Mardi 18 février 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Pierre Ricordeau, ancien directeur général de l'agence régionale de santé d'Occitanie (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 20.

Mercredi 19 février 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de Mme Marie-Françoise Lecaillon, ancienne préfète du Gard (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 40.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Yves Séguy, ancien préfet des Vosges

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Yves Séguy, ancien préfet des Vosges.

Avant de vous passer la parole, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

M. Yves Séguy prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous poursuivons notre série d'auditions visant à analyser l'action des autorités à l'échelle locale en ce qui concerne les exploitants d'eaux minérales naturelles.

En tant que préfet des Vosges, vous avez suivi le début de la mise en oeuvre dans les Vosges du « plan de transformation » de Nestlé Waters qui consistait principalement à retirer les traitements interdits de ses eaux minérales naturelles par UV et filtres à charbon.

À quelle date vos services ont-ils eu connaissance de traitements non autorisés sur les eaux de marque Vittel « Grande Source », Hépar et Contrex ? Quelle a été votre réaction ?

Quel a été le rôle de la préfecture, sous votre autorité, dans le suivi de ce dossier très sensible ?

Quelles ont été vos interactions avec les autres services de l'État concernés, au niveau central, avec les cabinets ministériels de l'économie, de l'industrie ou de la santé, ou encore avec la direction générale de la santé (DGS) ou la direction générale de la consommation de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) et, au niveau local, avec l'Autorité régionale de santé (ARS) ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs envers un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : un propos liminaire de 15 à 20 minutes suivi d'un temps de questions-réponses avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

M. Yves Séguy, ancien préfet des Vosges. - Permettez-moi de commencer par quelques éléments de contexte concernant mes fonctions antérieures de préfet des Vosges. J'ai occupé ce poste du 23 novembre 2020 au 21 octobre 2022, une période marquée par la gestion de la crise sanitaire du Covid-19.

L'eau est un sujet majeur dans tous les départements, mais particulièrement dans les Vosges. Ce département voit naître trois rivières importantes : la Saône, la Moselle et la Meurthe. Il se situe sur deux bassins-versants, Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée. Paradoxalement, c'est le seul département qui connaît une zone de répartition des eaux sur le bassin Rhin-Meuse avec la nappe des Grès du Trias Inférieur (GTI).

Les activités de thermalisme sont également importantes dans les Vosges, avec Plombières-les-Bains, Bains-les-Bains, et bien sûr Vittel et Contrexéville. L'évolution de l'offre thermale nous a particulièrement mobilisés en 2021 et 2022. Le projet Vittel 2030 a présenté la stratégie portée par les acteurs du territoire, notamment face aux incertitudes concernant la présence du Club Med sur le site de Vittel.

La communauté de communes Terre d'Eau, qui accueille Vittel et Contrexéville, compte 18 000 habitants répartis sur 45 communes, avec une densité démographique de 43 habitants par kilomètre carré. Elle se situe en zone de revitalisation rurale, ce qui est important pour l'analyse des capacités du territoire.

Les activités de production d'eau minérale embouteillée constituent une activité importante et historique. L'histoire des eaux minérales à Contrexéville et à Vittel remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle, avec des dates clés en 1854 pour Vittel et 1861 pour Contrexéville. Les activités de mise en bouteille à Contrexéville ont débuté en 1908. En 1969, le groupe Nestlé est entré au capital de la Société Générale des Eaux Minérales de Vittel (SGEMV) à hauteur de 30 %, pour finalement l'acquérir entièrement en 1992.

Depuis 1992, Nestlé Waters a créé une filiale, Agrivair, chargée de la protection de la ressource en eau, de l'impluvium et des surfaces environnantes. Sur le plan économique, Nestlé Waters a compté jusqu'à 2 000 salariés dans les Vosges en 2005. Après le plan social de 2023, les effectifs se situent autour de 550 salariés.

En 2021, Nestlé Waters bénéficiait d'autorisations pour 65 forages, qui n'étaient pas tous exploités. Les trois gîtes hydrominéraux exploités permettent de prélever la qualité Hépar pour le gîte A, Vittel Grande Source et Contrex pour le gîte B, et Vittel Bonne Source pour le gîte C, cette dernière étant destinée notamment à l'exportation sur le marché allemand.

Les services de l'État mobilisés sur l'exploitation de la ressource en eau autour du préfet sont principalement la direction départementale des Territoires (DDT), la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), l'ARS et la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP). Il existe également des organisations interservices à caractère opérationnel, co-présidées par le préfet et le procureur de la République, telles que la mission inter-services de l'eau et de la nature (MISEN) et le comité opérationnel départemental anti-fraude (CODAF).

À mon arrivée dans le département des Vosges, j'ai rapidement pris la mesure des points de vigilance existants à l'ouest du département, principalement liés au partage de la ressource en eau. Cette problématique, qui remonte aux années 1970, n'a cessé de s'accentuer au fil du temps. En 2004, un arrêté préfectoral a classé les cantons de l'ouest vosgien en zone de répartition des eaux, reconnaissant ainsi le déficit chronique de la nappe des GTI et renforçant le régime des autorisations de prélèvement.

Pour résoudre ce problème, les comités de bassin Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée ont inscrit dans leurs schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) la nécessité de mettre en place un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) sur le secteur des GTI. Le SAGE est un outil de concertation permettant de traiter les conflits d'usage dans le domaine de l'eau.

Il faut noter que plusieurs masses d'eau souterraines sont sollicitées sur ce vaste espace. Certaines parties de ces masses d'eau constituent les gîtes hydrominéraux A, B et C, exploités pour l'embouteillage d'eau minérale et le thermalisme. L'objectif principal de l'État dans le département est la régénération rapide de la nappe des GTI, la plus profonde, grâce à la maîtrise des prélèvements industriels, l'amélioration des rendements des réseaux d'adduction d'eau potable et les économies réalisées par les collectivités et les particuliers.

L'élaboration du SAGE fait suite à la création de la zone de répartition des eaux en 2004, couvrant l'essentiel de l'ouest du département. En 2009, le périmètre de la zone de répartition des eaux (ZRE) a été repris pour l'élaboration du SAGE, en y ajoutant le canton de Monthureux-sur-Saône. Le SDAGE Rhin-Meuse a rendu la réalisation du SAGE GTI obligatoire.

En 2010, la commission locale de l'eau (CLE) a été mise en place, initialement portée par l'association La Vigie de l'eau. Le projet d'élaboration du SAGE a débuté en 2011. La stratégie du SAGE, visant à combler le déficit par des économies d'eau et des mesures de substitution, a été validée par la CLE le 26 avril 2016. Le 1er janvier 2017, le conseil départemental des Vosges a pris en charge le portage de la CLE.

Le 3 juillet 2018, la CLE a décidé de saisir la commission nationale du débat public (CNDP) pour nommer un garant pour la concertation préalable sur le projet de SAGE GTI. Cette concertation s'est déroulée du 13 décembre 2018 au 20 février 2019. La proposition de construction d'un aqueduc a suscité de vives discussions avant d'être rejetée, l'avis du comité de bassin du 18 octobre 2019 ayant été déterminant dans ce renoncement.

En février 2020, un protocole d'engagement volontaire des acteurs publics et privés pour la restauration quantitative des aquifères du secteur de Vittel a été conclu. Ce document, préfigurant les contrats de territoire eau et climat proposés par l'Agence de l'eau Rhin-Meuse, a donné un nouvel élan à l'élaboration du SAGE et a impacté les documents d'urbanisme ou d'aménagement du territoire tels que le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ou le schéma départemental des carrières (SDC).

Le 6 juillet 2022, la CLE a adopté le projet de SAGE de la nappe des GTI visant à équilibrer les volumes prélevés avec la recharge naturelle. Le périmètre du SAGE, adopté le 16 avril 2021, couvre 190 communes de l'ouest du département des Vosges, comptant environ 60 000 habitants. L'alimentation en eau potable est assurée par une cinquantaine d'opérateurs. La CLE est perçue comme le parlement de l'eau sur le territoire et sa composition a été renouvelée par arrêté préfectoral du 29 septembre 2022.

Après une enquête publique du 10 janvier au 21 février 2023, le SAGE a été adopté par arrêté préfectoral le 28 juillet 2023, après 14 ans de travail, d'études et de concertation. Ce dispositif vise à rétablir l'équilibre de la nappe des GTI au plus tard en 2027, selon un calendrier défini dans le protocole d'engagement volontaire des acteurs publics et privés pour la restauration quantitative des aquifères du secteur de Vittel de février 2020.

Les étapes comprennent la poursuite de la baisse des prélèvements de Nestlé Waters, l'évolution des autorisations de prélèvements, l'amélioration des rendements des réseaux d'adduction d'eau potable et des travaux de sobriété chez les industriels. Il est prévu de réduire les prélèvements dans le gîte C d'un million de mètres3 par an par rapport à 2017, en substituant les ouvrages fragiles, en mobilisant davantage le gîte B et en mettant en place un plan d'économie d'eau pour tous les usages.

Je tiens à rappeler qu'au-delà des objectifs de retour à l'équilibre de la nappe des GTI, la constitution d'un observatoire hydrogéologique des gîtes A, B et C a été actée. Cet observatoire, placé sous le pilotage de la CLE, est chargé de suivre notamment les pressions et les niveaux piézométriques.

En 2021, une commission d'enquête parlementaire, présidée par Madame Mathilde Panot, s'est penchée sur la mainmise des intérêts privés sur la ressource en eau et ses conséquences. J'ai eu l'occasion d'apporter mon éclairage à cette commission. Dans ce cadre, nous avons évoqué la problématique des décharges plastiques découvertes sur le territoire des communes de They-sous-Montfort et Saint-Ouen-lès-Parey. Cette situation fait actuellement l'objet d'une enquête judiciaire.

Conformément à l'article 4 du protocole d'engagement de 2020, j'ai traité la demande de Nestlé Waters visant à réaménager leurs autorisations de prélèvement. Cette demande impliquait une diminution de 500 000 mètressur le gîte C, couplée à une demande de prélèvement dans le gîte B pour sécuriser la production et rationaliser les points de prélèvement.

Il est important de noter que les forages A et B ont été autorisés au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) à la suite des constats effectués en 2016 par l'administration précédente. À l'époque, neuf ouvrages exploités par Nestlé Waters ont été soumis à une nouvelle procédure au titre de la loi sur l'eau. Deux de ces ouvrages prélevaient plus de 900 000 mètrespar an dans le gîte A, les sept autres prélevant plus de 200 000 mètrespar an dans le gîte B. Nestlé Waters a mis en avant le principe d'antériorité d'usage au sens de la loi sur l'eau de 1992, position controversée qui a donné lieu à des éléments pris en compte par la justice dans le cadre de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) conclue par le procureur de la République d'Épinal.

Nestlé Waters a déposé en 2019 une demande de modification environnementale, qui a été retirée à la suite d'un changement de réglementation. En avril 2021, j'ai informé le pétitionnaire que cette autorisation était soumise à évaluation environnementale. Par conséquent, Nestlé Waters a rapidement envisagé de déposer une nouvelle demande, soumise à enquête publique, passage en conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CoDERST), et à une expertise technique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

J'ai signé les nouveaux arrêtés pour les gîtes A et B le 19 octobre 2022, au terme d'une procédure démarrée en décembre 2021. Ces autorisations se sont faites à volume constant, avec des dispositions spécifiques. Pour le gîte A, le total des prélèvements autorisés est de 902 000 mètrespar an pour neuf forages. Pour le gîte B, il est de 1 700 000 mètrespar an pour 19 forages. Pour mémoire, les volumes prélevés sur le gîte A s'élevaient à 753 000 mètreset à 1 274 000 mètressur le gîte B.

