- Mercredi 29 janvier 2025
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord portant création du Centre de développement des capacités cyber dans les Balkans occidentaux (C3BO) - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981 - Examen du rapport et du texte de la commission
- L'architecture de sécurité africaine et le renouveau des relations de la France avec les pays africains - Examen du rapport d'information
- Projet de Contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'Institut français (2024-2026) - Examen du rapport d'information
Mercredi 29 janvier 2025
- Présidence de M. Cédric Perrin, Président -
La réunion est ouverte à 9 h 55.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord portant création du Centre de développement des capacités cyber dans les Balkans occidentaux (C3BO) - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Cédric Perrin, président. - Nous examinons ce matin le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord portant création du Centre de développement des capacités cyber dans les Balkans occidentaux.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteur. - Le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui a pour objet l'accord, signé à Tirana le 16 octobre 2023 entre la France, le Monténégro et la République de Slovénie, relatif à la création du Centre de développement des capacités cyber dans les Balkans occidentaux (C3BO). Je le rappelle, les pays des Balkans occidentaux sont : le Monténégro, l'Albanie, la Serbie, la Macédoine du Nord, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo.
Le concept de cyberespace, apparu dans les romans de science-fiction des années 1980, est aujourd'hui entré dans notre quotidien et, avec lui, la menace des multiples « scénarios catastrophe » auxquels il est exposé.
Pour dépeindre les différents types d'attaquants, on parle d'ordinaire de « hackers à chapeau noir, gris ou blanc », selon que leurs intentions sont plus ou moins malveillantes. Ce monde hétérogène est principalement constitué de trois catégories d'agresseurs : tout d'abord les agresseurs étatiques ou assimilés, particulièrement chevronnés et offensifs, conduisant une guerre hybride qui n'épargne pas la France ; ensuite des cybercriminels, qui ciblent désormais l'ensemble du tissu social - PME, établissements de santé, particuliers... - ; et, enfin, les « hacktivistes », qui conduisent, pour des raisons militantes, des attaques cyber qu'ils jugent légitimes à défaut d'être légales.
La montée en puissance de cette menace est devenue une préoccupation majeure, notamment pour les démocraties, particulièrement visées. À l'échelle mondiale, le coût des attaques cybercriminelles est estimé aujourd'hui à 9 220 milliards de dollars et pourrait atteindre en 2029 15 630 milliards de dollars, un peu plus que le PIB de la Chine...
Cette intensification de la menace s'explique par plusieurs évolutions particulièrement alarmantes.
D'abord, sur le dark web, sont mis à disposition des cybercriminels des kits d'agression clefs en main, grâce auxquels lancer un rançongiciel de manière automatisée et récupérer en bitcoins la rançon extorquée est devenu à la portée d'un internaute de niveau moyen.
Par ailleurs, des prestataires spécialisés se sont développés, proposant à leurs clients, le plus souvent étatiques, des outils de piratage élaborés, des analyses ciblées des vulnérabilités ou bien des offres d'expertise personnalisées.
L'intelligence artificielle, qui permet de concevoir ou de contrefaire un site, un courriel, une photo ou encore une voix, mais aussi de mieux cibler les victimes, s'est également mise au service des cybercriminels pour élaborer des attaques de plus en plus sophistiquées.
Enfin, je souhaite insister sur le fait que nous sommes maintenant confrontés à un milieu de mieux en mieux structuré, qui constitue un véritable écosystème de la cybercriminalité, avec des forums permettant l'échange de données, l'achat de logiciels malveillants, mais aussi des liens vers des prestataires de cyberattaque ou des circuits de blanchiment...
Face à ces menaces, les parades possibles reposent pour l'essentiel sur les politiques de prévention et de formation, afin de sensibiliser un public le plus large possible aux bonnes pratiques de sécurisation.
C'est dans cet objectif qu'a été créé, en novembre 2022, le C3BO, implanté à Podgarica, au Monténégro. Sur le modèle des écoles nationales à vocation régionale, implantées essentiellement en Afrique, le Centre délivre des formations à la cybersécurité et à la lutte contre la cybercriminalité, et favorise le partage des bonnes pratiques.
Son budget annuel s'élève à 1,05 million d'euros, essentiellement supporté par la partie française, avec une participation de 870 000 euros, soit 83 % du budget total - j'y reviendrai -, contre 100 000 euros pour la Slovénie et 80 000 euros pour le Monténégro.
Le Centre dispense, à titre gratuit - j'y reviendrai également -, des formations thématiques d'une semaine, au bénéfice tant des services de police et des magistrats que des administrations et des militaires. Il a délivré, en 2023, année de sa mise en service, 5 formations ; en 2024, il est monté en puissance, avec 21 formations, destinées à 400 stagiaires ; en 2025, il atteindra sa vitesse de croisière avec 31 formations, soit près de huit mois de cours, qui bénéficieront à quelque 600 stagiaires. Il propose également un cursus universitaire de haut niveau et diplômant.
Pour la diplomatie française, l'enjeu du C3BO est triple.
Tout d'abord, bien sûr, il présente un enjeu de cybersécurité. Du fait de leur insuffisante culture de cybersécurité, les pays des Balkans occidentaux sont particulièrement vulnérables : on l'a vu avec l'offensive perpétrée par la Russie contre le Monténégro, en 2022, en raison de sa position dans le conflit ukrainien, et avec celle qui a été lancée par l'Iran à l'encontre de l'Albanie, la même année, en représailles à l'hospitalité accordée aux moudjahidin du peuple. Or relève de l'intérêt général, y compris de celui de la France, de renforcer la cyber-résilience de nos partenaires, afin d'éviter toute compromission, par rebond, de notre propre cyberespace. Cette même problématique se pose avec une acuité particulière dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), et explique que, en même temps que la France et la Slovénie, les États-Unis se préoccupent de la cybersécurité des Balkans occidentaux au point d'installer également au Monténégro un centre cyber, doté de missions complémentaires à celles du C3BO.
En second lieu, la région des Balkans occidentaux constitue un enjeu géostratégique majeur : dans un contexte où le processus d'adhésion à l'Union européenne de ces pays est particulièrement lent, voire en panne, leur enthousiasme proeuropéen a tendance à s'émousser et ouvre la brèche à un réel découragement, volontiers attisé par des influences étrangères. Or, plus que jamais, il est important pour la stabilité de la région d'y entretenir un tropisme européen et atlantiste. En juillet 2023, l'excellent rapport d'information de nos collègues Cigolotti, Conway-Mouret et Gréaume invitait la France et l'Union européenne à « consolider l'intégration européenne des Balkans occidentaux en diversifiant et en intensifiant leur présence dans cette région ». À cet égard, le C3BO est porteur d'un signal d'autant plus fort qu'il permet également, en améliorant le niveau de cyber-résilience des Balkans occidentaux, de les rapprocher des standards de l'Union européenne, notamment de la directive NIS 2 (Network and Information Security).
Le troisième enjeu pour la France est un enjeu de soft power : forte de ses compétences, qui lui permettent de se positionner à l'échelle internationale comme une puissance cyber de premier rang, responsable, coopérative et solidaire, la France tire de son rôle cyberdiplomatique un bénéfice réputationnel important, en Europe comme en Afrique. Avec un rayonnement régional, qui ne manquera pas de rejaillir sur la France, le C3BO viendra assurément consolider cette image.
Je précise que l'objet de cet accord est d'autoriser non pas la création du C3BO, ce qui ne nécessiterait aucune validation par le Parlement, mais sa transformation en organisation internationale. Ce statut devrait permettre de renforcer la sécurité juridique du Centre en lui conférant une personnalité juridique internationale, dotée d'un conseil d'administration, d'une gouvernance et d'un financement spécifiques. La France, la Slovénie et le Monténégro en seraient les membres fondateurs ; les cinq autres pays des Balkans occidentaux ont vocation à en devenir membres et l'accord prévoit en outre qu'ils pourraient être rejoints, le cas échéant, par d'autres pays européens. La future organisation internationale présentera notamment l'avantage, par rapport au format actuel, de permettre un financement par les futurs autres membres et, à terme, par l'Union européenne.
