- Mardi 1er avril 2025
- Mercredi 2 avril 2025
- Audition de MM. François Thomazeau, directeur des programmes Collectivités locales et Adaptation au changement climatique de l'Institut de l'économie pour le climat, et Luc-Alain Vervisch, directeur des études et de la recherche à la Banque Postale
- Audition de M. Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette, vice-président de l'Autorité des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), et Mme Gwenola Stephan, responsable de la mission transition écologique de l'AMF
Mardi 1er avril 2025
- Présidence de M. Olivier Henno, président -
La réunion est ouverte à 16 heures.
Audition de M. Bertrand Hauchecorne, membre du conseil d'administration de l'Association des Maires Ruraux de France (AMRF) (sera publié ultérieurement)
Ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 50.
Mercredi 2 avril 2025
- Présidence de M. Olivier Henno, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de MM. François Thomazeau, directeur des programmes Collectivités locales et Adaptation au changement climatique de l'Institut de l'économie pour le climat, et Luc-Alain Vervisch, directeur des études et de la recherche à la Banque Postale
M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique. L'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) est une association d'intérêt général à but non lucratif, fondée en 2015 par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l'Agence française de développement (AFD). Ce cercle de réflexion vise à promouvoir un débat rigoureux sur les réponses des politiques publiques au dérèglement climatique. Il est reconnu comme une source de référence pour l'analyse des investissements en matière de climat et pour l'impact climatique des budgets publics.
L'I4CE est représenté aujourd'hui par François Thomazeau, directeur des programmes Collectivités locales et Adaptation au changement climatique. Quant à Luc-Alain Vervisch, il est directeur des études et de la recherche à la Banque postale.
Messieurs, avant de vous céder la parole pour un propos introductif, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite maintenant à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Thomazeau et M. Luc-Alain Vervisch prêtent serment.
En raison du départ du président de la commission, Bernard Pillefer, sénateur du Loir-et-Cher, préside l'audition.
- Présidence de M. Bernard Pillefer vice-président -
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le Sénat est très attaché au rôle des collectivités territoriales, à la fois dans l'animation de la démocratie locale et dans la conduite de l'action publique de proximité. Depuis plusieurs années, les collectivités territoriales ont été privées de ressources fiscales propres et d'autonomie financière, si bien que leurs recettes ont progressivement fondu.
Dans ces conditions, la présente commission d'enquête vise à faire la lumière sur la façon dont la perte d'autonomie financière peut peser sur les collectivités. En effet, on peut être inquiet du mur d'investissements qui se dresse devant elles, notamment en matière de transition écologique, comme l'I4CE l'a souligné l'année dernière dans son Panorama des financements climat des collectivités locales.
Vous êtes parvenus à détailler la diversité et le montant des investissements à prévoir dans les années à venir. Nous aimerions donc vous entendre, au nom de votre expertise en matière de transition écologique, sur les leviers qui pourraient être mobilisés par les collectivités territoriales.
M. François Thomazeau, directeur des programmes Collectivités locales et Adaptation au changement climatique de l'Institut de l'économie pour le climat. - Votre commission d'enquête porte sur la libre administration des collectivités territoriales et sur l'articulation avec les politiques environnementales, notamment climatiques. C'est un sujet très vaste qui touche à de très nombreux champs conceptuels.
Cette commission d'enquête fait écho aux travaux conduits par l'I4CE en partenariat avec la direction des études et de la recherche de la Banque postale. D'où notre présence conjointe cet après-midi. Nous pourrons, si vous le souhaitez, vous faire part des travaux de la Banque postale sur les finances locales en général et de ceux de l'I4CE sur le financement de la transition écologique au-delà des seules collectivités territoriales.
Comme vous l'avez rappelé, l'I4CE est un think tank qui a été créé par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l'Agence française du développement (AFD), et dont l'objet est de favoriser les politiques climatiques. Ainsi, il a vocation à produire des analyses économiques sur les enjeux du changement climatique, tant en matière d'atténuation que d'adaptation. Je précise que nos travaux sont intégralement publics et consultables sur notre site internet.
Concernant les collectivités locales, l'I4CE privilégie deux modes d'action. Premièrement, il réalise des études économiques de portée nationale qui traitent des collectivités locales comme des agents économiques. À ce titre, nous tenons une chronique des actions que les collectivités entreprennent chaque année en matière d'investissements pour le climat. Nous indiquons aussi ce qu'elles devraient faire pour respecter les trajectoires de décarbonation.
L'I4CE ne définit pas ces trajectoires, mais il étudie leur faisabilité économique pour les collectivités locales. Dans ce cadre, il travaille en partenariat avec la Banque postale, qui complète la démarche sur le plan des financements.
Deuxième mode d'action : l'I4CE travaille sur l'outillage des collectivités. À ce titre, il a produit, en lien avec les collectivités, la méthode de budget vert qui est la plus utilisée aujourd'hui dans le monde local. Nous travaillons actuellement sur une deuxième génération d'outils permettant aux collectivités qui le souhaitent de calculer leurs propres marges d'investissement par rapport aux objectifs climatiques.
Je condenserai mon propos en deux messages essentiels. Premièrement, concernant la transition écologique, il me semble qu'on peut regarder le verre à moitié plein. En effet, les collectivités ont pris le virage de l'action pour le climat, comme le révèlent nettement nos chiffres. Toutefois, des investissements considérables sont encore nécessaires pour concrétiser les trajectoires nationales : la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) en matière d'atténuation et le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) en matière d'adaptation.
Entre 2017 et 2022, les investissements des collectivités pour la décarbonation ont augmenté de 44 %, non seulement parce que l'investissement était dynamique, mais aussi parce que les collectivités ont opéré des choix. C'est là un élément que nous sommes capables d'objectiver. Nous constatons une appropriation croissante et très nette des enjeux d'adaptation. De toute évidence, il s'agit d'un sujet territorial, dès lors que la réponse est contextualisée : je pense aux îlots de chaleur dans les villes, à l'érosion sur le littoral et à la limitation de l'enneigement en montagne.
Si l'on compare ce que les collectivités investissent actuellement chaque année pour la rénovation thermique des bâtiments, la mobilité et l'énergie, avec ce qu'elles devraient investir annuellement d'ici à 2030 selon le niveau défini par les trajectoires nationales, alors il faudrait doubler le niveau des investissements actuels pour pouvoir atteindre les objectifs fixés par la stratégie nationale bas carbone (SNBC).
: J'en profite pour rappeler que la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles n'est pas qu'un sujet environnemental et climatique : c'est aussi un enjeu de souveraineté, dans la mesure où les pays fournisseurs ne nous sont pas toujours favorables, et c'est aussi un sujet de bonne gestion des deniers publics. En effet, les collectivités dépensent plus de 2,5 milliards d'euros chaque année en achat de pétrole et de gaz.
Le deuxième message essentiel que je souhaite formuler est le suivant : il est possible d'atteindre les objectifs qui ont été fixés en matière de transition écologique, mais cela suppose de changer les pratiques à toutes les échelles. La première condition est de garantir les conditions d'un investissement local dynamique et pérenne. Or c'est un sujet qui nous inquiète à l'avenir. Les collectivités doivent pouvoir continuer à investir comme elles l'ont fait au cours des dernières années.
La deuxième condition est de s'assurer que les collectivités continuent à faire des choix nets en faveur de la rénovation thermique des bâtiments et de divers aménagements : le développement de réseaux de chauffage urbain, de transports collectifs et de pistes cyclables, soit tout ce qui peut nous aider à nous passer des énergies fossiles.
Ce changement est tout à fait possible : en témoignent le plan de relance au sortir de la crise sanitaire et les premiers pas de la planification écologique. Nous devrions pouvoir continuer dans cette voie et même accélérer.
À l'échelon national, il devient fondamental, dans ce contexte, de mieux structurer le dialogue autour des finances locales, avec des bases plus sérieuses et plus transparentes qu'aujourd'hui. L'I4CE et la Banque postale ont montré que le volet local des trajectoires de finances publiques, à savoir le programme de stabilité (PStab) et la loi de programmation des finances publiques (LPFP), était rigoureusement incompatible avec les attentes que nous avons vis-à-vis des collectivités en matière de politique climatique.
Il faudra continuer à faire des choix à l'échelon local et poursuivre la réorientation des programmes d'investissement des collectivités en faveur des sujets climatiques. Cela suppose d'envoyer des signaux clairs concernant les priorités qui leur sont assignées.
M. Luc-Alain Vervisch, directeur des études et de la recherche à la Banque Postale. - Vous le savez sans doute, la Banque postale est le premier prêteur des collectivités locales depuis maintenant huit ans. Elle a pour particularité de disposer d'une direction des études et de la recherche qui, selon notre directeur, a presque une dimension universitaire : cela montre bien la liberté de parole qui est la nôtre.
