- Mercredi 22 janvier 2025
- Proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiant - Examen du rapport et des textes de la commission
- Proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants - Suite de l'examen du rapport et des textes de la commission
Mercredi 22 janvier 2025
- Présidence de M. Marc-Philippe Daubresse, vice-président -
La réunion est ouverte à 8 h 00.
Proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiant - Examen du rapport et des textes de la commission
M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Nous commençons l'examen de deux textes importants, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants, dont nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain sont les coauteurs.
M. Étienne Blanc, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique. - Ces textes font suite aux travaux de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Lorsque nous avons entamé nos travaux, nous savions que la situation était préoccupante. L'actualité apportait déjà son lot de règlements de comptes et de saisies records, et nous pensions donc savoir à quoi nous en tenir. Je peux cependant vous le dire aujourd'hui : nous sous-estimions la réalité quand nous avons ouvert ce dossier.
Chaque jour amène de nouvelles preuves des ravages que crée le trafic dans nos territoires, jusqu'aux plus ruraux. L'actualité la plus immédiate nous alerte sur une affaire de corruption dans nos centres pénitentiaires ainsi que sur la pression qu'imposent des bandes organisées sur la puissance publique.
La menace que le trafic de stupéfiants crée dans notre pays n'est pas seulement grave, elle est devenue existentielle et fragilise nos institutions. Par la violence, et même souvent par la torture, les trafiquants terrorisent des quartiers entiers. Ils font régner une « loi du silence », dont la sanction est simple pour qui la viole : la mise à mort. L'argent de la drogue est injecté dans l'économie légale, parfois sans même avoir été blanchi. Le « chiffre d'affaires » annuel du trafic dans notre pays est évalué à 6 milliards d'euros, et nous estimons à quelque 200 000 personnes le nombre de ceux qui travaillent dans ces réseaux.
Nous sommes aujourd'hui à un point de bascule. Nous sommes au bord d'un vertigineux précipice, et nous constatons, hélas, que la riposte n'a que trop tardé ou qu'elle n'a pas été à la mesure. La situation de nos voisins belges ou néerlandais nous montre qu'il est grand temps de prendre les choses en main avec vigueur. Aux Pays-Bas et en Belgique ont été assassinés des journalistes, des avocats ; des pressions ont même été exercées sur la famille royale du premier de ces deux pays. Voulons-nous revivre le drame que nous avons connu en 2023 à Marseille avec 49 morts ou voir encore des agents pénitentiaires froidement abattus pour permettre l'évasion d'un trafiquant ?
Certes, la loi ne pourra pas répondre à toutes les difficultés. Notre rapport évoque de nombreux sujets qui n'ont pas pu être intégrés aux textes que Jérôme Durain et moi-même avons déposés. Je pense, par exemple, à la question de nos coopérations internationales, avec la faiblesse du nombre des extraditions qui interviennent depuis l'Émirat de Dubaï ou le Maroc, et avec les difficultés qui se font jour lorsqu'il s'agit de récupérer l'argent du narcotrafic dans un certain nombre de pays qui s'y opposent.
Nos policiers, gendarmes, douaniers, agents pénitentiaires, magistrats et greffiers, qui pourtant effectuent un travail exemplaire, nous ont dit à plusieurs reprises avoir le sentiment de « vider l'océan à la petite cuillère ».
Je veux aussi avoir une pensée particulière pour nos territoires d'outre-mer. Quand nous nous protégeons sur le sol européen, la drogue reste stockée dans ces régions des Caraïbes qui subissent une pression infernale, la drogue apportant son cortège de violence et de trafics d'armes.
La commission d'enquête a dressé le portrait d'une « France submergée par le narcotrafic », notamment sous l'effet de la démocratisation de la cocaïne. C'est en effet par la cocaïne que se sont importées sur notre sol les techniques des cartels sud-américains ; c'est aussi la forte rentabilité de ce produit qui a fait exploser l'attrait économique du trafic pour des réseaux de plus en plus nombreux et prêts à tout pour gagner des « parts de marché ».
S'ils sont privés de morale, les narcotrafiquants ne sont toutefois pas dénués d'ingéniosité, bien au contraire. Ils sont d'autant plus dangereux que leur faculté d'adaptation est particulièrement aiguë : c'est ce que montre le phénomène d'« ubérisation » des trafics, qui s'est développé lors du confinement de 2020 pour contourner les restrictions de circulation.