Mes chers collègues, je vous proposerai d'approuver ce texte, qui, en même temps qu'il favorise la montée en puissance d'un établissement phare consacré à la cybersécurité, renforcera la présence française dans une région stratégique.
Cependant, je vous propose d'assortir votre accord de deux recommandations, toutes deux relatives au financement du centre :
- la première, dans le contexte budgétaire dans lequel nous nous trouvons, serait de tendre, pour l'avenir et au fur et à mesure que l'organisation internationale s'enrichira de nouveaux membres, vers une répartition moins déséquilibrée des contributions financières entre les membres ;
- la seconde, dans le même sens, serait que les formations, qui à l'heure actuelle sont dispensées de façon entièrement gratuite, ce qui inclut les frais de transport, d'hébergement et de séjour, soient conditionnées à une participation financière, au moins symbolique, des bénéficiaires.
Ces deux recommandations, sans remettre en cause ni l'ambition du projet ni le rôle pilote joué par la France, me semblent de nature à alléger et à mieux répartir le coût de ce centre. Si vous en êtes d'accord, je les communiquerai au Quai d'Orsay.
Ce texte est également pour moi l'occasion d'émettre ici une suggestion : nous devrions engager une réflexion sur la manière dont notre commission pourrait assurer le suivi de tels organismes, par exemple dans le cadre de l'avis budgétaire sur le programme 105, ou par le biais d'auditions ou de rapports d'activité.
Je vous précise enfin que l'examen en séance publique de cette convention pourrait se tenir au cours de la première quinzaine de février, selon une procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.
Mme Michelle Gréaume. - Vous avez abordé la question de la prise en charge du financement par chaque État membre. Combien cela coûtera-t-il à chacun ?
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteur. - À l'heure actuelle, la France prend en charge 870 000 euros, la Slovénie 100 000 euros et le Monténégro, qui fournit également les locaux, 80 000 euros. L'idée de l'érection du Centre en organisation internationale serait d'équilibrer ce financement et de faire appel à d'autres membres.
M. Olivier Cadic. - La création de ce centre fait suite à l'attaque subie par le Monténégro à l'été 2022, touchant 17 systèmes et 3 000 ordinateurs dans 10 ministères. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) avait été dépêchée sur place pour les aider, dans le cadre de sa première intervention internationale. Il faut se rendre compte de ce qu'est le Monténégro, c'est l'équivalent d'un département français comme la Gironde. Ce pays ne peut pas faire face seul à de telles attaques, surtout que l'attaque émanait de la Russie, qui entendait ainsi punir ce pays parce qu'il rejoignait l'Otan. L'Anssi a donc ainsi pu travailler pour la première fois à l'international et la France a pu aider ces pays à élever leur niveau en la matière.
Combien ces cours représentent-ils en temps homme ? Qui délivre ces formations ? Est-ce l'Anssi ? Est-ce pris sur son budget ? Dans ce cas, nous pourrions le contrôler au travers du programme 129.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteur. - Pas du tout, les formateurs appartiennent à la gendarmerie ou sont des formateurs privés. Le budget de l'Anssi n'est pas affecté.
M. Mickaël Vallet. - La France est à l'initiative de cette organisation internationale et la finance largement. Quelle en sera la langue de travail ? Dans quelles langues les cours sont-ils dispensés ? Je n'ai aucun problème à ce qu'ils ne soient pas donnés en français, mais est-ce donné dans la langue des stagiaires ?
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteur. - Les cours sont donnés pour l'essentiel en anglais.
M. Mickaël Vallet. - Je glisserais bien une recommandation sur le sujet, en distinguant entre la langue de travail et la langue des cours, afin de favoriser la langue française.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteur. - Le niveau des stagiaires est très élevé. Ils parlent tous l'anglais, la langue véhiculaire.
M. Mickaël Vallet. - Mais quelle sera la langue de travail de l'organisation ?
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteur. - Il y a trois personnes qui s'occupent de la gestion de l'organisation. Je ne sais pas en quelle langue ils travaillent. Je poserai la question.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.
Projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981 - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Cédric Perrin, président. - Nous passons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui concerne la ratification de la convention n° 155 de l'Organisation internationale du travail (OIT), adoptée en 1981, et récemment reconnue comme l'une des conventions fondamentales par cette organisation. Elle porte sur un enjeu essentiel : la sécurité et la santé des travailleurs.
Permettez-moi tout d'abord de rappeler brièvement l'histoire et le rôle de l'OIT. Cette institution, créée en 1919 dans le cadre du traité de Versailles et unique par sa structure tripartite, réunissant gouvernements, employeurs et travailleurs, poursuit depuis plus d'un siècle une mission fondamentale : garantir un travail décent pour tous. La France, en tant que membre actif, a toujours soutenu les objectifs de l'OIT et ratifié un grand nombre de ses conventions. Cette tradition d'engagement témoigne de notre attachement aux principes universels de justice sociale et de progrès économique équilibré.
La convention n° 155, quant à elle, établit un cadre général pour promouvoir des conditions de travail sûres et salubres. Elle engage les États membres à adopter des politiques nationales cohérentes et inclusives en matière de santé et de sécurité au travail. En juin 2022, cette convention a été élevée au rang de texte fondamental par l'OIT, marquant une reconnaissance internationale de l'importance des enjeux qu'elle couvre.
En France, nous bénéficions d'un cadre législatif avancé en matière de santé et de sécurité au travail. Le code du travail impose aux employeurs une obligation générale de sécurité et des structures telles que les services de prévention et de santé au travail interentreprises jouent un rôle clé dans la protection des travailleurs.
Toutefois, malgré ces avancées, la ratification de la convention n° 155 représente une étape importante pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, elle consolide nos dispositifs nationaux en les intégrant dans une perspective internationale. En harmonisant nos pratiques avec celles des autres États membres de l'OIT, cette ratification renforce notre capacité à relever des défis communs, tels que les risques psychosociaux, les impacts des transitions numériques et écologiques, ou encore les crises sanitaires globales. Elle permet également de combler certaines lacunes de notre système actuel, notamment dans la coordination entre acteurs et dans l'intégration des nouvelles technologies dans les pratiques de prévention.
Ensuite, elle inscrit notre politique en matière de santé et de sécurité au travail dans un cadre de coopération internationale. La convention n° 155 exige notamment une coordination accrue entre les différents acteurs, qu'il s'agisse des employeurs, des syndicats, ou des institutions publiques. Cette exigence fait écho aux efforts déployés en France, notamment dans le cadre du plan national de santé au travail 2021-2025, qui vise à améliorer la prévention des accidents graves, à lutter contre les risques émergents, et à adapter nos politiques aux évolutions économiques et sociales. Ce plan, en s'appuyant sur la convention, pourrait bénéficier d'une nouvelle impulsion pour atteindre ses objectifs ambitieux.
La dimension préventive de cette convention mérite également d'être soulignée. La convention insiste sur la nécessité d'évaluer les risques professionnels et de les éliminer à la source, une démarche qui s'inscrit parfaitement dans l'esprit de notre code du travail. Cependant, dans certaines entreprises, notamment dans les PME et dans le secteur informel, cette exigence reste encore difficile à mettre en oeuvre. La convention apporte une réponse en favorisant une approche systématique et participative, impliquant activement les travailleurs dans la définition et la mise en oeuvre des mesures de prévention.
Enfin, cette ratification représente une opportunité pour renforcer la protection des travailleurs dans les PME et le secteur informel, dans lesquels les ressources consacrées à la sécurité au travail sont souvent limitées. Elle offre un cadre pour uniformiser les pratiques et diffuser une culture de prévention, essentielle pour garantir des conditions de travail dignes et équitables. Par ailleurs, l'adoption de cette convention soutient nos efforts pour mieux répondre aux risques émergents tels que ceux qui sont liés au changement climatique ou à l'essor des nouvelles technologies. Ces enjeux, devenus centraux dans le monde du travail, nécessitent des réponses coordonnées et innovantes.