Cette direction, en dépit de l'effectif réduit qui la compose, jouit d'une expérience relativement longue. Étant investi dans une carrière administrative depuis quarante ans, je suis une sorte de dinosaure des finances locales, ce qui facilite mon regard sur les situations soumises à notre examen.
La première étude qui a été conduite en 2023 s'inscrivait dans un contexte où le redressement des finances publiques semblait acquis, ou du moins, dont la trajectoire était logique. Les modèles économiques qui ont été construits à l'époque reposaient sur ces éléments.
Les quatre leviers de financement que nous avions alors imaginés - la dette, l'amélioration ou l'augmentation des concours de l'État, le recours à des ressources propres et, point non négligeable, la redirection des investissements - nous paraissaient entièrement compatibles les uns avec les autres. Nous avions alors montré que, sous certaines conditions, et en cumulant les efforts, il était possible de tenir la trajectoire envisagée pour 2030. Toutefois, depuis cette étude de 2023, le contexte économique et budgétaire a un peu évolué.
En 2024, nous avons travaillé davantage sur l'analyse des disparités locales. Nous avions ainsi réfléchi à la façon de dégager des moyens financiers en faisant davantage appel aux collectivités qui en étaient les plus capables.
À cette occasion, nous avons davantage travaillé sur l'analyse des disparités des situations financières au niveau local. Nous relevons une hétérogénéité marquée des collectivités entre elles. Cela constitue l'une des difficultés majeures que nous rencontrons pour formuler des recommandations en matière de financement de la transition écologique au niveau local.
En ce qui considère l'orientation actuelle de nos travaux : lorsque l'on compare la situation aujourd'hui avec ce qu'a pu être par le passé l'idée d'autonomie locale et de décentralisation, j'aurais tendance à dire que, les années 1982-1983 ont été l'acmé du principe d'autonomie. Toutes les évolutions que nous avons pu observer ensuite sont allées dans le sens contraire, y compris aujourd'hui. Prenons le cas de la dette. Il est clair que le redressement des finances publiques impose un effort collectif, ce qui fragilise la liberté d'emprunter des collectivités locales, comme ce fut le cas il y a une demi-douzaine d'années avec ce que l'on avait appelé la « règle d'or bis ».
Sur un certain nombre de points, l'orientation même de la dette est discutée : en témoigne la possibilité d'établir des annexes sur la dette verte. D'ailleurs, de façon bien plus ancienne, l'intervention de la Banque européenne d'investissement (BEI) a toujours été marquée par des objectifs à caractère environnemental.
Bref, la globalisation de l'emprunt, qui était très clairement considérée comme un progrès à la fin des années 1970, semble aujourd'hui poser question.
Les possibilités d'action de l'État sont ce qu'elles sont ; nous l'avons constaté avec l'évolution du Fonds vert. Ce qui nous préoccupe le plus, c'est la situation d'imprévisibilité dans laquelle l'État met ses partenaires. Cette situation est de nature à faire attendre et hésiter les collectivités à faire preuve d'un engagement plus fort pour l'environnement.
J'aborde maintenant la question des ressources propres. Le rétrécissement du pouvoir fiscal des collectivités est une réalité qu'on observe depuis bien longtemps. Ainsi, les premières règles relatives au plafonnement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) datent des années 1990.
L'évolution de la fiscalité locale, même si nous l'avions envisagée comme un levier, pose très clairement la question de la capacité des collectivités à intervenir. Notez que les contribuables à l'échelle locale sont, pour l'essentiel, les propriétaires. Les capacités d'intervention fiscale sont extrêmement hétérogènes sur le territoire national. Dans ces conditions, nous voyons mal comment on pourrait parvenir à dégager des ressources sans un système de péréquation beaucoup plus élaboré.
À l'heure actuelle, la redirection des investissements est le levier le plus privilégié par l'ensemble des associations d'élus. Il n'empêche qu'elle soulève un certain nombre de questions. En effet, il faut identifier les investissements susceptibles d'être redirigés, sans pour autant renoncer à l'entretien du patrimoine existant.
Par ailleurs, on sait très bien que tous les investissements ne peuvent pas être « verts », compte tenu des exigences de la vie locale. Il faut donc trouver une forme d'équilibre.
Toutes ces considérations nous conduisent à poser la question d'une possible refondation de l'ensemble du système, dans le respect du principe de libre administration et en tenant compte d'un certain nombre de précédents.
Le juge constitutionnel a toujours été très hésitant sur le fait de reconnaître des cas où le législateur avait réellement porté atteinte au principe de libre administration ; mais il a reconnu la validité de telles exceptions dans des cas particuliers et pour des motifs d'intérêt général. Justement, on pourrait considérer que l'enjeu de la transition écologique devient un motif suffisamment important pour permettre des atténuations portées au principe de libre administration, d'autant plus que les évolutions constatées depuis plusieurs décennies ont fait perdre à celui-ci, en réalité, un peu de sa substance.
Du reste, nous savons qu'il existe potentiellement un enjeu de philosophie de la fiscalité à l'échelon local et de rapport avec le citoyen. Cela appelle une forme de pédagogie d'autant plus difficile à mener que le contribuable au foncier bâti, qui est le plus important à l'échelle locale, ne sait pas bien où vont ses impôts. Le contribuable le plus important à l'échelle nationale, à savoir le consommateur, via la TVA, est lui aussi dans l'incapacité de déterminer précisément à quoi sert l'argent prélevé par l'État.
Le levier que constitue la trésorerie se trouve dans une situation intermédiaire. Moins de trésorerie pour les collectivités locales, c'est aussi moins de trésorerie pour l'État ; les éléments s'équilibrent, d'un certain point de vue. Aujourd'hui, la règle historique de séparation entre l'ordonnateur et le comptable public n'est pas du tout remise en cause. Or, par ce biais, nous pourrions avancer vers une refonte beaucoup plus importante du système de gestion de la trésorerie des collectivités locales. Cela donnerait sans doute plus de matérialité à leur capacité d'agir.
Je conclus avec la question des investissements. L'enchevêtrement des dotations, notamment le partage des financements, tant à l'échelon étatique ou européen qu'à l'échelon départemental ou régional, devrait nous conduire à rechercher davantage de simplicité et de clarté. Sur ce sujet, le débat politique est très intense.
La principale dotation d'investissement de l'État reste le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Depuis bientôt cinquante ans, celui-ci constitue dans l'esprit de beaucoup d'élus locaux un droit absolu, indépendamment de toute évolution.
Une véritable période de transition s'ouvre devant nous. À cette occasion, il conviendrait d'envisager que le principe de libre administration n'a peut-être pas évolué dans le bon sens.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Si j'ai bien compris, les collectivités et les communes vont devoir doubler leurs investissements d'ici à 2030, dans le cadre de trajectoires et de stratégies construites à l'échelon national, mais aussi en dialogue avec les territoires. En même temps, dernièrement, le dialogue entre l'État et les collectivités a montré que les dotations devenaient de plus en plus imprévisibles. En outre, il y a une incompatibilité entre les ressources dont disposent les collectivités et les besoins d'investissement.
J'aimerais également que vous évoquiez l'élaboration de la SNBC et du Pnacc : les collectivités ont-elles vraiment eu leur mot à dire sur ces stratégies qui doivent être mises en oeuvre dans les territoires ? Considérez-vous que le dialogue entre l'État et les collectivités est fécond dans la construction de ces stratégies ?
M. François Thomazeau. - Nous avons chiffré à 8 milliards d'euros le montant des investissements des collectivités sur les principaux postes de décarbonation de l'économie qui leur reviennent, dont la rénovation thermique des bâtiments. Je rappelle, en effet, que les collectivités sont propriétaires des trois quarts des bâtiments publics. Mais les communes portent aussi la compétence de l'aménagement cyclable ; les infrastructures de transports collectifs urbains pèsent quant à elles plutôt sur les agglomérations et les métropoles, alors que les transports collectifs ferroviaires relèvent des régions.
Parmi les sujets complémentaires, il y a celui de la rénovation énergétique, de l'amélioration de l'efficacité énergétique de l'éclairage public, des réseaux de chaleur, etc. Tout cela représentait environ 8 milliards d'euros d'investissement en 2022. Nous considérons que ce montant devrait continuer d'augmenter en 2023 et 2024, et nous estimons les besoins pour atténuer le changement climatique à 20 milliards d'euros par an. Et encore, cette estimation ne prend pas en compte la politique de l'eau, qui génère ses propres besoins selon un modèle économique particulier, ni les questions d'adaptation au sens plus large du terme.