C'est aussi ce que prouvent les tactiques qu'ils déploient pour échapper à la répression. Gardons à l'esprit que des systèmes autonomes de messagerie cryptée, avec des terminaux spécifiques et des abonnements hors de prix, ont été montés de toutes pièces par les trafiquants pour passer « sous les radars » et éviter les poursuites.
N'oublions pas aussi qu'ils sont suffisamment informés, et suffisamment cyniques, pour exploiter toutes les failles de notre droit, par exemple en réduisant en esclavage les « petites mains », celles des mineurs, qui offrent le double avantage de la vulnérabilité et d'une responsabilité pénale atténuée. Et ne perdons pas de vue leur inquiétant pouvoir de corruption : on nous a, par exemple, expliqué que, à Anvers, les trafiquants repéraient les étudiants fragiles dès leur entrée à l'université et leur offraient un soutien financier pendant toute la durée de leurs études, en misant sur ceux qui avaient à la fois le plus de difficultés, mais aussi le plus de chances, quelques années plus tard, d'occuper des postes à responsabilités, notamment dans le port de la ville, espérant en récupérer dans le futur un dividende... Il y a là une question qui ne se résume pas à l'intégrité personnelle : ceux qui n'auront pas donné prise à l'appât du gain céderont face à la menace, face à la violence - en fait, face à la peur.
Je présenterai quelques lignes de force de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
Son titre Ier concerne l'organisation des acteurs de la lutte. Il met en place deux chefs de file : un Office anti-stupéfiants (Ofast) renforcé, pour les services d'enquête, et un nouveau parquet national anti-stupéfiants (Pnast) du côté de l'autorité judiciaire. Je soutiens la volonté affichée par les rapporteurs d'aller plus loin sur ce second point en créant un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) : cette évolution me paraît nécessaire au vu de l'intrication entre le trafic de stupéfiants et les trafics d'armes, de véhicules, d'êtres humains ou le proxénétisme.
Le titre II est relatif au blanchiment. Il prévoit, entre autres, de faciliter la fermeture administrative, par simple décision préfectorale, de ce que nous appelons les « blanchisseuses ». J'ai déposé des amendements pour faciliter l'usage des fichiers par les services qui luttent contre le blanchiment, pour conforter les prérogatives de Tracfin et pour interdire, en anticipant la réglementation européenne, les « mixeurs » de cryptoactifs. J'espère que la commission acceptera d'adopter des amendements qui me semblent de bon sens.
Le titre III porte sur le renseignement administratif. Nous avons notamment proposé que le renseignement algorithmique puisse être expérimenté en matière de criminalité organisée pour apporter - enfin ! - une réponse aux phénomènes « Uber shit » et « Uber coke », c'est-à-dire à la commande de stupéfiants par le biais de messageries cryptées avec livraison à domicile. Je suis attaché à la forme expérimentale de ce dispositif, car je souhaite que le Parlement se dote des moyens de procéder à une véritable évaluation. L'outil est innovant, il comporte indéniablement des risques, mais il est parfaitement utile et mérite de retenir l'attention.
Le titre IV concerne le droit pénal et crée de nouvelles infractions pour mieux lutter contre le narcotrafic. Je suis convaincu que nous devons, comme le prévoit l'article 10 de notre texte, mieux sanctionner ceux qui recrutent les « petites mains », les « jobbeurs », en les soumettant à des sanctions exemplaires. Nous devons aussi apporter une réponse adaptée au phénomène des « mules », là encore pour tenir compte de la situation de nos outre-mer : c'est l'objectif poursuivi au travers de l'article 11 de la proposition de loi.
Le titre V traite de la procédure pénale. Il est particulièrement dense, et je me concentrerai sur un seul point, même si tous sont importants : je vous parlerai du procès-verbal distinct.
Avocat de formation, je suis attaché, comme vous l'êtes tous, à l'égalité des armes et au principe du contradictoire. Mais il y a des circonstances dans lesquelles, justement pour garantir cette égalité, notre procédure doit connaître des aménagements. Aujourd'hui, certaines techniques spéciales d'enquête ne sont pas employées par nos forces de police, de peur de « donner des billes à l'adversaire », comme nous l'a dit l'une des personnes auditionnées par la commission d'enquête. Cela n'est pas acceptable.
