- Mardi 4 mars 2025
- Mercredi 5 mars 2025
- Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur la communication de la Cour au Premier ministre relative à la situation financière et aux perspectives du système de retraites
- Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote - Examen des amendements au texte de la commission
- Audition de M. Jean-Jacques Marette, animateur du conclave avec les partenaires sociaux sur les retraites
Mardi 4 mars 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes - Examen du rapport pour avis
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen de l'avis de notre commission sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes.
Je précise que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, saisie au fond, nous a délégué l'examen des articles 40 et 41. Cela signifie qu'au moment d'établir le texte, elle s'en remettra à notre avis et à nos éventuels amendements pour les articles en question, sans les instruire au fond.
Ce projet de loi sera examiné en séance les 10 et 11 mars. Dans la même logique, nous nous réunirons pour examiner les amendements relatifs aux articles délégués à notre commission, s'il y en a, le 10 mars en début d'après-midi.
Je donne sans attendre la parole à notre rapporteur pour avis, Khalifé Khalifé.
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - Le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes qui nous réunit cet après-midi est, comme son intitulé le laisse pressentir, un texte large et composite.
Le projet de loi porte 44 articles touchant à divers champs de notre droit national. Tous sont présentés par le Gouvernement comme nécessaires pour mettre notre droit en conformité avec le droit de l'Union européenne ou tirer les conséquences, dans la loi, d'évolutions normatives intervenues au niveau européen.
Deux de ces articles concernent la santé : l'article 40 porte sur les conditions de reconnaissance des qualifications professionnelles des infirmiers formés en Roumanie ; l'article 41 sur l'approvisionnement en dispositifs médicaux. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable en a délégué l'examen au fond à notre commission.
Commençons, si vous le voulez bien, par l'article 40 relatif à la reconnaissance des diplômes roumains d'infirmier.
Il faut d'abord rappeler que la reconnaissance des qualifications constitue le corollaire des principes de libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union européenne et de liberté d'établissement pour les activités non salariées. Ces principes sont consacrés par les traités européens et nécessaires à l'instauration d'un marché unique.
En conséquence, une directive européenne de 2005 a instauré deux régimes de reconnaissance des qualifications professionnelles au sein de l'Union, bénéficiant aux ressortissants des États membres.
D'une part, le régime général permet l'exercice d'une profession réglementée dans l'Union aux personnes titulaires d'un diplôme décerné par l'un des États membres et autorisant, dans cet État, l'accès à cette même profession, sous réserve de mesures de compensation en cas d'écart substantiel entre la formation de l'intéressé et la formation exigée dans le pays d'accueil.
D'autre part, la directive de 2005 établit pour certaines professions un régime de reconnaissance automatique, plus favorable aux diplômés puisque n'impliquant pas de comparaison de leurs qualifications avec les exigences nationales du pays d'accueil. Ce régime est notamment applicable à sept professions, pour lesquelles la directive fixe des conditions minimales de formation : les infirmiers, les médecins, les sages-femmes, les chirurgiens-dentistes, les pharmaciens, les vétérinaires et les architectes.
Les professions de santé bénéficiant du régime de reconnaissance automatique figurent parmi les professions réglementées ayant le plus recours à cette procédure. D'après la Cour des comptes européenne, entre 2017 et 2021, plus de 25 000 infirmiers et plus de 25 000 médecins auraient bénéficié d'une reconnaissance des qualifications.
Venons-en maintenant aux conditions spécifiques de reconnaissance des diplômes infirmiers délivrés par la Roumanie.
Lors de l'intégration de cet État à l'Union européenne - je rappelle que la demande d'intégration, formulée en 1995, a été actée en 2005, pour une application en 2007 -, la formation des infirmiers ne respectait pas les exigences portées par la directive de 2005. Celle-ci prévoit, notamment, des durées minimales de formation théorique et pratique, donnant la garantie que l'étudiant dispose d'une expérience clinique adéquate et soit capable d'assurer la qualité des soins infirmiers de manière indépendante.
Toutefois, la directive européenne a prévu une exception, permettant aux titulaires de diplômes roumains obtenus avant l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne de bénéficier de la reconnaissance automatique des qualifications, lorsque ces diplômes sont accompagnés d'un certificat attestant de l'expérience professionnelle de l'intéressé. L'expérience requise a été abaissée par une directive de 2013, ramenant la durée de formation à trois ans, au lieu de cinq initialement.
Ces règles ont été transposées dans le code de la santé publique, qui confie à l'ordre des infirmiers le soin de contrôler les demandes de reconnaissance.
Une directive de 2024, enfin, a de nouveau assoupli ce régime en permettant la reconnaissance des diplômes roumains ne satisfaisant pas aux exigences européennes, lorsque ces derniers sont accompagnés d'un titre de formation sanctionnant la réalisation d'un programme spécial de mise à niveau. Ce programme, mis en place par la Roumanie entre 2014 et 2019, aurait bénéficié à plus de 3 000 diplômés.
L'article 40 qui nous est soumis vise à transposer cette dernière évolution en droit national. Je vous proposerai de le soutenir, sous réserve d'un amendement rédactionnel, dans la mesure où il est nécessaire pour mettre notre droit en conformité avec celui de l'Union européenne, et souhaitable compte tenu de la qualité reconnue du programme de remise à niveau.
Il est de l'intérêt de notre système de santé de faciliter la mobilité en France des professionnels formés au sein de l'Union européenne. Leur nombre demeure aujourd'hui modeste : 3 % seulement des infirmiers exerçant en France ont été formés à l'étranger et, selon le ministère, 684 infirmiers titulaires d'un diplôme roumain seraient inscrits au tableau de l'ordre.
Le second article qui nous est soumis vise à sécuriser l'approvisionnement en dispositifs médicaux.
Selon l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), que j'ai auditionnée, le nombre de signalements de ruptures de dispositifs médicaux et de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro a considérablement augmenté au cours des dernières années. Alors que l'ANSM recensait 104 signalements en 2022, elle en a reçu 149 en 2024.
Les tensions constatées toucheraient une grande diversité de dispositifs et seraient multifactorielles. D'après l'Agence, l'ensemble des aires thérapeutiques sont concernées. Parmi les signalements reçus, 37 % seraient dus à des difficultés d'approvisionnement et 28 % à un arrêt de commercialisation.
Il faut rappeler, à cet égard, que les règlements européens de 2017 ont profondément renouvelé le cadre juridique applicable au secteur et imposé aux exploitants d'obtenir un nouveau « marquage CE » pour chacun de leurs dispositifs, destiné à démontrer leur conformité. Notre commission a plusieurs fois relayé les craintes d'engorgement mises en avant par les entreprises et le risque que certaines d'entre elles renoncent à la commercialisation de dispositifs dans l'Union européenne compte tenu des coûts associés.
En réponse à ces difficultés, la France et l'Union européenne ont progressivement mis en place des outils de sécurisation de l'approvisionnement en dispositifs médicaux au cours des dernières années.
L'ANSM a établi, depuis 2021, une procédure de gestion anticipée des ruptures, impliquant les opérateurs dans l'évaluation et la maîtrise des risques associés.
Sur l'initiative de notre commission, le législateur a fait obligation en 2023, aux exploitants identifiant un risque, d'agir pour éviter sa réalisation et d'informer l'ANSM, sous peine de sanction financière. En l'absence de décret d'application, ces dispositions sont toutefois restées inappliquées.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 a récemment porté des dispositions visant à permettre l'identification et la prise en charge de dispositifs alternatifs en cas de rupture.
Enfin, un règlement européen de 2024 fait obligation aux fabricants anticipant une interruption ou une cessation d'approvisionnement, susceptible d'entraîner un préjudice grave pour les patients ou la santé publique, d'informer l'autorité nationale compétente, ainsi que les opérateurs économiques, les établissements et les professionnels de santé auxquels ils fournissent directement le dispositif concerné.
L'article 41 tire les conséquences de ce règlement en droit national en soumettant à des sanctions financières les fabricants qui ne respecteraient pas leurs obligations déclaratives. Il permet en outre à l'ANSM de prendre, dans de telles circonstances, des mesures de police sanitaire nécessaires et proportionnées afin d'assurer la continuité des prises en charge.
L'Agence devrait publier sur son site internet les informations relatives à l'interruption ou à la cessation d'approvisionnement. Elle pourrait également émettre des recommandations à destination des professionnels et des patients, et soumettre à des conditions particulières, restreindre ou suspendre l'exploitation, l'exportation, la distribution, le conditionnement, la mise sur le marché, la détention, la publicité, la mise en service, la prescription, la délivrance ou l'utilisation d'un dispositif.
Cet article, nécessaire pour assurer l'application du règlement européen de 2024, permettrait donc également de confier à l'ANSM des outils de lutte contre les pénuries de dispositifs médicaux proches de ceux dont elle dispose dans le secteur des médicaments. Cette évolution correspond à une proposition ancienne de notre commission. C'est pourquoi je vous proposerai de soutenir l'article, sous réserve de deux amendements rédactionnels et de coordination juridique.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les deux articles qui nous sont soumis, de portée inégale, me semblent faire oeuvre utile pour notre système de santé. Toutes les organisations que j'ai auditionnées ont confirmé leur pertinence. Dans ces conditions, je vous proposerai de les adopter sans modification de fond.
Il me revient enfin de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Pour les dispositions relevant du champ de compétence de notre commission, je considère que ce périmètre comprend les dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne relatives à la reconnaissance des qualifications professionnelles au sein de l'Union et à l'approvisionnement en dispositifs médicaux.
Mme Émilienne Poumirol. - Je ferai deux remarques très brèves sur ce texte large et fourre-tout, dont on ne comprend pas très bien le fonctionnement.
Tout d'abord, il apporte une belle reconnaissance pour les infirmiers, et c'est, me semble-t-il, une marque d'humilité bienvenue que d'admettre que nous ne sommes pas les seuls à savoir en former. Mais je regrette que ce même principe ne s'applique pas aux médecins, qu'ils soient formés en Roumanie, en Belgique ou ailleurs. Nous avons pu constater, lors d'une visite en Roumanie, que les étudiants en médecine avaient toutes les difficultés du monde à venir exercer en France ; même à la fin de leurs études, il est plus simple pour eux d'aller faire l'internat en Suisse ou en Allemagne que dans notre pays. Je regrette que ce sujet n'ait pas été évoqué.
Par ailleurs, l'ANSM a de plus en plus de dossiers à suivre, de plus en plus de sanctions à prendre. Les moyens évoluent-ils en conséquence ? Comment l'Agence pourra-t-elle remplir toutes ses missions sans cela ?
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - Nous sommes d'accord sur le constat, ma chère collègue, mais la question des médecins formés en Roumanie n'entre pas dans le cadre de ce texte. On connaît les difficultés qu'ils rencontrent, notamment pour ce qui concerne la psychiatrie. Je pense que nous reviendrons sur ce sujet important, lorsque nous entamerons la deuxième phase de notre « marathon » sur les études médicales, qui concernera la suite des études. Ajoutons qu'il existe déjà des dispositions pour les médecins roumains et que certains points ayant trait à la qualité des formations méritent d'être revus, non pas tant sur le plan de la théorie que sur celui de la pratique. J'en veux pour preuve que certains étudiants essaient de quitter la Roumanie pour s'inscrire en quatrième année en France. Le système n'est donc pas tout à fait satisfaisant.
Si vous me permettez, monsieur le président, je profite de cette réponse pour évoquer un rapport du ministère de l'agriculture sur la formation des vétérinaires, faisant remonter des cas de figure similaires : les restrictions en Belgique conduisent de nombreux étudiants à partir pour la Roumanie, l'Espagne ou ailleurs. Seuls 7 % ont réellement choisi de partir à l'étranger ; les autres n'ont pas eu le choix. C'est donc tout le système qui mérite d'être revu, et c'est notre rôle d'alerter le Gouvernement sur la situation.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 40 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-88 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 40 ainsi modifié.
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-89 est un amendement de coordination juridique visant à insérer les dispositions relatives aux prérogatives de police administrative spéciale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé dans le nouveau chapitre du code de la santé publique relatif à la lutte contre les ruptures d'approvisionnement en dispositifs médicaux. Je profite de sa présentation pour répondre à la question relative à une éventuelle surcharge de l'ANSM. Lors des auditions, nous n'avons pas senti de malaise de la part de ses représentants sur les évolutions envisagées. Nous pourrons en savoir plus à l'occasion du prochain conseil d'administration, au sein duquel nous sommes plusieurs sénateurs à siéger.
L'amendement COM-89 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-90 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 41 ainsi modifié.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous en venons à l'amendement COM-16 de Mme Imbert, qui concerne l'inscription à l'ordre des pharmaciens exerçant la fonction de personne qualifiée responsable dans des entreprises de médicaments vétérinaires et, à ce titre, nous semble sortir du périmètre du texte.
