Mardi 25 mars 2025
- Présidence de M. Olivier Henno, président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Audition de M. Joël Ruffy, responsable du pôle juridique et institutionnel de l'Association Amorce
M. Olivier Henno, président. - Nous entamons nos travaux avec l'audition de l'association Amorce, qui accompagne les collectivités territoriales dans la transition énergétique, la gestion des déchets, l'économie circulaire et la gestion durable de l'eau, en favorisant le partage d'expériences.
Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.
Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.
Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Joël Ruffy prête serment.
Monsieur Ruffy, nous allons vous donner la parole pour une courte introduction, avant que le rapporteur et les membres de la commission d'enquête ne vous posent des questions.
Auparavant, je cède la parole à notre collègue Thomas Dossus, rapporteur, afin qu'il présente les axes de travail de notre commission d'enquête.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les collectivités territoriales - régions, départements, communes et leurs groupements - sont des piliers de la démocratie locale et les acteurs principaux de l'action publique de proximité.
Pourtant, depuis plusieurs années, elles ont été progressivement privées de leurs ressources, en particulier fiscales. Cette situation fragilise l'autonomie financière des collectivités territoriales et les place dans une situation de dépendance préoccupante vis-à-vis des votes annuels au Parlement. La part croissante de produits d'impôts nationaux dans leurs ressources propres tend, de surcroît, à rompre le lien entre les dynamiques propres à leur territoire et leur niveau de fiscalité.
À ces pertes de ressources s'ajoutent des charges croissantes qui alourdissent les budgets locaux. Les dépenses de fonctionnement ont augmenté sous l'effet de l'inflation, du vieillissement démographique, ou encore de la précarité croissante de la population. Les dépenses d'investissement connaissent une évolution comparable, les collectivités se devant de préparer leurs territoires, notamment en matière de transition écologique et d'adaptation au changement climatique. Les collectivités territoriales ont en effet vocation à être des piliers de la transition écologique et assument d'ores et déjà une part substantielle de son financement.
Faute de moyens suffisants et d'une autonomie financière réelle, les collectivités peinent à assumer pleinement ces responsabilités, alors même que le climat s'emballe, que les catastrophes se multiplient, que le mur d'investissements indispensables grandit et que la hausse des dépenses de fonctionnement réduit l'autofinancement disponible.
Face à cette situation, il est plus que jamais impératif de mener une réflexion approfondie tant sur les causes de l'érosion des ressources des collectivités territoriales que sur les conséquences de cette dépendance croissante vis-à-vis des décisions nationales et sur les moyens de s'en affranchir.
Nos intentions étant présentées, je vous laisse la parole pour une courte introduction, puis je vous poserai une série de questions.
M. Joël Ruffy, responsable du pôle juridique et institutionnel de l'Association Amorce. - Je vous remercie pour cette invitation. Notre association accompagne les collectivités territoriales depuis près de 40 ans dans les domaines de la gestion des déchets, de l'énergie et de l'eau. Notre particularité est d'accueillir tous les niveaux de collectivités, de la commune à la région, ce qui nous permet de posséder une vision globale des problématiques de financement.
Ces derniers mois ont été marqués par une grande instabilité et de nombreuses incertitudes. Les collectivités territoriales ont été durement frappées par les crises énergétiques, entraînant des dépenses de fonctionnement imprévues et importantes pour maintenir les services publics essentiels à la population. Nous assistons également à une complexification des enjeux, tels que les problématiques liées aux PFAS, aux défis engendrés par le changement et le dérèglement climatique, ou encore les difficultés pour souscrire des contrats d'assurance pour leurs équipements.
Les collectivités territoriales se trouvent confrontées à un dilemme : comment poursuivre la transition écologique tout en s'adaptant à des enjeux plus prégnants et plus urgents ? Comment concilier une planification écologique à long terme avec des urgences à court terme ? Elles sont également confrontées à des menaces répétées sur la pérennité des financements alloués à la transition écologique.
La suppression progressive de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales les place dans une situation de dépendance vis-à-vis des dotations de l'État, les réduisant parfois à un rôle de prestataire devant attendre des financements de l'État pour le recrutement d'agents et la mise en oeuvre d'une ingénierie dédiée à la transition écologique et, plus largement, de l'ensemble des services publics dont elles ont la maîtrise. Cette situation est aggravée par un budget 2025 très inquiétant, avec des réductions significatives dans des domaines cruciaux comme le Fonds vert, les budgets de l'Agence de la transition écologique (ADEME) pour l'économie circulaire, ou encore MaPrimeRénov'.
Nous constatons également une contradiction croissante entre les travaux menés au niveau du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), des Conférences des Parties régionales (COP), et ce qui est effectivement prévu dans le budget 2025. Par exemple, la Programmation pluriannuelle de l'énergie en consultation (PPE 3) prévoit une augmentation des réseaux de chaleur, mais le Fonds chaleur n'augmente pas cette année, et son budget est déjà entièrement consommé. Ainsi, tous projets envisagés à fin 2024 ne pourront être financés.
Contrairement à une idée reçue, notre association soutient que la transition écologique et énergétique n'est pas opposée à la rigueur budgétaire. Au contraire, elle est vectrice de souveraineté, d'indépendance, de développement économique et de création d'emplois non délocalisables. Elle peut également contribuer à préserver le pouvoir d'achat en éduquant à la sobriété, comme l'a démontré le plan de sobriété énergétique mis en place par le Gouvernement en octobre 2022.
Les actions entreprises en matière de sobriété ont permis d'atteindre des objectifs en mobilisant autour de cette question importante. La préservation de la santé, de la biodiversité et des générations futures aura inévitablement un coût, qu'il est préférable d'anticiper dès maintenant. Notre message clé est que si nous ne trouvons pas de nouvelles recettes liées à la transition écologique pour la financer, ce seront les ménages qui en supporteront, in fine, le coût.
Cette réalité est particulièrement visible dans les budgets locaux. La taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui prélève près de 850 millions d'euros sur les collectivités, se répercute sur les ménages à travers la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM). Cette taxe, n'étant pas affectée, ne permet pas de financer des projets d'économie circulaire, piégeant ainsi collectivités et ménages dans une boucle non vertueuse.
L'augmentation de la TEOM est significative, avec près de 15 % de hausse ces dernières années, due non seulement aux coûts de l'énergie, mais aussi à la TGAP. Le prix de l'eau, actuellement compétitif au niveau local, est également menacé. Face aux enjeux des polluants émergents et à l'insuffisance des redevances censées financer les traitements, ce sont encore une fois les ménages qui risquent de payer l'addition à travers leur facture d'eau.
Concernant l'énergie, bien que les réseaux de chaleur aient bénéficié d'un « bouclier tarifaire », celui-ci a été bien moins coûteux que pour le gaz ou l'électricité. Une accélération de la transition énergétique et de la production d'énergies renouvelables aurait pu limiter l'augmentation de la facture énergétique pour les ménages. Aujourd'hui, ces derniers se retrouvent à devoir assumer indirectement le remboursement d'un « bouclier tarifaire » coûteux pour le budget de l'État.
Nous sommes donc convaincus que ne pas faire contribuer véritablement les principaux responsables - surconsommateurs ou pollueurs - et ne pas expliquer ces principes fondamentaux du droit de l'environnement, reviendra in fine à faire payer les collectivités et, à travers elles, les ménages.
Dans ce contexte, nous avons plusieurs propositions transversales liées à la transition écologique :
Premièrement, l'adoption d'une loi de programmation des financements et de la fiscalité écologique, permettant de s'affranchir de la logique d'annualité budgétaire, difficile à anticiper pour les collectivités territoriales. Cette loi inscrirait, dans la durée, la logique de financement et clarifierait la contribution des différents acteurs, en ciblant les comportements les moins vertueux pour financer la transition.
Deuxièmement, l'utilisation des Contrats de relance et de transition écologique (CRTE) comme des vecteurs pour sortir de l'annualisation budgétaire et garantir aux collectivités territoriales des engagements réciproques sur le long terme, tant pour le financement des projets que pour l'ingénierie.
