- Lundi 17 février 2025
- Mercredi 19 février 2025
- Proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation - Examen des amendements de séance
- Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote - Examen du rapport et du texte de la commission
- Bilan de « Mon espace santé » - Audition de Mmes Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à gestion et à l'organisation des soins de la Caisse nationale de l'assurance maladie, Hela Ghariani, déléguée ministérielle au numérique en santé, MM. Gérard Raymond, président de France Assos Santé, Laurent Pierre, conseiller numérique en santé de la Fédération hospitalière de France et professeur Stéphane Oustric, vice-président du Conseil national de l'ordre des médecins (sera publié ultérieurement)
- Désignation d'un rapporteur
Lundi 17 février 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Examen des amendements de séance (nouvelle lecture)
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons les amendements déposés sur le PLFSS pour 2025 dans le cadre d'une nouvelle lecture.
Je vous rappelle que la séance publique débutera à 15 heures.
Sur les 78 amendements déposés sur ce texte, il nous en reste 64 à examiner, après retrait de certains amendements et application de l'article 40 de la Constitution.
Je vais passer la parole à notre rapporteure générale pour un point sur l'ensemble de ces amendements, en particulier sur ceux qui pourraient être frappés d'inconstitutionnalité au regard de la règle de l'entonnoir.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Comme je l'indiquais déjà la semaine dernière, mes chers collègues, nous arrivons à la fin du feuilleton et les positions des uns et des autres sont connues. Le président et moi-même suggérons donc, si vous en êtes d'accord, de réserver les arguments pour la séance publique.
Il convient néanmoins que nous nous prononcions sur l'irrecevabilité au titre de l'article 45 de la Constitution de six amendements puisque, comme vous le savez, seuls sont recevables les amendements présentant un lien direct avec une disposition en navette.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous propose de déclarer irrecevable l'amendement n° 60, dont l'objet est de supprimer la réduction des cotisations salariales d'assurance vieillesse sur les heures supplémentaires et complémentaires.
L'amendement n° 60 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous propose également de déclarer irrecevable l'amendement n° 61, qui tend à instaurer une contribution de solidarité sur le capital.
L'amendement n° 61 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous propose également de déclarer irrecevable l'amendement n° 48, qui vise à créer une taxe sur les dépenses de publicité en faveur des produits alimentaires industriels et des boissons sucrées.
L'amendement n° 48 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous propose également de déclarer irrecevable l'amendement n° 46, tendant à prévoir une loi de programmation pluriannuelle pour la santé.
L'amendement n° 46 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous propose également de déclarer irrecevable l'amendement n° 33, ayant pour objet de conditionner la prise en charge des soins d'orthodontie à la possession de certains diplômes par les praticiens.
L'amendement n° 33 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous propose enfin de déclarer irrecevable l'amendement n° 62, par lequel notre collègue Raymonde Poncet Monge demande un rapport sur le coût des revalorisations au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux.
L'amendement n° 62 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Pour le reste des amendements, bien que je sois formellement la seule rapporteure sur le texte, nous souhaitons conserver la répartition des compétences que nous avions établie pour la première lecture : mes collègues rapporteurs de branche pourront donc présenter en séance, depuis le banc des commissions, notre position commune.
Comme indiqué également lors de notre réunion de la semaine dernière, les rapporteurs de branche et moi-même vous proposons d'adopter le texte conforme et, en conséquence, de donner un avis défavorable à l'ensemble des amendements recevables.
Mme Annie Le Houérou. - C'est dommage de ne pas passer les amendements en revue...
M. Philippe Mouiller, président. - Nous aurions simplement cité le numéro de l'amendement et son auteur. Nous vous proposons d'aller plus vite, ce qui vous laisse du temps pour préparer les interventions que vous pourrez faire tout à l'heure en séance.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - J'ajoute que vous avez déjà entendu la plupart des commentaires lors de la première lecture. Vous ne serez donc pas étonnés des positions que nous allons défendre. Nous vous proposons simplement de ne pas nous répéter à outrance.
M. Philippe Mouiller, président. - L'important, c'est d'avoir le débat en séance.
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
TABLEAU DES AVIS
Proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Florence Lassarade rapporteure sur la proposition de loi n° 299 (2024-2025) créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, présentée par Mme Valérie Boyer.
La réunion est close à 14 h 10.
Mercredi 19 février 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation - Examen des amendements de séance
M. Philippe Mouiller, président. - Nous commençons par examiner les amendements de séance sur la proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation. Je rappelle que lors de notre précédente réunion, notre commission n'avait pas adopté de texte. La discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Article additionnel après l'article 3
Mme Silvana Silvani, rapporteure. - Les conventions et les accords collectifs de travail nationaux ne s'appliquent dans les outre-mer que six mois après leur entrée en vigueur. Ce temps imparti doit permettre aux partenaires sociaux de négocier les adaptations nécessaires au contexte local.
L'amendement n° 1 rectifié vise à préciser que les accords négociés pour l'outre-mer, concernant les niveaux de salaire, puissent prévoir une entrée en vigueur anticipée des stipulations nationales. Si un accord local a été trouvé, il est en effet dommage que l'ensemble du dispositif ne s'applique pas avant le délai de rigueur de six mois.
Cette précision me parait utile et va dans le sens de la protection du salaire des travailleurs ultra-marins.
J'émets donc un avis favorable sur cet amendement.
Je remercie Mme Bélim de nous alerter sur la situation très particulière des territoires ultramarins. Cet amendement met l'accent sur une forme d'injustice.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié.
Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen du rapport de la présidente Maryse Carrère et du texte de la commission sur la proposition de loi de notre collègue Ahmed Laouedj visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote.
Ce texte est inscrit à l'ordre du jour au sein de l'espace réservé du groupe RDSE le jeudi 6 mars dans l'après-midi.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Au mois de décembre, notre collègue Ahmed Laouedj a déposé une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote. Ce texte s'inscrit dans la continuité d'une loi qu'avait portée Valérie Létard au sein de notre assemblée : la loi du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote.
Signe de la préoccupation du législateur et des inquiétudes relayées par les élus locaux, l'Assemblée nationale a adopté, le 29 janvier dernier, une proposition de loi portant sur le même sujet. Toutefois, le texte que nous examinons ce matin s'en distingue nettement puisqu'il ne vise pas une interdiction totale de la vente du protoxyde d'azote aux particuliers, interdiction à laquelle le ministre de la santé s'est d'ailleurs dit opposé.
Au moment où nous constatons une recrudescence de la consommation récréative de protoxyde d'azote, ce texte vise à renforcer notre arsenal législatif pour circonscrire ces mésusages, tout en veillant à la proportionnalité des mesures, poursuivant ainsi la philosophie de la loi de 2021.
Avant d'entrer dans le vif du texte, je voudrais rappeler quelques éléments de contexte. Le protoxyde d'azote, autrement dénommé « proto » ou gaz hilarant, est régi par un double statut qui ne facilite pas la perception des risques dont son utilisation peut s'accompagner.
En tant que médicament analgésique ou anesthésique, il est inscrit sur la liste 1 des substances vénéneuses, soumis à prescription médicale, réservé à un usage professionnel et surveillé par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) au titre de sa mission d'addictovigilance. Contrastant avec cet encadrement particulièrement rigoureux, le protoxyde d'azote est également un produit de consommation courante : additif alimentaire, vendu en grande surface dans de petites cartouches destinées à la préparation de crème fouettée, il est aussi employé dans l'industrie automobile, l'horlogerie ou la photographie comme gaz de compression.
Le caractère licite de ce produit véhicule une image d'innocuité qu'il faut pourtant démentir. Sa dangerosité est attestée par la communauté scientifique et par les autorités sanitaires, qui alertent depuis plusieurs années sur l'émergence d'une nouvelle problématique de santé publique.
Si la consommation récréative de protoxyde d'azote demeure relativement circonscrite, elle est en recrudescence depuis les années 2010. En 2022, 4,3 % des adultes de 18 à 75 ans déclaraient avoir expérimenté le protoxyde d'azote, et 5,4 % parmi les 15-18 ans. Les jeunes adultes de 18 à 34 ans sont les plus concernés par ces usages, l'âge moyen du consommateur se situant autour de 25 ans. Pourtant, l'évolution de la consommation récréative de protoxyde d'azote est encore mal documentée : en effet, les premières enquêtes en population générale n'ont été conduites qu'en 2022 ; les prochaines le seront en 2027.
Il existe néanmoins un large faisceau d'indices que nous ne pouvons ignorer, qui tendent à démontrer que les usages détournés et dangereux de ce produit sont en augmentation.
Tout d'abord, la hausse des signalements enregistrés par le réseau des centres d'addictovigilance est spectaculaire : le nombre de cas notifiés a quasiment été multiplié par quatre entre 2020 et 2023. Ces cas correspondent aux situations ayant donné lieu à une prise en charge par un professionnel de santé, mais ne décrivent pas la consommation de protoxyde d'azote en population générale.
Ensuite, le nombre de cas graves augmente dans les mêmes proportions, en lien avec l'évolution des doses consommées. En raison de la disponibilité de contenants de grand volume de type bombonnes ou bouteilles, les quantités inhalées sont en effet de plus en plus importantes, jusqu'à plusieurs centaines de cartouches par jour. Ces consommations s'accompagnent de complications neurologiques et neuromusculaires fréquentes, ainsi que de troubles de l'usage et, dans une moindre mesure, de complications cardiovasculaires et de troubles psychiatriques.
La fugacité des effets provoqués, de même que l'accessibilité du produit sur internet et son prix modéré, favorisent cette évolution des consommations. L'essentiel des ventes étant réalisées en ligne, parfois sur des sites hébergés hors de France, le contrôle des contenants est, il faut bien l'admettre, à peu près inexistant. Malgré l'interdiction de leurs formats depuis le 1er janvier 2024, les bombonnes et bouteilles semblent désormais constituer une part non négligeable, pour ne pas dire majoritaire, des achats.
Enfin, les troubles à l'ordre public, c'est-à-dire à la tranquillité, à la salubrité et à la sécurité publiques, se multiplient partout en France, principalement dans les zones urbaines. Les municipalités sont en première ligne et tentent d'agir, à leur niveau et avec les moyens dont elles disposent : à Marseille, à Lyon, à Montpellier, à Paris, à Argenteuil, à Saint-Ouen, dans tant d'autres villes et dans de nombreux départements, des arrêtés municipaux et préfectoraux sont pris par les autorités locales pour tenter d'endiguer le phénomène, interdisant par exemple la vente de protoxyde d'azote la nuit ou sa consommation sur l'espace public.
Outre les manifestations cliniques de cette consommation qui engendrent régulièrement des comportements agressifs, des situations de prise de risques et des accidents de la voie publique, les élus locaux sont confrontés à des décharges de bombonnes sur les bords de route ou les parkings, qui s'amoncellent sans solution systématique de recyclage. Ces déchets dangereux exposent ensuite les travailleurs des usines de traitement et d'incinération des déchets à des risques d'explosion, du fait de l'absence de dégazage des contenants.