Mme Florence Lassarade. - Tous les vétérinaires font de la parapharmacie...
Mme Émilienne Poumirol. - Cet amendement a déjà eu une histoire à l'Assemblée nationale...
M. Philippe Mouiller, président. - Tout à fait. Il a été adopté en commission et supprimé en séance publique. Pour ce qui nous concerne, il nous apparaît irrecevable au regard du périmètre du texte que nous examinons.
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - Il y a néanmoins un sujet, suscitant un malaise important. C'est une question qu'il faudra examiner.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de déclarer l'amendement COM-16 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous transmettrons l'ensemble de nos propositions à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable afin qu'elle les intègre à son texte.
TABLEAU DES AVIS
La réunion est close à 13 h 55.
Mercredi 5 mars 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur la communication de la Cour au Premier ministre relative à la situation financière et aux perspectives du système de retraites
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous recevons, ce matin, le Premier président de la Cour des comptes, M. Pierre Moscovici, afin qu'il nous présente la récente communication de la Cour sur la situation financière et les perspectives du système de retraites. Ce rendez-vous était très attendu.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.
Monsieur le Premier président, le Premier ministre a saisi la Cour des comptes, le 20 janvier dernier, afin qu'elle dresse, dans le cadre d'une « mission flash », un « constat objectif de la situation de notre système de retraites et de ses perspectives à court, moyen et long termes ». Ce constat doit servir de base aux discussions entre les partenaires sociaux sur de possibles évolutions. La Cour a rendu ses conclusions un mois plus tard.
Monsieur le Premier président, je vais vous laisser présenter les travaux de la Cour ainsi que les conclusions auxquelles celle-ci est parvenue à l'issue de ces quelques semaines. Vous pourrez notamment nous préciser en quoi les chiffrages de la Cour rejoignent ceux du Conseil d'orientation des retraites (COR) - ou, au contraire, s'en distinguent. Je pense, en particulier, aux hypothèses moins optimistes en matière de productivité sur lesquelles la Cour s'est fondée, qui ont nécessairement des conséquences sur l'évolution financière du système de retraites.
Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, à commencer par la rapporteure générale, Élisabeth Doineau, et le rapporteur pour l'assurance vieillesse, Pascale Gruny.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Merci, monsieur le président, de m'accueillir devant votre commission afin que je vous présente le rapport de la Cour des comptes sur la situation financière et les perspectives du système de retraites. C'est toujours un grand plaisir pour moi de venir au Sénat !
Lors de sa déclaration de politique générale, le 14 janvier dernier, le Premier ministre a annoncé - j'en ai presque été surpris - qu'il souhaitait remettre en chantier le sujet des retraites avec les organisations syndicales, pour un temps bref et dans des conditions transparentes. Pour que cette démarche s'appuie sur un constat et des chiffres indiscutables, il nous a saisis pour réaliser une « mission flash » de quelques semaines. Nos travaux ont démarré très rapidement et je lui ai remis le rapport le 19 février, étant précisé qu'une lettre de mission nous avait été transmise le 20 janvier. Rendre un rapport aussi rapidement fut pour nous un véritable exploit, et nous nous en sommes acquittés dans des conditions dont je suis assez fier.
J'ai ensuite présenté ce rapport à la conférence des partenaires sociaux chargée de négocier une nouvelle voie pour notre système de retraites. Du Mouvement des entreprises de France (Medef) aux syndicats, leur réaction a été unanimement positive. Le rapport, entièrement objectif et indépendant, a rempli sa mission, qui était de fournir une base indiscutable et indiscutée, et ne comporte aucune préconisation. J'espère qu'il fera date, car, à mon sens, il sera utile aux travaux de la représentation nationale et aux évolutions futures. Ce qui est certain, c'est que nous n'en sommes pas à la dernière réforme des retraites. Le continuum se poursuivra probablement ainsi, la réforme ultime étant très difficile à parachever. Nous avons voulu faire un travail solide et robuste qui dure dans le temps.
Dans sa lettre de mission, le Premier ministre a demandé à la Cour de dresser en un mois un constat objectif de la situation financière du système de retraites et de ses perspectives à court, moyen et long termes, notamment au regard de la trajectoire d'ensemble des finances publiques. C'est ce que nous avons fait.
Une telle commande est pour moi un signe de confiance envers la Cour des comptes. Nous l'avons prise d'autant plus à coeur que le sujet est fondamental pour notre démocratie, notre modèle social et nos finances publiques, et qu'il concerne tous les Français.
En effet, la France compte aujourd'hui 17 millions de retraités et 4 millions de bénéficiaires de pensions de réversion. En outre, notre système de retraites par répartition s'appuie sur l'ensemble des actifs en étant fondé sur la solidarité intergénérationnelle. Il y va de notre avenir et celui de nos enfants et petits-enfants ! Ce système, mis en place après-guerre, dépend du rapport entre le nombre de cotisants et de retraités. Or le déséquilibre démographique va croissant. C'est pourquoi nous devons faire preuve d'une gestion rigoureuse des équilibres financiers pour en assurer la pérennité et l'équité.
Enfin, ce sujet est un enjeu pour nos finances publiques. La France consacre près de 14 % de son PIB aux retraites. Des réformes successives ont eu lieu lors des dernières décennies, notamment pour contenir l'augmentation des dépenses, mais elles se sont toujours heurtées à des crispations, des mouvements, des résistances. Cela montre bien l'originalité du fonctionnement de notre système de retraites, soumis à des modalités complexes et techniques.
Pour ce qui concerne la méthode, nous avons créé, au sein de la Cour, une formation ad hoc regroupant plusieurs chambres, que j'ai moi-même présidée. Nos meilleurs spécialistes en la matière ont travaillé sans relâche, jour et nuit, sept jours sur sept, durant trois semaines - les quatre semaines intégrant le temps de la contradiction avec les administrations. J'en remercie chaleureusement tous mes collaborateurs, notamment Carine Camby, Sophie Thibault et Bernard Lejeune, présidents de la première, de la cinquième et de la sixième chambre, ainsi que la contre-rapporteure Mathilde Lignot-Leloup, et le rapporteur général Nicolas Fourrier.
Notre rapport tend à être une base utile et indiscutable dans la poursuite des travaux réalisés entre partenaires sociaux et par le Parlement. Pour remplir au mieux cette exigence, j'ai personnellement reçu à la Cour l'ensemble des partenaires sociaux, Gilbert Cette, président du COR, ainsi que Jean-Jacques Marette, animateur de cette négociation importante.
J'en viens au périmètre de notre rapport. Celui-ci inclut la quarantaine de régimes de retraites obligatoires, qui obéissent à des règles distinctes. La Cour les a regroupés en six grandes catégories : le régime général - salariés du secteur privé, contractuels de la fonction publique et travailleurs indépendants -, les régimes de base des non-salariés - exploitants agricoles, professionnels libéraux, avocats -, le régime des fonctionnaires civils et militaires de l'État - général et complémentaire -, les régimes spéciaux - SNCF, RATP, etc. -, qui sont en voie d'extinction, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) - régime de retraites des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers -, enfin, les régimes complémentaires obligatoires, notamment l'Agirc-Arrco et l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec). En revanche, nous n'avons pas étudié dans le détail les régimes facultatifs et surcomplémentaires.
Notre rapport répond à trois grandes questions : quel est l'état actuel précis du financement du système de retraites ? Quelles sont les perspectives du système à un horizon de vingt ans et l'effet des réformes successives ? Enfin, quels sont les principaux leviers à la main des pouvoirs publics ? Nous n'avons pas travaillé sur des hypothèses spéculatives ou les revendications des uns et des autres, car nous avons juste fait part des leviers directs - nous présenterons un second rapport à la mi-avril concernant les finances publiques, la compétitivité et l'emploi.
Nous en avons tiré les constats suivants. En 2023 - dernière année pour laquelle nous disposons de données consolidées -, le système de retraites est légèrement excédentaire, grâce à une succession de réformes, mais les situations sont hétérogènes selon les régimes. Et cette année est exceptionnelle.
Le système de retraites obligatoire est globalement favorable aux retraités par rapport aux pays comparables, grâce à un effort de financement élevé. Cette même année, la France consacrait près de 390 milliards d'euros aux dépenses de retraites, soit 14 % de son PIB, c'est-à-dire quatre points de plus que l'Allemagne. Par ailleurs, le taux de pauvreté des retraités est inférieur à celui des actifs, même si de fortes inégalités perdurent. Avec une pension moyenne de 1626 euros bruts par mois à la fin de l'année 2022, leur niveau de vie est similaire à celui du reste de la population, alors qu'il est un peu inférieur dans les autres pays de l'OCDE - encore faut-il comparer les situations patrimoniales.
Une telle dépense nécessite des ressources importantes et diversifiées. En 2023, les ressources dédiées au paiement des retraites étaient composées, pour les deux tiers, des cotisations sociales, et, pour un tiers, de la CSG et d'impôts et taxes affectés. La proportion de cette dernière composante a augmenté au cours des dernières années, soit pour apporter des ressources complémentaires, soit pour compenser des pertes de recettes de la sécurité sociale.
Alors que l'équilibre financier du système de retraites s'était dégradé de 2002 à 2010, il s'est depuis progressivement rétabli. En 2023, l'excédent atteignait 8,5 milliards d'euros, ce qui peut s'expliquer par deux facteurs.
D'une part, les nombreuses réformes intervenues depuis 2003 ont permis de ralentir la baisse du ratio entre cotisants et retraités - elles l'ont même amélioré entre 2020 et 2022 -, qui est passé de 2,01 en 2004 à 1,78 en 2010, et de contenir l'augmentation des dépenses : l'âge légal d'ouverture des droits a été repoussé, sauf exception ; la durée d'assurance requise pour avoir droit à une retraite à taux plein a été augmentée ; l'âge moyen des nouveaux retraités a reculé de 2 ans et 2 mois entre 2010 et fin 2022, date à laquelle il atteignait 62 ans et 8 mois.
Au gré de ces réformes, des financements plus importants ont été alloués au système de retraites, des taux de cotisations ont été relevés, des impôts ont été affectés, les dettes constituées par certains régimes obligatoires ont été prises en charge par l'État ou la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).
D'autre part, l'accélération de l'inflation en 2023 a amélioré la trésorerie, donc, provisoirement, la situation financière du système, à hauteur de 4 milliards d'euros. Cela dit, ce phénomène sera suivi d'un « effet boomerang », avec une dégradation équivalente en 2024 et un déficit escompté pour 2025.
Le régime général et celui des salariés agricoles représentent 42 % du montant total des pensions et se trouvent dans une situation financière précaire. Ils constituent l'enjeu principal de l'équilibre financier du système, sur lequel se concentrera sans doute la négociation. En dépit de l'amélioration conjoncturelle de 2023, le déficit de ces régimes s'élevait à 0,2 milliard d'euros, et s'accroît rapidement depuis. La caisse de retraites des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers représente, pour sa part, 7 % du montant des pensions et se trouve, quant à elle, dans une situation critique, avec un déficit de 2,5 milliards en 2023. D'autres régimes bénéficient d'une situation plus favorable, comme ceux des professions libérales et des avocats ou les régimes complémentaires obligatoires. L'excédent total de ces derniers a atteint 9,9 milliards d'euros en 2023.
L'État contribue de deux manières au financement du système de retraites : d'une part, il participe à l'équilibre financier de 17 régimes spéciaux, pour un peu moins de 8 milliards d'euros, et, d'autre part, il finance le régime des fonctionnaires civils et militaires, à hauteur de 45 milliards d'euros en 2023. Le déséquilibre entre les ressources et les dépenses est incontestable.
La comptabilisation de ces contributions fait débat, au point d'occulter le reste. L'analyse de la Cour en la matière est complète, subtile, équilibrée, mais tranchée. En définitive, deux modalités existent pour la présentation, dans le budget de l'État, des recettes et dépenses des retraites de ces fonctionnaires civils et militaires.
Selon la convention utilisée par la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS), inspirée de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le régime est équilibré par construction grâce à la contribution de l'État, dont le montant permet de garantir un solde nul. Il n'est pas totalement illogique que la Cour des comptes s'en inspire également. Mais nous avons voulu aller plus loin : cette contribution regroupe la cotisation employeur de l'État et, contrairement au privé, la prise en charge des dépenses de solidarité ainsi qu'un éventuel financement d'équilibre.
Le second mode de présentation est la comptabilisation des dépenses et recettes depuis 2006 au sein d'un compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ». La Cour analyse chaque année le budget et, le cas échéant, le déficit de ce CAS.
En tout état de cause, la Cour a conclu qu'il n'existait aucun « déficit caché » du régime de retraites des fonctionnaires, contrairement à ce que beaucoup prétendent. Ces deux comptabilités sont justifiées et stables, mais l'exigence de deux règles distinctes peut nuire à la lisibilité financière du régime.