Troisièmement, l'affectation d'une partie des recettes liées à la contribution carbone aux collectivités pour financer durablement cette ingénierie et mettre en place les planifications locales et les contractualisations qu'elles se sont engagées à développer. Ainsi, le Fonds territorial climat, que nous avons défendu, doit servir à financer l'ingénierie nécessaire à la mise en oeuvre des Plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et des CRTE.
Quatrièmement, la généralisation des budgets verts, notre association salue cette démarche, mais elle estime qu'il faut aller plus loin. Nous proposons soit une comptabilisation différente, soit une garantie différente pour cette dette verte des collectivités territoriales. L'État a un rôle à jouer auprès du secteur bancaire pour permettre une prise en compte des aspects positifs dans le remboursement de cette dette sur le long terme.
Cinquièmement, la création de nouvelles recettes pour les collectivités, l'association Amorce a défendu cette proposition pendant l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Nous avons chiffré nos propositions à environ 3 milliards d'euros dans les domaines de la gestion des déchets, de l'énergie et de l'eau. Ces recettes, réaffectées à la transition écologique, permettraient de maintenir un niveau de financement suffisant pour les années 2025 et 2026.
Ces nouvelles recettes reposent sur le principe du pollueur-payeur ou du surconsommateur-payeur. En matière de déchets, nous avons proposé une « TGAP amont », une taxation sur les produits qui n'entrent dans aucune filière de recyclage ou de Responsabilité élargie du producteur (REP). Cette proposition a été votée par le Sénat. Cette recette permettrait, avec une taxe de 5 centimes par mise sur le marché, de cibler les produits les moins vertueux qui, aujourd'hui, sont les seuls à ne pas être taxés lors de leur mise en marché.
Il existe actuellement une lacune dans le système de contribution pour les déchets qui finissent directement dans la poubelle grise, non recyclables et gérés par les collectivités territoriales. Ces dernières doivent payer la TGAP pour la valorisation ou le stockage de ces déchets. Il n'est pas équitable que seuls les ménages et les collectivités territoriales financent cette gestion, alors que les producteurs devraient également être considérés comme responsables élargis. Nous avons donc proposé une nouvelle recette qui aurait pu rapporter 500 millions d'euros.
Une autre proposition concerne les éco-organismes qui ne respectent pas leurs objectifs de collecte et de recyclage fixés dans leur cahier des charges. Actuellement, lorsqu'ils n'atteignent pas ces objectifs, ce sont les collectivités territoriales qui gèrent ces déchets et paient la TGAP. Nous souhaitons que cette nouvelle taxation soit réaffectée à la partie responsable.
En matière d'énergie, nous avons défendu l'idée d'un « amortisseur socio-environnemental », un corridor de taxation pour le gaz et les énergies fossiles. Ce système permettrait d'ajuster la taxation sur la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) en fonction du prix des énergies, afin que le gaz reste toujours moins compétitif que les énergies renouvelables, la rénovation énergétique ou le raccordement à un réseau de chaleur. Avec le prix actuel du gaz, cette mesure aurait pu rapporter plus d'un milliard d'euros à l'État.
Concernant l'énergie, nous proposons également que la taxe foncière puisse inclure une part facultative votée par les collectivités, basée sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) des logements. De même, nous suggérons de travailler sur la cotisation foncière des entreprises (CFE) en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre. En définissant des seuils appropriés en concertation avec ces acteurs, ces ressources pourraient être réaffectées par les collectivités territoriales à la rénovation énergétique ou au soutien des politiques de décarbonation des entreprises locales.
Dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, les collectivités font face à un déficit d'investissement dans les infrastructures de 4,6 milliards d'euros. Les aides des agences de l'eau en faveur des mesures territoriales (restauration des milieux, biodiversité, protection de la ressource) progressent, passant de 16 % en 2013 à 29 % en 2022 mais restent insuffisantes. Les ménages sont aujourd'hui les principaux contributeurs au financement de la politique de l'eau en France. Nous proposons une réforme complète des redevances de l'eau, incluant une redevance micropolluant basée sur le principe pollueur-payeur. Cette redevance viserait les produits générant de la pollution dans le cycle de l'eau, permettant aux collectivités territoriales de financer les traitements nécessaires pour la dépollution, notamment pour les micropolluants.
Nous avons également suggéré de relever les planchers et les plafonds des taxes de prélèvement pour rééquilibrer la charge entre les collectivités territoriales fournissant l'eau potable aux ménages et les autres usagers, qui sont les principaux préleveurs d'eau en France.
Ces 3 milliards de recettes supplémentaires pourraient être affectés à un Fonds vert doté de 2 milliards d'euros, à un Fonds chaleur porté à 1,5 milliard d'euros pour faire face aux projets en attente à l'ADEME, et à un Fonds économie circulaire renforcé. Actuellement, 850 millions d'euros de TGAP sont prélevés sur les collectivités territoriales, mais seulement 170 millions d'euros sont reversés au Fonds économie circulaire, dont une moitié seulement est attribuée aux collectivités. Selon nos estimations, le Fonds économie circulaire devrait atteindre environ un milliard d'euros par an pour financer les politiques jugées indispensables dans le cadre de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC).
Les collectivités territoriales se retrouvent aujourd'hui dans une position de prestataires de l'État, devant appliquer des planifications décidées au niveau national sans avoir nécessairement eu leur mot à dire. De plus, elles ont été privées de recettes propres pour financer leurs projets. Il est important de rappeler le principe constitutionnel selon lequel chaque transfert de compétences vers les collectivités devrait s'accompagner d'un transfert de ressources. Par exemple, pour le tri à la source des biodéchets, les collectivités territoriales font face à un surcoût de 7 à 20 euros par habitant par an, alors que le Fonds économie circulaire ne finance cette année que 20 millions d'euros pour l'ensemble des collectivités.
En raison du départ du président de la commission, Corinne Féret, sénatrice du Calvados, préside l'audition.
- Présidence de Mme Corinne Féret, vice-présidente -
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je vous remercie pour votre présentation très complète qui a répondu à de nombreuses questions. Concernant le budget vert, rendu obligatoire pour les communes de plus de 3 500 habitants, pensez-vous que cet outil est approprié ou pourrait-il être dépassé ? Est-il vraiment utile aux collectivités pour justifier leurs investissements ou leurs besoins de financement ?
Par ailleurs, vous avez mentionné un chiffre de 3 milliards d'euros de recettes que pourraient apporter vos propositions fiscales aux collectivités territoriales. Quel est, selon vous, l'ordre de grandeur du mur d'investissement auquel doivent faire face les collectivités dans les années à venir, tous échelons confondus ?
Vous avez également évoqué la stratégie du secrétariat général à la transition écologique (SGPE) et le rôle dévolu aux collectivités territoriales dans cette stratégie. Pouvez-vous nous expliquer l'ampleur du mur d'investissement dédié à la transition et à l'adaptation ?
M. Joël Ruffy. - Le budget vert est un outil utile pour les collectivités territoriales, sous certaines conditions. Premièrement, il est crucial de les accompagner dans sa mise en oeuvre, plutôt que de l'imposer. Il existe plusieurs méthodologies, et les collectivités territoriales rencontrent déjà des difficultés pour boucler leurs budgets dans les délais. Il ne faut pas ajouter de complexité sans que les services de l'État, comme l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ou d'autres, soient en mesure d'aider toutes les collectivités, en particulier les plus petites communes. Les collectivités plus importantes étaient déjà concernées et l'ont mis en place. Bien que ce soit un outil intéressant, il reste complexe à justifier auprès des administrés. Il serait nécessaire d'en extraire des éléments substantiels et utiles pour les ménages. Au-delà de l'accompagnement et de l'affichage, il est essentiel de valoriser ces dépenses vertes au niveau de l'État. Cela pourrait se traduire par un financement bonifié ou par la prise en compte de ces dépenses vertes, qu'elles soient de fonctionnement ou d'investissement, dans les dotations. C'est la clé pour motiver les collectivités et rendre cet outil utile, permettant de dégager de nouvelles marges de manoeuvre au niveau local.
