Mercredi 9 avril 2025

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l'aide d'aéronefs télépilotés - Examen des amendements de séance

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner les amendements de séance à la proposition de loi visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l'aide d'aéronefs télépilotés, qui sera examinée cet après-midi en séance publique.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Treize amendements, tous recevables, ont été déposés sur ce texte, par nos collègues socialistes et écologistes.

Je vous propose d'émettre un avis défavorable sur l'ensemble de ces amendements, car il semble préférable que ce texte soit adopté sans modification afin d'éviter une deuxième lecture à l'Assemblée nationale, dont l'issue serait incertaine. Je me propose de développer mes arguments sur chacun de ces amendements lors du débat en séance.

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

Article 1er

Auteur

Objet

Avis proposé

M. SALMON

9

Amendement de suppression

Défavorable

M. SALMON

11

Transformation du dispositif en expérimentation

Défavorable

M. TISSOT

8 rect. bis

Suppression de l'expérimentation d'usage de drones sur d'autres parcelles et d'autres cultures

Défavorable

M. SALMON

10

Suppression de l'expérimentation d'usage de drones sur d'autres parcelles et d'autres cultures

Défavorable

M. SALMON

13

Modification de la finalité de l'évaluation des expérimentations de pulvérisation par drone

Défavorable

M. TISSOT

1 rect.

Amendement rédactionnel

Défavorable

M. TISSOT

2 rect. bis

Amendement rédactionnel

Défavorable

M. TISSOT

3 rect. bis

Amendement rédactionnel

Défavorable

M. TISSOT

4 rect. bis

Modification du pourcentage de pente nécessaire à l'usage d'un drone

Défavorable

M. TISSOT

5 rect. bis

Mise en place d'une zone de non-traitement pour les zones proches de bâtiments

Défavorable

M. TISSOT

6 rect. bis

Exclusion des zones classées espaces naturels de l'autorisation d'épandage par drone

Défavorable

M. TISSOT

7 rect. bis

Passage d'un avis simple à un avis conforme de l'Anses en matière d'autorisation d'épandage par drone

Défavorable

M. SALMON

12

Consultation des associations agréées pour la protection de l'environnement préalable à l'édiction de l'arrêté définissant les conditions d'autorisation d'épandage par drone

Défavorable

Conséquences de la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne un mois par an, de 2024 à 2026 et solutions alternatives à cette interdiction - Examen du rapport d'information

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous accueillons nos trois rapporteurs sur la mission d'information relative aux conséquences de la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne, un mois par an de 2024 à 2026, et aux solutions alternatives à cette interdiction. Leur rapport, intitulé Pêche et petits cétacés : bâtir un avenir commun dans le golfe de Gascogne, est très attendu. Lors de nos déplacements dans le Morbihan comme en Loire-Atlantique, nous avons constaté combien ces sujets étaient prégnants sur ces territoires.

M. Yves Bleunven, rapporteur. - Nous avons le plaisir de vous présenter à trois voix les conclusions de notre rapport d'information sur la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne de la fin janvier à février, en 2024, 2025 et 2026.

Cette fermeture - inédite par son ampleur - visait à réduire les captures accidentelles de petits cétacés, en particulier de dauphins communs, une problématique bien réelle et qu'il ne s'agit pas ici de minimiser. D'après les données scientifiques, lesquelles présentent toutefois un très fort degré d'incertitude, allant parfois du simple au double, 6 100 dauphins communs en moyenne auraient fait l'objet de captures accidentelles par des engins de pêche chaque hiver, entre 2017 et 2023, sur la façade atlantique de la France, sur un total d'environ 180 000 dauphins dans la zone, et d'environ 440 000 dans l'ensemble de l'Atlantique Nord-Est hors eaux irlandaises.

Or, au regard de la directive Habitats qui place tous les mammifères marins sous protection stricte, et de la règle de gestion du potentiel de prélèvement potentiel (PBR), un taux de capture supérieur à un taux équivalant en pratique 1 % par an compromettrait le maintien de l'espèce dans un état de conservation favorable. Ce pic de captures conduisant au dépassement du seuil est à l'origine de la fermeture.

Les conditions dans lesquelles cette décision a été prise - sur injonction du Conseil d'État, et de façon précipitée, trois mois avant la fermeture - ont fortement déstabilisé le secteur, déjà fragilisé par les à-coups successifs du covid, du Brexit, des plans de sortie de flotte et de la hausse du prix du gazole.

La perte de chiffre d'affaires de la première fermeture spatio-temporelle a été estimée à 30 millions d'euros, touchant la filière dans son ensemble : 16 millions d'euros pour les pêcheurs, mais aussi des pertes pour les mareyeurs, les criées, les coopératives maritimes, la réparation navale et les transporteurs frigorifiques.

Notre première préoccupation, puisque nous sommes encore au milieu des périodes de fermeture, a été de gérer leurs conséquences et de garantir qu'une aide soit apportée aux professionnels affectés. Cela correspond au premier axe de notre rapport, qui contient cinq recommandations.

La première d'entre elles est de préparer dès à présent et activement la fermeture spatio-temporelle de 2026. Comme élus, nous sommes soumis à un devoir de vérité : la pêche restera fermée en 2026. Il nous faut définir des modalités d'indemnisation, afin de donner de la visibilité aux pêcheurs et de traiter tous les cas particuliers, par exemple ceux d'entre eux qui n'ont pas eu d'activité sur la période de référence 2019-2023. Nous devons agir le plus en amont possible pour ne pas revivre le scénario de 2024, voire de 2025.

La deuxième recommandation est de négocier avec la Commission européenne un maintien du taux d'indemnisation à 85 % du chiffre d'affaires pour les pêcheurs et une révision du mode de calcul de l'aide au mareyage, aujourd'hui basé sur l'excédent brut d'exploitation, ce qui est moins avantageux et a conduit à une sous-consommation d'environ 50 % la première année. Ces indemnisations ont été rapides, relativement généreuses, mais elles ne suffisent pas à effacer le préjudice moral profond ressenti par la filière. Elles doivent être à la hauteur ; à défaut, le mareyage sera de plus en plus tenté de s'approvisionner à l'étranger. Actuellement, nous importons déjà 75 % de ce que nous consommons.

Au-delà des pêcheurs et de la première étape de transformation que constitue le mareyage, nous avons souhaité prêter une attention particulière dans nos travaux aux conséquences indirectes de la fermeture pour les criées, la réparation navale ou encore le transport, et sur l'ensemble de l'écosystème économique côtier.

Les criées et les ports sont les grands oubliés des indemnisations. Notre troisième recommandation est de leur garantir l'accès au chômage partiel, qui n'a pas été possible pour la plupart des formes juridiques, hormis pour celles gérées par des chambres de commerce et d'industrie.

Par ailleurs, durant la première année, l'encadrement des aides d'État a empêché les exploitants des bateaux concernés de profiter de l'arrêt pour conduire des travaux, au motif que cela constituerait une « double indemnisation ». Cette règle est un non-sens ! Si la deuxième année, de menus travaux ont été possibles, il convient d'aller encore plus loin dans le prochain régime d'aide notifié à la Commission, afin de permettre aux pêcheurs d'optimiser leur arrêt et à la réparation navale de continuer de tourner. C'est notre quatrième recommandation.

Une cinquième recommandation est plus exploratoire et nous mesurons les difficultés de mise en oeuvre qu'elle présente : nous avons été frappés, lors du déplacement à Lorient, par les contraintes pesant sur le transport frigorifique de produits de la mer, avec parfois des assurances sur la livraison à quinze minutes près. En 2024, pendant la fermeture, la couverture du territoire en livraison a dû être réduite et la consommation de poisson a diminué. Nous craignons que la répétition des arrêts pousse les grandes entreprises de transport à se désengager du secteur, faute de rentabilité sur ce segment. Aussi pensons-nous qu'un accord temporaire de filière pourrait conduire à des assouplissements des délais de livraison, voire à des mutualisations avec d'autres produits agroalimentaires. Cela pose des défis logistiques et sanitaires, bien sûr, mais rendez-vous compte que nous en sommes rendus au point où des camions quasiment vides circulent dans toute la France. Il y a matière à optimiser cela.

Les propositions que je viens d'émettre pour bien gérer la dernière année de crise sont une condition sine qua non pour préparer l'après-2026, ce dont va vous parler Alain Cadec.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Le point que j'aborde est sans doute moins consensuel : comment concilier les activités de pêche et la protection des petits cétacés ? J'émettrai également cinq recommandations sur ce volet. Nous sommes sur une ligne de crête, mais nous avons la conviction que celle-ci est praticable, c'est pourquoi le rapport que nous vous présentons s'intitule Pêche et petits cétacés : bâtir un avenir commun dans le golfe de Gascogne. Un tel avenir n'est envisageable ni sans les pêcheurs ni sans les dauphins.

Nous avons mené de nombreuses auditions dans le cadre de cette mission d'information : professionnels, scientifiques, administrations, mais aussi associations de protection de la nature. Chacune de ces catégories nous a fait part de visions et de préoccupations différentes ; en tant que responsables politiques, nous avons pour fonction de tenir compte de cette diversité pour fixer un cap. Celui-ci est clair : la réouverture de la pêche après 2026, dans des conditions qui permettent un maintien de l'état de conservation favorable du dauphin commun. Tel est l'objectif fixé et c'est ma première recommandation. Avec mes collègues, de différents groupes politiques, nous l'assumons sans équivoque.

Des mesures techniques d'atténuation ont déjà été engagées par les pêcheurs. La question ne se résume pas aux pingers, ces engins d'effarouchement, puisque le changement de couleur des ralingues a également été envisagé et que l'innovation permettra sans doute de mettre au point de nouvelles techniques pour éloigner les cétacés des engins de pêche. Le problème est que ces animaux, bien que particulièrement intelligents, oublient les signaux d'alerte dès lors qu'il y a de quoi manger.

M. Yannick Jadot. - Ou à l'inverse, ils sont suffisamment intelligents pour comprendre, à l'écoute d'un pinger, où se trouve la ressource !

M. Alain Cadec, rapporteur. - C'est sur les pingers, dispositifs d'éloignement acoustique, que les pêcheurs fondent le plus d'espoir. Déjà utilisés sur des chalutiers pélagiques, ils sont en cours de déploiement sur deux cents fileyeurs pour confirmer leur efficacité. Cependant, il faut équiper des filets pouvant faire des dizaines de kilomètres tous les cinq cents mètres et les entreprises ne parviennent pas à honorer les commandes.

Il existe deux types de dispositif : les pifils, pour pingers au filage, qui sont fixés sur la coque du bateau, empêchant le dauphin d'approcher quand on file le filet, et les balises Dolphin Free posées sur les filets eux-mêmes. Le second dispositif semble plus prometteur, mais n'est pas commode, voire peut être dangereux pour le virage, car les boîtiers sont lourds et qu'il faut les détacher un à un.

