Jeudi 20 février 2025
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
Audition de Mme Aurore Bergé, ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, et de la lutte contre les discriminations
Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous auditionnons ce matin Aurore Bergé, ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, et de la lutte contre les discriminations. Madame la Ministre, bienvenue.
Nous vous entendions pour la première fois le 20 février 2024, un mois après votre première nomination comme ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Vous n'aviez toutefois pas pu dérouler l'intégralité de votre feuille de route. En effet, six mois après votre nomination, la dissolution de l'Assemblée nationale et la démission du gouvernement mettaient fin à vos fonctions de ministre en exercice.
Vous êtes de nouveau parmi nous ce matin après avoir été nommée, le 23 décembre 2024, une nouvelle fois ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, au sein du gouvernement de François Bayrou. Je me réjouis que cet ensemble soit à nouveau représenté au sein d'un ministère autonome, rue Saint-Dominique.
Nous regrettons l'absence de stabilité à ce poste ministériel clé, même si nous nous réjouissons de vous retrouver dans ces fonctions. Nous connaissons votre engagement sincère et ancien en faveur des droits des femmes, et votre parfaite connaissance des dossiers.
Vous pourrez nous présenter votre feuille de route ministérielle, nous indiquer comment celle-ci s'inscrit dans la suite des ministres qui vous ont précédée à ce poste, notamment au regard de la mise en oeuvre des quatre axes prioritaires du plan interministériel pour l'égalité 2023-2027 présenté le 8 mars 2023. Vous pourrez aussi nous fournir des éléments budgétaires quant au financement de vos priorités.
Vous le savez, les associations féministes alertent depuis longtemps quant au financement insuffisant de la politique de lutte contre les violences et en faveur de l'égalité. Elles font part de leurs difficultés financières et du manque de moyens dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Pour ma part, je plaide pour la création d'un fonds dédié à la lutte contre les violences intrafamiliales, entre autres, et d'une agence nationale en charge de la mise en oeuvre de cette politique. Ou, en tous cas, d'une instance interministérielle ayant une véritable autorité dans ce pilotage, surtout à l'encontre de ceux qui ne se conformeraient pas aux objectifs poursuivis.
Concernant l'évolution du cadre législatif, le Sénat examinera le 3 avril la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, que vous aviez déposée le 3 décembre 2024 en tant que députée. Telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale le 28 janvier dernier, cette proposition de loi introduit pour la première fois la notion de contrôle coercitif en matière de violences conjugales ou intrafamiliales.
Vous le savez, c'est un sujet que nous avions porté avec Émilie Chandler dans le plan ROUGE VIF, et dont des magistrats et forces de sécurité intérieure se sont saisis, permettant de meilleures poursuites et créant de la jurisprudence. Nous tiendrons sur ce sujet primordial un colloque le jeudi 20 mars au Sénat, rassemblant de grands spécialistes nationaux et internationaux de ce concept novateur. Nous l'organiserons avec la commission des lois, car nous menons un combat commun.
Nous aimerions également vous entendre sur les suites que vous comptez donner aux recommandations formulées par notre délégation dans ses travaux les plus récents. Je pense notamment à nos rapports sur les femmes sans abri, les familles monoparentales, la santé des femmes au travail ou encore la lutte contre les violences pornographiques. Ce dernier sujet fera l'objet d'un événement que nous organisons dans le cadre de la Commission des Nations Unies sur la condition des femmes (CSW) à New York, au mois de mars prochain.
Enfin, comme vous le savez déjà, nos thématiques principales de travail au cours de la présente session sont :
- d'une part, la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles, sujet que nous traitons en commun avec la commission des lois ;
- d'autre part, la place des femmes dans les sciences.
Je vous laisse sans plus tarder la parole.
Mme Aurore Bergé, ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, et de la lutte contre les discriminations. - L'égalité entre les femmes et les hommes est un combat pour lequel nous avons la responsabilité de ne jamais relâcher nos efforts et notre vigilance. Nous nous devons de consolider ce qui a été acquis, souvent de haute lutte, mais surtout de réussir à engager de nouveaux progrès. Votre délégation joue un rôle essentiel dans cette ambition partagée, et prouve que ces combats peuvent heureusement nous rassembler et dépasser les clivages habituels. L'égalité entre les femmes et les hommes touche au fondement même de notre pacte républicain. Elle appelle des décisions, des actes, et des moyens concrets.
C'est dans cet esprit que nous avons pris nos responsabilités, dans des circonstances budgétaires et politiques inédites. Grâce à une mobilisation collective et transpartisane, dans laquelle le Sénat a joué un rôle pivot, les moyens consacrés aux politiques d'égalité entre les femmes et les hommes augmentent cette année de plus de 20 % par rapport à 2024 pour atteindre 94 millions d'euros sur le programme 137.
Cet effort budgétaire permet d'abord de soutenir le versement de la prime Ségur et de garantir la revalorisation salariale des professionnels engagés sur le terrain, et notamment des membres des Centres d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF). Je connais votre implication et votre engagement sur ce sujet. Il permet également de financer l'aide universelle d'urgence créée au Sénat par ma collègue Valérie Létard. En un an, ce dispositif essentiel a déjà permis à plus de 38 000 personnes - quasi exclusivement des femmes -, victimes de violences conjugales de quitter leurs conjoints violents. Elles ont ainsi pu faire face à leurs dépenses immédiates et être mises en relation avec un accompagnement social de qualité et sur la durée.
Ces avancées s'inscrivent dans une dynamique engagée depuis 2017 sous l'impulsion du Président de la République, qui a souhaité faire de l'égalité la grande cause de ses deux quinquennats.
En cinq ans, les moyens consacrés à l'égalité entre les femmes et les hommes ont ainsi triplé. Plus largement, depuis 2017, nous avons renforcé notre arsenal juridique, développé ou étendu des dispositifs de protection et placé la prévention et l'accompagnement des victimes au coeur de notre action. Pour autant, je crois que nous devons -- et que nous pouvons - aller plus loin. L'année 2025 peut être décisive. L'égalité entre les femmes et les hommes ne peut pas rester un horizon vers lequel on tend. Elle doit devenir une réalité tangible et indiscutable, et même, je l'espère, irréversible.
C'est dans cette perspective que nous tiendrons très prochainement un comité interministériel à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ce rendez-vous sera l'occasion de dresser un point d'étape à mi-parcours de la mise en oeuvre du plan interministériel « toutes et tous égaux ».
L'égalité ne sera jamais une réalité tant que des milliers de femmes continueront de vivre dans la peur, privées de liberté, menacées jusqu'au point de perdre la vie. Chaque féminicide est un échec collectif. Nous avons commencé l'année 2025 avec un premier féminicide à Haumont, dans le Nord.
Nous savons que ces drames ne surviennent jamais brutalement, sans avertissement. Ils s'installent lentement, de manière insidieuse, par des mots, des regards, des interdictions, des violences psychologiques. Ensuite viennent les coups, les violences physiques, parfois sexuelles, les excuses trompeuses qui enferment encore davantage la victime dans la confusion, la peur, la honte. Trop souvent, ces signaux d'alerte sont ignorés, banalisés, excusés au nom d'une prétendue vie privée ou familiale. Ces méthodes ont un nom. Elles doivent être identifiées et sanctionnées. C'est pour moi tout l'enjeu de la notion de contrôle coercitif sur laquelle vous aurez l'occasion de vous prononcer à l'occasion de la proposition de loi qui sera examinée le 3 avril prochain en séance publique.
En 2025, nous devons encore affirmer une évidence : prévenir et signaler les violences, ce n'est pas de la délation, mais de l'assistance à personne en danger. Ces violences ne se limitent pas à la sphère familiale, elles concernent nos écoles, nos universités, nos entreprises, tous les milieux et tous les secteurs, tous les pans de notre vie collective. Nous devons lutter avec toujours plus de détermination contre les violences faites aux femmes sous toutes leurs formes, physiques, sexuelles, psychologiques, économiques, numériques ou en matière de soumission chimique. Cette bataille passera par le renforcement de nos dispositifs de protection, d'accompagnement et d'hébergement, d'urgence et, sur le long terme, par la formation des professionnels de santé et des forces de l'ordre ou le déploiement d'au moins une Maison des femmes adossée à un établissement de santé dans chacun de nos départements. Elle passera aussi par le renforcement de notre arsenal juridique pour mieux accompagner les victimes dans leurs démarches judiciaires.
Nous savons qu'il peut se passer plusieurs années, voire plusieurs décennies, entre le moment où se produisent les faits et celui où les victimes sont prêtes à porter plainte, d'autant plus quand les victimes sont mineures. Trop souvent, malgré les progrès indéniables qu'a permis la loi du 3 août 2018, les victimes, quand elles trouvent enfin la force de parler, se voient adresser par la justice une réponse qui m'est insupportable : la prescription. La réparation des victimes doit passer par l'accès à la justice.
Les témoignages récents, à l'image du sinistre cas de l'Abbé Pierre, illustrent tragiquement comment la prescription prive les victimes, une fois adultes, de toute possibilité de recours.
Pour cette raison, le gouvernement et moi-même sommes favorables à la mise en place d'une imprescriptibilité en matière civile pour les mineures victimes, comme je l'avais proposé dans le texte qui sera examiné le 3 avril prochain.
Nous devons également mieux sanctionner les auteurs de toutes les formes de violences. Je suis notamment déterminée à ce que la loi intègre mieux dans la définition pénale du viol la question du consentement, dans le prolongement des travaux parlementaires de l'Assemblée nationale menés par Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin. La lutte contre les violences faites aux femmes est aussi un combat contre toutes les formes d'exploitation des femmes. Leur corps n'est pas une marchandise. Le désir n'est pas à vendre.
En 2025, nous devons approfondir la mise en oeuvre de la première stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel, et être ainsi à la hauteur de la position abolitionniste de la France portée par la loi de 2016, et notamment par Laurence Rossignol.
Nous devons aussi renforcer notre action contre les violences systémiques envers les femmes dans l'industrie pornographique. Celle-ci crée une vision déformée et violente de la sexualité. Elle encourage les stéréotypes dégradants auprès de consommateurs de plus en plus jeunes.
Nous devons mettre fin à des violences qui se perpétuent dans l'ombre ou à l'étranger, et qui génèrent des conséquences dramatiques sur la santé et la dignité des femmes. Je pense par exemple aux mutilations sexuelles féminines. Il y a deux semaines, j'ai signé au nom de l'État le premier plan régional de lutte en Ile-de-France, région la plus touchée par les mutilations, pour éradiquer ces pratiques d'un autre temps. Elles sont, là aussi, trop souvent des tabous.
