Jeudi 13 février 2025
- Présidence de M. Bernard Delcros, président -
Examen du rapport d'information relatif au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes
M. Bernard Delcros, président. - Mes chers collègues, notre délégation va poursuivre en 2025 son action en matière de simplification des normes pesant sur les collectivités territoriales.
Je rappelle que notre délégation a reçu du Bureau du Sénat, en 2014, une compétence spécifique concernant cette mission de simplification qui se concrétise avec notre premier vice-président délégué à la simplification, Rémy Pointereau.
Les élus nous le disent, sondage après sondage : la simplification des normes demeure nettement en tête de leurs priorités. En effet, l'inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde, voire en empêche la réalisation. Elle augmente également le coût des projets.
Nous savons que ce n'est pas un sujet simple. Seule une forte volonté politique permettra de progresser dans ce domaine et d'obtenir des résultats concrets.
C'est pourquoi, à la suite du rapport sur l'addiction aux normes, signé par nos collègues Françoise Gatel et Rémy Pointereau, en janvier 2023, la délégation a organisé, les États généraux de la simplification, clôturés par la signature inédite, par le Sénat et le Gouvernement, d'engagements communs pour la simplification des normes applicables aux collectivités locales.
Puis la délégation a accueilli au Sénat, le 4 avril 2024, les « Rendez-vous de la simplification », en présence notamment du Président du Sénat, du Premier ministre, du Conseil d'État, de la secrétaire générale du Gouvernement et du président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN).
Cette impulsion commence heureusement à produire des premiers résultats concrets et je veux en citer quelques-uns :
- le CNEN est nettement moins saisi en urgence par le Gouvernement ;
- les liens entre le Sénat et le CNEN ont été renforcés, ce qui permet d'améliorer la fabrique de la loi. Ainsi, notre assemblée a créé une fonction de veille et d'alerte au service des commissions permanentes (CASSIOPÉE) et nous insérons désormais l'avis du CNEN dans le dossier législatif du Sénat.
Pour accélérer cette démarche, nous avons engagé de nouveaux travaux :
- nous avons tout d'abord lancé, à l'occasion du Congrès des maires, une consultation, afin de recueillir l'avis des élus locaux sur des propositions concrètes de simplification. Le 30 janvier, notre collègue Rémy Pointereau a présenté les principaux résultats de cette consultation, dans le cadre de notre « réunion de sensibilisation au poids des normes » ;
- nous avons également réalisé notre première étude d'options. Elle permet, je le rappelle, de comparer les mérites de l'intervention d'un texte avec les autres solutions possibles, y compris le maintien du droit en vigueur. Nous avons choisi d'appliquer cette nouvelle méthode à un objet important : la santé scolaire et son éventuel transfert aux départements. Le rapport, signé par notre collègue Hervé Reynaud, vient d'être publié ; il sera prochainement remis aux ministres concernés ;
- nous avons engagé à l'automne une mission flash sur le pouvoir préfectoral de dérogation. Le rapport de nos collègues Rémy Pointereau et Guylène Pantel va nous être présenté dans quelques minutes. Combien de fois, notamment sur des questions d'urbanisme, me suis-je dit que si le préfet pouvait déroger un peu aux normes, cela permettrait de régler un certain nombre de situations sans remettre en cause les grands principes auxquels nous sommes attachés ?
- enfin, la délégation s'apprête à lancer une mission sur les surcoûts de construction liés aux normes pour les collectivités territoriales.
Le 3 avril prochain, les « Assises de la simplification » se tiendront au Sénat en présence du Président du Sénat, et nous l'espérons, du Premier ministre. Tout ce travail doit aboutir à des résultats concrets. Nous ne devons rien nous interdire. L'ensemble des travaux sur ces questions de simplification des normes nécessitera sans doute de trouver une traduction législative que pourrait porter notre délégation. Je sais aussi que c'est la volonté de nos deux rapporteurs Rémy Pointereau et Guylène Pantel.
Lors de mon déplacement en Lozère la semaine dernière, j'ai pu constater que les élus comptaient beaucoup sur le Sénat et sur notre délégation pour renforcer leur « pouvoir d'agir ». Nous devons impérativement nous donner les moyens de répondre à cette attente et d'être au rendez-vous de la simplification, sinon nous ferons beaucoup de déçus parmi les élus locaux qui attendent beaucoup de nous. Je vais à présent céder la parole aux rapporteurs pour qu'ils nous présentent leurs recommandations sur le pouvoir préfectoral de dérogation.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Cela fait 11 ans que nous nous occupons de la simplification des normes au Sénat. Nous avions pris un temps d'avance. On a toujours tort d'avoir raison trop tôt. La simplification des normes est devenue le sujet du jour.
Mme von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a souhaité simplifier toutes les normes européennes. La simplification des normes et leur adaptation aux spécificités territoriales sont des objectifs constants de notre délégation. Cette dernière a ainsi adopté, en mai 2024, un rapport signé par nos collègues Françoise Gatel et Max Brisson intitulé « Différenciation : la diversité des territoires dans l'unité de la République ». Quand on parle de simplification, il faut aussi appeler à la différenciation entre les territoires.
