régions, qui se sont vus privés de la clause générale de compétence- cette blessure est encore ouverte. N'oublions jamais que ce texte ne s'est pas limité au fait intercommunal, mais qu'il visait aussi à spécialiser les collectivités.
À l'époque, il fallait résoudre un certain nombre d'incohérences : périmètres parfois illogiques et intercommunalités « défensives », construites sur des critères partisans ou motivées par le refus de partager des richesses, plutôt que par la réalité des bassins de vie. On trouvait aussi des communes isolées, certaines souhaitant le rester pour des raisons politiques ou financières, et des intercommunalités qui étaient en fait des coquilles vides. L'instauration de compétences obligatoires permet d'éviter ce phénomène, ce qui est important sauf à vouloir revenir à la France des syndicats, comptant des dizaines de milliers d'entités.
Il fallait aussi aller au bout de l'ambition des réformes Chevènement pour limiter les concurrences fiscales, doter toutes les communes d'une capacité de planification et conforter un niveau d'administration locale capable de couvrir l'ensemble du territoire avec des compétences renforcées, notamment en matière de transition écologique. Aujourd'hui, une part extrêmement importante des budgets de nos intercommunalités est consacrée aux déchets, aux transports, à l'énergie, à l'accompagnement de la rénovation de l'habitat ou encore à l'eau et à l'assainissement. Pour mon agglomération, la transition écologique représente près de 70 % du budget d'investissement.
Certes, le chemin a parfois été difficile et la situation reste complexe dans certains territoires, du fait de mariages forcés ou de la volonté de viser l'effet de nombre, parfois sans réelle coopération ni histoire commune. L'intérêt technique était sans doute louable, mais dans la pratique, les résultats n'ont pas été à la hauteur des attentes.
Cependant, dans l'immense majorité des cas, nos intercommunalités exercent les compétences qui leur ont été confiées, et les périmètres évoluent peu. Depuis 2020, parmi les 1 254 intercommunalités, il y a eu six fusions, trois scissions et quelques retraits d'adhésion de communes : neuf en 2023, cinq en 2024 et quatre identifiés pour 2025, sur un total de 34 000 communes.
Je ne dis pas que ces phénomènes n'existent pas, mais ils restent marginaux. Lorsque le Parlement légifère, il le fait pour tout le monde. Évitons de légiférer pour régler quelques cas particuliers, au risque de déstabiliser ce qui fonctionne, notamment dans les territoires qui ont fait des efforts pour dépasser le repli communal.
Ne fragilisons pas la dynamique de projet qui existe. J'étais récemment à Tarbes, où j'ai pu découvrir le remarquable projet de reconversion de l'ancien arsenal, puis dans les communautés de communes de vallées pyrénéennes, qui ont pris à bras le corps les enjeux de santé.
Ne fragilisons pas un outil - ce terme ne me choque pas - qui crée de la solidarité territoriale et auquel les élus sont attachés. À ce propos, j'ai également été auditionné par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France. Il est indispensable de sortir des concurrences territoriales. Or nous avons connu des situations où le taux de la taxe professionnelle était de 3 % d'un côté de la rivière et de 20 % de l'autre côté ! Heureusement, tout cela est derrière nous.
Il faut donc des compétences obligatoires pour éviter que les intercommunalités ne deviennent des coquilles vides.
J'en viens à la gouvernance, qui est un sujet fondamental.
Penser que l'on est président d'intercommunalité en se comportant comme un « super-maire » ne fonctionne pas. Autour de la table, les élus, désignés chacun dans leur commune, ne vous doivent rien. La véritable question est : comment donner envie de travailler ensemble ?
Les pactes de gouvernance ont été développés ces dernières années dans différents textes. À mon avis, ils constituent même un préambule au projet de territoire. Aujourd'hui, c'est l'enjeu principal. Faire du collectif est un défi ; c'est moins simple que lorsqu'on est élu avec une liste majoritaire et une liste d'opposition. Dans ce dernier type de gouvernance, plus verticale, les choses sont plus « simples » - je mets ici des guillemets, car je ne nie pas la difficulté de la fonction de maire aujourd'hui.