Sur le plan international, la ratification de cette convention revêt une dimension stratégique. En ratifiant la convention n° 155, la France réaffirme son rôle de leader dans la promotion des droits fondamentaux au travail. Elle s'aligne sur les priorités de l'Union européenne en matière de santé et de sécurité au travail et contribue à l'universalisation de normes protectrices pour tous les travailleurs. De plus, cette ratification conforte notre position au sein des instances internationales, en cohérence avec notre engagement historique en faveur des droits sociaux. Je vous rappelle en outre que cette convention date de 1981 ; il est plus que temps de la ratifier !
À ce jour, 82 États l'ont ratifiée, dont 18 membres de l'Union européenne. Il suffisait de deux ratifications pour qu'elle entre en vigueur, c'est donc chose faite. En France, elle entrera en vigueur douze mois après l'enregistrement de la ratification auprès de l'OIT.
Je tiens également à souligner que cette convention est non seulement un outil juridique, mais également une opportunité de renforcer notre crédibilité à l'échelle mondiale. Elle nous engage à actualiser régulièrement nos politiques et pratiques pour répondre aux mutations rapides du monde du travail. Les exemples récents, tels que la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, montrent la nécessité cruciale de disposer d'un cadre solide et adaptable pour protéger nos travailleurs.
En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à soutenir ce projet de loi, qui constitue une avancée majeure pour la santé et la sécurité des travailleurs, en France comme à l'étranger. Il s'agit d'un engagement fort, cohérent avec nos valeurs et nos ambitions, et d'une contribution décisive à un monde du travail plus sûr et plus juste. Adopter cette convention, c'est envoyer un message clair : celui d'une France qui continue à défendre les droits des travailleurs et à se placer à la pointe des enjeux de santé et de sécurité au travail.
Son examen en séance publique au Sénat devrait se tenir dans les semaines à venir.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.
L'architecture de sécurité africaine et le renouveau des relations de la France avec les pays africains - Examen du rapport d'information
M. Cédric Perrin, président. - Je vous propose d'aborder à présent le rapport d'information sur l'architecture de sécurité africaine et le renouveau des relations de la France avec les pays africains.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais d'abord brièvement rappeler les modalités d'élaboration de ce rapport sur la question de l'architecture de paix et de sécurité en Afrique et sur l'évolution de nos relations avec les pays du continent.
Des déplacements ont été organisés dans cinq pays africains. Marie-Arlette Carlotti, Jean-Luc Ruelle et François Bonneau se sont ainsi rendus au Kenya et au Rwanda, Pascal Allizard et Alain Joyandet au Maroc et enfin Patrice Joly et moi-même au Gabon et en Afrique du Sud. En revanche nous n'avons pas pu nous rendre au Sénégal comme initialement prévu.
Ces cinq pays étaient très complémentaires pour cerner les enjeux de notre sujet : certains sont francophones, d'autres anglophones, certains sont des pays quasi émergents, d'autres des pays à revenu plus faible. Cette diversité permet d'éviter un écueil : considérer l'Afrique comme un tout uniforme alors que ce continent compte 54 pays. Imaginerait-on de rénover les relations franco-asiatiques ou franco-américaines ?
Au début du premier mandat de l'actuel Président de la République, une nouvelle approche de nos relations avec les pays africains avait été annoncée. Elle visait à nouer davantage de liens avec les sociétés civiles et les diasporas, à régler des sujets de « mémoire », à privilégier le « soft power ».
L'idée était aussi de profiter des opportunités économiques offertes par les pays anglophones tels que le Kenya, le Nigeria ou l'Afrique du Sud et en même temps de « démilitariser » notre image sur le continent pour conjurer sa dégradation.
Force est de reconnaître que cela n'a pas fonctionné. Je ne m'étends pas sur le volet « soft power », qui a connu des difficultés, par exemple avec l'Algérie ou le Sénégal sur les questions de mémoire. Sur les aspects économiques, l'idée de se tourner vers le Kenya, l'Éthiopie ou le Nigeria n'était pas non plus une solution miracle, compte tenu de l'état des finances, des problèmes de corruption ou des conflits dans ces pays.
Mais surtout, la question de la présence militaire n'a pas été correctement gérée et nous y avons laissé beaucoup de plumes. D'abord, l'opération Barkhane a sans doute duré trop longtemps, même s'il était difficile de trouver une bonne porte de sortie. Il n'empêche que le fiasco diplomatique final n'est pas dû qu'à la Russie et à l'ingratitude des pays du Sahel. Notre diplomatie, en partie faute de moyens, n'a jamais été en mesure de capitaliser sur les succès militaires réels de Barkhane.
Surtout, la manoeuvre de déflation des bases militaires au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon nous aura finalement coûté beaucoup en termes d'image et d'influence.
Il faut rappeler que c'est la France qui a pris cette initiative. L'idée était qu'il risquait d'y avoir une sorte de contagion du Sahel et donc d'anticiper, en proposant nous même une réduction des effectifs, pour redescendre à une centaine d'hommes dans chacune des deux bases au Sénégal et au Gabon et un peu plus en Côte d'Ivoire. Finalement, non seulement nous avons donné l'impression d'avoir été chassés du Sénégal et de Côte d'Ivoire, mais nous avons dû en outre quitter le Tchad, où nous avions pourtant soutenu la transition, ce qui nous a beaucoup coûté en termes d'image sur le continent.
Déjà, avoir le même plan dans les trois pays était sans doute une erreur. Seule la situation au Sénégal a été finalement correctement évaluée, car la nouvelle équipe dirigeante tenait un discours souverainiste et opposé aux présences militaires étrangères. Mais au début, aussi bien dans ce pays que dans les deux autres, les dirigeants civils et militaires étaient plutôt mécontents d'entendre que, pour mieux répondre à leurs demandes de coopération, on allait commencer par diviser notre présence par trois ou quatre !
Par ailleurs, cette réforme va avoir trois conséquences négatives.
D'abord, la diminution de nos capacités de formation et de coopération. Avec ces effectifs réduits, il ne sera plus possible de former comme aujourd'hui environ 10 000 militaires africains par an au Gabon, dont 40 % venus d'autres pays d'Afrique centrale, ni 7 000 militaires au Sénégal. Cela ne sera pas compensé par la modeste hausse en cours des effectifs invités dans les écoles en France ni par l'ouverture de nouvelles structures de formation dans les bases restantes, comme nous l'avons vu au Gabon. C'est pourquoi il est contradictoire d'affirmer à nos partenaires que nous allons à la fois réduire la voilure et faire davantage de coopération. Ils ne pourront qu'être déçus.
Ensuite, cette réduction rendra presque impossible deux types d'intervention. D'une part, celles pour évacuer nos ressortissants en cas de crise. Ainsi la réussite de l'opération Sagittaire est liée à la présence de la base de Djibouti, qui a permis de mettre en place des rotations aériennes vers Khartoum. D'autre part, d'éventuelles interventions conjointes avec nos partenaires pour repousser une offensive djihadiste, ce qui reste un vrai danger actuellement dans le golfe de Guinée. Ainsi, le déclenchement de l'opération Serval en 2013 avait été permis par la présence des unités prépositionnées au Tchad, en Côte d'Ivoire et au Sénégal.
Enfin et surtout, le retrait des bases a des implications géopolitiques très lourdes pour notre pays. Ces implantations militaires et ces capacités d'intervention faisaient partie des éléments qui font de la France une « puissance moyenne de rang mondial », selon l'expression de l'ancien ambassadeur Michel Foucher. Cela va de pair avec notre siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU et avec le rôle incontournable que nous y jouons sur les questions de sécurité en Afrique en « tenant la plume » des résolutions, ou encore avec le fait que le poste de Secrétaire général adjoint des opérations de paix est attribué à un Français. De même, ces capacités militaires françaises nous valaient d'être nation-cadre pour les interventions européennes en Afrique. Nos partenaires européens appréciaient d'ailleurs notre capacité à contribuer à l'évacuation de leurs ressortissants. Quant aux États-Unis, il y avait une sorte de répartition géographique des champs de compétences entre eux et nous, et en conséquence un échange de renseignement sur les sujets d'intérêts communs. Tout ceci est aujourd'hui remis en cause.
Par ailleurs, alors que nous sommes dans un contexte mondial de plus en plus multipolaire et concurrentiel, il est clair que nous faciliterons grandement la tâche de la Chine et de la Russie en quittant nos implantations : ces deux pays n'ont pas de base militaire sur l'Atlantique pour le moment, mais la Chine au moins cherche à en installer une.
