Mercredi 12 février 2025

- Présidence de M. Cyril Pellevat, vice-président -

La réunion est ouverte à 13 h 50.

Directive sur les dimensions et poids maximaux des véhicules autorisés en trafic national et international - Examen de la proposition de résolution européenne

M. Cyril Pellevat, président. - Je vous prie de bien vouloir excuser le président Rapin, qui a eu un empêchement.

Nous examinons aujourd'hui une proposition de résolution européenne présentée par nos collègues Pascale Gruny et Jacques Fernique, sur le sujet sensible des camions à tonnage élevé et des « mégacamions ». Ces poids lourds peuvent mesurer 25 mètres de long et peser 60 tonnes, avec deux remorques attachées, alors qu'aujourd'hui, la réglementation française plafonne le poids des camions à 44 tonnes, si l'ensemble considéré comporte plus de quatre essieux.

Le cadre en vigueur est celui de la directive du 25 juillet 1996 fixant, pour certains véhicules routiers circulant dans la Communauté, les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international. La Commission européenne a proposé, en juillet 2023, de la réviser afin de réduire l'empreinte carbone du transport de marchandises. Cet objectif est certes louable, mais l'impact des mesures proposées est loin d'être négligeable et constitue un véritable sujet de préoccupation pour nos collectivités, en particulier dans les zones frontalières. En effet, l'entretien des routes et la sécurité routière sont des enjeux majeurs pour elles. Le sujet mérite donc une analyse circonstanciée, prenant en compte l'ensemble des enjeux liés au transport de marchandises.

Le 12 mars 2024, le Parlement européen a adopté sa position en faveur de la révision de cette directive, par 330 voix pour, 207 voix contre et 74 abstentions. En revanche, les discussions au Conseil sont âpres et n'ont pas permis à ce stade d'aboutir à une orientation générale, pour des motifs que vont nous présenter les rapporteurs Pascale Gruny et Jacques Fernique.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - En effet, cette proposition de directive suscite de nombreux débats et inquiétudes. Ces préoccupations, qui concernent principalement l'impact des mesures proposées par la Commission européenne sur les infrastructures routières, sont partagées par la France, mais aussi par un certain nombre d'autres États membres, au premier rang desquels l'Allemagne et l'Autriche, ce qui explique pourquoi le Conseil n'a pas encore adopté d'orientation générale sur ce texte.

En l'absence de compromis au sein du Conseil des transports réuni en juin dernier, les négociations sur cette proposition de directive sont, pour l'instant, au point mort. La présidence hongroise n'a pas poursuivi les travaux au deuxième semestre 2024 et, bien que le texte soit inscrit au programme de la présidence polonaise, il ne semble pas faire partie de ses priorités. Le Parlement européen a adopté sa position, d'une courte majorité, le 12 mars dernier.

Le 11 juillet 2023, la Commission européenne a ainsi publié une proposition de directive visant à réviser la directive de 1996. Ce texte a été présenté dans le cadre du paquet de verdissement du fret, dont l'objet est de réduire l'empreinte carbone du transport de marchandises en optimisant l'utilisation des infrastructures ferroviaires, en incitant à l'acquisition de poids lourds à émissions nulles et en favorisant le transport intermodal.

Or la route domine très largement le transport de marchandises dans l'Union européenne, avec 77,8 % des tonnes-kilomètres transportées en 2022. Ce chiffre masque cependant d'importantes disparités entre pays européens. Ainsi, la France est l'un des pays où sa part relative est la plus élevée, occupant le haut du tableau avec l'Espagne, le Danemark, le Portugal et l'Italie. La prédominance du transport routier n'a cessé de s'accroître au cours des dernières décennies, principalement au détriment du fret ferroviaire, même si ce dernier s'est maintenu en volume. De fait, le rail représente aujourd'hui environ 17 % du transport de marchandises en Europe, et entre 9 % et 10 % en France. Quant au transport fluvial, sa place est marginale, avec une part modale d'environ 5 %, pour seulement 2 % en France.

Cette prédominance pose d'importants défis environnementaux, alors même que l'Union européenne s'est fixé des objectifs très ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports, ainsi que de transfert vers des modes plus respectueux de l'environnement. Or malgré les efforts des acteurs de la filière, et contrairement à d'autres secteurs, les émissions de CO2 des transports ont continué à croître depuis 1990. Ils sont même devenus le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre dans l'Union européenne, après l'industrie de l'énergie. La route en est le principal contributeur, à plus de 94 %. Pour leur part, les poids lourds produisent plus de 6 % des émissions totales de l'Union, et 7,6 % en France, contre 0,4 % pour le rail, neuf fois moins polluant que la route.

En outre, même si le nombre d'immatriculations de poids lourds électriques devrait nettement progresser dans l'Union européenne au cours des prochaines décennies, leur part dans la flotte restera encore très limitée.

Par conséquent, le report modal est un levier essentiel pour la transition écologique. L'Union européenne a défini des objectifs particulièrement élevés de développement de la part du ferroviaire et du fluvial dans le transport de marchandises. Ainsi, d'ici à 2030, 30 % du fret routier en Europe devrait être transféré vers des modes de transport plus durables, et 50 % à l'horizon 2050, tout en renforçant le transport combiné.

La France, pour sa part, prévoit de doubler la part modale du fret ferroviaire. Selon certains interlocuteurs auditionnés, cet objectif semble extrêmement ambitieux, voire hors d'atteinte, compte tenu de l'état actuel du réseau ferré et des investissements nécessaires à sa modernisation. Il faut toutefois souligner que le transport combiné, qui associe la route et le rail, connaît actuellement une dynamique de croissance, non seulement dans l'Union européenne, mais aussi en France.

La Commission européenne estime que la directive actuelle a eu un impact limité sur la décarbonation du secteur des transports et a fragmenté le marché intérieur en raison des différentes règles nationales qui s'appliquent. Elle propose donc d'harmoniser les règles de circulation transfrontière des poids lourds, tout en incitant à l'utilisation de véhicules utilitaires lourds à émissions nulles.

Le texte présenté vise ainsi à augmenter le bonus de poids pour ces derniers à 4 tonnes forfaitaires au lieu de 2 tonnes actuellement, afin de compenser le poids des batteries électriques, ainsi que la longueur autorisée pour tenir compte des nouvelles technologies liées à l'utilisation de carburants de synthèse et de l'hydrogène. Cette mesure doit favoriser l'adoption de technologies plus respectueuses de l'environnement.