Il ne me paraît pas utile de verser au contradictoire des éléments qui, d'une part, ne constituent pas en eux-mêmes des preuves et qui, d'autre part, créent un risque mortel pour les témoins ou les informateurs, ou révèlent les caractéristiques techniques de nos outils les plus sophistiqués, ce qui permet ensuite aux réseaux criminels d'y échapper. Je crois même dangereux de rendre publics des éléments essentiels pour les forces de sécurité intérieure, dès lors qu'ils n'apportent strictement rien aux débats sur la culpabilité de la personne ou sur la conduite de l'enquête. Enfin, à trop vouloir limiter les possibilités de notre procédure pénale, on nourrit le populisme, on donne le sentiment d'une naïveté ou d'une impuissance de la justice et, par voie de conséquence, on laisse prospérer des envies autoritaires - les messages à ce titre ne manquent pas.
Les rapporteurs proposent une réécriture de l'article 16, à laquelle j'adhère sans réserve. Je me bornerai, pour ma part, à vous proposer de clarifier les modalités d'autorisation du recours à la géolocalisation, dans la droite ligne des conclusions de la commission d'enquête.
Le titre VI est relatif à la lutte contre l'emprise du trafic et notamment contre la corruption, qui est devenue un véritable fléau par lequel le narcotrafic s'attaque à nos institutions. Je ne doute pas que vous soutiendrez l'article 22, qui permet un renforcement substantiel de notre capacité à la détecter et à la prévenir. J'espère que vous pourrez également adopter l'amendement que j'ai déposé et qui tend à intégrer la corruption au régime de la criminalité organisée lorsqu'elle est liée à cette criminalité.
Le même titre permet de lutter contre les autres formes d'emprise du trafic, qui a marqué de son empreinte les prisons. Les greffes ont parfois laissé passer des délais de réponse à des demandes de mise en liberté. Avec l'article 23, il vous est proposé de mieux encadrer l'examen de ces demandes. Le trafic de stupéfiants a également pris en otage certains quartiers : pour en protéger les habitants, pour ne pas laisser les trafiquants libres d'y recruter et d'exploiter des « petites mains » parmi les jeunes, souvent en déshérence, nous souhaitons permettre l'éloignement des délinquants.
En conclusion, je citerai l'écrivain et spécialiste de la drogue, Don Winslow. Ses romans, même s'ils sont des oeuvres de fiction, sont souvent cités en référence par les plus fins connaisseurs du sujet. Dans son livre La Frontière, reprenant les propos de Hobbes, il écrit que « L'enfer, c'est la vérité vue trop tard ». Faisons aujourd'hui oeuvre de lucidité en apportant des réponses à la hauteur des enjeux : les citoyens nous le demandent.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Étienne Blanc a, avec beaucoup de justesse, rappelé l'état dramatique de la menace que le narcotrafic fait peser sur notre pays. Tous nos territoires sont désormais touchés par ce trafic, y compris les villes moyennes et les campagnes. Les collectivités territoriales d'outre-mer, quant à elles, payent un lourd tribut du fait de leur proximité avec les zones de production ; nul, ici, ne l'oublie.
Au nom de tous les membres de cette commission, je salue à mon tour l'action exemplaire des acteurs de la lutte contre le narcotrafic : ceux de la police judiciaire, des services douaniers, des juridictions, des services de renseignement et des établissements pénitentiaires. Tous avaient été entendus par la commission d'enquête, et nous les avons à nouveau rencontrés dans le cadre de la préparation de l'examen de ces propositions de loi. Leur investissement est sans faille alors même qu'ils ont le sentiment, comme Étienne Blanc l'a rappelé, de « vider l'océan à la petite cuillère » devant une emprise tentaculaire sur laquelle nous ne disposons, pour l'instant, que de moyens de lutte extrêmement restreints.
Je rendrai également hommage aux élus locaux - notamment aux maires -, qui sont confrontés quasi quotidiennement au narcotrafic et à l'insécurité qu'il sème. À Mâcon, la lutte de territoires entre narcotrafiquants a mis le feu à un quartier et les journaux titraient à cette occasion que le maire se retrouvait sous la pression des narcotrafiquants. La menace est réelle, car un narco-État c'est cela : la pression et la corruption. Il ne faut pas la prendre à la légère. L'enjeu face à ces textes est précisément la mise en place d'outils à la mesure du danger, sans pour autant sacrifier les principes qui sont les nôtres.
Les propositions de loi dont nous sommes saisis font donc suite aux travaux de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France. Cette commission a fait date, et notre institution peut s'en enorgueillir : la qualité de son rapport a été saluée par tous, de même que la pertinence de ses préconisations. Ce rapport a été adopté à l'unanimité des membres de la commission d'enquête, et j'ai espoir que nous gardions le même état d'esprit de concorde, de pragmatisme et d'efficacité quand il s'agira d'en concrétiser les recommandations.