Cette même logique d'adaptation aux circonstances locales justifie l'intérêt de la délégation pour le pouvoir préfectoral de dérogation aux normes. Elle a ainsi consacré d'importants travaux à ce dispositif, prévu alors à titre expérimental par le décret du 29 décembre 2017. Son rapport, publié en juin 2019, a donné lieu au dépôt d'une résolution, adoptée par notre assemblée fin 2019.
Tenant compte de cet avis, le Gouvernement a généralisé l'outil en 2020. Toutefois, ce dernier n'a pas produit les résultats escomptés, de sorte que notre délégation a souhaité lancer, en octobre 2024, une mission flash pour étudier les voies et moyens susceptibles de le développer. J'ai eu le plaisir de conduire cette mission avec ma collègue Guylène Pantel, Sénatrice de Lozère.
Notre mission s'est inscrite dans un contexte doublement favorable :
- d'abord les élus nous demandent d'aller de l'avant sur ce sujet afin de débloquer des projets locaux et de faciliter l'action publique des collectivités. Nous avons pu le constater lors de nos deux déplacements, dans le Cher et en Lozère ;
- ensuite, comme vous le savez, le Gouvernement de Michel Barnier a, dès son installation, adopté, en octobre dernier, une circulaire visant à encourager le recours au droit de dérogation, dans le droit-fil des recommandations de notre délégation.
Afin d'écrire notre rapport à « l'encre du terrain », notre mission a procédé à de nombreuses consultations, à la fois des élus locaux et des services préfectoraux.
S'agissant des élus, la délégation a souhaité, à l'occasion du Congrès des maires en novembre 2024, lancer une consultation afin de recueillir leurs attentes sur les normes, en particulier sur le droit de dérogation dévolu au préfet. Plus de 2 600 élus ont répondu au questionnaire, ce qui confirme, une nouvelle fois, l'intérêt qu'ils portent à ce sujet ainsi que la confiance qu'ils placent dans notre délégation. Cette confiance nous oblige à agir, comme je l'ai rappelé lors de la présentation des résultats de cette consultation, le 30 janvier.
Concernant les services préfectoraux, les échanges ont été nombreux et nourris : nous avons ainsi recueilli, sous forme d'auditions au Sénat, de réunions en préfecture ou de contributions écrites, l'avis d'une dizaine de préfets. Cette mission s'est ainsi inscrite ainsi dans le cadre du « contrôle de proximité » que le Sénat entend développer afin d'apprécier, au plus près du terrain, l'exercice par les préfets de leurs prérogatives au service des territoires.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Le pouvoir dérogatoire du préfet est relativement récent. Il a été créé par le décret du 8 avril 2020, après une phase expérimentale.
Il est important de bien comprendre ce que recouvre ce droit de dérogation car nous avons constaté lors de nos nombreuses auditions que cet outil est souvent mal compris.
D'abord, un préfet ne peut déroger qu'à des normes réglementaires, tels que des décrets du Premier ministre ou des arrêtés ministériels. Sauf exception prévue par la loi elle-même (nous y reviendrons), un préfet ne peut pas déroger à une disposition de nature législative.
Ensuite, un préfet ne peut déroger qu'à des normes qui relèvent de sa compétence. Ainsi, un préfet ne peut pas déroger à une règle d'urbanisme qui relève de la compétence du maire.
Le Premier ministre a fait le choix en 2020 d'identifier précisément les matières dans le champ desquelles cette dérogation est possible, les objectifs auxquels celle-ci doit répondre et les conditions auxquelles elle est soumise.
Tout d'abord, le décret énumère les sept matières dans le cadre desquelles le préfet peut faire usage de cette faculté.
Par ailleurs, le texte fixe quatre conditions cumulatives pour mettre en oeuvre une dérogation. La dérogation doit ainsi :
- être justifiée par un motif d'intérêt général et par l'existence de circonstances locales ;
- être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
- ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé ;
- avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques.
Le pouvoir dérogatoire est donc, en l'état actuel des choses, très encadré ! Certains ont parlé de parcours d'obstacle. Au total, dix critères doivent être remplis pour recourir au droit de dérogation.
Ce cadre juridique très contraignant explique, dans une très large mesure, le faible recours à cet outil. On compte en moyenne, depuis 2020, 1,5 arrêté de dérogation par département et par an. La carte de France est projetée sur les écrans.
Si le bilan quantitatif est modeste, il permet toutefois de dégager des tendances intéressantes.
Première tendance : les collectivités territoriales et leurs groupements sont les principaux bénéficiaires des dérogations, avec 90 % du total. Les entreprises et les particuliers sont donc très peu concernés par ce pouvoir de dérogation.
Deuxième tendance : Les deux tiers des arrêtés départementaux portent sur des questions de subventions, notamment la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).
Pourquoi autant d'arrêtés dans le domaine des subventions ? Parce que c'est l'un des domaines où le pouvoir réglementaire est le moins encadré par le pouvoir législatif. Il est donc plus facile de déroger aux normes réglementaires.
La faiblesse du recours au pouvoir de dérogation dans le domaine de l'environnement résulte du caractère législatif des dispositions auxquelles il est souhaité déroger, directement ou indirectement. Or, je rappelle ce point fondamental : le préfet ne peut pas, en vertu du décret de 2020, déroger à des normes de nature législative.
