Jeudi 6 février 2025

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Mission conjointe de contrôle sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles - Audition d'experts psychiatres et psychologues

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Nous poursuivons ce matin nos travaux sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles, avec une table ronde consacrée à l'expertise psychiatrique et psychologique des auteurs de violences sexuelles.

Chaque année, plus de 55 000 individus - à 97 % des hommes - sont mis en cause pour viols, agressions sexuelles ou atteintes sexuelles sur mineurs, et 6 000 individus sont condamnés pour de tels faits. Un quart d'entre eux sont des mineurs. Il est évidemment nécessaire d'organiser une prise en charge efficace de ces individus, sur le plan judiciaire, sanitaire et socio-éducatif, afin de diminuer le risque de récidive et, dans les cas les plus inquiétants, de prendre les mesures de sûreté complémentaire appropriées.

Des psychiatres et psychologues interviennent à plusieurs stades en la matière. Ils procèdent à des examens de personnalité et de dangerosité lors de l'enquête judiciaire afin de fournir des éléments aux enquêteurs et aux magistrats, mais aussi lors de l'arrivée en détention, puis avant la sortie de détention. Ils interviennent également dans la prise en charge sanitaire des individus condamnés, en détention comme en milieu ouvert, notamment dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire avec injonction de soins.

L'objectif de cette audition est d'examiner plus précisément le rôle des experts psychiatres et psychologues au cours des procédures pénales, les éléments sur lesquels ils fondent leur appréciation de la personnalité du prévenu et les difficultés qu'ils rencontrent dans leur pratique. Au cours de nos précédentes auditions, la pénurie d'experts psychiatres et psychologues a été mise en avant par de nombreux interlocuteurs, qu'ils soient magistrats, policiers ou représentants de l'administration pénitentiaire.

Il s'agit également pour nous, à partir de l'expérience de ces experts, de mieux appréhender les profils criminologiques des auteurs de violences sexuelles, le taux de troubles psychiatriques parmi ces individus, les déterminants de leur passage à l'acte, et donc in fine la façon de lutter contre la récidive en fonction de ces différents éléments, sachant que tout ne relève peut-être pas de la psychiatrie.

À cette fin, je souhaite donc la bienvenue à M. Christian Ballouard, expert psychologue, président de la Compagnie nationale des experts psychologues (Cnepsy) au sein du Conseil national des compagnies d'experts de justice (CNCEJ) ; au Dr. Roland Coutanceau, expert psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (Snepp) ; au Dr. Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatriques près les cours d'appel (CNEPCA) ; au Dr. Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP) ; et à M. Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP).

Je vais vous laisser la parole, messieurs, pour une intervention liminaire, vous permettant de mettre en avant les points les plus saillants. Puis nous procéderons à un échange de questions-réponses.

M. Christian Ballouard, expert psychologue, président de la Compagnie nationale des experts psychologues (Cnepsy) au sein du Conseil national des compagnies d'experts de justice (CNCEJ). - L'expertise est un avis technique sollicité pour s'assurer que la personne est responsable de ses actes, pour contribuer à personnaliser la peine d'une personne mise en cause et pour évaluer le préjudice psychologique d'une personne plaignante. Il s'agit de repérer des troubles mentaux, des troubles ou des traits de la personnalité. Les missions sont quelque peu similaires entre psychiatres et psychologues, même si les régimes de l'enquête et de l'instruction ne sont pas identiques. Il nous arrive également de réaliser des expertises conjointes dans le post-sentenciel.

Une expertise est spécifique, mais pas spécifique au regard de l'infraction. Elle doit être complète et minutieuse. Par conséquent, il y a peu de spécificités en ce qui concerne les infractions sexuelles. Les outils sont les mêmes : observations, entretiens cliniques approfondis, tests au besoin. Les interrogations sont fréquentes sur l'échelle actuarielle, une évaluation qui se pratique notamment outre-Atlantique. Il n'y a pas de consensus en France à cet égard, d'autant qu'elle s'applique au système judiciaire anglo-saxon, très différent du nôtre. Nous pourrons y revenir.

L'injonction de soins, elle, a fait ses preuves. Néanmoins, je pense qu'il est important de distinguer la santé et la justice. Le bon sens pourrait conduire à considérer que le temps de la détention est un temps propice au soin, mais cela peut occasionner une discrimination en milieu pénitentiaire et accentuer la méfiance des auteurs à l'égard de cette approche psychologique. Or la confiance est fondamentale pour qu'une relation clinique se mette en place.

Dr. Roland Coutanceau, expert psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (Snepp). - L'analyse des actes nous apprend qu'il y a l'homme indépendamment des faits. Ce qui fait que quelqu'un est transgresseur dans le domaine de la sexualité, nous pouvons le trouver dans l'exploration de sa vie sexuelle. L'expertise, qu'elle soit psychiatrique ou psychologique, est par nature pluridisciplinaire. Le discours de la plaignante est également pris en compte. Comment peut-on analyser quelqu'un si l'on n'a pas en contrepoint le discours de la plaignante, puisque l'on est souvent en présence de la négation ou de la minimisation classique sur l'autorisation sexuelle ?

Pour évaluer un risque, il faut analyser d'abord l'homme, puis les faits.

Une analyse statistique effectuée en Amérique du Nord permet d'évaluer la récidive à 5 ans, 10 ans, 15 ans. On note, et c'est heureux, que contrairement à ce que pense parfois l'opinion publique, nombre d'auteurs d'agressions sexuelles ne récidivent pas. Pourquoi ? Parce que la réalité de l'interpellation, la honte sociale, le fait de passer devant un tribunal dissuadent de recommencer. Cette étude distingue différents groupes, par nature d'infractions : les viols sur adultes, les incestes, les viols sur petites filles, ainsi que ceux sur petits garçons en dehors du cercle familial. Il y a deux groupes où la récidive est plus significative. Ce sont en premier les agresseurs sur jeunes garçons en dehors du cercle familial, tout simplement parce que, cliniquement, l'intensité quasi exclusive chez certains de l'attirance pour les petits garçons est déterminante. C'est le groupe le plus récidivant en termes statistiques. Le deuxième groupe est celui des violeurs sur adultes : la récidive atteint 14 % à 5 ans, 21 % à 10 ans, 24 % à 15 ans.

En tant que vieux compagnon de route de la pénitentiaire, je préconise de mieux utiliser le temps de peine pour travailler avec ces deux groupes en vue d'éviter la récidive. Les agresseurs sexuels extra-familiaux sur petites filles ou les incestueux sont peu récidivants. Dit autrement, l'auteur d'inceste judiciarisé récidive peu. Cet outil statistique est un premier apport intéressant.

En ce qui concerne les auteurs de viols sur adultes, trois critères d'ordre criminologique sont souvent présents dès la première agression chez ceux qui récidivent : victime inconnue, donc moins de risques d'être dénoncé ; utilisation d'une arme ; séquestration de la victime, que l'on a sous sa coupe pendant un temps. Dès le premier acte, lorsque les victimes sont adultes, ces trois éléments sont des alertes pour le juge d'application des peines, qui doit prescrire un suivi en milieu carcéral et une injonction de soins.

Si les statistiques nous montrent que les auteurs d'actes incestueux récidivent peu, ils peuvent néanmoins faire l'objet d'un dépistage précoce. Dès qu'un enfant ne va pas bien, qu'il se plaint de quelqu'un ou a l'air un peu méfiant par rapport à un proche, il y a trois questions simples à lui poser : est-ce qu'il t'embête ? Est-ce qu'il te touche ? Est-ce qu'il te touche là ? Dans 90 % des cas, les victimes révèlent qu'elles auraient parlé plus tôt si quelqu'un avait deviné. Il faut encourager les gens à parler, mais pas de façon anarchique. Avec ces trois questions, souvent, les enfants avouent ce qu'ils rêvaient d'avouer. On retrouve dans les témoignages le travail psychique d'hésitation, d'ambivalence, de réticence.