Le défi est donc la miniaturisation de ces équipements, or le marché d'intérêt est trop petit pour que les entreprises investissent en ce sens ; il convient donc d'envisager un plan d'équipement européen pour l'agrandir. C'est ma deuxième recommandation, qui permettra de rentabiliser la fabrication et la vente de ces petits pingers.

Cela m'amène à une troisième recommandation, qui devrait aller de soi, mais qui, malheureusement, n'a pu aboutir jusqu'à présent : celle de régionaliser davantage, voire d'européaniser, la politique de protection. L'Union européenne a pris un acte délégué en 2025 pour étendre la fermeture dans les eaux françaises aux navires battant pavillon étranger, mais, comme il fallait l'unanimité et que seule la France était sous le coup d'une décision de justice, à la différence de l'Espagne, elle n'étend pas la fermeture aux eaux espagnoles. Le bon sens serait d'inclure la zone économique exclusive (ZEE) espagnole et la ZEE portugaise, voire davantage, dans la fermeture spatio-temporelle de 2026, car les dauphins communs ne s'arrêtent pas à notre ZEE... Dans la mesure où l'unité de gestion du dauphin commun est l'Atlantique Nord-Est, l'enjeu est non seulement l'efficacité de la mesure, mais aussi son équité.

Toujours dans cette recherche d'équité et d'efficacité dans la protection des cétacés, ma quatrième proposition consiste à prendre exemple sur la loi américaine visant la protection des mammifères marins, dont une disposition de type « mesure miroir » entrera en vigueur en 2026, pour interdire les importations de poissons ne respectant pas des garanties équivalentes en matière de protection des mammifères marins. En effet, pendant que nous empêchons nos pêcheurs de pêcher, nous continuons d'importer des poissons de zones où aucune norme n'est respectée. Une telle interdiction ne pourrait évidemment être envisagée qu'à l'échelle du marché intérieur, et il faudrait en démontrer le caractère non discriminatoire et proportionné. Ce serait un comble que la baisse de notre capacité de pêche se traduise par des importations de poissons pêchés à l'aide de techniques ayant entraîné des captures accidentelles. Surtout eu égard à l'état déjà très dégradé de notre balance commerciale en produits de la mer : je rappelle que nous importons entre 70% et 75 % des produits de la pêche et de l'aquaculture que nous consommons.

Enfin, une cinquième recommandation est plus exploratoire : elle consiste à mettre au point des mécanismes incitatifs, et non plus punitifs, en lien avec les organisations de producteurs, afin de mieux valoriser les pratiques d'atténuation des captures de la part des pêcheurs. Plusieurs dispositifs sont envisageables.

Premièrement, la labellisation, afin de permettre une hausse du consentement à payer du consommateur pour mieux partager avec lui le coût des mesures d'atténuation des captures. On pourra, pour cela, s'appuyer sur des démarches existantes : le label public « pêche durable », qui est le plus exigeant en la matière, voire le label MSC (Marine Stewardship Council) qui, depuis 2023, intègre aussi des critères de réduction des captures d'espèces protégées. Ces critères pourraient être mis à jour et renforcés à la lumière des travaux scientifiques en cours - je pense aux travaux de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et à ceux de l'observatoire Pelagis dans le cadre du projet Delmoges.

Deuxièmement, on pourrait confier aux organisations de producteurs le soin de développer une application de partage des informations en temps réel sur les cétacés et les captures accidentelles. Cela existe dans les eaux écossaises sous le nom de BATmap (By-Catch Avoidance Map, carte d'évitement des captures accidentelles) : en temps réel, les pêcheurs savent où il y a des concentrations de dauphins pour les éviter. Cela semble une piste intéressante pour mieux associer les pêcheurs, qui ont pu faire l'objet de « pêche bashing », à la protection des cétacés.

Vous l'aurez compris, pour nous, l'enjeu est d'offrir une sortie par le haut à tout le monde, dans le respect de ce que nous enseigne la science, dont va parler Philippe Grosvalet.

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Ce sujet de la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne est passionnant, mais aussi déroutant, en raison de la forte incertitude qui entoure plusieurs données du débat dans sa dimension scientifique.

Je vous assure qu'il n'a pas toujours été facile d'y voir clair, mais nous avons essayé de faire la part des choses entre ce qui relève de la perception, du ressenti ou des opinions personnelles des acteurs concernés, d'une part, et ce qui est le fruit de la méthode scientifique avec des protocoles d'analyse quantitative les plus rigoureux et documentés possibles, d'autre part - même si nous pouvons penser que la science est encore balbutiante en ce qui concerne ces données.

Les scientifiques ont fait l'objet d'une certaine défiance - en réalité, d'une défiance totale -, car les associations de protection de la nature ont repris leurs données et en ont tiré, pour certaines, des conclusions trop définitives sur la pêche. Mais rien ne sert de s'acharner sur le baromètre quand le temps est mauvais.

Aussi, notre première proposition serait de demander à la ministre chargée de la pêche de nommer un médiateur, qui pourrait être une personnalité qualifiée ayant suffisamment d'autorité pour jouer un rôle d'arbitre. Celui-ci présiderait le groupe de travail « captures accidentelles », qui regroupe pêcheurs, scientifiques, administration et associations, qu'il est absolument indispensable de réactiver pour surmonter la rupture de confiance constatée. Des règles de confidentialité renforcées et un haut niveau de représentation de la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture (DGampa) seraient à même de faire revenir tous les acteurs concernés à la table des discussions. Pour l'instant, il n'y a plus aucun espace de dialogue.

Notre deuxième recommandation consiste à étendre le nombre de navires équipés en caméras pour objectiver le débat sur les captures - sujet brûlant dans le monde de la pêche. Le processus est en cours pour cent fileyeurs équipés en caméras embarquées dans le cadre du programme OBSCame+ porté par l'Office français de la biodiversité (OFB). En équipant davantage de navires, nous pourrions obtenir des données fiables à un horizon plus court, ce qui est dans l'intérêt des pêcheurs. Cela devra bien sûr se faire en concertation avec les capitaines et leurs équipages, et en tournant les caméras vers les filets, et non vers les pêcheurs, qui craignent à juste titre le côté intrusif de la présence de caméras à bord.

Pour la poursuite de l'acquisition et de la diffusion de connaissances, nous proposons ensuite d'inciter la profession à mettre en place, tel que prévu dans son contrat stratégique de filière, un institut technique de la pêche qui servirait d'interface entre les scientifiques et les professionnels pour ouvrir la voie à davantage de recherche appliquée. Une telle structure aurait par exemple pu contribuer à améliorer l'acceptabilité de la pose de caméras. Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de créer un « machin » de plus, puisque ce serait complètement à la main de l'interprofession.

Une autre proposition consiste à reconduire le projet scientifique Delmoges (Delphinus mouvements gestion), entre l'Ifremer et Pelagis, au-delà de sa première période 2023-2025. Ce premier programme a permis de nombreux progrès que nous avons constatés dans le continuum des connaissances entre Pelagis, qui a un angle « cétacés », et l'Ifremer, qui a un angle « pêche », notamment sur le fait que les petits poissons pélagiques s'agrègent en bancs denses sur le fond près des côtes, ce qui pourrait expliquer que des dauphins soient capturés dans des filets au fond, par exemple dans la pêche à la sole ou au merlu. Reconduire ce programme permettra d'alimenter la réflexion sur des alternatives aux mesures d'urgence actuelles : nous proposons de confier aux scientifiques le soin de mettre en place des protocoles pour évaluer l'efficacité de mesures alternatives, qui seraient en tout cas plus incitatives et ciblées qu'une fermeture sèche pour un aussi grand nombre d'engins, sur la base des dernières données. Rappelons que les décisions actuelles sont prises sur la base du nombre estimé de dauphins en 2016 et d'un avis du Conseil international pour l'exploration de la mer (Ciem) de 2023 selon lequel la plupart des scénarios sans fermeture spatio-temporelle ne suffiraient pas à assurer la conservation du dauphin commun.

Une dernière recommandation consiste à améliorer la qualité et la transparence des données issues du Réseau national échouages (RNE). Ce réseau d'environ 500 correspondants est chargé d'imputer les échouages à différentes causes de mortalité, sous la coordination de l'observatoire Pelagis, unité mixte scientifique du CNRS et de l'université de La Rochelle. Comme il ressort qu'environ 70 % des échouages seraient attribuables à la pêche, les pêcheurs demandent légitimement que cette imputation s'appuie sur des observations solides. Or la plupart des observations reposent sur un examen externe de l'animal par des correspondants habilités, mais qui, selon les pêcheurs, n'ont pas nécessairement toutes les qualifications. Nous n'entendons pas remettre en cause le travail effectué par ce réseau, mais au contraire le fiabiliser. Nous pensons y parvenir en renforçant l'accompagnement vétérinaire, notamment lors des pics d'échouage hivernaux, en fixant l'objectif d'une hausse du taux d'autopsie, en développant l'attention portée à l'identification des pathogènes comme autre cause de mortalité, et enfin en publiant les données individuelles des échouages dans une logique de science ouverte.

Nous considérons que cela pourrait contribuer à abaisser le niveau de défiance envers cet organisme, qui fait un travail essentiel. C'est seulement main dans la main que les pêcheurs et les scientifiques pourront atteindre l'objectif de concilier l'activité de pêche et la protection des petits cétacés.

M. Pierre Médevielle. - Je remercie nos collègues de ce rapport sur un sujet sensible dans le golfe de Gascogne.

Plusieurs choses me gênent. Vous avez parlé tous les trois d'incertitudes sur les chiffres. Alain Cadec nous a assurés que personne n'avait dit que la biomasse était en danger. Dans ce cas, pourquoi prendre de telles mesures ? Je peux en témoigner : à Arcachon, Capbreton, Saint-Jean-de-Luz et Hendaye, nous n'avons jamais vu autant de dauphins depuis dix ans !

En outre, pourquoi ne pas parler dans le rapport de différenciation entre les types de bateaux ? Dans les quatre ports que j'ai cités, les bateaux de pêche sont de douze mètres en moyenne. Les dégâts ne proviennent pas de ces bateaux, alors pourquoi les mettre dans la nasse ? On n'a pas affaire à des pélagiques qui traînent à deux un filet comme dans la ZEE espagnole, et qui font effectivement des dégâts.

Les pêcheurs qui sont bloqués touchent une indemnisation de 85 % du chiffre d'affaires - c'est bien, mais ce n'est pas 100 %. Pourquoi ne pas parler des dégâts en aval dans les criées et dans les coopératives ? Nous dépensons 20 millions d'euros par an pour protéger une espèce qui n'est même pas menacée : c'est marcher sur la tête !

Par ailleurs, la plupart des pêcheurs sont équipés de dispositifs d'éloignement acoustique et doivent perfectionner leurs équipements. Or cela a un coût qui représente une contrainte. J'ai rencontré plusieurs pêcheurs qui m'ont dit devoir faire face à de gros problèmes de trésorerie. Par conséquent, quand la pêche est ouverte, ils sortent par tous les temps. Serge Larzabal, premier vice-président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), a dû vous en parler.

