Mercredi 2 avril 2025
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de MM. Gaëtan Bruel, président, Olivier Henrard, directeur général délégué, et Mme Leslie Thomas, secrétaire générale du Centre national du cinéma et de l'image animée
M. Laurent Lafon, président. - Nous accueillons aujourd'hui, pour la première fois, le nouveau président du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), Gaëtan Bruel, accompagné d'Olivier Henrard, directeur général, et de Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC.
Monsieur Bruel, vous n'êtes pas un inconnu pour notre commission puisque vous vous intéressez de longue date aux problématiques qui sont les nôtres.
Sans retracer l'intégralité de votre carrière, vous avez exercé les fonctions de conseiller culturel à l'ambassade de France aux États-Unis, de directeur adjoint du cabinet de Gabriel Attal, alors ministre de l'Éducation nationale, puis de directeur de cabinet de la ministre de la Culture Rachida Dati jusqu'à votre nomination à la tête du CNC en février dernier.
Votre expertise de l'ensemble du monde culturel et éducatif vous sera certainement utile à la tête d'un des fleurons de notre politique culturelle.
Véritable paquebot avec un budget pour 2025 de 777 millions d'euros, votre institution intervient dans le champ du cinéma, de l'audiovisuel et du jeu vidéo. Les rapporteurs Jérémy Bacchi, Sonia de La Provôté et notre ancienne collègue Céline Boulay-Espéronnier ont consacré en 2023 un rapport au monde du cinéma qui qualifie le CNC de « bras armé du soutien public » et note que « Le cinéma français dispose avec le CNC d'un appui financier et institutionnel sans équivalent dans l'ensemble des industries culturelles et qui a inspiré la création du Centre National du livre et du Centre National de la Musique ».
Le statut éminent du Centre, sa surface financière, la qualité de ses équipes, la politique publique de soutien aux industries créatives qu'il incarne avec succès depuis 1946 vous placent naturellement sous les feux de la rampe.
Je vais à ce titre mentionner trois dossiers qui nous ont occupés ces derniers mois :
- la question toujours épineuse du niveau élevé des réserves du CNC, qui a fait l'objet d'un débat lors des discussions sur le projet de loi de finances et d'amendements dans cette assemblée. Pour mémoire, la loi de finances pour 2025 ponctionne finalement 500 millions d'euros ces réserves, et vous pourrez certainement nous éclairer sur les conséquences de ce prélèvement ;
- l'éternel débat autour de la chronologie des médias. Nous avons reçu le 29 janvier dernier le président de Canal + Maxime Saada, et nous avons réuni le 19 mars les négociateurs des accords de production et de diffusion, qui sont encore en plein travail. Là encore, la parole du CNC est attendue sur ce dossier ;
- le sujet des violences sexuelles et sexistes dans le cinéma, relancé médiatiquement par le procès de Gérard Depardieu.
Comme vous le savez, Jérémy Bacchi, Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp ont été à l'origine de l'adoption par le Sénat d'une proposition de loi qui reprend les recommandations du rapport sur le cinéma. Elle comporte également une mesure adoptée à l'initiative de notre collègue Monique de Marco destinée à sanctionner les producteurs qui ne mettraient pas tout en oeuvre pour éviter les comportements inappropriés.
Cette proposition de loi, pourtant très consensuelle, qui a été votée à l'unanimité par le Sénat, attend toujours son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Nous espérons pouvoir compter sur votre soutien pour accélérer le calendrier législatif.
Enfin, nous sommes désireux de vous entendre sur les menaces qui pèsent sur notre exception culturelle compte tenu de la remise en cause par les Etats-Unis des règles régissant le commerce international.
M. Gaëtan Bruel, président du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). - Je vous remercie pour cette invitation. Je suis honoré de cette première opportunité d'échanger sur les nombreux enjeux qui m'attendent au CNC.
Dans le contexte international actuel, il est important de rappeler que le CNC est né en 1946, juste après les accords Blum-Byrnes. Ces accords prévoyaient qu'en contrepartie d'un prêt financier pour la reconstruction de la France, les États-Unis auraient le champ libre pour exporter leurs films dans notre pays. À l'époque, ils disposaient d'un stock de 4 000 films tournés pendant la guerre et inédits en France.
Face à cette menace pour son cinéma, la France a conçu un modèle de soutien et de régulation du cinéma et de la création audiovisuelle particulièrement ingénieux, efficace et vertueux.
Près de 80 ans plus tard, où en sommes-nous ? Avec 181,3 millions d'entrées en 2024, en progression d'un million par rapport à 2023, la France confirme qu'elle bénéficie de la meilleure reprise post-Covid parmi tous les pays comparables, États-Unis inclus. Cette performance, unique au monde, est de plus portée par le cinéma français. Avec une part de marché de 44,4 % l'an passé et trois films français dans le top 5, du jamais-vu depuis 2011, nous démontrons la vitalité et l'attrait de notre production nationale.
Ces indicateurs témoignent de la résilience, de l'inventivité et de la puissance du cinéma en France, ainsi que du succès global de notre modèle. Cette réussite repose sur plusieurs facteurs : un parc de salles dense et bien réparti sur le territoire, renforcé par le plan de diffusion porté par la ministre de la Culture, des habitudes renouvelées de sortie au cinéma après la pandémie, une capacité à produire et à distribuer des films exceptionnels pour tous les goûts, et un rayonnement international qui fait du cinéma le premier ambassadeur de notre pays.
La création audiovisuelle connaît également un succès remarquable. En 2024, 99 des 100 fictions ayant réalisé les meilleures audiences à la télévision étaient françaises, avec une grande diversité de propositions, allant de grands classiques revisités comme Zorro ou Cats Eyes à des formats innovants comme la saga documentaire d'animation L'armée des romantiques.
Même dans les secteurs en difficulté comme l'animation et le jeu vidéo, les problèmes sont davantage liés à la conjoncture mondiale qu'à notre écosystème. Notre rôle est d'accompagner nos champions, petits et grands, pour préserver leur potentiel de création de valeur et permettre à la France de rebondir rapidement.
Le modèle français repose sur des principes simples : une solidarité entre tous les acteurs, un financement pesant sur les diffuseurs plutôt que sur les contribuables, une double logique d'automaticité et de sélectivité des aides, des obligations d'investissement et une approche systémique. Ce modèle s'est constamment adapté depuis 1946, intégrant de nouveaux entrants et permettant à la France de demeurer par le nombre d'écrans, le nombre de spectateurs, le nombre et la qualité d'oeuvres produites ou coproduites, le nombre de prix remportés ainsi que par le nombre de festivals, un grand pays de cinéma et de création audiovisuelle, avec un peu de dépenses fiscales, sans recourir aux crédits budgétaires. La force de ce modèle réside également dans le soutien transpartisan constant dont il a bénéficié depuis 80 ans, témoignant d'une véritable unité nationale autour de notre politique culturelle.