Un autre élément de prévention relève du champ social. On retrouve souvent la drogue, l'alcool, les médicaments dans ce type d'affaires. Il y a aussi ce que j'appelle des histoires sans parole : il n'y a pas de demande, d'échange, de dialogue, et le consentement est considéré comme allant de soi. Nous sommes là dans le domaine de la communication sociale. À cet égard, je conseille un excellent message à diffuser le plus largement possible : quand une personne ne dit pas oui, c'est non ! Il s'agit de faire entrer dans la tête des gens la nécessité de verbaliser, de dialoguer et de se méfier de ses intuitions. Il faut au besoin diffuser des vidéos mettant en scène ce type de situations et marteler qu'une personne alcoolisée ou droguée ne peut pas être consentante, car cette dimension n'est pas intégrée chez beaucoup de transgresseurs. Les magistrats ont parfois du mal avec ce genre d'affaires pour établir en toute rigueur juridique l'absence de consentement. Pourtant, l'abus de faiblesse est évident.

Dr. Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatriques près les cours d'appel (CNEPCA). - Quand l'expert psychiatre intervient-il ? Il intervient à tous les stades de la procédure, mais aussi en pré-sentenciel et en post-sentenciel. Les problèmes posés sont différents selon le moment où il intervient.

En pré-sentenciel, il y a le stade de l'enquête préliminaire, c'est-à-dire avant les poursuites. Le problème est que nous sommes de plus en plus confrontés à des affaires anciennes : il est très compliqué de se pencher sur l'état mental d'un individu 15 ou 20 ans après les faits.

Lors de l'expertise en garde à vue en cas de flagrance, il n'y pas consensus sur les questions à poser : est-ce une expertise psychiatrique classique, ou doit-on dire d'emblée si l'individu est malade et doit être hospitalisé ?

Ensuite, il y a le rôle de l'expert plus classique lors de la phase d'instruction, une période plus confortable, car nous avons accès au dossier et du temps pour la réflexion.

Alors que, dans le pré-sentenciel, il est plutôt demandé à l'expert psychiatre de dire si l'individu est malade, s'il présente des troubles psychiatriques, et s'il y a un lien entre les troubles psychiatriques et la dynamique du passage à l'acte, on insiste plutôt en post-sentenciel sur la question de la dangerosité et du risque de récidive.

Aujourd'hui, les experts psychiatres ne sont pas mauvais pour diagnostiquer les pathologies ; ils sont même plutôt bons, contrairement à ce que l'on peut penser. Là où nous péchons un peu plus, c'est sur le lien entre un éventuel diagnostic psychiatrique et la notion de discernement, c'est-à-dire sur l'interprétation criminologique. Nous sommes encore moins bons sur la question de la dangerosité.

En effet, le concept de dangerosité est plus difficile à manier que celui de risque, qui a une connotation plus statistique. Le danger renvoie à quelque chose de plus lourd et de plus grave. Cela demande une évaluation à l'instant T, mais aussi une projection dans le futur, ce qui est beaucoup plus compliqué pour les experts psychiatres.

J'insisterai sur un point que je trouve aujourd'hui assez regrettable dans les procédures. L'idée est répandue chez les magistrats que les auteurs d'infractions doivent être analysés par des experts psychiatres et que les victimes sont plutôt réservées à des experts psychologues. Pourquoi ? Cela n'a aucune base scientifique. Dans une même affaire, un expert peut expertiser tout à la fois l'auteur et la victime. Cela peut même être extrêmement riche au niveau de la dynamique criminologique. En effet, quand on parle de relations d'emprise, il est difficile de se faire une idée avec un seul des protagonistes. L'image du psychologue étant plus douce que celle du psychiatre, on considère qu'il convient de lui confier la victime. Mais il ne s'agit pas de soins. Je pense qu'il faut dépasser ce clivage délétère.

Je me dois également de tirer la sonnette d'alarme sur la démographie des experts psychiatres. Aujourd'hui, nous sommes 300 à 320 inscrits sur les listes des cours d'appel. Il y a une quinzaine d'années, nous étions plus de 800 ! La structuration de la pyramide des âges va encore aggraver le problème. L'aspect positif, c'est qu'il y a un effet de concentration et d'aguerrissement. L'aspect négatif, c'est une charge de travail énorme, avec une pression insurmontable. Il importe de former de nouveaux psychiatres experts. Les autorités universitaires commencent à s'intéresser au problème. Ils ont d'ailleurs inclus la psychiatrie légale comme spécialité à part entière au sein de la psychiatrie. Il y a maintenant la pédopsychiatrie, la psychiatrie du sujet âgé, l'addictologie et la psychiatrie légale. La situation va donc s'améliorer, mais il faudra du temps.

Aujourd'hui, le plus urgent est de développer le compagnonnage. Lors d'une première expertise, vous avez besoin de travailler avec quelqu'un qui pratique depuis des années et qui vous montre le chemin.

Comment analyse-t-on quelqu'un qui a commis des infractions à caractère sexuel ? Il y a des éléments cliniques - Est-ce qu'il est malade ? Est-ce qu'il a des troubles psychiatriques ? - et des éléments plutôt psychopathologiques, à savoir les traits de personnalité, le niveau d'impulsivité, la capacité à gérer et contrôler les émotions, autant d'éléments que l'on ne retrouve pas dans la psychiatrie classique.

Par ailleurs, on ne peut pas faire une expertise psychiatrique digne de ce nom si on ne connaît pas les déviances sexuelles et si on n'est pas capable de les diagnostiquer.

Au-delà de cette évaluation clinique et psychopathologique, il y a une évaluation criminologique. Il s'agit de se pencher sur le passage à l'acte, en revenant sur le contexte, sur le passé judiciaire ou victimaire de l'auteur. A-t-il subi lui-même des agressions sexuelles ? A-t-il été mis en cause dans d'autres actes violents ? Nous devons également analyser le mode opératoire - emprise, sédation, etc. -, ainsi que le profil de la victime - âge, niveau de vulnérabilité, etc. Ces éléments extrêmement riches peuvent nous renseigner sur la dynamique du passage à l'acte, mais aussi nous aider à nous projeter dans l'avenir pour évaluer le risque de récidive.

J'en viens à l'analyse de la dangerosité. Aucun expert psychiatre ne peut prédire la récidive. On met en évidence des critères et des facteurs de risque de récidive, mais il y a aussi des facteurs de risque de mauvais pronostic...

Nous distinguons, d'une part, les facteurs de risque statiques, que l'on recherche dans le passé - antécédents judiciaires, âge de la première infraction, nature des faits - et, d'autre part, des facteurs de risque dynamiques, qui peuvent varier au cours du temps - consommation de substances, insertion sociale, professionnelle ou sentimentale. L'analyse du niveau de dangerosité n'a de valeur qu'à l'instant T, d'où la difficulté de prévoir la récidive.

S'y ajoutent les facteurs environnementaux, comme le soutien familial. Pour cela, nous disposons aujourd'hui d'un certain nombre de questionnaires validés, par exemple le HCR 20. Ce n'est pas la panacée, mais ils peuvent constituer une trame d'analyse clinique.

Enfin, la dernière question que tout le monde se pose est celle de savoir si tous les auteurs d'infraction à caractère sexuel (AICS) présentent des maladies psychiatriques ou des déviances sexuelles. Absolument pas ! La présence de troubles psychiatriques, pris au sens large - troubles de la personnalité, psychopathes, personnalités borderline -, est de l'ordre de 40 % à 60 %. Environ la moitié des auteurs ne présente donc aucun trouble. La déficience mentale, surtout en institution, ainsi que les états dépressifs passagers et les conduites addictives peuvent également se retrouver dans le passage à l'acte.

L'analyse porte également sur des facteurs environnementaux et sociaux. Plus de la moitié des auteurs d'infraction à caractère sexuel ont évolué dans un environnement familial que l'on appelle dysfonctionnel : violence, abus, négligence. Cependant, il n'y a pas de relation de cause à effet : quelqu'un qui a été victime d'agression sexuelle ne deviendra pas forcément agresseur sexuel, mais il y a des facteurs de transition, c'est-à-dire que le fait d'avoir été victime de négligence, d'avoir été témoin de violence ou d'avoir été victime directement de violence sexuelle est un facteur de risque supplémentaire de devenir auteur.