Il tend ensuite à obliger, jusqu'en 2035, les États membres ayant autorisé la circulation de poids lourds de 44 tonnes au niveau national à les accepter également pour les opérations transfrontières. Les autorités françaises sont particulièrement opposées à cette mesure.

Il a également pour objet de simplifier le cadre juridique relatif aux systèmes modulaires européens (SME), couramment appelés mégacamions, poids lourds de très grande capacité qui peuvent mesurer plus de 25 mètres et dépasser 60 tonnes. Leur circulation est actuellement autorisée dans neuf pays européens, notamment dans le nord de l'Europe. La révision de la directive prévoit qu'un État membre autorisant les SME sur son territoire ne peut refuser l'entrée de ceux qui proviennent de pays limitrophes. Ces véhicules devront donc être acceptés dans les mêmes conditions qu'au niveau national, alors qu'actuellement, des accords bilatéraux sont nécessaires pour le franchissement des frontières. Il convient de souligner que le droit d'autoriser ou non la circulation des SME sur son territoire, qui relève des prérogatives de chaque État membre, n'est pas remis en cause.

Enfin, la Commission européenne souhaite uniformiser et simplifier les procédures administratives pour les transports exceptionnels, avec l'instauration d'un guichet unique et la suppression des exigences linguistiques pour les conducteurs de ces convois.

En harmonisant les limites de poids et de dimensions pour les poids lourds autorisés à circuler en trafic national et international, la directive de 1996 visait à protéger les infrastructures et à améliorer la sécurité routière. L'objectif était d'empêcher les États membres de refuser l'entrée ou le transit sur leur territoire de véhicules conformes aux limites européennes, fixées à 40 tonnes et à 18,75 mètres.

La directive permet cependant aux États membres d'autoriser des véhicules plus lourds à circuler pour le trafic national, au-delà des limites fixées pour le trafic international, ce qu'ont fait treize d'entre eux. Depuis 2013, c'est le cas de la France, pour la circulation sur son réseau national des véhicules allant jusqu'à 44 tonnes et équipés de plus de quatre essieux.

La proposition de révision de cette directive va plus loin, puisqu'elle vise principalement à uniformiser les règles de franchissement des frontières pour les poids lourds dépassant les normes européennes pour le trafic international. Il s'agit de permettre à ces véhicules de réaliser des opérations transfrontières, dès lors que les États membres concernés autorisent leur circulation sur leur territoire respectif dans les mêmes conditions. Cette réciprocité concernerait, d'une part, les poids lourds de 44 tonnes et, d'autre part, les SME.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - Les auditions que nous avons menées concernant la révision de cette directive ont mis en lumière plusieurs problématiques et préoccupations majeures, d'autant que nous partageons l'ambition affichée par la Commission européenne de promouvoir la décarbonation du fret et le report modal vers des moyens de transport moins émetteurs de gaz à effet de serre. Ces préoccupations concernent tant l'impact environnemental et le risque de report modal que l'adaptation des infrastructures et la sécurité routière.

Les autorités françaises sont principalement préoccupées par l'évolution concernant la circulation des poids lourds de 44 tonnes en provenance des pays voisins. En effet, les nouvelles règles envisagées pour le trafic international des SME n'auraient pas, pour l'instant, d'effet juridique pour notre pays, étant donné que la France n'autorise pas leur circulation sur son réseau routier national.

La proposition de résolution européenne que nous vous soumettons tend donc à émettre des réserves quant à l'adoption de mesures susceptibles d'affaiblir la maîtrise par les États membres des règles de circulation des véhicules dépassant les normes européennes sur leurs territoires respectifs. Il nous semble en effet, comme l'ont révélé plusieurs auditions, que le texte n'envoie pas les bons signaux en termes de décarbonation du transport de marchandises et de développement du fret non routier.

Bien que la proposition de directive vise à réduire l'empreinte carbone du fret, son impact environnemental réel suscite des interrogations. En effet, les économies de carburant réalisées grâce à l'utilisation de camions de plus grand gabarit, potentiellement moins nombreux, ne sont pas directement proportionnelles à l'augmentation de leur taille, en raison de leur puissance de motorisation accrue. Ainsi, selon différentes études, les gains d'énergie peuvent varier entre 6 % et 28 % par tonne-kilomètre. Nous tenons à rappeler que le véritable gain environnemental à attendre d'une massification réside dans le transport des marchandises par voies fluviale ou ferroviaire, en raison de leur faible intensité carbone.

En outre, en gagnant en compétitivité, le transport routier pourrait renforcer son attractivité au détriment du fret ferroviaire ou fluvial, alors que certains pays, comme la France, ont prévu un important programme d'investissement pour ces modes alternatifs.

Les effets collatéraux, à moyen terme, de la massification du transport routier, en particulier un report modal inversé, ont été soulignés par plusieurs études. Par exemple, une étude allemande, réalisée pour le compte de la Communauté européenne du rail, évalue ce risque à environ 10 % à 30 % du volume, voire jusqu'à 80 % sur certains marchés sensibles, comme celui des conteneurs. Cela se traduirait par une augmentation du nombre de trajets, entraînant un accroissement des émissions de CO2. L'impact sur le fret ferroviaire et le transport combiné pourrait ainsi être significatif en cas de généralisation de la circulation des mégacamions à l'échelle européenne.

Par ailleurs, l'autorisation de franchissement des frontières pour les véhicules thermiques de 44 tonnes se traduirait par la perte de l'avantage actuellement accordé au transport intermodal. Une telle mesure pourrait déstabiliser les marchés et renforcer encore le risque de report modal inversé.

Nous ne pensons pas que l'augmentation de la capacité de charge des poids lourds diminuerait leur nombre sur les routes européennes. Nous sommes, en revanche, préoccupés par les potentiels flux incontrôlés de poids lourds à l'échelle nationale. Ainsi, selon une évaluation réalisée par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), la circulation de véhicules de 44 tonnes en provenance de pays limitrophes provoquerait un doublement du trafic routier dans notre pays. Nous estimons que les dynamiques en faveur du transport combiné ne doivent pas être entravées par des mesures contre-productives, compte tenu des ambitions européennes et françaises en matière de verdissement du fret.

Par ailleurs, il convient également d'assurer la préservation de l'attractivité des ports français, dans un contexte de forte concurrence avec les ports du nord de l'Europe.

Les mesures proposées par la Commission européenne soulèvent en outre des préoccupations concernant des répercussions accrues sur les infrastructures routières et les ouvrages d'art, notamment les ponts et les tunnels. En effet, l'augmentation du trafic routier de poids lourds est un facteur majeur de leur dégradation, en raison d'une pression accrue sur la chaussée. Ainsi, selon le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), les coûts supplémentaires d'entretien qui résulteraient de la circulation des véhicules de 44 tonnes en trafic international sont de l'ordre de 55 millions d'euros par an. Cette mesure aurait, par conséquent, des incidences financières importantes pour l'État et les collectivités territoriales.