Aujourd'hui encore, des tabous persistent dans notre pays et continuent à entraver l'accès des femmes à une véritable santé et à leur prise en charge. Les briser relève de notre responsabilité collective, et de la mienne, en tant que ministre, pour garantir à toutes les femmes un droit fondamental, celui de prendre soin de leur corps, de leur santé, sans honte, sans obstacle, sans discrimination. Nous savons combien les règles restent entourées de honte et parfois même de désinformation. Nous savons aussi que de nombreuses femmes n'ont pas accès à des protections hygiéniques adaptées. Nous devons poursuivre nos actions pour lutter contre la précarité menstruelle. La contraception, trop souvent perçue comme une responsabilité uniquement féminine, recule de manière très inquiétante parmi les plus jeunes générations, fragilisant la prévention des infections sexuellement transmissibles. Quant à la ménopause, elle est encore trop souvent ignorée dans le débat public, là encore entachée de honte, comme dans la médecine, alors qu'elle concerne la moitié de la population. Elle affecte profondément la vie professionnelle et personnelle de millions de femmes. Il est donc temps de mieux informer, accompagner et traiter ces réalités quotidiennes.
Pendant des décennies, de nombreuses maladies spécifiques aux femmes ont été minimisées, mal diagnostiquées et mal soignées. L'endométriose en est l'exemple le plus criant. Cette pathologie, qui touche une femme sur dix, a longtemps été reléguée à un simple problème de règles douloureuses. Désormais, des centres spécialisés et une meilleure formation des médecins changent la donne. Là encore, nous devons aller plus loin. Le gouvernement a ainsi annoncé la semaine dernière l'expérimentation à grande échelle de tests salivaires permettant de diagnostiquer l'endométriose.
Pour autant, la santé des femmes ne peut pas se limiter uniquement à la santé gynécologique et à la santé sexuelle. Les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité féminine dans notre pays, restent sous-diagnostiquées en raison d'une médecine encore trop calibrée sur le corps masculin et de biais de genre qui persistent. La santé mentale des femmes reste un tabou, souvent relégué au second plan. Pourtant, elle subit des pressions constantes, très documentées. Le stress, l'anxiété, la dépression post-partum, le burn-out ou encore les séquelles psychologiques des violences doivent être reconnus, traités et indemnisés avec plus de sérieux et de durée.
Grande cause de cette année 2025, la santé mentale ne doit plus être un luxe ni un combat individuel, mais un enjeu de santé publique. Elle doit concerner toutes les femmes, indépendamment de leur âge, de leur territoire et de leurs moyens financiers.
Enfin, comme l'ont souligné vos travaux novateurs au sein de la délégation, nous devons continuer de mieux prendre en compte la santé des femmes au travail. En effet, les conditions professionnelles sont souvent trop pensées pour un corps masculin qui serait supposé neutre. Or, prendre en compte les spécificités liées à la santé des femmes, c'est garantir leur bien-être au travail et leur insertion durable dans l'emploi. Nous le savons, l'autonomie économique des femmes constitue la condition première de leur émancipation.
Je suis d'ailleurs très attentive à la question de l'articulation des temps de vie, dont un grand nombre d'entreprises s'est déjà saisi. La parentalité repose encore très majoritairement sur les femmes, qui composent aussi l'immense majorité des familles monoparentales. Je sais l'attention que vous portez ici à ces enjeux, freinant leurs progressions professionnelles et limitant leurs perspectives d'évolution. Trop souvent, la maternité est perçue comme un handicap de carrière, là où elle devrait tout simplement être un choix, soutenu et accompagné. Pour cette raison, je souhaite la création d'un congé de naissance, afin de mieux répartir les responsabilités parentales entre les deux parents, garantir une meilleure indemnité et donc plus de liberté. L'émancipation économique des femmes ne sera réelle que lorsque l'égalité salariale ne sera plus un slogan, mais un fait.
Depuis 2017, nous avons progressé, notamment grâce à l'index de l'égalité professionnelle, qui a permis de mieux évaluer et corriger les écarts de rémunération. Pour autant, il reste encore du chemin. Cette année, nous renforcerons encore ce dispositif à l'occasion de la transposition de la Directive européenne, « transparence des rémunérations » que nous souhaitons d'ailleurs être un véhicule législatif autonome. Cette volonté répond à la demande des organisations syndicales. La parité dans les instances dirigeantes est également une nécessité. Ce n'est pas une option, c'est la loi, et j'entends donc qu'elle soit respectée.
Alors que je me rendrai mardi prochain au Salon international de l'agriculture, je veux aussi aborder la question de la place des femmes dans ce secteur. Elles représentent aujourd'hui un peu moins d'un tiers des actifs permanents agricoles et un quart seulement des chefs d'exploitation. Nous devons continuer de les accompagner, de renforcer notre soutien à celles qui décident de se lancer dans un secteur aussi stratégique pour l'avenir de notre pays : notre souveraineté alimentaire. C'est d'autant plus une nécessité que d'ici dix ans, la moitié des chefs d'exploitation partira à la retraite.
Au coeur de tous ces combats pour l'égalité réelle, se trouve évidemment l'éducation. En effet, c'est dès l'enfance que se forgent les mentalités, que se dessinent les ambitions et que s'encrent ou se déconstruisent les stéréotypes qui enferment dans des rôles ou assignent à résidence et peuvent créer un terrain propice pour les violences. Nous devons donc agir dès l'école pour que chaque enfant puisse rêver et se projeter sans que son sexe ne vienne jamais limiter ses ambitions.
Alors que les grandes transitions numériques, écologiques, énergétiques redéfinissent notre avenir, nous devons saisir l'opportunité unique d'inclure pleinement les femmes dans ces secteurs stratégiques et notamment scientifiques. Ils ne sauraient être bâtis uniquement par et pour les hommes. La mixité est un projet de société. Nous devons agir dès maintenant pour ouvrir ces horizons et renforcer l'apprentissage des sciences et des mathématiques et faire en sorte que ces filières et ces métiers soient bien accessibles à tous. L'éducation ne doit pas seulement préparer au métier de demain, parce que c'est aussi à l'école que se construit notre avenir commun et que nous pouvons et devons y apprendre l'égalité et refuser toutes les formes d'exclusion et de violence.
À tous les âges de la vie, on peut apprendre avec des mots simples des notions essentielles comme le consentement, le respect ou l'intégrité de son corps. Ce sont des principes concrets essentiels à notre vie intime, mais aussi collective. Consentir, ce n'est pas ne pas dire « non », c'est dire « oui », librement, clairement, sans ambiguïté. Respecter, c'est écouter et reconnaître l'autre dans ses choix et sa dignité. Avec Élisabeth Borne, nous nous assurons donc de la mise en oeuvre dans toutes les écoles, partout en France, quel que soit leur statut, des programmes d'éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité qui ont été publiés il y a 15 jours après leur adoption à l'unanimité.
Ces dernières années, nous avons appris que l'histoire ne progressait pas toujours en ligne droite. Alors que des forces réactionnaires cherchent à réaffirmer leur contrôle sur les corps et les esprits partout dans le monde, je participerai au début du mois de mars, avec une large délégation de députés et de sénateurs, à la commission sur le statut des femmes des Nations Unies à New York. J'y porterai avec vous la voix de la France. J'y réaffirmerai fermement notre position dans le prolongement de l'inscription inédite dans notre Constitution de la liberté des femmes de recourir à l'avortement. La dignité et la liberté des femmes sont des valeurs fondamentales qui ne seront pour nous jamais négociables. Ce sera aussi l'occasion de renforcer nos liens avec des États engagés dans la défense des droits des femmes, qu'ils se trouvent au sein de l'Union européenne ou au-delà.
Enfin, je me prépare déjà pour les prochaines échéances internationales. En 2026, la présidence française du G7 sera l'occasion d'insister sur les enjeux de diplomatie féministe.
Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je viens de partager avec vous les grandes lignes de l'action que je souhaite porter pour les prochains mois, voire plus. Toutefois, vous le savez, le combat pour l'égalité ne peut reposer sur le seul gouvernement ou sur les seuls pouvoirs publics de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Ce combat est l'affaire de toutes et tous et exige l'engagement sans faille de toutes les forces de notre pays. Chacun de nous, en tant que citoyenne et citoyen, doit jouer son rôle et prendre ses responsabilités.
Je suis convaincue que 2025 pourra constituer une année charnière, et une étape supplémentaire dans notre combat pour une égalité réelle et concrète. Je sais pouvoir compter sur votre soutien exigeant, mais surtout sur vos propositions extrêmement précieuses et votre engagement déterminé.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup. Je ne reviendrai ici que sur la question de la diplomatie féministe. Accueillir le sommet qui y est dédié constitue, pour la France, une réelle opportunité. Nous constatons aujourd'hui que les droits des femmes sont menacés partout dans le monde et que, là où ces droits sont remis en cause, c'est bien souvent l'ensemble des libertés humaines qui vacille. C'est donc un combat essentiel que nous devons mener avec détermination.
À ceux qui estimaient que l'inscription du droit à l'IVG dans notre Constitution n'était pas nécessaire, les événements récents viennent apporter une réponse éclatante. Nous voyons, en effet, un vice-président américain s'autoriser à nous donner des leçons, jugeant inadmissible qu'une telle avancée ait été adoptée en Europe. Eh bien non, nous assumons pleinement d'être un îlot de protection des droits des femmes. Dès lors, lorsque vous exprimez votre volonté de rendre ces droits irréversibles, je partage pleinement votre conviction : c'est un combat de long terme que nous devrons mener ensemble, avec engagement et dans l'unité.
Mme Annick Billon. - Madame la Ministre, je suis ravie de vous retrouver à ce poste au sein du gouvernement. Nous connaissons toutes et tous votre engagement, votre détermination et la profondeur de votre connaissance des sujets qui nous rassemblent aujourd'hui. Votre exposé en est une nouvelle illustration.
Depuis le 5 août 2024, les CIDFF sont confrontés à des coûts de fonctionnement supplémentaires liés à l'extension de la prime Ségur applicable à leurs salariés. Afin d'éviter que cette situation ne compromette leur fonctionnement, nous avons fait adopter un amendement, déposé par la Présidente de la délégation, visant à compenser ces charges accrues.
Prenons l'exemple de la Vendée : dans ce département, l'augmentation des charges salariales du CIDFF s'élève à 25 000 euros. Si l'on y ajoute une baisse de la subvention du Conseil régional de 20 000 euros, ce sont au total 45 000 euros de charges supplémentaires qui pèsent sur le CIDFF local. L'amendement adopté a permis de préserver l'équilibre financier pour cette année, mais qu'en est-il des années à venir ? Quelles garanties pouvons-nous apporter quant à la pérennité de ce dispositif de compensation ?
Ensuite, j'aimerais aborder une question encore plus actuelle : celle du congé menstruel. Le tribunal administratif de Grenoble a, cette semaine, ordonné la suspension des délibérations de la métropole de Grenoble sur ce sujet. Depuis 2023, plusieurs collectivités s'étaient engagées dans une démarche expérimentale en ce sens. Or, ces initiatives se heurtent aujourd'hui à des incertitudes juridiques évidentes. Si la délibération prise à Orvault, en Loire-Atlantique, a été validée par le contrôle de légalité, le tribunal administratif de Toulouse a, en revanche, suspendu une mesure similaire.
Le 15 février dernier, nous avons débattu d'un texte, au sein duquel j'avais proposé une expérimentation de ce congé. Cette proposition n'a finalement pas été retenue, et nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation incertaine. Quelle est votre position sur le sujet ?
Un autre enjeu essentiel concerne l'accompagnement des femmes victimes de violences intrafamiliales. De nombreuses collectivités territoriales s'efforcent de mettre en place des dispositifs de relogement. Toutefois, les moyens restent souvent insuffisants pour assurer un accompagnement complet, notamment pour les enfants. Or, bien souvent, les femmes qui fuient un foyer violent le font avec leurs enfants, et le parcours de ces derniers demeure trop peu structuré. Comment mieux l'encadrer et garantir un véritable accompagnement familial ?
Enfin, la Directive européenne relative à l'égalité salariale entrera en vigueur le 7 juin 2026. Nous savons que l'égalité entre les femmes et les hommes ne pourra jamais être atteinte tant que des écarts de rémunération subsisteront. Dès lors, comment envisagez-vous la mise en oeuvre de ce texte en France ? Quels leviers comptez-vous mobiliser pour garantir son application effective ?
Mme Colombe Brossel. - La vie politique a parfois d'étranges résonances. Il y a quelques mois, nous échangions déjà sur la question des familles monoparentales. Je me permets de vous interpeler à nouveau sur ce sujet fondamental.
Ma collègue, Béatrice Gosselin, ne pouvant être présente ce matin, je tiens néanmoins à rappeler que nous poursuivons ensemble nos travaux sur cette problématique essentielle. Notre délégation a adopté, au mois de mars 2024, un rapport sur la situation des familles monoparentales en France, formulant dix recommandations. Aujourd'hui, j'aimerais connaître votre position sur ces recommandations, et savoir dans quelle mesure vous pouvez, au nom du gouvernement, vous engager sur certains de ces points.
Ce rapport, comme d'autres travaux, a contribué à mettre en lumière la réalité vécue par deux millions de familles monoparentales, composées à 82 % de femmes. Parce qu'elles sont des femmes, elles cumulent un certain nombre d'inégalités -- qu'elles soient professionnelles, sociales ou liées au genre. C'est d'ailleurs cette situation qui a conduit la Délégation aux droits des femmes à se saisir du sujet.
Nos propositions sont de nature variée : certaines nécessitent une évolution législative, tandis que d'autres relèvent d'actions de votre ministère ou d'une approche interministérielle.
À titre d'exemple, nous avons suggéré d'expérimenter le maintien de l'allocation de soutien familial (ASF) lorsque la mère, en situation monoparentale, se remet en couple. Cette mesure pourrait offrir une plus grande sécurité financière à ces familles en transition. Je pense également à l'instauration d'un abattement du montant de la pension alimentaire - la CEEE - dans le calcul des prestations sociales et de l'aide personnalisée au logement (APL). Actuellement, une mère célibataire qui parvient, souvent après un long combat, à obtenir le versement d'une pension alimentaire, voit cette dernière prise en compte dans le calcul de ses aides. Ainsi, bien que son revenu réel n'ait pas augmenté de manière significative, elle est privée d'une partie des prestations auxquelles elle avait droit via l'ASF. Cette situation constitue une double pénalisation qu'il apparaît nécessaire de corriger, d'autant plus qu'elle concerne principalement des femmes percevant entre 1 et 1,3 fois le SMIC.
De la même manière, il est impératif de réviser le barème des pensions alimentaires. Aujourd'hui, leur montant mensuel moyen s'élève à 190 euros, une somme bien inférieure aux coûts réels liés à l'éducation et à l'entretien d'un enfant. En outre, la coexistence de deux barèmes distincts - celui de la Caisse d'Allocations Familiales (CAF) et celui du ministère de la Justice - crée une confusion préjudiciable pour les familles concernées.
Nous avions également proposé de réaliser un bilan approfondi du fonctionnement de l'Agence de Recouvrement des Impayés de Pensions Alimentaires (ARIPA). Il est essentiel de poursuivre ce travail afin d'améliorer l'efficacité de ces dispositifs et d'apporter des solutions adaptées aux bénéficiaires.
Enfin, il nous semble nécessaire de mener une réflexion plus large sur la reconnaissance des familles monoparentales au niveau national. Certaines entreprises souhaitent s'engager sur ce sujet, et plusieurs propositions ont émergé, notamment celle de créer un statut spécifique pour ces familles. Nous avons, pour notre part, suggéré l'instauration d'une carte « famille monoparentale », qui permettrait de formaliser cette reconnaissance et de mieux lutter contre les inégalités qu'elles subissent.
J'ai le sentiment que nous avons collectivement perdu un temps précieux dans l'accompagnement de ces familles et dans la lutte contre les inégalités qu'elles rencontrent. Il est désormais urgent d'agir, et surtout d'agir ensemble.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je rappelle qu'Agnès Canayer, lorsqu'elle était ministre en charge de la famille et de la petite enfance, nous avait reçus sur ce sujet, mais, comme c'est souvent le cas, chaque changement de ministre nous oblige à reprendre notre travail de sensibilisation et de plaidoyer. À ce titre, le dossier de la santé des femmes au travail n'a jamais pu être présenté à un ministre, car chaque fois qu'un rendez-vous était enfin obtenu, un remaniement gouvernemental nous a freinés.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Merci de venir à notre rencontre et de nous offrir l'opportunité d'échanger sur ces sujets qui nous tiennent particulièrement à coeur.
J'aimerais attirer votre attention sur le manque criant de places d'hébergement d'urgence. Vous êtes certainement habituée à entendre ces doléances, mais je tiens à insister sur la situation spécifique de La Réunion. Ce territoire, éloigné de l'Hexagone, est particulièrement touché par les violences intrafamiliales.
Nous déplorons régulièrement des féminicides, mais aussi des infanticides commis sur fond de violences domestiques. Ces drames bouleversent profondément notre population. Les pensions de gîte-hôtel ne peuvent être qu'une solution de dernier recours.
À La Réunion, depuis deux années consécutives, les associations ont alerté le préfet sur la difficulté d'héberger les victimes, notamment lors d'événements sportifs d'envergure internationale. Par exemple, le Grand Raid mobilise l'ensemble des infrastructures touristiques. Durant ces périodes, les hôtels, pensions et gîtes affichent complet, laissant les femmes victimes de violences et leurs enfants face à une alternative inacceptable : rester dans un foyer violent ou vivre dans leur voiture. Ce problème, récurrent chaque année, doit impérativement être pris en compte.
Ma première question concerne la loi visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales, dite « PPL Santiago ». Adoptée au Sénat il y a un peu moins d'un an, elle permet notamment la suspension de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi pour violences ou agressions sexuelles sur son enfant ou sur l'autre parent jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales. Cette loi a été promulguée le 19 mars 2024. Or, je constate que sur le terrain, elle n'a, en pratique, rien changé. Elle demeure largement méconnue des institutions censées protéger les victimes, qu'il s'agisse des écoles, des crèches ou des services sociaux. Pire encore, les parents protecteurs continuent d'être menacés et poursuivis pour non-présentation d'enfant, alors même que le contexte pénal ne laisse aucun doute sur la gravité et la réalité des violences subies.
Que comptez-vous faire pour assurer la diffusion et l'application effective de cette loi indispensable à la protection des enfants et des parents victimes ?
Ensuite, dans le cadre de nos travaux sur la prévention de la récidive du viol et des agressions sexuelles, nous avons rappelé que les auteurs de violences sexuelles ont, dans de nombreux cas, eux-mêmes été victimes par le passé. Selon une étude de l'ONU, un homme ayant subi des violences sexuelles dans l'enfance a 14 fois plus de risques d'en commettre à son tour.
Les plaintes liées aux violences sexuelles sont très majoritairement classées sans suite : 70 % concernant les affaires impliquant des mineurs, et 87 % lorsqu'elles impliquent des majeurs.
Dans les affaires d'inceste, plusieurs victimes émergent souvent au fil de l'enquête. Quelle attention la justice leur accorde-t-elle ?
Ces violences sont-elles systématiquement considérées comme des crimes et délits, ou seulement comme des éléments contextuels ?
Trop souvent, nous nous retrouvons dans des situations absurdes où la parole libérée devient une nouvelle souffrance. Pour les victimes, un classement sans suite est vécu comme un abandon et un désaveu. À l'auteur, on reproche d'avoir infligé à autrui les mêmes violences qu'il a lui-même subies, souvent dans l'enfance, dont personne ne trouve rien à redire pénalement. Entre ces classements sans suite et cette forme de résignation judiciaire, nous assistons à une banalisation inacceptable des violences sexuelles.
Quel regard portez-vous sur cette situation ? Et surtout, quelles mesures envisagez-vous pour que ces violences soient réellement reconnues, dénoncées et sanctionnées, afin de rompre avec ce que l'on nomme aujourd'hui la culture du viol ?
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous ne manquerons pas de poser cette question au ministre de la Justice.
Mme Aurore Bergé, ministre. - Sur l'extension de la prime Ségur, un amendement transpartisan, porté notamment par les membres de votre délégation au Sénat, a permis de répondre aux alertes lancées par les CIDFF et d'autres associations. Ces structures avaient dû assumer la revalorisation nécessaire des professionnels, en subissant un coût financier conséquent.
De son côté, l'État a finalement intégré cet amendement de manière définitive dans la loi de finances après son adoption en commission mixte paritaire. Nous sommes donc désormais en mesure de garantir un soutien aux associations concernées et de compenser la revalorisation de la prime Ségur. Cette décision devrait rassurer les structures de terrain avec lesquelles vous travaillez quotidiennement.
Concernant la pérennité des financements, le programme 137 a connu chaque année une évolution à la hausse. Ce renforcement budgétaire a créé un effet cliquet, garantissant au minimum le maintien des moyens alloués. Nous nous efforçons d'établir des budgets pluriannuels pour les associations, car nous savons à quel point l'incertitude annuelle sur les subventions fragilise leur fonctionnement. Pour celles employant des professionnels et des salariés, disposer d'une visibilité sur les financements est crucial pour planifier leurs actions et leur effectif. Nous travaillons donc, autant que possible, avec des conventions pluriannuelles d'objectifs (CPO).
S'agissant de la revalorisation de la prime Ségur, je ne suis pas inquiète quant à sa prise en charge dans la durée, ni quant à l'engagement des parlementaires pour assurer son maintien dans les futurs budgets.
Sur la question du congé menstruel, certaines collectivités proposent des droits supplémentaires. Toutefois, en l'absence de fondement juridique clair, certaines initiatives, comme celle emblématique de Grenoble, sont annulées par le tribunal administratif, non pas pour des raisons de fond, mais simplement parce qu'il n'existe pas de base légale pour les autoriser.
Ce débat avait déjà été soulevé à l'Assemblée nationale. Il reste complexe à appréhender. Il est indéniable que certaines femmes souffrent de douleurs menstruelles entraînant une incapacité ou une difficulté à travailler à certaines périodes du mois. Cependant, plusieurs associations ont exprimé leurs craintes quant aux modalités de mise en place d'un tel congé : comment garantir ce droit sans obliger les femmes à déclarer explicitement qu'elles en souffrent ? C'est là toute la difficulté législative et rédactionnelle du dispositif.
Lorsqu'une souplesse dans l'organisation du travail est possible, elle constitue une solution plus simple à mettre en oeuvre. Mais pour une reconnaissance légale, une réflexion approfondie est encore nécessaire afin de concilier droits des travailleuses et respect de leur vie privée.
Pour les métiers qui ne permettent pas le télétravail, comment garantir ce droit au congé menstruel sans obliger les salariées à expliquer leur besoin spécifique à leur employeur ? Il existe un véritable enjeu de confidentialité, et beaucoup de femmes, dans ces conditions, n'oseraient pas se déclarer.
Nous explorons actuellement d'autres pistes pour rédiger cette disposition de manière à éviter toute discrimination indirecte. Il est essentiel que les femmes ne soient pas pénalisées dans leur carrière parce qu'elles auraient fait usage de ce droit. Il serait inacceptable qu'une salariée déclarée souffrant de douleurs menstruelles se voie ensuite refuser une promotion ou une mobilité sous des prétextes insidieux.
Sur le principe, je suis bien sûr favorable à ce que nous avancions sur cette question. Cependant, nous devons veiller à ce qu'elle ne se retourne pas contre celles qui demanderaient à en bénéficier. Si vous souhaitez poursuivre la réflexion, je suis à votre disposition pour en rediscuter collectivement.
Ensuite, la question du logement constitue une préoccupation constante. Lors de ma venue à La Réunion, j'ai pu constater l'ampleur des besoins, encore plus marqués sur ce territoire. L'hébergement d'urgence pose une problématique systémique qui concerne à la fois le ministère de l'Intérieur et le ministère du Logement. Il est crucial de définir qui peut en bénéficier, mais aussi combien de temps les personnes peuvent y rester. Aujourd'hui, l'engorgement de ces structures empêche l'accueil de nouvelles victimes.
À ce jour, 10 000 places d'hébergement d'urgence sont spécifiquement réservées aux femmes victimes de violences et à leurs enfants, sans possibilité de réaffectation à d'autres publics. Toutefois, il apparaît nécessaire de renforcer ces capacités d'accueil.
Avec Valérie Létard, nous travaillons à une solution complémentaire : établir des conventions département par département, notamment dans les zones rurales, afin de réhabiliter d'anciens logements inoccupés (par exemple, d'anciens logements d'instituteurs). Ces structures pourraient être financées en partie par l'État. Elles permettraient un meilleur maillage territorial.
En effet, proposer une place d'hébergement à une femme en milieu rural, si celle-ci se situe à 60 ou 70 km de son domicile, peut générer des conséquences lourdes, notamment la déscolarisation de son enfant. Il est donc essentiel de développer des solutions locales, en lien avec les associations d'élus, l'AMF et l'AMRF, qui sont très impliquées sur ce sujet.
Si certains départements souhaitent être moteurs dans cette démarche, je suis évidemment prête à les accompagner. N'hésitez pas à me faire remonter toute initiative en ce sens.
Concernant la transposition de la Directive européenne sur l'égalité salariale, celle-ci s'impose à nous et nécessite une mise en oeuvre législative. Nous y travaillons avec Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail, ainsi qu'avec la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et la Direction générale du travail (DGT).
Les échanges avec les organisations syndicales et patronales ont permis d'identifier un consensus : cette transposition doit faire l'objet d'un véhicule législatif autonome dédié à cette question, sans être noyée dans d'autres dispositions sur le travail.
La France a pris de l'avance par rapport à d'autres pays européens, en étant la première à introduire un index de l'égalité professionnelle. Cette transposition est une opportunité pour renforcer ce dispositif et corriger les biais qui existent encore.
Ensuite, vous m'aviez déjà interrogée sur les familles monoparentales lors de ma première audition au Sénat. Ma conviction à ce sujet s'est encore renforcée.
Je soutiens la proposition visant à maintenir l'allocation de soutien familial (ASF), même en cas de reformation d'un couple. Ce droit doit rester individuel et ne pas être conditionné aux aléas de la vie personnelle. La situation actuelle pénalise trop de familles monoparentales. Il est nécessaire de corriger cette injustice.
Sur la question des pensions alimentaires, plusieurs enjeux ont été soulevés. D'une part, trop de femmes renoncent à demander une revalorisation par crainte qu'elle ne devienne un levier de pression ou même de violence de la part de leur ex-conjoint. Elles redoutent également que leurs enfants soient pris à partie dans un nouveau conflit.
Malgré l'intermédiation financière mise en place avec l'Aripa, nous devons réfléchir à des améliorations quant à la manière dont ces pensions peuvent être revalorisées et comment ces demandes peuvent être formulées.
Actuellement, la revalorisation repose uniquement sur l'initiative du bénéficiaire. Or, dans la majorité des cas, les femmes ne la demandent pas, ce qui occasionne un gel des montants, sans prise en compte de l'inflation, de l'évolution des besoins des enfants ou des revenus nouveaux que pourrait afficher l'ancien conjoint.
Il serait pertinent d'aller au-delà du bilan de l'Aripa pour consolider et renforcer ce dispositif essentiel, afin que la charge de cette démarche ne repose pas uniquement sur les femmes, sous peine qu'elles n'y aient jamais recours.
De plus, vous le disiez, la coexistence de plusieurs barèmes génère beaucoup de confusion. Une harmonisation serait à envisager rapidement.
Ensuite, j'ai déjà indiqué être favorable à une carte dédiée aux familles monoparentales. Ma position reste inchangée. Nous devons examiner les modalités de mise en place de cette mesure, par voie réglementaire ou en l'inscrivant dans les dispositifs existants au sein de collectivités qui ont déjà adopté des barèmes spécifiques. Par ailleurs, certaines entreprises ont mis en place des mécanismes de soutien aux familles monoparentales. Il serait utile d'évaluer l'éventuelle amplification de la formalisation de ces initiatives pour renforcer les droits des familles monoparentales.
Je rappelle également que des droits nouveaux sont en train d'être déployés. Je pense notamment à l'élargissement du CMG (Complément de libre choix du Mode de Garde) pour les familles monoparentales.
Enfin, nous recevons de nombreux témoignages relatifs à des procédures « bâillon », à une non-présentation d'enfant ou à la protection des enfants. Pas un jour ne passe sans qu'une mère ne m'alerte sur sa situation l'ayant contrainte, pour protéger son enfant victime de violences (physiques, psychologiques, voire sexuelles), à refuser de le présenter à son père. Certaines ont été mises en garde à vue pour cette raison. Récemment, une mère a été interpellée à la sortie de l'école maternelle et placée en garde à vue, alors qu'elle disposait d'un dossier de 48 pages de menaces de mort à son encontre et à celle de son enfant.
En tant que parents, nous aurions tous réagi comme elle : nous aurions tenté de protéger nos enfants avant tout.
Ces cas soulèvent des problèmes majeurs, notamment un manque criant de connaissance des droits. Nous avons un rôle essentiel à jouer, en particulier pour mieux faire connaître et faciliter l'accès aux ordonnances de protection. Aujourd'hui, bien que 50 % des demandes soient accordées, trop peu de femmes osent initier cette démarche. Il est impératif d'agir pour remédier à cette situation.
Nous sommes confrontés à un enjeu majeur de formation à destination des avocats, des magistrats et du grand public. Il est essentiel de rappeler aux femmes victimes de violences qu'elles peuvent demander une ordonnance de protection, un dispositif de garantie fondamental pour elles et leurs enfants.
Il existe aujourd'hui un réel déficit de connaissance des droits pourtant renforcés ces dernières années au bénéfice des victimes.
Un autre point crucial concerne la suspension du droit de visite et d'hébergement. Actuellement, ce sujet n'est pas ancré dans notre culture judiciaire. Même au Parlement, il a fallu du temps pour faire évoluer les mentalités. Je me souviens qu'en 2017, alors que je venais d'être élue, on m'expliquait encore qu'un homme pouvait être un excellent père tout en étant un conjoint violent, comme si ces deux aspects étaient totalement déconnectés.
Or, il est impératif de trouver un équilibre : maintenir un lien avec le père lorsqu'il est bénéfique pour l'enfant, car c'est l'intérêt supérieur de ce dernier qui doit primer, et non celui des parents, mais aussi garantir la protection des enfants et de leur mère, qui bien souvent les protège seule.
Aujourd'hui, la manière dont les droits de visite et d'hébergement sont accordés soulève de vraies préoccupations. Trop de témoignages mettent en lumière des décisions judiciaires inquiétantes, où les victimes sont mal accompagnées, voire mises en difficulté par l'institution censée les protéger.
Nous avons donc un rôle crucial à jouer pour mieux informer chaque femme de ses droits, notamment sur la question des ordonnances de protection.
Concernant la question des classements sans suite, ce n'est pas à moi de me prononcer. Je laisserai le Garde des Sceaux apporter son éclairage sur ce sujet.
Dans mon ministère, nous assumons pleinement une approche globale des violences. Il est essentiel de comprendre qu'il existe un continuum de violences, subies par les enfants, qui persistent à l'âge adulte, et qui peuvent malheureusement être reproduites.
Les violences sexuelles et conjugales occasionnent des conséquences profondes, y compris pour les enfants co-victimes des violences faites à leur mère. Si nous n'agissons pas, nous laissons perdurer un cycle infernal de transmission des violences de génération en génération.
Lors de mon premier déplacement ministériel, après un féminicide à Haumont dans le département du Nord, j'y ai passé 48 heures à la rencontre des élus, des associations et des femmes victimes, hébergées dans des foyers spécialisés. Dans les deux centres que j'ai visités, 100 % des femmes avaient été victimes de violences durant leur enfance, et souvent d'actes de barbarie. Ce constat soulève une question essentielle : comment interrompre cette reproduction de la violence qui fait qu'un enfant ayant subi des violences grandit dans une extrême fragilité ? Sans réparation de ses traumatismes, il peut, une fois adulte, se retrouver à nouveau victime, dans une spirale de vulnérabilité, ou intérioriser la violence et, dans certains cas, devenir lui-même auteur de violences. Ce phénomène est insupportable. Nous devons tout mettre en oeuvre pour y mettre un terme.
Dès lors, il apparaît impératif d'accorder une attention accrue et constante à la question des violences faites aux enfants, et ce, en privilégiant une approche interministérielle. En effet, si cette problématique relève directement de mon ministère, elle implique également les ministères de l'Éducation nationale, de la Justice et de l'Intérieur. Il s'agit d'un enjeu profondément transversal, au croisement des politiques publiques de sécurité et de santé. Nous avons le devoir de porter cette cause avec la plus grande détermination, car les enfants d'aujourd'hui seront les adultes de demain. À défaut d'une action résolue, nous assisterons à une reproduction systémique des violences, génération après génération.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Les données recueillies dans le cadre de notre mission conjointe de contrôle avec la commission des lois sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles sont édifiantes : près de 50 % des violences sexuelles perpétrées sur des mineurs sont le fait d'autres mineurs, et 70 % des mineurs auteurs ont eux-mêmes été victimes dans leur enfance. Ces chiffres démontrent avec force que la prévention et l'éducation constituent nos premières armes pour endiguer ce fléau.
Mme Laure Darcos. - Madame la Ministre, c'est avec plaisir que je vous retrouve aujourd'hui. Nous nous réjouissons de votre présence, car il est évident que vous maîtrisez parfaitement ces sujets. Vous avez suivi de nombreux dossiers à nos côtés.
Merci, également, pour le soutien que vous m'aviez apporté, alors même que vous n'occupiez plus cette fonction, sur le dossier complexe de la solidarité fiscale des femmes avec leurs conjoints ou ex-conjoints endettés. Lors de la commission mixte paritaire, votre aide m'avait été précieuse, même si elle n'a malheureusement pas permis de faire évoluer la position de certains députés.
Plusieurs ministres ont depuis été successivement nommés en charge des Comptes publics. Nous avons malgré tout accompli des avancées significatives. De nombreux dossiers sont enfin en cours de résolution, aboutissant à des remboursements de l'administration fiscale. Il est essentiel de rester vigilants, et je crois que nous avons eu raison de mettre en lumière ces violences économiques, dont on parle encore trop peu en ce qui concerne les femmes.
S'agissant des violences conjugales, force est de constater que nous sommes encore loin d'éradiquer ce fléau. Pas plus tard que la semaine dernière, une jeune femme dont la plainte avait été classée sans suite a été poignardée à vingt reprises en pleine rue, à Fleury-Mérogis, par son ex-conjoint. Elle a survécu, mais de tels actes restent absolument intolérables. Une autre femme, l'été dernier, s'est retrouvée en garde à vue au commissariat d'Étampes en même temps que son mari violent. Privée de protections hygiéniques alors qu'elle avait ses règles, elle a dû endurer une nuit dans des conditions indignes. Ces situations demeurent inacceptables. Il semblerait d'ailleurs que son placement en garde à vue ait constitué une forme de « représailles », à la suite de mon intervention dans son affaire. Ce dossier reste irrésolu.
Nous connaissons la lenteur de la justice, mais nous constatons, sur le terrain, que malgré la sensibilisation des forces de l'ordre, des élus et des associations, il reste encore un long chemin à parcourir. La prise en charge de ces violences reste extrêmement complexe.
Sur un sujet plus léger, le sommet consacré à l'intelligence artificielle vient de se conclure. Nous avions organisé ici même un colloque de grande qualité sur l'IA et les femmes, et j'ai été surprise de constater à quel point ce sujet a été peu abordé. Je vous invite à vous en saisir pleinement. Une table ronde a notamment mis en lumière l'impact de l'IA sur la santé. Le Président de la République a vanté les bienfaits de l'intelligence artificielle dans le domaine médical, mais nous savons que ses performances sont directement conditionnées par les algorithmes et les bases de données qui l'alimentent. Or, des chercheuses nous ont alertés sur le risque de créer une médecine optimisée pour les hommes, faute de données suffisantes concernant les femmes. Ce manque de représentativité dans la recherche scientifique et médicale est préoccupant. Nous serions ravis de collaborer avec vous sur ce sujet.
Enfin, je tiens à remercier Dominique Vérien pour son engagement. Nous allons prochainement examiner le sujet des femmes et des sciences, un sujet majeur lorsqu'il s'agit d'encourager les jeunes filles à s'orienter vers des carrières scientifiques. Nous ne manquerons pas de vous solliciter à ce propos, tout comme nous le ferons auprès d'Élisabeth Borne. En tant qu'ancienne polytechnicienne, elle est particulièrement mobilisée sur cette question.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Sachez que nous organiserons un colloque en présence de femmes scientifiques inspirantes le 6 mars au Sénat. Parmi elles, la nouvelle présidente de l'Académie nationale de chirurgie, ainsi que la glaciologue Heïdi Sevestre, entre autres. Ces femmes remarquables existent bel et bien, et il est essentiel de leur offrir une visibilité accrue afin d'inspirer et d'encourager les générations futures.
Mme Olivia Richard. - Madame la Ministre, permettez-moi d'exprimer à mon tour ma satisfaction de vous retrouver. Il est particulièrement difficile d'évoluer dans un contexte d'instabilité gouvernementale. Toutefois, nous avons l'avantage, avec vous, de ne pas repartir de zéro. C'est un premier point positif. Le second, c'est vous. Nous connaissons votre engagement, votre dynamisme et votre parfaite maîtrise des sujets qui nous préoccupent. C'est un soulagement et une véritable joie de vous retrouver.
Je me souviens avoir entamé mes précédentes interventions en me réjouissant d'entendre votre engagement en faveur de la diplomatie féministe. Aujourd'hui encore, je suis heureuse que vous ayez évoqué les violences intrafamiliales qui se déroulent dans l'ombre, en France, mais aussi à l'étranger. Ces violences, en effet, se produisent également hors de nos frontières, dans des contextes parfois encore plus préoccupants. Il est impératif de commencer par quantifier le nombre de Françaises vivant à l'étranger, car, à ce jour, nous ne disposons d'aucune donnée précise à ce sujet. Dans un second temps, nous devrons mettre en place une politique de détection des situations de violences, qui peuvent prendre des formes diverses selon les circonstances et les profils concernés. Il convient, par exemple, de considérer le cas de femmes expatriées, suivant leur conjoint dans un pays dont elles ne maîtrisent ni la langue ni les codes culturels, coupées de tout réseau social et familial, sans indépendance financière, ni même parfois de statut administratif propre. D'autres situations, tout aussi préoccupantes, relèvent de mariages forcés ou de mutilations génitales subies par des femmes françaises vivant à l'étranger, parfois au sein de communautés ne parlant plus notre langue.
Face à cette réalité plurielle, il est évident qu'une seule réponse ne saurait suffire. Il est crucial de renforcer la détection de ces situations et d'intégrer pleinement les Françaises de l'étranger aux dispositifs de lutte contre les violences. À ce titre, elles doivent pouvoir accéder aux mêmes outils que les femmes vivant sur le territoire national, notamment la plate-forme arrêtonslesviolences.gouv.fr. Or, à ce jour, celle-ci ne leur est pas accessible dès la première page, où il est nécessaire de renseigner un code postal. Il suffirait pourtant d'ajouter une simple case « hors de France » pour remédier à cette exclusion.
Cette adaptation, minime en coût et en effort, revêt une importance capitale. De même, la communication gouvernementale sur ces questions ne devrait pas se limiter aux sites des postes diplomatiques et consulaires : les Françaises de l'étranger doivent se sentir pleinement intégrées à la communauté nationale à laquelle elles n'ont pas renoncé.
Être victime de violences à l'étranger, qu'on soit une femme majeure ou un mineur, accentue l'isolement et la détresse de ces personnes. Ainsi, j'insiste moi aussi sur le rôle fondamental de l'éducation.
J'ai été récemment alertée concernant un cas révoltant qui témoigne de la persistance de ces problématiques. Dans un lycée français à l'étranger, une mineure de 14 ans avait été convaincue de jouer dans un film en se livrant à des actes sexuels avec un camarade, devant d'autres élèves. Ce film a été diffusé quelques mois plus tard. Face à une situation aussi alarmante, l'établissement a pris une décision consternante : au lieu d'accompagner cette adolescente, qui est indéniablement une victime, il a choisi de la convoquer en conseil disciplinaire en vue d'une exclusion.
Comment est-il possible qu'en 2025 nous en soyons encore là ? Nous sommes profondément interpellés par cette situation. Depuis mon intervention, il semblerait que la procédure d'exclusion ait été suspendue, ce qui constitue un premier pas. J'espère désormais que cette jeune fille pourra bénéficier d'un accompagnement adapté et que d'éventuelles poursuites pénales pourront être envisagées. Cette affaire illustre toutefois avec acuité les difficultés persistantes en matière de communication, ainsi que l'impérieuse nécessité de renforcer la formation des acteurs concernés.
Les professionnels du droit avec lesquels j'ai pu échanger cette semaine ont unanimement souligné l'urgence d'une action rapide, avant que l'école ne tente d'étouffer l'affaire. Ce réflexe, malheureusement bien ancré, n'est pas propre à ce cas précis : il s'observe de manière récurrente, aussi bien à l'étranger qu'en France. Il est donc primordial de poursuivre le travail de sensibilisation que vous avez déjà engagé, Madame la Ministre.
Par ailleurs, je souhaite exprimer mon soulagement à l'idée qu'un ministre chargé des Français de l'étranger soit pleinement mobilisé sur cette question. Je remercie Laurent Saint-Martin pour sa conviction et son engagement en faveur de cette cause essentielle.
En matière de protection des femmes à l'étranger, il me semble intéressant de mentionner un dispositif innovant mis en place à Singapour, baptisé « Le Dispositif ». Cette plate-forme, dédiée au soutien des femmes françaises victimes de violences, a été développée notamment par Maître Chloé Vialard, qui porte ce projet avec une grande détermination. Nous oeuvrons à son extension dans d'autres pays pilotes.
Vous avez évoqué le modèle des Maisons des femmes. Pourquoi ne pas s'appuyer sur cette structure éprouvée pour en développer des déclinaisons auprès des postes diplomatiques français à l'étranger ? Cette initiative, portée par Chloé Vialard, pourrait s'appuyer sur des référents en charge des questions d'égalité en France, qui, une fois affectés dans un service culturel français à l'étranger, pourraient poursuivre cet engagement.
Je pense notamment à Madame Lisbeth Choquet, qui travaille actuellement en Arabie Saoudite pour tenter d'y adapter ce modèle en collaboration avec la Maison des femmes de Saint-Denis. Il est essentiel de favoriser les synergies entre ces initiatives afin d'éviter un travail en silos, qui limiterait leur portée et leur efficacité.
Permettez-moi, enfin, d'évoquer brièvement un sujet tout aussi préoccupant : la précarité des femmes en situation de grande vulnérabilité. Nous avons récemment remis à Madame Valérie Létard un rapport de la délégation sur les femmes sans abri dont j'étais une des quatre rapporteures, intitulé Femmes sans abri : la face cachée de la rue, et je tiens à saluer son écoute attentive et son engagement sur cette question.
Nous faisons face à une saturation dramatique des dispositifs d'hébergement d'urgence. Dans le rapport publié en octobre dernier, nous avons identifié deux causes majeures à cette embolie :
- d'une part, la crise du logement, qui empêche l'accès au logement social, créant ainsi un goulet d'étranglement entre les différentes formes d'hébergement ;
- d'autre part, les obstacles administratifs : de nombreuses femmes en situation irrégulière ne parviennent même pas à obtenir un rendez-vous en préfecture pour examiner leur situation. Or, dans bien des cas, le droit français ne permettrait pas leur expulsion. Elles sont condamnées à une errance interminable, sans issue possible.
Cette zone grise contribue directement à l'engorgement des centres d'hébergement d'urgence, privant d'autres personnes en détresse de toute possibilité d'accueil. Afin de remédier à cette situation, nous avions proposé la création d'un guichet unique et dédié, destiné à examiner en priorité la situation administrative de ces femmes. Cette démarche, bien que non suffisante en soi, permettrait au moins d'éclaircir leur statut, afin d'apporter des solutions adaptées.
Toutefois, même avec des papiers en règle, il demeure extrêmement difficile pour ces femmes de sortir durablement de la rue. Ce constat nous impose d'intensifier nos efforts et d'explorer de nouveaux dispositifs de réinsertion.
Mme Dominique Vérien, présidente. - J'aimerais revenir sur la situation des femmes françaises à l'étranger, qui, dans le cadre de notre diplomatie féministe, peuvent jouer un rôle précieux en tant qu'ambassadrices. Toutefois, il convient également de souligner les obstacles administratifs auxquels certaines d'entre elles sont confrontées.
Lorsque des militaires ou des fonctionnaires français sont envoyés à l'étranger, leur conjoint est parfois privé des moyens de poursuivre sa propre carrière. Je pense notamment à l'épouse d'un militaire français affecté aux États-Unis. Médecin et chercheuse, elle s'était vu offrir une opportunité dans un laboratoire américain. Pourtant, la France n'est jamais parvenue à lui obtenir un visa de travail, ce qui l'a contrainte à interrompre sa carrière pendant toute la durée de l'affectation de son conjoint.
Cette interruption a eu des conséquences considérables : au lieu d'acquérir une expérience précieuse au sein d'un laboratoire de renommée internationale, cette femme s'est retrouvée en situation de rupture professionnelle, ce qui a inévitablement compromis la suite de sa carrière. Ce cas n'est pas isolé. Il illustre la nécessité d'une réflexion approfondie sur les droits et les perspectives professionnelles des conjointes et conjoints des agents de l'État en poste à l'étranger. Le passeport des femmes françaises qui accompagnent ces missions doit être un sujet d'attention prioritaire.
Mme Annie Le Houerou. - Je tiens également à féliciter votre engagement et votre détermination à faire avancer les nombreux dossiers abordés aujourd'hui. Le chemin vers l'égalité et l'éradication des violences est encore long, mais votre mobilisation est essentielle pour construire des avancées concrètes.
J'ai bien compris qu'une compensation de la prime Ségur serait assurée à l'euro près pour les CIDFF. Cette clarification est particulièrement importante, car en Bretagne, des suppressions de postes étaient envisagées à très court terme. Elles auraient eu des répercussions directes sur la qualité du service rendu à la population. Merci, donc, pour votre engagement et votre intervention rapide, qui ont permis d'éviter ces coupes budgétaires.
Dans cette même logique, vous avez mentionné les difficultés d'accès aux logements d'urgence et le rôle que peuvent jouer les territoires ruraux et les communes en mettant des biens à disposition. Toutefois, la problématique ne réside pas uniquement dans l'identification de logements, mais bien dans leur gestion et leur accompagnement.
En effet, de nombreuses communes disposent de locaux, mais pas toujours des moyens financiers nécessaires pour en assurer les rénovations et surtout le fonctionnement. Le logement seul ne suffit pas : un accompagnement social et humain est indispensable. Il repose en grande partie sur le travail des CIDFF et des associations spécialisées.
Vous avez également évoqué le projet d'une Maison des femmes dans chaque département. Pourriez-vous nous préciser le cahier des charges de ces structures ? Quels services concrets seront proposés ? Quel mode de financement sera mis en place ? Si les moyens financiers ne font pas tout, ils restent néanmoins un facteur déterminant dans la réussite de tels dispositifs.
Par ailleurs, je suis toujours frappée par la faiblesse des montants alloués aux parcours de sortie de prostitution. L'aide financière actuellement prévue est dérisoire. Elle ne permet en aucun cas aux personnes concernées de se projeter dans une réinsertion durable.
En outre, au-delà des centres urbains, nous constatons une expansion préoccupante des réseaux de prostitution en milieu rural ou très rural, notamment via les réseaux sociaux. Cette évolution entraîne une invisibilisation accrue du phénomène, rendant d'autant plus difficiles l'identification et la protection des victimes. Nos jeunes filles et jeunes garçons se retrouvent ainsi exposés à des risques majeurs, dans un climat d'opacité totale. Comment renforcer nos moyens d'action face à ces nouvelles formes de prostitution ?
Enfin, les prochaines élections municipales se profilent. Nous constatons actuellement des difficultés croissantes à mobiliser de futures équipes, notamment dans les petites communes. La question de l'égalité se pose donc aussi en termes de parité dans la représentation politique.
Une proposition de loi sur les listes paritaires avec alternance homme-femme dans les communes de moins de 1 000 habitants sera prochainement examinée au Sénat. J'aimerais connaître votre avis sur ce dispositif et savoir quelles actions seront mises en place pour encourager davantage de femmes à s'engager en politique.
Nous avons déjà pu constater l'impact positif de la parité lors des élections départementales, où ces mesures ont été véritablement révolutionnaires pour assurer une représentation plus équilibrée. Il est certain que de nombreuses femmes souhaitent s'engager, mais il est essentiel de créer un environnement propice, qui valorise et soutienne leur participation.
Mme Aurore Bergé, ministre. - J'ai été particulièrement interpellée par la situation relevée par Laure Darcos. Je la ferai remonter au ministre de l'Intérieur à l'issue de cette audition. Il est absolument inacceptable qu'une femme victime de violences ait été placée en garde à vue dans la même cellule que son conjoint violent. Pire encore, alors qu'elle était en période de menstruation, elle n'a même pas pu bénéficier de protections hygiéniques. Ce cas soulève à la fois une question de protection des victimes et de dignité humaine.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Dans un autre commissariat, à Sens, une femme s'est retrouvée dans une situation similaire, sans qu'aucune solution ne lui soit proposée.
Mme Aurore Bergé, ministre. - Je souhaite également évoquer la place des femmes dans les sciences et l'intelligence artificielle. Le sommet qui s'est récemment tenu en France était avant tout axé sur les enjeux économiques et technologiques, bien que les dimensions sociétales soient indissociables de ces questions.
Une étude récente a révélé que les femmes utilisaient bien moins l'intelligence artificielle que les hommes. Or, si nous voulons que l'IA progresse sans reproduire ni amplifier les biais de genre, nous avons une responsabilité collective. Nous devons non seulement encourager l'adoption et l'usage de ces technologies par les femmes, mais aussi garantir leur régulation afin de prévenir ces dérives.
Nous pouvons encore influer sur l'avenir de l'IA. Son évolution passera à la fois par l'éducation des jeunes filles, par l'encouragement à leur engagement dans ces filières et par la mise en place de procédures de régulation adaptées.
Ensuite nous devons être particulièrement attentifs au risque de précarisation auquel sont exposées les Françaises à l'étranger. Beaucoup d'entre elles suivent leur conjoint expatrié, se retrouvant ainsi en situation de dépendance économique, faute d'obtenir un visa de travail leur permettant de poursuivre leur activité professionnelle. Ces difficultés d'accès au marché du travail varient selon les pays et peuvent fortement fragiliser l'autonomie financière des femmes expatriées. C'est un sujet que nous suivons de près, en collaboration avec Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé des Français de l'étranger et du commerce extérieur.
Nous examinons également les aides financières et les dispositifs d'urgence qui peuvent être déployés pour ces femmes. Toutefois, il existe un obstacle juridique majeur : nous ne pouvons pas, d'un point de vue légal, attribuer les mêmes aides aux Françaises vivant à l'étranger qu'à celles résidant en France, en raison des différences de couverture sociale. L'aide universelle d'urgence, qui n'existe pas sous la même forme partout, doit être demandée directement au consulat. Son obtention est souvent complexe, voire impossible pour certaines femmes. Nous travaillons donc activement à simplifier ces démarches afin de garantir à toutes les Françaises, où qu'elles vivent, un accompagnement financier et social adapté, notamment en cas d'enjeux de rapatriement.
Nous devons aussi nous assurer que les plateformes gouvernementales soient mises à jour afin que toutes les femmes françaises, sans distinction de lieu de résidence, puissent accéder aux informations et à la protection auxquelles elles ont droit.
Nous nous engageons à mettre en oeuvre ces réformes sans délai, afin que ces dispositifs deviennent plus lisibles et plus accessibles à celles qui en ont le plus besoin.
Ensuite, je tiens à être parfaitement claire : grâce aux amendements adoptés ici, que j'avais moi-même soutenus et qui ont été maintenus dans la loi de finances, la compensation des revalorisations Ségur sera assurée à l'euro près. Cette prime constitue une avancée majeure pour les professionnels du secteur. Encore fallait-il que son financement ne mette pas en péril les associations, dont le rôle est essentiel. C'est pourquoi cette compensation est une nécessité absolue.
S'agissant des Maisons des femmes, il est important de clarifier le terme, qui est parfois utilisé de manière trop large. Nous parlons en réalité de Maisons de santé des femmes, un concept que nous avons inscrit dans le plan interministériel.
Nous avons pour objectif que chaque département français dispose d'au moins une telle structure, voire davantage selon les besoins du territoire. Ces établissements doivent devenir des références départementales, notamment en matière de formation des professionnels à l'accueil et à la prise en charge des femmes victimes de violences.
L'accompagnement proposé dans ces structures est global : soins médicaux (santé physique et mentale), soutien à la parentalité, prise en charge des enfants et protection, aide judiciaire et accompagnement au dépôt de plainte.
Ces Maisons de santé des femmes ne sont pas simplement des lieux d'accueil, mais de véritables pôles pluridisciplinaires, soutenus par les CHU et établissements hospitaliers. Elles ont pour vocation de diffuser leurs actions sur l'ensemble du territoire départemental, notamment à travers la formation des professionnels de santé et du secteur social.
Je vous remercie d'avoir abordé la stratégie nationale de lutte contre la prostitution, car c'est un sujet prioritaire, bien que parfois difficile à mettre en avant dans le débat public. La prostitution n'est pas seulement une réalité parisienne ou propre aux grandes métropoles ; elle touche l'ensemble du territoire, et est surreprésentée dans certains départements. J'ai alerté le ministre de l'Intérieur sur le fait que 23 commissions départementales ne se sont pas réunies cette année, ce qui constitue un véritable frein à l'instruction des parcours de sortie de prostitution.
Malgré cela, nous observons une évolution positive : chaque année, davantage de parcours de sortie sont validés, grâce au travail remarquable des associations qui savent construire des dossiers solides justifiant une prise en charge. La France est d'ailleurs le seul pays au monde à avoir mis en place une telle stratégie d'accompagnement, combinant soutien financier et accompagnement social.
Grâce à un amendement adopté au Sénat et maintenu dans la loi de finances, l'aide financière destinée aux personnes engagées dans un parcours de sortie de prostitution a été revalorisée. Son montant, jusque-là fixé à 340 euros, a été aligné sur le RSA, ce qui constitue une avancée sociale majeure.
Cette revalorisation est essentielle pour encourager les femmes victimes de prostitution à s'engager dans ces parcours. Jusqu'à présent, beaucoup d'entre elles renonçaient à en sortir, de peur de mettre en péril leur équilibre financier. Cette crainte était particulièrement forte chez les femmes françaises, alors que les femmes migrantes, souvent dans une plus grande précarité, étaient davantage en positon de survivre en bénéficiant de l'aide existante.
Désormais, cette réforme permet de garantir à toutes les femmes concernées un soutien économique suffisant pour envisager une sortie durable de la prostitution.
Nous avons besoin d'une stratégie nationale claire pour lutter contre la prostitution, avec une mobilisation renforcée de l'ensemble des préfets. Il est impératif que toutes les commissions départementales se réunissent régulièrement afin de garantir que les parcours de sortie de prostitution puissent être correctement représentés et suivis.
La revalorisation de l'aide financière est également un levier essentiel. Elle doit inciter davantage de personnes à s'engager dans ces parcours.
Concernant la question des élections municipales, je me réjouis que toutes les associations d'élus se soient mises d'accord pour mettre fin au panachage, un mode de scrutin qui s'est révélé défavorable aux femmes. Elles recommandent désormais l'instauration de scrutins de liste paritaire, y compris dans les communes de moins de 1 000 habitants.
Je soutiens pleinement cette réforme, tout comme le gouvernement. Elle représenterait une avancée significative non seulement en termes de nombre de femmes élues, mais aussi en matière de représentation dans les intercommunalités. En augmentant le vivier de femmes engagées en politique, nous créons un effet en chaîne bénéfique pour l'ensemble du paysage politique local.
L'argument selon lequel il serait difficile de constituer des équipes municipales paritaires ne tient pas. L'expérience a prouvé que nous trouvons toujours des femmes compétentes prêtes à s'engager, dans tous les territoires. La parité n'a jamais affaibli la vie politique française ; au contraire, elle l'a enrichie.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Ayant moi-même été maire d'un village où le panachage était possible, nous avions fait le choix, sans obligation légale, d'opter pour un scrutin de liste. Ce mode permet d'avoir une équipe soudée et un projet commun, contrairement au panachage qui peut générer une absence de cohérence dans la gouvernance municipale.
Mme Agnès Evren. - Je n'ajouterai pas ma voix au concert de louanges, cela me semblerait excessif. Je souhaite plutôt aborder un sujet préoccupant : la soumission chimique, un phénomène en forte augmentation en France.
Le témoignage de notre collègue députée Sandrine Josso à l'Assemblée nationale a permis de relancer le débat et de mettre en lumière une réalité alarmante : aucun milieu n'est épargné, pas même les institutions comme l'Assemblée nationale ou le Sénat.
Nous constatons une hausse des cas chez les jeunes, notamment dans les soirées festives. Face à cette menace croissante, je souhaiterais savoir si vous disposez de données chiffrées sur l'ampleur du phénomène, notamment chez les jeunes.
Comment pouvons-nous :
Prévenir et sensibiliser efficacement ?
Accompagner les victimes face aux obstacles rencontrés ?
Faciliter l'accès aux tests et aux soins en cas de suspicion de soumission chimique ?
Nous savons que les substances utilisées disparaissent très rapidement de l'organisme, rendant les preuves difficiles à établir.
Quelles solutions concrètes le gouvernement envisage-t-il pour garantir une prise en charge efficace des victimes et renforcer l'accès aux analyses toxicologiques ?
Mme Jocelyne Antoine. - Vous avez évoqué l'importance de l'accueil et du maillage territorial en milieu rural, un sujet qui semble constituer un axe central de votre engagement. Je souhaiterais, pour ma part, attirer votre attention sur la question de l'ultra-ruralité, c'est-à-dire ces territoires extrêmement isolés, à l'image de mon département, la Meuse.
Je souhaite partager avec vous une expérience particulièrement positive, qui illustre la manière dont l'adaptation des dispositifs aux spécificités locales peut permettre une meilleure prise en charge des populations concernées. En effet, dans des villages où la population se limite à 40, 50, voire 100 habitants, affichant une densité de 19 habitants par kilomètre carré, répartis sur neuf intercommunalités, il apparaît évident qu'il est difficile d'implanter des structures telles que des Maisons d'accueil dédiées.
Face à cette réalité, une expérimentation innovante a été menée à Verdun, avec le soutien de l'Agence Régionale de Santé (ARS) Grand Est. Cette initiative repose sur une collaboration entre les services d'urgence de l'hôpital de Verdun, les urgentistes et leur équipe, l'ARS, le CIDFF, les associations locales, ainsi que la commune. De cette synergie est née l'Association contre les Violences Intrafamiliales (AVIF), une structure intégrée directement au sein des urgences de Verdun.
Un élément central de ce dispositif réside dans l'aménagement, par la collectivité, d'un studio d'accueil destiné aux femmes et aux enfants victimes de violences au sein même des services d'urgence. L'ensemble repose sur une équipe pluridisciplinaire, spécifiquement formée, capable d'identifier et de prendre en charge les victimes, y compris lorsque celles-ci ne se présentent pas explicitement pour des faits de violence.
Les résultats obtenus sont édifiants : 75 % des femmes accueillies et accompagnées par l'AVIF s'étaient rendues aux urgences pour des motifs sans lien apparent avec des violences conjugales. C'est grâce à l'expertise de l'équipe médicale et sociale que leur situation a pu être détectée et prise en charge.
Ce dispositif dessert un territoire vaste, couvrant 75 à 80 kilomètres autour de Verdun, soit environ une heure de route dans les zones les plus reculées. Il s'agit donc d'un véritable maillage territorial adapté aux contraintes de l'ultra-ruralité, rendu possible par le financement expérimental de l'ARS.
J'avais déjà eu l'occasion d'évoquer ce projet avec votre prédécesseure, Madame Salima Saa, qui souhaitait se rendre sur place afin d'étudier cette expérience de près. Il me semblerait pertinent d'envisager une généralisation de ce modèle dans d'autres territoires, confrontés aux mêmes difficultés structurelles.
À titre d'exemple, en 2024, 180 femmes ont bénéficié de ce dispositif sur un bassin de vie de 35 000 à 40 000 habitants, dont 17 000 pour Verdun même. Ce chiffre témoigne de l'efficacité du système et de la pertinence d'une approche adaptée aux réalités locales.
Je me permettrai de vous transmettre un dossier détaillé comprenant le bilan 2024 de cette initiative ainsi que les coordonnées des responsables du projet. Je serais ravie de vous accueillir sur place afin de vous permettre d'observer directement les effets concrets de cette expérimentation.
Il est essentiel de valoriser et de dupliquer les initiatives qui fonctionnent, en particulier dans les territoires où le maillage territorial classique n'est pas envisageable du fait de la faible densité de population.
Enfin, ma collègue a évoqué une problématique récurrente : celle du financement des structures à long terme. Si des fonds sont régulièrement alloués pour l'investissement initial, il est bien plus difficile d'obtenir un soutien pérenne pour le fonctionnement quotidien des établissements. Les communes rurales, en particulier les plus petites, n'ont pas toujours les ressources nécessaires pour assumer les coûts liés aux personnels d'accompagnement, qui représentent pourtant un levier indispensable au succès de ces structures.
L'enjeu est donc double : pérenniser ces dispositifs et assurer leur viabilité financière afin qu'ils puissent réellement répondre aux besoins des populations concernées.
Je pense que ce dispositif, qui bénéficie déjà d'un travail approfondi mené par l'Association des maires de France (AMF) sur l'ensemble du territoire, s'appuie sur une dynamique efficace. En effet, les maires en sont informés, afin que, lorsqu'une situation préoccupante survient dans un village, les pompiers puissent être sollicités et conduire la victime aux urgences, où elle sera prise en charge par l'unité spécialisée.
Mme Dominique Vérien, présidente. - J'aimerais saluer les élus référents de l'égalité lancés par l'AMF. Dans l'Yonne, nos structures ne sont pas suffisamment grandes pour y implanter une Maison des femmes comme à Saint-Denis. Toutefois, un maillage territorial efficace a été mis en place, en associant les Maisons des Femmes et les Unités d'Accueil Pédiatrique Enfants en Danger (UAPED) au sein des deux principaux hôpitaux du département. Ce modèle garantit une prise en charge rapide et adaptée, tout en s'ajustant aux réalités locales.
Mme Annick Billon. - Vous avez répondu de manière exhaustive à mon interpellation concernant les CIDFF, en nous apportant des éléments rassurants.