L'objet et, par conséquent, le périmètre de ces propositions de loi sont étendus. La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic concerne des sujets aussi divers que l'organisation des « chefs de file » des services qui luttent contre le narcotrafic, la lutte contre le blanchiment, le renseignement, le droit pénal, la procédure pénale et l'emprise des trafics dans nos prisons et dans nos territoires. Ses vingt-quatre articles, pour certains très denses, portent sur des sujets complexes, techniques, voire arides.
Il nous appartient, en responsabilité, de ne pas ajouter à ce programme déjà très ambitieux des mesures qui n'auraient pas de lien avec le sujet qui nous occupe. C'est pourquoi, en tant que rapporteurs, nous vous proposerons d'écarter tous les amendements qui sortent du périmètre, déjà large, retenu par les auteurs de la proposition de loi, sans préjudice de leur intérêt ou de leur importance sur le fond. Je pense notamment aux amendements qui porteraient sur le trafic de produits légaux, sur la délinquance de droit commun ou sur la consommation de stupéfiants. La proposition de loi porte sur la répression du narcotrafic et des formes graves de criminalité organisée.
J'en viens au contenu du texte.
Son titre Ier comporte deux articles.
Le premier est relatif au renforcement de l'Ofast, le second à la création d'un parquet national anti-criminalité organisée, ou Pnaco.
L'Ofast constitue depuis 2020 une pièce maîtresse de notre dispositif de lutte contre le narcotrafic. Il n'a toutefois pas réussi, comme l'a montré la commission d'enquête, à exercer pleinement sa vocation interministérielle. L'article 1er permet donc de consolider les conditions d'exercice, par l'Ofast, de son rôle de chef de file. À cette fin, il tend à repositionner l'Office, relevant jusqu'ici de la seule direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et du ministère de l'économie et des finances. L'article lui confère également des prérogatives nouvelles, notamment un monopole sur les enquêtes judiciaires relevant du « haut du spectre » de la criminalité organisée, c'est-à-dire les infractions les plus graves.
Nous vous proposerons d'adopter cet article, qui répond à une recommandation structurante de la commission d'enquête. Les amendements que nous vous soumettrons visent, d'une part, à mieux délimiter les nouvelles prérogatives judiciaires de l'Ofast, en cohérence avec celles du futur parquet national, et, d'autre part, à différer l'entrée en vigueur du dispositif, de façon à laisser aux services concernés le temps d'adapter leur organisation à cette réforme.
À l'article 2, nous vous proposerons, en accord avec Étienne Blanc, d'aller plus loin que ce que prévoit la proposition de loi. En lieu et place de la création d'un Pnast, nous vous présenterons en effet un amendement créant un Pnaco, afin de tenir compte des liens extrêmement étroits qui existent entre le trafic de stupéfiants et les autres trafics. C'est un choix ambitieux, qui supposera plusieurs aménagements par rapport au dispositif initial.
Ce Pnaco sera appelé à connaître de tous les dossiers lourds de criminalité organisée, mais il ne disposera pas d'un monopole aussi étendu que celui qui était envisagé pour le Pnast. Nous souhaitons recentrer ce monopole sur les crimes les plus graves, tout en donnant au Pnaco les moyens de ses ambitions grâce à un pouvoir d'évocation inédit : non seulement il pourra se saisir de toute affaire pour laquelle l'action publique n'a pas encore été mise en mouvement, mais il pourra de plus demander à se voir attribuer tous les dossiers déjà en cours de traitement qui lui sembleraient relever de sa compétence. Nous avons prévu un mécanisme de départage, du point de vue tant de la compétence territoriale que de la compétence matérielle, entre le Pnaco et les autres juridictions - les parquets locaux et les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), à la compétence plus étendue que les premiers. Le Pnaco sera par ailleurs investi d'un pouvoir de coordination sur l'ensemble de ces juridictions, avec l'idée, comme cela a pu être le cas en matière de terrorisme, de se mettre en ordre de marche dans la lutte contre le narcotrafic.
Les Jirs ne seront pas dévitalisées par cette création : nous les dotons au contraire de la capacité d'être informées, afin qu'elles puissent se saisir des infractions relevant de leur compétence.
En bref, nous créons une chaîne cohérente au sein de l'autorité judiciaire, avec, pour chaque maillon, un rôle bien défini, au service d'un objectif commun - la lutte contre la criminalité organisée - et avec un chef d'orchestre.