Avant de vous présenter nos recommandations, je voudrais vous donner des illustrations concrètes de l'intérêt de cet outil pour nos collectivités.
D'abord, comme l'a souligné notre Président, le droit de dérogation concerne souvent les modalités de versement de la dotation d'équipements des territoires ruraux. Nous citons ainsi le cas d'un arrêté pris le 23 octobre 2020 par le préfet de la région Centre-Val de Loire, qui déroge à un article du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoyant qu'en matière de DETR le taux de subvention figurant dans l'arrêté attributif initial ne peut pas être modifié ultérieurement par le préfet. En dérogeant à cette disposition, le préfet a augmenté le taux initial de subvention, dans le but de renforcer l'aide financière de l'État dans le cadre de la politique de revitalisation des quartiers autour de la gare de Blois. Le sujet peut paraître technique mais les enjeux sont très importants pour les communes concernées !
Autre exemple cité dans notre rapport : il
concerne une dérogation à un article du code de l'action sociale
et des familles qui prévoit que dans une structure de loisirs,
le
nombre d'animateurs non qualifiés ne doit pas être
supérieur à 20 % des effectifs. Par
arrêté du 7 mai 2024, la préfète du
département du Lot a dérogé à ce plafond, à
la demande d'un maire qui souhaitait relever ce quota de 20 %.
L'arrêté est justifié par le fait que « la
collectivité dispose d'une solide expérience en matière
d'organisation d'accueils de mineurs ».
Ces deux exemples illustrent concrètement combien le pouvoir de dérogation, s'il est utilisé à bon escient, peut favoriser la réalisation des projets locaux et le développement de nos territoires.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - J'en viens à nos dix recommandations.
Tout d'abord, nous souhaitons donner au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes un fondement constitutionnel, comme le proposait déjà le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation en 2023. C'est pourquoi l'article 5 de la proposition de loi constitutionnelle déposée en mars 2024 suggère de compléter l'article 72 de la Constitution en prévoyant que le représentant de l'État dans le département serait ainsi chargé non seulement du respect des lois, mais également de leur application. Tel est l'objet de notre première recommandation.
Deuxième recommandation : actuellement et comme cela a été dit, le droit de dérogation préfectorale est limité à sept matières énumérées par le décret de 2020.
Il est proposé de supprimer cette liste limitative pour fixer un principe général de possibilité de dérogation du préfet, pour les décisions relevant de sa compétence. Cette suppression permettra ainsi d'étendre le droit de dérogation à de nouveaux domaines, notamment aux transports.
Nous insistons sur le fait que nous proposons de maintenir deux critères essentiels qui garantissent la sécurité juridique du droit de dérogation :
- ne pas compromettre les intérêts de la défense ou la sécurité des personnes et des biens ;
- ne pas porter une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.
Ce sont deux garde-fous essentiels qu'il faut maintenir. Sous cette réserve, il nous paraît plus simple de supprimer la liste des sept matières, comme l'ont souhaité de nombreuses personnes auditionnées.
Troisième recommandation : l'article 72 de la Constitution fait du préfet le « patron » des services déconcentrés. Toutefois, des pans très importants de l'action de l'État lui échappent, tels que la santé, les finances publiques ou encore l'action éducative. Le rôle du préfet est aussi limité par la multiplication, dans les territoires, des agences et opérateurs. Ce phénomène a d'ailleurs été souligné dans le rapport « À la recherche de l'État dans les territoires », signé par nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, en septembre 2022.
Afin de remédier à cette double limitation, ce rapport recommandait :
- d'une part, de consolider l'autorité du préfet sur l'ensemble des services déconcentrés de l'État ;
- d'autre part, de nommer le préfet comme délégué territorial de toutes les agences de l'État, sur le modèle de ce qui a été prévu pour l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Nous réaffirmons la pertinence de ces propositions qui peuvent conduire à renforcer le pouvoir de dérogation aux normes, aujourd'hui limité aux domaines relevant de la seule compétence du préfet.
Je signale, vous l'avez sans doute lu dans la presse, qu'un décret en préparation va dans ce sens, avec deux avancées majeures :
- le préfet serait désormais chargé d'évaluer tous les chefs de service et directeurs d'agence dans son département, ce qui inclut par exemple le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) et le directeur académique des services de l'Éducation nationale (Dasen) ;
- le préfet serait désormais obligatoirement consulté sur toutes les décisions, prises par les chefs de service et directeurs d'agence dans son département, ayant une incidence sur la répartition territoriale des services publics.
Ce décret fait l'objet de résistances de certains services déconcentrés, notamment de Bercy, mais nous espérons que le Gouvernement tiendra bon !
Quatrième recommandation : on l'a dit, le droit de dérogation est limité aux seules règles de forme, de délais et de procédure. Sont ainsi exclues les dérogations portant sur des questions de fond du droit. Or, il est souvent difficile de distinguer les règles de « procédure » des règles de « fond », notamment en matière environnementale ou d'urbanisme. Cette limite explique donc, dans une large mesure, le faible recours au pouvoir de dérogation.
