Jeudi 23 janvier 2025
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président -
La réunion est ouverte à 9 h 10.
Présentation plénière dans le cadre du partenariat Office-Académies au cours de laquelle seront présentés quatre rapports récents des Académies
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Mesdames et messieurs les académiciens, chers collègues, je suis très heureux de vous accueillir pour cette réunion entre l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), l'Académie des sciences et l'Académie nationale de médecine, initialement prévue le 13 juin 2024 et reportée à ce jour en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale.
L'Office, qui n'a pu se reconstituer qu'à l'issue des élections législatives de juillet dernier, a repris ses travaux fin octobre, avec la présentation de divers rapports, dont celui sur l'intelligence artificielle, et du règlement intérieur de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) élaboré dans le cadre de la récente réforme de l'organisation de la sûreté nucléaire. Notre collègue député Philippe Bolo a par ailleurs conduit une audition publique sur l'impact sanitaire de la pollution plastique puis s'est rendu en novembre 2024 à Busan, en Corée du Sud, dans le cadre de la cinquième session de négociations pour un traité juridiquement contraignant visant à mettre fin à la pollution plastique.
Nous reprenons donc aujourd'hui le cours des relations entre l'Office et les Académies et la mise en oeuvre d'un partenariat ambitieux auquel Pierre Henriet et moi-même sommes très attachés et accordons une haute importance.
Il nous semble en effet indispensable que l'Office, promoteur de la science au Parlement, contribue à renforcer les liens entre les mondes parlementaire et scientifique, qui ne communiquent pas toujours suffisamment, à favoriser une meilleure compréhension mutuelle des sujets communs et à créer ainsi une réflexion partagée sur les questions politiques, éthiques et sociétales posées par la science et la technique. Les travaux conduits au sein des Académies et de l'OPECST ont vraisemblablement beaucoup à gagner de ces échanges.
La réunion d'aujourd'hui correspond au deuxième volet de ce partenariat. Le premier s'appuie sur les trinômes réunissant un académicien, un jeune chercheur et un parlementaire, qui se sont constitués dans le but de favoriser la découverte réciproque des métiers et fonctions de chacun. Nous avons ainsi, lors d'une journée d'échanges sur le travail parlementaire, accueilli des académiciens et des jeunes chercheurs à l'Assemblée nationale puis au Sénat, le 15 mai dernier. Ces trinômes ont également conduit des parlementaires à se rendre sur le terrain, dans des laboratoires.
Le deuxième volet du partenariat est totalement inédit puisque seuls des jumelages avaient été organisés par le passé. Nous avons décidé conjointement que chaque Académie viendrait présenter à l'OPECST deux rapports parmi ceux adoptés récemment. Le choix a dû être cornélien, car les travaux produits par les Académies au cours d'une année sont nombreux. Nous vous avons toutefois demandé de privilégier les réflexions susceptibles de revêtir un intérêt particulier pour les parlementaires, éventuellement de susciter des mesures législatives ou, a minima, de constituer des sujets de réflexion et de débat dans nos deux hémicycles.
Je vous remercie, mesdames et messieurs les académiciens, d'avoir pris le temps d'effectuer ce choix et accepté de consacrer votre matinée à la présentation de ces quatre rapports. Nous entendrons tout d'abord la présentation par l'Académie des sciences de son rapport sur l'hydrogène, puis celle de l'Académie nationale de médecine sur la vaccination des seniors. L'Académie des sciences évoquera ensuite ses travaux sur les constellations de satellites, faisant écho à une réflexion menée récemment par l'Office. La matinée se terminera par la présentation du rapport de l'Académie nationale de médecine sur la recherche en biologie santé.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je suis très heureux que cette rencontre puisse enfin avoir lieu et vienne concrétiser l'engagement pris lors du quarantième anniversaire de l'Office de renforcer le partenariat entre l'OPECST et les Académies. Cette démarche est essentielle dans un contexte où la science doit pouvoir continuer à s'exprimer auprès du grand public et de l'ensemble du monde politique. L'Office remplit pleinement sa mission en laissant place à la présentation de ces quatre rapports, dont chacun a des liens importants avec les travaux conduits par l'OPECST au fil du temps.
Je me permets en préambule d'alerter les académiciens et les parlementaires sur la situation du monde de la recherche. Il me paraît en effet important de ne pas faire fi du contexte. Je suis très inquiet de la trajectoire budgétaire des crédits alloués à la recherche pour 2025. Nous avions gravé dans le marbre une loi de programmation de la recherche qui constituait un minimum incompressible pour réaliser l'ensemble des missions et objectifs de politiques publiques assignées à ce secteur. Force est de constater qu'une fois encore le budget de la recherche est sacrifié au profit de politiques de court terme. Le sujet de l'investissement dans la recherche doit continuer à nous alerter, à nous mobiliser ; nous devons sensibiliser et convaincre le Gouvernement et les parlementaires de l'importance de ce sujet majeur, particulièrement dans le contexte des débats budgétaires qui vont se dérouler dans les prochaines semaines. L'Office me semble pleinement là dans son rôle : il lui appartient en effet, dans le cadre de l'évaluation des choix effectués en la matière, d'être une tour de contrôle, une vigie de l'ensemble des politiques publiques relatives à la recherche française.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Comme toutes les auditions publiques de l'Office, cette réunion est filmée et diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale ainsi que ses comptes X, LinkedIn et YouTube. Elle sera disponible par la suite en vidéo à la demande.
M. Alain Fischer, Académie des sciences. - Je remercie M. Henriet pour ses propos sur le budget, qui constitue pour nous un sujet d'inquiétude majeur. Tout ce que vous pourrez faire pour que le budget de la recherche soit moins mauvais que ce que l'on nous annonce sera bienvenu.
Je souhaite par ailleurs vous alerter sur deux autres sujets. Le premier est celui de l'expérimentation animale. Comme vous le savez, deux amendements votés à l'automne 2024 instituent une taxe, à des degrés divers, sur l'utilisation d'animaux à des fins expérimentales. Il est évident que la mise en oeuvre de telles dispositions tuerait l'expérimentation animale, donc la recherche en biologie et en médecine en France. Je vous appelle par conséquent à la plus grande vigilance sur ce point.
Le deuxième sujet, qui n'est pas encore d'actualité mais dont on peut craindre qu'il le devienne rapidement, concerne l'accueil des étudiants et chercheurs étrangers. Une loi, censurée par le Conseil constitutionnel en 2023, prévoyait la mise en place d'une caution pour la venue des étudiants étrangers. Si de telles mesures devaient être votées à nouveau, la recherche française, et plus globalement les relations entretenues avec les pays étrangers, s'en trouveraient considérablement affaiblies, car les étudiants et chercheurs concernés iront trouver leur bonheur ailleurs qu'en France.
Je me permets de vous faire part de ces deux grands sujets d'inquiétude, que l'Académie des sciences partage très certainement avec l'Académie nationale de médecine.
« L'HYDROGÈNE AUJOURD'HUI ET
DEMAIN »
(RAPPORT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES)
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le rapport de l'Académie des sciences sur l'hydrogène va être présenté par Marc Fontecave, auquel je laisse la parole pour un exposé liminaire, suivi d'un temps d'échanges.
M. Marc Fontecave, président du Comité de prospective en énergie (CPE) de l'Académie des sciences. - Je suis professeur au Collège de France. Je travaille dans mon laboratoire sur les questions énergétiques depuis une trentaine d'années et je préside depuis bientôt six ans le Comité de prospective en énergie de l'Académie des sciences, qui est à l'origine du rapport sur l'hydrogène publié avant l'été 2024.
Je vais vous présenter les grandes lignes de ce travail, en insistant tout particulièrement sur les conclusions et recommandations.
L'hydrogène est tout à la fois une réalité, un fantasme et un espoir.
Il existe sur le sujet une quantité massive de littérature totalement inappropriée. J'en veux pour preuve l'ouvrage intitulé Hydrogène, le nouveau pétrole, paru en 2019, qui a eu beaucoup de succès et envisage l'hydrogène propre comme « une alternative crédible aux combustibles fossiles dès 2020 » : nous sommes en 2025 et ce n'est absolument pas le cas. Il est indiqué page 171 de ce même ouvrage qu'« à partir de 2024, l'horizon stratégique de H2 prend une autre ampleur : il s'agit ni plus ni moins de concurrencer à grande échelle le pétrole, le gaz et le charbon en atteignant des prix équivalents, voire inférieurs ». La littérature regorge de contrevérités et de fantasmes de ce type. Or ceci est très dommageable, car à force de communiquer de telles sottises aux citoyens, le risque est grand, y compris pour les scientifiques, d'être pris pour des menteurs ou des incompétents.
Il faut en outre savoir que le secteur de l'hydrogène est quelque peu déprimé actuellement. Cela concerne notamment la production d'hydrogène dit « vert ». Le marché est totalement atone, au point que les producteurs d'électrolyseurs commencent à s'interroger sur l'utilité de leurs travaux, de leurs dépenses et de leurs investissements. Cette situation s'explique essentiellement par le fait que, contrairement à ce que tout le monde, y compris moi, a cru ces dernières années, les scénarios élaborés en particulier par RTE, qui prévoyaient une augmentation rapide et massive de la consommation d'électricité suite à l'électrification d'un grand nombre d'usages (chauffage, transport, industrie, production d'acier, d'hydrogène, etc.), ne se sont pas concrétisés. La consommation d'électricité est d'ailleurs en baisse depuis trois ou quatre ans. Ce défaut d'électrification s'explique tout d'abord par le fait que le coût des procédés électrifiés dépend en très grande partie du prix de l'électricité. Or, vous le savez, le coût de l'énergie et de l'électricité est trop élevé pour que cela soit intéressant. On se heurte aussi à des problèmes purement scientifiques et techniques, qui rendent impossible pour l'instant l'électrification de nombreux procédés, y compris pour l'hydrogène.
Une fois oubliés les fantasmes, il est important de connaître la réalité, qui est que l'hydrogène est d'ores et déjà présent dans notre société énergétique : la France en produit chaque année presque 1 million de tonnes, pour le raffinage du pétrole, la synthèse de l'ammoniaque et des engrais, la chimie industrielle, le méthanol, etc. À titre de comparaison, 10 millions de tonnes d'hydrogène sont produites annuellement en Europe et 100 millions de tonnes à l'échelle du monde.
La molécule d'hydrogène est particulièrement intéressante parce qu'elle est la plus « riche » en énergie sur la planète. Lorsqu'on la brûle, elle présente l'avantage de dégager énormément d'énergie, mais aussi d'avoir pour sous-produit non du dioxyde de carbone, mais de l'eau. Ceci explique l'espoir placé dans l'hydrogène comme carburant et molécule énergétique.
L'hydrogène présente aussi des points négatifs, le premier étant que l'on ne dispose pour l'instant que d'hydrogène dit « gris », produit par reformage du méthane, donc utilisant des combustibles fossiles. Cela est véritablement catastrophique, dans la mesure où un million de tonnes d'hydrogène génèrent 10 millions de tonnes de CO2. La production d'hydrogène en France induit environ 8 % des émissions de dioxyde de carbone de l'industrie. L'hydrogène est un vecteur qui nécessite l'utilisation d'énergie pour sa production : 1 kWh d'hydrogène produisant 1 kWh d'électricité a impliqué de consommer au préalable 1 kWh d'énergie pour le produire.
J'ai indiqué précédemment que l'hydrogène était le meilleur des carburants, en raison de sa densité énergétique par unité de masse. Mais il s'agit d'un gaz, dont la densité volumique et la densité énergétique par unité de volume, est très faible. Il est donc un mauvais carburant.
La solution pourrait résider dans ce que l'on qualifie d'« hydrogène vert », produit par électrolyse de l'eau. Ce procédé utilise l'électricité pour casser la molécule d'eau et donner d'un côté de l'hydrogène, de l'autre de l'oxygène.
Les propriétés fantastiques de l'hydrogène ayant été mises en lumière - en omettant bien souvent de souligner les points moins positifs -, est né le fantasme selon lequel il serait possible d'inonder très rapidement la planète d'hydrogène pour résoudre les questions liées aux émissions des transports, décarboner l'industrie et le chauffage, etc.
Évidemment, cela suppose de parvenir à mettre en oeuvre l'électrification de la production d'hydrogène. En effet, utiliser un carburant non carboné produit à partir de méthane pour décarboner des usages n'aurait pas grand sens.
L'électrification de la production d'hydrogène serait pertinente dans un pays comme la France, qui dispose d'une électricité décarbonée grâce à l'énergie nucléaire et hydroélectrique. Des investissements de plusieurs milliards d'euros sont effectués dans ce sens dans le cadre du plan France 2030. Ceci doit permettre à terme de développer des réseaux de stations d'hydrogène, la mobilité lourde à l'hydrogène et de décarboner l'industrie. Ceci suppose par ailleurs, en accord avec les entreprises françaises, de soutenir le développement massif d'une filière d'électrolyseurs. La cible visée est une puissance installée de 6,5 GW d'électrolyseurs pour produire 0,6 million de tonnes d'hydrogène vert en 2030. Cet objectif est pour l'instant réalisé à hauteur d'environ 0,5 % seulement, ce qui témoigne de la difficulté de l'entreprise. Des recherches sont toutefois en cours et des projets impliquant les mondes académique et industriel sont à l'étude pour atteindre plusieurs centaines de mégawatts.
En 2023, la France produisait 1 million de tonnes d'hydrogène, essentiellement de l'hydrogène dit « gris ». Plusieurs scénarios se dessinent pour l'avenir, qui vont de 1 à 4 millions de tonnes d'hydrogène vert produites chaque année, selon le niveau d'hydrogénation de la société. L'objectif est colossal, sachant qu'il faut 55 TWh d'électricité, soit l'équivalent de cinq EPR de Flamanville, pour produire 1 million de tonnes d'hydrogène par électrolyse. L'un des problèmes de cette filière réside dans la quantité d'électricité nécessaire.
L'Europe s'est fixée en la matière des objectifs totalement délirants. Elle envisage en effet de faire passer sa production d'hydrogène de 10 à 60 millions de tonnes par an d'ici 2050. La quantité d'électricité requise pour atteindre ce niveau de production serait absolument énorme. Face à l'ampleur du défi, qui semble hors de portée, l'idée qui prévaut est de produire 30 millions de tonnes d'hydrogène sur le continent et d'en importer 30, sans pour autant que l'on sache d'où cet hydrogène pourrait venir, ni comment. Dans tous les cas, il s'agirait assurément d'un élément de dépendance et d'une forme d'abandon de la souveraineté énergétique.
Pourquoi n'avance-t-on pas suffisamment, en dépit des investissements et des nombreux travaux de recherche effectués dans ce domaine ?
