Jeudi 13 février 2025

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

Audition de l'Académie des sciences

Mme Dominique Vérien, Présidente. - Chers collègues, nous sommes réunis ce matin dans la salle Olympe de Gouges, inaugurée en fin d'année dernière pour célébrer les 25 ans de la délégation aux droits des femmes. C'est la première salle au Sénat qui porte le nom d'une femme.

Je suis très fière de lancer, aujourd'hui dans cette salle, nos travaux consacrés à une thématique qui nous est chère, « Femmes et sciences », avec cette table ronde réunissant des membres de l'Académie des sciences. Nous avons nommé sur cette mission quatre rapporteures, selon une logique transpartisane : Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier.

Deux jours après la journée internationale des femmes et des filles de science, qui a lieu tous les ans depuis dix ans maintenant, le 11 février, nous avons souhaité inaugurer nos auditions en entendant les auteurs du rapport de l'Académie des sciences, publié le 18 juin 2024 et très justement intitulé « Science, où sont les femmes ? ».

Les femmes représentent moins d'un tiers des chercheurs scientifiques en France et ce chiffre stagne ces dernières années. Elles sont encore moins nombreuses à occuper des postes à responsabilité au sein des laboratoires de recherche ou des départements R&D des entreprises.

Cette sous-représentation est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée, puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentation et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques.

En 2023, la France ne comptait que 13 % d'étudiantes universitaires diplômées dans les domaines des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques, contre 40 % d'étudiants diplômés.

Nous chercherons, au cours de nos travaux, à répondre à plusieurs questions. Comment amener davantage de filles vers les mathématiques et les sciences dès le plus jeune âge et tout au long de leur scolarité ? Comment encourager les jeunes filles et femmes à poursuivre une carrière scientifique et à prendre des postes à responsabilité ? Comment mieux valoriser des rôles modèles de femmes scientifiques et lutter contre les stéréotypes à tout niveau ?

Pour étayer un peu plus ce constat et réfléchir aux leviers d'action qui pourraient favoriser une plus forte présence des filles et des femmes dans les sciences, je souhaite la bienvenue à Jacqueline Bloch, physicienne, directrice de recherche au CNRS, Hélène Bouchiat, physicienne, directrice de recherche au CNRS et présidente du groupe de travail Femmes des Sciences de l'Académie des Sciences, Patrick Flandrin, physicien, directeur de recherche au CNRS, Juliette Rochet, biologiste, directrice du service des comités d'avis et rapports de l'Académie des Sciences, et Laure Saint-Raymond, mathématicienne et professeure des universités à l'École normale supérieure de Lyon.

Je voudrais également saluer la mémoire de Madame Yvonne Choquet-Bruhat, première femme à entrer à l'Académie des sciences, qui nous a quittés le 11 février, Journée internationale des femmes et des filles de science.

Je laisse la parole à Juliette Rochet pour présenter les grandes lignes méthodologiques du rapport de juin 2024.

Mme Juliette Rochet. - Je tiens à vous remercier pour l'honneur qui nous est fait de vous présenter les travaux de l'Académie des sciences, et en particulier la réflexion de ses membres ayant conduit à la rédaction du rapport « Sciences, où sont les femmes ? » publié en juin dernier.

L'Académie des sciences est une personne morale de droit public, indépendante et pérenne, qui rassemble d'éminentes personnalités scientifiques. Aujourd'hui, elle compte plus de 400 membres, dont une centaine d'associés étrangers. C'est un lieu unique qui réunit des experts de toutes les disciplines des sciences formelles et expérimentales. La majorité de ses séances sont publiques et ses productions sont librement accessibles en ligne.

L'Académie a plusieurs raisons d'être, notamment le soutien à la vie scientifique, la veille sur la qualité de l'enseignement scientifique et les comités thématiques pour s'emparer de questions scientifiques d'actualité et apporter expertise et aide à la décision. Lorsqu'elle s'empare d'un sujet scientifique de société, forte de l'expertise de ses membres, elle mène une étude approfondie et interdisciplinaire en collaboration avec d'autres académies et en auditionnant des experts.

Les rapports produits abordent des sujets variés, tels que la biodiversité, l'énergie, le climat, l'enseignement des sciences, les sciences ouvertes ou la vie scientifique, comme aujourd'hui. Ces documents de référence visent à éclairer la décision politique et à informer les citoyens.

La création d'un groupe de travail sur les femmes en sciences émane du bureau actuel de l'Académie, qui a souhaité indiquer ainsi l'importance qu'elle donne à son implication aux côtés de nombreux organismes pour promouvoir un environnement d'études et de travail garant de l'égalité des chances et de l'inclusion. L'Académie a néanmoins été confrontée à deux défis.

Le premier est la faible représentation des femmes dans ses rangs, qui est l'héritage d'une longue histoire d'invisibilisation des femmes en science. Les femmes académiciennes représentent 17 % des membres, ce qui est le reflet du pourcentage de femmes dans les plus hauts niveaux de la science aujourd'hui. Cet état de fait a conduit l'Académie à mener une analyse sans complaisance ni anachronisme de la place des femmes dans son histoire jusqu'à aujourd'hui, que vous retrouvez dans le rapport. Vous l'avez citée, Madame la Présidente, ce point nous donne l'occasion de rendre hommage à Madame Yvonne Choquet-Bruhat, première femme élue à l'Académie en 1979.

Le travail de ce rapport a donc permis à l'Académie de présenter les actions qu'elle met en place pour tendre vers la parité. Sa dernière élection de membres est un succès : sans avoir eu recours à des quotas, 10 femmes ont été élues parmi les 18 nouveaux membres.

Le deuxième défi auquel l'Académie a dû faire face est l'absence d'expertise en sciences humaines et sociales de ses membres. L'étude de la place des femmes dans la science relève de la sociologie, de l'histoire ou encore de l'économie, qui ne sont pas des disciplines couvertes par l'Académie. Elle a ainsi eu recours à des auditions d'experts incontournables et a appuyé son analyse sur des bases de données extrêmement complètes et précises, mises à disposition par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), le ministère de l'Éducation nationale, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, le CNRS, la Commission européenne ou encore la Fondation L'Oréal.

Ce rapport constitue avant tout un témoignage de l'expérience individuelle et collective des membres de l'Académie de la sous-représentation des femmes dans les carrières scientifiques et de leurs propositions concrètes pour y remédier pour un monde scientifique plus inclusif et mieux à même de faire face aux grands défis de la science de demain.

Mme Dominique Vérien, Présidente. - Précisons également que vous êtes dorénavant présidée par une femme, Françoise Combes.

Mme Laure Saint-Raymond. - Je poursuivrai de manière moins formelle. Bien que je n'aie pas fait partie du groupe de travail Femmes et Sciences, j'ai relu ce rapport. En tant que membre d'un autre groupe de travail, sur l'école, je vous parlerai du décrochage des filles, très tôt dans la scolarité.

Des chiffres publiés par la DEPP en juin et analysés par la chaire Femmes et Sciences de l'Université Paris-Dauphine montrent que le décrochage des filles par rapport aux sciences intervient très tôt dans la scolarité. On arrive même à le localiser, grâce au graphique présenté, qui évalue la différence de performance entre les filles et les garçons pour différentes capacités mathématiques. Chacune est testée à trois moments de la scolarité : au début du CP, au milieu du deuxième trimestre du CP, et au début du CE1.