Notre rapport recommande d'ouvrir la possibilité au préfet de déroger à des règles de fond, dès lors que l'objectif est de contribuer au développement des territoires et que le principe essentiel de proportionnalité demeure, à savoir « ne pas porter une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé ».
Cinquième recommandation : le contentieux administratif est aujourd'hui quasi-inexistant, malgré un risque inhérent à l'exercice du pouvoir de dérogation. Ainsi, un arrêté préfectoral peut être attaqué devant le juge administratif s'il méconnait les conditions légales du recours à la dérogation.
Qu'en est-il du risque pénal ? Là encore, aucun contentieux n'a été signalé. Il n'en reste pas moins que le préfet pourrait être pénalement, et donc personnellement, mis en cause. Plusieurs préfets rencontrés par notre mission ont exprimé un besoin de « sécurisation pénale », dans le cadre de l'exercice de leur droit de dérogation.
Il pourrait ainsi être proposé de cantonner la responsabilité pénale du préfet, à la seule hypothèse où le préfet a violé de façon manifestement délibérée les conditions du recours à cette dérogation.
Une autre forme de sécurisation pénale a été évoquée lors des auditions. En effet, l'article 122-4 du code pénal prévoit que « n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ». Dans le cas où le préfet a pris un arrêté qui a été expressément autorisé préalablement par l'administration centrale, le terme « commandé » ne paraît pas le couvrir pénalement, puisque c'est le préfet qui a pris l'initiative d'une telle dérogation. Il pourrait ainsi être envisagé de compléter cette disposition en prévoyant une irresponsabilité pénale lorsque l'arrêté de dérogation a été expressément autorisé par les services centraux du ministère.
Sixième recommandation : la faible utilisation du droit de dérogation résulte à la fois d'un régime juridique trop corseté et d'une certaine frilosité « culturelle » du corps préfectoral. En effet, il n'est pas naturel pour un préfet de déroger à des normes alors qu'il est le garant du respect des lois, aux termes de l'article 72 de la Constitution. Afin de développer l'emploi de cet outil et de récompenser la prise de risques, nous proposons de prendre en compte, dans l'évaluation des préfets, leur contribution aux démarches de simplification des projets locaux et de différenciation territoriale. Il ne s'agirait pas de faire de la « politique du chiffre », mais de résoudre des problèmes concrets que rencontrent les élus locaux.
Cette évolution suppose d'intégrer la simplification parmi les objectifs interministériels fixés par le Premier ministre. Une telle mesure permettrait de placer le droit de dérogation au coeur de la culture et des pratiques des préfectures.
Septième recommandation : nous proposons également d'élargir les missions de la commission départementale de conciliation des documents d'urbanisme. Cette commission serait remplacée par une conférence de dialogue dotée d'un périmètre plus large.
Les réunions d'une telle instance seraient l'occasion pour tous les acteurs locaux d'identifier des cas où l'exercice du droit de dérogation pourrait débloquer des projets locaux enlisés. Elle permettrait également de suivre, au sein du département, la mise en oeuvre de ce droit de dérogation et d'en réaliser régulièrement un bilan. Enfin, une conférence de dialogue présenterait un intérêt majeur : mieux faire connaître auprès des élus locaux le périmètre et les limites du droit de dérogation. Je rappelle que le Sénat a déjà voté cette mesure, à mon initiative.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Huitième recommandation. Le pouvoir de dérogation présente un intérêt majeur : en effet, à l'occasion de son exercice, les élus et l'État territorial peuvent identifier certaines normes, législatives ou réglementaires, trop complexes ou inefficaces, entravant l'action publique locale, au-delà du cas particulier qui a suscité l'usage du droit de dérogation.
Le droit de dérogation offre donc l'opportunité au préfet de faire systématiquement remonter à l'administration centrale les difficultés identifiées localement.
Ainsi, un module d'intelligence artificielle (IA) pourrait utilement être déployé afin de détecter, parmi l'ensemble des arrêtés de dérogations, ceux dont la fréquence pourrait révéler une norme inadaptée, qu'il convient de simplifier, voire de supprimer. C'est ce qu'on a appelé dans notre rapport le « signal d'alerte ».
Neuvième recommandation : comme nous l'avons indiqué, le décret de 2020 ouvre au préfet la possibilité de déroger à des normes réglementaires, et non législatives.
Toutefois, le législateur a prévu certains régimes spécifiques reconnaissant au représentant de l'État un pouvoir d'adaptation locale. Tel est le cas pour le repos dominical.
Il est proposé d'évaluer ces régimes législatifs de dérogation et d'envisager leur extension, en particulier dans le domaine de la construction, du logement et de l'urbanisme. Les élus considèrent en effet que c'est ce domaine qui doit prioritairement faire l'objet d'adaptations locales.