Non moins inquiétant, les autorités de police alertent sur la structuration de réseaux d'importation et de revente illicite de protoxyde d'azote, calqués sur le modèle des trafics de stupéfiants. Ces dernières années, la multiplication des saisies témoigne incontestablement de ce phénomène nouveau. L'an dernier, 30 tonnes de protoxyde d'azote sous forme de 13 000 bombonnes ont ainsi été saisies en Île-de-France.
Il me semble par ailleurs important d'indiquer que plusieurs pays européens, notamment les Pays-Bas, le Danemark, l'Irlande ou le Royaume-Uni, sont confrontés aux mêmes difficultés que la France. Ces pays tentent, par des moyens similaires à ceux que nous employons, de réguler les usages détournés de protoxyde d'azote.
Dans ce contexte, en mars 2023, le comité d'experts de l'agence européenne des produits chimiques a décidé, après avoir été saisi par la France, de classer le protoxyde d'azote comme produit neurotoxique et reprotoxique, confirmant à nouveau sa dangerosité. Il revient désormais à la Commission européenne de confirmer cet avis et de définir, le cas échéant, de nouvelles restrictions de vente qui pourront s'accompagner de dérogations ciblées, par exemple pour les cartouches de petit format vendues aux particuliers.
Face à ces constats, le texte déposé par notre collègue Ahmed Laouedj vise à dissuader plus fermement les usages détournés de protoxyde d'azote et à renforcer les actions de prévention en direction des publics les plus vulnérables, c'est-à-dire les jeunes. La loi de 2021 poursuivait déjà cette double ambition, en posant les jalons d'un premier cadre législatif.
Si les dispositions de cette loi, somme toute récente, restent encore insuffisamment connues, les statistiques des ministères de l'intérieur et de la justice témoignent de leur appropriation progressive par les forces de l'ordre. Néanmoins et malgré le faible recul dont nous disposons sur sa mise en oeuvre, le cadre juridique actuel souffre de plusieurs carences, qu'il s'agirait donc de combler.
En premier lieu, la proposition de loi vise à créer une infraction sanctionnant directement l'usage détourné de protoxyde d'azote et à interdire sa détention par les mineurs. Elle propose également d'aligner diverses dispositions sur celles prévues en matière d'encadrement des débits de boissons et de lutte contre l'alcoolisme. En deuxième lieu, elle vise à mieux contrôler les circuits de la vente aux particuliers en créant un dispositif d'agrément et donc, de recensement des vendeurs, et en interdisant la vente de nuit. En troisième lieu, elle poursuit un objectif de responsabilisation des consommateurs en matière environnementale, en identifiant une infraction spécifique d'abandon ou de dépôt sur la voie publique de tout contenant de protoxyde d'azote. Enfin, en quatrième lieu, elle vise à sensibiliser les collégiens et les lycéens aux risques spécifiquement associés aux détournements d'usage du protoxyde d'azote.
Ce texte ayant dû être instruit dans un délai particulièrement court, malgré la sensibilité des enjeux qu'il recouvre, je ne doute pas qu'il pourra être enrichi au cours de la navette parlementaire.
Il devra par ailleurs donner lieu à une saisine de la Commission européenne sur le fondement de la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015, qui impose une notification des projets de textes comprenant des spécifications techniques, affectant notamment les conditions de commercialisation de certains produits.
Dès le stade de la commission, je vous proposerai plusieurs amendements destinés à renforcer et à équilibrer ce texte et je vous inviterai, en conséquence, à l'adopter dans cette version amendée.
Il me revient, enfin, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux conditions d'accès au protoxyde d'azote et, notamment, à l'encadrement de ses conditions de vente, de distribution et de promotion, en vue de restreindre ou de limiter ses usages détournés et dangereux. Je considère qu'il comprend également les sanctions afférentes à ces dispositions, celles relatives à leurs modalités de contrôle, ainsi qu'à la prévention et à la collecte et au recyclage des dispositifs contenant du protoxyde d'azote.
En revanche, je vous proposerai d'exclure de ce périmètre les dispositions relatives aux produits stupéfiants, à tout autre produit susceptible de provoquer des effets psychoactifs ou présentant un risque de dépendance, ainsi qu'au protoxyde d'azote à usage médical.
Mme Florence Lassarade. - On constate malheureusement une aggravation de la situation. La consommation de protoxyde d'azote se développe rapidement. Dans le train, on voit des gamins hilares, et on imagine aisément ce qu'ils ont consommé. Jusqu'à présent, ils utilisaient des cartouches ménagères ; désormais ils achètent des bouteilles ou des bonbonnes. Ces dernières explosent d'ailleurs parfois dans les déchetteries. Ne faudrait-il pas simplement interdire la vente de ces produits ? Il est possible de faire monter la chantilly avec un fouet. Il ne suffit pas de limiter la vente aux contenants de petit format, car les enfants ont accès à ces cartouches chez eux.
Mme Jocelyne Guidez. - Cette proposition de loi va plus loin que la loi de Valérie Létard de 2021, dont j'étais rapporteure : celle-ci n'interdisait que la vente aux mineurs. Le texte proposé vise à interdire la détention par les mineurs.
À l'époque, le phénomène d'addiction au protoxyde d'azote concernait surtout le Nord. Je me souviens qu'à Loos, par exemple, on ramassait dans les rues plus de 35 kilogrammes de petites cartouches de gaz chaque semaine. Le phénomène s'est aujourd'hui répandu dans les grandes communes comme dans les communes rurales. L'usage de grandes cartouches d'un litre s'est développé. Je ne suis pas favorable à une interdiction du protoxyde d'azote. En revanche, il faut éviter les usages détournés.
M. Daniel Chasseing. - En 2021, nous avions interdit la vente aux mineurs, mais la consommation a malheureusement fortement augmenté depuis. Celle-ci suscite des troubles à l'ordre public : les consommateurs peuvent avoir des comportements agressifs ; des bonbonnes explosent dans les déchetteries, etc. Ce texte va dans le bon sens, en durcissant les conditions d'agrément des vendeurs, en interdisant d'abandonner les bonbonnes sur la voie publique, en mettant l'accent sur la sensibilisation des collégiens et des lycéens, etc. Mais on peut sans doute aller plus loin, car la consommation s'est encore accrue depuis le dépôt de ce texte, que je voterai.
Mme Marion Canalès. - Ce texte sera examiné en séance au Sénat le 6 mars, après l'examen d'une proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre le risque incendie lié aux batteries au lithium et aux cartouches de protoxyde d'azote dans les installations de collecte, de tri et de recyclage. Ce n'est pas anodin. Le traitement des bonbonnes de protoxyde d'azote dans les déchetteries est un enjeu. Il coûte entre 9 et 15 euros par bonbonne. Ces déchets, en effet, sont très dangereux.
La consommation de protoxyde d'azote a explosé lors de la crise du covid. Il figure parmi les cinq substances addictives qui sont les plus consommées en France : on a recensé ainsi 472 signalements en 2021, contre 254 seulement en 2020. Le développement de la consommation est exponentiel.
Il est frappant de noter que 5 % des élèves de troisième déclarent en avoir déjà consommé. Les réseaux sociaux font la promotion de la consommation. Ils constituent une formidable caisse de résonance pour ces pratiques parmi les jeunes, ce qui a contribué au développement de véritables addictions.
L'usage de ce produit a été dévoyé. Ce dernier devrait être réservé aux professionnels. On peut faire de la chantilly à la main. Il convient donc d'encadrer la vente et l'achat, en les réservant à des professionnels agréés, de développer une filière de recyclage certifiée, et de réguler ou d'interdire les incitations à consommer, notamment sur les réseaux sociaux.
Mme Silvana Silvani. - Il me paraît important de ne pas employer le qualificatif de « stupéfiant », sinon beaucoup de vendeurs seront assimilés à des dealers. Mais je crois que notre rapporteure proposera un amendement en ce sens.
Il manque, dans ce texte, un volet consacré à la santé publique. Restreindre ou interdire est une chose, mais il serait aussi nécessaire de mener une grande campagne de sensibilisation et d'information des jeunes sur les risques, même si je sais que nous n'avons pas beaucoup la main sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Les jeunes sont friands d'expérimentations. Il faut les accompagner et les sensibiliser. L'agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France a ainsi mené une campagne de sensibilisation en 2023, mais les initiatives régionales ne suffisent pas. L'État doit s'engager fortement sur le sujet. Il conviendrait de mener une grande action de santé publique au plan national, en complément des restrictions apportées à la vente de protoxyde d'azote.
Mme Anne Souyris. - La consommation du protoxyde d'azote est un problème, car elle concerne les jeunes, voire les très jeunes. Ces derniers sont souvent issus de milieux défavorisés. Certains consomment des dizaines de cartouches par jour. Il ne s'agit plus dès lors d'une pratique récréative, mais d'une véritable addiction. La consommation de ce produit, comme celle des drogues dures, permet à ces jeunes d'oublier leur réalité.
Les interdictions ne donnent rien. On le voit à Paris. Il faut développer la prévention, notamment dans les écoles. Tel est bien l'enjeu : le public concerné est très jeune, et certains prennent l'habitude de consommer ce produit dès l'école primaire. Or ce texte est muet sur ce point et s'inscrit toujours dans une logique d'interdiction, mais cette politique est très peu efficace à l'égard des enfants et des jeunes. Nous devons trouver la manière de les accompagner.
Lorsque l'on consomme dans la rue des dizaines de cartouches de gaz, il ne s'agit pas d'une pratique festive dans un appartement ! Nous devons comprendre ce qui se passe. Ce phénomène a des causes sociales et psychologiques. La consommation s'est développée pendant la crise du covid, à un moment où certains jeunes ont sombré dans des problèmes psychologiques assez lourds, dont ils ne sont pas sortis. Cette proposition de loi ne s'intéresse pas à cette dimension. Elle prolonge une logique d'interdiction. Or les préfets reconnaissent qu'ils ne voient pas les effets de cette politique.
Nous ne devons pas oublier non plus la dimension environnementale. Le recyclage a un coût très important.
Dans ces conditions, je me demande s'il ne serait pas opportun d'interdire ce produit complètement hors des circuits professionnels.
Avec ce texte on se donne bonne conscience, on augmente davantage les interdits, mais cela ne servira à rien, sinon à donner encore un peu plus de travail à notre police et à notre justice. Il faut s'attaquer aux dimensions sanitaires, sociales et environnementales du problème.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Ne serait-il pas raisonnable que ces bonbonnes et cartouches relèvent d'une filière à responsabilité élargie des producteurs (REP), afin de faciliter le recyclage ?
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je pense que mes amendements apporteront certaines réponses à vos observations.
Madame Lassarade, une proposition de loi visant à interdire la vente de protoxyde d'azote aux particuliers dans les commerces physiques et en ligne a été déposée à l'Assemblée nationale, mais le Gouvernement et l'ANSM ne sont pas favorables à cette interdiction, car le protoxyde d'azote a de nombreux usages et qu'il ne peut être assimilé à un produit stupéfiant.
Madame Guidez, la proposition de loi va plus loin que la loi de 2021, car elle vise à interdire l'usage détourné de ce produit pour les mineurs, mais aussi pour les majeurs. Le texte encadre les circuits de distribution. Il renforce les moyens de contrôle des forces de l'ordre : actuellement, pour pouvoir agir, elles doivent réussir à prendre en flagrant délit un majeur en train de donner une capsule à un mineur pour l'inciter à consommer. Ce n'est pas simple...