On pourrait envisager de changer les conventions, mais le problème restera le même, car le débat est ailleurs.
Il est vrai que l'État cotise au régime de retraites de fonctionnaires avec un taux de cotisation employeur - environ 78 % - sans rapport avec celui des entreprises privées au régime général - qui est de 16 %. Selon certains, la différence entre ces deux taux représenterait une « surcotisation » de la part de l'État.
Pour notre part, nous considérons que ces deux systèmes présentent de telles divergences qu'ils ne sont pas comparables. D'abord, l'assiette de cotisation n'est pas la même - contrairement aux salariés du privé, les fonctionnaires ne cotisent pas sur les primes, alors que celles-ci ont un poids très significatif dans leurs rémunérations, ce qui provoque une perte de revenus assez massive à la retraite. Ensuite, il existe des régimes spécifiques à certains emplois publics qui ne se retrouvent pas dans le régime général - les pompiers, par exemple, partent très tôt à la retraite. Enfin, la situation démographique est plus dégradée pour les fonctionnaires, notamment en raison de la maîtrise par l'État des effectifs et des salaires de ses fonctionnaires. En gros, le ratio est de 1,7 cotisant pour 1 retraité dans le privé, versus 1 pour 1 dans le public.
Il faut également tenir compte du fait que l'État mêle sans distinction la cotisation employeur et le financement de dépenses de solidarité, que le privé ne prend pas en compte, ainsi qu'un éventuel apport pour équilibrer le régime.
Je précise que ce débat est sans incidence et sans effet sur les montants réels des déficits qui pèsent sur les finances publiques : le besoin de financement reste le même, qu'il soit financé par de la dette, de l'impôt ou des économies. Remettre en cause les lois organiques sur les lois de finances, qui constituent notre constitution financière, pour un débat technique ne permettra en aucun cas de résorber nos déficits. De deux choses l'une, cette question concerne soit l'ensemble des finances publiques - c'est notre vision -, soit uniquement le système des retraites. Dans ce dernier cas, c'est à l'intérieur de ce système qu'il faut trouver les ressources, sans tenir compte des distinctions que je viens d'évoquer. Cette seconde option conduirait à une dénonciation du régime des fonctionnaires choisi collectivement par la Nation, ainsi qu'à proposer des solutions assez radicales - réduction drastique des retraites des fonctionnaires, capitalisation massive...
Je ne veux pas m'immiscer dans des choix politiques. Notre analyse est la plus objective, la plus complète et la plus neutre. Quand je suis arrivé devant les partenaires sociaux, du Medef à Force ouvrière et à la CGT, tous n'ont eu qu'un mot : merci de nous avoir débarrassés de ce faux débat et de nous permettre de discuter de ce qui doit être discuté.
J'en viens aux projections à vingt ans, qui constituent la deuxième partie de ce rapport. Celles-ci montrent une nette dégradation de la situation financière globale à l'horizon 2045, malgré la réforme de 2023. Pourquoi 2045 ? Nous avons considéré qu'au-delà les estimations relatives à la natalité et à la démographie devenaient très hypothétiques.
Nous avons élaboré deux scénarios, le premier avec une croissance de la productivité de 0,7 % et un taux de chômage de 7 %, le second avec une croissance de la productivité de 1 % et un taux de chômage de 5 % ; cela dépend où l'on place le plein emploi. Le premier scénario est le scénario principal, car une croissance de la productivité à 0,7 % est considérée comme l'hypothèse la plus réaliste. En effet, au cours des vingt dernières années, la croissance de la productivité a atteint environ 0,5 %.
Ce rapport montre que la variation de la croissance de la productivité n'a pas une influence significative sur les projections, avec moins de 1 milliard d'euros d'écart entre les deux scénarios en 2035 et 7 milliards d'euros en 2045. Si l'on imagine que la solution magique passe par une amélioration de la productivité et une baisse du taux de chômage, on se trompe : cela ne nous dispensera pas de consentir des efforts sur les retraites.
Que ressort-il de ces projections ? Les dépenses du système de retraite seraient de 414,5 milliards d'euros en 2025. Dès 2025, le déficit du régime des retraites devrait atteindre 6,6 milliards d'euros. Il devrait se stabiliser autour de ce montant jusqu'en 2030, grâce à la montée en puissance de la réforme de 2023. À partir de 2030, le nombre de retraités et le montant moyen de leur pension continueraient d'augmenter continûment. Le déficit atteindrait 15 milliards d'euros en 2035 et 30 milliards d'euros en 2045. Cette projection de la situation financière n'a pas fait l'objet de contestations lors de la réunion des partenaires sociaux.
Le régime général concentrerait l'essentiel du déficit à l'horizon de 2045 - entre 25 milliards et 30 milliards d'euros. De même, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), qui concerne les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, resterait dans une situation défavorable, avec un déficit de 7 milliards d'euros en 2045. Le problème financier se concentre donc sur ces deux régimes, puisque les régimes en situation positive en 2023 devraient le rester. C'est à la fois le noeud du problème et la solution.
La contribution de l'État se stabiliserait autour de 50 milliards d'euros en 2024. En effet, le nombre de fonctionnaires retraités atteindra un pic en 2028, puis diminuera en raison de la maîtrise par l'État de ses effectifs. Le montant de la pension moyenne devrait aussi diminuer en raison de la modération du traitement indiciaire des fonctionnaires, qui conduit à des retraites plus faibles. Quelle que soit la comptabilisation, ce chiffre devrait rester relativement stable. Il n'y aura donc pas de dynamique explosive de la dette demain de ce point de vue - si elle s'est produite, c'était hier.
En résumé, la situation financière du système de retraite, dans sa globalité, va tout de même se dégrader fortement dans l'avenir, avec une concentration sur le régime général et sur la CNRACL. L'accumulation des déficits pour ces régimes conduira en 2045 à une dette de plus de 300 milliards d'euros pour le régime général et de plus de 100 milliards d'euros pour la caisse des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.
Nous avons examiné aussi les effets financiers à venir des différentes réformes des retraites, notamment la réforme de 2023.
Les dernières réformes ont rehaussé l'âge légal d'ouverture des droits et accéléré la montée en charge de la durée de cotisation, ce qui provoque un recul important de l'âge réel auquel les actifs partent à la retraite. Le montant des pensions progresserait moins rapidement que le revenu net d'activité entre 2024 et 2045.
Enfin, nous avons examiné les effets à venir de la réforme sur la situation financière du régime. L'impact de la réforme de 2023 sur l'équilibre financier du système, tous régimes inclus, serait d'environ 10 milliards d'euros à l'horizon 2030. L'effet du recul de l'âge de départ serait maximal en 2032, avant de s'amoindrir. Par conséquent, cette réforme a bien des effets financiers.
À ceux qui pensent qu'il s'agit de la réforme ultime et qu'elle a tout résolu, la réponse est non. À ceux qui pensent que cette réforme n'a aucune incidence financière, la réponse est également non. En cas d'abrogation, c'est 10 milliards d'euros de plus qu'il faudrait trouver, qui s'ajouteraient aux quelque 6,6 milliards d'euros en 2030, 15 milliards d'euros en 2035 et 30 milliards d'euros en 2045.
La troisième partie de notre rapport présente les quatre principaux leviers de réforme et leur effet sur l'équilibre financier du système de retraite obligatoire. Je le répète : ce rapport est indépendant ; il ne préconise ni une réforme globale du système de retraite ni les leviers à utiliser pour atteindre son équilibre financier ; il ne contient aucune recommandation ou proposition et n'exprime aucune préférence.
Premier levier, l'âge d'ouverture des droits, c'est-à-dire l'âge légal avant lequel, sauf exception, la liquidation de la pension de retraite ne peut pas intervenir. Il a été fixé à 64 ans par la réforme de 2023. Avancer cet âge d'un an, soit 63 ans au lieu de 64 ans, représenterait une dépense supplémentaire pour le système de retraite de 5,8 milliards d'euros pour l'année 2035 ; le reculer d'un an, soit 65 ans au lieu de 64 ans, rapporterait 8,4 milliards d'euros en 2035. À la demande des organisations syndicales, notamment de la CGT, la Cour des comptes a calculé le coût d'un retour de l'âge d'ouverture des droits à 62 ans : le déficit des régimes de retraite serait augmenté de 10,4 milliards d'euros en 2035. Il a été établi que l'effet d'une variation de l'âge d'ouverture des droits, quel qu'en soit le sens, est très puissant rapidement, mais se stabilise à moyen terme. Pour le dire autrement, cela a un effet immédiat, mais un impact qui se réduit.
C'est l'inverse pour le deuxième levier que nous avons examiné, la durée d'assurance requise ou la durée de cotisation. Après la mise en oeuvre de la réforme de 2023, la durée d'assurance requise devrait être de 172 trimestres, soit 43 ans, pour la génération née en 1965. Nous avons calculé que la diminution d'un an de la durée d'assurance requise, soit un passage de 43 ans à 42 ans, coûterait 3,9 milliards d'euros au système de retraite en 2035. A contrario, son allongement rapporterait 5,2 milliards d'euros en 2035. Autrement dit, à court terme, ce levier rapporte un peu moins, mais, à long terme, il rapporte plus parce que ces effets se prolongent dans le temps et sont mieux étalés.
Troisième levier, le montant des cotisations prélevées sur les actifs. D'après nos estimations, une augmentation d'un point du taux de cotisation engendrerait un montant de ressources annuelles supplémentaires entre 4,8 milliards d'euros et 7,6 milliards d'euros, selon que celle-ci serait appliquée sur la part patronale ou sur la part salariale, sur les salaires sous le plafond annuel de la sécurité sociale ou sur ceux qui le dépassent. La hausse du taux de cotisation constitue un levier puissant, mais dont les effets sur l'économie doivent être évalués. Les modèles de la direction du Trésor montrent une dégradation de l'activité en cas d'augmentation des cotisations, mais je suis plus prudent sur ce point : incontestablement, ce n'est pas neutre.
Quatrième levier, les conditions d'indexation des pensions de retraite. La revalorisation des pensions de retraite est indexée annuellement sur l'inflation, conformément à la loi. En se fondant sur les dépenses du régime de retraite prévues en 2025, une sous-indexation d'un point des pensions par rapport à l'inflation permettrait une économie de 2,9 milliards d'euros pour cette même année. L'impact économique serait assez faible, parce que la propension moyenne des retraités français à consommer est moins importante que celle des autres bénéficiaires de transferts sociaux ; leur capacité d'épargne est en moyenne plus élevée, même s'il y a des écarts.
Ajoutons que la règle d'indexation n'est pas adaptée au pilotage des dépenses de retraite en cas d'évolution défavorable. Par exemple, le régime de retraite complémentaire en France ou le système de retraite en Allemagne disposent de règles d'indexation qui permettent de moduler la revalorisation des pensions en fonction des équilibres financiers.
Telles sont les conclusions de la Cour des comptes : une dégradation des perspectives financières - 6 milliards d'euros, 15 milliards d'euros, 30 milliards d'euros -, une accumulation qui gonfle la dette. Toutefois, les projections permettent de nuancer ce constat négatif. D'abord, seuls deux régimes, le régime général et le régime des agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière, seront en réelle difficulté à l'horizon de vingt ans.
Ces éléments confirment que les fondamentaux de notre système sont préservés, que le système de retraite par répartition n'a pas à être remis en cause globalement. J'entends bien que certains proposent d'autres systèmes, qui seraient complémentaires, et non alternatifs. La répartition est un régime robuste à une condition : en assurer l'équilibre financier à long terme.
Au terme d'une mission qui nous a fortement mobilisés, mais aussi passionnés, nous avons remis un rapport lisible, complet et clair. Nous touchons aux principaux enjeux, sans entrer dans des sujets polémiques. Mission accomplie !
Je remettrai au Premier ministre le 15 avril prochain le second volet du rapport, qui portera sur les aspects macrofinanciers et macroéconomiques, et qui donnera à l'évidence matière à discussion. Je serai heureux de venir ensuite le présenter à la commission des affaires sociales et à la commission des finances du Sénat.
M. Philippe Mouiller, président. - Ce rapport est facile à lire, alors qu'il s'agit d'un sujet complexe. En matière de communication, c'est important. En général, les travaux et les notes dont nous disposons sont plutôt réservés à des spécialistes !
M. Pierre Moscovici. - Il est vrai que nos rapports sur la protection sociale ne sont pas toujours les plus faciles à lire. Nous venons de prouver que nous pouvons faire mieux.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - J'ai apprécié les qualificatifs que vous avez employés, monsieur le Premier président : ce rapport est robuste et impartial. Quand le Premier ministre a annoncé cette « mission flash », la situation géopolitique n'était pas du tout la même. L'impérieuse nécessité d'un retour à l'équilibre est encore plus prégnante désormais !