Interdire les grands chalutiers pélagiques pendant un mois, soit. Mais céder à certaines organisations qui réclament une interdiction pendant quatre mois, en janvier, février, mars et juillet, ce serait aller vers un naufrage complet ! Il faut complètement revoir la copie.

La zone est coupée en diagonale entre la France et l'Espagne. Interdire la pêche seulement dans la ZEE française, c'est marcher sur la tête ! Le Conseil d'État a pris une décision qui n'est pas logique alors même que le Gouvernement n'était pas favorable à la fermeture... Il reste beaucoup de travail à faire.

M. Daniel Salmon. - L'incertitude porte sur le nombre de cétacés qui meurent du fait des actions de pêche. Lors de l'audition de la mission d'information à laquelle j'ai assisté, j'ai été interloqué, voire choqué, de constater la défiance qui s'exprimait à l'égard de l'Ifremer et du CNRS. On ne peut pas mettre sur le même plan les chiffres des organismes scientifiques et ceux des pêcheurs. Les organismes scientifiques s'appuient sur une méthodologie qui permet de ne pas avoir d'incertitude. Ils ont le souci de travailler en coopération avec les pêcheurs, malgré un manque de bonne volonté de la part de ces derniers.

L'intervention d'un médiateur pourrait être une solution, mais il y a un réel problème de compréhension des méthodes.

Nous ne pourrons pas voter ce rapport tel qu'il est. Nous pourrons choisir de nous abstenir, car il y a des données scientifiques qu'il faut continuer d'étayer. Mais l'acceptabilité des programmes de recherche par les professionnels de la pêche n'est pas une notion que nous pouvons envisager.

M. Yannick Jadot. - L'efficacité pour la ressource et les cétacés des fermetures spatio-temporelles est incontestable : on constate une baisse des captures accidentelles. La science et les autorités politiques ont considéré qu'il y avait une menace et ont mis en place un dispositif certes dur, mais on connaît l'histoire : c'est à force de ne pas avoir de politique de gestion de la ressource que nous en sommes arrivés là. Tant mieux s'il y a aujourd'hui un esprit constructif pour gérer la ressource !

Je trouve positif que les rapporteurs encouragent le dialogue avec la science.

Certaines choses restent à améliorer dans le programme pour l'année prochaine, mais reconnaissons que la couverture des coûts pour la profession est correcte - il y a eu pire dans le passé.

La situation n'est pas facile. Avec Alain Cadec, nous avons beaucoup travaillé au Parlement européen sur ces sujets. Nous nous sommes toujours battus pour différencier la pêche artisanale de la pêche industrielle. Il est difficile de demander aux artisans d'utiliser des caméras embarquées, et il y a toujours eu des différenciations dans le recours à ce type d'outil.

Quoi qu'il en soit, nous considérons qu'il est bon que la science et les acteurs concernés puissent trouver les moyens de protéger la ressource, donc les pêcheurs.

M. Franck Montaugé. - Je ne suis pas spécialiste du sujet, mais j'en mesure l'importance. Est-il possible de replacer cette problématique dans le cadre général des difficultés économiques auxquelles la pêche est confrontée et de prendre également en compte la problématique environnementale des réserves halieutiques ? Il faut examiner le sujet dans un panorama global.

M. Gérard Lahellec. - Je m'associe aux compliments adressés à nos rapporteurs. Il faut s'emparer de ce sujet, eu égard à l'insatisfaction qu'il engendre.

Il n'est pas neutre de se référer à la science par les temps qui courent : j'observe une tendance à remettre en cause les avis des scientifiques et des agences. Personnellement, je considère que j'ai besoin de plus savants que moi pour savoir, donc pour prendre une décision. Nous gagnerions à conforter l'objectivation à partir de l'avis des scientifiques, ce que vous avez commencé à faire.

Je me demande s'il ne faudrait pas, dans les préconisations, différencier les approches, car l'on ne protège pas la ressource de la même manière selon que l'on racle le fond des océans ou que l'on pêche avec des bateaux de douze mètres. La pêche artisanale disparaîtra si on ne la préserve pas. Je m'achemine vers une position d'abstention bienveillante et d'encouragement à poursuivre le travail d'objectivation.

M. Alain Cadec, rapporteur. - La différenciation existe, puisque l'interdiction ne vaut pas pour les navires de moins de huit mètres, mais les scientifiques constatent que les prises accidentelles sont moins faites par les pélagiques que par les fileyeurs. Les pêcheurs dont parle M. Médevielle ...

M. Pierre Médevielle. - Ce sont de petits fileyeurs.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Ils n'ont pas des kilomètres de filets, bien sûr.

Mais nous nous rendons compte que nous nous étions trompés au départ. Les navires de pêche mis en cause ne sont pas les pélagiques. Les bolincheurs commencent à s'équiper de caméras, comme ceux qui pêchent en boeufs, c'est-à-dire avec deux bateaux qui tirent un seul chalut. Nous avons rencontré un artisan qui pratique ce type de pêche à La Turballe et qui s'est équipé. Il a constaté qu'il pêchait moins de dauphins. La bolinche est encore moins dangereuse, car elle se pratique avec une senne qui est un filet qui se referme ; il permet donc, en cas de besoin, de rejeter le cétacé. En revanche, si le cétacé est maillé dans un filet, il se noie rapidement. Or malheureusement, les cétacés recherchent la nourriture, qui peut être dans un filet à soles, lequel mesure un mètre cinquante.

La nourriture des dauphins communs, c'est la sardine, l'anchois ou le sprat. Mais ces poissons, pour des raisons liées notamment au réchauffement climatique, se rapprochent des côtes au lieu d'être au large. Le cétacé a donc plus de risques d'être pris.

Certains d'entre vous ont parlé des autopsies. Or seulement 2 % des échouages sont autopsiés, ce qui est bien trop peu. S'il y a des marques de maille, il est clair que le cétacé a été pris et rejeté. Dans le cas contraire, rien ne le prouve tant qu'une autopsie n'a pas été pratiquée, mais l'état de conservation de la carcasse ne permet pas toujours de le faire...

En ce qui concerne la trésorerie, en 2025, les autorités françaises ont fait diligence, ce qui n'était pas le cas en 2024. En 2026, je pense que ce sera la même chose. Nous en avons parlé avec Serge Larzabal qui semble avoir bien compris l'enjeu.

La différenciation spatio-temporelle est impossible à mettre en oeuvre : comment pourrait-on autoriser la pêche depuis Arcachon et l'interdire depuis la Cotinière !

M. Pierre Médevielle. - Et sur les tailles des bateaux ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - C'est un critère pris en compte, mais qui n'est pas suffisant. Des petits bateaux pêchent des cétacés, alors que de plus gros n'en pêchent pas.

L'installation de caméras est une solution possible. Avec Yannick Jadot, nous connaissons bien le sujet : nous avons oeuvré dans ce sens au Parlement européen. Les pêcheurs commencent à intégrer que c'est nécessaire, à condition que l'on filme le filet et non pas leurs visages, ce que nous pouvons tout à fait comprendre.

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Le climat est extrêmement tendu, même si les pêcheurs ont plus de mal à se faire entendre que les agriculteurs, car ils sont moins nombreux.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Quand ils veulent faire du bruit, on les entend...

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Je suis un élu du littoral : la filière est au bord de la rupture. C'est une chaîne solidaire : si un maillon craque, toute la filière s'écroule. Des chefs d'entreprise qui investissent 1 million d'euros dans un bateau ont des raisons de s'inquiéter.

Notre rapport s'appuie uniquement sur des données scientifiques, et non sur des données subjectives. L'incertitude n'est pas liée au fait que nous mettrions en doute ces données, mais à la difficulté qu'il y a à mesurer une faune dans un espace aussi complexe que l'océan. La tâche est même plus difficile que pour les oiseaux. Les scientifiques en sont encore à l'étape des balbutiements pour l'établissement des données. Les représentants de Pelagis, de l'Ifremer et du CNRS nous l'ont dit : ils ont beaucoup progressé en trois ans.

Ces difficultés vont jusqu'à susciter des comportements complotistes. Certains pêcheurs, qui restent minoritaires, sont dans une telle remise en cause des scientifiques que nous devons absolument parvenir à rétablir un dialogue avec eux ; sinon, le fossé se creusera encore plus.

Monsieur Montaugé, vous avez raison, il faut parler de l'avenir de la pêche. Nos pêcheurs embarquent sur des bateaux qui ont entre 35 et 40 ans d'âge. C'est non seulement dangereux, mais c'est aussi inefficace, car ils consomment trois fois plus de carburant que des bateaux modernes. En outre, cela n'incite pas les jeunes générations à investir dans la pêche. Par conséquent, la filière n'aura aucun avenir si nous ne sommes pas capables de retrouver une formule compatible avec les règles européennes pour soutenir l'investissement dans les navires de pêche.

M. Franck Montaugé. - Si l'on raisonne en part de PIB, la pêche ne représente pas grand-chose ; mais ce sujet ne mériterait-il pas une proposition de loi de notre commission ? Vous parlez de difficultés d'accès au crédit pour moderniser la flotte. Nous n'avons aucun intérêt à laisser cette filière disparaître petit à petit. L'enjeu est économique, territorial et culturel.

M. Yves Bleunven, rapporteur. - Dans le cadre de cette mission d'information, nous avons veillé à prendre en considération tout l'écosystème et tous les acteurs. Ainsi, pour les transporteurs, le mareyage ne représente qu'un faible pourcentage de leur activité. Ils sont prêts à laisser tomber l'excellence de leur service parce que cette activité est déficitaire. Nous nous sommes rendus dans la coopérative maritime de Lorient et nous avons constaté les dégâts. Pour les collectivités qui gèrent des criées, cela fait des recettes en moins, sans même parler du tonnage qui diminue d'année en année. Nous avons formulé des préconisations sur ce sujet.

Monsieur Salmon, vous avez assisté à l'audition que nous avions organisée avec les pêcheurs, qui ont des revendications très fortes vis-à-vis des scientifiques. Mais nous avons également organisé des auditions pour entendre les scientifiques. En effet, nous nous sommes fixé pour règle de faire preuve d'objectivité et d'aborder ce dossier sans a priori, en écoutant tous les acteurs. Certaines ONG sont très radicales et le sont de plus en plus, d'autres sont plus modérées et proposent des solutions. Ce serait un raccourci que de tirer des conclusions à partir d'une seule audition.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Monsieur Montaugé, je précise que la pêche est une politique commune totalement intégrée : tout se décide à Bruxelles et à Strasbourg.

M. Franck Montaugé. - Cela n'empêche pas d'agir.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Certes. En matière d'aménagement du territoire, l'absence de bateaux de pêche dans nos ports serait un drame absolu.