Enfin, le contexte et les circonstances doivent nécessairement être mis en évidence. L'alcool et les drogues se retrouvent dans 30 % à 60 % des passages à l'acte. L'accès facilité aux victimes est aussi à prendre compte.

Dr Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP) - Mon expertise est celle d'un pédopsychiatre de terrain. J'essaye de comprendre le fonctionnement des enfants ainsi que des adultes. Je vais essayer de vous dresser un état des lieux de la psychiatrie dans le département où je travaille, le Jura.

Je travaille dans un centre hospitalier spécialisé (CHS) où nous manquons cruellement de moyens humains, que ce soit dans les services pour adultes, en pédopsychiatrie ou en gérontopsychiatrie. C'est le cas un peu partout en France. Le peu de psychiatres présents se partagent des tâches croissantes : nombre de patients important, charges administratives diverses et chronophages. Je parle des certifications, des protocoles, des grilles à remplir, qui nous éloignent du soin. Deux facteurs inquiétants s'y ajoutent : la diminution du nombre de psychiatres formés et un vieillissement des praticiens. L'âge moyen des psychiatres à l'hôpital est ainsi de 52 ans, quand l'âge moyen des pédopsychiatres est de 61 ans ; en outre, 40 départements en France sont dépourvus de pédopsychiatres.

Comment se déroule une expertise dans un CHS dans le cadre d'une garde à vue ? Une réquisition du juge est adressée au directeur du centre, qui doit désigner un psychiatre pour effectuer l'expertise. En l'absence d'expert officiel dans le département, cela retombe sur un praticien hospitalier. Ce sont des expertises « flash » qui comportent différentes questions : discernement, compréhension du sens de la peine éventuelle, compatibilité de l'état avec une garde à vue.

Le premier problème est la disponibilité, puisque cela tombe souvent sur le praticien de garde sur 24 heures. Ensuite, la liste des éléments à fournir au juge de la détention et des libertés est importante : prescriptions de contention, d'isolement, etc.

Malheureusement, à ce jour, beaucoup d'entre nous n'avons pas eu de formation spécifique, même si, comme mon collègue vient de le dire, l'université semble vouloir s'ouvrir à la psychiatrie légale.

La question de la rémunération doit aussi être soulevée. Le système Chorus Pro, qui doit nous permettre d'être remboursés de nos frais, est tellement complexe qu'il décourage toutes les bonnes volontés.

L'augmentation du nombre de professionnels est indissociable de la question du numerus clausus de première année de médecine, sachant que dix à douze années sont nécessaires pour former un psychiatre.

Par ailleurs, la psychiatrie a une image très dégradée parmi les étudiants en médecine. C'est une des spécialités choisies en dernier au concours de l'internat, les premières étant la chirurgie esthétique et la radiologie. Il y a cette représentation qui voudrait que si l'on fait psychiatrie, c'est que l'on a soi-même un problème.

S'agissant du passage à l'acte des AICS, nous sommes en quasi-permanence confrontés au meurtre et à l'inceste dans le cadre de notre pratique. Si depuis plusieurs années la parole se libère, nous sommes bien souvent les premiers dépositaires de cet indicible. Vous avez rencontré Mme Marie Romero, qui a fait deux rapports très intéressants. Comme elle le souligne, l'agresseur est à rechercher en premier lieu dans le cercle proche familial ou auprès de personnes dépositaires symboliques de la fonction parentale. Je parle là des professeurs, des éducateurs, des gens à qui les parents peuvent déléguer. Nous connaissons aussi des agressions sexuelles de mineurs sur mineurs, mais les changements inhérents à l'adolescence n'en font pas des personnes à profil pervers irrévocable. Nous avons pu voir, grâce au travail conjoint des équipes de soins, en hospitalisation comme en ambulatoire, des évolutions reflétant un réel travail d'introspection et de remise en question des auteurs, notamment adolescents.

Cependant, nous ne pouvons éluder la question de l'identification des adolescents. Ils peuvent être conduits à la reproduction ou la répétition de gestes incestueux dont eux-mêmes ont été l'objet. Nous avons reçu un jeune homme de 15 ans qui nous a été adressé parce qu'il avait violé son frère cadet âgé de 8 ou 9 ans. C'est pendant l'hospitalisation dans mon service qu'il a pu nous dire qu'il avait en fait reproduit sur son frère ce que son père avait fait sur lui, pensant que c'était la seule manière de transmettre une idée de la sexuation ou de la sexualité au sein d'une même fratrie. Quelque temps plus tard, le frère cadet a reproduit le même schéma sur leur jeune soeur. Tous deux pensaient que c'était normal, que les choses se passaient toujours ainsi.

Le docteur Arthur Devaud en a fait son travail de thèse en 2021. Il rappelle que les études sur le sujet semblent valider la théorie de l'abusé-abuseur et confirme que le taux de violences sexuelles subies dans l'enfance est plus élevé chez les agresseurs que dans la population générale. Cependant, les auteurs des études insistent aussi sur le fait que la grande majorité des victimes ne deviendront pas agresseurs. Avoir été agressé sexuellement dans l'enfance n'est une condition ni nécessaire ni suffisante pour devenir agresseur à son tour. Il s'agit d'un facteur de risque. Il est important de le repérer, dans le but d'agir par des stratégies de prévention centrées sur la victime.

Nous constatons aussi dans les services de pédopsychiatrie l'exposition de plus en plus précoce aux écrans et à la pornographie, qui est un miroir déformant pour l'identification d'adolescents accédant à la sexuation et la sexualité.

Au fil de l'accompagnement d'adolescents autant victimes qu'auteurs, nous constatons l'émergence et la croissance des actes d'agression à caractère sexuel au sein des lieux substitutifs de vie, dans les maisons d'enfants à caractère social (Mecs), dans les familles d'accueil. Je rappelle à cet égard que le secteur médico-social, comme la psychiatrie, est en pleine crise. Je ne sais si vous comptez rencontrer certains de ses représentants...

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - C'est un travail que nous avons déjà mené. J'étais corapporteure, avec Marie Mercier, d'une mission d'information sur les violences sexuelles sur les mineurs dans les institutions.

Dr. Charles-Olivier Pons. - Je travaille avec des maisons d'enfants, où, faute de pouvoir recruter des éducateurs formés, nous avons accueilli un ancien croupier de casino, un vigile de supermarché, bref, des gens qui n'ont pas cette formation pour approcher l'enfant, l'adolescent autour de ces questions.

On le sait, lorsqu'une structure dysfonctionne, la loi de l'interdit n'est plus identifiée par les acteurs de cet accompagnement. La perte du sens du travail éducatif, voire la présence de personnes non qualifiées est aussi un facilitateur de la transgression.

Quand il s'agit de démontrer le caractère irréaliste des films pornographiques, beaucoup d'adolescents considèrent qu'il s'agit d'une représentation fidèle de la réalité, puisque c'est sur internet. Cela peut être conjugué avec des attitudes et positionnements parentaux incestueux, car le visionnage de la pornographie peut se faire avec les parents. Il peut également arriver que les ébats sexuels de parents aient lieu devant leurs enfants.

Il n'est absolument pas question d'administrer de traitement chimique « antisexuel » à ces adolescents déjà en proie à un remaniement hormonal important. Il s'agit plutôt d'accompagner une histoire fracassée par le passage à l'acte et marquée par la transmission transgénérationnelle.

Je considère qu'en pédopsychiatrie, nous tricotons du sur-mesure en permanence. Dans ces conditions, il n'existe pas de facteur de prédictivité. On va travailler une histoire, et non pas des symptômes, avec les enfants et les adolescents.

Pour terminer, je tiens à saluer l'excellent travail mené par les centres de ressources pour les intervenants auprès des violences sexuelles (Criavs). Ce sont de véritables facilitateurs de l'accompagnement.