Ces nouvelles autorisations visent à rationaliser l'exploitation des eaux souterraines dans les bassins de Contrexéville et Vittel, tout en facilitant le suivi et les contrôles. L'exploitant dispose désormais d'une autorisation par gîte, avec un volume maximum défini par ouvrage. Des dispositions ont été prises pour garantir une gestion équilibrée de la ressource en eau, préserver l'environnement et prendre en compte les effets du changement climatique. Les volumes autorisés sont notamment définis mensuellement et deux périodes ont été identifiées afin de tenir compte de l'étiage, Nestlé Waters devant proposer aux services de l'État un protocole de réalisation d'un inventaire complet des zones humides et des haies du périmètre des communes concernées par les ouvrages de prélèvement. Enfin, les arrêtés prévoient un réexamen complet du dossier, notamment de l'évaluation des impacts sur la base de données collectées au plus tard le 31 décembre 2032.

Parallèlement à ces démarches, la problématique de la qualité de l'eau commercialisée est apparue par surprise. J'ai été informé verbalement des traitements non autorisés par les représentants de l'ARS Grand Est début juin 2022. Lors de cette réunion, l'ARS m'a présenté l'historique des traitements diligentés à la demande de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ainsi que les écarts observés liés à des traitements non autorisés et dissimulés. Ces traitements concernaient principalement des filtres à charbon actif et des lampes UV sur plusieurs émergences. L'ARS m'a par ailleurs informé qu'elle poursuivait des réunions techniques associant ses inspecteurs et Nestlé Waters à la mi-juin 2022, avant même de conclure le rapport définitif transmis à l'IGAS. Ces documents ne m'ont jamais été communiqués au préalable.

Après avoir été profondément surpris par ces constats, et même déconcerté au regard de la qualité du travail mené en amont et de la qualité des relations entretenues avec les responsables de Nestlé Waters, j'ai cherché à savoir si la qualité alimentaire des eaux commercialisées était en cause. L'ARS m'a assuré qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'était à signaler.

Sur l'article 40, la directrice générale de l'ARS, qui bénéficie d'une délégation de mission et de signature, a échangé avec moi à plusieurs reprises en juin 2022 sur ces éléments. Sa note du 27 juin 2022, adressée au cabinet du ministre de la Santé, au directeur général de la santé et au chef de l'inspection générale des affaires sociales, fait clairement référence à nos échanges et confirme que j'ai été informé de l'ensemble des éléments issus du contrôle de l'ARS, y compris des éventuelles suites judiciaires, et que je soutenais les analyses de l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie, Monsieur le préfet, d'être parmi nous. Vous avez été préfet des Vosges du 23 novembre 2020 au 5 octobre 2022, sur une période qui nous intéresse particulièrement.

Vous avez évoqué le rapport de l'Igas, mais pas la réunion qui a lieu au cabinet du ministre de l'Industrie le 31 août 2021. Avez-vous été informé de cette réunion ou est-ce que vous avez reçu les premiers éléments d'information en juin 2022 ?

M. Yves Séguy. - Je n'ai pas été informé de cette réunion, je n'ai appris la situation qu'en juin 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'inspection de l'ARS sur le site a eu lieu le 6 avril 2022, mais vous n'avez été informé qu'au mois de juin. Est-ce que ce délai vous semble normal ? À quelle date précise avez-vous été informé ?

M. Yves Séguy. - J'assume par définition, au regard des fonctions qui sont les miennes, un certain nombre de responsabilités. Quand j'accorde une délégation, j'attends retour d'information. Au regard de la sensibilité de cette affaire et compte tenu de la mission commandée par l'IGAS à l'ARS, je n'ai pas été avisé sur l'instant de ce qui se passait ni des premiers retours. Je ne l'ai été que quelques semaines après.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est le rapport avec la mission de l'IGAS ?

M. Yves Séguy. - L'ARS répondait à la demande de l'IGAS. J'aurais préféré l'apprendre plus tôt, mais l'affaire était suffisamment importante et sérieuse pour que j'en prenne acte sans m'émouvoir de ce retard d'information auprès de la directrice générale de l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci beaucoup pour cette précision. Quelles suites avez-vous données à cette inspection et à la présentation par Nestlé de son plan de transformation ?

M. Yves Séguy. - L'ARS m'informe en juin que Nestlé doit rapidement prendre des mesures et nous convenons que les équipes de l'ARS suivront la mise en oeuvre du plan de transformation de l'industriel. Nous convenons également de suivre ensemble l'évolution de la situation et d'examiner quelles suites y donner, notamment sur le plan judiciaire.

À la fin de l'été, après la période des vacances où il est difficile de joindre les uns les autres, je discute de l'affaire avec le procureur de la République. Vous avez compris dans mon propos liminaire que les relations entre un préfet et un procureur de la République sont fréquentes. Selon les périodes, nous nous voyons chaque semaine, notamment pour suivre des questions de sécurité.

Nous convenons la directrice générale de l'ARS, le procureur et moi-même de nous revoir rapidement pour préciser notre perception de la situation. En septembre 2022, je convie donc à une réunion, en préfecture le procureur, la directrice générale de l'ARS et des représentants de la DDT et de la DDETSPP. Le secrétaire général de la préfecture et le sous-préfet de Neufchâteau y participent également. Il y avait enfin des représentants de tous les services concernés par cette affaire qui nous heurtait, notamment de la gendarmerie. Le procureur prend l'avis des inspecteurs ayant procédé aux contrôles et des spécialistes des questions d'eau. Nous convenons des modalités que va mettre en place la directrice générale de l'ARS pour porter à sa connaissance, par écrit, tous les éléments utiles pour qu'il analyse en profondeur la situation, ce qui a abouti à la saisie quelques semaines plus tard de la DGCCRF.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, le rapport provisoire établi par l'ARS est transmis à Nestlé le 29 avril et vous n'avez pas connaissance de son existence. Est-ce que le rapport définitif du 1er juillet vous a été adressé ?

M. Yves Séguy. - Ce rapport ne m'a pas été communiqué. Il a suivi un cheminement direct entre l'ARS et son commanditaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce normal ?

M. Yves Séguy. - Même si je pouvais comprendre l'extrême sensibilité de l'affaire, être informé m'aurait paru utile, nécessaire et même indispensable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie. Pour poursuivre sur la question de l'article 40, nous sommes dans une situation différente de celle du Gard où les autorités n'ont pas jugé opportun de procéder à un article 40. Pourquoi, dans les Vosges, cette procédure a-t-elle été lancée et pourquoi la préfecture ne s'est-elle pas associée à cet article 40 ? Est-ce que l'article 40 était pour vous une évidence ?

M. Yves Séguy. - Au regard de l'importance des faits signalés, des éléments réunis, des responsabilités et des fonctions qu'exerce un préfet, je ne pouvais agir différemment. Étant chargé du respect des lois, du contrôle de légalité et de la défense des intérêts nationaux, il m'était impossible de rester inactif. Les modalités pratiques ont été définies lors de cette réunion, en totale solidarité avec le procureur. Nous avons convenu que la directrice générale de l'établissement public administratif, en charge des missions d'inspection, pouvait rédiger un rapport. Deux options s'offraient à elle : soit m'envoyer un rapport que je transmettais au procureur de la République en indiquant : « Monsieur le procureur, voici les éléments que vient de me faire parvenir la directrice générale de l'ARS, je crois utile de vous en saisir », soit, comme convenu lors de notre réunion de coordination, lui adresser directement les éléments. Dans son article 40, la directrice générale de l'ARS fait référence à cette réunion du 21 septembre et me met en copie du texte envoyé au procureur de la République.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous que des autorités analogues, placées dans une situation similaire, aient réagi de manière très différente et qu'il ait fallu attendre cette commission d'enquête pour que les faits soient instruits par la justice ? Considérez-vous qu'il existe un problème de culture administrative concernant l'article 40 ? Comment avez-vous observé ce sujet tout au long de votre carrière ? C'est un point particulièrement important pour cette commission, car nous constatons que des services se renvoient la responsabilité d'un article qui, pour nous, a une portée générale et oblige chaque serviteur de l'État, du préfet au ministre, de l'agent d'inspection jusqu'au sommet de la hiérarchie administrative et politique.

M. Yves Séguy. - J'ajoute que parmi les autorités visées par l'article 40, il y a aussi les élus et les parlementaires.

Je n'ai ni les qualités ni la responsabilité d'apprécier l'action de mes collègues. Je ne connais pas les éléments dont ils disposaient pour prendre position de telle ou telle manière.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour aller dans le sens de notre rapporteur, je pense qu'il cherche à savoir si votre administration centrale vous sensibilise à la procédure de l'article 40 ?

M. Yves Séguy. - Je n'ai pas de statistiques précises, mais en tant que préfet, je signe de nombreux articles 40 chaque année et j'imagine que mes collègues font de même. Ces articles 40 portent sur divers sujets et font partie de la gestion administrative courante. C'est un acte que nous assumons tous.

Au regard des informations portées à ma connaissance, de la qualité des relations et de la confiance établies avec la direction générale de Nestlé Waters, notamment sur toutes les procédures administratives que nous menions en régularisation et en adaptation dans le droit fil du protocole de 2020, il me paraissait inconcevable de ne pas réagir. En droit, en responsabilité et en conscience, je ne pouvais faire autrement que de signaler ces faits au procureur de la République. Je ne peux pas à la fois me charger quotidiennement d'un certain nombre de missions de police, de respect des textes et des lois, et ne pas intervenir sur de tels manquements, pour des faits qui ont été dissimulés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous donnons quitus de votre action. Cette commission observe qu'il semble y avoir un problème culturel sur l'article 40 et son utilisation. Avez-vous le même sentiment et avez-vous rencontré les difficultés que nous constatons ?

M. Yves Séguy. - Non, je n'ai pas rencontré ce type de difficulté. Quand le ministre de l'Intérieur estime qu'il y a des difficultés, il nous rappelle que nous pouvons agir au moyen de l'article 40. Cela fait partie de nos modes opératoires, il suffit d'appliquer le droit. Encore faut-il avoir les éléments de perception et d'analyse pour pouvoir aboutir à ce type de démarche.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu un échange avec la préfète du Gard sur l'article 40 ?

M. Yves Séguy. - Nous n'avons pas échangé. En toute sincérité, je n'avais pas connaissance, dans le détail, de ce qu'elle pouvait rencontrer, sauf à lire dans la presse les difficultés de la source Perrier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été associé à la CJIP conclut le 10 septembre 2024 entre Nestlé Waters et le parquet d'Épinal ? Si votre réponse est positive, la préfecture l'est-elle encore, d'une manière ou d'une autre ?

M. Yves Séguy. - Cette question devrait plutôt être posée à ma successeure. Lorsque j'étais en fonction dans les Vosges, j'ai évidemment travaillé avec le procureur de la République. Il connaissait mon sentiment sur cette affaire, mais je n'ai pas été associé au travail qu'il a mené.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez dit à plusieurs reprises que vous avez été affecté par la duplicité de l'industriel. Sur les enjeux économiques, dans une note du 27 juin 2022 transmise au directeur général de la santé, la directrice générale de l'ARS évoque la crainte d'un éventuel désengagement de Nestlé Waters des sources vosgiennes et que la décision administrative de retirer les traitements soit le prétexte à une restructuration économique déjà planifiée aux conséquences sociales dramatiques pour le territoire.

Est-ce que Nestlé vous a fait part d'un éventuel désengagement ? Est-ce que la question économique a été mise en balance dans les décisions que vous étiez amené à prendre.

M. Yves Séguy. - Mon métier implique de concilier différents intérêts et de rechercher l'intérêt général.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est ni une question piège ni un reproche. Vous avez le droit de parler avec des industriels. L'objectif est de comprendre comment se prennent les décisions.

M. Yves Séguy. - Je ne peux évidemment pas occulter les questions économiques, même si elles ne supplantent pas les enjeux sanitaires et environnementaux. Dans mes fonctions, j'entretiens naturellement des relations avec les acteurs économiques du territoire. Concernant la situation de Vittel en 2022, j'étais initialement plus impliqué sur les enjeux liés à la pérennité du thermalisme et du patrimoine thermal. Cela a motivé l'intervention de nombreuses collectivités territoriales, de la région, du département et de la Banque des Territoires, dans le cadre du plan Vittel 2030 porté par les élus locaux.

Les difficultés de Nestlé-Waters étaient connues depuis plusieurs mois : perte du marché allemand, perte du marché russe à la suite du conflit en Ukraine, hausse des coûts énergétiques. Cela a entraîné une baisse notable de l'activité et une dégradation des résultats. Les informations que je recevais de la Banque de France et de la direction des finances publiques laissaient présager un nouveau plan social, ce qui s'est effectivement produit.

J'ai informé les cabinets ministériels de ma lecture de la situation par une note d'opportunité, qui englobait l'ensemble des difficultés mentionnées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie. Pouvez-vous transmettre cette note à notre commission d'enquête ?

M. Yves Séguy. - Je ne l'ai pas en ma possession, mais la préfecture pourra certainement vous la communiquer.

M. Khalifé Khalifé. - Entre 2020 et 2022, en raison de la gestion du Covid, les préfets se sont rapprochés des ARS, établissant des relations très étroites. J'ai pu l'observer dans d'autres territoires. Trouvez-vous anormal de ne pas avoir été informé de ces différentes réunions et points de situation ? Est-il possible que le préfet de région ait été avisé à votre place ?

M. Yves Séguy. - Avant d'être préfet des Vosges, j'étais secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin, préfecture de région. Je connaissais bien la situation, le Grand Est ayant été durement touché par le Covid. Vous avez raison de rappeler qu'à cette période difficile, nous avions des contacts quotidiens avec l'ARS. Je connaissais particulièrement bien la directrice générale adjointe, devenue par la suite directrice générale de l'ARS. Nous entretenons toujours des relations de qualité.

Je ne pense pas que la préfète de région ait été informée alors que je ne l'étais pas. Nous travaillions ensemble depuis longtemps, j'ai été son premier collaborateur, et elle n'avait pas non plus cette information. Les préfets de région, dans l'organisation actuelle des grandes régions, réunissent presque chaque semaine les préfets de département, notamment grâce à la visioconférence. La qualité des échanges est réelle et importante. Si l'un d'entre nous avait eu connaissance de la situation, nous en aurions discuté, car nous étions tous concernés par cette affaire.

M. Khalifé Khalifé. - Connaissant le contexte et la préfète, cela m'aurait étonné, mais il était important de le préciser pour le rapport.

M. Hervé Gillé. - Certains préfets ont effectivement eu des relations renforcées avec les ARS pendant la crise sanitaire, mais elles étaient parfois compliquées. Cela a d'ailleurs été critiqué pendant la crise, car les ARS n'étant pas sous autorité préfectorale, la coordination variait selon les régions. Je suppose que ce n'était pas votre cas. Cela pourrait affecter les relations normales qu'un préfet devrait avoir avec les ARS, compte tenu de la situation. Vous connaissez le débat actuel sur l'éventuel placement des ARS sous l'autorité des préfets, ce qui simplifierait la gestion des dossiers. Quel est votre point de vue sur ce débat ?

Par ailleurs, j'ai été surpris par les échanges verbaux que vous avez eus avec l'ARS. Cela suggère-t-il qu'il y a eu un évitement des confirmations écrites, et que ces informations confidentielles ne pouvaient pas être consignées par écrit ? Pouvez-vous confirmer mon interprétation ? Cela impliquerait une forme de traitement particulier de cette situation pour éviter d'éventuels dégâts collatéraux ou une transparence potentiellement préjudiciable.

Enfin, pourriez-vous résumer votre introduction concernant les SAGE et les différentes mesures relatives aux nappes phréatiques ? J'ai cru comprendre qu'il y avait un dépassement problématique en termes de prélèvement, puis des problèmes de qualité, avec des procédures longues à mettre en place. Les SAGE sont-ils bien en place pour les nappes faisant l'objet de prélèvements ? Quelles ont été les conséquences des décisions ou non-décisions prises en la matière ?

M. Yves Séguy. - À ma connaissance, il n'y a qu'un seul SAGE qui porte sur la nappe des GTI. C'est la seule nappe qui, selon les experts, était en déséquilibre.

Mon travail initial dans le département était axé sur la mise en oeuvre des travaux antérieurs et d'apporter ma contribution à l'amélioration de la gestion quantitative de l'eau. L'approbation du SAGE a pris 14 ans, principalement en raison de la nécessité d'expliquer sur ce territoire rural que l'eau est une ressource rare et vulnérable, malgré son apparente abondance.

Les échanges oraux avec l'ARS ne cachaient rien. Il s'agissait probablement d'une volonté de discrétion, peut-être exacerbée par l'importance de la situation découverte, qui nous paraissait invraisemblable compte tenu de l'envergure de l'opérateur concerné. C'est d'ailleurs peut-être pour cette raison que la directrice générale de l'ARS a décidé de remettre au procureur le rapport détaillé de l'action de ses services.

Quant à l'autorité du préfet sur les ARS, en cas de crise majeure comme celle du Covid, les textes permettent désormais au préfet d'assurer l'unité de commandement et de responsabilité. Pour d'autres situations, c'est un sujet qui mérite réflexion, notamment en matière de santé environnementale ou de santé mentale. Il y a certainement des marges de progrès dans notre relation avec l'ARS pour bâtir une action publique plus efficace.

Enfin, j'entretiens de bonnes relations avec l'ARS.

M. Hervé Gillé. - Regrettez-vous de ne pas avoir vous-même déclenché l'article 40 plus tôt ?

M. Yves Séguy. - Je ne le regrette pas. L'article 40 stipule que le signalement doit être effectué « sans délai », mais cela ne signifie pas « dans la précipitation ». Les relations avec le procureur sont étroites et basées sur la confiance et le partage des responsabilités. Au moment où j'échange avec lui, je ne dispose que d'éléments de synthèse assez sommaires. C'est ce travail d'approfondissement que nous avons fourni lors de la réunion en préfecture. Je souhaitais que tous les acteurs soient présents, non pas pour cacher des éléments, mais pour que chacun mesure le degré de responsabilité et le travail restant à accomplir. Cela signifiait également que les sites en question étaient désormais sous très haute surveillance.

Mme Marie-Lise Housseau. - Votre exposé chronologique était très détaillé et clair. Il corrobore parfaitement les témoignages des deux maires que nous avons auditionnés, Messieurs Luc Gerecke et Franck Perry. Ils nous ont confirmé que les gîtes A et B n'étaient pas déficitaires, contrairement au gîte C, et ont évoqué le projet de pipeline qui a été abandonné au profit du SAGE et d'un observatoire. Ils nous ont également informés qu'une CJIP leur avait été proposée et que la préfète des Vosges était venue avec le procureur pour en expliquer les avantages, notamment l'exonération de poursuites judiciaires en échange d'une indemnisation. Cependant, lorsque j'ai interrogé la préfète à ce sujet, elle a affirmé découvrir ce qu'était une CJIP et que l'initiative venait du procureur. Étant donné que vous avez travaillé avec le procureur, pouvez-vous nous éclairer sur cette proposition qui semble avantager Nestlé Waters ? Était-elle uniquement à l'initiative du procureur ou quelqu'un d'autre a-t-il pu lui suggérer cette idée ?

M. Yves Séguy. - Je vous assure que je n'ai rien suggéré au procureur. C'est son domaine de responsabilité directe et je ne me serais pas permis d'intervenir. Je ne sais pas si quelqu'un d'autre est intervenu.

En examinant la CJIP, on constate qu'elle comprend à la fois une pénalité, un investissement dans des actions de renaturation et un soutien financier à l'observatoire. Cela semble offrir davantage de moyens d'action et de transparence. Quant à savoir si c'est suffisant, cela dépasse mon cadre d'intervention. J'observe que les CJIP sont de plus en plus utilisées dans les contentieux environnementaux.

Concernant les propos des élus, il est possible qu'ils aient fait un raccourci ou une confusion, peut-être en évoquant le pilotage de la convention de revitalisation.

Mme Marie-Lise Housseau. - Ils ont mentionné les indemnisations. La présidente de la CLE a également indiqué qu'elle attendait 30 000 euros dans le cadre de cette CJIP. Je constate que les sommes mentionnées semblent relativement modestes comparées aux conséquences potentielles d'une condamnation judiciaire et de poursuites pénales.

M. Yves Séguy. - Je ne commenterai pas une décision de justice. Je prends acte qu'elle a été validée par ordonnance du président du tribunal judiciaire d'Épinal. Nous verrons si toutes les actions prévues dans la CJIP, qui font l'objet d'un contrôle de l'Office français de la biodiversité, se concrétiseront.

Mme Antoinette Guhl. - Je vous remercie pour toutes vos réponses. Considérez-vous qu'une fraude estimée à 3 milliards d'euros a été suffisamment sanctionnée par une amende de 2 millions d'euros ?

M. Yves Séguy. - En tant que préfet, je ne peux pas commenter une décision de justice.

L'assiette calculée pour évaluer la fraude caractérisée repose sur une analyse juridique qui a été débattue. Comme je l'ai mentionné dans mon propos liminaire, il s'agissait de déterminer s'il fallait appliquer le principe d'antériorité à de nombreux forages préexistants. Nous sommes face à une affaire qui s'étend sur une très longue période, avec des forages quasiment historiques. De mémoire, le calcul repris par le procureur quantifie les chiffres d'affaires réalisés par la société et je crois que la pénalité était plafonnée à 30 % de ces chiffres d'affaires. Le procureur a respecté les règles et je pense qu'il a agi en droit, et non en opportunité.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez bien précisé qu'il s'agit d'un plafond et non d'un plancher. Les 2 millions d'euros d'amende ne représentent clairement pas 30 % du chiffre d'affaires, il est très en dessous de ce plafond.

M. Laurent Burgoa, président. - En tant que préfet des Vosges, avez-vous visité les sites industriels de Nestlé ?

M. Yves Séguy. - Je l'ai fait, comme je le fais encore aujourd'hui, notamment pour aller à la rencontre des acteurs économiques qui sont importants pour le territoire.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez une certaine expérience, vous avez occupé divers postes dans la fonction préfectorale. Vous avez évoqué vos relations avec l'ARS. Est-ce que les préfets de région devraient signer les arrêtés d'autorisation de prélèvement des minéraliers en lieu et place des préfets de département puisque les ARS sont régionales ?

M. Yves Séguy. - Il existe un lien juridique appelé délégation, qui est contrôlé et contrôlable. Je ne suis pas certain que la volonté du Gouvernement soit de remettre en question ce lien étroit avec le territoire. Les responsabilités exercées au plus près des territoires, en l'occurrence par les préfets de département, me semblent devoir être maintenues. Elles sont parfaitement reconnues et assumées. Le fait que nous disposions de services de niveau régional, voire d'autres services parfois à compétences interdépartementales, n'y change rien. L'offre d'expertise est à géométrie variable pour les ARS régionales, avec une déclinaison départementale. Elle fait l'objet d'échanges réguliers, comme on pourrait le faire avec n'importe quel autre prestataire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons auditionné un responsable d'association, Monsieur Schmitt, qui nous a déclaré sous serment avoir été menacé chez lui, je crois même par un fonctionnaire de police. Avez-vous eu connaissance de ces menaces ? Par ailleurs, Monsieur Schmitt a fait état d'un climat de tension très élevé, ce qui nous a été confirmé par les élus, bien que dans des termes différents. Que pouvez-vous nous en dire ? Avez-vous été informé de la situation de Monsieur Schmitt ? Pouvez-vous nous parler du climat qui règne autour de la question de l'eau et des ressources dans le département des Vosges ?

M. Yves Séguy. - L'exploitation des eaux minérales dans l'ouest du département des Vosges est une question centrale depuis près de 150 ans. L'eau représente un axe d'émancipation et de développement du territoire. Le rapport à l'eau est perçu avec un niveau affectif et passionnel extrêmement fort. C'est un aspect culturel. Cette passion a d'ailleurs été soulignée dans le rapport de la Commission nationale du débat public, qui mentionne que l'intensité des débats a entravé le partage d'informations et l'échange d'arguments.

Le commissaire enquêteur chargé de la préparation des arrêtés de réorganisation des forages a également noté dans son rapport le peu d'observations enregistrées malgré une forte mobilisation du territoire.

Il est évident que c'est un sujet qui divise, d'où la nécessité d'apaiser la situation. On ne peut avancer que de manière apaisée, en expliquant les enjeux. C'est ce à quoi je me suis efforcé, et d'autres poursuivent certainement dans cette voie.

Je crois fermement aux capacités de développement durable. Il ne faut pas sanctuariser un territoire, aussi sensible soit-il. Il faut respecter la ruralité et ceux qui veulent continuer à y travailler et à vivre de leur travail, y compris en rapport avec l'eau. L'essentiel est d'être capable de gérer la ressource en respectant les potentialités qu'elle permet d'exploiter. C'est un débat qu'il faut mener avec force et conviction, car toutes les parties ne sont pas nécessairement disposées à l'entendre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu connaissance de menaces ?

M. Yves Séguy. - Je n'ai pas été informé des difficultés rencontrées par la personne que vous avez mentionnée. En revanche, lors des réunions publiques, j'ai veillé à ce que les forces de l'ordre soient à proximité pour calmer les esprits si nécessaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie pour cette audition qui a permis d'éclairer notre commission d'enquête.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Thomas Breton, sous-directeur du contentieux à la direction des affaires juridiques des ministères sociaux (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 50.

Jeudi 20 février 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de M. Charles Touboul Moracchini, ancien directeur des affaires juridiques des ministères sociaux (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Norbert Nabet, ancien conseiller chargé de la santé publique au cabinet du ministre des solidarités et de la santé (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 h 00.

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Audition de Mme Mathilde Merlo, cheffe du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé

M. Laurent Burgoa, président. - Bonjour à tous. Nous poursuivons nos auditions avec celle de Madame Mathilde Merlo, chef du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé. À la demande du rapporteur, et compte tenu des auditions précédentes, nous avons décidé qu'elle ne serait pas retransmise en direct, mais en différé, afin d'échanger en toute sincérité et confidentialité.

Avant de vous céder la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Mme Mathilde Merlo prête serment.

Merci. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, vise à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Madame, le bureau que vous dirigez exerce un rôle central en matière de réglementation des eaux minérales naturelles et de source. Vous participez également à l'animation du réseau des agences régionales de santé sur cette thématique. Elles mettent en oeuvre la réglementation française des eaux conditionnées et réalisent les contrôles officiels des exploitants.

Si les eaux minérales naturelles qui ont fait l'objet de traitements frauduleux ne présentaient aucun risque sanitaire, pourquoi ces traitements interdits et une filtration ont-ils été installés par les industriels ? Plusieurs d'entre eux, dont Nestlé Waters, ont eu et ont toujours recours à des traitements de microfiltration de l'eau minérale naturelle à 0,2 micron. Ces traitements sont-ils autorisés ? S'apparentent-ils à une forme de désinfection de l'eau ? Provoquent-ils une modification du microbisme de l'eau ? Selon vous, la microfiltration est-elle susceptible de dissimuler des contaminations virologiques ?

Mme Mathilde Merlo, cheffe du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé. - Bonjour. Je me présente aujourd'hui à vous pour cette audition en tant que chef du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé depuis le 1er septembre 2023.

Cette audition fait suite à celle du directeur général de la santé, le 22 janvier dernier, sous l'autorité duquel j'exerce mes fonctions à la sous-direction de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation.

Ingénieure chimiste et de santé publique, j'ai d'abord exercé au ministère chargé du travail, puis à celui de l'écologie avant de rejoindre l'agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail pendant une dizaine d'années. J'ai pris mes fonctions à la DGS en mars 2019, d'abord pour l'élaboration du plan national santé environnement, puis pour la gestion de la tutelle de l'Anses.

Le bureau de la qualité des eaux compte aujourd'hui 13 personnes, principalement des ingénieurs. Il est chargé de définir les politiques publiques pour garantir la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine - c'est-à-dire l'eau qui coule de nos robinets -, conditionnées, dont les eaux minérales naturelles et les eaux de source, et de loisirs, piscines et baignades. Cette activité s'entend depuis le point de captage jusqu'à son utilisation finale, y compris pour assurer un accès à l'eau à chacun d'entre nous.

Au sein du bureau, environ 0,75 ETP est consacré à la gestion du dossier des eaux conditionnées.

Plus récemment, dans un contexte de changement climatique, nous avons développé une nouvelle politique de réutilisation des eaux impropres à la consommation humaine pour certains usages, afin d'inciter à une utilisation résiliente, tout en assurant la sécurité sanitaire des utilisateurs.

Le bureau assure également le pilotage de systèmes d'information nous permettant de collecter les données des agences régionales de santé acquises pour la mise en oeuvre de cette politique et de les rapporter au niveau européen. Notre activité quotidienne s'inscrit en effet dans un système de règles européennes très complet, fondé sur trois principales directives, donc chacune comporte un exercice de rapportage propre.

La déclinaison de ces règles au niveau national s'effectue dans un cadre interministériel, avec les ministères chargés de l'écologie et de l'agriculture, sur la base de l'expertise des agences sanitaires.

La gestion de la sécurité sanitaire des eaux minérales naturelles et des eaux de source repose sur la directive 2009/54/CE sur les eaux minérales naturelles et la directive 2020/2184. Cette dernière concerne principalement les eaux destinées à la consommation humaine, mais elle s'applique pour partie également aux eaux de source.

Ces directives sont transposées en droits français par des dispositions législatives et réglementaires, complétées par sept arrêtés d'application.

La France compte aujourd'hui 104 sites d'exploitation d'eau minérale naturelle et d'eau de source, répartis inégalement sur le territoire, au sein de 59 départements et 18 régions. En 2023, les ARS ont réalisé environ 4 000 prélèvements, correspondant à 147 000 analyses effectuées dans le cadre du contrôle sanitaire des agences régionales de santé. Le taux de conformité dépassait 98 %.

Je me permets de remettre ces chiffres en perspective avec ceux qui accompagnent notre activité au quotidien : 32 800 captages d'eau potable en France, alimentant 17 200 stations de traitement et de production d'eau potable, et 23 750 unités de distribution. Ces dernières correspondent à l'ensemble des canalisations et des équipements permettant la livraison de l'eau au robinet.

S'agissant des eaux de loisirs, la France compte près de 3 400 sites de baignade, 1 300 en eau douce, 2 100 en eau de mer, et plus de 4 000 piscines publiques. Nous en assurons le contrôle avec les ARS.

Ma prise de fonctions au bureau de la qualité des eaux est intervenue en septembre 2023, après les révélations de recours à des traitements interdits par certains minéraliers, la mission d'inspection de l'IGAS, et le retrait des traitements interdits sur les deux sites concernés, dans le Gard et dans les Vosges. Depuis, trois évènements principaux sont survenus.

À l'automne 2023, l'Anses a remis ses travaux que nous avions sollicités à l'été, pour proposer un système de surveillance renforcé des eaux minérales naturelles et interpréter les résultats. Au printemps 2024, la Commission européenne a organisé un audit inopiné relatif au contrôle officiel des eaux conditionnées. Nous l'avons piloté pour les autorités françaises, avec l'appui des services de la consommation et du ministère de l'agriculture.

La Commission européenne a rendu son rapport en juin 2024. Depuis l'été 2024, nous menons des travaux interministériels et avec les ARS pour prendre en compte de ses recommandations, confirmées par les constats et conclusions de la mission d'information de la sénatrice Guhl sur les eaux conditionnées. Sur la base des informations dont nous disposons à ce sujet depuis 2021, notre activité sur ce dossier s'attache à répondre à trois enjeux principaux.

D'abord, nous nous assurons de la pureté originelle des eaux minérales naturelles et de source, condition nécessaire à leur exploitation, après autorisation des préfets, avec l'appui des ARS. Ensuite, il nous revient de renforcer la coordination des services de l'État pour les contrôles officiels des eaux conditionnées dans le respect des compétences respectives de chacun. Enfin, le marché des eaux conditionnées étant européen et nécessitant des pratiques harmonisées, il est essentiel de clarifier le statut de la microfiltration au niveau européen. Son objectif ne peut être de pallier une insuffisance de la qualité originelle de l'eau ni de modifier le microbisme de l'eau, c'est-à-dire sa signature originelle.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions pour ce qui concerne la période postérieure au 1er septembre 2023, date à laquelle j'ai pris mes fonctions.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci. Je laisse le rapporteur vous poser des questions pour que vous complétiez votre propos.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons souhaité ne pas diffuser cette audition en direct pour la sérénité des échanges. Nous n'avons pas les mêmes exigences vis-à-vis de vous, en termes de responsabilités, que vis-à-vis du directeur général de la santé. Nous recherchons un certain nombre d'informations dont vous pourriez tout de même disposer, dans la mesure où vous travaillez très directement sur les sujets dont traite notre commission d'enquête.

Lors de nos auditions, il est apparu que plusieurs industriels ont eu - et ont toujours - recours à des microfiltrations à 0,45 ou 0,2 micron. Cette pratique n'est toutefois pas universelle : le seuil de 0,8 micron sous lequel la filtration était interdite a toujours été clair pour certains industriels, tels que Danone. Qu'en pensez-vous ? Considérez-vous que cette question était claire, ou qu'elle pouvait faire l'objet de discussions, comme le prétendent certains mis en cause ?

Mme Mathilde Merlo. - La directive européenne reprise en droit français s'appuie sur un principe de pureté originelle de l'eau. Celle-ci doit en effet être pure au forage, sans indicateur de contamination.

De plus, ce matériau étant vivant, la directive tolère la présence d'un certain nombre de micro-organismes naturels non pathogènes. Elle prévoit donc des valeurs indicatives, reprises en droit français, traduisant l'existence d'une vie dans l'eau.

Ensuite, la directive européenne, comme le droit français, autorise une liste positive de traitements extrêmement limitée ayant pour unique objet de retirer des éléments instables, dont certains sont indésirables pour la santé : l'arsenic, le fer, le soufre et le manganèse. Elle cite quelques outils permettant le traitement, à savoir la décantation, la filtration et la séparation.

Au ministère de la santé, nous avons construit notre doctrine sur la base des recommandations de l'AFSA, datant de 2021, en adoptant une taille de pores permettant d'arrêter les matériaux issus du traitement par un système de microfiltration à 0,8 micron. Celle-ci devrait suffire, d'autant plus qu'une filtration à un niveau inférieur pourrait générer une désinfection. Ceci étant, cette question ne devrait même pas se poser, étant donné que l'eau issue du forage devrait être pure et exemple de macro-organismes pathogènes.

Ces éléments me semblent très clairs dans la directive européenne.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De votre point de vue, cette doctrine était-elle claire pour les industriels, ce qui semble avoir été le cas par exemple pour Danone ? Comment jugez-vous ceux qui nous disent aujourd'hui qu'elle ne l'était pas ?

Mme Mathilde Merlo. - Lors de ma prise de poste, ce principe m'a paru très clair à la lecture des textes. Il l'est d'autant plus qu'il n'y a pas lieu de traiter l'eau au forage. Elle doit être pure. Seul le retrait d'éléments instables est autorisé en matière de filtration.

Une fois ces traitements opérés, un process industriel s'instaure du forage à l'embouteillage. Ces dispositifs s'entretiennent, se changent, se nettoient, se désinfectent. J'entends que des industriels revendiquent des systèmes de filtration bien inférieurs, jusqu'à 0,2 micron. Ils peuvent générer un impact sur la présence de pathogènes en créant un effet désinfectant. Des micro-organismes revivifiables peuvent s'y développer. Ils ne sont pas pathogènes, et peuvent être relevés dans les eaux minérales naturelles, en général très profondes, mais ils sont soumis à un plafond par bouteille.

La deuxième exigence de la directive européenne reprise en droit français précise bien qu'aucun traitement ne peut modifier le microbisme de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous, au regard des éléments dont vous disposez, que les microfiltrations à 0,2 ou 0,45 micron constituent un élément de désinfection ou peuvent modifier le microbisme de l'eau ?

Mme Mathilde Merlo. - Cette question est compliquée. Je n'ai fait que reconstruire un puzzle sur la base de nombreux échanges avec mes collègues des ARS. Je perçois que deux sites sont atypiques par rapport à d'autres. Les révélations de 2021 nous ont poussés à nous interroger quant à la qualité originelle de l'eau à ces endroits. La microfiltration à 0,2 micron n'arrêtera pas tout. Dès lors que la pureté originelle de l'eau n'est plus respectée, ces eaux ne peuvent plus être qualifiées de minérales naturelles. J'ai pu recueillir des informations de collègues qui ont immédiatement désiré s'assurer du respect de ce principe. Les forages qui ne le respectaient plus ont été fermés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous repréciser ces sites ?

Mme Mathilde Merlo. - Je parle de Vergèze dans le Gard, et des sites de Vittel, Contrex et Hépar dans les Vosges.

Je rappelle qu'une eau minérale naturelle doit être une eau originellement pure. Elle n'a pas à être désinfectée. Ces deux sites ont eu recours à des traitements interdits. Dans ce cadre, la première mission de nos collègues des ARS visait à s'assurer de la pureté originelle de ces eaux. Lorsqu'elle n'était pas avérée, les captages ont été fermés. C'est ce qui s'est passé à Vergèze et dans le Grand Est.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est, à votre connaissance, le nombre de captages fermés ?

Mme Mathilde Merlo. - Je peux affirmer qu'au moins deux d'entre eux ont été fermés. Je vous invite à interroger les ARS concernées sur ce point.

Du plan de transformation mis en place en Occitanie et dans le Gard, j'ai compris qu'une fois évacuée la question des forages qui ne correspondaient plus à la pureté originelle de l'eau prescrite, il pouvait persister des intrusions de micro-organismes pathogènes ou une flore revivifiable prenant une ampleur trop importante. Celle-ci justifierait pour partie le recours à des microfiltrations à 0,2 micron. Je n'ai pas plus d'information autre que le fait que cette microfiltration intervient postérieurement à l'émergence de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous aller au bout de ce raisonnement ? Cette microfiltration intervenant dans le processus de production est-elle autorisée à 0,2 ou 0,45 micron ? Ou peut-elle s'apparenter à une désinfection ?

Mme Mathilde Merlo. - Dès lors que l'exploitant apporte la preuve que la microfiltration à 0,2 micron n'a pas pour effet de modifier le microbisme de l'eau, il me semble que les contraintes et les exigences de la directive européenne sont respectées. En revanche, si cette filtration a pour effet de désinfecter la présence de micro-organismes pathogènes intervenus à un moment du processus, elle contrevient à ce texte. Je ne parle plus ici de la pureté originelle de l'eau, mais d'un incident qui serait intervenu sur le processus d'embouteillage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans votre analyse, une telle microfiltration à 0,45 ou 0,2 micron est-elle susceptible de modifier le microbisme de l'eau ?

Mme Mathilde Merlo. - La réponse dépend de ce qui est présent dans l'eau. Elle peut en effet modifier la présence d'organismes revivifiables. Les eaux des forages sont très anciennes, et très profondes. La présence de tels organismes y est parfois très faible. Si une microfiltration à 0,2 micron est opérée alors même qu'ils en sont absents, elle ne modifiera pas leur nombre. En revanche, s'il s'agit de micro-organismes pathogènes apparus dans le système de production, cette microfiltration peut en effet les arrêter.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des échanges de mail montrent que la DGS a relancé le cabinet en janvier 2023, et qu'elle a émis un avis défavorable à la demande formulée par Nestlé à la direction des affaires juridiques de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et au cabinet du ministère de l'Industrie de voir autoriser la filtration à 0,2 micron. Pourquoi ?

Mme Mathilde Merlo. - Je n'étais pas présente à cette époque. Cette décision me paraît sensée. L'eau minérale naturelle doit être pure au départ. Il n'y a donc pas lieu de réaliser une filtration pour la purifier. La désinfection est interdite. Une liste de traitements positifs est autorisée. Elle peut justifier, une fois le traitement appliqué, et afin de retenir les éléments indésirables, de mobiliser un système de filtration. Des pores de 0,8 micron devraient suffire dans ce cadre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 23 février 2023, il a été acté lors d'une concertation ministérielle dématérialisée l'autorisation d'un traitement inférieur à 0,8 micron sur les sites de Nestlé dans les Vosges et dans le Gard. Pouvez-vous confirmer que cette position n'était pas celle de la DGS ?

Mme Mathilde Merlo. -Je n'étais pas présente. La DGS me semble être restée sur sa doctrine, sur la base de l'avis de l'Anses. En effet, la note que vous évoquez, puis la concertation interministérielle dématérialisée (CID) ont été alimentées par une demande adressée à cette agence au sujet de la microfiltration. Elle indiquait alors que des bactéries pouvaient être retenues sous un seuil de 0,8 micron. Sous ce seuil, l'exploitant, qui se doit de mettre sur le marché une eau conforme, doit apporter la preuve que son microbisme n'a pas été modifié. Il n'a en aucun cas le droit de procéder à une désinfection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, un industriel a-t-il été en mesure d'apporter cette preuve ?

Mme Mathilde Merlo. - Je manque de données pour m'exprimer. Je pense que cette analyse doit être menée au cas par cas. Les eaux minérales naturelles ou de source sont des produits de terroir. Elles ne sont pas toutes équivalentes, ne présentent pas les mêmes taux d'organismes revivifiables, et ne nécessitent pas les mêmes traitements, qui doivent être adaptés à chaque situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je retiens qu'à votre connaissance, aucun industriel n'a pu apporter cette preuve.

Mme Mathilde Merlo. - Je ne dispose pas de données pour vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'interroge sur la maîtrise du risque sanitaire dans cette affaire, depuis sa révélation au ministère de l'Industrie en août 2021 jusqu'aujourd'hui. Les ARS ont réagi différemment. Elles ont immédiatement pris des mesures dans le Grand Est en lançant un contrôle sanitaire renforcé dès qu'elles ont eu connaissance de la fraude, tandis que l'autocontrôle de l'industriel a été maintenu en Occitanie. De votre côté, avez-vous tiré de bonnes pratiques de cette affaire ? Le risque sanitaire a-t-il été mieux géré dans le Grand Est qu'en Occitanie ?

Mme Mathilde Merlo. - Je ne peux pas vous dire si certains collègues ont mieux agi que d'autres.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne vous demande pas un jugement sur vos collègues, mais sur les pratiques. Avez-vous le sentiment que les risques sont mieux gérés dans le Grand Est qu'en Occitanie ?

Mme Mathilde Merlo. - Je n'ai pas suffisamment d'informations pour donner mon avis sur votre question. En revanche, l'autosurveillance de l'exploitant et le contrôle de l'ARS s'inscrivent aujourd'hui dans une forme de complémentarité. L'exploitant a une obligation de surveillance de premier niveau, et l'ARS contrôle les paramètres de la directive européenne, permettant au préfet de prendre une décision sur la base des résultats du contrôle sanitaire.

Je m'interroge plutôt sur les autres sources : la pureté originelle de l'eau y est-elle assurée ? Il est nécessaire de s'assurer de la complémentarité de ce qui peut être fait par l'exploitant et des contrôles de second niveau mis en place par l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de l'audition d'Alma Source portant sur la situation de Cristaline, nous avons pris connaissance d'alertes sur la qualité des eaux de cette marque. Il apparaît que lors de la crise de la ressource en eau à Mayotte, des bouteilles y ont été envoyées pour constituer un stock de l'État. Des usagers y ont dénoncé des odeurs d'hydrocarbure. Des tests ont confirmé la présence d'hydrocarbures à des seuils élevés. Avez-vous eu connaissance de ces éléments ? L'origine de la contamination a-t-elle été clairement identifiée ? Quelles mesures ont été prises à la suite de ce constat ?

Mme Mathilde Merlo. - J'ai bien connaissance de ces éléments, traités par la DGS en interministériel, mais pas par mon bureau. Je n'aurai que des informations partielles à vous apporter. Il me semble que vous avez adressé un courrier officiel au ministre de la Santé pour obtenir des informations spécifiques.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce courrier a été cosigné il y a une dizaine de jours.

Mme Mathilde Merlo. - Il est préférable que nous vous transmettions les éléments en cours de préparation. Je peux vous dire que des vérifications ont été effectuées par les ARS sur ce qui relève de notre compétence : la qualité de l'eau depuis le point de captage jusqu'au conditionnement. Il ne semble pas que l'origine de la contamination soit connue à ce stade. Elle semble plutôt avoir eu lieu lors du transport.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au sein de quel bureau cette question est-elle traitée ?

Mme Mathilde Merlo. - Nous disposons d'un centre de sécurité sanitaire, qui a géré ce signalement. Le bureau de la qualité de l'eau est intervenu en appui technique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des ARS ont également reçu plusieurs centaines de signalements de consommateurs se plaignant d'odeurs de moisissure en ouvrant des bouteilles Cristaline. Il semble que le groupe Alma n'en ait pas alerté les autorités. Les investigations menées par les ARS ont montré que les lieux de stockage des bouteilles d'eau - des ports, des conteneurs en plein soleil, dans l'humidité - n'étaient pas étanches. Quelles mesures ont été prises ? Étiez-vous informés de ces faits ?

Mme Mathilde Merlo. - La DGS est informée via le centre de crise sanitaire, qui recevait l'appui du bureau. Nous avions pour rôle, en lien avec la DGCCRF et le ministère de l'agriculture, de nous assurer que l'origine de la contamination n'était pas liée au système d'exploitation de ces eaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons le sentiment que vous n'avez pas d'éléments complets à nous donner. Ces faits ont-ils conduit l'administration à s'interroger sur la nature même de la bouteille Cristaline ? Avez-vous des explications définitives à nous apporter face à ces situations ayant eu lieu à deux endroits différents ?

Mme Mathilde Merlo. - Notre champ de compétence couvre le circuit de l'eau du point de captage jusqu'à l'embouteillage. C'est plutôt le ministère de la consommation qui est en charge du contrôle des matériaux au contact de l'eau (MCDA), c'est-à-dire des bouteilles. L'une des hypothèses expertisées concerne en effet la qualité de ce matériau, qui pourrait ne pas être suffisamment étanche par rapport à des conditions de stockage, permettant éventuellement à des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) de contaminer l'intérieur de la bouteille. Les conditions de stockage et notamment des intercalaires en contact avec la bouteille auraient pu amener à une contamination de l'eau postérieure à sa distribution.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le ministère de la consommation a-t-il été mis dans la boucle ?

Mme Mathilde Merlo. - Nous travaillons en interministériel. Les réunions pilotées par mes collègues du centre de crise associent les ministères de la santé, de la consommation et de l'agriculture.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'a-t-il été fait à l'égard de ces lots ? Avez-vous échangé avec le Groupe Alma ?

Mme Mathilde Merlo. - Des documents écrits devraient vous être adressés de façon imminente sur ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La substance ayant donné le goût moisi a-t-elle été identifiée ?

Mme Mathilde Merlo. - D'un point de vue microbiologique, je ne sais pas, mais il s'agit, d'un point de vue chimique, d'hydrocarbures aromatiques polycycliques qui peuvent venir d'essence ou de fioul.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce dangereux ?

Mme Mathilde Merlo. - Je ne peux pas vous répondre précisément quant aux éléments de danger, mais ces substances sont suffisamment préoccupantes pour faire l'objet de directives et de seuils à respecter. Je précise qu'elles sont fortement odorantes, et se sentent très vite.

Mme Marie-Lise Housseau. - Des mesures correctives ont-elles été mises en place à la suite des fraudes et dysfonctionnements mis en lumière : manque d'informations entre les différents niveaux, différences de réaction entre les ARS, manque de transparence vis-à-vis des préfets ? Si un tel évènement survenait à nouveau, sommes-nous certains qu'il serait traité différemment cette fois ? Des consignes ont-elles été données à différemment niveaux ?

Mme Mathilde Merlo. - Quand nous sommes confrontés à un épisode de telle ampleur, nous nous interrogeons nécessairement sur nos modes de fonctionnement. Nous le faisons avec les moyens limités dont nous disposons. Certaines actions sont engagées afin de retravailler avec les ARS sur la compréhension d'un certain nombre de points qui n'auraient pas été compris de la même manière par toutes les parties. Il est à noter que le nombre restreint de sites en France participe à la difficulté d'entretenir des compétences dans ce domaine.

Nous avons sûrement des améliorations à prévoir dans la bonne collaboration entre les différents services et en interministériel. Il n'en demeure pas moins que nous sommes encore confrontés à des incertitudes que nous voudrions lever au niveau européen.

Ainsi, nous identifions des points d'améliorations au niveau local, national et européen.

Mme Audrey Linkenheld. - Pouvez-vous confirmer que l'on ne sait pas, aujourd'hui, si la difficulté observée à Mayotte est liée au lieu de stockage de l'eau ou aux bouteilles en plastique ? J'ai besoin que vous soyez précise sur ce point. Le Groupe dont il est question a développé une stratégie commerciale et marketing autour de sa bouteille et de la qualité du plastique utilisé ainsi que de son recyclage. Il me paraît important que l'on soit tous très clairs sur cette question, notamment vis-à-vis du consommateur.

Mme Mathilde Merlo. - Je ne dispose pas de tous les éléments de réponse. La question ayant été posée au ministère de la santé, une réponse vous sera adressée. Il était, semble-t-il, exclu que l'origine de la contamination relève du site de production, du point de captage à l'embouteillage. En revanche, l'une des hypothèses relève de la capacité du matériau en lui-même à éviter la contamination.

Mme Audrey Linkenheld. - Qu'entendez-vous par « matériau » ?

Mme Mathilde Merlo. - Je parle de la bouteille.

Mme Audrey Linkenheld. - Le sujet est sensible. Nous ne parlons pas d'une bouteille, mais d'un opérateur important. Nous ne pouvons nous contenter d'entendre que nous obtiendrons des informations par écrit. Nous avons besoin d'entendre votre analyse, au regard des informations qui sont les vôtres.

Mme Mathilde Merlo. - La question nous a été posée récemment, et de nombreuses activités ont été menées par le ministère de la santé, en lien avec ceux de la consommation et de l'agriculture et avec nos services locaux. Je ne dispose pas de la consolidation complète des éléments associés. Je ne veux pas dire de bêtises ou répondre à côté.

En revanche, l'une des hypothèses voudrait que le matériau plastique ait pu être traversé par des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) présents à l'extérieur, avec lesquels elle aurait été en contact.

Mme Audrey Linkenheld. - Cette hypothèse est donc toujours sur la table.

Mme Mathilde Merlo. - À ma connaissance, oui. Nous vous apporterons des réponses écrites.

M. Laurent Burgoa, président. - Les faits remontent à plus de six mois. Quelles mesures l'État a-t-il prises depuis pour empêcher qu'ils se produisent à nouveau ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De la Cristaline est-elle toujours utilisée pour reconstituer les stocks à Mayotte, ou un principe de précaution a-t-il été appliqué ?

Mme Mathilde Merlo. - Nous ne sommes intervenus que techniquement pour interpréter les résultats analytiques. Je ne serai pas en mesure de vous répondre précisément. Le ministère de la santé s'attache à réunir l'ensemble des éléments demandés il y a quelques jours.

C'est le centre de crise sanitaire qui est en première ligne sur ces questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous le nom d'un contact à me communiquer ? Qui est le directeur de ce centre ?

Mme Mathilde Merlo. - Je vous propose de vous tourner vers le directeur général de la santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGS a émis de premiers éléments en vue d'une instruction. De quelle manière votre bureau l'a-t-il construite, le cas échéant ? Est-elle fondée sur du droit comparé, sur des faits scientifiquement étayés, etc. ?

De plus, quelle est la place de la Commission européenne ? Nous savons que Jérôme Salomon, l'ancien directeur général de la santé, a rappelé à plusieurs reprises le risque de contentieux européen, et que l'Union européenne n'a pas été saisie. Avez-vous pu comprendre ce qui s'est passé ?

Mme Mathilde Merlo. - Le dernier point de la CID de février 2023 appelle à un état des lieux des pratiques des autres États membres pour mieux affiner notre doctrine si besoin, d'autant que certains exploitants sont présents dans d'autres pays. Aucune suite n'a été donnée à cette demande. En revanche, nous avons subi un audit européen au printemps 2024, qui nous a conduits à présenter la situation française au comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPVADA). La France a porté à deux reprises ses interrogations sur les pratiques de microfiltrations et leur justification au sein d'autres États membres. À cette occasion, d'autres pays, tels que l'Irlande, la Belgique, la Suisse, le Portugal et l'Espagne ont réclamé une clarification au niveau européen du statut de cette microfiltration.

Ensuite, nous avons tiré des enseignements de cet épisode. Il nous semble aujourd'hui prioritaire de nous assurer de la pureté originelle de l'eau, de reposer les fondamentaux de la directive européenne en vérifiant les indicateurs tels qu'ils sont prévus dans ce texte. L'Anses nous offre la possibilité d'effectuer des analyses différentes pour mieux comprendre un diagnostic posé.

Par ailleurs, nous devons clarifier autant que faire se peut la doctrine de la microfiltration.

Enfin, l'autorisation de production et d'exploitation est délivrée par le préfet. Elle donne donc lieu à un arrêté préfectoral. Nous devons mettre en place une révision de ces textes, autant que de besoin.

Ces trois éléments nous ont guidés dans la construction de cette instruction.

M. Laurent Burgoa, président. - Si nous n'avons plus d'autres questions, il me reste à vous remercier, Madame Merlo.

Mme Mathilde Merlo. - Merci et bon après-midi.

Audition de Mme Joëlle Carmès, ancienne sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la direction générale de la santé

M. Laurent Burgoa, président. - Bonjour à tous. Nous poursuivons nos auditions avec celle de Madame Joëlle Carmès, sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la DGS entre 2018 et 2024.

Mme Joëlle Carmès, sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la DGS entre 2014 et 2024. - J'ai exercé ces fonctions entre 2014 et 2024.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour ces précisions.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Mme Joëlle Carmès prête serment.

Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Plusieurs médias ont révélé au début de l'année 2024 les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de sources. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Madame, la sous-direction que vous avez dirigée de 2014 à 2024 exerce un rôle central en matière de réglementation des eaux minérales naturelles et des eaux de source codifiée au sein du code de la santé publique. Vous avez également animé, sur cette thématique, le réseau des agences régionales de santé (ARS). Celui-ci met en oeuvre la réglementation française des eaux conditionnées et réalise les contrôles officiels des exploitants.

Si les eaux minérales naturelles qui ont fait l'objet de traitements frauduleux ne présentaient aucun risque sanitaire, pourquoi ces traitements interdits et une microfiltration ont-ils été installés par les industriels ? Plusieurs d'entre eux, dont Nestlé Waters, ont eu et ont toujours recours à des traitements de microfiltration de leurs eaux minérales naturelles à 0,2 micron. Ces traitements sont-ils autorisés ? S'apparentent-ils à une forme de désinfection de l'eau ? Provoquent-ils une modification du microbisme de l'eau ? Selon vous, la microfiltration est-elle susceptible de dissimuler des contaminations virologiques ?

Plus généralement, comment animiez-vous le réseau des ARS sur la question de l'eau en bouteille ? Nous avons le sentiment que les agences et les services locaux étaient un peu livrés à eux-mêmes.

Mme Joëlle Carmès. - Bonjour. En tant que sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la direction générale de la santé de janvier 2014 à mai 2024, j'ai eu à gérer, avec le bureau de la qualité des eaux, le dossier concernant les eaux minérales naturelles conditionnées produites par l'entreprise Nestlé Waters dans les Vosges et dans le Gard. Cette mission s'est déroulée de septembre 2021 à début mai 2024. À cette date, mon mandat de sous-directrice est arrivé à échéance. J'occupe depuis les fonctions de directrice de projet chargée de la prévention des infections et de l'antibiorésistance auprès du directeur général de la santé, le docteur Grégory Émery.

Dans le domaine de la santé et de l'environnement, la direction générale de la santé a entre autres pour mission la protection de la santé de la population à travers les différents usages de l'eau, et notamment des eaux conditionnées - eaux minérales naturelles, eaux de source, eaux rendues potables par traitement -, et ce jusqu'à leur commercialisation.

Concernant spécifiquement les eaux conditionnées, la sous-direction de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation de la DGS a pour rôle :

- d'élaborer des projets de dispositions législatives et réglementaires qui seront soumis à la direction générale de la santé, puis intégrés dans le code de la santé publique, dans le cadre notamment de la transposition de directives européennes. Ce fut le cas de la dernière directive sur les eaux destinées à la consommation humaine de décembre 2020 pour ce qui concerne les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement. Ces dernières présentent les mêmes critères physico-chimiques et radiologiques en tant qu'eaux destinées à la consommation humaine ;

- apporter un appui aux agences régionales de santé chargées du contrôle sanitaire sur le terrain, en expliquant les règles et les textes, en répondant à leurs questions techniques et juridiques, en diffusant des outils d'aide à l'inspection et au contrôle des établissements, et en apportant un appui à la gestion des alertes en lien avec le centre de crise sanitaire du ministère ;

- rédiger les projets de saisine de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et assurer les réponses à leurs sollicitations.

Dans le cas des eaux minérales naturelles de Nestlé Waters, nous avons, avec le bureau de la qualité des eaux, rédigé quatre projets de saisine : un pour l'Igas et trois pour l'Anses, un sur la microfiltration et deux pour une demande d'appui scientifique et technique.

Nous avons également réalisé des bilans annuels de la qualité de l'eau sur la base des données transmises par les ARS, destinés en particulier à renseigner le plan national de contrôle officiel pluriannuel (PNCOPA), adressé par le ministère chargé de l'agriculture à la Commission européenne. Ils sont également mis en ligne annuellement sur le site du ministère de la santé.

Les ARS apportent leur expertise sanitaire aux préfets chargés du pouvoir décisionnaire sous la forme d'arrêtés préfectoraux. Le contrôle sanitaire à leur charge est complété par une autosurveillance exercée par l'exploitant.

L'eau est l'un des aliments les mieux contrôlés en France. Les bilans annuels montrent une très bonne qualité microbiologique et physico-chimique des eaux conditionnées, avec un taux de conformité aux limites de qualité réglementaire supérieur à 99 %.

En septembre 2021, la cheffe du bureau de la qualité des eaux de la sous-direction m'a informée avoir appris par ses homologues de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) que la société Nestlé Waters avait sollicité un échange avec le cabinet du ministre chargé de l'industrie à la fin du mois d'août 2021. Elle le saisissait concernant l'utilisation de traitements non autorisés au sein de ses usines de conditionnement d'eau minérale naturelle. Notre cabinet en a été informé le 24 septembre. Le directeur général de la santé en a également été informé. Le groupe industriel Nestlé Waters n'a pris aucun contact à mon niveau. Je n'ai en outre participé à aucune réunion interministérielle à Matignon ou à l'Élysée sur le sujet, contrairement à d'autres thématiques.