Je voudrais vous donner 2 exemples concrets :
- premier exemple : dans mon département, j'ai été saisie du cas d'un moulin à eau produisant de la farine. Vieux de 400 ans, peu utilisé (200 heures par an) et de faible puissance, ce moulin se voit appliquer par la préfecture des prescriptions très lourdes. Les travaux demandés par le préfet en application de la réglementation sont soit impossibles à réaliser, soit conduiraient à des frais disproportionnés à la charge de l'exploitant du moulin. La loi ne devrait-elle pas permettre au préfet de déroger aux règles pour un petit moulin dont l'impact environnemental semble dérisoire ? Le principe de proportionnalité, qui est un principe de bon sens, ne devrait-il pas s'appliquer ? Cet exemple illustre ce que je disais plus haut : il serait sans doute utile de prévoir, dans certaines lois, que tel ou tel principe pourrait être aménagé localement par le préfet, en fonction des circonstances locales et après consultation des élus locaux ;
- deuxième exemple : le CGCT dispose que « toute collectivité territoriale, maître d'ouvrage d'une opération d'investissement, assure une participation minimale de 20 % au financement de ce projet ». En 2010, le législateur a toutefois ouvert au préfet, pour certains projets, la possibilité de réduire la participation du maître d'ouvrage à moins de 20 %, notamment en cas d'urgence ou lorsque cette contribution est « disproportionnée par rapport à la capacité financière du maître d'ouvrage ».
La loi a donc prévu que le préfet pourrait adapter localement la règle qu'elle énonce. C'est bien mais nous pensons qu'il faut faire mieux : en effet, les dérogations doivent être les plus simples et les plus générales possibles ! Par exemple, l'ancien préfet de la Lozère nous a expliqué qu'il n'a pas pu déroger à cette règle de 20 % pour un stade de football. En effet, les équipements sportifs ne sont pas prévus dans la loi. Il nous paraît donc nécessaire de modifier la loi pour simplifier et généraliser cette dérogation à la règle des 20 %.
Dixième et dernière recommandation : le droit de dérogation est largement sous-utilisé alors qu'il offre, même sous sa forme actuelle, de très nombreuses possibilités concrètes de faciliter la réalisation de projets portés par les collectivités territoriales.
Nous saluons l'existence d'outils d'information et de communication à destination des services préfectoraux. À titre d'exemple, le ministère de l'Intérieur a mis en place, au titre de sa mission d'animation du réseau des préfectures, un outil collaboratif permettant un échange de bonnes pratiques et un partage d'expériences. Enrichir cette plateforme, notamment par le développement d'un outil d'IA, permettrait de renforcer la connaissance du dispositif par les préfectures et de développer des synergies entre ces dernières.
Nous proposons également de prévoir des modules de formation et la désignation d'un référent « dérogation » dans chaque préfecture.
En conclusion, nous pensons que notre pays est encore trop soumis au double principe d'égalité et de légalité : il peine ainsi à adapter les normes aux réalités de nos territoires.
L'État territorial doit jouer un rôle de facilitateur et d'accompagnateur dans la conduite des projets locaux, avec un objectif, ô combien essentiel : passer de l'addiction aux normes à l'obsession de l'efficacité !
M. Hervé Gillé. - Je remercie les rapporteurs pour leurs travaux qui éclairent la situation et clarifient parfois des a priori que nous pouvions avoir sur le sujet. Je souhaite examiner les chemins que nous pourrions tracer pour aller plus loin, notamment au travers de leurs propositions.
Je voudrais mettre en perspective deux problématiques qui me semblent importantes aujourd'hui. L'une d'entre elles, vous l'avez un peu abordée, concerne le fait d'élargir les missions de la commission départementale de conciliation des documents d'urbanisme, afin d'en faire une conférence de dialogue dotée d'un périmètre plus vaste. Cela renvoie toujours à la difficulté pour l'État à se mettre en mode projet et à mettre l'ensemble des acteurs autour de la table pour voir avec les services comment nous pouvons trouver des solutions pour faire émerger des projets.
Nous voyons souvent des conflits aujourd'hui avec les services préfectoraux dans une approche très verticale du code de l'environnement, qui mérite bien sûr d'être respectée pour un grand nombre de sujets. Bien souvent, les objectifs de développement durable priment mais n'oublions pas l'approche économique, sociale... : le référentiel d'évaluation même de l'impact d'un projet ne doit pas se lire qu'au travers d'un seul filtre.
Le préfet doit jouer un rôle pour accompagner ses services et dialoguer avec eux, afin que les projets locaux puissent sortir.
Je suis un tout petit peu plus prudent sur la question des agences. En effet, il y a aussi une revendication légitime des élus : ces derniers devraient prendre leur place dans les agences, dans un esprit de décentralisation. Prenons l'exemple des agences de l'eau : beaucoup d'élus, présidents de comités de bassin, souhaiteraient être coprésidents de l'Agence de l'eau avec l'État. Ce n'est pas le cas. Les agences de l'eau, présidées par les préfets, sont le bras armé du comité de bassin, qui est lui-même présidé par un élu local, souvent le président de région. L'élu n'est que membre du conseil d'administration de l'agence. Certes, il a peut-être une position privilégiée dans le dialogue avec le préfet. Mais je milite pour une cogestion État/collectivités au sein des agences, ce qui donnerait une impulsion complémentaire à la décentralisation, peut-être pas sur l'ensemble des agences, mais sur un certain nombre d'entre elles.