Il s'agit désormais de limiter les conséquences de ces événements. Nous préconisons pour cela de tout faire pour rassurer nos partenaires, et d'abord le Gabon, sur notre volonté de continuer à coopérer de manière efficace, que ce soit pour la formation ou le soutien capacitaire. Ensuite, il convient de renforcer nos missions de défense auprès des pays du golfe de Guinée. Cela peut passer par la nomination d'un attaché de défense pour chaque armée, terre, air et Marine, car nos partenaires sont moins organisés au niveau interarmées. Un attaché spécialisé de marine serait ainsi utile pour le Gabon ou le Cameroun au vu des problématiques du golfe de Guinée ou encore un attaché « air » pour la Côte d'Ivoire, qui souhaiterait se doter d'une aviation de chasse. Les moyens dégagés par la réduction des bases devraient permettre une telle réforme.
Nous perdons donc de l'influence en Afrique. Mais cette situation doit aussi être regardée de manière plus large, à l'échelle mondiale. Depuis une vingtaine d'années, nous avons été en partie rattrapés par toute une série de pays émergents qui ont connu une croissance économique plus forte que la nôtre. Ces pays, devenus des puissances moyennes, tendent à exercer cette puissance nouvelle sur le continent africain. C'est ainsi que se multiplient les sommets bilatéraux Russie-Afrique, Inde-Afrique, Brésil-Afrique, et même Corée du Sud-Afrique. Les puissances du Moyen-Orient, comme la Turquie, les Émirats arabes unis ou l'Arabie Saoudite font la même chose. Du point de vue africain, ce n'est pas forcément une évolution positive, car cela peut créer de nouvelles dépendances. Pour la France, c'est d'autant plus de concurrence, et donc un déclin relatif, car nous sommes forcément « dilués ».
Il faut l'accepter, mais sans naïveté et sans complexes. Ces pays aussi pourraient être accusés tôt ou tard de néocolonialisme. La Chine l'est déjà à cause de la dette ; la Turquie essuie les premières critiques, tout comme les Émirats arabes unis ou la Russie. Face à ces pays, nous gardons des atouts, et notamment le capital de tous les échanges culturels et éducatifs construits au fil des décennies, la francophonie et aussi les dizaines de milliers de Français installés en Afrique, qui y vivent et y travaillent chaque jour. Encore faut-il le faire valoir auprès de nos partenaires africains, et pour cela il est nécessaire de continuer à renforcer notre diplomatie. Il faut également mieux traiter la question des visas, en favorisant des pays-clefs pour notre présence actuelle, comme Djibouti ou le Gabon. C'est un levier majeur.
Je voudrais enfin souligner un élément relatif à notre aide au développement, à savoir le manque de retombées pour la France de notre aide aux pays émergents. Nous avons pu observer la mise en place du projet « Just energetic transition », ou JET, en Afrique du Sud, financé massivement par la France. Notre pays s'est engagé à fournir 1 milliard d'euros sur cinq ans. L'Afrique du Sud est le 15ème émetteur mondial de gaz à effets de serre, avec son mix énergétique « tout charbon ». Du point de vue de l'intérêt général, ce projet a donc du sens. Mais tout cet engagement ne débouche pas sur des gains stratégiques dans nos relations bilatérales avec l'Afrique du Sud. L'ANC, qui reste le premier parti de gouvernement dans le pays, voit toujours la France comme un État plus ou moins néocolonial hostile au « Sud global » qu'elle défend. Le nouvel élan donné récemment aux « BRICS + » s'inscrit dans cette attitude d'hostilité à l'Occident. Et si notre aide au développement n'a pas d'impact politique sur l'Afrique du Sud, je ne pense pas qu'elle en ait davantage sur la Chine ou sur la Turquie. Il est donc temps de revoir ses priorités.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Monsieur le président, Mes chers collègues, face à la situation que vit la France en Afrique, le Président de la République a voulu diversifier les relations avec les pays africains dans le cadre de ce qui a été baptisé « agenda transformationnel ».
Mais cela a eu des résultats jusqu'à ce jour assez limités. Les projets engagés dans le domaine de la culture, du sport, de la formation professionnelle ou de l'entrepreneuriat se sont limités à maintenir des liens avec les sociétés civiles africaines. Le travail de mémoire, s'il a posé des jalons pour l'avenir, n'a pas été un plein succès. Certes les relations avec le Rwanda se sont améliorées, grâce au rapport de la commission Duclert, reconnaissant la part de responsabilité de la France, si bien que nous sommes aujourd'hui les meilleurs amis de Kagamé.
Mais jusqu'alors rien n'y a fait pour débarrasser la France de sa réputation d'arrogance, bien au contraire. Selon nous, cette situation est due à une « personnalisation » excessive des relations diplomatiques avec l'Afrique. Lorsque la France veut peser davantage dans l'Indopacifique, le Président de la République se rend au sommet du forum de Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC). Lorsque nous voulons améliorer notre image en Afrique, Paris organise un sommet France-Afrique auquel nous « convoquons » les chefs d'État africains pour leur délivrer la bonne parole. Tous les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit qu'il y avait : «un problème avec la parole sur l'Afrique » et « qu'aucun Président de la Vème République n'a pu se départir d'une forme de paternalisme arrogant ».
Les discours ex cathedra, qui se veulent tous fondateurs sur la relation franco-africaine, se multiplient et sont désormais perçus comme arrogants, quel que soit le contenu du message. Ils émanent tous d'une seule source, d'un seul canal de communication : l'Élysée. Et chaque faux pas devient un incident diplomatique. La multiplication des maladresses a sapé les efforts de rapprochement avec nos partenaires. Or il y en a eu beaucoup au cours des dernières années, de la blague sur le Président Kaboré à Ouagadougou à la convocation des chefs d'État africains à Pau.
Nous préconisons donc de rendre toute sa place à notre diplomatie, à la parole de nos ambassadeurs, aux acteurs des relations internationales, aux Parlementaires et, pourquoi pas, au ministre des Affaires étrangères.
Le deuxième aspect qui a ruiné les efforts de renouveau, c'est la poursuite de l'opération Barkhane. L'aspect militaire appelle peu de commentaires : nos armées ont obtenu des succès tactiques unanimement reconnus. Et il faut leur rendre hommage. Ce fut donc, non pas un échec militaire, mais bien un échec politique : celui de ne n'avoir pas su partir à temps et de n'avoir pas cherché des solutions alternatives à ces conflits extrêmement meurtriers.
Car la France, et l'ensemble de ses partenaires, se sont trompés sur l'analyse des causes du conflit, en les ramenant au seul terrorisme international. Alors qu'il s'agissait d'un phénomène enraciné localement, alimenté par l'abandon ou la prédation des États, par les exactions des armées régulières et par l'extrême pauvreté.
L'approche dite « 3D » a été un fiasco. L'aide publique au développement aurait pu contribuer à lutter contre les causes profondes du conflit, mais certainement pas dans le temps court de l'action militaire. Pire, pour les ONG, se mettre dans les pas de l'armée était un non-sens extrêmement dangereux.
Après les putschs au Sahel, la réaction de la France a été d'arrêter soudainement toute coopération, ce qui est apparu comme une punition des populations plus que des dirigeants putschistes.
Nous avons cru pouvoir nous servir de l'aide au développement comme d'une arme. Nous avons assisté à l'effacement de la diplomatie française au profit du sécuritaire. Ce fut là une double erreur.
Nous plaidons pour un rééquilibrage en faveur de notre diplomatie. Elle a manqué de moyens, de personnel et de capacité pour lutter contre la désinformation, contre les accusations fantaisistes alimentées par les trolls russes, nouveaux soldats de la guerre hybride, et par les diatribes anti-occidentales des influenceurs qui en ont fait leur fonds de commerce.