Avez-vous déjà identifié les sujets sur lesquels vous travaillerez dans le second rapport, celui « sur la compétitivité de notre économie et sur l'emploi » ? Prévoyez-vous de faire des propositions précises, en particulier sur l'augmentation des prélèvements obligatoires ou de la quantité de travail ?
Dans son courrier du 26 février aux membres de la délégation paritaire permanente, le Premier ministre fixe l'objectif d'un retour à l'équilibre « à l'année 2030 ». Qu'en pensez-vous ? Quel est le montant exact du déficit prévu par la Cour à cette échéance (un graphique du rapport suggérant un montant d'environ 6 milliards d'euros) ?
En marge de notre audition d'aujourd'hui, je crois savoir que la Cour travaille actuellement sur la maîtrise des dépenses de santé. Qu'en est-il ? S'agira-t-il d'un chapitre du prochain rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss), ou d'un rapport spécifique ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour l'assurance vieillesse. - La Cour aura-t-elle d'autres relations avec la délégation paritaire permanente des partenaires sociaux ? Si oui, lesquelles ?
Diverses mesures sont chiffrées dans le rapport, comme une évolution de l'âge d'ouverture des droits ou de la durée d'assurance requise. Vous semble-t-il possible d'atteindre l'objectif d'équilibre en 2030 sans une augmentation des recettes ni une moindre indexation des pensions ?
Vous prévoyez une forte dégradation du déficit du système de retraite, tous régimes confondus : 6,6 milliards d'euros en 2025, 15 milliards en 2035 et 30 milliards en 2045. Cette dégradation est majoritairement imputable au régime général. Pourquoi le ratio démographique évolue-t-il plus défavorablement pour ce régime que pour d'autres ? Quelles solutions existe-t-il pour contenir les effets de cette dégradation ?
La CNRACL connaîtrait un déficit important, malgré une augmentation du taux de cotisation qui ne fait plaisir à personne... Ayant reversé plus de 100 milliards d'euros constants dans le cadre du mécanisme de compensation démographique entre régimes de retraite, la Caisse, selon le rapport rendu par l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'inspection générale des finances (IGF) en mai dernier, devrait pouvoir bénéficier de ce dispositif en 2027. Or la Cour des comptes a recommandé, dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2024, la suppression de ce mécanisme. Quelles solutions de substitution existe-t-il pour améliorer la situation financière de ce régime ?
M. Pierre Moscovici. - Nous n'avons naturellement pas traité le contexte géopolitique. Si nous voulons être capables de répondre à des menaces sur le sol européen, nous devrons réaliser des efforts, sans que ces derniers se fassent au prix d'une dégradation supplémentaire de notre déficit, malheureusement le plus dégradé d'Europe. Tandis que l'Italie a réduit en un an le sien, passé de 7 % à 3,4 %, nous prévoyons de réduire royalement le nôtre de 6 % à 5,4 %, si tout va bien. La situation oblige à gérer au mieux les dépenses publiques.
Pour notre second rapport, la chambre cheffe de file sera non plus la sixième, mais la première, en charge des dépenses publiques en général et de l'économie. Ce texte aura une forte dimension européenne, pour mieux apprécier les dynamiques d'emploi et de compétitivité. Par ailleurs, il y sera analysé le lien entre les règles du système de retraite et l'évolution du taux d'emploi, notamment pour les seniors. Enfin, l'étude des effets des leviers mobilisables sur l'emploi et sur la compétitivité sera approfondie. La croissance potentielle de la France n'est pas celle d'un tigre asiatique : elle est de 1 %. Aussi, une hausse de la croissance de la productivité ne suffira pas à rétablir l'équilibre. En toute hypothèse, il restera à accomplir des efforts financiers tant sur le budget de l'État et de la sécurité sociale que sur les régimes de retraite.
Le second rapport n'a, pas plus que le premier, vocation à faire des propositions en matière d'augmentation des prélèvements obligatoires. Nous avons encore un bon mois de travail devant nous pour fournir, par ce texte, une base solide aux discussions des partenaires sociaux, notamment sur les principaux leviers de réforme. Parce que la question est importante, nous souhaitons documenter l'évolution du taux d'emploi, en éclairer les principaux déterminants, nous comparer à nos principaux partenaires et étudier les effets de son augmentation.
Le montant du déficit prévu en 2030 est de 6,6 milliards d'euros constants. Je n'ai aucun commentaire à faire sur les termes du Premier ministre. Entre 2025 et 2030, le déficit devrait rester assez stable, mais, quels que soient les paramètres, les vraies difficultés commenceront après 2030. C'est pour cette raison que l'horizon de notre étude est 2045.
Je vous confirme, madame la rapporteure générale, que la Cour prépare un rapport distinct du Ralfss. Il visera à explorer les pistes d'une meilleure maîtrise des dépenses de santé qui permettra, dans le même temps, de conserver, voire d'améliorer l'offre et la qualité des soins. Une demande en ce sens nous avait été faite il y a un an par le Premier ministre d'alors, Gabriel Attal : l'objectif était de réaliser une revue de dépenses. Nous n'avons malheureusement pas pu lui rendre le rapport, car la date de remise coïncidait avec la veille du premier tour des élections législatives... Nous avons donc laissé passer les débats budgétaires et nous avons actualisé les chiffres. Nous serons en mesure de vous présenter le rapport en avril prochain, avant le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, lequel sera publié fin mai. L'importance du sujet explique que nous allions au-delà d'un simple Ralfss.
Madame le rapporteur Pascale Gruny, la Cour a présenté son rapport à la délégation paritaire permanente des partenaires sociaux le 20 février dernier. Nous avons ensuite participé à la réunion du 27 février pour répondre aux demandes d'explication d'organisations syndicales. Nous avons notamment présenté à l'une de ces dernières le chiffrage d'un retour de l'âge légal à 62 ans. Je ne reviendrai devant les partenaires sociaux que pour présenter le second rapport.
L'expertise, qui est notre rôle, est le premier étage de la fusée. Nous avons donné une base indiscutable aux négociations, reconnue par tous les acteurs. Les deux autres étages sont la négociation et la décision parlementaire. Ainsi, la Cour des comptes avait vocation à jouer un rôle non pas de conseil, mais d'éclaireur : nous examinons les mesures disponibles et leur effet dans le temps sans préempter le dialogue social et les discussions parlementaires.
Nous avons montré que les différentes réformes ont permis de limiter la dégradation du ratio démographique. Celui du régime général évolue défavorablement, car il concentre simplement la plupart des cotisants.
Vous rappelez, à juste titre, un chapitre du dernier Ralfss sur le mécanisme de compensation démographique, que la Cour avait fortement critiqué. Il nous semble que ce dispositif ancien - il date de 1974 - n'est plus pertinent, notamment avec la fin de certains régimes spéciaux et à cause de graves erreurs de calcul qui en affectent le principe. Ce système ne nous paraît pas une solution pour faire face aux différences de ratio démographique entre les régimes.
M. François Patriat. - Peut-être serait-il intéressant de disposer d'une comparaison avec les systèmes de nos voisins européens : quelles mesures ont été prises en Italie, par exemple ?
L'examen des différents paramètres fait l'impasse sur de nouvelles ressources de financement. En avez-vous cherché ? Je n'écarte pas la possibilité d'une retraite par capitalisation, qui existe déjà avec les surcomplémentaires et avec les retraites additionnelles de la fonction publique.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je tiens à questionner certains choix méthodologiques. Pourquoi se limiter aux quatre leviers paramétriques classiques sans interroger les causes des baisses de recettes ?
Les ressources du système de retraite ont représenté 13,5 % du PIB en 2023, part qui devrait diminuer à 12,4 % en 2070. En suivant la convention effort de l'État constant (EEC), et non la convention équilibre permanent des régimes (EPR), que vous privilégiez, elles représenteraient 13,3 % en 2070 selon le COR, soit 0,9 point de plus. Le solde, dans le meilleur scénario, pourrait être à l'équilibre à plus ou moins long terme. Pourquoi ne pas avoir souligné les potentiels effets d'un maintien des contributions de l'État ? Pourquoi retenir la convention la plus défavorable au solde ?
Outre le fait que personne ne propose une augmentation brutale d'un point des cotisations, hypothèse que vous retenez dans votre rapport, vous indiquez que cette hausse aboutirait à une destruction de 57 000 emplois selon le modèle macroéconomique Mésange. Pourtant, lorsqu'elle se penche sur la réforme de 2023, la Cour se tourne vers le modèle comptable : celui-ci permet d'évaluer le gain pour les finances publiques de cette loi à 0,9 point de PIB au bout de dix ans, contre 0,4 point d'après Mésange. Pourquoi convoquez-vous un modèle pour montrer les effets négatifs d'une augmentation des cotisations, puis un autre pour montrer les gains de la réforme ?
Pourquoi ne pas avoir envisagé les effets d'une augmentation progressive des cotisations de 0,15 point par an sur sept ans et ne pas avoir étendu la réflexion à une hausse reposant uniquement sur l'assiette déplafonnée ? Pourquoi la Cour des comptes n'a-t-elle pas suivi ses propres conclusions sur les dispositifs d'exonération non compensés, représentant 19 milliards d'euros désormais, la seule désocialisation des heures supplémentaires ayant fait perdre 10 milliards d'euros à la branche retraite depuis 2019 ?
Mme Laurence Muller-Bronn. - Dans le Bas-Rhin, un grand nombre de maires expliquent, au travers de l'adoption de motions, ne pas pouvoir faire face à la nouvelle hausse des cotisations employeur actée par le Gouvernement par décret, sans aucune concertation avec eux. Il est évident que nous ne pouvons pas uniquement jouer sur ce paramètre : non seulement cette augmentation est intenable pour les employeurs publics, mais elle ne résoudra pas le problème. L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et les élus qu'elle représente demandent une remise à plat du système. Quelle analyse en fait la Cour des comptes ? Quelles sont vos préconisations pour trouver des solutions à la fois plus pérennes et plus équitables pour les employeurs territoriaux ?
La CNRACL reçoit les cotisations des fonctionnaires, mais pas celles des contractuels. Puisque ces derniers sont de plus en plus nombreux, ne devraient-ils pas cotiser à ce régime plutôt qu'au régime général ?
Enfin, je note que la Cour désigne une autre cause pour expliquer le déficit de la Caisse : celle-ci couvre par ses seules cotisations les droits non contributifs liés à des dispositifs de solidarité, comme la majoration pour enfant, alors que le régime général bénéficie d'un transfert de la caisse d'allocations familiales (CAF).
M. Olivier Henno. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour la qualité de votre travail, qui est un exemple d'impartialité et d'objectivité. J'ajoute que, si nous pouvons lever les doutes des jeunes générations notamment quant à la robustesse et à l'avenir de notre système par répartition, alors il est extrêmement précieux. En effet, notre système de retraite joue un grand rôle dans le contrat social national et dans le roman français.
J'aborde souvent la question de l'âge de départ ou du nombre d'années de cotisations sous un angle peu abordé jusqu'ici, celui de l'espérance de vie. Il me semble que notre système ne tient que si l'on sert vingt ans de retraite aux personnes. Au-delà, si nous devons servir vingt-trois ans, il n'est pas illogique qu'il craque. Que pensez-vous de cette analyse ?
Mme Monique Lubin. - Je m'associe aux partenaires sociaux pour remercier la Cour des comptes d'avoir écarté le fameux scénario du déficit caché, que je vois fleurir depuis deux ans en tant que membre du COR et que l'on a essayé de nous imposer.
Dans votre rapport, vous rappelez que les cotisations sociales représentent deux tiers des ressources financières de notre système, et vous chiffrez les conséquences de l'augmentation éventuelle d'un point de cotisations sur l'économie. Sachant que les salaires ne représentent qu'une partie des coûts de production et des charges fixes des entreprises, qu'en est-il du poids réel d'une augmentation des cotisations sur les salaires, rapportée à l'augmentation plus générale des coûts de production et des charges fixes, comme l'augmentation des coûts de l'énergie et des matières premières ? J'ai conscience qu'il est difficile de répondre à cette question, qui dépend de nombreux paramètres, mais vous en percevez bien l'objectif...
L'économiste Michaël Zemmour souligne que, dans la mesure où l'abrogation de la réforme des retraites coûterait 0,6 point de PIB à l'horizon de 2032, elle pourrait être financée par une hausse des cotisations sociales de l'ordre de 0,15 point par an, à partager entre employeurs et salariés pendant six ans. Qu'en pensez-vous ? Enfin, le Premier ministre a fixé un cap aux partenaires sociaux : le retour à l'équilibre en 2030. Quel est votre avis ?
M. Pierre Moscovici. - Je vous remercie pour l'appréciation que vous faites de notre rapport. J'insiste sur la notion de « robustesse », car je crois qu'il sera utile quelque temps encore.