Grâce aux décisions prises par l'Union européenne ces dernières années, nous arrivons au rendement maximal durable (RMD) pour 58 % des espèces. Pour expliquer brièvement cette notion, elle consiste, si l'on considère que la biomasse est un capital, à ne toucher qu'aux intérêts. Nous sommes passés en quinze ans de 12 % à 58 % des espèces grâce à la politique commune de la pêche.

M. Franck Montaugé. - Et le nombre de professionnels ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - Il diminue parce que notre capacité à pêcher diminue. En effet, l'Union européenne organise des plans de sortie de flotte (PSF), dont le dernier en date est directement lié au Brexit, avec pour conséquence qu'un certain nombre de navires - sans doute beaucoup trop - ont été détruits.

M. Franck Montaugé. - Cela signifie-t-il que la filière est en extinction ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - Non, car elle forme beaucoup de jeunes. Mais il faut fournir aux pêcheurs des bateaux qui consomment et qui polluent moins.

M. Franck Montaugé. - C'est l'Union européenne qui doit agir ?

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Pour l'instant, le cadre de la politique commune de la pêche nous bloque, mais nous constatons des avancées significatives.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous devrions pouvoir y arriver. On ne peut pas imaginer notre pays sans pêcheurs.

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - D'autant plus que nous avons des ressources financières nouvelles, liées notamment à l'éolien offshore, qui pourraient être réorientées.

M. Franck Montaugé. - Cela pose le même genre de problèmes que pour une partie de l'agriculture...

M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous ne nous permettrions pas de mettre en doute les constats des scientifiques. En revanche, les conclusions qu'ils en tirent ne sont pas toujours certaines et peuvent parfois être contestées. Les calculs de biomasse se font par survol ; c'est tout de même très compliqué de compter des dauphins de la sorte ! Des modalisations sont possibles, mais ce n'est pas parfait.

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Chacun d'entre nous est un acteur politique, avec sa propre sensibilité, mais ce rapport se fonde exclusivement sur les données scientifiques. Notre objectif commun a été d'essayer de définir des pistes permettant à la fois de sauver la filière et de répondre aux besoins de protection de la faune. À un moment politique où des tensions très vives se font jour, on pourrait craindre des actes de violence sur nos ports, où l'on relève parmi les pêcheurs un très fort rejet des scientifiques, sans parler des ONG. Il faut recréer du dialogue et remettre de la rigueur scientifique dans le débat. L'adoption par notre commission de ce rapport équilibré serait de nature à restaurer la paix sociale et à convaincre le Gouvernement de l'importance de ce sujet ainsi que de la nécessité d'y consacrer des moyens importants et de mener une action d'influence à l'échelle européenne.

M. Pierre Médevielle. - Il serait sans doute inopportun de parler de mesure miroir aux pêcheurs, car cela relève du fantasme. Je pense aux flottes de pêche venues de Chine ou d'autres pays asiatiques que l'on arraisonne parfois au large de la Nouvelle-Calédonie : quelque cinquante bateaux ayant tous le même numéro d'immatriculation, qui pillent allégrement toutes nos ressources marines.

Que fait-on aujourd'hui pour les jeunes ? On leur impose contrainte sur contrainte, on les écoeure, alors qu'ils sortent d'écoles d'excellence. Alors, soit on continue de leur appuyer sur la tête et on se résout à tout importer, soit on se décide enfin à aider cette filière de pêche artisanale qui fait vivre tant de nos ports !

M. Yannick Jadot. - Je suis d'accord avec Franck Montaugé, mais il faut aussi réfléchir aux choix des techniques de pêche. Avec Alain Cadec, nous nous sommes battus, avec succès, contre la pêche électrique et la pêche en eau profonde, pour préserver nos pêcheurs et les territoires qu'ils font vivre et structurent de tous les points de vue. Le débat existe sur ces questions au sein de la profession, même si les pêcheurs sont moins enclins à s'exprimer publiquement que les agriculteurs. Renforcer l'approche scientifique est essentiel pour que tout le monde se détende. Il faut trouver les moyens de valoriser la pêche artisanale. Je pense à la belle renaissance du bar de ligne, dont les frayères avaient beaucoup souffert du chalutage en boeuf. Ce poisson fait vivre nos artisans pêcheurs, mais aussi la gastronomie française !

M. Daniel Salmon. - Les propos que j'entends ici ce matin sont beaucoup plus apaisés que ce que j'avais relevé lors des auditions du CNRS et de l'Ifremer. Concernant les causes de mortalité, j'ai retrouvé les chiffres : avant la fermeture, 70 % des cétacés échoués portaient des traces très nettes de filets ; depuis, il n'y a presque pas eu de captures accidentelles.

M. Alain Cadec, rapporteur. - « Les plaisirs sont rares pour les marins pêcheurs ; contempler les dauphins s'égayer dans les flots est l'un d'entre eux » : c'est ce que m'a dit José Jouneau, président du comité régional des pêches maritimes et des élevages marins des Pays de la Loire, qui n'est pourtant pas un tendre... Clairement, les pêcheurs ne sont pas contre les dauphins !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je remercie une nouvelle fois nos trois rapporteurs de leur beau travail, sur lequel nous pourrions discuter encore longtemps !

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant des réponses adaptées et proportionnées pour prévenir notamment le développement des vignes non cultivées - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Sebastien Pla rapporteur sur la proposition de loi n° 414 (2024-2025) instaurant des réponses adaptées et proportionnées pour prévenir notamment le développement des vignes non cultivées.

Projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Micheline Jacques rapporteur pour avis sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, sous réserve de son dépôt.

Proposition de loi relative aux missions d'exploration et d'utilisation des ressources spatiales - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Patrick Chaize rapporteur sur la proposition de loi n° 302 (2024-2025) relative aux missions d'exploration et d'utilisation des ressources spatiales, présentée par Mmes Christine Lavarde et Vanina Paoli-Gagin.

Rapport Ensemble, refaire ville. Pour un renouvellement urbain résilient des quartiers et des territoires fragiles - Audition de M. Patrice Vergriete, président du conseil d'administration, Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale, de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, MM. Jean-Martin Delorme, président de section à l'inspection générale de l'environnement et du développement durable, et Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne (en visioconférence)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous auditionnons aujourd'hui quatre personnalités dont nous connaissons l'engagement et l'expérience en matière de politique de la ville et de rénovation urbaine : M. Patrice Vergriete, maire de Dunkerque, ancien ministre du logement, jusqu'en décembre 2024, et aujourd'hui président du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ; Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Anru ; M. Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, qui est avec nous par visioconférence ; enfin, M. Jean-Martin Delorme, président de section à l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd).

Madame Mialot, messieurs Van Styvendael et Delorme, vous êtes les co-auteurs du rapport intitulé Ensemble, refaire ville. Pour un renouvellement urbain résilient des quartiers et des territoires fragiles, remis aux ministres François Rebsamen et Valérie Létard le 18 février dernier. Monsieur Vergriete, vous étiez en décembre 2023 l'un des trois ministres commanditaires de ce rapport, avec Christophe Béchu, alors ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et Sabrina Agresti-Roubache, alors secrétaire d'État chargée de la ville.

Vingt ans après le premier programme de renouvellement urbain, le bilan est unanimement positif. L'action de l'Anru a permis d'améliorer le cadre de vie des nombreux habitants qui ont pu bénéficier de ses actions. Nombre des membres de notre commission pourraient en témoigner. Je veux en particulier citer Mme Viviane Artigalas, grande spécialiste de la politique de la ville au sein de notre commission, qui s'excuse de ne pouvoir être présente ce matin.

Votre rapport vise en particulier à préparer l'avenir de la politique de rénovation urbaine alors que le nouveau programme de renouvellement urbain arrive à échéance en 2026. Vous préconisez le lancement dès 2025 d'un nouveau programme piloté par l'Anru. Comment comptez-vous articuler efficacement la fin du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) et ce troisième programme ?

Pour construire ce rapport, vous avez notamment fait le choix d'une approche holistique qui permet de souligner certaines vulnérabilités affectant les quartiers prioritaires, mais aussi les autres territoires. Vous citez en particulier le changement climatique, dont les effets ne seront pas limités aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

Pour faire face au changement climatique, vous recommandez la création d'un comité interministériel d'aménagement du territoire, placé auprès du Premier ministre, qui piloterait une politique nationale de rééquilibrage territorial et d'anticipation des conséquences du changement climatique. Quelle en serait l'utilité concrète, au moment où nous aurions plutôt tendance à faire la chasse aux agences et structures diverses au sein de l'État par souci d'économie et d'efficacité de l'action publique ?

J'aimerais en outre évoquer deux points qui concernent en particulier les collectivités.

Premièrement, nous savons que le changement climatique a des conséquences variables selon les territoires, ce qui rend nécessaire l'adoption de mesures adaptées à chacun. Quelle est votre réflexion à ce sujet ? Comment améliorer la capacité d'adaptation des pouvoirs publics face à cette contrainte particulière ?

Deuxièmement, si la rénovation urbaine suppose sans doute la construction de nouveaux logements, il apparaît nécessaire pour la puissance publique de concilier la production de logements avec l'exigence de sobriété foncière. Quelles pistes sont envisagées pour répondre à ce défi ?

Je souhaite maintenant évoquer un autre défi majeur pour la politique de rénovation urbaine : celui du financement. Comme l'a souligné notre rapporteure pour avis sur le budget de la ville, Viviane Artigalas, l'Anru connaît certaines difficultés financières et les 50 millions d'euros que va lui apporter l'État en 2025 ne lui suffiront pas. Un effort très important devrait être consenti pour terminer le NPNRU. Quelles sont les solutions que vous envisagez à court et moyen terme ?

La ministre Valérie Létard a récemment évoqué la possibilité d'un financement européen des missions de l'Anru. De même, vous recommandez d'intégrer le renouvellement urbain aux axes prioritaires du Fonds européen de développement régional (Feder) et de déléguer à l'Anru la gestion de ces fonds. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Quels seraient les montants espérés ?

Enfin, je ne peux conclure sans évoquer le prochain comité interministériel des villes, annoncé pour le 15 mai prochain par la ministre Juliette Méadel, que nous comptons auditionner prochainement. Lors de ses derniers déplacements, celle-ci a pu insister notamment sur l'enfance et l'adolescence, la sécurité et la réussite économique des quartiers. Savez-vous si les questions de l'adaptation au changement climatique et du financement de la rénovation urbaine seront à l'ordre du jour de ce comité interministériel ?

Je vous rappelle, en vous cédant la parole pour répondre à ces premières questions, avant celles de mes collègues, que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale de la rénovation urbaine. - Je tiens à votre disposition des synthèses du rapport.

Le 12 décembre 2023, les ministres Christophe Béchu, Patrice Vergriete et Sabrina Agresti-Roubache nous avaient adressé une lettre de mission large. Leur demande était alors d'établir un panorama des outils de renouvellement urbain, et de déterminer la nécessité de poursuivre cette politique dans les QPV ainsi que l'applicabilité du modèle d'intervention de l'Anru à d'autres défis, en particulier l'augmentation de la ségrégation sociospatiale et le changement climatique. Voilà qui explique le large périmètre de nos travaux, et le fait que nous ayons centré nos propositions sur les actions de l'Anru, y compris auprès des collectivités.