Ce modèle fait face à cinq évolutions majeures qui orienteront l'action du CNC dans les mois à venir.
Premièrement, nous observons une rupture culturelle marquée par un glissement des audiences vers les plateformes sociales. Bien que la salle de cinéma ait démontré sa résilience, notamment en France, et que je reste convaincu de sa pérennité en tant qu'expérience distinctive, collective et immersive, la concurrence s'étend désormais au-delà de l'opposition traditionnelle entre grand écran et télévision ou entre chaînes traditionnelles et services de streaming. Elle englobe désormais la consommation de vidéos sur les plateformes sociales, comme le confirme la récente étude annuelle du cabinet Deloitte sur les tendances technologiques. Nous assistons à une transition vers une consommation majoritairement individuelle, mobile et à la demande, privilégiant des contenus interactifs et perçus comme plus authentiques. Cette évolution représente un défi existentiel pour l'ensemble des oeuvres et expériences soutenues par le CNC.
Face à cette mutation, il devient impératif de renforcer l'éducation aux images, objet de la mission confiée à Édouard Geffray par les ministres de la Culture et de l'Éducation nationale. Dans un environnement saturé d'images souvent manipulées, il est crucial de développer une véritable grammaire des images essentielle à la formation citoyenne de nos enfants. Par ailleurs, cette évolution nous incite à repenser attentivement le parcours des oeuvres vers leur public, en tenant compte des conditions actuelles de diffusion et de promotion des films.
Deuxièmement, nous faisons face à une rupture technologique majeure avec l'avènement de l'IA générative. Son impact est considérable, affectant tous les aspects du processus créatif ainsi que sa valorisation. Je tiens à saluer la maturité de la réflexion menée au sein des secteurs créatifs sur ce sujet. Loin des caricatures, chacun est conscient de la nécessité d'accompagner cette évolution. Le CNC y contribue notamment par la mise en place d'un observatoire de l'IA, visant à objectiver les impacts et à promouvoir une IA responsable. Notre approche se veut à la fois éthique et volontariste, reconnaissant les potentiels positifs de cette technologie. Le risque auquel nous sommes confrontés est double. D'une part, laisser s'installer des usages de l'IA qui nuiraient à la création, ce qui serait préjudiciable tant pour les artistes et le public que pour l'IA elle-même, dont la qualité dépend des oeuvres qui l'alimentent. Ces oeuvres ont un prix et c'est l'intérêt de l'IA de s'en acquitter pour garantir un avenir qui ne soit pas celui d'une IA qui serait irrémédiablement appauvrie, tournant en circuit clos sur des contenus factices ou vidés de leur substance. D'autre part, nous devons éviter que d'autres pays ne s'emparent de l'IA pour en faire le pilier d'un nouveau modèle créatif qui pourrait, à terme, dominer le nôtre si nous n'intégrons pas nous-mêmes des usages vertueux de l'IA dans notre propre modèle.
Troisièmement, nous constatons une rupture sociétale caractérisée par une exigence accrue d'exemplarité de la part du cinéma. Il est désormais indéniable que les conditions de production des oeuvres importent autant que leur contenu. Face aux révélations de comportements inappropriés, il est impératif de réagir pour éviter une désaffection du public envers le cinéma. Nous devons saluer le courage de celles et ceux qui ont pris la parole et reconnaître les progrès déjà accomplis par le secteur. Le CNC a réagi promptement en conditionnant ses aides à des formations obligatoires, touchant déjà l'intégralité des professionnels actifs depuis quatre ans. Nous poursuivons nos efforts, notamment dans la sensibilisation au sein des écoles, et attendons avec intérêt les conclusions de la commission d'enquête présidée par Sandrine Rousseau.
Quatrièmement, nous faisons face à un risque de rupture territoriale. L'articulation entre l'État et les collectivités territoriales constitue un enjeu majeur pour nos politiques culturelles, particulièrement dans le domaine du cinéma et de la création audiovisuelle. Bien que la situation soit moins préoccupante que dans d'autres secteurs culturels, elle mérite notre attention. Il est encourageant de constater que toutes les régions ont maintenu leurs aides à la production. Il convient cependant de souligner que seules trois régions ont maintenu leurs aides à la diffusion : les Hauts-de-France, la Bretagne et la Réunion. Parmi les régions réduisant leur financement, à l'exception des Pays de la Loire qui se désengagent fortement, toutes les autres le font de manière modérée et raisonnée. J'insiste sur la nécessité de ne pas relâcher l'effort sur la diffusion, particulièrement concernant l'éducation aux images. Notre modèle se veut global et il est crucial qu'il le soit dans tous nos territoires, sans disparité territoriale dans cet effort de diffusion. Il est donc souhaitable que l'État et les collectivités poursuivent leur engagement conjoint, voire le renouvellent. Dans cette optique, j'entreprendrai dès juin un tour des régions françaises pour en discuter avec les élus et les acteurs locaux, en collaboration avec nos Direction régionale des affaires culturelles (DRAC).
La cinquième et dernière rupture est géopolitique, avec les échos d'une possible offensive américaine contre notre modèle. Il faut rappeler qu'avec seulement 4 % de films étrangers au box-office américain en 2024, le cinéma a toujours représenté pour les Américains un intérêt purement offensif. Face aux récentes allégations selon lesquelles le modèle européen serait pénalisant ou déloyal pour les acteurs américains, il est essentiel de souligner que ce modèle est le moteur d'un marché qu'ils dominent largement et dont ils bénéficient considérablement. La France, en particulier, est un marché où les films américains superforment.
Il est donc important de réaffirmer, avec sérénité, la vocation de notre régulation. Celle-ci s'applique équitablement à tous les acteurs, nationaux comme étrangers, et vise avant tout à créer de la valeur pour l'ensemble du secteur. Un monde sans régulation en France, mais générant la même valeur, n'existe tout simplement pas. D'ailleurs, certains acteurs américains, conscients de l'intérêt de notre modèle, renforcent leurs engagements avec la France. C'est notamment le cas de Disney, ce dont nous devons nous féliciter.