Concernant le mur d'investissement, il est difficile de faire une addition précise des besoins. Pour la rénovation des bâtiments publics, nous reprenons les hypothèses figurant dans le rapport Pisani-Ferry, avec un minimum de 10 milliards d'euros par an, principalement au niveau local, pour atteindre les objectifs fixés dans l'ancienne Stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Ces 10 milliards incluent-ils les bâtiments publics de l'État ?
M. Joël Ruffy. - Le patrimoine des collectivités territoriales est nettement plus important que celui de l'État. La majeure partie de cet investissement incombera donc aux collectivités. C'est d'autant plus vrai que les nouvelles directives imposent soit de rénover 3 % par an de la surface, soit de prouver des économies équivalentes. Ce mur d'investissement est d'autant plus conséquent qu'il est chiffré pour atteindre des objectifs qui ont évolué depuis l'ancienne SNBC et l'ancienne programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), avec des projections actuelles plus ambitieuses.
Dans le domaine de l'eau, le déficit d'investissement total s'élève à 13 milliards d'euros par an pour gérer les enjeux environnementaux, les dépollutions et les masses d'eau. La modernisation et la décarbonation des infrastructures d'eau et d'assainissement nécessitent 4,6 milliards d'euros, selon les associations départementales de la réponse à l'urgence (ADRU), de surcroît, 3 milliards d'euros sont nécessaires pour anticiper les coûts assurantiels liés aux sécheresses et aux inondations, selon une étude menée en partenariat avec le Cercle français de l'eau.
Concernant les réseaux de chaleur, depuis la création du Fonds chaleur, environ 50 réseaux sont créés par an. Pour atteindre l'objectif « PPE 3 bas », il faudrait passer à 160 réseaux par an. Actuellement, l'ADEME durcit ses critères d'aide pour financer un maximum de projets avec un budget réduit, ce qui ne va pas dans le sens des objectifs de la « PPE 3 ».
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Merci pour ces précisions sur les niveaux d'investissement attendus. Concernant la fiscalité, vous avez proposé plusieurs pistes, notamment des contributions ou taxes en amont basées sur le principe du pollueur-payeur. Comment anticipez-vous les « effets de bord » potentiels, notamment en termes d'acceptabilité et d'injustice que ces contributions pourraient faire peser sur le contribuable, les collectivités, l'usager final ou les entreprises ? Si j'ai bien compris, votre mécanisme d'affectation des ressources fiscales alimenterait un Fonds vert renforcé grâce à ces différentes contributions et taxes affectées. Est-ce ainsi que vous envisagez ce mécanisme ?
M. Joël Ruffy. - Effectivement, nous prenons en compte ces effets de bord. Pour la « TGAP amont », notre proposition vise à exclure tous les produits jugés de première nécessité, dont la liste pourrait être adaptée. Concernant les micropolluants, nous envisageons également d'exclure certains éléments essentiels. Notre message clé est que les entreprises ne sont pas obligées de répercuter intégralement ces nouvelles taxes sur les prix. L'expérience des éco-contributions dans le cadre de la Responsabilité élargie des producteurs (REP) montre qu'il n'y a pas eu 100 % de répercussion. À l'inverse, ne pas mettre en place ces mesures ferait peser l'intégralité du coût sur les contribuables locaux ou nationaux. En termes d'acceptabilité, la clé réside dans l'affectation des ressources. Il est crucial de montrer aux populations que leur contribution a un impact concret et vise à prévenir les comportements les moins vertueux. Avec les 3 milliards d'euros envisagés, nous pourrions maintenir le Fonds vert à son niveau actuel, doter le Fonds chaleur de 1,5 milliard d'euros au lieu de 800 millions, et renforcer le Fonds économie circulaire à près d'un milliard.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Une dernière question concernant le soutien de l'État aux dépenses d'investissement via le Fonds vert et l'ADEME : estimez-vous que ces outils sont toujours adaptés sachant que, dans un contexte budgétaire contraint, ces deux opérateurs sont tributaires des débats nationaux à chaque PLF ? Par ailleurs, quel est votre avis sur la création récente du Fonds territorial climat pour accompagner les collectivités territoriales ?
M. Joël Ruffy. - Concernant ces outils, nous adoptons une approche pragmatique en préservant l'existant, tout en reconnaissant leurs effets bénéfiques. Le Fonds chaleur, par exemple, se distingue par son efficacité avec un coût de 36 euros par tonne de carbone évitée, ce qui en fait la politique de transition énergétique la plus performante et économique, comme l'a souligné la Cour des comptes. Le Fonds économie circulaire, bien que moins doté, reste un soutien précieux. L'ADEME joue un rôle crucial dans l'instruction des projets. Le Fonds vert a répondu à un besoin urgent de financement des collectivités, notamment pour la rénovation des bâtiments publics.
Dans un contexte de rigueur budgétaire accrue, nous préconisons d'appliquer la méthode du Fonds chaleur à ces trois outils : quantifier précisément le coût par tonne de carbone évitée, par tonne de déchets non produits, et par tonne de polluants non rejetés pour chaque euro d'aide accordé. Cette approche permettrait d'identifier les investissements les plus pertinents. Par exemple, certaines subventions pour des pompes à chaleur air-air via MaPrimeRénov' pourraient s'avérer superflues, compte tenu de leur développement naturel et de leur impact environnemental limité. De même, certains projets financés par le Fonds vert, comme la végétalisation, pourraient être moins prioritaires que d'autres, moins rentables, mais plus nécessaires.
Nous recommandons d'optimiser l'utilisation des mécanismes existants en les évaluant systématiquement selon leur impact sur la réduction des déchets, les économies d'eau, ou la diminution de la pollution.
S'agissant du Fonds territorial climat, nous soutenons sa mise en oeuvre rapide, en faisant confiance aux collectivités territoriales. La circulaire actuelle présente des aspects positifs, notamment l'absence de contrôle a priori, permettant aux collectivités de gérer librement leur enveloppe. Cependant, nous plaidons pour un engagement sur le long terme, permettant aux collectivités de financer non seulement des investissements, mais aussi de l'ingénierie locale et du fonctionnement, éléments essentiels pour développer des projets matures et bien construits.
Pour que cette mesure soit réellement efficace, il faudra du temps. Le processus de taxation pour ensuite aider ceux qui ont été taxés soulève des questions. J'ai une réflexion similaire concernant le gaz, un sujet largement débattu lors de l'examen du PLF. Là encore, l'acceptabilité sociale est cruciale, car il s'agit souvent de taxer davantage ceux qui sont déjà en difficulté. Ce point est particulièrement sensible au niveau des collectivités territoriales, d'autant plus que leurs sources de revenus se sont considérablement réduites. Il est impératif de trouver de nouvelles recettes, mais cela doit s'opérer de manière équitable et acceptable socialement.
Mme Isabelle Briquet. - Je souhaite revenir sur l'aspect social des propositions en matière de fiscalité, un enjeu capital souligné dans le rapport Pisani-Ferry. L'acceptabilité sociale du recours à l'impôt pour la transition écologique est primordiale. Concernant les finances locales, vous avez proposé une modulation de la taxe foncière en fonction du diagnostic de performance énergétique (DPE) des logements. Cependant, les DPE font déjà l'objet de nombreuses critiques. Cette approche soulève des questions d'équité sociale, car elle impliquerait une taxation plus élevée pour les propriétaires de logements ayant les DPE les moins favorables.
M. Joël Ruffy. - Le principe de notre proposition est de laisser le choix aux collectivités territoriales. Actuellement, elles peuvent déjà accorder des exonérations de taxe foncière pour les travaux de rénovation. Nous souhaitons étendre cette flexibilité en leur permettant d'ajuster la taxe à la hausse ou à la baisse en fonction du DPE, toujours sur une base volontaire. Cette composante écologique de la taxe foncière viendrait compléter le critère actuel basé uniquement sur la valeur locative cadastrale.