Il y a quelques capacités où il semblerait que les filles soient plus douées au départ, par exemple pour résoudre des problèmes ou reproduire un assemblage. Les garçons semblent un peu plus doués pour comparer des nombres. Mais en moyenne, on ne trouve pas de différence entre les filles et les garçons au début du CP.

Cependant, au début du CE1, les garçons sont devant sur tous les items mesurés : l'addition, la comparaison des nombres, écrire les nombres entiers, les lire, les placer sur une règle graduée, reproduire un assemblage et résoudre des problèmes. C'est assez étonnant, cela signifie que ce décrochage se produit en quelques mois.

C'est une moyenne nationale. On s'est interrogé pour savoir si l'on pouvait trouver des critères plus précis qui expliqueraient ce décrochage mais nous n'avons pas d'explication précise. Les études restent à mener.

Ce phénomène se produit dans tous les contextes sociaux, tous les contextes territoriaux et tous les contextes familiaux. Les tableaux montrent qu'il n'y a essentiellement pas de différence selon l'indice de position sociale (IPS), la constitution des familles ou les métiers des parents. C'est un phénomène vraiment très général.

À ce stade, on peut seulement avancer des hypothèses sur ce qui justifie ce décrochage. Celle qui est souvent retenue, c'est qu'il y a un grand biais de genre au sein des professeurs des écoles. Il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes et la plupart de ces professeurs des écoles ont une formation scientifique qui est très limitée puisqu'aujourd'hui environ 10 % des professeurs des écoles ont une formation scientifique. Beaucoup n'ont même pas fait de science depuis la classe de seconde ou de première et un certain nombre n'est pas du tout à l'aise avec les notions scientifiques. La première recommandation du rapport est donc de renforcer la formation scientifique des professeurs des écoles tant dans la formation initiale que dans la formation continue.

Ensuite, lorsqu'on examine les bulletins scolaires, on constate des biais importants dans les appréciations. Il y a un vrai enjeu à sensibiliser les enseignants et tous les personnels de l'éducation à l'existence de ces biais. Par exemple, le biais le plus courant est que les filles travaillent bien et sont au maximum de leur potentiel, tandis que les garçons « en ont toujours sous le pied ». Mais il y a aussi le biais lié au stéréotype selon lequel, pour faire des sciences, il vaut mieux être un peu foufou que de travailler sérieusement.

J'ajouterai une troisième hypothèse possible : la question des maths et des sciences comme disciplines de sélection, ainsi que toute la compétition qui s'ensuit. C'est probablement un facteur à explorer.

Mme Jacqueline Bloch. - Je tiens à souligner qu'en tant que fonctionnaire de l'État, dans un autre pays, une telle réunion aujourd'hui ne serait pas possible. Nous serions interdits de nous réunir. C'est donc un enjeu important.

Au cours de nos auditions, nous avons fait parler des sociologues qui ont observé pendant trois ans des classes de lycées de différents milieux sociaux, pour voir comment ces décrochages se perpétuent et s'accentuent encore plus solidement au cours du lycée.

Après la réforme du lycée et la réforme du bac, les lycéens doivent choisir dès la première des spécialités. On voit sur le graphique présenté les différentes spécialités choisies par les filles et les garçons. On constate un très grand pic de choix de mathématiques par les garçons, plus de 50 % contre 30 % pour les filles. Les filles choisissent davantage les humanités, des domaines plus littéraires comme l'histoire et la géographie. Un chiffre très important à retenir : 45 % des filles de terminale n'ont choisi aucun enseignement de spécialité en sciences, contre 28 % des garçons. Cela signifie qu'une grande partie des futurs citoyens, des gens qui vont voter, ont arrêté complètement les mathématiques et toutes les matières scientifiques dès la classe de première.

Cela me semble dramatique pour comprendre le monde actuel, pour comprendre une notion aussi simple qu'une fonction par exemple.

Tout le monde sait que, dans le passé, quand on choisissait une filière, on continuait à faire des mathématiques. Car il n'y a pas qu'une sorte de mathématiques : il y a les mathématiques pour les scientifiques et puis il y a les mathématiques de l'économie, d'autres sortes de mathématiques. Aujourd'hui, on ne propose aux étudiants que les mathématiques, qui sont d'ailleurs plus difficiles, pour faire des sciences.

En terminale, on peut choisir un renforcement en mathématiques qui a une dénomination qui n'est pas sans importance puisqu'elle s'appelle mathématiques expertes. Il y a donc la notion d'expertise, qui sous-tend l'idée que c'est très difficile.

S'agissant ensuite de la poursuite des études supérieures, on voit sur le graphique présenté une comparaison entre différents pays, sur la place des femmes qui seront diplômées dans des domaines scientifiques par rapport au pourcentage de garçons. En France, il y a 40 % de garçons diplômés en sciences contre moins de 15 % de filles. C'est un problème qui est général à tous les pays, et donc, évidemment, aux États-Unis également.

En regardant nos propres filières d'excellence, comme l'École normale supérieure d'Ulm, on voit que 99 élèves sont entrés en 2023, dont seulement 19 filles. 23 toutes matières scientifiques confondues. Aucune fille n'a été admise en maths info cette année.

La répartition à l'intérieur des sciences varie en fonction du type de science, comme le montrent les exemples des classes préparatoires aux concours de l'école Mines-Ponts et de l'école Polytechnique.

On observe une énorme différence entre les prépas qui dispensent un peu de biologie ou de chimie, dans lesquelles le pourcentage de femmes augmente, même s'il reste tout de même inférieur à 40 %.

À l'inverse, plus on choisit la physique et les maths, plus le nombre de filles diminue. Et les chiffres sont extrêmement faibles quand on parle de math info.

L'aboutissement de ces tendances se trouve ensuite dans le graphique qui montre la proportion des femmes enseignantes-chercheuses en France dans les différentes disciplines. On observe un déséquilibre bien installé, avec beaucoup plus de femmes, et presque la parité, en biologie. L'astrophysique, où il y a plus de femmes, est une exception au sein des sciences dures et abstraites.

Une observation importante est que les pourcentages de femmes au sein des professeurs d'université et des maîtres de conférences diminuent énormément dans les disciplines où il y a le plus de femmes. Les carrières des femmes en sciences, une fois entrées dans la recherche scientifique, sont donc différentes entre les filles et les garçons.

Ce décrochage et ces biais de genre en sciences ne font que s'accentuer. Ils se déclarent dès les années d'école élémentaire et s'amplifient au cours du lycée et post-bac.

Les tests montrent que les filles ont moins confiance en elles, même parmi les meilleures, et les garçons, au contraire, se sentent plus sûrs d'eux. Il est probable que les modèles de femmes en sciences proposés, qui sont peu nombreux, soient extrêmement impressionnants. Marie Curie est l'exemple emblématique d'une scientifique ayant reçu deux prix Nobel. Cependant, ce modèle peut être écrasant, surtout pour des jeunes filles qui manquent de confiance en elles. Il est crucial de présenter des scientifiques plus accessibles, notamment dans les classes, pour montrer que l'on n'a pas besoin d'être exceptionnel pour réussir dans les sciences.