Les conférences des maires ont été généralisées par la loi. Elles étaient déjà présentes dans plus de 80 % des intercommunalités ; lorsque ce n'était pas le cas, c'était souvent parce que les maires faisaient tous partie du bureau. Bien sûr, il existe des intercommunalités où le président exerce un pouvoir autoritaire, mais il existe aussi des communes, des départements et des régions où les présidents et maires gouvernent de manière assez directive.
S'agissant des compétences, nous ne demandons pas d'en exercer davantage, mais nous voulons de la stabilité. Le Sénat a examiné la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux (ZAN) ainsi que la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace) sans que cela permette de régler tous les problèmes.
Nous avons le besoin fondamental d'un cadre législatif stable tout au long de nos mandats pour l'exercice de nos compétences et de nos politiques publiques. Nous avons l'impression que les règles changent constamment, créant un sentiment de gaspillage de l'argent public.
M. Franck Dhersin. - Les entreprises disent exactement la même chose que vous !
M. Sébastien Martin. - Cette exigence ne me semble pas déraisonnable.
M. Franck Dhersin. - Ce n'était pas une critique.
M. Sébastien Martin. - La semaine dernière, nous faisions le bilan, à mi-parcours, de notre schéma de cohérence territoriale (Scot), étape nécessaire pour engager sa révision. Au début, nous étions dans un cadre législatif clair, mais aujourd'hui, nous hésitons, dans l'attente d'une nouvelle législation issue de la proposition de loi Trace, dont la forme est incertaine. Je ne dis pas que la loi ZAN ne pose pas de difficultés. Mais nous essayons toujours d'adapter la loi à ceux qui n'affrontent pas les difficultés, au lieu de soutenir ceux qui s'efforcent de trouver des solutions en la mettant en oeuvre.
Concernant ce qui est parfois appelé les supracommunes, je vais peut-être vous choquer, mais pour moi, l'intercommunalité n'est pas au service des communes, pas plus que le département ne l'est de ses cantons, ou la région de ses départements. En tant qu'élus, nous sommes tous au service de nos habitants. L'intercommunalité, quant à elle, entretient une relation unique avec ses communes, qui restent la porte d'entrée du service public et de la République identifiable par tous nos concitoyens.
Pour anticiper le procès que l'on peut faire à l'intercommunalité, il est vrai qu'elle ne bénéficie pas de la même visibilité que le département ou la région, car ses compétences varient en fonction de chaque territoire et des priorités définies dans son intérêt communautaire. À l'inverse, le département pilote le social, tandis que la région gère l'aménagement du territoire et le développement économique. Évoquer le fait intercommunal me semble parfois « schizophrénique »... Et cette situation est unique, car notre pays est le seul à avoir autant de communes. Je me demande toujours quel pourrait être le plan B.
Mme Isabelle Briquet. - Merci de ce propos introductif, avec lequel je suis globalement d'accord. Il est compréhensible qu'il puisse y avoir des dysfonctionnements, puisque certaines fusions, loin d'être des mariages heureux, ont donné naissance à des périmètres qui ne correspondaient pas aux bassins de vie. Certaines communes, souvent petites et rurales, se sentent totalement exclues du processus intercommunal.
La question de la gouvernance est essentielle. Pour l'améliorer et permettre à chacun de retrouver sa place, la conférence des maires joue un rôle important, bien qu'elle n'ait pas de pouvoirs décisionnels. Ne serait-il pas opportun de la renforcer afin de répondre à ce sentiment d'exclusion, qui alimente une certaine hostilité envers l'intercommunalité alors que cet outil est précieux pour les territoires ?
M. Sébastien Martin. - Le fait intercommunal, c'est la promesse qu'en se regroupant, ce sera mieux demain. Parfois, ce n'est pas le cas, et cela engendre de la déception. Je constate souvent que la promesse est au rendez-vous lorsqu'un projet de territoire a été construit collectivement. Lors des campagnes pour les municipales, les sujets intercommunaux sont souvent éclipsés par les sujets d'hyperproximité, mais une fois l'équipe communautaire installée, la première chose à faire, me semble-t-il, est de s'atteler à cette question du projet. Où voulons-nous aller ensemble ? Quelle est notre vision ?
