Mardi 4 mars 2025

- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Mes chers collègues, nous commençons cette réunion par l'examen des amendements au texte de la commission sur la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes, présentée par Jean-François Rapin et plusieurs de ses collègues.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Mes chers collègues, je vous rappelle que cette proposition de loi vise à associer le Parlement à la désignation des candidats à certaines instances européennes.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

Mme Agnès Canayer, rapporteur. -

L'amendement n°  3 de M. Rapin donne compétence au Président de la République sur proposition du Premier ministre pour désigner le commissaire européen français et prévoit une audition commune des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, le vote appartenant toutefois à la seule commission des affaires étrangères, après avis de celle des affaires européennes.

Par son amendement n°  1 rectifié bis, M. Chaillou propose de modifier la procédure dans les mêmes termes mais en précisant que le vote soit un vote conjoint des deux commissions.

Je propose un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié bis, préférant celui de M. Rapin, qui est plus équilibré et plus conforme à ce qui se pratique déjà au Sénat en matière de nomination.

Je propose de solliciter le retrait de l'amendement n°  7 de M. Bonneau, faute de quoi nous émettrions un avis défavorable.

M. Christophe Chaillou. - La proposition de M. Rapin permet une clarification et une dissipation du flou qui régnait effectivement sur les sénateurs appelés à voter pour cette désignation - nous l'avons déjà évoqué en commission.

Cependant, il nous semble plus logique d'associer, dans le vote, les membres de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes, raison pour laquelle nous maintenons notre amendement.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement n°  6 rectifié, au profit de celui de M. Rapin, pour les raisons déjà évoquées.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié bis. Elle émet un avis favorable à l'amendement n° 3. Elle demande le retrait des amendements nos 7 et 6 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.

Article 2

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement n°  4 de M. Rapin clarifie la compétence et la procédure pour la nomination des membres de la Cour des comptes européenne. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4.

Article 3

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement n°  2 rectifié de M. Chaillou vise à supprimer la procédure concernant les juges ou avocats généraux à la Cour de justice de l'Union européenne et au Tribunal de l'Union européenne. Cela ne nous paraît pas justifié. Nous pensons qu'il est utile d'associer le Parlement et de prévoir une audition préalable pour ces fonctions. Je propose un avis défavorable.

M. Christophe Chaillou. - Pour les raisons d'indépendance que nous avons développées lors de la réunion d'examen du rapport, il nous semble préférable de ne pas conserver cette disposition. Nous maintenons donc l'amendement.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2 rectifié.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement n°  5 de M. Rapin clarifie à la fois la compétence et la procédure concernant la désignation des juges ou avocats à la Cour de justice de l'Union européenne et au Tribunal de l'Union européenne. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 5.

La commission a donné les avis suivants sur les amendements de séance :

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er

M. CHAILLOU

1 rect. bis

Vote sur la candidature par la seule commission des affaires européennes.

Défavorable

M. RAPIN

3

Audition conjointe du candidat par la commission permanente chargée des affaires étrangères et la commission des affaires européennes, vote de la commission permanente après avis de la commission des affaires européennes.

Favorable

M. BONNEAU

7

Vote sur la candidature par la seule commission des affaires européennes.

Demande de retrait

M. FOLLIOT

6 rect. bis

Audition préalable du candidat par la commission chargée des affaires étrangères.

Demande de retrait

Article 2

M. RAPIN

4

Audition conjointe du candidat par la commission permanente chargée des finances et la commission des affaires européennes, vote de la commission permanente après avis de la commission des affaires européennes.

Favorable

Article 3

M. CHAILLOU

2 rect.

Suppression de l'article.

Défavorable

M. RAPIN

5

Audition conjointe du candidat par la commission permanente chargée des lois constitutionnelles et la commission des affaires européennes, vote de la commission permanente après avis de la commission des affaires européennes.

Favorable

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes - Examen du rapport pour avis

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport pour avis de Christophe-André Frassa sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (Ddadue).

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Mes chers collègues, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a délégué à la commission des lois l'examen au fond de neuf articles de ce Ddadue.

Le caractère inévitablement disparate d'un tel texte explique que ces neuf articles concernent aussi bien la commande publique ou le régime juridique de l'action de groupe que certains titres de séjour dédiés aux travailleurs qualifiés. Je les aborderai successivement, dans l'ordre des articles - et non d'importance.

L'article 13, tout d'abord, traite de la commande publique, et plus particulièrement du partenariat d'innovation. Il s'agit là d'un marché public spécifique, qui vise à inciter les acheteurs publics à stimuler l'innovation par leurs achats et grâce à une procédure de passation unique.

Or, le recours à ce marché est conditionné : l'acheteur ne doit pas pouvoir satisfaire son besoin par une solution existante pour y recourir. En bref, une innovation est nécessaire. Si le droit de l'Union européenne retient une acception relativement large de l'innovation, cette dernière demeure un critère à l'aune duquel est apprécié le marché en cause.

En conséquence, l'article 44 de la loi de finances de 2024, qui a inclus, par nature, les « jeunes entreprises innovantes » dans le champ d'application du partenariat d'innovation, a procédé à une modification de ce régime contraire au droit de l'Union européenne comme au principe constitutionnel d'égalité.

L'article 13 du Ddadue supprime ces dispositions, pour assurer la conformité du régime du partenariat d'innovation aux directives qui le régissent. Je vous propose, en conséquence, d'adopter sans modification cet article.

J'en viens aux articles 14 à 19, qui, eux, concernent l'action de groupe, dont les différents régimes en vigueur méconnaissent certaines dispositions de la directive relatives aux actions représentatives depuis décembre 2022.

Dans leur version initiale, chacun de ces articles procédait donc à la transposition stricte des exigences du droit de l'Union européenne au sein des sept cadres existants de l'action de groupe. L'article 14 modifiait le socle procédural commun ; l'article 15, le code de justice administrative ; l'article 16, la loi Informatique et libertés ; les articles 17 et 18, le code de la consommation ; et l'article 19, le code de la santé publique. Il s'agissait notamment d'instaurer une procédure d'action de groupe transfrontière, de développer la prévention des conflits d'intérêts et d'améliorer l'information des justiciables au sujet de ces procédures.

Cela vous donnera sûrement, chers collègues, un sentiment de déjà-vu... Et pour cause : nous examinions, il y a tout juste treize mois, en février 2024, la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, présentée par les députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin, qui visait notamment à transposer cette directive et dont j'ai été le rapporteur au Sénat.

Plusieurs désaccords significatifs s'étaient alors élevés entre les deux assemblées, et la commission mixte paritaire n'a jamais été convoquée par le gouvernement d'alors.

Mais, à l'occasion de l'examen du présent Ddadue à l'Assemblée nationale, le rapporteur pour avis, Philippe Gosselin, a substitué le contenu de cette proposition de loi au dispositif de l'article 14, et proposé la suppression des articles 15 à 19, rendue nécessaire pour des raisons de coordination. Nous aurions pu nous en satisfaire ! Seulement, l'Assemblée nationale a repris sa version initiale de la proposition de loi, sans remédier aux nombreuses difficultés juridiques identifiées lors de nos travaux. Elle n'a en effet apporté à son texte que des modifications rédactionnelles ou exigées par la directive, sans tenir compte des amendements adoptés par le Sénat.

Le régime des actions de groupe tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, soulève donc des difficultés juridiques et pourrait entraîner des effets indésirables. Ces derniers sont logiquement, pour l'essentiel, identiques à ceux que nous avions soulignés lors de l'examen de la proposition de loi en janvier et février 2024, et auxquels nous avions essayé de remédier. Je vais en rappeler les principaux.

Tout d'abord, le champ d'application de l'action de groupe serait universel, ce qui étendrait le nombre d'acteurs économiques soumis au risque réputationnel engendré par l'action de groupe, qu'elle ait été intentée ou soit employée comme une menace.

De manière plus significative encore, la direction des affaires civiles et du sceau craint qu'un tel élargissement du champ matériel ne détourne les justiciables des voies de droit commun, plus efficaces et rapides.

Je vous propose donc, comme nous l'avions déjà fait lors de l'examen de la précédente proposition de loi, de conserver le champ matériel actuel pour les actions conduites dans les domaines du droit du travail et de la santé, en raison de leur sensibilité - et, en ce qui concerne le droit du travail, du rôle spécifique qui incombe au conseil de prud'hommes dans la résolution des différends qui s'élèvent entre les employeurs et les salariés.

En outre, la qualité pour agir serait attribuée au regard de critères excessivement souples, qui ne permettraient pas de garantir la fiabilité, la crédibilité et la probité des personnes morales susceptibles d'intenter de telles procédures.

Rappelons, à ce titre, que deux des objectifs principaux de la directive sont précisément de lutter contre les conflits d'intérêts et d'assurer la lisibilité du droit. L'adoption d'un agrément similaire pour les actions de groupe nationales et transfrontières, fondé sur les conditions exigeantes énumérées par la directive, paraît, à cet égard, plus opportune : c'est la solution que nous avions adoptée l'an dernier.

Par ailleurs, le texte de l'Assemblée nationale contient encore plusieurs dispositions que le Sénat avait écartées.

Par exemple, la sanction civile en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels a été restaurée. Outre qu'elle ne paraît pas conforme au principe de proportionnalité des peines, comme au principe de légalité des délits et des peines, elle romprait avec la logique de la responsabilité civile, qui est non pas punitive, mais compensatrice. Une telle évolution nécessiterait, au préalable, une réflexion ou, au moins, une étude d'impact.

L'attestation sur l'honneur a également été reprise. Elle serait demandée au demandeur lors de l'introduction d'une instance. Ce dispositif poursuit un objectif, la prévention des conflits d'intérêts, qu'il ne permet, hélas ! pas d'atteindre : tout au contraire, il fournirait au défendeur le prétexte d'installer un contentieux pénal pour faux dans le contentieux civil, pour allonger encore une procédure déjà pluriannuelle.

Le caractère en principe exécutoire à titre provisoire du jugement sur la responsabilité a aussi été restauré par l'Assemblée nationale. Une telle mesure pourrait complexifier la procédure et engendrer des effets préjudiciables pour les parties. Il semblerait plus opportun de permettre au juge d'ordonner la consignation à la Caisse des dépôts et consignations d'une part des sommes dues par le défendeur.

Enfin, l'article 14 n'intègre pas non plus au régime juridique des actions de groupe plusieurs éléments que le Sénat avait ajoutés pour le parfaire. Je songe à la mise en demeure préalable, qui pourrait éviter d'inutiles procédures d'action de groupe, comme à la procédure d'action de groupe simplifiée, qui pourrait en améliorer la célérité, ou encore à des dispositifs consacrés spécifiquement à la prévention des conflits d'intérêts.

Enfin, je tiens à souligner que les modifications de transposition apportées au texte par l'Assemblée nationale ont, pour l'essentiel, été conservées en l'état, et que, pour oeuvrer à l'élaboration d'un compromis, plusieurs autres dispositions ont été reprises, qu'il s'agisse du registre national des actions de groupe ou de la mise à disposition du public des associations agréées. Je vous propose donc, par un amendement de réécriture globale de l'article 14, d'apporter au régime adopté par l'Assemblée nationale toutes les modifications imposées par les difficultés juridiques qu'il soulève en l'état.

J'en viens aux deux derniers articles délégués à la commission des lois, les articles 42 et 43, qui sont relatifs à des titres de séjour relevant du dispositif « talent ».

L'article 42 procède à la transposition de la directive du 20 octobre 2021, qui a revu le régime de la carte bleue européenne. Ce titre de séjour vise à faciliter l'entrée, le séjour et le travail dans l'Union européenne des travailleurs hautement qualifiés. Sa délivrance est soumise à des conditions de qualification ou d'expérience professionnelles, de durée minimale du contrat de travail et de rémunération.

Cette transposition aurait dû avoir lieu avant le 18 novembre 2023 et son absence a donné lieu, en janvier 2024, à une mise en demeure de la Commission européenne.

La directive part du constat d'un recours limité à ce dispositif, encore méconnu : ces dernières années, le nombre de titres délivrés par la France dans le cadre d'une première demande n'a pas excédé 4 000.

Pour y remédier, la directive assouplit les conditions de sa délivrance ainsi que celles des autres titres de séjour qui lui sont liés, à l'instar de la carte de résident de longue durée et des titres de séjour pour les membres de la famille des titulaires de la carte bleue européenne.

Cet assouplissement se traduit, par exemple, par la réduction de la durée minimale du contrat de travail, qui passe d'un an à six mois ; l'abaissement de la durée d'expérience comparable à un diplôme sanctionnant trois années d'études supérieures pour certains professionnels des technologies de l'information et de la communication ; l'allongement de la durée minimale de validité du titre de séjour ; et la facilitation de l'accès à la carte de résident de longue durée.

Pour ce qui concerne le seuil salarial, la directive opère un renversement de logique : alors que la précédente directive imposait un seuil minimal s'élevant à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen constaté dans l'État membre, la directive fixe désormais un plafond situé à 1,6 fois ce salaire annuel et abaisse le seuil minimal à 1 fois ce salaire.

En France, ce seuil a été fixé à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen constaté en 2016 : il n'a pas été actualisé depuis et, en tout état de cause, les dispositions réglementaires ont été abrogées lors de la recodification du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) - semble-t-il par erreur -, si bien que les tribunaux administratifs jugent que cette condition de rémunération n'est plus opposable aux demandeurs.

Comme vous l'aurez observé, les dispositions de la directive sont, sur de nombreux points, très précises et laissent ainsi peu de marge de manoeuvre aux autorités nationales dans sa transposition.

Le Gouvernement s'est saisi des dispositions optionnelles les plus importantes, qui visent à prévenir les abus en permettant, par exemple, de rejeter les demandes lorsque l'employeur a été sanctionné pour travail illégal ou l'emploi d'étrangers en situation irrégulière.

Dans cet exercice contraint, il me paraît important de ménager un juste équilibre entre l'attractivité du dispositif et la fidélité à sa vocation, qui est le séjour des travailleurs hautement qualifiés. Des exigences trop relâchées - s'agissant, par exemple, du salaire minimal - risqueraient de mener à son dévoiement.

C'est à cet effet que je vous propose un amendement prévoyant que le seuil salarial qui sera fixé par décret en Conseil d'État ne pourra être inférieur à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen.

Je vous propose également de transposer une disposition optionnelle supplémentaire visant à lutter contre les abus de ce dispositif, qui permet le retrait du titre de séjour en cas de manquement grave de l'employeur à ses obligations en matière fiscale ou sociale.

Enfin, outre plusieurs amendements rédactionnels, je vous propose un amendement précisant, s'agissant de la délivrance de la carte de résident portant la mention « résident de longue durée - UE », que, conformément à la directive, la condition de durée de résidence s'entend d'une résidence ininterrompue.

Je vous propose d'adopter l'article 42 ainsi modifié.

L'article 43, introduit par l'Assemblée nationale, procède quant à lui à des mesures de coordination relatives à la carte de séjour pluriannuelle « Talent - profession médicale et de la pharmacie » créée par la loi du 26 janvier 2024.

Il s'agit de remédier à un oubli du législateur, qui prive les titulaires de certaines caractéristiques communes au dispositif Talent, comme la délivrance en première admission au séjour ou l'accès des membres de la famille à la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « Talent (famille) ».

Je vous propose donc de l'adopter sans modification, sachant que demeure une question quant à l'absence de disposition d'extension et d'adaptation pour l'outre-mer, qui est encore en discussion avec le Gouvernement et qui pourra, le cas échéant, être réglée lors de l'examen en séance publique.

M. Christophe Chaillou. - Pour ce qui concerne l'article 14, vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, des débats qui ne sont pas très anciens. Vous vous souvenez sans doute que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'était prononcé favorablement sur la proposition de loi de nos collègues députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin. Notre collègue Audrey Linkenheld avait notamment expliqué pourquoi nous estimions que cette proposition de loi allait plutôt dans le bon sens.

Nous ne pouvons aujourd'hui être favorables aux amendements que vous proposez, qui nous paraissent en retrait par rapport à cette proposition de loi.

À l'article 42, certaines propositions nous paraissent un peu surprenantes. Je rappelle que l'objectif de la carte de résident est d'attirer un certain nombre de personnes hautement qualifiées en France ! Il nous semble que les propositions tendant à durcir les conditions d'obtention de cette carte sont un peu contradictoires avec cette volonté d'attirer les talents dans notre pays, de choisir entre les types d'immigration dont on entend souvent parler, y compris dans vos rangs. Si l'on durcit les conditions, les personnes extrêmement qualifiées que l'on vise iront ailleurs.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Où voyez-vous des restrictions supplémentaires à l'article 42 ? Les amendements que je propose transposent fidèlement la directive : 90 % sont rédactionnels et un seul encadre l'exercice du pouvoir réglementaire, dans le respect de la directive. Tout le reste ne fait que découler de la directive.

Du reste, la plupart des éléments qui figurent dans cette transposition marquent plutôt un allègement de la procédure de la carte bleue européenne.

Sur l'article 14, vous êtes d'accord avec nos collègues de l'Assemblée nationale. Soit ! Mais ce qui m'importe, c'est de garantir la sécurité de l'action de groupe pour ceux qui l'intentent et pour les juges qui seront saisis de telles procédures. En l'état, la sanction civile présente plusieurs défauts juridiques, spécialement au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Au-delà, c'est un objet juridique sans commune mesure avec le but recherché, puisqu'elle s'applique à tout, à tous et en tous lieux, et qu'elle n'est pas plus liée à l'action de groupe qu'à une autre infraction. Nous aurions au moins pu la flécher sur l'action de groupe - je rappelle que les débats sur la loi Hamon avaient notamment porté sur la création d'un fonds abondé par une amende de cette nature.

Créer une attestation sur l'honneur, c'est créer un contentieux à l'intérieur même du contentieux, ce qui serait totalement au désavantage des associations et des ONG qui entreprendront une action de groupe. Si vous voulez poursuivre dans cette voie, libre à vous ! Mais vous affaiblirez vous-même un dispositif que vous soutenez.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Il me revient, mes chers collègues, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents. Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives aux conditions de recours au marché public dit « partenariat d'innovation », au régime juridique des actions de groupe et aux titres de séjour portant la mention « talent ».

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 13 (délégué)

La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 13 sans modification.