S'agissant enfin du besoin de formation des psychiatres et psychologues, mais, encore une fois, la pénurie de personnel et la crise de la psychiatrie en général nous empêchent de prendre sur notre temps d'exercice pour nous former.

M. Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP) - Le syndicat national des psychologues, fondé en 1950, est l'une des plus anciennes organisations de psychologues. Nous couvrons l'ensemble des champs d'exercice de la profession, de la fonction publique hospitalière à l'exercice libéral, en passant par l'éducation nationale ou le champ de l'expertise. Chaque champ d'exercice est couvert par une commission spécialisée. Mon propos sera donc le produit d'un triple ancrage : notre commission « experts », notre commission « justice », le bureau national du SNP.

Comprendre et prédire la récidive est bien sûr difficile, puisqu'il s'agit de tenter de prévoir ce qui par définition ne peut pas l'être. L'humain n'est soluble ni dans les chiffres ni dans les modèles statistiques. Ces derniers ne peuvent donc constituer qu'un indicateur parmi d'autres. Ensuite, on observe une multiplicité de profils et de trajectoires, ainsi qu'une grande diversité de situations, que ce soit le contexte de passage à l'acte, l'histoire familiale, les traumatismes passés, les addictions, etc. Pour nous, la multiplicité des profils et des contextes implique en retour une pluralité des approches et des méthodes, au niveau à la fois de l'évaluation et du soin.

Dans le cadre de l'expertise, la mission principale du psychologue consiste à évaluer le fonctionnement psychique global de l'individu, à établir un profil psychologique et à apporter un éclairage sur ce qui a conduit au passage à l'acte. Il s'agit également d'estimer les possibilités de réinsertion ou d'adhésion à un suivi psychologique. Ces différents éléments permettent de répondre aux questions posées par le magistrat.

Notre profession ne rencontre pas de difficultés en matière démographique. Néanmoins, les experts rencontrent plusieurs difficultés dans l'exercice de leur mission. Tout d'abord, les délais sont souvent extrêmement contraints. Ensuite, ils doivent traiter un nombre très élevé de dossiers, avec, surtout, une rémunération tout à fait insuffisante, rarement à la hauteur du temps passé pour un travail fouillé et sérieux. Une déposition aux assises, quels que soient le temps et le nombre de dossiers, est rémunérée 104 euros. Cela explique le faible nombre de candidats aux fonctions d'expert.

L'évaluation est nécessairement multifactorielle quand il s'agit d'infractions à caractère sexuel. Elle implique un entretien clinique, un retour sur le parcours judiciaire, ainsi que la passation de tests de différentes natures, dont l'échelle HCR 20 précédemment citée, qui est effectivement un outil intéressant. Dans tous les cas, il importe de prendre un temps suffisant.

Il nous semble essentiel de conserver une diversité des outils auxquels les psychologues ont recours. Je peux prendre l'exemple des échelles actuarielles, qui sont tout à fait intéressantes, facilement réplicables, mais qui ne peuvent pas être l'alpha et l'oméga de l'évaluation. Elles sont plutôt une aide à l'évaluation, dont les résultats doivent être analysés et confrontés aux données cliniques. L'idée est bien d'aboutir à un examen global qui prenne en compte la complexité des processus pour comprendre vraiment ce qui s'est passé.

Concernant les auteurs, assez peu d'entre eux sont atteints de troubles psychiatriques. Dès lors, il ne semble pas totalement pertinent de penser la notion de récidive sous l'angle unique de la psychopathologie ou de la psychiatrie. On constate également, même si nous sommes loin d'une règle automatique, qu'un certain nombre d'auteurs ont eux-mêmes subi des agressions sexuelles ou des viols. C'est particulièrement fréquent chez les AICS sur victimes mineures dans le milieu familial. Je résumerai en disant - comme mes confrères - que les auteurs ont souvent été victimes, mais les victimes ne sont pas forcément auteurs.

Il est nécessaire de mener un véritable travail autour de la prévention et de porter une attention particulière aux mineurs auteurs. Selon un récent rapport de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), aujourd'hui, en France, les mineurs représentent la moitié des mis en cause dans les affaires de viols et d'agressions sexuelles sur mineurs : 92 % sont des garçons avec une surreprésentation des moins de 13 ans, qui représentent près de 30 % des auteurs, là où dans la population globale des délinquants, cette catégorie d'âge ne représente que 8 % des auteurs.

Concernant le passage à l'acte et sa compréhension, une perspective multifactorielle est indispensable : quels sont les éléments qui font que, ce jour-là, cette personne-là a commis cet acte-là ? Quel est l'état clinique de la personne au moment des faits ? Y a-t-il des troubles sexuels, des traumas non dépassés ? Y a-t-il un contexte de prise de produits ou d'alcool ? Le contexte a-t-il participé au passage à l'acte, par exemple lors d'un rassemblement public, lors d'un événement ? Ces facteurs sont déterminants pour la compréhension du passage à l'acte, car ce dernier a forcément une explication, qui peut être d'ordre interne ou externe.

De manière générale, nous souhaitons insister sur le fait que cette phase d'évaluation constitue un moment clé. Pour nous, il ne s'agit pas tant d'harmoniser les méthodes que d'en favoriser la diversité afin de mieux identifier les besoins et les actions à mettre en place.

Je souhaite conclure en évoquant le soin. Nous constatons que, lorsque les personnes détenues sont investies dans leur suivi, les dispositifs existants sont plutôt adaptés et efficaces. En revanche, ils ne le sont pas pour les détenus qui demandent la mise en place d'un suivi sans pour autant y mettre du sens et qui le font pour bénéficier des remises de peine, lesquelles peuvent aller jusqu'à trois mois par an.

Nous pensons que des moyens supplémentaires permettraient d'accroître le suivi en groupe - un outil de soins qui est particulièrement intéressant dans ce domaine -, mais aussi de renforcer certaines équipes en postes de psychologue et d'avoir un meilleur relais entre la détention et la sortie. Par exemple, il serait intéressant que l'injonction de soins pour les AICS commence dès la sortie de détention, et non à la fin de la peine en cas d'aménagement, puisqu'il y a un hiatus entre les deux.

Concernant les soins hors détention, c'est-à-dire le recours aux structures de droit commun, la situation est très difficile : ces lieux sont saturés et imposent des délais d'attente extrêmement longs. Dans le Grand Est, en centre médico-psychologique, un enfant ou un adulte peut attendre une année, sans compter parfois le manque de formation spécifique des professionnels sur ces thématiques.

Pour conclure, je vous engage à réfléchir à quatre problématiques. Tout d'abord, il y a un manque de prévention et d'information sur les violences sexuelles et les risques liés à la pornographie. Ensuite, l'accompagnement après la détention devrait pouvoir faciliter l'insertion, en sortie conditionnelle ou en sortie définitive. En outre, il faut assurer une réelle continuité du suivi qui prenne en compte le suivi psychologique ou psychiatrique et les ateliers socio-éducatifs. Enfin, il est urgent de renforcer le service public et les établissements pénitentiaires en postes de psychologues et de soignants, voire de créer des centres spécialisés dans les violences sexuelles.

Les comparaisons avec les autres pays trouvent souvent leurs limites, pour tout un ensemble de raisons, mais il pourrait être intéressant de s'inspirer de certains d'entre eux. Nous pensons ici au Canada, à la Suisse, au Danemark ou encore à l'Espagne, qui sont précurseurs en matière de prévention de la récidive.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Je porte à votre connaissance que la délégation aux droits des femmes a publié, en septembre 2022, un rapport intitulé : « Porno, l'enfer du décor », et qui a largement traité le sujet des mineurs, dont l'âge moyen d'accès à la pornographie est de 11 ans. Cela signifie que certains peuvent commencer très tôt, puisque d'autres n'iront peut-être jamais. Nous allons d'ailleurs porter ce sujet auprès d'ONU Femmes dans le cadre de la 69e session de la Commission des Nations-Unies consacrée à la condition des femmes (CSW).