Mais des faits précis nous sont aussi reprochés. Notre interventionnisme militaire, nous l'avons vu à propos de Barkhane ou de l'implantation de nos bases. Je n'y reviens pas. Le franc CFA fait toujours l'objet de multiples critiques, 75 ans après sa création. Instrument de stabilité pour les uns, vestige colonial lié aux élites pour les autres. Pour certains, son existence même prouve que le processus de décolonisation n'a pas été achevé. Une réforme est en discussion depuis en 2019, mais elle n'est toujours pas actée par les chefs d'État africains eux-mêmes. La question qui se pose est, non pas pour ou contre le franc CFA, mais de quelle monnaie les pays africains ont-ils besoin pour transformer leurs économies et leurs sociétés ?
La question des visas reste un irritant majeur, elle engendre d'énormes frustrations à l'égard de la France, particulièrement parmi les jeunes. Une réforme est en cours sur la base du rapport Hermelin. Mais si l'on veut engager une relation renouvelée avec l'Afrique, il faudra revenir à une politique des visas plus souple.
Nous sommes accusés de « double standard » à l'égard des gouvernances africaines. En effet, on condamne le pouvoir militaire au Mali, mais on l'accepte au Tchad. Au fil du temps, le double langage nous a fait perdre beaucoup de crédibilité.
La France prétend soutenir les démocraties, mais elle n'est pas toujours regardante quant à la gouvernance de quelques autocrates. Car concilier principes fondamentaux et intérêts de la France relève parfois de la gageure.
Certes, Emmanuel Macron a compris qu'il fallait s'adresser à la jeunesse et à la société civile. Mais il a continué à se ranger aux côtés des représentants de la « Francafrique », les vieux dinosaures ou de leurs successeurs dynastiques. Souvent au nom d'une stabilité illusoire, car nous avons trop souvent appelé « stabilité » ce qui n'était en fait qu'un statu quo dont les populations ne voulaient plus.
Au Tchad, par exemple, notre pari a été clairement perdant. En revanche nous avons su être un peu plus perspicaces au Gabon.
Alors que les combats meurtriers continuent à l'Est de la RDC, que le soutien du Rwanda au M23 est désormais avéré et documenté, la France devrait davantage agir pour la paix. Or je la trouve très silencieuse.
Nous l'avons déjà dit dans notre rapport, suite à notre déplacement dans ce pays, dans lequel nous préconisions d'adopter une approche plus « mesurée » vis-à-vis du Rwanda.
Certes, le Rwanda a un outil militaire efficace, peut-être utile dans le règlement de certaines crises régionales, mais son agenda économique et géopolitique est expansionniste et déstabilisateur.
Beaucoup nous reprochent de trop insister sur les principes démocratiques et les valeurs humanistes. La France doit rester fidèle à ses valeurs, au respect des droits humains, du droit des peuples et de l'universalisme. Mais nous devrions nous attacher davantage au contenu de la démocratie plutôt qu'au suivi formel des étapes standard de la transition et à l'exigence d'un calendrier électoral. Le défi est donc le suivant : ne pas imposer une tradition « européocentrée » perçue comme néocoloniale, mais porter une plus grande attention à la réalité des aspirations populaires.
Pour cela, il faut s'appuyer autant que possible sur les mouvements et sur les réflexions démocratiques endogènes, comme le suggèrent notamment les travaux d'Achille Mbembe, que mes collègues ont rencontré en Afrique du Sud et qui a créé une fondation de l'innovation pour la démocratie à la suite du sommet de Montpellier en 2021.
Les nouvelles générations ne veulent plus des effets nocifs de la dépendance. Elles veulent tisser avec le reste du monde des relations qui libèrent et pensent que la Russie ou la Chine vont leur permettre de rompre avec le passé. La société civile africaine a changé et nous n'avons pas compris qu'une époque s'achevait à nos dépens. Nous préconisons donc de condamner tout changement inconstitutionnel, mais de ne plus imposer de conditionnalités, notamment en matière d'aide publique au développement.
Premièrement, les modalités de notre aide au développement sont aussi très critiquées. On leur reproche d'imposer des programmes technocratiques standardisés et on suppose un agenda caché à notre profit. Pour sortir de cette situation, il ne suffira pas de rebaptiser l'aide en « partenariat solidaire ».
Il faut vraiment basculer dans une approche partenariale, avec des programmes beaucoup plus souples, où l'on réserve au partenaire africain une réelle marge de manoeuvre, ce qui n'est pas le cas.
Deuxièmement, l'autre reproche qui est fait à la France, mais aussi à l'Occident dans son ensemble, est l'inégalité des échanges commerciaux et le fait que les investissements directs dans les pays africains ne leur profitent pas assez. En effet, une bonne partie de l'Afrique reste essentiellement exportatrice de matières premières et importatrice de produits finis, ce qui l'empêche de se développer et la rend extrêmement sensible aux fluctuations des prix mondiaux.
Nous préconisons de soutenir davantage la mise en oeuvre de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en évitant les accords commerciaux séparés, car la ZLECAf a un gros potentiel pour relocaliser la valeur ajoutée au sein du continent.
Accepter que les pays africains aient le droit de diversifier leurs relations et de choisir leurs partenariats, de décider de la ligne politique et économique qu'ils veulent suivre, éviter les prises de paroles condescendantes depuis l'Élysée, mettre fin au double standard : telles sont quelques-unes de nos recommandations pour changer notre approche en Afrique et enrayer la spirale de la dégradation de l'image de la France. N'abandonnons pas l'Afrique, mais trouvons un chemin entre renoncement et acharnement.
M. François Bonneau. - Monsieur le président, mes chers collègues, la France a indéniablement subi une séquence très défavorable en Afrique de l'Ouest ces dernières années.
Au Sahel, la Russie s'est quasiment substituée à notre pays en matière d'action militaire. Son intervention a combiné opérations de désinformation et puissance militaire via le groupe Wagner, constituant ainsi un bel exemple de guerre hybride. La coopération entre la Russie et le Mali est encore en pleine évolution. La Russie a des difficultés pour remplacer Wagner par l'Africa Corps, ayant été incapable de déployer le contingent promis au 1er janvier 2025. Par ailleurs, un énorme convoi de véhicules russes est arrivé au Mali le 17 janvier depuis des cargos ayant abordé en Guinée.
Toutefois la poussée de la Russie au Mali et plus largement dans le Sahel n'est pas inexorable. Wagner a subi des défaites face aux groupes armés. Les négociations avec les Maliens sont difficiles, peut-être encore plus après la chute de Bachar el-Assad, qui montre que Moscou n'est pas une assurance-vie parfaite. En outre, il faut se souvenir que le Mali est en réalité toujours resté proche de la Russie : ce que l'on observe n'est donc pas une totale nouveauté.
Par ailleurs, la Russie est loin d'être le seul pays qui avance ses pions en Afrique. C'est là l'un des enseignements de notre rapport, déjà évoqué par mes collègues : de nombreux pays font des offres de coopération aux pays africains, mais ont parfois aussi un rôle déstabilisateur. Les puissances du Moyen-Orient sont ainsi très actives : Turquie, Israël, mais aussi Arabie Saoudite et Iran. Les Émirats arabes unis sont également en plein essor, de manière souvent problématique à la fois pour la paix et pour nos intérêts. Le soutien de ce pays au général Hemetti au Soudan via des matériels qui passeraient par le Tchad non seulement entretient le conflit, mais est aussi l'une des causes de notre rupture avec Ndjamena.
Plusieurs de ces pays sont donc susceptibles d'alimenter des conflits déjà très nombreux sur le continent. Ces conflits sont une entrave majeure au développement, puisqu'à cause d'eux la croissance économique est freinée, des millions de personnes sont forcées à l'exil, comme on le voit actuellement au Soudan ou en RDC, et des milliers d'écoles restent fermées alors que le défi de l'éducation de la jeune génération est immense.
Quelles que soient les critiques faites à son encontre, la France a tenté de combattre au Sahel des groupes terroristes qui constituent l'une des principales menaces contre les populations. Or dès le début de l'opération Barkhane, la France a encouragé la formation d'une force autonome des cinq états du Sahel, le G5 Sahel, afin que ces pays puissent prendre en main leur sécurité. La France n'est toutefois pas parvenue à faire mandater le G5 Sahel par l'ONU, ce qui n'a pas permis de lever le problème crucial du financement de sa force conjointe. Celle-ci n'a ainsi été en mesure d'effectuer aucune opération d'ampleur contre les djihadistes avant les putschs qui ont signé sa fin.