Par conséquent, le montant de l'investissement annuel des collectivités devrait atteindre 70 milliards d'euros. Nous sommes donc passés d'un montant de 10 milliards à 20 milliards d'euros pour l'atténuation du réchauffement climatique sur une assiette d'investissement de 70 milliards d'euros. Il n'est donc pas complètement illogique de considérer qu'il y a une part de redirection des investissements et d'arbitrages budgétaires possible. Néanmoins, la redirection et l'arbitrage ne feront pas tout. Telle est notre conviction même si elle ne correspond pas forcément à ce que sous-entendent les documents financiers élaborés par l'État.
Nous avons en effet besoin d'un investissement local dynamique. Les dernières évolutions du débat sur les finances locales, avec notamment la mise en oeuvre du Dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales (Dilico), qui consiste à prélever sur les recettes de fonctionnement des collectivités, ainsi que l'écrêtement de la TVA, auront des conséquences sur l'épargne des collectivités, d'autant qu'il faudra aussi prendre en compte les mesures qui seront votées dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Il sera donc essentiel que le dialogue soit le plus ouvert et le plus transparent possible, afin de pouvoir simuler des trajectoires d'investissement réalistes pour les collectivités. En effet, si l'épargne des collectivités est mise sous tension et que le contexte est incertain, celles-ci préfèreront faire preuve de prudence, voire de surprudence, et n'investiront pas à la hauteur de ce qu'elles pourraient faire. Il nous reste à objectiver si telle a été la situation de 2024 lorsque nous aurons analysé les derniers chiffres. À ce stade, ce que nous formulons constitue plus une inquiétude qu'un constat.
Quant aux trajectoires nationales, elles font l'objet de larges concertations. Une concertation nationale vient tout juste de s'achever pour la stratégie nationale bas-carbone numéro 3 et le document sur lequel nous travaillons depuis des mois, voire des années, n'est pas encore officiellement validé. Il en va de même pour le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), qui a fait également fait l'objet récemment d'une consultation nationale. Pour ce qui est de la sincérité de ces consultations, il revient aux représentants des collectivités d'en juger.
En revanche, il est très important que ces documents ne restent pas lettre morte, mais débouchent sur une action - l'État l'a d'ailleurs rappelé récemment au sujet du Pnacc. Cela dépend des collectivités. Un exemple le montre : dans le Pnacc, figure à quinze reprises la mention que telle ou telle action pourrait être éligible au Fonds vert. Or celui-ci a été divisé par deux. Il est donc clair que l'État fait reposer une grande partie de l'action sur les collectivités. Le texte mentionne un levier de financement, mais dans le même temps la stratégie financière n'est pas ajustée.
M. Luc-Alain Vervisch. - Il est important de bien voir que la stratégie budgétaire d'une collectivité locale dépend surtout du niveau d'autofinancement de celle-ci : c'est l'autofinancement qui paye la dette passée, qui permet une partie de l'investissement et qui engage la dette à venir, puisque c'est avec l'autofinancement futur que l'on pourra rembourser cette dette. C'est du moins le regard que les banques portent sur leurs emprunteurs.
Or l'État, dans ses incitations, notamment dans la LPFP, insiste sur la nécessité que les collectivités aient un autofinancement et prévoit pour cela la réduction de la dépense de fonctionnement, ce qui est compréhensible, mais cela n'aboutit pas. Par exemple, la diminution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) entraîne des niveaux d'autofinancement qui ne répondent pas du tout à cette exigence.
En outre, l'État envisage aussi l'autofinancement comme un moyen de réduire le recours à l'emprunt et donc de contribuer à la réduction de la dette publique, alors qu'historiquement, cela ne s'est jamais produit. En effet, comme je le disais, l'autofinancement provoque de l'endettement et a un effet de levier sur l'investissement, ce qui est assez positif au regard des enjeux, tout en restant, bien évidemment, contradictoire avec une stratégie de réduction de la dette publique. Comment donc mieux articuler ces éléments ? Sans doute en améliorant le dialogue entre l'État et les collectivités locales.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - J'ai encore une question sur la manière dont les investissements sont financés. Vous avez mentionné le Fonds vert et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui est un opérateur important dans l'accompagnement des collectivités territoriales en matière budgétaire. Quel regard portez-vous sur le Fonds vert qui a été mis en place récemment, mais qui a connu un destin un peu fluctuant ? Selon vous, s'agit-il d'un bon outil pour accompagner la mise en place des budgets verts en identifiant clairement les investissements verts, notamment ?
M. François Thomazeau. - Je porte un regard ambivalent sur le Fonds vert.
Tout d'abord, les montants qui lui ont été alloués lors de sa création étaient significatifs, ce qui est positif : les 2 milliards d'euros initiaux ont ensuite été réévalués à 2,5 milliards d'euros, même si cela n'a jamais été mis en oeuvre. Il faut donc saluer l'effort financier de l'État sur les dotations d'investissement.
Le Fonds vert a, dans un premier temps, servi à financer de bons objets de transition. Par exemple, la circulaire de gestion du Fonds vert de l'année dernière prévoyait de consacrer 700 millions d'euros à la rénovation des écoles et des bâtiments publics - mais cette partie a été celle qui a le plus fondu entre 2024 et 2025. Au-delà des montants, il est positif que les élus aient pu bénéficier d'une enveloppe qui leur a permis de se positionner sur certains projets et de construire des politiques publiques.
En revanche, je reste réservé sur l'effet de levier qu'a pu avoir la dotation du Fonds vert. Comme vient de le dire Luc-Alain Vervisch, le seul effet de levier réel qui existe dans une collectivité, c'est son autofinancement : en effet, pour un euro d'autofinancement, il peut y avoir plus qu'un euro d'investissement, puisqu'il est possible d'ajouter de l'emprunt.
Le Fonds vert tel qu'il est géré aujourd'hui constitue une enveloppe imprévisible, qui est versée en investissement. Il n'améliore donc pas l'autofinancement et ne permet pas de produire un effet de levier. On utilise d'ailleurs ce terme de façon impropre à mes yeux.
Enfin, au-delà du fait que le Fonds vert ait été largement revu à la baisse ces derniers temps, il a donné lieu à un certain nombre de cavaliers, même si je ne veux pas me prononcer sur l'opportunité de cette enveloppe. Par exemple, le Fonds vert actuel prévoit une enveloppe pour les maires bâtisseurs de l'ordre de 50 millions ou 100 millions d'euros. Or cela n'a plus rien à voir avec le sujet de la transition écologique. Il semble donc que ce Fonds soit parfois affecté à des objets qui, de façon circonstancielle, servent d'autres politiques publiques. Cela a pour effet de le vider de sa substance.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Depuis 2020, certains investissements ont été réalisés, mais beaucoup reste à faire. Dans quels secteurs les collectivités ont-elles été les plus efficaces et où faudra-t-il rattraper un certain retard ?
M. François Thomazeau. - Les collectivités territoriales ont augmenté leurs investissements dans la plupart des secteurs que j'ai mentionnés. Par ailleurs, il est certain qu'elles agissent de plus en plus sur l'adaptation. Les comportements ont pu varier selon les secteurs.
Par exemple, dans la rénovation thermique - j'y reviens souvent, car il s'agit d'un secteur clé qui représente une marge de décarbonation majeure pour les collectivités - l'augmentation des investissements est faible, mais reste progressive, ce qui est un bon signe : la rénovation des bâtiments devrait continuer de se développer. En effet, l'on ne construit plus désormais un programme pluriannuel d'investissement (PPI) comme dans les années 2000 : il y a moins de nouveaux projets, mais plus de rénovation et il faut que cela continue.
Pour les pistes cyclables, la dynamique est beaucoup plus erratique. En 2020, juste après la crise sanitaire, des investissements importants ont été réalisés sur les infrastructures cyclables pour pérenniser ce qu'on a appelé les « coronapistes ». Puis, l'on a constaté un reflux immédiat de ces enveloppes.
Votre question portait également sur les besoins : où les collectivités doivent-elles porter leurs efforts ? Les deux postes qui ressortent le plus dans notre étude sont précisément la rénovation thermique et le cyclable.
Pourquoi le cyclable ? Tout d'abord, la SNBC est très ambitieuse sur le report modal vers le vélo en ville, l'objectif fixé allant du simple au triple. Autrement dit, l'infrastructure doit être construite pour favoriser l'usage et il faut transcrire cela en besoins économiques. Ensuite, les collectivités sont seules à bord et les 50 millions d'euros prévus dans le cadre du plan de l'État ne changeront pas la donne au regard des besoins. Le financement repose exclusivement sur les collectivités.
Ce n'est pas le cas pour les transports collectifs, secteur où les besoins sont importants, mais où la facture est mieux partagée, reposant en partie sur les collectivités, en partie sur le versement mobilité et en partie sur les contributions des usagers.