Notre objectif est que les collectivités territoriales utilisent ces ressources supplémentaires pour accompagner les ménages les plus précaires dans leurs efforts de rénovation énergétique, les aidant ainsi à réduire leur dépendance énergétique. Cette approche nous semble plus bénéfique à long terme que de simplement maintenir des prix d'énergie artificiellement bas. Les collectivités auraient ainsi la possibilité d'exonérer certaines catégories de population pour éviter les effets négatifs. L'idée est vraiment d'utiliser ces fonds pour soutenir les ménages les plus fragiles dans leur transition énergétique.
Mme Isabelle Briquet. - Pour que cette mesure soit réellement efficace, il faudra du temps. Le processus de taxation pour ensuite aider ceux qui ont été taxés soulève des questions. J'ai une réflexion similaire concernant le gaz, un sujet largement débattu lors des discussions sur la loi de finances. Là encore, l'acceptabilité sociale est cruciale, car il s'agit souvent de taxer davantage ceux qui sont déjà en difficulté. Ce point est particulièrement sensible au niveau des collectivités territoriales, d'autant plus que leurs sources de revenus se sont considérablement réduites. Il est impératif de trouver de nouvelles recettes, mais cela doit se faire de manière équitable et acceptable socialement.
M. Joël Ruffy. - Effectivement, notre approche implique initialement une augmentation de la taxation pour certains ménages potentiellement plus vulnérables. Cependant, notre objectif est que ces nouvelles ressources fiscales permettent aux acteurs de la transition énergétique de disposer de fonds garantis. Par exemple, une fois qu'un corridor de prix sur le gaz serait adopté, une collectivité territoriale pourrait plus facilement planifier et mettre en oeuvre des programmes d'accompagnement pour les populations les plus en difficulté. L'avantage est que ces ressources seraient garanties et affectées, assurant ainsi la viabilité et la rentabilité des projets d'accompagnement.
Le Fonds territorial climat nous permettra de renforcer l'ingénierie locale pour cibler et accompagner les ménages les plus précaires vers la rénovation énergétique. Actuellement, nous dépendons trop de l'initiative des ménages ou du démarchage, parfois frauduleux. Pour atteindre les plus vulnérables, les collectivités territoriales devront les identifier, croiser les données et disposer de personnel qualifié. Avec des ressources garanties, comme celles issues des réseaux de chaleur compétitifs par rapport aux énergies fossiles, nous pourrons mobiliser cette ingénierie pour aller chercher ces ménages précaires et prévenir les effets négatifs.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Concernant l'eau, vous avez bien compris que nous considérons les agences de l'eau comme le bras armé d'une politique plus ambitieuse. En réallouant aux territoires une partie des recettes actuellement confisquées, nous pourrions mieux gérer la problématique de l'eau. Le défi réside dans le fait que les problèmes sont souvent en aval, alors que la ressource est en amont. Les territoires en amont, généralement ruraux et dispersés, sont garants de la ressource, mais manquent de moyens. Comment envisagez-vous de renforcer ces territoires ruraux pour protéger la ressource, tout en gérant les problèmes d'effluents en aval ?
M. Joël Ruffy. - Le partage de la ressource en eau est primordial pour nous. C'est pourquoi nous préconisons la généralisation du principe des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) sur tous les territoires, même sous une forme allégée ou de préfiguration. Ce cadre permettrait de traiter le partage de la ressource entre tous les usagers, potentiellement par la contractualisation, assurant ainsi la contribution de chacun aux efforts nécessaires. Cette approche vise à atteindre les objectifs du « plan eau », à faire face aux épisodes de sécheresse, à garantir la solidarité et à éviter les conflits d'usage. Nous estimons qu'une planification de cet effort de sobriété, associée à une contractualisation et un engagement sur le long terme, est essentielle. C'est ainsi que nous comptons répondre à ces enjeux au niveau local.
M. Bernard Pillefer. - Pardonnez-moi de revenir sur le point précédent, mais je souhaite que la réponse soit clarifiée. Concernant les habitations les moins bien classées énergétiquement, ai-je bien compris que vous préconisiez de les taxer en amont, pour ensuite utiliser ces fonds en vue d'accompagner les propriétaires occupants ? Or il me semble que, dans de nombreux cas, ces logements moins performants sont occupés par des personnes à faibles revenus. Cela signifierait-il que l'on commencerait par taxer des gens aux revenus modestes pour ensuite leur attribuer ces mêmes fonds pour la réhabilitation de leur habitat ?
M. Joël Ruffy. - Notre réflexion porte principalement sur la taxe foncière, qui concerne les propriétaires et non les locataires. De plus, nous envisageons cette mesure comme une faculté pour les collectivités territoriales, à mettre en oeuvre si l'habitat s'y prête et si elles jugent qu'il y a un intérêt local, dans des conditions acceptables pour la population. Cette approche volontaire permettrait une mise en place progressive, tout en permettant de concentrer les efforts d'ingénierie sur les ménages les plus précaires dans l'intervalle.
L'objectif est de cibler ceux qui ont les moyens de payer, mais qui maintiennent des situations énergétiques non conformes aux objectifs de sobriété. Bien entendu, le mécanisme devrait être affiné, et la loi pourrait prévoir des exemptions basées sur les revenus des ménages. Notre logique est de dépasser la simple taxe foncière basée sur la valeur locative cadastrale, qui n'est pas toujours à jour et peut être déconnectée de la réalité.
Nous proposons plutôt que cette sur-part de taxe, à l'instar de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), soit affectée au financement d'une politique d'accompagnement de la rénovation énergétique.
M. Bernard Pillefer. - Je reste sceptique face à cette proposition. Pour avoir été maire pendant 28 ans, je sais que la taxe foncière est liée à la propriété, mais il existe des propriétaires aux revenus modestes dont les biens ne sont pas énergétiquement performants. Même avec une mise en place progressive et des ajustements, dès lors que le dispositif se fonde sur le niveau énergétique du bâtiment, je maintiens que ce sont nos populations déjà en difficulté qui seront les premières impactées, dans l'espoir d'être aidées ultérieurement.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Merci beaucoup pour toutes ces propositions structurées et potentiellement structurantes. Nous aurons certainement un débat sur les arbitrages que la commission pourra préconiser. Je vous remercie.
Mme Corinne Féret, présidente. - Je vous remercie pour la précision de votre présentation et de vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures.
Mercredi 26 mars 2025
- Présidence de M. Olivier Henno, président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Audition de M. Daniel Cornalba, maire de l'Étang-la-Ville, membre du Bureau de l'Association des Petites Villes de France
M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de l'Association des Petites Villes de France représentée par Daniel Cornalba, maire de l'Étang-la-Ville, dans les Yvelines.
Monsieur le Maire, le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement des services publics de proximité et de la transition écologique.
Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.
Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Daniel Cornalba prête serment.
Monsieur le maire nous allons vous donner la parole pour une courte introduction, avant que le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous posent des questions.
Auparavant, je cède la parole à notre collègue Thomas Dossus, rapporteur, afin qu'il vous présente les axes de travail de notre commission d'enquête.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les collectivités territoriales - régions, départements, communes et leurs groupements - sont des piliers de la démocratie locale et les acteurs principaux de l'action publique de proximité.
Pourtant, depuis plusieurs années, elles ont été progressivement privées de leurs ressources, en particulier fiscales. Cette situation fragilise l'autonomie financière des collectivités et les place dans une situation de dépendance préoccupante vis-à-vis des votes annuels au Parlement. La part croissante de produits d'impôts nationaux dans leurs ressources propres tend, de surcroît, à rompre le lien entre les dynamiques propres à leur territoire et leur niveau de fiscalité.