La proposition de loi organique que nous examinons par ailleurs doit précisément permettre de créer le statut du procureur national, sur le modèle des deux procureurs nationaux existants, à savoir le procureur national antiterroriste (Pnat) et le procureur national financier (PNF).
Le titre II est relatif à la lutte contre le blanchiment des revenus issus du narcotrafic. Il traduit un volet phare du rapport de la commission d'enquête, qui appelait à « frapper enfin les narcotrafiquants au portefeuille », le narcotrafic étant une infraction uniquement motivée par l'appât du gain.
L'article 3 prévoit cinq dispositifs distincts visant, selon les cas, à renforcer les obligations imposées aux personnes soumises aux règles de lutte contre le blanchiment, à faciliter l'accès des services compétents aux informations pertinentes ou à donner à l'administration la possibilité de fermer temporairement les commerces suspectés de servir de « blanchisseuses », ces commerces où l'argent du narcotrafic peut être blanchi. L'amendement proposé par Étienne Blanc sur ces sujets relativement consensuels permettra de sécuriser juridiquement ces dispositifs ou de les étendre pour répondre à des besoins opérationnels. Pour notre part, nous avons intégralement réécrit le dispositif de fermeture administrative des « blanchisseuses », dont nous avons constaté qu'il était particulièrement attendu par les maires.
L'article 4 concerne la systématisation des enquêtes patrimoniales engagées à l'occasion des enquêtes judiciaires et la création d'une nouvelle procédure d'injonction pour ressources inexpliquées. En ce qui concerne l'injonction, il nous semble nécessaire de la cantonner aux dossiers liés à la criminalité organisée pour garantir sa conformité à la Constitution. Quant aux enquêtes patrimoniales, si elles paraissent effectivement utiles - notre commission des lois y a récemment travaillé à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi sur les saisies et confiscations, dite « Warsmann » -, leur systématisation n'est, à l'issue des auditions, pas parue pertinente.
L'article 5 crée un dispositif judiciaire de gel des avoirs des narcotrafiquants. Nous estimons que celui-ci peut aller de pair avec un gel administratif et nous avons déposé un amendement en ce sens.
Le titre III intéresse la montée en puissance du renseignement administratif.
L'article 6 étend les dispositifs de partage d'information existants entre l'autorité judiciaire et les services de renseignement. Nos collègues de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) nous proposent d'en réduire quelque peu le champ d'application, sans en remettre en cause l'efficacité.
L'article 7 consacre les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), créées par la pratique. Nous n'y sommes pas opposés, ne serait-ce que pour renforcer l'assise de ces structures encore en phase de développement et pour favoriser l'association des parquets.
Enfin, l'expérimentation de l'usage du renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée, prévue par l'article 8, nous semble de bon aloi. Sa mise en oeuvre supposera évidemment une implication renforcée de la DPR, dont les membres proposent par ailleurs de préciser ses modalités.
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique, rapporteur. - Je voudrais dire un mot sur les modalités d'élaboration, assez inhabituelles, de ces propositions de loi. Plusieurs gouvernements successifs ont en effet consenti à ce que nous modifiions par la voie parlementaire des sujets d'une importance majeure qui touchent au coeur des missions de l'État. Cela nous a conduits à une démarche de coconstruction, qui prend appui sur le travail de la commission d'enquête. Nous avons procédé à des modifications point après point, dans des domaines d'une grande technicité. Dans le travail qui s'ouvre à présent, nous devrons veiller à maintenir l'équilibre toujours précaire entre sécurité et les libertés ; il nous faudra nous assurer que des mesures aux effets potentiellement puissants, en particulier en matière d'enquêtes, se cantonnent au strict domaine de la criminalité organisée et qu'elles ne tombent pas dans le droit commun.
Le titre IV de la proposition de loi porte plusieurs mesures visant à améliorer notre arsenal pénal, notamment pour mieux lutter contre le narcotrafic dans l'espace numérique.
L'article 9 permet d'élargir la définition et de renforcer la sanction de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs, qui pourra désormais être punie d'une peine criminelle lorsque les infractions préparées sont des crimes. Sur cet article, nous irons au bout de cette logique en vous présentant un amendement qui vise à inscrire dans notre droit, sur le modèle de la législation italienne « antimafia », une nouvelle infraction caractérisée par la simple appartenance à une organisation criminelle, afin de mieux appréhender la diversité des modes d'action et de fonctionnement de ces groupes.