Quelles sont vos relations avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ? Nous sommes allés à Migennes, dans l'Yonne, visiter le service d'accompagnement des victimes et des auteurs d'infractions sexuelles (Savi), qui prend en charge les mineurs, aussi bien auteurs que victimes. Comment peut-on dire qu'il n'y a pas de profil « type », quand on constate que dans 80 % des cas traités par ce service, les auteurs mineurs ont également été victimes ?

Mme Annick Billon, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Je viens d'apprendre que les auteurs étaient orientés vers les psychiatres et les victimes vers les psychologues. Nous avons bien noté que les deux professions subissaient des pénuries et un déficit d'attractivité certain. Existe-t-il un dialogue et un partage d'informations entre elles ? La volonté de mettre fin à ce mode de suivi est-elle partagée, à la fois, par les psychologues et par les psychiatres ?

J'ai également appris que 40 départements étaient dépourvus de pédopsychiatres. Est-ce une situation nouvelle, qui tient à un problème de formation ponctuel, ou est-ce un mouvement plus profond, comme celui qui touche d'autres spécialités ?

Sur la formation des psychiatres, quels changements envisagez-vous ? Faut-il créer des passerelles ?

Enfin, le docteur Coutanceau a évoqué les auteurs d'infractions sexuelles sur personne inconnue avec arme ou séquestration, qu'il ne fallait pas laisser sortir sans suivi carcéral préalable. Est-ce à dire que les autres peuvent être libérés sans suivi préalable avec un risque de récidive proche de zéro ?

Dr. Laurent Layet. - Deux documents - l'un est déjà sorti et l'autre sortira prochainement - sont susceptibles de répondre à beaucoup de vos questions. Je vous renvoie d'abord au rapport de l'audition publique sur les auteurs de violences sexuelles réalisé en juin 2018, qui compile de façon extrêmement sérieuse toutes les données recollées sur deux ans par un panel d'experts. Par ailleurs, l'audition publique sur les auteurs mineurs de violences sexuelles aura lieu le 25 juin 2025. Ce travail permettra d'établir un certain nombre de recommandations. Avec ces deux documents, vous aurez à peu près la compilation de toutes les données actuelles sur la question de la délinquance sexuelle en France.

Ensuite, je prendrai un exemple concret pour illustrer mon propos. J'ai participé en tant qu'expert à l'affaire dite des viols de Mazan. L'idée initiale de la juge d'instruction était qu'un seul expert psychiatre allait expertiser tout le monde.

J'ai été désigné au début des investigations et j'ai vu l'auteur présumé lorsqu'il s'est fait arrêter dans un magasin. Je ne pouvais pas deviner l'ampleur du dossier, mais j'ai tout de même décelé un certain nombre de facteurs de risque que j'ai signalés à l'officier de police judiciaire en lui conseillant de creuser l'affaire.

Ensuite, j'ai été désigné au stade de l'instruction. J'ai revu deux fois l'auteur, puis j'ai été désigné par la juge pour voir la victime. Les avocats ont déposé un recours pour que le même expert ne voie pas l'auteur et la victime, imaginant sans doute que j'allais manquer d'objectivité envers celle-ci. C'est une vue totalement archaïque de notre métier, une sorte de fantasme.

En revanche, j'ai commencé à expertiser d'autres accusés, puis, leur nombre augmentant, j'ai dû réclamer l'assistance d'autres experts. La victime, elle, a été vue par un expert psychologue qui n'a pas vu l'auteur. Il aurait sans doute fallu des expertises communes de psychiatres et de psychologues, ce qui aurait aidé à la compréhension de cette affaire.

Sur la démographie, plus il y aura de médecins, plus il y aura de spécialistes ; et plus il y aura de spécialistes, plus il y aura de psychiatres. Cependant, il y a un véritable manque en matière de formation à la psychiatrie médico-légale. Les universitaires se sont désintéressés du sujet pendant 50 ans : ils doivent apprendre des experts auprès des tribunaux pour mettre au point les formations. Il faut de surcroît une homogénéisation sur tout le territoire pour que les évaluations ne diffèrent pas selon les ressorts de tribunaux.

Dr. Charles-Olivier Pons. - Le compagnonnage rencontre aussi des limites. Tout d'abord, les internes ne se déplacent pas toujours dans les centres médico-psychologiques (CMP) de périphérie. Et lorsqu'ils viennent, ils constatent que je peux faire 700 kilomètres par semaine pour visiter toutes nos structures et que je suis submergé par des tâches diverses et variées. Cela les dissuade de venir dans les petits départements, mais ce n'est pas propre à la psychiatrie. C'est une question d'approche globale de nos métiers du soin par les jeunes générations.

M. Christian Ballouard. - L'attribution en fonction du métier relève surtout de la culture policière. Dans le monde judiciaire, on a compris qu'il était plus intéressant d'avoir un expert commun au plaignant et au mis en cause.

Pour former un bon expert psychologue, l'expérience est déterminante. On ne lui demande pas de se prendre pour un juge, un policier ou un avocat. Il est formé pour prendre connaissance d'un contexte.

M. Florent Simon. - Il n'y a pas nécessairement de lien entre psychologues et psychiatres au moment des expertises, la décision de recourir à une expertise psychologique ou à une expertise psychiatrique relevant surtout de la décision du magistrat, avec, en pratique, de choix assez variables. Un travail en binôme pourrait être intéressant, en ce qu'il donnerait une vision beaucoup plus complète des choses.

Dr. Roland Coutanceau. - En matière d'expertises psychiatriques et psychologiques, il existe des pratiques diverses.

Le contenu des expertises a évolué depuis la fin du XXe siècle : tant chez les psychiatres que chez les psychologues, ceux qui interviennent le plus dans le champ médico-légal mettent davantage l'accent sur les aspects psycho-criminologiques. Dans les années 1980, les expertises psychiatriques restaient concises et les expertises psychologiques n'abordaient pas la question du passage à l'acte. Notre génération est celle qui a progressivement intégré dans le champ de l'expertise l'analyse de l'acte, lequel ne se résume pas à une structure de personnalité. Mais, aujourd'hui encore, la propension à se pencher sur l'acte est variable.

Se fondant sur le nombre élevé des expertises qu'il avait vues dans sa carrière d'avocat, l'ancien ministre de la justice Éric Dupond-Moretti nous disait un jour que l'expertise psychiatrique était assez homogène, mais quelque peu « tristounette », n'abordant pas toujours les aspects psycho-criminologiques et de personnalité, quand l'expertise psychologique était très hétérogène.

Dans les années 1980, l'expertise était systématiquement duale dans les affaires criminelles. Sans doute le législateur considérait-il alors plus prudent de recueillir l'avis de deux professionnels. Au cours de la décennie suivante, la recherche d'économies budgétaires a prévalu. L'idée d'une double expertise, psychiatrique et psychologique, est récemment revenue à l'ordre du jour, quoiqu'elle ne soit pas une obligation, avec, de plus, une dimension psycho-criminologique qui s'accentue.

En pratique, il est courant que les psychologues s'occupent davantage des victimes. Peut-être est-ce dû au fait que certains d'entre eux ne souhaitent pas s'occuper des auteurs. Cependant, un autre élément, plus subtil, intervient ici. Certains avocats pensent en effet qu'une expertise approfondie, bien menée, par un psychiatre ou un psychologue qui rencontre à la fois l'auteur et la victime, et qui aborde le problème de l'acte, ne leur laisse ensuite plus beaucoup de marge de manoeuvre.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Évoquez-vous les avocats de la défense ou de la partie civile ?

Dr. Roland Coutanceau. - Ce sont principalement les premiers qui ne souhaitent pas une analyse approfondie de la relation entre les deux protagonistes d'une affaire, pourtant considérée par ailleurs, dans le courant criminologique, comme apportant une plus-value. Les magistrats eux-mêmes ne sont pas unanimes sur la question.