Monsieur Patriat, d'autres formes de financement existent en effet - la capitalisation, les impôts, la CSG -, mais elles sont hors champ du système de retraites actuel, même si une part croissante du financement, un tiers environ, est assurée par d'autres ressources. Nous n'avons pas traité ces ressources dans le rapport, mais elles ont tout à fait vocation à être discutées. Je le répète, la Cour a la conviction que notre système est globalement préservé. Si d'autres paramètres devaient y être intégrés, la démarche serait non pas alternative, mais complémentaire. Dans notre second rapport, nous présenterons des comparatifs internationaux.
Madame Poncet Monge, vous avez abordé des questions méthodologiques très pointues. Je suis plus prudent sur l'usage des projections du modèle Mésange, qui s'appuie sur des hypothèses macroéconomiques discutables, que sur celui des travaux du COR, dont les analyses sont extrêmement bien documentées. Cela étant, même si le chiffre de 57 000 emplois que vous citez n'est pas à prendre au pied de la lettre, la hausse des cotisations a incontestablement un impact sur la compétitivité. Il ne serait pas raisonnable de penser qu'elle serait neutre économiquement. En revanche, je considère comme tout à fait solides les calculs sur les déficits et les excédents des régimes de retraite qui sont réalisés à partir des modèles de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).
Madame la sénatrice Muller-Bronn, le fait que les contractuels cotisent au régime général dégrade, en effet, le solde de la CNRACL. Nous n'avons pas traité la question de l'équité entre les différents régimes, mais elle pourra être abordée par les partenaires sociaux. Nous avons, en tout état de cause, un problème de gouvernance et de complexité du système. Certes, nous avons regroupé les quarante régimes existants en six catégories, mais les catégories elles-mêmes ne sont pas totalement étanches. Compte tenu du poids croissant des contractuels dans l'emploi public, votre remarque ne manque pas de sens. Encore une fois, nous avons raisonné en partant des textes de lois organiques et de l'organisation des régimes tels qu'ils sont.
Monsieur Henno, je ne sais pas si je reprendrai votre conclusion, mais votre démarche est évoquée dans le rapport. Dans l'annexe n° 1, nous pointons la très forte sensibilité de l'espérance de vie à 65 ans. Nous considérons que la durée de la retraite restera importante, autour de vingt-trois ans, mais que les réformes récentes ne dégradent pas, compte tenu de l'espérance de vie, la durée de vie à la retraite au-delà du temps d'activité.
Madame Lubin, je ne commenterai pas les différents scénarios que vous évoquez. Nous n'avons pas écarté la question de la retraite des fonctionnaires civils et militaires pour la commodité du débat. Notre intention n'était pas non plus de contrarier tel ou tel. J'ai été fort marri des commentaires selon lesquels la Cour désavouait le Premier ministre. Si la Cour avait estimé que le raisonnement de certains experts, comme Jean-Pascal Beaufret, était juste, je vous assure que nous l'aurions retenu, quitte à déplaire. Si nous ne le retenons pas, c'est que nous le jugeons ni juste, ni neutre, ni de nature à répondre au problème.
J'entends que la Cour cherche à favoriser le dialogue social au détriment de telle ou telle position politique... Pas du tout ! Le sujet étant très sensible, nous passons beaucoup de temps à en débattre. Nous avons livré non pas une préférence, mais une analyse. Par ailleurs, celle-ci présente une certaine commodité, celle de ne pas tuer dans l'oeuf le processus en cours. Pour le reste, je vous renvoie à notre second rapport sur les éléments économiques, sachant que les modèles macroéconomiques seront forcément plus hypothétiques, spéculatifs et discutables que ceux qui sont utilisés par le COR. La proposition de Michaël Zemmour, que nous connaissons bien - il est membre du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) - n'est pas commentée par la Cour.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Monsieur le Premier président, j'ai apprécié, comme tous mes collègues, la clarté et la robustesse de votre analyse. Par rapport au COR, auquel j'appartiens également, vous parlez français, et c'est agréable. Il est intéressant d'évoquer des milliards d'euros plutôt que des pourcentages de PIB, même si les deux sont liés.
Mme Monique Lubin. - Il y a débat !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Au moins, nous faisons là oeuvre pédagogique. J'ai le sentiment que si nous ne convainquons pas les Français dans leur ensemble que le système est fiable, mais qu'il doit être corrigé sur certains paramètres, nous n'y arriverons pas. Nous aurons toujours des défilés et des oppositions qui, loin d'être constructifs, contribueront à défaire complètement le système. C'est d'ailleurs la grande crainte exprimée par les jeunes.
J'ai apprécié également que vous distinguiez les six catégories dans ce système aux allures de boîte noire. Le secteur privé représentant 80 % des salariés, il faut le traiter en priorité.
J'ai enfin apprécié que vous présentiez quelques solutions - cela manque beaucoup dans le rapport du COR - pour améliorer le solde.
Ma première question concerne la fonction publique d'État. Bien sûr, il n'y a pas de déficit caché. Au contraire, nous connaissons les chiffres. Je n'emploierai pas, d'ailleurs, le terme « déficit » : il est normal que l'État finance les retraites de son personnel. Le problème est la dette que cela crée. Nous n'en avons pas les moyens. Les 45 milliards d'euros que vous évoquez - 50 milliards à terme -, c'est de la dette !
Certains ici ne veulent pas entendre parler de capitalisation, mais des outils existent pourtant : la Préfon, la retraite additionnelle de la fonction publique (Rafp) - son encours serait de 43 milliards d'euros - ou encore le fonds de réserve pour les retraites (FRR), que certains voulaient supprimer, mais dont les 20 milliards d'euros sont les bienvenus. Nous avons là l'amorce d'un fonds de placement. Monsieur le Premier président, peut-être pourriez-vous élargir le champ de votre prochain rapport aux exemples étrangers ? Au Québec, on finance les retraites du public uniquement par la capitalisation, et tout le monde s'en porte bien. Ce système obligatoire soulage les finances de l'État ; il n'a pas vocation, comme certains le pensent, à enrichir les banques ou quelques officines. Il y a là matière à réflexion.
Enfin, confirmez-vous les estimations qu'avaient présentées Olivier Dussopt et certains économistes lors de la dernière réforme, selon lesquelles le passage d'un taux d'emploi des seniors de 56 % à 66 %, soit la moyenne des pays de l'OCDE, rapporterait de 8 à 10 milliards d'euros ?
M. Daniel Chasseing. - Monsieur le Premier président, je vous remercie à mon tour pour ce rapport, qui recueille la confiance des partenaires sociaux et du Gouvernement. Vous l'avez dit : si nous conservons l'âge de la retraite à 64 ans et une durée de cotisation de 43 ans, nous atteindrons 15 milliards d'euros de déficit en 2035 et 30 milliards d'euros en 2045. Si nous revenions à 63 ans, le déficit serait augmenté de 6 milliards d'euros et, si nous rétablissions l'âge de départ à 62 ans, il s'aggraverait de 11 milliards d'euros. La réforme de 2023 a eu un impact réduit sur le financement du système, car elle s'est accompagnée de diverses dispositions sociales. L'État verse 10 milliards d'euros au titre des régimes spéciaux et 45 milliards d'euros pour les fonctionnaires. Il semble qu'il ne puisse pas faire davantage compte tenu de l'état de ses finances. Les cotisations patronales, déjà très élevées, ne peuvent pas être augmentées. Quant à la hausse des cotisations salariales, elle risque de poser un problème économique, tout en entraînant une diminution des salaires.
Nous devons absolument préserver notre sécurité sociale, et en particulier la retraite par répartition, colonne vertébrale de notre République. La dernière réforme vous paraît-elle une base solide ? N'est-il pas indispensable, comme le disait M. Vanlerenberghe, de viser, dans le cadre de dispositifs négociés avec les partenaires sociaux, un taux d'emploi des seniors de 60 %, comme c'est le cas en Allemagne et dans les pays du Nord ? Le PIB s'en trouverait augmenté, de même que les recettes fiscales. Enfin, il faudrait introduire une dose supplémentaire de retraite par capitalisation, sur le modèle de la Préfon.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Vous évoquez l'impossibilité de comparer les régimes de retraite publics et privés en raison de leur nature et de leur fonctionnement, trop distincts, ainsi que de la multiplicité des régimes existants. Nous en dénombrons, en effet, quarante. Une simplification ne permettrait-elle pas d'explorer des pistes d'économie viables ? Nous sommes passés à six catégories, mais peut-être peut-on aller plus loin ? Enfin, la projection de la Cour des comptes pour la CNRACL tient-elle compte de la solidarité inter-régimes ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les chiffres que vous évoquez dans votre rapport sont fiables : 17 millions de retraités, 4 millions de pensions de réversion, 14 % du PIB consacrés aux retraites et une pension moyenne de 1 629 euros brut par mois, soit environ 1 400 euros net. Quand on a encore un loyer à payer, une assurance, une mutuelle et une petite voiture, on ne peut pas vivre dignement de ce revenu ! Je pense aussi évidemment aux retraités agricoles, aux artisans, etc.
Vous dites avoir exploré le report de l'âge légal à 62 ans. Nous aurions souhaité que cette hypothèse soit étudiée non pas en annexe, mais dans le corps du rapport. Pour notre part, nous avons proposé un certain nombre de pistes de recettes pour financer notre régime de retraite, que nous ne voulons pas voir disparaître. Malheureusement, si nous ne trouvons pas de véritables ressources pérennes, le taux de cotisation à la CNRACL pourra continuer à grimper chaque année, mettant un peu plus à l'os et nos hôpitaux publics, et nos collectivités locales. Le problème n'en sera pas réglé pour autant, et je ne vois pas comment nous pourrions continuer ainsi.
Il faut aller chercher l'argent là où il est. Or de l'argent, il y en a ! Nos propositions de recettes ne priveraient pas de beaucoup les personnes qui seraient concernées. Nous avons, par exemple, appelé, tout au long de la réforme des retraites, à réparer cette injustice qu'est l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes. Nous sommes à la veille du 8 mars, une journée que chacun d'entre nous s'apprête à célébrer. Et, pourtant, à diplôme égal, les femmes ont toujours un salaire inférieur à celui des hommes ! On sait que l'égalité hommes-femmes pourrait rapporter à la sécurité sociale quelque 5,5 milliards d'euros, rien que pour le régime général.
Que pensez-vous, enfin, du fait de s'attaquer à la question de la contribution des revenus financiers et aux 80 milliards d'euros d'exonération des cotisations des employeurs ? Sans aller jusqu'aux 80 milliards d'euros, peut-être pourrions-nous puiser simplement ce dont nous avons besoin pour équilibrer le régime des retraites. J'ai tout de même l'impression que ce sont toujours les mêmes, les salariés de ce pays, qui sont mis à contribution. Pour les autres, la vie continue.
Avec mes collègues Silvana Silvani et Céline Brulin, nous avions déposé une proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation. Cette solution aurait fait entrer des cotisations supplémentaires dans les caisses de la sécurité sociale. Elle n'a pas été retenue, ce que je regrette.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour cet exposé particulièrement clair. Ma première question concerne le risque, évoqué par ma collègue Laurence Muller-Bronn, d'un impact récessif sur le régime de retraite de l'augmentation des cotisations des employeurs publics à la CNRACL. J'ai bien noté que, même si la Cour des comptes n'a pas examiné ce point, vous y portez une attention particulière.
Je m'interroge également sur les primes, qui représentent parfois une part importante dans le traitement des fonctionnaires, et qui ne sont pas assujetties aux cotisations sociales. Outre le fait que cela joue sur le niveau des pensions, ne peut-on pas imaginer de les assujettir aux cotisations, dans une perspective de financement complémentaire du régime de la CNRACL ?
M. Pierre Moscovici. - Je remercie M. Vanlerenberghe qui, avec sa productivité habituelle, a adressé à la Cour une contribution qui a été examinée par la sixième chambre et par son président. Nous aurons l'occasion d'en reparler. Le financement des retraites de la fonction publique d'État crée, en effet, de la dette. Mais, là encore, la question est de savoir s'il s'agit d'une dette spécifique ou d'une dette générale. Les systèmes de comptabilisation posent une difficulté : si nous pensions que le problème de retraite était cantonné en soi, nous serions obligés d'agir dans un périmètre assez restreint. La réduction de la part de l'État ne pourrait passer, dès lors, que par une hausse massive des cotisations des fonctionnaires, par une détérioration du taux de remplacement pour le calcul des pensions, par une embauche massive ou encore - et cela provoque une levée de boucliers parmi les organisations patronales, mais aussi syndicales - par un transfert du privé vers le public.
En réalité, le problème que nous affrontons est celui de la dette publique en général. Notre dette publique s'élève à 3 300 milliards d'euros et nous remboursons annuellement, à ce titre, plus de 60 milliards d'euros, soit plus que le budget de la défense. Au train où nous allons, nous devrons rembourser allègrement 100 milliards d'euros par an avant 2028-2029, soit bientôt les budgets de la défense et de l'éducation nationale réunis. Cela n'est pas possible ! La question qui nous est posée à tous est donc : comment réduire notre dette publique en général ? Le sujet du taux d'emploi des seniors est en cours d'analyse et sera traité dans le cadre du second rapport.