M. Luc-Alain Vervisch. - Pour le report modal sur le vélo, le ferroviaire est un acteur complémentaire, dès lors qu'il faut aussi envisager le report du vélo vers une ligne ferroviaire, ce qui pose certains problèmes, compte tenu de la nature des matériels qui sont utilisés aujourd'hui. Au Danemark, par exemple, où l'usage du vélo et la topographie ne sont pas les mêmes qu'en France - il faut le préciser -, des solutions existent depuis très longtemps dont nous gagnerions à nous inspirer.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Je suis frappé par l'absence de données chiffrées relatives au foncier. On nous dit qu'il faut apprendre à lire les cartes, car cela apparaît en filigrane... Constatez-vous ce même manque d'informations ?
La question foncière recouvre le zéro artificialisation nette (ZAN). Est-ce que vous avez des chiffres sur le financement du ZAN ? Un travail est en cours dans une autre commission sur ce sujet et nous essaierons de croiser les résultats de nos réflexions. La reconquête des friches bénéficie du Fonds vert, certes, mais la renaturation coûte très cher. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ?
Enfin, comment envisagez-vous le financement du ZAN ? Se fera-t-il à travers des dotations ou bien au travers de la fiscalité locale ?
M. François Thomazeau. - Nous n'avons jamais travaillé directement sur cette question qui fait partie des angles morts de nos travaux.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Pourquoi ?
M. François Thomazeau. - Nous nous sommes attachés à documenter les objets d'investissement en formation brute de capital fixe, or les politiques publiques associées aux ZAN n'en faisaient pas partie, peut-être à tort.
Il faudrait envisager les conséquences fiscales de ce sujet. Certains instituts commencent à produire des études sur le sujet.
M. Luc-Alain Vervisch. - Il est clair que la question de la fiscalité foncière peut représenter un handicap dans la démarche du ZAN. Un certain nombre d'organismes s'intéressent aux possibilités de son évolution, notamment l'Association Finances, Gestion, Évaluation des collectivités territoriales (Afigese), dont le groupe Fiscalité s'intéresse en particulier au traitement de la fiscalité foncière au Pays basque, où il existe un certain nombre de démarches en la matière.
Il est clair que, historiquement, la fiscalité foncière locale a été fondée en partie sur la récupération de la plus-value immobilière liée à la présence de services et d'équipements publics. Est-il envisageable qu'une politique publique protectrice de l'environnement puisse être intégrée dans l'évolution des valeurs locatives, par exemple ? La démarche semble compliquée. Mais il est vrai que c'est un enjeu important si l'on veut éviter que les collectivités locales ne soient tentées d'utiliser le foncier pour récupérer la valeur locative du bâti dessus. Comme nous le disions au début de cette audition, le foncier bâti est désormais le seul véritable impôt local territorialisé, ce qui n'est sans doute pas tenable à long terme.
M. Rémi Cardon. - Vous êtes peut-être en mesure de budgétiser annuellement les besoins, en tout cas pour ce qui est du Fonds vert dédié aux collectivités. Le Fonds vert semble recouvrir quantité d'objets et il est difficile d'obtenir des chiffres précis. Quels montants ont été fléchés pour les entreprises et pour les collectivités, notamment dans le cadre du programme Territoires d'industrie ? Il serait intéressant d'avoir une vision des besoins réels annuels pour atteindre les objectifs. En effet, en France, nous avons l'art de fixer des objectifs, mais encore faut-il prévoir les moyens de les atteindre. Or les coups de rabots portés sur le Fonds vert, encore récemment, sont source d'interrogations. À l'échelle locale, cela se traduit par l'accumulation d'une pile de dossiers de demande du Fonds vert dont l'instruction est reportée d'une année sur l'autre. Au bout de deux ou trois ans, les élus finissent par renoncer et ne vont pas jusqu'au bout du projet. J'ai pu constater cela dans un certain nombre de communes de mon département de la Somme. Cela montre le découragement dans lequel les élus peuvent tomber et le manque d'engagement qui se fait ressentir dans nos territoires.
J'ai l'impression qu'en introduisant le fonds friches dans le fonds vert, on a fini par désorienter tout le monde. Dans mon département, nous avons la chance d'avoir l'établissement public foncier (EPF) pour rétablir un peu de cohérence, mais cela ne fait que deux ans. Le choix de faire un gros Fonds vert - d'ailleurs, il n'est pas si gros que cela - nuit à la lisibilité d'ensemble.
Le ZAN suscite beaucoup d'interrogations au sein des collectivités locales. Comment financer le bon projet au bon endroit ?
Les friches, nous sommes capables de les identifier et d'estimer les besoins pour les transformer en sites clés en main.
M. François Thomazeau. - Sur la transition écologique, les besoins - je parle en termes monétaires - sont de mieux en mieux documentés, grâce, notamment, à la publication en 2023 du rapport coordonné par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, qui a vraiment lancé une réflexion générale.
Un certain nombre d'éléments apparaissent clairement. Une grande partie des investissements sont le fait d'acteurs privés : aujourd'hui, les énergies renouvelables (EnR) ont leur rentabilité. Bien entendu, il y a aussi des investissements publics : rénovation thermique des bâtiments publics et des écoles, aménagement des pistes cyclables, etc. Et il y a un entre-deux, sur lequel différents leviers de politique publique, plus ou moins coûteux, sont actionnables.
Pour atteindre les 400 000 rénovations thermiques par an de logements des ménages les plus précaires, dont on attend de considérables réductions d'émissions, l'État a mis en place des instruments comme MaPrimeRénov'. Les collectivités prennent également des mesures, sans qu'il y ait de clarification du rôle et de la part attendus de chacun. Souhaite-t-on que les collectivités continuent de monter en puissance en la matière ? Est-ce à l'État d'agir via l'impôt ? Il faut que nous puissions avoir ce débat.
J'en viens à votre question sur le Fonds vert. Nous entrons dans une période clé. Tous les exécutifs municipaux et intercommunaux vont être renouvelés. Nombre de collectivités vont donc établir leur programmation, potentiellement jusqu'à 2035, entre mars 2026 et septembre 2026. Or, si rien ne change, quel maire pourra en 2026 tabler sur le montant de Fonds vert qu'il percevra en 2027, en 2028, en 2029, en 2030 et construire une stratégie d'investissements sur cette base ? Vous l'avez souligné, les montants comme les objets évoluent en permanence. On ne peut donc pas les intégrer dans les anticipations, ce qui ne va pas dans le sens de la mise en place de PPI ambitieux.
M. Luc-Alain Vervisch. - Nous touchons là du doigt, me semble-t-il, une contradiction entre deux légitimités différentes.
D'un côté, l'État a une légitimité à affirmer des priorités nationales, à les faire vivre et partager, ainsi qu'à les financer partiellement. Cela a donné lieu, avant même la mise en place du Fonds vert, au développement de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), qui était fondée sur l'identification de priorités nationales. Dans les départements et les régions, des dispositifs d'aide un peu ouverts se sont progressivement transformés en dispositifs s'intégrant dans des priorités nationales.
De l'autre, il y a une légitimité de l'échelon local, à commencer par le bloc communal, à définir lui-même ses priorités, notamment en fonction des attentes de sa population, et à en déterminer les modalités de mise en oeuvre.
Le sentiment que l'autofinancement des collectivités représente un risque est, je le crois, assez répandu. Mais j'ai tendance à penser que nous pourrions laisser ces considérations derrière nous si nous admettions que la transition écologique est une préoccupation globalement partagée, y compris, me semble-t-il, par l'électorat, comme nous le verrons probablement l'année prochaine.
Dans ces conditions, redonner de la marge de manoeuvre en autofinancement, ce serait effectivement accélérer le processus. Transformer les quelque 3 milliards d'euros de dotations d'investissement plus ou moins ciblés aujourd'hui en 3 milliards d'euros de DGF clairement identifiés redonnerait sans doute de la visibilité, de la capacité prospective et, finalement, une forme d'enthousiasme pour investir.
M. Rémi Cardon. - En off, des préfets et des sous-préfets incitent les maires à déposer des dossiers de Fonds vert, de DSIL et de dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), en disant que l'on pourra toujours se débrouiller ensuite. Il y a donc une grande fongibilité entre ces différents instruments.