Sur le risque, il faut reconnaître que l'on vient de loin. J'ai appartenu dans les années 1990 et 2000 au centre national d'observation (CNO) de l'administration pénitentiaire, devenu le centre national d'évaluation (CNE). Nous avions observé que de nombreux délinquants sexuels figuraient parmi les condamnés à de longues peines et nous avions suggéré auprès du ministère de la justice que nous pourrions utiliser leur temps de peine pour travailler au plus près d'eux. Une magistrate nous avait alors répondu qu'il était exclu d'orienter les délinquants sexuels vers une prison plutôt qu'une autre en fonction de l'acte qu'ils avaient commis.

Nous savons aujourd'hui que ce n'était qu'un faux problème. Certains centres de détention comprennent à présent une forte proportion d'auteurs d'agressions sexuelles et la tendance tend à se renforcer, car l'administration pénitentiaire reconnaît la pertinence sociale d'y réaliser une expérimentation systématisée des propositions de suivi de ces individus et surtout de la corréler avec les éléments d'une analyse statistique et probabiliste sur les facteurs de risque de récidive. Il y a, statistiquement, des gens plus inquiétants que d'autres et peut-être une bonne politique sociale de prévention consiste-t-elle à s'en occuper prioritairement. Je pense qu'il est possible, à l'intérieur de centres pénitentiaires spécialisés, de progresser dans notre travail pendant le temps de peine des délinquants les plus préoccupants.

Est-ce à dire que certains détenus sont moins préoccupants que d'autres ? Non, bien sûr, et les facteurs de risque de récidive identifiés par les statisticiens n'autorisent aucune certitude. Cependant, l'intelligence sociale peut s'en inspirer pour inciter certains profils de détenus à accepter un meilleur suivi et un accompagnement. Cet effort n'est néanmoins pas aisé dans un pays où l'on n'aime finalement guère flécher les choses.

En matière d'inceste, par exemple, la judiciarisation assortie d'un bon accompagnement conduit, statistiquement, à réduire presque à néant la récidive. J'avais créé un groupe interdisciplinaire au sein du centre hospitalier Philippe-Pinel dans les années 1990. Une équipe de psychologues réunis en association prenait ainsi en charge des familles qui vivaient de nouveau ensemble après la condamnation du père pour inceste.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Quelle est votre opinion sur la justice restaurative ?

Par ailleurs, lors de notre récente visite du centre pénitentiaire historique de Caen, qui héberge 80 % d'AICS, mes collègues de la mission conjointe de contrôle et moi-même avons constaté que les profils étaient de plus en plus jeunes. On peut certainement lier la recrudescence de ces comportements à quantité de facteurs, dont l'influence de la pornographie et des réseaux sociaux. Comment la société peut-elle s'en défendre ? De tels comportements vont en effet totalement à rebours de l'évolution naturelle de notre civilisation, qui tend à l'égalité hommes-femmes, à la moindre acceptation et à la pénalisation des violences, en particulier des violences sexuelles.

Vous évoquiez, pour l'inceste, une forme de prévention passant par des messages à destination du grand public. N'y aurait-il pas aussi, à l'égard des plus jeunes, des messages à faire passer ? Comment les leur transmettre ? Faut-il utiliser ces mêmes réseaux sociaux qui diffusent des messages inverses, afin que la jeunesse se rappelle que la norme, c'est le consentement, la non-violence et l'égalité entre hommes et femmes ?

Dr. Laurent Layet. - La justice restaurative représente indéniablement une avancée. Elle est une autre manière d'aborder la question de la transgression. Nous la voyons aujourd'hui s'ébaucher et elle a encore besoin de se structurer. Les pays anglo-saxons, notamment le Canada, beaucoup plus avancés que nous sur le sujet, nous l'ont inspirée.

En ce qui concerne les jeunes auteurs de violences sexuelles, jusqu'à présent, dans l'analyse des risques de récidive, nous identifiions deux ensembles distincts. D'un côté, les auteurs d'infractions à caractère sexuel sur des femmes adultes, présentant plutôt des profils antisociaux, caractérisés par des actes de transgression, dont la transgression sexuelle. De l'autre, les auteurs de violences sexuelles sur mineurs, avec deux sous-groupes : les auteurs de violences sexuelles sur mineurs incestueux à l'intérieur de la famille et les auteurs de violences sexuelles à l'extérieur de la famille, le second étant le plus préoccupant sous l'angle de la récidive.

Désormais, il s'y ajoute la question de l'âge d'auteur, dont on s'aperçoit en effet qu'il tend à diminuer. Le phénomène renvoie, me semble-t-il, à la notion très large de transgression, dont la traduction en actes infuse la délinquance en général et ne se résume pas à la seule sexualité.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - L'âge de la transgression diminue-t-il ?

Dr. Laurent Layet. - Oui, cet âge diminue, en même temps qu'augmente le phénomène de la transgression adolescente, que l'on prend désormais en compte, après l'avoir quelque peu passé sous silence.

Dr. Roland Coutanceau. - L'aspect social de la question est le plus important. Les films pornographiques mettent en scène une sexualité qui n'est pas la sexualité relationnelle réelle. Je me souviens d'avoir entendu un jour dans un groupe un homme me dire : « Mais où sont ces femmes que l'on voit dans les films pornographiques ? Je n'en rencontre jamais aucune. » Je n'affirmerai pas que tous les hommes sont inconséquents, mais leur rapport à la sexualité reste quand même assez primaire.

Il y a une nocivité, une pathogénie pour nos adolescents à regarder des films pornographiques sans médiation par l'adulte. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils ignorent que ces représentations de la sexualité et de la féminité ne sont pas vraies. Mais nos sociétés ont mis à la disposition des hommes une visualisation extraordinairement sombre de la violence physique, de la violence sexuelle, avec des mises en scène qui ne correspondent pas à la réalité relationnelle de l'être humain. Et cette représentation touche le plus directement les jeunes hommes.

Nous nous situons là au coeur de votre mission. Il faut renforcer les messages sur le consentement et le sens de ce mot, car mon expérience de psychiatre m'a appris que la plupart des gens peuvent dériver dans un contexte où ils sont seuls avec un autre être humain, et plus souvent encore en l'absence de verbalisation. Rappelons par ces messages que c'est toujours un minimum que de demander : « Tu veux ou tu ne veux pas ? », et qu'un être humain alcoolisé ne peut pas être consentant. Ces messages sont des antidotes au rapport de nos jeunes avec la pornographie.

Dr. Charles-Olivier Pons. - La diminution de l'âge de la transgression s'enracine dans un phénomène bien antérieur à l'accès à la sexualité et à sa désinhibition. Nous sommes passés de la figure de l'enfant roi à celle de l'enfant tyran, et nous avons désormais des enfants dieux auxquels on adresse des prières pour la moindre chose. Les violences et agressions dont nous traitons sont ainsi également la projection néolibérale d'objets à posséder et d'images qu'il faut donner de soi.

Nous assistons à l'émergence de générations d'enfants qui ne comprennent pas que des fonctions de surmoi puissent se mettre en place pour limiter le rapport à l'autre, pour accéder à l'empathie et pour comprendre les conséquences de ses actes sur autrui.

M. Florent Simon. - Je suis bien sûr favorable à la justice restaurative, pour autant qu'elle soit possible, puisqu'elle requiert l'accord de la victime. Et c'est tout l'enjeu, particulièrement chez les mineurs. Surtout, la question se pose de son périmètre, de sa mise en place et de savoir qui la mène.