En effet, la dégradation des chaussées résulte quasi exclusivement de l'impact du trafic de véhicules lourds, en raison de sa densité, mais aussi du poids exercé par chaque essieu, quand les voitures particulières ont un impact négligeable sur l'usure de la chaussée. Pour reprendre la formule rapportée par les représentants du Cerema lors de leur audition, un poids lourd équivaut à un million de véhicules légers. L'effet du trafic routier sur les ouvrages est en revanche plus difficile à évaluer globalement, car il est spécifique à chacun d'entre eux. Néanmoins, le passage répété de poids lourds les fragilise et les dégrade.

Les enjeux de sécurité routière ne doivent pas non plus être sous-estimés. Certes, aucune étude n'a démontré d'effet direct de la circulation de camions plus lourds et plus volumineux sur l'accidentalité. Toutefois, les accidents impliquant des poids lourds sont généralement plus graves et sont à l'origine de près d'un tiers de la mortalité sur l'autoroute.

En termes de sécurité routière, la suppression des exigences linguistiques pour les conducteurs de convois de transports exceptionnels est un point d'attention des autorités françaises, que nous faisons nôtre. Il est essentiel qu'ils soient en mesure, en cas d'urgence, de donner l'alerte, par exemple lors d'une immobilisation sur un passage à niveau, afin d'utiliser le téléphone à proximité pour demander l'arrêt du train. Nous estimons que cette compétence doit être maintenue, de même que les prérogatives des États membres quant au traitement des procédures administratives concernant les transports exceptionnels sur leur territoire. Elles doivent pouvoir être adaptées à l'organisation de l'exploitation des routes propre à chaque pays.

En conséquence, nous émettons des réserves sur l'opportunité de réviser la directive actuelle dans la mesure où les évolutions proposées par la Commission européenne tendent à limiter les prérogatives des États membres dans la définition des conditions de circulation des poids lourds dépassant les normes européennes en trafic international sur leur territoire. En outre, elle tient insuffisamment compte des spécificités propres à chaque pays en termes d'infrastructures routières et de la nécessité de ne pas dégrader la compétitivité du fret ferroviaire et fluvial. Nous rappelons que la priorité doit être donnée au report vers ces modes de transport plus durables.

En conclusion, la proposition de directive sur les poids et dimensions des camions, telle qu'elle est actuellement formulée, présente des risques importants de dégradation des infrastructures routières et pour la compétitivité du fret non routier, sans apporter de garanties solides quant à la réduction de l'empreinte carbone du transport routier.

Nos observations sont rassemblées dans la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons.

Mme Christine Lavarde. - Je m'associe aux propos des rapporteurs. J'ai l'impression de revenir quinze ans en arrière, m'étant occupée de projets, notamment européens, de ferroutage et d'intermodalité tout au début de ma carrière... Depuis, rien n'a changé sur le développement de l'intermodalité du réseau européen de transports ! Augmenter la taille des camions n'est qu'un pis-aller et une mauvaise solution.

La France est une zone de circulation entre la péninsule ibérique et l'Europe du Nord. Sans intermodalité, nous accueillerons mécaniquement plus de camions si les flux augmentent. Il est dommage de ne pas consacrer l'énergie européenne à créer des autoroutes de la mer ou ferroviaires. Ces dernières sont très limitées : par exemple, celle qui relie le Luxembourg à l'Espagne s'arrête à Perpignan, en raison du format différent des rails français et espagnols. Le tronçon entre la France et l'Italie est, quant à lui, largement insuffisant.

Mme Karine Daniel. - Pour abonder en ce sens, les expérimentations sur les autoroutes de la mer n'ont, malheureusement, pas trouvé leur modèle économique, comme la ligne reliant Saint-Nazaire à la péninsule ibérique, rapidement abandonnée. Il serait souhaitable d'analyser les causes de ce renoncement.

La qualité et la maintenance du réseau routier importent, notamment sur le réseau secondaire, au regard des nouvelles dimensions des engins agricoles pesant sur les routes et les ouvrages d'art. Au-delà des réticences sur l'augmentation de la taille, il faut être proactif sur les alternatives.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Avec Nicole Bonnefoy, au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, nous évoquons toujours l'obligation d'emprunter l'autoroute plutôt que les routes nationales. Comment, en attendant le transport multimodal, obliger les poids lourds les plus massifs à le faire ?

M. Jacques Fernique, rapporteur. - Les stratégies européenne et française sont complémentaires quant au développement du report modal vers le ferroviaire et le fluvial. Or cette proposition de révision de la directive va dans le sens contraire. Certes, il est nécessaire d'adapter le dispositif de transport massifié à l'échelle européenne, comme pour le soufre liquide. Cependant, les mégacamions ne sont certainement pas la réponse ! Le fret ferroviaire est indispensable, et le transport combiné rail-route, qui fonctionne, offre des perspectives intéressantes.

Quant à l'autorisation des camions de 44 tonnes sur le territoire national, n'oublions pas qu'elle devait être la contrepartie de l'écotaxe poids lourds instaurée à la suite du Grenelle de l'environnement, et abandonnée en 2013. En outre, leur trafic pourrait doubler, la proposition de directive permettant leur déferlement en France. Enfin, la limite de poids n'est pas toujours respectée et les contrôles parfois difficiles. L'axe France-Espagne, le couloir rhodanien ou encore la dorsale alsacienne en souffriraient.

Malgré le signal favorable du Parlement européen quant à cette révision, il n'y a pas d'accord entre les États. Cette période de négociation ne doit pas aboutir à un recul et à une libéralisation, qui se ferait au détriment du transport combiné, du ferroviaire et du fluvial.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Nous restons un pays de transit, traversé par de nombreux camions, contrairement aux États du nord. Nos routes et infrastructures ne sont pas adaptées à un accroissement important du trafic, et les collectivités n'auraient pas les moyens d'en assurer l'entretien. Quant aux autoroutes, elles doivent aussi être entretenues.

Quant au transport intermodal, la maintenance du réseau ferré n'est pas au niveau. Ainsi, dans le sud de l'Aisne, j'ai réussi à rétablir une ligne de fret transportant majoritairement les rails de trains à grande vitesse, qui étaient jusqu'alors apportés par la route... Nous marchons sur la tête, d'autant qu'historiquement nous avons plutôt fermé des gares, ce qui pose problème.