À ces pertes de ressources s'ajoutent des charges croissantes qui alourdissent les budgets locaux. Les dépenses de fonctionnement ont été tirées vers le haut par l'inflation, le vieillissement démographique, ou encore la précarité croissante de la population. Les dépenses d'investissement ne sont pas en reste, les collectivités se devant de préparer leurs territoires, notamment en matière de transition écologique et d'adaptation au changement climatique. Les collectivités territoriales ont en effet vocation à être des piliers de la transition écologique et assument d'ores et déjà une part substantielle de son financement.
Faute de moyens suffisants et d'une autonomie financière réelle, les collectivités peinent à assumer pleinement ces responsabilités, alors même que le climat s'emballe, que les catastrophes se multiplient, que le mur d'investissements indispensables grandit et que la hausse des dépenses de fonctionnement réduit l'autofinancement disponible.
Face à cette situation, il est plus que jamais impératif de mener une réflexion approfondie tant sur les causes de l'érosion des ressources des collectivités que sur les conséquences de cette dépendance croissante vis-à-vis des décisions nationales et sur les moyens de s'en affranchir.
Nos intentions étant présentées, je vous cède la parole pour une courte introduction, puis je vous poserai une série de questions.
M. Daniel Cornalba, maire de l'Étang-la-Ville, membre du bureau de l'Association des Petites Villes de France. - Je vous remercie pour cette invitation. Concernant mes liens d'intérêts, je suis maire de L'Étang-la-Ville, vice-président de la communauté d'agglomération Saint-Germain Boucles de Seine, en charge notamment des questions climatiques, administrateur de l'Association Énergie Solidaire, qui traite de la rénovation thermique dans le département des Yvelines, et administrateur de la Maison de l'Europe des Yvelines.
L'Association des Petites Villes de France (APVF) représente les collectivités de 2 500 à 25 000 habitants, soit environ 39 % de la population française et quelque 26 millions d'habitants. Notre strate de communes représente 40 % de l'investissement communal, ce qui est considérable.
Concernant la situation financière des communes de notre strate, bien que les équilibres budgétaires restent tenus, nous constatons globalement une dégradation de leur situation financière. L'épargne brute a tendance à diminuer pour au moins un tiers d'entre elles, et 50 % des communes que nous avons sollicitées dans le cadre d'une enquête interne nous alertent sur une dégradation de leurs comptes.
Nous avons subi plusieurs suppressions d'impôts locaux, y compris la taxe professionnelle, ainsi que des transferts de compétences qui ne sont pas toujours compensés. Par exemple, en ce qui concerne la mise en place du Service public de la petite enfance (SPPE), lequel a désigné les communes comme les autorités organisatrices de l'accueil du jeune enfant, l'État reconnaît ne compenser que 50 % des charges transférées. S'ajoutent à cela différents prélèvements, dont le plus récent est le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (DILICO) qui a particulièrement touché les communes de notre strate, alors qu'aucune étude d'impact ne semble avoir été menée en amont. Nous avons découvert progressivement les communes frappées, avec le sentiment que la strate des petites villes est particulièrement touchée par la mise en oeuvre de ce qui nous apparaît comme une « péréquation à l'envers ». Nous avons le sentiment qu'au fur et à mesure du déroulement de l'examen de la loi de finances 2025, les plus petites villes ont été amenées à compenser la moindre contribution des plus grandes.
Je tiens à attirer votre attention sur plusieurs points importants. Tout d'abord, les maires de notre strate sont confrontés à une forme d'incertitude, notamment en matière économique et de services publics. Cette incertitude a tendance à freiner les investissements. Or, comme l'a rappelé le rapporteur, l'échelon des communes, en particulier des petites villes, est essentiel pour l'investissement local et la création d'emplois. Les retours de nos territoires font apparaître une inquiétude croissante des entreprises quant à leur capacité à se maintenir d'ici la fin de l'année. Nous savons que les carnets de commandes dépendent en grande partie des décisions d'investissement des collectivités territoriales.
Ensuite, concernant l'objectif de transition écologique, les maires sont volontaires, notamment parce que la rénovation thermique présente un intérêt en termes d'économies budgétaires. Cependant, en l'absence de capacité d'investissement suffisante, ces projets ont tendance à être repoussés.
Il est également important de souligner la crise de vocations que connaissent les maires. Alors qu'ils sont de plus en plus sollicités, particulièrement depuis la crise sanitaire, leurs marges de manoeuvre financières se dégradent et leur capacité à investir s'amoindrit. Cela conduit certains de nos collègues à s'interroger sur le sens de leur engagement. Ce constat pourrait avoir des répercussions sur les futures candidatures en 2026.
Enfin, la suppression du lien fiscal soulève des questions fondamentales sur la relation entre les citoyens et les institutions qui les représentent. Au-delà de l'aspect strictement financier et budgétaire, ces changements dans le panier de ressources des collectivités territoriales ont une influence considérable sur l'aménagement du territoire. Par exemple, la décision d'utiliser une friche disponible pour du logement ou de la laisser en l'état dans une logique de zéro artificialisation nette dépend largement de la fiscalité et du retour sur investissement escompté. Je crains que cet aspect n'ait été largement sous-estimé lors de la conception de ces réformes.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Merci pour cette excellente introduction. Étant donné que votre association représente un échelon de proximité, vous êtes en première ligne pour observer la relation entre les habitants et leurs élus. La suppression de la fiscalité locale a-t-elle eu un impact réel sur ce rapport ?
Par ailleurs, une question qui revient régulièrement lors des congrès des maires concerne les compensations versées par l'État en contrepartie de la suppression des impôts locaux. Estimez-vous que ces compensations sont à la hauteur ? La promesse de l'État est-elle tenue du point de vue des membres de votre association, ou faudrait-il retravailler régulièrement cette compensation ?
M. Daniel Cornalba. - Je voudrais souligner un paradoxe : en 2003, le principe d'autonomie financière a été inscrit dans la Constitution ; or depuis cette date, nous constatons que l'autonomie fiscale n'a cessé de se réduire. Cela nous amène à nous interroger sur la question de la libre administration des collectivités, car la conséquence est une dépendance toujours plus forte aux financements accordés par l'État.
Certes, ce fléchage peut avoir des vertus dans certains domaines, comme la transition écologique avec le Fonds vert, même si la dotation budgétaire de celui-ci a récemment beaucoup diminué. Mais nous sommes entrés dans une logique où la dépendance est telle que, sans pouvoir sur les taux d'imposition, la question du respect de la libre administration se pose véritablement.
Nous sommes, en outre, confrontés de façon croissante à une situation où le citoyen devient parfois aussi consommateur. Le lien fiscal va de pair, sur un territoire, avec une logique de responsabilité collective. On nous demande régulièrement plus de services (crèches, écoles, activités sportives, propositions culturelles, rénovation du bâti), tout en nous demandant de ne pas augmenter les impôts locaux. Ce lien fiscal, qui permettait un débat légitime et direct avec la population, s'est distendu.
Un corollaire inquiétant concerne l'émergence d'un discours par lequel certains citoyens, se prévalant de leur statut de contribuable ou de propriétaire, estiment que leur voix devrait être prépondérante. Il en résulte des enjeux éthiques importants, avec le risque de voir ressurgir une forme de suffrage censitaire.
Quant à la question de la compensation, si je devais être ironique, je prendrais l'exemple de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Si je n'ai pas connu personnellement la réforme de la DGF, qui date des années 70, l'analyse historique montre une évolution inquiétante. Initialement, cette dotation a remplacé plusieurs dispositifs existants, avec une promesse de compensation. Progressivement, nous avons assisté à une désindexation, puis à un glissement sémantique en évoquant une subvention plutôt qu'une dotation. Cette évolution lexicale a conduit à une perception erronée des collectivités territoriales comme étant « subventionnées », ouvrant la voie à des suppressions de financements. C'est pourquoi les maires sont généralement méfiants lorsqu'on leur promet des compensations. Ils s'interrogent toujours sur leur caractère intégral et pérenne. Même face à des assurances formelles, l'expérience passée a considérablement érodé la confiance. Notre vigilance est donc extrême concernant ces logiques de suppression d'impôts locaux, qui suivent souvent le schéma suivant : compensation, désindexation, subvention, et finalement suppression.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Actuellement, vos leviers sur la taxe foncière ne concernent qu'un nombre limité d'habitants. Cela soulève des questions d'égalité et de redevabilité envers une petite partie de votre population. Considérez-vous cela comme problématique ? Envisageriez-vous une nouvelle fiscalité locale ou un nouveau prélèvement sur une assiette plus large ? Avez-vous réfléchi à des pistes dans cette direction ?