On peut réussir à structurer des intercommunalités fortes, y compris dans des territoires très ruraux. J'ai ainsi eu l'occasion de visiter la communauté de communes Somme Sud-Ouest, dans les Hauts-de-France, qui regroupe environ 150 petites communes - la plus importante compte 2 000 habitants - et qui fonctionne à merveille. Ses membres n'ont pas choisi l'architecture la plus simple, mais ils ont conçu, ensemble, un projet en se posant la question des mobilités, des énergies renouvelables, etc. À l'inverse, je vois parfois des structures plus simples qui ne fonctionnent pas, parce que depuis trois générations, les élus se font la guerre et ne veulent pas se parler. Et je ne suis pas sûr, malheureusement, que le fait d'avoir rendu obligatoire la conférence des maires ait suffi à résoudre ce problème...
Je suis par ailleurs en désaccord avec la logique des programmes de type Villages d'avenir, qui consiste à confier, dans un beau geste décentralisateur, l'ingénierie aux préfectures... Nous devrions au contraire permettre aux collectivités de monter en compétences et de disposer des moyens nécessaires pour réaliser leur projet de territoire.
Je ne souhaite pas non plus que le Parlement légifère sur ce que doit être ou ne pas être la conférence - ou le conseil - des maires. Il faut laisser le soin aux élus de définir son cadre. Elle est désormais obligatoire, mais les pratiques sont très différentes d'un territoire à l'autre. Dans mon intercommunalité, par exemple, aucun sujet ne peut être débattu au conseil communautaire s'il n'a pas été préalablement approuvé en conseil des maires. Pour d'autres, le conseil des maires sera l'équivalent du bureau, c'est-à-dire le lieu où les décisions les plus importantes sont prises. Il faut respecter, me semble-t-il, cette diversité de cadre.
Sur la remise en cause du fait intercommunal, le sondage réalisé en 2023 par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) montre que, parmi les causes de mal-être et de démission des maires, l'intercommunalité n'arrive qu'en onzième position, loin derrière la trop forte exigence des citoyens, les relations complexes avec l'État, le sentiment d'insécurité ou encore les difficultés à concilier l'exercice du mandat et la vie professionnelle.
Certains maires éprouvent des difficultés au sein de leur intercommunalité, certains présidents d'intercommunalité ne sont sans doute pas bons. Je ne le conteste pas. Pour améliorer la situation, il convient selon moi de renforcer les outils d'ingénierie mis à disposition des intercommunalités et de développer la notion de projet de territoire, qui doit être au coeur du fait intercommunal. Si l'on se contente de gérer, sans vision, au bout d'un moment, cela n'intéresse plus les élus. Le partage à la bonne franquette non plus.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je vous sens quelque peu sur la défensive, monsieur le président. Je vous rassure, notre but n'est pas de remettre en cause le fait intercommunal, mais de l'améliorer.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Il ne s'agit en aucun cas de faire le procès de l'intercommunalité. Nous voulons dresser un bilan. Je vous ai d'ailleurs demandé d'identifier en premier lieu les facteurs de réussite. Mais nous voulons aussi analyser pourquoi, à certains endroits, cela ne se passe pas bien, sans a priori. Parmi les neuf intercommunalités que compte mon département, certaines fonctionnent bien, d'autres moins bien.
Si les règles changent tout le temps, c'est peut-être aussi parce que les lois sont mal faites au départ et qu'elles peinent à s'adapter à la diversité des territoires. Au Sénat, nous essayons surtout d'ajuster les textes, sans tout remettre en cause, sans détruire ce qui fonctionne.
Nous nous demandons aussi si les intercommunalités sont plus performantes aujourd'hui qu'hier et nous voulons savoir quels investissements et quels services supplémentaires elles ont apportés à nos populations. Par exemple, dans mon département des Hautes-Pyrénées, les maisons de santé sont souvent portées par les intercommunalités.
M. Franck Dhersin. - Le grand patron d'entreprise avec qui je prenais ce matin le petit-déjeuner tenait les mêmes propos que vous. Je les approuve totalement : nous avons besoin de stabilité, dans les relations entre collectivités comme dans le monde économique.
Au sein des intercommunalités, en particulier les plus vastes, il arrive fréquemment que toutes les communes ne souhaitent pas s'engager dans un projet de mutualisation. Il faudrait, dans certains cas, pouvoir avancer à la carte. Imaginons par exemple un projet concernant l'éclairage public : on commencerait à avancer avec les communes volontaires, en laissant la liberté aux autres de les rejoindre plus tard si elles le souhaitent. Quel est votre avis sur le sujet ?