Néanmoins, nous devons rester vigilants. On observe une certaine fébrilité autour de la directive Services de médias audiovisuels (SMA) et de sa transposition, notamment en raison de la dynamique forte d'extension de sa mise en oeuvre. Actuellement, au sein de l'Union européenne, 16 pays ont instauré des obligations d'investissement pour les plateformes, l'Autriche récemment, 11 y réfléchissent, démontrant que cette approche transcende les clivages politiques en Europe. D'autres pays, comme le Brésil, y travaillent également.
Face à ces incertitudes du contexte international, nos priorités doivent être claires. Pour le CNC, elles se déclinent ainsi : continuer de renforcer nos liens avec les Américains lorsque c'est possible, tout en nous préparant à toutes les éventualités ; accélérer la structuration d'une Europe du cinéma et de la création audiovisuelle, en s'appuyant sur des échanges bilatéraux intensifs et dans le cadre de l'association des CNC européens, en lien étroit avec la Commission et le Parlement européen ; enfin, être à l'écoute de nouvelles opportunités ailleurs dans le monde, notamment en Asie.
Face à ces défis qui sont aussi des opportunités, le CNC a un rôle crucial à jouer : financier, réglementaire, mais aussi de réflexion et d'orientation. Notre mission est d'objectiver les tendances, d'organiser les discussions, d'identifier des solutions et de trouver des compromis pour avancer ensemble. Dans cette démarche, la représentation nationale, particulièrement le Sénat et votre commission, seront des alliés précieux, comme ils l'ont toujours été. Je me réjouis de pouvoir échanger avec vous aujourd'hui et tout au long de mon mandat au CNC.
M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma. - Monsieur le Président, je vous souhaite la bienvenue et nous nous réjouissons de votre nomination à la tête du CNC, mettant fin à une période de vacance qui pouvait être source d'inquiétude pour l'écosystème du cinéma.
Votre propos liminaire a parfaitement décrit le rôle du CNC et les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Je tiens à vous remercier pour cette vision prospective des défis à venir, qui nous éloigne enfin du débat récurrent sur le soutien public au cinéma.
Avez-vous des inquiétudes particulières quant à l'avenir de la directive SMA qui structure notre paysage cinématographique et audiovisuel ?
Comment comptez-vous réagir face au mémorandum critique de la nouvelle administration américaine du 21 février dernier, qui vise particulièrement les obligations d'investissement dans la création locale ? Quelle sera votre position face à cette nouvelle offensive des États-Unis sur notre souveraineté culturelle ?
Concernant le dispositif « Ma classe au cinéma » largement fragilisé et sur lequel vous avez confié une mission à Édouard Geffray, quels problèmes avez-vous identifié à ce stade ? Qu'attendez-vous de cette mission et plus largement, comment envisagez-vous de relancer l'éducation à l'image ?
Enfin, lors de la table ronde du 12 mars dernier, les organisations professionnelles ont demandé plus de transparence sur les chiffres d'affaires des diffuseurs pour mieux calculer les obligations d'investissement. Pensez-vous qu'une évolution législative soit nécessaire à ce sujet ?
M. Cédric Vial, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel public. -Concernant la répartition des aides entre cinéma et audiovisuel, le bilan de la mise en oeuvre du décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) réalisé par le CNC et l'Arcom montre que les plateformes internationales ont investi 866 millions d'euros dans la production entre 2021 et 2023, dont environ 80 % pour l'audiovisuel. Quelles conséquences le CNC tire-t-il de ces nouveaux flux de financement vers l'audiovisuel ? L'équilibre actuel entre le soutien au cinéma et à l'audiovisuel vous semble-t-il satisfaisant ? Envisagez-vous des évolutions ?
Concernant la répartition entre fiction, documentaire et animation, une étude menée par le CNC et l'Arcom montre une préférence des plateformes pour la fiction. Quelle est la répartition des aides du CNC entre ces trois formats ? Faut-il suivre la tendance en faveur de la fiction ou, au contraire, renforcer le soutien au documentaire et à l'animation pour favoriser leur exportation et éviter leur marginalisation ? Je souhaiterais particulièrement des précisions sur le secteur de l'animation, dont vous avez évoqué les difficultés.
Enfin, concernant l'évolution des usages vers le numérique, notamment chez les jeunes qui consomment majoritairement des contenus non linéaires conçus pour les plateformes et les réseaux sociaux, quelle est la part des contenus non linéaires dans les aides du CNC ? Quelles sont vos orientations futures dans ce domaine ?
M. Gaëtan Bruel. - Je remercie les deux rapporteurs pour leurs questions précises. Concernant la période de vacance évoquée par Monsieur Bacchi, je tiens à souligner la continuité assurée avec brio par Olivier Henrard, en tant que président par intérim. Je le remercie chaleureusement et me réjouis de l'avoir à mes côtés pour le début de mon mandat.
Concernant la directive SMA, le bilan du décret SMAD, co-écrit par le CNC et l'Arcom, est très instructif. Entre 2021 et 2023, les plateformes soumises à nos obligations ont investi 866 millions d'euros au bénéfice de la diversité de la création, dont 124 millions pour le préfinancement de 180 oeuvres nouvelles, impliquant près de 140 sociétés de production indépendantes. Le cadre réglementaire a permis leur intervention en tant que producteurs délégués et la conservation des droits des oeuvres créées, illustrant la logique vertueuse de ce modèle.
Ce bilan démontre que la France a su intégrer ces nouveaux acteurs, qui ont accepté les règles en vigueur et en ont tiré profit. Le cadre existant est globalement satisfaisant, même si des ajustements peuvent être envisagés pour mieux respecter nos valeurs, notamment en termes de valorisation de la production déléguée, de clarification de la définition d'une oeuvre européenne, et de soutien accru à la diversité.
Nous partageons actuellement ce bilan avec nos partenaires européens, en vue de l'évolution future de la directive SMA. Bien que les échéances ne soient pas immédiates, elles approchent rapidement. Ce sujet était au coeur d'une récente rencontre avec les cinq pays nordiques, où nous avons renforcé les dynamiques de coproduction et discuté de la transposition de la directive, notre expérience suscitant un vif intérêt.
Le succès de notre modèle et l'intérêt qu'il suscite chez nos voisins suggèrent que nous sommes dans une logique d'amélioration continue. Il faudra évaluer, le moment venu, l'opportunité de pousser ces améliorations ou si le cadre existant nous convient.
Concernant les relations avec les États-Unis, il est important de noter que les accords Blum-Byrnes ont été conclus avec plusieurs pays européens, mais seule la France a développé un modèle aussi robuste. L'histoire des cinémas britannique, allemand et italien illustre les conséquences de choix différents. La France, grâce à son modèle, a toujours été un partenaire crucial pour les États-Unis. En 2024, la France a enregistré 181 millions d'entrées contre 90 millions en Allemagne, un pays pourtant plus peuplé, ce qui souligne notre attractivité pour le marché américain.