Dans ce cadre, nous avons auditionné plus de quarante personnes, chercheurs, collectivités, bailleurs, habitants. Nous avons aussi souhaité faire huit déplacements. Malheureusement, du fait de la dissolution de l'Assemblée nationale et de la campagne pour les législatives, qui emportait la période de réserve électorale pour les fonctionnaires, notre réunion en outre-mer a dû être annulée.

M. Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne. - Je rappelle, tout d'abord, l'importance de la population suivie : pas moins de 5,9 millions d'habitants vivent dans les 1 500 QPV. D'importantes inégalités subsistent sur ces territoires, où 55 % des enfants vivent sous le seuil de pauvreté, alors que ce taux est, en moyenne, de 20 % en France. Le chômage y est 2,5 fois plus élevé qu'au niveau national.

La rénovation urbaine est l'une des politiques publiques les plus vertueuses. Ainsi, 1 euro engagé par l'Anru aboutit à 4 euros investis sur le territoire. Le premier programme que l'agence a conduit a ainsi abouti au versement de 45,2 milliards d'euros, quand le second a atteint entre 45 milliards et 50 milliards d'euros investis, pour seulement 1 milliard à 1,2 milliard d'euros dépensés par l'État.

Pour avoir participé à plusieurs travaux de ce type, j'ai le sentiment que la mission sur le renouvellement urbain a abouti à un bon rapport. J'ai apprécié le fait que nous ayons disposé de moyens suffisants pour nous déplacer et procéder à des auditions. Sur l'ensemble des territoires, l'accueil a été excellent. Quelles que soient les affinités politiques de nos interlocuteurs, tous font le même constat : « L'Anru, ça marche, quoi qu'on en dise. » S'ils critiquent certaines lourdeurs et une forme de bureaucratisation, au-delà des effets de manche, les élus locaux y sont attachés.

La méthode de l'Anru pourrait être réemployée dans d'autres territoires et sur d'autres thématiques. Je pense ainsi au climat, avec le recul du trait de côte ou les inondations, ou encore aux zones en déprise économique. Cela étant, le coeur de notre rapport consiste à souligner le besoin de continuer à investir dans les QPV, avec une Anru dont la cible principale serait ces territoires.

Cette conviction est issue, en premier lieu, de nos auditions et de nos travaux. En particulier, nous avons été marqués par le rapport Oberti sur la ségrégation sociale et par le lien qui existait entre celle-ci et les émeutes de 2023. Ainsi, dans les quartiers comprenant 15 % de personnes ayant un parcours d'immigration, le risque d'émeutes atteint 11 % contre 42 % en QPV. Là où l'on compte 25 % de logements sociaux, ce taux est de 11 %, alors qu'il est de 34 % dans les QPV. En outre, 63 % des communes ayant connu des émeutes ont aussi été touchées par le phénomène des gilets jaunes. La ségrégation sociale, qui fragilise la cohésion territoriale, est ainsi un enjeu majeur.

Or dans le quart des quartiers où la rénovation urbaine a fait l'objet des plus forts investissements de l'Anru, les résultats sont là avec, par exemple, une baisse de 5 % du nombre des ménages relevant du premier quartile. Cette action a lieu sur le temps long, mais nous arrivons à réduire la concentration des pauvretés sur certains territoires.

Deuxièmement, jusqu'à présent, pour l'Anru, la prise en compte du climat a eu pour principal effet une couche supplémentaire d'exigences à l'endroit des opérateurs, en matière de consommation d'énergie, ou de confort d'été ou d'hiver. Or la rénovation urbaine est cruciale pour la transition écologique, alors que 75 % des « points noirs environnementaux » (PNE) les plus graves sont marqués par une surreprésentation de ménages à bas revenus. Mais, après l'intervention de l'Anru dans ces territoires, 80 % des ménages sortent de la précarité énergétique. La rénovation urbaine participe de la justice sociale et climatique.

Il faut donc bien un troisième programme, qui doit commencer tout de suite, afin d'éviter le trou d'air qui a eu lieu entre le premier et le deuxième programme. Compte tenu des difficultés budgétaires actuelles, une nouvelle maquette financière pourrait consister à s'appuyer davantage sur les fonds européens que les régions, censées les piloter, n'utilisent pas toujours pleinement. Il n'est toutefois pas certain que cela diminue l'effort de l'État, dans la mesure où celui-ci est déjà modeste, à seulement 1,2 milliard d'euros, alors que, je le rappelle, ce montant aboutit à 50 milliards d'euros investis au total.

Troisièmement, il faut retrouver un lien bien plus fort entre rénovation urbaine et politique de la ville, autour de politiques publiques que l'on pourrait qualifier de régaliennes : éducation, sécurité, emploi, santé. En effet, ces dernières sont parfois séparées dans le pilotage des projets.

Ainsi, la méthode de l'Anru fonctionne et pourrait être élargie à d'autres politiques publiques, afin de s'inscrire dans les enjeux de transition écologique, d'aménagement économique du territoire et de cohésion sociale. Son modèle financier doit être repensé, mais il faut maintenir les investissements déjà engagés par les bailleurs sociaux et par Action Logement. Il convient de préfigurer la suite dès maintenant : il sera nécessaire d'associer étroitement la politique de la ville si l'on veut obtenir des résultats pérennes.

M. Jean-Martin Delorme, président de section à l'inspection générale de l'environnement et du développement durable. - Avec Anne-Claire Mialot et Cédric Van Styvendael, nous avons été animés par la conviction de l'acuité des difficultés des QPV.

Toutefois, la lettre de mission nous invitait à considérer une acception large du renouvellement urbain. C'est pourquoi il concerne aussi les quartiers hors QPV. Ainsi, certains territoires sont touchés par la ségrégation, quand d'autres le sont par un sentiment d'abandon ou de relégation.

Le rapport comprend une carte montrant des concentrations de pauvreté, par exemple dans le centre de la France ou en Occitanie. Or ces dernières reflètent les limites départementales : on remarque que ces zones de concentration de pauvreté sont éloignées des préfectures, pourvoyeuses d'emplois et de services publics. La concentration de la pauvreté touche aussi des zones pavillonnaires, notamment en Île-de-France, parfois investies par les marchands de sommeil, ainsi que des zones de déprise économique, même lorsqu'elles comprennent des copropriétés de grande taille.

Le renouvellement urbain est connexe de l'adaptation au changement climatique, puisqu'il concerne les enjeux liés aux îlots de chaleur, au recul du trait de côte ou encore aux inondations. N'oublions pas non plus les modifications de l'économie de certains territoires.

Si le renouvellement urbain n'est pas l'alpha et l'oméga de la réponse au changement climatique, ce dernier doit être intégré aux programmes, ce que fait l'Anru avec la démarche « quartiers résilients ». En outre, le changement climatique entraîne une déprise économique dans certains territoires, à l'origine de vacances de logements, de dégradations et de l'arrivée de marchands du sommeil. Le renouvellement urbain, sans être une solution miracle, est un élément de la réponse.

Au total, ce dernier prendra une part croissante dans la fabrication de la ville, du fait des exigences de sobriété foncière. Cependant, les outils habituels de financement, les subventions, n'y suffiront pas. Il faut donc une stratégie différente entre les QPV et les autres territoires. C'est pourquoi le rapport préconise la réunion d'un comité interministériel d'aménagement des territoires, comme l'a mentionné Mme la présidente.

Notre volonté est double. Il s'agit tout d'abord d'inscrire la rénovation urbaine dans le cadre d'une stratégie nationale de l'aménagement du territoire - cet aspect est sans doute plus important que la création d'un comité, qui existe d'ailleurs déjà. Il s'agit ensuite d'associer certaines strates de collectivités territoriales aux travaux de conception de l'aménagement du territoire.

Parmi nos autres propositions, figure une cartographie des territoires soumis à la déprise, à la ségrégation ou au changement climatique. Il conviendra également d'évaluer l'apport de l'expertise de l'Anru aux territoires qui en ont besoin, sans nécessairement y répliquer la méthode de l'Agence.

Nous proposons aussi d'adapter le modèle économique de l'aménagement. En effet, il y a aujourd'hui un déséquilibre, dans la mesure où l'extension urbaine est plus intéressante pour un promoteur que la rénovation urbaine. La raison en est que la dernière suppose de dépolluer les sols et de respecter d'importantes contraintes urbaines. Pour rééquilibrer le modèle, je renvoie au rapport d'André Yché, publié l'an dernier, qui préconise notamment de remettre sur le marché, avec un système de régénérescence, les bâtiments tertiaires qui perdent leur utilité.

Nous sommes convaincus de la nécessité d'engager immédiatement un nouveau programme de rénovation urbaine pour les QPV. À ce titre, j'attire votre attention sur les délais : cinq années se sont écoulées entre les premiers engagements et la fin du programme, soit un laps de temps assez long. Dans la mesure où l'Anru a une durée de vie déterminée, nous devons, si nous voulons être prêts dans cinq ans, préparer dès maintenant la prolongation de l'agence, qui compte des compétences qu'il serait bon de conserver.

Cette démarche s'appuiera à la fois sur une loi et sur une liste des quartiers qu'il conviendra d'établir en sélectionnant et en priorisant des demandes qui seront probablement nombreuses, tout en élaborant une maquette financière qui permette de garantir les ressources de chacun. Cet exercice de répartition prenant du temps, j'insiste sur l'importance du délai : les travaux du programme actuel devant se terminer en 2031-2032, il convient de préparer le futur dès à présent.

Nous avons également fait un certain nombre de propositions relatives à la simplification et à la différenciation des territoires, certains d'entre eux étant tout à fait capables de gérer les crédits dédiés à l'aide à la pierre, par exemple.

En outre, nous avons interrogé de nombreuses personnes quant à la méthode de l'Anru et au passage devant le comité d'engagement qui est parfois vécu comme une sorte de grand oral. Les élus locaux nous ont cependant indiqué que leurs projets ressortaient enrichis de cette confrontation exigeante, qui se justifie d'ailleurs par l'importance des sommes investies.

Enfin, nous avons rappelé la nécessité d'une mobilisation d'ensemble dans les QPV, les financements de l'Anru ne pouvant suffire : ils doivent être associés à une mise en oeuvre de toutes les politiques en faveur de l'emploi, de la santé, du droit et de la sécurité.

M. Patrice Vergriete, président du conseil d'administration de l'Anru. - Avant d'évoquer plus précisément deux sujets, je tiens à rappeler que la rénovation urbaine est considérée de manière assez unanime comme un grand succès de la politique de la ville compte tenu des importants changements qu'elle a entraînés dans le quotidien des habitants.