Le vieux débat sur les « super-maires » nous ramène inévitablement à la question de l'élection des présidents d'intercommunalité. Personnellement, je suis contre, mais j'aurais aimé, là encore, recueillir votre point de vue.
M. Sébastien Martin. - La mutualisation « à la carte » est déjà possible grâce au dispositif des services communs. Certaines communes peuvent décider d'avancer ensemble sur les ressources humaines ou l'informatique, par exemple. Elles peuvent aussi utiliser le levier des groupements de commandes.
Un autre sujet, bien différent, tient à l'exercice morcelé de certaines compétences. Prenons un exemple que le Sénat adore, l'eau et l'assainissement. Ma communauté d'agglomération a pris cette compétence en 2012, avant qu'elle ne devienne obligatoire pour les agglos, mais elle ne l'exerce pleinement que dans 34 communes sur 51, les 17 autres appartenant à des syndicats chevauchants qui compliquent la situation. Mettons-nous à la place de nos concitoyens : ils ne comprennent rien. Il faut clarifier les choses, même si j'entends que certaines compétences, comme le développement économique, ne peuvent pas s'exercer de la même manière sur l'ensemble du territoire communautaire. L'un des objectifs du législateur, quand il a construit les lois sur l'intercommunalité, était de passer d'une France comprenant 16 000 syndicats à une France comptant un peu plus d'un millier d'intercommunalités, identifiées comme une échelle d'organisation des services publics et des politiques publiques. Il est important de ne pas perdre de vue cet objectif.
Sur la question du suffrage universel, notre position est très claire : nous ne souhaitons pas que les présidents d'intercommunalité soient élus au suffrage universel direct. Remarquons d'ailleurs que le seul président réellement élu au suffrage universel direct dans notre pays, c'est le Président de la République. Le maire est certes tête de liste, clairement identifié par ses électeurs, mais il est formellement élu par le conseil municipal. Quant au président du département, avant d'être choisi par les conseillers départementaux, il est élu à l'échelle du canton, et non du département dans son ensemble. Pourtant, personne ne s'interroge sur sa légitimité.
J'aurais en revanche souhaité, dans le cadre de l'extension du scrutin de liste pour les élections municipales, que l'on maintienne le fléchage intercommunal pour toutes les communes, comme le préconisaient deux sénateurs de bords politiques différents, Nadine Bellurot et Éric Kerrouche. Cette proposition, qui aurait permis de faire progresser le débat intercommunal, en le rendant visible partout, a finalement été supprimée par le vote d'un amendement gouvernemental. Je trouve très regrettable de défendre les idées de démocratie et de transparence, d'un côté, et de recourir à un subterfuge pour faire disparaître le débat intercommunal de 70 % des communes de l'autre.
Mme Évelyne Perrot. - Je me réjouis de vous entendre parler positivement des intercommunalités, monsieur le président. Hier, lors d'une autre audition, la personne que nous entendions semblait fatiguée et déçue par l'intercommunalité, presque nostalgique du syndicat intercommunal à vocation multiple (Sivom)...
Au sein de mon intercommunalité, je regrette toutefois que nous n'ayons pas été mieux conseillés avant de prendre la compétence scolaire, qui coûte énormément d'argent aux dix-sept petites communes que nous sommes, alors qu'elle profite principalement aux quatre communes d'implantation des pôles scolaires, qui se sont d'ailleurs empressées d'engager de gros travaux dans leurs écoles aussitôt la compétence transférée. Aujourd'hui, certains maires se sentent démotivés et n'ont plus envie de participer aux réunions. Si nous avions été alertés par l'État ou par le préfet sur la difficulté à assumer cette compétence au regard de notre potentiel financier, nous aurions peut-être fait un autre choix.
M. Sébastien Martin. - Lorsqu'une compétence est transférée à l'intercommunalité, il est en effet amusant de constater à quel point certaines communes sont impatientes d'agir, alors même qu'elles n'ont rien fait pendant des années.