Le premier écueil, mentionné précédemment, réside dans la quantité d'électricité nécessaire pour produire de l'hydrogène par électrolyse de l'eau.
Des travaux de recherche sont encore nécessaires pour améliorer les technologies. Les électrolyseurs présentent en effet des problèmes de stabilité, de durée de vie et d'efficacité énergétique. Leurs rendements sont insuffisants et une autre perte d'énergie est à déplorer lors de la compression et de la liquéfaction de l'hydrogène en vue de son transport.
Le prix de l'hydrogène est un troisième facteur limitant. Il est actuellement aux alentours de 1,5 euro par kWh, tandis que celui de l'hydrogène vert se situerait plutôt entre 4 et 8 euros. Cet élément est évidemment totalement discriminant. Un effort doit donc être effectué pour diminuer le coût de l'hydrogène vert, faute de quoi il ne se trouvera personne pour l'utiliser.
L'hydrogène a par ailleurs des propriétés physico-chimiques tout à fait particulières. Il s'agit en effet d'une toute petite molécule, qui diffuse très facilement à travers les matériaux. Ceci cause des problèmes de transport et de stockage. Des recherches aussi bien fondamentales qu'industrielles sont en cours pour développer de nouveaux matériaux susceptibles d'être utilisés pour fabriquer des réservoirs spécifiquement conçus pour l'hydrogène.
La très grande réactivité de la molécule à l'air pose de surcroît un problème de sécurité et génère des risques d'explosion. Il est donc difficile d'imaginer que l'usage de l'hydrogène puisse se répandre largement dans nos sociétés, sachant qu'en milieu industriel sa manipulation requiert des précautions extrêmes.
Quels pourraient être les usages de l'hydrogène vert, à supposer que nous soyons en capacité de le produire en quantité suffisante ? Nous estimons que 1 million de tonnes pourraient être utilisées pour l'industrie chimique, sachant que cette part pourrait passer à terme à 0,4 million de tonnes avec la baisse de la quantité de pétrole à raffiner. Si l'on ajoute l'hydrogène qui serait nécessaire pour décarboner la production d'acier et de ciment, qui sont les deux matériaux actuellement les plus émetteurs de CO2 dans l'industrie, le total atteint 1,5 million de tonnes.
Malgré ses très mauvais rendements, l'hydrogène peut aussi être utile dans la filière power-to-hydrogen-to-power en raison de la flexibilité qu'il autorise. Très peu de moyens hormis l'hydrogène permettent en effet de stocker de l'énergie éolienne et solaire pendant l'été pour l'employer en hiver.
J'en viens aux conclusions et recommandations formulées dans notre rapport.
Il existe une forme d'espoir quant à la possibilité d'existence d'un hydrogène naturel. La France est impliquée dans les recherches conduites sur le sujet. Plusieurs sites dont s'échappe de l'hydrogène naturel ont ainsi été identifiés. En l'état actuel des connaissances, les perspectives restent toutefois très incertaines. Il est donc recommandé de soutenir rapidement et sans hésitation les projets de recherche et d'exploration du sol français visant à évaluer rigoureusement le potentiel en hydrogène naturel. Comment cet hydrogène est-il produit ? Existe-t-il des réservoirs dans le sol ou se forme-t-il en permanence avant de remonter à la surface ? Autant de questions pour l'heure sans réponses.
Aujourd'hui, le développement de l'hydrogène décarboné repose essentiellement sur l'hydrogène vert, qui semble devoir être promu en remplacement de l'hydrogène gris pour décarboner les usages actuels, c'est-à-dire essentiellement l'industrie chimique, pour la synthèse d'ammoniaque et d'engrais, et le raffinage du pétrole.
Il convient en outre de promouvoir son utilisation pour décarboner de nouveaux usages, en particulier dans des domaines où l'électrification directe ne sera pas possible à court terme, à l'instar de la production d'acier ou de ciment. L'Académie des sciences recommande d'augmenter rapidement les capacités de production électrique, chaque million de tonnes d'hydrogène vert nécessitant l'équivalent de cinq EPR de 1 600 MW.
Il convient également de continuer à soutenir les recherches sur les électrolyseurs, afin d'accroître les capacités d'électrolyse tout en diminuant le coût de production de l'hydrogène.
Une autre de nos recommandations vise à évaluer rigoureusement sur toutes les chaînes de valeur l'empreinte carbone des nouveaux procédés et usages de l'hydrogène.
Le chapitre du rapport consacré aux politiques européennes montre que la France et l'Espagne font partie des rares pays qui veillent à ne pas s'appuyer sur des importations trop massives d'hydrogène et privilégient le soutien à la filière électrolyse. Notre rapport recommande de continuer en ce sens et de contrôler strictement le niveau des importations d'hydrogène afin de ne pas passer d'une dépendance forte aux importations de ressources fossiles à une autre.
L'Académie des sciences préconise également d'engager un effort massif sur les problèmes de sécurité, particulièrement dans le domaine des transports.
Elle estime en outre nécessaire de mener, comme pour d'autres sujets comme celui de la biomasse, une politique stricte d'arbitrages, afin de déterminer des priorités parmi les différents usages de l'hydrogène.
L'Académie des sciences recommande enfin de poursuivre une recherche fondamentale et technologique forte afin de résoudre les problèmes identifiés relatifs au déploiement des usages de l'hydrogène. Ceci suppose notamment d'accroître la coopération entre le monde académique et la sphère industrielle, encore insuffisamment développée dans notre pays.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Merci, M. Fontecave, pour votre présentation. Nous partageons évidemment vos observations, notamment celle relative à la nécessité d'investir dans la recherche afin d'améliorer les capacités et les performances des processus.
Les objectifs globaux de production électrique associés à la production d'hydrogène sont à mettre en lien avec la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui aurait dû être présentée en 2023.
Je suppose que votre présentation a suscité de nombreuses questions et laisse sans plus tarder la parole à mes collègues parlementaires.
M. Maxime Laisney, député. - Je partage en grande partie vos recommandations et interrogations.
Vous avez toutefois mentionné un potentiel recours à l'hydrogène dans des productions industrielles comme la synthèse d'engrais. Or il m'apparaît que d'autres politiques publiques pourraient être menées pour diminuer les intrants agricoles.
Vous indiquez en outre que le transport de la molécule d'hydrogène est délicat et ne saurait s'effectuer dans les gazoducs utilisés pour transporter par exemple du gaz naturel. Or j'ai interrogé des acteurs de la filière gaz, qui m'ont expliqué au contraire que cela ne posait aucune difficulté particulière. Pourriez-vous nous expliquer en quoi il vous semble problématique de transporter de l'hydrogène dans les gazoducs habituels ?
Avez-vous par ailleurs étudié le bilan énergétique et le coût de revient de l'hydrogène naturel ?
Le rapport soulève enfin la question de la ressource en eau. Disposez-vous d'une évaluation des volumes nécessaires ? S'appuyer massivement sur l'hydrogène serait-il résilient au changement climatique ?
M. Marc Fontecave. - Concernant votre dernière question, le bilan de la réaction fait effectivement apparaître une consommation d'eau, à hauteur d'un équivalent d'eau pour un d'hydrogène. Il faut toutefois savoir que l'hydrogène, lorsqu'il est oxydé, produit la molécule H2O. L'eau consommée est ainsi rendue à la planète.
Il existe en outre des quantités massives d'eau disponibles sur la planète. De nombreux travaux de recherche sont conduits en ce sens, y compris pour effectuer de l'électrolyse avec des eaux usées ou de l'eau de mer.
Bien évidemment les quantités d'eau nécessaires pour produire des millions de tonnes d'hydrogène seraient considérables. Je ne crois pas, toutefois, que cela pose véritablement problème, dans la mesure où la production d'hydrogène s'inscrit dans un cercle vertueux.
Pour ce qui est de votre deuxième question, il serait évidemment beaucoup moins cher de creuser pour extraire de l'hydrogène naturel d'une poche géologique que d'en fabriquer. Le problème est que l'on ignore ce qu'est précisément cet hydrogène qui nous vient de la Terre. On sait simplement qu'il existe de multiples endroits sur la planète où de l'hydrogène apparaît en surface. Il est en outre assez bien établi que cet hydrogène est produit à 1 000 ou 1 500 mètres de profondeur, là où la température est suffisante pour alimenter la réaction des oxydes ferreux avec de l'eau qui forme de l'hydrogène. Les mécanismes sont connus, ce qui permet de savoir quelles roches sont les mieux adaptées à la production d'hydrogène. Nous ignorons toutefois si le gaz identifié en surface s'est échappé d'une cavité abritant des quantités énormes d'hydrogène accumulées pendant des millions d'années, ce qui serait formidable, ou s'il s'agit d'hydrogène « moderne », créé quelques jours ou semaines auparavant et qui, faute de cavité où être stocké, sortirait de terre par des flux assez médiocres, ce qui serait nettement moins intéressant.
S'il s'avérait que l'on soit dans le cas le plus favorable, la question ne serait pas pour autant réglée, puisque nous ne saurions pas comment récupérer en profondeur ce gaz beaucoup plus diffusible et réactif que le méthane. Cela supposerait de mettre au point des technologies de récupération spécifiques.
Concernant votre première question, il faut savoir que les matériaux permettant de transporter de l'hydrogène ne sont pas les mêmes que ceux utilisés pour le méthane. Dans les réseaux de gaz où l'on peut aujourd'hui ajouter de l'hydrogène, il est interdit d'en injecter plus de 7 ou 10 %. Je ne suis pas spécialiste de cette question, mais la réglementation est ainsi. Tout est possible en théorie, mais transporter de l'hydrogène pur nécessitera de faire beaucoup plus et beaucoup mieux que ce que nous sommes en mesure de faire actuellement. La vision européenne consiste à imaginer que les pays du Maghreb vont, grâce au soleil, produire de l'hydrogène qui sera ensuite acheminé vers l'Europe par des bateaux ou des gazoducs qui n'existent pas encore. La perspective est ambitieuse, mais reste pour l'instant très hypothétique. Tout est à construire.
M. Daniel Salmon, sénateur. - La citation selon laquelle « quand il y a une volonté, il y a un chemin » est souvent utilisée en politique. La science nous rappelle que, parfois, ce chemin n'existe pas ou peut être très long.
On raisonne souvent, en matière d'énergie, en termes de substitution totale, en oubliant que l'on a surtout besoin d'un bouquet énergétique. L'hydrogène a peut-être un rôle à jouer dans cette perspective, même si cela semble difficile à court terme.
On constate par ailleurs, dans les installations solaires, l'existence d'une « cloche solaire » et de prix de l'énergie très bas, voire négatifs, en coeur de journée. Ne serait-ce pas un élément économique intéressant pour la production d'hydrogène ? Un électrolyseur doit-il, pour être rentable, fonctionner en continu ou suffirait-il de ne l'activer que durant les périodes de la journée où les prix sont bas ?
M. Marc Fontecave. - Dans ce domaine, la volonté est nécessaire mais se heurte parfois aux lois de la thermodynamique et de la chimie. Face à une réaction interdite par la thermodynamique, la volonté ne suffit pas.
L'hydrogène n'apparaît dans le bouquet énergétique qu'en aval, comme un vecteur. Or ce vecteur n'existe pas tant que le problème de l'hydrogène naturel n'est pas résolu. L'important est de savoir, en amont, quel sera le mix énergétique.
Je partage totalement votre vision : il n'y aura pas d'énergie renouvelable intermittente massive tant que le problème du stockage ne sera pas résolu et que l'on ne pourra pas tirer profit des périodes de surcapacité de production d'électricité et des prix négatifs qui s'y rapportent. Dans mon laboratoire sont par exemple conduites des expériences couplant des panneaux photovoltaïques à des électrolyseurs. Il existe aussi des projets couplant des champs d'éoliennes à des électrolyseurs. Les électrolyseurs présentent toutefois l'inconvénient de ne pas supporter l'intermittence, ce qui est un écueil majeur. Résoudre ce problème supposera de trouver de nouveaux matériaux, d'imaginer des processus techniques adaptés.
La question du stockage est un élément central. L'hydrogène est la seule molécule que l'on peut produire, stocker et utiliser six mois plus tard. L'électricité en revanche ne peut être stockée que quelques jours. Il existe de nombreux moyens de stockage journalier ou hebdomadaire, mais le stockage intersaisonnier ne peut être que chimique. La chaîne consistant à utiliser l'éolien pour produire de l'hydrogène que l'on liquéfie ou que l'on comprime pour le transporter, le stocker, puis le brûler pour produire de l'électricité a un rendement global de 20 à 25 % : cela signifie par conséquent une perte de 75 % d'une énergie dont on nous dit qu'elle est précieuse. Ce procédé est très coûteux énergétiquement. Il apparaît néanmoins comme la seule possibilité envisageable.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Lorsque l'électricité ne coûte rien, l'utiliser pour produire de l'hydrogène qui sera restitué en temps voulu plutôt que la revendre à perte ou à un prix très faible ne couvrant pas le coût des installations est un modèle séduisant. Peut-être la recherche permettra-t-elle de disposer d'électrolyseurs adaptés à l'intermittence.
M. Marc Fontecave. - Les producteurs d'électrolyseurs y travaillent. J'attire votre attention sur le fait que les producteurs d'électricité à prix négatifs ont des prix garantis : il n'est donc pas exact de dire que cette électricité ne coûte rien au client.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Vous avez évoqué les objectifs fixés en matière d'hydrogène au niveau national, européen et international, à l'horizon 2050, en précisant qu'il ne serait pas possible de produire l'intégralité du volume correspondant et que des importations seraient par conséquent nécessaires. Dans la mesure où l'on ne peut distinguer l'hydrogène vert de l'hydrogène gris issu du méthane, comment pourrait-on disposer d'une garantie d'origine de l'hydrogène importé ?
M. Marc Fontecave. - Je l'ignore. Nous pourrons, grâce aux recherches, aux technologies et aux investissements réalisés dans les industries fabriquant les électrolyseurs, garantir le caractère vert de l'hydrogène produit sur le sol français. L'importation est en revanche problématique, car elle concerne des quantités massives d'hydrogène qui pour l'heure n'existent nulle part. Je pense que les tonnages annoncés ne sont pas réalistes et ne seront pas atteints. Il me semble déjà extrêmement compliqué, voire impossible, de produire 30 millions de tonnes d'hydrogène vert en Europe à l'horizon 2050.
M. Joël Bruneau, député. - Compte tenu de l'état actuel des connaissances et des performances techniques, si l'on utilise 100 d'énergie électrique décarbonée, quel est le taux de conversion en hydrogène ?