Les organisations de transports routiers, que nous avons auditionnées, ont longtemps freiné le mouvement mais c'est moins le cas aujourd'hui. Néanmoins, il faut prendre garde aux mouvements sociaux dans le secteur ferroviaire : derrière chaque chargement de marchandises, une entreprise attend la livraison de son fret.

Par ailleurs, chaque tentative de nouvelle taxation, prérogative nationale, a été retirée.

Enfin, nous n'avons pas entendu parler d'autoroutes de la mer en audition. Rappelons que, en France, nous avons un problème de compétitivité des ports, alors qu'Anvers domine, selon les personnes que nous avons auditionnées. Nous devons faire des progrès en la matière.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - Pour répondre à M. de Nicolaÿ, empêcher la circulation sur les voiries inadaptées est un sujet en soi, qui ne relève pas de cette directive. En Alsace, l'interdiction de certains itinéraires, comme la traversée des Vosges, mais aussi l'axe nord-sud, avec la route nationale 83, montre le besoin d'un contrôle de la réglementation. Une ouverture inconsidérée aux camions de 44 tonnes décuplerait les difficultés.

Mme Christine Lavarde. - En écho aux propos de Karine Daniel, la proposition de résolution européenne pourrait mentionner la compétitivité économique des solutions. En effet, ce sont les ruptures de charge qui freinent l'intermodalité. Ainsi, en France, « l'aide à la pince » vise à les limiter, par exemple pour transférer un conteneur sur une péniche. Si les coûts induits sont mentionnés, une fiscalité comportementale devrait contrebalancer la plus grande compétitivité du camion, qui permet un transport de point à point.

En outre, les coûts de péage freinent le fret ferroviaire. Sans subvention des États, il n'y a pas d'intermodalité.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - Je vous rejoins pleinement. Les externalités négatives des transports routiers doivent être prises en compte, comme le sont ses atouts de souplesse et de rapidité.

Les péages ferroviaires sont plus bas pour le fret que pour le transport de voyageurs. Un report vers le rail et des moyens de transport durables est nécessaire et pourrait se traduire dans la fiscalité.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Attention toutefois : nous ne pouvons taxer les seuls transports internationaux sans taxer nos transports nationaux. Or nous avons perdu de très nombreux pavillons français en vingt ans. N'alourdissons pas excessivement leurs charges. En outre, cela ne fait pas partie du champ de la directive.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - C'est le sujet de la directive Eurovignette révisée, sur laquelle nous n'avons pas travaillé spécifiquement. Je propose donc que nous en restions là.

La commission adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 25.

Jeudi 13 février 2025

- Présidence de Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (DDADUE) - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Chers collègues, comme vous le savez, depuis six ans, notre commission assure une mission de veille pour prévenir les sur-transpositions de textes européens, dans le cadre de l'examen des projets et propositions de loi comportant des mesures de transposition en droit interne de directives ou des mesures d'application de règlements européens. En pratique, il nous revient de formuler des observations en tant que de besoin sur ces textes, afin de vérifier s'ils ne vont pas au-delà de ce qu'impose le droit européen, sans réelle justification.

Cette mission, d'abord mise en oeuvre à titre expérimental, a été consacrée en 2019 à l'article 73 sexies du Règlement du Sénat. La réunion d'aujourd'hui doit permettre de vous présenter nos observations sur deux projets de loi qui contiennent des dispositions de transposition du droit européen : le projet de loi DDADUE et le projet de loi dit « Cyber-Résilience ». Ces deux textes seront examinés en séance à partir du 10 mars.

Je commence par le projet de loi dit DDADUE, qui rassemble diverses adaptations au droit de l'Union européenne dans les domaines suivants : le droit bancaire, monétaire et financier, la commande publique, le droit de la consommation, la transition écologique et le marché de l'électricité, la santé et l'entrée et le séjour des étrangers.

Déposé le 31 octobre dernier, l'examen de ce projet de loi a été reporté à plusieurs reprises depuis décembre dernier. Il devrait finalement être adopté par l'Assemblée nationale le 17 février et il commencera son examen au Sénat le lundi 10 mars. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable en est saisie au fond. Les commissions des finances, des lois, des affaires économiques et des affaires sociales le sont pour avis.

Comme toujours avec les projets de loi DDADUE, il s'agit d'un texte très touffu, sans grande cohérence et comportant des dispositions dans des domaines très variés. C'est pour cela que de nombreuses commissions permanentes sont concernées. Les modifications apportées au droit interne par le projet de loi sont de natures différentes et d'importance inégale.

Le projet de loi procède à la transposition de plusieurs directives européennes ainsi qu'à la mise en cohérence du droit national avec plusieurs règlements européens, publiés récemment. Par ailleurs, il modifie certaines dispositions nationales pour les mettre en conformité avec le droit de l'Union européenne, notamment suite à une mise en demeure de la Commission européenne ou à un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne.

Je voudrais d'ores et déjà faire deux observations générales.

La première porte sur le retard de transposition de plusieurs directives. Parmi les nombreuses dispositions européennes concernées, ce projet de loi DDADUE prévoit la transposition de la directive du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives et de la directive du 20 octobre 2021 sur la carte bleue européenne. Ce sont là des transpositions très tardives ! Les échéances étaient fixées respectivement au 25 décembre 2022 et au 18 novembre 2023.

Ma seconde remarque - qui découle de la première - porte sur les habilitations accordées au Gouvernement pour légiférer par ordonnance. Prétextant l'urgence de transposer et avançant le caractère technique des mesures concernées ou la cohérence du droit national avec la législation secondaire, ces habilitations sont nombreuses dans le projet de loi DDADUE : cinq au total. Pourtant, le recours aux ordonnances est une exception à l'exercice du pouvoir législatif par le Parlement. Je signale d'ailleurs qu'à l'occasion du débat annuel sur le bilan de l'application des lois, je dénonce régulièrement ce recours trop récurrent aux ordonnances dans les textes DDADUE.

Recourir à des ordonnances pour transposer des directives prive le Parlement d'un débat et d'un examen approfondi de dispositions qui ne sont pas seulement techniques. Le retard pris pour la transposition ne saurait entraîner le dessaisissement du Parlement par l'exécutif.

J'en viens aux observations sur le texte lui-même, en commençant par les dispositions d'adaptation en matière économique et financière et en matière de droit de la consommation.