Le premier sujet a trait au NPNRU. Le Gouvernement ayant souhaité une accélération des projets, Anne-Claire Mialot et ses équipes s'y sont pleinement employés et ont réussi, tant et si bien que nous avons atteint un pic dans la réalisation des projets et donc dans les décaissements financiers : la totalité des actions sont fléchées et 85 % d'entre elles sont engagées, et nous frôlerons les 100 % à la fin de l'année, ce qui laisse espérer la fin de toutes les opérations du deuxième NPNRU aux alentours de 2030.

Si la trésorerie de l'Anru a jusqu'à présent permis d'accompagner la montée en puissance des projets, l'un des points d'étonnement portera sur le fait que cette trésorerie sera nulle en fin d'année. Certes, la part de l'État dans le financement de l'agence est très minoritaire au regard de la part d'Action Logement et de celle de la solidarité inter-bailleurs, au travers de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) ; néanmoins, l'État doit apporter sa part, ce qu'il n'a pas encore fait, tant et si bien que le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 sera absolument crucial pour l'Anru et pour le maintien du programme.

En clair, si le futur PLF ne prévoit pas une somme suffisante, nous serons dans l'obligation de stopper les projets dans un certain nombre d'endroits. J'insiste sur ce point, car il est bien question d'un risque d'arrêt des opérations, l'Anru ayant déjà signifié aux préfets qu'il fallait faire attention à limiter les décaissements en 2025.

J'en viens au deuxième sujet majeur, à savoir la pertinence d'un troisième programme de rénovation urbaine. Selon moi, il serait préférable de ne pas arrêter des opérations qui ont transformé le quotidien de millions de nos concitoyens, d'autant plus que cette politique publique fait l'unanimité auprès des élus locaux.

Pour autant, l'éventualité d'un nouveau programme soulève plusieurs questions. Premièrement, quels sont les quartiers qui seraient concernés ? À l'évidence, les QPV : je me suis récemment rendu dans le quartier des Francs-Moisins en Seine-Saint-Denis, dans lequel les opérations ne sont pas terminées. D'autres quartiers, même s'ils ont bénéficié des programmes précédents, ont besoin d'une troisième étape de transformation tant leurs besoins étaient importants.

D'autres quartiers mériteraient-ils d'être intégrés aux opérations de rénovation urbaine ? Dans le cadre de fonctions précédentes, j'avais mis en avant des besoins de rénovation urbaine dans des centres-villes de villes moyennes touchés par des taux de vacance très élevés et dont le bâti est devenu obsolète. L'expertise de l'Anru serait-elle pertinente dans ce cadre, en complément de l'action de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ? Je soumets cette question à votre réflexion.

S'agissant du financement, je rappelle qu'un programme de l'Anru représente environ 15 milliards d'euros. Dans la mesure où Action Logement ne pourra sans doute pas contribuer autant que par le passé, il faudra s'orienter vers la recherche d'autres solutions de financement. L'une des pistes évoquées par le rapport a trait aux crédits européens : nous avons connu le programme d'initiative communautaire (PIC) Urban, qui pourrait être réédité afin de financer une partie de la rénovation urbaine. Cette piste est en tout cas activement explorée par Valérie Létard et me semble très intéressante.

J'estime par ailleurs, à titre personnel, que la perspective d'une taxe directement affectée à l'Anru devrait être envisagée. En tout état de cause, nous devrons réunir environ 15 milliards d'euros sur la période 2030-2040.

Enfin, le rapport entre le social et l'urbain constitue une autre interrogation de fond : si la rénovation urbaine est un succès de la politique de la ville, elle ne saurait suffire sans traiter les questions d'emploi et de sécurité. Cette articulation entre l'ambition urbaine et le volet social de la politique de la ville pose question depuis la création de l'Anru et cette réflexion devra se poursuivre dans le cadre d'un troisième programme.

En conclusion, j'appuie l'analyse de M. Delorme quant à la nécessité de préparer le troisième programme dès à présent si nous voulons éviter toute coupure, car il faut quatre à cinq ans pour préparer les projets, alors que les dernières opérations du deuxième programme se termineront aux alentours de 2030. N'oublions pas la dimension économique et les risques liés à un trou d'air, y compris pour la filière du bâtiment : engageons donc un nouveau programme afin d'être opérationnels dès la fin de l'actuel programme.

M. Jean-Claude Tissot. - Depuis une vingtaine d'années, l'Anru joue un rôle déterminant dans la transformation des quartiers les plus fragiles. Le rapport permet de constater que cette politique publique a démontré son efficacité, grâce à un travail accompli en lien étroit avec les collectivités.

L'Anru est désormais un acteur indispensable et un levier stratégique dans la lutte contre la ségrégation sociale, mais également dans l'adaptation au changement climatique et dans la revitalisation des quartiers. Comme vous le soulignez dans le rapport, l'enjeu ne consiste plus seulement à poursuivre les actions, mais à les amplifier. Vous préconisez notamment de lancer très rapidement un nouveau programme en adoptant une approche plus territorialisée et en intégrant une logique de coconstruction avec les habitants.

Comment faire en sorte que ce nouveau cycle d'interventions ne soit pas perçu comme une simple reconduction, mais bien comme un changement d'échelle, à la fois en termes d'ambition - notamment écologique - et dans la méthode - notamment en matière de coconstruction et de différenciation territoriale ? Quels moyens concrets faudrait-il mobiliser afin que l'Anru puisse tenir ce cap exigeant ?

En outre, les politiques de la ville structurent principalement leur action autour des jeunes, ce qui est normal au regard de la démographie des QPV. Cependant, la question du vieillissement dans ces quartiers n'est guère abordée : dans quelle mesure avez-vous pris en compte le thème du « bien vieillir » ?

M. Bernard Buis. - Vous proposez la piste d'un comité interministériel d'aménagement du territoire qui serait piloté par le Premier ministre : pensez-vous que les conditions politiques et administratives sont réunies pour faire dudit comité un véritable moteur transversal, et non un énième dispositif de coordination ?

Je relaye également une question de mon collègue Frédéric Buval, qui n'a pas pu être présent : le rapport évoque la nécessité de réactualiser la carte des quartiers prioritaires, notamment dans les territoires ultramarins. Selon vous, quelles sont les principales lacunes des dispositifs actuels dans ces territoires ? Est-ce une question de critères, de moyens ou de gouvernance locale ?

M. Philippe Grosvalet. - Je reviens sur le financement du NPNRU et j'entends votre étonnement, monsieur le président, mais je n'oublie pas que vous avez été ministre dans deux gouvernements successifs ayant pris une série de décisions.

Si le concours de l'État à l'Anru ne représente que 10 % de l'enveloppe totale, soit 1,2 milliard d'euros, seulement 9,7 % de cette somme ont été versés à ce jour, ce retard considérable conduisant les partenaires à envisager que l'État ne paiera jamais, alors que 448 quartiers sont concernés. Pouvez-vous exprimer franchement votre sentiment quant à la capacité de l'État à assumer cette contribution ?

En outre, vous avez évoqué la piste d'une taxe supplémentaire : là encore, les gouvernements auxquels vous avez participé ont érigé le refus de tout impôt supplémentaire en totem. Comment envisagez-vous de défendre une telle taxe ?

Mme Anne-Claire Mialot. - S'agissant du changement d'échelle et de paradigme, l'un des principaux éléments a trait à l'effet conjugué de l'accroissement des inégalités socio-spatiales et de l'impact du changement climatique, qui renforcera d'autant plus ces dernières.

Cet effet conjugué de plusieurs dynamiques a des traductions territoriales concrètes. Il contribue à aggraver les inégalités internes aux métropoles, mais aussi entre les métropoles et le reste du territoire, et enfin entre les régions. Affectant au premier chef les plus précaires, le changement climatique aggrave donc les inégalités sociales ; si on y ajoute la réduction des surfaces qui pourront être urbanisées, soit parce que certaines zones deviendront inhabitables, soit en raison de la restriction de la consommation de terres arables, on se rend bien compte de la nécessité de repenser le paradigme de l'aménagement urbain et la manière de « refaire la ville sur la ville ».

L'intégration des impacts du changement climatique dans la politique de renouvellement urbain est un aspect majeur, notamment dans les territoires ultramarins : à Cayenne par exemple, une partie importante de la ville est soumise au plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) et subit le recul du trait de côte. Dans ce contexte, la politique de renouvellement urbain est confrontée à des questions concrètes : comment consolide-t-on les logements ? Doit-on déplacer les populations ?

Dans ces territoires, la question de la résilience doit être centrale, comme l'a récemment illustré le passage du cyclone à Mayotte : tous les quartiers dont on a entendu parler sont concernés par des interventions de l'Anru, ce qui montre bien l'interdépendance entre les ségrégations socio-spatiales et le changement climatique.

Par conséquent, nous proposons de tenir compte, au-delà des fragilités économiques et sociales et des dysfonctionnements urbains, de la gravité des risques climatiques auxquels sont exposés les quartiers qui seront sélectionnés.

Toujours au sujet de la méthode, ces considérations doivent nous amener à écarter des dogmes tels que le refus de toute démolition ou de toute réhabilitation. En fonction des territoires, il faudra en effet apporter des solutions différentes, parfois en démolissant un bâtiment obsolète, parfois en préférant la réhabilitation afin de limiter l'empreinte carbone.

Enfin, les projets de renouvellement urbain devront être, plus que jamais, élaborés avec les habitants, cette coconstruction n'existant pas à l'heure actuelle dans certains territoires. Or nous savons bien que la réussite d'un programme de renouvellement urbain dépend de son caractère partagé, d'autant plus qu'il faudra parfois prendre des décisions difficiles, par exemple lorsque le risque d'inondation sera trop élevé.

Pour ce qui est du financement dans un contexte de tension budgétaire, nous sommes convaincus qu'il ne faut pas abandonner les populations les plus pauvres, ce qui doit nous conduire à rechercher des solutions de financement innovantes.

J'en viens à la problématique du vieillissement, que nous prenons bien en compte dans nos réflexions puisque les premiers occupants des QPV sont arrivés dans les années 1960 et 1970 et vieillissent, d'où la nécessité de penser la ville autrement. L'Anru conçoit les projets de renouvellement urbain dans leur globalité, en associant logement et équipements publics : sans commerce de proximité ou sans trottoir adapté, les personnes âgées ne pourront pas rester dans leur logement, même rénové.

Quant à la proposition de mise en place d'un comité interministériel de l'aménagement du territoire, il ne doit pas s'agir d'un énième organisme réunissant les ministres, mais d'une instance de dialogue associant l'État, les régions et les grandes collectivités territoriales, de manière à penser de concert l'aménagement du territoire, car un tel lieu fait actuellement défaut, comme cela a été relevé à de multiples reprises au cours des auditions.

Il s'agit donc de s'assurer de l'absence de concurrence entre les différentes strates et d'encourager une réflexion collective sur l'aménagement du territoire, d'autant plus que les décisions prises par certains territoires peuvent en affecter d'autres, notamment en termes de ségrégation socio-spatiale.