D'autre part, le modèle traditionnel de carrière scientifique, très masculin et individualiste, selon lequel il faut être un leader, travailler seul et se consacrer entièrement à la science, peut être dissuasif. Ce modèle convient de moins en moins aux jeunes, même aux garçons d'ailleurs, qui aspirent à s'épanouir davantage dans leur vie personnelle. C'est encore plus vrai pour les femmes, qui souhaitent peut-être avoir des enfants et y consacrer du temps. Il est essentiel de montrer qu'une carrière scientifique est possible sans être un super-héros et qu'on peut s'épanouir dans d'autres aspects de sa vie. Plutôt que de proposer des solutions pendant le congé de maternité comme un contrat de post-doctorante, il faudrait autoriser les femmes scientifiques à prendre de vraies pauses. Une carrière de chercheur se construit sur le long terme. Il faut humaniser les modes de vie des scientifiques et montrer qu'ils sont des personnes normales, brillantes mais humaines.

M. Patrick Flandrin. - Pourquoi on s'intéresse aux sciences ? C'est lié au fait qu'on soit ou non exposé à ce que permet la science. C'est vrai pour tout futur citoyen qui se destine à une carrière scientifique ou non mais dont on espère qu'il réserve une part à la science dans sa culture générale.

On peut distinguer deux volets : d'une part le goût ou l'attraction par rapport à certains domaines et, d'autre part, l'attractivité, c'est-à-dire le fait de vouloir y consacrer sa vie.

Pour le premier aspect, celui de l'attrait ou du goût qu'on peut avoir pour les sciences, on en a tous fait l'expérience, et c'est vrai d'ailleurs dans d'autres domaines, on est souvent tributaire d'un professeur, d'une lecture particulière, d'un film, une série, d'émissions scientifiques qui donnent envie d'aller plus loin.

S'agissant du goût, on pourrait même, au départ, y voir une symétrie entre les filles et les garçons et se poser la question inverse : pourquoi les garçons sont-ils moins intéressés par des carrières littéraires ?

Mais la dissymétrie arrive très vite en ce qui concerne les sciences et on l'a vu, cela commence dès le plus jeune âge. Sans doute parce que les premières confrontations avec l'enseignement scientifique sont assurées par des professeurs des écoles qui sont très souvent des femmes ayant suivi des formations où la science n'était pas prioritaire et qui ne se sentent donc pas légitimes à endosser cet enseignement.

J'ai participé à des jurys des concours des prix de La Main à la pâte, une initiative de l'Académie des sciences visant à renforcer les sciences et la méthode scientifique dès le plus jeune âge. On voyait l'importance de projets pluridisciplinaires au niveau du collège ou du primaire, menés par certains professeurs qui s'intéressaient à ces questions sous différents éclairages. Il y avait des classes où des professeurs menaient des projets formidables avec une composante scientifique adossée à des composantes historiques ou linguistiques. D'autres ne le faisaient pas, non par manque d'envie, mais parce qu'ils se sentaient en position de faiblesse. Ils ne se sentaient pas légitimes à le faire. Il est important d'accroître la formation pour que la science entre dans la culture générale dès le plus jeune âge.

L'enseignement passe aussi par des manuels. Or la représentation des femmes scientifiques dans les manuels peut être caricaturale, insuffisante ou restreinte à des figures emblématiques comme Marie Curie. Il est important de montrer que l'on peut avoir des femmes de science « exceptionnelles », mais il ne faut pas que ces exceptions, qui peuvent être trop impressionnantes, finissent par dissuader.

Cela pose la question des modèles qu'on peut offrir aux élèves, en particulier aux jeunes filles. Il y a tout un travail entrepris pour désinvisibiliser un certain nombre de femmes scientifiques qui ont joué des rôles importants sans forcément être Marie Curie. On l'a vu au cinéma avec Les femmes de l'ombre et toutes les informaticiennes qui ont entouré Alan Turing. Cela montre qu'il y a un rôle très important joué par des femmes scientifiques qui participent d'un effort collectif d'ensemble. La science est souvent une aventure collective dans laquelle une part importante peut être jouée par les femmes, il faut qu'elles en aient conscience et qu'elles puissent effectivement ne pas se censurer pour s'y engager.

Il y a aussi la question du public auquel on s'adresse et une sensibilisation est à mener auprès des jeunes élèves au niveau des collèges. L'Académie mène un travail pour sensibiliser les collégiens sur un certain nombre de problèmes d'intérêt public et nous allons publier un court ouvrage publié avec les éditions Nane intitulé Les femmes (et les filles) dans les sciences, qui sera distribué dans tous les collèges afin de donner un éclairage sur les carrières des femmes scientifiques, tant du point de vue des blocages que des opportunités.

En matière de représentation de femmes scientifiques, il existe un échelon intermédiaire qui, jusqu'à un passé récent faisait défaut, entre les lycéennes et les femmes scientifiques qui ont déjà des carrières très abouties mais restent exceptionnelles. Cet échelon est celui des doctorantes et des postdoctorantes, des jeunes femmes qui sont en train d'entrer dans la science et qui commencent à y faire carrière, avec déjà des résultats. Elles méritent d'être mises en avant. C'est une action que mène l'Académie des sciences en partenariat avec la fondation L'Oréal UNESCO, destinée à mettre en lumière les jeunes talents. Chaque année, 35 jeunes femmes, 20 doctorantes et 15 postdoctorantes, sont reconnues tant pour leur travail que pour les projets qu'elles développent. Elles sont destinées à devenir des ambassadrices de la science auprès des lycées, en général, et en particulier des jeunes filles, puisqu'elles sont « générationnellement » plus proches de grandes soeurs que de professeurs. Leur interaction avec les classes de lycées est beaucoup plus facile, elles représentent donc des modèles plus accessibles.

Mais les prix L'Oréal UNESCO sont destinés aux femmes. Cela pose la question de l'existence de prix réservés aux femmes, comme par exemple, le prix Irène Joliot-Curie mis en place par le ministère de l'Éducation nationale. Il y a matière à discussion. À l'Académie, nous pensons qu'ils peuvent jouer un rôle utile de déclencheur, comme un quota. Mais c'est aussi une façon de visibiliser les femmes scientifiques, en particulier pour les nombreuses qui ne sont pas primées mais dont on a étudié les dossiers et qui pourront recevoir d'autres distinctions, non genrées cette fois.

Enfin, si l'on veut parler de l'appétence pour les sciences et de l'attractivité des métiers scientifiques, il faut reconsidérer le modèle professionnel d'un scientifique qui serait entièrement consacré à son activité professionnelle, sans considération pour sa vie privée et familiale. Dans nos laboratoires, il ne faut pas négliger toutefois que ces considérations liées à la notion de sens du métier sont aussi partagées par les jeunes hommes.

Je voudrais terminer par un point un peu sensible. Le rapport évoque la question du sondage IPSOS qui avait été commandé par la Fondation L'Oréal sur les violences sexuelles et sexistes (VSS). Il ne faut pas se voiler la face, la science dans sa vie de laboratoire est une activité humaine qui connaît les mêmes problèmes que les autres. Il faut le reconnaître mais d'une manière positive, c'est-à-dire qu'il ne faudrait pas que les jeunes filles se détournent des métiers scientifiques en imaginant que ce sont des métiers qui connaissent un niveau de VSS supérieur aux autres, ce qui, je pense, n'est pas le cas.

Mme Hélène BOUCHIAT. - Nous avons donc dressé le constat de la faible présence des femmes dans les parcours scientifiques. On l'a vu, ce constat repose sur des chiffres post-bac, mais il commence bien avant, avec des choix irréversibles opérés en classe de première et qui correspondent à une appétence ou une non-appétence des jeunes filles pour les sciences.