L'essentiel des dispositions en matière économique et financière visent à renforcer la transparence des marchés financiers européens. La liste est longue des mesures concernées. Le projet de loi prévoit notamment : l'interdiction des paiements pour flux d'ordres ; l'encadrement des obligations vertes ; l'encadrement des cryptoactifs ; l'harmonisation des règles bancaires et financières afin d'accélérer le déploiement des virements instantanés gratuits en euros ; la définition d'un cadre pour la gestion des garanties financières sur cryptoactifs ; l'instauration d'un point d'accès unique européen, pour centraliser les informations sur les services financiers.

Le projet de loi DDADUE adapte également les droits français de la consommation et de la commande publique aux évolutions législatives européennes. La disposition principale concerne le développement d'un régime européen d'action collective.

Au titre de la sur-transposition, nous n'avons pas d'observation particulière à signaler. Ne pouvant revenir sur chacune des dispositions, je voudrais simplement m'attarder un instant sur la transposition, tardive, de la directive du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives, dite aussi « Actions de groupe ». La directive du 25 novembre 2020 oblige chaque État membre à instaurer un régime juridique d'action de groupe et prévoit la possibilité de créer une action de groupe transnationale permettant aux consommateurs de chaque État membre de participer à une action de groupe à l'échelle européenne.

La procédure d'action de groupe existe déjà en France depuis l'adoption de la « loi Hamon » du 17 mars 2014. En 2022, une proposition de loi avait été déposée à l'Assemblée nationale pour anticiper la transposition de la directive de 2020 et pour refonder le régime juridique de l'action de groupe, en allant au-delà du texte européen. Le texte aurait dû être examiné en seconde lecture en juillet 2024 à l'Assemblée nationale mais la dissolution en a empêché l'examen. Le projet de loi DDADUE fait le choix d'une simple transposition de la directive et écarte dès lors les propositions qu'avaient formulées l'Assemblée nationale et le Sénat.

J'en viens maintenant aux mesures d'adaptation en matière de transition écologique.

En matière énergétique, est transposée dans le droit national la directive relative à l'efficacité énergétique du 13 septembre 2023, qui vise à réduire la consommation d'énergie. Le projet de loi inscrit ainsi, dans le code de l'environnement et le code de l'énergie, les obligations posées par la directive aux entreprises, aux organismes publics, en particulier des obligations de rénovation des bâtiments publics, et aux centres de données. Lors de son examen à l'Assemblée nationale, une disposition a été modifiée pour éviter d'étendre leur champ d'application à certaines collectivités territoriales, ce qui allait au-delà des exigences posées par la directive.

Le projet de loi transpose aussi deux dispositions de la directive concernant la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables du 18 octobre 2023, dite RED III. Dans le prolongement de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, le texte instaure un référent unique nommé par le préfet maritime pour les projets éoliens en mer situées dans la zone économique exclusive. Par ailleurs, le projet de loi transpose une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, codifiée par la directive, qui exempte les projets d'énergies renouvelables de demander une dérogation au titre des espèces protégées dès lors qu'ils adoptent une approche préventive.

D'autres modifications visent à compléter la transposition de la directive du 5 juin 2019 relative aux règles communes du marché de l'électricité, à la suite d'une mise en demeure de la Commission européenne, en date du 22 septembre 2022, ou constituent des adaptations nécessaires du droit national dans le respect des exigences posées par les textes européens.

Il faut noter, par ailleurs, que plusieurs directives sont encore en attente de transposition. C'est en particulier le cas de la directive sur le fonctionnement du marché de l'électricité dont la date limite de transposition est arrivée à échéance le 17 janvier dernier.

Des adaptations complémentaires pourraient donc être introduites lors de l'examen du texte au Sénat et je le signalerai aux commissions compétentes.

Dans le secteur des transports, la directive concernant le cadre pour le déploiement de systèmes de transport intelligents dans le domaine du transport routier et d'interfaces avec d'autres modes de transport, publiée en novembre 2023, est également transposée. Le projet de loi renforce les obligations de fourniture de données aux services d'information en temps réel sur la circulation routière ainsi que le pouvoir de contrôle de l'Autorité de régulation des transports.

Le projet de loi vise aussi à préciser les modalités d'application de plusieurs règlements, d'un règlement délégué et d'un règlement d'exécution, publiés au cours de ces derniers mois, en particulier dans le domaine des transports, de la transparence des marchés de gros de l'énergie et de la mise en oeuvre du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF).

Ainsi, s'agissant du secteur de l'aviation, le projet de loi adapte les règlements relatifs au déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs et à l'utilisation de carburants d'aviation durables. Il définit les sanctions applicables aux fournisseurs de carburant, aux transporteurs aériens et aux aéroports, en reprenant le montant plancher des amendes prévues par le texte européen.

Je me permets de souligner que l'article 35 du projet de loi inscrit dans le droit français l'objectif de mettre fin à la commercialisation des véhicules à moteur thermique d'ici 2035. Issu d'un règlement, l'inscription de cet objectif dans le droit national n'était pas nécessaire, comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi. Toutefois, il s'agit de substituer la date de 2035 à celle de 2040, précédemment inscrit dans la législation nationale, pour se mettre en conformité avec l'ambition européenne de décarbonation des transports.

Par ailleurs, concernant un sujet de préoccupation majeure pour nos territoires et collectivités, il est proposé de simplifier la transposition de la directive « inondation » de 2007, qui a déjà été transposée par la loi « Grenelle 2 » concernant l'évaluation et la gestion des risques d'inondation. En particulier, le projet de loi prévoit de reprendre la formulation inscrite dans le texte de la directive et, en conséquence, de supprimer l'obligation de mise à jour des évaluations préliminaires, des cartes et des plans de gestion des risques d'inondation, pour les rendre nécessaires uniquement en cas de besoin. Le débat sur cet article est confus. En effet, il a été supprimé en commission à l'Assemblée nationale mais le rapporteur du texte a déposé un amendement pour le rétablir, soulignant que les collectivités territoriales et les élus locaux approuvent cette démarche de simplification de certaines procédures. Au regard des difficultés rencontrées dans plusieurs départements, dont le mien, cette modification mérite une attention particulière. Je ne manquerai pas d'être attentif aux évolutions proposées sur ce sujet de la prévention des risques d'inondation dans le cadre du projet de loi. Il s'agit d'un sujet essentiel pour lequel nous avons déposé une proposition de loi avec notre collègue Jean-Yves Roux, à la suite de la mission d'information conjointe lancée par commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des finances. Cette problématique de la simplification de certaines procédures, voire de l'accélération des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) est un vrai sujet, dont il est question dans l'un des articles de la proposition de loi.