Il faut dès lors s'interroger sur l'avenir de cette idée d'une sécurité collective assurée par les États africains eux-mêmes, en particulier via l'architecture de paix et de sécurité de l'Union africaine (APSA).
Il faut souligner au préalable que les autres modes de maintien de la paix ont des inconvénients majeurs. D'abord, les opérations de maintien de la paix de l'ONU sont en perte de vitesse. Certaines opérations du passé ont certes réussi à mettre fin à des crises ou à conduire à des transitions politiques et elles ont globalement permis d'épargner de nombreuses vies humaines. Toutefois, le bilan des dernières grandes interventions est plus que mitigé, que ce soit la MINUSMA au Mali, la MINUSCA en RCA ou la MONUSCO en RDC. Les obstacles sont nombreux : mandats insuffisamment robustes pour protéger efficacement les civils, absence d'accord à faire respecter entre les belligérants, qualités insuffisantes des troupes fournies par les États membres... Des abus sexuels commis au cours de certaines missions ont beaucoup dégradé l'image des Nations Unies. Les relations conflictuelles avec les gouvernements des pays où se déroulent les missions sont devenues très fréquentes. Le fait que ces missions s'éternisent les transforme aussi en cibles faciles pour des campagnes de dénigrement instrumentalisées par certains acteurs. Pour garantir une meilleure acceptation de ces missions, de nouvelles réformes seraient donc nécessaires, que notre pays se doit de soutenir, ce qui suppose de leur confier des mandats plus réalistes et mieux assumés par les contingents des pays concernés.
Une deuxième solution possible est de s'en remettre à des puissances régionales disposant de moyens militaires suffisants pour contribuer à la sécurité dans leurs régions respectives. Le Rwanda joue actuellement un peu ce rôle en intervenant dans de nombreux pays : il est le plus gros fournisseur de troupes pour les opérations de maintien de la paix en proportion de sa population. Il intervient également dans le cadre d'accords bilatéraux en République centrafricaine ou encore au Mozambique où il a combattu avec succès les Chebabs. Il a même signé un accord militaire avec le Bénin. L'envers de cet activisme, déjà évoqué par ma collègue Marie-Arlette Carlotti, c'est bien entendu ce qui est en train de se passer en RDC et qui s'est encore accéléré cette semaine avec l'entrée des troupes du M23 dans Goma. Ainsi, seule la sécurité collective peut constituer une solution durable pour faire avancer la paix sur le continent et instaurer des « solutions africaines aux crises africaines ».
L'Union africaine a donc développé toute une « architecture de paix et de sécurité », l'APSA, avec un Conseil de paix et de sécurité, un système continental d'alerte rapide et une force africaine en attente formée des contingents des Communautés économiques régionales telles que la CEDEAO à l'Ouest ou la SADC au Sud. Depuis l'an 2000, 38 opérations de paix dirigées par des organisations africaines ont été déployées dans 25 pays, avec parfois quelques résultats, comme au Liberia, en Guinée-Bissau, au Lesotho ou encore en Gambie. Ces opérations sont plus souples et plus rapides à mettre en place que celles des Nations Unies. D'autres types d'opérations, validées ou non par l'Union africaine, s'y sont ajoutés hors du cadre institutionnel de l'APSA pour affronter des insurrections transfrontalières, comme la force multinationale mixte contre Boko Haram ou le G5 Sahel.
Le bilan global de la contribution de ces organisations régionales à la paix et à la sécurité sur le continent est cependant très décevant. Leur efficacité reste limitée, pour deux raisons principales.
D'abord, leur financement dépend essentiellement de la communauté internationale. La Facilité européenne pour la Paix (EPF) fournira ainsi 5 milliards d'euros à l'Union africaine pour la période 2021-2027.
En second lieu, les États sont souvent trop jaloux de leur souveraineté pour accepter les interventions collectives.
De fait, les organisations régionales peinent encore à intervenir de manière décisive dans les conflits majeurs, comme le montre l'échec récent de la CEDEAO face au coup d'État au Niger ou encore l'absence totale de réaction à la guerre civile éthiopienne, qui a fait des centaines de milliers de morts. Un autre exemple est la mission de la communauté des États d'Afrique australe, la SADC, en RDC, qui semble assez mal préparée.
Au total, les organisations régionales africaines ont encore un long chemin à parcourir.
En attendant, il reste nécessaire de les consulter systématiquement sur les sujets de paix et de sécurité afin de marquer notre souhait de les voir monter en puissance.
Il existe par ailleurs des raisons d'espérer, du fait de l'adoption de la résolution 2719 du Conseil de sécurité de l'ONU en novembre 2023. Celle-ci prévoit en effet la possibilité d'une contribution directe de l'ONU aux opérations de soutien à la paix menées par l'UA, pouvant aller jusqu'à 75 % de leur budget annuel. La France a beaucoup plaidé pour l'adoption de cette résolution.
Il nous semble ainsi nécessaire d'oeuvrer pour une première utilisation de cette résolution 2719. Deux conflits paraissent être des candidats idéaux : d'une part, la guerre civile au Soudan. D'autre part, le conflit dans le nord-est de la RDC, où la mission de la Communauté des États d'Afrique australe, sous la direction de l'Afrique du Sud, semble pour le moment avoir aucun d'effet sur le déroulement des événements.
Dès 1967, l'intellectuel kenyan Ali Mazrui avait publié un livre intitulé Towards a Pax Africana, Vers une pax africana, défendant l'idée que les Africains doivent être responsables de la paix et de la sécurité sur leur continent. Cette notion a profondément influencé le meilleur de la pensée panafricaine et s'avère encore d'actualité aujourd'hui. La France a été certes été contrainte de mettre fin à la partie la plus visible de son action directe en faveur de la sécurité sur le continent. Mais elle peut continuer à fournir des aides ciblées à ses partenaires, tout en soutenant fortement cet objectif de « pax africana » collective pour les décennies à venir.
M. Cédric Perrin, président. - Merci pour votre remarquable travail. Le report de sa présentation a permis d'approfondir l'analyse dans un contexte d'évolution constante de la situation.
Concernant le budget, nous avons réussi à atténuer les coupes prévues dans le domaine de la diplomatie, initialement de 42 millions d'euros. Des amendements ont permis de maintenir certains crédits, notamment pour le SGDSN. Nous avons également obtenu le transfert de 2 millions d'euros des agences indépendantes vers le SGDSN, soulignant l'importance de cette mission. Les débats de la semaine dernière ont été enrichissants sur ces questions budgétaires.
M. Rachid Temal. - Merci pour la qualité de ce rapport. Je souhaite aborder plusieurs points concernant notre stratégie en Afrique. J'observe que les positions françaises en Afrique ont clairement reculé entre 2017 et aujourd'hui. Cela représente l'un des principaux échecs de la double mandature du Président actuel. Nous devons développer des stratégies spécifiques pour chaque État, au-delà d'une approche globale. Concernant notre présence ministérielle, il faut envisager d'impliquer non seulement le ministre des Affaires étrangères, mais aussi des ministres ou secrétaires d'État spécialisés par zone.
Je voudrais également attirer l'attention sur la situation en République démocratique du Congo. Ce pays représente quatre fois la superficie de la France et il est le premier pays francophone au monde. Un rapport des Nations Unies démontre clairement que le M23, responsable de violences et de pillages, est armé et financé par l'armée rwandaise. Le Rwanda est également directement présent dans l'est de la RDC.
Dans ce contexte, il est paradoxal que l'Union européenne finance l'armement de l'armée rwandaise via une convention. Nous devrions demander la suspension de cet accord.
M. Roger Karoutchi. - Je rappelle qu'il y a trois ans, nous avions déjà alerté le Gouvernement sur le fait que la France perdait son influence en Afrique. Le ministre de la Défense m'a alors objecté qu'au contraire, nos positions s'y renforçaient. Notre approche en Afrique a été erronée depuis des années. Sous la période De Gaulle et Pompidou, les dirigeants africains étaient formés par la France, francophones et francophiles. La situation a commencé à basculer sous Giscard d'Estaing. Avec l'arrivée de Mitterrand au pouvoir, nous avons mis fin à la « Françafrique » sans pour autant mettre fin au paternalisme néocolonialiste ni adapter notre stratégie sur le continent. Nous n'avons pas su nous adapter à la nouvelle génération de dirigeants africains, qui n'étaient plus formés par la France. Nous aurions alors dû passer à une influence culturelle, philosophique et idéologique, mais nous avons continué comme précédemment, maintenant une présence militaire et une approche qui n'était plus adaptée.