Monsieur Chasseing, la réforme de 2023, qui a permis de dégager 10 milliards d'euros d'économies, était en effet assortie de mesures sur les carrières longues et d'autres mesures d'accompagnement. Le taux d'emploi des 60-64 ans est un facteur très important. Il sera étudié, je le répète, dans le second rapport.
Mme Romagny, vous avez raison : les six catégories permettent de faciliter la lecture en regroupant des régimes proches, mais c'est bien quarante régimes qui coexistent. Si une simplification est sans doute nécessaire, elle supposerait toutefois que nous changions de focale et que nous sortions du paramétrique pour revenir au systémique. C'est ce qui a été tenté au travers de la retraite par points. Nous ne sommes pas dans ce cadre aujourd'hui et cela n'a pas été envisagé dans le cadre de la réforme qui est en discussion. Bien sûr, la question reste ouverte pour l'avenir.
Madame Apourceau-Poly, la Cour ne porte pas de jugement sur le niveau de pauvreté. Ce que j'ai voulu dire, en disant que la situation des retraités était favorable par rapport à celle des actifs, c'est que le niveau de revenus que je cite est aussi celui des actifs en moyenne. Cela dit quelque chose sur l'état de la société française en général. Il y a, bien sûr, des retraités pauvres. Disons que, dans un État où les revenus des Français retraités sont faibles, les revenus médians des Français en général ne sont pas élevés non plus.
Je m'abstiendrai de commenter vos propositions. Elles relèvent du débat que vous aurez avec les partenaires sociaux, puis du débat politique. Ce n'est pas le rôle de la Cour que de faire ce genre de préconisations.
Je remarquerai tout de même que les écarts à la retraite entre les hommes et les femmes ont été étudiés dans le cadre du Ralfss 2023. Par ailleurs, la compensation des exonérations de cotisations est assurée par l'État. Nous traiterons de ce sujet dans le prochain Ralfss.
Enfin, la Cour a souligné le risque récessif de la hausse des cotisations à la CNRACL dans le cadre d'un autre rapport, avant même que le thème ne devienne d'actualité. Le risque est que ces cotisations pèsent sur les dépenses de fonctionnement des collectivités locales, réduisent leur autofinancement, donc leur capacité d'investissement.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour cette première étape fondamentale. Vous avez renvoyé de nombreuses réponses à votre second rapport. Nous l'attendons donc avec impatience.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote - Examen des amendements au texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen des amendements au texte de la commission sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote, déposée par Ahmed Laouedj. Cette proposition de loi sera examinée en séance publique demain après-midi.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEURE
Article 1er
L'amendement rédactionnel n° 11 est adopté, de même que l'amendement de précision rédactionnelle n° 12.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'amendement n° 13 procède à des coordinations juridiques pour l'application des nouvelles dispositions aux Îles Wallis et Futuna.
L'amendement n° 13 est adopté.
TABLEAU DES SORTS
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je suis défavorable à l'amendement n° 9, qui vise à supprimer la pénalisation de l'usage détourné de protoxyde d'azote. L'une des propositions de ce texte est précisément d'agir directement au niveau des consommateurs en créant une infraction spécifique d'usage détourné. En parallèle, le volet prévention est bien traité par le texte, et a même été renforcé par la commission.
Je suis également défavorable à l'amendement n° 4, qui tend à relever le niveau de sanction applicable en cas d'usage détourné du protoxyde d'azote, alors que la commission l'a au contraire abaissé pour respecter le principe de proportionnalité des peines.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 9 et 4.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'amendement n° 6 a pour objet de s'aligner sur la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale à la fin du mois de janvier dernier, laquelle prévoit une interdiction totale de la vente du protoxyde d'azote aux particuliers et une interdiction de son importation. Telle n'est pas l'orientation retenue par le texte que nous examinons.
M. Bernard Jomier. -Nous voudrions entendre les arguments plaidant pour le rejet de l'interdiction aux particuliers de la vente du protoxyde d'azote. La principale objection concernerait la crème chantilly. Je ne suis pas le meilleur cuisinier du monde, mais je n'ai pas besoin de protoxyde d'azote pour faire une crème chantilly...
M. Philippe Mouiller, président. - Moi, oui !
M. Bernard Jomier. - Est-ce là l'argument principal que l'on oppose face à un problème de santé publique qui touche aussi l'environnement ? Il doit y en avoir d'autres, mais je ne les ai pas entendus. J'admets pourtant que la multiplication des interdictions par produit n'est pas une solution satisfaisante.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Le problème va au-delà de la chantilly. Le protoxyde d'azote est utilisé à des fins médicales, mais aussi dans les domaines mécanique et industriel. Nous nous sommes appuyés sur un avis de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), selon lequel une interdiction totale du protoxyde d'azote pourrait compromettre son usage médical. Par ailleurs, une interdiction assimilerait le protoxyde d'azote aux produits stupéfiants. Pour ces raisons, je suis opposée à un alignement sur la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous continuerons ce débat en séance publique.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je suis défavorable à l'amendement n° 10 rectifié, qui vise également l'interdiction de la vente du protoxyde d'azote aux particuliers.
L'amendement n° 2 a pour objet de rétablir le système d'agrément des vendeurs qui figurait dans la version initiale du texte, et que la commission a supprimé, le jugeant trop lourd et trop complexe. Elle y a substitué un dispositif de déclaration administrative. Je suis donc également défavorable à cet amendement.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 6, 10 rectifié et 2.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Par l'amendement n° 1 , il est proposé de compléter l'interdiction de vendre des produits destinés à faciliter l'extraction de protoxyde d'azote par une interdiction de leur détention et de leur transport. L'amendement vise en particulier les « crackers », qui permettent de percer les siphons à chantilly pour en extraire le gaz et le transférer dans un ballon avant inhalation. J'y suis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'amendement n° 5 prévoit une sensibilisation aux risques routiers liés à l'usage détourné de protoxyde d'azote dans les enseignements scolaires du premier et du second degré. Ces dispositions sont déjà satisfaites par le texte, qui propose une sensibilisation générale aux risques liés aux conduites addictives, dont la consommation détournée de protoxyde d'azote. J'y suis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je suis également défavorable à l'amendement n° 3, qui vise à sensibiliser aux risques associés à une consommation détournée de protoxyde d'azote les élèves des écoles primaires. Cela paraît trop précoce.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'amendement n° 7 propose de mentionner les conduites addictives parmi les situations détectées par les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Il est irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement n° 7 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Au travers de l'amendement n° 8, il est proposé de mentionner parmi les situations repérées par les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes la consommation détournée de protoxyde d'azote au titre des situations nécessitant un accès aux soins et à la prévention. Il ne me paraît pas pertinent de faire un cas particulier du protoxyde d'azote dans cet article rédigé en des termes très généraux. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
TABLEAU DES AVIS
Audition de M. Jean-Jacques Marette, animateur du conclave avec les partenaires sociaux sur les retraites
M. Philippe Mouiller, président. - Nous recevons à présent M. Jean-Jacques Marette, chargé par le Premier ministre d'animer ce qu'il est convenu d'appeler le « conclave » réunissant les partenaires sociaux au sujet des retraites.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.
Monsieur Marette, votre mission est complexe, tant les organisations représentées au sein de votre groupe développent des visions différentes de l'évolution du système de retraites. Elle l'est d'autant plus que vos travaux doivent s'appuyer sur le diagnostic formulé par la Cour des comptes. Or, comme nous l'a indiqué son Premier président ce matin, les perspectives financières du système de retraites restent tendues, même en tenant compte de la réforme de 2023. Votre longue expérience, notamment à la direction générale de l'Agirc-Arrco, sera donc nécessaire pour tracer un chemin vers des propositions consensuelles.
Je vais vous laisser nous présenter la manière dont vous avez engagé les travaux de ce groupe, leur périmètre exact - notamment pour ce qui concerne les différentes fonctions publiques - et l'issue à laquelle vous espérez parvenir, le cas échéant.
Les membres de notre commission pourront ensuite vous interroger, à commencer par notre rapporteure générale, Élisabeth Doineau.
M. Jean-Jacques Marette, animateur du conclave avec les partenaires sociaux sur les retraites. - J'aimerais d'abord rappeler que la notion de « conclave » ne figurait pas dans les documents envoyés aux partenaires sociaux. Je la trouvais pourtant très novatrice, dans la mesure où il se serait agi du premier conclave auquel auraient participé des femmes ! Nous parlons donc désormais de « délégation paritaire permanente ».
Il s'agit, à plusieurs titres, d'un exercice inédit. En premier lieu, il traduit la réouverture du débat sur la réforme des retraites après le discours de politique générale du Premier ministre, alors que celle-ci ne paraissait pas évidente. Le fait que la délégation paritaire soit dite « permanente » ne signifie pas que ses travaux dureront ad vitam æternam, mais que les partenaires sociaux sont mobilisés sur une période donnée pour répondre aux questions posées par le Premier ministre dans la lettre qu'il leur a adressée.
D'autre part, le format de cet exercice est inédit : le 17 janvier dernier, soit trois jours après son discours de politique générale, le Premier ministre a réuni les partenaires sociaux dans le format classique de la négociation nationale interprofessionnelle, ce que l'on appelle le « 5+ 3 », avec cinq organisations syndicales et trois organisations patronales. L'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa), la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et la direction générale de la fonction publique (DGFP) ont également été conviées.
Nous verrons tout à l'heure que ce format a induit un certain nombre de difficultés, dans la mesure où il est lié au problème du périmètre : doit-on traiter l'ensemble des problèmes du système de retraites ou ne faut-il traiter que le cas du secteur privé - quoiqu'il soit difficile de le faire sans s'intéresser aux effets rebond sur le secteur public ?
Après le discours de politique générale, le Premier ministre a demandé à la Cour des comptes de mener une mission « flash ». Cette décision était, selon moi, indispensable car les partenaires sociaux ont besoin de s'appuyer sur un scénario robuste correspondant aux projections pouvant être réalisées aujourd'hui. Le travail de la Cour des comptes s'est avéré utile et a largement conforté le rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) de 2024. Le scénario qu'il propose n'a pas été remis en cause lors de sa présentation aux partenaires sociaux il y a une quinzaine de jours.
Nos réunions s'organisent autour de plusieurs cercles. Les réunions hebdomadaires s'inscrivent dans le format traditionnel des négociations nationales interprofessionnelles dans le secteur privé, c'est-à-dire le format « 5+ 3 », qui est devenu « 4+ 3 », une organisation syndicale ayant indiqué ne plus souhaiter y participer. J'associerai régulièrement à ces organisations celles qui ont participé à la réunion du 17 janvier mais qui ne sont pas intégrées aux réunions hebdomadaires, l'Unsa et la FNSEA, ainsi que la Fédération syndicale unitaire (FSU) et Solidaires, puisque, bien qu'aucun sujet ne soit spécifique au secteur public, il existe des effets rebond, par exemple sur la durée de cotisation, les majorations familiales ou les droits conjugaux.
Le calendrier permanent a démarré le 27 février, après une première réunion de présentation par Pierre Moscovici du rapport de la Cour des comptes le 20 février dans le format du 17 janvier. Nous avons adopté notre programme de travail, qui s'étale jusqu'en juin, la semaine dernière.
Enfin, l'issue de nos travaux sera elle aussi inédite. Il ne s'agira pas d'un accord national interprofessionnel à proprement parler, comme c'est le cas en matière de retraite complémentaire ou d'assurance chômage. En effet, un éventuel accord vous serait soumis pour que vous en tiriez les conséquences sur le plan législatif.
J'aimerais évoquer brièvement ma mission d'animation et d'assistance. Celle-ci m'a fait sortir de ma retraite à 74 ans alors que je n'étais pas vraiment demandeur. Elle me rajeunit néanmoins : je retrouve un rôle proche de celui que j'ai assumé en tant que directeur général de l'Arrco pendant 18 ans et de l'Agirc pendant 10 ans et qui consistait à aider les partenaires sociaux en leur fournissant une boîte à outils leur permettant de négocier périodiquement sur le pilotage de l'Agirc-Arrco.
Il y a toutefois deux différences notables : d'une part, je n'ai pas été nommé dans ces fonctions par les partenaires sociaux, mais par le Premier ministre ; d'autre part, contrairement à ce qui passe habituellement lors des négociations entre partenaires sociaux, dans le cadre desquelles le Mouvement des entreprises de France (Medef) anime les débats et tient la plume, les partenaires sociaux m'ont demandé d'animer les débats, avec l'aide de mon équipe, et la plume que je tiendrai sera la leur. Il n'est pas attendu de moi que je prenne position sur les sujets évoqués, mais il appartient aux partenaires sociaux de rapprocher leurs points de vue.