Le ministre, François Rebsamen, n'a pas retenu la piste de ce comité lors de la remise du rapport, mais nous souhaitions souligner la nécessité de cette réflexion globale.

M. Jean-Martin Delorme. - Je précise que le rapport a été écrit avant l'annonce de la composition du Gouvernement, qui compte désormais un ministre chargé de l'aménagement du territoire.

M. Patrice Vergriete. - Mon ancienne responsabilité de président de l'association France Villes et territoires Durables (FVD) m'incite à insister sur le concept de « ville durable à la française ». J'insiste sur les termes « à la française » car il existe autant de conceptions de la ville durable que de pays. Sans repères par rapport à ce concept, il serait en effet très difficile pour l'Anru d'engager des programmes de réhabilitation, de démolition et de construction.

Pour ce qui concerne le financement du NPNRU, j'avais plaidé, lorsque j'étais ministre du logement, en faveur d'une ligne de 50 millions d'euros pour l'Anru, ligne d'abord votée, puis ensuite annulée lorsque j'étais ministre des transports : vous n'y êtes pour rien, et moi non plus !

Aux côtés de Mme Mialot, je me bats à nouveau pour que la somme de 50 millions d'euros, votée dans le budget pour 2025, ne soit pas annulée à nouveau. De fait, cette enveloppe suffira à peine pour cette année et ne permettra pas de couvrir les besoins de 2026. Pour répondre directement à votre question, il me semble que l'État est capable de consacrer 250 millions à 300 millions d'euros à la rénovation urbaine dans le cadre de la loi de finances pour 2026 et que cet effort n'est pas hors de portée.

Quant à la perspective d'une « Anru 3 » au-delà de 2030 et de son financement, je tiens à vous faire part de mon expérience en tant que maire de Dunkerque : après avoir porté la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi) à 40 euros par habitant, je n'ai pas reçu un seul courrier de plainte : les administrés savent à quoi leur impôt est affecté, ce qui modifie significativement la compréhension du dispositif et le consentement à l'impôt.

En tant qu'élu local, je crois profondément à ces taxes affectées, même si elles représentent une hérésie pour Bercy. Pourrions-nous trouver des taxes additionnelles afin de financer la rénovation urbaine ? Il me semble qu'une taxe additionnelle à la taxe spéciale d'équipement est envisageable. De plus, la force d'une agence réside dans le fait de disposer d'une ressource affectée, comme je l'ai indiqué devant la commission d'enquête sénatoriale sur les agences de l'État.

Cette ressource dédiée confère en effet à l'agence une capacité d'intervention pluriannuelle dont ne disposent pas nécessairement les structures dépendant directement de l'État. J'avais fait cette remarque en tant que président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), en faisant valoir qu'elle risquait de disparaître si elle n'était pas dotée d'une ressource affectée, et je continue à penser qu'il s'agit de la meilleure façon de soutenir des programmes pluriannuels.

M. Cédric Van Styvendael. - Concernant les changements à apporter, il a été relevé que le pilotage est assez homogène sur l'ensemble du territoire, quelles que soient les capacités des collectivités à porter des projets. Il faudrait donc aller vers des formes différenciées de pilotage leur laissant plus ou moins d'autonomie en fonction de leur expertise, ce qui constituerait une avancée assez significative. De plus, des outils dédiés pourraient être proposés aux territoires en difficulté.

Un autre enjeu réside dans l'évolution de la politique de l'habitat : les mauvais résultats en termes de mixité sont souvent liés à un déficit de production d'habitats adaptés dans les territoires qui ne sont pas concernés par la rénovation urbaine, d'où la nécessité de mieux les accompagner afin de favoriser une meilleure répartition desdits habitats.

Quant au Feder, madame la présidente, il représente 9,1 milliards d'euros sur la période 2021-2027 et il nous semble possible qu'une partie de ces fonds soit affectée, dans le cadre de la prochaine contractualisation, à la rénovation urbaine.

Enfin, dans un contexte de fortes critiques émises à l'encontre des agences, il nous semble pertinent de travailler à une meilleure articulation entre l'Anah, l'Anru et l'Agence nationale de cohérence des territoires (ANCT) afin de gagner en efficacité en fonction des problématiques rencontrées dans les différents projets de rénovation urbaine.

M. Daniel Fargeot. - J'ai bien pris note, monsieur le président, de votre alerte relative à la part de l'État dans le financement de l'Anru dans la perspective du PLF pour 2026.

De nombreuses initiatives se déploient afin de simplifier l'action publique : plus qu'un thème dans l'air du temps, il s'agit aujourd'hui d'une exigence de fond. Selon vos dires, monsieur le président, vous avez intégré ce besoin de simplification dans vos travaux : comment se matérialise-t-il dans les préconisations que vous formulez ?

Pensez-vous ainsi que la proposition de création d'un comité interministériel et le conditionnement des aides à des études et diagnostics de territoire puissent s'inscrire dans un esprit de simplification ?

Pour terminer, vous évoquez également la création d'un pacte financier avec les collectivités territoriales. Pouvez-vous en détailler les contours ?

M. Franck Montaugé. - En tant que maire d'Auch, j'ai eu l'honneur de voir entrer dans la politique de la ville, en 2015, le quartier du Garros. Je voudrais saluer l'action de l'Anru et de tous ses partenaires : le développement du quartier a été spectaculaire et le projet devrait bientôt s'achever. Des compétences nombreuses ont été mobilisées et un remarquable travail d'équipe a été réalisé avec les acteurs locaux.

La place de la culture au sein de ces grands projets urbains au moment de la conception, de la réalisation des travaux, puis dans la durée de vie des quartiers est un sujet qui reste très peu évoqué dans le rapport et seulement sous l'angle du service public. Je précise que je ne mésestime pas cet aspect, qui a une place tout à fait importante. Toutefois, au regard de mon expérience, il me semble qu'il serait utile et pertinent d'ouvrir la possibilité de projets culturels en lien avec l'aménagement ou le réaménagement des espaces publics des quartiers politique de la ville. La coconstruction pourrait utilement intégrer une dimension culturelle participative impliquant les habitants, les associations locales et les professionnels de la culture. Les statuts actuels de l'ANCT ne prévoient pas d'accompagnement spécifique en la matière. Ce type de démarche, monsieur Vergriete, permettrait de travailler en profondeur le rapport entre le social et l'urbain que vous évoquiez à juste titre.

J'ai commencé à travailler sur ce sujet dans le cadre du cycle des hautes études de la culture (CHEC) de 2023-2024 qui était consacré au thème « Espace public et culture ». J'ai déposé sur le Bureau du Sénat, il y a quelques mois de cela, une proposition de loi visant à promouvoir le fait culturel dans l'aménagement des espaces publics. En cinq articles, elle tend à ouvrir une voie de progrès concrets pour encourager les acteurs, sans fixer d'obligations.

Il faut saisir cette possibilité de travailler les deux sujets en même temps. Tous les acteurs locaux y gagneront.

Mme Micheline Jacques. - Votre mission a préconisé d'analyser spécifiquement les besoins et les vulnérabilités des territoires ultramarins, notamment d'examiner leur éligibilité à un programme de renouvellement urbain ad hoc. Quelles sont les pistes que vous avez envisagées ?

Vous avez insisté sur l'importance d'une réflexion sur la ville durable à la française. Cette réflexion intègrera-t-elle les villes durables ultramarines ? Les difficultés que subissent certains territoires pourraient justifier un programme spécifique. Je pense notamment aux contraintes de l'insularité, aux risques naturels, à l'insécurité ou à l'habitat informel que subissent certains territoires.

De manière plus générale, comment soutenir les collectivités d'outre-mer qui exercent leurs compétences en matière d'habitat et qui ne sont pas éligibles aux programmes nationaux de l'Anru ?

Par ailleurs, le Gouvernement a envisagé dès décembre dernier le classement de l'intégralité du territoire de Mayotte en quartier prioritaire jusqu'en 2029. Cette mesure n'a pas pu être intégrée dans le projet de loi d'urgence pour Mayotte, mais sera présentée dans le projet de loi de programmation pour Mayotte, dont j'ai été désignée rapporteure par la commission des affaires économiques. Quel regard portez-vous sur cela ? Est-ce pour vous un dévoiement de la logique de ciblage qui guide la géographie prioritaire, ou au contraire, une préconisation bienvenue des moyens dévolus au territoire de Mayotte qui cumule les difficultés ?

M. Yannick Jadot. - Les difficultés de l'Anru ne remontent-elles pas à la mise au rebut du rapport Borloo, dans les conditions de mépris que l'on connaît ? N'y a-t-il pas eu à ce moment-là une sorte de rupture dans la perception collective et le portage politique de la politique de la ville ?

Ce que vous préconisez, notamment sur la question de la coconstruction, reprend en réalité un certain nombre de recommandations de ce rapport. La dynamique consistait, à l'époque, à associer les élus de manière transpartisane ainsi que tous les acteurs qui interviennent sur la politique de la ville, et à les placer au coeur du dispositif pour favoriser une appropriation et une coconstruction du projet, de manière à ce que le portage politique soit garanti, y compris dans la durée. Or il me semble que nous ne sommes toujours pas sortis d'une tendance à l'effritement, ou à l'affaissement, du portage politique au plus haut niveau de la politique de la ville. Cela pose problème en matière budgétaire, mais les conséquences se traduisent également dans la volonté de simplifier et de débureaucratiser toujours plus, de sorte que la notion de simplification est devenue un mot-clé pour supprimer sans nuances et masquer un déni de réalité. Comment donc évaluez-vous le portage politique de la politique de la ville ?

En outre, il semble que vous vous trouviez face à un dilemme. D'un côté, pour donner de la légitimité à l'Anru, il faudrait sans doute élargir ses missions, mais de l'autre, on ne peut pas toujours revendiquer que tout est dans tout. À force d'ajouter des quartiers en déprise et de multiplier les sujets pour justifier le budget, l'existence et le portage politique de l'Anru, n'y a-t-il pas un risque de diluer ses missions ?

Enfin, vous avez évoqué la question du dérèglement climatique, notamment l'habitabilité d'été. Nous avons voté, la semaine dernière, une disposition visant à renforcer la prise en compte par le diagnostic de performance énergétique (DPE) de l'habitabilité d'été et à ajouter des postes de travaux sur ce sujet, car nous considérons qu'il s'agit d'un enjeu majeur. Toutefois, il convient de noter que les budgets se réduisent sur ces sujets, avec pour conséquence le risque de perdre en efficacité.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La politique du logement - et c'est aussi le cas pour l'environnement et le renouvellement urbain - coûte cher, mais constitue aussi pour l'État un retour sur investissement très important, notamment dans les territoires. Malheureusement, on cherche toujours à faire des économies sur ces politiques, alors qu'elles rapportent beaucoup à l'État. Cet aspect est souvent oublié.