M. Cédric Chevalier. - Je m'associe aux remarques concernant la qualité du rapport de nos deux collègues. Dans la carte que vous nous avez projetée, la Marne apparaît comme étant bonne élève : y a-t-il eu des contentieux concernant l'exercice du droit de dérogation ? Par exemple, vous avez évoqué l'élargissement de la dérogation à l'urbanisme : il pourrait faire naître certains contentieux.
Ma réflexion porte sur le rôle du préfet. Il est bien de lui donner un peu plus d'espace de discussion avec les élus locaux mais attention cette dérogation pourrait être un contre-pouvoir vis-à-vis des élus locaux. Or, on peut avoir un bon ou un mauvais préfet...
M. Lucien Stanzione. - Je salue le travail accompli par les rapporteurs. Un premier point que je trouve extrêmement intéressant, a contrario de ce que disait notre collègue Hervé Gillé, c'est qu'unifier la chaîne de responsabilité de commandement des services de l'État dans le département n'est pas une mauvaise chose. Aujourd'hui, quand on pose la question de la fermeture d'une classe au préfet, il répond « ce n'est pas moi, c'est le Dasen ». Sur les questions financières, il faut voir la direction générale des finances publiques (DGFIP). Il y a cette espèce de parcellisation du pouvoir de l'État qui n'est pas une très bonne chose.
Je suis un peu plus réservé sur la responsabilité pénale. Chers collègues, en ce qui concerne les maires et les présidents d'intercommunalités, ils sont pénalement responsables de leurs actions. Je ne vois pas pourquoi le représentant de l'État en la matière pourrait être dégagé de toute responsabilité sur les arrêtés qu'il pourrait signer. Est-ce qu'il y a vraiment équité dans ce domaine-là ? Beaucoup de nos collègues sont traduits devant les tribunaux.
Je fais un peu de politique fiction : si, un jour, la situation politique change complètement dans notre pays, que va-t-il se passer avec de nouveaux préfets investis de ces pouvoirs de dérogation, alors qu'on n'aura aucun moyen de les contrôler, en dehors du recours devant le tribunal administratif ? Cela me fait peur. J'espère que dans deux ou trois ans, on ne sera pas confronté à cette question-là, mais cela peut arriver.
M. Grégory Blanc. - Merci pour la qualité de votre présentation ainsi que pour l'ensemble de la dynamique que vous avez su créer autour de ce sujet. Nous avons besoin d'avancer pour retrouver un peu de bon sens dans nos territoires. Toutefois, on ne partage pas tous la même vision de ce « bon sens ». Elle nécessite un arbitrage du préfet.
Ma question, qui s'inscrit dans la droite ligne de quelques interventions précédentes, porte sur le Droit qui n'est pas stabilisé, celui de l'environnement qui est en train de monter en puissance. J'en veux pour preuve le débat que nous allons avoir dans quelques semaines sur la question du ZAN (zéro artificialisation nette), où on va revoir les objectifs à la baisse. À travers ce que vous évoquez, on va pouvoir donner un peu de souplesse sur le terrain.
Ma question est : comment hiérarchiser les priorités des préfets confrontés à des objectifs qui peuvent être contradictoires ? Le premier problème auquel on est confronté sur le terrain, ce sont les injonctions paradoxales. Donner plus de souplesse au préfet part d'un bon sentiment. Encore faut-il qu'on soit capable de réfléchir à la façon dont les problématiques posées par les préfets peuvent être remontées au niveau de l'État, pour un arbitrage. Ça renvoie à une question essentielle : au regard de leurs compétences interministérielles, les préfets ne devraient-ils pas être placés sous l'autorité directe du Premier ministre ?
M. Jean-Claude Anglars. - Je veux faire deux ou trois remarques : d'abord saluer le travail qui a été fait par les rapporteurs ; puis dire que la visite en Lozère a été éclairante, notamment en matière d'urbanisme. Je repensais à ce qui était dit par le préfet concernant les communes soumises au règlement national d'urbanisme (RNU) : le droit de dérogation pourrait utilement s'appliquer. Votre proposition sur l'élargissement de la commission départementale est une bonne idée. Il faut disposer d'un lieu de concertation, par exemple pour voir si on peut, ou non, construire de l'autre côté du chemin en application du RNU.
Vous avez insisté sur un sujet fondamental, le rôle des préfets des départements. Nous étions partis sur le rôle essentiel des préfets de région dans une idée de métropolisation de la France. L'inconvénient est que, si les sujets ne sont pas traités avec la proximité, les gens s'expriment d'une façon ou d'une autre dans les urnes. Le fait de revenir au local, au travers des préfets, est une bonne idée. Je vous félicite d'avoir rappelé cela.
M. Hervé Reynaud. - Je souscris totalement à l'élargissement de ce pouvoir de dérogation pour unifier le niveau de réponse au niveau départemental. Je souscris également à ce qu'a dit Jean-Claude Anglars sur cette proximité qu'il faudrait retrouver. Il s'agit du bon échelon. Pour les élus locaux, il est important d'avoir un interlocuteur qui maîtrise son administration. Ce sont des éléments extrêmement positifs.