Article 14 (délégué)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-83 rectifié procède, en onze pages, à la réécriture de l'article 14, telle que je vous l'ai décrite dans mon propos liminaire.

L'amendement COM-83 rectifié est adopté.

La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 14 ainsi rédigé.

Articles 15, 16, 17, 18 et 19 (supprimés) (délégués)

La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de maintenir la suppression des articles 15, 16, 17, 18 et 19.

Article 42 (délégué)

L'amendement rédactionnel COM-73 est adopté.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-74 prévoit que le seuil salarial pour la délivrance de la carte bleue européenne ne peut être inférieur à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen, plutôt que d'en laisser la fixation à un décret en Conseil d'État.

M. Christophe Chaillou. - À cette réserve près que fixer ce seuil dans la loi revient à priver les pouvoirs publics d'une certaine marge de manoeuvre...

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. -Alors que le curseur peut être déplacé entre 1 et 1,6, mon amendement prévoit que le seuil ne peut pas être inférieur à 1,5, preuve que nous ne faisons pas les choses au rabais.

L'amendement COM-74 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-75 est adopté.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Afin de prévenir les détournements du dispositif, l'amendement COM-76 permet le retrait du titre de séjour en cas de manquements de l'employeur à ses obligations en matière de sécurité sociale ou de fiscalité.

M. Christophe Chaillou. - C'est effectivement conforme à la directive, mais permettre le retrait de la carte bleue européenne au salarié lorsque l'employeur a manqué à ses obligations revient à sanctionner l'employé. Que l'on fasse porter au salarié la faute de l'employeur nous interroge fortement ! Nous ne sommes pas favorables à cet amendement.

L'amendement COM-76 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-77 est adopté.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-78 porte sur la durée de résidence, en ajoutant les mots « de manière ininterrompue ».

M. Christophe Chaillou. - Nous sommes défavorables à cet ajout. L'exigence d'une résidence régulière de cinq ans paraît suffisante s'agissant de salariés d'une très grande expérience et d'une très grande expertise. Il s'agit d'attirer les talents !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Nous ne faisons que reproduire les termes de la directive !

L'amendement COM-78 est adopté.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-79 vise à supprimer une disposition d'adaptation pour l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon.

L'amendement COM-79 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-80 est adopté.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-81 tend à supprimer une disposition d'adaptation pour l'application à Saint-Barthélemy.

L'amendement COM-81 est adopté.

La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 42 ainsi modifié.

Article 43 (nouveau) (délégué)

La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 43 sans modification.

Le sort des amendements sur les articles pour lesquels la commission bénéficie d'une délégation au fond examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 14

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-83 rect.

Réécriture du régime unifié de l'action de groupe pour remédier aux difficultés juridiques qu'il soulevait.

Adopté

Article 42

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-73

Amendement rédactionnel

Adopté

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-74

Seuil salarial minimal de 1,5 fois le salaire annuel brut moyen pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle "talent - carte bleue européenne"

Adopté

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-75

Amendement rédactionnel

Adopté

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-76

Faculté de retirer la carte de séjour pluriannuelle "talent - carte bleue européenne" en cas de manquement de l'employeur à ses obligations en matière de sécurité sociale, de fiscalité, de droits des travailleurs ou de conditions de travail.

Adopté

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-77

Amendement rédactionnel.

Adopté

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-78

Précision du caractère ininterrompu de la résidence pour la délivrance de la carte de résident portant la mention « résident de longue durée - UE ».

Adopté

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-79

Suppression d'une disposition d'adaptation pour l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon

Adopté

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-80

Amendement rédactionnel

Adopté

M. FRASSA, rapporteur pour avis

COM-81

Suppression d'une disposition d'adaptation pour l'application à Saint-Barthélemy

Adopté

La réunion est close à 10h00.

Mercredi 5 mars 2025

- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à proroger le dispositif d'expérimentation favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons ce matin, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi, déposée par la députée Florence Herouin-Léautey, visant à proroger le dispositif d'expérimentation favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public, adoptée par l'Assemblée nationale le 18 février 2025.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'expérimentation des concours dits « Talents du service public », débutée en 2021 à la suite de l'ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021, prise sur le fondement de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, s'est achevée le 31 décembre 2024 sans que le rapport d'évaluation, prévu au plus tard pour le 30 juin 2024, ait été remis au Parlement.

Succédant aux classes préparatoires intégrées, les classes préparatoires « Talents » sont accessibles sur dossier, après un entretien de motivation. Elles permettent à des étudiants issus de classes socio-économiques défavorisées de bénéficier d'un accompagnement renforcé pour préparer les concours de la fonction publique, en particulier les six concours externes spéciaux dits « Talents » mis en place pour l'accès à cinq écoles de service public formant des cadres d'emplois de catégorie A+ dans les trois versants de la fonction publique : l'Institut national du service public (INSP), pour l'accès à la voie générale ; l'Institut national des études territoriales (INET), pour la formation d'administrateur territorial ; l'École des hautes études en santé publique (EHESP), pour la formation de directeur d'hôpital ou de directeur d'établissement sanitaire, social et médico-social ; l'École nationale supérieure de police (ENSP), pour la formation de commissaire de la police nationale ; l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), pour la formation de directeur des services pénitentiaires.

À la rentrée de septembre 2024, 1 950 places, réparties en 103 classes sur l'ensemble du territoire hexagonal et ultramarin, étaient offertes en prépas « Talents », soit 95 de plus qu'à la rentrée 2023. Seules 1 525 places sont occupées.

Le nombre de places offertes, par année, aux lauréats des concours « Talents » est compris entre 10 % et 15 % du nombre de places ouvertes au titre du concours externe « classique » d'accès à l'école concernée. Le jury, les programmes et les épreuves sont identiques à ceux du concours externe classique.

Aucune pérennisation du dispositif n'ayant été proposée, une forte insécurité juridique pèse sur les concours « Talents » de la session 2025, dont certains ont d'ailleurs vu leurs premières épreuves se dérouler dès le début de l'année.

Face à ce vide juridique, les écoles de service public ont abordé l'organisation de la session 2025 de manière variable : l'ENSP et l'INSP ont pris l'arrêté d'ouverture du concours à l'été 2024, l'INET et l'EHESP au début de l'année 2025, l'ENAP, enfin, a fait le choix de ne pas ouvrir de concours « Talents » au titre de la session 2025.

Il est à noter qu'un contentieux est en cours devant le Conseil d'État dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté d'ouverture du concours « Talents » pour l'accès à l'INSP. Le texte qui nous est soumis est donc salutaire.

Son article 1er vise à prolonger, sécuriser et étendre l'expérimentation des concours « Talents ».

L'expérimentation serait ainsi prolongée jusqu'au 31 août 2028, la date du 31 juillet 2027, prévue dans le texte initial, ayant été repoussée d'un an par la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Afin de lever l'ambiguïté à l'origine du contentieux en cours devant la juridiction administrative, et ainsi sécuriser les concours prévus pour 2025 sur le fondement d'arrêtés d'ouverture pris en 2024, le terme de concours « organisé » est remplacé par le terme de concours « ouvert », à l'article 1er de l'ordonnance du 3 mars 2021. Dans le même objectif, le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit l'application rétroactive de l'ordonnance à l'ensemble des concours ouverts depuis le 1er août 2024.

Toujours à l'article 1er de l'ordonnance, la commission des lois de l'Assemblée nationale a élargi l'expérimentation aux concours permettant l'accès aux écoles ou organismes assurant la formation de militaires.

L'objectif de cet élargissement est de permettre la mise en place d'un concours Talents pour l'accès au corps des ingénieurs de l'armement, dont les membres ont le statut de militaires, à la différence des membres des corps des ingénieurs des mines, des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et des administrateurs de l'Insee, qui ont le statut de fonctionnaires. La création d'une voie de concours Talents pour l'accès à ces trois derniers cadres est possible sous le régime actuel de l'ordonnance du 3 mars 2021, et nécessiterait seulement des mesures réglementaires.

Le Gouvernement, par votre voix, Monsieur le ministre, soutient l'élargissement de l'expérimentation du concours « Talents » à l'accès aux grands corps techniques d'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État, par symétrie avec l'accès aux grands corps administratifs.

Nous pouvons partager l'objectif d'une plus grande diversité sociale et territoriale au sein de la haute fonction publique, y compris parmi les grands corps techniques. Néanmoins, les spécificités inhérentes aux règles de recrutement de leurs membres limitent fortement la portée et l'opérationnalité de la mise en oeuvre de concours « Talents ».

Ainsi, plus des deux tiers des ingénieurs de l'armement sont recrutés à la sortie de l'École polytechnique, selon l'ordre de classement, tandis que le recrutement externe correspond à des concours sur titres, ouverts aux diplômés de certaines écoles d'ingénieurs et aux élèves des écoles normales supérieures. En conséquence, un concours de type « Talents » pour l'accès au corps des ingénieurs de l'armement s'adresserait à un vivier limité, constitué d'étudiants ayant déjà réussi un concours.

De surcroît, l'incidence de la mesure au regard de l'objectif de diversification des profils semble être d'autant plus relative que le nombre de postes offerts à ces concours externes est lui-même très restreint, sept postes ayant été ouverts pour l'accès au corps des ingénieurs de l'armement au titre de la session 2025. L'application du taux maximal de 15 % se traduirait ainsi par l'ouverture d'un seul poste au titre de la voie « Talents ».

Ces précisions ayant été apportées, je vous proposerai toutefois d'adopter l'article 1er sans modification.

L'article 2 tire la conséquence de la prorogation de l'expérimentation des prépas « Talents » jusqu'au 31 août 2028, en reportant au 31 mars 2028 au plus tard la remise par le Gouvernement au Parlement du rapport portant sur « l'évaluation de la mise en oeuvre des concours externes spéciaux et des cycles de formation » dits « Talents ».

En effet, aux termes de l'article 5 de l'ordonnance du 3 mars 2021, ce rapport devait être remis au Parlement au plus tard le 30 juin 2024.

Il est vrai que le contexte politique et institutionnel particulier de l'été 2024 n'a pas facilité le respect, par le Gouvernement, de l'obligation de production du rapport ; il n'en demeure pas moins que le pouvoir exécutif de l'époque a fait preuve d'un manque d'anticipation pour tenir le calendrier initial.

Le retard avec lequel le Gouvernement a finalement transmis un premier rapport d'évaluation au Parlement, à quelques jours de l'examen en séance par l'Assemblée nationale, semble d'autant plus difficilement justifiable que la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) produit chaque année un bilan relatif aux prépas « Talents ».

De surcroît, le rapport remis au Parlement le 14 février dernier est loin de répondre aux exigences fixées par le décret du 3 mars 2021. Il s'agit d'un document d'à peine sept pages, qui comporte uniquement des éléments relatifs aux taux de réussite aux concours « Talents », sans formuler d'appréciation sur la portée du dispositif au regard des objectifs que constituent le renforcement de l'égalité des chances dans l'accès à la haute fonction publique et la diversification des profils en son sein.

Monsieur le ministre, nous insistons sur la nécessité pour le Gouvernement de respecter le nouveau calendrier et de fournir à temps un rapport d'évaluation étayé, afin que le législateur puisse décider, le moment venu, de pérenniser ou non le dispositif. Une évaluation détaillée et complète sera d'autant plus indispensable à la représentation nationale que le périmètre de l'expérimentation aura lui-même été élargi à de nouvelles écoles. Il conviendra ainsi que ce rapport distingue le cas des concours compris dans l'expérimentation depuis 2021, du cas des nouveaux concours qui y seront intégrés en conséquence de l'adoption de la présente proposition de loi.

Enfin, au-delà des taux de réussite constatés aux concours « Talents », le bilan des classes prépas Talents devra être effectué au regard d'indicateurs relevant d'une évaluation au long cours tels que l'analyse des parcours professionnels des anciens élèves des classes prépas « Talents », qu'ils aient ou non réussi un concours « Talents » - étant entendu que de nombreux étudiants des classes prépas « Talents » réussissent, à l'issue de leur formation, un concours de catégorie A pour lequel il n'existe pas de concours « Talents ».

Ces éléments, qui nécessitent un recul de plusieurs années par rapport à chaque cohorte d'étudiants, seront précieux lorsque le Parlement devra se prononcer sur la pérennisation du dispositif.

Sous réserve de ces observations, je vous propose d'adopter l'article 2 sans modification.

L'article 2 bis, qui a été ajouté par la commission des lois de l'Assemblée nationale, vise à ratifier l'ordonnance du 3 mars 2021, pour donner pleine valeur législative à ses dispositions et les soustraire au contrôle du juge administratif. En effet, cette ordonnance reste à ce jour un acte administratif susceptible de recours devant la juridiction administrative.

Je vous rappelle que conformément à l'article 38 de la Constitution, les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Un projet de loi de ratification a bien été déposé à l'Assemblée nationale le 24 mars 2021, respectant ainsi le délai fixé au 3 juin 2021 par l'article 59 de la loi de transformation de la fonction publique.

Par ailleurs, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le deuxième alinéa de l'article 38 de la Constitution dispose que la ratification des ordonnances par le Parlement doit être expresse.

Toutefois, par deux décisions QPC - question prioritaire de constitutionnalité - de mai et juillet 2020, le Conseil constitutionnel a modifié sa jurisprudence. Il a reconnu aux ordonnances du Gouvernement non ratifiées par le Parlement, passé le délai d'habilitation, une valeur législative au sens de l'article 61-1 de la Constitution relatif à la QPC.

Il n'en demeure pas moins que le Conseil d'État reste compétent pour contrôler la conformité de l'ordonnance aux autres règles et principes de valeur constitutionnelle, ainsi qu'à des règles de compétence, de forme et de procédure, notamment.

Il paraît donc pertinent de mettre l'ensemble des dispositions de l'ordonnance - qui relèvent bien du domaine de la loi - à l'abri de tout recours devant la juridiction administrative. Afin de leur conférer, avec effet rétroactif, une pleine valeur législative, je vous propose donc d'adopter l'article 2 bis sans modification.

L'article 2 ter, ajouté lui aussi par la commission des lois de l'Assemblée nationale, sur l'initiative du groupe La France insoumise, prévoyait la remise d'un rapport par le Gouvernement au Parlement afin d'analyser la structure des concours d'entrée aux écoles concernées par les concours « Talents ». Il a été supprimé en séance publique par les députés.

Cette demande de rapport n'était pas justifiée sur la forme. L'article 5 de l'ordonnance prévoyant déjà la remise d'un rapport portant sur l'évaluation de la mise en oeuvre des concours et prépas Talents, il paraissait peu judicieux de prévoir la remise d'un rapport distinct.

De plus, l'objectif assigné à ce rapport - mettre en évidence les inégalités engendrées entre les candidats par les exigences académiques des épreuves écrites et orales - s'apparentait à une position de principe selon laquelle les concours engendrent, par eux-mêmes, des inégalités entre les candidats. Or, il semble au contraire que les concours, en tant que voie de recrutement des fonctionnaires, permettent de garantir l'égal accès à la fonction publique.

Je vous propose donc de maintenir la suppression de l'article 2 ter.

L'article 3 prévoyait un gage financier destiné à garantir la recevabilité de la proposition de loi lors de son dépôt. La commission des lois de l'Assemblée nationale a considéré que l'expérimentation des concours Talents ne constituait pas une charge, et que sa prorogation n'en constituait donc pas une non plus. En conséquence, elle a supprimé cet article.

Le 18 janvier 2025, lors de l'examen des crédits de la mission « Transformation et fonction publiques » inscrits au projet de loi de finances pour 2025, vous avez confirmé, Monsieur le ministre, votre intention de proroger le dispositif des concours « Talents ». Nous pouvons ainsi considérer que la recevabilité financière de la proposition de loi est assurée, et je vous propose donc de maintenir la suppression de l'article 3.

Pour conclure, considérant l'urgence à redonner aux concours Talents une base légale, je vous remercie, mes chers collègues, de bien vouloir adopter cette proposition de loi sans modification.

J'invite par ailleurs le Gouvernement à mener une réflexion de fond sur la nécessité de renforcer l'attractivité de la fonction publique auprès de l'ensemble des jeunes et de donner, le plus en amont possible, les moyens aux plus défavorisés de rejoindre la haute fonction publique.

En complément des prépas et concours « Talents », qui visent un public ayant déjà accédé aux études supérieures, il serait ainsi utile, dès l'enseignement secondaire, de communiquer davantage auprès des jeunes sur les métiers offerts par la fonction publique et les évolutions de carrière possibles.

M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. - Mesdames, Messieurs les sénateurs, à l'heure où je vous parle, de nombreux étudiants se préparent voire ont déjà passé les premières épreuves des concours sans savoir s'ils pourront disposer des places qui leur sont réservées.

J'ai affirmé à de nombreuses reprises l'attachement du Gouvernement au dispositif « Talents », en particulier lors de mon déplacement à Strasbourg le 16 janvier dernier, devant les étudiants de l'INSP et de l'INET, puis devant vos collègues de l'Assemblée nationale le 18 février, lors de la discussion de ce texte.

Je voudrais tout d'abord rappeler la nécessité d'adopter ce texte au plus vite pour sécuriser juridiquement les concours ouverts, en limitant au maximum le risque de contentieux, mais aussi, et surtout, pour rassurer les élèves et leurs parents, qui vivent dans l'incertitude depuis la fin de l'année 2024, date à laquelle l'expérimentation s'est achevée.

Certains concours « Talents » pour 2025 ont été ouverts par voie d'arrêté pris en 2024. C'est notamment le cas pour les concours de l'INSP ou de l'INET et pour le concours de commissaire de police, dont les épreuves d'admissibilité sont imminentes. Nous devons donc impérativement sécuriser les places réservées dans les concours et proroger aussi vite que possible l'expérimentation.

C'est pour répondre à l'urgence de la situation que le Gouvernement a choisi de soutenir sans hésitation la proposition de loi déposée par la députée socialiste Florence Herouin-Léautey, en l'inscrivant en priorité dans le cadre des semaines gouvernementales et en déclenchant la procédure accélérée.

Ce caractère d'urgence m'a d'ailleurs été rappelé par des parlementaires de tous bords, lors de mes déplacements, à l'Assemblée nationale et dans votre hémicycle, où j'ai été interpellé directement lors des débats budgétaires par Madame le rapporteur, que je tiens à remercier pour son implication et sa vigilance sur l'ensemble des sujets relatifs à la fonction publique.