Les articles 10 et 12 visent, quant à eux, à renforcer nos moyens d'action et de répression devant le phénomène d'ubérisation, bien mis en évidence par la commission d'enquête et qui contribue à expliquer le développement tentaculaire du narcotrafic sur l'ensemble de notre territoire.
Ces articles, que nous vous proposerons d'adopter, permettront d'abord de mieux caractériser et de sanctionner l'infraction consistant à publier sur une plateforme accessible aux mineurs, notamment sur les réseaux sociaux, une offre de recrutement dans le narcotrafic.
Ils permettront également d'étendre aux stupéfiants, les prérogatives dont dispose aujourd'hui la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) pour demander le retrait, le blocage d'accès à internet et le déréférencement de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique.
L'article 11 vise à adapter notre cadre judiciaire pour mieux lutter contre le phénomène des « mules ». À cette fin, il prévoit une mesure d'« hyper-prolongation » de leur garde à vue, de façon à permettre l'expulsion totale des substances ingérées. Il prévoit également la possibilité pour les juridictions de prononcer à leur endroit des peines complémentaires d'interdictions de vol ou de paraître dans les aéroports, afin de rendre ces personnes, pour leur protection, « inemployables » par les narcotrafiquants. Les amendements que nous vous proposerons sur ces articles tendent à les sécuriser juridiquement, en les encadrant davantage, notamment pour prévoir une durée maximale de 120 heures de la garde à vue ainsi prolongée.
Le titre V concerne la procédure pénale.
À l'article 13, les auteurs de la proposition de loi souhaitaient, pour écarter tout risque de pression sur les jurés, consacrer la compétence d'une cour d'assises composée de magistrats professionnels non seulement pour les infractions de narcotrafic, comme le prévoit déjà le droit en vigueur, mais aussi pour les infractions connexes. Nous vous proposerons d'aller plus loin en rendant la cour d'assises spécialement composée compétente pour l'ensemble des crimes commis en bande organisée, en pleine cohérence avec la création du Pnaco.
L'article 14 traite d'un sujet complexe, celui des « repentis ». On désigne par ce terme les collaborateurs de justice, c'est-à-dire les délinquants qui bénéficient d'une réduction de peine après avoir dénoncé leurs complices ou permis de faire cesser la commission d'une infraction. Le statut de ces « repentis » est reconnu par tous comme insuffisant, ainsi que l'a révélé la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic et que l'ont confirmé nos auditions. La proposition de loi prévoit une vaste réforme, à laquelle notre amendement vient apporter deux modifications.
D'une part, nous vous proposerons des mesures qui amplifient les effets du texte initial : il s'agira notamment de l'élargissement du champ matériel du « repentir » au trafic d'armes, ou encore de l'allégement de la procédure permettant aux repentis de bénéficier de certaines mesures de protection.
D'autre part, nous souhaitons mettre en place une véritable immunité de poursuites pour les délinquants dont les déclarations permettent de faire « tomber » un grand nombre de malfrats ou d'éviter la commission d'infractions extrêmement graves. La rédaction que nous vous soumettrons, inspirée du droit britannique, est assortie de garde-fous importants, comme un avis conforme d'une commission indépendante ou encore un monopole des magistrats spécialisés pour octroyer l'immunité.
L'article 15 concerne l'anonymat des policiers et des gendarmes affectés dans les services chargés de lutter contre la criminalité organisée. La réécriture que nous vous proposons est principalement formelle ; notre amendement permet par ailleurs d'étendre le régime envisagé aux douaniers et aux agents de l'État qui prennent en charge la lutte contre le trafic en haute mer.
Après l'article 15, nous présenterons un amendement destiné à permettre aux officiers de police et de douane judiciaires agissant sous identité d'emprunt - par exemple les infiltrés - de recourir à des hypertrucages, ou deep fakes, afin de dissimuler leur voix et leur apparence physique.
L'article 16, relatif au procès-verbal distinct, donnera certainement lieu à des débats nourris. Nos auditions nous ont convaincus de la nécessité de maintenir ce dispositif, essentiel pour protéger à la fois l'identité des personnes menacées - témoins, infiltrés, informateurs - et le fonctionnement de techniques d'enquête qui, s'il était rendu public, priverait les enquêteurs de toute possibilité de déployer les techniques concernées. Nous aurons l'occasion d'en débattre de manière plus approfondie au cours de l'examen des amendements ; sachez toutefois que nous vous proposerons des modifications qui permettent, à nos yeux, d'atteindre le juste équilibre entre la nécessaire confidentialité de certaines informations et la pleine garantie des droits de la défense.