Un mot sur les messages relatifs au consentement. Il est très important de les marteler. Ils constituent d'ailleurs l'une des composantes, avec la protection des victimes et la création de juridictions spécialisées, du programme que l'Espagne applique en matière de prévention de la récidive des violences et agressions sexuelles. Dans ce pays, de tels messages ont fait l'objet de tout un travail de communication et des sondages ont servi à en mesurer l'écho dans la population. Jusqu'à 90 % des personnes interrogées les avaient entendus du fait de leur répétition. Cette approche peut être une option assez intéressante.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure de la commission des lois. - Vous nous avez expliqué que, si la récidive s'avère extrêmement difficile à prédire, un certain nombre de facteurs peuvent néanmoins aider à déterminer l'existence de risques de récidive chez un AICS. Vous avez ainsi évoqué des analyses probabilistes et statistiques. Alors que s'ouvre à Paris le sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle (IA) et que nous nous interrogeons sur le caractère éthique de ses algorithmes, ne pensez-vous pas possible que des biais existent dans les tests que vous utilisez, lesquels recourent également aux outils informatiques ? Une partie des tests qui proviennent des pays anglo-saxons sont justement pointés du doigt pour de tels biais. Vous êtes-vous enquis de cette question dans vos structures respectives ? Et devrions-nous la prendre en compte dans les recommandations que nous pourrions formuler au terme de nos propres travaux ?

Dr. Laurent Layet. - Les échelles d'évaluation sont en effet des outils statistiques algorithmiques et il faut indéniablement reconnaître qu'elles ont progressé.

Auparavant, des cliniciens de l'ancienne école s'en tenaient, pour l'évaluation de la dangerosité d'un patient, à une rencontre en tête-à-tête d'une à deux heures. La pratique a montré la totale inefficacité de cette approche, avec un taux d'erreur de l'ordre de 60 %.

Il a ensuite été proposé de détacher l'évaluation de l'évaluateur, en s'en remettant cette fois à une check-list que tout un chacun pouvait remplir pour déterminer un taux de dangerosité. Le résultat n'a pas non plus été probant.

On a donc essayé de croiser les deux approches, en utilisant des échelles qui prennent en compte une dimension clinique et que seuls des cliniciens peuvent remplir. Certains critères pourront ainsi être déterminés par une IA, mais nécessiteront toujours une appréciation clinique.

Prenons l'exemple de l'impulsivité. On ne peut affirmer qu'une personne est ou n'est pas impulsive, car la réalité s'avère plus nuancée que cela. Le niveau d'impulsivité est en fait gradué, et il peut varier en fonction de facteurs tels que la consommation de substances toxiques. Le déterminer suppose non seulement d'utiliser des items connus et référencés dans la littérature criminologique, mais de coter et de pondérer chacun d'entre eux.

En l'état, je ne pense pas qu'une IA atteigne une telle finesse de l'analyse, qui prenne en compte tous les critères et éléments, verbaux ou non verbaux, d'un dossier. C'est pourquoi, à mon avis, la vision d'un clinicien reste absolument indispensable.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure de la commission des lois. - Ce n'est pas tout à fait ma question et je ne doute guère du fait que, dans vos métiers comme dans d'autres, les outils numériques sont une aide à l'évaluation et à la décision qui ne dispensent pas du travail humain d'analyse.

J'évoquais la possibilité de biais, dont certains dénoncent la présence dans les algorithmes, parce que ce n'est pas vous qui les construisez. Ces biais peuvent être liés notamment au genre, à l'origine ou à l'âge. En tenez-vous compte ?

Dr. Laurent Layet. - Assurément. Cependant, ces échelles d'évaluation, constituées d'un ensemble de critères validés, permettent elles-mêmes d'éliminer un certain nombre de biais inhérents aux rapports humains qui s'établissent entre le professionnel et la personne qu'il évalue. Selon la qualité de la relation qui s'établit entre eux, le risque existe toujours que le premier surévalue ou, au contraire, sous-évalue la dangerosité de la seconde.

Pour autant, une part d'appréciation clinique demeure et celle-ci est une appréciation humaine, avec ce que cela comporte de possibilité d'erreur, comme dans toutes les disciplines médicales. La psychiatrie n'y échappe pas.

Dr. Roland Coutanceau. - Ces échelles ont apporté des données statistiques, fruits de travaux factuels et approfondis, au clinicien et celui-ci peut les utiliser de manière souple, en en pondérant les critères. J'évoquais trois facteurs statistiques de risque de récidive après un premier passage à l'acte sur une victime adulte. Leur conjonction signifie non que l'on stigmatisera davantage l'auteur, mais qu'un suivi plus attentif en milieu carcéral est opportun.

Nous nous sommes aperçus, à partir d'une expérience menée aux États-Unis, que des évaluations purement cliniques conduisaient, quelle que soit la spécialité professionnelle, à des surévaluations du risque de récidive.

M. Christian Ballouard. - Les biais sont majeurs et d'origine essentiellement culturelle, avec le passage d'une culture à une autre. Nous pouvons nous inspirer de ces échelles d'évaluation uniquement lorsqu'elles servent de guide pour un entretien clinique classique.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Il a été question du passage de l'état de victime à celui d'auteur. Pouvez-vous nous en dire plus sur les facteurs de transition que vous avez identifiés ?

Quelles sont par ailleurs vos propositions de formations pour le métier de la psychologie légale ainsi que pour sa reconnaissance ?

Pensez-vous que l'expertise systématique des AICS soit justifiée ? L'expertise est-elle de même automatique pour d'autres types d'infractions ?

M. Christian Ballouard. - Oui, l'expertise est obligatoire pour certains crimes et délits.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Constatez-vous comme moi, et comme l'observe la Chancellerie elle-même, un développement, en matière de justice civile, du recours aux expertises psychiatriques ou psychologiques ? Les juges aux affaires familiales (JAF), en particulier, les utilisent de plus en plus fréquemment lorsqu'ils ne parviennent pas à démêler une séparation et à trancher la question de la garde des enfants. N'en est-il alors pas fait un usage quelque peu excessif, d'autant qu'elles mobilisent des ressources humaines déjà assez rares ?

À l'attention de M. Pons, je précise que nous ne négligeons pas de travailler, au sein de la mission conjointe de contrôle, sur les aspects médico-sociaux de la prévention de la récidive. J'ai personnellement exercé, par le passé, des fonctions dans ce secteur.

Quant aux Mecs, où l'on constate des agressions sexuelles de mineurs sur mineurs, on observe parfois qu'il y préexistait des agressions sexuelles commises par des adultes qui n'avaient été dénoncées. Du reste, notre difficulté actuelle, quand nous essayons de quantifier les faits de violences sexuelles, spécialement dans des institutions où une chape de plomb était de mise, tient à savoir si c'est leur nombre qui augmente ou celui de leurs dénonciations et l'intérêt que l'on y porte.

Enfin, il existe une catégorie de violences sexuelles sur mineurs que vous n'avez pas abordée, mais qui me paraît importante. Elle renvoie aux agresseurs qui ont choisi des métiers impliquant la fréquentation régulière d'enfants, comme les ecclésiastiques ou les éducateurs sportifs.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - Nous avons entendu en audition des procureurs de la République et des procureurs généraux. L'un d'entre eux nous a indiqué qu'il leur arrive fréquemment de ne pas engager de poursuites, faute de disposer de preuves matérielles suffisantes. D'après vos explications, une expertise, psychologique ou psychiatrique, a dû être menée pour les personnes concernées. Lorsqu'elles récidivent, l'expert initialement missionné en est-il averti ? Dans l'affirmative, procède-t-il à une évaluation de son analyse ?

Dr. Laurent Layet. - Si l'expertise est systématique en matière criminelle dans la pratique des juges d'instruction, qui désignent un expert psychiatre, un expert psychologue ou un enquêteur de personnalité, les textes ne la prévoient pas. Quand vous évoquez l'intervention des procureurs de la République, nous nous trouvons non au stade de l'instruction, mais plutôt à celui de l'enquête, et notamment de l'enquête de flagrance.