M. Luc-Alain Vervisch. - Ils le disent seulement en off...
M. Rémi Cardon. - Certes. Mais comment fixer des priorités dans de telles conditions ?
M. François Thomazeau. - J'ajoute à ce qui vient d'être indiqué par Luc-Alain Vervisch que l'État va disposer des résultats de l'annexe verte. Vous savez que, depuis cette année, les collectivités de plus de 3 500 habitants doivent remplir une annexe sur leurs investissements verts dans leurs comptes administratifs. Dans l'hypothèse où l'État ferait le choix de la confiance en donnant de la DGF aux collectivités et en misant sur le fait qu'elles continueront à accélérer le rythme de leurs investissements en matière de transition écologique, il pourrait vérifier si cette confiance est placée à bon escient, non pas à partir des travaux d'un obscur think tank comme le nôtre, mais en regardant directement dans leurs comptes. Et il sera possible de suivre d'année en année l'évolution de ces investissements.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur le fonds territorial climat, qui vient enfin d'être mis en place, après des années de rude combat du Sénat ?
M. François Thomazeau. - Je jugeais très positivement le fait qu'un tel débat ait lieu, mais, pour être tout à fait honnête, ayant lu la circulaire, je n'ai pas bien compris comment le fonds serait géré... Je répondrai donc plus sur le principe que sur la réalité du dispositif.
La philosophie générale, qui consiste à avoir une dotation versée sur une base prévisible - c'est-à-dire en euros par habitant pour certaines collectivités dotées d'un plan climat - va dans le sens de ce que nous préconisons.
D'abord, un tel fonds peut servir l'autofinancement voire même financer des moyens de fonctionnement indispensables au développement d'une ingénierie nécessaire pour concevoir des projets et déposer des dossiers pour obtenir des financements.
Ensuite, il s'agit d'un financement prévisible. Un maire peut anticiper le nombre d'habitants de sa commune dans les années à venir et, par conséquent, savoir combien il touchera de fonds territorial climat en 2026, 2027, 2028, etc.
Ce sont deux éléments très positifs.
Cela étant, l'important est de trouver l'articulation avec les contreparties. En effet, sans contreparties, cela revient à de la DGF ; dans ce cas, autant basculer tout de suite dans la DGF. Un fonds territorial climat implique des contreparties.
Je pense qu'il y a une opportunité à saisir dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler la « territorialisation de la planification écologique ». Comment organiser territorialement un dialogue sur les objectifs de la SNBC avec les communes et les intercommunalités pour utiliser le fonds territorial climat non fléché ?
Il me paraît légitime que l'État demande des comptes sur la déclinaison des objectifs de transition écologique à l'ensemble des collectivités. Beaucoup de nos 35 000 communes sont très engagées en la matière, parfois même depuis plus longtemps que l'État. Mais il y en a aussi qui renâclent.
Il y a un dialogue territorial à organiser, et le fonds territorial climat pourrait être un moyen de le mettre en place.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Il faut qu'elles aient un plan climat.
M. François Thomazeau. - Oui. Mais un dialogue sur le contenu de ce plan climat serait alors légitime.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - S'il faut effectivement de la prévisibilité sur les financements, il faut également de l'acceptation sociale. À vos yeux, quel est l'outil le plus pertinent pour financer la transition écologique ? Le rétablissement d'une fiscalité locale qui a été progressivement supprimée ? Un fonds sur le modèle du Fonds vert, mais en plus prévisible et pluriannuel ? Ou les deux ?
M. Luc-Alain Vervisch. - Je pense que la visibilité des engagements de l'État est quelque chose d'absolument nécessaire. Je sais qu'il y a eu, notamment depuis 2024, une crise sur les capacités de modélisation d'un certain nombre de recettes, mais beaucoup d'autres pays européens ont connu exactement les mêmes difficultés en termes de prévisibilité des recettes de TVA.
Cela étant, si la transition écologique est réellement l'une des priorités nationales, elle doit à l'évidence bénéficier d'une forme de sanctuarisation des enveloppes à moyen terme. À titre personnel, j'estime que, pour des raisons liées à la psychologie de la conviction du citoyen, nous ne pourrons pas échapper longtemps au retour à une forme de fiscalité locale. Voilà plus d'un an, lors d'un colloque organisé par la Revue française de finances publiques, un universitaire belge notait que le seul à ne pas savoir combien telle ou telle politique allait coûter était l'habitant. Or, à un moment donné, il va bien falloir dire que le fait de mieux vivre ou, en tout cas, de ne pas moins bien vivre demain a nécessairement un coût.
Certes, celui-ci peut être pour partie compensé par des économies sur d'autres types de services ou d'équipements publics. Mais je pense que la réponse réside avant tout dans une forme - je n'entre pas dans les modalités techniques - de fiscalité citoyenne locale.
M. François Thomazeau. - Je serai plus fataliste. Compte tenu de la tendance à l'amoindrissement du pouvoir fiscal local observée ces dernières années, j'ai du mal à imaginer les circonstances politiques qui pourraient créer les conditions favorables à ce que Luc-Alain Vervisch appelle de ses voeux.
Je crois davantage - vous avez vous-même évoqué cette idée - à une loi de programmation sur les finances locales, qui aurait l'avantage d'apporter de la prévisibilité, idéalement avec une indexation sur les cycles municipaux. Cela permettrait d'avoir une visibilité sur les principales dotations, avec un ciblage bien précis.
On dit souvent que la transition écologique doit être juste. Or si son financement devait reposer sur la fiscalité locale, et notamment sur la taxe foncière, qui, comme l'a démontré l'Insee, pèse proportionnellement plus sur les ménages avec les plus bas revenus et les plus bas patrimoines, cela soulèverait des problèmes d'équité. Une refonte de la fiscalité locale doit nécessairement s'effectuer sur des bases progressives, surtout en cas d'indexation sur les investissements consacrés à la transition écologique. Des expériences passées l'ont démontré : un impôt dont on n'est pas capable de démontrer la progressivité, quand bien même serait-il destiné à financer la transition écologique, peut très vite être rejeté.
M. Bernard Pillefer, président. - Nous vous remercions de vos réponses.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette, vice-président de l'Autorité des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), et Mme Gwenola Stephan, responsable de la mission transition écologique de l'AMF
M. Bernard Pillefer, président. - Nous recevons à présent Jean-François Vigier, vice-président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et maire de Bures-sur-Yvette, ainsi que Gwenola Stephan, responsable de la mission transition écologique de l'AMF.
La présente commission d'enquête doit nous permettre de faire le point sur le principe de libre administration des collectivités territoriales et le financement de la transition écologique et des services publics de proximité.
Avant de vous céder la parole pour un propos introductif, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite maintenant à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Vigier puis Mme Gwenola Stephan prêtent serment.
- Présidence de M. Olivier Henno, président -
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je l'ai rappelé lors de la réunion précédente, le Sénat est attaché aux collectivités territoriales - dont les communes, évidemment - dans leur rôle d'animation de la démocratie locale et la conduite de l'action publique. Il se trouve que, depuis plusieurs années, elles ont été progressivement privées de leurs ressources propres.
La séquence budgétaire que nous avons vécue entre la fin de l'année 2024 et le début de l'année 2025 a été assez baroque, parfois lunaire, notamment sur la question des finances publiques locales.
La privation de ressources propres remet en cause le principe de libre administration des collectivités territoriales, alors que ces dernières doivent soutenir leurs services publics et faire face à un mur d'investissements en matière de transition écologique.
Notre objectif est de faire la lumière sur la façon dont tous ces éléments s'articulent et de savoir comment les collectivités font face à ces perturbations budgétaires.
Ainsi, nous aimerions connaître votre perception de l'évolution des finances locales. Surtout, que pensez-vous du mur d'investissements auquel font face les collectivités ? Je suis certain que vous pourrez nous apporter des réponses sur ce sujet, Monsieur Vigier, dans la mesure où vous l'avez évoqué lors du congrès de l'Association des maires du Rhône et de la métropole de Lyon (AMF 69), lundi dernier.
M. Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette et vice-président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). - Je suis très heureux de m'exprimer devant vous et de représenter le bureau et le président de l'AMF, David Lisnard. La question qui se pose aujourd'hui est celle de la prise en compte de l'urgence climatique et de sa déclinaison dans les territoires pour y faire face.
Les collectivités locales, en particulier les communes, subissent des difficultés de plus en plus importantes pour financer les services publics du quotidien et leurs investissements. C'est un mouvement de fond que nous éprouvons depuis de nombreuses années et qui nous conduit déjà à fixer des plans pluriannuels d'investissement. Il nous est devenu très difficile d'avoir une visibilité sur cinq ou six ans, soit la durée du mandat local.
Dès lors que nos capacités de financement ne sont plus adossées aux ressources fiscales, nous sommes soumis au « robinet » des dotations, comme le dit souvent le président de l'AMF. Ce robinet peut se fermer ou s'ouvrir, mais on voit bien qu'il se ferme le plus souvent possible.
La loi de finances pour 2025 vient d'être promulguée. Ainsi, les communes attendent encore les décrets d'application et certaines d'entre elles, notamment en Savoie et dans le Rhône, n'ont pas encore voté leur budget. En principe, les communes ont jusqu'au 15 avril prochain pour ce faire. Une telle situation les place dans une incertitude assez préoccupante.