Plus sérieusement, vous n'avez pas tort, certaines prises de compétences peuvent plomber une intercommunalité. Cela dépendra aussi beaucoup des conditions dans lesquelles le transfert est organisé et du rôle de la commission locale d'évaluation des charges transférées, la Clect. On pense souvent au transfert de charges, mais il ne faut pas oublier non plus le transfert des moyens correspondants. Or, parfois, lorsque la volonté d'aboutir est très forte, on peut accepter certains compromis pour conclure l'accord et devoir ensuite exercer une compétence sans disposer de tous les moyens réellement nécessaires.
C'est pourquoi je crois beaucoup plus, désormais, au calcul des transferts selon des modalités de péréquation que selon le droit commun. Dans ce dernier cas, vous prenez ce que vous avez dans votre budget - par exemple, dans le domaine de la petite enfance, un relais d'assistantes maternelles - et vous le transférez à l'intercommunalité. Sauf que certaines communes n'avaient rien dans leur budget : elles vont donc, du jour au lendemain, pouvoir bénéficier du nouveau service intercommunal sans bourse délier, ce qui ne les empêche pas parfois d'avoir un niveau d'exigence particulièrement élevé. Nous devons travailler sur cette question.
De la même manière, en matière de développement économique, nous ne pouvons plus continuer avec des recettes fiscales aussi mal partagées. On a longuement débattu, à une époque, de la question de la taxe d'aménagement. Très honnêtement, est-il encore possible, lorsqu'une intercommunalité aménage à 100 % une zone d'activité économique, que la taxe d'aménagement ne lui revienne pas au moins en partie ?
Dans mon territoire, j'ai connu l'accident industriel de Kodak, qui s'est finalement transformé en réussite, parce que l'entreprise est partie proprement, en nous cédant une réserve foncière de 100 hectares qui va générer annuellement 2,5 millions d'euros de produits de taxe sur le foncier bâti pour deux communes de 1 500 habitants, c'est-à-dire presque l'équivalent de leur budget communal. Aurait-il été logique que ces sommes leur reviennent exclusivement ? Après des mois de discussion, nous avons réussi à nous entendre sur un plan de partage entre les communes qui accueillent ces entreprises, l'intercommunalité et les autres communes membres. J'ai considéré que cette réussite économique devait profiter à tous.
Demain, peut-on imaginer que la richesse phénoménale qui sera générée par la poursuite du plan nucléaire - un nouvel EPR, c'est 34 millions d'euros de fiscalité supplémentaire par réacteur - ne profite pas à toutes les communes d'une intercommunalité ? Pourtant, certaines communautés de communes, par égoïsme, ne sont pas encore passées en fiscalité professionnelle unique (FPU) : toute la richesse reste alors concentrée sur la commune ou sur les deux communes qui accueillent la centrale. Vous devriez, me semble-t-il, vous attaquer à ce dysfonctionnement.
M. Jean-Marc Delia. - Vous avez parlé de mille-feuille administratif. Au début, on savait qu'il était inévitable, dès lors qu'on décidait de transférer des compétences et des agents. Les choses se sont-elles améliorées au bout de dix ans ? Les intercommunalités ont-elles perfectionné leur champ de compétences ? Le but de notre mission est de dresser un bilan et d'essayer d'améliorer les choses.
Il est souvent difficile de comparer les communautés d'agglomération entre elles, notamment en ce qui concerne la taxe d'aménagement. Si une intercommunalité crée une zone d'activité dans une commune qui n'a pas transféré sa compétence en matière de petite enfance, la commune devra quand même assurer l'accueil des enfants des parents qui viennent travailler dans ces zones d'activité. C'est un équilibre toujours assez fragile à trouver.
Vous avez dit que l'intercommunalité devait être au service des habitants, mais on entend souvent les présidents d'agglomération affirmer qu'ils sont au service des communes. Où placez-vous le maire dans tout cela ? Lorsqu'une compétence exercée par l'intercommunalité ne fonctionne pas bien sur le territoire de sa commune, par exemple la collecte et le traitement des déchets, c'est lui qui reste en première ligne des remontrances. Pourtant, il doit faire remonter le problème auprès d'une administration qu'il ne contrôle pas. Certains élus nous disent qu'ils baissent un peu les bras face à ce champ de compétences qu'ils ne maîtrisent pas et cette couche administrative supplémentaire.
M. Sébastien Martin. - Tous les élus, quels qu'ils soient, sont au service des habitants, et non au service les uns des autres. Il n'en demeure pas moins qu'il faut une relation étroite, un partenariat unique pour que l'attelage fonctionne. Si l'intercommunalité veut passer au-dessus du maire, cela ne marchera pas. Il faut faire du maire le relais de l'intercommunalité, et non son adversaire.