Le retour de Donald Trump crée un nouveau contexte, notamment concernant la localisation des tournages. L'administration américaine souhaite relocaliser les productions, mais il existe un débat interne entre cette vision politique et la rationalité économique qui pousse encore à tourner à l'étranger, notamment en Europe. Par exemple, le tournage de The Substance par Coralie Fargeat en France a impressionné les Américains par son budget inférieur à 20 millions d'euros, comparé aux 80 millions de dollars qu'il aurait coûté selon leur modèle. Le modèle français, autrefois considéré comme complexe en raison du droit du travail, s'avère aujourd'hui parfaitement adapté et très compétitif, ce que les Américains reconnaissent pleinement. Concernant nos relations avec les États-Unis, il convient de garder une perspective équilibrée. Nous maintenons des échanges étroits et fructueux avec les acteurs américains, tout en tenant compte du contexte politique qui peut influencer la nature de nos discussions.
Le dispositif « Ma classe au cinéma » est un programme d'éducation artistique et culturelle remarquable, impliquant plusieurs dizaines de milliers d'enseignants et touchant deux millions d'élèves. Cependant, il fait face à deux difficultés majeures depuis deux ans. Premièrement, la réforme du remplacement de courte durée des enseignants au sein de l'Éducation nationale a eu un impact. Cette réforme vise à résoudre le problème de la perte d'une année de scolarité sur l'ensemble du cursus due au non-remplacement des enseignants qui pourrait au passage expliquer en partie la baisse du niveau des élèves. Cependant, les enseignants remplaçants ne sont pas nécessairement formés à l'éducation artistique et culturelle (EAC), ce qui rend plus difficile la mise en oeuvre de dispositifs comme « Ma classe au cinéma ». Deuxièmement, le désengagement de certaines collectivités, particulièrement au niveau départemental, fragilise également le programme.
Pour le relancer et repenser l'éducation aux images de manière plus large, une mission a été confiée à Édouard Geffray par Rachida Dati et Élisabeth Borne. L'objectif est non seulement de revitaliser le programme existant, mais aussi d'explorer de nouvelles approches pour l'éducation aux images, que ce soit en classe, dans les salles de cinéma ou par d'autres moyens. Il est à noter que de nombreux pays s'intéressent à notre modèle d'éducation aux images, témoignant de sa qualité et renforçant notre engagement à en maintenir l'excellence.
Concernant le chiffre d'affaires des éditeurs, c'est un sujet crucial dans le cadre des négociations entre producteurs et diffuseurs. Les accords permettent d'ajuster les contributions des éditeurs par rapport à leurs obligations réglementaires, avec des concessions réciproques. Par exemple, un diffuseur peut dépasser ses obligations en termes de volume d'investissement ou de financement de certains genres en échange d'un allègement de ses obligations sur d'autres points. Ce mécanisme s'inscrit également dans la logique méritocratique de la chronologie des médias, où un diffuseur plus engagé bénéficie d'un meilleur positionnement. Le chiffre d'affaires des éditeurs est donc un élément central des négociations, leurs obligations réglementaires étant fixées en fonction de celui-ci. Cependant, nous nous heurtons au secret des affaires. Du point de vue du CNC, il serait logique que les organisations de producteurs disposent d'informations plus précises sur ce point en amont des négociations pour ajuster leur stratégie. Cela nécessiterait toutefois une modification législative ciblée pour déroger au secret des affaires sur ce point spécifique, décision qui relève du législateur.
Concernant la répartition entre cinéma et audiovisuel, nous maintenons un équilibre global. Pour la production, l'audiovisuel bénéficie d'un soutien supérieur (environ 290 millions d'euros contre 120 millions pour le cinéma). Cependant, d'autres aides, notamment pour les salles et les distributeurs, sont spécifiques au cinéma. Au total, nous soutenons à parts égales le cinéma et l'audiovisuel, à hauteur d'environ 40 % chacun. Notre modèle repose sur différents piliers, reconnaissant leurs spécificités sans les opposer. La France se distingue comme un pays de cinéma, avec une dynamique forte autour des salles, tout en excellant dans la création audiovisuelle. Le récent succès de Séries Mania illustre la vitalité de notre filière audiovisuelle en termes de volume d'affaires, de ferveur populaire et de qualité artistique.
La répartition des obligations entre audiovisuel et cinéma doit refléter les catalogues et la ligne éditoriale des acteurs, un principe établi par la loi. Ces obligations doivent coïncider avec l'intérêt économique des acteurs pour être acceptables. L'évolution de cette répartition, comme dans le cas de Disney, doit suivre ces mêmes principes.
Concernant la création audiovisuelle, un effort important a été réalisé ces dernières années sur le documentaire. Pour la fiction, on observe actuellement un intérêt marqué pour les séries longues et les feuilletons, notamment chez les diffuseurs traditionnels, ce qui soulève des questions chez certains producteurs. Cette tendance répond au défi des diffuseurs traditionnels de s'adapter à un modèle combinant linéaire et numérique, tout en maintenant un haut niveau d'ambition et de financement pour la création audiovisuelle. Les séries longues et les feuilletons, par leur nature addictive, créent une dynamique vertueuse entre le linéaire et le numérique, expliquant leur succès actuel. Nous sommes très attachés à préserver une diversité de genres et de formats.
Concernant l'animation, la situation actuelle est difficile, mais cette difficulté n'est pas structurelle. Elle est conjoncturelle, liée à la contraction des commandes par les plateformes ces trois dernières années, malgré leur intérêt pour ce genre qui fidélise leurs abonnés. Cette situation a fortement impacté les acteurs français travaillant pour ces plateformes. Néanmoins, l'animation française continue de s'illustrer à l'international. Trois oeuvres françaises étaient nommées aux Oscars, et Flow, une coproduction française, a remporté l'Oscar du meilleur film d'animation. Cela démontre l'enjeu stratégique de ce secteur pour la France.
La France est le seul pays, avec les Etats-Unis et le Japon, où les jeunes peuvent accéder à des contenus nationaux. Cette spécificité est cruciale pour véhiculer nos imaginaires auprès de notre jeunesse. Pour préserver cette filière, nous envisageons plusieurs pistes. Un ajustement ciblé du crédit d'impôt audiovisuel sur l'animation est à l'étude. Bien qu'une première tentative n'ait pas abouti, ce sujet reste prioritaire. Nous réfléchissons également à d'autres leviers, qu'il s'agisse d'aides supplémentaires ou de mesures réglementaires, notamment au niveau des obligations. L'objectif est non seulement de maintenir notre position de grand pays d'animation, mais aussi de sortir renforcés de cette crise pour devenir un leader incontesté du secteur. La prochaine édition du Festival d'Annecy sera déterminante à cet égard.