La première version du projet de loi de finances présentée par le gouvernement de Michel Barnier pénalisait déjà fortement les collectivités. La seconde version les pénalise encore plus et aura des effets inverses à ceux qui étaient attendus par le ministère de l'Économie et des finances, en raison du mécanisme de baisses de recettes ou de ponctions supplémentaires.
Le Fonds de réserve pour les communes et le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ont été réduits respectivement de 1 milliard et 1,2 milliard d'euros depuis l'exercice budgétaire précédent.
Dans ces conditions, il est certain que les communes investiront moins et s'endetteront davantage. Ainsi, elles contribueront encore davantage à l'endettement public, qui est colossal. La dette publique totale atteint 3 220 milliards d'euros, et celle des collectivités locales ne représentent que 208 milliards d'euros ; je ne voulais surtout pas manquer l'occasion de rappeler cet écart important devant votre commission d'enquête.
Les premiers effets du Dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) sont déjà visibles : moins d'investissement, davantage d'endettement. L'investissement a déjà baissé depuis de nombreuses années au sein du bloc communal. En effet, les baisses successives du niveau des différentes dotations, année après année, sont pénalisantes. En contrepartie, les ressources fiscales sont supprimées, ce qui vient peser sur les capacités des collectivités à développer les services publics et à investir pour l'avenir. Cela pose donc la question du financement de la transition écologique.
Depuis de très nombreuses années, toutes les communes de France manifestent la volonté de prendre en compte les conséquences liées au réchauffement climatique. On se souvient tous de l'Agenda 21, qui proposait de mettre en avant l'environnement dans nos villes.
Les communes sont en principe tenues d'appliquer la trajectoire nationale, qui se décline en trois sous-stratégies : la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), le Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) et le Plan énergie-climat.
Nous ne pouvons que regretter la verticalité très importante dans la prise de décision et l'élaboration de ces stratégies. Le Pnacc, qui a été défini par l'État, au niveau du ministère de la Transition écologique, en est l'illustration la plus récente. Lors de sa mise en consultation, au mois de décembre 2024, l'AMF a émis un avis très réservé. Bien que nous partagions les objectifs du Pnacc, nous déplorons l'absence de concertation dont celui-ci a fait l'objet. Cela constitue un problème, car l'État renvoie aux collectivités le soin d'appliquer et de financer une succession de mesures, sans étude d'impact.
En matière d'atténuation du dérèglement climatique, nous devons procéder à la rénovation énergétique des bâtiments publics : les écoles, les gymnases, les ensembles culturels, les mairies et, plus généralement, tous les lieux d'accueil du public au quotidien. Il s'agit également de renouveler l'éclairage public et de travailler sur les mobilités douces et les plans de transport.
D'après le rapport conjoint de l'Institut d'économie pour le climat (I4CE) et de La Banque postale, publié en novembre 2024, les collectivités locales devront réaliser 19 milliards d'investissements annuels en matière d'atténuation du dérèglement climatique sur la période 2024-2030. En 2019, l'I4CE chiffrait ce montant à 12 milliards d'euros d'investissements nécessaires entre 2020 et 2030. Notez que, en 2020, les collectivités assuraient déjà cet effort à hauteur de 5 milliards d'euros et, à la fin de 2023, à hauteur de 10 milliards d'euros.
Toutefois, celles-ci marquent le pas dans leur niveau d'investissements, étant contraintes dans leurs dépenses d'investissement par deux phénomènes, à commencer par leur capacité à s'endetter. Si ma commune dépasse dix, onze ou douze ans de capacité de désendettement, les services de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) m'enjoindront immédiatement de régulariser la situation de ma commune par rapport aux trajectoires attendues de contribution au rétablissement des finances publiques nationales.
L'urgence climatique est une grande cause nationale, que tout le monde reconnaît comme légitime. Il est important d'investir pour nos enfants ; toutefois, aujourd'hui, les communes ne peuvent plus accroître le montant de leurs investissements, faute de pouvoir s'endetter au-delà d'un certain seuil.
Le deuxième phénomène, encore plus préoccupant, est la difficulté pour les communes de susciter l'adhésion des citoyens sur la base du contrat fiscal, lequel est au fondement du contrat démocratique. Les seuls habitants que je peux convaincre de consentir à des efforts face à l'urgence climatique sont ceux qui payent la taxe foncière. Or le contrat fiscal doit nous permettre de demander à tous nos concitoyens de consentir à des efforts, lorsque c'est nécessaire.
L'AMF ne suggère pas de rétablir la taxe d'habitation ; celle-ci avait sûrement des défauts, toutefois les modalités de sa suppression n'ont pas été satisfaisantes. Elle ne souhaite pas non plus maintenir impérativement la taxe foncière. En revanche, elle plaide pour la mise en place d'un impôt de résidence, car tout le monde doit participer à l'effort collectif pour atteindre les objectifs de la transition dans un délai contraint.
Les dépenses nécessaires à cette évolution, pour lesquelles plaident l'I4CE, le Shift Project et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), pourraient s'étaler sur vingt ou vingt-cinq ans.
Le Pnacc comprend la lutte contre les effets du réchauffement climatique dans nos territoires. Ma circonscription a connu d'importantes inondations au mois d'octobre 2024. On ne peut pas demander à nos concitoyens de refaire leur rez-de-chaussée tous les huit ans et leur dire que leur maison est inassurable et n'a plus de valeur marchande. Encore une fois, nous devons réaliser des travaux colossaux, mais comment peut-on les financer, et selon quelle cadence ?
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vos propos vont dans le sens des travaux qui sont conduits par notre commission d'enquête depuis le début. Vous déplorez non pas l'absence de tout dialogue, mais un manque de concertation entre les collectivités territoriales et l'État. Pensez-vous qu'il serait possible d'améliorer les choses de ce point de vue et de planifier les financements nécessaires à chaque fois qu'une stratégie nationale est mise en place ?
Au cours de l'audition précédente, notre collègue Jean-Baptiste Blanc a évoqué l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN). Celui-ci fait partie de tous les dispositifs qui proviennent « d'en haut » pour s'imposer aux collectivités et manquent de matérialité sur le plan du financement.
Nous avons évoqué la création d'une programmation pluriannuelle des finances locales en matière d'investissements. Celle-ci pourrait faire partie des pistes pour améliorer le dialogue entre les collectivités territoriales et l'État et rendre concrètes la mise en oeuvre de stratégies de transition à l'échelle locale.
M. Jean-François Vigier. - Dès lors qu'il y a un dialogue entre l'État et les collectivités, une écoute mutuelle et de l'horizontalité dans les décisions, on peut avancer. Nous approuvons tous la mise en place d'une stratégie nationale en matière de transition et il n'est pas choquant que ce soit l'État qui la définisse. En revanche, sa mise en oeuvre dans les territoires doit se faire de manière concertée, d'autant que ce sont les collectivités qui en ont la charge matérielle et financière.
Ainsi, il faut que le binôme entre l'État les collectivités fonctionne. À cet égard, les coopérations régionales prévues par le Secrétariat général à la Transition écologique en déclinaison de la SNBC sont loin d'avoir été une réussite, notamment en Île-de-France. L'État a donné des chiffres déjà connus, sans tracer des pistes de travail collaboratives.
J'en viens au ZAN. Il se trouve que ce dispositif soulève des difficultés, que j'ai encore évoquées récemment devant l'assemblée départementale du Rhône ainsi qu'en Savoie. Notez que ce département doit en plus se conformer à la loi relative au développement et à la protection de la montagne, dite loi Montagne.
Tout le monde partage l'objectif ZAN, toutefois sa mise en oeuvre constitue un repoussoir pour les maires. Depuis que j'ai été nommé vice-président de l'AMF, je suis chargé de représenter l'association devant les assemblées départementales. J'y ai entendu des choses très préoccupantes sur le ZAN. Les maires déplorent notamment un manque de transparence, car ce n'est pas le bloc local qui a appliqué la loi, et ils expriment un profond sentiment d'inégalité. En effet, d'un territoire à l'autre, cet objectif fait des gagnants et des perdants.
Ayant pris connaissance de ces informations, l'AMF, au printemps 2024, a mis en place un bureau spécial. En juillet 2024, celui-ci a demandé l'arrêt de la mise en oeuvre de la loi, afin de pouvoir travailler à son reformatage dans les territoires. Le bloc communal doit être pleinement associé à cette démarche. La proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, déposée par les sénateurs Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier, va dans ce sens.