Enfin, plusieurs habilitations à prendre des mesures par voie d'ordonnances sont sollicitées, avec un champ d'application étendu. Une habilitation est ainsi demandée pour finaliser la transposition de la directive relative à l'efficacité énergique ; elle devrait concerner la mise en oeuvre de mesures techniques. Il est également proposé de procéder par voie d'ordonnances pour adapter le droit national à la législation secondaire prévue par le règlement MACF.

En matière de santé, le projet de loi vise à transposer la directive concernant la reconnaissance des qualifications professionnelles des infirmiers responsables de soins généraux disposant d'un diplôme roumain. Il s'agit de permettre aux infirmiers roumains responsables de soins généraux ayant achevé le programme de mise à niveau de bénéficier de la reconnaissance mutuelle automatique de leurs titres.

Le texte permet aussi d'adapter le droit national au nouveau règlement relatif aux obligations d'information en cas d'interruption ou de cessation d'approvisionnement de dispositifs médicaux et de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, en renforçant le rôle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l'ANSM. Ces deux dispositions n'appellent pas d'observation.

Enfin, dans le domaine de la circulation des personnes, le projet de loi assouplit le régime de la « carte bleue européenne » destinée aux travailleurs étrangers hautement qualifiés, en application de la refonte de la directive, publiée en 2021. Cette transposition est conforme aux dispositions de la directive et n'appelle pas de commentaire spécifique.

Nous sommes face à un texte contenant plus d'une quarantaine d'articles, ce qui est considérable. Il concerne effectivement plusieurs commissions. Il faudrait peut-être davantage espacer ces textes car ils sont extrêmement denses et techniques. Il me semble en tout cas important de faire un point régulier sur ces sujets dans notre commission, qui est hautement concernée par ces questions, même si nous n'avons pas d'avis législatif à donner.

M. André Reichardt. - Depuis mon entrée au Sénat, j'ai toujours éprouvé une certaine aversion pour les textes DDADUE, et particulièrement pour celui que nous sommes en train d'examiner. Il incarne, à mes yeux, l'antithèse de ce que devrait être le travail parlementaire. Certes, nous pouvons nous féliciter d'être tenus informés par le président Rapin, mais ces textes, par leur nature disparate et leur technicité, ne peuvent pas être traités uniquement par les commissions permanentes compétentes sur le fond. Ils concernent des domaines extrêmement techniques et soulèvent in fine la question fondamentale de l'utilité du Parlement. Ce texte, en particulier, transpose avec retard certaines directives européennes et renvoie à des ordonnances, restreignant ainsi notre rôle législatif. De plus, il mêle des sujets d'importance variable, avec par exemple la suppression des voitures thermiques d'ici 2035 qui a des conséquences très lourdes, ce qui complique notre travail. Je m'offusque de cette façon de procéder et en fin de compte, je suis soulagé de ne pas avoir à donner un avis sur ce texte.

M. Jacques Fernique. - Il est assez surprenant de constater que nous modifions constamment nos méthodes concernant les projets DDADUE : la dernière fois, une commission spéciale s'était constituée, et désormais, ce sont des commissions permanentes qui l'examinent. Bien qu'il y ait quelques sujets marquants susceptibles d'intéresser le public comme l'arrêt de la vente de véhicules thermiques neufs, il ne s'agit que d'un ajustement technique, jugé non nécessaire par le Conseil d'État, ce qui rend la situation très confuse. Nous pourrons en débattre sur le fond car c'est un sujet intéressant, mais cela n'aura aucun impact substantiel. Concernant la prévention du risque d'inondations, je n'ai pas très bien compris la suppression d'article qui a lieu à l'Assemblée nationale et que le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale souhaite réintroduire.

M. Jean-François Rapin, président. - Un article relatif à la simplification a été supprimé en commission à l'Assemblée nationale, mais il devrait être réintroduit par le rapporteur lors de la séance publique à l'Assemblée nationale.

Mme Sophie Briante Guillemont. - Quel est le délai moyen de transposition d'une directive par le Parlement français et quelle évolution ce délai a-t-il connu sur les dernières années ?

M. Jean-François Rapin, président. - Il semble que la France mette en moyenne un peu plus de quatre mois pour transposer une directive, mais je vais vérifier cela plus en détail. S'agissant de notre rôle en tant que parlementaires, soulevé par André Reichardt, il est assez paradoxal de constater d'un côté qu'à chaque Conférence des présidents, l'ordre du jour de notre assemblée ne fait que se remplir et d'un autre côté, que notre utilité en tant qu'assemblée parlementaire est questionnée.

Mme Audrey Linkenheld. - Serait-il possible de nous transmettre par écrit les éléments d'analyse que vous avez présentés ce matin ? Cela nous serait d'une grande utilité pour les sénateurs concernés dans les commissions permanentes au fond et pour avis.

M. Jean-François Rapin, président. - Bien sûr. Je souligne également que la Commission européenne a de plus en plus recours aux règlements, qui ne nécessitent pas l'intervention des parlements nationaux, contrairement aux directives. Le sujet de notre influence reste tout de même crucial ; d'où la proposition de loi que j'ai déposée, relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes et qui sera examinée prochainement en séance publique.

Projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Ma seconde intervention portera sur le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, dit « Cyber Résilience », déposé sur le Bureau du Sénat le 15 octobre dernier.

Ce texte tend à transposer dans notre droit national trois textes essentiels pour renforcer la résilience de nos infrastructures vitales et notre cybersécurité, face à l'augmentation des risques et menaces (catastrophes naturelles ; cyberattaques...). Ces textes européens, adoptés le 14 décembre 2022, sont la directive sur la résilience des entités critiques (dite « REC »), la directive concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité (ou « NIS2 ») et la directive relative à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier (ou « DORA »). Ils forment un ensemble cohérent visant à renforcer la protection « physique » et « cyber » des secteurs critiques de nos sociétés.

Avant toute chose, je voudrais rappeler que le projet de loi « Cyber Résilience » a eu un parcours chaotique. Il devait être présenté initialement en juin 2024 en conseil des ministres. La dissolution intervenue en juillet a bouleversé ce calendrier. Le texte a finalement été déposé le 15 octobre 2024 sur le Bureau du Sénat. Le Sénat a alors mis en place une commission spéciale pour examiner le texte, présidée par notre collègue Olivier Cadic. Cet examen a ensuite été perturbé par la chute du Gouvernement Barnier en décembre.

L'examen en séance au Sénat interviendra finalement le 11 mars 2025, alors même que les directives REC et NIS 2 devaient être transposées avant le 17 octobre 2024 et la directive DORA avant le 17 janvier 2025...