M. Marc Fontecave. - Les ordres de grandeur sont essentiels dans les questions énergétiques. Produire 1 million de tonnes d'hydrogène, qui correspond à la quantité utilisée chaque année par la France pour raffiner du pétrole ou produire de l'ammoniaque ou des engrais, nécessite, si l'on procède par électrolyse, 55 TWh d'électricité, c'est-à-dire l'équivalent de la production électrique de cinq EPR de Flamanville.
M. Joël Bruneau, député. - Combien d'électricité faut-il dépenser pour obtenir 100 unités d'hydrogène ? Est-ce de l'ordre de 20 ou plutôt de 90 ?
M. Marc Fontecave. - Les rendements des électrolyseurs sont de l'ordre de 60 %. Il faut donc 55 TWh d'électricité pour produire les 33 TWh contenus dans 1 million de tonnes d'hydrogène. Notez que cela n'inclut pas la perte d'énergie induite par la compression ou la liquéfaction nécessaires au transport ultérieur de l'hydrogène. Si l'on utilise ensuite cet hydrogène pour produire par exemple de l'électricité dans le cadre de la flexibilité intersaisonnière évoquée précédemment, alors il ne reste que 25 % des 55 TWh initialement mobilisés, soit 13 TWh. Cela revient donc à perdre 42 TWh d'une électricité dont on nous dit qu'elle est précieuse.
Prenons le cas de l'Allemagne, championne en matière d'énergies renouvelables avec une augmentation massive des capacités dans l'éolien et le solaire. Ce pays, bien que technologiquement développé, ne dispose d'aucune capacité de stockage, si bien qu'en dépit de la croissance des énergies renouvelables intermittentes, il a fait le choix de maintenir ses capacités thermiques. La question clé du stockage est très loin d'être résolue.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Merci, M. Fontecave. Je vais notamment retenir de votre présentation qu'il faut garder espoir dans ce vecteur énergétique, sachant qu'une découverte scientifique importante dans le domaine de l'hydrogène n'est pas à exclure.
« LA VACCINATION DES
SENIORS »
(RAPPORT DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE
MÉDECINE)
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je passe maintenant la parole à Yves Buisson, pour présenter le rapport de l'Académie nationale de médecine sur la vaccination des seniors.
M. Yves Buisson, Académie nationale de médecine. - Je suis très heureux de vous présenter, au nom de l'Académie nationale de médecine, ce rapport voté en novembre 2023. Fruit d'un travail conduit par des spécialistes, infectiologues, gériatres et épidémiologistes, il concerne la question, essentielle à nos yeux, de la vaccination des seniors.
La réflexion se fonde sur le constat selon lequel les seniors sont les oubliés de la vaccination. Ceci nous a conduits à nous interroger sur les raisons d'une telle négligence et à proposer des recommandations pour pallier cette situation.
Il convient tout d'abord de définir ce que l'on entend par « seniors » : il s'agit des personnes âgées de 65 ans et plus, qui représentent actuellement 22 % de la population française. Selon une projection de l'Insee, ce pourcentage devrait atteindre 30 % à l'horizon 2070.
Chaque année, le ministère de la santé édite un calendrier des vaccinations et des recommandations vaccinales, dont une partie concerne les seniors. Les vaccinations recommandées en 2024 pour l'ensemble des personnes de 65 ans et plus étaient au nombre de quatre : diphtérie-tétanos-poliomyélite (dTP), grippe saisonnière, covid-19 et zona. Des vaccinations complémentaires sont par ailleurs recommandées pour les personnes de 65 ans et plus exposées à certains risques infectieux de par leur activité ou leur état de santé. Ceci concerne la vaccination contre les infections invasives à pneumocoque, la coqueluche et l'hépatite A.
Quelle est en réalité la couverture vaccinale des seniors pour ces différents vaccins ?
Concernant la grippe saisonnière, elle était de 54 % pour la saison 2023-2024.
Il apparaît par ailleurs que 81 % des seniors étaient vaccinés contre la covid-19 en 2021, c'est-à-dire avaient reçu une injection et au moins un rappel. Ces chiffres correspondent à l'année d'apparition des vaccins contre la covid-19, lors de laquelle avait été observée une forte adhésion à la vaccination compte tenu des risques encourus par cette population en période pandémique. Malheureusement, rares sont les seniors qui ont continué à effectuer des rappels, sachant que la durée de protection de la vaccination est limitée à quelques mois.
La couverture vaccinale concernant le pneumocoque se situe à un niveau extrêmement faible, de l'ordre de 4,5 % des seniors éligibles, c'est-à-dire présentant des facteurs de risque particuliers, des comorbidités (infections chroniques, pulmonaires, immunodépression, etc.).
Seuls 4 % des seniors sont à jour de la vaccination contre le zona. Ceci tient notamment au fait que l'ancien vaccin a été supprimé et que le nouveau n'est pas encore entré dans la pratique courante.
On observe enfin que le vaccin dTP, qui devrait donner lieu à des rappels réguliers tous les 20 puis tous les 10 ans, est oublié par près de la moitié des seniors.
Permettez-moi de revenir brièvement sur la couverture vaccinale contre la grippe. Un pic s'est produit en 2020, avec près de 60 % des seniors vaccinés. Le taux de couverture a ensuite baissé continuellement, pour atteindre 54 % en 2023-2024. Nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs pour l'année en cours, puisque la campagne de vaccination a été prolongée par le ministère de la santé jusqu'à la fin du mois de février. On peut toutefois anticiper une nouvelle baisse du taux de couverture vaccinale des seniors, estimé à moins de 50 %.
Notez que bien que les professionnels des établissements de santé (hôpitaux, Ehpad, établissements de soins de longue durée) soient fortement encouragés à se faire vacciner contre la grippe pour protéger les patients dont ils ont la charge, leur taux de couverture vaccinale est ridiculement faible, de l'ordre de 19 %.
Pour ce qui est de la vaccination contre la covid-19, on observe qu'après l'emballement de la première année, le taux de protection des personnes de 65 ans et plus est descendu à un niveau très faible, 30,2 %, en 2023-2024 et sera probablement encore plus faible cette année. On constate en effet une désaffection considérable à l'égard de cette vaccination, bien que les pharmaciens aient la possibilité de vacciner et qu'il soit possible, dès le 15 octobre, de bénéficier d'une double vaccination, contre la grippe dans un bras, contre la covid dans l'autre. Une proportion considérable de personnes se sont fait vacciner contre la grippe mais ont refusé le vaccin contre la covid. Les raisons de ce comportement sont complexes à analyser. Nous en reparlerons.
Là encore, on notera la faiblesse de la couverture vaccinale des professionnels de santé chargés de s'occuper des personnes fragiles, avec des taux avoisinant 10 % en 2023-2024.
Une fois ce constat effectué, nous nous sommes interrogés sur les conséquences du déficit de vaccination des seniors.
Il apparaît que les maladies infectieuses évitables chez les seniors grâce à la vaccination constituent un fardeau extrêmement important, sur le plan médical comme économique.
Habituellement, la grippe saisonnière cause annuellement entre 9 000 et 10 000 décès, dont 90 % sont des seniors, alors même que moins de 10 % des personnes de 65 ans et plus sont contaminées par le virus. Cette année, nous avons affaire à une épidémie de grippe dont nous pouvons déjà affirmer, bien qu'elle n'ait pas encore atteint son acmé, qu'elle est exceptionnelle, très virulente et meurtrière, au point que le nombre de décès pourrait être supérieur à 20 000.
Le pneumocoque est une bactérie qui vient souvent surinfecter les patients atteints par la grippe, mais peut aussi toucher les personnes à risque, dont les sujets âgés et les nourrissons. Les nouveau-nés bénéficient toutefois de 11 vaccins obligatoires, si bien que la couverture vaccinale étant supérieure à 95 %, la pneumococcie a cessé d'être un problème de santé publique dans cette tranche de la population. Il en va différemment pour les seniors, chez lesquels le pneumocoque touche des personnes avec ou sans comorbidités, avec un taux d'hospitalisation très élevé et un taux de létalité des personnes hospitalisées supérieur à 30 %.
Chacun se souvient par ailleurs que la majorité des victimes de la covid étaient des personnes de plus de 60 ans. Nous sommes actuellement en période infra-épidémique : la covid-19 n'a pas, à la différence de la grippe, atteint le statut d'infection saisonnière. Les derniers pics de contamination remontent aux mois de juin et septembre de l'année dernière. Il n'empêche que des formes graves de la covid se produisent encore chaque semaine et entraînent des hospitalisations et des décès en réanimation.
Le virus respiratoire syncytial (VRS), associé à la bronchiolite, est souvent évoqué lorsqu'il touche les jeunes enfants. Pour ceux-ci, une prévention est en cours de déploiement grâce à l'immunothérapie passive et à la vaccination des mères. Le problème reste certes important chez les nourrissons, mais moins qu'à l'autre extrémité de la vie, chez les seniors. Le VRS est en effet un agent pathogène dont on ne parlait pas et que l'on connaissait mal, mais dont on s'aperçoit qu'il est responsable chaque hiver de 15 000 à 20 000 hospitalisations, avec un taux de létalité de 8 %.
Le zona présente en France une incidence annuelle de 10 pour 1 000 après l'âge de 70 ans et devient, après 80 ans, une maladie extrêmement pénible, engendrant des douleurs chroniques insupportables, très difficiles à prendre en charge médicalement et nécessitant une hospitalisation dans 10 % des cas.
La diphtérie, le tétanos et la coqueluche n'ont pas disparu. On observe ainsi une recrudescence des cas de diphtérie importés dus à C. diphtheriae, mais surtout des cas causés par C. ulcerans, un cousin de la bactérie à l'origine de la diphtérie, transmis par les animaux de compagnie et qui peut donner des formes cutanées ou généralisées parfois mortelles.
On recense quelques cas annuels de tétanos, dont 80 % chez les plus de 60 ans.
L'incidence de la coqueluche est quant à elle largement sous-évaluée.
Il importe par ailleurs de prendre en considération les risques post-infectieux liés à l'âge. Cela concerne notamment les complications cardio-vasculaires de type infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral, dont la fréquence augmente de façon très importante pendant les premières semaines suivant un épisode d'infection respiratoire aiguë (grippe, covid-19, VRS, pneumococcie), y compris lorsque celui-ci a été guéri.
On observe également des complications neuro-inflammatoires après une infection à la covid-19 ou à une grippe. Chacun a par exemple entendu parler du covid long. Des cas de démences ont aussi été recensés après certaines maladies infectieuses, dont celles dues au virus du zona.
Il faut savoir que même si une grippe, une pneumonie ou une infection à VRS est bien soignée, elle peut avoir de lourdes conséquences chez les personnes âgées, telles qu'un alitement prolongé, une diminution de l'appétit, une fonte musculaire ou une réduction de la mobilité induisant une perte d'autonomie. Ce déclin fonctionnel post-infectieux, qui accélère le vieillissement, est la sixième cause d'invalidité chez les seniors. Cet aspect, totalement ignoré du grand public, pèse très lourdement dans la prise en charge des maladies infectieuses chez les personnes âgées.
Ceci me conduit à aborder la question de l'immunosénescence. Les seniors sont en effet à risque de déclarer des formes d'infection graves parce que leur système immunitaire n'est plus aussi efficace qu'auparavant. L'immunosénescence est un phénomène physiologique normal, qui commence à la fin de l'adolescence avec l'involution du thymus et se poursuit tout au long de la vie. En conséquence, plus on avance en âge, moins on se défend contre un certain nombre de maladies auto-immunes, cardio-vasculaires et cancers, plus le risque de sévérité des infections augmente et plus l'efficacité des réponses vaccinales s'atténue.
Pourquoi les seniors sont-ils si peu vaccinés ?
La première raison tient au manque d'implication des médecins traitants, auxquels il appartient pourtant de veiller au maintien de la couverture vaccinale de leurs patients. Il ne faut pas en déduire qu'ils ne sont pas convaincus de l'efficacité des vaccins : la majorité des médecins pensent que les vaccins sont efficaces. En revanche, ils sont conscients de la fragilité de leurs patients âgés et effectuent une balance entre le bénéfice et le risque d'une vaccination pour ces personnes. Ils en redoutent les effets indésirables et craignent que l'immunosénescence n'en amoindrisse l'efficacité.
Il faut reconnaître également que les connaissances en vaccinologie sont insuffisantes : il s'agit d'une science médicale jeune et en évolution rapide. Les médecins de ma génération n'y ont pas été formés durant leur cursus initial et même si cet enseignement commence à se développer dans les facultés, il est important d'actualiser très régulièrement ce thesaurus de connaissances, ce qui est rarement le cas. Les recommandations changent d'ailleurs de plus en plus vite et peuvent parfois sembler contradictoires, ce qui est susceptible de mettre les médecins en difficulté.
Les généralistes disposent enfin d'un temps de consultation de plus en plus limité. Or les patients âgés souffrent souvent de polypathologies et voient leur médecin traitant essentiellement pour renouveler les ordonnances relatives aux pathologies chroniques (diabète, hypertension, pathologies rhumatismales, etc.) dont ils sont atteints, si bien que le temps de consultation est exclusivement consacré à la dimension curative. Les médecins n'ont guère de temps pour s'occuper du volet préventif et de la mise à jour des vaccinations.
Une autre raison de la moindre vaccination des seniors réside dans le manque de coordination entre les différents acteurs de santé (généralistes, spécialistes, pharmaciens, infirmiers, soins de proximité) qu'ils sont amenés à consulter.
On observe enfin un manque d'accessibilité de la vaccination. Ceci concerne bien évidemment les personnes vivant seules, dans des déserts médicaux, et dont la mobilité et l'accès aux soins sont réduits, mais aussi celles vivant dans des institutions, lesquelles sont souvent sous-médicalisées.
Le coût des vaccins peut constituer un frein. Cette question ne se pose pas pour les vaccins contre la grippe et la covid, pris en charge à 100 % par l'assurance maladie, mais commence à émerger pour les nouveaux vaccins, comme celui contre le zona, dont chacune des deux injections coûte 188 euros et qui n'est remboursé qu'à 65 %, ou les trois vaccins contre les infections à VRS qui viennent d'être agréés et ne sont pas encore remboursés.
L'Académie de médecine a souhaité insister avec force dans ce rapport sur le fait que l'immunosénescence n'empêchait pas la vaccination. Il est en effet possible de contourner ce « défaut » du système immunitaire des personnes âgées en utilisant par exemple des vaccins plus fortement dosés en antigènes. Ainsi, le vaccin grippal Efluelda® compte quatre fois plus de souches virales qu'un vaccin classique et donne de très bons résultats chez les personnes âgées. Il n'a malheureusement pas été retenu pour la campagne vaccinale 2023-2024.