Madame Canalès, les bonbonnes et les bouteilles de protoxyde d'azote sont interdites. Seules les petites cartouches, qui ne posent pas les mêmes difficultés pour le recyclage, sont autorisées. Je reviendrai sur la question de l'agrément des professionnels dans mes amendements. Là encore, la question est délicate.
Madame Silvani, les autorités sanitaires ne prévoient pas de placer le protoxyde d'azote sur la liste des produits stupéfiants. En conséquence, je déposerai des amendements pour modifier l'échelle des sanctions prévue concernant la pénalisation de l'usage détourné.
Madame Souyris, la proposition de loi comporte un volet consacré à la prévention. Je proposerai de le renforcer par mes amendements. Nous devons donner aux autorités les bons outils pour traiter le sujet, interdire les usages détournés du produit, faciliter la réalisation des constats de flagrant délit et responsabiliser les consommateurs.
Madame Bonfanti-Dossat, les petites cartouches doivent faire partie des filières de la REP. Le problème est qu'elles sont souvent achetées sur internet et que l'on ne connaît pas les producteurs, car ils sont à l'étranger. Il est difficile de tracer l'origine des bonbonnes. Il y a un indéniable problème d'ordre environnemental. Le maire de Saint-Ouen nous a ainsi dit que plus de 2 000 bonbonnes sur la voie publique ont été ramassées l'an dernier dans sa commune.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Afin de responsabiliser les consommateurs et de donner un moyen d'action supplémentaire aux autorités, la proposition de loi crée une nouvelle infraction d'usage détourné de protoxyde d'azote.
Mon amendement COM-1 vise à adapter le niveau de la sanction pour cette nouvelle infraction, fixée à un an d'emprisonnement et à 3 750 euros d'amende, ce qui correspond à une peine équivalente à celle prévue pour l'usage de stupéfiants.
Le protoxyde d'azote n'étant pas classé comme stupéfiant, dans un souci de proportionnalité des peines, je propose de transformer la sanction en contravention de la 3e classe, soit une amende d'un montant de 450 euros au maximum. À titre de comparaison, le code de la santé publique sanctionne l'état d'ivresse manifeste sur la voie publique d'une contravention de la 2e classe.
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'amendement COM-2 vise à supprimer l'alinéa 8, qui comporte une disposition redondante avec la loi en vigueur depuis juin 2021, concernant la mention de la dangerosité de l'usage détourné de protoxyde d'azote sur les unités de conditionnement.
En outre, la loi du 1er juin 2021 a prévu que soit définie par arrêté une quantité maximale de vente de protoxyde d'azote aux particuliers. Cette quantité a été fixée à dix cartouches par un arrêté du 19 juillet 2023. Toutefois, aucune amende ni sanction n'ont été prévues en cas d'infraction.
Je propose donc de créer une amende de 100 000 euros en cas de non-respect des quantités maximales de vente de protoxyde d'azote aux particuliers.
Le montant de l'amende s'inspire de l'article L. 3515-3 du code de la santé publique, qui sanctionne de 100 000 euros d'amende, notamment, la vente d'un dispositif électronique de vapotage jetable dont le réservoir dépasse le volume maximal autorisé, ainsi que la vente de produits de vapotage contenant de la nicotine dont le conditionnement ou l'emballage extérieur ne mentionne pas certains éléments obligatoires.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'amendement COM-3 tend à transformer le système d'agrément des vendeurs de protoxyde d'azote envisagé par la proposition de loi en un système déclaratif. Cette modification vise à ne pas pénaliser les circuits de vente légaux de protoxyde d'azote, notamment les acteurs de la grande distribution, mais permet néanmoins de disposer d'une liste des commerces vendeurs de protoxyde d'azote, à des fins de contrôle.
En effet, la difficulté à réguler les circuits de distribution du protoxyde d'azote tient au fait que les ventes de bonbonnes ou bouteilles de format non réglementaire et, plus largement, les ventes à des fins récréatives, transitent majoritairement par internet, notamment via les réseaux sociaux, plutôt que par les commerces traditionnels.
Le protoxyde d'azote représente une part très marginale des ventes des acteurs de la grande distribution, qui ne s'engageront pas dans un système d'agrément et préféreront délaisser la vente de protoxyde d'azote en cartouches. La mise en oeuvre d'un système d'agrément pourrait ainsi être contreproductive et alimenter des trafics illégaux.
Il est donc proposé de prévoir un simple système de déclaration administrative auprès de la mairie, applicable aux commerces et aux sites de vente en ligne, dont le récépissé vaudrait autorisation de vente. Ce dispositif permettrait de connaître la liste des vendeurs de protoxyde d'azote. La définition des modalités de mise en oeuvre de ce système déclaratif est renvoyée à un décret en Conseil d'État.
Il est également proposé d'étendre les horaires d'interdiction de vente la nuit de 22 heures à 8 heures, pour s'aligner sur les dispositions législatives relatives aux licences des débits de boissons. L'auteur de la proposition de loi avait prévu une interdiction de vente la nuit de 22 heures à 5 heures du matin.
En cas de vente sans avoir réalisé la déclaration, le vendeur s'exposerait à une amende de 3 750 euros.
L'amendement COM-3 est adopté.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'amendement COM-4 vise à supprimer l'interdiction de détention de protoxyde d'azote par les mineurs.
La justice pénale des mineurs, érigée en principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) par le Conseil constitutionnel, prévoit des règles spécifiques qui atténuent la responsabilité des mineurs et privilégient la dimension éducative. Le juge procède systématiquement à des adaptations de peines pour tenir compte de la minorité du sujet, et certaines peines ne peuvent pas être prononcées à l'égard de mineurs de moins de 16 ans. La création d'une infraction spécifiquement applicable aux mineurs pourrait être regardée comme non conforme à ce principe.
Par ailleurs, les données disponibles indiquent que la moyenne d'âge des consommateurs de protoxyde d'azote se situe entre 22 ans et 25 ans, tandis que les mineurs sont des consommateurs très marginaux.
Enfin, le protoxyde d'azote est une substance licite, comme le sont l'alcool et le tabac. Ceux-ci ne peuvent pas être vendus à des mineurs, mais leur détention par un mineur n'est pas pour autant pénalisée.
L'amendement COM-4 est adopté.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - La loi du 1er juin 2021 a prévu l'interdiction de vendre du protoxyde d'azote aux majeurs dans les débits de boissons et les débits de tabac, sous peine d'amende.
Nous proposons, par l'amendement COM-5, dans une visée dissuasive, de compléter cette sanction par la possibilité, laissée à la discrétion du préfet, de prononcer une mesure de fermeture administrative, pour une durée maximale de six mois. Ce régime est calqué sur celui applicable aux débits de boissons en cas de non-respect de la loi, tel que prévu par l'article L. 3332-15 du code de la santé publique.
L'amendement prévoit également une sanction en cas de non-respect de la mesure de fermeture administrative.
L'amendement COM-5 est adopté.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'amendement COM-6 vise à créer un nouvel article dans le code de la santé publique, dans un chapitre dédié à la prévention des usages détournés et dangereux du protoxyde d'azote, pour reconnaître et conforter le rôle des centres d'addictovigilance en matière d'information et de formation des professionnels de santé.
Ces centres, qui forment le réseau de vigilance de l'ANSM, jouent un rôle essentiel au contact des professionnels de santé pour les sensibiliser aux risques associés à la consommation de protoxyde d'azote et aux bonnes pratiques de prise en charge. Ils sensibilisent également les professionnels de santé à l'importance des signalements, pour procéder à une veille sanitaire efficace.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'amendement de coordination COM-7 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'amendement COM-8 vise à renforcer la prévention relative aux usages détournés et dangereux du protoxyde d'azote. Pour cela, nous souhaitons inscrire, dans le code de l'éducation, la détection des conduites addictives parmi les missions de promotion de la santé à l'école, ainsi que la sensibilisation aux dangers liés aux usages détournés de produits de consommation courante, dont le protoxyde d'azote, lors de séances dédiées dans les collèges et les lycées.
Nous proposons enfin d'associer à ces séances d'information dans les établissements scolaires les services de l'État compétents en matière de lutte contre les drogues et les conduites addictives. La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives pourrait en effet jouer un rôle d'impulsion en matière de prévention plus important à l'égard des établissements d'enseignement du secondaire.
L'amendement COM-8 est adopté.
L'article 2 est ainsi rédigé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Bilan de « Mon espace santé » - Audition de Mmes Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à gestion et à l'organisation des soins de la Caisse nationale de l'assurance maladie, Hela Ghariani, déléguée ministérielle au numérique en santé, MM. Gérard Raymond, président de France Assos Santé, Laurent Pierre, conseiller numérique en santé de la Fédération hospitalière de France et professeur Stéphane Oustric, vice-président du Conseil national de l'ordre des médecins (sera publié ultérieurement)
M. Philippe Mouiller, président. - Cette table ronde vise à dresser un bilan de Mon espace santé trois ans après son lancement. Je remercie les intervenants de leur présence.
Mesdames et messieurs, je vous laisserai débuter cette table ronde par un propos liminaire dans lequel vous nous livrerez votre propre bilan de Mon espace santé et la façon dont son utilisation pourrait être améliorée. Je vous précise simplement que notre commission a porté dans le PLFSS pour 2025 plusieurs mesures afin que le dossier médical partagé constitue un outil de lutte contre les actes inutiles et redondants. Peut-être pourrez-vous préciser dans vos propos si vous partagez cette vision et si, de la place qui est la vôtre, vous identifiez des marges de progression dans ce domaine.
Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, en commençant par la rapporteure de la branche maladie Corinne Imbert.
Mme Hela Ghariani, déléguée ministérielle au numérique en santé. - C'est un plaisir de partager avec vous un point d'avancement trois ans après le lancement de Mon espace santé.
Ce dispositif s'inscrit dans une histoire compliquée. Cela fait maintenant 20 ans qu'en France, on parle de mettre en place un carnet de santé numérique, initialement sous le nom de dossier médical personnel, puis partagé. En 2019, avec la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, nous avons considéré, avec l'assurance maladie, qu'il s'agissait peut-être de la dernière chance de mettre en place, en France, un carnet de santé numérique pour l'ensemble de nos concitoyens. L'objectif était de permettre à chacun de récupérer ses données de santé et de les partager avec les professionnels dans un cadre gratuit et universel, un nouvel instrument du service public dans le respect des principes éthiques de notre système de santé, notamment l'égalité d'accès aux soins.
Notre stratégie s'est déroulée en trois temps. En premier lieu, nous avons fait en sorte que ces carnets de santé soient disponibles. Historiquement, avec le dossier médical partagé (DMP), nous connaissions un frein : dans la mesure où les DMP n'étaient pas créés, ils n'étaient pas alimentés ; dans la mesure où ils n'étaient pas alimentés, ils n'étaient pas consultés ; et dans la mesure où ils n'étaient pas consultés, ils étaient inutiles et donc ils n'étaient pas créés. Nous avons essayé de briser ce cercle vicieux avec un mécanisme de création automatique, sauf opposition. Le principe est similaire à celui applicable au carnet de santé papier : nous le donnons aux assurés sociaux dès lors qu'ils sont rattachés à la sécurité sociale, mais les assurés peuvent tout à fait s'opposer à sa création s'ils n'en veulent pas.