Je suis entouré dans ces fonctions d'un membre de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), d'un membre de l'inspection générale des finances (IGF) et d'une assistante. Du reste, les partenaires sociaux disposent d'un lieu dédié à ces échanges, avenue de Ségur, avec une salle de réunion et un bureau pour chaque organisation. Un représentant syndical l'a qualifié de « village retraite ».
Jeudi dernier, j'ai adressé aux partenaires sociaux une proposition de programme de travail sur la base de mes échanges avec chaque organisation à l'occasion d'une première prise de contact. Ce programme, qui a été approuvé sans modification, n'inclut que des sujets évoqués par les partenaires sociaux, auxquels j'ai indiqué qu'il ne fallait pas fixer de lignes rouges afin d'éviter de faire obstacle au dialogue.
Nous organisons des réunions tous les jeudis, et ce jusqu'en juin, autour de cinq thèmes, deux réunions étant consacrées à chaque thème. Nous essaierons de fournir aux partenaires sociaux de la documentation sur chaque thème et les laisserons discuter et tenter de rapprocher leurs points de vue. Nous n'avons pas écarté la difficulté : nous commencerons ainsi dès demain par la question de l'âge, qui n'est pas la moins polémique.
Sur ce sujet, nous allons évoquer les âges de la retraite, au pluriel. La notion d'âge est en effet extrêmement complexe et il convient de distinguer l'âge d'ouverture des droits, les âges de départ anticipé et l'âge d'annulation de la décote. La frontière entre l'activité et la retraite est, de fait, particulièrement complexe. Pour la faire évoluer, il est nécessaire de prendre en compte à la fois les enjeux d'équilibre financier et de justice sociale. Nous évoquerons donc non seulement les différents âges de la retraite, mais aussi les carrières longues et l'emploi des séniors.
L'usure professionnelle constituera notre deuxième thème de travail. Nous pouvons sans doute améliorer l'articulation entre les différents mécanismes dédiés aux carrières longues et la prise en compte de l'usure professionnelle.
Notre troisième thème sera celui des mécanismes de solidarité. Nous évoquerons essentiellement l'égalité entre les femmes et les hommes, les majorations familiales et les droits conjugaux. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les travaux du COR, qui a été chargé de travailler sur ce sujet par Élisabeth Borne en 2023. Il doit tenir une séance consacrée à cette thématique ce mois-ci et la nôtre en constituera le prolongement.
Le financement sera notre quatrième thème. Nous aborderons dans ce cadre les cotisations dues par les entreprises, les actifs et les retraités et les sources de financement alternatives. J'ai souhaité parler d'un « pacte d'engagement provisionné » pour éviter de grandes guerres de religion autour de la question de la transformation du régime par répartition en régime par capitalisation. Je tiens à préciser qu'il faudrait, pour mener une telle réforme, constituer une provision de l'ordre de 12 000 milliards d'euros, soit environ 3 années de PIB, ce qui ne me paraît pas vraiment réaliste. Cette question doit toutefois être prise en compte, puisqu'elle a été évoquée par certaines personnalités politiques et partenaires sociaux.
Enfin, notre dernier thème sera celui du pilotage du système de retraites, une question nouvellement arrivée dans les discussions. Les différentes réformes menées à un rythme assez peu régulier ont suscité des difficultés dans le pays, illustrant l'absence de règles de pilotage de notre système de retraites. Les partenaires sociaux ont l'expérience du régime Agirc-Arrco, dont le pilotage est régi par des règles fixes : tous les 4 ans, ils vérifient que le régime dispose toujours de 6 mois de réserves sur 15 ans glissants. Je ne prétends pas que cette règle soit la bonne, mais je pense qu'il est bon de disposer de règles de pilotage, ce qui fait plutôt consensus. Les partenaires sociaux souhaitent travailler sur les métriques de pilotage à retenir, qui pourraient être, par exemple, l'évolution de l'espérance de vie, celle de la situation économique ou l'articulation entre démocratie sociale et démocratie politique.
Pour conserver une certaine souplesse, nous organiserons également une ou deux séances thématiques. Nous avons choisi le thème du financement de la protection sociale à cet effet, car nous n'ignorons pas que la retraite n'est pas le seul domaine de la protection sociale, bien qu'elle représente désormais plus de 400 milliards d'euros de prestations sociales chaque année. Je pense que l'année des 80 ans de la sécurité sociale sera l'occasion de mener des réflexions plus horizontales sur cette question.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci de nous avoir éclairés sur le mode de fonctionnement de cette instance et sur les thèmes sur lesquels vous avez choisi de travailler.
Je souhaitais vous interroger sur les organisations représentées dans ce cadre et sur votre programme de travail, mais vous avez déjà amplement évoqué ces sujets et je pense que les questions de mes collègues nous permettront d'en savoir davantage.
La remise des conclusions de vos travaux est-elle vraiment prévue pour début juin ? Comment prévoyez-vous d'articuler ces travaux avec le second rapport de la Cour des comptes commandé par le Premier ministre sur les questions de compétitivité et d'emploi ?
J'aimerais également que vous reveniez sur la durée de vos réunions et les moyens matériels mis à votre disposition.
J'en viens aux questions que ma collègue Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse, qui présente en ce moment un rapport dans une autre enceinte, m'a chargée de vous poser.
Le courrier du Premier ministre du 26 février indique : « L'objectif de la délégation permanente doit être, tout en proposant des améliorations réelles pour nos concitoyens, de rétablir l'équilibre financier de notre système de retraite à un horizon proche. Je souhaite fixer cet objectif à l'année 2030 ». Comment cet objectif et cette échéance ont-ils été accueillis par les membres de la délégation permanente ?
Nous avons cru comprendre que les régimes de la fonction publique étaient exclus du champ des travaux de la délégation permanente. L'objectif d'équilibre doit-il par conséquent être atteint en agissant uniquement sur les régimes du secteur privé ?
La Cour des comptes prévoit un déficit de l'ordre de 6,6 milliards d'euros à l'horizon de 2030. Dans ce contexte, la délégation permanente doit-elle proposer des mesures permettant d'améliorer le solde du système de retraites du même montant à cette échéance ?
Quelles ont été les réactions au rapport sur la situation financière et les perspectives du système de retraites rendu par la Cour des comptes le 19 février dernier ? Le diagnostic qu'il formule fait-il l'objet d'un consensus ? D'autres pistes d'amélioration du solde du système de retraites vous semblent-elles envisageables ?
Quels paramètres de la réforme d'avril 2023 vous semblent-ils pouvoir être remis en débat ? À l'inverse, quelles caractéristiques du système de retraites vous semblent-elles intouchables ?
Enfin, le courrier du Premier ministre souligne la nécessité de tenir compte de l'incidence des propositions formulées sur la compétitivité et l'emploi. Vous semble-t-il possible de rétablir l'équilibre d'ici à 2030 sans augmenter les recettes ?
M. Jean-Jacques Marette. - L'échéance de juin a été fixée sans plus de précisions. Est-ce le début ou la fin du mois ? Nous verrons bien. En tout état de cause, je pense que le Premier ministre souhaite que nos conclusions lui soient remises à temps pour pouvoir en tenir compte dans le cadre de l'élaboration du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026.
Nos réunions auront lieu le jeudi. Nous disposons, au sein du « village retraite », d'une salle de réunion, mais les partenaires sociaux ont besoin de beaucoup de place. Nous nous réunirons donc le plus souvent dans la salle du COR et, si nous ne pouvons pas l'obtenir, dans une salle des services du Premier ministre.
La question du solde du régime de la fonction publique de l'État anime depuis longtemps le débat public. Je rappelle que c'est le législateur qui a édicté les règles applicables en la matière. Ce régime est équilibré par le biais de ce que j'appelle une convention légale, dans le cadre du compte d'affection spéciale (CAS) « Pensions ».
Dans les années à venir, le déficit du système de retraites sera largement lié à ceux du régime général et de la CNRACL. La question du solde de la CNRACL ne sera pas directement abordée par la délégation paritaire permanente. Pour autant, le sujet du déficit global ne doit pas être traité indépendamment de celui du déficit de tel ou tel régime.
Je crois que l'horizon de 2030, auquel nous avons fixé l'objectif de retour à l'équilibre du système de retraites, a été relativement bien accepté, sans doute parce que c'est à cette échéance que la marche sera la moins haute. L'organisation syndicale qui a quitté nos travaux a indiqué qu'il s'agissait d'un changement d'objectif inacceptable, mais je ne connais pas ses motivations. En tout état de cause, cet objectif à 5 ans est cohérent avec l'objectif général d'équilibre des finances publiques fixé dans le cadre de l'Union européenne.
J'ai omis de vous dire que nous avions programmé un débat sur le second rapport de la Cour des comptes le 17 avril prochain. Ce rapport devrait être terminé le 14 avril. Comme je l'ai indiqué en vous présentant notre programme de travail, nous devrions traiter les thèmes en lien avec le financement du système de retraites postérieurement à cette échéance afin de pouvoir tenir compte dudit rapport. C'est une question de cohérence.
Enfin, je ne répondrai pas formellement à votre dernière question. Vous comprendrez sans doute que mon rôle n'est pas de vous faire part de mon point de vue personnel. Ma seule conviction est que la répartition, dont le législateur a réaffirmé la place au coeur du pacte intergénérationnel, suppose l'équilibre. Il n'est pas possible de gérer un régime par répartition et d'unir les générations sans perspective d'équilibre. Les éventuelles améliorations que la délégation paritaire permanente proposera ne devront donc pas faire obstacle à l'objectif d'équilibre. S'agissant des mesures à prendre et des leviers à actionner, seuls les partenaires sociaux pourront vous répondre.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Merci pour vos explications. Vous avez confirmé que le sujet de la retraite des femmes sera évoqué dans le cadre des réunions consacrées aux mécanismes de solidarité. De quelle manière sera-t-il abordé ?
En l'état, la réforme de 2023 allonge la carrière des femmes de deux ans, comme pour les hommes, avec pour seule compensation une surcote de 5 % pour les mères de famille ayant atteint la durée d'assurance requise pour l'obtention du taux plein un an avant l'âge d'ouverture des droits.
Or nous savons que la carrière des femmes est globalement moins linéaire que celle des hommes en termes de progression professionnelle et de rémunération. Cet allongement de deux ans contraindra beaucoup de mères de famille à travailler jusqu'à 67 ans pour obtenir une pension à taux plein. En fin de carrière, les inégalités se cumulant, le montant de la pension des femmes est en moyenne inférieur de 40 % à celui de la pension des hommes. C'est énorme !
La réforme de 2023 les condamne donc à travailler plus longtemps que les hommes et à occuper plus souvent des emplois précaires, alors qu'elles doivent fréquemment soutenir, en fin de carrière, les personnes âgées de leur famille. 32,8 % des femmes de 55 à 64 ans occupent un emploi précaire, contre seulement 10,9 % des hommes. Une véritable misère féminine se dessine donc en matière de retraite.
Nous n'avons pas accordé assez d'attention à ce sujet lors de l'examen parlementaire de la réforme des retraites et je crois que nous devons aujourd'hui nous y intéresser. Je vous serais reconnaissante d'évoquer cette problématique dans le cadre de vos travaux.
La question de l'emploi des séniors sera-t-elle également abordée et, le cas échéant, de quelle manière ? Comment expliquer que le taux d'activité des séniors en France reste inférieur à la moyenne européenne ? Comment concilier la réforme des retraites avec la réalité de l'emploi des séniors ?
Je rappelle que le taux d'emploi s'élève seulement à 38,9 % chez les personnes âgées de 60 à 64 ans et à 58,4 % chez les personnes âgées de 55 à 64 ans. Au surplus, 79 % des séniors au chômage déclarent chercher un emploi depuis plus d'un an et 45 % d'entre eux depuis plus de 3 ans. Nous devons trouver un remède à ces difficultés. Merci à vous d'y réfléchir.
M. Olivier Henno. - Tout à l'heure, Pierre Moscovici nous a présenté le rapport de la mission « flash » de la Cour des comptes, qui se caractérise par son impartialité et son objectivité. Ce rapport démontre la robustesse de notre système de retraites par répartition, qui joue un rôle majeur au coeur de notre contrat social.
Qui dit conclave dit fumée blanche... Vous en avez dessiné les contours en évoquant l'objectif d'équilibre. Pour ma part, j'aimerais insister sur l'enjeu d'apaisement. Le débat sur les retraites hystérise la société française depuis trop longtemps. Michel Rocard disait d'ailleurs que la réforme des retraites pouvait faire tomber cinq ou six gouvernements de suite.
J'aimerais que ce conclave aboutisse à des propositions d'apaisement. Par exemple, je ne trouverais pas choquant qu'il faille travailler une année supplémentaire quand l'espérance de vie augmente d'un an. Il faudra ensuite choisir entre le report de l'âge d'ouverture des droits et l'allongement de la durée d'assurance.