Il est également possible de recourir à de nouveaux adjuvants, qui ont prouvé leur très grande efficacité et sont utilisés dans les nouveaux vaccins à la disposition des seniors. Je rappelle que les adjuvants sont des molécules associées à l'antigène en vue d'augmenter la réponse immunitaire.
On peut aussi jouer sur les modes d'administration, en remplaçant l'injection intramusculaire classique par une administration par voie orale ou nasale.
Il importe enfin, pour des vaccins comme le dTP, d'effectuer des rappels réguliers tout au long de la vie, afin de maintenir le meilleur niveau de protection possible.
Vacciner les seniors est un objectif prioritaire de santé publique. Outre les avantages évidents, comme l'augmentation de la durée de vie active et autonome, la limitation du déclin fonctionnel post-infectieux, le maintien de l'immunité de groupe ou la lutte contre l'antibiorésistance, il existe également des bénéfices « indirects » liés à certains vaccins, en termes de prévention des accidents thromboemboliques, de mort subite chez les diabétiques atteints de maladies cardio-vasculaires ou de démence.
Les technologies du numérique doivent jouer un rôle important en matière de suivi vaccinal. En effet, les carnets de vaccination sont souvent perdus ou inexploitables et la plupart des seniors ne connaissent pas leur statut vaccinal. Le carnet de vaccination numérique présenterait l'avantage de garder en mémoire l'historique vaccinal du patient et permettrait de partager des informations entre les différents professionnels de santé intervenant dans sa prise en charge. Sa généralisation permettrait en outre de constituer un registre vaccinal à l'échelle du pays.
J'en arrive aux recommandations formulées par l'Académie nationale de médecine à l'issue de cette réflexion.
Il importe tout d'abord de mettre en oeuvre une politique nationale de prévention assurant une protection vaccinale pour l'ensemble de la population, à tous les âges de la vie.
L'Académie préconise également de considérer comme prioritaires cinq maladies cibles, contre lesquelles tous les seniors devraient être vaccinés : la grippe, la covid-19, les infections à pneumocoque et à VRS et le zona.
Il ne faut par ailleurs pas envisager l'immunosénescence comme un frein à la vaccination : il est toujours possible de vacciner une personne âgée.
Nous suggérons également d'inciter les professionnels de santé à appliquer les recommandations de la Haute Autorité de santé relatives aux nouveaux vaccins contre le pneumocoque, le VRS et le zona, afin de mettre à jour le statut vaccinal de leurs patients.
Il convient de veiller à rendre la vaccination accessible à toutes les personnes âgées, en développant les équipes mobiles de vaccination en vertu du principe « aller vers ».
Nous préconisons par ailleurs d'élargir l'usage du carnet de vaccination numérique à l'ensemble de la population et de saisir toute opportunité pour mettre à jour les vaccinations de seniors : consultations, hospitalisations, voyages à l'étranger, campagnes de vaccination, etc.
Enfin, la dernière recommandation vise à maintenir chez les professionnels de santé et de l'aide à la personne exerçant leur activité au contact de personnes âgées un taux élevé de couverture vaccinale, notamment contre la grippe et la covid-19.
Je tiens à préciser que ce rapport a été actualisé par un communiqué validé hier par l'Académie de médecine, que nous tenons évidemment à votre disposition.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Nous vous remercions pour cette présentation, qui va certainement susciter des questions.
M. Philippe Bolo, député. - Vous avez clairement expliqué que l'immunosénescence réduisait l'efficacité vaccinale. Je souhaiterais savoir si, à l'inverse, une vaccination régulière tout au long des âges de la vie permet de stimuler, d'entraîner le système immunitaire, donc de réduire la cinétique du processus d'immunosénescence.
Vous avez ensuite évoqué des solutions, au travers de dosages adaptés ou d'adjuvants. Ces préparations particulières sont-elles disponibles pour la vaccination des seniors, étant entendu que la difficulté réside parfois dans l'accès au vaccin lui-même ?
M. Yves Buisson. - Vacciner tout au long de la vie maintient en effet le système immunitaire à un meilleur niveau que si l'on cesse de vacciner à partir de l'adolescence et que l'on reprend après 65 ans. Ceci est particulièrement vrai pour le vaccin dTP, qui doit être renouvelé tous les 20 ans, puis tous les 10 ans à partir de 65 ans. Les personnes ayant effectué régulièrement ces rappels ont des taux de réponse en termes de concentration d'anticorps beaucoup plus élevés que ceux qui ont interrompu la vaccination pendant une longue période. Il s'agit d'un facteur positif pour limiter l'immunosénescence. Bien entendu, ceci ne concerne pas tous les vaccins.
Parmi les solutions évoquées, j'ai mentionné l'existence d'un vaccin contre la grippe fortement dosé et d'un vaccin adjuvé. Ces deux vaccins, qui donnent de meilleures réponses chez les seniors, n'ont pas été retenus lors de la dernière campagne vaccinale. Or il s'avère que les vaccins retenus, normodosés et sans adjuvant, sont moins efficaces chez les seniors, notamment chez les plus de 80 ans, ce qui explique que figurent parmi les personnes touchées par le virus très sévère qui sévit cette année un certain nombre de personnes âgées vaccinées, dont on peut regretter qu'elles n'aient pas pu bénéficier d'un vaccin mieux adapté à leur situation immunologique.
M. Bruno Sido, sénateur. - À partir de quel taux de protection considère-t-on qu'un vaccin est efficace ? Existe-t-il un chiffre mesurant cela ?
L'argument souvent avancé par les personnes ayant renoncé à se faire vacciner est d'avoir été très malades suite à la vaccination. Cette situation est-elle couramment observée ?
M. Yves Buisson. - Il n'existe pas de taux global permettant de définir l'efficacité d'un vaccin. Tout dépend d'ailleurs de ce que l'on entend par efficacité : celle-ci peut en effet se mesurer de diverses façons. La première est l'efficacité immunologique, c'est-à-dire la capacité d'un vaccin à susciter chez une personne une réponse immunitaire, mesurée généralement en taux d'anticorps produits. Il peut toutefois arriver qu'une personne produise des anticorps, mais soit malgré tout réceptive à la maladie. On donc peut également considérer l'efficacité clinique sur la prévention de la maladie, assez facile à mesurer. Il existe en outre une efficacité épidémiologique, consistant à apprécier la réduction de l'incidence de la maladie cible à l'échelle d'une population.
Les vaccins contre la grippe ne sont pas très efficaces, dans la mesure où, avec une efficacité clinique allant de 40 à 60 % selon les années, ils sont loin d'empêcher totalement la survenue de la grippe. En revanche, l'efficacité mesurée sur la prévention des formes graves conduisant à une hospitalisation, à l'entrée en réanimation et au décès avoisine les 90 %.
Il est courant d'entendre des personnes se plaindre d'avoir attrapé la grippe suite à l'administration d'un vaccin antigrippal. Ce genre de discours n'a aucun fondement scientifique. Il est tout d'abord important de rappeler que le vaccin ne donne pas la grippe. Il peut simplement avoir été inefficace, par exemple s'il a été administré trop tard. Il faut en effet au moins une quinzaine de jours pour que le taux d'anticorps préventif augmente. Ainsi, une personne infectée durant la semaine précédant la vaccination ne sera pas correctement protégée et pourra fort bien développer une grippe quelques jours après avoir été vaccinée.
Le syndrome grippal peut en outre être imputé non seulement aux virus grippaux, mais à de nombreux autres virus circulant à la même saison, dont les rhinovirus, contre lesquels on ne vaccine pas et qui peuvent provoquer les mêmes symptômes.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Ma question porte sur la durée de l'immunité conférée par les vaccins pédiatriques. Dispose-t-on de certitudes quant à la durée de la protection vaccinale offerte par ces vaccins ? Faudrait-il envisager de nouvelles vaccinations, par exemple contre la rougeole ou la coqueluche, pour les plus de 65 ans ?
Existe-t-il par ailleurs un intérêt à regarder du côté des vaccins à ARN, dont il était largement question à l'occasion de la crise sanitaire covid ?
M. Yves Buisson. - La durée d'immunité acquise grâce aux 11 vaccins pédiatriques reçus obligatoirement au cours des deux premières années de la vie est variable. Des rappels sont prévus pour la plupart d'entre eux. Le calendrier vaccinal est un élément tout à fait remarquable, émanant du travail de comités de spécialistes. Il tient compte de la durée de protection conférée par chacun des vaccins et du risque épidémiologique encouru par les enfants d'être infectés par les agents pathogènes concernés au fur et à mesure de leur croissance, une fois dissipée l'immunité octroyée par leur première vaccination. Certains risques s'atténuent, voire disparaissent à l'adolescence, tandis que d'autres, parmi lesquels ceux liés au papillomavirus, apparaissent et justifient de recommander une vaccination pour les collégiens.
La vaccinologie est le pan de la lutte contre les maladies infectieuses donnant lieu au plus grand nombre d'innovations. Les investissements sont désormais plus importants dans le domaine des vaccins que dans celui des antibiotiques. Le moment clé a bien entendu été la mise au point des premiers vaccins à ARN messager permettant de lutter contre la covid-19. Un vaccin contre le virus syncytial, utilisant la même technologie, vient d'être agréé. D'autres sont à l'étude et utilisent l'ARN messager ou d'autres technologies innovantes. Je pense en particulier aux vaccins à administrer par voie nasale, qui concernent essentiellement les enfants. On recommande par exemple désormais de vacciner contre la grippe les enfants de 2 à 17 ans, ce qui conduit à protéger indirectement les seniors puisque ce sont majoritairement les enfants qui font circuler le virus entre l'école et les familles ; des vaccins sous forme de spray nasal sont désormais disponibles et beaucoup mieux acceptés par les parents.
M. Patrick Netter, Académie nationale de médecine. - Ne faudrait-il pas, MM. les parlementaires, au regard du faible taux de vaccination observé chez les seniors, notamment dans les Ehpad, et des dégâts engendrés par les différentes pathologies citées, être plus directif en la matière ?
M. Bruno Sido, sénateur. - Vous connaissez le peu d'affection de nos concitoyens pour les obligations. L'idée, un moment envisagée, de rendre obligatoire la vaccination contre la covid avait fait grand bruit et n'avait pas été retenue, pour d'autres raisons que celle-ci également d'ailleurs.
M. Patrick Netter. - Ne serait-il toutefois pas envisageable de prendre des mesures - notamment dans les Ehpad - afin d'augmenter le niveau de vaccination des résidents ?
M. Christian Boitard, secrétaire perpétuel de l'Académie nationale de médecine. - Nous avons rencontré à ce propos des spécialistes étrangers et constaté que le modèle du Portugal était particulièrement intéressant. Le taux de couverture vaccinale pour le papillomavirus y est de l'ordre de 90 %.
Je pense qu'en France, il conviendrait de passer d'un système d'offre de soins à un système d'offre de santé, incluant une importante dimension de prévention, dont le vaccin est l'illustration.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Chacun se souvient des réactions engendrées pendant la crise sanitaire de la covid-19 par l'obligation vaccinale établie pour les soignants. Il est vrai que la couverture vaccinale des professionnels de santé contre la grippe est extrêmement faible. Il en va de même pour les seniors. Peut-être la sévérité de l'épidémie grippale de cette année va-t-elle convaincre certaines personnes de se faire vacciner à l'avenir, même si l'on sait que le virus varie d'une année à l'autre.
Cela rejoint l'observation de Christian Boitard sur la prévention. Or nous ne disposons pas, en France, en 2025, de dossier numérique accessible et facilement consultable par l'ensemble de la population. Des campagnes de prévention sont menées sur les cancers ; des courriers sont envoyés pour inciter nos concitoyens à effectuer des tests à partir d'un certain âge. Mais aucune alerte systématique n'est mise en oeuvre pour les sensibiliser à l'importance de tenir à jour leur carnet de vaccination. Il faudrait disposer d'un carnet numérique clair, indiquant à chacun les vaccinations et les rappels à effectuer dans les mois ou années à venir. Cela pourrait selon moi inciter les Français à se faire davantage vacciner.
Les Français sont un peuple globalement réfractaire aux obligations. Il existe toutefois, dans le domaine routier notamment, des obligations en termes de limitation de vitesse sur les routes et des radars pour détecter et sanctionner les personnes réfractaires. J'ignore ce qu'il serait possible d'imaginer en matière de santé.
M. Alain Fischer. - Le point principal réside selon moi dans les politiques de prévention.
Je souhaite réagir sur la question de l'obligation, car je ne partage pas le point de vue de M. Sido. En effet, force est de constater que les politiques d'obligation vaccinale mises en oeuvre en France fonctionnent. Celles concernant les nourrissons sont un grand succès : la quasi-totalité des nouveau-nés français sont vaccinés contre les maladies ciblées. La notion d'obligation est simplement une façon de faire prendre conscience à la population de l'importance de l'acte.
Même si des difficultés sont apparues dans certains territoires, notamment aux Antilles, en matière de vaccination des professionnels de santé contre la covid, il apparaît que les soignants non vaccinés en mai ou juin 2021 se sont finalement fait vacciner par la suite.
Je ne suis pas favorable à la systématisation de l'obligation vaccinale, mais je la considère comme une arme possible, qui a démontré son efficacité.
Aujourd'hui la question de l'obligation vaccinale des professionnels de santé contre la grippe est posée.
M. Alexandre Allegret-Pilot, député. - Les statistiques qui nous ont été présentées sont édifiantes. Le fait que 10 % seulement des professionnels de santé travaillant dans les Ehpad soient vaccinés contre la covid-19 doit nous interpeller.
M. Daniel Salmon, sénateur. - Ces débats soulèvent plus globalement la question de la liberté, qui se pose de manière particulièrement cruciale à partir d'un certain âge. Il ne faut pas oublier que l'humain est mortel. On peut toujours tenter de retarder l'échéance et de gagner en qualité de vie. D'autres envisagent comme une politesse le fait de ne pas s'attarder ; cela a toujours existé. Ce terrain de réflexion est très intéressant, mais aussi extrêmement glissant, car il convoque la notion de liberté, propre à chacun.
Mme Anne-Claude Crémieux, Académie nationale de médecine. - Je souhaiterais appuyer le propos de M. Fischer. La couverture vaccinale des enfants a baissé dans le monde. L'OMS a d'ailleurs pointé le danger de cette situation, qui s'est traduite par des épidémies de rougeole dans un certain nombre de pays. Or la France est le seul pays dans lequel la couverture vaccinale des enfants non seulement n'a pas diminué, mais a augmenté pendant la période covid.
J'ajoute que l'obligation vaccinale pour les enfants, loin d'avoir conduit à un rejet de la part des Français, s'est traduite au contraire par une augmentation de l'acceptabilité de l'ensemble des vaccins pour les enfants. Cette démarche est un véritable succès. Elle a permis de conserver une couverture vaccinale parmi les plus élevées au monde.