M. Daniel Cornalba. - Je souhaite souligner un paradoxe frappant : malgré un large consensus politique sur l'importance de la décentralisation, notamment au Sénat, nous constatons que le législateur a progressivement réduit la capacité d'action des collectivités territoriales. C'est d'autant plus surprenant que la décentralisation est généralement bien perçue par la population.
Il faut rappeler que le principe « pas de taxation sans représentation », est fondamental pour le débat démocratique. C'est pourquoi l'APVF plaide depuis longtemps pour une reconnaissance constitutionnelle de l'autonomie fiscale des collectivités, allant au-delà de la simple autonomie financière. À défaut, nous proposons de redéfinir plus strictement la notion de « ressources propres » dans la loi organique, en la limitant aux recettes dont les collectivités peuvent fixer l'assiette ou le taux.
Les chiffres sont éloquents : en 1986, la fiscalité représentait près de 90 % des ressources des collectivités territoriales, contre seulement 39 % en 2023 pour les petites villes. Nous estimons qu'un minimum de 50 % des ressources devrait provenir d'une ressource fiscale sur laquelle les collectivités auraient un pouvoir de décision. Cela permettrait aux décideurs locaux de choisir leurs priorités en matière de politiques publiques et d'assumer, si nécessaire, l'activation du levier fiscal pour financer des investissements jugés essentiels.
Nous envisageons la création d'un nouvel impôt citoyen, qui devrait être progressif pour être acceptable. Il ne doit pas être purement symbolique, mais constituer une véritable ressource. Cet impôt devrait avoir une base large pour éviter les débats clivants entre propriétaires et locataires, tout en restant à un taux raisonnable pour ne pas apparaître confiscatoire. Il faudrait le présenter clairement comme une fiscalité dédiée au service public de proximité.
Il est important de noter que les citoyens perçoivent souvent une réduction de la qualité du service public sans avoir l'impression, à tort ou à raison, que la fiscalité diminue, ce qui peut générer de la colère. C'est pourquoi, en parallèle de cette nouvelle fiscalité, il faut maintenir un système de péréquation et de solidarité nationales. Nous insistons toutefois sur le fait que cette solidarité ne peut reposer uniquement sur une péréquation horizontale. L'État doit jouer un rôle essentiel dans la péréquation verticale pour garantir l'égalité entre les territoires. Notre vision de la décentralisation n'exclut pas le rôle de l'État, bien au contraire.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Selon vous, la péréquation horizontale actuelle ne fonctionne-t-elle pas de manière satisfaisante ?
M. Daniel Cornalba. - Les critères d'attribution des dotations sont devenus totalement incompréhensibles, même pour ceux qui les établissent. Cela pose un réel problème d'acceptabilité. Je peux illustrer cela avec l'exemple de ma commune. Au début du mandat précédent, la dotation globale de fonctionnement (DGF) s'élevait à 1,4 million d'euros par an. Aujourd'hui, nous serons heureux si nous atteignons 170 000 euros. Cette baisse drastique est frappante. Bien qu'il puisse y avoir des critères objectifs, nous en sommes arrivés à un point où nous ne pouvons plus compter sur ces recettes pour planifier notre budget. Les montants de la DGF sont communiqués si tardivement, généralement après le vote de notre budget, que nous sommes contraints d'avancer sans ces informations. Cette situation met en lumière deux problèmes majeurs : d'une part, la diminution constante des montants perçus, et d'autre part, le caractère incompréhensible de critères d'attribution qui doivent absolument être revus en profondeur.
Mme Isabelle Briquet. - Si nous devions réinstaurer un impôt local, quel serait l'impôt le plus approprié pour un maire ? Il est crucial qu'un élu local puisse le porter, car nous avons tous regretté la suppression de la taxe d'habitation. Plusieurs hypothèses sont envisageables pour remettre en place une fiscalité locale. Nous pourrions trouver une solution adossée à l'impôt sur le revenu avec un système de fléchage, ou la territorialiser. L'Association des maires de France (AMF), et notamment son vice-président, a également évoqué l'idée d'un impôt universel ou d'un minimum universel, même de faible valeur, qui concernerait tous les citoyens sans discrimination. Pensez-vous que cette proposition soit viable ? Si nous nous orientons vers l'impôt sur le revenu, nous devons être attentifs à cette partie, contrairement à la taxe d'habitation qui n'était pas payée par tous. Ma deuxième question porte sur la péréquation, car la fiscalité locale peut également être source d'inégalités entre les collectivités territoriales. Quelle forme de péréquation serait nécessaire pour accompagner cette nouvelle fiscalité ?
M. Jean-Baptiste Blanc. - Cette commission d'enquête porte sur la libre administration, le financement des services publics locaux, mais aussi sur le financement de la transition écologique par les collectivités territoriales. Dans ce contexte, nous partons peut-être de l'idée que seules les collectivités pourront mener à bien cette transition écologique. Ainsi, puisqu'il s'agit d'une nouvelle compétence, elle nécessite un nouveau financement. Je comprends que vous n'imaginez pas ce financement par l'intermédiaire des dotations, pour toutes les raisons que vous avez indiquées, mais plutôt par le recours à une fiscalité locale. Cela est d'autant plus pertinent que nous pouvons de moins en moins parler de fiscalité locale propre, de ressources propres, et encore moins de parts prépondérantes. Nous sommes tous d'accord sur ce point : l'autonomie fiscale disparaît alors même que les collectivités territoriales assument de nouvelles compétences, tandis que le niveau des dotations, connait une baisse constante, comme nous pouvons le constater avec l'évolution du Fonds vert.
Ensuite, vous envisagez un pouvoir d'assiette donné aux élus locaux et évoquez également une philosophie fiscale pour trouver un impôt destiné à financer cette transition. Vous avez posé quelques principes de progressivité, mais quelles seraient exactement les matières taxables ? Enfin, il existe une mission d'information au Sénat sur le financement du « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN), auquel nous sommes tous très attachés. Nous attendons le concours de Bercy pour nous aider à chiffrer des propositions financières et fiscales. Le ZAN recoupe des enjeux importants de la transition écologique, c'est-à-dire le foncier, l'arrêt de l'étalement urbain, la densification, la reconquête des friches, la renaturation. Concrètement, quel type d'impôt envisageriez-vous et, par là même, comment retrouver une forme d'autonomie fiscale à travers ces nouvelles compétences ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Monsieur le Maire, vous décrivez parfaitement la situation que nous connaissons ici, puisqu'avant d'être sénateurs, nous avons été pour la plupart des élus locaux. Or, je constate - et c'est une vision personnelle - que le pouvoir politique, quelles que soient les majorités en place, a poursuivi le même objectif. Cet objectif consiste à réduire les communes à de simples agents qui voient passer un argent qu'elles ne lèvent pas pour l'attribuer à des missions qu'on leur assigne. Or je rappelle que l'article 72 de la Constitution est très clair : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus [...] ». Au moment de la funeste suppression de la taxe d'habitation, le Conseil constitutionnel s'est borné à une lecture très proche du texte, mais loin de l'esprit, en se retranchant derrière cette première phrase, juste avant la virgule : « dans les conditions prévues par la loi ». À votre avis, faut-il procéder par un changement de la loi, ce qui semble peu probable, ou par une révision de la Constitution ?