La proposition de loi que nous examinons ne vise pas simplement, j'y insiste, à prolonger un dispositif technique. Elle témoigne d'un enjeu bien plus important, à savoir la manière dont un État fort recrute les meilleurs agents publics, qui me semble devoir s'appuyer en particulier sur deux concepts essentiels, l'attractivité et la méritocratie. Le droit pour tout un chacun, d'où qu'il vienne, d'aspirer aux plus grandes responsabilités est un combat de chaque instant. Les concours « Talents » y contribuent à leur échelle.

Nous devons aller chercher les talents partout où ils se trouvent, dans l'Hexagone, outre-mer, et dans tous les milieux sociaux. C'est la condition sine qua non d'une administration plus diversifiée, plus proche du terrain, plus conforme aux aspirations de nos concitoyens, et de mon point de vue plus compétente.

C'est dans cet état d'esprit que le Gouvernement a mis en place à être expérimental le dispositif des parcours « Talents » il y a un peu plus de quatre ans, par l'ordonnance du 3 mars 2021. Il s'inscrit dans le cadre plus large du plan « Talents », qui vise à donner à des jeunes issus de milieux modestes la chance d'intégrer la haute fonction publique. L'objectif est de relancer l'ascenseur social, de favoriser la diversité académique, géographique et sociale, pour une fonction publique plus représentative de la société.

Signe d'ouverture, de démocratisation, mais aussi de succès du dispositif, les toutes dernières ouvertures de places aux concours « Talents » l'ont été dans les outre-mer. Désormais, des prépas « Talents » existent à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et à Mayotte, et des discussions sont en cours pour ouvrir une classe en Guyane à la rentrée 2025.

J'ai tenu, au nom du Gouvernement, à ce que le rapport qui n'avait pu vous être transmis plus tôt en raison du contexte politique vous soit remis avant l'examen du texte en séance publique. Madame la rapporteur, ce rapport est en effet perfectible, j'en ai parfaitement conscience.

À l'avenir, hors contexte d'urgence, nous devrons approfondir les différents aspects de ce dispositif et ses résultats. Il semble plutôt encourageant dans son ensemble, mais il est encore impossible de tirer des conclusions définitives, principalement en raison de la durée trop courte d'expérimentation. C'est, à mes yeux, la raison principale pour laquelle nous devons prolonger ce dispositif.

S'il ne permet évidemment pas de relancer à lui seul l'égalité des chances dans la fonction publique, il diversifie sans l'ombre d'un doute les origines géographiques des lauréats. Sans compter que les candidats qui ont suivi une prépa « Talents », même s'ils ne s'inscrivent pas ou échouent aux concours des cinq écoles accessibles, réussissent très souvent un autre concours de la fonction publique et s'insèrent avec succès dans le monde professionnel. Nous sommes donc à peu près certains que le dispositif répond aux enjeux d'attractivité et de méritocratie que j'évoquais.

Pour ces deux raisons, je soutiens la prolongation de l'expérimentation des parcours Talents jusqu'en août 2028.

Mesdames, Messieurs les sénateurs, parce que nous sommes engagés dans une course contre la montre, je souhaite que vous puissiez adopter ce texte conforme pour assurer son entrée en vigueur dans les meilleurs délais. J'ai le sentiment que nous sommes collectivement conscients du besoin de rassurer les élèves qui s'apprêtent à passer des concours exigeants.

Au-delà, je ne doute pas que nous aurons l'occasion de travailler ensemble sur de nombreux textes pour améliorer la fonction publique et le quotidien de celles et de ceux qui veulent servir notre pays.

Mme Audrey Linkenheld. - Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient la prolongation de l'expérimentation du dispositif concours et prépas Talents, qui répond à un véritable besoin de démocratisation et de diversification de notre fonction publique.

Nous sommes par ailleurs conscients qu'il y a urgence à sécuriser l'avenir des jeunes concernés par les concours en cours - nous avions déjà exprimé nos inquiétudes à ce sujet lors de la discussion budgétaire.

Notre voterons donc cette proposition de loi et serions satisfaits qu'un vote conforme puisse intervenir, pour rassurer au plus vite les élèves et leurs parents.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Dans l'hypothèse d'un retour à la procédure normale en séance publique, il nous appartient, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Nous vous proposons de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à l'expérimentation de concours externes spéciaux pour l'accès à certaines écoles de service public et aux cycles de formation préparant à ces concours externes spéciaux.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION

Articles 1er, 2 et 2 bis (nouveau)

Les articles 1er, 2 et 2 bis sont successivement adoptés sans modification.

Article 2 ter (nouveau) (supprimé)

L'article 2 demeure supprimé.

Article 3 (supprimé)

L'article 3 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée, à l'unanimité, sans modification.

Ce point à l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 8 h55, est reprise à 9 h 30

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal, et proposition de loi organique visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité - Examen du rapport et des textes de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 3 février 2022, visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal, et la proposition de loi organique visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité, présentée par nos collègues Nadine Bellurot, Éric Kerrouche, Sonia de La Provôté, Didier Rambaud et plusieurs de leurs collègues.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - L'objectif premier des deux textes que nous examinons ce matin est simple : étendre aux communes de moins de 1 000 habitants le scrutin de liste.

Ce faisant, nous tentons de répondre à la crise de l'engagement local, qui s'apparente malheureusement de plus en plus à une tendance de fond, en particulier dans les communes rurales, et qui se traduit par un double phénomène : d'une part, la diminution du nombre de candidats aux élections locales ; d'autre part, l'augmentation des démissions en cours de mandat.

Au premier tour des élections municipales de 2020, 106 communes ne disposaient d'aucun candidat, et à l'issue du renouvellement général, 345 communes ne disposaient pas d'un conseil municipal complet. Ces chiffres sont nettement supérieurs à ceux qui ont été observés en 2014, où seules 64 communes étaient sans candidat, et 228 sans conseil municipal complet.

Par ailleurs, au 1er octobre 2024, 1 787 maires élus en 2020 avaient démissionné de leur mandat, soit plus de 5 % des édiles, et l'on recense près de 30 000 démissions de conseillers municipaux à mi-mandat.

Les facteurs de crise des vocations électorales au niveau local sont multiples. Figure assurément en tête la dégradation des conditions d'exercice des mandats locaux, mais nous sommes également convaincus que les modalités du scrutin municipal dans les communes de moins de 1 000 habitants ne sont pas sans lien avec la démobilisation constatée, et plus généralement avec les difficultés rencontrées.

Vous le savez, historiquement, l'ensemble des communes étaient soumises, depuis 1884, au scrutin de liste majoritaire à deux tours. Progressivement, le scrutin de liste proportionnel sans panachage ni vote préférentiel a été étendu à une part croissante des communes, la dernière extension aux communes comptant entre 1 000 et 3 500 habitants étant intervenue en mai 2013, pour une application aux élections de mars 2014.

En conséquence, les communes de moins de 1 000 habitants sont désormais les seules à être soumises au scrutin majoritaire. Rappelons toutefois qu'elles représentent plus de 70 % des communes et 13 % de la population française.

Dans ce contexte, la proposition de loi d'Élodie Jacquier-Laforge, adoptée par l'Assemblée nationale il y a maintenant trois ans, tend à franchir la dernière étape de la généralisation du scrutin de liste pour les élections municipales, en l'étendant aux communes de moins de 1 000 habitants.

En parallèle, le texte assortit cette extension de trois adaptations réservées à ces communes.

Tout d'abord, l'article 1er autorise le dépôt de listes incomplètes. Seraient ainsi permis les dépôts de listes comportant au moins cinq candidats dans les communes de moins de 100 habitants, au moins neuf candidats dans les communes comptant entre 100 et 499 habitants, et au moins onze candidats dans les communes comptant entre 500 et 999 habitants.

Ensuite, l'article 3 de la proposition de loi étend aux communes de 500 à 999 habitants le bénéfice de la présomption de complétude, qui concerne, en l'état du droit, les seules communes de moins de 500 habitants.

Vous vous en souvenez, depuis la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique de 2019, l'effectif légal du conseil municipal des communes de moins de 100 habitants, fixé à sept, est réputé complet dès lors qu'il compte au moins cinq membres ; de la même manière, dans les communes comptant entre 100 et 499 habitants, l'effectif légal du conseil, fixé à onze membres, est réputé complet dès lors qu'il en compte au moins neuf.

Dans la proposition de loi, l'extension de la règle du « réputé complet » se conjugue avec la création d'une strate intermédiaire pour les communes comptant entre 500 et 999 habitants, dont l'effectif légal du conseil serait abaissé de quinze à treize membres.

En conséquence des dispositions des articles 2 et 3, le conseil municipal des communes entre 500 et 999 habitants serait donc réputé complet à onze membres.

Nous sommes convaincus de la nécessité d'étendre le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants, afin d'harmoniser les règles applicables à l'ensemble des communes et de résoudre les difficultés posées par le scrutin majoritaire.

En octobre 2024, un rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales préconisait précisément d'unifier le mode de scrutin aux élections municipales. Il avait été suivi du dépôt d'une proposition de loi transpartisane.

Nous vous proposons donc aujourd'hui d'approuver les propositions de loi organique et ordinaire, tout en prévoyant des aménagements complémentaires de manière à garantir un dispositif opérationnel et adapté aux petites communes.

Nous identifions trois arguments en faveur du scrutin de liste proportionnel, qui vont de pair avec les limites que démontre aujourd'hui le scrutin majoritaire.

En premier lieu, le scrutin majoritaire et la pratique du panachage favorisent une « personnalisation » excessive du vote. Le fait même, pour un citoyen, de rayer des noms sur une liste entre en contradiction avec l'essence du vote, qui devrait être un acte « positif » où le citoyen manifeste son adhésion à un projet, plutôt qu'un acte « négatif » où il s'agit de voter contre tel ou tel élu - c'est souvent le maire ou l'adjoint chargé de l'urbanisme qui en fait les frais.

Il est temps de mettre un terme à la pratique du « tir aux pigeons ». Se présenter avec une équipe, formée autour d'un projet, c'est permettre la mise en place d'une dynamique collective. Cela éviterait de se retrouver avec un conseil municipal qui ne partage ni les mêmes idées, ni les mêmes projets pour la commune. Cela contribuerait à une meilleure protection des maires et inciterait sans doute davantage de citoyens à s'engager.

En deuxième lieu, nous estimons que la différence de traitement existant aujourd'hui entre les communes, selon qu'elles comptent plus ou moins de 1 000 habitants, n'est pas justifiée.

En troisième et dernier lieu, il semble difficilement concevable que les communes de moins de 1 000 habitants demeurent les seules collectivités à ne pas être soumises à la règle constitutionnelle de la parité. La part de femmes dans les conseils municipaux y est aujourd'hui inférieure de plus de dix points à celle que l'on constate dans les communes de 1 000 habitants et plus : 37 % contre 48 %.

D'aucuns expriment la crainte qu'émergent, dans certaines des communes les moins peuplées, des difficultés pour constituer des listes paritaires. À cette préoccupation, nous répondons que le niveau d'engagement des femmes dans les petites communes de nos territoires n'est plus à prouver. Je rappelle à cet égard que la proportion de maires femmes est supérieure dans les communes de moins de 1 000 habitants par rapport aux autres communes, atteignant 22 % dans les communes de 100 habitants ou moins.

Les associations d'élus, à l'instar de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) et de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), ont pris position en faveur de cette réforme. Depuis 2019, c'est une demande récurrente de l'AMRF. Ces associations se disent convaincues du puissant levier que peut constituer la généralisation du scrutin de liste pour enclencher une nouvelle dynamique de l'engagement local et favoriser le renouvellement des équipes municipales dès 2026. Il s'agit là d'un véritable enjeu de vitalité démocratique !

Les élus sont aujourd'hui dans une grande souffrance, avec, parfois, des situations de détresse. Je reste sincèrement convaincue qu'en leur permettant de partir sur de bonnes bases, avec une équipe et un projet commun, on favorise l'engagement des citoyens et la vitalité des communes.

J'ajoute que nous sommes passés, en 2013, du scrutin majoritaire au scrutin de liste pour les communes entre 1 000 et 3 500 habitants, et que les craintes exprimées alors sur la capacité à former des listes dans les communes les plus petites de cette strate démographique ne se sont pas concrétisées. Parmi les arguments que nous entendons aujourd'hui, beaucoup sont identiques à ceux que nous entendions à cette époque.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Au-delà d'un projet et d'une équipe, la mise en place du scrutin de liste offre un bouclier aux maires et à leurs adjoints, en évitant que ceux-ci ne soient nommément interpellés. Constatons néanmoins que les communes de moins de 1 000 habitants présentent de réelles spécificités. Nous avons souhaité instaurer le scrutin proportionnel, tout en veillant à garantir son caractère opérationnel et son adaptation à la réalité de ces communes.

Dans cette perspective, nous proposons sept amendements, que je vais maintenant vous détailler.

Plusieurs de ces amendements concernent l'opérationnalité du dispositif. Ils visent à mettre en oeuvre l'ensemble des coordinations juridiques nécessaires, tout en introduisant deux différences substantielles par rapport au dispositif initial.

En premier lieu, comme indiqué par Nadine Bellurot, l'autorisation de déposer des listes incomplètes nous semble indispensable. Conçue dans un esprit pragmatique, cette dérogation est de nature à garantir le respect du pluralisme. En cohérence avec les modifications apportées aux articles 2 et 3 - sur lesquelles je reviendrai ultérieurement -, nous vous proposerons de relever de onze à treize le nombre minimum de candidats que devront comporter les listes dans les communes de 500 à 999 habitants. Il nous a en effet semblé important de séparer la question du scrutin de celle des effectifs. En parallèle, au regard du retour d'expérience dans les communes de plus de 1 000 habitants, nous avons prévu qu'il soit possible de prévoir deux candidats supplémentaires sur les listes des communes de moins de 1 000 habitants. Utilisée à bon escient, cette liste complémentaire aide à maintenir la continuité du conseil municipal.

En second lieu, pour tenir compte du risque, lié aux effectifs des communes concernées, de multiplication des cas d'élections partielles intégrales, nous proposons la création d'un nouveau mécanisme d'élections complémentaires, réservé aux communes de moins de 1 000 habitants. Le déclenchement de ces élections complémentaires répondrait aux mêmes conditions que celles que nous connaissons aujourd'hui : elles seraient obligatoires lorsque le conseil a perdu un tiers de son effectif ou qu'il doit être complété en vue d'élire le maire ou plusieurs adjoints. Toutefois, ces élections auraient lieu au scrutin de liste, avec une grande souplesse pour le dépôt des listes, qui pourraient comporter le nombre de candidats nécessaire pour compléter le conseil, un nombre moindre dans le cadre du dispositif de « réputé complet », ou un nombre plus important pour permettre au maire de retrouver facilement une équipe et éviter des élections complémentaires à répétition.

Afin d'assurer la cohérence d'ensemble de la réforme, nous proposons également d'introduire deux articles additionnels, procédant à deux harmonisations essentielles.

La première concerne l'unification du mode de désignation des conseillers communautaires, grâce à la généralisation du système du « fléchage » lors du renouvellement général. Ainsi, les maires membres du conseil communautaire, élus de la même manière que les maires des communes de plus de 1 000 habitants, bénéficieront de la même légitimité du suffrage universel au sein de ce conseil.

La seconde porte sur le mode de désignation des adjoints au maire. Dans les communes de moins de 1 000 habitants, les adjoints au maire seraient élus, comme c'est le cas dans les autres communes, au scrutin de liste paritaire. Nous avons toutefois prévu une dérogation à la règle du remplacement de l'adjoint par un conseiller de même sexe, afin de leur offrir la souplesse nécessaire.

J'en viens à la sécurisation du dispositif proposé.

L'extension de la règle du « réputé complet » aux communes de 500 à 999 habitants, prévue par l'article 3, nous paraît opportune. Elle offre une réponse aussi bien à l'augmentation des démissions qu'à la diminution des candidatures, sans pénaliser les communes qui atteindraient l'effectif légal. Cette disposition a emporté l'adhésion des associations d'élus. Elle faciliterait le fonctionnement des conseils municipaux.

En revanche, comme nous vous l'indiquions, nous n'avons pas souhaité baisser l'effectif légal du conseil municipal de 15 à 13 membres dans les communes de 500 à 999 habitants, tel que prévu dans la proposition de loi initiale. Cela reviendrait à créer une nouvelle strate, alors même que le texte vise un objectif d'harmonisation, et nous estimons apporter déjà une réponse avec la possibilité de dépôt de listes incomplètes.

Nous vous proposerons en conséquence de supprimer l'article 2 de la proposition de loi. L'effectif légal du conseil municipal de ces communes demeurerait fixé à 15 membres et serait réputé complet à 13 membres.

Par ailleurs, nous avons souhaité répondre à une difficulté dont nous ont fait part certaines associations d'élus à propos de l'application de la présomption de complétude, dans le cas où des vacances au sein du conseil interviennent postérieurement au dernier renouvellement général ou à la dernière élection complémentaire. Certaines communes de moins de 500 habitants ont en effet dû organiser des élections complémentaires avant de procéder à l'élection du nouveau maire, alors même qu'elles atteignaient l'effectif du « réputé complet ». Toutefois, les vacances étant survenues en cours de mandat, les services de la préfecture ont considéré que l'article L. 2121-2-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) ne pouvait pas s'appliquer.

Cette lecture nous semble contraire à l'intention du législateur de 2019 ; c'est pourquoi nous vous proposons, par un amendement à l'article 3, de lever toute ambiguïté d'interprétation et de permettre aux conseils qui se trouveraient dans cette situation de procéder directement à l'élection du nouveau maire, sans avoir au préalable à organiser des élections complémentaires.

En outre, nous avons été attentifs à neutraliser les « effets de bord » qui auraient pu découler du texte adopté par l'Assemblée nationale. Nous avons ainsi garanti, pour les communes de 500 à 999 habitants, le maintien du nombre actuel de délégués désignés au collège électoral des sénateurs, c'est-à-dire trois, quand bien même ces communes compteraient, du fait de la présomption de complétude, treize conseillers municipaux et non quinze.

Je termine sur un point essentiel, à savoir la question de l'entrée en vigueur des mesures proposées. Nous sommes déjà le 5 mars ; même si l'objectif est d'obtenir un vote conforme des députés, chacun conçoit que la promulgation pourra difficilement intervenir avant le mois d'avril 2025. Le délai d'un an entre la modification des règles de scrutin et les prochaines élections, prévu par le code électoral depuis 2019, ne pourra donc pas être respecté.