Quant au problème de l'obligation vaccinale pour les personnels soignants, il me semble évident que nous n'allons pas résoudre le problème aujourd'hui. Il se pose néanmoins de façon très claire, puisque seuls 19 % des établissements ont une couverture vaccinale des professionnels de santé supérieure à 30 %. La situation des Ehpad est encore plus dramatique, avec un taux de vaccination de seulement 22 %. Or certaines études démontrent qu'une couverture vaccinale élevée chez le personnel soignant diminue la mortalité toutes causes dans les Ehpad.
Il faut également savoir que les pays dans lesquels les organisations sanitaires ont institué l'obligation vaccinale pour le personnel soignant ont obtenu rapidement et de façon maintenue des taux de couverture vaccinale de l'ordre de 90 %.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Merci pour ces échanges, qui invitent notamment à réaliser une étude sociologique comparée entre la France et le Portugal sur la question de l'acceptation de la vaccination contre le papillomavirus. On observe en effet chez les adolescents français une réticence à l'égard de cette vaccination, qui ne semble pas les concerner au moment où elle leur est proposée.
M. Alfred Spira, Académie nationale de médecine. - La vaccination est un acte particulier, à la fois individuel et social. Je me vaccine pour me protéger, mais aussi pour protéger les autres. Il existe peu d'actes de ce type dans la vie.
« GRANDES CONSTELLATIONS DE
SATELLITES : ENJEUX ET IMPACTS »
(RAPPORT DE
L'ACADÉMIE DES SCIENCES)
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous propose de passer à la présentation du troisième rapport de la matinée. Ce document, élaboré par l'Académie des sciences, est consacré aux grandes constellations de satellites. Je rappelle que l'OPECST a également conduit un travail sur le sujet et est donc particulièrement intéressé par ce rapport.
M. François Baccelli, Académie des sciences. - Je suis très heureux d'avoir l'occasion de vous présenter ce rapport, sur lequel l'Académie des sciences a travaillé pendant plus d'un an.
Je vais évoquer tout d'abord l'organisation de nos travaux, puis décrire ce que sont les grandes constellations de satellites en orbite basse ou moyenne, leurs bases scientifiques et les perspectives qu'elles offrent. J'aborderai ensuite leurs impacts sur l'astronomie et l'environnement, ainsi que les enjeux en matière de souveraineté et d'économie. Je conclurai par les recommandations.
Nous avons commencé à travailler sur le sujet en février 2023, avec la constitution d'un groupe de travail interdisciplinaire réunissant des membres de l'Académie des sciences et Daniel Andler, de l'Académie des sciences morales et politiques, qui a beaucoup contribué à cette réflexion. L'astronome Jean-Loup Puget et moi avons assuré la présidence de ce groupe, qui a procédé à 18 auditions d'organismes très divers, comprenant à la fois des industriels, des spécialistes de l'espace, des experts des communications et des personnalités du monde académique, issues en particulier du domaine de la radioastronomie.
Le rapport, rédigé par Sébastien Candel, Guy Perrin, Jean-Loup Puget et moi-même, a été rendu public en avril 2024 et publié en français et en anglais sur le portail HAL, conformément à la nouvelle politique de l'Académie des sciences en la matière.
Le contexte dans lequel s'inscrit cette réflexion est celui du « nouvel espace ». Jusqu'à il y a une dizaine d'années, l'espace était réservé aux militaires et aux États. Les satellites autres que scientifiques et militaires étaient utilisés essentiellement pour la diffusion des chaînes de télévision et de radio. Ces services mettaient en jeu des satellites géostationnaires.
Nous sommes désormais face à un nouveau tissu industriel, conduisant à une softwarisation de l'espace, avec de nouveaux entrants totalement imprévus tels que Starlink, des jeunes pousses et des PME en très grand nombre et de nouveaux services.
Les constellations de satellites font l'objet d'une classification, dite « classification de Walker », fondée sur le fait que les satellites sont caractérisés par des orbites, elles-mêmes définies en fonction de leur plan d'inclinaison et leur point ascendant, correspondant au lieu où l'orbite traverse l'Équateur et où le satellite passe de manière ascendante du nord au sud. Ceci permet de caractériser deux architectures de constellations. La première, qui est celle de Oneweb par exemple, présente des orbites quasi polaires et une répartition des points ascendants sur un demi Équateur. Les constellations de type Delta en revanche, qui sont à la base de Starlink ou de Galileo pour la partie GPS, ne couvrent pas l'ensemble de la planète et excluent les zones polaires.
Les fonctionnalités sont multiples. Les communications à haut débit constituent l'un des principaux moteurs de l'évolution et du développement de ces nouvelles constellations de satellites, également utilisées pour l'observation de la Terre et la géolocalisation.
Concernant l'organisation de l'accès haut débit, il faut imaginer par exemple un utilisateur, deux satellites en orbites basse et moyenne reliés par un lien optique et une station d'ancrage permettant un accès à l'internet. Des communications radio ont alors lieu entre les satellites et l'utilisateur, par l'intermédiaire de bandes de type millimétriques allant jusqu'au térahertz. La communication entre les satellites est optique et celle entre la station d'ancrage et le deuxième satellite optique ou radio. Ce type d'organisation permet à l'utilisateur d'accéder à l'internet en passant par un réseau de satellites en orbite basse ou moyenne et une station d'ancrage.
Il existe dans ce domaine des projets anciens, parmi lesquels Iridium, Globalstar et Oneweb, qui continuent à être actifs, ou encore O3B, dont l'idée était d'offrir un accès à haut débit à des populations ne disposant pas d'infrastructures terrestres de communication.
Parmi les nouvelles constellations, la plus connue est sans doute Starlink, qui compte actuellement 8 000 satellites mais devrait voir assez rapidement ce nombre atteindre 50 000.
D'autres projets sont en cours de développement. Je pense à Kuiper, conduit par Amazon, au projet européen IRIS2, au projet chinois Guowang et à diverses autres initiatives menées dans le domaine de la défense dans de nombreux pays.
Comme indiqué précédemment, la constellation Starlink ne couvre pas les zones polaires. Elle présente des orbites avec un plan d'inclinaison défini, sur lesquelles des satellites se suivent de manière périodique, offrant des services totalement nouveaux.
Les atouts des grandes constellations en matière de communications à haut débit résident dans le fait qu'elles permettent une couverture universelle, sans interruption lorsque les satellites sont suffisamment nombreux et avec un nombre de stations d'ancrage relativement faible. Il est par exemple possible de couvrir un pays ou une région du monde ne disposant pas de station d'ancrage. Cette solution se caractérise en outre par une faible latence, privilège des orbites basses, qui permet notamment d'effectuer des calculs et de contrôler de nombreux systèmes en temps réel. Elle est également résiliente aux agressions et aux catastrophes naturelles.
Ces nouvelles constellations sont sous-tendues, d'un point de vue scientifique et technologique, par de la théorie de l'information et de la focalisation adaptative (MIMO).
Elles font également appel à de l'informatique de base, avec de l'ordonnancement des ressources en fréquence et en temps, de la virtualisation logicielle, de la cybersécurité, ainsi que des éléments de routage et de calcul en périphérie de réseau.
Ces technologies sont par ailleurs fondées sur les connaissances en électromagnétisme, mobilisées en particulier pour la résolution des problèmes liés aux antennes utilisateurs et aux antennes permettant aux satellites de communiquer avec un grand nombre d'utilisateurs. Signalons à ce propos l'existence en France de Greenerwave, champion en matière de conception d'antennes utilisateurs, qui fabrique des antennes avec de petits éléments réfléchissants adaptatifs capables de créer une parabole virtuelle vers le satellite et de le suivre sans aucune base mécanique. Ces antennes à faible coût équipent par exemple la constellation Oneweb.
La dimension mécanique est également essentielle dans la mise en oeuvre des constellations de satellites. Le succès de SpaceX est ainsi largement lié à son lanceur réutilisable : 98 lancements ont été effectués en 2023 et 144 en 2024. Se posent également des problèmes relatifs à la propulsion en orbite, pour éviter les collisions et remonter les satellites avec des moteurs plasmiques par exemple.
Les constellations de satellites sont un complément résilient de l'internet terrestre, avec des débits comparables à la fibre optique (sous conditions) et un fonctionnement possible avec des appareils mobiles non modifiés. Ainsi, la constellation BlueWalker 3 permet d'utiliser un téléphone classique et d'obtenir un accès à haut débit grâce aux antennes de 60 m2 placées sur les satellites.
Parmi les innovations, citons une infrastructure spatiale de calcul et de routage complètement nouvelle, avec du calcul embarqué permettant un traitement du signal et des services en temps réel sur les satellites, ainsi qu'une combinaison des fonctions d'observation de la Terre et de communication, laissant véritablement entrevoir un internet spatial.
La géolocalisation est l'une des fonctionnalités classiques des constellations de satellites. Je n'y reviendrai pas, faute de temps. D'autres grands domaines sont en revanche nouveaux et conduisent à une multiplication des constellations en orbite basse, sans nécessiter une couverture instantanée à tout moment, contrairement à l'internet en temps réel et au haut débit. Il s'agit d'une part de l'internet des objets, d'autre part de l'observation de la Terre. Il est ainsi possible, à très bas débit, de collecter et d'envoyer aux satellites des données selon des protocoles dits « LoRa ». Il existe de nombreux projets dans ce domaine, impliquant des constellations avec des satellites plus petits et en plus grand nombre, chargés d'effectuer de la collecte de données et de l'observation. Parmi les grands projets d'observation de la Terre, citons Copernicus, METOP, mais aussi des projets en cours tels que CO3D ou SCARBO.
L'observation de la Terre revêt de nombreuses dimensions très importantes pour la société et se fonde sur des technologies avancées. On observe la météo, les activités anthropiques, l'agriculture, la foresterie, la biodiversité, la gestion des risques, la détection d'anomalies et les données liées à la défense. Les technologies utilisées font appel à des éléments de physique fondamentale en traitement du signal, optique, imagerie spectrale et à haute résolution angulaire, lidar, radar à ouverture synthétique, SAR ou gravimétrie. Ces technologies seront embarquées dans de petits satellites. À titre de comparaison, les anciens satellites géostationnaires pesaient plusieurs tonnes et étaient extrêmement coûteux, tandis que les CubeSats ne pèseront que quelques dizaines de kilogrammes, ce qui va générer une croissance considérable des constellations.
Après avoir présenté les nombreuses fonctionnalités des constellations de satellites, le rapport aborde la question de leur impact négatif sur divers domaines. Il est en effet du rôle de l'Académie des sciences de mettre en lumière l'ensemble des aspects, positifs comme négatifs, d'un sujet.
Nous avons tout d'abord identifié un impact négatif sur l'astronomie. Le lancement de dizaines de milliers, voire de centaines de milliers de satellites en orbite basse change fondamentalement l'accès de l'être humain au ciel nocturne. Chacun a pu voir ces trains de satellites traverser la nuit.
Des effets négatifs se font déjà ressentir dans tout un ensemble de domaines de l'astronomie au sol.
Des impacts sont à craindre sur l'astronomie optique. Le principal problème est celui des traces engendrées par le défilement de nombreux satellites réfléchissant la lumière du soleil. Ce problème se pose tout particulièrement au lever et au coucher du soleil et pour les instruments à grand champ de vue. Un autre problème réside dans l'augmentation de la brillance du ciel nocturne par réflexion et diffusion de la lumière sur les satellites et les débris en orbite.
L'impact sur l'astronomie radio s'annonce encore plus grave. Les principaux problèmes dans ce domaine sont les interférences associées aux communications radio elles-mêmes, mais aussi l'émission propre de l'électronique équipant les satellites. Une solution partielle a toutefois été trouvée, avec la création de sanctuaires radio locaux consistant, lorsque les satellites survolent les régions équipées de radiotélescopes, à ce qu'ils cessent leurs émissions radio. Ceci ne résout néanmoins pas le problème de l'activité de l'électronique présente à bord, qui se poursuit et crée des interférences ayant un impact majeur sur les observations radio. Ceci est particulièrement sensible pour les interféromètres intercontinentaux cherchant à détecter des émissions lointaines, celles qui viennent du fin fond de l'univers.
La solution des sanctuaires radio, acceptée par Starlink, est toutefois insuffisante. Même si l'on stoppe les émissions radio au-dessus des télescopes, se pose le problème clé des lobes secondaires. Les méthodes de MIMO massif ne sont pas parfaites et la largeur des lobes radio, ainsi que la puissance d'émission dans les lobes secondaires font que les satellites sont visibles sur toute la voûte céleste. Or pour la radioastronomie, la perspective d'une pollution permanente venant du haut est très préoccupante.
Une autre source d'inquiétude est l'impact des constellations de satellites sur l'environnement. On dénombrait en 2023 environ 15 000 satellites en orbite basse, dont 35 % lancés au cours des trois dernières années. 100 000 autres sont prévus dans la décennie à venir.
Cela laisse entrevoir plusieurs problèmes majeurs. Le premier concerne l'impact sur l'atmosphère des composants liés aux lancements et des retombées des satellites en fin de vie. Ceux-ci entrent dans l'atmosphère et s'y consument, créant une concentration de produits chimiques dans la haute atmosphère, avec des temps de séjour très longs.
Un autre écueil concerne les conséquences de la présence de débris spatiaux sur l'environnement. On estime que circuleraient déjà en orbite un demi-million de débris de la taille d'une bille et 100 millions mesurant environ un millimètre. La multiplication des constellations ne peut qu'aggraver cet état de fait.
Le syndrome de Kessler pose la question, non tranchée d'un point de vue mathématique, de savoir si l'augmentation du nombre de satellites et de débris en orbite ne pourrait pas conduire, au moins dans une zone particulière située entre 300 et 1 000 kilomètres d'altitude, au déclenchement d'une réaction en chaîne de collisions. On songe à la fameuse collision frontale entre les satellites Iridium et Kosmos, qui a créé un nuage de débris. Le syndrome de Kessler consiste à se demander à partir de quelle densité de satellites des « réactions en chaîne » seraient susceptibles de se produire, conduisant à une destruction massive d'une partie importante des satellites en orbite basse ou moyenne.
La situation suscite des réactions de la part du monde académique, mais aussi de l'ONU. On pense par exemple aux conférences Dark & Quiet Skies, organisées par l'Union astronomique internationale, également à l'origine de la création du Centre pour la protection du ciel (CPS). Une coopération se développe entre le CPS, Starlink et Kuiper pour obtenir notamment le noircissement des satellites afin de limiter leur impact sur l'astronomie optique. L'ONU a par ailleurs créé le COPUOS (Committee on the Peaceful Uses of Outer Space), qui s'occupe de l'utilisation pacifique de l'espace et a ajouté à l'ordre du jour des cinq prochaines années un point sur les défis émergents pour l'astronomie liés aux grandes constellations de satellites en orbite basse.