L'article 17 concerne la notion d'« incitation à la commission d'une infraction », mieux connue sous le vocable de « provocation à l'infraction ». Aujourd'hui, la loi ne définit pas ce qu'est une provocation, ce qui est un problème à la fois pour les justiciables et pour les policiers agissant sous identité d'emprunt. L'article 17 prévoyait une définition très permissive, allant jusqu'à envisager que les infiltrés soient autorisés à inciter des tiers à la commission de certaines infractions. Pour écarter tout risque de censure constitutionnelle, nous vous proposerons de ne pas retenir ce point, mais de conserver l'idée selon laquelle on ne provoque pas la commission d'une infraction lorsque l'on ne fait que contribuer à la poursuite d'un délit déjà préparé ou engagé. Cette précision n'a rien d'anecdotique : elle sera un gage de sécurité juridique pour les services d'enquête.
L'article 18 porte sur les « coups d'achat », c'est-à-dire sur la faculté que la loi donne aux policiers et aux gendarmes d'acquérir des produits stupéfiants pour mettre au jour les réseaux de narcotrafic. Les évolutions envisagées vont dans le bon sens ; nous vous proposerons deux amendements permettant d'en accroître la portée.
L'article 19 traite d'un sujet sensible, à savoir le statut des informateurs - ou « indicateurs » - et des officiers qui interagissent avec eux. Sans nous interdire d'autres évolutions en vue de la séance publique, nous avons surtout souhaité préciser les conditions de l'« infiltration civile », dont la création est envisagée dans la proposition de loi.
Cette nouvelle forme d'infiltration permettrait aux informateurs, sur autorisation du Pnaco, de devenir les yeux et les oreilles de la police dans les réseaux criminels qu'ils fréquentent, en échange d'une rétribution ou d'une réduction de peine. On nous a fait valoir, au cours des auditions, que ce système pouvait être utilisé par des délinquants pour faire « tomber » la concurrence. En effet, les informateurs ne sont pas des anges et on ne peut pas exclure qu'ils tentent de manipuler la police. Pour parer à ce risque, nous vous proposerons d'imposer aux « infiltrés civils » de témoigner de ce qu'ils auront constaté et de prévoir que, s'ils refusent, ils perdront les avantages qui auront pu leur être promis ou consentis.
L'article 20 vient réformer le régime des nullités de procédure. Les nullités ne sont jamais dolosives : elles sont prononcées lorsqu'une formalité substantielle a été violée, donc lorsqu'il y a eu une atteinte aux droits de la personne mise en cause. À l'inverse, et comme la commission d'enquête l'a montré, il peut y avoir un usage déloyal de la procédure de traitement des nullités, c'est-à-dire la présentation de requêtes aux seules fins de saturer les chambres de l'instruction. Dans ce contexte, l'article 20 prévoit qu'une nullité ne pourra pas procéder d'une négligence ou d'une manoeuvre de la partie qui la soulève : ce n'est qu'un simple rappel du principe de loyauté.
Nous vous proposerons de maintenir, à ce stade, cette disposition. Nous vous présenterons par ailleurs un amendement visant à modifier la procédure d'examen des requêtes en nullité afin de prévenir tout dévoiement, sans pour autant porter atteinte aux droits des parties : il s'agit de limiter à trois mois le délai pour présenter des requêtes au cours d'une instruction judiciaire, de donner une force opposable à la transmission - déjà prévue par la loi - d'une copie de la requête au juge d'instruction et, enfin, de mettre en place un délai de cinq jours avant l'audience pour la présentation d'une requête en nullité.
L'article 21 étend les compétences de la justice française pour lutter contre le narcotrafic en haute mer. L'amendement que nous vous proposerons tend à en circonscrire la portée, pour assurer sa conformité aux normes internationales.
Les dispositions du dernier titre, le titre VI, visent à juguler l'emprise du narcotrafic sur les institutions, les prisons et dans les territoires.
L'article 22 porte une série de mesures visant à renforcer les moyens juridiques de la politique de lutte contre la corruption dans les administrations sensibles ainsi que dans les ports et aéroports, la pénétration des infrastructures de transport revêtant un caractère éminemment stratégique pour le trafic. À cette fin, il prévoit principalement la mise en place dans ces structures de points de contact uniques de signalement, une extension des mesures de criblage administratif préalable aux décisions concernant leurs agents et un dispositif de communication aux employeurs, par le ministère public, des décisions de condamnation ou de mise en examen les concernant. Les propositions que nous vous ferons tendront à améliorer le ciblage de ces mesures, soit pour les encadrer davantage, soit pour les renforcer de façon proportionnée eu égard à l'état de la menace.