Les préfets sont-ils preneurs de cet élément de dérogation élargie ? Ce mouvement doit s'accompagner d'un autre mouvement : une décentralisation accrue pour les élus locaux, car il y a un phénomène de recentralisation que nous ressentons. Nous venons tous de sortir des voeux. Bien souvent, c'est le sous-préfet ou le préfet qui a la main sur les financements et un certain nombre de décisions. Quand des collègues n'ont pas de mandat local qui les ancre sur la réalité, ils regardent passer les trains. Il ne faut pas oublier que ce phénomène de recentralisation existe malgré tout. Dérogation oui, plus de pouvoir au fond pour les préfets de département, mais dans le même temps, il est important de retrouver une décentralisation pour les élus locaux, avec plus de pouvoir et une mainmise sur un peu plus de financements et d'aspects normatifs.
M. Jean-Jacques Lozach. - Je partage ces dix recommandations qui correspondent aux attentes et aux besoins du terrain. J'ai constaté, comme vous tous, que ce pouvoir de dérogation n'est pas appliqué : 1,5 par an et par département, on est proche de zéro. Ce pouvoir de dérogation est également très peu connu des élus locaux, voire totalement ignoré. J'assiste tous les ans au Congrès départemental des associations d'élus. Je n'ai encore jamais vu, pas simplement de débat ou de table ronde, mais même pas d'observation ou de réflexion de la part des élus interpellant le préfet du département sur son pouvoir de dérogation.
Parmi les illustrations des absurdités auxquelles on peut parvenir par une sorte de dogmatisme, je veux citer l'exemple du terrain de sport. Dans les départements hyper ruraux, les clubs de foot disparaissent les uns après les autres, car ils fusionnent. On voit ainsi apparaître des friches, c'est-à-dire des terrains de foot qui se trouvent à l'extérieur des parties urbanisées des centres-bourgs et qui sont des terrains viabilisés. Il y a tout : l'eau, l'électricité, la desserte avec une route goudronnée, etc.
Justement, par application notamment des règles nationales de l'urbanisme, les maires n'ont pas la possibilité de créer des lotissements communaux sur ce type de terrain qui, effectivement, se prête très bien à ce type de réalisation. On peut arriver à ce type de décision qui bloque le développement de nos petites communes rurales.
M. Bernard Delcros, président. - Je vais sans attendre passer la parole à nos rapporteurs pour qu'ils apportent des réponses. Je veux rebondir sur deux ou trois sujets évoqués auparavant. Il faut développer la culture du projet au sein de l'État. La dérogation répond à cet impératif.
Sur les agences, j'ai le cas d'un préfet qui a mis en demeure une toute petite commune de mettre aux normes ses installations d'assainissement, sachant que l'agence de l'eau a refusé d'attribuer une subvention alors que la commune était parfaitement éligible. S'il n'y a pas de concertation entre le préfet et l'agence de l'eau, on arrive à des situations bloquantes. Cela n'enlève rien à ce que vous avez dit, mais il y a une question de co-gestion ou en tous les cas de collaboration entre le préfet et les agences de l'eau.
En écho aux propos de Lucien Stanzione et Cédric Chevalier, il faut en effet trouver le bon équilibre pour éviter des situations auxquelles on pourrait être confrontés. Les préfets représentent le bras armé du Gouvernement dans les départements mais c'est au législateur de décider quels sont les pouvoirs du préfet.
Je partage la remarque de Jean-Jacques Lozach : le pouvoir de dérogation n'est pas du tout connu des élus. D'ailleurs, les préfets n'en font pas état.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Sur la question d'Hervé Gillé, la conférence de dialogue va être là en effet pour procéder aux arbitrages en prenant en compte les pratiques dans les départements voisins. On constate en effet que les services instructeurs des préfectures n'ont pas le même discours entre chaque département, ni la même lecture des textes.
Je partage ton inquiétude concernant les agences de l'eau : il faudra peut-être qu'on y travaille. Le préfet doit devenir le patron des services de l'État et donner, par exemple, son avis sur des fermetures de classes ou sur l'installation d'un scanner, en lien avec les élus locaux. C'est le couple maire-préfet.
Les agences de l'eau ont un rôle à jouer dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. Dans certains départements, l'État est le seul financeur. Les agences de l'eau déclarent ne plus financer ces projets, alors que c'est leur rôle principal. Il faut améliorer le dialogue entre le préfet, le directeur de l'Agence et le préfet de région. Il y a des inégalités.
En réponse à Cédric Chevalier, la Marne a connu plus de dérogations qu'ailleurs, notamment dans le domaine des subventions où il est plus facile de déroger. En revanche, il y a des risques contentieux dans d'autres domaines, notamment en matière de construction, qui relèvent à la fois du réglementaire et du législatif.
En tant que parlementaire, je suis sollicité en permanence pour des refus de permis de construire, notamment pour des jeunes agriculteurs qui veulent construire à côté des bâtiments de la ferme. J'avais d'ailleurs proposé un amendement dans la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, amendement qui a été déclaré irrecevable au motif, contestable selon moi, qu'il ne présentait pas de lien avec le texte. Je le regrette.
En matière d'urbanisme, les services de l'État et les maires se renvoient la balle lorsque les permis de construire sont refusés. Le préfet pourrait, dans le cadre de cette conférence de dialogue, agir et prendre une décision.
Concernant la responsabilité pénale, notre rapport soulève le sujet mais ne tire pas de conclusions définitives, dans l'attente d'une expertise de la commission des lois. Je signale d'ailleurs que Christian Vigouroux, qui est un ancien président de section du Conseil d'État, s'est vu confier une mission sur la responsabilité pénale des décideurs publics.
En réponse à Hervé Gillé, je précise que la grande majorité des préfets sont favorables à une extension de leur droit de dérogation.
J'insiste également sur l'importance du couple maire-préfet.
Enfin, je confirme que les élus ne connaissent pas le pouvoir de dérogation. Ce qui me surprend, c'est que l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) ne se soit pas intéressée à notre rapport et n'ait pas constitué un groupe de travail sur le sujet. J'ignore si certains ont encore des relations avec l'AMF pour peut-être l'inviter à travailler sur le droit préfectoral de dérogation.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Je voulais vous citer un ou deux exemples encore : tout d'abord, l'équipe de volley de la ville de Mende est montée en division supérieure. Mais pour pouvoir jouer les matchs dans cette nouvelle division, les normes des fédérations sportives sont drastiques. Il a fallu engager 40 000 euros de travaux alors même que l'équipe est redescendue en division inférieure peu de temps après. Cette situation est fréquente : une équipe monte puis redescend une fois que les travaux sont faits... Il faut assouplir et simplifier ces règles de mise en conformité, par exemple en laissant un ou deux ans aux communes pour engager les travaux nécessaires.
En effet, la consultation menée auprès des élus locaux a révélé que 80 % d'entre eux ne connaissaient absolument pas ce pouvoir dérogatoire. Les préfets n'en parlent pas non plus sans doute parce qu'ils redoutent d'être assaillis de demandes. En réponse à Cédric Chevalier, le pouvoir dérogatoire a été utilisé 16 fois depuis 2020, essentiellement dans le domaine des subventions.
Et bien sûr je rejoins mon co-rapporteur Rémy Pointereau sur l'importance du couple maire-préfet, notamment dans le cadre des conférences de dialogue.
Mme Nadine Bellurot. - Je salue le travail de nos collègues rapporteurs, qui ont fait un excellent travail avec des propositions très intéressantes qui vont dans le bon sens et qui vont permettre de résoudre des cas absurdes qu'on a rencontrés sur le terrain. Je pense qu'elles vont vraiment répondre à une attente de nos concitoyens et au besoin de proximité qu'ils expriment. C'est donc un enjeu démocratique majeur. Je pense que c'est vraiment gagnant-gagnant pour toutes les personnes intéressées par les décisions dans nos territoires.
M. Bernard Delcros, président. - Effectivement, il y a beaucoup de sujets d'urbanisme qui nous remontent. Je pense notamment à la question de la continuité de la loi Montagne. Souvent, les services de l'État sont très éloignés de l'esprit du législateur de l'époque. La loi prévoit qu'en zones de montagne, l'urbanisation doit être réalisée en continuité de l'urbanisation existante mais cette notion est interprétée souvent de manière trop stricte par les services de l'État.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Dans le domaine de la construction, il y a des aberrations. Sur dix problèmes, j'en ai sept liés à la construction.
Par exemple, une maison brûle sur une exploitation. Comme il n'a pas l'assurance pour rembourser la totalité, il fait construire un tout petit peu plus petit. On lui oppose un refus car il doit reconstruire à l'identique. Le pouvoir du préfet aurait du sens dans un cas comme celui-là.
Un autre cas : un jeune agriculteur n'a pas d'animaux et veut faire construire sa maison à côté des bâtiments d'exploitation pour essayer de contrôler son stockage. Il a du matériel qui vaut cher et il y a beaucoup de vols. On lui refuse parce qu'il n'élève pas d'animaux.
Par contre, il y a une jurisprudence du Conseil d'État qui permet de construire une maison à côté des bâtiments d'exploitation si vous cultivez du safran.
Il y a des choses complètement ridicules.
M. Lucien Stanzione. - La notion de « bon sens » appartient à chacun de nous, en fonction de nos référentiels personnels, qu'ils soient référentiels de vie, référentiels politiques, etc. Ce bon sens n'est pas forcément partagé par tout le monde mais il appartiendra au préfet d'arbitrer entre les différents intérêts en présence. Nous sommes face à des différends qui seront difficiles à trancher par les tribunaux.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Avant de faire une dérogation, le préfet va peut-être faire une demande auprès de l'administration centrale, qui va donner son accord. À partir du moment où il a le feu vert de l'administration centrale, cela le dégage de sa responsabilité. Nous attendons avec intérêt le rapport de Christian Vigouroux.
M. Bernard Delcros, président. - Merci à nos deux rapporteurs pour ce travail qui va nous permettre d'avancer sur ce sujet. Merci à l'équipe qui les a accompagnés. Merci à chacune et chacun d'entre vous pour l'ensemble de vos observations. Nous avons tous été élus locaux et tout cela nous parle concrètement, et nous ramène à des cas de terrain que nous avons connus.
Les recommandations sont adoptées.
La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.