La question des débris est beaucoup plus problématique, car elle implique de convaincre l'ensemble des parties prenantes et des pays concernés de suivre un certain nombre de principes édictés à l'échelle internationale. Pour l'instant, l'idée consiste à définir des normes de bon comportement et à essayer de faire en sorte qu'un nombre croissant de pays et de partenaires industriels y adhèrent. Par exemple, le standard ISO/DTS6434, publié récemment, pose le principe de l'interdiction des opérations anti-satellites, du contrôle de la génération des débris par une meilleure gestion de la fin de vie des satellites et de l'évitement des collisions par le maintien d'éphémérides et l'obligation de maintenir une capacité de contrôle d'orbite et de motorisation des satellites. Ainsi, l'agence STRATCOM, située aux États-Unis et financée par l'État fédéral, surveille l'ensemble des satellites et des débris et avertit en temps réel d'un risque de collision entre les satellites X et Y, grâce à des outils informatiques très sophistiqués et des calculs de prévision des trajectoires, afin que les opérateurs puissent activer les moteurs plasmiques des satellites concernés. Il serait intéressant d'imaginer une telle agence au niveau européen. Étant donné le nombre de satellites et de débris présents dans l'espace, vous imaginez toutefois la complexité du dispositif.
J'en viens à présent aux enjeux économiques. Starlink est quasiment à l'équilibre financier. Son modèle économique s'appuie sur des satellites peu coûteux, fabriqués de façon disruptive, en utilisant des technologies grand public. Les lancements sont également très peu onéreux, grâce au nouveau modèle de lanceur réutilisable.
Les enjeux de souveraineté constituent un élément absolument majeur. Une course pour l'occupation de l'espace et des fréquences est en effet engagée, dont le seul mécanisme permettant de réguler le lancement des constellations pour le haut débit est l'Union internationale des télécommunications (UIT), qui réunit quelque 70 pays. Cette organisation, qui assurait auparavant une régulation très rigoureuse pour le volet géostationnaire, procède selon une logique de « premier arrivé, premier servi » pour les orbites basses et moyennes, avec les conséquences et les dangers que cela implique.
Il est important de savoir que ces constellations peuvent désormais offrir le haut débit à des coûts assez bas partout sur la planète, en ne respectant pas les règles qu'imposent les États aux opérateurs terrestres situés sur leur territoire en matière de confidentialité ou de localisation des données. Ces réseaux peuvent d'ailleurs couvrir des régions et des continents entiers sans disposer d'aucune infrastructure dans la zone desservie. Ceci invite à la réflexion.
Le rapport se conclut par une série de recommandations.
L'Académie des sciences préconise tout d'abord d'appuyer la recherche fondamentale et technologique et l'innovation française et européenne dans de multiples domaines incluant notamment la théorie de l'information, la focalisation des liaisons radio, les liaisons optiques entre satellites ou la conception des antennes.
Il est également très important de développer en Europe une constellation pour disposer de connexions sécurisées à l'internet, couvrir les besoins géostratégiques, assurer la souveraineté européenne et ne pas être totalement dépendants d'intérêts privés ou étatiques extra-européens. Cela passe notamment par le développement du projet IRIS2.
Il convient en outre de poursuivre et compléter les efforts engagés pour s'opposer aux impacts négatifs des constellations, qui se développent pour l'heure sans réglementation internationale.
L'Académie des sciences recommande enfin de traiter de façon prioritaire le problème de la densification de l'espace par la mise en oeuvre de normes de bonnes pratiques visant à préserver l'environnement spatial et terrestre.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Nous vous remercions pour cette présentation, sur un sujet de préoccupation pour l'OPECST, qui y a consacré voici quelques mois une note scientifique produite par Jean-Luc Fugit et Ludovic Haye. Ce travail nous avait notamment alertés sur l'ampleur et l'accélération du phénomène des constellations de satellites en orbite basse, ainsi que sur ses conséquences à long terme, que ce soit en matière environnementale ou de protection des données. Le virage pris par l'acteur aujourd'hui majeur dans ce domaine a surpris tout le monde, tout comme l'accroissement vertigineux du nombre de lancements au fil des années.
M. Arnaud Saint-Martin, député. - Il est très important de disposer d'éléments factuels sur un sujet majeur comme celui-ci. Le rapport rend compte d'une densification inquiétante. La saturation croissante de l'environnement spatial est désormais un fait établi et l'exemple de Starlink en est une parfaite illustration.
Il est regrettable de constater que ceci ne suscite pas un débat public à la mesure de la menace existentielle que la prolifération des constellations de satellites fait peser sur la soutenabilité des usages les plus vitaux de l'espace et les sciences utilisatrices des technologies spatiales, comme l'astronomie, les observations routinières de la Terre, les télécoms, la géolocalisation par satellites. Il faut sécuriser ces opérations et contrôler le développement de ces technologies.
Il me semble essentiel d'assurer le financement d'une recherche fondamentale et indépendante sur les impacts environnementaux de ces développements. Des alertes concernant des rentrées dans l'atmosphère d'éléments issus d'étages supérieurs de fusées ou de satellites hors service sont par exemple lancées de plus en plus fréquemment. En effet, ces composants ne disparaissent pas par enchantement. Ainsi, les résidus de l'aluminium utilisé dans les engins spatiaux stagnent après vaporisation dans la stratosphère et lors de leur rentrée leur combustion engendre des vapeurs métalliques qui se condensent dans des particules d'acide sulfurique très polluantes. L'effet de ces aérosols dans la dégradation de l'ozone stratosphérique est de plus en plus étudié. Il s'agit d'un exemple parmi d'autres qui doit inciter au financement de travaux de recherche.
La connaissance et la surveillance du trafic, et notamment des débris de la pollution spatiale, impliquent de disposer de données fiables, indépendantes, intègres, afin de suivre l'évolution du paysage technologique déployé. Il faut savoir que les données transmises par SpaceX sont laissées au bon vouloir de l'opérateur, ce qui compromet assurément un trafic optimal et sûr de ces systèmes, qui vont devoir cohabiter et manoeuvrer ensemble en évitant les collisions susceptibles d'engendrer des réactions en chaîne.
Ma remarque suivante concerne les standards de conception et de fabrication chez les satellitiers, ainsi que le contrôle réglementaire de la qualité de ces systèmes. C'est un espace fordiste qui se développe en effet sous couvert de modernité et de référence chic au « new space ». Cet espace est surpeuplé de satellites low cost, softwarisé. On est loin des satellites sur mesure, véhicules d'une R&D de luxe et de missions géostationnaires fiables et robustes, capables de déployer des activités pendant 10 ou 15 ans. Les satellites V1 ou V3 de Starlink sont conçus pour être obsolescents et l'on va bientôt passer du modèle 3 au Cybertruck, avec des tonnages énormes. Le Starship pourrait par ailleurs être un jour opérationnel, déployant sa centaine de tonnes, et envoyant 60 satellites V3 dans l'espace. Cette vocation principale du Starship, qui engendre de nombreux fantasmes, soulève aussi de multiples questions. L'essentiel de son modèle d'affaires n'est pas, comme l'opérateur le prétend, la conquête de Mars. L'enjeu est donc de contraindre les industriels à respecter des normes plus strictes. La constellation IRIS2, que vous avez évoquée, pourra sans doute honorer des exigences de fabrication et de certification de qualité, ce dont on ne peut que se réjouir. Une telle démonstration de vertu technique devrait être le seul chemin possible pour tous les industriels à l'échelle du globe.
Ma première question porte sur la régulation internationale abordée dans les recommandations du rapport, à laquelle je ne peux que souscrire. Comment mettre en place et faire respecter des normes contraignantes en matière de lancement et d'usage des missions quand les plus forts, à l'image de Starlink, imposent leurs standards, plaçant en permanence les autres acteurs devant le fait accompli ? Ces opérateurs accaparent les fréquences, écrasent la concurrence et saturent l'espace, dans une totale indifférence vis-à-vis de l'idée même d'une régulation à l'échelle internationale. Quelle peut être la réponse dans ces conditions ? Comment discipliner les marchands d'internet spatial quand leur activité est promue comme l'horizon indépassable de la connectivité et l'expression d'une puissance géostratégique, avec des usages clairement militaires des systèmes ?
S'agissant du lien entre l'alerte scientifique, émanant notamment de la communauté astronomique, et la mise en oeuvre d'une stratégie politique contraignante, les rencontres et échanges avec les opérateurs visant à contester ce passage en force ont permis d'atténuer les dégâts. Mais depuis, malgré diverses initiatives que vous avez rappelées, la mobilisation s'essouffle car les États ne sont pas suffisamment forts sur ces questions. Dans ce contexte, ne serait-il pas utile que, d'une façon ou d'une autre, la communauté scientifique, par l'intermédiaire notamment de l'Académie des sciences ou du CNES (qui est parfois très ambivalent sur ces questions), alerte de manière plus volontaire et intransigeante au vu des menaces existentielles identifiées ? L'examen de la future loi spatiale apparaît selon moi comme une fenêtre d'opportunité pour faire entendre ce message avec force.
M. François Baccelli. - Je n'ai pas eu le temps d'aborder en détail la question des pollutions chimiques, mais les problèmes liés à l'accumulation dans la troposphère d'éléments comme le black carbon, l'alumine ou l'acide chlorhydrique sont traités dans le rapport. Il est vrai que nous manquons de connaissances en la matière. Nous ignorons par exemple combien de temps ces particules vont rester dans la haute atmosphère, ce qui est tout à fait préoccupant.
Comment contraindre la communauté internationale ? Comment convaincre l'ensemble des pays d'adopter de bonnes pratiques dans un domaine qui relève du bien commun ? La seule réponse que nous avons pu identifier consiste à mener un travail scientifique très rigoureux, énonçant des principes traduits dans des normes auxquelles certains adhèrent, l'idée étant que le fait de ne pas y souscrire devienne à terme répréhensible. De fait, il n'existe pas d'autre méthode que celle-là.
Permettez-moi de faire référence à un mail que Ludovic Haye, sénateur du Haut-Rhin et auteur de la note scientifique de l'OPECST sur les débris spatiaux, a adressé à Jean-Loup Puget et à moi-même en début de semaine, dans lequel il nous informe de la publication récente au Journal officiel d'une proposition de résolution européenne (PPRE) relative à l'adoption d'une réglementation européenne sur la gestion du trafic spatial et au développement d'un espace « vert », devenue résolution du Sénat le 21 janvier 2025.
Ce sujet s'appuie sur une réflexion scientifique et il faudrait engager les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) à s'investir dans les multiples domaines concernés, dont la chimie, la mécanique, l'informatique, l'astronomie. De nombreux sujets fondamentaux sont à étudier dans ce champ très interdisciplinaire. Le travail est engagé. Sans doute faut-il aller plus loin. Alain Fischer avait par exemple proposé que nous interagissions avec les autres Académies, afin qu'émerge un point de vue européen sur les normes de bon fonctionnement opposables et pouvant être reprises par d'autres pays. Un travail important reste à conduire, qui suppose notamment que la recherche française et européenne s'investisse davantage dans ces domaines.
Mme Françoise Combes, présidente de l'Académie des sciences. - Il est vrai que les régulations font défaut. Je souhaite toutefois témoigner de la bonne volonté de SpaceX et des autres acteurs, qui effectuent de réels efforts en matière d'astronomie optique pour limiter la réflectivité du soleil sur les satellites.
Ces opérateurs agissent également favorablement, sur un plan technique, dans le domaine de la radio astronomie. Cette technique est marquée par la notion de directivité. Normalement, lorsqu'il n'y a qu'une seule antenne, le champ d'émission ou de réception est grand. En l'occurrence, il existe sur leurs satellites un dispositif local d'interférométrie leur permettant d'être très directifs, donc d'éviter d'« arroser » largement l'environnement. Il en est de même pour les grands équipements scientifiques - je pense par exemple à un grand radiotélescope implanté en Australie et en Afrique du Sud, auquel l'Europe participe et dont la « ligne de base » mesure plusieurs milliers de kilomètres. La directivité permet de limiter les interférences. Les télescopes disposent d'éléments électroniques qui, sans faire bouger les antennes, créent un lobe très fin déterminant précisément dans quelle direction se fait l'observation. Le même dispositif est déployé sur les satellites.
Je constate ainsi l'existence d'une collaboration satisfaisante, qu'il convient de poursuivre tout en accroissant la régulation internationale.
M. François Baccelli. - Je suis tout à fait conscient de cet aspect, qui concerne essentiellement SpaceX, mais il faut également savoir que de très nombreux nouveaux acteurs investissent ce champ et s'apprêtent à lancer quelque 100 000 CubeSats non contrôlables, que l'Union internationale des télécommunications va installer sur les altitudes inoccupées. Faut-il à cette étape que les astronomes s'attachent à nouveau à convaincre les industriels concernés ? Assurément non. Il faudrait disposer d'une législation internationale, la question étant de savoir comment la créer. Apparemment, le moyen canonique réside dans un important effort scientifique et la publication de normes qui en résultent. Ces normes ne pourraient pas être imposées aux autres acteurs ou États, mais leur non-respect entacherait considérablement la réputation des contrevenants.
M. Alexandre Allegret-Pilot, député. - Merci pour votre présentation extrêmement riche, porteuse d'espoir, mais aussi de menaces.
Face aux normes qui viennent d'être évoquées, il importe de prendre en considération la capacité opérationnelle à décider et à agir. Si j'ai bien compris votre propos, un acteur économique étranger peut servir tout un pays sans disposer d'aucune base physique dans le territoire concerné. Cela enlève par conséquent à l'État en question toute possibilité de « débrancher » une infrastructure ou d'imposer ses décisions, donc toute capacité d'exercer sa souveraineté. Existe-t-il des solutions techniques susceptibles de rétablir la souveraineté sur l'internet dans un État donné ?
M. François Baccelli. - Dans la situation actuelle, l'utilisation de Starlink est interdite en Russie. Bien évidemment, les satellites de Starlink survolent la Russie et toute personne disposant d'un récepteur et ayant souscrit un abonnement auprès de l'opérateur peut sans doute y accéder. Ceci est arrivé en Ukraine. Une faille de sécurité a affecté la constellation servant l'armée ukrainienne. Un faux ordre de mise à jour a ainsi été envoyé par on ne sait qui à tous les terminaux des officiers ukrainiens, qui a conduit à ce que plus aucune communication ne soit possible la veille de l'attaque russe en Ukraine. Cela montre l'étendue des possibles.