Au premier semestre 2022, nous avons réalisé cette création massive des espaces numériques de santé à l'échelle de l'ensemble de la population. Aujourd'hui, 97 % des assurés sociaux ont un carnet de santé numérique ouvert, ce qui signifie qu'il peut être alimenté par l'hôpital, le médecin, le pharmacien, etc. En parallèle, nous avons travaillé avec les représentants des professionnels de santé et les entreprises qui les équipent en logiciels pour assurer la compatibilité de ces logiciels avec Mon espace santé. Les professionnels de santé peuvent envoyer automatiquement les documents aux patients à la sortie d'un épisode de soin. Actuellement, plus de 280 types de logiciels ont été déployés ; plus de 50 000 médecins ont été équipés ; 94 % des officines ont un logiciel compatible ; deux hôpitaux sur trois disposent également d'un logiciel compatible. Nous avons opéré collectivement cette transformation, qui est invisible du grand public.
Nous commençons à en voir les fruits. Plus d'un document de santé sur deux produits en France est envoyé aux patients dans Mon espace santé. Chaque mois, nous envoyons quatre fois plus de documents aux patients dans Mon espace santé que ce qui a été fait en 20 ans dans l'histoire du DMP. Clairement, nous avons changé d'échelle.
Cependant, il nous reste deux chantiers majeurs à réaliser dans les années à venir. En premier lieu, nous devons aller chercher l'autre moitié des documents. Il n'est pas logique que certains documents soient récupérés et d'autres non. Du point de vue du grand public, ce n'est pas compréhensible, et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un droit pour les patients. Par ailleurs, nous devons faciliter l'accès à cette information du côté des professionnels. En décembre dernier, plus de 25 000 professionnels ont consulté le dossier médical de leurs patients. Plus de 430 000 documents ont été consultés dans les dossiers médicaux de 230 000 patients.
Pour répondre à votre remarque introductive sur la possibilité de permettre aux professionnels de savoir si un acte a été réalisé ou si un médicament a été prescrit, il est essentiel qu'ils puissent consulter l'historique médical du patient. C'est ainsi qu'ils pourront déterminer si une prescription est redondante ou si l'information pour laquelle ils envisagent de prescrire un examen médical est déjà disponible. Notre deuxième chantier consiste donc à simplifier l'accès à l'information pour les professionnels de santé.
Nous lancerons la semaine prochaine un nouveau dispositif en collaboration avec les éditeurs qui équipent les médecins ou les radiologues. L'objectif est que l'information soit accessible aux professionnels de santé directement dans leurs logiciels. Concrètement, lorsqu'un médecin se connectera à son logiciel, une notification l'informera des nouveaux éléments dans le parcours de soins d'un patient. Il nous faudra environ deux ans pour déployer ce système à grande échelle et obtenir un impact significatif, notamment sur la réduction des prescriptions d'actes inutiles ou redondants.
Notre objectif est de créer une plateforme nationale qui garantisse que les citoyens ont la main sur leurs données de santé. Cette plateforme sera opérée par l'assurance maladie dans le cadre d'un service public gratuit et universel qui offrira à tous les mêmes droits et qui permettra aux professionnels de santé d'accéder aux informations médicales dont ils ont besoin lorsqu'ils prennent en charge un patient.
M. Gérard Raymond, président de France Assos Santé. - Il est clair que nous, citoyens et usagers de la santé, sommes les premiers acteurs de ces nouvelles technologies et de la transformation profonde de notre système de santé. Je tiens à rappeler que la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a failli échouer : nous réclamions l'accès à notre dossier médical, mais les médecins avaient des réticences. Un compromis a finalement été trouvé. Il a abouti à la création de Mon espace santé en juillet 2019.
Désormais, c'est nous-mêmes qui possédons notre dossier médical et autorisons les médecins à y accéder. Il s'agit d'une révolution fondamentale. Beaucoup de citoyens, notamment ceux qui sont regroupés en associations de patients atteints de pathologies chroniques, sont favorables au développement de ces nouvelles technologies, qui leur permettent d'être véritablement acteurs de leur santé et d'avoir un dialogue constructif avec les professionnels de santé. Ce renversement fondamental, bien que passé relativement inaperçu, a été un véritable déclic pour dynamiser ce qui était auparavant considéré comme le « désert » du DMP.
Aujourd'hui, nous avons besoin d'un accompagnement et d'une information de l'ensemble de nos concitoyens afin qu'ils comprennent mieux ces nouvelles technologies et leurs bénéfices en termes de soins, de suivi, d'accompagnement et de prévention.
Notre objectif est de transformer Mon espace santé en plateforme d'information et de renseignement interactive. Cela permettrait à chacun d'entre nous de faire le point sur son état de santé et de recevoir des informations préventives. Pour les associations de patients et d'usagers de la santé, au-delà de la sécurité, l'enjeu consiste à rendre Mon espace santé plus interactif et d'en faire un outil de dialogue avec l'ensemble du système de santé. Il faut transformer le coffre-fort en une plateforme de renseignements interactive.
Nous insistons sur l'importance d'un service public fort qui encadre ce développement, tout en permettant aux sociétés privées d'apporter leurs compétences. Nous souhaitons que ce système de santé reste fondé sur les valeurs de solidarité et de répartition, sous la responsabilité du service public.
M. Laurent Pierre, conseiller numérique en santé de la Fédération hospitalière de France. - Je représente la voix des établissements de santé publics, soit un millier d'hôpitaux et 3 000 établissements médico-sociaux. Je tiens à souligner que les positions que nous construisons à la FHF sont le fruit d'une concertation rigoureuse.
La FHF, qui vient de fêter ses 100 ans, considère le numérique comme un levier stratégique essentiel pour moderniser le système de santé. Les services numériques comme le DMP offrent des perspectives de coopération qui peuvent répondre aux besoins de qualité de vie et de prise en charge des professionnels de santé, qui sont actuellement sous tension.
Nous sommes conscients que les algorithmes et les données sont des leviers stratégiques pour nos établissements. Le DMP a été précurseur dans le partage et l'échange des données de santé. Le concept remonte à une loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. Il a fallu construire tout un environnement pour que le DMP puisse émerger. Le mot-clé, qui n'a pas encore été mentionné, est la confiance. C'est la notion fondamentale qu'il fallait instaurer dans ce système pour permettre l'exercice de la médecine. Il n'y a pas de médecine sans confiance. Le DMP devait mettre en place les briques techniques et organisationnelles liées à cette confiance.
Aujourd'hui, le DMP est disponible et alimenté en documents, ce qui constitue la première étape d'une stratégie en trois phases. Les hôpitaux ont été mis à jour. Les commandes proposées et financées par l'État ont été menées à bien dans 98,7 % des cas. Tous les établissements savent alimenter le DMP. C'est une première victoire. Chaque mois, 30 millions de documents sont versés dans le DMP. En 2004, nous n'avions que 400 000 DMP ouverts, ce qui montre le changement d'échelle. 98 % de la population est couverte, ce qui permet d'amorcer un vrai usage généralisé.
Après ces trois ans d'efforts pour mettre en place un DMP fonctionnel et alimenté, l'enjeu est maintenant de généraliser son utilisation. Le défi à relever est davantage organisationnel que numérique. Les taux de consultation du DMP montrent que les technologies seules ne suffisent pas à transformer les organisations. Nous avons besoin du DMP pour partager de la donnée, nous coordonner et mieux soigner.
L'introduction de ces nouveaux outils suppose de repenser les processus de collaboration entre professionnels. Une expérimentation récente menée par l'Agence du numérique en santé (ANS) avec 18 établissements de la région Île-de-France montre que lorsque l'on prend le temps de requestionner les organisations autour de cet outil, les professionnels de santé réinterrogent leurs processus et améliorent leur coordination avec ces outils.
La clef consiste donc à rendre possible cette réorganisation au niveau des établissements par les professionnels, dont on sait la difficulté à mener à bien l'ensemble de leurs missions. Cela constitue une lourde charge, qui relève de l'organisation du territoire plutôt que du numérique ou des directions de système d'information. Le déploiement du DMP doit s'appuyer sur les logiques de convergence des usages au niveau des territoires, notamment à travers les groupements hospitaliers de territoire (GHT).
Pour la FHF, l'enjeu principal est la transformation des pratiques, qui doit être suivie et soutenue. Cette transformation est essentielle pour fluidifier les échanges, notamment avec les structures en aval des établissements de santé comme la médecine de ville, les soins de suite, l'hospitalisation à domicile (HAD) et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Le DMP est crucial pour les soins de suite, et l'organisation doit être encore fluidifiée.
La FHF fait confiance au pilotage des programmes d'accompagnement prévus par la Délégation du numérique en santé (DNS) et l'ANS, notamment autour d'Open2, car les difficultés organisationnelles semblent avoir été prises en compte. L'accent est mis sur l'accompagnement à l'usage et la réorganisation dans les territoires.
Cette table ronde est l'opportunité de bâtir collectivement un écosystème utile aux patients et aux professionnels de santé.
M. Pr Stéphane Oustric, vice-président du Conseil national de l'ordre des médecins. - Nous venons d'entendre une vision idéale, mais la réalité est différente.
Sur le principe, nous sommes tous d'accord. La création de la DNS a été positive. Il s'agissait de la centralisation d'une stratégie. C'est parfait. Ce qui nous manque, c'est l'interopérabilité : nous nous connaissons, mais nous ne nous parlons pas. Nous avons du mal à interagir de manière efficiente.
Il faut que le patient prenne la mesure de ce qui figure dans son dossier médical, après une information claire et loyale, afin de pouvoir donner un consentement éclairé aux soins. Ce n'est pas anecdotique dans notre système de santé solidaire.
Si je vous demandais qui, parmi vous, a un DMP et le consulte régulièrement, nous serions surpris du résultat par rapport aux 97 % de citoyens qui ont un DMP. Les patients l'ont ouvert, mais ils ne le savent pas forcément. En tant que médecin, j'ai un accès immédiat à des informations en trois clics, ce qui est un vrai plus. Cependant, je n'ai pas accès à tout. Je suis informé que le patient a fait une radiographie, mais je n'ai pas accès aux documents car je n'ai pas les codes que le patient détient. Nous travaillons sur ces questions avec la DNS.
Il y a encore des problèmes d'efficience. Par exemple, quand j'envoie un patient au CHU, les examens que j'ai fait faire avant ne sont pas pris en compte ; ils sont refaits. En sens inverse, je dois prendre pour argent comptant les résultats du CHU. Une lecture critique de l'information médicale partagée n'est pas encore possible.
Nous travaillons sur les documents de liaison. Je ne souhaite pas que des personnes qui ne sont pas des professionnels de santé, comme le personnel administratif, aient accès à des éléments médicaux. La DNS nous aide sur ces questions, mais il y a encore des divergences entre les différents acteurs.
Notre objectif est de respecter le patient dans son parcours de soins. Les droits du patient et le secret médical doivent toujours être respectés.
Il ne faut pas voir mon intervention de manière négative. Il y a dix ans, nous n'avions rien du tout. Depuis, nous avons fait des progrès. Néanmoins, il reste encore du chemin à parcourir.