Nous avons également vu l'importance des stéréotypes qui s'installent très tôt mais également le fait que le modèle des grandes écoles, très élitiste, avec beaucoup de pression pendant deux ans, est peut-être inadapté pour former de bons scientifiques et peut conduire à repousser les filles.

Maintenant, je souhaiterais aborder les métiers de scientifiques, puisque ce sont les personnes qui vont elles-mêmes enseigner et construire les nouveaux scientifiques.

Je voudrais revenir un peu sur les statistiques qui nous montrent, de façon générale, le déficit de femmes dans les sciences dures. Nous nous sommes focalisés sur les enseignants et enseignantes chercheurs, pour la bonne raison que la majorité de la recherche scientifique en France est faite par ces enseignants et enseignantes qui consacrent plus de la moitié de leur temps à l'enseignement et l'autre moitié à la recherche. Ce sont deux métiers différents qui se complètent et qui peuvent s'enrichir l'un l'autre mais au départ, c'est compliqué.

Pour ma part, comme la plupart de mes collègues présents autour de cette table, j'ai le privilège de travailler au CNRS, où l'on est chercheur à plein temps. Mais nous sommes une minorité dans le milieu de la recherche en France, de l'ordre de 10 %, pas plus.

On voit effectivement ce grand décalage entre les sciences dures et les sciences biologiques. Sur le graphique qui présente les deux niveaux d'enseignants-chercheurs, à savoir d'abord les maîtres de conférences puis les professeurs, on voit bien que les femmes sont moins nombreuses dans la deuxième catégorie, plus prestigieuse, mais on voit aussi que dans certaines disciplines, le vivier, c'est-à-dire les maîtres de conférences, a même tendance à diminuer avec le temps.

Personnellement, au début de ma carrière, j'ai eu la chance d'être affectée dans un laboratoire où il y avait énormément de femmes, et je pense que cela m'a aidée, même si je n'y ai pas forcément prêté attention au début car je trouvais cela normal.

Au cours du temps, ce nombre a tendance à décroître, en particulier au moment du recrutement des jeunes, et c'est problématique.

S'agissant du recrutement, il peut y avoir des biais, c'est-à-dire qu'on peut avoir tendance à recruter plus facilement un homme qu'une femme. Il y a eu beaucoup de travail réalisé pour éviter de propager ce biais selon lequel on considère que les hommes sont plus brillants que les femmes parce qu'ils seront peut-être plus sûrs d'eux et présenteront leur carrière différemment. Mais finalement qu'est-ce qu'un bon chercheur ? Qu'est-ce qu'un bon scientifique ? En dehors du stéréotype du brillant chercheur dont on glorifie les qualités de leader plutôt que la créativité, qu'est-ce qu'un bon travail de chercheur ? Est-ce savoir mener une équipe, être un bon manager ? Ou est-ce au contraire savoir construire une équipe en regroupant des personnes aux expertises complémentaires, sans nécessairement de leader qui se détache ? Il existe différents modèles.

Le recrutement s'opère de plus en plus tardivement ces derniers temps, notamment dans les matières fragiles comme les sciences dures. Traditionnellement, le recrutement se faisait relativement jeune, par exemple, à mon époque, c'était juste après la thèse. C'était peut-être trop jeune, on peut en discuter. Par la suite, on a considéré qu'il valait mieux juger la personne en fonction de son expérience à l'étranger et de son séjour postdoctoral. On a dit qu'il fallait trois ans, puis, six ans. Cela a dérivé vers une situation où on recrutait de plus en plus tardivement.

Or à 30 ans, il est compliqué d'être maintenu dans un statut précaire. On a envie de fonder une famille, on ne peut pas déménager facilement tous les six mois et cumuler des contrats à durée déterminée, surtout que d'autres professions sont possibles, comme celles dans l'industrie, ou d'autres où l'on utilise ses capacités scientifiques, sans subir cette pression. Donc les femmes disparaissent.

Corrélativement à cela, on voit une diminution du nombre de postes proposés aux jeunes. Et quand le nombre de postes diminue, il semblerait que ce soient les femmes les premières concernées. Le système devient de plus en plus élitiste et ce sont les femmes qui en pâtissent en premier. C'est normal, car les hommes ont des dossiers d'autant plus brillants qu'ils ont diversifié leurs expériences, notamment à l'étranger, et les jurys de recrutement, sans surprise, favorisent ces dossiers. C'est un problème car on risque de sacrifier des générations.

On pourrait remédier à ce problème de recrutement tardif, peu compatible avec une vie de famille, en créant davantage de postes de maîtres de conférences, à un niveau de responsabilité permettant aux jeunes de candidater.

Des règles contre-productives ont été mises en place pour favoriser la visibilité des femmes, par exemple en prévoyant qu'il y ait des femmes dans chaque jury de recrutement ou de thèse. C'est une bonne idée a priori, mais cela représente du travail supplémentaire par rapport au travail de recherche et d'enseignement. De ce fait, les jeunes femmes qui ont la chance d'être recrutées se retrouvent très vite submergées par un enseignement qu'elles doivent monter, un laboratoire de recherche qu'elles doivent aussi faire démarrer, éventuellement une vie de famille. Un constat a été dressé : beaucoup de femmes qui ont eu cette chance inouïe d'avoir un poste s'arrêtent ou tombent malades. Et ce problème du maître de conférences submergé n'est pas forcément mesuré, sachant que nous avons un nombre d'étudiants de plus en plus important, ce qui nécessite un besoin accru dans ce métier.

À côté de cela, si vous regardez les statistiques données par le ministère, le nombre d'enseignants-chercheurs a tendance à diminuer. En parallèle, pour combler ce déficit, on nomme des vacataires. C'est une situation très problématique et, à mon avis, en France, nous n'en parlons pas suffisamment.

Il faut donc bien conclure à un manque d'attractivité lié à un problème de compatibilité entre vie professionnelle et vie de famille. On a vu aussi les problèmes liés à l'âge de recrutement, qui ont favorisé des retards de carrière dont les femmes ont été victimes. Une proposition récente concerne les postes de chaires juniors, postes plus prestigieux que les postes de fonctionnaires, pour favoriser la mobilité des jeunes, mais qui finalement n'ont pas été si compétitifs que ça au niveau international. Ils alimenteraient le déficit des postes plus classiques pour les jeunes.

Il faudrait aussi soutenir les jeunes parents, en offrant des aides au début du retour dans la vie professionnelle. Des universités proposent des décharges d'enseignement, ce qui peut aider pendant un certain temps. D'une manière générale, il faudrait valoriser le travail collectif. Une découverte en science est souvent présentée avec un raccourci en attribuant la découverte à Monsieur ou Madame X, plus souvent Monsieur d'ailleurs. En fait, c'est un travail d'équipe où chacun a contribué avec des compétences complémentaires. Cela n'est pas assez valorisé, il y a beaucoup de progrès à faire là-dessus. Car c'est ce qui fait la beauté du métier : c'est un métier d'équipe, un métier où on avance, on recule.

Je voudrais conclure sur le plafond de verre. On a vu ce problème de recrutement et les difficultés d'évolutions de carrière auxquelles sont confrontées les femmes, d'autant plus lorsqu'elles sont dans des disciplines qui sont les moins défavorisées.