J'insiste sur ce point : il faut que l'État soit un partenaire des collectivités territoriales : communes, syndicats, intercommunalités. Cela doit être le cas en matière d'adaptation aux conséquences du déréglément climatique, avec le Pnacc, mais aussi en matière d'atténuation de ses causes. Ayant beaucoup d'investissements à réaliser et de travaux à entreprendre, nous devons pouvoir convaincre nos concitoyens, d'autant que les projets à mener entraînent une rupture dans leurs habitudes de vie.
Mme Gwenola Stephan, responsable de la mission transition écologique de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité. - Une grande quantité de normes et de stratégies s'abattent sur les territoires, même si celles-ci sont approuvées sur le principe. Les collectivités sont tenues de les mettre en oeuvre sans disposer d'estimation du coût que cela représente.
Il est donc indispensable de réaliser des études d'impact financier, notamment en ce qui concerne le Pnacc.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Est-ce l'élément qui a motivé l'avis réservé de l'AMF ?
Mme Gwenola Stephan. - Cela a joué en partie, mais nous déplorons également un manque de hiérarchisation des mesures. En effet, chaque mesure est décidée par l'État à destination des territoires tout en étant dissociée des autres.
Ces mesures sont évidemment toutes importantes. Pour autant, quand il s'agit de les mettre en oeuvre, plus personne n'est capable de à quels arbitrages nous pouvons encore procéder. Cela déclenche un sentiment d'impuissance et fragilise la capacité à agir des collectivités. Nous avons l'impression, au fond, que les contraintes locales des élus ne sont pas prises en compte.
M. Jean-François Vigier. - Le Pnacc repose sur toute une série de mesures dont la mise en oeuvre a été renvoyée aux collectivités sans étude d'impact et hiérarchisation. Il n'est pas possible qu'elles puissent assurer leurs missions de façon satisfaisante dans ces conditions.
M. Olivier Henno président. - Quel regard portez-vous sur l'évolution de la Dotation globale de fonctionnement (DGF) ? Par ailleurs, comment, en matière de transition écologique, s'opère l'articulation entre les intercommunalités, les communautés de communes, les communautés d'agglomération et les métropoles ?
C'est sans doute un peu caricatural, mais nous avons l'impression, au cours de nos auditions, que les intercommunalités n'existent pas. Or elles ont été créées pour mutualiser un certain nombre de grands investissements et pourraient ainsi jouer un rôle en matière de transition écologique.
La loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement de la coopération communale, dite loi Chevènement, visait bien à accroître la solidarité à l'intérieur d'un même territoire. D'où ma question sur l'articulation des entités locales.
M. Jean-François Vigier. - Sur ce point, je vous livrerai ma vision personnelle, qui n'engage pas l'AMF : je pense que le fait communal n'a jamais été aussi fort et que les communes restent en première ligne vis-à-vis des citoyens. Il ne se passe pas une journée sans que je me félicite d'avoir récupéré ma compétence en matière de voirie, il y a trois ans. Cela me permet de maîtriser les leviers du temps et d'optimiser mes marges de manoeuvre sur le plan financier.
Ce matin, nous nous sommes réunis avec les maires de mon agglomération pour peaufiner notre Plan climat-air-énergie territorial (PCAET). Dans ce cadre, nous avons développé une stratégie très ambitieuse sur le territoire de Paris-Saclay. Nous y ajouterons un chapitre préalable, qui reprend ce que je vous ai indiqué lors de mon propos introductif : les collectivités pourront s'engager concrètement en faveur de la transition écologique à condition de disposer des moyens de financer tous les projets dans un délai beaucoup plus restreint et que l'État joue vraiment le jeu de la concertation. Sans ces éléments, elles ne pourront pas prendre d'engagement dans la durée.
Nous avons perdu 70 milliards d'euros de DGF en dix ans. Aujourd'hui, cette dotation n'est pas compensée, car elle n'est pas indexée sur l'inflation, malgré nos demandes répétées avec insistance. Nos dépenses de fonctionnement et la qualité de nos services publics s'en trouveront nécessairement affectées.
C'est la raison pour laquelle nous demandons une plus grande autonomie fiscale et l'indexation de la DGF sur l'inflation. Par ailleurs, nous plaidons pour plus de transparence dans l'élaboration des budgets annuels. À Bures-sur-Yvette, l'augmentation des agents municipaux a été décidée au mois de juillet, deux années de suite. Le président David Lisnard avait pourtant demandé au Gouvernement de nous prévenir avant de voter notre budget.
Mme Gwenola Stephan. - J'ajouterai quelques éléments sur les dépenses de fonctionnement. En matière de transition écologique, l'adaptation suppose de procéder à de la désimperméabilisation des revêtements de voirie et à de la végétalisation des espaces publics. Le vivant coûte cher à l'entretien. Les politiques de désimperméabilisation conduites dans les villes pour lutter contre les effets d'îlots de chaleur engendrent des coûts de fonctionnement importants : c'est la double peine pour les collectivités.
Il est probable que les politiques d'adaptation au changement climatique marquent le pas, tout simplement parce que les communes n'auront pas les moyens d'entretenir les espaces végétalisés, les bordures des routes ou les voies.
De nombreuses compétences du quotidien touchent non seulement à la transition écologique - végétalisation, entretien, propreté des espaces publics, etc. -, mais aussi à la rénovation thermique des bâtiments. Or la rénovation d'une école selon les normes d'efficacité énergétique en vigueur nécessite un engagement financier qui ne peut être seulement programmé sur une année.
Il convient de ne pas réduire les moyens des collectivités. En outre, il faut leur permettre de s'engager sur une certaine durée, afin qu'elles puissent mener à bien leurs projets.
M. Jean-François Vigier. - L'absence de visibilité pluriannuelle a complètement changé la donne. Ces dernières années, j'ai mené à bien la rénovation du bâtiment du plus important groupe scolaire sur le territoire de ma commune. Rendez-vous compte que, en l'espace de sept ans, j'ai dû passer de l'idée de démolir l'école pour la reconstruire à la rénovation énergétique de chaque bâtiment par l'extérieur, car il fallait aller plus vite.
Il y a cinq ans, les parents ne me disaient rien, alors que les enfants crevaient de chaud entre le 15 mai et le 30 septembre. Maintenant, ils me demandent d'installer des climatiseurs dans les classes.
Je comprends la nécessité d'aller vite, mais les communes ont trop d'incertitudes quant à leur capacité à financer la rénovation. Ainsi, je ne suis pas en mesure de dire au groupe scolaire suivant quand ses bâtiments pourront être rénovés.
Disons-le clairement, le Fonds vert ne constitue pas l'outil de financement de la transition écologique, d'autant que ses crédits ont été réduits en 2025. Il y a un jeu dans les départements entre les différents modèles de subvention - Fonds vert, dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) -, sans aucune stratégie de construction.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Que pensez-vous du fait de fusionner ces dotations et de les rendre accessibles via un guichet unique ?
M. Jean-François Vigier. - Cela ne changerait pas grand-chose si les dotations continuent à baisser. Commençons par arrêter de mettre en place des programmes précis pour recevoir des subventions et en finir avec la politique des appels à projets : nous avons besoin de mener nos politiques en toute liberté. Le fait pour les collectivités de s'endetter davantage est la seule façon d'avoir de la visibilité. En outre, elles doivent disposer d'une ressource fiscale digne de ce nom, afin de convaincre les citoyens de mener des actions urgentes en faveur du climat.
Mme Gwenola Stephan. - Nous appelons de nos voeux la mise en place d'un guichet unique, d'autant qu'il peut fonctionner indépendamment de la fusion des différentes sources de financement.
M. Bernard Pillefer. - C'est bien de le préciser : la notion de guichet unique ne va pas toujours de pair avec la fusion de l'ensemble des dispositifs existants. Ayant été maire pendant un certain nombre d'années, je suis très favorable à ce qu'on puisse mettre en place un guichet unique, car c'est un facilitateur pour nos collectivités territoriales. Je pense en particulier aux communes très rurales, qui sont en manque d'ingénierie, en dépit des solutions et des organismes vantés par l'État, comme l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Par ailleurs, vous recommandez de supprimer le dispositif d'appels à projets. Vous préconisez donc, si je comprends bien, de privilégier un système de crédits ouverts.
M. Jean-François Vigier. - C'est en effet ce que je recommande pour les projets des communes. Il y a aussi la question des normes. Un rapport sénatorial indique que, en l'espace de quatre ans, les normes supplémentaires imposées aux collectivités territoriales ont un coût évalué à 4 milliards d'euros. Il nous faudrait des services juridiques entiers pour tout analyser, comprendre ce qu'une norme nouvelle change par rapport à la précédente et identifier les injonctions contradictoires.