Le routage adaptatif entre satellites rend techniquement envisageable la situation que vous décrivez. Un État a néanmoins toujours la possibilité de promulguer des interdictions, la difficulté résidant ensuite dans leur mise en oeuvre concrète.
D'un point de vue juridique, un opérateur opérant en France doit avoir signé une charte exigeant par exemple d'utiliser certains types de fréquences terrestres, que les centres de stockage des données soient situés dans le pays et qu'il n'y ait pas d'écoutes ni d'intrusions. Il existe même des enchères pour l'attribution des fréquences. Cependant, de fait, ces règles ne sont pas respectées actuellement par Starlink, pas plus que celles relatives à la confidentialité ou à la localité du traitement des données.
La question de la souveraineté revêt de multiples dimensions.
M. Jacques Hubert, Académie nationale de médecine. - Je suis chirurgien et opère depuis 20 ans avec un robot. Nous pratiquons déjà la téléchirurgie : le chirurgien se trouve à quelques mètres du patient, manipule à la console et les mouvements de ses mains sont reproduits à l'intérieur du patient. On évolue logiquement vers le développement d'une téléchirurgie à longue distance.
Ma première question concerne le délai de transmission. J'ai entendu parler de 10 millisecondes, ce qui me semble tout à fait extraordinaire, puisque j'avais à l'esprit qu'il faut un délai de 200 millisecondes pour transmettre un signal par fibre optique de Paris à New York. Ce délai est la limite technique à partir de laquelle on commence à percevoir une différence et à se rendre compte de la difficulté. À partir de 600 millisecondes de délai, il n'est plus possible d'opérer à distance. Quel délai de transmission est-il possible d'atteindre grâce aux satellites ?
Quel est par ailleurs le niveau de sécurité de cette transmission ? Il est en effet absolument essentiel d'éviter toute interruption de transmission et de se protéger des cyberattaques.
M. François Baccelli. - New York est à plusieurs milliers de kilomètres de Paris, tandis qu'un satellite en orbite basse est à seulement 350 kilomètres. Vous comprenez ainsi pourquoi nous parvenons à des délais aussi réduits. Il n'est qu'à considérer la vitesse de propagation de la lumière pour savoir que le délai se chiffre à quelques millisecondes. Il faut évidemment un peu de temps pour redescendre vers la station d'ancrage et peut-être traverser deux satellites. Le délai est donc en effet de l'ordre de 10 millisecondes, mais peut toutefois varier légèrement dans la mesure où un satellite défile et n'est pas nécessairement au zénith de votre position lors de la transmission. S'il l'est et se situe par conséquent à quelque 300 kilomètres de votre position, le délai peut éventuellement être inférieur à 10 millisecondes.
Les satellites se suivent de manière périodique sur chaque orbite. Cela permet une couverture par cinq ou six satellites de tout lieu couvert sur la planète, à tout moment. Se posent ensuite les questions très intéressantes de passage d'un satellite à l'autre, qui demandent des approches et des calculs très savants. Mais dans le principe, on aboutit à une couverture très dense.
Pour en revenir à votre exemple, il faudrait que le chirurgien qui opère se trouve dans la station d'ancrage ou à proximité. En effet, la propagation lointaine, elle, ne changera pas. En tout cas, la partie relative à l'interaction entre le satellite et l'utilisateur s'effectue en quelques millisecondes.
Vous évoquez la chirurgie, mais le fait de pouvoir agir en temps réel, de manière continue, avec des garanties de délai de l'ordre d'une dizaine de millisecondes, peut aussi avoir un intérêt dans le domaine militaire.
Les enjeux entourant la cybersécurité sont absolument majeurs. L'exemple de l'armée ukrainienne cité précédemment me semble particulièrement illustratif des difficultés susceptibles de survenir. Cela doit inviter à investir de manière massive, en France et en Europe, afin de disposer de systèmes présentant un niveau de cybersécurité très supérieur à ce qu'il est actuellement. IRIS2 sera, me semble-t-il, conçu dans cette perspective. Il est absolument essentiel de prévoir un investissement largement supérieur dans les technologies de l'information, qui ont une capacité d'action planétaire quasiment instantanée.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Au fil des échanges, il apparaît que le sujet se situe à la croisée des chemins entre les attentes des utilisateurs en matière de couverture internet, notamment dans les territoires ruraux n'ayant pas accès à la fibre et qui voient dans Starlink une solution de remplacement très fonctionnelle et accessible, et les enjeux de souveraineté des États. L'avenir nous dira si le réseau IRIS2 parvient à ses fins en la matière.
Nous avons également noté le point positif que constitue l'attention portée par les nouveaux grands opérateurs aux demandes des scientifiques concernant le réfléchissement excessif de leurs satellites.
« CONTRIBUTIONS POUR UNE RÉFORME
DE LA RECHERCHE EN BIOLOGIE-SANTÉ »
(RAPPORT DE
L'ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE)
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vais sans plus tarder donner la parole à Arnold Migus, qui va nous présenter les contributions de l'Académie nationale de médecine pour une réforme de la recherche en biologie-santé.
M. Arnold Migus, Académie nationale de médecine. - Je m'exprime ici au nom de l'Académie nationale de médecine pour vous présenter non un rapport, mais un corpus de réflexions et de recommandations sur la recherche en biologie-santé, qui va en réalité au-delà de ce seul champ.
Je suis accompagné des responsables des différents groupes de travail ayant formulé les rapports et préconisations concernés, qui interviendront éventuellement lors des échanges.
Cette réflexion s'inscrit dans une vision européenne et souscrit à la nécessité, pointée dans le rapport Draghi, de relancer l'investissement en Europe. Il faut savoir que les quatre GAFA ont, à eux seuls, investi en 2024 plus de 150 milliards d'euros en R&D, essentiellement dans les secteurs de l'intelligence artificielle et de l'électronique. Ceci donne une idée des ordres de grandeur.
Le rapport Draghi préconisait de développer une coopération renforcée entre les États membres, mais aussi d'améliorer les conditions de l'innovation, de remédier aux obstacles réglementaires qui freinent la compétitivité et de « débureaucratiser » le système. Nous considérons que ces préconisations adressées à l'Europe s'adressent tout autant à la France.
Ce rapport indiquait clairement que si la santé était l'un des domaines les plus dynamiques en recherche et en innovation en Europe, ce secteur se heurtait toutefois à des obstacles majeurs, parmi lesquels des investissements publics en R&D moins importants et fragmentés au regard de la situation de pays comme les États-Unis et la Chine, des investissements privés insuffisants, un environnement de soutien faible et un cadre réglementaire européen lent et complexe. Le rapport soulignait en outre la nécessité de créer un espace européen des données de santé, enjeu auquel la France est également confrontée au niveau national.
Pourquoi revenir sur le sujet de la recherche en biologie-santé ?
L'OPECST a produit en 2021 un rapport sur le financement et l'organisation de la recherche en biologie-santé et l'Académie de médecine a estimé important d'en actualiser le constat et de regarder si les recommandations émises alors avaient été suivies.
Le premier élément auquel nous nous sommes attachés concerne le positionnement de la France en matière de publications dans le secteur médical. Il y a une vingtaine d'années, notre pays se situait en quatrième position. En 2024, la France occupait le onzième rang. S'il semble logique que de grands pays comme la Chine ou l'Inde dépassent la France en vingt ans, est-il normal que des pays au PIB comparable ou inférieur, comme l'Italie ou l'Espagne, la dépassent également ? Existe-t-il des problèmes et des freins spécifiquement français susceptibles d'expliquer ce recul ?
La France était et reste très performante dans le domaine de la pharmacie, du médicament, de la chimie, mais a pris beaucoup de retard en matière de biotechnologies, où elle se classe au 17e rang sur 54 pays étudiés.
Nous avions émis des recommandations relatives aux crédits publics. Force est de constater que les crédits venant de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (Mires), tout comme ceux relevant de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), bien que libellés « recherche », ne vont pas aux équipes de chercheurs.
D'autres recommandations concernaient les carrières, la gouvernance des CHU, l'organisation de la recherche en mille-feuilles et les liens entre monde académique et entreprises. Je ne reviens pas en détail sur chacun de ces points, faute de temps.
La comparaison des budgets alloués à la recherche en santé au Royaume-Uni et en France est assez instructive. Au Royaume-Uni, 53 % des dépenses de recherche du milieu académique vont à la santé, soit 4,3 milliards d'euros, et l'ensemble des appels à projets totalisent 3,3 milliards d'euros. En France, la Mires fait état, pour les dépenses en santé, d'un montant de 2,1 milliards d'euros, soit 15 % du total. Les financements émanant de l'Assurance maladie, distribués via les programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC), sont relativement faibles, de l'ordre de 0,19 milliard d'euros, et de surcroît assez mal dépensés. Les autres dotations de la loi de financement de la sécurité sociale, supérieures à 1,5 milliard d'euros, ne sont pas des crédits attribués aux équipes de recherche clinique, mais des « compensations » données aux directeurs des établissements hospitaliers.
On observe depuis 2008 un déclin constant des crédits de la Mires consacrés à la biologie-santé, que ce soit en proportion des sommes totales allouées ou en termes absolus, en euros constants. Ceci peut procéder d'un choix politique ; il conviendrait dans ce cas de l'indiquer clairement. Depuis 2019, date à laquelle nous avions formulé nos recommandations, la tendance s'est poursuivie et les pourcentages non seulement n'ont pas augmenté, mais n'ont même pas été stabilisés. Je doute que 2025 fasse exception à la règle. Cette situation est problématique. Vous remarquerez d'ailleurs une corrélation nette entre la position de la France au niveau international dans le secteur médical et les crédits alloués.
Quels pourraient être les grands principes d'une réforme ?
Si nous ne nous berçons guère d'illusions quant au niveau des crédits, nous considérons que tout investissement budgétaire devrait être accompagné d'une réduction des coûts structurels et d'une refonte de l'organisation de la recherche.
Il nous apparaît également que toute réforme de l'organisation de la recherche doit remettre le chercheur au coeur du dispositif, au niveau local, dans les laboratoires. Il importe donc de soutenir en priorité les sites universitaires et hospitalo-universitaires, avant que cela ne se traduise ultérieurement dans les organismes de recherche.
Sur cette base, nous avons défini quelques grands axes de la politique à entreprendre dans une vision de cohérence globale et de temps long.
Le premier axe vise à mettre en oeuvre un financement de la recherche en biologie-santé conforme à la priorité nationale donnée à la santé, à la fois en R&D et au niveau social. Les sondages montrent en effet que la santé est l'une des principales attentes de nos concitoyens en matière de politiques publiques.
Le deuxième axe consiste en une simplification structurelle de l'organisation. Au niveau local, nous proposons de développer une politique institutionnelle de site forte et unifiée autour des universités et des CHU. À l'échelle nationale, nous préconisons la mise en place d'un dispositif regroupant en une holding les organismes nationaux de recherche (EPST), les agences de financement et les structures de valorisation.
Il conviendrait également de soutenir la R&D en santé, afin de réindustrialiser la France. Il nous semble tout d'abord essentiel de donner la priorité à la recherche fondamentale, d'appuyer le développement des technologies innovantes et de favoriser les partenariats public-privé (équipes mixtes, jeunes doctorants, etc.).
La simplification des procédures et la réduction du nombre d'agences et de bureaux de valorisation, à l'échelle locale et nationale, constituent par ailleurs des axes d'amélioration importants.
Un autre point d'intérêt concerne l'accès aux données de santé et aux échantillons biologiques. Il existe en France un potentiel important dans ce domaine au niveau de l'Assurance maladie et des recherches cliniques. Les résultats des recherches cliniques doivent en principe être partagés : mais il apparaît que, dans les faits, chaque CHU tient à conserver ses données pour essayer de les monnayer, ce qui est extrêmement dommageable. Nous préconisons par conséquent de forcer et simplifier l'accès à ces données et échantillons.
Il conviendrait en outre d'inciter les investissements privés en santé, par exemple en réduisant les délais de contractualisation, en proposant aux entreprises un interlocuteur unique, en finançant les infrastructures académiques en biologie-santé et en les ouvrant largement aux start-up, aux TPE et aux établissements de taille intermédiaire (ETI). Ceci pourrait aussi passer par l'établissement d'un dispositif fiscal incitatif permettant de rediriger une fraction de l'épargne des ménages vers l'innovation en santé. Nous proposons par ailleurs de stabiliser les dispositifs fiscaux favorables à la réindustrialisation de la France, à commencer par le crédit d'impôt recherche (CIR), et de renforcer leur évaluation scientifique. Nous savons pertinemment qu'il n'existe pas de vases communicants entre une dépense fiscale et le budget, mais nous avons observé en échangeant avec les entreprises que le seul fait d'agiter l'idée d'une modification du CIR suffisait à décourager les investisseurs. L'instabilité est nuisible à l'investissement.
Quelles actions concrètes mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés ?
Il faudrait tout d'abord aller au bout de l'autonomie des universités. Ceci comporte probablement des aspects législatifs, puisqu'il faudrait certainement modifier la loi LRU sur la gouvernance, le recrutement des cadres et la gestion des équipes de recherche.
Il faudrait aussi faire évoluer la gouvernance des CHU, en instituant un pilotage ou un co-pilotage de l'université. Ceci supposerait une modification de la loi Hôpital Patients Santé Territoires de 2009, qui mentionnait une seule direction, exclusivement administrative, ce qui est très mal perçu par le corps médical. Alain Fischer avait par exemple proposé d'appliquer le système néerlandais, qui prévoit un triumvirat. Ceci mérite réflexion.
Il conviendrait aussi de faire évoluer l'attribution des crédits MERRI-socle de l'Ondam, qui correspondent en principe au remboursement aux hôpitaux des dépenses qu'ils sont censés effectuer dans le secteur de la recherche, mais qui en réalité ne reviennent quasiment pas aux équipes de recherche.
Nous préconisons également, comme je l'indiquais précédemment, de créer une holding des EPST et d'y unifier les personnels sous un même statut, ce qui permettrait en particulier une circulation des talents entre les organismes, laquelle est actuellement bloquée.
Il nous semble en outre pertinent de fusionner les structures de valorisation et de réviser la procédure d'évaluation des projets CIR, que nous jugeons défaillante sur le fond.
Nous recommandons enfin de travailler à transformer l'excellence française des biotechs en industrie, en favorisant l'investissement privé. Dans le domaine des médicaments par exemple, il faut savoir que sur 1 000 molécules initiales en recherche de phase 1, seules 10 vont passer en phase 2 et une en phase 3, avec une probabilité que cela ne fonctionne pas au bout du compte. D'importants investissements sont donc nécessaires, notamment dans le secteur privé. Notez que parmi les 15 entreprises investissant le plus au niveau international, se trouvent les GAFA et l'industrie pharmaceutique, mais aucune entreprise française.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Nous vous remercions pour cette présentation, dans laquelle vous avez notamment ciblé la réorganisation des agences de programme, qui ne traitent pas uniquement du secteur de la santé. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Que pensez-vous par exemple du pilotage confié, pour la partie santé, à l'Inserm, qui a suscité nombre de réactions ? Cette démarche vous semble-t-elle efficiente ? Quel est plus globalement votre avis sur ces agences ?