M. Olivier Henno, président. - J'aimerais aborder une dernière question concernant le lien entre les citoyens et la fiscalité. En tant qu'ancien maire, je suis familier avec cette culture, mais cela ne me semble pas évident pour autant. Nous sommes dans un État décentralisé, contrairement à l'Allemagne qui est un État fédéral. En Allemagne, il n'y a pas d'autonomie fiscale des collectivités, mais plutôt une forme de contractualisation et de co-construction. Pourtant, personne ne nierait que les Länder ont beaucoup de pouvoir. Il existe certes une péréquation verticale et horizontale, mais pas d'autonomie fiscale.
Pour nous, Français, l'autonomie fiscale semble aller de soi, mais ce lien est-il vraiment si fort ? De plus, si l'on souhaite une autonomie fiscale, ne faudrait-il pas l'appliquer aux quatre niveaux de collectivités, ce qui rendrait le système très complexe ? Aujourd'hui, nous avons quatre échelons - une commission d'enquête sénatoriale travaille d'ailleurs sur le bilan de l'intercommunalité.
Comment envisagez-vous la situation ? Il est relativement simple de parler d'autonomie fiscale pour les communes, mais si on l'étend aux intercommunalités, aux départements et aux régions, cela impliquerait au moins quatre impôts différents. Faut-il une autonomie fiscale très forte pour chaque niveau ou plutôt une forme de contractualisation ? Pourriez-vous nous éclairer sur ces points ?
M. Daniel Cornalba. - Je vais répondre avec humilité, en parlant au nom des communes et particulièrement des petites villes de France que notre association représente. Je ne prétends pas défendre les régions ou les départements, qui sauront très bien le faire eux-mêmes.
Concernant l'autonomie fiscale et sa déclinaison à chaque échelon de collectivité territoriale, je pense qu'il est important de considérer la corrélation entre les ressources et les politiques attendues. Un contre-exemple, à mon avis personnel, serait les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Pendant longtemps, ils ont constitué une des principales ressources des départements, parallèlement à leurs dépenses sociales. Or, nous savons maintenant que les DMTO sont volatils, contrairement aux dépenses sociales qui ont une dimension plus structurelle. C'est un exemple de décorrélation entre la ressource affectée et la compétence transférée.
J'insiste sur le fait que le type de fiscalité, qu'il s'agisse d'une imposition locale ou d'une fraction de fiscalité nationale comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), doit être cohérent avec la nature de la compétence transférée. Si on transfère une compétence structurelle et durable, il faut réfléchir à une forme de fiscalité qui possède ces mêmes caractéristiques, plutôt que de chercher la volatilité.
Concernant la typologie de l'impôt, nous n'avons pas de réponse parfaite, mais nous échangeons entre associations d'élus. Nos principes incluent l'importance du lien avec la résidence, tant pour les personnes physiques que morales. Cela peut faire écho à l'ancienne taxe d'habitation. Nous pensons qu'une nouvelle fiscalité devrait avoir un lien avec la résidence pour justifier le paiement sur un territoire plutôt qu'un autre.
Nous envisageons une distinction entre personnes physiques et morales, avec potentiellement des montants différents. Nous préconisons une assiette large pour éviter les débats sur qui paie et qui ne paie pas. La question de la résidence présente l'avantage de toucher un large public. Pour son acceptabilité, le montant initial devrait être raisonnable. Nous considérons qu'une dimension de progressivité est un enjeu d'acceptabilité important.
Concernant le pouvoir d'assiette, il n'y a pas nécessairement de contradiction. Historiquement, les collectivités territoriales pouvaient procéder à des modulations, par exemple pour les personnes en situation de handicap ou sur la taxe foncière pour la rénovation thermique. Ces possibilités existent toujours, bien que leur mise en oeuvre puisse être complexe.
Il est vrai que les collectivités ne répondent pas toujours avec enthousiasme, mais il est intéressant de considérer ces éléments comme des outils leur permettant de décider de manière autonome si elles souhaitent adopter ces incitations. Concernant la partie exonération ou abattement, il est important de noter que le vocabulaire peut impliquer différentes choses. Pour un impôt « universel » applicable sur l'ensemble du territoire, il est difficile d'imaginer une situation où une collectivité pourrait décider seule de ne pas le percevoir, sauf si elle choisissait de ne pas lever d'impôt du tout dans ce domaine.
Dans le cadre de la transition écologique, il pourrait y avoir des cas où une collectivité déciderait de s'emparer ou non d'une politique publique spécifique. C'est dans ce contexte que la notion de pouvoir d'assiette prend tout son sens, permettant à une collectivité de fiscaliser certains aspects pour se protéger d'externalités négatives potentielles, notamment en matière de pollution.
S'agissant de la péréquation, bien que la DGF ne soit pas directement liée à ce sujet, il est pertinent de les associer. Dès 2015, nous avions proposé de diviser la DGF en deux parts : une part fixe sanctuarisée et une part variable. La part fixe serait une garantie de stabilité, tandis que la part variable prendrait en compte les éléments de péréquation en fonction de la capacité fiscale des habitants et d'autres critères objectifs.
Cette approche permettrait à chaque collectivité de recevoir une part de DGF, reconnue comme une contribution au fonctionnement des services publics, tout en ajoutant une part supplémentaire variable selon la réalité du territoire. Il est important de reconnaître que les territoires évoluent sociologiquement, ce qui justifie le caractère variable de cette ressource en fonction de ces différents critères.
Un enjeu crucial pour nous est l'indexation de la DGF. Bien que l'inflation soit actuellement moins forte, elle reste un facteur déterminant pour l'équilibre budgétaire de certaines collectivités territoriales.
Quant à la question de la loi versus la Constitution, j'ai été surpris par votre suggestion, Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, qu'il serait plus simple de modifier la Constitution que la loi.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Le Conseil constitutionnel s'appuie sur l'interprétation de la loi. Si la loi prévoit, par exemple, la suppression de la taxe d'habitation, ce qui est préjudiciable pour les communes, le Conseil constitutionnel ne s'y oppose pas, même si cela va à l'encontre de l'esprit de la Constitution et vide de son sens le principe de libre administration des collectivités territoriales.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cela s'explique par une hiérarchie des normes particulière qui s'impose avec cette partie de la phrase.
M. Daniel Cornalba. - Nous partageons cette analyse. C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité d'inscrire « l'autonomie fiscale » dans la Constitution. L'utilisation du terme « autonomie financière » permet actuellement de jouer sur le sens des mots, créant une forme d'hypocrisie. Notre proposition vise à définir clairement ce que sont les ressources propres des collectivités. Sans cette précision, le concept d'autonomie perd son sens. À défaut, il est crucial de définir précisément ce que l'on entend par ressources propres.
Concernant les modèles étrangers, notamment allemand et autrichien, l'APVF, dont je préside la Commission Europe, s'intéresse de près à ces expériences. L'exemple autrichien est particulièrement intéressant. Leur constitution prévoit une répartition en pourcentage des ressources globales du pays entre l'État fédéral, les régions et les communes. Cette répartition s'applique tant en cas de croissance que de diminution des recettes, responsabilisant ainsi tous les acteurs.
Ce système, bien que différent du nôtre puisque l'Autriche est un État fédéral, offre une visibilité et une autonomie aux collectivités tout en maintenant des mécanismes de péréquation. Il permet à chaque territoire de définir ses propres priorités politiques.
Quant à l'Allemagne, bien que souvent citée en exemple, il faut noter que leur modèle évolue rapidement, notamment en termes de contraintes d'endettement pour les collectivités. Cela montre que même des systèmes apparemment figés peuvent connaître des changements significatifs.
Pendant longtemps, il y a eu une contrainte et un poids considérables sur la capacité à s'endetter et à emprunter pour investir en Allemagne. Cela a eu un impact crucial sur l'investissement et l'état des infrastructures outre-Rhin. Je ne souhaite pas que cette situation se reproduise en France. La fragilisation progressive et l'incapacité dans laquelle sont mises les communes ou les collectivités territoriales à investir se paient tôt ou tard. Concernant la transition écologique et la neutralité carbone, il faudra y consacrer des moyens importants. Les communes sont pionnières en la matière, étant directement confrontées à ces enjeux. Au-delà de la transition écologique, l'état des routes et de nombreux équipements dépend de la capacité à investir. Il faut considérer cela comme un capital à entretenir plutôt que comme une manne. L'exemple allemand devrait nous interpeller à cet égard. Vous avez raison de nous inviter à observer ce qui se passe au-delà de nos frontières.