À la suite d'une décision des cabinets ministériels, une mission de l'Inspection des affaires sociales (Igas) a été lancée en novembre 2021 par les ministres chargés de la santé, de l'économie et de la consommation sur les usines de conditionnement d'eau. De ses conclusions, rendues en juillet 2022, il ressort notamment que la dissimulation volontaire de la part de certains exploitants, constatée lors des visites d'inspection par les autorités compétentes locales, a rendu ces situations de fraude non décelables par les autorités. Environ 30 % des dénominations commerciales font l'objet de traitements non conformes, aux UV, au charbon actif ou par le recours à la microfiltration à un seuil inférieur à 0,8 micron.

Depuis 2022, sur les sites de production des Vosges et du Gard, plusieurs actions ont été menées, dont le retrait des traitements non autorisés ou le lancement de plans de transformation des installations accompagnés d'un renforcement de la surveillance de la qualité de l'eau. L'Anses a été mobilisée pour apporter un appui scientifique et technique.

La gestion de ce dossier au sein de la sous-direction, avalisée par la direction, a reposé sur le respect de l'application de la réglementation en vigueur, une directive européenne transposée en droit interne. Nous en respections les règles. En effet, une eau minérale naturelle et une eau de source sont obligatoirement des eaux souterraines, microbiologiquement saines, qui doivent être tenues à l'abri de tous risques de pollution. Seuls quelques traitements sont autorisés par la réglementation, dont la séparation des constituants naturellement présents, tels que le fer ou le soufre. La désinfection de l'eau est interdite. La teneur en minéraux et autres constituants caractéristiques d'une eau minérale naturelle doit être stable dans le temps.

La réglementation concernant spécifiquement la microfiltration doit être respectée.

La position adoptée en matière de microfiltration s'appuyait sur les recommandations de l'Anses de 2001, confirmées fin 2022 début 2023, en l'absence de nouveaux éléments. Un dispositif de microfiltration avec un seuil de coupure à 0,8 micron est toléré par les autorités compétentes, à condition qu'il soit mis en oeuvre dans un but exclusivement technologique afin de retenir certaines particules présentes à la source ou liées à certains traitements. Un suivi de la qualité de l'eau doit être effectué avant et après ce traitement pour s'assurer qu'il ne modifie pas les caractéristiques microbiologiques de l'eau.

En février 2023, il a été proposé d'intégrer ce seuil de 0,8 micron dans la réglementation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ce point ?

Mme Joëlle Carmès. - Il a été proposé de l'intégrer dans le cadre de la transposition de la directive de 2020. Il s'agissait de modifier un arrêté de 2007 en vigueur, ce qui aurait nécessité une notification à Bruxelles avec un statu quo de trois mois, potentiellement prolongé de trois mois supplémentaires en cas d'avis circonstanciés d'autres États membres. Cette proposition aurait permis d'échanger sur les pratiques des autres pays.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quelle date cette proposition a-t-elle été émise, et par qui ?

Mme Joëlle Carmès. - Elle a été émise en 2022, avant la concertation interministérielle dématérialisée (CID), par la direction générale de la santé. Elle a été transmise à mon directeur qui l'a ensuite communiquée au cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que s'est-il passé alors ?

Mme Joëlle Carmès. - J'y reviendrai.

En février 2023, le compte-rendu de la CID menée par le cabinet de la Première ministre concernant les sites des Vosges et de Vergèze mentionne la possibilité de recourir à une microfiltration à un seuil inférieur à 0,8 micron. Ce même compte-rendu demande au secrétariat général des Affaires européennes (SGAE) de conduire une analyse de la situation de la microfiltration et des pratiques existantes dans les autres pays de l'Union. L'objectif est d'envisager une sollicitation de la Commission européenne pour une évolution de la réglementation communautaire ou une saisine de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), le cas échéant.

Il est nécessaire de clarifier le statut de la microfiltration au niveau européen, étant donné que le marché des eaux minérales naturelles est européen et appelle à des pratiques harmonisées.

J'ai participé à l'organisation en France de l'audit de la Commission européenne et aux réunions sur le sujet, à l'exception du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPVADA) du 30 avril. Je ne me suis pas déplacée sur les sites de production. Je quittais mes fonctions début mai 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous revenir sur la proposition de la direction générale de la santé visant à préciser, par arrêté, la réglementation à 0,8 micron ? L'avez-vous émise dans un contexte dans lequel vous sentiez que la réglementation était menacée, que le vent pouvait tourner ? Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de durcir cette norme ? Cette recommandation semblait claire.

Mme Joëlle Carmès. - Nous voulions préciser une recommandation de l'AFSA, reprise par l'Anses. On ne peut pas durcir une norme qui n'existe pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de passer d'une recommandation à une norme ?

Mme Joëlle Carmès. - Dès lors que l'Igas nous a présenté son rapport, qui montrait des variations dans les seuils de coupure en microfiltration appliqués par les différentes ARS, notre proposition couvrait deux aspects. Nous voulions intégrer ce seuil dans la réglementation à des fins d'homogénéisation, mais aussi comprendre les pratiques dans les autres pays européens. La notification d'un tel texte à l'Europe aurait permis des échanges avec d'autres pays. Nous avions ainsi pour objectif de d'inscrire dans la réglementation ce qui n'était jusqu'alors qu'une recommandation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous serions reconnaissants de nous transmettre tous les éléments relatifs à cette proposition, qu'il s'agisse de mails, de notes ou d'autres documents.

Qui a écarté cette proposition ?

Mme Joëlle Carmès. - Je ne dirais pas qu'elle a été écartée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui s'est opposé à sa mise en oeuvre ?

Mme Joëlle Carmès. - Des échanges ont suivi le rendu du rapport de l'Igas sur ces traitements, au niveau des cabinets ministériels. À l'été 2022, tout le dossier « santé-environnement » a été confié au cabinet Organisation des territoires, dirigé par la ministre Agnès Firmin-Le Bodo. Le conseiller Pierre Breton portait l'ensemble du dossier santé environnement, qui comprenait non seulement la problématique de l'eau, mais aussi tous les sujets de la sous-direction, de l'environnement extérieur à l'environnement intérieur.

À partir de la fin d'été 2022, ce dossier a été travaillé avec le cabinet, dans un contexte particulier de sécheresse touchant environ 35 % des sols du territoire. De plus, le travail était alors très orienté vers la transposition de la directive européenne sur les eaux destinées à la consommation humaine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La direction générale de la santé a-t-elle retiré sa proposition ? Sinon, qui a arbitré en sa défaveur ?

Mme Joëlle Carmès. - Nous n'avons pas retiré notre proposition. Aucun arbitrage en sa défaveur n'a été rendu d'emblée. Un échange a eu lieu entre la direction et le cabinet concernant l'utilisation de seuils de microfiltration différents dans les usines d'embouteillage. La question était de savoir si le seuil de 0,8 pouvait être abaissé sans altérer le microbisme de l'eau. C'est pourquoi il a été décidé, avant d'éventuellement intégrer ce nouveau seuil dans la réglementation, de solliciter l'avis de l'Anses en novembre sur la microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui a pris cette décision ?

Mme Joëlle Carmès. - Elle a été prise conjointement par la direction et le cabinet. Les seuils de microfiltration variaient considérablement d'une usine à l'autre, parmi les 30 % qui disposaient de tels systèmes. Il a donc été jugé nécessaire de consulter notre agence d'expertise sur ce seuil. Deux questions principales ont été posées à l'Anses : en dessous de quel seuil la microfiltration peut-elle affecter le microbisme de l'eau ? La microfiltration avec un seuil de coupure à 0,2 a-t-elle un effet de désinfection ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que l'Anses a maintenu sa position sur le seuil de 0,8 micron comme référence. Le confirmez-vous ?

Mme Joëlle Carmès. - Oui, car ce seuil est issu d'une saisine basée sur un procédé industriel spécifique. Le directeur général de l'Anses a indiqué qu'aucun autre dossier de demande n'a démontré l'absence de changement du microbisme de l'eau à un seuil inférieur. C'est pourquoi j'indiquais plus tôt que nous nous sommes appuyés sur ce seuil de 0,8 micron, confirmé début janvier 2023 dans un avis complémentaire à celui de décembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À cet instant, la CID est intervenue pour contre-arbitrer la direction générale de la santé ?

Mme Joëlle Carmès. - Oui, sur deux sites spécifiques : à Vergèze et dans les Vosges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous relevons donc un double sujet. D'une part, vous cherchez confirmation auprès de votre autorité sanitaire que le seuil de référence est bien celui en vigueur, ce qu'elle confirme. D'autre part, une décision est prise pour seulement deux sites, ce qui soulève des questions d'équité, notamment du point de vue concurrentiel pour les autres industriels du pays qui ne sont pas concernés par cet arrangement. Comment qualifieriez-vous la décision rendue par cette CID, étant donné qu'elle va à l'encontre de l'avis de l'Anses et de celui de la direction générale de la santé ?

Mme Joëlle Carmès. - Je n'ai pas à commenter une décision de Matignon concernant ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Même si elle vous semble illégale au regard de la réglementation que vous venez vous-même de vérifier ?

Mme Joëlle Carmès. - Elle n'était pas illégale, étant donné que le seuil de 0,8 micron n'était pas fixé dans la réglementation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourtant, celle-ci stipule la non-modification du microbisme de l'eau, raison pour laquelle vous avez sollicité l'avis de l'Anses. Cette dernière vous répond que cette conviction est acquise à 0,8 micron. La décision de la CID va donc à l'encontre de son avis et pourrait potentiellement modifier le microbisme de l'eau, ce qui serait non conforme à la réglementation. Ainsi, considérez-vous que la décision prise en CID était conforme à la réglementation sur les eaux minérales naturelles ?

Mme Joëlle Carmès. - J'insiste : je n'ai pas à commenter cette décision. À l'issue de cette CID, nous avons, par l'intermédiaire de mon directeur, sollicité le cabinet pour obtenir des précisions sur l'application de ses dispositions. Le compte-rendu comportait plusieurs points, notamment ce seuil de microfiltration inférieur à 0,8 micron, mais également le travail que devait effectuer le SGAE sur les pratiques dans les autres pays européens.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous obtenu un retour du cabinet à la suite de votre demande de précisions ? Le travail a-t-il été engagé du côté du SGAE, comme prévu ?

Mme Joëlle Carmès. - Le cabinet santé a relancé le SGAE, mandaté pour dresser un état des lieux des pratiques au niveau européen. Il nous a indiqué attendre sa réponse avant de poursuivre le travail sur le seuil de microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et quand la réponse intervient-elle ?

Mme Joëlle Carmès. - Nous avons relancé en mars, puis à nouveau au cours de l'année. Dans le cadre d'une note pour la ministre, nous avons mentionné qu'au début de l'année 2024, nous n'avions toujours pas obtenu de retour. Le cabinet a donc relancé le SGAE une nouvelle fois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette note du SGAE est-elle finalement arrivée ?

Mme Joëlle Carmès. - J'ai quitté mes fonctions il y a dix mois. Je n'en ai pas connaissance, sous cette réserve.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous devez appliquer une norme contraire à votre norme de référence. Pour ce faire, vous devez attendre le SGAE qui ne répond jamais. Comment gérez-vous cette situation ? La DGS semble se trouver dans une impasse. Cette CID la place dans une position dont elle ne peut pas vraiment sortir.

Mme Joëlle Carmès. - Étant donné que l'Anses préconisait une filtration à 0,8 micron, nous affichions une position de maintien de ce seuil. Le seuil inférieur ne concernait que les deux sites mentionnés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'acceptiez-vous ?

Mme Joëlle Carmès. - C'était une décision du cabinet de la Première ministre. Nous l'acceptions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La question de la conformité à la réglementation des décisions du Premier ministre se pose également. Un principe de légalité s'applique ici.