La DNS et le Ségur Numérique ont marqué un véritable tournant. Auparavant, nous n'avions que des intentions et des belles présentations, mais rien de concret. Aujourd'hui, grâce à la volonté qui a été portée par la DNS et la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), et soutenue par des choix politiques, nous avons un engagement financier réel et une révolution chez les fournisseurs de logiciels.
En tant que médecin traitant, j'ai accès au DMP de mes patients via mon logiciel sécurisé. Cependant, je doute qu'un collègue des urgences puisse lire la carte DMP d'un patient que je lui envoie. Si je ne lui envoie pas une lettre par messagerie sécurisée, ce collègue ne peut pas accéder aux informations. Il y a encore des éléments qui sont totalement inopérants : ma lettre de liaison se met instantanément sur le DMP, mais l'hôpital ne peut pas la lire. Si je l'envoie via la messagerie sécurisée, c'est-à-dire par courriel, ma consoeur ou mon confrère ne va pas l'ouvrir dans la journée, car ils n'ont pas le temps.
Malgré ces défis, il y a une réelle volonté partagée et un intérêt évident pour le patient. Cela apporte une puissance considérable à l'activité médicale. Maintenant que le système fonctionne et qu'on en voit les bénéfices, nous voudrions accélérer son déploiement, mais cette accélération est difficile.
Il faut reconnaître que ce sont les médecins qui ont porté ce projet. Le système n'est pas encore totalement finalisé pour nous. Nous comprenons qu'il faut embarquer tous les autres professionnels de santé, mais cela représente un défi considérable. Il a fallu six ans pour que nous commencions à disposer d'un outil abouti. Nous avons changé d'époque. Ce qu'il se passe dans nos logiciels et nos cabinets est assez extraordinaire. Cependant, cela reste compliqué car tout le monde ne peut pas encore en bénéficier. Intégrer tous les autres professionnels, qui sont largement moins équipés, requiert beaucoup de temps et d'énergie, alors que nous sommes dans une période où nous devons consacrer beaucoup de temps à nos patients. Si nous devons passer une ou deux heures par jour sur ces questions, cela fera beaucoup de consultations manquées.
En conclusion, je pense que tout ce qui a été dit précédemment est vrai. Le système est en place et fonctionne. Il manque encore quelques éléments essentiels et incontournables, mais nous y arriverons progressivement.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons maintenant nous intéresser au point de vue de la Cnam autour de deux questions principales. Premièrement, est-ce que le système fonctionne ? Les premiers éléments de bilan, après trois ans, sont-ils positifs ? Deuxièmement, comment pouvons-nous faire le lien avec ce que nous avons porté dans le PLFSS ? Plus précisément, comment cet outil peut-il, au-delà de la formation et de l'amélioration de la communication entre professionnels, devenir un bon instrument d'analyse de la pertinence des soins et permettra la réduction des actes redondants ? Nous avons eu l'exemple de l'examen ou de l'analyse systématique à l'arrivée à l'hôpital. Comment utiliser cet outil pour devenir plus efficient dans l'engagement des moyens ?
Mme Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à gestion et à l'organisation des soins de la Caisse nationale de l'assurance maladie. - Comme cela vient d'être assez clairement rappelé, nous sommes à mi-chemin d'une traversée absolument titanesque. Si vous m'aviez dit, il y a trois ans, que nous en serions là où nous en sommes aujourd'hui sur l'interopérabilité, je ne vous aurais pas cru. Le pari était immense. Il fallait à la fois réussir le pari organisationnel, le pari des systèmes d'information (SI), obtenir la conviction des professionnels, assurer l'interopérabilité et faire en sorte que tout le monde se retrouve. C'était un projet assez fou, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, pendant des années, nous n'avons pas réussi à le réaliser.
Nous sommes donc très fiers de ce que nous avons réussi à faire en tant que collectif de santé. Nous avons souvent l'habitude de voir les choses qui ne vont pas dans le système de santé, mais la révolution numérique qui a été engagée est réussie. Il faut le saluer. Beaucoup de choses fonctionnent.
Au-delà du nombre de DMP ouverts, le nombre d'activations est important. 18 millions de personnes ont activé Mon espace santé, soit 25 % de la population. C'est gigantesque, d'autant plus que nous n'avons pas fait de communication depuis un certain temps. La raison en est simple : nous sommes en train de renouveler le marché du système d'information de Mon espace santé. Ce sont des travaux informatiques considérables. Nous devons maintenir le service pendant quelques mois, puis nous reprendrons les développements lorsque le marché aura été finalisé.
Nous pourrons donc bientôt refaire de la communication sur Mon espace santé. En parallèle, nous aurons lancé le Ségur vague 2, qui améliorera considérablement la consultation des documents par les professionnels de santé. Nous intégrerons le carnet de santé de l'enfant, avec les courbes de poids et le carnet de vaccination, ce qui révolutionnera l'usage de Mon espace santé. Les phases qui arrivent seront structurantes.
Nous avons déjà franchi une étape importante. Ce n'était pas acquis d'avance. De nombreux défis restent à relever, notamment sur le plan organisationnel. L'accompagnement des établissements de santé est plus complexe que l'accompagnement des professionnels libéraux du fait de la multiplicité des acteurs. De même, l'adoption de l'ordonnance numérique sera plus aisée en ville qu'à l'hôpital en raison des sujets d'authentification. Nous avons fait le plus gros du travail d'un point de vue des systèmes d'information, mais de nombreux obstacles sont encore devant nous.
Il est important que nous parvenions à défendre ce qu'est Mon espace santé. Il s'agit d'un service public souverain et gratuit, dont le contenu a été validé démocratiquement par le Parlement. C'est le seul carnet de santé de tous les Français. Sa feuille de route est élaborée en collaboration avec les associations de patients. Cet outil fonctionne. Des professionnels l'utilisent. Néanmoins, nous ne couvrons encore qu'une partie du système et nous attendons de nouvelles fonctionnalités. Nous ne pourrons pas faire de développements supplémentaires dans les prochains mois, mais nous devons collectivement défendre ce qu'est Mon espace santé, qui offre un service pérenne tout au long de la vie. Il est important de rappeler ce message. Mon espace santé est un service public. Il ne faut pas l'oublier.
Sur la pertinence des soins, nous observons déjà des améliorations. À Carcassonne, j'ai eu le témoignage d'un médecin traitant qui, ayant vu deux fois son patient durant la semaine pour une grippe, a pu constater qu'il était allé aux urgences pour faire vérifier le diagnostic pourtant établi. Ce médecin a pu échanger ensuite avec son patient quant à la non-pertinence de ce déplacement aux urgences. Les médecins généralistes, qui sont des acteurs clés du parcours de soins, disposent désormais d'une visibilité quasi-exhaustive sur le parcours de soins de leurs patients grâce à Mon espace santé et à Ameli Pro. Dès lors que nous aurons passé la deuxième étape, à savoir la possibilité d'une consultation fluide par les professionnels au sein des établissements de santé et par les autres professions libérales, le médecin traitant aura une vision exhaustive du parcours de soin de son patient, et les autres professionnels de santé seront en capacité de ne pas refaire un certain nombre d'examens. J'y crois beaucoup. C'est une évidence que cela va se faire.
Des produits connexes à Mon espace santé et à la feuille de route du numérique, notamment l'ordonnance numérique et l'application carte vitale, sont aussi des facteurs de pertinence et de qualité des soins.
Tous les acteurs ont accompli un travail considérable. Nous avons réussi la première étape, mais il reste du chemin. Nous avons besoin de la confiance et du soutien de tous les acteurs pour poursuivre cette dynamique. Avec 25 % de la population qui a activé son espace santé, nous pouvons déjà être fiers de ce que nous avons réussi.
Mme Corinne Imbert. - Il est important de distinguer la théorie de la pratique. Je salue le travail accompli et l'accélération de l'ouverture de Mon espace santé par nos concitoyens, ainsi que l'amélioration de l'utilisation du DMP par les professionnels, tant en ville qu'à l'hôpital. Naturellement, la maîtrise des dépenses de santé reste au coeur de nos préoccupations.
Cependant, force est de constater qu'il reste encore beaucoup à faire. Sur le plan pratique, j'ai personnellement rencontré des difficultés pour ouvrir Mon espace santé, et je ne suis pas la seule.
Vous avez mentionné 18 millions d'utilisateurs. Combien sont réellement actifs ?
Vous avez indiqué que deux tiers des hôpitaux disposent du logiciel approprié. Qu'en est-il du tiers restant ? Observez-vous la même proportion dans les établissements de santé privés et médico-sociaux ?
À quel horizon estimez-vous que le système fonctionnera pleinement ?
Le dossier pharmaceutique, qui fonctionne, est-il bien intégré au DMP ?
Concernant les redondances d'actes, la hiérarchisation des informations dans le DMP est-elle bien en place ?
Quel est le niveau d'information des patients sur les services offerts par Mon espace santé comme l'agenda intégré et la messagerie sécurisée ? Ces outils sont-ils connus et utilisés ?
Enfin, dans quelle mesure une plateforme comme Doctolib fait-elle de la concurrence à Mon espace santé ?
Mme Marguerite Cazeneuve. - Nous avons 2 millions de visiteurs uniques par semaine, ce qui est considérable.
Nous travaillons avec le Conseil de l'Ordre des pharmaciens pour intégrer le dossier pharmaceutique au DMP. Ce n'est pas une priorité car l'historique des remboursements est déjà disponible dans le DMP. Il nous manque les informations sur les produits non remboursés, mais nous travaillons dessus avec l'ordre.
Je considère que nous sommes à 50 % du fonctionnement visé. Un quart de la population a activé le service, et les connexions sont régulières. Quasiment tous les médecins de ville utilisent ce service. Les documents de biologie sont alimentés de manière systématique. Il reste du chemin à parcourir pour atteindre un fonctionnement vraiment complet. L'horizon est quasiment infini. Ainsi, nous pourrions envisager que toutes les données des patients récoltées par les applications de santé arrivent sur Mon espace santé. Aujourd'hui, beaucoup de données de santé échappent à l'outil. Le chemin qu'il nous reste à faire porte notamment sur l'intégration complète de l'hôpital, du médico-social et du paramédical.
Concernant Doctolib, il est important de réaffirmer que seul Mon espace santé est un service public souverain et pérenne. C'est l'unique carnet de santé numérique. Notre exigence vis-à-vis de Doctolib et des autres acteurs du numérique est que 100 % des documents qui transitent par leurs applications alimentent le DMP. Les patients peuvent utiliser diverses applications pour leur santé quotidienne, mais tous les documents doivent in fine être conservés dans le coffre-fort de Mon espace santé. Cela pourra nécessiter des évolutions législatives et une gouvernance différente, mais c'est la règle du jeu que nous cherchons à établir.