L'accumulation de ces retards conduit la France, une fois de plus, à ne pas respecter les délais impartis pour la transposition de directives.

J'en viens au contenu des dispositions de transposition et d'adaptation. Sachez que des observations ont été transmises à la commission spéciale dès le mois de décembre dernier. Je veux lever immédiatement le suspense : le projet de loi ne comporte aucune mesure de sur-transposition préoccupante des trois directives mentionnées.

S'agissant du premier texte transposé, à savoir la directive « REC », il faut rappeler que ce texte a été fortement inspiré du droit français, qui est pionnier en matière de protection des infrastructures vitales depuis l'ordonnance n° 58-1371 du 29 décembre 1958. Conformément à la directive, et moyennant une différence de vocabulaire, le projet de loi vise la protection, non seulement des infrastructures et des réseaux d'importance vitale (eau, gaz, électricité, télécommunications...) mais il définit aussi une stratégie nationale fondée sur le recensement de ces infrastructures et réseaux, sur une évaluation des risques, sur la nécessité, pour les « opérateurs d'importance vitale » d'élaborer des mesures de prévention et de résilience et sur la notification de tout incident.

Comme le prévoit la directive, si l'une de ces entités fournit des services essentiels dans au moins six États membres, elle est désignée par la Commission européenne comme une « entité critique d'importance européenne particulière ».

La transposition effectuée par le projet de loi est conforme à la directive sur la résilience des entités critiques, qui est un texte d'harmonisation minimale laissant une large marge d'appréciation aux États membres. Dans deux clauses spécifiques, elle exclut les entités publiques exerçant leurs activités dans les domaines de la sécurité nationale et de la défense de son champ d'application. Ainsi, l'article 22 de la directive confie au législateur national le soin de déterminer le régime de sanction applicable aux opérateurs ayant commis des manquements, ce que prévoit le projet de loi (articles L. 1332-3 à L. 1332-5 modifiés du code de la défense).

Certaines mesures du projet de loi, visant à définir les marchés et contrats de concession relatifs à la sécurité des opérateurs d'importance vitale et à les exclure des règles de droit commun de la commande publique, semblent aller au-delà de la directive. Il s'agit des articles L. 1332-19 à L. 1332-21 que le projet de loi propose d'introduire dans le code de la défense.

Toutefois, ils complètent utilement les dispositions existantes du code de la défense, qui permettent déjà d'écarter l'application du principe de libre accès à la commande publique au nom de la protection des intérêts essentiels de l'État.

L'ajout du projet de loi est en effet important pour sécuriser juridiquement ce statut dérogatoire. La validité de tels dispositifs a, de plus, déjà été reconnue par le Conseil d'État et la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

Les modifications proposées ne soulèvent donc pas de difficulté.

Le deuxième texte examiné, à savoir la directive « NIS2 », remplace la directive NIS transposée en 2018 par la France. C'est un ensemble révisé de règles cherchant à aller plus loin dans la protection et à renforcer le niveau de cyber-résilience dans l'espace européen.

La directive NIS2 s'appuie sur les acquis de la directive précédente : elle impose aux États membres d'adopter une stratégie nationale de cybersécurité ; elle poursuit l'objectif de soutenir et de faciliter la coopération stratégique et l'échange d'informations entre les États membres ; et enfin, elle étend le périmètre d'application des mesures en matière de cybersécurité.

En effet, quatre types d'entités sont désormais concernés : les collectivités territoriales, les administrations, les moyennes entreprises et les grandes entreprises.

Pour ces entités, les secteurs d'activités concernés sont désormais au nombre de 18 : santé, énergie, services postaux et d'expédition, industrie manufacturière, infrastructures des marchés financiers, transport, gestion des déchets, recherche, eau potable, eaux usées, fournisseurs numériques, fabrication production et distribution de produits chimiques, infrastructures numériques, administrations publiques, production transformation et distribution des denrées alimentaires, secteur bancaire, espace, gestion des services, technologies de l'information et de la communication.

La directive NIS 2 introduit un seuil de taille pour définir les entités qui relèvent de son champ d'application et seraient tenues de signaler les incidents de cybersécurité importants aux autorités nationales compétentes. Ainsi, deux types d'entités sont définies : les entités essentielles (EE) et les entités importantes (EI). Cette catégorisation s'établit selon leur degré de criticité, leur taille et leur chiffre d'affaires, s'agissant des entreprises.

Ces entités sont tenues à un partage d'informations ; doivent gérer les risques cyber et mettre en oeuvre des mesures adaptées ; sont tenues de déclarer les incidents de sécurité.

En cas de non-respect des obligations leur incombant, les entités s'exposeront à des sanctions, notamment financières, pouvant atteindre jusqu'à un certain pourcentage du chiffre d'affaires mondial des entités.

S'agissant des dispositions du projet de loi de transposition, sans entrer dans les détails techniques, je vais vous présenter quelques choix opérés par la France. Si je voulais résumer en une phrase les dispositions du deuxième titre du projet de loi, je dirais que le texte ne sur-transpose pas la directive mais qu'il fait le choix d'une transposition extensive lorsque l'option de le faire lui est laissée.

Tout d'abord, la France fait le choix d'une autorité unique pour chapeauter toutes les questions relatives à la cybersécurité, l'Autorité nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI), alors que la directive permettait de désigner « une ou plusieurs » autorités compétentes.

Ensuite, le texte français ajoute à la liste des domaines exclus de la directive (sécurité publique, défense et sécurité nationale, répression pénale) « les missions diplomatiques et consulaires françaises pour leurs réseaux et systèmes d'information ».

Par ailleurs, la directive laisse la latitude aux États membres d'intégrer ou non les collectivités territoriales ainsi que les établissements d'enseignement supérieur dans le périmètre des entités couvertes. La France a fait le choix d'intégrer les collectivités territoriales au-delà d'un seuil de 30 000 habitants ainsi que les établissements d'enseignement dès lors qu'ils mènent des activités de recherche.

Ces quelques aménagements extensifs restent tout à fait dans le cadre permis par la directive. La plupart des autres dispositions du texte la déclinent strictement. Ainsi, les définitions de termes tels que bureau d'enregistrement, office d'enregistrement, prestataire de services de confiance, prestataire de services de confiance qualifié, représentant, service de centre de données ou système d'information, sont directement recopiées en droit national. Il en va de même s'agissant des procédures de contrôle et des sanctions : le texte français suit parfaitement la directive européenne.