Dans bien des territoires désormais, la conférence des maires n'est plus seulement le lieu d'examen des délibérations du conseil communautaire ; c'est aussi le lieu où les élus municipaux viennent échanger au sein de l'intercommunalité sur les sujets qui les intéressent, qu'ils soient en lien ou non avec les compétences communautaires. Dans mon intercommunalité, par exemple, nous avons mis en place des commissions thématiques, en espérant que les élus repartent avec le sentiment d'avoir assisté à une réunion utile à l'accomplissement de leur mandat municipal.
On parle tout le temps du bloc communal. Si l'on veut comparer des territoires, c'est à cette échelle qu'il faut le faire, car les effets de mutualisation se situent entre les communes et les intercommunalités.
Je n'ai pas d'indicateurs précis sur la montée en compétences des intercommunalités. En revanche, je constate sur le terrain que les communautés de communes qui ont intégré un nombre relativement élevé de compétences et qui ont un projet parviennent à attirer des cadres de bon niveau. Un cercle vertueux s'engage alors : vous avez un bon projet, vous attirez de bons cadres et vous pouvez conduire de bonnes politiques publiques. C'est particulièrement vrai dans les communautés de communes. Je me suis rendu récemment dans la communauté de communes du Val d'Amour, dans le Jura, qui a décidé de mutualiser tous les personnels communaux à l'échelon intercommunal. Ils ont pu ainsi se doter d'une direction générale, de directeurs généraux adjoints, et conduire de nombreux projets. Je me suis rendu également non loin de chez vous, madame Carrère, dans la communauté de communes du Pays de Nay, et j'ai pu constater que cette vallée pyrénéenne faisait mieux que certaines grandes agglomérations en matière de solidarité et de politique sociale.
La principale clef, in fine, ce ne sont ni les lois ni les règlements, mais les hommes et les femmes qui font vivre leur territoire en réussissant à l'embarquer dans un projet partagé. Vous pouvez avoir les plus beaux outils du monde, si vous ne savez pas les utiliser, cela ne vous servira à rien.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Vous avez évoqué dans vos propos liminaires les problèmes liés au périmètre de certaines intercommunalités, souvent défini depuis la préfecture. Quel serait, selon vous, le critère à retenir pour définir un nouveau périmètre ? Faudrait-il recourir à la loi ou confier cette mission aux territoires eux-mêmes, en lien avec le préfet ? N'oublions pas, en outre, que des intercommunalités peuvent être à cheval sur deux départements et qu'elles ne recoupent pas nécessairement le bassin d'emploi ou de vie.
Vous avez également mentionné le rôle de la conférence des maires : dans certains cas, pas un point de l'ordre du jour du conseil communautaire n'est examiné sans avoir été préalablement vu en conférence des maires ; dans d'autres intercommunalités, à l'inverse, le président parle de tous les sujets, à l'exception de ceux qui concernent l'ordre du jour et qui intéressent les maires.
Ne faudrait-il donc pas être plus directif sur la fixation de l'ordre du jour ? Il faudrait faire en sorte de n'y inscrire que des points qui sont appelés à être examinés en séance plénière, de façon à éviter que des maires se sentent marginalisés ou abandonnés.
Enfin, vous avez évoqué - avec un soupçon de critique, il me semble - la question du ZAN. Nous avions eu le sentiment, dès le vote, que ce mécanisme constituerait une punition pour certains territoires et le Sénat, à l'écoute du terrain, a corrigé le tir en adoptant une approche moins punitive.
Dès lors, je considère qu'il ne s'agit pas d'un handicap, ni pour les régions, ni pour leurs partenaires que sont les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), car le devoir est partagé entre les acteurs de terrain.
M. Sébastien Martin. - Concernant les périmètres, je préférerais donner davantage de pouvoir à la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI) et au préfet et éviter une règle générale, inutile pour agir sur quelques cas. Si la CDCI et le préfet venaient à constater l'impossibilité d'un travail commun entre les différents acteurs, ils pourraient ainsi revoir à la marge les périmètres des intercommunalités.