Mme Hela Ghariani. - J'estime également que 50 % du travail a été réalisé. Un travail extraordinaire a été fait au niveau de l'assurance maladie pour doter les citoyens d'un carnet de santé numérique. Il nous a fallu deux ans pour faire en sorte que le dispositif ne soit pas vide. Nous ne voulions surtout pas revivre l'expérience du DMP qui est mort de l'absence de données en son sein. Nous avons investi énormément d'énergie pour que l'information médicale soit disponible. Aujourd'hui, nous y arrivons. Plus d'un document sur deux produits en France est disponible dans Mon espace santé, et nous travaillons pour intégrer l'autre moitié. Cela inclut notamment les résultats d'examens de biologie, les prescriptions et les lettres de liaison de sortie d'hôpital.
La première fonctionnalité de Mon espace santé pour le citoyen concerne actuellement l'accès aux documents. Le simple fait d'avoir accès facilement à un document change les choses. Par exemple, pour une mammographie, le document de votre dernier examen est demandé et l'avoir à disposition dans le téléphone, c'est un grand pas en avant. C'est la première fonctionnalité utilisée.
Deux tiers des établissements de santé, tant publics que privés, ont fait appel au programme national de mise à jour des logiciels que nous avons mis en oeuvre. Cela n'exclut pas que d'autres établissements aient pu commander par eux-mêmes des logiciels compatibles. 70 % des documents de sortie de l'hôpital tels que les comptes rendus ou les lettres de liaison sont désormais envoyés aux patients via Mon espace santé.
Les fonctionnalités les plus prometteuses de Mon espace santé vont au-delà du simple stockage numérique des documents médicaux. Notre objectif est d'en faire un véritable outil de prévention capable d'informer les utilisateurs sur les rappels d'examens ou de leur fournir des recommandations basées sur l'historique de leur parcours de soins. La nouvelle fonctionnalité d'agenda, qui a été lancée l'année dernière, est particulièrement prometteuse.
Enfin, nous constatons une réelle accélération de la prise en main de Mon espace santé par les patients. Nous enregistrons en moyenne 600 000 nouvelles activations par mois, soit l'équivalent de la population de Lyon. En janvier 2024, nous avons enregistré 800 000 nouvelles activations, soit l'équivalent de la population de Marseille.
M. Gérard Raymond. - La première partie est gagnée. Nous avons beaucoup travaillé. Les associations de patients et d'usagers de la santé ont participé à ces travaux depuis 2019. Il n'en demeure pas moins que nous sommes parfaitement conscients des difficultés qui sont devant nous. Nous devons gagner la confiance de l'ensemble de nos concitoyens. Cela suppose de leur expliquer ce qu'est Mon espace santé et de quelle manière nous allons transformer le système de santé grâce à cet outil. C'est une véritable transformation culturelle qui est nécessaire.
Jusqu'à présent, les patients étaient dans une posture passive vis-à-vis du corps médical. Aujourd'hui, grâce à ces nouvelles technologies, ils deviennent des acteurs à part entière de leur santé, capables d'interagir avec les médecins sur la base des informations contenues dans Mon espace santé.
Nous avons deux grands défis : l'adoption par tous les professionnels de santé, notamment dans le secteur libéral, et l'accompagnement des usagers qui sont éloignés du numérique. Sur ce second point, l'assurance maladie a un rôle essentiel à jouer. Elle devrait mener une action spécifique sur Mon espace santé lors de la délivrance de la carte vitale.
Nous sommes à mi-chemin de notre objectif. Pour atteindre l'autre rive, il faudra redoubler d'efforts. Nous sommes à la fois fiers des progrès accomplis et conscients des défis qui nous attendent. Il est essentiel de maintenir Mon espace santé en tant que service public souverain et gratuit. Les structures privées doivent renforcer ce service public, et non créer des services de santé parallèles et payants. Notre système de santé doit rester solidaire et basé sur la répartition.
M. Laurent Pierre. - Les travaux qui ont été menés jusqu'à présent l'ont surtout été dans l'ombre. Nous n'avons pas encore pleinement abouti sur les usages qui peuvent être déployés au niveau des médecins. Ce travail invisible est colossal. Ainsi, il a fallu normaliser les pratiques des industriels, ce qui représente un défi considérable étant donné la multiplicité des acteurs sur le marché français. Nous avons réussi à les amener vers une convergence, en normalisant et en sécurisant les flux d'information.
En termes d'investissement dans le numérique, nous avons réalisé la plus grande partie du travail. Le défi qui se présente concerne l'organisation. Les pilotes des expérimentations qui ont été menées en 2024 montrent que lorsque les professionnels prennent le temps de s'approprier l'outil, ils en demandent davantage et ne reviennent pas en arrière.
La question clef est de savoir à partir de quand l'outil sera entre les mains des médecins pour qu'ils se l'approprient. Les usages suivront. La demande est particulièrement forte dans le secteur sanitaire et dans le médico-social. Le besoin de liaison entre ces deux domaines est crucial. Ils demandent les dossiers de liaison d'urgence, les plans personnalisés d'accompagnement, et tout ceci doit transiter par le DMP car c'est le seul point d'ancrage entre ces structures.
Le DMP prend sa place. Nous sommes au milieu du parcours. Le prochain programme, prévu pour 2026, concerne la consultation. Il permettra de mettre l'outil à la disposition de l'ensemble des professionnels. Cela nécessitera un important travail de réorganisation au niveau des territoires pour déterminer comment et quand les documents doivent être ajoutés pour être réutilisés en aval. Nous constatons déjà que lorsqu'un établissement utilise le DMP, il incite ses partenaires à l'alimenter également, créant ainsi un cercle vertueux. Il est crucial de poursuivre les pilotes et de s'appuyer sur ces ambassadeurs pour démontrer l'utilité du système et surmonter les résistances au changement. Ces difficultés ne sont pas dues à un manque de volonté, mais plutôt aux ressources limitées de nos établissements, ce qui rend difficile la prise de recul nécessaire pour se réorganiser.
Mme Brigitte Micouleau. - Mon espace santé est encore mal connu et les assurés rencontrent beaucoup de difficultés pour y accéder. En revanche, l'application Doctolib est plébiscitée par de nombreux professionnels de santé et patients pour sa facilité d'utilisation, même si des problèmes de sécurité ont été relevés. Quelle sera la place de Doctolib ?
Mme Chantal Deseyne. - Mon espace santé est un outil formidable... lorsqu'il fonctionne. J'y suis inscrite depuis plusieurs années. Aujourd'hui, je ne peux plus m'y connecter. Pourtant, je reçois des mails m'indiquant que des documents ont été portés dans Mon espace santé. Une autre difficulté concerne les couples qui partagent la même adresse électronique : il est impossible de différencier les comptes.
Mme Jocelyne Guidez. - Des progrès ont été réalisés depuis dix ans. Cependant, des obstacles d'accessibilité persistent pour les personnes ayant une déficience visuelle, des troubles cognitifs ou des difficultés à utiliser le numérique. Quelles adaptations spécifiques sont prévues pour garantir une accessibilité universelle ?
L'île de la Réunion a remporté le prix Mon espace santé aux Talents de la Santé 2024 grâce à une campagne de communication traduite en créole, impliquant des créateurs de contenus locaux et des actions de terrain ciblées. Cette approche a permis d'améliorer l'appropriation du service, notamment auprès des publics éloignés du numérique. Pensez-vous que cette stratégie puisse être répliquée dans d'autres territoires ultramarins ? Quelles actions envisagez-vous pour lutter contre l'illectronisme et favoriser l'inclusion numérique dans ces territoires aux réalités très spécifiques ?
Mme Anne-Sophie Romagny. - Il me paraît nécessaire de renforcer la communication sur Mon espace santé auprès des citoyens, avec une information sur la manière dont les données de santé sont sécurisées.
J'ai auditionné des représentants de la médecine du travail qui regrettent de ne pas avoir accès au DMP des salariés, alors que cela faciliterait leur mission d'évaluation de l'aptitude d'un salarié à occuper un poste précis dans une structure donnée. Quel est votre regard sur le sujet ?
Mme Annie Le Houerou. - Je m'interroge sur la complémentarité entre Doctolib et Mon espace santé. De nombreux médecins généralistes sont satisfaits de Doctolib pour sa convivialité et son interactivité. Je me demande si Mon espace santé n'a pas déjà perdu la course face à Doctolib. Dans mon entourage, peu de personnes utilisent Mon espace santé. À l'hôpital, des logiciels différents sont utilisés d'un service à l'autre, sans être interopérables entre eux. Comment Mon espace santé peut-il alors trouver sa place dans ce paysage numérique fragmenté ?
L'hébergement des données est-il toujours assuré par Microsoft aux États-Unis ? Comment est garantie la protection des données personnelles ?
À l'ère de l'intelligence artificielle, comment envisagez-vous l'utilisation des données en termes de prévention, de diagnostic et d'exploitation ?
Enfin, quel est exactement le marché qui est en cours de renouvellement ?
Mme Florence Lassarade. - L'utilisation de la carte vitale nous a été imposée en 1998 par Alain Juppé. Nous pensions qu'elle permettrait un accès rapide aux données. En réalité, ce sont les cabinets médicaux et les spécialistes qui ont inventé et développé les logiciels. Les outils sont là depuis très longtemps.
Le dossier médical partagé est-il uniquement de l'archivage ou y intègre-t-on de l'intelligence, notamment artificielle ? Par exemple, il serait pertinent qu'une personne ayant eu un cancer du sein soit relancée pour sa mammographie. Si vous avez plus de 65 ans, on ne précise pas que l'on peut se faire vacciner contre le zona, ni même si ce vaccin est remboursé. Le système me semble totalement sous-utilisé sur le plan de l'intelligence artificielle. Il se limite à des archives, avec un coût environnemental considérable.
Mon expérience hospitalière m'a montré que les logiciels utilisés dans les hôpitaux sont très hétérogènes et absolument pas au niveau des logiciels utilisés en médecine libérale. Comment envisagez-vous de les moderniser ?
Dans le contexte de pénurie que nous connaissons au niveau des professions médicales, envisagez-vous de faire de Mon espace santé un véritable outil d'amélioration de la santé de nos concitoyens ?
M. Philippe Mouiller, président. - J'invite nos intervenants à répondre à cette première série de questions.
Pr Stéphane Oustric. - Il est clair que le sujet suscite de l'intérêt. Nous sommes sortis de l'invisible.
Dans le dossier médical, le volet de santé est rempli par les médecins traitants. Il a été mis en place pour tous les patients qui sont en affection longue durée. Ce volet de synthèse médicale regroupe les antécédents, l'état civil du patient et la liste complète des médicaments. Ce document unique est généré automatiquement par le logiciel. Il nécessite que le praticien ait préalablement effectué certaines tâches, notamment la mise à jour de l'ordonnance de traitement chronique et le codage des antécédents médicaux. Cela implique de travailler avec la classification internationale des maladies, dites CIM-10, ou avec la classification internationale des soins primaires (CISP) pour les généralistes. Avec ces classifications, nous parlons le même langage. Ce travail est facilité par l'intelligence artificielle qui existe dans les logiciels.
Concernant la structure du dossier, il s'agit d'un catalogue automatisé et organisé par catégories. Cela implique de savoir chercher l'information.
La problématique de l'accès aux données est cruciale. Le paramétrage des accès varie en fonction du profil de l'utilisateur. C'est un sujet de débat entre l'ordre des médecins et le ministère, qui a donné lieu à un recours au Conseil d'État concernant un décret récemment publié. L'objectif est de garantir que toute personne qui évolue dans le domaine de la santé ou du social n'ait pas un accès direct à l'ensemble des données de soins et de santé des patients.