J'aimerais toutefois aborder la pérennité du financement des associations qui portent, dans nos territoires, des politiques publiques essentielles. Je souhaite particulièrement évoquer l'association SOS Femmes Vendée, dont l'engagement est indéniable. Cette structure repose sur plus de 22 équivalents temps plein (ETP), mais elle est confrontée à d'importantes difficultés financières.
En effet, la région Pays de la Loire a drastiquement réduit son soutien financier, alors même que ces associations remplissent une mission de service public fondamentale, en répondant aux problématiques sociales et sociétales auxquelles nous devons faire face.
L'association perçoit 10 000 euros directement de la région, 6 000 euros supplémentaires proviennent de financements indirects. Le département contribue à hauteur de 5 000 euros, ce qui représente un total de 21 000 euros. Ce montant, bien que conséquent, demeure insuffisant pour assurer un accompagnement efficace et durable des femmes victimes de violences et de leurs enfants.
Tout au long de cette audition, nous avons beaucoup insisté sur l'importance de l'accompagnement, un enjeu qui va bien au-delà de la question de l'hébergement.
Permettez-moi également d'évoquer brièvement le travail de la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE). Cette instance a émis 82 recommandations majeures, visant notamment à identifier précocement les enfants victimes, à améliorer leur prise en charge judiciaire et à mettre en place des dispositifs de prévention adaptés.
Les multiples auditions que nous avons menées sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles nous ont conduits à une observation préoccupante : une grande majorité des agresseurs ont eux-mêmes été victimes de violences durant leur enfance, sans que ces faits n'aient été identifiés ni pris en compte.
Les recommandations de la CIIVISE couvraient ainsi un large spectre d'actions, allant du repérage précoce des victimes à l'amélioration du traitement judiciaire des infractions. Cette commission était co-présidée par Edouard Durand, un magistrat dont l'engagement en faveur de la protection de l'enfance a été exemplaire et unanimement salué.
Depuis, un Haut-Commissariat à la Protection de l'Enfance a été instauré sous l'impulsion du président de la République. Sarah El Haïry est pressentie pour en assurer la direction, et je ne doute pas de son engagement sur ce sujet. Toutefois, il demeure une interrogation légitime : quelle peut être la place d'Édouard Durand dans ce nouvel organigramme ? Ce magistrat a porté, avec une détermination sans précédent, la cause de la protection de l'enfance, tout comme vous-même défendez avec conviction les droits des femmes au sein de ce ministère. Il serait regrettable que ses compétences ne puissent être mises pleinement à profit.
Dès lors, comment envisagez-vous de mobiliser son expertise afin de garantir une continuité dans l'action publique en matière de protection des mineurs ?
Car nous le savons tous, l'absence de prise en charge précoce des enfants victimes est un facteur clé dans l'apparition de nombreuses violences à l'âge adulte, notamment en matière d'agressions et de viols.
Mme Aurore Bergé, ministre. - La question de la soumission chimique est d'une importance capitale. Les témoignages, notamment celui de Sandrine Josso, ont permis de révéler l'ampleur de ce phénomène, qui a pris une résonance encore plus forte avec l'affaire de Mazan et le combat mené par l'association M'endors pas.
Ces affaires ont mis en lumière le fait que la soumission chimique ne se limite pas aux événements festifs où une victime est droguée à son insu. Elle peut également survenir dans des cadres familiaux, professionnels ou amicaux, rendant son identification d'autant plus complexe. L'enjeu est donc triple : mieux définir ce phénomène, mieux le détecter et mieux le prévenir.
Le premier impératif est d'alerter. Si les jeunes filles sont généralement sensibilisées aux risques dans un contexte festif, il est crucial d'étendre cette vigilance à tous les environnements du quotidien, y compris le cercle familial et professionnel.
Une mission spécifique sur la soumission chimique est actuellement en cours. Malgré les récents soubresauts politiques, celle-ci a été renouvelée et poursuit ses travaux. Elle est menée conjointement par la députée Sandrine Josso pour l'Assemblée nationale et la sénatrice Véronique Guillotin pour le Sénat. Ses conclusions sont attendues au printemps, et je ne veux pas les anticiper.
Toutefois, à travers les nombreuses auditions déjà réalisées, il ressort une nécessité impérieuse : celle de mettre en place un référentiel unique, porté par la Haute Autorité de Santé (HAS), afin de définir les protocoles de dépistage, d'orientation et d'accompagnement des victimes de soumission chimique. Ce rapport constituera une base essentielle pour avancer sur ce sujet.
L'évolution du cadre réglementaire semble ici plus urgente qu'une réforme législative. Il nous faut progresser rapidement sur les volets de la prévention, du repérage et de la détection, notamment en facilitant l'accès aux tests de dépistage et en garantissant la sécurisation des prélèvements biologiques. Ce dernier point figurait d'ailleurs parmi les recommandations formulées par le Premier ministre Michel Barnier.
Concernant la prise en charge des violences en milieu ultra-rural, je tiens à réaffirmer mon engagement. Madame la Sénatrice Jocelyne Antoine, je me rendrai dans votre département avant l'été afin d'observer concrètement l'expérimentation qui y est menée. J'espère que cette initiative ne restera pas à l'état de projet pilote, mais qu'elle pourra être déployée à plus grande échelle et s'inscrire dans un dispositif d'accompagnement durable.
Vous soulignez également un point essentiel : la formation de l'ensemble des professionnels de santé. Il est indispensable que le questionnement sur les violences devienne un réflexe systématique, même lorsque la consultation relève au départ d'un tout autre motif.
Ce principe est d'autant plus important dans certains moments clés de la vie d'une femme, où la vulnérabilité est accrue. Je pense notamment à la grossesse, qui, tragiquement, constitue l'une des périodes les plus propices à l'apparition, à l'intensification ou à l'explosion des violences conjugales.
Cette réalité sordide nous impose une vigilance redoublée, et c'est ensemble que nous devons poursuivre ce travail de détection et d'accompagnement, pour que plus aucune femme ne se retrouve seule face à ces violences.
Les professionnels de santé sont, de manière systématique, particulièrement sensibilisés à la question des violences faites aux femmes. Lorsqu'une patiente se présente, même pour un simple examen de contrôle au cours de sa grossesse, il est essentiel que les soignants puissent, à un moment donné, être seuls avec elle. Cette précaution vise à faciliter la détection des violences, à repérer d'éventuelles situations préoccupantes et à poser directement les questions nécessaires à l'identification des risques.
Ce travail de prévention et d'accompagnement est également poursuivi par les services de Protection Maternelle et Infantile (PMI) après l'accouchement. Cette vigilance doit être maintenue tout au long du parcours de santé des femmes et du jeune enfant, permettant ainsi une détection précoce et un suivi approprié.
La mise en place de dispositifs de repérage s'inscrit également dans d'autres volets du suivi médical. Je pense notamment à la période du post-partum, où les jeunes mères sont désormais invitées à s'autoévaluer afin de mesurer les éventuels risques, notamment dans le cadre des examens réalisés au cours des mille premiers jours de vie de l'enfant. Cette période est clé, tant pour la santé infantile que pour celle des femmes, et il est donc primordial d'y intégrer un processus systématique de dépistage.
Je n'ai pas en ma possession d'élément détaillé concernant la situation spécifique de l'association SOS Femmes Vendée évoquée par Annick Billon. Nous pourrons nous pencher sur la question avec les services compétents. Toutefois, ce cas soulève un enjeu plus global, celui des engagements et désengagements des collectivités locales dans le financement des associations, et de la place que doit occuper l'État dans ce cadre.
Cette problématique ne se limite pas aux droits des femmes, mais touche aussi d'autres domaines, comme la culture - un sujet sur lequel j'ai également constaté ces phénomènes de retrait financier de certaines collectivités. Il est essentiel d'éviter un mécanisme pervers où chaque fois qu'une collectivité se désengage, l'État interviendrait systématiquement pour compenser. Une telle approche pourrait, à terme, inciter davantage de collectivités à réduire leur soutien, dans la mesure où elles sauraient que l'État prendrait le relais.
Or, nous n'avons ni les moyens de pallier tous les désengagements des collectivités locales, qu'il s'agisse des conseils départementaux ou régionaux, ni la volonté d'encourager un tel mécanisme. Chaque acteur doit prendre ses responsabilités et maintenir son engagement dans son domaine de compétences.
C'est pourquoi nous mettons un point d'honneur à sécuriser autant que possible les financements publics en favorisant des engagements pluriannuels de la part de l'État. Cette visibilité financière est cruciale pour les associations, notamment celles qui emploient du personnel salarié et qui doivent pouvoir garantir la stabilité de leurs effectifs. Il est en effet préjudiciable qu'une structure ignore, d'une année sur l'autre, les ressources budgétaires dont elle disposera pour mener ses actions.
Votre interpellation sur la situation en Vendée rejoint des préoccupations que d'autres élus ont exprimées ailleurs. Elle met en évidence la nécessité d'une action complémentaire entre l'État, les collectivités locales et les mécènes privés, ces derniers jouant un rôle de plus en plus déterminant dans le soutien aux associations. C'est dans cette logique de coopération et de répartition des responsabilités que nous devons inscrire nos efforts collectifs.
Nous avons besoin d'associations solides, qui comptent aussi des salariés, car ne recourir qu'à des bénévoles les rend plus fragiles et vulnérables. Cela passe, pour l'État, par des accompagnements pluriannuels pour leur offrir une meilleure visibilité sans atteindre leur budget de fonctionnement.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci, Madame la Ministre. Cet échange nous a permis d'aborder un large spectre de thématiques liées aux droits des femmes, depuis la place des femmes dans les sciences jusqu'à l'accompagnement des victimes de violences, en passant par le rôle crucial des associations, les Maisons des femmes, ainsi que les spécificités des territoires ruraux et urbains.
Votre intervention a démontré votre parfaite maîtrise de ces enjeux et votre engagement profond en faveur de cette cause. Nous avons pleinement conscience de votre détermination à nous accompagner dans ces combats, et je souhaite vous remercier pour votre soutien indéfectible.
Je conclurai en revenant sur un point essentiel que j'ai évoqué en introduction : la diplomatie féministe. Vous l'avez rappelé, le combat pour les droits des femmes est un combat pour les droits humains. Mais il est également un levier essentiel pour renforcer la paix et la stabilité à l'échelle internationale. La France a la chance d'offrir un cadre de protection, bien que perfectible, et il est de notre devoir de soutenir celles et ceux qui, ailleurs dans le monde, luttent pour faire reconnaître ces droits fondamentaux et éviter tout recul.
Soyez assurée que vous trouverez toujours en nous des partenaires déterminés à faire avancer ces combats, ici comme ailleurs.