Pour autant, il serait difficilement compréhensible que la réforme du mode de scrutin municipal, attendue par les élus locaux et réclamée par les associations représentatives, ne puisse pas entrer en vigueur dès les prochaines élections. De surcroît, le retard dans le calendrier d'examen n'est pas sans lien avec l'actualité politique des derniers mois. Je rappelle que la proposition de loi a été adoptée en 2022 à l'Assemblée nationale et que le texte transpartisan du Sénat était prêt dès la rentrée de 2024.

En outre, si le législateur a souhaité consacrer le principe de stabilité électorale, il a admis la possibilité d'y déroger au cas par cas. En l'espèce, cette dérogation nous paraît justifiée, étant précisé que les dispositions faisant évoluer le mode de scrutin pour les élections de mars 2014 ont été adoptées au mois de mai 2013.

Mes chers collègues, la réforme du mode de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants en vue de son harmonisation avec les autres communes n'attend plus que nous ! Sous réserve de l'adoption des amendements qui viennent de vous être présentés et qui entrent dans une logique opérationnelle en vue des prochaines élections, nous vous proposons donc d'adopter cette proposition de loi, ainsi que la proposition de loi organique qui l'accompagne.

Mme Cécile Cukierman. - Je remercie les rapporteurs pour ce travail et ferai précéder mon intervention de quatre remarques préalables.

Premièrement, nous abordons un sujet qui pourrait prêter à interprétations. Je tiens donc à rappeler qu'il ne s'agit pas, dans ce débat, de se prononcer pour ou contre la place des femmes en politique.

Deuxièmement, nous avons toujours fait preuve de prudence au Sénat, en évitant les bouleversements électoraux à moins d'un an d'une élection. Ce n'est certes pas un principe constitutionnel, mais c'est une règle qui a prévalu dans les années passées.

Troisièmement, les rapporteurs nous ont rappelé à plusieurs reprises la position des associations d'élus. J'oserai, avec un peu d'impertinence, leur faire part de mes regrets, car les revendications de ces mêmes associations n'ont pas été autant suivies au moment du vote du projet de loi de finances !

Quatrièmement, je cherche encore l'effet de simplification : si je salue le caractère brillant de la présentation de nos rapporteurs, il me semble très sincèrement que nous allons faire compliqué là où, jusqu'à présent, c'était assez simple. Dans mon département, moins d'un quart des communes de moins de 1 000 habitants ont enregistré plus de candidatures que de sièges à pourvoir en 2020 et seulement huit communes ont connu un deuxième tour.

Il me semble que l'ensemble des élus partagent la même préoccupation autour du nombre de conseillers municipaux ; même si ma famille politique n'y a pas toujours été favorable, nous soutenons désormais l'abaissement de ce nombre. Mais ce ne peut pas être à la carte... Qui jugera de la complétude de la liste ? Qui assurera l'égalité entre communes ?

Il me semble également que l'urgence pour nos communes rurales n'est pas un passage au scrutin de liste. Celles-ci ont surtout besoin qu'on leur redonne de la capacité à agir, au sein d'intercommunalités qui les privent de plus en plus de cette capacité.

Vous l'aurez donc compris, mes chers collègues, nous ne pourrons pas voter ces textes en l'état.

Mme Dominique Vérien. - Cela vous surprendra peut-être : je ne vais pas immédiatement aborder la question de la parité. Je souhaite, en tant qu'élue rurale, évoquer quelques cas concrets.

Je connais des communes de moins de 1 000 habitants dans lesquelles les candidats se présentent déjà en liste. Les électeurs peuvent panacher et cela donne des résultats disparates. Dans le cas de ma commune, nous étions huit élus d'une liste, sept de l'autre liste, et le maire a eu l'intelligence de choisir un adjoint de chaque côté. Mais je connais de nombreuses autres communes où les choses se sont très mal passées. Je peux également mentionner le cas d'une commune comptant onze conseillers : une liste s'est présentée avec douze noms et c'est la candidate censée devenir maire qui a été éliminée. Dans d'autres cas, l'ancien maire, qui se moquait d'avoir des listes allongées, car il faisait tout, ne se représente pas ; on continue à fonctionner par listes allongées et l'on se retrouve avec des équipes élues qui ne s'entendent sur rien... Passer à un scrutin de liste, c'est donc permettre de former une équipe portant un projet et, probablement, garantir plus de paix pendant les six ans de mandat.

S'agissant de la parité, j'entends dire que ce sera difficile... C'est aussi ce que m'ont dit certains dans mon territoire après la publication du rapport d'information intitulé Femmes et ruralités de la délégation aux droits des femmes, qui en avait fait une de ses recommandations. J'ai suggéré à mes interlocuteurs de regarder qui assurait la direction ou la gestion des associations de leur village... Comme Nadine Bellurot l'a mentionné, il y a plus de femmes maires dans les communes de moins de 100 habitants que dans les autres communes. Je crois donc que l'obligation de parité ne posera aucune difficulté, même s'il faut peut-être aller au-devant des femmes pour les solliciter.

M. Olivier Bitz. - À mon tour, je remercie les rapporteurs pour leur travail. Je suis néanmoins assez sceptique sur les textes présentés et leurs objectifs.

Les élections municipales ayant lieu dans un an, nous sommes à un moment où les maires sortants se demandent s'ils vont se représenter ou non, et comment ils vont s'organiser. Or ils ont de plus en plus de difficultés à trouver des bonnes volontés, faisant face à la crise des vocations. J'entends évidemment les arguments des associations d'élus, tout comme ceux sur les pratiques de « tir aux pigeons » - évidemment insupportables -, mais j'entends aussi les maires des communes rurales de mon département demander qu'on les laisse tranquilles. Nous n'avons de cesse, dans cette enceinte comme ailleurs, de répéter qu'il faut arrêter d'imposer de nouvelles règles et contraintes aux élus locaux ; or c'est précisément ce que nous ferions avec cette proposition de loi, alors même que le mode de scrutin actuel fonctionne.

Aujourd'hui, il faut donner le goût de l'engagement et cela passe, selon moi, par le fait de redonner de l'intérêt à la structure municipale. C'est là le véritable sujet. Je ne suis pas certain que les dispositions proposées soient de nature à susciter des vocations ou pacifier certaines situations - d'ailleurs, j'ai sondé les maires sur mon territoire et nombre d'entre eux s'inquiètent de devoir expliquer à des personnes qui se sont déjà engagées dans le conseil municipal qu'il n'y aura pas de place pour elles sur la prochaine liste.

Je ne suis donc pas convaincu par ces textes et, une fois n'est pas coutume, je rejoins assez largement la position exprimée par Cécile Cukierman.

M. Pierre-Alain Roiron. - Je remercie les rapporteurs pour leur présentation très précise de ces évolutions, sollicitées par de nombreux maires des territoires ruraux.

En généralisant le scrutin de liste pour les communes de moins de 1 000 habitants, nous essayons d'apporter une réponse pragmatique, qui permettra d'élargir le vivier des candidatures. Il s'agit d'une simple adaptation pour que nos institutions locales reflètent plus justement notre société.

Nous soulignons également la pertinence de l'introduction d'une marge de souplesse dans la strate des communes de 500 à 999 habitants, dont les listes pourront être considérées comme complètes si elles comptent treize candidats. Cet ajustement progressif facilite la mise en oeuvre du scrutin de liste, sans alourdir les contraintes. L'approche s'inscrit donc dans une logique de simplification et d'harmonisation avec les autres strates démographiques, sans création de nouveaux seuils administratifs.

S'agissant de l'harmonisation du mode de scrutin pour les adjoints aux maires, l'application du scrutin de liste paritaire aux plus petites communes répond à la logique générale du texte. Cette évolution ne remet pas en cause la souplesse d'organisation, dès lors que le remplacement d'un adjoint pourra s'effectuer sans obligation de parité.

Ce texte accorde la priorité aux communes de moins de 1 000 habitants. C'est une avancée que nous saluons, et que nous voterons.

M. Michel Masset. - Nous avons tous un parcours d'élu, mes chers collègues. Je suis, pour ma part, issu d'une commune de 1 500 habitants et j'ai connu les deux modes de scrutin. Lorsqu'il s'agissait de rayer des noms, en général, le candidat qui se retrouvait en haut de tableau la première fois qu'il était élu n'était plus qu'en milieu de tableau à sa deuxième élection, pour terminer en fin de tableau à la troisième. Voilà pourquoi le scrutin de liste est, à mon sens, bienvenu.

Je suis beaucoup plus réservé sur le fait d'inscrire la parité dans la loi, car il me semble, en tout cas sur mon territoire, qu'elle se met en place naturellement.

Pour moi, plus que de réviser le mode de scrutin, la priorité serait de bien identifier la vocation et l'engagement des futurs élus, de les accompagner et de les former. Le groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) compte aussi travailler sur les retombées de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Autrement dit, si nous pouvons appuyer le changement de mode de scrutin, n'oublions pas que nos élus ont besoin d'être accompagnés. Nous devons être à leurs côtés !

Mme Catherine Di Folco. - Merci aux rapporteurs pour leur travail très précis.

Pour avoir récemment discuté avec les maires des petites communes de mon département du Rhône, je peux dire que leur position est très partagée : 50 % d'entre eux seraient soulagés de voir ce scrutin de liste mis en place, tandis que 50 % souhaitent qu'on les laisse tranquilles, et ce y compris sur la parité. Faut-il vraiment l'imposer sur cette strate ? En tout état de cause, j'espère que nous n'irons jamais jusqu'à imposer, comme on a voulu le faire voilà quelques années, que le premier adjoint soit de sexe opposé au maire. Une telle mesure serait extrêmement compliquée à mettre en oeuvre.

Les maires estiment surtout qu'il y a trop de membres dans les conseils municipaux. Ce n'est certes pas la question du jour, mais il faudra y réfléchir, et ce indépendamment de la strate.

M. Hussein Bourgi. - Je souhaite également saluer le travail des rapporteurs sur ces textes.

Comme vient de le dire Catherine Di Folco, la question du nombre de conseillers municipaux se pose au regard notamment de l'absentéisme et du recours aux procurations.

Si, voilà quelques années, on m'avait interrogé sur l'harmonisation du scrutin de liste pour les élections municipales, je n'aurais pas eu d'avis sur la question. Aujourd'hui, j'ai un avis, tiré de l'expérience que j'ai acquise de situations de maires démissionnaires ou de crises au sein de conseils municipaux.

Souvent, les cas de démission de maires ou d'élus municipaux sont largement commentés lorsqu'ils sont liés à des problèmes externes au conseil municipal. S'il s'agit de problèmes internes, les élus sont beaucoup plus pudiques. Je me suis donc penché sur le sujet. J'ai constaté qu'au moment des élections municipales, se créent des groupements d'intérêts particuliers : une liste sur laquelle figurent quatre noms alors que le conseil municipal compte onze membres, par exemple, n'a pas vocation à administrer le village ; il s'agit, pour les personnes concernées, d'intégrer le conseil municipal pour faire valoir leurs intérêts. Ce peut être une liste composée de propriétaires fonciers, de représentants de telle association ou de tel club sportif, ou encore de chasseurs. Quand un maire, même plein de bonne volonté, se retrouve avec deux minorités de blocage de la sorte, la situation finit par imploser.

C'est pourquoi je considère que l'harmonisation du scrutin dans toutes les communes est devenue une question de bon sens. Un maire a mieux à faire que de gérer des négociations et des tiraillements au sein d'une petite équipe municipale.

Concernant la parité, quand je vois qui fait vivre les banques alimentaires, qui anime les centres sociaux, qui se trouve à la tête des comités des fêtes, je constate qu'il n'y a vraiment pas besoin d'aller chercher les femmes : elles sont déjà là ! Viendra le temps où les parlementaires qui, aujourd'hui, voient dans la parité une obligation particulièrement exorbitante nous demanderont de l'instaurer, car les femmes seront partout et les auront évincés.

M. François Bonhomme. - Je suis globalement d'accord avec les corrections proposées pour améliorer cette harmonisation du mode de scrutin. Mais je garde en tête un certain nombre de principes directeurs, qui doivent, je pense, nous donner un cap.

Je pense, en particulier, à l'expression du suffrage universel. À force de mettre en place des mécanismes correcteurs, ne l'orientons-nous pas ? Cela dit, les pratiques de « tir aux pigeons » existent bel et bien, avec un phénomène de personnalisation excessive. Pour autant, je ne souhaite pas non plus que les modes de scrutin soient dépersonnalisés à outrance.

En ce qui concerne la parité, nous avons largement dépassé la présomption d'incompétence qui pouvait parfois s'exprimer voilà une vingtaine d'années. Gardons là aussi en tête le garde-fou, cher à Élisabeth Badinter, du principe d'universalisme républicain : nous parlons de mandats représentatifs ; par définition, les élus, indépendamment de leur genre ou de leur origine, représentent la totalité du corps électoral.

M. André Reichardt. - Je salue bien évidemment le travail des rapporteurs, tout en confessant que je n'ai pas une vision très claire sur cette proposition.

D'une part, je ne pense pas que le mode de scrutin soit une préoccupation sur le terrain : personne ne m'a sollicité sur ce sujet, ni récemment, ni au cours des périodes ayant suivi les scrutins précédents, et une seule commune sur les 525 communes de mon département m'a fait part de son souhait de voir le Sénat mettre en musique les revendications énoncées par les associations d'élus.

D'autre part, je rejoins l'argument selon lequel les élus demandent qu'on les laisse tranquilles. Or nous sommes tout de même dans des délais très courts avant les prochaines élections et, en voulant faire simple, on finit tout de même par faire compliqué. Je ne suis pas certain que l'on réponde ainsi aux souhaits des maires.

Je suis donc perplexe. Mais, puisqu'il faudra bien prendre une décision, j'aurai la foi du charbonnier : si les associations de maires expriment le souhait d'aller dans ce sens, qui serais-je pour battre en brèche cette demande ? Il me semble avoir compris que ces mêmes associations soutiennent les ajustements suggérés par les rapporteurs. Dès lors, et même si, j'y insiste, je ne suis pas vraiment convaincu, je voterai en faveur des propositions avancées.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Permettez-moi de vous livrer également mon opinion personnelle.

Comme notre collègue André Reichardt, j'aborde ces textes sans rejet, mais sans grand enthousiasme, et je rejoins Olivier Bitz sur le fait qu'il importe sans doute plus de redonner des compétences aux communes pour dynamiser les fonctions municipales. Mais ce n'est pas le sujet du jour.

Se pose aussi, cela a été dit, la question du nombre de conseillers municipaux. Mais je rappelle qu'un texte en ce sens, adopté par notre commission, a été rejeté en séance publique le 9 octobre 2024.

Il y a donc certainement d'autres sujets importants pour les maires des communes de petite taille. Nous examinons aujourd'hui celui qui nous est présenté, et chacun évoque sa propre expérience. Par exemple, j'ai, pour ma part, été très sollicitée à une époque par un maire élu qui a dû travailler avec l'autre équipe, car tous les noms de ceux qui figuraient sur sa liste et devaient faire partie de l'exécutif avaient été rayés. Il ne faut pas croire que, parce que tout le monde se connaît dans une petite commune, tout le monde s'entend... Je peux aussi citer le cas d'une île dans laquelle deux frères ne cessaient de se présenter l'un contre l'autre : aux dernières élections, ils ont été rayés tous les deux !

On peut donc voir des avantages et des inconvénients à tous les modes de scrutin. Le scrutin de liste, comme cela a été rappelé par les rapporteurs, offre la possibilité d'élire un bloc pour mener à bien un projet. C'est l'un de ses avantages. Pour trancher, je ferai comme André Reichardt, considérant que, si les associations d'élus sont favorables à cette évolution, je ne vois pas pourquoi nous nous y opposerions, d'autant que les corrections apportées sont très cohérentes et éclairent le texte.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Il n'est pas question de stigmatiser les positions des uns ou des autres, Madame Cukierman. Je rappelle néanmoins ce que vous savez déjà : le « réputé complet » existe dans les communes de moins de 500 habitants et nous proposons une amélioration en l'étendant aux communes de 500 à 999 habitants.

Nous espérons en effet, comme cela a été dit à plusieurs reprises, que le fait de s'engager en équipe apporte stabilité, action collective et dynamique de projet.

S'agissant de la crise de l'engagement, dont nous avons parfaitement conscience, je rappelle que la proposition de loi sur le statut de l'élu local, que nous avons adoptée à l'unanimité le 7 mars 2024, devrait être examinée prochainement à l'Assemblée nationale. Nous espérons qu'elle y sera adoptée.

Je rejoins Pierre-Alain Roiron sur le fait que l'évolution envisagée ne remet pas en cause la souplesse. Nous essayons d'apporter une réponse pratique, au plus près de la réalité des territoires.

J'insiste sur le fait qu'il faut un traitement global de la question du statut de l'élu pour répondre à la crise de l'engagement. Néanmoins, si l'on permet déjà à l'élu d'engager son mandat avec une équipe et qu'on lui évite de se retrouver à devoir travailler avec des conseillers municipaux qui ne le soutiennent pas nécessairement, c'est déjà une avancée.

Je reconnais, Madame Di Folco, qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Mais je vous rassure sur le fait qu'il ne s'agit en aucun cas ici d'imposer que le premier adjoint soit de sexe opposé à celui du maire.

Je remercie Hussein Bourgi d'avoir montré les limites du panachage avec des exemples éclairants. Le scrutin de liste pourra remédier aux situations que vous avez évoquées.

Je vous rejoins sur la parité, monsieur Bonhomme. Nous devons aller de l'avant et mettre en oeuvre les réformes dont notre démocratie a besoin.

Je termine par les organisations représentatives, pour rebondir sur les propos d'André Reichardt. Je le répète, depuis 2019, l'assemblée générale de l'AMRF demande cette modification, tout comme elle demande une baisse du nombre des conseillers municipaux. Je ne reviendrai pas sur le sujet, sur lequel nous avons connu une déconvenue en octobre 2024: ayant proposé un texte qui visait à réduire ce nombre pour les communes jusqu'à 3 500 habitants, nous avons été battus à deux voix près en séance publique. Pour paraphraser une célèbre citation, nous avons probablement eu tort d'avoir raison trop tôt !