Concernant les contenus non linéaires, les aides du CNC intègrent désormais pleinement cette dimension. L'idée était non seulement d'imposer des obligations d'investissement aux nouveaux acteurs, mais aussi de leur permettre de bénéficier de notre système d'aides. Nous constatons déjà une forme de maturité dans ce domaine, avec un accroissement notable des projets portés conjointement par des services de streaming et des chaînes linéaires, une tendance que nous encourageons activement.
Mme Sonia de La Provôté. - Je vous remercie pour cette présentation exhaustive.
Où en sommes-nous sur l'accord visant à protéger les auteurs, notamment sur la rémunération des scénaristes ? Quel est votre point de vue sur cet accord en cours de négociation et quelles sont les éventuelles difficultés rencontrées ? Cet accord pourrait constituer la dernière étape positive dans l'accompagnement de notre modèle.
Ma seconde question porte sur les salles de cinéma. Notre pays bénéficie d'un réseau dense de salles, comprenant des structures associatives, municipales, itinérantes, des multiplexes et le réseau des cinémas d'art et d'essai. Jérémy Bacchi dit, un peu par provocation, que les Français sont plus près d'une salle de cinéma que d'un hôpital. Ce maillage territorial contribue significativement à la cinéphilie des Français. Cependant, ce réseau fait face à plusieurs défis. Le CNC envisage-t-il d'accompagner ou de soutenir davantage les cinémas de proximité ? Nous savons qu'un effort a été consenti cette année dans les arbitrages budgétaires. Quelle est votre vision concernant l'accompagnement des nouvelles salles et le maintien des structures existantes dans les territoires ? L'objectif est d'éviter une concentration excessive dans les grandes structures, qui ont certes leur rôle à jouer, mais qui ne remplissent pas la même mission de politique culturelle publique, notamment dans les zones rurales.
Mme Sylvie Robert. - Je vous félicite, Monsieur le président, pour votre nomination. En tant que membre du Conseil d'administration du CNC, je peux témoigner de l'excellente gestion de cette institution et de l'engagement constant de ses équipes.
Lors d'un conseil d'administration, nous avions convenu qu'un prélèvement de 450 millions d'euros sur le budget du CNC était « absorbable ». Cependant, 50 millions d'euros supplémentaires ont été ajoutés, portant le total à 500 millions d'euros. Pourriez-vous nous éclairer sur la situation budgétaire actuelle du CNC ? Certains administrateurs avaient évoqué des « tensions » budgétaires potentielles si l'on dépassait les 450 millions d'euros initialement prévus.
Ma seconde question concerne la disparition des aides à la diffusion dans plusieurs régions, à l'exception de trois d'entre elles. Je croyais que ces aides étaient intégrées dans les conventions CNC-Régions. Si elles ne sont pas respectées, comment pouvons-nous agir pour sensibiliser nos collègues élus, en particulier au niveau régional, afin que ces aides à la diffusion soient maintenues ? Ces aides sont cruciales pour la circulation des oeuvres sur l'ensemble de nos territoires. S'agit-il d'une rupture d'engagement de la part de ces régions, ou ces aides n'étaient-elles pas incluses dans les conventions initiales ?
Par ailleurs, nous avons beaucoup parlé d'intelligence artificielle (IA). Mes collègues Pierre Ouzoulias, Laure Darcos et Agnès Evren travaillent actuellement sur ce sujet. Pouvez-vous nous dire si des pays européens, notamment l'Italie, ont déjà légiféré sur cette question et si cette démarche se révèle probante ? Au-delà de l'Italie, d'autres nations européennes ont-elles pris des initiatives législatives en la matière ? Quelle est votre position sur l'encadrement législatif de la conditionnalité des aides liées à l'utilisation de l'IA dans la création d'oeuvres ? Cette question est cruciale, notamment en ce qui concerne les droits des auteurs et des artistes.
Enfin, à la suite de l'adoption d'une proposition de loi sur le cinéma en Outre-mer, pouvez-vous nous faire un point sur l'évolution de la diffusion cinématographique dans ces territoires ?
Mme Laure Darcos. - Je tiens tout d'abord à vous féliciter pour votre nomination et à saluer le travail remarquable d'Olivier Henrard et des équipes du CNC, un établissement que j'estime particulièrement.
Je souhaite aborder un segment crucial mais peu évoqué jusqu'à présent : la distribution cinématographique. Ce secteur est particulièrement exposé aux risques financiers. En effet, le distributeur verse un minimum garanti au producteur, indépendamment du succès du film. En cas de réussite, il récupère ses investissements et perçoit une commission sur les entrées. Cependant, en cas d'échec, il assume seul les pertes. Actuellement, le soutien automatique du CNC pour la distribution est plafonné au-delà d'un million d'entrées, contrairement aux secteurs de la production et de l'exploitation. Le déplafonnement de ce soutien, recommandé dans le rapport des sénateurs Jérémy Bacchi, Sonia de La Provôté et Céline Boulay-Espéronnier, n'a pas encore été mis en oeuvre, bien qu'il relève uniquement de la compétence du CNC. Cette mesure est très attendue par le secteur, car elle permettrait d'améliorer la capacité d'investissement dans les oeuvres françaises.
Je n'ignore pas les difficultés financières du pays. J'avais personnellement tenté de proposer un nouveau crédit d'impôt pour la distribution il y a un an, mais cette initiative n'a pas reçu un accueil favorable de la part de la commission des finances. Quelle est votre position sur ces enjeux et quelles mesures envisagez-vous pour soutenir ce secteur crucial de la filière cinématographique ?
Mme Laurence Garnier. - Je vous remercie, Monsieur le président, pour cette présentation détaillée des enjeux à venir. Vous avez souligné à juste titre la réussite du modèle français du cinéma, un succès dont nous devrions nous réjouir davantage, car nous avons parfois tendance en France à minimiser nos réussites.
Ma question porte sur l'avenir de cette industrie, plus précisément sur la formation des futurs acteurs du cinéma français au sens large : techniciens, scénaristes, et l'ensemble de l'écosystème de formation, qui est particulièrement riche dans notre pays. La Fémis, école nationale supérieure des métiers de l'image et du son, joue un rôle important dans ce domaine. Quelles tendances observez-vous actuellement ? Quelles perspectives se dessinent ? Comment les jeunes générations envisagent-elles leur engagement dans les métiers du cinéma ? Enfin, pouvez-vous nous dresser un tableau des perspectives pour l'avenir de la filière dans les deux à trois prochaines décennies ?