La médecine du travail obéit à un certain fonctionnement. Le médecin du travail est une personne qui exerce son emploi dans le cadre d'un contrat, très souvent en lien avec un service inter-entreprises. Il est donc problématique de donner un accès ouvert aux données de santé. Les données appartiennent au patient. C'est à lui d'en faire état ou usage.
M. Laurent Pierre. - Le sujet de la cybersécurité a été évoqué. C'est l'un des enjeux sur lesquels travaillent beaucoup les hôpitaux. Lorsqu'un établissement de santé publique est attaqué, c'est une région entière qui est perturbée. Les activistes espèrent récupérer des données en vue de les monétiser. Depuis 3 ans, la situation s'améliore grandement. Par exemple, les jeux Olympiques de Paris se sont bien passés. Deux établissements ont été attaqués en 2024 et la réponse a été rapide. Nous ne sommes plus dans la situation de 2019-2020 où nous avons ouvert des infrastructures informatiques insuffisamment sécurisées. Un programme important, porté par la DNS, a été mis en place sur 5 ans. Tous les groupements hospitaliers de territoire (GHT) y participent. Les établissements publics sont probablement les plus attaqués, mais nous manquons de données précises sur le secteur privé, qui ne déclare pas systématiquement les attaques pour des raisons d'image. Les établissements publics sont obligés de déclarer ces attaques, pas ceux du privé. Nous n'avons donc pas une vision très claire de l'ensemble des attaques contre notre écosystème.
Les établissements de santé ont des systèmes d'information particulièrement complexes, ce qui les rend difficiles à gérer. La Cour des comptes relève, en moyenne, 250 applications et 700 métiers à équiper. Nous travaillons sur la convergence des GHT afin de rationaliser ces systèmes, ce qui devrait améliorer la sécurité et la qualité des échanges entre les différents niveaux. Nous sommes conscients du manque d'interopérabilité et de la difficulté à échanger des données. Il s'agit d'un travail de longue haleine qui nécessite une reprise de la feuille de route sur la convergence des GHT.
Enfin, l'intelligence artificielle fait beaucoup parler. On prédit le meilleur et le pire. Les établissements ont investi depuis 10 ans, notamment dans l'imagerie où l'intelligence artificielle fonctionne déjà très bien. Elle aide à prendre en charge des activités qui ne pourraient pas être traitées autrement. L'intelligence artificielle est également efficace dans la codification et l'analyse documentaire. La FHF continuera à travailler dans l'accompagnement de ces solutions. Le principal défi consiste à identifier les bonnes solutions parmi la multitude de propositions que reçoivent les établissements. Il est crucial de mettre en place des comités d'évaluation pour écarter les solutions inadaptées et retenir les plus pertinentes, afin de développer en France une IA éthique et fiable dans le domaine de la santé.
M. Gérard Raymond. - Notre association d'usagers de la santé est extrêmement prudente sur le sujet de la médecine du travail. Nous sommes préoccupés par le statut du médecin du travail et ses liens d'intérêt potentiels avec l'employeur. Notre position est claire : les données qui figurent dans Mon espace santé appartiennent aux patients, qui sont libres de ne pas les communiquer au médecin du travail.
Pour l'hébergement des données de santé, Mon espace santé utilise un cloud souverain. Microsoft intervient dans la réutilisation des données une fois qu'elles ont été anonymisées. Nous travaillons sur le retour à un cloud souverain afin de clore ce débat et faciliter la réutilisation des données de santé pour la recherche et l'intelligence artificielle.
Je ne considère pas que le combat contre Doctolib soit perdu. Je continuerai à oeuvrer pour préserver un service de santé public, solidaire et gratuit. Je vous rappelle que Doctolib héberge ses données nominatives sur Amazon, ce qui pose question en termes de sécurité.
Mme Hela Ghariani. - Les données qui sont stockées dans Mon espace santé sont hébergées par l'assurance maladie dans le cadre d'un contrat garantissant que les serveurs sont situés sur le territoire national et opérés par une entreprise de droit national. Ces données ne sont pas chez Microsoft, mais stockées en France chez un acteur souverain de l'hébergement.
Mon espace santé est un service public qui vise à garantir à tous les citoyens un accès universel à leurs données de santé, indépendamment de leur maladie, de leur niveau de vie, de leur rémunération ou de leur lieu de prise en charge sur le territoire national.
Il a été convenu dès le départ que les médecins pouvaient, en se connectant à leur logiciel, consulter l'historique médical d'un patient. Ainsi, un médecin qui utilise Doctolib dans son cabinet peut accéder à l'historique médical du patient. La source de cette information est Mon espace santé. L'accord passé avec les entreprises qui équipent les soignants précise qu'elles doivent envoyer les documents des patients dans Mon espace santé, où ces données sont ensuite consultables par les professionnels de santé.
Concernant l'illectronisme et la médiation numérique, nous avons mis en place, au lancement du dispositif, un réseau territorial d'acteurs de la médiation qui sont capables d'accompagner les usagers dans la prise en main de Mon espace santé et de tout autre service public en ligne. Plus de 200 000 personnes ont été accompagnées au cours de l'année 2024 par le biais de ce réseau. Ces efforts d'accompagnement du grand public seront poursuivis.
Enfin, sur le sujet de l'intelligence artificielle, nous avons commencé à travailler avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) pour définir les modalités d'application d'une approche algorithmique aux données personnelles qui sont stockées dans Mon espace santé. Un décret a été adopté l'année dernière. Nous cherchons à garantir le respect des règles au regard du RGPD et des principes éthiques applicables au traitement de ces données. L'enjeu futur sera d'exploiter ces données de la manière la plus pertinente possible pour servir les utilisateurs.
Mme Marguerite Cazeneuve. - Mon espace santé est l'interface pour les patients, tandis que l'interface des professionnels est le DMP. Nous avons conçu le système afin que les professionnels puissent consulter l'historique et envoyer des documents sans avoir besoin de passer par un service tiers. Les logiciels métiers envoient directement les données dans le DMP. De nombreux médecins alimentent le DMP et le consultent sans nécessairement connaître Mon espace santé.
La difficulté et l'enjeu résident dans la qualification des données. En termes d'ergonomie, plus un système est sécurisé et plus il est complexe à utiliser. Un logiciel métier peut collecter de nombreuses données de manière transparente, mais pour les envoyer sur le DMP d'un patient, il faut s'assurer de l'identité correcte du patient. Doctolib n'envoie actuellement que 20 % des documents dans le DMP car il ne qualifie pas les 80 % restants. Si les logiciels métiers sont maintenant compatibles avec le DMP, il faut travailler sur la qualification et le recours à l'identité nationale de santé (INS) pour que les données transitent bien vers le DMP.
Il n'y a pas plus sûr que Mon espace santé. Nous sommes hébergés en France. Nous sommes beaucoup plus sécurisés que n'importe quel logiciel d'un médecin ou d'un établissement de santé. Cette sécurité renforcée peut parfois rendre l'ergonomie moins fluide. Nous avons toujours privilégié la sécurité. Pour ceux qui rencontrent des difficultés à activer leur espace santé, un support est disponible 24 heures sur 24. La complexité d'accès à Mon espace santé est un gage de sécurité. Une application qui permettrait d'entrer des données sans identification préalable serait problématique.
Nous hébergeons les données de Mon espace santé, mais nous n'avons pas l'autorisation du législateur pour les exploiter. Contrairement à d'autres acteurs qui exploitent les données de santé qu'ils hébergent, l'assurance maladie ne peut pas accéder aux espaces santé des patients. Le législateur a considéré que c'était l'espace du patient. On a simplement créé un coffre-fort. Bien que nous ayons la capacité technique de réaliser des analyses sophistiquées, nous ne le ferons pas sans l'autorisation explicite des patients et du législateur. C'est ce qui distingue Mon espace santé, qui est hébergé par l'assurance maladie, des autres opérateurs : nous n'utiliserons jamais les données du patient sans son consentement absolu.
Pr Stéphane Oustric. - J'entends les inquiétudes et les questions. Il faut quand même se dire que ça marche. Le système est imparfait, mais il représente une amélioration significative. Nous devons encore progresser vers une stratégie pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire intégrant à la fois la ville et l'hôpital. La crise du covid a accéléré cette évolution.
Nous avons maintenu nos données en France en choisissant l'assurance maladie comme hébergeur. Le portail Ameli-Pro, que nous utilisons en toute confiance, a permis une dématérialisation importante et un flux constant d'informations. C'est un changement de paradigme dans nos activités. Beaucoup de choses fonctionnent de mieux en mieux.
Je suis particulièrement attentif à la protection des données des patients. Ces informations ne doivent pas être accessibles à tous. Nous devons garantir la totale sécurisation des données de santé qui sont dans les espace personnels des patients. C'est un point sur lequel nous resterons extrêmement vigilants, notamment face aux demandes d'autres structures privées qui pourraient solliciter des assouplissements à des fins commerciales.
Mme Anne Souyris. - Mon espace santé est un très bel outil, mais il est dysfonctionnel. Les informations disponibles sont très limitées et erratiques, ce qui en réduit l'utilité. J'espère que cela s'améliorera. De plus, il y a un retard important dans la mise à jour des données, ce qui pose problème lors des consultations médicales.
Vous avez évoqué la notion de service public. Pour moi, cela va au-delà. Je souhaite avoir un contrôle total sur mes données. C'est la différence avec un simple service public. Le fait que le DMP soit séparé de Mon espace santé m'inquiète. Je pense qu'il devrait y avoir une plateforme unique partagée entre le médecin et le patient, où ce dernier pourrait choisir à tout moment ce qu'il veut montrer. Ce ne sont pas aux professionnels de santé de partager les données entre eux, il faudrait l'accord en amont du patient pour tous les partages.
Enfin, je m'interroge sur la gestion d'actes comme l'interruption volontaire de grossesse (IVG) qui peuvent se faire sans le consentement parental. Actuellement, les parents ont accès à toutes les informations relatives à leurs enfants. Comment envisagez-vous de permettre aux mineurs de garder certaines informations confidentielles, y compris vis-à-vis de leurs parents ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Mon espace santé vise à améliorer la qualité du service pour les médecins et les patients, tout en réduisant les coûts et en diminuant les soins inutiles et redondants. Selon diverses estimations, ces derniers représentent entre 20 et 28 % des soins. Malgré des investissements importants, des difficultés persistent pour inscrire tous les documents de santé. L'efficacité de Mon espace santé dépend de la participation active de tous les acteurs, y compris la Cnam et les hôpitaux. Sans une connexion adéquate entre les médecins de ville et les hôpitaux, nous risquons de continuer à répéter inutilement des examens coûteux. Lorsque l'on a des examens prescrits par le médecin généraliste ou spécialiste, on recommence l'ensemble de ces examens à l'hôpital. J'espère que la Cnam interviendra pour mettre fin à ces pratiques et optimiser l'utilisation de Mon espace santé.