L'exemple de l'Agirc-Arrco est remarquable. Peut-on espérer d'aboutir à un mode de gouvernance paritaire, ce qui permettrait à la fois de relancer le paritarisme et d'apaiser la société ?
Mme Monique Lubin. - La question du pilotage m'intéresse tout particulièrement. Nous disposons d'un outil, le COR, dont je tiens à rappeler la solidité et la fiabilité. D'ailleurs, le Premier président de la Cour des comptes a indiqué que ses services avaient largement utilisé les travaux du COR pour produire leur rapport.
Le COR travaille sur la base de différents scénarii et étudie plusieurs sujets, de l'emploi des femmes à celui des séniors, en passant par la durée de la retraite. Il s'agit d'un outil que les décideurs doivent utiliser.
Je regrette que le législateur n'ait pas encore décidé de la manière dont il allait se servir de cet outil pour instaurer des règles de pilotage fixes permettant d'éviter de provoquer régulièrement des crises d'urticaire dans le pays et d'empêcher un gouvernement, quel qu'il soit, de brandir la menace d'un déficit catastrophique pour justifier sa réforme, comme ce fut le cas avant la réforme de 2023. J'ai même entendu un ministre nous dire que nous ne pourrions plus payer les retraites si nous ne faisions rien dans les deux ans, alors que la Cour des comptes a indiqué que la solidité de notre régime par répartition n'était absolument pas remise en question.
Quelles règles de pilotage pourrions-nous instaurer ? Faudrait-il revoir les paramètres du système de retraites tous les deux ou trois ans ? Qui devrait assurer ce pilotage ? Un partenariat entre partenaires sociaux et représentation nationale est-il envisageable dans ce cadre ?
M. Jean-Jacques Marette. - Les chiffres que vous évoquez concernant la situation des femmes doivent effectivement nous interroger. Jusqu'où iront, à cet égard, les réflexions des partenaires sociaux ?
Tout le monde hystérise le débat autour des 64 ans. J'aimerais, pour ma part, parler des 67 ans. Quand on regarde qui part à la retraite à 67 ans, on constate qu'il s'agit de cadres supérieurs, qui ne sont pas à plaindre, mais aussi et surtout de personnes à faibles revenus et de femmes, et ce en raison d'interruptions de carrière. Il est donc nécessaire de s'intéresser à l'âge d'annulation de la décote. Nous formulerons sans doute des propositions sur ce sujet. Cela ne signifie pas qu'il faille l'abaisser brutalement, dans la mesure où nous devons conserver notre objectif d'équilibre en parallèle.
Je pense par ailleurs au sujet du travail à temps partiel, que les femmes subissent plus fréquemment que les hommes. Si nous sommes tous conscients des difficultés qu'induit le travail à temps partiel dans la vie quotidienne, on ne voit pas toujours ses conséquences sur la retraite. Or il existe des dispositifs permettant de passer d'un temps plein à un temps partiel tout en continuant à cotiser sur la base d'un temps plein. Nous n'avons pas de baguette magique, mais il me paraît possible d'améliorer les choses.
Certains me diront sans doute que le problème du financement des retraites serait facilement réglé si les salaires des femmes étaient portés d'un seul coup au même niveau que ceux des hommes. Un tel scénario induirait sans doute des problèmes que la Cour des comptes ne manquerait pas de souligner dans son rapport sur la productivité. En tout état de cause, ce sujet fera l'objet de discussions entre les partenaires sociaux.
Le Conseil d'analyse économique (CAE) vient de publier un rapport qui dépeint exactement la situation que vous venez d'évoquer en matière d'emploi des séniors, mais aussi des jeunes. En milieu de carrière, les taux d'emploi français sont comparables à ceux des autres pays. Néanmoins, nous faisons face à des difficultés particulières en ce qui concerne les jeunes et les séniors.
Le pilotage devrait effectivement constituer un facteur d'apaisement permettant d'éviter de provoquer une crise chaque fois qu'un gouvernement déclare vouloir mener la réforme définitive des retraites - ce qui est un oxymore, dans la mesure où un régime de retraite ne se réforme pas, mais se pilote dans le temps. Les partenaires sociaux parviendront-ils à un accord sur des propositions concernant les règles de pilotage ? Je ne suis pas très pessimiste sur ce point.
L'horizon de pilotage est particulièrement important. Comme vous l'avez constaté, la Cour des comptes regarde notre système de retraites à 20 ans. Le COR, lui, le regarde souvent à 50 ans, ce qui se justifie à bien des égards : les effets de la chute de la natalité, par exemple, ne seront pas visibles dans 10 ou 15 ans, mais le seront évidemment dans 50 ans.
Néanmoins, l'horizon de 50 ans ne saurait constituer un horizon de pilotage, tant il y a d'incertitudes sur une telle période. L'Agirc-Arrco, elle, pilote son régime à 15 ans glissants, ce qui correspond à la règle allemande. Devons-nous piloter le système de retraites à 5 ans glissants - dès lors que l'Assemblée nationale est théoriquement renouvelée tous les 5 ans - ou plus ?
Par ailleurs, comment tenir compte de l'évolution de l'espérance de vie ? En 2003, le législateur a prévu que les deux tiers des gains d'espérance de vie soient reportés sur la carrière et un tiers sur la retraite. Cette règle a été abandonnée en 2014.
Si nous parvenons à fixer des règles de pilotage pour un système de retraites qui concerne tous les Français et verse 400 milliards d'euros de prestations par an, la délégation paritaire permanente aura fait oeuvre utile.
Enfin, le COR nous est très utile sur un grand nombre de sujets. Grâce à lui, la vieillesse est l'un des risques sociaux les mieux documentés. Nous disposons ainsi d'une masse d'informations. Je pense toutefois que le COR ne devrait retenir qu'un seul et unique scénario de référence. À une certaine époque, il en retenait 12 ! Selon moi, avoir 12 scénarii revient à peu près à n'en avoir aucun.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je souscris à ce que vous venez de dire sur le pilotage. J'ai bien entendu que les syndicats ne souhaitaient pas traiter la question spécifique du secteur public. Celle-ci a néanmoins des conséquences sur le système de retraites, dans la mesure où l'État s'endette chaque année à hauteur de 45 milliards d'euros pour équilibrer le régime de la fonction publique de l'État. Il me semble donc que nous devrions y songer en réfléchissant au pilotage du système.
Vous avez indiqué que la question du pilotage constituera le cinquième thème de vos discussions. Évoquerez-vous à cette occasion le sujet de la gouvernance ? Comme vous le savez, je suis favorable à un rapprochement entre la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et l'Agirc-Arrco. Avec votre aide, les partenaires sociaux qui gèrent l'Agirc-Arrco de façon remarquable ont ramené le régime à l'équilibre et constitué des réserves, tandis que le régime général est déficitaire.
D'autre part, traiterez-vous la question de l'emploi des séniors ? Il s'agit d'un enjeu très important compte tenu de notre retard en la matière par rapport aux pays de l'OCDE.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Vous avez indiqué avoir organisé vos travaux autour de cinq thèmes, à chacun desquels deux réunions seront consacrées. S'agit-il de parvenir à un diagnostic partagé dans le cadre de la première réunion, puis d'ouvrir tous les paramètres de discussion durant la seconde ? Quel est le sens de ces deux réunions par thème ?
Si nous avions commencé par recourir à la démocratie sociale lors de la dernière réforme des retraites, le pays n'aurait sans doute pas été hystérisé. Nous assistons certes au retour de la démocratie sociale, mais un rapport de force constant subsiste puisque la réforme n'a pas été suspendue et sera définitivement mise en oeuvre si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord.
Vous avez mentionné le principe selon lequel les deux tiers des gains d'espérance de vie étaient répercutés sur le travail et un tiers sur la retraite. Finalement, ces gains ont été en quelque sorte « boulottés » par le travail - cette expression n'est pas de moi. On présente le fait que l'espérance de vie à la retraite soit constante comme un élément positif, mais il faut plutôt en conclure que les gains d'espérance de vie ont été intégralement consacrés au travail, avec des conséquences sur l'espérance de vie en bonne santé.
Je partage votre point de vue sur le fait qu'un régime de retraite se pilote. Nous avons d'ailleurs constitué le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour passer la bosse démographique, mais celui-ci a cessé d'être alimenté avant d'être utilisé pour autre chose que le financement des retraites.
Enfin, la capitalisation est marginale en France, où elle est complémentaire et le plus souvent volontaire. Elle prend la forme d'un « troisième étage » de la pension de retraite. Je pense notamment au régime de retraite additionnelle de la fonction publique (Rafp) et au plan d'épargne retraite (PER) privé. Cette part complémentaire est-elle prise en compte dans le calcul du poids des dépenses de retraites dans le PIB, notamment dans le cadre des comparaisons entre la France et les pays recourant à la capitalisation ? Je rappelle que le recours à la capitalisation ne modifie pas le poids des dépenses de retraites dans le PIB, mais la répartition de ces dépenses.
M. Daniel Chasseing. - Merci d'avoir repris du service pour une bonne cause. Il est en effet indispensable de préserver notre système de retraites par répartition.
La Cour des comptes estime le déficit du système à 15 milliards d'euros en 2035 et à 30 milliards d'euros en 2045 et indique qu'il serait aggravé de 6 milliards d'euros si l'âge légal de départ était fixé à 63 ans et de 11 milliards d'euros s'il était ramené à 62 ans.
Je rappelle qu'en approuvant le report de l'âge légal à 64 ans, le Sénat a voté en faveur de la revalorisation des petites pensions. Celle-ci, bien qu'insuffisante, était tout de même importante, aggravant les dépenses d'environ 2 milliards d'euros.
L'âge légal de 64 ans et la durée d'assurance de 43 annuités semblent constituer une base nécessaire mais non suffisante pour équilibrer le système de retraites. Le déficit prévisionnel de 15 milliards d'euros en 2035 pourrait-il être financé par une augmentation du taux d'emploi des séniors de 60 à 64 ans ou par le recours à la capitalisation complémentaire dans le cadre du « pacte d'engagement provisionné » que vous avez évoqué ?
M. Jean-Jacques Marette. - La notion de gouvernance renvoie à la fois à des règles et à des institutions qui gouvernent. Au sein de l'Agirc-Arrco, la gouvernance des partenaires sociaux s'exerce en responsabilité : s'ils ne parvenaient pas à équilibrer le régime, vous, législateurs, reprendriez la main sur lui. Avec 100 milliards d'euros de prestations versés chaque année, l'Agirc-Arrco est trop grosse pour faire faillite ; les pouvoirs publics ne pourraient pas s'en désintéresser.
Heureusement, depuis la création de l'Agirc et de l'Arrco, les partenaires sociaux ont périodiquement pris des mesures difficiles, car ils savent que leur légitimité à piloter le régime dépend de leur capacité à l'équilibrer. Je peux vous assurer que les négociations au sein de l'Agirc-Arrco ne sont pas un long fleuve tranquille.
Pour aboutir à une gouvernance solide, il me paraît nécessaire de faire travailler ensemble des organismes ayant la conviction qu'un système par répartition se pilote avec une perspective d'équilibre. Il faut ensuite articuler la démocratie sociale avec la démocratie politique, laquelle aura le dernier mot sur la question du pilotage.
Nous tiendrons deux réunions sur chaque thème. Effectivement, nous nous intéresserons à l'emploi des séniors dans le cadre des réunions consacrées aux âges de la retraite. Nous essaierons à cet effet de nous nourrir des travaux récents, et notamment du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE).
Nous nous pencherons également sur la durée passée à la retraite, qui a augmenté depuis 1980. Le relèvement de l'âge légal de 62 à 64 ans a certes été plus rapide que l'augmentation de l'espérance de vie, mais le COR a démontré que la durée de la retraite continuait d'augmenter, quoique moins vite qu'auparavant.
Il existe aujourd'hui une foule d'outils de capitalisation, mais il ne s'agit que d'une capitalisation individuelle. Or, je crois que le sujet qui anime les débats est celui de la capitalisation obligatoire. Certains dispositifs de cette nature existent déjà, à l'instar de la Rafp. La capitalisation peut jouer un rôle à côté de la répartition, qui, selon moi, restera au coeur du pacte unissant les générations. Il revient aux partenaires sociaux d'en discuter et d'en décider.
En tout état de cause, la montée en charge d'un tel système serait très progressive et nous ne réglerions pas ainsi le pic de 2025, de 2030 ou de 2035. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire, mais qu'il convient de se demander comment le mettre en oeuvre dans le temps.
Monsieur Chasseing, j'utilise de nouveau mon joker sur les mesures d'âge et laisse aux partenaires sociaux le soin d'en discuter.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci pour ces précisions, qui s'inscrivent dans la continuité de la présentation du rapport de la Cour des comptes à laquelle nous avons assisté ce matin. Nous vous souhaitons beaucoup d'énergie pour la suite.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 20.