Je vous ai peut-être livré une vision un peu trop liée à la situation des physiciennes, et qui s'applique aussi sans doute aux mathématiciennes. Les biologistes, elles, sont beaucoup plus nombreuses. Pourquoi ? Parce qu'au départ, il y a souvent une majorité de filles dans les études biologiques. Elles souffrent beaucoup moins du déficit mentionné pour les mathématiques et la physique. Mais on constate aussi au fil du temps une perte : les femmes sont de moins en moins nombreuses dans les postes à responsabilité en raison de mauvaises conditions de travail.

Enfin, dans le monde scientifique, on constate aussi que les classes populaires sont moins représentées. Nous avons un problème d'inclusion très général dans les métiers scientifiques. C'est très dommage, car c'est à partir de cette diversité que nous devenons plus créatifs et que nous pourrions faire des découvertes plus importantes.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour cette présentation. Vous avez évoqué la chaire Femmes et Sciences de l'Université Paris-Dauphine. Nous avions organisé l'année dernière une table ronde sur l'intelligence artificielle et les biais de genre. Le Professeur Elyes Jouiny, titulaire de la chaire de Paris-Dauphine, nous avait alors exposé le décrochage dès le CP entre les filles et les garçons. Il s'agit d'un vrai sujet, surtout quand on constate que ce phénomène se produit dans tous les lieux et dans tous les milieux.

Je note un tout petit détail, clin d'oeil à mes collègues, car nous avons publié l'an dernier un rapport sur les familles monoparentales. Et votre rapport montre que le décrochage est un peu moins fort au sein de ces familles. Finalement, quand il n'y a qu'un modèle féminin à la maison, peut-être se projette-t-on davantage.

Je laisse la parole à mes collègues rapporteures.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Je vous remercie pour votre présentation de ce rapport éclairant. J'avais constaté les écarts entre filles et garçons, relayés dans la presse. En tant qu'ancienne professeure de mathématiques au niveau secondaire, cela me touche particulièrement.

Je retrouve des sujets propres à notre situation de femme, tels que le plafond de verre, l'invisibilité, les biais dus aux stéréotypes de genre. Ces problèmes reviennent sans cesse.

J'ai enseigné les mathématiques en terminale A2 qui était à l'époque la terminale « littéraire ». Les études citées sont récentes par rapport aux dernières réformes dans l'éducation nationale. Je suis convaincue que cela commence tôt et qu'il faut s'en occuper tôt. Quand on arrive en terminale, c'est trop tard, le travail doit être réalisé au niveau des classes primaires.

Vous avez insisté sur la nécessité de renforcer la formation initiale en mathématiques et en sciences des professeurs. Je pense que c'est essentiel. Il faut que l'enseignement scientifique soit obligatoire et non pas optionnel. Il y a d'ailleurs une réforme en cours sur la formation des professeurs, la ministre Elisabeth Borne nous l'a confirmé mardi dernier lors de son audition par notre commission de la culture et de l'éducation. Avez-vous exploré les pistes qui pourraient améliorer cette formation des professeurs ? Car on sait qu'un professeur de sciences a un impact sur ses élèves. Les bases sont construites en premier degré et il faut qu'elles soient solides.

Vous formulez des recommandations qui mettent l'accent sur les bonnes pratiques à mettre en oeuvre dans le champ de la recherche publique. Avez-vous aussi réfléchi à la façon dont le champ du privé pouvait être mis à contribution ? Par exemple, à travers des outils comme les critères d'attribution du crédit impôt recherche ou les modalités d'attribution des conventions industrielles de formation par la recherche qui permettent aux entreprises de bénéficier d'une aide financière pour recruter un jeune doctorant.

Vous avez cité, au titre des bonnes pratiques, la politique de quotas mise en oeuvre par le CNRS pour les promotions de directeurs et directrices de recherche. La question des quotas fait toujours débat, en politique aussi et pourtant, s'il n'y avait pas eu de quotas, beaucoup de sénatrices ne seraient pas là aujourd'hui. Ne faudrait-il pas généraliser cette approche ?

Enfin, je voudrais aborder la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui touchent tous les pans de la société, vous avez raison. C'est un état de fait, et il faut lutter contre cela. Vous préconisez la mise en place de référents formés sur ces questions dans chaque laboratoire, externe aux structures dont ils accompagnent les agents. Avez-vous une idée des viviers dans lesquels on pourrait recruter ces référents ?

Mme Laure Saint-Raymond. - Je pourrais répondre à la question des mathématiques au lycée et de la formation des professeurs. Un groupe de travail se penche actuellement sur l'école et la scolarité obligatoire. L'objectif est de faire des propositions de réformes structurelles du système d'éducation, et non pédagogiques. Trois thèmes principaux sont abordés dans cette consultation menée en lien avec de nombreuses institutions : la gouvernance des établissements et leur fonctionnement partenarial, le métier de professeur et les questions de recrutement et de formation et enfin la question de l'inclusion. La formation est donc au coeur du travail de ce groupe.

Je voudrais également dire un mot sur les quotas, qui peuvent sembler de bonnes idées mais qui, en réalité, nous font du tort, en tant que femmes.

En tant que mathématicienne, je fais partie d'une communauté où les femmes sont sous-représentées. Pour améliorer la représentation des femmes, on a mis en place des mesures pour qu'il y ait des femmes dans tous les comités de recrutement.

Cela signifie que nous contribuons à ces comités proportionnellement dix fois plus que nos collègues hommes. Le temps qui nous reste pour faire de la recherche et produire des résultats est donc d'autant plus limité. J'avais déjà exprimé mes inquiétudes à ce sujet en 2012, lorsqu'on m'a remis le prix Irène Joliot-Curie.

Cela me semble être une très mauvaise idée qui perdure... On peut même aller chercher des femmes qui ne sont pas spécifiquement compétentes sur le sujet traité, ce qui renforce le syndrome de l'imposteur. C'est davantage de travail et finalement, on est là juste pour le quota.

Je pense que c'est vraiment à manier avec beaucoup de précaution.

Mme Dominique Vérien, présidente. - En fait, c'est pratique quand on dispose d'un vivier. On peut alors éviter d'être, comme dans certains métiers, à 70 % de femmes, mais à seulement 20 % dans les postes de direction. C'est particulièrement vrai dans le domaine scientifique, où le problème du cours préparatoire est crucial. Tant qu'on ne dispose pas d'un vivier, cela peut créer des difficultés.

M. Patrick Flandrin. - Lors de la dernière campagne d'élection de l'Académie des sciences, 10 femmes ont été élues sur 18. Il s'agissait d'une politique de quotas en amont, pas en aval. Pour être tout à fait transparent, notre politique interne a consisté à ce que sur quatre noms proposés pour un poste, il y ait au moins une femme. C'est un effort d'un an, afin de faire remonter des noms de possibles membres de l'Académie, au sein de toutes les sections.

Ensuite, l'élection donne les résultats qu'elle donne. Mais si nous ne passons pas par cette étape, la probabilité qu'aucun nom de femme ne remonte est la même que pour les grands prix, les conférences internationales, etc. Ce n'est pas forcément de la mauvaise volonté, c'est surtout qu'on a tendance à reproduire ce qu'on a vu ailleurs, y compris les dynamiques un peu discriminantes.