Mme Monique de Marco. - Je vous remercie pour cette présentation claire. Vous avez brièvement évoqué l'application des conditionnalités. Pourriez-vous nous fournir des précisions supplémentaires sur les critères utilisés et sur la méthode d'application de ces conditionnalités ?
Par ailleurs, lors du débat sur la proposition de loi visant à consolider la filière cinématographique, j'avais suggéré des mesures pour renforcer la parité dans le secteur. L'une de ces propositions consistait à confier une nouvelle mission au CNC : faire appliquer l'objectif de parité et de diversité à l'ensemble de la filière, équipes de production, comités d'attribution des aides, comités de sélection en festival, direction artistique des festivals, etc. Qu'en pensez-vous ?
Mme Catherine Belrhiti. - L'essor des plateformes de streaming telles que Netflix, Disney+ ou Amazon Prime Video a profondément transformé la diffusion des oeuvres cinématographiques. Quelles mesures le CNC met-il en place pour garantir que cette diffusion numérique ne porte pas préjudice aux salles de cinéma traditionnelles ?
Concernant le soutien à la diffusion des films français à l'étranger, quels sont les nouveaux axes stratégiques envisagés pour renforcer la présence de notre cinéma sur les marchés internationaux, notamment face à la concurrence croissante des productions américaines ?
Les aides du CNC sont essentielles pour de nombreuses productions, mais elles font parfois l'objet de critiques quant à l'équité des critères d'attribution, en particulier pour les films dits indépendants. Quelles actions sont prévues pour mieux accompagner les productions de petite et moyenne envergure qui peinent à obtenir des financements ?
Enfin, l'éducation à l'image fait partie des priorités du CNC, notamment en direction des jeunes publics. Quels sont les nouveaux programmes ou projets mis en place par le CNC pour sensibiliser les jeunes générations à la culture cinématographique et audiovisuelle ?
Mme Pauline Martin. - Vous connaissez l'attachement du Sénat aux opérateurs de l'État, un sujet particulièrement d'actualité.
Le rapport de la Cour des comptes souligne la nécessité de la création d'une commission de contrôle et insiste sur la nécessité d'intensifier les contrôles. Ces observations datent de 2022-2023. Quelle est la situation actuelle en 2025 ?
Qu'en est-il de la mise en place d'un contrat d'objectifs et de performance, également recommandée par la Cour des comptes ?
M. Jacques Grosperrin. - Je tiens à vous remercier, Monsieur le président, pour la clarté de vos propos. J'ai particulièrement apprécié l'accent que vous avez mis sur la redynamisation des territoires et la diversité des genres.
Sans aborder directement la question financière, je souhaiterais néanmoins évoquer deux points : les 500 millions d'euros qui vous ont été prélevés, représentant la moitié de vos réserves, et l'anticipation de la baisse du crédit d'impôt concernant le cinéma étranger.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur la dichotomie persistante entre ce qu'on appelle le cinéma intellectuel et le cinéma populaire, une distinction qui se reflète souvent dans la répartition géographique des entrées entre Paris et les régions. Cette frontière n'est pourtant pas infranchissable, comme l'a démontré le film En fanfare qui a réussi à réunir deux mondes apparemment opposés. Dans un contexte de fortes fractures territoriales, le CNC ne devrait-il pas promouvoir plus largement cette diversité qui fait la richesse du cinéma français ? Pourriez-vous nous fournir des chiffres concernant les aides apportées par le CNC à ce qu'on peut qualifier de cinéma populaire ?
M. Gaëtan Bruel. - Je vais aborder de manière concise l'ensemble des sujets évoqués.
Concernant l'accord auteurs producteurs, il convient de rappeler que le gouvernement a transposé la directive SMA il y a trois ans, de façon ambitieuse, afin de garantir notamment un flux de commandes plus important aux producteurs. En contrepartie de cet engagement, il était impératif de mieux reconnaître la place des auteurs et d'éliminer certains abus en termes de rémunération minimale. L'année dernière, nous avons signé quatre accords pour la création audiovisuelle, couvrant tous les genres. Nous sommes actuellement dans la phase finale de discussion concernant le cinéma, sur la base d'un projet que nous avons transmis aux différentes parties prenantes. La proposition actuelle me semble très équilibrée, et nous espérons vivement son adoption. Ce sujet fait l'objet d'une mobilisation intense de ma part et de mon équipe.
S'agissant des salles de cinéma en France, les chiffres sont éloquents : 92 % de nos concitoyens résident à moins de 30 minutes d'une salle. Notre pays compte plus de 2 000 cinémas et plus de 6 300 écrans, dont la moitié sont des salles publiques ou faisant l'objet d'une délégation de service public. Le CNC accompagne activement l'ensemble de ces salles, ce qui constitue un élément crucial de son action. Le soutien automatique et sélectif s'élève à environ 90 millions d'euros. Récemment, nous avons mené des chantiers importants, notamment concernant l'Art et Essai, afin de mieux soutenir ce réseau de salles, pilier de notre modèle cinématographique. Un travail conséquent a été entrepris autour de la transition écologique. Bien que ce secteur soit consommateur d'énergie, nous cherchons à le rendre exemplaire dans l'application des objectifs de transition écologique. Le CNC a adopté une démarche volontariste, en créant d'abord un observatoire de la transition écologique pour évaluer l'impact sur l'ensemble des segments du secteur, année après année. Ensuite, diverses mesures ont été mises en place, notamment une conditionnalité des aides avec la soumission d'un double bilan carbone.
Je souhaite également évoquer la réforme récente du soutien automatique à l'exploitation. Nous sommes actuellement dans une situation complexe post-Covid, particulièrement pour la moyenne et la grande exploitation. Les chiffres montrent que la petite exploitation a quasiment retrouvé ses niveaux d'avant-Covid, tandis que la moyenne exploitation accuse une baisse de 15 % et la grande exploitation de 25 %. Pour préserver la diversité de notre aménagement cinématographique et reconnaître la place de chaque type d'exploitation, il est crucial d'accompagner ces difficultés spécifiques.
Dans le contexte des prochaines élections municipales, il sera important d'observer comment une nouvelle génération de maires continuera à soutenir ces équipements remarquables. Le monde post-Covid présente de nouveaux défis pour nos salles de cinéma, avec une concurrence accrue entre elles. La numérisation a considérablement réduit le coût des copies, entraînant une tendance à sortir les films sur un plus grand nombre de copies, indistinctement dans les grandes et petites salles. Cette pratique peut avoir des effets pervers, car de nombreux films ont besoin de temps pour s'installer auprès du public.