Il conviendrait que l'État parle d'une seule voix à l'échelon national et à l'échelon départemental, lorsque c'est nécessaire. Pourtant, ce n'est pas le cas ; les architectes des Bâtiments de France (ABF) en sont un exemple bien connu. Ils émettent des avis défavorables sur les travaux de rénovation énergétique par l'extérieur, alors que les collectivités font tout pour encourager les citoyens à rénover leurs pavillons ou leurs immeubles.
Lorsque nous avions alerté l'ancien ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, il y a deux ans, celui-ci nous avait indiqué que des discussions étaient engagées avec le ministère de la Culture. Or ce problème n'est toujours pas réglé aujourd'hui.
La loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dite loi Aper, oblige les communes à délibérer pour définir des stratégies en matière de politique énergétique. Ma commune a pris une délibération en ce sens et celle-ci a été soumise au contrôle de légalité. Je pensais qu'elle serait validée sans difficulté. Pourtant, l'ABF a continué à émettre des avis défavorables sur des rénovations énergétiques et des installations photovoltaïques : c'est incompréhensible !
Il faudrait que des instructions claires soient données, afin que l'État et les collectivités territoriales puissent tenir un discours commun auprès des citoyens.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Permettez-moi tout d'abord de saluer mon ami Jean-François Vigier, dont la commune est située dans mon département, l'Essonne. L'article 72 de la Constitution, qui énonce le principe de libre administration des collectivités territoriales, est remis en cause depuis bien longtemps par tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, avec le concours de la haute administration.
Les communes sont devenues des agents de l'État complètement dépendants sur le plan financier. À cet égard, vous avez rappelé tout à l'heure la chute vertigineuse de la DGF. En outre, les subventions sont fléchées : l'État indique aux communes là où il faut dépenser l'argent public qui leur est alloué.
Aujourd'hui, nos collègues Rémy Pointereau et Guylène Pantel ont remis un rapport très intéressant sur le pouvoir préfectoral de dérogation. Ils y ont formulé des propositions concrètes pour adapter les normes aux territoires.
Pensez-vous que le couple préfet-maire, qui a été mis en exergue lors de la crise sanitaire, puisse rendre la décentralisation effective et redresser la situation ?
M. Jean-François Vigier. - Cela pourrait être une solution si les préfets et les sous-préfets avaient autorité sur leurs services. Or ce n'est pas le cas. On le voit bien avec l'ABF, qui persistent à ne pas vouloir changer leurs décisions d'un iota en dépit des réunions avec les représentants de l'État à l'échelle locale.
On parle beaucoup de la nécessité de rediriger certaines dépenses. Après l'adoption de l'obligation pour les communes de plus de 3 500 habitants d'élaborer un « budget vert », nous avons dû nous battre pour éviter la critérisation imposée par le ministère de l'Économie et des finances, afin qu'elle ne conditionne pas nos subventions.
On entend souvent parler de redirection des investissements, concernant les actions que doivent mettre en oeuvre les communes. En réalité, cela existe déjà. Il faut à la fois investir dans les domaines de la rénovation énergétique des bâtiments publics, du développement des mobilités douces ou du renouvellement de l'éclairage public, tout en poursuivant des projets importants qui ne répondent pas aux critères relatifs à la transition écologique, comme l'entretien des routes. L'affaire est donc assez complexe.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Selon vous, le budget vert reste-t-il un outil pertinent ?
M. Jean-François Vigier. - Nous ne sommes encore qu'au début de l'application de cette disposition. Pour l'heure, il existe encore une marge de manoeuvre importante pour décider de ce qui est catégorisé ou non comme une dépense verte, mais l'entonnoir va se resserrer. D'année en année, les contraintes se multiplieront. Or il est nécessaire que les élus conservent un pouvoir décisionnaire sur les investissements à réaliser. Pour cela, nous devons travailler en partenariat avec les services de l'État, en particulier le ministère de l'Économie et des finances, pour définir l'évolution des critères.
Mme Gwenola Stephan. - L'appellation « budget vert » est impropre. Elle désigne en réalité une évaluation de l'impact des lignes budgétaires sur l'environnement. L'intérêt de cet outil est qu'il permet d'obtenir une estimation objective, à l'échelle nationale, des dépenses favorables ou défavorables à l'environnement, mais il ne nous renseigne aucunement sur l'atteinte des objectifs.
Notons également que le budget vert est révélateur de la part des investissements que nous ne pourrons verdir, et qui resteront pourtant nécessaires.
En outre, le budget vert est issu d'une démarche volontaire, lancée par l'I4CE et des collectivités désireuses de s'investir en ce sens. L'AMF apprécie cette dynamique interne, procédant d'une réflexion sur les dépenses et leur impact sur l'environnement. En revanche, nous craignons qu'elle ne finisse par devenir un prétexte à un nouveau tri des dotations et des subventions aux collectivités.
En effet, chaque situation locale est différente. L'annexe verte, au fond, n'est qu'une photographie de l'analyse du budget à un instant précis. Elle ne donne pas la moindre indication sur les investissements réalisés dans la période précédente. Une collectivité peut avoir un budget très peu vert sur une année, quand bien même elle a procédé à d'importants investissements les années précédentes - et inversement. Il en est de même pour le ZAN : c'est une appréciation à un moment donné, qui ne tient pas compte du passé.
Nous avions travaillé avec l'I4CE à l'élaboration de cet outil. Nous lui reconnaissons des avantages et des bénéfices, mais nous identifions également un certain nombre de risques. Nous ne souhaitons pas que l'utilisation du budget vert dépasse sa vocation initiale.
M. Bernard Pillefer. - L'excès de normes entraîne-t-il véritablement une insécurité juridique pour les maires ?
Concernant l'ABF, la protection du patrimoine reste une nécessité. Cependant, il arrive que les directives fluctuent selon les interlocuteurs chargés des dossiers, car il n'existe pas de trajectoire nationale définie.
M. Jean-François Vigier. - En effet, l'ABF dispose d'un positionnement institutionnel indépendant, car elle n'est pas soumise à l'autorité hiérarchique du directeur régional des affaires culturelles.
Cette situation n'est pas injustifiée, mais elle nous prive d'une vision nationale. Sur un même territoire, à deux ans d'intervalle, l'ABF peut livrer successivement deux appréciations différentes. Or nos concitoyens ont du mal à comprendre pourquoi on ne leur accorde pas une autorisation de construire qui a été obtenue à l'identique par leurs voisins dix ans auparavant !
L'inflation normative est dramatique. On touche au coeur de l'excès de concentration bureaucratique et de centralisme. Les chiffres sont alarmants : on compte quarante démissions de maires par mois. En Île-de-France, au cours des deux derniers mois, deux maires se sont mis en retrait en raison d'une fatigue morale, tandis qu'une maire a démissionné après avoir été attaquée parce qu'elle avait fait fermer un bureau de poste. L'excès de normes participe à ce découragement et au sentiment d'incapacité à reprendre le contrôle. Il est indispensable d'engager très rapidement un net recul de cette avalanche de règles.
En parallèle, le pouvoir réglementaire du maire doit être mis en oeuvre. Le sacro-saint principe au titre duquel la loi doit être égale sur l'ensemble du territoire a vécu ! D'une ville à l'autre, d'un département à l'autre, un maire, dans sa commune, doit pouvoir disposer d'un pouvoir réglementaire. Permettons-lui de prendre de petites lois territoriales pour administrer la commune au plus près de ses citoyens. Il faut instaurer très rapidement ce pouvoir réglementaire. D'ailleurs, cela participera à la mise en oeuvre de la transition écologique au quotidien.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Comment l'AMF envisage-t-elle le retour d'une fiscalité locale ? S'agit-il d'un positionnement philosophique général ou d'une réflexion très aboutie ?
M. Jean-François Vigier. - En tant que conseiller régional, je vous répondrais volontiers qu'il faut un impôt par strate de collectivité : région, département, commune ; chacune devrait pouvoir bénéficier d'une ressource fiscale lui permettant de développer ses politiques.
Concernant les communes, disons-le clairement : nous ne ferons pas la transition écologique en sept, huit ou neuf ans si nous ne sommes pas capables de mener à bien nos politiques publiques en emportant l'adhésion de nos concitoyens. Les dotations ne nous le permettront pas davantage que notre endettement actuel. Nous ferons la transition, mais cela prendra vingt-cinq ans. On peut accepter une telle idée, mais il y a urgence, et nous en sommes tous conscients.
Un groupe de travail créé au sein de l'AMF formulera prochainement des propositions. Il est clair que la question de l'impôt résidentiel est cruciale si l'on souhaite prendre la question de la transition à bras-le-corps et agir en liberté : au-delà même de la seule question écologique, on touche là au contrat qui lie le maire et ses concitoyens.
M. Olivier Henno, président. - Je vous remercie pour vos propos très complets.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat
La réunion est close à 18 h 20.