En tout cas la parité au sein des jurys entraîne effectivement une surcharge de travail pour les femmes car s'il n'y a qu'un tiers de femmes dans le vivier et qu'on exige 50 % dans les jurys, il y en aura forcément qui travailleront plus que d'autres.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Merci infiniment, mesdames et messieurs les académiciens. C'est formidable de pouvoir commencer ce rapport en posant ce constat, qui n'est hélas, pas très optimiste. Mais nous allons essayer de trouver quelques leviers.

Le problème des professeurs des écoles est particulièrement préoccupant. Les futurs professeurs des écoles n'auront peut-être plus de maths dans le tronc commun en première et terminale, ce qui les découragera encore plus d'enseigner les mathématiques et les sciences. C'est un cercle vicieux. Il faudra prendre cela en compte lors de nos auditions avec la DGESCO et le ministère de l'éducation nationale, notamment pour les modules de formation de nos futurs professeurs.

Nous sommes allées récemment dans les locaux de l'association « La main à la pâte », ils font un excellent travail, je crois qu'on n'a jamais fait mieux.

En revanche, je déplore que les Fêtes de la science soient devenues un événement fermé, « entre soi ». Il faudrait obliger chaque établissement scolaire à organiser des événements au sein de l'établissement, plutôt que de simplement exposer deux ou trois choses dans les établissements scientifiques traditionnels. Au fond, nous avons raté le coche de cette fête qui aurait dû démocratiser la science.

S'agissant de l'enseignement des mathématiques, on peut en effet se sentir bloqué. À titre personnel, je pense que si j'avais appris les mathématiques avec Cédric Villani, j'en aurais une vision bien différente !

Les stéréotypes et les approches traditionnelles des mathématiques et des sciences sont également un obstacle. Le terme « sciences dures » est déjà en soi dissuasif. Une autre approche, notamment pour les petites filles, serait bénéfique.

Je pense que les modèles trop emblématiques, comme Marie Curie, peuvent en effet être impressionnants. Vous parliez des jeunes talents de la Fondation L'Oréal : il est intéressant de développer ce genre d'initiatives, comme les Cordées de la réussite avec l'École polytechnique, afin de sensibiliser les jeunes lycéennes aux sciences en leur présentant des modèles qui ne sont pas forcément des médaillées d'or.

Vous avez beaucoup parlé de l'accompagnement des familles. Lorsque j'étais rapporteure de la loi de programmation de la recherche (LPR), j'ai été sensibilisée aux problèmes financiers, auxquels sont confrontés les chercheurs qui doivent déménager à l'étranger : on vous donne une petite enveloppe pour vous installer, mais rien de particulier ou pas grand-chose pour vos enfants. Il y a des choses à faire.

Sur les chaires junior, nous avons beaucoup poussé pour les créer dans le cadre de la LPR. Elles étaient notamment destinées à faire revenir des femmes, parties à l'étranger pour des situations plus avantageuses. L'intention était de les faire revenir afin qu'elles mènent leur carrière en France. Je sais que c'est compliqué, cela créait une dichotomie. A priori, le budget de cette année rogne complètement sur cette partie-là.

Je m'intéresse surtout à la carrière doctorante et post-doctorante. Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour améliorer les carrières scientifiques des femmes dans ces filières, tout en leur permettant de concilier vie de famille, vie professionnelle et des carrières très longues qui s'entrechoquent ?

M. Patrick Flandrin. - Je souhaite faire une remarque, sans apporter une réponse complète à votre question. Nous nous intéressons également aux questions liées à l'évaluation, comme les promotions et les recrutements, qui sont souvent basées sur des critères pouvant devenir discriminants. Un autre comité réfléchit actuellement à des questions d'évaluation, en particulier dans le contexte de la science ouverte, et prépare un rapport contenant des recommandations visant à trouver de nouvelles méthodes d'évaluation qui ne privilégient pas uniquement les chercheurs ayant changé de laboratoire tous les six mois ou ayant reçu un grand nombre d'invitations à des conférences. Cela pourrait être un moyen de prendre en compte la diversité des travaux scientifiques de qualité ouvrant droit à des promotions. Réfléchir aux blocages existants dans l'évaluation est sans doute une piste à explorer.

Mme Laure Saint-Raymond. - Je voudrais ajouter quelques éléments sur l'évaluation dans les métiers de la recherche. Aujourd'hui, cette évaluation pose problème, notamment en ce qui concerne les questions de genre. Lorsqu'on remet un prix, on récompense une personne, ce qui peut pénaliser les femmes qui travaillent de manière plus collective. Je pense que cela est préjudiciable au système dans son ensemble, car nous produisons de plus en plus de résultats individuels, mais nous réfléchissons moins à ce qui fait réellement avancer la science de manière collective. Or les femmes travaillent de manière plus collective que les hommes, notamment dans les mathématiques. C'est un aspect important à prendre en compte dans l'évaluation.

Les concours d'entrée dans les grandes écoles sont également concernés par ce biais. Les filles hésitent souvent à répondre si elles ne sont pas sûres de la réponse, ce qui peut les pénaliser. En revanche, les garçons sont moins hésitants à prendre des risques, même s'ils ont des réponses incorrectes.

Je pense que ces comportements sont importants à prendre en compte. Par exemple, les déplacements à l'étranger devraient être symétriques entre les hommes et les femmes. Partir avec sa famille, qu'on soit homme ou femme, ne devrait pas être différent. Cela est lié à des représentations sociales qui ne sont pas spécifiques aux sciences. Personnellement, j'ai vécu cela lorsque j'ai déménagé à l'étranger avec mon mari. On lui a dit qu'il était fou de me suivre, mais on ne pose jamais ces questions-là à un homme qui s'en va.

Ce sont finalement des éléments externes à la communauté de recherche, des représentations sociales, qui ne sont pas spécifiquement liées à la science.

Mme Jacqueline Bloch. - Je voulais revenir sur certaines observations. Les femmes s'autocensurent beaucoup, elles ont besoin d'être parfaites avant de se présenter et presque certaines d'être promues avant de candidater. Cependant, une fois qu'elles candidatent, elles sont promues autant, voire plus, que les hommes. Par exemple, pour la promotion en tant que directeur de recherche au CNRS. Il faut encourager les femmes à postuler, à candidater à des prix, à des contrats de recherche, à prendre des responsabilités.

Je voudrais revenir sur la vulnérabilité à certains moments des carrières scientifiques, en particulier quand on est étudiant en thèse. La relation de binôme exclusif avec son responsable de thèse peut donner lieu à de la maltraitance et à des harcèlements. Des efforts ont été faits, mais cela peut être encore amélioré, par exemple en introduisant des comités de suivi de thèse, composés de personnes extérieures. Cela aide à débloquer des situations, mais cela peut être encore amélioré.

Je voudrais aborder aussi le moment particulier dans les carrières scientifiques que sont les conférences. La Société française de physique a élaboré une charte selon laquelle les conférences ne sont pas soutenues financièrement par la SFP s'il n'y a pas un minimum de femmes invitées. On s'engage à promouvoir la visibilité des femmes scientifiques, en les invitant. Et on encourage les hommes à ne pas accepter une invitation s'il n'y a pas un nombre raisonnable de femmes admises à s'exprimer dans la conférence. Certains collègues le font.