M. Jean-Martin Delorme. - Pour vous répondre, j'avancerai quelques exemples.

Tout d'abord, les conventions Anru listent la totalité des programmes qui seront réalisés dans ce cadre, dès le démarrage et pour toute la durée de la convention. Cela signifie que l'on fixe, quasiment pour dix ans, toute une liste d'opérations qu'il faudra financer. Cela permet de garantir le financement de l'ensemble du programme, mais une certaine rigidité s'installe, car il faudra recommencer toute la comitologie dès qu'il s'agira de modifier une ligne de la convention. Le rapport préconise donc d'introduire dans la convention des éléments d'objectifs qui permettront de gérer de façon plus souple les adaptations au fur et à mesure de l'avancée du projet.

Ensuite, dans le cas où les financements viendraient de plusieurs agences, parce que des copropriétés privées seraient impliquées en même temps que des logements sociaux, il faudrait faire en sorte que le comité d'engagement soit l'instance unique de décision des subventions.

Nous avons également proposé de réfléchir à un raccourcissement de la durée des programmes, qui pour l'instant durent dix ans, pour ouvrir des fenêtres de convention à durée plus courte : cela permettrait de viser des quartiers de taille moins importante et de les embarquer dans la rénovation.

En ce qui concerne l'aménagement du territoire, l'enjeu ne porte pas uniquement sur les QPV. En effet, en Île-de-France, les zones pavillonnaires sont confrontées au problème des marchands de sommeil ; dans les Hauts-de-France, les problèmes sont liés au risque d'inondations, plus marqué que dans d'autres territoires ; quant aux territoires de montagne, la déprise que subissent certaines villes ou certains villages en raison de l'économie de la neige devrait évoluer ; enfin, en Nouvelle-Aquitaine, la problématique principale concerne le recul du trait de côte.

Par conséquent, l'État et les collectivités locales devraient travailler en commun pour adapter des programmes de renouvellement urbain, plus larges que les QPV, sur chacun de ces territoires. C'est du moins ce que recouvre la notion d'aménagement du territoire différencié sur l'ensemble du territoire national.

M. Cédric Van Styvendael. - Je partage l'avis de Franck Montaugé concernant la nécessité de renforcer la place de la culture. Bien que nous n'ayons pas inclus ce point dans le rapport, j'y suis personnellement favorable. À Lyon, nous développons cette idée en associant des projets culturels à des projets de rénovation urbaine, notamment dans les espaces publics.

En ce qui concerne le portage politique, lors de la remise du rapport, j'ai eu l'impression que les ministres étaient convaincus, mais empêchés. Il nous revient à chacun de faire en sorte qu'ils ne soient plus empêchés. Les élus locaux, avec lesquels je suis en contact régulier, feront de leur mieux pour convaincre le Gouvernement, de manière à ce que le président de l'Anru puisse obtenir les arbitrages qu'il revendique à juste titre.

Quant au dilemme, monsieur Jadot, je considère que nous en sommes sortis. Nous avons longuement débattu sur la nécessité d'une réponse de cohésion nationale, mais nous avons clairement établi que les quartiers prioritaires de la ville devaient être la priorité. L'Anru est prête à partager son expertise, mais il revient à l'ensemble du pays de prendre ses responsabilités. Le député Dominique Potier travaille sur un texte pour cela, qui devrait s'intituler « Pour une nouvelle ruralité » : il y propose un certain nombre de pistes pour intervenir dans les territoires que nous avions identifiés.

Mme Anne-Claire Mialot. - Dans le cadre du modèle financier de l'Anru, les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux sont les principaux financeurs. Les 12 milliards d'euros de subventions ou d'équivalent de subventions apportés par l'Anru génèrent 45 milliards d'euros d'investissements publics sur les territoires, ce qui représente un effet levier majeur sans lequel il n'y aurait pas de projet. Les principaux contributeurs de ces 45 milliards d'euros sont les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales.

Je vous remercie, monsieur le sénateur, d'avoir souligné l'importance de l'expertise de l'agence. À ce sujet, la question du chaînage nous préoccupe particulièrement. En effet, l'Anru a été créée pour gérer un programme qui s'arrêtera en 2026 sur les engagements et en 2030 sur les paiements. Il est crucial de ne pas perdre l'expertise accumulée par l'agence. Nous sommes convaincus qu'il faut un futur programme et qu'il faut anticiper l'articulation entre les deux programmes pour éviter de perdre des compétences.

Pour en revenir au pacte financier, à l'échelon national, ce sont les bailleurs sociaux qui financent l'Anru en solidarité. Ils financent les projets locaux et participent aussi à la solidarité à l'échelon national. Ainsi, un bailleur social qui n'a pas de QPV ou de programme de renouvellement urbain sur son territoire participe quand même, dans le cadre de la solidarité nationale, à l'effort fourni en faveur des quartiers politiques de la ville.

La question sur laquelle il nous faudra débattre et où il sera sans doute difficile de dégager une position unanime reste de savoir si les collectivités territoriales devraient participer à cette solidarité comme le font les bailleurs sociaux. Ainsi, les collectivités territoriales qui n'ont pas de quartiers de politique de la ville sur leur territoire et qui sont plus riches pourraient participer à un effort de solidarité par un financement de péréquation à cette politique publique qui vise à aider les territoires les plus pauvres. Tel est le sens de la proposition que nous avons faite et qui devra être discutée. Elle a déjà donné lieu à quelques questions lorsque nous l'avons présentée à l'association France urbaine.

Enfin, sur l'outre-mer, il est nécessaire de prendre en compte la notion de résilience dès l'origine des projets. En outre, certains territoires sont majoritairement très pauvres de sorte qu'il est très compliqué d'y déterminer des périmètres : où faut-il arrêter un projet ? En Guyane comme à Mayotte, il est difficile de répondre à cette question. Or si l'on choisit de classer tout le territoire ultramarin en quartier de politique de la ville, la politique publique finira par être diluée. Mieux vaut donc fixer des périmètres, puis avancer progressivement d'un territoire à l'autre.

Par ailleurs, dans les territoires ultramarins, nous pouvons être confrontés à des problématiques de compétences, d'expertise et d'outils. C'est un sujet sur lequel il est essentiel que nous puissions travailler. L'une des préconisations du rapport porte sur la nécessité de développer dans certains territoires des outils où l'État est partie prenante, afin de les accompagner en matière d'ingénierie et de compétences, et de garantir ainsi le déploiement du programme sur le territoire.

En ce qui concerne l'adaptation au changement climatique et l'habitabilité d'été, il sera difficile d'agir sans crédits supplémentaires. Mais la logique que nous mettons en oeuvre, notamment dans la démarche « quartiers résilients », nous conduit à être très exigeants sur le sujet vis-à-vis des bailleurs sociaux et des collectivités territoriales. Nous interrogeons toujours la façon dont est engagée la rénovation d'un bâtiment ou d'un équipement public. En effet, si l'on manque, par exemple, l'enjeu du confort d'été, il ne sera pas possible de revenir dessus avant trente ou quarante ans, et le bâtiment risquera de ne plus être habitable dans vingt ans, voire dix ans. Dans le cadre de la démarche « quartiers résilients », nous avons mis en place une grille d'analyse pour faire en sorte d'intégrer ces enjeux dans les projets de rénovation urbaine que nous menons.

D'ailleurs, cela ne coûte pas forcément plus cher de gérer la question du confort d'été et, plus globalement, l'économie d'énergie. Ainsi, à Marseille, nous sommes en train de rénover des logements de l'habitat ancien en travaillant sur la question de la ventilation naturelle : il s'agit de prévoir une climatisation naturelle, en introduisant des espaces végétalisés en coeur d'îlot et en y installant des balcons sans revenir sur la façade qui restera classée patrimonialement. Nous disposons des techniques qui nous permettent de traiter l'habitat ancien et d'intégrer la question du confort d'été dans nos programmes de rénovation urbaine.

Il faudra amplifier cela, mais l'agence a progressé sur ces enjeux au fil du temps. Nous avons acquis des compétences qui me semblent utiles pour l'avenir.

M. Patrice Vergriete. - Monsieur le sénateur Jadot, vous avez raison, l'élargissement de nos missions ne doit pas conduire à leur dilution. Nous avons un programme qui fonctionne et nous devons maintenir la priorité sur la politique de la ville.

Lorsque j'étais ministre, j'avais ajouté l'élargissement des missions de l'agence dans la lettre de commande, car j'avais constaté que, dans les villes moyennes, les centres-villes connaissaient des taux de vacance de logements très élevés, avec la fermeture des commerces et l'obsolescence du bâti. Il me semblait qu'il était difficile, mais possible, de relancer ces centres-villes en y relocalisant par exemple des universités, pour attirer des étudiants. Cependant, je voyais bien la limite de cela, de sorte que j'ai considéré qu'il faudrait identifier quelques territoires où l'acharnement thérapeutique par la réhabilitation n'était plus possible et où le besoin de restructuration urbaine était plus important qu'ailleurs. Et il m'a semblé que l'expertise et le savoir-faire de l'Anru étaient utiles en cela, comme le montre l'exemple du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD) qui est un additif au programme national de renouvellement urbain (PNRU). On pourrait donc faire un nouveau PNRQAD sur quelques territoires à la marge qui ont besoin d'une restructuration plus profonde pour laquelle les outils traditionnels ne suffisent pas. Mais vous avez raison, il ne faut surtout pas trop élargir les missions de l'Anru.

Enfin, sur le portage politique, nous sommes tous d'accord pour dire que la politique de la ville et la rénovation urbaine ne sont pas en haut de l'agenda politique. Le contexte a changé depuis le début des années 2000.

La première explication tient au fait que l'Anru est un outil qui fonctionne. Les résultats de son travail se constatent sur le terrain et l'agence est un peu victime de son succès : les maires n'ont plus besoin d'exprimer un manque. En revanche, ils ne souhaitent pas que cela s'arrête.

La deuxième raison, c'est que de nouveaux sujets sont apparus qui prennent la première place. Toutefois, quand il faut faire face à une menace extérieure, la force d'un pays vient de sa cohésion intérieure. Il n'est donc pas inopportun de renforcer la rénovation urbaine et la politique de la ville, au moment où l'on parle de menace extérieure. C'est en tout cas ma vision politique.

Voilà pourquoi je suggère de remettre la politique de la ville à l'agenda politique. Faut-il encore regretter l'abandon du rapport Borloo ? Il me semble que le traumatisme est déjà loin. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'aimerais surtout que vous posiez un grand nombre de questions au Gouvernement sur la rénovation urbaine et la politique de la ville.

M. Yannick Jadot. - Mais nous n'obtenons pas toujours les bonnes réponses !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré. Nous allons examiner avec attention la synthèse de votre rapport. Les membres de cette commission sont motivés et engagés pour mettre en oeuvre ces politiques publiques localement. Je le fais moi-même dans la ville de Nice et dans la métropole Nice-Côte d'Azur. Nous espérons que votre rapport produira des effets et sera pris en compte par le Gouvernement.

La réunion est close à 11 h 50.