Mme Patricia Demas. - Je souhaite évoquer l'accessibilité de Mon espace santé. Comment garantir l'accès à ce service public de santé dans les zones rurales où le déploiement de la fibre est incomplet ? Qu'en est-il de l'ergonomie des sites pour les personnes âgées ou en situation de handicap ? Qui joue le rôle de tiers de confiance en cas de problème ? Envisagez-vous une liaison avec des objets connectés pour assurer le suivi de certains patients ? Enfin, concernant le traitement des données, quel type d'intelligence artificielle sera utilisé ? Comment assurer une gouvernance éthique de l'IA pour garantir la qualité des données et éviter une prolifération incontrôlée d'IA métiers ?
Mme Brigitte Devésa. - Mon espace santé constitue une modernisation, mais il est nécessaire d'améliorer son fonctionnement. Il y a quelques mois, j'ai rencontré un groupe d'entrepreneurs qui ont développé une carte sécurisée contenant toutes les données de santé du porteur. Cette carte permet à un médecin d'accéder instantanément au dossier médical du patient grâce à un code unique pour chaque professionnel de santé. Avez-vous eu connaissance de ce type d'initiatives ? Serait-il envisageable d'expérimenter une intégration de ce système avec Mon espace santé ?
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Le numérique en santé recèle beaucoup de promesses en termes d'accès aux soins, d'efficacité et d'économies. Cependant, plusieurs questions se posent.
Du côté des professionnels de santé, comment assurer l'interopérabilité des différents logiciels métiers ? Qui prendra en charge les coûts liés à la mise à niveau technique ? Comment faire en sorte que le temps consacré aux tâches administratives n'empiète pas sur le temps médical ?
Du côté des patients, comment garantir la sécurité des données de santé accessibles sur nos appareils mobiles, dont on sait qu'ils peuvent être volés ?
Mme Véronique Guillotin. - Récemment, des carnets de santé papier ont été imprimés en nombre important pour les nouveau-nés, ce qui semble contradictoire avec la transition numérique en cours. N'aurait-il pas été possible d'intégrer directement ces informations dans un système numérique pour cette nouvelle génération ? Cette situation ne représente-t-elle pas une opportunité manquée dans la mise en place du système numérique de santé ?
M. Philippe Mouiller, président. - J'invite nos intervenants à répondre à ces nombreuses questions.
Mme Marguerite Cazeneuve. - Je tiens à clarifier un point : le DMP est bien à l'intérieur de Mon espace santé, dont il fait partie intégrante. Ce sont des données hébergées par l'assurance maladie, que l'assurance maladie n'utilise pas. Le patient est propriétaire de ses données. C'est lui qui décide à qui les communiquer. L'assurance maladie ne fait que les héberger. Ce sont les données qui ne sont pas dans Mon espace santé qui ne sont pas sécurisées. Des centaines de milliers d'applications santé sont utilisées chaque jour. Notre objectif, en ayant créé cette forteresse sécurisée, est d'inciter progressivement les éditeurs de logiciels et d'applications santé à respecter les normes qui ont été établies avec l'ANS.
Actuellement, 80 % des éditeurs de logiciels pour médecins généralistes, pharmaciens, laboratoires de biologie médicale et centres d'imagerie ont satisfait au cahier des charges fixé par l'ANS, l'assurance maladie et la DNS. Leurs logiciels sont sécurisés et interopérables. C'est l'État qui a financé cette mise à niveau. Une nouvelle vague de financement est prévue pour améliorer la sécurité et l'interopérabilité.
Concernant les actes anonymes, la loi protège certaines données de santé, notamment en cas d'IVG. Ces actes sont totalement anonymisés, y compris dans le système national des données de santé et Mon espace santé. Pour autant, des défis persistent, notamment pour la protection des données des enfants et des adolescents, en particulier ceux de l'aide sociale à l'enfance.
La connexion des hôpitaux est effective grâce à un financement dédié. Actuellement, c'est principalement la ville qui consulte les données hospitalières. La prochaine étape majeure consistera à rendre l'inverse possible. Cette étape est en cours.
Enfin, je souligne l'importance de l'ordonnance numérique, qui est en cours de déploiement. Il s'agira d'une avancée significative en termes de pertinence et de qualité des soins.
Mme Hela Ghariani. - Concernant l'articulation entre le carnet de santé papier et Mon espace santé, nous avons fait le choix de maintenir les deux dispositifs en parallèle pour une génération. Mon espace santé n'a que trois ans, et notre objectif est d'atteindre une masse critique de documents disponibles, soit environ 80 % de l'information médicale nécessaire, avant d'envisager la suppression progressive du carnet papier ou de le limiter à des publics spécifiques.
Aujourd'hui, environ la moitié des documents de santé produits en France sont envoyés à Mon espace santé. Pour améliorer l'efficacité et réduire les redondances, nous cherchons à renforcer les mécanismes d'alimentation systématique. Nous envisageons des leviers juridiques plus ambitieux pour faire en sorte que 100 % de l'information nécessaire à la coordination du parcours de soins se trouve dans Mon espace santé. Une avancée législative dans ce domaine pourrait accélérer la consultation et les gains en efficience.
Le déploiement de l'IA métier s'intensifie dans le domaine médical, tant en ville qu'à l'hôpital. Nous travaillons avec la Haute autorité de santé (HAS) à définir les modalités d'évaluation de ces IA, et nous travaillons à l'échelle européenne en vue de faciliter le déploiement de solutions françaises qui auront démontré un bénéfice médical évident sur le marché commun. L'objectif est de créer une troisième voie européenne dans le secteur de l'IA en santé, entre les solutions chinoises et américaines.
Nous travaillons en étroite collaboration avec l'assurance maladie sur les objets connectés à Mon espace santé. Toute alimentation de l'outil doit se faire en respectant les meilleurs standards de sécurité. Il n'est pas question de retrouver dans Mon espace santé des informations de qualité inégale, faute de quoi la confiance qu'ont les médecins, les soignants et les patients dans la qualité et la fiabilité des informations disponibles serait remise en question.
Notre travail se concentre sur trois axes principaux : nous vérifions la qualité des logiciels, nous nous assurons de la qualité des données stockées et nous mettons en place des voies d'alimentation sécurisées des objets connectés vers Mon espace santé. Nous effectuons tout le travail technique nécessaire pour fixer les bons standards. D'un point de vue législatif, nous souhaitons renforcer le rôle de ces acteurs dans l'alimentation et l'envoi des données vers Mon espace santé afin de garantir le rôle central de la plate-forme.
Tous les acteurs du marché doivent se conformer à des exigences strictes en termes de qualité, de sécurité et d'interopérabilité. Le mécanisme que nous mettons en place avec l'assurance maladie est ouvert à toutes les entreprises du secteur. Il est très exigeant en matière de sécurité. Notre objectif est de construire un coffre-fort numérique digne de confiance pour les citoyens et les soignants. Si une solution respecte ces hauts standards de sécurité, elle pourra proposer aux patients, toujours sous réserve de leur consentement, d'échanger des données avec Mon espace santé.
M. Gérard Raymond. - En termes de sécurité, Mon espace santé bénéficie d'une certaine protection grâce à la reconnaissance faciale. Bien que ce système ne soit pas infaillible, il offre néanmoins un niveau de sécurité non négligeable, ce qui est crucial.
Il est essentiel que toutes les solutions innovantes, qu'elles proviennent de start-up ou d'autres acteurs, convergent vers Mon espace santé en respectant les règles établies.
Concernant l'accessibilité, il est impératif d'assurer une bonne couverture internet sur l'ensemble du territoire. Nous travaillons continuellement sur l'ergonomie, en effectuant des tests réguliers pour améliorer l'interface, qui était initialement peu conviviale. Un autre point crucial est la gestion de la personne de confiance, notamment la façon dont elle peut accéder à tout ou partie des données de santé.
Nous sommes au coeur d'une révolution à la fois structurelle et culturelle du système de santé. Chaque citoyen doit devenir acteur de sa santé. Pour faciliter cette acculturation, nous préconisons d'augmenter le nombre d'ambassadeurs et d'intensifier les actions de l'assurance maladie auprès de tous les citoyens, en adoptant une approche proactive et en tenant compte des spécificités territoriales comme à La Réunion. Il est important d'accompagner les populations des zones reculées pour les aider à comprendre et à tirer le meilleur parti des nouvelles technologies.
M. Laurent Pierre. - Concernant le niveau d'alimentation du DMP, il est crucial de se concentrer sur la qualité plutôt que sur la quantité. Actuellement, nous avons environ 250 millions de documents dans le DMP. Si nous devions y intégrer toute la biologie, le système serait engorgé avec 418 millions de documents. L'objectif n'est pas de tout inclure, mais de se concentrer sur ce qui est vraiment utile. Si le DMP est mort d'anorexie, il ne faut pas que Mon espace santé meure de boulimie.
La FHF estime qu'il faut avoir le courage d'imposer certains cas d'usage qui passeraient intégralement par le DMP. Par exemple, l'assurance maladie a réussi à généraliser la feuille de soins électronique, rendant la version papier obsolète. Nous devons identifier et soutenir des cas d'usage similaires pour le DMP. La e-prescription est probablement l'élément le plus prometteur à cet égard. Son couplage avec le DMP pourrait être déterminant pour l'adoption massive de ce dernier. Il est essentiel d'éviter le maintien en parallèle des méthodes papier et numérique.
Pr Stéphane Oustric. - Un aspect important n'a pas été abordé : il tient à la responsabilité. Lorsqu'une ordonnance m'est envoyée directement par un collègue de CHU sans les données contextuelles et sans possibilité d'échanger avec le patient, cela soulève des questions de responsabilité. En outre, avec la délivrance automatique de médicaments de plus en plus coûteux, on peut s'interroger sur les changements de prescription, surtout si le patient a déjà manifesté une intolérance à un médicament.
Quand des documents m'arrivent instantanément et que je ne les ai pas consultés, quelle est ma responsabilité ? Qu'en est-il de la négociation avec le patient concernant ses choix personnels, que nous gérons habituellement dans nos logiciels médicaux ? La systématisation doit-elle prévaloir sur le choix individuel ?
Nous devons nous interroger sur les implications en termes de responsabilité lorsque l'information n'est pas négociée, consentie et appropriée clairement et loyalement par le patient. Actuellement, nous nous concentrons principalement sur l'aspect technique, mais nous attendons également des directives qui rappelleront aux médecins le cadre déontologique de l'utilisation de l'outil.
Nous serons extrêmement vigilants sur ce point. Il ne faudrait pas que des avancées majeures soient freinées ou abandonnées parce que la responsabilité inhérente à l'utilisation passerait d'une obligation de moyens à une obligation de résultats, ce qui serait délétère pour le patient.
Il est crucial que toutes ces avancées soient collaboratives et coconstruites. L'histoire enseigne qu'en voulant être trop volontaristes, nous avons parfois manqué des étapes essentielles pour protéger le libre choix du patient.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie pour ces échanges passionnants.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Désignation d'un rapporteur
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous avons désigné nos rapporteurs pour la mission à La Réunion sur l'accès aux soins, le 15 janvier dernier. Cependant, une contrainte empêchant Khalifé Khalifé de participer à ce déplacement, je vous propose de désigner Alain Milon à sa place. Je vous propose également d'acter que Viviane Malet sera également rapporteure.
Il en est ainsi décidé.
Je vous remercie.
La réunion est close à 12 h 00.