Certaines conférences prennent désormais en compte cette situation en désignant des référents auxquels les participantes peuvent s'adresser si elles se sentent en insécurité. J'ai eu l'occasion d'assister à une telle conférence et j'ai trouvé cette initiative formidable. Il me semble qu'elle devrait se généraliser pour éviter de placer les gens dans des situations délicates, notamment en raison de rôles hiérarchiques qui peuvent les empêcher de dire « laissez-moi tranquille ». Après tout, on va à une conférence pour son travail, pour apprendre et présenter ses travaux, et non pour être importuné.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - C'est un privilège de vous entendre pour inaugurer notre programme d'auditions. Mon propos portera sur trois points : l'orientation et la formation, le déroulement de carrière et la question des quotas.

Beaucoup de choses ont été dites sur cette spirale vicieuse selon laquelle les petites filles osent moins s'orienter vers des études scientifiques, ce qui a pour conséquence moins de scientifiques féminines, moins de chercheuses, et moins de femmes qui s'illustrent dans ces disciplines. Il faut prendre le problème par tous les bouts pour le résoudre.

Vous avez évoqué l'auto-assignation des femmes dans certaines fonctions, que l'on observe dans tous les travaux que mène notre délégation. Cela touche à l'estime de soi, au regard de l'autre, et à la capacité à aller plus loin. Dans les disciplines scientifiques, cette problématique est encore plus forte.

Sur l'orientation, il faut agir le plus tôt possible, dès les classes primaires. Les rôles modèles sont importants pour que les jeunes filles s'orientent vers les carrières scientifiques. Le programme « Science For Girls » a apporté des résultats importants.

La formation lacunaire des professeurs des écoles en matière scientifique est un point à améliorer. Et il me semble que la proposition du Conseil d'analyse économique de faire intervenir des brigades d'enseignantes spécialisées dans les matières scientifiques dès l'école primaire pourrait être intéressante. Ne pourrait-on pas explorer ces deux idées simultanément afin de faciliter une meilleure connaissance et une meilleure orientation des petites filles vers les matières scientifiques ? Pourquoi ne pas maintenir la continuité de ce type d'intervention tout au long de la scolarité, car il y a des étapes dans la vie où l'on peut être davantage réceptif. Cela peut varier en fonction de la maturité, à la fois intellectuelle et personnelle.

Je sais que cela coûte de l'argent, ce qui est un problème.

La question des carrières et des difficultés que rencontrent les femmes au niveau des doctorantes, des post-doctorantes, des chercheuses pour concilier les contraintes liées à ces métiers avec une vie familiale sont importantes. Il est essentiel de donner plus de possibilités à des femmes chercheuses ou des femmes menant une double carrière de s'épanouir et de ne pas abandonner. C'est capital, car les femmes peuvent réaliser un arbitrage en défaveur de leur carrière pour privilégier leur vie de famille, à un moment donné. Des propositions visent à donner davantage de place au congé de paternité pour permettre aux femmes de se donner plus de temps pour leur carrière. Cependant, cela ne fonctionne pas toujours ainsi car le congé n'est pas toujours pris par les hommes. Quel est votre avis sur l'obligation pour les hommes de prendre ces temps pour permettre aux femmes de s'accomplir professionnellement davantage dans vos disciplines ? Y aura-t-il des biais ?

Enfin, sur les quotas, il y a effectivement deux aspects. On se dit parfois que c'est une mauvaise idée, en raison de la politique de discrimination positive. Où placer le curseur ?

Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Je vous remercie beaucoup pour ce rapport dont nous avons pris connaissance avec grande attention. Deux points m'intéressent particulièrement. Vous avez présenté une photographie du phénomène de décrochage par rapport aux différents contextes sociaux et familiaux, mais je n'ai pas vu de différenciation territoriale. En tant qu'élue d'un territoire de grande ruralité, le Grand Est, j'aurais souhaité avoir des données sur les campagnes.

Je travaille sur les questions d'éducation avec l'université de Lorraine. Or on constate que dans les territoires ruraux, le nombre de bacheliers, filles ou garçons, qui poursuivent des études supérieures est très limité, notamment dans les sciences.

Mme Laure Saint-Raymond. - Nous n'avons pas inclus le graphique dans notre rapport, mais il figure dans le rapport de la chaire Femmes et sciences de l'Université Paris-Dauphine et se base sur les chiffres de la DEP.

Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Vous avez présenté un tableau comparatif de notre positionnement par rapport aux autres pays de l'OCDE. On se rend compte qu'il n'y a pas de différence.

Des actions sont-elles menées au niveau européen pour étudier cette question ? La problématique semble identique dans tous les pays de l'OCDE. Un travail commun a-t-il été mené entre les différentes académies et les scientifiques du monde pour traiter cette question du décrochage des filles dans les sciences de manière internationale ?

M. Gilbert Favreau. - Je passerai rapidement sur les stéréotypes familiaux et sociétaux, qui sont difficiles à évacuer.

J'ai eu l'opportunité de parrainer une jeune fille en terminale qui se cherche encore. Elle m'a dit que Parcoursup lui avait suggéré d'aller dans une école où elle avait le plus de chances d'obtenir un droit d'entrée, sans lui suggérer de passer des concours, en dépit de son excellent niveau en mathématiques. Je trouve cela regrettable. Personnellement, je lui aurais suggéré des concours. Cependant, elle est issue d'une famille modeste, d'agriculteurs, et je pense qu'il y aura des réticences dans la famille. Comment voyez-vous ce cas d'espèce que je vous soumets ?

Mme Laure Saint-Raymond. - Je souhaite répondre sur les questions relatives à l'ambition scolaire. Concernant la question en CP, il n'y a pas de différence entre les milieux ruraux et les milieux plus urbains, ni même entre les milieux de REP+. En fait, c'est même plutôt meilleur en REP+, où les filles décrochent le moins.

En revanche, l'ambition scolaire décroche beaucoup en milieu rural et encore plus chez les filles au collège. J'ai discuté avec le préfet de la Haute-Saône il y a peu, et il y a presque 15 points d'écart entre les filles et les garçons à l'issue de la troisième.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Dans notre rapport Femmes et ruralité, nous avons bien mis en évidence le problème de l'ambition scolaire et la différence entre les filles et les garçons en milieu rural.

Mme Laure Saint-Raymond. - Je suis étonnée que Parcoursup, un logiciel, puisse aider à faire de l'orientation sans connaître les individus.

En tout état de cause, les familles encouragent moins les filles, particulièrement dans les milieux plus modestes. C'est une réalité.

Enfin, sur les congés de paternité, je ne suis pas sûre qu'ils soient pris pendant le congé de maternité, ce qui n'a pas tellement libéré les femmes de leurs responsabilités. Quand les enfants sont petits, qu'ils sont malades, c'est une période compliquée, surtout dans un métier comme la recherche, où l'on a besoin de grandes plages de tranquillité. Or à cette période, il faut penser à une multitude d'autres choses, c'est le problème de la charge mentale. Cette charge mentale pourrait très bien être partagée. C'est une question sociétale.

Je voulais juste dire deux choses qui ne sont pas liées aux questions. La première, c'est qu'on a beaucoup parlé des carrières des femmes en sciences, sous l'aspect, est-ce que c'est un droit pour les femmes ? Comment est-ce qu'on y accède ?

L'égalité n'est pas un droit seulement individuel, c'est un droit collectif. Il est crucial que le monde de la recherche soit diversifié, avec des femmes et des personnes issues de formations variées. Ce n'est pas seulement une question d'égalité des droits avec les hommes, mais aussi de nécessité pour le milieu de la recherche. Il faut des femmes, des personnes formées différemment des écoles d'ingénieurs et des classes préparatoires, et des personnes issues de milieux culturels divers.