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Un mode de scrutin est rarement une finalité ; c'est un outil. C'est ainsi que nous concevons cette proposition de loi, en ayant conscience qu'elle ne transformera pas les conditions d'exercice de la démocratie locale et ne concerne que l'élection.

Une brève incise : si nous mettons en place un scrutin de liste, celui-ci ne peut être, évidemment, que paritaire. J'insiste également sur un autre avantage de ce scrutin, développé par Nadine Bellurot : c'est une équipe qui se présente, non des individus. Les maires, dès lors qu'ils n'avancent pas seuls, disposent ainsi d'un bouclier. C'est aussi un moyen d'accroître la pluralité politique : la composition d'une liste exige d'être la plus représentative possible de la situation de la commune. En ajoutant à ce renforcement de la vitalité démocratique le mécanisme du « réputé complet », nous proposons une évolution positive.

Si, donc, cette proposition de loi ne change pas tout, il nous semble qu'elle vient protéger les maires et permet un meilleur exercice de leur mandat dans le temps. Je ne crois pas que nos propositions complexifient le texte : nous faisons simplement en sorte de rendre celui-ci compatible avec la réalité vécue et la spécificité des communes rurales, liée avant tout à l'effectif de leur conseil municipal.

PROPOSITION DE LOI VISANT À RENFORCER LA PARITÉ DANS LES FONCTIONS ÉLECTIVES ET EXÉCUTIVES DU BLOC COMMUNAL

Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Nous proposons de considérer que le périmètre de la proposition de loi comprend les dispositions relatives au mode de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants ; au nombre de conseillers municipaux dans les communes de moins de 1 000 habitants ; et à la parité dans les exécutifs des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Nous sommes défavorables à l'amendement de suppression COM-6 rectifié ter. Son auteur affirme que le calendrier prévu ne permettrait pas de mettre en oeuvre une telle réforme avant les élections de 2026. Pourtant, une réforme similaire était bien entrée en vigueur moins d'un an avant les élections municipales de 2014. Nous y réfléchissons depuis plusieurs années et plusieurs propositions de loi ont été examinées ; il ne s'agit pas d'un nouveau sujet.

L'amendement COM-6 rectifié ter n'est pas adopté.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Par l'amendement COM-15, nous proposons une réécriture globale de l'article 1er. Il s'agit d'apporter deux modifications substantielles au texte transmis par l'Assemblée nationale.

D'une part, sur le nombre de candidats que devront compter les listes, nous avons un objectif de souplesse. Ainsi, comme nous préférons ne pas créer de strate supplémentaire pour les communes de 500 à 999 habitants, nous relevons de onze à treize le nombre minimum de candidats que devront comporter les listes dans ces communes pour que le conseil soit réputé complet. En outre, nous proposons de déposer dans ces communes des listes comportant deux noms supplémentaires, afin d'éviter de nouvelles élections en cas de démissions, ce qui satisfait l'amendement COM-1 rectifié. En revanche, permettre d'emblée le dépôt de listes de deux noms, comme Cédric Chevalier le propose dans son amendement COM-8 rectifié ter, ne fonctionnerait pas, puisque cet effectif est inférieur au minimum nécessaire pour que le conseil soit réputé complet.

D'autre part, concernant les élections complémentaires réservées aux communes de moins de 1 000 habitants, comme je l'ai expliqué, nous proposons un mécanisme innovant permettant soit de respecter l'effectif légal du conseil, soit de faire en sorte qu'il soit réputé complet, soit encore d'ajouter deux candidats. Là encore, nous privilégions la souplesse.

L'adoption de cet amendement rendrait sans objet les autres amendements déposés à cet article, mais je tiens à les évoquer brièvement. Il est ainsi proposé de limiter l'extension du scrutin de liste aux communes de plus de 100 habitants dans l'amendement COM-4 rectifié, ou de plus de 500 habitants dans les amendements COM-3 rectifié et COM-5 rectifié bis ; nous préférons une harmonisation définitive. Quant aux amendements COM-9 rectifié bis, COM-7 rectifié ter et COM-10 rectifié bis, ils reviennent sur l'obligation de parité, qui exprime pourtant une exigence constitutionnelle. En outre, dans notre volonté d'harmonisation des modes de scrutin, on imagine mal de ne pas étendre cette obligation aux communes de moins de 1 000 habitants. Des débats similaires ont eu lieu quand le scrutin de liste a été étendu aux communes de 1 000 à 3 500 habitants ; or aucune difficulté n'a été relevée en la matière aux élections suivantes.

L'amendement COM-15 est adopté. En conséquence, les amendements COM-3 rectifié, COM-4 rectifié, COM-5 rectifié bis, COM-8 rectifié ter, COM-9 rectifié bis, COM-7 rectifié ter, COM-10 rectifié bis et COM-1 rectifié n'ont plus d'objet.

L'article 1er est ainsi rédigé.

Après l'article 1er

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Par l'amendement COM-16, nous tirons les conséquences de la généralisation du scrutin de liste en harmonisant le mode de désignation des conseillers communautaires, selon le système de fléchage que vous connaissez, avec la possibilité de désigner un remplaçant.

L'amendement COM-16 est adopté et devient article additionnel.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Par l'amendement COM-17, nous harmonisons les règles relatives à la désignation des adjoints au maire. Nous proposons de permettre, dans les communes de moins de 1 000 habitants, que le remplacement puisse être effectué sans tenir compte du sexe du successeur, de manière à répondre aux réalités locales et aux contraintes pesant sur les petites communes.

L'amendement COM-17 est adopté et devient article additionnel.

Article 2

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Par l'amendement de suppression COM-18, nous entendons revenir sur la création proposée par l'Assemblée nationale d'une nouvelle strate démographique regroupant les communes de 500 à 999 habitants ; je rappelle que nous prévoyons toutefois, à d'autres articles, certains aménagements pour ces communes.

L'amendement COM-18 est adopté.

L'article 2 est supprimé.

Article 3

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Notre amendement COM-19 tend à étendre l'extension de la règle du « réputé complet » aux communes de 500 à 999 habitants : l'effectif légal serait maintenu à quinze, mais le conseil serait réputé complet à treize. Nous levons aussi l'ambiguïté d'interprétation qui pouvait empêcher l'élection d'un nouveau maire quand le conseil municipal a perdu deux membres en cours de mandat. Nous permettons l'application de la présomption de complétude dès le premier tour. Enfin, nous garantissons que les communes de 500 à 999 habitants dont le conseil municipal est réputé complet conserveront trois délégués pour le collège électoral des élections sénatoriales.

L'amendement COM-19 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 3

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - L'amendement COM-12 rectifié quater de Corinne Bourcier vise à prolonger la dérogation permettant à une commune nouvelle de bénéficier de l'effectif d'une commune appartenant à la strate démographique supérieure jusqu'au troisième renouvellement général suivant sa création. À ce stade, j'y suis défavorable, car il convient d'en retravailler la rédaction pour garantir sa stabilité juridique.

L'amendement COM-12 rectifié quater n'est pas adopté.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - L'amendement COM-11 rectifié quater pose encore plus de difficultés. Corinne Bourcier propose que l'effectif des communes nouvelles corresponde à l'effectif légal de droit commun, augmenté d'un conseiller supplémentaire par commune historique déléguée, afin d'assurer la représentation de celles-ci. Cela nous paraît contrevenir au principe constitutionnel d'égalité ; nous y sommes donc défavorables.

L'amendement COM-11 rectifié quater n'est pas adopté.

L'amendement COM-13 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Article 4 (supprimé)

L'article 4 demeure supprimé.

Article 5 (nouveau)

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Notre amendement COM-20 est rédactionnel ; il est incompatible avec l'amendement COM-14 rectifié, auquel nous sommes défavorables.

L'amendement COM-20 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-14 rectifié devient sans objet.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Par l'amendement COM-21, nous proposons d'harmoniser l'intitulé de cette proposition de loi avec celui de la proposition de loi organique afférente.

L'amendement COM-21 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. CHEVALIER

6 rect. ter

Suppression de l'article 1er 

Rejeté

Mme BELLUROT, rapporteure

15

Application, avec adaptations, du scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants

Adopté

M. MIZZON

3 rect.

Extension du scrutin de liste aux seules communes de 500 à 999 habitants

Rejeté

M. MIZZON

4 rect.

Extension du scrutin de liste aux seules communes de 100 à 999 habitants

Rejeté

Mme ROMAGNY

5 rect. bis

Extension du scrutin de liste aux seules communes 500 à 999 habitants

Rejeté

M. CHEVALIER

8 rect. ter

Abaissement du nombre minimum de candidats devant figurer sur les listes aux élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants

Rejeté

M. ROCHETTE

9 rect. bis

Suppression de l'obligation de parité pour les listes aux élections municipales des communes de moins de 1 000 habitants

Rejeté

M. CHEVALIER

7 rect. ter

Obligation de déposer des listes composées d'au moins 30 % de candidats de chaque sexe

Rejeté

M. ROCHETTE

10 rect. bis

Obligation de déposer des listes composées d'au moins 25 % de candidats de chaque sexe

Rejeté

Mme LERMYTTE

1 rect.

Autorisation du dépôt de liste comportant deux candidats supplémentaires par rapport au nombre de postes à pourvoir

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après Article 1er

Mme BELLUROT, rapporteure

16

Harmonisation du mode d'élection des conseillers communautaires

Adopté

Mme BELLUROT, rapporteure

17

Harmonisation et adaptation des règles relatives à la désignation des adjoints au maire

Adopté

Article 2

Mme BELLUROT, rapporteure

18

Suppression de l'article 2

Adopté

Article 3

Mme BELLUROT, rapporteure

19

Modalités d'application de la présomption de complétude dans les communes de 500 à 999 habitants

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

Mme BOURCIER

12 rect. quater

Extension jusqu'au troisième renouvellement du principe de composition dérogatoire du conseil municipal des communes nouvelles

Rejeté

Mme BOURCIER

11 rect. quater

Pérennisation d'un effectif du conseil des communes nouvelles supérieur à l'effectif légal de droit commun afin d'assurer la représentation des communes déléguées

Rejeté

M. Daniel LAURENT

13

Dérogation pour les communes de plus de 1 000 habitants à l'obligation de remplacer un adjoint par un conseiller municipal de même sexe

Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Article 4 (Supprimé)

Article 5 (nouveau)

Mme BELLUROT, rapporteure

20

Amendement rédactionnel

Adopté

M. DAUBET

14 rect.

Application de la réforme du mode de scrutin à compter des élections de 2032

Rejeté

Intitulé de la proposition de loi

Mme BELLUROT, rapporteure

21

Harmonisation de l'intitulé de la proposition de loi avec celui de la proposition de loi organique

Adopté

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE VISANT À HARMONISER LE MODE DE SCRUTIN AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES AFIN DE GARANTIR LA VITALITÉ DÉMOCRATIQUE, LA COHÉSION MUNICIPALE ET LA PARITÉ

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Cette proposition de loi organique procède à des mesures de coordination de nature organique nécessaires à l'application de la proposition de loi que nous venons d'examiner.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous propose de considérer que le périmètre de ce texte, aux fins de l'application de l'article 45 de la Constitution, comprend les dispositions relatives aux harmonisations rendues nécessaires, dans les dispositions organiques du code électoral, par les dispositions de la proposition de loi n° 451 visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Les dispositions relatives au droit de vote des ressortissants d'autres États de l'Union européenne aux élections municipales sont de nature organique. Les deux amendements que nous avons déposés sur ce texte visent simplement à apporter des coordinations

L'amendement de coordination COM-1 est adopté.

L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article unique

L'amendement COM-2 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi organique est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

Mme BELLUROT, rapporteure

1

Coordination

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article unique

Mme BELLUROT, rapporteure

2

Entrée en vigueur de la PPLO

Adopté

La réunion, suspendue à 8 h55, est reprise à 9 h 30

L'évolution institutionnelle de la Corse - Examen du rapport d'information

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent le rapport de notre collègue Lauriane Josende au nom de la mission d'information sur l'évolution institutionnelle de la Corse.

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Les travaux de cette mission d'information de notre commission ont été lancés en mai dernier à l'initiative de François-Noël Buffet, alors président de notre commission, à l'issue du fameux « processus de Beauvau », dont le Parlement avait été totalement écarté et qui avait pour objectif d'aboutir à une nouvelle évolution du statut de la Corse.

L'objectif de la mission d'information était d'établir un bilan des demandes d'évolution statutaire émises par les élus insulaires et de formuler, sur cette base, des propositions d'évolution institutionnelle pour mieux prendre en compte les spécificités du territoire corse.

Le flambeau m'a été transmis à la suite du départ de François-Noël Buffet pour d'autres fonctions ; il me revient donc aujourd'hui, après avoir entendu plus de 90 personnes au cours de nombreuses auditions et avoir effectué un déplacement à Ajaccio les 10 et 11 juin 2024, de vous présenter les résultats de nos travaux et de vous soumettre 10 propositions d'évolution visant à répondre au besoin d'une plus grande différenciation de l'action publique en Corse.

Pour déterminer si la Corse a besoin d'une nouvelle étape de différenciation, il faut d'abord analyser la situation actuelle et, notamment, les conditions dans lesquelles, aujourd'hui, les compétences particulières de la Corse sont effectivement exercées. Je commencerai donc par dresser un bilan de l'exercice, par la collectivité de Corse, des compétences qui lui sont octroyées en vertu de son statut particulier.

Comme vous le savez, la Corse est dotée, depuis 1982, d'un statut particulier qui vise à prendre en compte les spécificités liées, notamment, à son insularité. Ce statut a connu de nombreuses évolutions au cours du temps, toujours dans le sens d'une plus grande différenciation des règles applicables sur l'île par rapport à celles qui s'appliquent dans les autres régions métropolitaines.

Au terme de ces évolutions statutaires, la Corse constitue aujourd'hui la collectivité la plus décentralisée de l'Hexagone. Dotée d'une organisation institutionnelle unique, la collectivité de Corse est détentrice de nombreuses compétences propres, qui lui ont été progressivement transférées par le législateur et qui s'ajoutent aux compétences détenues par les régions et les départements de droit commun, dans des domaines aussi variés que l'éducation, la culture, le transport, le foncier et le logement, ou encore l'énergie.

Nos travaux nous ont d'abord permis de constater que la collectivité de Corse s'était saisie de ses compétences avec une efficacité et une intensité variables.

Certes, la collectivité de Corse a connu des réussites indéniables dans l'exercice de certaines de ses compétences : c'est par exemple le cas des actions de promotion de la langue corse mises en place par la collectivité, qui ont permis de stabiliser le nombre de locuteurs corses parmi les nouvelles générations.

En revanche, dans d'autres domaines, la collectivité de Corse peine à exercer pleinement ses compétences, comme l'illustre le cas emblématique de la gestion des déchets : l'île produit ainsi un volume de déchets largement supérieur à sa capacité de traitement et seuls deux centres d'enfouissement gérés par des opérateurs privés sont actuellement opérationnels.

Nous avons également relevé des retards dans l'adoption ou la révision des plans et schémas stratégiques, à commencer par le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc), document d'urbanisme propre à la Corse, qui n'a pas été révisé depuis 2015, alors même que le législateur a, entre-temps, reconnu à la collectivité de nouvelles facultés de dérogations aux règles nationales d'urbanisme, qui auraient dû être intégrées au Padduc.

Enfin, le plein exercice de ses compétences par la collectivité est parfois entravé, en raison notamment d'une mobilisation perfectible de ses ressources en ingénierie, de la persistance de difficultés historiques telles que le désordre de la propriété foncière, ou encore de l'existence de pressions exercées à l'encontre des élus insulaires par des groupes criminels. Sur ce dernier point, je voudrais évoquer les travaux lancés en 2023 par la collectivité de Corse pour lutter contre les dérives mafieuses sur le territoire insulaire. Présenté le 27 février 2025 par Gilles Simeoni, le rapport issu de ces travaux formule 30 propositions pour lutter contre ce phénomène. Trop peu ambitieuses, ces recommandations excluent en particulier la création d'un délit d'association mafieuse, ou encore la mise en place d'un parquet national anti-criminalité organisée, deux mesures que le Sénat a pourtant récemment adoptées à l'unanimité, lors de l'examen de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.

S'agissant de l'organisation administrative de la collectivité de Corse, les éléments issus de nos travaux suscitent deux observations principales.

D'une part, la mise en place, à compter du 1er janvier 2018, de la collectivité unique n'a pas encore été entièrement « digérée » : elle s'est accompagnée d'une forte progression des coûts de fonctionnement et des dépenses de personnel, et a créé des doublons dans certains domaines, liés aux nouvelles compétences acquises par la collectivité. D'après les élus locaux que nous avons entendus, cette réforme a également créé une forme de « distanciation » entre la collectivité et le bloc communal de l'île, liée à la suppression d'un lien de proximité qui était auparavant assuré par l'échelon départemental.

D'autre part, la collectivité de Corse a fait le choix d'une organisation « satellitaire » : autour du noyau central de la collectivité gravitent dix agences et offices placés sous sa tutelle. Or ce modèle soulève aujourd'hui des interrogations au regard des enjeux d'efficacité, de lisibilité et de cohérence de l'action publique locale.

Par ailleurs, les travaux conduits ont permis de constater l'ineffectivité du droit d'adaptation des normes aux spécificités insulaires actuellement reconnu à la collectivité de Corse. Celle-ci s'est en effet largement saisie des facultés offertes par son statut, qui lui permettent de demander au Gouvernement l'adaptation ou la modification de normes législatives ou réglementaires, pour prendre en compte les particularités du territoire, mais aussi de fixer des règles réglementaires, sur habilitation législative, pour, là aussi, prendre en compte les contraintes locales.

Nous avons ainsi recensé 72 demandes d'adaptation ou d'habilitation à fixer des règles spécifiques formulées par la collectivité de Corse. Seules 13 de ces demandes ont entraîné une évolution normative ; certaines autres demandes ont fait l'objet d'un rejet exprès de la part du Gouvernement, mais la plupart d'entre elles sont restées sans réponse. Nous estimons que les demandes d'adaptation auraient dû faire, à tout le moins, l'objet d'un accusé de réception et d'une réponse indiquant, même succinctement, pourquoi il n'y est pas donné suite.

J'en viens maintenant aux souhaits d'évolution institutionnelle formulés par les élus insulaires.