M. Olivier Henno, président. - S'agissant des différents échelons de collectivités territoriales quelle est votre réponse ?
M. Daniel Cornalba. - J'ai mentionné que je n'étais pas l'avocat des régions et des départements de France. Ma réponse, sans doute pas celle que vous attendiez, était que le type de fiscalité doit correspondre à la compétence transférée. Je comprends que dans vos réflexions, vous envisagez de flécher certaines compétences, c'est-à-dire que certains échelons ne devraient pas s'occuper de certains domaines. Je ne vais pas déterminer quelle fiscalité devrait correspondre à chaque échelon, mais je souligne que la fiscalité attribuée doit correspondre à la nature des compétences confiées. Par exemple, si on demande à un échelon d'avoir une compétence en développement économique et attractivité, il serait logique que la fiscalité professionnelle y soit en partie liée. Cela permettrait d'avoir une vision stratégique différente que si on n'y était pas intéressé.
Concernant les communes, j'ai donné l'exemple dans mon propos liminaire : lorsqu'elles ne sont plus intéressées à la fiscalité professionnelle, nous avons observé des choix différents sur les territoires. Si une population et des logements rapportent davantage à long terme, certaines collectivités ont réorienté leurs investissements. Est-ce pour le mieux ? Chacun en jugera. Ces changements de fiscalité ont un impact considérable, c'est pourquoi je crois qu'il faut vraiment lier les compétences à la fiscalité attribuée.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je souhaite revenir sur le Fonds vert. Il a connu des évolutions peu favorables lors du dernier budget. Hier, nous avons entendu l'association Amorce, qui a beaucoup évoqué la fiscalité environnementale, notamment le principe du pollueur-payeur, pour mettre en avant la proposition de créer une forme de fiscalité afin de financer les investissements verts. Amorce propose d'alimenter le Fonds vert avec des fiscalités dédiées à l'environnement. Que pensez-vous du Fonds vert, de la façon dont il s'est développé ? Les villes que vous représentez ont-elles pu convenablement obtenir des financements ? Envisagez-vous des évolutions de ce Fonds vert pour financer notamment le mur d'investissements dont on parle beaucoup concernant la transition ?
M. Daniel Cornalba. - Lors des Assises des petites villes, qui se sont tenues en septembre dernier, le Ministre de la Transition écologique, également chargé des territoires, avait annoncé l'augmentation du Fonds vert comme une perspective durable et pérenne. L'objectif était d'offrir une visibilité aux décideurs publics locaux, comparable à celle dont ont besoin les acteurs économiques, d'où le montant de 2,5 milliards d'euros annoncé à l'époque. La réduction de ce Fonds vert a été très mal perçue dans les territoires.
Dans un contexte plus général, les collectivités, à commencer par celles que représente notre association, sont souvent critiques envers les systèmes d'appels à projets qui tendent à exclure les petites et très petites collectivités, qui ne disposent pas de l'ingénierie suffisante pour y répondre et remplir les dossiers. Bien que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et d'autres agences existent pour les accompagner dans ces démarches, nous constatons tendanciellement un effet d'éviction au profit des collectivités de dimension plus importante, ce qui crée une forme d'inégalité territoriale regrettable.
Nous sommes plutôt critiques de cet aspect. Cependant, j'entends que si l'on opte uniquement pour une fiscalité universelle, comme évoqué précédemment, celle-ci a du sens pour maintenir un service public de proximité et la capacité d'investissement dans nos territoires. Sur la dimension de transition écologique, des systèmes incitatifs sont peut-être nécessaires, et c'est là que le Fonds vert était plus facile à utiliser. Les consignes transmises aux préfectures semblaient encourager une certaine souplesse dans l'utilisation des enveloppes, ce qui a été un accélérateur sur plusieurs aspects, notamment la mise en place de moyens d'éclairage de basse consommation (en LED) ou la rénovation thermique.
Nous avons compris que les critères du Fonds vert ont évolué. Certains aspects prioritaires ont été réduits par la suite, mais une dynamique avait été enclenchée. L'existence d'incitations et d'une forme d'aiguillage peut être pertinente. Je considère que le Fonds vert fonctionnait et constituait un bon outil. Il est toujours regrettable de vouloir supprimer des outils qui fonctionnent, contrairement à d'autres qui, du fait de leur complexité, sont sous-utilisés.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Avez-vous envisagé des pistes d'amélioration du Fonds vert ? Par ailleurs, vous offre-t-il une visibilité dont vous avez besoin, car ces investissements nécessitent des trajectoires pluriannuelles ?
M. Daniel Cornalba. - Il existe un effet de levier important dans le financement des projets. Le Fonds vert n'est pas destiné à tout financer, mais à compléter d'autres sources. Prenons l'exemple de l'Étang-la-Ville, où nous avons un projet de rénovation de l'équipement scolaire d'environ 7 millions d'euros. Ce projet répond à une augmentation de 10 % de la population et à la nécessité de créer sept classes supplémentaires. L'accueil de loisirs, devenu trop petit et énergivore car chauffé au fioul, nécessitait une intervention. Nous avons opté pour un investissement conséquent, incluant l'installation d'un chauffage par géothermie, qui générera des économies d'usage à long terme.
Ce projet a une dimension écologique évidente, mais il est avant tout un investissement éducatif rendu nécessaire par l'évolution démographique. Il illustre la difficulté de quantifier précisément la part « verte » d'un tel investissement. La géothermie est clairement écologique, mais l'utilisation de matériaux biosourcés et la création d'îlots de fraîcheur le sont tout autant. Pourtant, certains aspects de ces travaux ne pourront pas être officiellement labellisés comme « verts ».
Ces difficultés administratives ou techniques nous amènent souvent à sous-estimer la part écologique de nos investissements. Nos calculs récents montrent qu'au moins 60 % des investissements des collectivités de notre strate ont une dimension de transition écologique, et cette donnée est probablement sous-évaluée.
Concernant l'augmentation des dépenses passées, je tiens à réagir à l'idée reçue selon laquelle les collectivités territoriales ne maîtriseraient pas leurs dépenses. Il est important de rappeler quelques éléments de contexte. Tout d'abord, l'inflation, notamment énergétique, a eu un impact considérable sur nos charges à caractère général, sans que nous ne bénéficiions toujours des compensations prévues pour les entreprises ou les particuliers.
Ensuite, concernant la masse salariale, les revalorisations du point d'indice ces dernières années étaient légitimes face à l'inflation, mais elles résultent de décisions nationales. Il est donc curieux de reprocher aux collectivités l'augmentation de cette masse salariale.
Enfin, les décisions concernant la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) auront un impact financier considérable sur nos collectivités. Pour notre strate, nous estimons un surcoût de 280 millions d'euros en 2025 et 890 millions d'euros en 2027.
De plus, l'augmentation du coût de recrutement d'un fonctionnaire par rapport à des contractuels pose des questions structurelles sur les choix futurs des collectivités. Cela a des implications importantes pour la transition écologique, car chaque investissement génère des coûts de fonctionnement.
Ces réformes ont parfois des conséquences imprévues mais significatives. Pour notre strate, on évoque 1,2 milliard d'euros en 2028, ce qui est colossal. Cela soulève la question d'une fiscalité propre, permettant à chaque collectivité de décider en conscience des recettes à mobiliser en fonction de ses dépenses.
M. Olivier Henno, président. - Je vous remercie pour ces échanges très intéressants. Les prochaines auditions de notre commission d'enquête se dérouleront mardi 1er avril et mercredi 2 avril.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures.