Mardi 11 février 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de Mme Cécile Courrèges, directrice générale de l'agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Madame Cécile Courrèges, directrice générale de l'ARS de la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis le 19 avril 2023.

Madame la directrice générale, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Cécile Courrèges prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous êtes accompagnées de collaborateurs susceptibles de prendre la parole. Je vais donc leur demander de se présenter en déclinant leur identité et leur fonction au sein de l'ARS, et de prêter serment devant nous.

M. Aymeric Bogey, directeur de la santé publique. - Bonjour, je suis directeur de la santé publique au sein de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes.

Mme Christel Lamat, responsable de la cellule bassins hydrographiques Rhône Méditerranée Corse. - Bonjour, je suis responsable régionale sur les eaux.

M. Gilles Bidet, responsable du pôle santé environnement. - Bonjour, je suis responsable du pôle santé environnement pour le département du Puy-de-Dôme.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Aymeric Bogey, Mme Christel Lamat et M. Gilles Bidet prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie. Avez-vous des liens d'intérêt avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Mme Cécile Courrèges, directrice générale de l'ARS de la région Auvergne-Rhône-Alpes. - Je n'en ai aucun.

M. Aymeric Bogey. - Je n'ai également aucun lien d'intérêt.

Mme Christel Lamat. - Je n'ai pas non plus de lien d'intérêt.

M. Gilles Bidet. - Je n'ai pas de lien d'intérêt.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle rapidement pour les internautes, qui visionnent cette séance par l'intermédiaire du site du Sénat, que ce dernier a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les « pratiques des industriels de l'eau en bouteille ».

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête du Sénat vise à apporter un éclairage sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur les contrôles des exploitations d'eau minérale naturelle au niveau local. Les ARS sont chargées du contrôle sanitaire des eaux conditionnées, ce qui inclut la vérification de la qualité des eaux, l'inspection des installations et le contrôle des mesures de surveillance mises en place par l'exploitant. En tant que directrice générale de l'ARS de la région Auvergne-Rhône-Alpes, vous opérez dans une région où l'activité des embouteilleurs est importante pour l'économie locale, avec des exploitations comme Volvic, Évian ou encore Châteldon.

Nous souhaitons savoir comment votre ARS est armée pour garantir le contrôle des eaux conditionnées et quelles évolutions seraient souhaitables pour renforcer ces contrôles, notamment en termes d'effectifs, de moyens et de mutualisation des pratiques. Nous nous interrogeons également sur l'impact des fraudes ayant touché les groupes Alma et Nestlé Waters sur votre dispositif de contrôle en Auvergne-Rhône-Alpes. Avez-vous connaissance de traitements interdits, y compris la microfiltration à moins de 0,8 micromètre, sur certains sites relevant de votre ARS ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui affecte la confiance des consommateurs envers un secteur auquel nous tenons tous ?

Voici quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : votre présentation initiale, pour une durée de 15 à 20 minutes, suivie des questions de notre rapporteur, puis de celles de nos collègues.

Madame la directrice générale, vous avez la parole.

Mme Cécile Courrèges. - Merci Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs. Je vous remercie de m'avoir conviée à cette audition pour présenter l'action menée par l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes dans le domaine de la sécurité sanitaire des eaux conditionnées. J'occupe le poste de directrice générale depuis mi-mai 2023, et pour certains sujets antérieurs à ma prise de fonction, je m'appuierai sur les informations transmises par mes services.

Même si j'exerce depuis 20 ans dans le domaine de la santé à différents niveaux de responsabilité, je ne suis pas une experte en eau, c'est pourquoi je suis accompagnée de trois collaborateurs qui travaillent plus précisément sur ce sujet.

Avant d'évoquer les missions de l'ARS en matière de sécurité sanitaire des eaux conditionnées, et la manière dont nous les mettons en oeuvre, je souhaite vous dresser un rapide panorama de cette activité dans notre région.

Comme vous l'avez évoqué, la région Auvergne-Rhône-Alpes présente une concentration significative de sites d'embouteillage, avec 36 sites exploitant 44 eaux conditionnées. Cela représente 30 sources d'eau minérale naturelle dont 8 faisant l'objet d'une déclaration d'utilité publique, et 14 eaux de source. Nous sommes de loin la région française disposant du plus grand nombre de sites d'embouteillage, représentant environ 50 % de la production nationale d'eau minérale. En 2023, nous avons produit 4,375 millions de mètres cubes d'eau conditionnée, dont 3,483 millions d'eau minérale.

Aux côtés de plus petites marques, sont présents deux grands groupes : Danone, numéro deux mondial derrière Nestlé, avec les eaux minérales Évian, Volvic et Badoit, et le groupe Alma, avec les eaux minérales Saint-Yorre, Vichy-Célestins, Parot, Rozana, Châteldon, Thonon, Vals et Arcens, mais également les eaux de source Cristalline, dont une partie est produite dans la région, ainsi que les eaux Mont Dore. De grandes marques de distributeurs sont également présentes, contrairement au groupe Nestlé, qui n'est pas implanté en Auvergne-Rhône-Alpes.

Nous avons par ailleurs 27 établissements thermaux exploitant des eaux minérales. Sur l'ensemble des activités à mener dans le domaine des eaux, les eaux conditionnées représentent seulement 0,5 % des installations à surveiller, comparé aux 8 100 captages d'eau destinée à la consommation humaine dans la région. Elles ne représentent que 0,2 % des analyses non conformes à gérer.

Nous consacrons à cette activité 1,8 % des effectifs des services en charge du contrôle sanitaire des eaux, soit l'équivalent d'un ETP, plus 1,4 ETP pour le thermalisme. Entre 4 et 8 % de nos inspections-contrôles concernent ce secteur, avec par exemple six inspections réalisées en 2024.

Consciente de la sensibilité de ce sujet des eaux conditionnées, l'ARS a, depuis le 1er janvier 2021, souhaité mutualiser cette activité, comme celle du thermalisme, autour de cinq secteurs géographiques. La direction départementale de l'Ardèche gère aussi la Drôme, celle du Puy-de-Dôme s'occupe du Cantal et de la Haute-Loire, celle de la Loire s'occupe de l'Allier et du Rhône, celle de la Savoie gère l'Isère, et celle de la Haute-Savoie s'occupe de l'Ain.

Cette organisation permet de tenir compte de nos effectifs contraints, du nombre restreint d'établissements dans certains départements, et de la nécessité de disposer d'un haut niveau d'expertise, qu'il est délicat de maintenir lorsque l'activité est relative.

Pour autant, cela reste une activité très départementale, en raison des compétences préfectorales en la matière. Sur plusieurs sujets, nous n'intervenons pas en compétence propre, mais pour le compte du préfet. Dans une grande région comme la nôtre, cela induit que la plupart des sujets ne sont pas traités au niveau régional.

Les collègues de chacun des secteurs géographiques sont chargés de mettre en oeuvre les missions de l'ARS en matière de sécurité sanitaire des eaux conditionnées, missions que je souhaite vous rappeler brièvement.

La politique de l'eau est une politique très partagée, mobilisant de nombreux acteurs, publics et privés et, au sein de l'État, de nombreux services placés sous la coordination des préfets. Les agences régionales de santé sont amenées à intervenir pour le compte des préfets, dans une logique de collaboration étroite interservices.

Dans ce cadre, nous disposons d'une mission d'instruction administrative sur les demandes d'autorisation et de modification, les déclarations d'intérêt public (DIP), les travaux inclus dans le périmètre d'une DIP, et l'importation des eaux conditionnées.

Nous menons également une mission de gestion des situations à risque, une mission de gestion des situations de non-conformité en concertation avec l'exploitant et les directions départementales de la protection des populations (DDPP), nous soumettons des propositions au préfet pour prendre toute mesure nécessaire pour protéger la santé des personnes, ou interrompre l'exploitation si elle constitue un danger pour la santé des personnes.

Concernant les compétences propres de l'ARS, nous disposons de deux missions principales : une mission de surveillance de la qualité des eaux conditionnées, et une mission de contrôle et d'inspection.

Concernant le contrôle sanitaire, il s'agit d'un contrôle de second niveau. L'eau étant considérée comme une denrée alimentaire, et relevant à ce titre du paquet hygiène communautaire, l'exploitant est responsable de l'autosurveillance et du contrôle de premier niveau.

Nous réalisons environ 1 200 prélèvements par an dans le cadre du contrôle sanitaire pour l'ensemble des eaux conditionnées de notre région, avec une fréquence et des paramètres définis par la réglementation. Ces paramètres dépendent du volume produit, du nombre de lignes d'embouteillage, du nombre d'émergences. Des analyses sont prévues au niveau des émergences, des mélanges de celles-ci, et au point où les eaux sont conditionnées. L'ARS peut fixer des contrôles supplémentaires si l'eau ne respecte pas les limites de qualité ou en présence de signes de dégradation.

Plus de 99 % des analyses sont conformes sur les paramètres bactériologiques et chimiques, un chiffre stable depuis cinq ans. Il est bien supérieur à celui d'autres activités sous le contrôle de l'ARS. Par exemple, dans le thermalisme, 9 % des prélèvements sont non conformes, soit environ 200 par an, entraînant parfois des arrêtés d'interdiction temporaire ou des fermetures de postes de soins. Pour l'eau destinée à la consommation humaine, 4 % des prélèvements étaient non conformes en 2023, soit 2 300 cas, ayant conduit à 110 mesures de restriction temporaire de la consommation.

Par ailleurs, il est important de noter que sur les 603 signalements de toxi-infections alimentaires collectives reçus en 2024 dans la région, aucun n'a été lié à la consommation d'eau conditionnée.

Notre mission de contrôle et d'inspection des installations varie de 3 à 16 inspections par an sur les cinq dernières années. Bien qu'il n'existe pas encore d'objectif national d'inspection-contrôle pour cette mission, une instruction de la direction générale de la santé (DGS) devrait bientôt préciser les attendus. Les contrôles sont principalement effectués avant la mise en service de nouvelles installations ou lors de modifications d'autorisations existantes. À cette occasion, le laboratoire agréé réalise des prélèvements sur les nouveaux ouvrages pour vérifier leur conformité au regard de l'arrêté préfectoral.

Des inspections inopinées peuvent également être menées en cas de situations problématiques, comme ce fut le cas à Saint-Yorre en 2021 pour vérifier le retrait d'installations de traitement, ou en Ardèche pour une source exploitée sans autorisation.

Nous avons également été associés, dans le cadre de la mission IGAS en 2022, à l'inspection de quatre sites d'embouteillage dans la région (sources Vernet en Ardèche, Parot dans la Loire, Laqueuille dans le Puy-de-Dôme et Évian en Haute-Savoie) dont deux en présence des inspecteurs de la mission. En 2024, nous avons participé à l'audit de la Commission européenne, avec le contrôle de deux sites en présence des auditeurs (Saint-Yorre dans l'Allier et Rozana dans le Puy-de-Dôme).

Par ailleurs, nous recevons et gérons des plaintes de consommateurs d'eaux conditionnées, dont le nombre est assez faible : moins d'une dizaine au cours des cinq dernières années. Chaque plainte fait l'objet d'une enquête des services de l'ARS, mais aucune n'a révélé de risque sanitaire lié à la qualité des eaux en bouteille.

J'espère vous avoir montré l'engagement de l'ARS afin de garantir la sécurité et la qualité sanitaire des eaux conditionnées . Je souhaite saluer l'engagement et le professionnalisme des équipes santé et environnement des ARS, qui sont pleinement mobilisées sur ces enjeux, dans le cadre des compétences et des moyens qui leur sont donnés.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci beaucoup, Madame la directrice générale. Je vais maintenant donner la parole à notre rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci Monsieur le Président, et merci Madame la directrice générale pour votre présence et cet exposé liminaire qui a mis en lumière plusieurs aspects de votre travail, notamment certains suivis que vous avez mentionnés concernant la toxicité et les plaintes. Ce sont des informations précieuses pour notre commission.

J'aimerais revenir sur la procédure d'autorisation et son déroulement dans votre région. Nous avons constaté dans certains départements des incohérences entre les arrêtés préfectoraux et les pratiques observées sur le terrain, notamment concernant la microfiltration. Pouvez-vous nous dire si la situation est bien maîtrisée en Auvergne-Rhône-Alpes et si vous observez des non-conformités ?

Deuxièmement, nous avons remarqué que certains industriels mettent parfois en place des installations en anticipant une modification de l'arrêté préfectoral, sans garantie que celle-ci soit accordée. Avez-vous observé de telles pratiques dans votre région ?

Enfin, concernant la durée d'instruction des arrêtés préfectoraux, pouvez-vous nous communiquer des informations sur les délais moyens ? Cette question est particulièrement pertinente dans le contexte de l'affaire Nestlé, où nous avons constaté une certaine lenteur dans la délivrance et la modification des arrêtés préfectoraux.

Mme Cécile Courrèges. - Je vais laisser mes collaborateurs répondre plus en détail sur les procédures d'autorisation, car elles sont gérées au niveau départemental, sous l'autorité du préfet.

Concernant les décalages entre les arrêtés et les pratiques, il est vrai qu'ils peuvent exister, notamment pour les arrêtés anciens. Pour les grandes exploitations, des modifications sont régulièrement apportées. Sur la question spécifique de la microfiltration, qui intéresse particulièrement cette commission, les arrêtés n'ont pas toujours détaillé ces aspects par le passé. À la suite des événements récents, notamment l'affaire Nestlé, nous avons réexaminé ce sujet de manière plus systématique. Désormais, lors de toute demande de modification, nous sollicitions la réalisation d'un point complet sur les filtrations de manière générale, afin de les inscrire systématiquement dans les arrêtés si ce n'était pas le cas auparavant.

Concernant les durées d'instruction, en distinguant les autorisations initiales des modifications, qui suivent des processus différents, je vais laisser la parole à M. Gilles Bidet.

M. Gilles Bidet. - La durée d'instruction varie selon les dossiers. Elle dépend des éléments fournis par l'exploitant, de l'avis d'un hydrogéologue agréé.

M. Laurent Burgoa, président. - Les hydrogéologues sont-ils en grève dans votre région ?

M. Gilles Bidet. - Effectivement, la grève nationale des hydrogéologues peut ajouter un délai supplémentaire. Par la suite, un suivi analytique sur une période de six mois à un an doit permettre d'évaluer la minéralisation et la qualité de l'eau à l'émergence. Le processus comprend également un passage en Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) et l'avis d'autres services. Pour une nouvelle autorisation, l'instruction peut prendre deux ans. Une modification ne nécessite généralement pas un nouveau suivi analytique, mais le délai dépend de la nature de la modification.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer un ordre de grandeur d'un délai pour une modification ?

M. Gilles Bidet. - Je peux vous donner l'exemple avec un arrêté concernant Châteldon, dont la demande a été déposée en juin avec une signature en décembre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pensez-vous que ces six mois sont représentatifs ?

M. Gilles Bidet. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'instruction d'un arrêté de modification ne prend donc pas plus d'un an.

M. Gilles Bidet. - En général, non. Comme je l'ai mentionné, cela dépend aussi de la célérité de l'exploitant à fournir les éléments du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Bien sûr, merci beaucoup.

Passons maintenant à la question de la microfiltration en Auvergne-Rhône-Alpes. Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la situation ? Combien d'exploitants utilisent la microfiltration sous le seuil de coupure de 0,8 micromètre, identifié comme possible par l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) ? Existe-t-il des entreprises filtrant jusqu'à 0,2 micromètre, sachant que la direction générale de la Santé (DGS) et la Commission européenne considèrent qu'il ne s'agit plus d'eau minérale naturelle lorsque ce seuil est pratiqué ?

Pourriez-vous nous dresser un tableau de la situation, en classant les marques selon trois catégories : celles qui sont hors de tout soupçon, celles qui soulèvent des interrogations, et celles qui vous semblent problématiques ? Une classification verte, orange et rouge serait appréciée pour distinguer ces différents cas.

Mme Cécile Courrèges. - Je tiens à préciser que les informations que je vais vous communiquer ne sont que celles portées à notre connaissance, sur une base déclarative. Nous avons été destinataires des questionnaires de l'IGAS et avons pu compléter certaines informations par la suite.

À notre connaissance, sur les 41 eaux exploitées dans la région, 37 sont considérées comme n'ayant pas de filtration inférieure à 0,8 micromètre. Il s'agit donc de la grande majorité. Concernant les quatre sources restantes avec des microfiltrations inférieures à 0,8 micromètre, deux présentent des filtrations comprises entre 0,45 et 0,8 micromètre, 0,45 étant la limite pressentie dans l'instruction attendue de la DGS, déjà utilisée en Belgique et en Espagne. Dans le Puy-de-Dôme, une microfiltration à 0,5 micromètre a été autorisée par arrêté préfectoral en 2004 pour éliminer des éléments indésirables dans l'eau. Des analyses avant et après filtration ont été effectuées pendant plusieurs années pour vérifier l'impact sur le microbisme de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des analyses ont donc conclu à l'absence d'impact sur le microbisme de l'eau.

Mme Cécile Courrèges. - Exactement. Une autre eau de source, cette fois-ci dans l'Ardèche, utilise des filtrations à 0,65 et à 0,45 micromètre, qui ne sont pas mentionnées dans l'arrêté d'autorisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous découvert cela lors d'une inspection ?

Mme Cécile Courrèges. - Nous l'avons découvert via les questionnaires de l'IGAS et avons pu confirmer avec l'exploitant que ces filtrations existent bien, mais ne figurent pas dans l'arrêté d'autorisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous préciser de quelle eau il s'agit ?

Mme Cécile Courrèges. - Il s'agit de Rochemaure. L'exploitant a été saisi pour une demande de mise en conformité. Nous lui avons demandé de justifier les raisons de cette filtration et de fournir des éléments d'analyse, ce qui nous permettra ensuite de vérifier nous-mêmes, car à ce stade, nous n'avons pas effectué d'analyse avant-après, n'étant pas informés de cette microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous leur demandez donc également des éléments concernant l'avant-après, c'est-à-dire pour vérifier qu'il n'y a pas de modification du microbisme.

Mme Cécile Courrèges. - Exactement. C'est à l'exploitant d'apporter les premiers éléments de preuve assurant l'absence d'impact sur le microbisme. Une fois ces éléments déclaratifs fournis, nous procéderons à notre propre vérification.

Deux autres eaux minérales présentent des filtrations inférieures à 0,45 micromètre.

L'une, Hydroxydase, se trouve dans le Puy-de-Dôme. Vous nous avez interrogés à son propos dans le questionnaire, et nous vous fournirons des réponses écrites. La filtration à 0,25 micromètre a été autorisée par arrêté préfectoral en 2009, en raison d'une problématique d'argile. Depuis son autorisation, des analyses systématiques avant-après n'ont pas montré d'évolution de la qualité bactériologique de l'eau ni d'atteinte au microbisme. Cependant, en anticipation de l'instruction de la DGS et sur la base des courriers envoyés aux directeurs généraux des ARS d'Occitanie et du Grand Est, nous avons demandé à l'exploitant soit de retirer immédiatement cette filtration, soit de fournir des éléments de justification pour que nous puissions en référer à la DGS. Si l'instruction est publiée entre-temps, la situation sera réglée par ce biais. Nous réexaminons donc cette situation, bien qu'elle soit autorisée et que les contrôles n'aient pas montré d'atteinte au microbisme de l'eau depuis plusieurs années.

L'autre situation concerne une eau minérale en Savoie, celle d'Aix-les-Bains, avec une filtration à 0,2 micromètre et une autre à 0,65 micromètre, non autorisées par l'arrêté préfectoral. Une mise en demeure a été adressée pour demander le retrait de celle à 0,2 micromètre et des justifications pour celle à 0,65 micromètre.

Voilà le résumé des situations dont nous avons connaissance aujourd'hui.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame la directrice générale, serait-il possible de consulter les courriers que vous avez envoyés à l'entreprise du Puy-de-Dôme ?

Mme Cécile Courrèges. - Bien sûr. Nous nous sommes basés sur les courriers envoyés aux directeurs généraux des ARS d'Occitanie et du Grand Est pour engager ces procédures, en anticipation de l'instruction attendue.

M. Laurent Burgoa, président. - À ce jour, avez-vous reçu des réponses à ces courriers ?

Mme Cécile Courrèges. - Non. Concernant le premier cas, la filtration étant autorisée et supérieure à 0,45 micromètre, nous n'attendons pas de réponse. Nous avons vérifié sur place que le seuil n'était effectivement pas inférieur à 0,45 micromètre.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous fixé dans ce courrier un délai de réponse à l'entreprise ?

Mme Cécile Courrèges. - Oui, nous avons fixé un délai. Ces courriers ont été envoyés en décembre-janvier.

M. Laurent Burgoa, président. - Quel délai avez-vous accordé ?

Mme Cécile Courrèges. - Nous accordons en général un délai de deux mois. Nous vous transmettrons les courriers. Nous avons fixé des délais classiques pour ce type de situation de mise en conformité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En résumé, il existe une eau pour laquelle les analyses avant-après ont été effectuées et qui serait au-delà des seuils de 0,45 micromètre. Si l'instruction de la DGS se confirme, il n'y aurait pas de problème pour ce cas. Ensuite, deux eaux se trouvent en non-conformité vis-à-vis des arrêtés préfectoraux et une eau est en conformité avec l'arrêté préfectoral, mais en dessous des seuils autorisés.

Je souhaiterais obtenir des précisions concernant les contrôles effectués à la suite des révélations chez Nestlé. Avez-vous mis en place une campagne de contrôle à la suite du rapport IGAS, sachant que l'entreprise Alma, impliquée dans ce dossier, est présente dans votre région ? Avez-vous ainsi pu vérifier combien des 41 eaux citées ont fait l'objet d'un contrôle ces deux, trois, quatre ou cinq dernières années ? Pouvez-vous nous donner une idée de la fréquence des contrôles effectués sur site à ce sujet ?

Mme Cécile Courrèges. - Je ne peux pas affirmer que nous avons contrôlé l'ensemble des 41 eaux exploitées. C'est pourquoi j'ai précisé qu'il s'agissait des seules informations portées « à notre connaissance », sur la base de déclarations. L'instruction en cours vise justement à établir un cadre national de contrôle qui nous permettra de réexaminer la situation sur place.

À la suite des éléments dont nous avons eu partiellement connaissance, et en rappelant que le dossier Alma est concerné par une procédure judiciaire, ce qui limite l'accès aux informations, nous avons systématiquement vérifié les systèmes de filtration lors des demandes de modification, et mis à jour les arrêtés d'exploitation en conséquence. Nous accordons désormais une attention particulière à la qualité de l'eau à l'émergence, notamment concernant la flore.

La fréquence des contrôles varie d'une année à l'autre. Avant ces révélations, nous effectuions environ trois à quatre contrôles par an, principalement des visites de récolement. En 2018, nous avons réalisé quatre inspections sur site, trois en 2019 et trois en 2020. En 2021, ce chiffre est passé à douze, puis à seize en 2022, en partie due à notre participation à la mission IGAS. En 2023, nous avons effectué neuf contrôles, incluant notre participation à l'audit de la Commission européenne. Pour 2024, ils sont au nombre de six. L'activité reste soutenue, mais il faut tenir compte de nos effectifs limités et de l'ensemble de nos missions liées à l'eau, avec plus de 8 000 captages et de nombreuses exploitations d'eau potable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous nous donner plus de détails sur les trois eaux mentionnées ? S'agit-il d'eaux rattachées aux grands groupes comme Danone ou Alma, ou plutôt de petits embouteilleurs ?

M. Gilles Bidet. - Hydroxydase est un très petit embouteilleur avec une production très limitée. Laqueuille dépend de la société Aquamark, au sein du groupe Leclerc.

Mme Cécile Courrèges. - La troisième, Aix-les-Bains, n'est rattachée ni à Alma ni à Danone.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour ces précisions. J'aimerais revenir sur l'historique, peut-être même avant votre arrivée à la direction de l'ARS. Vous évoquez un taux de conformité de 99 % : sur les dix dernières années, quelles ont été les principales non-conformités observées ? Certaines ont-elles conduit à des décisions radicales comme la suspension ou l'arrêt de la production dans la région ? Avez-vous déjà eu recours à l'article 40 du code de procédure pénale lorsque vous avez découvert des faits contraires à la réglementation ? Concernant les questions actuelles sur la microfiltration, avez-vous envisagé son utilisation en matière de tromperie ?

Mme Cécile Courrèges. - Je dois faire preuve de réserve, car je ne suis arrivée qu'en mai 2023, donc je n'ai pas nécessairement connaissance de tout l'historique. Cependant, je réaffirme que la grande majorité des résultats sont conformes et stables dans le temps.

Nous avons néanmoins rencontré quelques situations de non-conformité. Nous avons eu des problèmes bactériologiques et plus récemment, un cas de contamination par des pesticides. Ces problématiques ont pu aboutir à l'abandon d'un forage, généralement à l'initiative de l'exploitant lui-même. Il est important de noter que la plupart des situations de non-conformité sont gérées en collaboration avec l'exploitant, sans nécessiter l'utilisation d'outils administratifs contraignants.

En 2024, nous avons rencontré un cas d'abandon de captage en raison de la présence de pesticides. Nous avons également rencontré des situations de non-conformité dues à une mauvaise maîtrise du processus de traitement de l'eau, entraînant par exemple des teneurs élevées en nickel ou en manganèse. Ces problèmes sont généralement résolus en remettant en ordre la filière de traitement.

L'utilisation de l'article 40 a été nécessaire dans un cas. Une inspection inopinée avait déjà donné lieu à un procès-verbal et à une condamnation à une amende de l'exploitant. Par la suite, l'article 40 a été utilisé pour des motifs de faux documents fournis dans le but d'obtenir une autorisation. Cette affaire a duré plusieurs années et concernait une exploitation sans autorisation, à savoir les sources du Pestrin en Ardèche. Depuis, ces sources ont été reprises par un autre exploitant qui est en train de régulariser la situation avec un nouveau dossier d'autorisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos contrôles se sont-ils adaptés aux réalités découvertes chez Nestlé ? Avec le président Burgoa, nous avons observé la mise en place par l'industriel d'un système sophistiqué de coffrage avec des portes coulissantes pour dissimuler des solutions interdites. Avez-vous vérifié l'absence de tels systèmes cachés ?

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise que l'ARS d'Occitanie nous avait heureusement prévenus la veille, sinon nous n'aurions peut-être pas pu les découvrir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout à fait.

Concernant l'animation par la DGS de ce sujet, des réunions et des échanges entre ARS ont-ils eu lieu ? Comment ce sujet a-t-il été géré ces dernières années, avant et après sa médiatisation ? Nous avons été surpris d'apprendre que le ministère de l'Industrie était au courant à l'été 2021, alors que l'ARS Occitanie n'a été informée qu'en novembre 2022 pour Nestlé. Avez-vous reçu des informations ? Comment s'est déroulée la communication entre les ARS ayant des sites d'embouteillage sur leur territoire ?

Mme Cécile Courrèges. - En Auvergne-Rhône-Alpes, nous connaissons mieux la situation d'Alma que celle de Nestlé. Concernant l'évolution des contrôles, je dois admettre que nous sommes assez démunis face à ces situations. En tant qu'agences sanitaires, notre priorité est le contrôle de la sécurité sanitaire. Nous ne sommes pas habitués à contrôler la fraude, problème dont il est question ici. Nos pouvoirs de contrôle atteignent leurs limites dans ces situations.

Cette affaire nous montre qu'il faut tirer des leçons, notamment en développant davantage de contrôles interservices. Nous devrions unir nos compétences sanitaires avec celles de la direction départementale de la protection des populations (DDPP), plus orientée vers ce type de contrôle. Nous serions également intéressés par un retour d'expérience du service national d'enquête (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui a pu aller jusqu'à recouper des factures entre vendeurs et exploitants dans l'affaire Alma, ce que nous n'avons pas le pouvoir de faire.

Il est nécessaire de revoir nos méthodes de contrôle pour intégrer la notion de fraude, qui ne figure pas initialement dans notre conception initiale. Nos contrôles étaient principalement axés sur la sécurité sanitaire des installations et de l'eau produite.

M. Laurent Burgoa, président. - Je suis d'accord : les ARS disposent d'une compétence sanitaire, et le sujet évoqué par le rapporteur relève plutôt de la fraude. Dans d'autres régions, les ARS sont accompagnées de la DDPP, représentante de la DGCCRF, pour les contrôles. Est-ce le cas dans votre région ? Effectuez-vous des contrôles conjoints ? Existe-t-il une communication entre les services de l'État ?

Lors de vos réunions entre ARS, abordez-vous ces sujets ? Par exemple, en discutez-vous avec le Grand Est et l'Occitanie ? Avez-vous créé un sous-groupe ARS dédié à l'eau en bouteille ?

Mme Cécile Courrèges. - Il n'existe pas de systématicité des contrôles avec la DDPP dans notre région. J'ai entendu que c'était peut-être le cas dans une autre région, probablement dans le cadre des protocoles préfets-ARS ou d'un cadre interservices, mais ce n'est pas notre cas. Je me tourne vers mes collaborateurs, mais il ne me semble pas qu'il y ait une pratique systématique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a pas de pratique systématique, mais est-ce déjà arrivé ?

Mme Cécile Courrèges. - Cela a pu arriver.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans quels types de cas ?

M. Gilles Bidet. - Nous faisons appel à la DDPP et cherchons une concertation allant jusqu'à des visites conjointes lorsqu'il peut y avoir un impact sur les étiquetages, une modification de la minéralisation de l'eau, ou des non-conformités pouvant entraîner un rappel ou une destruction des lots. Dans ces cas, nous menons systématiquement une action commune.

Mme Cécile Courrèges. - C'est pourquoi nous estimons nécessaire de bénéficier d'une approche plus systématique de ces contrôles conjoints. Même en matière d'hygiène alimentaire, les services de la DDPP sont mieux formés que les agents de l'ARS. Nous avons tout à gagner à cette collaboration interservices.

Dans l'affaire Alma, nous nous sommes naturellement tournés vers les services de la DDPP, car, une fois établi qu'il ne s'agissait pas d'un problème de risque sanitaire, mais de fraude, nous avons estimé que leurs services étaient les mieux armés pour gérer ce type de situation. Cela a d'ailleurs conduit à la saisine du SNE de la DGCCRF.

Par ailleurs, nous n'avons pas eu à échanger entre directeurs généraux d'ARS, même si une information collective a été partagée juste avant la publication du rapport IGAS. Je pense que les échanges ont été plus importants entre l'Occitanie et le Grand Est. Bien que nous soyons la région la plus concernée par l'eau conditionnée, Nestlé n'est pas présent sur notre territoire, donc le contexte est différent.

Des échanges ont eu lieu au niveau des équipes et avec la DGS, notamment dans le cadre de la préparation de la mission IGAS et de l'audit de la Commission européenne. En tant que région la plus concernée en quantité d'eau embouteillée, nous sommes systématiquement impliqués dans les démarches nationales. Nous sommes également associés par la DGS à la préparation de l'instruction et aux discussions autour du protocole entre administrations centrales, visant à mieux redéfinir les rôles de chacun à l'avenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas répondu sur deux points : à quel moment avez-vous été informé de ce qui s'était dit au ministère de l'Industrie, et quand avez-vous eu accès au rapport IGAS vous concernant ? L'avez-vous d'ailleurs reçu ? Enfin, avez-vous reçu le bleu de Matignon concernant Nestlé, qui mentionnait des éléments sur le seuil de microfiltration ?

Mme Cécile Courrèges. - Concernant la première et la troisième question, nous ne sommes pas concernés par Nestlé. Les échanges sur ces points ont eu lieu avec les régions où cette société est implantée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez donc reçu aucune information à ce moment-là.

Mme Cécile Courrèges. - Non. Nous n'avons pas reçu d'informations structurées sur le sujet, en dehors des éléments contenus dans le cadre du rapport IGAS. Nous avons été destinataires de ce dernier en février 2024, lorsqu'il a été rendu public.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci Monsieur le rapporteur. Je laisse maintenant la parole à Madame la vice-présidente Ventalon.

Mme Anne Ventalon. - Je souhaiterais profiter de la présence de Madame la directrice générale pour obtenir quelques précisions. Vous avez mentionné en préambule que vous travaillez pour le compte des préfets. Pourriez-vous détailler vos collaborations ? Je pense notamment au cas où l'article 40 a été utilisé, impliquant fortement les services de la préfecture de l'Ardèche. Comment cette collaboration se décline-t-elle ?

Mme Cécile Courrèges. - Concernant la situation que vous évoquez en Ardèche, qui s'est étendue sur plusieurs années, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les préfets, partageant une vision et une action communes sur ce dossier. De manière générale, nous traitons de nombreux sujets en coordination avec la DDPP, notre interlocuteur principal sur certaines questions. Par exemple, nous examinons souvent les plans de consommateurs avec la DDPP.

Notre fonctionnement est encadré par les protocoles préfets-ARS. Nous sommes chargés de l'instruction des modifications et autorisations, mais la signature finale relève du préfet, avec des passages en CODERST impliquant un travail interservices.

Pour la gestion des alertes, que ce soit pour l'eau potable ou le thermalisme, nous suivons le principe général. Nous n'informons pas systématiquement le préfet de toutes les non-conformités. Les protocoles prévoient une information du préfet dans trois cas : face à un exploitant récalcitrant nécessitant des mesures plus strictes, en cas de danger immédiat pour la population, ou lorsqu'il existe un impact majeur potentiel sur le fonctionnement de l'exploitation. Dans les autres situations, comme les nombreuses non-conformités mineures sur l'eau potable, nous gérons en interne avec un rétablissement rapide de la situation.

Les missions de santé environnement des ARS sont principalement départementales, malgré notre statut d'agence régionale. Il s'agit d'un choix fondamental, décidé lors de la création des ARS, avec une disposition spécifique dans la loi prévoyant que dans ces domaines, nous agissons pour le compte du préfet. Cela implique une collaboration étroite avec les services de l'État sous autorité préfectorale, ainsi qu'avec les préfets et sous-préfets, certains sujets étant suivis au niveau des sous-préfectures.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous avez informés que l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes a effectué divers contrôles des industriels d'eau en bouteille entre 2021 et 2024, soit 43 au total. Cela signifie-t-il que vous avez contrôlé au moins une fois chacun des 41 industriels durant ces 4 ans, ou certains ont-ils été contrôlés plusieurs fois ? Pouvez-vous nous éclairer sur ces choix ?

Mme Cécile Courrèges. - La similitude entre le nombre de contrôles et le nombre d'industriels est une coïncidence. Certains ont été contrôlés plusieurs fois, d'autres probablement pas du tout. Il faut préciser ce que nous entendons par « contrôle ». Il ne s'agit pas toujours d'une inspection complète des installations. Cela peut inclure des visites de récolement, plus ciblées sur certains aspects. L'intensité des contrôles peut donc varier considérablement.

Il est important de noter qu'un contrôle sur site, qu'il s'agisse d'une visite de récolement ou d'une inspection ciblée, mobilise généralement deux personnes pendant une journée. Nous avons pris conscience de la différence avec les moyens du SNE, par exemple, lors de l'affaire Alma. Leurs inspections peuvent durer plusieurs jours, avec plusieurs personnes et des pouvoirs de perquisition et de saisie.

Cela soulève la question des moyens et des ambitions que nous voulons nous donner pour ces contrôles. C'est pourquoi je précise toujours que nos conclusions sont basées sur notre connaissance et les moyens dont nous disposons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous préciser ce que vous entendez exactement par « visite de récolement » ?

Mme Christel Lamat. - Une visite de récolement est une visite obligatoire réglementaire. Elle intervient après une demande de modification ou d'autorisation. L'exploitant ne peut reprendre son activité qu'après une inspection de l'ARS sur site, vérifiant que tous les points modifiés ou nouveaux sont conformes à l'arrêté préfectoral. Nous effectuons également une analyse en laboratoire le jour même pour vérifier la conformité. Un procès-verbal est établi, attestant de la conformité entre l'arrêté et la réalité sur le terrain. C'est seulement après cette validation que l'exploitant peut démarrer l'activité conformément à la modification.

Nous réalisons davantage de visites de récolement, car elles sont obligatoires et nous prennent proportionnellement plus de temps que pour d'autres types d'inspections.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci beaucoup. Pour la poursuite de nos travaux, pourriez-vous nous transmettre le protocole ARS-préfet que vous avez mentionné, détaillant les conditions de transmission d'informations ?

Mme Cécile Courrèges. - Bien sûr.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, Madame la directrice générale, pour cette audition qui, je l'espère, aura éclairé notre commission. Je remercie également vos collaborateurs qui ont apporté des compléments d'information à vos propos.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Joël Mathurin, préfet du Puy-de-Dôme

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le préfet, Madame la sous-préfète, nous vous remercions pour votre présence dans le cadre de cette commission d'enquête.

Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de M. Joël Mathurin, préfet du Puy-de-Dôme, accompagné de Mme Pascale Rodrigo, sous-préfète de Riom.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle, Monsieur le préfet, Madame la sous-préfète, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Joël Mathurin et Mme Pascale Rodrigo prêtent serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je rappelle que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous poursuivons cette série d'auditions visant à mettre en lumière l'action des autorités à l'échelle locale en ce qui concerne les exploitants d'eaux minérales naturelles.

En tant que préfet du Puy-de-Dôme, vous opérerez dans une région où l'activité des embouteilleurs est importante pour l'économie locale.

Pouvez-vous rappeler les principaux sites bénéficiant d'une autorisation d'exploitation dans votre département du Puy-de-Dôme, et nous indiquer ce qu'ils représentent en termes de chiffres de production, de chiffre d'affaires et d'emploi pour le département ?

Des points réguliers sont-ils effectués entre les services de la préfecture et l'ARS sur le contrôle des eaux minérales naturelles et des eaux de source exploitées dans le département ?

En quoi les affaires qui ont touché les groupes Alma et Nestlé Waters ont-elles fait évoluer votre dispositif de contrôle au niveau local dans le Puy-de-Dôme ? Une attention particulière a-t-elle été portée aux dispositifs susceptibles d'être dissimulés par les industriels ?

Globalement, comment évaluez-vous la coordination entre tous les services impliqués dans le contrôle des embouteilleurs ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voici quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en une vingtaine de minutes ; suivra un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

M. Joël Mathurin, préfet du Puy-de-Dôme. -

Vous l'avez effectivement souligné Monsieur le Président, les enjeux liés à l'eau sont prégnants dans le département, en matière d'activité économique comme de ressources. Le Puy-de-Dôme a ainsi été qualifié de « château d'eau de la France ». Il comporte des sites emblématiques comme l'impluvium de Volvic.

Les sociétés qui exploitent les eaux conditionnées sous autorisation préfectorale y gèrent six usines d'embouteillage d'eau minérale naturelle et deux d'embouteillage d'eau de source : Danone, numéro deux mondial, avec le site de Volvic qui comprend une usine de conditionnement d'eau minérale naturelle et une usine de production d'eau aromatisée. Le groupe Alma, avec deux usines d'embouteillage d'eau minérale naturelle, Rozana et Châteldon et une usine d'embouteillage d'eau de source avec SMDA Mont-Dore. Les communes de Saint-Priest-Bramefant et Saint Sylvestre-Pragoulin disposent de trois forages d'eau minérale exploités dans l'Allier par l'usine de Saint-Yorre. La société Scamark (groupe Leclerc) exploite une usine d'embouteillage d'eau minérale à Saint-Diéry et une usine d'embouteillage d'eau de source à Laqueuille. La société Agromousquetaires (groupe Intermarché) dispose d'une usine d'embouteillage Sainte-Marguerite à Saint-Maurice-ès-Allier. Enfin, la SAS Hydroxydase exploite une usine d'embouteillage d'eau minérale naturelle au Breuil-sur-Couze.

Ces entreprises emploient des effectifs significatifs : 830 emplois pour la Société des eaux de Volvic, 13 pour Rozana, une soixantaine pour Sources de Châteldon, une trentaine pour SMDA, une dizaine pour Scamark, 45 pour Laqueuille, 13 pour Agromousquetaires et environ 5 pour Hydroxydase.

Sous mon autorité, les services déconcentrés contrôlent les procédures d'autorisation. La direction départementale des territoires (DDT) est chargée des enjeux liés à la ressource, aux prélèvements. Concernant le volet des ICPE installations classées pour la protection de l'environnement, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) contrôle l'activité recyclage ou nettoyage, l'embouteillage n'étant plus classé ICPE. L'agence régionale de santé (ARS) assure les contrôles sanitaires. Enfin, la direction départementale de la protection des populations (DDPP) contrôle les éléments relevant de la loyauté de l'activité commerciale.

Concernant les enjeux liés à l'eau, j'ai mis en place ces dernières années, à la demande de Madame la préfète de région, des actions visant à accompagner les entreprises consommatrices d'eau vers une stratégie de sobriété. Des « plans d'utilisation rationnelle de l'eau » invitent divers acteurs économiques à s'impliquer volontairement dans cette démarche. La société des eaux de Volvic a signé un tel plan. Il pousse l'entreprise à rationaliser sa production. Des arrêtés préfectoraux réduisent l'autorisation de prélèvements. J'en ai pris un l'année dernière et le renouvellerai cette année, dans le cadre d'une stratégie engageante.

Plus largement, nous avons organisé avec le président du conseil départemental et avec le maire président de Clermont-Auvergne-Métropole une conférence départementale de l'eau qui s'est réunie l'automne dernier. Elle visait à engager l'ensemble des parties prenantes, au-delà des industriels, dans des logiques de réflexion stratégique et de partage de l'eau. Il s'agissait de leur faire prendre conscience des enjeux liés au changement climatique, surtout après les périodes de sécheresse qui ont affecté notre département en 2022, et encore plus en 2023, qui nous ont conduits à prendre des mesures de restriction très conséquentes.

Dans la continuité de cette crise, j'ai été conduit à prendre un nouvel arrêté sécheresse. Il demande à la société des eaux de Volvic de s'inscrire dans une logique de solidarité avec le territoire en mettant à disposition ses sources auprès du syndicat d'eau potable afin de gérer au mieux le risque sécheresse.

Dans l'arrêté-cadre sécheresse, j'ai aussi pris des mesures relatives aux eaux souterraines vulnérables.

Pour ce qui concerne le sujet qui nous occupe aujourd'hui, je suis très sensible aux questions liées à la gestion du risque sanitaire, notamment aux enjeux liés à l'alimentation. J'ai en effet exercé quatre ans les fonctions de sous-directeur au sein de la direction générale de l'alimentation. Lors de mon arrivée dans le département du Puy-de-Dôme le 24 septembre 2023, j'ai pris connaissance de l'événement de 2019 qui avait conduit à mettre en oeuvre l'article 40 et à mobiliser le Service national d'enquête (SNE).

J'ai compris qu'une action judiciaire était en cours, essentiellement fondée sur une tromperie du consommateur, mais sans enjeux sanitaires majeurs. Si j'ai réétudié l'historique de cette affaire lors de la préparation de la présente audition, j'ai uniquement traité la question en conduite depuis mon arrivée.

Je me suis davantage occupé de la gestion quantitative de l'eau, notamment en accompagnant le schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) dans la préparation et l'élaboration de son plan territorial de gestion de l'eau, en particulier pour le lancement d'une étude HMUC (Hydrologie, milieux, usages et climat). En effet, l'enjeu majeur des prochaines années pour le Puy-de-Dôme portera sur le partage quantitatif de l'eau, nécessaire à une agriculture florissante, une population accrue et des industries, agroalimentaires notamment, très consommatrices en eau. Ainsi, la réflexion sur la ressource a constitué mon enjeu prioritaire.

Pour cette raison, j'ai initié l'élaboration d'un dossier, à déposer en 2025, concernant une nouvelle réserve naturelle nationale, Le Bec de Dore, pour consolider les espaces de zones humides. Les enjeux quantitatifs me paraissent en effet plus prégnants dans mon département que les questions de qualité de l'eau.

Je n'ai pas une connaissance exhaustive des contrôles conduits sous mon autorité par la DDT, par la DDPP, par l'ARS et par la DREAL. Ces contrôles réguliers ne donnent pas lieu à des rapports systématiques, mais ces services m'en parlent lors de nos échanges bilatéraux, assez fréquents avec la DDPP et la DDT, environ tous les deux mois avec l'ARS. Hormis l'événement de 2019 antérieur à mon arrivée, les questions relatives aux entreprises d'eau embouteillée n'ont pas nécessité de mesures correctives majeures, à deux exceptions près. En effet, les services ne me remontent pas de non-conformité régulière.

Encore une fois, la ressource constitue pour moi l'enjeu majeur. Concernant l'impluvium de Volvic, compte tenu des débats sur le sujet et du contentieux en cours avec un pisciculteur, j'ai ainsi mis en place volontairement un comité de transparence, présidé par la sous-préfète de Riom. Il se réunit régulièrement pour suivre en toute transparence l'ensemble des contrôles relatifs à la société des eaux de Volvic.

Toujours volontairement, nous avons pris l'initiative de financer un post-doctorat sur le risque d'assèchement de l'impluvium de Volvic, dont les travaux ont été présentés à la commission de transparence. En l'état actuel des connaissances scientifiques, ils concluent que la situation de l'impluvium ne suscite pas de préoccupation particulière. Cependant, comme pour tout l'écosystème aquifère, il conviendra de prendre en compte le changement climatique.

Nous avons ainsi accompagné la société des eaux de Volvic dans une démarche proactive, le plan d'utilisation rationnelle de l'eau. Dans cette perspective, je serai probablement conduit à prendre avant la fin 2025 des arrêtés préfectoraux de réduction des autorisations de prélèvement, avec un objectif de réduction de 20 % en 2027. L'entreprise en est informée. Il s'agit d'anticiper les enjeux climatiques, même si les études lancées ne soulèvent pas d'urgence.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie et laisse la parole à Monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur le préfet, plusieurs questions nous intéressent dans votre département.

Je commencerai par celle de la surexploitation éventuelle de la ressource Volvic et des questions que se posent divers acteurs. Je souhaiterais clarifier avec vous quelques points.

Si j'ai bien compris, vous ne disposez pas encore de tous les résultats des études en cours, mais vous modifierez le niveau des prélèvements autorisés d'ici la fin de l'année 2025. Aussi, sur quoi vous fondez-vous pour envisager une modification du niveau des prélèvements autorisés ? Vous appuyez-vous sur des discussions avec l'industriel ? Vous-même, avez-vous une idée du niveau de réduction éventuel des prélèvements ?

M. Joël Mathurin. - J'ai dit que, dans l'état actuel des connaissances, nous ne relevons pas d'élément préoccupant. Néanmoins, j'ai eu connaissance du contentieux en cours avec un pisciculteur, selon lequel une pression plus importante serait constatée depuis quelques années. La réduction des débits naturels de l'une des sources, le « front de coulée de Volvic », a conduit l'État et les collectivités locales à cofinancer un post-doctorat.

Selon ces travaux, la masse d'eau de l'impluvium ne semble pas présenter de vulnérabilité spécifique aux aléas, du fait d'une composante inertielle, car l'eau de pluie arrive aux sources dans un délai de cinq à six ans.

En revanche, compte tenu des tendances globales de changement climatique, nous avons conduit l'entreprise à s'inscrire dans la démarche volontaire d'un « plan d'utilisation rationnelle de l'eau » (PURE). En 2021, dans le cadre de cette démarche volontaire, mon prédécesseur a réduit de 10 % l'autorisation de prélèvement de l'eau. Toujours dans le même esprit et après échange avec l'entreprise, je prévois de réduire l'autorisation de prélèvement de l'eau en 2025,2026 et 2027, successivement de 10 %, 20 % et 25 %. J'ai communiqué cette perspective à l'entreprise, de façon à anticiper les enjeux liés au changement climatique. Pour autant, le travail effectué par le post-doctorant ne met pas en exergue de préoccupations d'urgence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je n'arrive pas à comprendre comment une entreprise consent à une réduction des prélèvements, en l'absence de données objectives.

Votre dialogue avec l'entreprise vous donne-t-il l'impression qu'elle dispose d'éléments dont vous ne disposez pas ou qu'elle partage une inquiétude sur la pérennité de la ressource ?

Quand vous lui annoncez des réductions successives de 10 %, 20 % et, 25 %, argumente-t-elle vigoureusement ou comprend-elle la démarche ?

M. Joël Mathurin. - L'intérêt de ce dispositif, voulu par le préfet de région, repose précisément sur son caractère volontaire. Les entreprises et les opérateurs économiques sont invités à s'engager volontairement dans une démarche de qualité. Pour Volvic, il s'agit d'améliorer progressivement sa fonction de production pour consommer moins d'eau. Compte tenu des décrets parus l'an dernier sur la réutilisation de l'eau dans l'industrie agroalimentaire, l'entreprise pourra investir pour économiser l'eau dans son processus interne de nettoyage des bouteilles. Elle pourra ainsi rationaliser l'utilisation de l'eau en investissant dans l'innovation et s'inscrire dans la démarche selon le rythme évoqué précédemment.

Plusieurs entreprises de notre département, appartenant à d'autres secteurs, sont engagées dans cette démarche proactive de qualité. La Chambre de commerce et d'industrie anime cette politique volontariste d'économie de l'eau qui passe, toutes choses égales par ailleurs, par l'investissement et l'innovation dans le cadre du volontariat.

En l'occurrence, les résultats du PURE sont probants pour la société des eaux de Volvic. Ils ouvrent des perspectives de réduction pour 2025, 2026 et 2027.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous dans votre département d'autres contentieux que celui que vous évoquiez, entre Volvic et un pisciculteur ?

M. Joël Mathurin. - À ma connaissance, c'est le seul contentieux de cette nature.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous nous interrogeons aussi sur les arrêtés préfectoraux et les modalités des instructions. Nous avons posé ces questions à l'ARS, mais votre regard nous intéresse également. Les arrêtés de modification des conditions d'exploitation sont-ils fréquents ? Quels sont, côté préfecture, les délais nécessaires pour instruire ces arrêtés de modification ?

Par ailleurs, j'aurais une question sur l'existence dans votre département d'eaux exploitées avec de la microfiltration, avec des seuils de coupure inférieurs à 0,8 micron, soit le seuil qui fait référence au sein de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Je crois que cela concerne Hydroxydase et une eau appelée « Excellent ». Comment appréhendez-vous ce sujet ? Avez-vous été destinataire du « bleu » de Matignon relatif au plan de transformation de Nestlé qui présentait plusieurs préconisations en matière de microfiltration.

M. Joël Mathurin. - Concernant les délais d'instruction, je n'ai pas connaissance de difficulté particulière. Je pense que les éventuelles révisions d'arrêtés préfectoraux s'inscrivent dans le délai de droit commun de deux mois. Pour la plupart, ces arrêtés sont examinés par la commission de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques.

Les arrêtés préfectoraux pour les eaux conditionnées ne sont pas très nombreux. Ils sont pris en fonction de l'actualité opérationnelle, comme celui que j'ai évoqué concernant la société des eaux de Volvic.

Pour répondre à votre autre question, j'ai eu connaissance de deux cas d'autorisation d'une filtration inférieure à 0,8 micron : Laqueuille, par arrêté préfectoral du 30 avril 2004, et Hydroxydase, par arrêté préfectoral du 17 juin 2009. Le seuil autorisé est respectivement de 0,5 micron et de 0,2 micron. Ces autorisations ont été données pour des raisons techniques, liées à l'élimination des fines argiles présentes dans les ressources. Le procédé n'était réglementairement pas interdit. Il ne faisait l'objet que d'une recommandation de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) de 2001. Une tolérance était alors acceptée, sous réserve d'une absence d'impact sur le microbisme, absence constatée en l'occurrence par l'ARS.

À Laqueuille, l'autorisation a été accompagnée d'un suivi. Un rapport a été présenté au Conseil de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) en 2009. Pendant les sept années de suivi, aucun impact sur le microbisme n'a été observé. Le dispositif a été arrêté en 2013, lorsque la réglementation a évolué. Laqueuille a fait l'objet d'une inspection dans le cadre de l'enquête menée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2022. La filtration était alors de 0,45 micron et une mise en conformité a aussitôt été demandée.

À Hydroxydase, le suivi avant et après filtration, mis en place tous les deux mois à partir de 2007, n'a pas mis en évidence d'impact sur le microbisme. Conformément aux nouvelles directives de la direction générale de la santé (DGS), il a été demandé à l'entreprise en janvier 2025 de supprimer la filtration à 0,25 micron ou de déposer un dossier justificatif auprès des services.

Enfin, je n'ai pas reçu de « bleu », mais n'ai pas à en connaître en tant que préfet du département. Je ne reçois que des instructions. À ma connaissance, je n'en ai pas reçu sur le sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant les microfiltrations à 0,2 micron, jugées non conformes à la réglementation par la DGS et l'audit sur les eaux minérales naturelles de la Commission européenne, avez-vous rencontré les acteurs ou échangé des courriers pour vous enquérir de leurs intentions ?

M. Joël Mathurin. - À ce stade, les échanges restent entre l'ARS et les opérateurs. Si Hydroxydase n'obtempérait pas aux injonctions de l'ARS, le sujet me remonterait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Compte tenu de la brièveté du délai de deux mois, qu'avez-vous envisagé en cas de non-respect de la réglementation par les acteurs ?

M. Joël Mathurin. - S'ils n'obtempéraient pas aux injonctions, la procédure normale s'appliquerait : information du préfet, mise en demeure préfectorale et engagement d'une procédure contentieuse. Connaissant les opérateurs économiques, je ne pense pas que nous en arriverons là.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges avec eux susceptibles de vous rassurer ?

M. Joël Mathurin. - Je n'en ai pas eu sur ce sujet, mais je connais ces acteurs. Ils travaillent généralement en bonne intelligence avec les services de l'État. Les microfiltrations inférieures à 0,8 micron n'étant plus autorisées, je pense qu'ils se soumettront à l'injonction de l'ARS. À défaut, j'engagerai bien sûr les moyens de droit à ma disposition pour qu'ils obtempèrent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous des éléments ayant justifié l'autorisation de ce seuil de coupure de l'eau ? La préconisation de l'Anses sur le seuil de 0,8 micron remonte à vingt ans. Je cherche à savoir à quel moment et pour quelles raisons il a été arbitré d'aller au-delà de la préconisation de l'Anses.

M. Joël Mathurin. - Si ces éléments existent dans les dossiers originaux, je n'en ai pas pris connaissance.

M. Laurent Burgoa, président. - J'ai également posé la même question à vos collègues préfets : avez-vous déjà visité des sites industriels de votre département, notamment Volvic ? Vos contacts avec cette entreprise passent-ils par vos services où avez-vous déjà reçu sa direction à la préfecture ?

M. Joël Mathurin. - Il est d'usage qu'un préfet nouvellement nommé se rende dans les grandes entreprises de son département. Je me suis donc rendu assez rapidement sur le site de Volvic pour une visite de découverte. Par la suite, j'ai eu des réunions de travail régulières avec les dirigeants de Danone.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les révélations de fraude organisée et de dissimulation concernant Nestlé, telles que nous avons pu les observer dans le Gard, ont-elles suscité une vigilance particulière de votre part ? Avez-vous mené par exemple des contrôles inopinés ou plus fréquents, afin de confirmer ou d'infirmer l'existence de telles pratiques ?

M. Laurent Burgoa, président. - En complément, avez-vous échangé au téléphone avec les préfets du Gard et des Vosges sur le sujet ?

M. Joël Mathurin. - Non, pas à ce stade. J'ai considéré qu'une enquête judiciaire était en cours sur ce dossier, plaçant mes services sous l'autorité du procureur de la République. Bien sûr, ceux-ci peuvent être amenés à me communiquer des éléments de compréhension lors de nos réunions bilatérales, mais à ce stade je ne suis pas en charge directement de ce dossier.

Par conséquent, je n'ai pas engagé de mesures particulières ni reçu d'instructions en ce sens, visant à renforcer les contrôles. Au demeurant, selon ma compréhension du dossier, les enjeux sanitaires sont seconds, puisqu'il est essentiellement question d'une tromperie du consommateur. Les services continuent ainsi d'assurer leurs contrôles de droit commun et m'en rendent compte si nécessaire.

Comme je vous l'ai indiqué, j'ai mené une action forte sur les enjeux quantitatifs, dans le cadre du PURE. En revanche, je n'ai pas conduit de plan d'action particulier sur d'éventuels événements postérieurs à la tromperie de 2019.

M. Laurent Burgoa, président. - À quelle procédure judiciaire faites-vous référence ?

M. Joël Mathurin. - Je pensais à celle visant Alma.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous échangé avec le préfet du Gard ?

M. Joël Mathurin. - Non, pas du tout.

M. Laurent Burgoa, président. - J'ai posé une question similaire aux ARS. N'échangez-vous jamais sur le dossier industriel de l'eau minérale en bouteille entre préfets concernés lors de vos réunions au ministère de l'Intérieur ?

M. Joël Mathurin. - Nous ne parlons pas de ce sujet-là entre nous. Encore une fois, ce dossier ne m'a pas particulièrement alerté, car je n'ai pas observé d'enjeux sanitaires. De mon point de vue, il appartient à l'autorité judiciaire de se saisir de ce dossier et de sanctionner ce qui relève de la tromperie. Par conséquent, je n'ai pas pris de mesures correctives à ce stade, hormis en matière de microfiltration, qui est indépendante du dossier Alma.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est tout de même question d'une fraude au consommateur que les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont évaluée à plus de 3 milliards d'euros. Sauf erreur de ma part, les services de la DGCCRF dans le département relèvent aussi de votre autorité. Par conséquent, même si vous considériez que la question sanitaire n'était pas engagée, ce qui est d'autant plus vrai dans votre département que vous étiez finalement concerné de manière marginale par la microfiltration, le sujet est dans le périmètre de vos compétences.

Quant à la justice, dans le dossier Alma, nous disposons de peu d'informations. Peut-être pourriez-vous nous indiquer si les poursuites continuent ?

M. Joël Mathurin. - Je ne sais pas, parce que c'est l'autorité judiciaire est en charge de ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourtant, vous venez d'indiquer que vous considériez que le dossier était dans les mains de la justice.

M. Joël Mathurin. - En effet, car l'article 40 a été invoqué. Dès lors, quand j'ai pris connaissance du dossier, je n'ai pas considéré que cela appelait de ma part des mesures correctives d'urgence quant aux procédures de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si l'article 40 concernait bien Alma, il n'empêchait pas de travailler sur la vérification chez Volvic, un des grands acteurs du secteur.

M. Joël Mathurin. - Pour être précis, je parle de la transmission des éléments de la DDPP à la DGCCRF qui a décidé de saisir le Service national d'enquête (SNE) le 16 décembre 2019. De ce fait, celui-ci a été conduit à opérer des prélèvements, notamment à Châteldon, et à engager des contrôles. Sur tout ce volet-là, je n'ai pas eu à prendre des mesures ni à en avoir connaissance, puisque, de mon point de vue, le sujet relève de l'autorité judiciaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous pu échanger avec votre prédécesseur sur ce dossier ?

M. Joël Mathurin. - Non, pas sur ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je n'ai pas d'autres questions, Monsieur le président.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Jacquin, avez-vous des questions ?

M. Olivier Jacquin. - Monsieur le préfet, j'aurai deux questions.

Tout d'abord, il est avéré que Nestlé a commis des fraudes, mais vous ne savez pas nous dire si des fraudes similaires ont été commises chez l'un ou l'autre des industriels présents dans votre département.

En second lieu, comment qualifiez-vous les relations entre l'État et le secteur industriel dans votre département ?

M. Joël Mathurin. - En réponse à une question très précise, j'ai indiqué que je n'ai pas pris d'initiative particulière. En revanche, mes services assurent régulièrement des contrôles de droit commun dans l'ensemble de ces entreprises.

Pour répondre à votre question, si mes services avaient eu connaissance de tromperies ou de problèmes de loyauté lors de leurs contrôles, ils m'auraient bien évidemment fait un rapport sur ces infractions.

M. Olivier Jacquin. - Il n'y a donc pas de fraude dans votre département.

M. Joël Mathurin. - Je n'ai pas connaissance d'infractions. Si je n'ai pas renforcé les contrôles, la DDPP, la DDT et la DREAL se rendent régulièrement dans ces entreprises. La DDPP, en particulier, met en place des contrôles de loyauté.

M. Laurent Burgoa, président. - Depuis que nous avons commencé nos auditions, nous avons constaté que, bien souvent, les industriels eux-mêmes ont avoué avoir fraudé. Les services de l'État, quels que soient les départements, ont très peu pu prouver ces fraudes, qui étaient bien dissimulées. La presse en fait état, si bien que même la DGCCRF y a découvert le rapport de l'IGAS.

Cela ne vous incite-t-il pas à accentuer des contrôles et à demander à vos services d'être encore plus vigilants ? N'êtes-vous pas en contact sur le sujet avec un cabinet ministériel ? Aucune directive ministérielle ne vous est-elle communiquée ?

M. Joël Mathurin. - J'interroge bien évidemment mes services, dans le cadre de leur contrôle en conduite, pour savoir si notre département est concerné ou non par ces problématiques. En l'état actuel de mes connaissances, la réponse est négative concernant les entreprises qui ont été évoquées.

Cependant, pour préciser mon propos, je n'ai pas pris d'initiative de renforcement des contrôles. Les services effectuent les contrôles en conduite qui existaient avant mon arrivée. Ils sont présents sur le terrain, ils effectuent des contrôles, mais dans l'état actuel de ce qu'ils portent à ma connaissance, ils n'ont pas découvert d'infraction nouvelle, hormis le sujet que nous avons évoqué.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le président Burgoa et le sénateur Jacquin soulignent que des faits de fraude massifs ont été découverts, qu'ils se sont produits sur une longue période, à savoir depuis 1993, pour ceux qui ont été découverts, que les services de l'État ont été leurrés par diverses manoeuvres et qu'aucune information n'a été partagée dans les autres grands départements producteurs d'eau minérale pour y vérifier l'existence d'une fraude massive.

Par conséquent, comprenez notre surprise lorsque nous entendons que vous procédez comme d'habitude, alors même que les consommateurs ont été victimes de fraudes pendant trente ans. Nous sommes surpris que l'État n'apporte pas de réponse proportionnée à la nature d'une information qui est publique depuis plus d'un an et qui défraie la chronique presque chaque semaine.

M. Joël Mathurin. - J'ai répondu à votre question. Je n'ai pas renforcé les contrôles, mais les contrôles existent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous l'avons bien compris. Pour autant, les contrôles existants ont montré leur défaillance en trente ans de fraude.

M. Olivier Jacquin. - Je souhaiterais une réponse à ma deuxième question. Comment qualifiez-vous vos relations avec les industriels dans votre département ?

M. Joël Mathurin. - Nous entretenons des relations professionnelles, notamment pour les enjeux liés à l'eau. Ils répondent aux questions que je leur pose. Je les rencontre lorsque c'est nécessaire.

M. Olivier Jacquin. - C'est une relation de confiance.

M. Joël Mathurin. - C'est une relation professionnelle. La gestion quantitative de l'eau est pour moi une forte préoccupation. Elle s'exprime par un PURE très engageant, assorti d'investissements conséquents sur l'innovation afin d'économiser l'eau. J'estime que ces industriels répondent à mes préoccupations.

M. Olivier Jacquin. - Pour cette raison, je parlais d'une relation de confiance.

M. Joël Mathurin. - Dans ce sens-là, oui.

Je souhaiterais émettre un commentaire sur la réflexion de Monsieur le rapporteur sur la modification des conditions de contrôle de nos services.

L'événement produira certainement une révision de l'analyse de risque au niveau national et des instructions beaucoup plus précises quant au protocole opératoire, mais cela me semble encore trop tôt.

Pour autant, même sans instruction préfectorale, les contrôleurs de la DDPP du Puy-de-Dôme intègrent évidemment ces éléments dans leur pratique. Je ne peux pas vous dire que je l'ai vérifié, mais j'en suis convaincu, bien qu'à ce stade cela n'ait pas été formalisé à ma connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour ce retour sur une intégration éventuelle par les services de ce qui s'est passé.

Je rappelle cependant que les faits ont été révélés à la puissance publique en août 2021. Nous sommes en février 2025. Je crois vraiment qu'il n'est pas possible de dire que c'est beaucoup trop tôt.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, Monsieur le préfet, pour cette audition.

Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous donnons rendez-vous demain à 13 h 30 pour la première audition d'un industriel de l'eau.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 30.

Mercredi 12 février 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de M. Jean-Hervé Chassaigne, président du groupe Ogeu

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Jean-Hervé Chassaigne, Président du Groupe Ogeu.

Monsieur le Président, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Hervé Chassaigne prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous souhaitons connaître les contrôles des exploitations d'eaux minérales naturelles du groupe Ogeu, et nous allons bien sûr entendre d'autres minéraliers pour un état des lieux le plus complet possible.

Avez-vous, à un moment ou un autre, utilisé des traitements interdits (filtres charbon, UV) ? Si oui, pourquoi ? Estimez-vous que le recours aux traitements interdits pendant plusieurs années par certains de vos concurrents constitue une concurrence déloyale ?

Vos sites ont-ils fait l'objet de contrôles renforcés à la suite des révélations relatives à Nestlé Waters ? Avez-vous été contactés par les autorités (administratives, politiques) à ce sujet ? Utilisez-vous des traitements de microfiltration sur vos eaux minérales naturelles ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne, président du groupe Ogeu. - Le groupe Ogeu est une entreprise de taille intermédiaire (ETI) familiale qui exploite des eaux minérales depuis plus de 70 ans. Nous réalisons un chiffre d'affaires de l'ordre de 110 millions d'euros et nous employons près de 300 personnes.

Nous exploitons six sites de production en France, avec des sources telles que Quézac en Loire-Atlantique, Plancoët en Bretagne et Ogeu dans les Pyrénées. Nos sources s'infiltrent dans des espaces protégés, situés pour la plupart en zone de montagne ou au sein de parcs naturels, nationaux ou régionaux, c'est très important parce que c'est un atout pour préserver la qualité et la pureté de l'eau.

Nous sommes pleinement investis pour assurer une gestion durable des ressources en eau et renforcer leur protection. Nous préconisons une exploitation raisonnée, c'est-à-dire un prélèvement dans les nappes souterraines sans impact notable sur les eaux superficielles. Nous n'avons sollicité aucune augmentation significative de nos volumes au cours des cinq dernières années. Nous avons mis en place une politique foncière volontariste pour renforcer les périmètres de protection des captages. En Provence, par exemple, nous avons acquis 50 hectares de terrain en amont des sources, que nous avons préservées en espace naturel ; en Bretagne, nous assurons la maîtrise foncière de près de 100 hectares de terrain autour de nos sources et nous avons mis en place des conventions pour garantir une exploitation en agriculture biologique.

Face à la dégradation continue des ressources en eau en France, nous défendons, avec une large majorité de la profession, la pureté originelle de nos eaux naturelles. Nous sommes fondamentalement attachés au principe de pureté originelle pour les eaux minérales naturelles et les eaux de source. Ce principe constitue le fondement même de notre métier de conditionnement d'eau naturelle. Nous le revendiquons et nous le défendons. Il s'agit là d'une différence fondamentale avec l'eau de réseau, qui subit d'importants traitements de désinfection chimique pour être potabilisée et distribuée. Nous affirmons que la désinfection doit rester interdite pour les eaux minérales naturelles et eaux de source. Nous ne revendiquons ni un allègement des exigences de qualité ni une plus grande variété de traitements. Notre position est d'autant plus claire sur ces sujets, que la préservation de la pureté naturelle de nos eaux est un enjeu essentiel pour l'avenir de notre secteur et pour la confiance des consommateurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous exprimez votre attachement au critère de pureté originelle, qui vous semble important et central dans la définition des eaux minérales naturelles. Vous dites également votre attachement à ce que la désinfection reste interdite et à ce que nous en restions aux produits aujourd'hui autorisés.

Nous confirmez-vous que, sur l'ensemble de vos sites, vous ne pratiquez aucune microfiltration à 0,2 micron, que la direction générale de la santé (DGS) considère comme non conforme ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous utilisons une microfiltration de 0,2 micron sur deux de nos sites. Il faut préciser que l'eau souterraine, qui est une eau pure, n'est pas stérile, c'est un écosystème naturel, elle contient naturellement des bactéries, des micro-organismes, des levures, une flore microbienne qui s'équilibre et agit comme un filtre biologique. L'eau est captée avec une flore naturelle et cette flore, dans les canalisations, dans les systèmes de stockage, peut être en contact avec un environnement qui n'est pas stérile et qui peut stimuler son développement. Aussi, l'utilisation de la microfiltration est importante pour maîtriser cette flore - mais ce n'est pas un système de désinfection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels sont les sites où des filtres de 0,2 micron sont utilisés ? Cette microfiltration fait-elle l'objet d'une autorisation préfectorale ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous l'utilisons à Luchon, un site que nous avons repris il y a deux ans à Agro-Mousquetaires, filiale alimentaire d'Intermarché. Sur ce site, l'eau subit plusieurs traitements physico-chimiques autorisés, en particulier pour éliminer du manganèse et du fer, ces traitements génèrent des microparticules, qu'il faut filtrer. Cette microfiltration était déjà en place quand nous avons repris le site et, après échange avec les autorités compétentes, en particulier l'ARS, nous avons convenu de maintenir ce filtre pour traiter les particules fines.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que l'arrêté préfectoral a été modifié dans ce sens, autorisant cette filtration à 0,2 micron, ou bien avez-vous eu une sorte de gentleman's agreement avec l'ARS ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - La documentation partagée avec l'ARS mentionne bien le seuil de 0,2, mais l'arrêté préfectoral se contente d'écrire qu'on peut utiliser un filtre inférieur à 0,8 micron, sans mentionner le chiffre de 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle est la date de cet arrêté préfectoral ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je ne l'ai pas en mémoire, mais cette date est récente. Il faudrait peut-être clarifier la réglementation, parce que chacun pense être autorisé à utiliser une filtration à 0,2 micron quand l'arrêté préfectoral se contente d'autoriser à descendre en-deçà de 0,8 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est votre état d'esprit lorsque vous vous adressez à l'ARS pour demander cette microfiltration à 0,2 micron : savez-vous alors que, par rapport à la doctrine de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et par rapport à ce que pratiquent d'autres États membres, qui ne descendent pas en dessous de 0,45 micron, votre demande se situe dans une zone grise de la réglementation ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - En l'occurrence, nous ne demandons rien, nous ne faisons que reprendre le dossier en place, en toute transparence avec l'ARS, qui nous a préconisé très clairement le maintien du filtre de 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'ARS vous l'a préconisé ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Oui, c'est bien le cas. Le deuxième cas où nous utilisons cette microfiltration à 0,2 micron, c'est sur notre site historique d'Ogeu, uniquement pour l'eau que nous exportons vers le marché japonais, où la réglementation exige une telle filtration. L'eau qui passe par cette filtration, en toute transparence, est exclusivement réservée à ce marché.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez donc conscience que cette microfiltration à 0,2 micron pose question par rapport à la réglementation... Et vous nous confirmez qu'à part ces deux cas, vous n'utilisez cette microfiltration sur aucun de vos sites ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je vous le confirme. Sur l'ensemble des autres sites, nous utilisons une filtration à 1 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu à recourir, par le passé, à des techniques comme des lampes à UV ou des filtres à charbon, comme l'a fait Nestlé Waters ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous reprenez le site de Quézac à Nestlé Waters, que découvrez-vous ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Un site conforme à la réglementation, y compris sur la filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi le seuil de 0,2 micron est-il nécessaire à Luchon et nulle part ailleurs ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - À Luchon, comme d'autres minéraliers le font ailleurs, nous appliquons des traitements physico-chimiques autorisés, pour enlever le phosphore et le manganèse de l'eau, parfois du fluor ; ces traitements génèrent des particules extrêmement fines que nous devons enlever, avec la microfiltration.

Quand je dis que nous défendons la pureté originelle de l'eau, je pense au captage, il doit être pur. Cependant, le process entraîne un développement de la flore dans toutes les canalisations, qu'il faut maîtriser, avec des systèmes de traitement qualifiés, de nettoyage régulier, mais aussi par de la microfiltration - ce que nous faisons avec un filtre à 1 micron. La question se pose de savoir si la taille d'un micron est suffisante : faut-il aller en dessous ? C'est un débat scientifique, mais le principe même d'une microfiltration pour traiter la flore est nécessaire dans nos fonctionnements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous qu'à 0,2 micron, la microfiltration s'apparente à une désinfection ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non. À Luchon, l'ARS a fait des analyses avant et après le filtre, pour voir précisément ce qu'il en était. Elle a constaté que, globalement, les paramètres physico-chimiques de l'eau étaient inchangés, et aussi que le rabattement sur la flore était limité, ce qui doit faire l'objet d'études complémentaires. Le principe, cependant, reste le captage d'une eau pure, donc non infectée : il n'est donc par définition pas nécessaire de désinfecter, ou bien on ne parle pas d'eau pure - la question de la désinfection ne se pose pas en principe, dès lors qu'on dispose d'un captage pur. La désinfection serait nécessaire si nous estimions qu'il y avait une infection en amont.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En principe, il ne devrait pas y avoir de microfiltration, mais il faut bien tenir compte du biofilm qui se développe par le processus même, dans les canalisations. L'ancienneté des canalisations peut-elle jouer ? Comment expliquez-vous que, sur certains sites, un filtre d'1 micron suffise, alors que pour d'autres, il faille aller jusqu'à 0,2 micron ? Est-ce à voir avec la qualité de l'infrastructure ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Cela dépend de l'eau, qui est un produit vivant, avec un niveau de flore différent, lequel dépend du process, mais aussi de l'origine de l'eau, de sa circulation, de sa température. L'ancienneté des canalisations n'est pas un sujet, puisqu'elles sont entretenues et qu'elles doivent être irréprochables.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous est-il arrivé de fermer un forage pour non-respect des critères de pureté définis dans la directive ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non, mais nous avons eu des alertes sur des points de prélèvements, ce qui nous a fait choisir de laisser couler l'eau pendant quelques jours sans la prélever, avant de reprendre le prélèvement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous est-il arrivé de devoir détruire des lots qui auraient comporté un risque sanitaire ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Il n'y a pas un seul produit qui soit livré au client sans avoir été contrôlé. Il peut y avoir des risques, il y a eu des moments de suspicion dans le processus, la flore peut être trop haute - dans ce cas-là nous ne commercialisons pas le produit, le produit est isolé et peut être détruit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce un phénomène rare ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Oui, exceptionnel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De quel ordre de fréquence ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Un ou deux cas par an, mais sans occurrence depuis des années sur certains sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'inspection générale des affaires sociales (Igas) a conduit une inspection entre novembre 2021 et juillet 2022 : vos sites ont-ils été contrôlés ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous avons répondu aux questionnaires, mais il n'y a pas eu de contrôle renforcé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous reçu la visite de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - La DGCCRF inspecte de manière inopinée, elle est passée récemment sur l'un de nos sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quelle fréquence ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je dirais une fois tous les deux ans, mais c'est indicatif, je pourrai vous communiquer des chiffres par écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la surveillance et le contrôle que vous effectuez sur vos eaux, avez-vous constaté des non-conformités ? Sur quels éléments ? Seulement bactériologiques, ou également virologiques ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Virologiques, jamais, c'est la flore qui peut entraîner des problèmes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les paramètres virologiques sont-ils monitorés sur vos sites ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Les eaux de nos sites ne sont pas monitorées. Nous faisons des analyses hebdomadaires sur l'ensemble de nos captages et l'administration effectue des contrôles de son côté. Nos captages n'ont pas de bactéries pathogènes et, à notre connaissance, il ne peut pas y avoir de virus, parce qu'un virus ne peut pas se développer dans une eau souterraine - les coliphages ne peuvent pas se développer s'il n'y a pas eu à l'origine un coliforme, donc des bactéries pathogènes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Faites-vous des analyses et des recherches sur les PFAS et les microplastiques ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous avons analysé l'ensemble de nos eaux à la recherche de PFAS, nous n'en avons trouvé aucune trace.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aucune trace ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous sommes sous les seuils, et je crois que nous n'avons pas même trouvé de trace.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et des microplastiques ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous n'avons pas fait de recherche particulière sur les microplastiques. Nos sources ont cette chance d'infiltrer dans des zones protégées, souvent de montagnes ou de parcs naturels et quand ce n'est pas le cas, par exemple en Bretagne, nous menons une politique foncière qui nous protège de tels risques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment avez-vous vécu, comme minéralier, les révélations sur le fait que Nestlé ait utilisé des traitements illégaux sur certains de ses sites ? Cet événement a-t-il eu des répercussions sur vos ventes, votre réputation ? Quel impact sur vos chiffres ? Considérez-vous que c'est de la concurrence déloyale ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je n'ai pas tous les éléments du dossier...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ils sont largement repris dans la presse, et Nestlé les a reconnus...

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Si les faits sont avérés, ils jettent un discrédit sur notre profession. La pureté originelle est le fondement de l'eau naturelle, si elle n'est pas garantie au captage, ce n'est plus de l'eau minérale naturelle. Nous n'avons pas enregistré d'impact sur nos ventes, mais nous sommes conscients de l'inquiétude des consommateurs. Les eaux traitées se développent partout dans le monde, elles correspondent à un modèle hygiéniste, nous défendons de notre côté une eau naturelle, vivante, avec ses spécificités et que nous estimons très bonne pour la santé.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous être président du Syndicat des minéraliers de France : quelles actions ce syndicat prend-il envers l'un de ses membres qui ne respecterait pas les règles fondamentales de votre profession ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je suis président du Syndicat des eaux de source et des eaux minérales naturelles. Vous évoquez Nestlé, qui était adhérent de la Maison des eaux minérales, donc pas du syndicat que je préside - depuis un an seulement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'êtes pas membre de cette Maison des minéraliers ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous étions adhérents.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne l'êtes plus ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Peut-on savoir pourquoi ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Parce qu'il est difficile d'y être en même temps qu'un minéralier dont les options nous paraissent contredire nos principes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre décision a donc un lien avec l'affaire dont nous parlons...

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - En partie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous dites protéger la ressource, pour que les eaux minérales naturelles continuent d'exister, nous le voulons aussi. Quelles mesures prenez-vous pour protéger la ressource, pour la préserver à long terme ? Comment avez-vous été mis à contribution dans les territoires frappés par un arrêté de sécheresse ? Baissez-vous vos prélèvements en été ? Avez-vous adapté vos captations, fait des réserves ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous avons l'obligation de définir des périmètres de protection. Au-delà de cette obligation, les mesures que nous prenons varient selon les territoires, car les environnements sont très différents. Nous avons la chance que nos sources se situent à proximité ou même dans des parcs naturels, des zones déjà très protégées, et nous avons des accords avec les parcs nationaux et les parcs régionaux. Ou bien nous avons des sources très profondes, c'est le cas dans les Yvelines, avec une source à 700 mètres de profondeur, ce qui est suffisant pour se protéger de toute l'activité anthropique à la surface.

En Bretagne, où la pression sur les pesticides est extrêmement forte, nous mettons en place une politique foncière depuis vingt ans, c'est un travail de long terme - certaines de nos sources sont dans ma famille depuis 70 ans, nous sommes sur le temps long et nous voulons sécuriser un bien commun.

Nous sommes également très sensibles au phénomène de la sécheresse, pour être implantés dans des territoires d'Occitanie et de Provence qui le connaissent assurément. Notre source en Provence se situe au pied du massif de la Sainte-Baume, le réservoir de plusieurs milliards de mètres cubes est sous le massif, complètement protégé. Nos sources sont en grande profondeur, nos arrêtés de prélèvements ont été établis à la suite d'études hydrogéologiques très poussées, qui tiennent compte des périodes de sécheresse historiques : nos autorisations de prélèvements sont calibrées pour éviter d'avoir un impact sur les nappes superficielles. Aussi, lorsqu'on nous a demandé de réduire nos prélèvements, nous avons expliqué qu'ils n'avaient pas d'impact sur les nappes superficielles, mais nous avons également mis en avant que la diminution du prélèvement pourrait être dangereuse, en risquant de changer l'équilibre des pressions au sein du bassin hydrogéologique, jouant finalement contre les nappes de surface. Nous le pensons au vu de la littérature scientifique, je sais que notre point de vue n'est pas partagé par tous, mais les pouvoirs publics en ont tenu compte, nous avons pu faire comprendre qu'une diminution des prélèvements ne serait pas dans l'intérêt du site.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que pensez-vous du développement des eaux de boisson ? Nous avons découvert la distinction entre Perrier et Maison Perrier... Pensez-vous qu'il y ait un sujet de loyauté de l'information donnée au consommateur, dès lors que les emballages sont proches ? Votre groupe fait-il des eaux de boisson ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous sommes très attachés aux eaux minérales naturelles. En dehors du marché français et européen, les eaux traitées se développent partout dans le monde. Aux États-Unis, il y a plus d'eaux traitées embouteillées et conditionnées que d'eaux naturelles - les eaux minérales naturelles tendent à devenir une particularité européenne, latine en particulier. Les eaux traitées se développent, nous en consommons tous les jours, c'est une réalité. Ce qui nous importe, c'est de bien dissocier les deux activités, les deux métiers, qui sont différents, et nous défendrons jusqu'au bout la notion de pureté originelle de l'eau captée. Si nous la traitons même un peu, le combat sera perdu, toutes les sources passeront au traitement et nous perdrons le principe de nos activités.

Je n'ai pas à me prononcer, ensuite, sur la politique conduite par Nestlé avec Perrier.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous êtes implantés dans plusieurs départements, quelles sont vos relations avec les préfets ? Les rencontrez-vous régulièrement - à votre demande ou à la leur ? En tant que président du syndicat des minéraliers, avez-vous des relations avec des ministres - lesquels ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Au titre de mon groupe ou du syndicat, je n'ai aucun contact avec le préfet ni aucun ministre sur ces sujets. Je suis en contact avec des députés de circonscription...

M. Laurent Burgoa, président. - Pas de sénateur ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non, sauf aujourd'hui...

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'est que le début, alors, et j'espère que nous continuerons à être en relation. Merci pour votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 15.

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Luc Baeyens, directeur général de Sources Alma

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Luc Baeyens, directeur général du groupe Sources Alma.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Luc Baeyens prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle aux internautes - cette audition étant retransmise en direct sur le site du Sénat - que ce dernier a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur les contrôles des exploitations d'eaux minérales naturelles du groupe Sources Alma, qui a été le premier à être mis en cause, mais nous allons bien sûr entendre l'ensemble des autres minéraliers, afin d'aboutir à un état des lieux le plus complet possible.

Monsieur le directeur général, pendant quelle durée avez-vous utilisé des filtres à charbon actif et des ultraviolets (UV) ? Pour quelles raisons ?

À quelle date exacte vous êtes-vous mis en conformité avec la réglementation ? Quelles ont été les mesures mises en oeuvre afin d'assurer le retrait des traitements interdits sans risque sanitaire pour le consommateur, ni microbiologique ni virologique ?

Vos sites ont-ils fait l'objet de contrôles renforcés à la suite des révélations vous concernant et de celles qui étaient relatives à Nestlé Waters ? Avez-vous été contacté par les autorités - administratives, politiques - à ce sujet ?

Utilisez-vous des traitements de microfiltration sur vos eaux minérales naturelles ? Comment évaluez-vous l'impact de la microfiltration sur le microbisme de l'eau ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

M. Luc Baeyens, directeur général du groupe Sources Alma. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, je tiens en préambule à évoquer l'élément essentiel qu'est l'eau et à recentrer le débat après les multiples polémiques qui ont eu lieu. J'ai des petits-enfants, je veux le meilleur pour eux et je mets sur le marché des eaux minérales et des eaux de source de grande qualité.

De quoi parle-t-on ? Une eau minérale, issue de sources protégées, a une composition physico-chimique stable dans le temps ayant nécessité de nombreuses analyses en vue d'obtenir l'appellation « eau minérale ». Cette catégorie est encadrée par une série de textes, dont la directive européenne de 2009 relative à l'exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles et la directive européenne de 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

De plus, les eaux minérales peuvent avoir des compositions très différentes : certaines sont utilisées à des fins d'amélioration de la récupération sportive, tandis que d'autres apportent une certaine teneur en magnésium. Au-delà de ces spécificités, leur caractéristique essentielle réside dans leur pureté originelle.

Les eaux de source, quant à elles, sont aussi soumises à de nombreuses analyses et proviennent également de nappes protégées.

Nos sources, réparties sur l'ensemble du territoire, font toutes l'objet de contrôles, qu'il s'agisse des eaux minérales ou de source.

Enfin, les eaux de réseau, qui proviennent soit de nappes protégées, soit d'eaux de surface, sont soumises à un ensemble de traitements afin que le consommateur dispose d'une eau bactériologiquement saine au robinet.

Sources Alma a fêté ses 70 ans l'année dernière. Cette société française depuis quatre générations est guidée par plusieurs principes cardinaux, à commencer par la qualité, d'autant plus que certaines de nos eaux sont destinées à des nourrissons. Afin de garantir la haute qualité de nos eaux, 3 millions d'analyses sont réalisées chaque année sur la cinquantaine de sites que compte notre société.

En France, nous avons 36 sites répartis sur 23 départements et 11 régions. Nous employons 1 800 personnes, dont 80 % habitent aux alentours des sources, elles-mêmes situées à proximité de villes de moins de 5 000 habitants. Comme vous le savez, l'eau doit être embouteillée sur le lieu de pompage, ce qui explique cette implantation nationale nous permettant d'alimenter les consommateurs à des prix intéressants, avec l'eau Cristaline notamment.

Un autre principe guidant notre action est la prévention, notamment en matière d'environnement. Nous veillons ainsi à protéger l'aquifère et achetons des terres autour de nos différents forages afin de protéger ces derniers et d'être certains que l'eau est saine à l'émergence.

Un autre levier de prévention a trait au recyclage : à la suite du plastique-bashing, nous avons élaboré un processus de recyclage robuste dont je suis très fier, car notre société est la seule au monde à récupérer 100 % des bouteilles qu'elle met sur le marché et participe à une véritable économie circulaire. De surcroît, nous déployons des ruches autour de nos forages, ce qui nous permet de nous assurer qu'aucun épandage de pesticides n'affecte la qualité de l'eau.

En outre, notre société, très citoyenne, s'implique dans les plans d'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec) : en cas de rupture de canalisations ou de problèmes bactériologiques, nous pouvons livrer en quelques heures les mairies qui font appel à nous.

Une autre priorité de Sources Alma a trait à l'innovation, qu'il s'agisse de l'allégement du poids des bouteilles ou de la mise en place de bouchons attachés. Nous recherchons, de manière générale, les meilleures technologies afin de proposer aux consommateurs des produits de très haute qualité, dont certains à bas prix - tels que l'eau Cristaline -, afin de protéger leur pouvoir d'achat.

En conclusion, j'insiste sur le fait que l'eau doit être saine et pure à l'émergence afin de pouvoir être exploitée en tant qu'eau minérale ou de source. Jamais les autorités, que ce soit les agences régionales de santé (ARS) ou la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ne nous ont transmis d'alertes relatives à la qualité sanitaire de nos eaux, et nos produits n'ont jamais été rappelés.

Une enquête judiciaire étant en cours, je ne serai pas en mesure de répondre à certaines de vos questions, mais je me tiens à votre disposition.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous rappelle que l'enquête en cours ne vous empêche pas de répondre aux questions de notre commission.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour ma part, je remarque que vous n'avez répondu à aucune des questions posées par le président, ce qui constitue une première dans le cadre de notre commission d'enquête. Je les reprends donc à mon compte : combien de temps avez-vous utilisé des filtres à charbon actif et des UV, traitements interdits par la réglementation ?

Vous avez exprimé votre attachement à la pureté originelle de l'eau, et ces traitements semblent être mis en place lorsque cette dernière ne peut pas être garantie. Dans quel cadre les avez-vous mis en place ? Sur quels sites ?

M. Luc Baeyens. - Ma réponse est très claire : nous n'avons jamais utilisé de traitements au charbon actif ou de traitements UV. Pour le reste, je ne peux pas répondre à vos questions compte tenu de l'enquête en cours, d'autant plus que j'ignore tout du contenu du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pouvez me répondre sur les traitements que vous n'avez pas utilisés, mais pas au sujet de ceux auxquels vous avez eu recours ?

M. Luc Baeyens. - Exactement. Vous m'avez posé une question très précise sur les traitements au charbon actif et aux UV et je vous confirme que nous ne les avons jamais utilisés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'accord. Quels traitements interdits avez-vous mis en oeuvre ?

M. Luc Baeyens. - Je ne peux pas répondre à cette question dans la mesure où le dossier est entre les mains du procureur de la République. J'ai été interrogé par le service national des enquêtes (SNE) et je ne connais pas encore le contenu de ce dossier, ni ce qui nous est précisément reproché. Une fois encore, les produits que nous mettons sur le marché ont toujours été sains...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le sujet abordé ici est celui de la tromperie, et je ne vois pas ce qui s'oppose à ce que vous nous présentiez aujourd'hui les traitements illégaux que vous avez mis en place pendant de nombreuses années, semble-t-il. Merci de nous détailler les sources concernées, car l'objet même de cette commission d'enquête consiste à comprendre ce qui s'est passé.

M. Luc Baeyens. - La notion de tromperie relève de l'appréciation du juge et je n'utiliserais pas ce terme, d'autant plus que la directrice générale de la DGCCRF n'a évoqué, devant cette commission, que des « écarts » à notre sujet.

Je n'ai pas consulté le dossier et ignore ce que cette direction ou le SNE nous reprochent. Lorsque ce dernier a effectué une visite sur le site de Saint-Yorre, l'usine a été arrêtée. Je me suis rendu sur place et j'ai appliqué l'arrêté préfectoral, permettant le redémarrage des installations. Aucune marchandise n'a été rappelée ensuite, car les produits, sains à l'émergence, l'étaient également une fois distribués.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) indique que des filtres à charbon ont été utilisés dans l'usine de Saint-Yorre.

M. Luc Baeyens. - Je le conteste : aucun traitement au charbon actif n'a été appliqué.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je le note.

M. Laurent Burgoa, président. - Je me permets de vous sensibiliser sur l'importance des déclarations faites devant notre commission d'enquête : l'Igas pourrait confirmer ce point et je rappelle que vous avez prêté serment.

M. Luc Baeyens. - Je l'entends tout à fait et maintiens mes propos. À ma connaissance, aucun traitement au charbon actif n'a été utilisé sur ce site, ni sur les autres sites du groupe Sources Alma. Il en est de même pour les traitements UV.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes très affirmatif s'agissant du fonctionnement de vos usines, et c'est tant mieux. Pourriez-vous donc nous expliquer à quoi correspondent les « écarts » que vous mentionniez ?

M. Luc Baeyens. - Je n'ai pas la possibilité de vous expliquer ce qu'il en était : la presse a évoqué l'utilisation de traitements, mais sans précision. À la suite de la perquisition de l'usine, en présence d'une quarantaine de personnes en armes - ce qui était assez impressionnant -, j'ai appliqué strictement les mesures contenues dans l'arrêté préfectoral...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel était donc l'écart justifiant l'arrêté préfectoral et dont la rectification a permis la reprise de la production ?

M. Luc Baeyens. - Je l'ignore.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Faut-il faire venir un responsable d'usine ?

M. Luc Baeyens. - Ce n'est pas nécessaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un écart par rapport à la réglementation débouche sur l'arrêt de la production et une perquisition dans l'un de vos sites, mais vous en ignorez la nature ?

M. Luc Baeyens. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je n'ai simplement pas le droit d'en parler.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je répète qu'il n'existe pas de droit au silence devant cette commission d'enquête et je vous demande de répondre à la question.

M. Luc Baeyens. - Un traitement au sulfate de fer, dont j'ignorais l'existence, a été employé et a été immédiatement supprimé. J'ignore depuis combien de temps il avait été installé, mais je sais qui l'a mis en place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous expliquer à quoi servait ce traitement et en quoi son retrait n'était pas problématique ?

M. Luc Baeyens. - Cela va sans doute vous paraître ridicule, mais ce procédé ne servait à rien. J'ai immédiatement fait retirer ce dispositif dont j'ignorais totalement l'existence, respectant ainsi l'arrêté préfectoral et permettant à l'usine de redémarrer sans problème particulier.

M. Laurent Burgoa, président. - Je n'ai aucune difficulté à vous croire. Quelles mesures disciplinaires avez-vous adoptées à la suite de cette découverte ?

M. Luc Baeyens. - La personne en charge de ce dossier a quitté la société en prenant une retraite anticipée.

M. Laurent Burgoa, président. - Une retraite contrainte, donc.

M. Luc Baeyens. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je vous suis, ce traitement illégal n'avait donc aucune incidence sur la pureté originelle de la ressource.

M. Luc Baeyens. - Absolument.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et il avait donc été installé pour une raison que vous ne parvenez pas à expliquer.

M. Luc Baeyens. - Exactement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'affaire a été ébruitée par des lanceurs d'alerte au sein de votre groupe, qui ont renseigné les services de l'État. Considérez-vous qu'il y a là oeuvre de malveillance ou que les faits justifiaient le déclenchement de ces alertes ?

M. Luc Baeyens. - J'ai disposé de pouvoirs étendus à partir de 2018 puisque je suis devenu l'unique directeur général du groupe ; nous étions précédemment trois. Si les règles étaient tout à fait claires concernant le respect des arrêtés préfectoraux, cet événement s'est malgré tout produit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les arrêtés préfectoraux étaient-ils parfaitement respectés avant votre arrivée ?

M. Luc Baeyens. - Tout à fait. J'ai procédé à divers changements, notamment en faisant en sorte que le suivi de la qualité dépende directement de moi, et non plus de chacun des responsables de site, comme c'était le cas auparavant. J'ai aussi demandé la réalisation d'audits afin de nous assurer que les pratiques de chacun de nos sites étaient en conformité avec les arrêtés applicables, ce qui était le cas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous donc nous certifier aujourd'hui, sous serment, que le traitement au sulfate de fer était le seul traitement illégal qui a été utilisé dans vos sites ?

M. Luc Baeyens. - À ma connaissance, oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À la suite de cet épisode, avez-vous découvert, dans d'autres sites, d'autres traitements illégaux que vous avez ensuite retirés ?

M. Luc Baeyens. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les lanceurs d'alerte se sont donc basés sur ce traitement au sulfate de fer.

M. Luc Baeyens. - Le lanceur d'alerte travaillait dans cet atelier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il avait donc connaissance du caractère illégal de ce traitement.

M. Luc Baeyens. - Probablement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur - J'en viens au sujet de la microfiltration, pratique encadrée par un certain nombre de règles qui ne semblent pas avoir été respectées dans une série de cas. Existe-t-il, dans certains de vos sites, des microfiltrations en dessous de 0,8 micron ? Si oui, à quels niveaux dans les différents sites ?

M. Luc Baeyens. - Rappelons tout d'abord que la microfiltration est autorisée par la réglementation européenne. Ensuite, aucun seuil n'est inscrit dans le marbre, mais je peux vous confirmer qu'aucun de nos sites ne retient un seuil moyen de coupure inférieur à 0,8 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous choisi ce seuil parce que la réglementation était claire sur le sujet ?

M. Luc Baeyens. - La réglementation me semble claire, malgré l'absence de seuil. Selon nous, le principe fondamental est qu'une éventuelle microfiltration ne doit pas modifier le milieu microbiologique et rendre potable une eau qui ne le serait pas : une telle utilisation ne serait pas acceptable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La microfiltration avec un seuil de coupure à 0,2 micron vous semble-t-elle conforme à la réglementation ?

M. Luc Baeyens. - En France, les arrêtés préfectoraux mentionnent divers seuils de microfiltration, tandis que d'autres pays européens ne définissent pas de seuil. Dans la pratique, si cette microfiltration de 0,2 micron ne vient pas rendre potable une eau qui ne l'est pas à l'émergence, je n'y vois pas d'inconvénient ; mais si elle lui confère ce caractère, il n'est alors plus possible de prétendre à l'appellation d'eau de source ou d'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, dans quels pays la microfiltration à 0,2 micron est-elle autorisée ?

M. Luc Baeyens. - Dans la majeure partie des pays européens.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, en l'état de la réglementation, et même si nous avons encore une étude en cours sur le sujet, il n'y a aucun pays dans lequel la microfiltration est autorisée en dessous de 0,45 micron.

M. Luc Baeyens. - Je veux dire que la microfiltration à 0,2 micron y est pratiquée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et dans des usines de votre groupe ?

M. Luc Baeyens. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous la savez pratiquée par ailleurs ?

M. Luc Baeyens. - Oui. Dans un milieu fortement concurrentiel, le fait que des embouteilleurs situés à proximité des frontières françaises puissent répondre à des appels d'offres avec des seuils de filtration et des traitements différents en dépit d'une réglementation identique est une forme de concurrence déloyale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous partageons l'idée que vous évoquiez selon laquelle l'eau minérale naturelle correspond d'abord à une pureté originelle de la ressource. C'est à notre avis le coeur même de la réglementation européenne et la spécificité de ce type d'eau.

Au cours des dernières années, avez-vous été amené, dans un souci de protection de cette qualité, à fermer des forages après y avoir rencontré des difficultés ? Avez-vous dû détruire certaines productions après des incidents rencontrés sur un forage ? Nous savons que Nestlé Waters a, pour sa part, fermé des forages dans les Vosges ainsi qu'en Occitanie.

M. Luc Baeyens. - Durant les trente dernières années, nous avons fermé douze sites et neuf forages.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelles étaient les raisons de ces fermetures ? La pureté originelle de l'eau n'était-elle plus garantie ?

M. Luc Baeyens. - Ce n'était pas le seul motif. Il est également arrivé que des pratiques ne correspondent plus aux critères de qualité de notre société, que des méthodes d'analyse de plus en plus précises nous permettent d'identifier. Nous autorisons par exemple l'appellation « biberon » pour autant que la teneur en nitrates soit inférieure à 5 milligrammes par litre, quand la norme est à 50 milligrammes par litre. Des mesures de l'ordre de 18 ou 19 milligrammes par litre n'entrent ainsi plus dans le cadre de notre politique qualitative et, quand nous les atteignons, décision est prise de fermer le site concerné, bien que nous puissions le laisser ouvert. Cela a notamment été le cas à Lucheux, dans les Hauts-de-France.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous mettez en place une forme de principe de précaution ?

M. Luc Baeyens. - Absolument.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous éclairer sur la manière dont vous percevez que la qualité de l'eau se dégrade ?

M. Luc Baeyens. - Les méthodes d'analyse évoluent. Elles portent aujourd'hui sur des aspects que l'on n'analysait peut-être pas il y a dix ou vingt ans et elles gagnent en précision. On détecte désormais dans l'eau, qui est un milieu naturel, des choses que l'on ne décelait pas auparavant. Les normes évoluent également.

Nous procédons dans notre société à 3 millions d'analyses par an, ce qui est très important, avec un suivi de la vie de chacun de nos forages. C'est l'une de nos priorités et il peut arriver que nous arrêtions un forage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'autocontrôle joue un rôle déterminant dans votre métier. Avez-vous sur des paramètres bactériologiques ou virologiques rencontré des difficultés dans certains de vos sites, que vous pourriez porter à la connaissance de cette commission d'enquête ? Pourriez-vous aussi nous éclairer sur la situation de vos différents sites à l'égard de ce que j'appellerai les nouveaux risques, ceux des PFAS et des microplastiques ?

M. Luc Baeyens. - Jamais nous n'avons été confrontés à un risque virologique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et vous faites des analyses virologiques ?

M. Luc Baeyens. - Quand vous travaillez avec des eaux saines à l'émergence, vous ne trouvez pas de virus, lors même que vous les rechercheriez.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais procédez-vous régulièrement à des autocontrôles de cette nature ?

M. Luc Baeyens. - Outre nos autocontrôles, nous nous adressons parfois à des services de l'État ou à des laboratoires accrédités par l'État, voire à d'autres laboratoires, car ces analyses peuvent être complexes.

En ce qui concerne la partie bactériologique, un développement de flore est toujours susceptible de survenir dans un milieu naturel. Nous en avons déjà constaté. L'ARS est alors informée et nous appliquons nos procédures de destruction de marchandise. Cependant, je répète que, parce que nous mettons des produits sains sur le marché, jamais les services de l'État ne nous ont demandé de rappeler de la marchandise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quelle fréquence un incident tel que la destruction de produits survient-il sur un site du groupe Alma ? Est-ce récurrent ?

M. Luc Baeyens. - Non. Sur 50 sites, il y a peut-être quelques palettes détruites par an. Le phénomène reste exceptionnel et j'en suis automatiquement averti. Travailler avec des technologies modernes, sans intervention humaine, sur un produit sain et en respectant la législation permet de circonscrire le risque.

La question des PFAS est nouvelle. Nous avons réalisé un ensemble de tests sur nos eaux, parfois en deçà des seuils, sans rien trouver.

Quant aux microplastiques, il faut être précis. D'où proviennent-ils ? De l'usure des pneus, des peintures présentes sur les routes, du textile. Nous essayons de les détecter et, pour faire progresser la filière, de trouver une méthode d'analyse qui nous permette de caractériser leur présence dans l'eau. Aujourd'hui, une telle méthode, qui soit fiable, reproductible et suffisamment précise, n'existe pas. Nous parlons d'éléments de la taille de l'atome, inférieurs au micromètre. Nous avons également travaillé en recherche et développement sur des méthodes d'analyse du polytéréphtalate d'éthylène (PET) recyclé, qui sont désormais utilisées au niveau européen.

M. Hervé Gillé. - La réglementation européenne ne précise pas le seuil à partir duquel la filtration est assimilée à une désinfection, proscrite pour les eaux minérales naturelles. Mais un avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) de 2001 le fixe à 0,8 micron. Quoiqu'il fasse autorité, cet avis n'a pas été transcrit au plan normatif et demeure donc fragile. Pourquoi, en tant qu'industriel ou groupement d'industriels, n'avez-vous pas demandé une clarification auprès de l'État, en vue d'une transcription normative ?

Du point de vue du citoyen ordinaire, du consommateur, une eau minérale naturelle ne doit pas être traitée et une microfiltration constitue déjà un traitement. Appliquer une filtration à 0,8 micron, fût-elle acceptée par les pouvoirs publics, devrait faire l'objet d'une communication claire à l'égard du public. C'est votre responsabilité d'industriel.

Sous pression du rapporteur, vous avez reconnu - enfin - des injections de sulfate de fer. Dont acte. Mais la presse s'est également fait l'écho de l'ajout de COindustriel, de la mise en oeuvre de microfiltrations inférieures au seuil autorisé ainsi que du mélange d'eaux dites minérales ou de source avec de l'eau de réseau. Reconnaissez-vous aussi ces pratiques ?

Enfin, des traitements ont été mis en place en amont des points de contrôle et vous en êtes certainement parfaitement informé. Quand vous évoquez l'eau à l'émergence, où exactement situez-vous cette émergence ?

M. Luc Baeyens. - J'ai déjà répondu à certaines de ces questions.

Dire que le seuil de filtration à 0,8 micron n'est pas inscrit dans la législation est vrai. En Europe, en dehors de la France, différents pays appliquent des filtrations à 0,2 micron. Pour notre part, nous n'avons pas eu besoin d'utiliser ce type de microfiltration.

Vous semblez dire que la microfiltration sert en matière bactériologique. Il n'en est rien. Les directives européennes 2009/54 et 2020/2184 relatives aux eaux minérales et de source énoncent une liste très restrictive de traitements autorisés et ils sont d'abord destinés à enlever le fer ou le manganèse.

Je ne fais pas de microfiltration inférieure à 0,8 micron, ce qui a été démontré, et cette microfiltration n'a aucun effet sur le plan bactériologique.

Le seuil de la microfiltration doit être fixé par les autorités compétentes, au niveau européen, afin d'éviter toute concurrence déloyale et de sorte que le procédé ne dénature pas la pureté originelle de l'eau et qu'il ne transforme pas une eau qui ne serait pas saine au départ pour la rendre potable. Une telle eau ne serait plus une eau minérale ou une eau de source, mais une eau rendue potable par traitement.

Quant à vos autres questions, si nous devions écouter et croire tout ce que la presse dit, nous n'en finirions plus. Je vous confirme que, non, il n'y a pas eu chez nous de mélanges d'eaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et sur l'adjonction de CO2 ?

M. Luc Baeyens. - Un dossier concerne l'eau de Châteldon.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'est-ce à dire ?

M. Luc Baeyens. - Il y a un dossier judiciaire, vous le savez comme moi. Je ne formulerai aucun commentaire par rapport à cela. Ce dossier est dans les mains du procureur de la République. Pour l'heure, nous avons changé l'étiquette du produit, pour y indiquer qu'il s'agit d'une eau minérale avec adjonction de gaz carbonique, finement pétillante.

Nos produits à la vente étaient sains et nous n'avons fait l'objet d'aucune demande de rappel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos paroles sont importantes. Au début de cette audition, je vous ai demandé s'il y avait eu des traitements illégaux. Vous m'avez confirmé un traitement au sulfate de fer, sans parler de la question de l'adjonction de gaz carbonique. Pourquoi ?

M. Luc Baeyens. - Je n'y ai pas pensé parce que c'était pour moi anodin.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est anodin, mais vous nous dites que cela fait l'objet d'une procédure judiciaire et que vous avez changé l'étiquette du produit.

M. Luc Baeyens. - Oui, nous avons changé l'étiquette à la demande des autorités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Saviez-vous que ce traitement était illégal ?

M. Luc Baeyens. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comprenez que vous êtes sous serment. Je vous pose la question de savoir si vos sites ont appliqué un autre traitement, vous y répondez par la négative, et quelques minutes plus tard vous répondez en sens contraire à mon collègue Hervé Gillé.

M. Luc Baeyens. - Je reconnais que j'avais oublié ce traitement.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous dites qu'il ne faut pas toujours croire ce que la presse rapporte. C'est votre point de vue. Mais dans ce cas précis, avez-vous déposé plainte pour diffamation ?

M. Luc Baeyens. - Non.

M. Laurent Burgoa, président. - Cela nous vous a-t-il pas effleuré l'esprit ?

M. Luc Baeyens. - Non, pas du tout.

M. Laurent Burgoa, président. - Peut-être ces affirmations n'étaient-elles pas si fausses que cela ?

M. Luc Baeyens. - La structure de notre société est familiale. Nous faisons énormément de recherche et développement. Nous répondons aux différentes demandes de nos clients, dont ceux de la grande distribution. Si nous devions nous intéresser à tout ce que la presse dit, nous n'en finirions plus.

Vous m'avez demandé si j'avais connaissance d'autres traitements illicites que le sulfate de fer. Pour votre information, le COn'est pas un traitement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La non-conformité de l'étiquette est une pratique illicite.

M. Luc Baeyens. - Le COn'est pas un traitement et j'ai donc répondu précisément à votre question...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour vous, ce n'est pas traiter l'eau que d'y mettre du CO2 ?

M. Luc Baeyens. - Non, ce n'est pas un traitement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment alors appelleriez-vous ce procédé ?

M. Luc Baeyens. - C'est une adjonction de gaz carbonique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - « Traitement » étant un mot générique...

M. Luc Baeyens. - Vous me demandez d'être précis, j'essaie de l'être.

M. Hervé Gillé. - Et le produit n'est plus conforme.

M. Luc Baeyens. - Je tiens à rectifier mon propos initial : à côté d'un traitement illicite au sulfate de fer, constitutif d'un écart ainsi que l'a reconnu la directrice chargée de la répression des fraudes, l'adjonction de COn'est, elle, pas assimilable à un traitement de l'eau. J'ai certes changé l'étiquette, mais je n'ai fait l'objet d'aucune demande de rappel, ce qui veut dire que les autorités reconnaissent que notre produit était parfaitement sain.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En résumé, vous reconnaissez donc qu'il y a un traitement illégal et une adjonction, que vous ne qualifiez pas de traitement, qui était elle-même illégale au regard de vos obligations relatives à l'étiquetage.

M. Luc Baeyens. - C'est votre qualification des faits.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y adhérez-vous ?

M. Luc Baeyens. - Oui.

Mme Audrey Linkenheld. - Notre commission d'enquête ne porte pas uniquement sur la question sanitaire, mais également sur le volet commercial. Ainsi, quand nous évoquons des pratiques illégales, illicites ou non conformes, nous nous plaçons sous cet angle double. Nous nous interrogeons donc aussi sur le point de savoir si des eaux minérales naturelles sont commercialisées comme telles alors qu'elles ne répondraient pas totalement à la définition de cette qualité, et quoiqu'elles soient par ailleurs saines.

À l'aune de votre expérience à la direction d'un groupe minéralier présent dans quelque 50 sites répartis dans plusieurs régions de France et au-delà, constatez-vous des différences dans les pratiques de vos divers interlocuteurs locaux, publics et privés, notamment les préfectures, les ARS et les laboratoires d'analyse agréés, et quant au regard qu'ils portent sur vos activités ? Nos questionnements s'étendent en effet aux contrôles que les autorités publiques, en particulier, exercent sur vos activités.

M. Luc Baeyens. - Nous avons des relations fréquentes avec les différentes autorités, que ce soient les ARS, les services de la répression des fraudes ou les préfectures. Je ne constate pas de différence de traitement d'une ARS à une autre.

Une trentaine de mes sites étant situés en France et les autres dans d'autres pays européens, je tiens à signaler que les autorités françaises compétentes, dont les ARS, sont très présentes dans nos activités, qu'elles contrôlent véritablement, selon une fréquence élevée. Ailleurs en Europe, le producteur peut se contenter d'envoyer une analyse par an aux autorités de sa région.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels sont ces pays ?

M. Luc Baeyens. - L'Italie, l'Allemagne.

En France, le niveau de contrôle est supérieur à celui que l'on rencontre ailleurs en Europe.

Mme Audrey Linkenheld. - Qu'en est-il de vos rapports avec les préfectures ?

M. Luc Baeyens. - La personnalité et l'expérience du préfet jouent un certain rôle, mais je ne dirai pas qu'il existe des traitements différents. D'une manière générale, les relations que nous entretenons avec les autorités françaises compétentes sont efficaces, cordiales et, surtout, constructives. Elles permettent de faire avancer les dossiers.

M. Saïd Omar Oili. - À Mayotte, nous avons connu plusieurs crises successives de pénurie d'eau potable. La marque que vous y exportez est Cristaline. Est-ce bien cela ?

M. Luc Baeyens. - Oui, c'est une marque que nous exportons à Mayotte, mais que nous n'y exploitons pas.

M. Saïd Omar Oili. - L'eau que vous produisez correspond aux normes européennes, mais la durée, longue, de son acheminement jusqu'à Mayotte, dans des conteneurs, ne nuit-elle pas à sa qualité ? L'eau qui nous y parvient dans ces conditions est-elle encore propre à la consommation ? Il nous a fallu jeter une partie de celle qui nous avait été livrée.

M. Luc Baeyens. - Nous exportons et livrons à Mayotte jusqu'à plusieurs dizaines de camions par jour, ce territoire étant confronté à une crise sanitaire sans précédent. Nous avons répondu présents. Ces livraisons s'effectuent via les services de l'État et, plus précisément, par l'intermédiaire de l'armée.

Nos procédures de chargement des camions sont très précises. La marchandise est ensuite, sur d'autres sites, transférée dans des conteneurs. Il est nécessaire que ces derniers puissent au préalable être examinés. Peut-être les services de l'État ont-ils en l'occurrence chargé de l'eau dans des conteneurs empreints d'une certaine odeur. Or si le PET des bouteilles - un polyester analogue à celui des tissus - présente un maillage dont les mailles sont plus petites qu'une goutte d'eau, ce maillage laisse passer les odeurs. Nous avions attiré l'attention de nos interlocuteurs sur ces aspects.

Vous évoquez un problème d'odeur survenu pour un seul de nos lots transportés par conteneurs, alors que nous en avons expédié des centaines. La procédure n'a pas été respectée au moment du chargement du conteneur, ce que je regrette. Nous avons de nouveau sensibilisé l'armée sur la procédure à suivre. Après les réclamations que nous avons reçues, nous avons par ailleurs procédé à des vérifications à partir de notre échantillothèque. Il en ressort que, lorsque l'eau incriminée a quitté nos sites en vue de son expédition, elle était de qualité parfaite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'était donc seulement une question de prise d'odeur et non de qualité de l'eau ?

M. Luc Baeyens. - Oui, c'est une prise d'odeur intervenue au cours du transfert qui est en cause. C'est comme cela que nous analysons la situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu un retour de quelques bouteilles de cette eau, pour son analyse ?

M. Luc Baeyens. - Non, nous avons été en discussion avec les ARS concernées, qui se sont intéressées elles-mêmes à notre échantillothèque, sans ensuite nous faire état d'un problème particulier.

M. Saïd Omar Oili. - Nous étions à Mayotte en pleine crise de l'eau et l'ARS nous a conseillé de ne pas boire celle que vous nous avez fait parvenir, justement parce qu'elle était impropre à la consommation.

M. Luc Baeyens. - D'après mes informations, un seul échantillon et un seul conteneur, qui avait été mal chargé et mal désinfecté, étaient concernés. Le problème ne tenait donc pas à l'eau elle-même, mais à l'environnement, aux conditions de son transport. Il faut savoir que, depuis la métropole, un conteneur met plusieurs semaines pour rejoindre Mayotte. L'absence de désinfection pose alors effectivement un problème et si l'armée n'a pas respecté certaines procédures, j'en suis désolé. Mais là où un conteneur a dû être détruit, le contenu de centaines d'autres a pu être consommé.

Je souligne aussi qu'il n'y a pas eu de procédure de rappel de la marchandise, l'ARS convenant qu'il s'agissait d'un cas spécifique et isolé, pour un conteneur qui n'avait pas été nettoyé ou préparé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur les aspects environnementaux de la production d'eau, nous nous apercevons que des arrêtés préfectoraux limitent les quantités prélevées et que des puits sont fermés. Pour alimenter nos travaux, formuleriez-vous des recommandations sur de bonnes pratiques de protection de la ressource ? Quels sont vos propres fonctionnements internes en la matière et l'état de votre réflexion sur le niveau approprié de prélèvement ? Avez-vous limité vos prélèvements dans certains endroits ?

M. Luc Baeyens. - Pour embouteiller de l'eau, encore faut-il en avoir, et qu'elle soit de qualité. Il est évident que nous prêtons une forte attention à l'aquifère, d'abord par la protection des terrains environnant les champs captants. Vous faites ensuite état de limitations. Il importe, quand on veut exploiter un forage, de s'adresser à des hydrogéologues. Nous disposons de nos propres hydrogéologues et recourons également aux services d'hydrogéologues agréés par l'État, afin de faire en sorte de ne jamais surexploiter la ressource pour laquelle nous bénéficions d'une autorisation.

À titre d'exemple, nous avons mis en place en 2003 dans le Nord une usine sur un terrain où le forage datait de 1998. Pendant cinq ans, avant toute demande d'autorisation, nous nous sommes assurés que la nappe ne serait pas surexploitée.

Les arrêtés préfectoraux qui accordent l'autorisation d'exploitation doivent parfois être réajustés en fonction des conditions climatiques. En cas de sécheresse, il arrive que nous recevions des demandes tendant à ce que nous diminuions nos prélèvements, ce à quoi nous nous conformons immédiatement.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci. Un questionnaire complémentaire vous sera adressé dans les prochains jours, qui vous permettra, si nécessaire, de préciser votre position à la suite de cette audition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Jean-Claude Lacaze, président, et Didier Ramos, directeur général de la Société des eaux de Mont Roucous

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de MM. Jean-Claude Lacaze et Didier Ramos, respectivement président et directeur général des eaux de Mont Roucous.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Claude Lacaze et M. Didier Ramos prêtent serment.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille après que, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les procédés illégaux de certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

La présente audition s'attachera aux contrôles des exploitations d'eaux minérales naturelles du groupe Mont Roucous, dans le Tarn, mais nous entendrons bien sûr, tout au long de nos travaux, l'ensemble des autres minéraliers, afin d'aboutir à un état des lieux le plus complet possible.

Pourriez-vous expliciter votre slogan « l'eau des mamans et des bébés » ? S'appuie-t-il sur des caractéristiques prévues par la réglementation et approuvées par l'Académie nationale de médecine ? Avez-vous, à un moment ou un autre, utilisé des traitements interdits, tels que des filtres à charbon ou des rayons ultraviolets (UV) ? Si oui, pourquoi ? Estimez-vous que le recours aux traitements interdits pendant plusieurs années par certains de vos concurrents constitue une concurrence déloyale ? Vos sites ont-ils fait l'objet de contrôles renforcés à la suite des révélations sur Nestlé Waters ? Avez-vous été approchés par les autorités, qu'elles soient administratives ou politiques, à ce sujet ? Utilisez-vous des traitements de microfiltration pour vos eaux minérales naturelles ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs à l'égard d'un secteur auquel nous tenons tous ?

Telles sont les premières questions que je vous soumets. Le rapporteur vous interrogera à son tour, suivi des autres membres de la commission d'enquête. Mais je vous propose de prendre d'abord la parole pour une présentation liminaire.

M. Jean-Claude Lacaze, président de la Société des eaux de Mont Roucous. - L'histoire de notre entreprise commence par la découverte en 1973 par l'épicier du village de Lacaune, Joseph Combes, de la source Mont Roucous. En 1977, il crée un site d'embouteillage et vante les mérites de son eau dans tous les hôpitaux français et auprès des magasins de proximité.

J'ai racheté cette entreprise en 2007 et y ai apporté des investissements destinés à son amélioration.

Le site de Mont Roucous se caractérise par la position nettement surélevée de toutes nos ressources en eau par rapport à l'usine où nous les exploitons et à la seule route qui mène à cette dernière. Ces ressources, situées à 1 000 mètres d'altitude en plein coeur du parc naturel régional du Haut-Languedoc, sont ainsi totalement vierges de toute pollution liée à l'urbanisme ou aux cultures agricoles.

Comme pour toutes les eaux minérales naturelles, la composition de l'eau de Mont Roucous est unique. Cependant, elle se différencie par une très faible minéralisation. Avec 30 milligrammes de résidus secs au litre, c'est l'une des eaux commercialisées en France les moins minéralisées.

Sa composition répond aux critères stricts de l'arrêté ministériel du 14 mars 2007. Elle convient particulièrement à l'alimentation des nourrissons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce sa faible minéralisation qui lui confère cette qualité ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Les reins d'un nourrisson ne sont pas matures ; or moins une eau est minéralisée, moins elle est susceptible d'entraîner des problématiques rénales. C'est donc la raison essentielle pour laquelle on recommande l'eau de Mont Roucous pour les nourrissons.

M. Didier Ramos, directeur général de la Société des eaux de Mont Roucous. - Ce n'est cependant pas son seul taux de minéralisation qui explique qu'elle convienne à l'alimentation du nourrisson. De nombreux autres critères, que l'arrêté du 14 mars 2007 énumère, doivent être respectés.

M. Jean-Claude Lacaze. - En fait, l'eau de Mont Roucous est bonne non pour ce qu'elle apporte, mais pour ce qu'elle emporte. Elle n'est guère appropriée dans les cas de carences, par exemple en calcium. En revanche, elle convient bien aux diabétiques ou aux insuffisants rénaux.

M. Didier Ramos. - La Société des eaux de Mont Roucous est une société anonyme au capital de 271 000 euros. Son chiffre d'affaires annuel s'élève à un peu moins de 54 millions d'euros. Sa production est écoulée à 98,4 % sur le territoire français.

M. Jean-Claude Lacaze. - Autrement dit, nous ne sommes pas présents à l'export.

M. Didier Ramos. - Cette production atteignait l'an passé un peu moins de 193 millions de bouteilles. Mont Roucous représente moins de 2 % du marché des eaux embouteillées vendues en grandes et moyennes surfaces (GMS) alimentaires en France - notre unique marché.

M. Laurent Burgoa, président. - Quel est l'effectif de la société ?

M. Didier Ramos. - L'entreprise emploie 62 salariés, dont sept cadres.

M. Jean-Claude Lacaze. - Depuis 2007, nous avons réalisé plus de 30 millions d'euros d'investissement dans notre site d'embouteillage. Celui-ci comprend trois lignes de production, l'une d'une capacité de 40 000 bouteilles par heure, les deux autres de 15 000 bouteilles par heure. Son équipe se compose de 47 salariés, avec un directeur, trois personnes à la qualité, cinq à la maintenance, 30 en production, trois caristes et cinq administratifs. C'est donc une unité de taille réduite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - N'y a-t-il qu'un seul point d'émergence ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Non, nous avons sept points d'émergence.

M. Didier Ramos. - Tous situés en contre-haut de l'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Notre commission s'interroge en particulier sur la dénomination « eau minérale naturelle ». J'imagine que sur vos sept forages, la question de la pureté originelle ne se pose pas ou ne s'est jamais posée, mais j'aimerais que vous nous le confirmiez. À quelle profondeur puisez-vous ? Par ailleurs, avez-vous recours, dans le processus de production, à la microfiltration et pouvez-vous détailler ce processus ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Nos forages se font à une profondeur de 20 à 30 mètres. Le sol est granitique et les émergences se situent dans des failles, ce qui explique la multiplicité des forages. Par ailleurs, nous filtrons à 0,45 microns.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce en conformité avec l'arrêté préfectoral vous concernant ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Tout à fait. Il est entendu que tous les dossiers d'homologation requis pour obtenir l'arrêté précisent ce niveau de filtration à 0,45 microns. L'agence régionale de santé (ARS) en est par ailleurs parfaitement informée. En revanche, cette donnée ne figure pas dans l'arrêté lui-même.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous confirmez-vous que le dossier d'instruction la mentionne bien ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Oui, tous les dossiers d'instruction la mentionnent. Depuis toujours, nous avons filtré à 0,45 microns.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est l'objectif de cette microfiltration ?

M. Jean-Claude Lacaze. - La microfiltration s'effectue avant les lignes d'embouteillage. Dans notre eau, nous pouvons en effet retrouver des particules issues de la flore. Nous sommes aujourd'hui l'eau des bébés. Par conséquent, nous ne voulons prendre aucun risque. En concertation avec les autorités, il a été décidé de filtrer à 0,45 microns. Sachez néanmoins que nous procédons par l'intermédiaire de notre laboratoire interne à des prélèvements réguliers et que d'autres prélèvements sont mandatés par l'ARS, au niveau du captage comme du produit fini. Ces prélèvements ne concluent à aucune modification dans la composition de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous indiquez avoir toujours pratiqué le seuil de 0,45 microns. Était-ce déjà le cas à votre arrivée ou s'agit-il d'une décision de votre part ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Il était déjà pratiqué à mon arrivée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez réalisé des travaux à hauteur de 30 millions d'euros, ce qui représente un investissement important. Quelles modifications avez-vous apportées à l'usine ? Quels ont été vos choix industriels ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Lorsque j'ai repris Mont Roucous, je savais bien sûr pertinemment ce que je souhaitais en faire. Je savais qu'il s'agissait de l'eau la moins minéralisée de France, et donc la plus adéquate pour les bébés et les nourrissons. Je savais aussi que je ne pouvais pas espérer sur ce site des volumes démesurés. C'est la raison pour laquelle, tout naturellement, nous nous sommes orientés vers le marché des bébés et des mamans.

Le succès est venu assez rapidement, puisque nous affichons, depuis 2007, une progression annuelle en volume à deux chiffres. Nous avons toutefois stoppé volontairement cette croissance afin de ne pas dépasser les 196 millions de litres, volume au-delà duquel nous ne serions plus soumis au régime de la déclaration, mais de l'autorisation.

Nous avons par ailleurs sous le coude de nouvelles ressources, mais avons besoin, pour les exploiter, d'un concours extérieur. En effet, notre PME ne dispose pas, par exemple, de ses propres hydrogéologues. Nous travaillons donc beaucoup avec les autorités - direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et direction départementale des territoires (DDT) - pour trouver de l'eau supplémentaire sans appauvrir les nappes environnantes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous d'une analyse du niveau d'exploitation des nappes ? Celles-ci vous semblent-elles surexploitées ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Nous nous en tenons strictement à la limite fixée par l'arrêté et nous ne prélevons jamais au-delà du volume autorisé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cet arrêté vous semble-t-il poser problème du point de vue du niveau d'exploitation de la nappe ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Pas du tout. Ce point n'a jusqu'ici jamais posé problème.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur un plan plus personnel, êtes-vous issu du monde de l'embouteillage ?

M. Jean-Claude Lacaze. - J'avais 57 ans. J'étais directeur général chez Danone, où j'étais chargé des eaux, puis j'en ai eu assez. J'ai démissionné et vendu tous mes biens. J'ai même hypothéqué ma résidence principale pour acheter Mont Roucous. Je croyais en effet énormément dans ce projet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est intéressant que vous ayez travaillé chez Danone. Avez-vous eu connaissance, dans ce cadre, de la présence de lampes à UV, de filtres à charbon ou d'autres traitements interdits ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Je représente ici Mont Roucous et je ne parlerai pas d'autre chose.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous êtes ici en effet en tant que président de Mont Roucous.

M. Jean-Claude Lacaze. - À Mont Roucous, on utilise des UV pour l'eau industrielle. En effet, nous ne sommes pas raccordés au réseau d'adduction publique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est-à-dire pour les autres process ?

M. Jean-Claude Lacaze. - En effet, pour les autres process uniquement. Pour le reste, nous utilisons la filtration à 0,45 microns en entrée d'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le scandale qui a frappé le secteur de l'eau a-t-il eu un impact sur vos ventes ? Contrairement aux autres entreprises que nous avons auditionnées, vous êtes 100 % français ; à ce titre, votre vision de l'effet de ce scandale sur le marché nous intéresse. Comment avez-vous perçu cet épisode du point de vue de la loyauté de la concurrence ? Quel est en un mot votre retour sur cette année de scandales à répétition ?

M. Jean-Claude Lacaze. - À Mont Roucous, nous respectons vraiment ce que nous offre la nature. Rendez-vous compte : nous sommes la seule marque à ne proposer qu'une seule référence - le litre -, après avoir abandonné le 50 centilitres, le 25 centilitres ou encore le 1,5 litre. Comme je vous l'indiquais, nous avons connu une progression fantastique. Régulièrement en fin d'année, d'ailleurs, nous ne parvenons pas - et je m'en excuse auprès de nos clients - à faire face à la demande. Pour ces raisons, nous n'avons pas ressenti les effets des scandales que vous évoquez. Nos ventes se maintiennent et, sans que je puisse le quantifier, nous pourrions expédier beaucoup plus de volume que ce que nous embouteillons.

Par ailleurs, les eaux que vous évoquez sont dix, vingt à trente fois plus minéralisées que celle de Mont Roucous. J'estime donc que nous ne jouons pas dans la même cour et nous ne les considérons pas véritablement comme des concurrentes. Nous sommes dans une niche, celle des mamans et des bébés. Ce segment représente l'essentiel de nos ventes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il a pu y avoir un effet d'image sur l'ensemble du secteur...

M. Didier Ramos. - D'une manière générale, il est certain que cela ne fait pas de bien à la catégorie des eaux embouteillées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela n'a toutefois pas été perçu dans vos chiffres, puisque vous indiquez être en situation de pénurie...

M. Jean-Claude Lacaze. - L'effet est en effet masqué.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez sans doute été destinataire du questionnaire de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), qui a mené une mission d'inspection sur votre secteur. Avez-vous des remarques particulières sur ce questionnaire ? Souhaitez-vous appeler l'attention de la commission sur certaines de vos réponses ?

Par ailleurs, dans le cadre ou à la suite de la publication de ce rapport de l'Igas, avez-vous fait l'objet de contrôles récents et si oui par qui - ARS, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?

M. Didier Ramos. - Nous avons en effet reçu le questionnaire de l'Igas et nous y avons répondu. L'ARS est venue inspecter le site quelques mois plus tard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous des comptes rendus de cette inspection ?

M. Didier Ramos- Nous avons reçu un projet de rapport, mentionnant la microfiltration à 0,45 microns. D'une manière générale, les laboratoires mandatés par l'ARS réalisent chaque année 20 à 26 prélèvements sur nos points d'émergence et 25 à 50 contrôles et analyses sur nos produits finis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous déjà connu un incident bactériologique ou virologique nécessitant la destruction de votre production ?

M. Didier Ramos- Nous avons eu deux alertes au cours des cinq dernières années, en mai 2021 et en novembre 2024, à la suite de contrôles réalisés au niveau des émergences par le laboratoire mandaté par les ARS. Dans ces cas-là, nous stoppons le forage, nous le nettoyons et procédons immédiatement à une contre-visite donnant lieu à de nouvelles analyses, qui ont toujours été négatives.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour bien comprendre, dans ces cas-là, est-ce la qualité de l'eau qui est en cause ou le système qui la remonte ?

M. Didier Ramos- Le système qui la remonte peut subir à un moment une micropollution. Il en suffit d'une pour que l'ARS soit alertée par le laboratoire et nous demande d'intervenir, avant contre-analyse.

M. Jean-Claude Lacaze. - Bien souvent, nous constatons, grâce à notre laboratoire interne, qu'un mauvais prélèvement effectué sans respecter la méthodologie est rapidement problématique.

Mme Marie-Lise Housseau. - Votre entreprise ne compte pas parmi les plus gros embouteilleurs, mais elle est très fortement ancrée dans son territoire. Quelles relations entretenez-vous avec votre écosystème, avec la commune de Lacaune en particulier, mais aussi avec la DDT, la Dreal ou l'ARS ? Comment vous nourrissez-vous des conseils que ces services peuvent vous apporter ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Ils jouent pour nous un rôle d'experts. Comme je l'indiquais précédemment, nous disposons de nouvelles ressources potentielles. Lors d'une réunion avec la Dreal et la DDT il y a dix jours, nous nous sommes rendu compte que l'une de ces trois ressources - les études durent dix-huit mois - impactait un ruisseau. Nous avons donc arrêté toute activité sur cette ressource. Tout cela se fait en concertation. En ce qui concerne nos relations avec la mairie, je dirai que nous sommes plutôt bien vus à Lacaune.

M. Didier Ramos. - En effet, en 2024, la surtaxe était de 1,09 million d'euros alors que la commune compte un peu moins de 2 500 habitants. D'une manière générale, nous entretenons de bonnes relations avec la municipalité. La plus grande partie des collaborateurs sont nés et vivent à Lacaune. Quand vous créez un emploi sur le site d'embouteillage, c'est une famille entière qui en bénéficie.

M. Laurent Burgoa, président. - C'est une somme intéressante pour un budget municipal. Vous avez l'air de rendre les gens heureux dans votre secteur...

M. Jean-Claude Lacaze. - Nous sommes heureux nous-mêmes de faire ce que nous faisons.

M. Hervé Gillé. - Je souhaite obtenir une précision au sujet de la microfiltration. Comme vous l'avez indiqué, celle-ci a été autorisée par les administrations et elle était déjà en place lorsque vous avez racheté l'usine. En quelle année était-ce ?

M. Jean-Claude Lacaze. - En 2007.

M. Hervé Gillé. - Cet élément doit être souligné : la microfiltration à 0,45 micron a donc été autorisée par les administrations dès 2007. Vous le savez, nous sommes en la matière dans une sorte de flou juridique, puisque l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a rendu un avis national qui fait jurisprudence et qui fixe un seuil à 0,8 microns. Par ailleurs, la réglementation européenne n'est pas encore affirmée.

Cela n'engage que moi, mais je considère pour ma part le seuil de 0,8 microns comme insuffisamment consolidé. Le seuil de 0,45 microns, lui, ne l'est absolument pas. Vous avez donc racheté une entreprise qui, certes, pratiquait une microfiltration ayant bénéficié de l'aval des autorités, mais qui, encore aujourd'hui, n'est pas réglementaire. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Que voulez-vous que je vous dise ? Quand j'ai racheté cette entreprise, je n'ai jamais pensé qu'il pouvait y avoir une quelconque contradiction avec la légalité. Dans le cas contraire, je ne l'aurais pas rachetée. Quand vous avez 57 ans, que vous démissionnez d'un groupe dans lequel vous gagnez bien votre vie et que vous vous lancez dans une telle aventure, vous y réfléchissez à deux fois. Si j'avais eu le moindre doute, j'aurais renoncé.

Par ailleurs, je connais un peu notre environnement. Je pense que dans les pays limitrophes, une filtration à 0,45 microns est commune. Je fais ici appel à mes souvenirs, sans pouvoir l'étayer par des éléments concrets.

M. Didier Ramos. - C'est aussi le process d'embouteillage qui nécessite la microfiltration. La microfiltration vise en effet à éliminer des particules qui sont naturellement présentes dans l'eau. Les analyses qui sont faites aux points d'émergence ainsi que sur le produit fini sont conformes.

M. Hervé Gillé. - Il n'y a aucun souci. Il n'en reste pas moins que cela n'a pas un caractère réglementaire.

M. Olivier Jacquin. - Si j'en crois vos explications, l'intégralité de votre impluvium se situe en zone boisée.

M. Jean-Claude Lacaze. - Nous sommes en effet propriétaires des 60 hectares environnant le site. Toutes nos ressources, à l'exception d'une seule, sont sur ce territoire forestier. La ressource supplémentaire qui a été récemment homologuée se situe sur le terrain de l'Office national des forêts (ONF), avec lequel nous avons passé une convention nous autorisant à prospecter sur son territoire. Nous savons désormais que sur notre territoire, nous avons fait le plein : nous ne trouverons plus de ressources supplémentaires. Il y a bien de l'eau, mais il y a un risque d'appauvrir les nappes.

M. Olivier Jacquin. - Dès lors, les polluants que l'on trouve souvent dans les impluviums des zones agricoles - nitrates et phytosanitaires - sont-ils absents de ce territoire ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Ils en sont totalement absents. Il n'y a aucune culture alentour.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'en est-il de la présence de substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) ?

M. Didier Ramos. - La présence de pesticides est déjà évaluée dans le cadre du contrôle sanitaire. Nous sommes par ailleurs très attentifs au sujet des PFAS et des microplastiques. Nous avons donc fait réaliser en 2024 par un laboratoire allemand des analyses visant à rechercher des PFAS sur notre produit fini. Le résultat a été négatif pour l'ensemble des vingt-sept molécules recherchées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il était nul ?

M. Didier Ramos. - Il était toujours en dessous du seuil de détection, sachant que ce dernier variait de 0,001 micron à 0,005 micron selon la molécule recherchée.

Mme Florence Lassarade. - J'ai été pédiatre et durant toutes mes études de médecine, on ne voyait dans les hôpitaux bordelais et alentour que l'eau de Mont Roucous. Cette eau bénéficiait en effet d'une grande confiance, du fait de sa faible minéralisation.

Les microfiltres nous intriguent : trouve-t-on partout les mêmes ? Nécessitent-ils un entretien ? Les avez-vous remplacés depuis que vous avez racheté l'installation ?

Par ailleurs, je suis membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et nous avons fait de nombreuses études sur les microplastiques dans l'eau, y compris du robinet. Avez-vous fait des recherches de ce type, similaires aux recherches de PFAS, sur vos eaux en bouteille, qui sont à mon avis de grande qualité ?

M. Didier Ramos. - Concernant les microplastiques, nous avons fait réaliser en septembre 2024 par un laboratoire externe une étude sur l'un de nos produits finis. Le résultat a conclu à l'absence de particules, sachant que les recherches portaient sur des microplastiques dont la taille était supérieure à 10 microns. Quant aux filtres, ils sont évidemment très régulièrement changés, de manière à être propres en permanence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Lacaze, vous êtes ici auditionné en tant que président de la société des eaux de Mont Roucous. Toutefois, le périmètre de notre enquête est plus vaste et votre expérience professionnelle préalable peut nous intéresser.

En vous rappelant que vous êtes sous serment, je vous pose donc avec bienveillance une question franche et directe : au cours de votre vie chez Danone, avez-vous eu connaissance de pratiques illégales telles que celles qui ont été révélées par la presse, à savoir l'utilisation sur de l'eau minérale naturelle des lampes à UV, de filtres à charbon ou d'autres traitements manifestement interdits ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Je n'ai pas une mémoire excellente, mais je vais bien sûr vous répondre. Quand vous êtes chez Danone, vous êtes directeur général d'une entreprise qui embouteille de l'eau, mais vous n'êtes pas au courant des traitements qui peuvent être effectués ici ou là. C'est le rôle des spécialistes. Si j'ai pu entendre certaines fois certaines choses, je n'ai pas d'éléments supplémentaires à vous fournir. Nous étions très segmentés. Je dirigeais l'entreprise essentiellement en matière commerciale et marketing. Pour tout ce qui concerne l'eau embouteillée et l'exploitation des ressources naturelles, ce sont les équipes dédiées qui maîtrisaient ces questions.

Dans mon entreprise, je suis polyvalent : je prévois les investissements, mais je peux aussi passer le balai le vendredi soir si nécessaire. Chez Danone, les choses fonctionnaient autrement.

Franchement, je crois que la catégorie est très respectueuse de l'environnement. Les directives que l'on nous donne sont globalement suivies. Je suis tombé à la renverse quand j'ai appris ces scandales par voie de presse. Je suis depuis un peu plus attentif.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je note que votre réponse est précise. Vous n'avez pas été informé de pratiques telles que celles qui ont été dévoilées dans la presse et vous n'avez pas eu à les valider, d'une manière ou d'une autre, au niveau du comité de direction.

M. Jean-Claude Lacaze. - Je vous le confirme.

M. Laurent Burgoa, président. - Cette question était d'autant plus intéressante que nous auditionnerons demain matin la directrice des sources chez Danone.

Messieurs, je vous remercie pour cette audition que j'ai trouvée passionnante, mais aussi pour votre franchise. Vous avez parlé avec vos tripes. Il est émouvant d'apprendre que vous avez misé toutes vos économies pour développer cette entreprise, devenue un fleuron pour votre département et pour notre pays. Si je le pouvais, je viendrais visiter votre site avec plaisir. Quand on est petit, on peut servir de modèle aux plus grands.

M. Jean-Claude Lacaze. - Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais vous exposer une situation.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous en prie.

M. Jean-Claude Lacaze. - Je voudrais vous raconter cette histoire. En 2007, je rachète Mont Roucous. Le 14 mars 2013, Mont Roucous fait la une de 60 millions de consommateurs. On y voit une bouteille de Mont Roucous, accompagnée du titre suivant : « Mont Roucous contient du tamoxifène ». Vous avez compris comment j'avais racheté Mont Roucous : je ne m'étais jamais versé un dividende jusqu'à ce jour où le ciel m'est tombé sur la tête. Je ne savais même pas ce qu'était le tamoxifène. Heureusement, mon précédent employeur m'avait formé aux situations de crise et j'ai fait ce que j'ai pu.

Vous savez, les ventes ont chuté du jour au lendemain. TF1 et France 2 ont repris cette fichue photo. Le tamoxifène est un résidu médicamenteux prescrit dans le traitement du cancer du sein. Quand je regarde cette photo, je me dis que cette situation est invraisemblable. C'est là, messieurs les élus, que je vous interpelle. Je ne peux pas comprendre qu'un journal qui n'est jamais venu chez nous, qui ne nous a pas entendus, puisse publier une telle information.

Certes, il nous a écoutés par la suite. Le journaliste nous a même envoyé une lettre dans laquelle il expliquait que cette affaire allait le hanter. Mais cela m'est égal : en attendant, il a fallu gérer cette situation et les ventes se sont cassé la figure. Ne peut-on pas imaginer qu'avant d'affirmer quelque chose d'aussi grave, de nature à « flinguer » une entreprise, il faille attendre les résultats d'une contre-analyse ou venir voir sur place ce qu'il en est ? Cet épisode a été pour moi un véritable traumatisme.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le président, je vous entends et je partage votre point de vue. Votre récit est émouvant. Notre commission d'enquête est particulièrement vigilante sur ce point : lorsque notre rapporteur émettra ses conclusions, il devra être sûr à 100 % de ce qu'il affirme.

M. Hervé Gillé. - En l'occurrence, il s'agissait bien d'une erreur d'analyse.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 35.

Jeudi 13 février 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de Mme Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales - Danone Waters Europe

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales chez Danone Waters Europe, qui est accompagnée de Mme Marion Bouissou-Thomas, directrice des affaires publiques de Danone France.

Je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Cathy Le Hec et Marion Bouissou-Thomas prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle à l'intention des internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de clarifier les contrôles des exploitations d'eaux minérales naturelles du groupe Danone, mais nous allons bien sûr entendre l'ensemble des autres minéraliers afin d'aboutir à un état des lieux le plus complet possible.

Madame Le Hec, avez-vous, à un moment ou un autre, utilisé des traitements interdits - filtres charbon, UV ? Si oui, pourquoi ?

Estimez-vous que le recours aux traitements interdits pendant plusieurs années par certains de vos concurrents constitue une concurrence déloyale ?

Vos sites ont-ils fait l'objet de contrôles renforcés à la suite des révélations relatives à Nestlé Waters ? Avez-vous été contactés par les autorités - administratives, politiques - à ce sujet ?

Utilisez-vous des traitements de microfiltration pour vos eaux minérales naturelles ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs dans un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur vous interrogera.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : une présentation liminaire de vos réflexions sera suivie d'un premier temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur ; nous terminerons éventuellement cet entretien avec une dernière batterie de questions.

Mme Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales chez Danone Waters Europe. - En tant que directrice des sources d'eau minérale de Danone en France, je tenais à vous remercier de m'avoir conviée à cette audition afin de vous présenter les activités et les pratiques de Danone, et répondre à vos questions relatives aux eaux minérales. À ce titre, je rappellerai que notre conduite est régie par un principe majeur, la transparence, qui est au centre des enjeux portés par cette commission d'enquête - c'est pourquoi nous prenons ces échanges très au sérieux. En effet, la transparence, et donc la confiance, se trouve au coeur de nos missions et de nos relations avec tous nos interlocuteurs.

Pour commencer, je présenterai brièvement notre activité.

Chez Danone, nous avons la responsabilité de quatre marques d'eau minérale : Évian, captée en Haute-Savoie ; Badoit, prélevée au coeur de la Loire ; Volvic, captée en plein coeur des volcans d'Auvergne, dans le département du Puy-de-Dôme ; enfin, La Salvetat, située dans l'Hérault, en région Occitanie. Les deux premières ont été acquises en 1970, tandis que Volvic et La Salvetat l'ont été respectivement en 1992 et 1990.

Chacune de ces ressources a une histoire et des origines géologiques propres qui lui confèrent des propriétés différentes. Ces eaux sont toutes reliées à un territoire et à un patrimoine local. Au total, cela représente plus de 3 000 emplois. Nous travaillons avec 25 communes situées autour des sources et une centaine d'exploitations agricoles.

Grâce à son savoir-faire en matière de gestion et de commercialisation de la ressource en eau, Danone remplit une mission essentielle : apporter une hydratation de qualité. Celle-ci s'inscrit dans notre raison d'être, qui consiste à apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre. En tant que minéralier, il est de notre devoir et de notre responsabilité de préserver la ressource en eau, en quantité et en qualité. Il y va de la protection de l'environnement et de la pérennité de nos activités.

De formation scientifique, je suis docteur en agronomie - eau et environnement -, et cela fait près de vingt ans que je travaille chez Danone au service de la préservation de l'eau minérale et de ces quatre ressources. Je reviendrai sur la façon dont nous menons ces politiques de protection, mais je suis aujourd'hui devant vous pour évoquer les pratiques que nous mettons en oeuvre avec rigueur pour garantir la qualité de ces ressources.

Les eaux minérales présentent des caractéristiques qui sont reconnues. Ce sont par nature des eaux pures qui répondent à des besoins spécifiques en termes d'hydratation. Les experts qui ont été auditionnés par cette commission d'enquête sont, je le sais, revenus à de multiples reprises sur cette définition, mais il est important de le rappeler, car c'est au coeur de notre activité quotidienne.

Ces eaux répondent à des critères stricts de qualité auxquels nous nous conformons et qui sont inscrits dans le code de la santé publique. D'origine souterraine, elles doivent être microbiologiquement saines - grâce notamment à un processus de filtration qui peut durer plus de dix ans -, pures et stables dans leur composition. Je tiens à préciser clairement que nos eaux minérales naturelles ne font l'objet d'aucun traitement qui pourrait en altérer les caractéristiques. C'est justement la pureté originelle qui leur confère toutes leurs qualités, et c'est la raison du succès de nos sources, qui remontent parfois à plusieurs siècles - la source Cachat à Évian-les-Bains date de 1789, et celle de Volvic de 1889.

Cette définition de l'eau minérale et ce travail de protection sont au coeur de notre activité. Au-delà du code de la santé publique, les travaux de l'Académie de médecine attestent les bienfaits de ces eaux minérales, qui, je le redis, présentent des spécificités en fonction de leur terroir d'origine. Évian est recommandée depuis 1826 pour les bébés, car elle est faiblement minéralisée et totalement conforme aux critères particulièrement stricts définis par la réglementation française. Volvic peut aussi, grâce à ses minéraux, être adaptée à une consommation quotidienne. Pour ce qui est des eaux gazeuses, Badoit est connue pour ses teneurs en bicarbonate, et La Salvetat est très faible en sodium.

Je m'attarderai quelques instants sur notre métier. Visant à assurer la protection de l'eau, il repose sur une expertise de long terme et requiert des connaissances en hydrogéologie et sur le fonctionnement et les activités humaines des territoires concernés. De telles connaissances sont indispensables pour évaluer l'évolution du niveau de la nappe et adapter notre activité et nos prélèvements. Ces données sont partagées, en transparence, avec les services de l'État, comme c'est le cas à Volvic lors des comités de suivi.

Je le rappelle, nos prélèvements en eau sont limités et soumis à des autorisations qui sont accordées par les pouvoirs publics.

Le métier de minéralier, c'est connaître, mais c'est aussi surveiller. Cette surveillance s'applique depuis les impluviums jusqu'à la mise en bouteille. Au-delà des contrôles effectués par les services de l'État, plus de 700 contrôles par jour sont réalisés sur les sites de Danone et mis à disposition des autorités. À ce propos, nous disposons d'une hydrothèque afin d'assurer la traçabilité de nos produits.

Être minéralier, c'est gérer, mais c'est aussi être capable d'anticiper. Notre devoir, et notre responsabilité, c'est de garantir la durabilité de cette ressource, en quantité et en qualité. Pour cela, la stratégie de préservation des ressources en eau mise en oeuvre depuis plus de trente ans chez Danone repose sur une collaboration étroite avec l'ensemble des acteurs locaux. Tout l'enjeu consiste à concilier le développement local sur le territoire des sources avec la protection de l'eau.

Pour ce faire, nous avons mis en place une gouvernance dédiée par le biais de l'Association pour la protection de l'impluvium de l'eau minérale Évian (Apieme), du Comité environnemental pour la protection de l'impluvium de Volvic (Cepiv), de La Bulle verte pour Badoit, et de l'association Politique environnementale pour la protection de la source La Salvetat (Peps's).

Toutes nos actions s'orientent autour de trois objectifs majeurs : l'aménagement et le développement raisonné des villages, la protection des milieux naturels et de la biodiversité, et l'accompagnement d'une agriculture durable et respectueuse de la qualité de l'eau. Au total, plus de 17 millions d'euros ont été investis ces dernières années pour protéger un territoire d'environ 280 kilomètres carrés.

Nous avons, par exemple, mis en place avec les collectivités le programme Zéro pesticide, qui avait été lancé pour l'entretien des espaces verts une dizaine d'années avant la réglementation. Et l'agriculture étant l'activité dominante sur nos territoires, nous collaborons étroitement avec les agriculteurs, dont plus d'une centaine travaillent sur nos impluviums. Nous pouvons ainsi protéger plus de 10 000 hectares.

Enfin, nous menons plusieurs programmes de protection de la biodiversité, en préservant notamment les zones humides. L'impluvium d'Évian a été le premier site d'une source à être classé au titre de la convention relative aux zones humides d'importance internationale de Ramsar.

En complément, nous inscrivons notre stratégie dans une gestion à long terme, particulièrement importante face aux enjeux climatiques.

Tout d'abord, nous assurons la gestion quantitative des systèmes aquifères. Nous prenons en compte les paramètres météorologiques et veillons à adapter nos prélèvements en cas de nécessité.

Ensuite, nous investissons depuis des années dans des projets qui visent à optimiser l'utilisation de l'eau sur nos sites d'embouteillage. Cela inclut les programmes de récupération et de réutilisation des eaux pour augmenter l'efficience des prélèvements. Chaque goutte compte et doit être préservée !

Par ailleurs, nous avons acté des engagements significatifs sur certains territoires, notamment à Volvic, où nous avons signé avec la préfecture un plan d'utilisation rationnelle de l'eau. Nous engageons des processus innovants afin de réutiliser des eaux pour le nettoyage de notre site industriel.

En conclusion, je suis convaincue que les eaux minérales ont un avenir, car tous nos salariés agissent au quotidien pour prendre soin de nos impluviums. Grâce à ces mesures, nous pouvons protéger ces eaux, garantir leur composition originelle et répondre aux exigences de qualité et de conformité.

Face aux défis du changement climatique et de la protection de l'environnement, nous poursuivons et renforçons nos efforts pour préserver les territoires des sources, optimiser l'utilisation de l'eau et innover dans des processus de production.

J'espère avoir répondu à vos questions. Je suis évidemment à votre disposition pour vous apporter tous les compléments nécessaires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci de cet exposé qui soulève beaucoup de questions. Je commencerai par une reformulation et une vérification, eu égard aux traitements interdits par la réglementation - filtres à charbon, lampes UV - qui ont été pratiqués chez Nestlé : pouvez-vous confirmer que le groupe Danone n'y a jamais eu recours sur l'un de ses sites ?

Mme Cathy Le Hec. - Je vous le confirme, monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un débat s'est engagé autour de la microfiltration. La pratiquez-vous dans vos usines ? Si oui, quels sont les seuils de coupure ? Dans les quatre sites que vous avez évoqués, êtes-vous en conformité avec les arrêtés préfectoraux en vigueur ?

Mme Cathy Le Hec. - Oui, nous utilisons la microfiltration, et je préciserai dans quel but. Le seuil de coupure a été fixé à 0,8 micron par les arrêtés préfectoraux. Il est suffisant par rapport à l'objectif visé, qui est de retenir les particules d'éléments instables, tels que le fer, le manganèse ou l'arsenic - pour Volvic -, dont les seuils de consommation quotidienne doivent être limités. De plus, il répond aux recommandations de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), qui avait bien précisé qu'un tel seuil ne modifiait pas la composition originelle de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre réponse est intéressante, car c'est la première fois qu'on nous dit cela. Ce seuil de 0,8 micron est donc respecté sur l'ensemble de vos sites ?

Mme Cathy Le Hec. - C'est cela.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, la réglementation était-elle claire à cet égard ?

Mme Cathy Le Hec. - La réglementation est très claire sur ce qu'est une eau minérale : c'est une eau dont les caractéristiques minérales résultent de ses interactions avec la roche. En termes de microbiologie, cette eau est saine et exempte de flore pathogène, c'est-à-dire naturellement protégée. Tout au long du parcours de la source jusqu'aux points d'émergence, il n'existe aucun signe d'évolution ni d'impact. En outre, le fait de retirer des éléments instables ne doit pas entraîner de modification de la composition originelle de l'eau.

Le cadre étant fixé, il ne nous semble pas nécessaire de le modifier. Cela dit, eu égard aux variations qui existent entre les pays européens, des adaptations pourraient être utiles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'avis de l'Afssa - ancêtre de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) - portant sur le seuil de 0,8 micron était-il clair ?

Mme Cathy Le Hec. - Tout à fait. Nous n'avons jamais eu le besoin d'utiliser un seuil de microfiltration inférieur à 0,8 micron et la réglementation nous paraît suffisamment claire du point de vue de la gestion de nos ressources et du respect de la qualité des nappes.

M. Laurent Burgoa, président. - Vos sites comptent La Salvetat-sur-Agout, dans l'Hérault, département exposé à des épisodes cévenols. Un épisode de ce type a-t-il pu avoir des conséquences sur la pureté de la nappe ? L'un de vos concurrents a évoqué ce facteur à propos de l'évolution de la pureté de son eau.

Mme Cathy Le Hec. - Le site de La Salvetat se situe à la limite de l'Hérault et du Tarn, dans une position géographique et climatique assez différente de celle du bord de la Méditerranée. Nous pouvons y observer les effets du changement climatique, que ce soit en termes de température ou de précipitations : il y pleut en moyenne 1 400 millimètres par an, mais nous constatons ces dernières années une diminution de la pluviométrie, plus marquée d'ailleurs que dans d'autres territoires.

En tout état de cause, aucun impact lié à des événements climatiques n'est à signaler sur la qualité de la ressource qu'est l'eau La Salvetat.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous est-il arrivé de devoir fermer des forages car la pureté de l'eau n'était plus garantie ?

Mme Cathy Le Hec. - Non. Des interruptions ponctuelles ont pu survenir, mais uniquement pour la réalisation de travaux et non pas en raison de problèmes sanitaires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À vous entendre, Danone Eaux semble être un bon élève en termes de respect de la réglementation et de maintien de la qualité. Comment qualifieriez-vous l'épisode des révélations faites par la presse au sujet de Nestlé Waters ? Qu'en avez-vous appris ?

Mme Cathy Le Hec. - Je ne commenterai pas les activités de Nestlé. Pour ce qui nous concerne, nos actions de longue durée sont déterminantes en faveur de la protection des sources, qu'il s'agisse d'anticiper des problématiques de qualité, trouver des solutions ou de préparer la protection des ressources en eau dans la perspective des évolutions climatiques à venir.

Le maintien de la qualité des ressources passe d'abord par la protection des impluviums, en s'assurant que les activités humaines ne viennent pas modifier la qualité de l'eau dans les territoires concernés. Ensuite, nous avons prêté la plus grande attention à nos forages en travaillant, avec des experts, à la réalisation des ouvrages avec les meilleurs matériaux et procédés, de manière à nous assurer que les points de captage respectent la qualité de l'eau.

Enfin, des investissements importants ont été réalisés en n'utilisant que de l'inox pour les canalisations reliant les forages aux sites de production, car ce matériau facilite l'hygiène des installations. J'y ajoute le travail des équipes sur les sites d'embouteillage, la complémentarité de ces actions nous ayant permis de garantir le niveau de qualité de nos eaux minérales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez habilement dévié ma question, mais je me permets d'y revenir : avez-vous perçu l'épisode comme une forme de concurrence déloyale dans la mesure où des procédés interdits ont été utilisés, alors que vous vous efforciez d'être en conformité avec la réglementation ? Par ailleurs, êtes-vous membre de la Maison des eaux minérales naturelles (MEMN) ?

Mme Cathy Le Hec. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous y reviendrons ensuite. Je vous laisse d'abord répondre au sujet de la concurrence déloyale.

Mme Cathy Le Hec. - Je ne sais pas s'il s'agit de concurrence déloyale. À mes yeux, la principale considération qui doit nous animer est la protection de la qualité, afin de garantir à nos consommateurs que les eaux sont conformes et que l'eau minérale est non pas une appellation marketing, mais bien un produit inscrit dans le code de la santé publique.

Lorsque les éléments auxquels vous faites référence ont été révélés dans la presse, j'ai été sidérée. Au sein de la MEMN, la nouvelle feuille de route doit consister à rassurer quant à la qualité de nos eaux minérales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons appris par voie de presse que Nestlé Waters est sorti de ce groupement. Ce groupe en a-t-il été expulsé ou l'a-t-il quitté volontairement ?

Mme Cathy Le Hec. - Je suis entrée au conseil d'administration de la MEMN à la fin de l'année 2023. Après la sidération suscitée par les révélations de la presse, l'enjeu, pour chacun des membres du groupement, a consisté à se préoccuper de ses ressources, de ses salariés et de ses consommateurs. Pour ce qui concerne Danone, nos marques ont été associées à plusieurs reprises par la presse au groupe Nestlé, et il était important de rappeler que les marques Évian, Volvic, Badoit et La Salvetat n'étaient pas concernées par les faits.

Les différents membres de la MEMN ont ensuite exprimé la volonté de changer de gouvernance et nous avons donc demandé la démission du président. Un nouveau conseil d'administration a été constitué en l'absence de Nestlé et j'ai l'honneur d'en être la présidente après avoir présenté ma candidature fin 2024, en étant assistée d'un vice-président représentant Spadel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'ancien président appartenait donc à Nestlé Waters.

Mme Cathy Le Hec. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les représentants de Nestlé sont-ils partis de leur propre chef ?

Mme Cathy Le Hec. - Le président a démissionné...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sous pression des autres minéraliers.

Mme Cathy Le Hec. - À leur demande, en effet. Les autres membres du conseil d'administration appartenant à Nestlé Waters se sont mis en retrait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le scandale a-t-il eu des répercussions sur vos ventes ? Comment envisagez-vous l'avenir du secteur ? Les consommateurs pourraient-ils migrer vers les eaux de boisson ? Que pensez-vous de ces dernières ? En commercialisez-vous ?

Mme Cathy Le Hec. - Nous n'avons pas enregistré une modification de nos parts de marché.

Lorsque je me suis présentée à la présidence de la MEMN, mon objectif a consisté à définir une nouvelle feuille de route, en mobilisant mes compétences et mon expérience au service de la promotion de la qualité et de la spécificité des eaux minérales.

Je reste confiante dans l'avenir de ces ressources, mais ce dernier ne sera assuré qu'à la condition de continuer à enrichir notre connaissance de la protection des impluviums et de poursuivre nos actions en matière de protection et de surveillance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il existe parfois une proximité entre les eaux minérales et les eaux de boisson sur l'emballage des produits. Avez-vous des recommandations à formuler en termes de loyauté pour le consommateur ?

Mme Cathy Le Hec. - Je vais répondre à cette question en tant que représentante de Danone. Nous mettons en bouteille des boissons à base d'eau minérale afin de permettre à nos consommateurs de bénéficier de la qualité des eaux minérales, mais avec une possibilité d'hydratation différente. En clair, certaines personnes n'ont pas toujours envie de boire de l'eau et offrir ce type de produits laisse la possibilité de s'hydrater avec des boissons moins sucrées, tout en restant en accord avec nos valeurs en termes de qualité.

Pour ce qui est de l'évolution du secteur, il faut rassurer les consommateurs si nécessaire, mais nous n'avons pas de critères de qualité à suggérer à ce stade, le code de la santé publique définissant clairement l'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'évoquais plutôt la signalétique apposée sur les bouteilles : pensez-vous que la situation est satisfaisante ?

Mme Cathy Le Hec. - Je suis favorable au fait de bien expliquer ce qu'est une eau minérale naturelle, définie par certains critères.

Mme Audrey Linkenheld. - Je vous remercie pour la clarté de vos propos et l'attention que vous portez à la qualité de la ressource, grâce à laquelle vous exercez votre activité dans un secteur stratégique.

Comment expliquez-vous que les exigences de qualité, évidentes pour un acteur majeur tel que Danone, l'aient manifestement été dans une moindre mesure pour les autorités nationales - en particulier pour le Gouvernement et le ministère de l'industrie -, alors qu'elles auraient dû avoir comme premier réflexe d'adopter des mesures adaptées à la protection de la qualité de cette ressource ?

Comment expliquez-vous cette divergence d'analyse ? Avez-vous fait passer des messages auprès des représentants de l'État et du Gouvernement pour indiquer que la sauvegarde du secteur passe par cette prise de conscience partagée ?

Mme Cathy Le Hec. - Notre travail quotidien porte sur la protection des ressources en eau, et non sur l'interprétation de ces activités. Cela étant, pour chaque projet, nous prenons le temps de l'évoquer avec les préfets et les autres services de l'État. L'objectif est de respecter la réglementation, que ce soit pour la modification d'un ouvrage, un recaptage ou un projet d'innovation destiné à améliorer la réutilisation sur nos sites d'embouteillage. Il s'agit de déterminer les éléments à détailler dans le cadre de l'instruction, comme l'adéquation d'une modification du nettoyage des lignes avec le cadre d'hygiène de la maintenance des installations. Telle est la nature de nos échanges avec les services de l'État : l'information en amont des projets et l'obtention des éléments déterminant la manière dont nous devons procéder.

On parle souvent de l'embouteillage, mais gérer la ressource en eau dépasse largement ce sujet. Protéger cette ressource, c'est anticiper. En matière de qualité, voilà plus de trente ans que nous sommes engagés, avec mes équipes, sur les territoires des sources. En effet, Danone n'est pas propriétaire de ces impluviums, autour desquels il y a de la vie, des villages, de l'agriculture...

Finalement, protéger la ressource consiste non à placer le territoire sous cloche, mais à concilier les activités présentes avec la qualité de l'eau. Le raisonnement porte donc sur l'aménagement du territoire. Voilà pourquoi une gouvernance rassemblant l'entreprise et les communes des territoires concernés permet de laisser leur place aux villages, d'assurer un traitement et une collecte des eaux usées ou encore un déneigement sans impact sur la ressource en eau, tout en travaillant avec les agriculteurs. D'ailleurs, ces derniers, comme les minéraliers, sont ancrés dans un territoire et veulent continuer à vivre de leur métier. Il convient donc de faire évoluer les pratiques dans le sens d'une agriculture pérenne, mais aussi d'une eau de qualité.

La réponse ne réside donc pas tant dans les discussions autour de réglementations qu'au niveau du territoire. Nous connaissons le contexte et les difficultés de la profession agricole : notre politique à leur égard est volontaire et de partenariat. L'association entre les maires et les entreprises permet ainsi de proposer des orientations vers l'agriculture régénératrice, la protection des sols, le maintien des prairies comme alimentation première pour l'élevage, une bonne gestion des effluves, et d'autres actions visant à s'assurer que les pratiques n'affecteront pas la qualité de l'eau. Telle est, selon nous, la garantie de cette qualité.

Mme Audrey Linkenheld. - Je reformule ma question : avez-vous ou d'autres dirigeants de votre groupe ont-ils indiqué aux autorités nationales, plutôt chargées de l'industrie que de la santé, que les événements en cours dans le secteur pouvaient porter préjudice à tous les acteurs, y compris ceux qui, comme vous l'affirmez, respectent la réglementation depuis toujours ? Il semblerait que Nestlé Waters ait communiqué dans l'autre sens. Vous qui respectez le seuil de 0,8 micron, avez-vous alerté sur le risque de répercussions économiques importantes pour un secteur stratégique ? Si oui, quelles ont été les réactions ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous tenu des réunions au ministère pour évoquer, par exemple, votre vision de la microfiltration et de la ressource ? Quelles ont été vos démarches auprès des pouvoirs publics nationaux depuis les récentes révélations ?

M. Laurent Burgoa, président. - Nous savons que, en février 2023, une réunion interministérielle a eu lieu sur le sujet de l'eau minérale en bouteille et de la microfiltration. Les ministères vous ont-ils consultés à cette période, ou peu après ?

Mme Cathy Le Hec. - Je vous remercie d'avoir précisé votre question.

Il n'y a eu de contact au niveau du ministère ni pour changer la réglementation ni pour prendre position sur l'affaire que vous évoquez. Non, il n'y a pas eu d'intervention de notre part. En revanche, nous accueillons toujours volontiers les acteurs, parlementaires ou autres, qui souhaitent se rendre sur nos installations et comprendre notre métier. Nous n'avons cependant pas engagé une démarche ou établi de contacts pendant cette période tendant à nous positionner sur les actions d'autres acteurs du marché, ou à faire évoluer la régulation.

Mme Marion Bouissou-Thomas, directrice des affaires publiques de Danone France. - Je confirme que nous n'avons pas pris l'initiative de rendez-vous spécifiquement sur ce sujet. Au quotidien, je constate cependant que des parlementaires m'interrogent. Nous répondons à chaque question comme nous l'avons fait aujourd'hui.

M. Laurent Burgoa, président. - Des députés, des sénateurs ?

Mme Marion Bouissou-Thomas. - En effet. Avec mon équipe, je gère des rendez-vous au quotidien. Nous lisons tous la presse : il est normal que de telles questions nous soient posées. J'ai eu à coeur d'y répondre, de la même manière que Mme Le Hec l'a fait aujourd'hui.

Le Gouvernement ne nous a pas sollicités directement à la suite de la réunion que vous avez mentionnée, et nous n'avons pas tenu de meeting spécifique sur ce sujet. Nous avons des contacts avec les ministères de l'industrie, de l'énergie, de l'agriculture ou de la santé sur l'ensemble des enjeux qui nous concernent - tout est déclaré à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). D'ailleurs, nous les avons rencontrés, au cours des deux dernières années, sur l'eau. Nous souhaitions en particulier savoir comment nous pouvions nous engager dans la perspective du plan Eau. Cependant, cela n'est pas allé plus loin que cela.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans vos propos préliminaires, vous avez mentionné une hydrothèque d'eaux minérales. Où est-elle située ?

Mme Cathy Le Hec. - Elle est présente sur les sites d'embouteillage. Sur nos sites de production, une surveillance importante de la qualité de nos eaux est effectuée, du captage à la mise en bouteille. Nous prélevons également, sur nos chaînes de production, des bouteilles de produit fini, stockées au minimum deux ans, parfois davantage. Ainsi, nous disposons d'un échantillon en cas, par exemple, de réclamations de consommateurs. Nous pouvons ainsi procéder à des analyses et vérifications sur ces bouteilles, dans un objectif de traçabilité.

M. Laurent Burgoa, président. - À la suite de l'hypermédiatisation de l'objet de notre commission d'enquête, sur vos sites, la délégation départementale de l'agence régionale de santé (ARS) ou la direction départementale de la protection des populations (DDPP) ont-ils effectué plus de contrôles qu'auparavant ?

Mme Cathy Le Hec. - En effet, le site de La Salvetat a fait l'objet d'une inspection détaillée par l'ARS du département et l'ARS de région en 2024. Cependant, je ne saurais dire si cela signifie qu'il y a plus de contrôles qu'avant ou non. L'ARS serait peut-être venue même sans ces déclarations, car les contrôles, réguliers, font partie du suivi de notre activité. Ainsi, il arrive que l'ARS, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou la DDPP se rendent sur nos sites. La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a également procédé à des contrôles de nos prélèvements - je pense, notamment, à Volvic, dans le cadre du plan d'utilisation rationnelle de l'eau.

M. Laurent Burgoa, président. - Certains de vos concurrents pratiquent la microfiltration, parfois autorisée par un arrêté préfectoral. Si vous deviez faire de même sur l'un de vos quatre sites, comment vous y prendriez-vous par rapport aux pouvoirs publics ?

Mme Cathy Le Hec. - Je rappelle que la microfiltration n'a pas une visée de désinfection. Il s'agit plutôt, dans le cas des eaux minérales, de retenir les particules des minéraux naturellement présents. Dès lors que nos actions préservent les caractéristiques des eaux minérales, je ne me place pas dans de telles perspectives.

Cela étant, si jamais c'était nécessaire - en d'autres termes, si nous souhaitions modifier nos eaux -, nous agirions comme nous l'avons toujours fait : nous informerions les services de l'État, mettrions en oeuvre un test pilote et tenterions de démontrer que la modification entraînée par la microfiltration ne modifie pas la composition originelle de l'eau.

Ainsi, le procédé n'a pas vocation à compenser une problématique de qualité et ne doit pas changer cette composition.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur les eaux de boisson, que vous qualifiez d'eaux minérales naturelles aromatisées. Vous acquittez, les concernant, la fiscalité locale sur les eaux minérales naturelles, à partir desquelles elles sont produites.

Mme Cathy Le Hec. - Sur leur part d'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En effet. Les eaux de boisson, qui ne sont plus des eaux minérales naturelles, ne sont cependant pas assujetties à la même fiscalité. C'est un point d'attention pour les élus locaux, qui voient parfois des forages déclassés - je ne parle pas de votre groupe. Les budgets communaux, car nous parlons souvent de petites communes rurales, s'en trouvent atrophiés.

Dans la mesure où vous-mêmes acquittez cette fiscalité pour les eaux minérales aromatisées, n'y a-t-il pas là une forme de concurrence déloyale vis-à-vis de ceux qui ne la paient pas ? Par exemple, vous la payez sur 99 % de la Volvic citron.

Mme Cathy Le Hec. - Je ne peux vous le confirmer, car cela ne relève pas de mon coeur de métier. La boisson est à base d'eau minérale, mais je ne sais pas si la surtaxe s'applique ou non. C'est un point important, que nous pourrons vous préciser.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le sujet est crucial pour nos réflexions et pour les communes, que nous représentons en tant que membres de la chambre des territoires.

J'en viens aux nouveaux polluants. Vous indiquez que plus de 100 agriculteurs travaillent au-dessus, peut-on dire, de votre ressource et de vos impluviums. Que constatez-vous, sur les microplastiques et les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), pour vos quatre eaux ? Suivez-vous ces paramètres avec soin ?

Mme Cathy Le Hec. - Concernant les PFAS, ou polluants éternels, la réglementation a été adaptée en 2023 par rapport à l'arrêté de 2007, qui a été modifié. Elle définit, pour les eaux destinées à la consommation humaine, une liste de vingt PFAS et un seuil. Elle ne s'applique pas directement aujourd'hui, puisqu'elle entrera en vigueur en 2026. Cela étant, nous nous efforçons d'anticiper les évolutions réglementaires et, surtout, d'être en capacité d'analyser la ressource et les risques pensant sur elle. C'est pourquoi nous avons sérieusement examiné la question des PFAS, avec plusieurs campagnes de contrôle, par différents laboratoires, sur nos produits finis.

Selon nos observations, dans la majorité des cas, nous ne détectons pas de PFAS dans nos produits finis. Lorsque c'est le cas, nous sommes très proches du seuil à partir duquel les laboratoires sont en mesure de les quantifier. Ce seuil de quantification est de l'ordre d'un à deux nanogrammes par litre. Nos eaux sont donc préservées quant à cette problématique des PFAS.

Quant à la protection des impluviums, notre programme lié à l'activité agricole comprend notamment l'agriculture régénératrice, qui vise à préserver les sols et à limiter l'utilisation des intrants. Sur les territoires où nous sommes implantés, agricultures conventionnelle et biologique se côtoient, mais 96 % des surfaces étaient sans pesticides en 2023.

Enfin, sur le suivi des microplastiques, sujet majeur également, plusieurs spécialistes ont démontré la diversité de ces substances, de leur présence dans l'environnement et de leur origine, liée par exemple à l'usure des pneus ou aux textiles. Dans le cadre de notre activité, il s'est agi de déterminer une méthodologie de mesure de la quantité des microplastiques dans l'eau et de la manière de prévenir leur présence dans notre processus d'embouteillage.

Ainsi, les analyses à la source, aux points de captage, ne révèlent pas la présence de microplastiques. Dans les sites d'embouteillage, des actions sont menées pour limiter ce risque, de l'aspiration des microparticules au rinçage des bouteilles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez mentionné une batterie de mesures de protection des impluviums. Notre commission d'enquête vise aussi à déterminer des recommandations à formuler sur ce point, car nous constatons une dégradation de la ressource en eau sur notre territoire, qui ne concerne pas que les eaux minérales naturelles. Pourriez-vous nous communiquer une liste exhaustive et détaillée, du déneigement à la collaboration avec les agriculteurs, de toutes les mesures prises par Danone pour protéger les impluviums ? Vous avez évoqué la nature multidimensionnelle de cette protection, basée sur les trois piliers de l'aménagement raisonné des villages, de la biodiversité et de l'agriculture.

Mme Cathy Le Hec. - Nous vous transmettrons volontiers cette note.

Si vous le souhaitez, vous pouvez venir visiter nos sites et nos impluviums, tout en observant la manière dont nous travaillons avec les agriculteurs. Peut-être, monsieur le président, aurez-vous une préférence pour celui de La Salvetat !

M. Laurent Burgoa, président. - Nous vous remercions de cette audition enrichissante. Vos propos feront évoluer notre réflexion.

Nous envisageons bien la visite d'un site du groupe Danone. Ce ne serait pas nécessairement celui de l'Hérault, mais plutôt celui d'Évian. Nous vous en tiendrons informés. Ayant visité le site de l'un de vos concurrents, il est important pour nous d'observer vos méthodes dans une autre région. Si nous pouvions visiter l'hydrothèque qui s'y trouve, ce serait également avec plaisir.

Mme Cathy Le Hec. - Ce plaisir sera partagé.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle que nous auditionnons des représentants de Volvic et d'Évian à 14 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 35.

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Audition conjointe de MM. Emmanuel Gerardin, directeur de la société des eaux de Volvic, et Frédéric Lebas, directeur de l'usine d'Évian (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Yves Le Breton, préfet de Haute-Savoie

M. Laurent Burgoa, président. - Bonjour à tous. Nous poursuivons nos auditions avec celle de M. Yves Le Breton, préfet de Haute-Savoie depuis le 23 août 2023.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Yves Le Breton prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, vise à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à nous éclairer sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

En tant que préfet de Haute-Savoie, vous opérez dans une région où l'activité des embouteilleurs est importante pour l'économie locale. Pourriez-vous rappeler les principaux sites bénéficiaires d'une autorisation d'exploitation et leurs poids en termes de production, de chiffre d'affaires et d'emplois pour le département ?

Des contrôles réguliers sont-ils effectués par les services de la préfecture et l'ARS sur les eaux minérales naturelles et les eaux de source exploitées dans le département ?

En quoi les affaires ayant touché les groupes Alma et Nestlé Waters ont-elles fait évoluer vos contrôles sur le plan local ? Une attention particulière a-t-elle été portée aux dispositifs susceptibles d'être dissimulés par les industriels ?

Comment évaluez-vous la coordination entre les services impliqués dans le contrôle des embouteilleurs ?

Quels enseignements tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs ?

Je vous propose de consacrer une quinzaine de minutes à votre propos liminaire, avant de répondre aux questions de notre rapporteur, puis à celles des autres membres de cette commission.

Yves Le Breton. - Le secteur des eaux embouteillées en Haute-Savoie repose sur deux acteurs majeurs : Évian et Thonon, ainsi que sur une production plus modeste à Megève.

Le site des eaux d'Évian, appartenant au Groupe Danone, constitue le premier employeur privé de l'arrondissement de Thonon-les-Bains, avec plus de 1 000 salariés à l'usine d'embouteillage de Publier et 200 salariés au siège de la filiale « eaux » du groupe, situé à Évian-les-Bains. Sa production annuelle atteint 1,5 milliard de litres, soit 6 millions de cols par jour. Évian figure parmi les eaux les plus reconnues mondialement, grâce à son fort développement à l'export.

Le deuxième site, la Société des eaux minérales de Thonon, située au bord du Lac Léman, appartient au groupe Alma. Elle produit environ 130 millions de litres par an, soit plus de 400 000 cols quotidiens. Cette eau est vendue sous deux appellations : Eau de Thonon, issue de la source de la Versoie, avec un volume de 350 000 m par an et l'eau Saint-François, une eau commercialisée en « marque de distributeur », avec un volume maximum autorisé de 200 000 m par an.

Enfin, la source de la Sasse à Megève produit 37 m en 2024, soit 50 000 cols, représentant ainsi un volume anecdotique destiné principalement à la restauration.

L'organisation des contrôles repose sur une coordination entre plusieurs services : l'Agence Régionale de Santé (ARS), en charge des autorisations sanitaires, de la mise sur le marché et des contrôles réglementaires ; la direction départementale de la protection des populations (DDPP), qui veille à la loyauté des pratiques commerciales et à la protection des consommateurs ; la direction départementale des territoires (DDT), compétente sur les aspects police de l'eau et autorisations environnementales.

En Haute-Savoie, comme ailleurs, le préfet joue un rôle essentiel dans la coordination des services de l'État. La DDPP, placée sous son autorité, et l'ARS, qui agit au nom du préfet, collaborent étroitement sur ces problématiques, notamment sur l'étiquetage, contrôlé dès l'instruction des dossiers d'autorisation sanitaire.

Bien qu'il n'existe pas de comité spécifique sur les eaux embouteillées, une habitude de travail particulièrement ancrée entre les services a permis de gérer efficacement des situations sensibles, comme les pollutions industrielles aux PFAS sur les bassins de Rumilly et Annecy depuis 2022.

Cette coordination repose sur deux niveaux : un cadre managérial, via le collège des chefs de service de l'État, se réunissant chaque semaine sous mon autorité et incluant la DDPP et l'ARS ainsi que des réunions ad hoc sur les enjeux industriels, organisées selon les besoins.

Sans nul doute, les procédures relatives à ces dossiers peuvent être améliorées, et les services locaux se montrent particulièrement à l'écoute de bonnes pratiques proposées par l'administration centrale.

Permettez-moi de souligner l'esprit de coopération qui guide le travail des différents services concernés, notamment l'ARS, bénéficiant de l'expertise technique nécessaire pour appuyer les décisions préfectorales et remonter rapidement les problèmes détectés.

Depuis mon arrivée en août 2022, la principale difficulté rencontrée concerne les délais d'information des industriels. Bien que les problèmes signalés se sont avérés d'ampleur limitée, nous avons constaté des délais de communication de deux à trois semaines, bien trop longs au regard des enjeux. À titre d'exemple, un lot de bouteilles Évian destinées à la destruction a finalement été remis sur le marché par un intermédiaire, nécessitant un rappel de produits. La société a informé les autorités dans un délai jugé insatisfaisant, ce qui lui a valu un avertissement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci, monsieur le préfet. Nous n'avions pas connaissance du dernier cas évoqué. Pourriez-vous préciser les circonstances de cet incident ?

Yves Le Breton. - En novembre 2022, la Société d'exploitation des eaux d'Évian nous a signalé un détournement de bouteilles d'eau minérale (format 50 centilitres), initialement destinées au marché asiatique. Ces bouteilles, fabriquées en 2021, avaient été envoyées à la destruction en raison d'un risque de présence de fragments de matière plastique, issus de la détérioration d'une plaque de trémie lors du convoyage des préformes donc au cours du processus de production. Cette incertitude sur la qualité des bouteilles avait conduit l'industriel à retirer ce lot du marché. Or, destinées à être détruites par un prestataire, ces bouteilles sont réapparues à la vente au détail dans le sud de la France.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'était pas dans le Gard ?

Yves Le Breton. - C'était plutôt autour de Marseille.

L'industriel a fait preuve de diligence en engageant la procédure de destruction. Toutefois, nous n'avons été informés de la défaillance du prestataire que plusieurs semaines après l'incident.

Ce type d'événements souligne le besoin impérieux de vigilance, notamment dans un secteur requérant de nombreux prestataires pour la destruction des produits non conformes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le cadre de nos recommandations, nous nous attachons à mieux comprendre le fonctionnement à double commande entre l'État et l'ARS. Or, parfois, il semble que le rôle du préfet se borne à l'apposition d'une signature en fin de processus, sans réelle marge de manoeuvre. Certains ont également signalé des délais d'instruction prolongés de la part des services de l'ARS, sur lesquels ils n'ont pas d'autorité hiérarchique directe.

Quel est votre regard sur cette organisation ?

Yves Le Breton. - Le système repose sur des administrations placées sous l'autorité du préfet ou agissant dans le cadre d'un protocole spécifique, comme c'est le cas pour l'ARS. Je ne porte pas de jugement sur cette organisation. Le rôle du préfet consiste à assurer une coordination efficace, en évitant un fonctionnement en silos, où chaque service remplit sa mission sans communication transversale.

Pour répondre à cet enjeu, deux leviers sont essentiels : la coordination directe du préfet avec les responsables des services, notamment avec le délégué territorial de l'ARS et le dialogue avec la direction générale de l'ARS, permettant d'aborder l'ensemble des sujets relevant de sa compétence, y compris ceux qui ne relèvent pas directement du préfet, nécessitant une synergie locale.

Concernant le rôle du préfet dans les décisions techniques, notamment sur des sujets complexes comme le filtrage, l'expertise appartient aux ARS. Je ne suis pas spécialiste de ces questions, mais le protocole ARS-préfecture et les échanges réguliers avec les cadres de l'ARS permettent de faire remonter les difficultés et d'adapter les décisions aux enjeux économiques et sanitaires du territoire.

Les délais d'instruction se trouvent affectés par deux facteurs clés : les ressources humaines, tant en quantité qu'en expertise, pour permettre aux services de conseiller utilement le décideur ; la charge de travail des services, notamment pour la DDPP, qui fait face à des contraintes budgétaires et humaines.

Ces difficultés sont bien connues, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes de juillet 2023 sur les moyens d'action du préfet. L'ARS se trouve vraisemblablement confrontée aux mêmes enjeux, ce qui impacte également les délais.

Enfin, la préparation de cette audition a été l'occasion de rappeler l'importance d'une politique de contrôle efficace, en identifiant les points de vigilance prioritaires et en veillant à la qualité des eaux embouteillées et aux pratiques industrielles.

Pour une administration territoriale, il convient d'avoir une vision claire et pragmatique sur les bonnes pratiques et les axes d'amélioration, afin d'optimiser l'efficience des contrôles et d'assurer une gestion plus fluide entre les services de l'État.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Gérez-vous actuellement des demandes de modifications concernant les sites d'embouteillage ?

Par ailleurs, avez-vous traité des demandes précédentes et, si oui, quels ont été les délais d'instruction observés ?

Yves Le Breton. - S'agissant des exemples concrets de délais d'instruction, je me propose de vous répondre par écrit.

Quant aux demandes, une modification est intervenue fin 2024 concernant Évian, visant à rectifier une imprécision figurant dans un arrêté de 2012. Cette correction concernait notamment une mention relative à la microfiltration, qui contenait une coquille.

Toutefois, les contrôles menés entre 2012 et 2024 ont confirmé que cette imprécision n'a produit aucune incidence sur l'activité de l'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quoi correspondait cette coquille ?

Yves Le Breton. - Les signes « égal ou au plus » et « égal ou au moins » étaient inversés, inversant grossièrement la logique de filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous confirmer, en l'état actuel de vos connaissances, que les arrêtés préfectoraux sont respectés sur les deux principaux sites, à savoir Évian et Thonon ?

Yves Le Breton. - À ma connaissance, oui, puisque des contrôles réguliers sont effectués.

Concernant Évian, le dernier contrôle a eu lieu fin 2024, en octobre ou novembre. À ma connaissance, les agents en charge de cette inspection n'ont relevé aucune irrégularité par rapport aux arrêtés d'autorisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous reçu un rapport d'inspection à cet égard ?

Yves Le Breton. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous confirmer qu'aucune microfiltration inférieure à 0,8 micron n'est pratiquée sur les deux sites ?

Yves Le Breton. - À ma connaissance, les arrêtés préfectoraux sont respectés et la réglementation sur la microfiltration appliquée. Aucun signalement ne m'a été fait concernant une filtration inférieure à 0,8 micron sur ces sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'affaire des eaux minérales naturelles soulève la question de la circulation de l'information entre l'administration déconcentrée et les ministères centraux.

Votre préfecture a-t-elle été destinataire du rapport de l'Igas sur ce sujet et, si oui, à quel moment ?

Par ailleurs, a-t-elle été informée du contenu du « bleu » de Matignon relatif au plan de transformation de Nestlé, qui mentionnait également des informations sur les pratiques de microfiltration ?

Depuis votre prise de fonction, quels ont été vos contacts avec la DGS, les cabinets ministériels ou les ministres eux-mêmes sur cette affaire ?

Yves Le Breton. - Mon prédécesseur a été informé de la mission de l'IGAS le 25 mars 2022. En revanche, à ma connaissance, le rapport n'a pas été transmis à la préfecture.

Concernant le « bleu » de la réunion interministérielle, je ne l'ai pas en ma possession. C'est d'ailleurs habituel, ces documents étant rarement transmis aux préfets, j'en ai reçu très peu dans l'exercice de mes fonctions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces documents sont généralement retraduits sous forme d'instructions, n'est-ce pas ?

Yves Le Breton. -Les décisions résultent généralement d'un accord interministériel validé par le Premier ministre et se traduisent par une instruction ministérielle ou interministérielle, selon la nature du sujet.

À ma connaissance, le rapport de l'Igas et les travaux postérieurs liés à cet examen interministériel n'ont pas donné lieu à des instructions officielles à ce stade. Toutefois, celles-ci sont sans doute en cours. Votre travail d'investigation vous a vraisemblablement permis d'avoir une vision plus précise sur ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez donc pas échangé avec les ministères centraux ou avec d'autres préfets confrontés à des situations similaires, voire plus complexes ?

Depuis la révélation des faits, ou même avant, avez-vous constaté le moindre changement dans la communication ou la coordination sur ces sujets ?

Yves Le Breton. - Comme je l'indiquais, les situations rencontrées n'ont pas nécessité de recours à des ressources extérieures. Les mesures mises en place ont permis de gérer ces sujets localement, sans qu'une gestion de crise soit requise.

Cependant, ces problématiques étant à la fois complexes et techniques, tout éclairage national est le bienvenu pour renforcer la gestion locale de ces dossiers.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous eu l'occasion d'évoquer ce sujet entre préfets, notamment lors de réunions à Beauvau ? Existe-t-il un sous-groupe ou des échanges spécifiques entre préfets concernés par l'embouteillage des eaux minérales ?

Avez-vous été contacté par un préfet du Gard, des Vosges ou d'un autre département concerné, ou inversement, pour partager votre vision et vos pratiques sur cette question ?

Yves Le Breton. - S'il existe plusieurs réseaux thématiques au sein du corps préfectoral, à ma connaissance, aucun n'est spécifiquement dédié à l'eau minérale. En cas de difficulté, il est courant de solliciter un homologue sur une base interpersonnelle.

Par ailleurs, la réunion des préfets aborde régulièrement des problématiques d'intérêt général, bien que celle des eaux minérales n'ait pas été soulevée à ce jour. Il est possible qu'elle le soit dans les semaines ou mois à venir.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous eu l'occasion d'échanger avec votre prédécesseur sur ce sujet ?

Yves Le Breton. - Ce sujet n'a pas été évoqué lors de mon échange avec mon prédécesseur. Nous avons abordé d'autres thématiques, notamment les pollutions industrielles liées aux PFAS, une problématique émergente à la mi-2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Après avoir découvert par la presse l'implication du groupe Alma Source, avez-vous demandé des contrôles renforcés à l'ARS ou ces derniers vous ont-ils été proposés par l'agence ?

Comment s'organise la coordination locale entre les services déconcentrés de la DGCCRF et de l'ARS ?

Enfin, au-delà des instructions officielles, les révélations sur cette affaire ont-elles modifié vos pratiques ?

Yves Le Breton. - Je me permets d'insister sur un point : à ma connaissance, aucune anomalie n'a été révélée sur le site de Thonon-les-Bains.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'appartenance des Eaux de Thonon au groupe Alma justifierait une vigilance particulière dans le suivi des contrôles.

Yves Le Breton. - En effet, il s'agit d'un point d'attention. Les Eaux de Thonon font l'objet d'un contrôle tous les trois ans, le prochain étant prévu en 2025.

Concernant la coordination, je préconise une approche interservices afin de pouvoir examiner l'ensemble des points de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les contrôles sont-ils usuellement effectués dans un cadre interservices ?

Yves Le Breton. - Ces décisions ne relèvent pas directement de mes prérogatives, toutefois un contact existe entre les agents responsables du contrôle, aussi bien à l'ARS qu'à la DDPP.

Cette coordination repose davantage sur des échanges informels plutôt que sur une structure formalisée, telle qu'un comité spécifique dédié à l'embouteillage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, aucune modification des pratiques de contrôle ou de la cadence des inspections n'a été mise en place à la suite de ces révélations ?

Yves Le Breton. - À ma connaissance et jusqu'à présent, les contrôles ont été menés régulièrement et conformément aux pratiques en vigueur, sans manquement signalé. Dans ce contexte, nous n'avons identifié aucune situation justifiant une modification des modalités de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre préfecture a-t-elle ordonné des mesures spécifiques concernant les eaux minérales naturelles, telles qu'un déclassement de forage, l'arrêt d'une exploitation ou une mise en demeure ?

Pourriez-vous nous donner un aperçu des principales décisions administratives prises dans ce domaine en Haute-Savoie ?

Yves Le Breton. - Le site d'Évian compte dix-sept forages, dont l'un a été déconnecté en janvier 2024 à la demande de l'exploitant, après la détection de tertio-butyléther (TBE), un composé organique volatil (COV) hautement soluble dans l'eau. Il s'agit d'une pollution d'origine organique, distincte d'une pollution industrielle. En l'absence de seuil réglementaire de référence, l'exploitant a choisi d'arrêter le forage par précaution.

Dès la détection du TBE, l'industriel a informé l'ARS, qui a immédiatement organisé une réunion avec la DDPP pour évaluer la situation. En décembre 2024, lors d'une visite de récolement sur un autre forage situé dans le secteur, un agent de l'ARS a pu constater et confirmer sur place la déconnexion effective de l'ouvrage.

Ce cas illustre la coopération étroite entre les services sanitaires et les contrôles sur site.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, s'agit-il du seul cas de déconnexion de forage pour ce type de problématique dans le département ?

Yves Le Breton. - Je pourrai vous fournir des exemples supplémentaires par écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous en remercions par avance.

Compte tenu de la présence avérée de PFAS dans votre département, avez-vous mis en place une surveillance particulière pour les eaux minérales naturelles ?

Yves Le Breton. - Les principaux points de découverte des PFAS se situent dans un tout autre secteur du département. À ce jour, aucune présence significative de PFAS n'a été identifiée à proximité des points de forage et d'exploitation des eaux minérales. La direction régionale de l'environnement, de l'Aménagement et du Logement (Dreal), via son unité interdépartementale, mène des recherches sur l'ensemble du département.

La contamination aux PFAS concerne essentiellement les bassins industriels de Rumilly et d'Annecy, où une procédure interservices a été mise en place pour suivre et traiter cette problématique. Un comité d'élus a également été instauré afin d'assurer un suivi concerté et d'informer les collectivités locales sur l'évolution de la situation et les mesures engagées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les prélèvements effectués par les minéraliers, en particulier Évian, en tous cas en termes absolus, figurent sans doute parmi les plus importants de France.

Avez-vous une analyse suffisamment précise et argumentée de ces niveaux de prélèvement ?

Yves Le Breton. - Concernant Évian, les seuils maximaux de prélèvement ne sont pas atteints. En 2023, environ 80 % de l'autorisation a été exploitée.

La sobriété hydrique des outils industriels constituant un enjeu essentiel, les usines d'embouteillage d'Évian et de Thonon font l'objet d'une saisine par la DREAL pour intégrer un plan de sobriété hydrique. Cette démarche, relativement nouvelle pour la Haute-Savoie, s'inscrit dans un contexte de changement climatique, marqué notamment par les sécheresses de 2022 et 2023.

Le Plan Eau, annoncé par le Président de la République et le gouvernement, vise à impliquer tous les industriels, y compris ceux du secteur de l'eau, dans une gestion plus raisonnée de la ressource. Par exemple, Danone travaille sur un projet de réutilisation des eaux industrielles pour alimenter le golf d'Évian, qui appartient également au Groupe. À ce jour, les seuils fixés ne sont pas dépassés, et aucun signal d'alerte particulier ne justifie une remise en cause immédiate de ces niveaux.

Autour du site d'Évian, une procédure innovante de protection de l'impluvium a été mise en place pour préserver la qualité des eaux filtrées, garantissant ainsi une eau minérale conforme aux exigences en aval. Ce dispositif repose sur une collaboration active entre les autorités publiques et les acteurs privés, témoignant d'une démarche proactive et durable dans la gestion de la ressource en eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Identifiez-vous des éléments importants à porter à la connaissance de notre commission afin d'enrichir nos recommandations sur le contrôle des eaux embouteillées ?

Yves Le Breton. - L'amélioration de la coordination entre les services demeure un enjeu constant, et l'administration territoriale de l'État reste ouverte à toute recommandation permettant d'optimiser ses pratiques.

Je me permets d'attirer votre attention sur les moyens humains mis à disposition des autorités territoriales, qu'il s'agisse du préfet de département ou de la direction générale de l'ARS. L'efficacité du contrôle repose sur la capacité à mobiliser des agents qualifiés, capables de mener des inspections rigoureuses et d'apporter un conseil éclairé aux décideurs. Il apparaît fondamental de préserver cette expertise au niveau départemental afin d'assurer un suivi adapté à des sujets techniquement complexes.

La mise en lumière de ces enjeux dans le cadre de votre rapport pourrait ainsi contribuer à garantir une surveillance de haut niveau sur le contrôle des eaux embouteillées.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous eu l'occasion de visiter les sites industriels d'Évian et de Thonon depuis votre prise de fonction en Haute-Savoie ?

Yves Le Breton. - Oui, j'ai visité les deux sites, à ma demande, dans les six mois suivant ma prise de fonction.

M. Laurent Burgoa, président. - Cette problématique des eaux minérales est-elle régulièrement évoquée par les grands élus du département ou par les maires concernés, notamment au regard du contexte médiatique récent ?

Yves Le Breton. - Je n'ai pas eu l'occasion d'échanger spécifiquement sur ce sujet avec les élus du Chablais, bien qu'ils soient directement concernés. Toutefois, les deux sites occupant une place centrale dans la vie sociale et économique du territoire, un dialogue permanent existe entre les responsables du groupe Danone et les élus.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie pour cette audition instructive, ainsi que pour vos compléments d'information par écrit.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 15.