La plupart d'entre eux réclament, de longue date, une meilleure prise en compte des spécificités insulaires au travers de l'octroi à la Corse d'une plus grande autonomie, inspirée du régime applicable aux Açores. Cette évolution est souvent présentée comme un moyen de mieux répondre aux spécificités et aux fragilités économiques et sociales de l'île, telles que les problèmes d'accès aux soins ou de spéculation immobilière.

Ce souhait a été réactivé à la suite de l'agression puis du décès d'Yvan Colonna en 2022, qui a provoqué de violentes émeutes urbaines, une résurgence des mouvements nationalistes corses et une flambée du nombre d'attentats commis en Corse : 64 attentats et incendies ont ainsi été dénombrés sur l'île entre mars 2022 et avril 2023 !

Dans ce contexte d'« embrasement » de la Corse, pour paraphraser le président du conseil exécutif de Corse Gilles Simeoni, le gouvernement de l'époque a choisi d'enclencher un nouveau dialogue institutionnel avec les élus insulaires, à travers le lancement du « processus de Beauvau », sous l'égide du ministère de l'intérieur, au cours de l'été 2022.

Au préalable, je ne peux que regretter que le Parlement ait été tenu à l'écart de ce dialogue.

Ce processus de discussion a donné lieu à de nombreuses réunions de travail avec les représentants insulaires, avant que ces derniers ne soient invités à formuler une proposition définissant les termes d'une éventuelle autonomie pour la Corse, aboutissant à ce que l'on a nommé « écritures constitutionnelles ».

Celles-ci, adoptées à une large majorité par l'Assemblée de Corse le 27 mars 2024, ont été fortement soutenues par la plupart des élus insulaires. Seuls quelques-uns d'entre eux ne les ont pas bien accueillies, à l'instar de Jean-Guy Talamoni, qui les a qualifiées de « publicité mensongère ».

En insérant dans la Constitution un article spécifique à la Corse afin de mieux prendre en compte ses spécificités, ces « écritures constitutionnelles » consacreraient pour la Corse un statut d'autonomie dont la teneur serait précisée ultérieurement par une loi organique et qui permettrait une meilleure prise en compte de ses spécificités, sans que l'on puisse déterminer sans ambiguïtés, à ce stade, les possibilités offertes par cette autonomie.

Elles renforceraient en outre l'adaptation des normes aux spécificités insulaires, en autorisant la collectivité de Corse, sur habilitation, d'une part, à adapter les lois et les règlements dans certaines matières pour tenir compte de ses spécificités et, d'autre part, à fixer les normes réglementaires ou législatives applicables sur son territoire dans son champ de compétences.

Enfin, les écritures constitutionnelles permettraient au Gouvernement d'adapter, par ordonnance, les dispositions législatives en vigueur aux spécificités de la Corse.

De nombreux points devraient cependant être précisés par la loi organique, clef de l'autonomie réelle qui serait octroyée à la Corse. La loi organique devrait notamment déterminer l'étendue du pouvoir d'adaptation des normes qui serait conféré à la collectivité, ainsi que la durée de validité des habilitations qui seraient octroyées à la Corse pour adapter ou fixer des normes.

Au terme de nos travaux, il nous apparaît indispensable de donner à la Corse les moyens d'une différenciation effective par rapport au reste de l'Hexagone, afin de mieux prendre en compte ses singularités et de favoriser la conduite de politiques publiques pleinement adaptées. Cette évolution doit s'inscrire dans le cadre d'une politique de décentralisation respectueuse de l'unité de la République.

À cet effet, il apparaît tout d'abord indispensable, pour garantir une différenciation des normes effective, que l'État renforce l'accompagnement en ingénierie et en expertise technique qu'il apporte aux collectivités locales insulaires. À cet égard, une relation de confiance mutuelle doit permettre à la collectivité de Corse et aux services de l'État d'agir de façon coordonnée pour mener à bien des opérations structurantes pour l'île, notamment en matière de gestion des déchets et d'infrastructures de transport.

Il incombe aux services de l'État de mieux prendre en compte le manque patent de moyens techniques et financiers dont souffre le bloc communal de l'île et d'assumer leur rôle d'accompagnateur et de facilitateur. Nous recommandons un changement de logiciel pour que l'aide opérationnelle fournie par l'État aux acteurs du bloc communal dans la conduite de leurs projets soit renforcée, diversifiée, voire conçue « sur mesure » pour s'adapter aux besoins et particularités locales. Le secrétariat général pour les affaires de Corse (Sgac) et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ont un rôle essentiel à jouer en la matière.

En outre, nous préconisons une adaptation de la présence et de l'action régalienne de l'État en Corse, notamment en matière de justice, pour lutter plus efficacement contre les groupes criminels présents sur le territoire insulaire et ainsi éviter un accroissement des pressions exercées sur les élus locaux. Cela pourrait notamment passer par un recrutement profilé de magistrats.

Parallèlement, pour exercer effectivement le pouvoir normatif local renforcé qui serait reconnu à la Corse, ainsi que les facultés de différenciation qui lui sont déjà conférées par la loi, la collectivité doit mobiliser des moyens techniques, humains et juridiques suffisants et favoriser le développement d'une véritable ingénierie de projets et d'une culture programmatique au sein de ses services.

Il apparaît également souhaitable de modérer le processus de « centralisation administrative » qui conduit la collectivité de Corse à internaliser et à assumer la gestion des personnels, des coûts et des risques d'exploitation d'un nombre croissant d'activités. Nous appelons ainsi à considérer avec prudence le projet d'absorption des chambres consulaires de l'île au sein d'un nouvel établissement qui serait placé sous la tutelle de la collectivité de Corse.

Quelle que soit la finalité du processus d'évolution institutionnelle de la Corse, celui-ci doit s'inscrire dans le cadre du respect de la liberté et du rôle des communes et des intercommunalités.

Les nombreux élus du bloc communal que nous avons entendus ont tenu à rappeler leur attachement aux principes de libre administration, d'autonomie financière et de non-tutelle - un attachement que chacun d'entre nous partage dans cette assemblée.

Face à l'affaiblissement du lien de proximité entre le bloc communal et la collectivité de Corse, lié à la disparition de l'échelon intermédiaire des départements, seul un dialogue structuré et institutionnalisé peut permettre un exercice des compétences qui soit concerté entre les différentes collectivités de l'île. Nous avons estimé qu'à condition de renforcer ses prérogatives et d'adapter sa composition, la chambre des territoires pourrait constituer la pièce manquante du puzzle et devenir une instance de dialogue et de coordination propre à assurer le relais des aspirations des élus du territoire dans leur diversité.

Comme l'ont appelé de leurs voeux plusieurs élus locaux insulaires, nous jugeons également nécessaire d'entamer un processus de redéfinition de la carte intercommunale, en étroite collaboration entre les services de l'État et les acteurs locaux, afin d'améliorer la cohérence de l'action publique locale et de refléter au mieux les dynamiques et les spécificités du territoire corse.

Enfin, je crois pouvoir affirmer que tous les membres de notre mission d'information ont convenu qu'il fallait sortir du statu quo et qu'il était nécessaire de développer le pouvoir normatif local, pour favoriser la prise en compte des singularités insulaires.

C'est le sens de la recommandation n° 10, qui affirme, de façon politiquement forte, la nécessité de « développer le pouvoir normatif local par une évolution du cadre constitutionnel et organique ».

En revanche, nous ne sommes pas parvenus à un consensus sur les modalités concrètes de développement du pouvoir normatif dont serait dotée la collectivité de Corse.

Aussi, en accord avec la présidente de la commission et de façon assez inédite, il a été proposé que le rapport qui vous est soumis présente la position de chacun des membres de la mission d'information, au nom de leur propre groupe, sans trancher sur les modalités concrètes que devrait revêtir le pouvoir normatif renforcé dont bénéficierait la collectivité de Corse.

Les groupes Les Indépendants et RDPI ont répondu positivement à cette proposition ; je les en remercie. D'autres - les groupes UC, SER, GEST, CRCE-K et RDSE - ont préféré refuser cette proposition, qui avait pourtant, me semble-t-il, le mérite d'exposer les diverses positions en présence, nourries des travaux de la commission. Je le regrette profondément, mais nos collègues nous expliqueront certainement ce matin les motifs de leur décision.

Je vais donc vous présenter la solution que je préconise, en tant que rapporteure et que membre du groupe Les Républicains (LR) ; la discussion qui va suivre permettra à chaque membre de la mission d'information d'exposer sa position.

Je veux d'abord dire un mot de la philosophie qui m'a animée dans la définition de ma position.

Le « processus de Beauvau » est un fait politique indéniable ; il a abouti à un projet qui dispose d'un soutien politique local. Toutefois, ce projet comporte de fortes parts d'ombres, ne serait-ce que parce qu'il occulte la vraie clef de la réforme, à savoir le contenu de la loi organique à venir ; c'est peut-être d'ailleurs pourquoi il a obtenu un tel soutien.

Le processus ayant été mené sans association du Parlement, il est tout à fait légitime que ses orientations et ses rédactions soient discutées, modifiées, voire rejetées par celui-ci, dans le cadre d'un débat respectueux de nos institutions républicaines. Rappelons que ce débat ne porte pas sur un projet de loi constitutionnelle dont serait effectivement saisi le Parlement. L'objet de cette mission d'information était d'ailleurs bien de permettre l'expression propre du Sénat, l'Assemblée nationale procédant, certes avec retard, de la même manière.

Ensuite, la dévolution d'un pouvoir normatif renforcé ne doit pas mettre de côté le Parlement, qui doit rester garant de l'unité législative de la République. Or, sur ce point, le moins que l'on puisse dire est que le Parlement est le grand absent du dispositif issu du « processus de Beauvau ».

D'où la proposition que je vais vous détailler, qui garantit une intervention périodique du Parlement dans l'exercice du pouvoir normatif local.

En premier lieu, pour assurer une réelle différenciation des normes en Corse, il est proposé de permettre à la collectivité de Corse, sur habilitation réglementaire ou législative expresse, octroyée au cas par cas et dans certaines matières limitativement énumérées, d'adapter directement les normes réglementaires ou législatives pour tenir compte des particularités insulaires.

Il importe parallèlement de garantir l'effectivité du droit d'adaptation des normes qui serait octroyé à la collectivité de Corse, pour véritablement répondre aux problématiques existantes.

Cela pourrait passer, d'une part, par la mobilisation des moyens nécessaires au sein des administrations centrales, pour garantir la prise en compte par le Gouvernement des demandes d'habilitation à adapter des normes dans le domaine réglementaire ; d'autre part, par l'inscription régulière de projets ou propositions de loi d'habilitation à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et du Sénat par leurs Conférences des présidents, pour que le Parlement puisse se prononcer rapidement sur les habilitations sollicitées par la collectivité de Corse. Idéalement, et sous réserve des contraintes inhérentes à la fixation de l'ordre du jour, les demandes feraient l'objet d'un examen par le Parlement dans un délai de six à douze mois.

Un bilan de l'exercice par la collectivité de ce droit d'adaptation des normes réglementaires ou législatives serait ensuite dressé, cinq ans après sa mise en place - ce délai pouvant être débattu.

Dans le cas où la collectivité se serait saisie avec succès de ce nouveau pouvoir, mais que les mesures d'adaptation s'avéreraient insuffisantes pour une véritable prise en compte des spécificités insulaires, serait envisagé l'octroi à la Corse d'un pouvoir de fixation des règles législatives ou réglementaires applicables sur son territoire, sur habilitation expresse et dans un nombre limité de matières, pour mieux répondre à certaines singularités.

Vous sont donc soumis, à l'issue des travaux et des réflexions menés dans le cadre de notre mission, un état des lieux, dix propositions de recommandations et l'expression de la diversité des opinions des groupes du Sénat qui ont souhaité l'exercer, sur la question de l'évolution du pouvoir normatif.

Je me permets d'insister sur l'importance que revêt, dans la perspective d'une réforme constitutionnelle en faveur de la Corse qu'on ne cesse de nous annoncer comme « prochaine », et interviendra vraisemblablement au cours de l'année 2025, la publication d'un rapport d'information du Sénat contenant, d'une part, un état des lieux de la situation actuelle en Corse, établi à la suite d'auditions de l'ensemble des parties intéressées et agrégeant par ailleurs les travaux d'autres institutions publiques, et, d'autre part, des propositions d'évolution qui pourront être reprises, le cas échéant modifiées ou, à l'inverse, tout bonnement écartées, au cours de la discussion de textes constitutionnels, organiques ou ordinaires annoncés dont on ne connaît pas le contenu à cette date.

En tout état de cause, pour montrer, notamment à ceux qui seraient tentés de caricaturer ma démarche, qui était tout autant celle de mon prédécesseur François-Noël Buffet, qu'il s'agit bien de renouveler le cadre juridique et institutionnel corse au bénéfice de ce territoire, j'ai choisi de vous soumettre un titre sans équivoque pour ce rapport : La Corse dans la République : ouvrir un nouveau chapitre.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous remercie et tiens à saluer la qualité de votre travail ; vous avez su remplacer notre ancien président François-Noël Buffet avec beaucoup de professionnalisme.

M. André Reichardt. - Je me félicite de la création de cette mission d'information. Nous manquions grandement d'informations sur le « processus de Beauvau » ; les choses ne sont pas beaucoup plus claires aujourd'hui. Je remercie la rapporteure pour le travail accompli.

En tant que sénateur d'Alsace, je ne peux que regretter qu'on ne voie pas venir une grande loi de différenciation dans notre pays. Je salue l'appel de notre rapporteure en faveur d'une plus grande différenciation et du développement d'un pouvoir normatif décentralisé. La Corse n'est pas la seule région à demander la mise en oeuvre de ces deux concepts. En Alsace, nous attendons depuis longtemps cette possibilité, mais je ne vois toujours rien venir après des années de promesses non tenues, à tous les niveaux. L'Alsace bénéficie d'un droit local spécifique, qui diffère du droit commun, mais le Conseil constitutionnel en a une appréciation tout à fait particulière : certes, ce serait un principe fondamental reconnu par les lois de la République, mais il ne pourrait évoluer que dans le sens d'un rapprochement avec le droit général. C'est extraordinaire ! Comment peut-on demander, d'une part, le développement d'un pouvoir normatif pour la Corse et, d'autre part, interdire à l'Alsace toute évolution du droit local dans le sens d'une différenciation accrue ? Comprenez ma colère en tant qu'Alsacien. On peut traiter du problème corse, mais n'aurait-il pas fallu commencer par réfléchir à définir clairement les concepts de décentralisation et de différenciation à l'échelle de tout notre pays ? La France va finir par mourir de son jacobinisme si nous ne trouvons pas les solutions idoines.

M. Paul Toussaint Parigi. - Je suis obligé d'apporter quelques précisions et de corriger plusieurs inexactitudes.

Le 3 décembre 2023, avec le président de l'exécutif corse, je demandais à François-Noël Buffet, alors président de notre commission des lois, la mise en place d'une mission d'information sur une future évolution institutionnelle de la Corse. Cinq mois plus tard, la mission fut créée, et nous auditionnions le préfet de Corse, Amaury de Saint-Quentin. Plus de 90 personnes ont été auditionnées. La composition de cette mission d'information était transpartisane : à des représentants de tous les groupes du Sénat s'ajoutaient, de droit, les deux sénateurs de Corse. Mon collègue Jean-Jacques Panunzi a décliné l'invitation. Pour ce qui me concerne, j'ai été convié à le suivre lors de la première audition ; je m'y suis refusé, mais convenez que c'était un drôle d'accueil !

La demande faite au Sénat prouve que, contrairement à ce que vous affirmez, madame la rapporteure, l'on ne voulait pas éviter le Parlement. Son avis, son expertise en tant que chambre des territoires et des collectivités étaient très importants. Mettre le Sénat au coeur de ce débat important et sensible, de manière transpartisane, nous semblait primordial pour l'avenir insulaire.

Concernant l'évolution institutionnelle de la Corse, nous ne partions pas d'une page blanche. Cette demande d'autonomie a plus de 60 ans. Rappelons que le général de Gaulle, pour remercier les Corses de leur dévouement pendant la Seconde Guerre mondiale, voulait en faire le lieu d'essais nucléaires ! Cette demande est surtout le moyen de sortir d'une situation de blocage et d'un statut aujourd'hui inopérant. Elle exprime une volonté présidentielle, comme en a témoigné le « processus de Beauvau ».

Surtout, cette revendication est validée par le suffrage universel. Depuis 2015, à trois reprises, les Corses ont porté les autonomistes aux responsabilités, avec une majorité chaque fois plus importante. Qui sont les autonomistes ? On trouve des autonomistes historiques, engagés depuis les années 1960, des gens de gauche - les socialistes sont à l'origine de trois statuts particuliers pour la Corse -, des communistes, des écologistes, mais aussi des gens de droite, comme Laurent Marcangeli.

Le « processus de Beauvau » est historique ; c'est, depuis un siècle, la première initiative à être allée aussi loin. Il aura duré de longues années et abouti à un texte consensuel entre les élus corses et l'État. La seule divergence vient du groupe de droite de l'Assemblée de Corse - 12 élus, soit 16 % de l'assemblée - et du sénateur Jean-Jacques Panunzi, ainsi que d'un indépendantiste. Eux seuls se sont opposés à l'idée d'un pouvoir législatif propre et lui ont préféré un pouvoir d'adaptation, celui-là même qui forme le coeur et l'âme du rapport qui nous est soumis.

Ce pouvoir d'adaptation figurait déjà dans le statut particulier de la Corse de 1991 ; il est démontré depuis longtemps qu'il est inopérant. En témoigne le non-traitement de 50 demandes de dérogation, pour la plupart - vous l'avez évoqué vous-même - restées sans réponse. Cela met la Corse dans l'incapacité de gouverner d'une manière adaptée à ses spécificités insulaires.

Or vous proposez, dans ce rapport, d'agrémenter simplement ce statut inopérant de quelques variantes. Une réunion par an, suggérez-vous : mais, au vu de la multiplicité des demandes de la collectivité, cette réunion risquerait de durer quelques jours, sinon quelques mois !

Ce pouvoir d'adaptation existe aussi outre-mer, où son inefficacité est régulièrement dénoncée. Cette usine à gaz a fait l'objet d'études institutionnelles d'ampleur, y compris dans des rapports d'information du Sénat.