M. Arnold Migus. - Je ne suis plus en activité et ne puis par conséquent répondre que d'un point de vue théorique. L'une des difficultés que posent ces agences est que nous ignorons le montant des crédits qu'elles mobilisent sous leur bannière - il y a certes les crédits des PEPR, qui mobilisent des crédits « PIA », mais quel est leur lien avec les agences de programme ? Par ailleurs, la nouvelle organisation, qui se veut transverse, exacerbe en réalité la compétition entre les organismes de recherche pour la prise du leadership. C'est pourquoi nous défendons l'idée de créer une holding.
M. Bruno Clément, Académie nationale de médecine. - Concernant les agences de programme, il faut savoir que les principaux outils visibles au niveau de la paillasse sont les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Ceux-ci ont été lancés de manière très verticale, avec une certaine opacité dans la mise en oeuvre et les choix stratégiques. On peut l'accepter dans la mesure où il s'agit de politiques nationales ; l'État est en droit, dans ce cadre, de décider de prioriser diverses thématiques (la santé des femmes, l'antibiorésistance, etc.). Le problème, vu du terrain, vient d'une certaine incohérence avec d'autres programmes, parfois orthogonaux, parfois parallèles. Il est très difficile pour les chercheurs de s'y retrouver. On observe également une certaine opacité dans les évaluations, bien qu'elles soient de standard international.
Je souhaite aussi mettre l'accent sur le désintérêt des chercheurs français pour les fonds européens. Il est par exemple beaucoup plus rentable d'entrer dans un système de type PEPR que de participer à un consortium européen. Ainsi, l'argent injecté par la France dans le cadre de l'Europe ne revient pas nécessairement à ses chercheurs par la suite.
J'observe enfin une certaine déconnexion par rapport à la gouvernance générale des institutions. Il existe par exemple dans le domaine des PEPR des gouvernances parallèles aux gouvernances classiques des commissions ou des stratégies des EPST.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Votre présentation me laisse assez perplexe face à la dégradation de la recherche française, dans le secteur de la biologie-santé, mais aussi certainement dans d'autres domaines.
La question des agences de programme est centrale. La commission des finances de l'Assemblée nationale a demandé à la Cour des comptes un travail d'enquête sur une première évaluation de la mise en place de ces structures. Il s'agit selon moi d'une structure supplémentaire, qui ne concourt absolument pas à la simplification de la politique publique en matière de recherche.
Je partage totalement votre constat de la dualité entre consortiums européens et PEPR et d'une concurrence qui affaiblit parfois la recherche. Il est édifiant de noter, dans le rapport de la Cour des comptes présenté hier devant la commission des finances de l'Assemblée, le passage consacré au financement européen de la recherche, qui montre combien la recherche française est à la traîne. Il faut savoir que la France contribue à hauteur de 17,5 % au budget d'Horizon Europe et n'en « récupère » que 11 %. Ceci correspond chaque année à un « manque à gagner » de 800 millions d'euros, largement supérieur à celui de la trajectoire de la loi de programmation pour la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030, ne serait-ce que pour l'année 2025. Ceci traduit selon moi un défaut de simplification, mais surtout d'unification administrative entre le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) sur les fonds européens, le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) sur les fonds des PIA et de France 2030, et la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI). Cet écosystème amoindrit l'autonomie des établissements pour porter ces projets et les multiples conditions posées se font au détriment de la recherche française.
Je partage donc votre constat et espère que nous pourrons collectivement, au sein du Parlement, créer de meilleures conditions pour la recherche française, notamment en matière d'attractivité. La France n'est aujourd'hui absolument pas attractive pour nos jeunes chercheurs.
Nous savons que l'autonomie des établissements universitaires connaît actuellement un acte II, avec une première expérimentation conduite dans neuf d'entre eux, qui mettent en place depuis juillet 2024 différentes mesures en ce sens. Avez-vous bénéficié de retours d'expérience ? La trajectoire actuelle vous semble-t-elle suffisamment ambitieuse pour répondre à l'ensemble des objectifs fixés ?
M. Arnold Migus. - Je trouve logique qu'une telle expérimentation visant au renforcement de l'autonomie des universités soit conduite dans les établissements reconnus à l'échelle internationale pour leurs recherches et disposant d'un caractère unifié dans leur ville d'implantation.
M. Bruno Clément. - Nous ne disposons que de très peu d'informations sur cette expérimentation. Il nous apparaît important de veiller à ne pas dissocier cette évolution des CHU. Il convient par conséquent de revoir la gouvernance de ces derniers. Il n'est pas possible d'envisager une autonomie pleine et entière des universités en négligeant cet élément. L'Académie nationale de médecine plaide pour une « réuniversitarisation » de la gouvernance des CHU. La santé est de plus en plus pluridisciplinaire : elle va de la chimie et de la biologie jusqu'à l'intelligence artificielle. Il est donc nécessaire de constituer un ensemble cohérent, de ne pas séparer ces différents éléments.
M. Arnold Migus. - Nous défendons l'idée que les sites universitaires doivent disposer de la pleine gestion des laboratoires qu'ils abritent. La deuxième phase d'expérimentation consiste à aller vers une délégation totale de gestion des organismes lorsqu'il s'agit d'unités mixtes au niveau des universités, pour obtenir un aspect unifié, avec une seule structure de valorisation. Toutes les universités n'en sont peut-être pas capables, mais il est important de démontrer qu'un tel mouvement est possible dans les principaux établissements, afin d'aller au-delà et de réunir la totalité de la gestion de la recherche en leur sein.
M. Arnaud Saint-Martin, député. - Ma première question porte sur les modalités concrètes et opérationnelles de la simplification et de la débureaucratisation que vous appelez de vos voeux. Quelles agences imagineriez-vous supprimer ou entraver dans leur fonctionnement ? Il importe selon moi d'être prudent, dans la mesure où la fusion d'entités peut parfois conduire à des structures hétéronomes encore plus bureaucratiques que celles qu'elles sont censées remplacer.
Je m'interroge notamment, s'agissant du domaine des sciences, sur la formule de la holding, qui renvoie plutôt au secteur de la finance. Une telle structure irait davantage dans le sens d'une complexification et d'un alourdissement bureaucratique de l'action publique que d'une simplification.
Vous avez évoqué les start-up. Comment encourager leur création et leur intervention ? Comment contrôler leur développement ? J'ai pu observer, dans le domaine spatial, que beaucoup de capital-risque avait financé des promesses complètement déraisonnables et que de l'argent avait ainsi été dilapidé, y compris en France. Ne voyez-vous pas un danger à aller dans cette direction ? Du point de vue du fonctionnement, une start-up est en effet avant tout un véhicule financier, visant à monter en échelle, attirer du capital privé et du capital investissement après les phases d'amorçage. Il s'agit donc essentiellement de monétiser sur de la science, de la recherche, en s'appuyant sur des applications susceptibles de générer assez rapidement de l'argent et permettre ainsi de passer au stade supérieur. Je tiens à alerter sur le danger qu'il y aurait à mes yeux à trop s'engager dans cette voie, s'agissant de la santé humaine, sujet d'intérêt général supposant un contrôle suraigu. La question est d'autant plus cruciale que de l'argent public vient souvent amorcer ces solutions.
M. Arnold Migus. - Concernant la fusion des institutions de valorisation au niveau local ou national, il apparaît que les jeunes qui souhaitent lancer des start-up et veulent acheter des brevets se plaignent, tout comme les entreprises de taille plus importante, du temps passé à mettre d'accord les différentes tutelles des laboratoires, chacune disposant de sa propre organisation et d'un département de valorisation spécifique. Ceci constitue assurément un frein. L'idée de disposer d'une seule structure décisionnelle ne peut que favoriser la débureaucratisation du système.
Le principe de la holding est inspiré du Royaume-Uni, où une loi a, en 2019, institué le regroupement dans une holding de l'ensemble des research councils, dont certains fonctionnaient comme des agences de financement, tandis que d'autres disposaient également de laboratoires en propre. La structure ainsi créée étant la seule à détenir la personnalité morale, ceci aboutit à une simplification du dispositif. En France, les statuts des personnels des EPST sont les mêmes, ce qui rendrait un tel regroupement envisageable. Il faut savoir par ailleurs que le CNRS fonctionne déjà en partie comme une holding, puisqu'il est composé de différents instituts. Il s'agirait d'étendre cette organisation en regroupant les EPST actuels, qui perdraient ainsi leur personnalité morale. L'idée serait en outre de ramener l'ensemble des personnels au niveau de la holding, comme cela a été fait, dans un autre secteur, pour la SNCF. Ceci permettrait d'apporter une certaine fluidité dans la circulation des personnels entre les laboratoires des différents organismes.
De telles évolutions doivent évidemment être discutées et ne pas être imposées de façon descendante : il faut y associer les organismes, les chercheurs et l'ensemble des personnels. Je trouverais dommage de rejeter d'emblée cette idée au motif que le mot « holding » puisse sembler mal choisi.
Concernant les start-up, les fonds de capital-risque sont là pour risquer. Ils subissent tantôt des pertes, tantôt des bénéfices, mais j'observe qu'ils s'y retrouvent globalement, que ce soit en France ou aux États-Unis.
Il faut évidemment veiller au bon emploi de l'argent public. Je note que la Banque publique d'investissement n'est pas en difficulté et sait estimer ce qui mérite d'être financé.
M. François Baccelli. - Il est très important de veiller à ce que les PEPR ou les agences de programme en cours de constitution aboutissent effectivement à renforcer la recherche en France. Le fait que ces structures soient confiées à des organismes en compétition les uns avec les autres peut en effet conduire à ce que certains groupes soient exclus au motif qu'ils ne font pas partie de l'organisme porteur du PEPR ou de l'agence de programme concernés. Je perçois là un danger syntaxique majeur et pense qu'il faudrait prévoir un mécanisme permettant de vérifier au cours de l'évolution des PEPR et des agences l'existence d'une démarche vertueuse bénéficiant de manière inclusive à la communauté. Ce point me paraît essentiel.
M. Bruno Clément. - Je pense que le système des start-up est vraiment indispensable dans l'innovation, car il permet une prise de risque partagée entre l'État et les capitaux-risqueurs. Soutenir les start-up n'est pas aussi coûteux qu'on l'imagine. L'État a effectué un effort constant en ce sens au cours des vingt dernières années, depuis la loi Allègre. Le système des start-up permet de passer de la connaissance à l'innovation, la question étant de savoir où placer le curseur. En tant que chercheur académique, je suis payé pour créer de la connaissance, mais aussi de l'innovation. Les start-up permettent cela. La mixité de financement offre la possibilité d'une prise de risque nécessaire au développement d'innovations. Le site de Boston compte ainsi environ 600 start-up en biotech (soit autant que l'ensemble du territoire français), avec certes une mortalité et un turnover très élevés, mais parfois quelques succès comme Moderna, qui a produit le vaccin contre le covid. Une réunion s'y tient tous les vendredis avec les capitaux-risqueurs. Il ne faut pas avoir peur du risque. Cela coûte un peu d'argent, mais beaucoup moins que d'autres investissements, et peut être très rentable à terme.
Mme Laure Bally-Cuif, Académie des sciences. - Je vous remercie, M. Migus, pour ce rapport remarquable et souhaite soulever un point qui y figure mais n'a pas été discuté ce matin. Il a en effet été question de modifications structurelles du paysage de la recherche, qui m'apparaissent indispensables, mais pas de l'aspect humain. Une fois que l'organisation aura évolué, encore faudra-t-il que de jeunes chercheurs aient envie de faire de la recherche en France. Il me semble donc fondamental d'augmenter l'attractivité du métier. Il est très difficile de trouver des étudiants désireux de s'engager dans une thèse et quasiment impossible de recruter des post-doctorants. Le salaire d'un chercheur en France est indigne et permet à peine de vivre à Paris. Tant que la carrière du chercheur n'aura pas été revalorisée pour rendre ce métier attractif, la situation de la recherche française n'évoluera pas au niveau européen et international, même si l'on modifie les institutions et l'infrastructure.
M. Patrick Netter. - L'attractivité du métier et la prise en compte du chercheur lui-même, dans sa carrière et son évolution, sont en effet des points extrêmement importants pour garder nos meilleurs chercheurs en France et attirer des chercheurs étrangers. Il s'agit pour nous d'un vrai sujet de préoccupation. Nous observons en effet que nombre de nos excellents chercheurs partent à l'étranger, dans d'autres pays européens ou aux États-Unis. Il est essentiel de trouver des solutions. Le rapport y incite fortement, mais le plus important est de passer aux actes, ce que nous nous efforçons de faire.
M. Arnold Migus. - Ce point est évidemment essentiel et je n'ai omis de le mentionner que faute de temps. J'observe qu'il devient également difficile de recruter des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH), dont le salaire est pourtant supérieur à celui des chercheurs, alors qu'il y avait auparavant pléthore de candidats. Ce problème est donc commun à l'ensemble des domaines de la science. La LPR avait, me semble-t-il, commencé à engager une amélioration de l'attractivité du domaine. Il faut définir ce qu'il est possible de faire d'un point de vue légal. Dans un contexte de fonctionnariat, il n'existe en effet que peu de possibilités, si ce n'est par le biais des primes. Les chercheurs des EPST sont en effet alignés sur les conditions matérielles régissant la fonction publique.
M. Bruno Clément. - Il est fréquemment question du déficit d'attractivité, mais j'observe plutôt en réalité une perte du savoir. La science relève en effet du compagnonnage, non de la transmission par télétravail : il faut être auprès des jeunes chercheurs pour leur transmettre les connaissances. Or du fait du rabotage des crédits, des pans entiers de certaines disciplines sont en train d'être perdus, ce qui contribue à l'accélération du phénomène, un véritable cercle vicieux.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Concernant la LPR, je vous rappelle que le Sénat avait souhaité concentrer l'effort sur sept ans au lieu de dix. La LPR a néanmoins contribué à revaloriser le profil de chercheur, même si cela demeure insuffisant.
Je vous remercie d'avoir répondu en aussi grand nombre à notre invitation et je suis convaincu que ce rendez-vous avec les Académies deviendra annuel, dans le cadre de notre partenariat.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo, qui est disponible en ligne sur le site de l'Assemblée nationale.
La réunion est close à 12 h 35.