Ainsi, les dispositions du titre II du projet de loi de transposition ne semblent pas aller au-delà de ce qu'impose la directive elle-même.

Le troisième texte examiné est la directive « DORA », qui concerne la résilience opérationnelle du secteur financier. La gestion des risques informatiques a été quasiment absente du cadre de mesures mis en place dans la réglementation européenne du secteur financier après la crise financière de 2008. Les États membres ont mis en place leurs propres règlementations nationales, par exemple en matière de tests de résilience opérationnelle numérique ou de pratiques de surveillance. Cette situation a conduit à une fragmentation des obligations auxquelles sont soumises les différents États membres. Cette fragmentation est insatisfaisante compte tenu du degré élevé d'interconnexion des services financiers tout comme de l'importante activité transfrontière des entités financières.

C'est pour remédier à cette fragmentation qu'ont été adoptés en décembre 2022 au niveau européen un règlement DORA sur la résilience opérationnelle numérique du secteur financier, accompagné d'une directive DORA. Le règlement DORA est applicable depuis le 17 janvier 2025 et la directive DORA devait être transposée, également, avant le 17 janvier 2025.

Le projet de loi « Cyber Résilience » comprend plusieurs mesures de transposition de la directive DORA. Il s'agit essentiellement d'une série de dispositions de coordination visant à clarifier les obligations de résilience numérique et à actualiser les références en droit interne des directives. Cette transposition entraîne des modifications de plusieurs codes : le code monétaire et financier, le code de la mutualité, le code des assurances et le code de la sécurité sociale. Ces mesures ne vont pas au-delà de ce qu'imposent la directive.

Je ne formulerai qu'une observation principale. Dans le projet de loi « Cyber Résilience », les sociétés de financement sont soumises aux obligations de DORA, alors même que cela n'est pas prévu par la directive. Cette catégorie de sociétés regroupe notamment les petites entreprises ayant des activités d'affacturage ou de leasing. Ces sociétés peuvent accorder des crédits mais, à la différence des banques et des autres établissements de crédits, elles ne reçoivent pas de dépôts.

Cette inclusion des sociétés de financement dans le projet de loi Cyber Résilience pourrait ainsi apparaître comme une sur-transposition, puisque le texte va au-delà de ce qu'impose la directive. Le Gouvernement justifie cette extension en avançant que la catégorie juridique des sociétés de financement est une spécificité française, raison pour laquelle elles n'avaient pas été mentionnées dans la directive. Par ailleurs, le Gouvernement considère que cette extension aux sociétés de financement est nécessaire afin d'éviter qu'elles ne constituent une porte d'entrée pour les cybermenaces, au détriment du reste du secteur financier. Enfin, un délai supplémentaire est octroyé à ces sociétés pour se mettre en conformité avec DORA, ce qui démontrerait le choix d'une approche proportionnée.

Ces arguments conduisent à considérer qu'il ne s'agit pas d'une sur-transposition préoccupante. Nous avons cependant attiré l'attention de la commission spéciale sur ce sujet et celle-ci l'a bien identifié. Il lui reviendra de juger si cette extension aux sociétés de financement est justifiée et si les délais retenus sont satisfaisants.

M. André Reichardt. - Je suis vice-président de cette commission spéciale, et contrairement à ce que j'ai précédemment indiqué sur le projet de loi DDADUE, je suis convaincu que le Sénat est pleinement en mesure de jouer son rôle dans cette transposition. Chacune des trois directives a donné lieu à des auditions spécifiques, qui ont été ensuite complétées par les auditions des rapporteurs. Il faut s'en féliciter. J'attends avec un grand intérêt et une certaine impatience leur rapport.

Je ne savais pas que la commission des affaires européennes avait transmis une note sur ce projet de loi à la commission spéciale. Il serait judicieux de communiquer cette note à tous les membres de la commission spéciale, et non uniquement aux rapporteurs.

M. Jean-François Rapin, président. - J'y suis favorable. La note a été transmise au président de la commission spéciale, auquel il revient de la diffuser à l'ensemble des membres de cette commission. Je vais la transmettre à l'ensemble des membres de la commission des affaires européennes.

Mme Audrey Linkenheld. - Nous pourrions nous en faire l'écho, au sein de la commission spéciale, en tant que membres de la commission des affaires européennes, notamment pour alerter sur la question de l'inclusion ou non des sociétés de financement dans le projet de loi « Cyber Résilience ».

Questions diverses

M. Jean-François Rapin, président. - Notre prochaine réunion aura lieu la semaine prochaine, le mercredi 19 février à 13h45. Nous examinerons le rapport que je présenterai avec notre collègue Georges Patient sur la proposition de résolution européenne sur l'intégration régionale des régions ultrapériphériques (RUP). Le sujet des outre-mer est capital. Je m'étais exprimé sur cette question lors de la COSAC à Varsovie : ce sont 5 millions d'Européens qui vivent à distance du continent mais qui sont des Européens. Il s'agit aussi d'une question de souveraineté, afin d'assurer une présence européenne sur tous les océans. J'aime reprendre l'expression de l'ancien sénateur Jacques Oudin, qui décrivait les outre-mer comme un porte-avion pour la France, pas au sens belliqueux du terme mais au sens de l'influence. Je considère que les outre-mer sont aussi un porte-avion pour l'Europe. Il faut d'autant plus défendre cette vision qu'elle n'est pas toujours ardemment défendue par les autres États membres.

Le 19 février à 11h, après les réunions des commissions permanentes et avant la réunion de la commission des affaires européennes, le Sénat reçoit une délégation de parlementaires ukrainiens. Je souhaiterais que les vice-présidents de notre commission puissent participer avec moi à cette rencontre. Notre présence est cruciale dans ce contexte si trouble pour la sécurité de l'Ukraine et de l'Europe.

Je rappelle enfin que le Bureau de la commission se réunira mercredi prochain à 8 heure.

M. Dominique de Legge. - Je trouve que la sémantique a son importance et que le terme de régions ultrapériphériques (RUP) n'est pas adapté. Il laisse entendre que nous considérons que ces territoires sont à l'écart de l'Europe. Je ne sais pas si nous avons les moyens ici de faire évoluer cette terminologie, mais un changement d'appellation me paraît nécessaire.

M. Jean-François Rapin. - Je partage ce sentiment. Il s'agit de l'appellation qui figure dans les traités européens. À titre personnel, lors des échanges officiels que je peux avoir, j'essaie toujours de parler plutôt de territoires ultramarins. L'Union européenne a un rôle à jouer dans ces territoires pour participer, notamment, à la reconstruction de Mayotte.

La réunion est close à 10 h 00.