Ce rapport-ci est aussi une compilation de caricatures. Il est reproché à la collectivité de Corse d'avoir pris du retard dans la révision du Padduc. C'est totalement méconnaître le contexte juridique et politique de l'adoption et de la modification de tels actes, soumis à la loi « Montagne », à la loi « Littoral » et à bien d'autres contraintes encore. La révision du Padduc est un projet de la majorité de droite des années 2010, qui voulait ainsi soumettre la Corse à une urbanisation effrénée, des plus hauts sommets jusqu'aux rivages, en rendant constructibles les espaces stratégiques agricoles, voire les espaces protégés.

Figurent ensuite dans ce rapport des reproches régulièrement adressés à l'île et à ses habitants : l'incapacité supposée à traiter les déchets, ou encore la faiblesse de l'ingénierie. Enfin, est mentionnée l'influence des groupes criminels sur l'action publique. C'est un condensé des pires caricatures qui sont faites de la Corse !

Ainsi, ce qui est écrit au sujet des déchets est complètement faux. Savez-vous que la gestion des déchets a été confiée au secteur privé par la majorité de droite, il y a plus de 30 ans ? Les entrepreneurs attributaires de ces marchés sont désormais les quatre plus grandes fortunes de Corse, qui maîtrisent aujourd'hui également la grande distribution et les transports. Le traitement des déchets se résume à leur transport et à leur enfouissement dans des sites privés. Pourtant, il n'est pas dit dans le rapport que, en 2024, l'Assemblée de Corse a voté à l'unanimité un nouveau « plan Déchets », consistant à reprendre la maîtrise publique de leur gestion. Un centre de tri commun à toute l'île va voir le jour en 2025.

Vous vous attachez à noircir le tableau de la situation économique de la Corse, région la plus pauvre de France, mais savez-vous que l'île est aussi la région où il y a le plus grand nombre de Porsche Cayenne, de montres de luxe et de voitures blindées ? C'est de notoriété publique. Une session extraordinaire de l'Assemblée de Corse vient de se tenir, en présence du ministre de la justice et des magistrats de l'île ; une première en France ! Vous reprochez à Gilles Simeoni de ne pas être à la hauteur ; mais les amendements que j'ai défendus sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic comptaient parmi les plus forts !

Ce rapport méritait mieux que d'être la copie conforme de la vision des membres LR de l'Assemblée de Corse, que le suffrage universel a mis en minorité. Il aurait dû incarner le début d'une volonté commune de construction, plutôt qu'un bégaiement de l'histoire tragique des relations entre la Corse et l'État. Il apporte, dans son contenu comme dans sa conclusion, une fin de non-recevoir à une évolution majoritairement demandée. Il fera quelques heureux, dont le sénateur Jean-Jacques Panunzi et ses collègues LR de l'Assemblée de Corse ; plus gravement, il fera un grand heureux, la voyoucratie de Corse, qui, dans l'adversité et la violence, se trouvera de nouveau juge de paix en prospérant au centre du jeu politique.

Ce rapport aurait dû ouvrir le champ des possibles, de manière réellement transpartisane, mais il ferme une énième fois la porte au fait démocratique et à l'espoir. L'autonomie, c'est changer la donne, changer les règles et le cours des choses, lutter contre la voyoucratie et la sortir du confort qu'elle tire du statut en vigueur. L'autonomie, ce n'est pas une fin en soi : personne n'a envie de jouer au destin funeste de sa région ; c'est un moyen de développer, d'aménager, de construire un territoire en adéquation avec ses spécificités. L'autonomie, ce n'est pas l'abandon de l'État, bien au contraire : c'est le renforcement de l'État régalien, ce dont la Corse a grand besoin.

Madame la présidente, madame la rapporteure, voilà ce que j'aurais voulu partager avec vous dans la rédaction de ce rapport, mais vous avez préféré m'exclure des discussions.

M. Teva Rohfritsch. - Je remercie Lauriane Josende d'avoir repris ce dossier épineux, mais passionnant. Aucun consensus ne sera sans doute trouvé aujourd'hui sur plusieurs points, mais je la remercie de la proposition inédite faite à chaque groupe de contribuer à ce rapport sur la question du pouvoir normatif qui pourrait être accordé à la Corse. Le groupe RDPI s'est pleinement saisi de cette opportunité.

Sur le fond, force est de constater que nous divergeons sur les moyens de parvenir à l'objectif partagé de différenciation effective, ainsi que sur les délais. Or c'est tout de même l'enjeu central de ce rapport, même s'il aborde d'autres questions.

Notre position nous semble claire : il faut faire bénéficier la Corse d'un pouvoir normatif propre, reconnu par la Constitution et encadré par une loi organique. Cette démarche est cohérente avec le projet d'écritures constitutionnelles adopté en mars 2024 par l'Assemblée de Corse à l'issue du « processus de Beauvau ».

En tant que Polynésien, je connais bien cette approche, puisque c'est un cadre similaire qui régit le statut d'autonomie confié par le Parlement à la Polynésie française. Notre rapporteure s'inquiète de l'unité législative et de l'indivisibilité de la République. Mais celles-ci ne sont pas remises en cause par les statuts d'autonomie de collectivités sui generis comme la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie ; le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel veillent au respect des lois fondamentales de notre République dans le cadre de l'autonomie qui leur est confiée. C'est une question de confiance et de partage de certaines compétences.

Nous avons en Polynésie des indépendantistes et des autonomistes ; ces derniers, parmi lesquels je me compte, sont les partisans de la République : ils remercient celle-ci et le Parlement d'avoir accepté une forte identité polynésienne au sein même de la République.

Bien sûr, la Corse n'est pas la Polynésie, mais il ne faudrait pas être réticent à l'égard des demandes de différenciation qui en émanent. Il serait paradoxal que le Sénat, qui défend la différenciation à chaque occasion, décline d'accompagner la collectivité de Corse, qui la requiert d'une manière peut-être plus forte, mais tout aussi légitime, que d'autres.

C'est pourquoi notre position diffère de celle de la rapporteure, notamment sur le sas probatoire de cinq ans. Je l'ai bien entendue préciser que cette durée était indicative et pourrait évoluer, mais les constats mêmes du rapport attestent de la non-productivité des expérimentations antérieures et nous invitent à aller plus vite et plus loin.

Nous avons enfin découvert, hier soir, une évolution des propositions de recommandation, ce qui a suscité un peu de confusion, notamment concernant la proposition n° 10. Faut-il y voir une formalisation de l'invitation faite aux groupes d'insérer dans le rapport leurs contributions respectives ? Notre vote dépendra de vos réponses.

M. Alain Marc. - Je salue votre travail, Madame la rapporteure, mais je ne saurais soutenir ses conclusions. Quelques points me semblent caricaturaux. Les commentaires faits sur l'influence de groupes mafieux pourraient être appliqués à bien des départements continentaux.

Plus largement, sur la décentralisation, les « lois Defferre » ont bientôt 43 ans ; on nous promet monts et merveilles en matière de libre administration des collectivités, mais nous ne voyons rien venir : de toutes petites mesures sont prises, mais les collectivités ont de moins en moins d'autonomie fiscale alors que toujours plus de compétences leur sont dévolues. Nos régions sont des nains politiques et budgétaires, alors que d'autres pays, l'Allemagne au premier chef, ont démontré l'efficacité de pouvoirs régionaux accrus. La France n'est pas en bonne forme et sa centralisation excessive, qui remonte à Philippe le Bel, bien avant les jacobins, y contribue !

Je voterai donc contre ce rapport : on fait semblant de tout changer pour que rien ne change !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie Lauriane Josende pour son rapport de grande qualité : elle a eu beaucoup de courage de reprendre ce dossier. L'objectif de ce travail était simplement de faire un bilan et des propositions. On peut diverger sur celles-ci, mais j'ai appris beaucoup de choses en écoutant notre rapporteure. La Corse, c'est la France ! Ce territoire a une indépendance dont aucun département de France ne bénéficie aujourd'hui. On peut le comprendre au vu de ses spécificités.

En revanche, je ne saurais accepter les attaques personnelles de notre collègue Paul-Toussaint Parigi. Traiter de la sorte un tel travail, mené dans un contexte difficile, y voir une caricature, c'est désolant ! Je n'ai jamais rien entendu de tel au sein de notre commission, même si nous sommes souvent en désaccord.

La Corse, je le redis, c'est la France métropolitaine ; ce n'est pas un territoire d'outre-mer. Je remercie Teva Rohfritsch d'avoir évoqué la situation de la Polynésie et l'attachement à la France des Polynésiens. Je salue enfin notre rapporteure d'avoir proposé aux groupes d'intégrer au rapport leurs propositions, même totalement opposées aux siennes ; c'était une belle porte ouverte.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Surtout une porte de sortie !

M. Dany Wattebled. - Comme André Reichardt et Alain Marc, j'estime que le débat devrait être un peu plus élevé : on pourrait parler de toutes nos régions, de l'Alsace aux Hauts-de-France et à la Bretagne libre, qui ont besoin d'une autonomie financière accrue. Les Länder allemands ont des budgets quinze fois supérieurs à nos régions ! C'est une condition de la liberté que chacun désire.

Même si le travail accompli est important, ce rapport ne correspond pas à mes attentes ; je voterai donc contre.

Mme Cécile Cukierman. - Je veux avant tout saluer le travail de notre rapporteure, même si je ne suis pas en accord avec elle sur tous les points. Une assemblée est un lieu de débats, de contradiction, de combat politique au sens noble ; il ne convient pas d'y assener des certitudes. Nous débattons ici de l'avenir d'un territoire de la République, comme on a pu le faire pour bien d'autres.

L'ancien président de notre commission avait pris ce rapport sous son autorité. Le « processus de Beauvau » n'était alors pas achevé ; certains d'entre nous ne se retrouvaient pas dans la méthode du ministre de l'intérieur d'alors. Il y a eu quelques évolutions politiques depuis, ce n'est pas toujours simple de s'y retrouver...

La Corse est un territoire de la République. Elle n'est pas un territoire ultramarin au sens où mon groupe l'entend : l'insularité n'est pas un critère suffisant. La Corse n'en a pas moins sa spécificité, mais ce parallèle me semble injustifié.

Nous pouvons avoir des regrets quant au contenu de ce rapport. Au-delà de nos désaccords, j'y vois des manques : on aurait pu aller plus loin sur d'autres sujets importants. Il est à nos yeux urgent d'évaluer le statut actuel de la Corse avant de parler du statut suivant. Le droit à la différenciation, ce n'est pas changer de statut tous les quatre matins ! Cette évaluation doit être menée avec l'ensemble de la population, pas seulement avec les élus ou les représentants des corps intermédiaires.

Il arrive que je sois en désaccord avec tel ou tel préfet, mais je ne pense pas que les préfets mentent. Je suis donc attentive aux déclarations d'un ancien préfet de Corse. Ce n'est pas faire offense à la population que d'aborder la question de la criminalité organisée. Il y a bel et bien, en Corse, du narcotrafic auquel il faut s'attaquer, comme dans les Bouches-duRhône ou plusieurs autres territoires de la République. Quand on le dit, on ne traite pas tous les Corses de voyous ou de trafiquants ! Quand le nouveau garde des sceaux dit que les lois de la République s'appliquent en Corse comme ailleurs, il ne fait pas offense aux habitants de l'île, bien au contraire.

Nous sommes très inquiets, car ce qu'on présente comme des évolutions vers plus d'autonomie n'est souvent autre qu'une évolution vers plus de libéralisme. La chambre de commerce et d'industrie demande deux zones franches portuaires supplémentaires ! Mais comment faire en sorte que les femmes et les hommes qui habitent en Corse, quelle que soit leur origine, vivent dignement, aient accès au logement ? Ce territoire concentre à la fois une extrême pauvreté et une extrême richesse. On ne s'attaquera pas à ces inégalités en abordant la question sous le seul prisme institutionnel.

Je ne suis pas en accord avec toutes ses conclusions, mais je ne veux pas voter contre, car il faut garder une trace de nos débats. Par conséquent, je m'abstiendrai.

M. Éric Kerrouche. - Essayons de dépassionner le débat... Je veux avant tout remercier notre rapporteure, qui s'est trouvée dans une situation compliquée. La mission d'information avait très bien commencé. Au-delà de tout le travail accompli, je ressens toutefois une certaine frustration devant le résultat dont nous discutons aujourd'hui.

La Corse n'est pas, au sens littéral, un territoire ultramarin. Il n'en demeure pas moins qu'elle est caractérisée par son insularité et que la plupart des États unitaires européens comparables au nôtre reconnaissent dans leur Constitution les singularités de tels territoires, notamment l'Espagne et le Portugal ; la rupture insulaire implique une organisation institutionnelle différenciée.

Nous avons en France un problème avec la notion de différenciation, tout simplement parce que notre État unitaire s'est construit historiquement contre les territoires et que nous avons du mal à dépasser cette situation.

La Corse a connu des statuts spécifiques, de manière réitérée. Mais, d'une certaine façon, depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), la Corse a été en quelque sorte rattrapée par d'autres collectivités, comme la Martinique. La spécificité du statut de la Corse se délite donc quelque peu. Le rapport reconnaît d'ailleurs que la capacité d'adaptation normative octroyée à la Corse a toujours été mal considérée par l'État. Cette faculté est à maints égards fictionnelle : les élus corses ne peuvent pas s'en servir.

J'en viens à notre désaccord central sur ce rapport ; je veux aussi expliquer pourquoi nous n'avons pas souhaité y intégrer notre contribution.

Sur le fond, on comprend que la question cruciale est de savoir quelle évolution institutionnelle doit être retenue et dans quelle mesure les conclusions du « processus de Beauvau » doivent être mises en discussion devant la représentation nationale. C'était à cette question que devait répondre le rapport. Or, dans la rédaction retenue, j'ai un souci majeur : les neuf premières propositions ne concernent pas l'évolution institutionnelle de la Corse, mais seulement l'organisation de la collectivité. Le rapport évoque une amélioration putative des rapports entre celle-ci et ses intercommunalités, ou encore certaines politiques sectorielles, mais ne répond pas à la question de l'évolution institutionnelle de la Corse, sinon, aujourd'hui seulement, et de manière détournée, dans la proposition n° 10. Des contributions des groupes n'auraient pas suffi ; il aurait fallu, selon nous, réécrire le rapport pour le recentrer sur la question de l'évolution institutionnelle.

S'agissant de ce qui constituait la proposition centrale du rapport, avant qu'elle ne soit retirée, à savoir la recommandation de donner à la Corse une capacité d'adaptation des normes après un délai de cinq ans pendant lequel la collectivité devrait avoir un bon comportement, cette vision de la réforme est orthopédique, et préjuge de la façon dont devrait fonctionner ultérieurement la collectivité de Corse avant même la discussion des nouveaux textes normatifs. Selon nous, il n'appartient pas à une mission d'information de notre commission de dire comment la loi organique devrait être rédigée.

Au vu de cette dissension, que je regrette, le groupe SER votera contre la publication de ce rapport.

M. Michel Masset. - Je salue à mon tour ce travail, mais notre groupe regrette les circonstances et la manière dont les travaux se sont déroulés. Pourquoi une telle précipitation sur un sujet aussi important ? Quant à la proposition qui a été faite d'adjoindre au rapport des contributions de chaque groupe, nous n'avons pu l'accepter, non que nous la refusions par principe, mais parce qu'elle a été faite trop tard. Nous sommes un petit groupe, attaché au dialogue interne ; dès lors, il était impossible de le faire dans un délai aussi contraint.

Concernant le contenu du rapport, un certain brouillard demeure. On nous propose une différenciation renforcée, dont certains pensent qu'elle ne va pas assez loin. Il manque certainement une évaluation des dernières réformes. Il est nécessaire de redéfinir l'architecture institutionnelle, administrative et normative de la Corse, mais cela doit se faire dans un climat serein, apaisé, sans précipitation. Le RDSE est attaché au dialogue. Voilà pourquoi notre groupe s'abstiendra.

Mme Mélanie Vogel. - Le groupe écologiste, comme d'autres, votera contre la publication du rapport, mais je veux remercier la rapporteure de son travail, qui n'a pas été facile ; même si nous sommes en désaccord, je reconnais la qualité de son engagement.

Nous ne sommes pas ici seulement pour discuter abstraitement du meilleur avenir pour la Corse. Nous sommes réunis, que nous soyons d'accord ou non, dans le contexte politique du « processus de Beauvau », qui a donné lieu à une convergence de beaucoup de forces politiques autour des revendications autonomistes. Ce processus a aussi permis de mettre fin à la violence en Corse. En sont issues les écritures constitutionnelles, qui ont acté l'existence d'une perspective d'aboutissement des revendications autonomistes, dans un cadre démocratique agréé par l'Assemblée de Corse.

Je rejoins les propos d'Éric Kerrouche. L'intérêt de ce rapport aurait dû être d'affirmer la volonté du Parlement, après celle de l'exécutif, de mettre en oeuvre le « processus de Beauvau », donc d'avancer sur ce chemin. Mais le texte qui nous est soumis, même après la suppression de la recommandation la plus contestée, s'il était publié, enverrait aux Corses le message que tous les compromis qu'ils ont réalisés et l'engagement réciproque de l'État se heurtent au Parlement, qui n'est pas sûr d'aller si loin.

Les écologistes ont historiquement de la sympathie pour les revendications autonomistes corses, mais nous ne serons pas les seuls à voir là un message politique très dangereux. On dirait aux Corses qui ont accepté, démocratiquement, de s'engager dans ce chemin politique apaisé, que cela n'en valait peut-être pas la peine, ce qui aurait des conséquences très graves.

Certes, le Parlement est souverain, nous aurions le droit de faire le choix de contredire le ministre de l'intérieur d'alors, qui avait apporté son soutien à cette approche, mais ce serait une erreur historique, qui pourrait donner lieu à une recrudescence des violences, que nous étions parvenus à résorber. Il ne serait pas sage de prendre cette responsabilité politique.

C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de voter contre ce rapport, mais aussi de ne pas y apporter notre contribution : un rapport faisant état de la divergence de vues qui existe aujourd'hui au sein de notre commission ne contribuerait pas à faire avancer le processus politique.