S'agissant de la conférence des maires et de la pertinence de préciser la loi, j'essaie de me tenir au principe selon lequel le pouvoir réglementaire local, si un jour il pouvait s'exercer, puisse le faire. Or, plus nous détaillerons la loi, moins ledit pouvoir local pourra s'exercer. Je ne plaiderais donc pas en faveur d'un cadre trop rigide pour la conférence des maires, quitte à constater, ici ou là, des dysfonctionnements. Mieux vaut prendre ce risque si nous défendons pleinement la décentralisation.
Concernant le ZAN, mon naturel optimiste m'amène à espérer que les temps qui viennent vous donneront raison. Notre pays a besoin d'un cadre clair pour avancer et les discussions sur ce sujet ne sont d'ailleurs pas terminées. Mon propos portait davantage sur l'instabilité législative permanente que sur le ZAN lui-même.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je ne résiste pas à la tentation de relayer les propos de Claude Raynal, président de la commission des finances : de retour du Japon, il nous a indiqué que les strates administratives de ce pays se limitent à l'État central et aux collectivités, l'absence de services déconcentrés de l'État ne nuisant pas au bon fonctionnement de l'ensemble.
M. Sébastien Martin. - Vous m'avez également interrogé sur l'intégration. Les 25 % d'intercommunalités les plus intégrées - c'est-à-dire disposant d'un coefficient d'intégration fiscale élevé - dépensent environ 100 euros de moins par habitant que les 25 % d'intercommunalités les moins intégrées : assumer et mutualiser davantage de compétences permet donc, in fine, de réduire le niveau des dépenses de fonctionnement.
Par ailleurs, les communautés de communes se sont notamment construites autour de services de proximité mutualisés, en amenant des services dans des territoires qui en étaient jusqu'alors dépourvus, par exemple pour l'accueil de la petite enfance. Sur un total de 1 254 intercommunalités, 900 structures disposent de la compétence « petite enfance », ce qui a permis de déployer des services un peu partout sur le territoire.
Nous avons d'ailleurs été fort nombreux à regretter les modalités de création du service public de la petite enfance, car les textes mentionnent que les autorités organisatrices sont « les communes » et qu'une compensation financière est versée aux communes de plus de 3 500 habitants. Cela signifie qu'une communauté de communes qui compterait 15 000 habitants et qui exercerait la compétence « petite enfance » sans abriter de commune de plus de 3 500 habitants en son sein n'aurait pas le droit à une compensation financière. Il aurait pourtant suffi d'ajouter, à l'instar de tous les autres textes du code général des collectivités territoriales, la formule « ou leurs groupements ».
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Voilà une suggestion de modification législative intéressante.
M. Sébastien Martin. - Je vous encourage à la porter !
En matière de développement économique, il est courant que les sites industriels soient situés dans une commune périphérique ou à cheval sur plusieurs communes : dans ce cas, l'intercommunalité est indispensable. Mon territoire a ainsi accueilli des sites de Kodak comptant 2 400 salariés et répartis sur quatre communes différentes, ce qui a permis une belle réussite en termes de développement économique : sans l'agglomération, un tel succès n'aurait pas été envisageable.
De la même manière, je regrette que certaines régions aient interdit aux communautés de communes d'exercer la compétence « transports », alors qu'elles peuvent agir sur des dispositifs simples de transport solidaire, sans entrer en concurrence avec les régions.
Les services publics environnementaux, quant à eux, disparaîtraient purement et simplement en milieu rural sans mutualisation. Parfois, la densité du coeur urbain permet de continuer à procéder à un ramassage hebdomadaire d'ordures ménagères, alors que des territoires uniquement ruraux ne peuvent pas assumer une prestation de ce type.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - C'est exact, mais si la dotation globale de fonctionnement (DGF) était calculée de la même manière pour les villes et les communes rurales, ces dernières disposeraient de davantage de moyens.
M. Sébastien Martin. - Dans ce cas, alignons également les crédits des contrats de ville sur la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), qui risquerait alors d'être divisée par deux.
En conclusion, je vous remercie pour cet échange : nous avons parfois le sentiment que seule l'intercommunalité devrait accomplir des progrès, mais je souligne que nous n'avancerons qu'en travaillant collectivement - qu'il s'agisse des communes, des départements ou des intercommunalités - et non pas en nous en prenant à un échelon en particulier.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 45.