Pour remédier à cette situation, je propose de réunir les exploitants et les distributeurs afin d'échanger sur ces problématiques. À ce stade, je ne suis pas convaincu de la nécessité d'une régulation dédiée. Je pense qu'une bonne pratique peut permettre à chaque salle de trouver ou de retrouver sa place. Cependant, si nous constatons que cela ne suffit pas à garantir l'existence de chaque salle, nous devrons envisager d'autres actions. Je tiens à vous assurer de toute notre attention, particulièrement envers les salles liées à nos collectivités, qui jouent un rôle indispensable dans notre modèle cinématographique.
Concernant la trésorerie, je tiens à apporter des précisions sur la ponction de 500 millions d'euros. Ce montant, particulièrement conséquent, dépasse les 450 millions d'euros initialement envisagés comme plafond dans divers rapports. Il est également supérieur aux 430 millions d'euros alloués par l'État au secteur via le CNC dans le cadre du plan de relance. Face à cette situation, le CNC a dû s'adapter en modifiant ses règles budgétaires et comptables pour concilier sécurité financière et capacité d'action. Je tiens à vous rassurer : notre stabilité financière n'est actuellement pas menacée. Cependant, il est crucial de souligner que cette ponction remet en question l'acceptabilité de notre système par les acteurs qui le nourrissent. Notre modèle repose sur des taxes affectées et une fiscalité sectorielle. Les entreprises s'acquittent de ces taxes supplémentaires car elles bénéficient en retour de la valeur créée pour le secteur. Si cette fiscalité devait régulièrement servir à financer le budget de l'État, ces entreprises exigeraient certainement une réduction de leur contribution, ce qui affaiblirait considérablement la capacité d'action du CNC. Bien que nous nous soyons adaptés à cette ponction exceptionnelle, il est impératif de comprendre qu'une telle situation ne peut se reproduire sans mettre en péril l'ensemble de notre modèle.
Concernant la baisse des aides à la diffusion, je souligne, qu'à l'exception d'une région, leur ampleur reste limitée. Nous avons maintenu un dialogue constructif avec chaque région dans le cadre de nos conventions. L'impact de ces baisses demeure modéré comparé à d'autres domaines culturels ou niveaux de collectivité. La prochaine négociation des conventions 2026-2028 avec les régions sera l'occasion de réaffirmer nos objectifs communs et d'ajuster éventuellement notre approche, notamment sur la question de la diffusion.
Sur l'intelligence artificielle, les discussions européennes se concentrent actuellement sur le Règlement sur l'IA. L'enjeu principal est de garantir que le droit existant en matière de propriété intellectuelle s'applique pleinement aux intelligences artificielles, qu'elles soient européennes ou non. Des réflexions sont également en cours sur les questions de transparence. À ma connaissance, aucune législation spécifique n'a été adoptée dans d'autres pays européens, y compris en Italie. Pour le CNC, l'impact de l'IA est déjà perceptible dans nos 65 commissions d'aide. Nous constatons une baisse de qualité dans certains dossiers, probablement due à l'utilisation de l'IA. Notre première étape sera d'exiger une transparence sur l'usage de l'IA dans les candidatures, potentiellement via une note d'intention. Nous réfléchissons à la manière d'intégrer pleinement cette problématique dans nos processus.
Sur le renforcement de la présence des films français à l'étranger, nous avons pris plusieurs initiatives. Nous avons accompagné la fusion d'UniFrance avec TV France International, créant ainsi une approche unifiée pour l'export du cinéma et de la création audiovisuelle. Nous avons augmenté le budget d'un million d'euros. De plus, nous avons renforcé nos actions en matière d'attractivité. UniFrance a lancé des initiatives comme la liste 10 to Watch pour renouveler les talents et les castings, un élément crucial pour les projets internationaux. La notoriété internationale des acteurs et actrices est désormais un facteur clé, qui se construit notamment grâce à leur présence dans les festivals et sur les plateformes. La coproduction constitue également un levier puissant pour la diffusion internationale de nos oeuvres. La France, leader mondial en termes d'accords de coproduction, bénéficie grandement de cette dynamique. La série Kaboul, récemment diffusée sur France Télévisions et coproduite avec dix pays européens, illustre parfaitement ce potentiel.
À la suite du rapport de la Cour des comptes, nous avons significativement renforcé nos procédures de contrôle. Au-delà du pré-conseil d'administration et du comité d'audit, nous avons instauré un dialogue continu concernant la gestion des aides financières. Les retours des membres des instances, notamment ceux de la Cour des comptes siégeant à notre Conseil d'administration, confirment qu'ils sont satisfaits de ces nouvelles mesures.
Concernant la question du contrat d'objectifs et de performance (COP), il convient de rappeler le statut particulier du CNC. Bien que nous soyons tenus de respecter les règles de fonctionnement d'un établissement public, notre double statut d'établissement public et d'administration centrale du ministère de la Culture, placée sous l'autorité directe de la ministre, nous confère des prérogatives uniques, notamment un pouvoir réglementaire. Cette spécificité explique l'absence de COP, à l'instar des autres directions générales de l'administration. Néanmoins, nous réfléchissons activement à l'élaboration d'outils stratégiques adaptés. J'ai ainsi initié, en collaboration avec notre Conseil d'administration, une réflexion sur la mise en place d'un programme de travail à plus long terme, qui pourrait constituer l'embryon d'un document stratégique. Notre objectif est d'offrir une meilleure visibilité sur les actions du Centre, tout en préservant notre capacité de réaction et d'adaptation rapide aux évolutions du secteur, qui nous permet de mener à bien plus d'une dizaine de réformes par an avec des résultats tangibles.
Il est crucial de souligner l'impact exceptionnel de nos crédits d'impôt, incluant celui dédié au jeu vidéo. Bien que les montants se stabilisent, nous maintenons un niveau élevé, avec plus de 600 millions d'euros de dépenses fiscales pour l'ensemble des secteurs couverts par le CNC. Une étude indépendante menée en 2023 a démontré que le coût réel de ces dispositifs est en réalité quatre fois moindre si l'on prend en compte les recettes fiscales générées. De plus, l'impact économique direct, l'effet d'influence et les retombées pour nos territoires justifient pleinement le maintien et la consolidation de ces crédits d'impôt.