Je vous remercie pour ces précisions, dont nous n'avions absolument pas connaissance. Nous n'avons pas non plus reçu les documents concernant les échanges avec le SGAE, ni la note que vous avez rédigée pour la ministre.

Mme Joëlle Carmès. - Ce sujet a été abordé dans le cadre d'une note adressée au Premier ministre, en janvier 2024. Il y est indiqué qu'à notre connaissance, la démarche n'a pas été menée par le SGAE.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous également nous communiquer les différentes relances ?

Mme Joëlle Carmès. - Oui.

Mme Audrey Linkenheld. - J'ai compris que vous envisagiez de changer la recommandation de seuil à 0,8 micron en réglementation. Je comprends vos bonnes intentions, mais est-il possible que dans d'autres directions ou cabinets ministériels, certains aient vu cette transformation comme une opportunité d'affaiblir le seuil en question ? Cela ne répondrait pas à votre préoccupation, mais pourrait satisfaire les industriels gênés par ce seuil de 0,8 micron, ayant démontré des pratiques contraires à son respect.

Mme Joëlle Carmès. - Ce seuil de 0,8 micron était préconisé par l'Anses, en l'absence d'autres demandes d'industriels. Je n'ai pas connaissance des faits que vous rapportez ou imaginez. À ce stade, il est crucial de tenir des échanges sur les pratiques au niveau européen concernant le seuil décidé. Une fois ce seuil fixé, sous réserve que le microbisme de l'eau ne soit pas modifié, la réflexion pourra être menée sur l'opportunité de l'intégrer à la réglementation.

Nous retenons deux variables dans ce dossier : la directive européenne avec ses critères de transposition, et sa révision potentielle. Si elle est maintenue, les industriels pourraient proposer des systèmes de microfiltration avec des seuils différents, mais sans altérer le microbisme de l'eau. C'est à ce moment-là que la réflexion sur l'intégration du seuil dans la réglementation pourra avoir lieu. Actuellement, certains pays européens souhaitent une révision de la directive. La suite dépendra de cette révision et des travaux des industriels sur les systèmes de microfiltration.

Mme Audrey Linkenheld. - Au regard de ce qui s'est passé ensuite, ne pensez-vous pas que certains de vos interlocuteurs aient déjà eu en tête le fait que cette prescription nouvelle permettrait la mise en place d'un seuil différent de celui que vous aviez imaginé ? Vous n'avez pas mentionné vouloir modifier le seuil en même temps. J'ai compris que l'évolution du seuil venait d'ailleurs, possiblement d'échanges européens ou de demandes diverses.

Vous comptiez transformer la recommandation en prescription, à un seuil de 0,8 micron. Est-il possible que certains de vos interlocuteurs, tout en acquiesçant à cette transformation, eussent déjà en tête un seuil plus bas, sachant que pour diverses raisons, légitimes ou non, il était difficile à respecter pour certains ?

Mme Joëlle Carmès. - Je ne dispose d'aucun élément d'information me permettant de vous répondre.

Mme Audrey Linkenheld. - En 2021, vous avez insisté sur le fait que les mauvaises pratiques des industriels étaient conçues pour être indécelables. À partir de ce constat, votre direction a-t-elle mené des investigations suffisamment étendues pour que tous ces acteurs et tous les territoires soient mieux surveillés ? Ces pratiques n'étaient peut-être pas limitées à ceux qui avaient été identifiés ou qui s'étaient manifestés d'eux-mêmes.

Mme Joëlle Carmès. - Les procédés illicites employant du charbon ou des UV ont été relevés sur les deux sites des Vosges et du Gard. Une fois ces procédés retirés, en 2022 dans les Vosges et à l'été 2023 dans le Gard, nous n'avions plus de problème. Leur retrait a permis d'évaluer la qualité de l'eau avant et après microfiltration.

Mme Audrey Linkenheld. - Vous, comme d'autres plus tôt, avez indiqué que les pratiques étaient indécelables par les autorités de contrôle dans le Gard et dans les Vosges. Quelles mesures votre direction a-t-elle prises pour s'assurer que toutes les précautions avaient été prises pour vérifier l'absence d'autres pratiques indécelables sur d'autres sites, chez le même industriel ou chez d'autres ?

Mme Joëlle Carmès. - L'Igas a été chargée d'une mission d'inspection. Avant son lancement, les directeurs généraux des ARS en ont été informés par un message de mon directeur et lors d'un séminaire. Ils avaient donc tous connaissance de la nécessité de participer à cette mission et surtout d'apporter un soutien à l'Igas dans sa mission de visite sur site.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous que le fonctionnement régulier aurait conduit à adopter la solution préconisée par la direction générale de la santé si la CID n'était pas intervenue ?

Mme Joëlle Carmès. - Éventuellement. C'était une des solutions envisagées, étant entendu qu'il était tout de même nécessaire d'établir un bilan de tout ce qui se passait au niveau européen.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous imaginiez qu'une saisine européenne aurait lieu dans tous les cas, et qu'elle serait l'occasion d'agir via cette technique.

Mme Joëlle Carmès. - J'ai expliqué que dès lors qu'un seuil est intégré dans un texte, celui-ci est notifié. Il s'ensuit un statu quo de trois mois pendant lequel d'autres États membres peuvent émettre des avis circonstanciés, donnant lieu à des échanges sur le contenu. J'ai également mentionné une autre option : relancer la Commission européenne par le biais d'une note des autorités françaises pour réviser la directive de 2009.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui était à l'origine de cette seconde option ? Vous ne l'avez pas présentée comme une des pistes de la DGS.

Mme Joëlle Carmès. - La DGS avait sollicité en 2019 une révision de la directive européenne et de ses critères. Ce sujet était régulièrement abordé, notamment concernant la nécessité d'échanger sur le contenu de ce document avec les autres pays européens, dans le cadre d'une éventuelle révision.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un mail du 27 septembre 2021 adressé à Jérôme Salomon, vous mentionnez que Nestlé a contacté le cabinet Industrie. Vous rapportez que la DGCCRF pourra confirmer que cet acteur traite ses eaux minérales naturelles pétillantes par UV et charbon actif, alors que ce type d'eau ne devrait subir que des traitements limités autorisés. Vous écrivez qu'il ne semble pas y avoir de préoccupation d'ordre sanitaire, car les eaux en question sont exemptes de problèmes de qualité biologique, mais qu'il s'agit bien d'une infraction aux dispositions du code de la santé publique sur l'interdiction de ces traitements et d'un problème de loyauté. Ne voyez-vous pas là un vice de raisonnement, puisque les analyses sur la qualité des eaux étaient faussées par les traitements pratiqués ? À notre connaissance, étant donné cette falsification des résultats microbiologiques par les traitements pratiqués, vous n'aviez en réalité aucun moyen de connaître le véritable risque sanitaire sur les eaux brutes dans ces usines à ce stade.

Mme Joëlle Carmès. - Le bilan de la qualité des eaux conditionnées montre une excellente qualité bactériologique et physico-chimique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, mais avec traitement.

Mme Joëlle Carmès. - Après le retrait des traitements, un contrôle renforcé a été mis en place par les agences régionales de santé. Celles-ci ont pour rôle de vérifier la conformité réglementaire des différents paramètres.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le contrôle renforcé n'intervient que bien plus tard. Nous nous plaçons là en septembre 2021. Le risque sanitaire est tel que des forages sont fermés, ce qui prouve bien l'existence de problèmes dans certains endroits, à minima concernant les eaux brutes. À ce stade, aucun contrôle renforcé n'est réalisé.

D'ailleurs, le contrôle renforcé est différencié : dans le Grand Est, il est clairement effectué, tandis qu'en Occitanie, il est laissé à la charge de l'industriel sous forme d'autocontrôle jusqu'à l'intervention de l'Anses fin 2023. À ce stade, disposiez-vous d'autres éléments vous permettant d'affirmer l'absence de préoccupation sanitaire ?

Mme Joëlle Carmès. - Cette information date du 27 septembre. Elle faisait suite à un échange entre ma cheffe de bureau et ses collègues de la DGCCRF. J'avais également reçu ce message du cabinet santé. Je l'ai retransmis à ma direction, accompagné de la note de la DGCCRF qui mentionnait l'absence manifeste de risque sanitaire. Elle indiquait que des traitements au charbon actif et aux UV étaient utilisés de manière frauduleuse, ce qui n'était pas autorisé pour ce type d'eau, contrairement aux eaux potables. C'est sur la base de cette note et de ces échanges que j'ai rapporté ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'évaluation du risque sanitaire relève de votre responsabilité, pas de celle de la DGCCRF ni des services de l'État qui ont été sensibilisés par Nestlé Waters aux questions qui leur étaient posées. C'est précisément dans ce contexte de retrait potentiel des traitements que vous savez être utilisés pour masquer une qualité d'eau dégradée que se pose la question sanitaire sous-jacente. Vous nous répondez que des traitements étaient opérés, mais ceux-ci avaient justement pour objectif de dissimuler les problèmes de sécurité sanitaire.

Ainsi, la direction générale de la santé semble avoir accepté sans réserve ce qui lui était rapporté par l'industriel, sans se reposer la question en ces termes à ce moment-là. Pouvez-vous confirmer cette impression ?

Mme Joëlle Carmès. - Lorsque ma chef de bureau m'a informé de ses échanges avec ses homologues de la DGCCRF concernant l'utilisation de procédés illicites, nous nous sommes immédiatement interrogés sur la raison de ce fait. Je vous répondais sur la qualité de l'eau dans la bouteille, qui n'a pas posé de problème à cette époque. Bien évidemment, notre première interrogation a porté sur les raisons de ces traitements, la qualité de l'eau, et si cela ne concernait que ces deux sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi ne vous êtes-vous pas tournés vers les ARS pour effectuer un contrôle et comprendre directement ce qui se passait sur place?

Mme Joëlle Carmès. - Dès que j'ai reçu l'information, des échanges entre les cabinets ministériels économie et santé ont eu lieu. Mon directeur a également contacté son homologue, la directrice de la DGCCRF, afin d'organiser une réunion pour discuter des suites à donner à cette affaire. Une enquête administrative en lien avec les ARS a été rapidement mise en place. On m'a demandé de rédiger, avec l'équipe du bureau de l'eau, un projet de saisine de l'inspection générale des affaires sociales en collaboration avec les ARS, le SNE et la DGCCRF.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un courrier du 10 novembre 2022 adressé à Pierre Breton, Jérôme Salomon indique que Nestlé semble exercer une forme de chantage envers l'ARS Grand Est. L'entreprise attendrait un alignement sur ses propositions avant de transmettre la localisation exacte des points de prélèvement d'eau brute en vue de réaliser un contrôle. Ce mail du 10 novembre 2022 précise que l'ARS Grand Est n'a toujours pas eu accès à la véritable eau brute. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces éléments ?

Mme Joëlle Carmès. - Le cabinet nous avait effectivement transmis cette note de l'ARS Grand Est pour la commenter. Un paragraphe y indique que l'ARS n'obtenait pas les points de prélèvement si elle ne donnait pas son accord quant au seuil de microfiltration. Je devrais retrouver les termes exacts.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce message a été adressé en novembre, six mois après la première inspection qui a eu lieu sur le site en Grand Est. Ne pensez-vous pas être confrontée à un problème grave concernant le comportement de l'industriel et à un certain retard dans la mise en oeuvre des moyens publics pour obtenir ces informations ?

Mme Joëlle Carmès. - J'ai besoin d'examiner la situation de plus près.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous ne disposons pas de la note de l'ARS. Pouvez-vous nous la transmettre dans les prochains jours ?

Mme Joëlle Carmès. - Oui.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour cette audition qui aura été enrichissante pour notre commission d'enquête. Je donne rendez-vous à mes collègues le 4 mars, après la semaine de vacances parlementaires, pour l'audition de l'ARS Bretagne.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 30.