M. Olivier Bitz. - Le groupe UC est pleinement solidaire des positions exprimées par mon collègue Paul-Toussaint Parigi. Cette mission a été mise en place voici dix mois environ. Nous examinons le rapport de Lauriane Josende, qui a succédé dans des circonstances difficiles à François-Noël Buffet ; nous avons conscience que ce n'était pas facile, et je veux à mon tour reconnaître le travail qui a été réalisé.

Ce rapport a sa cohérence, mais nous ne la partageons pas. Il était extrêmement attendu par les Corses, très attentifs à ce qui se passe au Sénat, mais aussi par le Gouvernement ; sa publication aurait pu être un moment historique. La Corse est à la croisée des chemins ; elle a exprimé à trois reprises, entre 2015 et 2021, une volonté forte en faveur des revendications autonomistes. Que nous disent les Corses ? Qu'il faut changer de braquet et ne pas se satisfaire des logiques anciennes. Un dialogue inédit s'est ouvert entre les élus de l'île et l'État après l'embrasement de 2022. Un énorme travail a été réalisé par le ministre de l'intérieur de l'époque et les élus, qui a abouti aux écritures constitutionnelles que l'on connaît.

Le Parlement a-t-il été tenu à l'écart, comme l'affirme la rapporteure ? La Constitution dispose que le Gouvernement agit toujours sous le contrôle du Parlement ; il aurait en revanche été délicat de faire intervenir celui-ci dans la négociation entre le Gouvernement et les élus de Corse, a fortiori au vu de la diversité des opinions dans notre chambre comme à l'Assemblée nationale.

Le projet d'écritures constitutionnelles a marqué un point d'étape qu'il faut acter ; un projet de loi organique devra préciser beaucoup de choses. Le ministère de l'intérieur, par sa nature, n'est ni le plus décentralisateur ni le moins jacobin... Or c'est bien lui qui a accepté ce compromis. Si je suis déçu aujourd'hui, c'est parce que nous aurions pu attendre du Sénat, chambre des territoires, qu'il se saisisse de ce sujet pour exprimer une vision plus audacieuse en faveur d'une poursuite de la décentralisation, en faveur d'une réelle autonomie pour un territoire qui en a fait le choix démocratique. Ce rapport ne va pas du tout dans ce sens, mais exprime une vision traditionnelle du rapport aux territoires, en préconisant seulement une légère adaptation du dispositif existant, bien loin de l'autonomie que nous appelions de nos voeux.

Il est difficile d'apporter une contribution sur tel ou tel point précis. C'est l'ensemble de la logique qui sous-tend le rapport qui posait difficulté, et, comme l'a dit Éric Kerrouche, il aurait fallu exprimer globalement une autre vision.

Nous regrettons de ne pouvoir approuver la publication de ce rapport, et nous souhaitons que les travaux puissent se poursuivre. Nous aurons, en tout état de cause, bientôt l'occasion de reparler du sujet corse, compte tenu des annonces récentes du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, François Rebsamen.

Quoi qu'il en soit, nous considérons que le Sénat, chambre des territoires ne peut pas être en retrait de la demande d'autonomie exprimée par un territoire.

M. Hussein Bourgi. - Je voudrais faire trois observations. La première s'adresse à notre collègue Lauriane Josende. Pour ma part, je n'ai pas entendu de remise en cause personnelle dans les propos qui ont pu être tenus (Mmes Catherine Di Folco et Jacqueline Eustache-Brinio le contestent.), mais, quels que soient les avis qui ont pu être exprimés, je tiens à vous dire, chère collègue, qu'il me semble que tout le monde ici apprécie vos qualités personnelles et politiques et éprouve de la considération, du respect et de l'estime pour votre personne et pour le travail que vous avez accompli. Vous avez accepté d'accomplir une mission quasi impossible, sur un sujet très difficile et très complexe. Je tiens à vous en remercier.

Deuxième observation : tout à l'heure, une collègue a dit que la France avait du mal avec la Corse. Si je puis me permettre, la France a eu du mal avec la Nouvelle-Calédonie, et en a toujours ! De même, elle a eu du mal avec la Polynésie française, et a du mal avec Mayotte... En réalité, la France a du mal avec beaucoup de collectivités et de territoires ultramarins ! La Corse doit-elle être comparée à une collectivité ou un territoire ultramarin ? Sans entrer dans ce débat sémantique ou géographique, je constate que le pouvoir central a du mal avec ces collectivités et les aspirations de leur population à plus d'autonomie et à plus de différenciation.

Cela me conduit à ma troisième observation : je constate que le pouvoir exécutif et le pouvoir parlementaire ont réussi, peu ou prou, au fil des décennies, à accomplir des pas en matière de déconcentration, de décentralisation, de simplification - je pense notamment au vote de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) en 2022. En revanche, en matière de différenciation, c'est plutôt un état d'esprit fait de méfiance et, parfois, de défiance entre l'exécutif et les collectivités locales que je constate. Or, face à cette situation, je n'ai toujours pas le moindre début de solution.

M. Francis Szpiner. - Je remercie d'abord la rapporteure, qui a réalisé un grand travail dans des conditions difficiles et qui se voit adresser un reproche qui me stupéfie.

Bien entendu, le problème de la décentralisation est un vrai sujet dans notre pays, mais ce n'est pas le sujet de cette mission d'information.

Si la Corse a une histoire et une spécificité, je rappelle que le « processus de Beauvau » est né des émeutes et d'une violence contre l'État consécutive à la mort de l'assassin d'un préfet. À ce moment, le ministre de l'intérieur a cru bon, pour essayer de calmer les choses, de proposer un statut d'autonomie. Le Gouvernement a discuté, mais le Parlement n'a pas été associé au processus de négociation politique. Certes, ce processus a été entériné par une large majorité d'élus corses, mais le vieux gaulliste que je suis considère qu'il serait bon de soumettre au référendum le sujet du statut de la Corse pour les Corses. De fait, ceux qui se présentent aux élections locales ne font pas campagne pour ce projet de statut, qui, par définition, n'existe pas.

À entendre certains, le Parlement devrait soit dire oui, soit dire non, mais il ne devrait pas être dans la nuance. Le mérite de ce rapport est de demander si tout ce qui a été fait ne devrait pas être soumis à la réflexion avant le passage à l'autonomie, quand bien même celui-ci serait réclamé par un certain nombre de personnes - plus démocrates le jour que la nuit... -, et de poser que, contrairement au ministre et à certains élus, nous considérons, au Sénat, que les pouvoirs actuels de la collectivité de Corse n'ont pas encore été pleinement évalués, et qu'il nous appartient de procéder à cette évaluation pour savoir s'il faut aller plus loin.

Ensuite, chacun prendra ses responsabilités politiques. De fait, nous sommes aussi une assemblée politique ! Nous ne sommes pas seulement l'assemblée des territoires : nous avons des visions du territoire, de l'unité de la République qui peuvent diverger.

Pour ma part, je considère que ce rapport est un bon rapport

On reproche à la rapporteure de donner une fin de non-recevoir aux Corses qui attendent le nouveau statut comme l'enfant attend son cadeau au pied du sapin de Noël. Mais nous ne faisons que faire notre métier de législateur !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Exactement !

M. Francis Szpiner. - Nous évaluons ce qui est fait pour savoir s'il faut aller plus loin ou maintenir le statu quo.

Je sais bien, en tant que sénateur de Paris, que j'ai un grand handicap dans cette assemblée. (Sourires.) Mais, à part mon collègue polynésien, il y a ici beaucoup de croyants, mais peu de pratiquants de l'autonomie, et je rappelle que, comme directeur de cabinet du président Alexandre Léontieff, j'ai pratiqué l'autonomie interne.

Je sais bien, Madame la rapporteure, que vous étiez malheureusement tenue par le temps, mais je suis stupéfait que le rapport ne parle pas argent. L'autonomie, c'est d'abord une question de finances publiques et de fiscalité !

Mmes Catherine Di Folco et Jacqueline Eustache-Brinio. - Exactement !

M. Francis Szpiner. - Or, sur ce plan, nous sommes au degré zéro de la réflexion.

Cela dit, je pense que, sur cette question particulièrement complexe, le rapport a le mérite d'être pédagogique. C'est un excellent rapport, que je voterai avec joie.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Avant de laisser à la rapporteure le soin de vous répondre, je veux rappeler comment cette mission d'information a fonctionné, même si je n'étais pas présidente de la commission des lois au moment où ses travaux ont commencé.

Un rapporteur a été désigné, en la personne de François-Noël Buffet. Chaque groupe s'est vu proposer de désigner un membre qui puisse travailler de manière privilégiée aux côtés du rapporteur. Les membres désignés par chaque groupe se sont impliqués de manière extrêmement variable.

Des auditions ont été organisées, auxquelles ont été conviés, lorsque ces auditions le permettaient, les membres de la commission des lois - y compris, donc Paul-Toussaint Parigi -, et eux seuls. Il n'a jamais été convenu que des sénateurs extérieurs à la commission des lois, fussent-ils corses, puissent être conviés.

Ensuite, l'usage, au Sénat, est de ne pas raconter n'importe quoi dans les rapports. Ce qui y est écrit est ce qui a été entendu : ce n'est ni inventé ni caricaturé. Et le rapporteur ne fait pas les auditions en catimini.

À cet égard, je voudrais reprendre au moins un point de fond de votre intervention, en revenant sur la caricature de l'emprise mafieuse en Corse. Comme l'a dit Cécile Cukierman, ce n'est pas parce qu'il y a une dérive quelque part que tous les habitants sont impliqués. Cependant, j'estime que, si la collectivité de Corse a jugé utile de faire des recommandations sur ce qu'elle qualifie elle-même de « dérive mafieuse », c'est bien que ce phénomène existe dans l'île. Personne ne l'a inventé.

De la même façon, ce sont les travaux de la chambre régionale des comptes qui a inspiré les conclusions du rapport sur la question de la gestion des déchets. Il n'y a rien, dans ce rapport, qui sortirait de l'esprit fécond et malicieux de quiconque. Qu'ils siègent depuis longtemps ou non, je crois que tous nos collègues savent comment les rapporteurs travaillent.

Sur la publication du rapport, chacun votera comme il l'entend... Je ne fais pas de leçon de morale ! Je ne reprocherai à personne d'user de la liberté de vote dont il dispose ici.

Toutefois, je veux dire que, quand j'ai été intégrée au premier groupe de travail sur la réforme de la Constitution en 2017 présidé par le Président du Sénat, quinze jours après le début de mon mandat, j'ai constaté, d'abord, que tout le monde, ici, se respectait et respectait, notamment, les groupes minoritaires ; ensuite, que tout le monde, grâce à Gérard Larcher me semble-t-il, avait un grand respect pour l'institution.

Je suis un peu navrée que nous nous acheminions probablement aujourd'hui vers une non-publication du rapport. Même s'il n'y a pas d'accord global, chacun des groupes avait l'opportunité d'exprimer une position. Sur ce sujet important de la collectivité de Corse, de son évolution et du « processus de Beauvau », nous ne connaîtrons finalement pas l'avis du Sénat, ni même l'avis différencié des différents groupes politiques qui le composent.

La chambre des collectivités ne se prononcera pas sur l'avenir d'une collectivité, et je le déplore. Je crois que nous aurions pu faire autrement. Mais je ne fais là que donner mon opinion sur la question.

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Madame la présidente, vous avez dit l'essentiel. En fait, c'est surtout une méthode ou une façon de travailler qui est décriée. Sur le fond, je note que, encore aujourd'hui, nous n'avons pas réussi à savoir très précisément ce que chacun des groupes pense et souhaite.

Cela a été le problème tout au long de ces travaux. J'ai assisté, aux côtés de François-Noël Buffet, aux auditions, aux réunions, aux échanges, aux déplacements. Même si nous avions des échanges très cordiaux, très amicaux et que tout se passait dans une ambiance tout à fait respectueuse, jusqu'au bout, nous n'aurons pas réussi à évoquer les sujets, comme s'il y avait une forme d'omerta - j'ose employer le mot.

Je suis sénatrice depuis désormais un an et quelques mois. Moi qui ai rédigé une thèse de doctorat en droit sur la liberté d'expression, j'imaginais que la parole serait beaucoup plus libre dans nos analyses et nos échanges. Je ne prends pas personnellement les attaques : je n'ai fait aujourd'hui qu'endosser un rôle en revêtant mon costume de rapporteure.

Cependant, je crois que des lignes rouges ont été franchies. Il me semble grave que les travaux de la commission et, au-delà, du Sénat dans son entier, puisque le président Gérard Larcher lui-même a essayé de faire en sorte que chacun puisse exprimer sa position, puissent être remis en cause.

Seuls deux groupes ont produit des contributions, et, aujourd'hui encore, on entend beaucoup de critiques sans que l'on ait véritablement pu connaître les points de vue sur le fond. Cette réunion est à l'image de nos travaux - c'en est le bouquet final, en quelque sorte. À part entendre que nous ne sommes pas allés assez loin ou que nous sommes en recul par rapport au « processus de Beauvau », nous n'avons pas véritablement avancé.

Pour notre part, malgré ce flou et cette impossibilité de recueillir les points de vue, nous avons essayé d'être le plus juste possible, c'est-à-dire de partir véritablement des constats et des travaux qui ont été faits par d'autres que nous - chambre régionale des comptes, services de l'État, ministères... Nous avons rencontré beaucoup d'acteurs publics, notamment sur place, et nous avons essayé de compiler toutes les informations qui nous ont été remontées de la manière la plus neutre possible.

Au-delà, nous avons essayé de contextualiser le « processus de Beauvau » et de l'analyser dans sa globalité. La mission portait sur l'avenir institutionnel de la Corse, et non sur ce processus en tant que tel. De fait, nous n'avons jamais, dans le rapport, porté un jugement de fond sur ce dernier.

Cependant, nous avons essayé de voir si nous pouvions demander au ministère ou, en tout cas, aux différents responsables ayant négocié le « processus de Beauvau » s'il y avait une trace écrite de ce qui avait été acté et si nous pouvions éventuellement partir de ces écritures, même à l'état de projet ou à l'état embryonnaire, pour savoir ce que nous pourrions en faire. Là aussi, nous nous sommes heurtés à un silence complet et à l'impossibilité de nous voir communiquer tout document. Nous avons donc, encore une fois, essayé d'avancer et d'être aussi constructifs que possible dans un contexte nébuleux.

Et si nous avons proposé d'instaurer un véritable pouvoir d'adaptation, qui n'a jamais existé jusque-là, c'est parce que certains m'ont dit que l'on ne pouvait se contenter de faire de l'exégèse du « processus de Beauvau » et qu'il fallait faire des propositions concrètes - c'est l'une des rares choses que j'ai pu entendre de certains de mes collègues membres de la mission d'information.

Nous avons essayé de montrer comment l'on pouvait organiser ce pouvoir d'adaptation pour qu'il soit réellement effectif, efficace et applicable. Au-delà, nous avons écrit, dans le rapport, que nous pourrions instituer un pouvoir législatif, ce qui est une avancée significative, voire une révolution pour certains d'entre nous.

Je suis très attachée à la différenciation. Je suis moi-même élue d'un territoire qui n'attend que cela ! De fait, les Pyrénées-Orientales sont le département de France le plus pauvre après la Seine-Saint-Denis, et le département de France métropolitaine, Corse comprise, où le taux de chômage est le plus fort. Dès lors, nous rêvons tous les jours de pouvoirs de ce type et des moyens qui sont dévolus à la Corse ! Malgré tout, le sujet était la Corse, non les autres territoires, et je me suis donc abstenue de faire des commentaires de fond, y compris sur le volet financier. Il s'agissait de respecter la demande de différenciation des Corses, validée à plusieurs reprises.

Notre rapport va sur ce terrain, mais effectivement peut-être pas aussi loin que ce que le « processus de Beauvau » prévoit. Encore que... Telles qu'elles sont rédigées, les écritures constitutionnelles ne donnent pas la clef normative et ne précisent pas quelle forme prendrait réellement l'autonomie qui serait octroyée à la Corse. À cet égard, nous sommes impatients de voir à quoi ressemblera le projet de loi constitutionnelle ainsi que le projet de loi organique. Nous avons rencontré Catherine Vautrin, qui, à l'époque, était ministre des collectivités territoriales, en lui demandant s'il y avait un projet sur lequel nous pourrions bâtir quelque chose. Mais non, incroyablement, il n'y avait rien.

C'est dans ce contexte que nous avons travaillé, en essayant d'être très respectueux et constructifs. Sur la forme, nous avons proposé que chaque groupe puisse voir ses contributions mises sur un pied d'égalité, ce qui était inédit.

Je rejoins la présidente Muriel Jourda : si ce rapport est voté malgré les dissensions, il inclura les propositions des différents groupes et chacun pourra, quand nous aurons à discuter du processus d'évolution de la Corse, y piocher les éléments qu'il trouve les plus judicieux.

Pourquoi les contributions n'ont-elles pas été produites ? Je ne le comprends pas. Je ne comprends ni sur le fond ni sur la forme la position de certains de mes collègues, sauf à considérer qu'il y a une forme d'omerta, pour reprendre le terme que j'ai employé. Je me demande aujourd'hui s'il n'y a pas, chez certains, une peur d'écrire quoi que ce soit sur le sujet de la Corse.

Si ce n'est pas le cas, je regrette que nous n'ayons pas pu produire ces écritures et les contributions, qui, le moment venu, auraient permis de fournir une base de réflexion, et que nous ne gardions pas trace de nos échanges - je rejoins Cécile Cukierman sur ce point. En ne votant pas ce rapport aujourd'hui, on enterrera tout ce travail, qui n'a pas été précipité, puisqu'il a commencé il y a un an.

Alors que l'Assemblée nationale s'apprête à rendre son propre rapport, que le Gouvernement nous accule en nous demandant de rendre un rapport rapidement et que nous avons essayé de jouer le jeu, bien qu'il ne nous ait rien donné, il serait regrettable que notre assemblée, chambre des territoires, renonce à apporter sa pierre à l'édifice.

Je remercie infiniment ceux d'entre vous qui ont apporté leurs contributions, orales ou écrites, à ce rapport.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Mes chers collègues, je vais mettre aux voix les recommandations, l'autorisation de publication et le rapport, ainsi que, annexées à celui-ci, les contributions des deux groupes qui ont bien voulu en faire.

Les recommandations ne sont pas adoptées.

Le rapport d'information n'est pas adopté et sa publication n'est pas autorisée.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je remercie Lauriane Josende de son travail très professionnel.

La réunion est close à 12 h 45.