Nos erreurs incluent la réduction des moyens pour les médias francophones en Afrique, le manque d'investissement dans les lycées français et les centres culturels. Nous aurions dû passer à un échange culturel, économique et diplomatique renforcé.
Le résultat est que les jeunes Africains ne sont plus francophones et rejettent la France. Nous avons été supplantés par les médias russes et chinois, qui nous dépeignent comme des colonialistes. Il faut repenser entièrement notre politique africaine, nos relations avec les dirigeants et les peuples africains. Nous devons passer d'un lien entre dirigeants à un lien entre peuples. L'arrogance et la condescendance vis-à-vis des chefs d'états africains et des dirigeants africains en général n'est pas la bonne solution et ne grandit pas l'image de la France.
Concernant l'aide au développement, il serait plus judicieux de concentrer nos efforts sur les pays francophones, plutôt que d'investir dans des pays où nous n'avons pas d'influence historique. Le financement de 1 milliard d'euros de l'AFD en Afrique du Sud n'est ainsi pas opportun.
M. Olivier Cadic. - Il fallait assister au 30ème anniversaire du génocide à Kigali pour mieux comprendre la situation avec le Rwanda. Ayant visité la région du Kivu avant le génocide, je connais bien ce problème. Il y a des génocidaires dans les rangs de l'armée de la RDC, et la crainte d'un nouveau génocide est réelle. Il faut écouter les deux côtés et connaître le dossier en profondeur.
À écouter certains d'entre vous, la France aurait toujours tort, mais la réalité est plus complexe. Notre difficulté réside dans notre vision. Si nous soutenons les démocraties, pourquoi ne les protégeons-nous pas ? Par exemple, au Burkina Faso, après l'élection démocratique de Roch Kaboré, pourquoi n'avons-nous pas agi pour empêcher le coup d'État militaire, puisque nous protégeons les démocraties ? Vladimir Poutine, lui, est prêt à soutenir les régimes militaires. Nous affirmons soutenir la démocratie, mais nous n'agissons pas pour la protéger. Pendant ce temps, Wagner agit ouvertement et ne se contente pas de changer les gouvernements : Wagner menace nos entreprises en Afrique. J'ai constaté en RDC que Wagner a incendié une usine Castel, tout en développant sa propre activité concurrente. Leur stratégie vise à nous faire perdre nos marchés.
Concernant la désinformation, nous rencontrons les mêmes difficultés que les Nations Unies, notamment sur la question de la démocratie. Notre position sur le Somaliland est totalement inaudible, alors qu'il s'agit d'un pays de facto indépendant, avec sa propre armée et sa propre monnaie. La Chine et la Turquie soutiennent la Somalie face au Somaliland démocratique, sans que nous intervenions.
Malgré ces défis, la France connaît des succès en Afrique, notamment au Kenya, au Rwanda et en Tanzanie. L'organisation de notre action extérieure manque cependant de lisibilité, avec un certain parasitage entre l'Élysée et le Quai d'Orsay. Il est temps de clarifier nos structures d'intervention.
Je suis d'accord avec mon collègue Roger Karoutchi sur les marges de progrès possibles de l'AFD. Nous finançons encore des programmes qui bénéficient au développement de la Chine en Afrique, ce qui pose question. Même l'Élysée peine à piloter l'AFD dans ce domaine.
Je propose de nous concentrer sur de grands projets fédérateurs, comme l'Agence africaine du médicament. Les Africains meurent plus d'ingestion de faux médicaments que de maladie. Il faut donc lutter contre les faux médicaments. Nous pourrions les aider à mettre en place cette agence continentale ainsi que des agences nationales du médicament. Cela donnerait une image très positive de notre action.
M. Alain Cazabonne. - Vous n'avez pas mentionné les États-Unis dans votre intervention sur les acteurs étrangers en Afrique. Est-ce que cela signifie que ce pays n'intervient pas en Afrique ?
M. Akli Mellouli. - Je me réjouis du maintien des financements pour notre diplomatie, malgré la baisse de 37 % des crédits dédiés à l'aide au développement. Nous avons tenté de faire passer le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 à 0,5 %, mais nous n'avons obtenu que 0,4 %. C'est paradoxale par rapport à nos ambitions.
L'AFD joue un double rôle, de banque et d'agence d'aide au développement. Il faudrait clarifier sur quel volet nous devons la réorienter.
La vraie question est de savoir si nous sommes capables de rivaliser avec nos concurrents et adversaires sur la scène internationale. Nous devons changer de paradigme et parler de coopération plutôt que de partenariat. La coopération implique des synergies et un travail différent, dans une logique gagnant-gagnant.
Je soutiens la demande de suspension de l'accord européen avec le Rwanda. Nous devons défendre fermement la paix et la justice internationale, quels que soient les auteurs des méfaits.
M. Patrice Joly. - Je partage les points soulevés précédemment. Concernant l'aide publique au développement, la réduction des crédits envoie un message contradictoire. Nous ne comprenons pas bien cette décision, alors que cette aide publique au développement constitue un outil important pour défendre nos valeurs et aider des populations qui souffrent parfois des décisions de leurs dirigeants.
Il est crucial de développer un partenariat spécifique avec l'Afrique du Sud, pays influent en Afrique australe et au sein des BRICS. Ce pays exprime une forme de contestation des valeurs occidentales et de l'impérialisme culturel, ce qui mérite notre attention. Mon expérience en Afrique du Sud m'a montré qu'il existait une certaine fascination de ce pays pour le boom économique de la Chine. Cependant, je n'ai pas perçu une préférence pour le régime politique chinois. Il est dans notre intérêt de maintenir des relations avec ce type de pays, compte tenu de son poids et de son potentiel. Nous pouvons avancer ensemble. De plus, sur ce territoire, l'intellectuel Achille Mbembe développe, avec la Fondation Démocratie financée en partie par la France, la diffusion des principes et valeurs démocratiques depuis l'Afrique. Son réseau, qui s'étend à travers l'Afrique, est un atout à cultiver.
M. Cédric Perrin, président. - Je rappelle que le choix que nous avons fait en sélectionnant ces six pays africains avait pour but d'élargir notre vision au-delà de nos destinations habituelles. Il est important de se rendre dans d'autres pays pour comprendre des perspectives différentes. De ce point de vue, je pense que notre mission a été réussie.
M. Rachid Temal. - Certes, je n'étais pas présent à Kigali pour le trentième anniversaire du génocide. Cependant, je m'appuie sur un rapport de l'ONU concernant l'implication de l'armée rwandaise dans l'est de la République démocratique du Congo. Je réaffirme qu'il est légitime de s'interroger sur nos actions et de demander la suspension de l'accord d'armement entre l'Union européenne et le Rwanda, compte tenu des morts et de l'exploitation illégale des ressources de la République démocratique du Congo par le Rwanda.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je remercie mes collègues, pour leurs rapports lucides et politiques, qui contrastent avec les bilans habituels des rapports parlementaires du Sénat. La situation mérite cette approche. Je rejoins Roger Karoutchi sur l'idée d'un travail de prospective : que faisons-nous avec ces informations ? Pouvons-nous faire mieux ?
Concernant le Rwanda, la situation est complexe. L'exécutif français a réalisé un important travail mémoriel, contrairement à d'autres pays européens, comme la Belgique et le Royaume-Uni. Cependant, je partage l'inquiétude qui a été exprimée sur l'accord entre le Rwanda et l'Union européenne, alors qu'un pays sans ressources minières exporte des minerais potentiellement pillés dans un pays voisin. Dans ce contexte, nous devrions remettre en question nos accords de défense, notamment s'agissant de la fourniture d'armes. Il serait pour le moins incorrect de fermer les yeux sur l'achat de minerais pillés. Nous avons certes besoin du Rwanda pour sa capacité militaire, notamment dans des opérations de maintien de la paix, mais cela ne justifie pas d'ignorer ces problèmes. Cette situation mérite une attention particulière de notre commission.
M. Ludovic Haye. - Je remercie les rapporteurs et nos collègues pour leurs propos pertinents et complémentaires. J'insiste sur l'implication et l'image positive de nos armées depuis plusieurs décennies. Leur savoir-faire et leur engagement sur les théâtres africains sont reconnus mondialement. Nous devons en être fiers.
J'exprime deux regrets : d'abord, pour les promoteurs d'une défense européenne, dont je fais partie, la fin de certaines coopérations comme la Task force Takuba au Mali est regrettable. Ensuite, il est dommage que les pays ayant pacifié certaines zones ne soient pas ceux qui en bénéficient économiquement aujourd'hui.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je rassurerai Olivier Cadic quant au fait que notre rapport cible les domaines prioritaires de l'aide au développement, notamment le soutien aux démocraties et aux institutions. Je souligne que la baisse des crédits de l'aide au développement envoie un signal négatif aux pays africains. L'AFD, créée comme un outil d'aide au développement, risque de devenir une simple banque, faute de moyens suffisants pour aider les pays les plus pauvres. Cette situation est regrettable et contraire à l'objectif initial de l'AFD.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Concernant la RDC et le Rwanda, il est crucial de noter que le Rwanda ne possède pas de coltan, un minerai stratégique pour les composants électroniques, alors qu'à l'inverse le Kivu détient 60 % à 80 % des réserves mondiales. Le Rwanda exporte pourtant du coltan.
S'agissant de la démographie africaine, la population d'Afrique subsaharienne a quintuplé entre 1960 et 2020, atteignant 1,52 milliard d'habitants, et devrait atteindre 2,5 milliards d'euros en 2050, alors que, dans le même temps, l'Asie, les Amériques et l'Europe font face à une dénatalité. Cette croissance démographique aura des conséquences considérables.
Enfin, la priorité des États-Unis concerne l'Indo-Pacifique, mais ce pays reste vigilant en Afrique face à la stratégie chinoise d'implanter une base militaire navale sur la côte atlantique africaine, notamment dans le golfe de Guinée. Pour préserver une forme d'équilibre des puissances, dès lors que les États-Unis sont présents dans le Pacifique, la Chine considère qu'elle doit être présente sur la façade atlantique.
M. François Bonneau. - Je souligne trois points importants. Premièrement, l'armée française est actuellement perçue négativement. Deuxièmement, l'avenir de la francophonie est en Afrique. Troisièmement, l'âge moyen des Africains, 19 ans, est une donnée fondamentale à prendre en compte. Au Niger, avant le coup d'État, les parlementaires étaient conscients du rôle de la France. La jeunesse nigérienne, bien que peu formée, est très connectée et reçoit des messages de nos contradicteurs. Nous devons nous adresser à cette jeunesse malgré les contraintes budgétaires.
Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.
M. Olivier Cadic. - Concernant le sujet de notre responsabilité dans le génocide au Rwanda, je recommande d'écouter Rémi Maréchaux, notre ambassadeur à Kinshasa, et Antoine Anfré, notre ambassadeur au Rwanda. Tous deux proposent une perspective équilibrée sur la problématique à laquelle nous sommes confrontés. Ce sujet fait même l'objet de débats au sein du Quai d'Orsay.
Projet de Contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'Institut français (2024-2026) - Examen du rapport d'information
M. Cédric Perrin, Président. - Nous allons maintenant examiner le rapport d'information de Catherine Dumas et Didier Marie sur le projet de contrat d'objectifs et de performance de l'Institut français pour la période 2024-2026.
Mme Catherine Dumas, rapporteure. - En préambule, j'excuse Didier Marie pour son absence liée à un autre impératif. Je présente donc ce rapport au nom de Didier Marie et en mon nom sur le projet de contrat d'objectifs et de performance de l'Institut français pour 2024-2026. L'Institut français, établissement public créé en 2010, est l'opérateur pivot de la diplomatie culturelle française. Ses missions incluent la promotion de la culture française à l'étranger, le soutien à la création artistique, et la promotion de la langue française.
Le bilan du précédent COP (2020-2022) est positif. L'Institut français s'est imposé comme un acteur essentiel de notre diplomatie culturelle et d'influence, menant des initiatives comme les saisons Africa 2020 et France-Portugal, renforçant ses partenariats internationaux et soutenant le réseau culturel français. L'Institut français a également intensifié le dialogue avec les sociétés civiles, en particulier africaines.
Le nouveau projet de COP s'inscrit dans la continuité du précédent, avec des priorités telles que le soutien au réseau, l'accompagnement des industries culturelles et créatives françaises à l'international, et la modernisation de l'organisation interne. Nous regrettons cependant que la promotion de la langue française ne soit plus un axe structurant à part entière. Nous recommandons également d'affiner les zones géographiques prioritaires pour une action plus pertinente de l'Institut.
Le projet de COP manque d'objectifs clairs en termes de politique publique et se concentre trop sur les moyens plutôt que sur les finalités. La partie relative à la performance devrait davantage mesurer les résultats concrets.
Nous déplorons le retard dans la transmission de ce COP aux assemblées parlementaires, ce qui n'est pas respectueux des prérogatives du Parlement. Nous suggérons d'actualiser le projet de COP pour couvrir la période 2025-2027.
La diminution de 1,7 million d'euros de la subvention pour l'Institut français dans le budget 2025 risque d'impacter certaines actions prévues, notamment le soutien au cinéma. Nous demandons solennellement qu'il n'y ait pas de coupes supplémentaires.
Concernant la création de la Maison des mondes africains, nous exprimons des réticences quant à son intérêt et son implantation potentielle à la Monnaie de Paris.
En conclusion, malgré ces observations, nous proposons d'émettre un avis favorable à ce projet de COP.
M. Olivier Cadic. - Je souscris à l'analyse du rapport sur l'Institut français. Le travail réalisé est très positif, en grande partie grâce à la personnalité de la directrice de l'Institut français. Depuis son arrivée, un nouvel élan s'est créé. Face à la réduction budgétaire, elle a fait des choix stratégiques, notamment concernant le cinéma, plutôt que de réduire l'ensemble des activités. Cette approche mérite d'être encouragée. C'est la première fois que l'Institut français propose un budget excédentaire, ce qui est un signal fort. Je suis d'accord avec la remarque sur la francophonie, bien que ce ne soit pas simple à mettre en oeuvre. Il faut noter que l'Institut a réalisé des économies importantes en déménageant, ce qui renforce sa crédibilité.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je vous remercie pour ce rapport qui montre l'énorme travail réalisé par l'Institut français. Sa directrice a joué un rôle important dans ces résultats. Concernant les ambitions de l'Institut, même si le budget est excédentaire, il faut veiller à préserver l'équilibre financier car les rentrées d'argent ne sont pas garanties. Je m'interroge sur l'ambition planétaire affichée, qui ne me semble pas réaliste avec nos budgets actuels. Nous devrions nous concentrer sur nos priorités, qui ne sont peut-être pas clairement définies. Le Contrat d'Objectifs et de Performance (COP) 2024-2026 présenté en 2025 me semble tardif. Ne faudrait-il pas l'actualiser en tenant compte de ces points ?
Mme Catherine Dumas, rapporteure. - Je remercie Olivier d'avoir souligné le bon travail de la direction de l'Institut français. Il est important de le reconnaître quand cela fonctionne bien. Les deux tutelles soutiennent également ce travail, ce qui n'est pas toujours le cas. Concernant la territorialité, j'ai bien noté qu'il y avait parfois un éparpillement avec 37 pays prioritaires lors du COP précédent. Nous sommes passés à trois grandes zones géographiques, dont l'Europe qui reste une priorité. Pour les financements, il est difficile pour l'Institut français de trouver des ressources propres car il ne développe pas une expertise monnayable. Cependant, un projet d'accréditation pour obtenir des financements européens est en cours, ce qui pourrait être très positif.
M. Cédric Perrin, Président. - Merci beaucoup. Je vous propose d'aborder le vote.
Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.
La réunion est close à 11 h 15