Nous faisons face à une concurrence internationale accrue, notamment européenne. Dans ce contexte, et compte tenu des incertitudes liées aux projets américains, il est impératif d'ajuster notre dispositif. La priorité est d'étendre rapidement la durée du crédit d'impôts international (C2I) pour offrir une meilleure visibilité à nos partenaires étrangers et éviter la fuite des projets vers d'autres pays, même si des ajustements mineurs peuvent également être envisagés. Par ailleurs, le programme France 2030, doté d'environ 300 millions d'euros pour la « grande fabrique de l'image », vise à doubler notre capacité de production en développant les écoles, les studios d'effets visuels et les studios de tournage.
Concernant la dichotomie entre cinéma intellectuel et cinéma populaire, je préfère souligner la diversité de notre production cinématographique. Des films comme Les Tuche ou Les Bodin's connaissent un grand succès en France, particulièrement en région, mais moins à Paris. Notre système d'aide a pour vocation de soutenir tous types de projets, y compris les plus fragiles. Il est important de rappeler qu'une réalisatrice comme Justine Triet a débuté avec des films à faible audience (La bataille de Solférino, 37 000 entrées) avant de connaître un succès international avec Anatomie d'une chute. Notre modèle vise à favoriser la plus grande diversité de films possible.
Enfin, concernant l'outre-mer, je me réjouis de mon prochain déplacement à La Réunion pour le Festival International du Film de l'Océan Indien. Cette région exemplaire renforce son budget et s'affirme comme un pôle majeur pour le cinéma et la création audiovisuelle. Cependant, la situation est contrastée selon les territoires. Nous sommes particulièrement attentifs à la Guyane, où le nombre très limité de salles de cinéma soulève des inquiétudes. Les Antilles requièrent également une attention particulière. Notre objectif est d'assurer la disponibilité de tous les films dans ces territoires, en renforçant si nécessaire le cadre actuel.
Je tiens à souligner un motif d'optimisme concernant la production cinématographique dans les territoires d'outre-mer. Un film comme Magma a été tourné aux Antilles, et un nouveau projet débute en Martinique. Ces régions s'affirment progressivement comme des pôles de production, révélant de nouveaux talents que nous encouragerons activement.
Concernant la distribution, j'adhère pleinement à la nécessité de revoir les soutiens automatiques, notamment en envisageant leur déplafonnement. Cette mesure vise à aligner notre politique sur celle appliquée à la production, tout en reconnaissant la nature particulièrement risquée du secteur de la distribution. En effet, les distributeurs s'engagent financièrement très en amont des projets, sans visibilité sur leur succès futur, tout en restant dépendants de celui-ci. Leur rôle crucial dans le financement et la diffusion des oeuvres justifie un accompagnement renforcé. C'est pourquoi, après avoir réformé les soutiens automatiques à l'exploitation, nous travaillons actuellement sur la refonte des aides à la distribution, que j'espère présenter au Conseil d'administration dès juin prochain.
Sur la formation et le renouvellement des acteurs du secteur, je tiens à souligner l'importance du programme France 2030. Cette initiative a permis de consolider des pôles régionaux dans une approche systémique, renforçant à la fois les studios et les écoles pour favoriser l'émergence de nouveaux talents. L'exemple de Sarlat, où l'ancienne manufacture France Tabac a été transformée en centre de formation et de tournage, illustre parfaitement comment nous offrons de nouvelles perspectives professionnelles aux jeunes passionnés de cinéma et de création visuelle, notamment dans les zones rurales. Il convient également de saluer l'émergence de nouvelles méthodes de formation, comme la CinéFabrique à Lyon, qui ouvrira prochainement une antenne à Marseille. Il est crucial d'encourager un continuum dans la formation, en commençant par l'éducation à l'image dès l'école primaire. Bien que le nombre de jeunes bénéficiant de cette éducation soit actuellement inférieur à deux millions, nous aspirons à l'étendre significativement. Nous devons également réfléchir à l'intégration d'enseignements de spécialité au lycée, tels que des options cinéma, séries télévisées ou écriture scénaristique, pour guider les élèves les plus motivés vers des formations spécialisées. Dans l'enseignement supérieur, nous accompagnons les écoles sur des enjeux cruciaux comme la prévention des violences sexistes et sexuelles, la parité et la transition écologique. Ces établissements façonnent l'avenir de notre industrie. Notre responsabilité collective est de garantir des débouchés professionnels à ces jeunes talents, notamment grâce aux crédits d'impôt qui assurent un plan de charge aux studios que nous avons renforcés.
La parité est un enjeu fondamental, non seulement en termes d'égalité, mais aussi pour diversifier les perspectives narratives et renforcer la prévention des violences sexistes et sexuelles. Depuis 2017, nous avons mis en place plusieurs mesures : tous les jurys attribuant les aides du CNC sont désormais strictement paritaires, de même que les festivals que nous soutenons. Nous avons également instauré un bonus parité, dont l'efficacité devra être évaluée. Face au tassement observé, nous devons redoubler de volontarisme dans les mois à venir pour promouvoir activement la parité dans notre secteur.
Je confirme l'intégration du déplafonnement dans notre projet de réforme. Nous approfondirons ce sujet dans les semaines à venir.
Enfin, il existe effectivement des conditionnalités pour l'octroi des aides dans plusieurs domaines. J'ai évoqué précédemment la transition écologique, mais cela s'applique également à l'accessibilité. Concernant spécifiquement la prévention des violences sexistes et sexuelles, nous avons mis en place un système rigoureux pour les mandataires sociaux, qu'ils soient producteurs, distributeurs ou exploitants. Tous les porteurs de projets doivent d'abord remplir un questionnaire détaillant les mesures de prévention qu'ils ont prises, conformément au code du travail. De plus, les chefs d'entreprise sont tenus de suivre une formation spécifique du CNC. L'attestation de suivi de cette formation est indispensable pour accéder aux aides et fait l'objet d'un contrôle strict lors de l'instruction des dossiers. Pour la formation des salariés, nous vérifions que les personnes occupant les postes concernés par la formation ont effectivement participé aux sessions requises, conditionnant ainsi l'obtention de l'agrément de production. Cette approche démontre notre vigilance quant au respect des exigences établies, tout en maintenant une certaine flexibilité dans les dispositifs existants. L'octroi des aides est subordonné à la satisfaction de l'ensemble de ces conditions.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie pour ce bilan détaillé, seulement sept semaines après votre prise de fonction. Nous poursuivrons naturellement nos échanges avec le CNC, comme nous le faisons depuis de nombreuses années, afin de maintenir une vision partagée sur ce secteur et les politiques publiques qui le soutiennent.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 05.