Les facteurs de transition de victime à auteur sont les troubles de l'attachement et les expériences adverses. Il faut aujourd'hui être capable d'accepter qu'un auteur ait pu être victime sans que cela n'atténue sa responsabilité. Toutes les victimes ne deviennent en effet pas auteurs. Mais plus on a été confronté tôt à la violence physique ou sexuelle, soit comme témoin soit comme victime directe, plus le risque du passage au statut d'auteur est fort. Et moins on bénéficie d'un support familial solide, moins on peut se rattacher à des schémas protecteurs, et plus grand est le risque du passage à l'acte. Ces facteurs de transition sont aujourd'hui connus et permettent une analyse assez fine du risque. Les spécialistes parlent à présent de cycle de violences, dans lequel une même personne peut être tour à tour victime et auteur. L'approche permet de mieux comprendre les situations, mais comprendre ne signifie pas excuser.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Nombre d'AICS disent avoir eux-mêmes été victimes de ce type d'infractions.

Dr. Charles-Olivier Pons. - Les Mecs sont des institutions aujourd'hui dévastées, où la Loi, celle de l'interdit, n'est plus transmise, mais où le secret prévaut encore en cas d'agressions sexuelles entre enfants ou d'adultes sur des enfants. Nous recevons dans les CMP des adolescents qui nous expliquent ce qu'ils endurent dans les Mecs ou dans des familles d'accueil censées les protéger de ce qu'ils ont déjà enduré dans le milieu d'origine et qui a provoqué leur placement.

À Lons-le-Saunier, j'ai dernièrement accompagné en CMP plusieurs adolescentes agressées par un éducateur sportif qui s'est suicidé au moment où les faits ont été dévoilés. Il n'y aura donc pas de procès et il ne nous reste qu'à les féliciter de leur courage d'avoir osé parler. Le dépôt de plainte permet que les faits ne se reproduisent pas, en protégeant d'autres jeunes filles ou garçons.

Le travail d'accompagnement dans les Mecs ou dans d'autres structures nécessite aussi que ses artisans, confrontés à l'effraction de l'intime d'autrui, soient en permanence dans ce que l'on appelle l'analyse du transfert et du contre-transfert. Je m'inscris personnellement dans le courant de la psychothérapie institutionnelle, pour lequel il importe de nommer et de parler de toutes les transgressions.

M. Florent Simon. - La formation des psychologues est une question quelque peu complexe. Il existe en France à peu près 199 parcours de master différents. C'est dire l'émiettement de cette formation. Certains parcours traitent certes de l'expertise, du travail en administration pénitentiaire, au service de la PJJ ou de l'aide sociale à l'enfance (ASE), mais aucun n'est parfaitement calibré pour l'exercice de la psychologie légale. Quant aux diplômes d'université (DU), ils restent assez rares et s'avèrent parfois éloignés des préoccupations du terrain.

Le SNP prône le passage à un doctorat d'exercice pour tous les psychologues, ce qui renforcerait les pratiques cliniques de terrain, sur le modèle québécois. Néanmoins, l'expertise des professionnels s'enrichit aussi de la diversité de leurs parcours respectifs.

M. Christian Ballouard. - Il a été question de relever la formation des psychologues au niveau du doctorat, les professionnels des secteurs paramédicaux étant désormais titulaires de masters.

Les expertises décidées par les JAF ne sont, c'est exact, pas toutes pertinentes. En matière criminelle, les expertises sont systématiques au stade de l'instruction et, en amont, les procureurs de la République recourent également aux services d'experts.

La sous-évaluation des situations de violences et d'agressions sexuelles apparaît manifeste, à la faveur de l'augmentation du nombre des dénonciations dans un contexte sociétal qui évolue.

Enfin, on estime à un tiers la proportion des AICS qui ont eux-mêmes été victimes d'infractions de la même nature.

Dr. Roland Coutanceau. - Dans les expertises que nous réalisons, nous constatons que, le plus souvent, les personnes abusées qui deviennent agresseurs sont celles qui n'ont pas parlé de l'agression sexuelle qu'elles ont subie. Et elles ne la reconnaissent qu'au moment de leur interpellation. Dans un objectif de prévention, la société a tout intérêt à favoriser plus tôt leur parole.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - N'obtiendrai-je pas de réponse à ma question sur l'évaluation par les experts de leur analyse en cas de récidive ?

Dr. Roland Coutanceau. - Vous surestimez le rôle de l'expert psychiatre dans les affaires où il est nommé par le procureur de la République au stade de la garde à vue. Sa première expertise n'évalue alors pas à proprement parler la dangerosité criminologique du mis en cause ; elle indique au procureur s'il est ou non malade mental et en précise la personnalité.

Les procureurs conservent cependant la possibilité de recourir à une expertise différée de six à huit semaines. Le professionnel intervient alors dans de meilleures conditions et l'on peut être plus exigeant sur son travail.

M. Christian Ballouard. - L'expert est déchargé dès lors qu'il rend son rapport et n'est pas tenu informé de ce qui se passe après.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - Il n'y a pas de retour d'expérience en cas de réitération ? Et le même expert peut-il être désigné une seconde fois ? Est-ce d'ailleurs souhaitable ?

Dr. Laurent Layet. - Il n'y a pas de règle, mais il est certain que plus l'expert bénéficiera d'éléments objectifs - lesquels lui sont souvent difficiles à obtenir, y compris en cas d'expertise différée -, plus son évaluation sera pertinente.

M. Christian Ballouard. - Quel que soit l'âge, si l'on repère une structure perverse, qu'il s'agisse d'un violeur de rue ou d'un autre type de délinquant, on va être plus vigilant sur une éventuelle récidive.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - Quel est le taux de féminisation de votre profession ?

Dr. Laurent Layet. - Les femmes réussissent mieux dans les études médicales, donc, mécaniquement, il y a plus de femmes dans notre profession. Cependant, la question de la pénurie reste prégnante.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - Je pense que les femmes n'analysent pas ces phénomènes de la même façon. La mixité serait, me semble-t-il, intéressante dans les équipes pluridisciplinaires.

Dr. Laurent Layet. - C'est même indispensable !

Dr. Charles-Olivier Pons. - On retombe sur le problème de la pénurie de praticiens. Il m'est arrivé de refuser une expertise pour une femme violente à la maison, car je suivais sa propre fille en CMP.

M. Florent Simon. - Les femmes représentent 85 % des psychologues.

Mme Laure Darcos. - Je voulais revenir sur les très jeunes délinquants sexuels. J'ai eu l'occasion de visiter le centre éducatif fermé (CEF) de l'Essonne. Les professionnels que j'y ai rencontrés m'ont rapporté des propos effarants d'un adolescent de 14 ans ayant participé à un viol en réunion. S'il n'est pas pris en charge dès son plus jeune âge, je pressens que la suite sera dramatique. Est-ce que vous intervenez également dans les CEF ?

Dr. Roland Coutanceau. - Soyons optimistes pour terminer. Tous les psychiatres vont être formés à l'expertise. Les psychologues se forment aussi au psycho-légal et à la psycho-criminologie.

La rémunération s'est améliorée. Rien à voir avec l'époque où l'on allait aux assises pour 40 euros.

La pénitentiaire a consenti un important effort de formation pour ses personnels. La PJJ est plus timide, mais elle se met aussi à la psycho-criminologie et à la psycho-sexologie. Il me semble important de mieux travailler dans les CEF. Les choses se sont améliorées depuis 20 ans, mais il reste des efforts à faire pour mieux utiliser le temps où l'adolescent est cadré, avec des psychologues de plus en plus formés. Il y a d'ailleurs un centre de ressources en région parisienne.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Le Savi à Migennes prend justement en charge les mineurs auteurs, mais aussi les mineurs victimes. Beaucoup d'entre eux sont les deux et, une fois qu'ils prennent conscience qu'ils ont été eux-mêmes victimes, ils se rendent compte de la gravité de ce qu'ils ont fait.

Dr. Charles-Olivier Pons. - Le CEF peut aussi être un lieu d'apprentissage d'autres formes de délinquance, ce qui fait hésiter les juges à prononcer le placement, d'autant que le jugement arrive parfois 65 mois après le passage à l'acte. Dans le Jura, nous essayons de recevoir très tôt les agresseurs et les agressés dans des salles « Mélanie » pour commencer le travail bien avant la décision.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - La réforme du code pénal des mineurs a permis de réduire les délais.

La réunion est close à 10 heures 55.