Pour finir, même si c'est politiquement incorrect, je suis surprise qu'une délégation traitant de l'égalité soit composée essentiellement de femmes ! Il y a bien un homme ce matin, mais cela ne suffit pas pour parler d'égalité hommes-femmes.

Mme Laure Darcos. - Nous essayons de faire venir des hommes, sans relâche.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure - Au Sénat, nous sommes un tiers de femmes, il y a donc beaucoup d'hommes : il faut qu'ils s'impliquent sur ces sujets. Merci en tout cas à ces messieurs d'être avec nous.

Mme Jacqueline Bloch. - La notion de travail d'équipe peut régler beaucoup de choses. Cela peut être plus attirant pour les femmes et permettre d'aider dans les moments où l'on est très occupé avec des petits-enfants ou des enfants malades ou lors d'un congé de maternité. Dans une équipe, les collègues peuvent assurer la continuité, encadrer les étudiants et répartir les tâches de manière plus efficace. Cela peut avoir une incidence sur les retards de carrière éventuels des femmes et sur la meilleure répartition de l'égalité dans l'évolution.

Je voudrais ajouter que le mot « sciences dures » peut être considéré comme source de confusion. En effet, « dur » est le contraire de « facile », alors qu'en réalité on parle de « sciences dures », en opposition à « sciences molles », lesquelles sont tout aussi exigeantes en termes de difficulté. Peut-être devrions-nous reconsidérer ce mot pour éviter les malentendus !

Mme Hélène Bouchiat. - Je voulais parler un peu de l'Europe, car nous sommes de plus en plus dans une dynamique très forte de coopération scientifique européenne et je pense que cela va encore se développer.

Je trouve intéressant de faire des comparaisons, en particulier par rapport aux pays nordiques, qui sont très en avance en matière d'inclusion, notamment au niveau de la politique et du travail des femmes. Cependant, ils ont un gros problème de recrutement de femmes dans les sciences exactes, physiques et mathématiques. Cela les ennuie parce qu'ils ont une culture plus avancée que nous, notamment sur les congés de paternité. Il est commun de voir des hommes prendre un an pour s'occuper de leurs enfants, ce qui ne les empêche pas d'avoir des contrats européens et une reconnaissance internationale.

Cependant, au niveau du recrutement, c'est une catastrophe. Ils ont une fiche de poste qui définit clairement les attentes, ce qui ne se fait plus trop au niveau académique chez nous. Il paraît que les hommes ne les lisent pas, ce n'est pas important pour eux, mais que les femmes les lisent et se disent : « Non, je ne pourrais pas faire ça, ce n'est pas possible. » L'autocensure opère déjà à ce niveau-là.

Ils ont aussi constaté que la manière dont se constituent les groupes de recherche est problématique. On accède à un poste très tardivement, avant cela il n'y a pas de postes vraiment permanents. Ils ont introduit des postes de tenure tracks, qui ne sont pas tout à fait des postes permanents, mais qui sont déjà un petit progrès et cela leur a permis de recruter davantage de femmes, de différents horizons. Cela se traduit par une diversité intéressante, avec des Espagnols travaillant en Finlande, par exemple.

Cependant, il subsiste un élément spécifique aux carrières scientifiques, où les postes sont très compétitifs. L'idée est que les personnes ayant eu une carrière longue et précaire sont plus aptes à occuper ces postes. Cela permet d'évaluer leur ténacité, car elles ont réussi à persévérer malgré les difficultés. Ce critère de sélection est devenu problématique, même dans les pays très inclusifs.

Le cas de l'Allemagne est intéressant, car le pays est parti d'une situation où les femmes étaient cantonnées au foyer. Le concept de la « mère corbeau » qui délaisse ses enfants pour sa carrière a évolué, et les universités commencent à prendre en compte la diversité comme un critère important. Elles présentent des projets favorisant la diversité, comme la création de crèches à l'intérieur des universités. Cela évolue doucement. La raison de ce changement est peut-être liée au modèle traditionnel de recherche pyramidal, avec au sommet « Herr Professor » mais dans lequel certaines femmes s'adaptent parfaitement. Est-ce le bon modèle ? Il faut se poser la question, car cela concerne à la fois les femmes et les hommes.

Le Portugal offre un exemple intéressant, avec une quasi-parité dans les études scientifiques à l'université. Il faudra attendre pour voir comment cela évoluera, mais cela montre une diversité intéressante au niveau européen.

L'étude d'Elyès Jouini, réalisée pour l'Université de Paris- Dauphine souligne que la parité en sciences est de moins en moins bonne dans les pays les plus riches.

Mme Laure Saint-Raymond. - J'ai peur qu'il y ait un autre critère : il y a plus de femmes dans le milieu universitaire dans les pays où les métiers universitaires sont les moins reconnus socialement.

Mme Hélène Bouchiat. - Et où les salaires sont les plus bas !

Mme Juliette Rochet. - Vous avez également cité un projet de brigade d'enseignants spécifiques pour l'enseignement scientifique. Je n'étais pas au courant de cette proposition, mais elle semble intéressante. Il faudrait explorer ce dispositif pour compléter le manque de formation scientifique des enseignants du primaire, à condition qu'il ne soit pas réservé aux hommes.

M. Patrick Flandrin. - Je voulais souligner la question de temporalité et de pragmatisme. Tous les efforts pour améliorer la formation porteront leurs fruits dans un certain nombre d'années. Cela n'empêche pas qu'il y ait des mesures, comme les quotas, qui sont peut-être des points de passage obligés pour aider à une prise de conscience.

Dans un monde idéal, il faudrait qu'il n'y ait plus de prix Irène Joliot-Curie, plus de prix spécifiques ou de reconnaissance parce que la question ne se poserait plus. Mais nous n'en sommes pas là. Entre-temps, si cela peut aider à lancer les dispositifs, c'est certainement une bonne chose.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Sur la notion de quota, il y a un moment où le quota est nécessaire, à condition d'avoir le vivier.

Je suis intervenue chez Syntec, le syndicat des bureaux d'études, qui a l'obligation légale d'avoir 40 % de femmes dans les comités exécutifs. Le président de Syntec m'a dit qu'il cherchait des « directeurs » femmes. Je lui ai suggéré de chercher des directrices ! Si l'on n'a pas à l'esprit qu'on cherche des femmes, on a plus de mal à les trouver.

Lorsqu'une entreprise est obligée d'avoir des femmes, elle doit regarder dans son vivier. Parfois, on en a, comme au ministère de la Santé qui a 73 % de femmes, mais n'arrive pas à trouver suffisamment pour atteindre 40 % de postes de direction ! C'est un problème culturel, les femmes ne se proposent pas spontanément, de façon naturelle.

C'est pourquoi il faut faire ce travail, avoir ces rôles modèles. Il faut oser s'affirmer et montrer que nous sommes capables ! La diversité et la parité sont importants pour qu'on construise ensemble quelque chose qui convienne à tous : on ne peut pas laisser de côté 50 % de la population.

Nous allons réauditionner l'Université de Paris Dauphine, car il faut travailler sur ce qui se passe au moment du cours préparatoire. Je suis sûre que ce travail que nous inaugurons aujourd'hui sera absolument passionnant.