Pour garantir la proportionnalité de l'article 23, nous vous présenterons un amendement substituant au doublement proposé de la durée de la détention provisoire en matière délictuelle, une augmentation de la durée du mandat de dépôt initial lorsque les faits relèvent de la délinquance organisée. Sur le sujet crucial de la sécurisation des demandes de mise en liberté, nous vous proposerons également plusieurs modifications procédurales supplémentaires visant à prévenir les libérations anticipées pour des motifs exclusivement procéduraux.
À l'article 24 enfin, il nous apparaît souhaitable de dissocier les dispositifs d'interdiction de paraître et d'expulsion locative, et de rehausser les garanties associées. En ce qui concerne l'expulsion locative, l'intervention de l'autorité judiciaire est évidemment indispensable. Nous vous présenterons un amendement en ce sens.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Merci aux deux rapporteurs pour leur considérable travail d'amélioration de la proposition de loi, qui aboutit, au moins formellement, à un résultat remarquable. Il me semble d'ailleurs curieux qu'il ait fallu que ce soit le Parlement qui se saisisse du sujet du narcotrafic, lequel, à l'évidence, mobilise l'ensemble de la société et des élus.
Des points ne figurent pas dans la proposition de loi, et j'en comprends la raison. Il nous faudra cependant un jour traiter des questions de santé publique, des consommateurs de stupéfiants et de la prévention.
De plus, nous savons que sans moyens budgétaires supplémentaires, nos propositions ne suffiront pas. Le procureur général près la Cour de cassation a, lors de la dernière rentrée solennelle de la juridiction, parlé d'embolie et évoqué les centaines de dossiers, y compris criminels, qui demeurent en attente d'audiencement ainsi que, dans ce contexte, les possibilités de mise en liberté avant jugement. Il nous faudra insister sur cet aspect et nous prémunir contre la tentation de compenser un manque de moyens par des réformes de procédure pénale.
À ce stade, le groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER) a déposé fort peu d'amendements. Nous formulerons sans doute des remarques, voire exprimerons des désaccords sur certains points, mais nous portons un regard globalement positif, quoique vigilant, sur ce texte.
M. Guy Benarroche. - Je salue le travail considérable que la commission d'enquête a effectué. Chacun présageait la teneur du bilan qu'elle a dressé, mais celui-ci ne s'en impose pas moins, soulignant le caractère central que le narcotrafic occupe dans notre société et la nécessité de mobiliser contre lui d'importants moyens.
La commission d'enquête a montré que les politiques menées jusqu'à présent, fondées essentiellement sur les chiffres, les saisies sur de petits dealers ou leur arrestation et des opérations sur la voie publique, à grand renfort de communication, avaient empêché de mener un travail efficace de lutte contre le narcotrafic et contre son emprise sur notre société. Elle a également montré que le narcotrafic, qui s'affranchit de toutes limites, est le nec plus ultra de la société capitaliste libérale mondialisée et que ses méthodes, en particulier d'évasion fiscale, font figure d'exemples pour d'autres secteurs d'activité, comme ceux de l'agroalimentaire ou de la distribution d'énergie.
S'il a été souligné que la lutte contre le narcotrafic devait faire l'objet d'une grande campagne nationale menée par l'État, la proposition de loi que nous examinons n'apporte qu'une réponse très partielle. Elle constituera certes un nouvel outil de cette lutte, mais un outil insuffisant. Rien n'y traite de la prévention, elle ne contient aucun plan pour les banlieues, c'est-à-dire aucune mesure permettant de préserver le « bas du spectre », la « réserve salariale ou prolétaire » - immense, car constituée de tous les précaires - d'une entrée dans le narcotrafic. Elle ne traite ni du volet sanitaire - cela impliquerait de se préoccuper des consommateurs, en particulier de ceux qui sont en situation d'addiction - ni du volet social - rappelons que les familles des victimes du narcotrafic, qui en sont aussi souvent des acteurs, formulent de nombreuses demandes ayant, par exemple, trait à l'habitat.
Le groupe Écologiste - Solidarité et territoires défendra néanmoins la plupart des mesures prévues dans la proposition de loi, tout en veillant au respect des libertés individuelles. Nous avons d'ores et déjà déposé un certain nombre d'amendements et nous en déposerons le cas échéant d'autres en séance en fonction des choix que la commission retiendra. Je regrette ici l'ajout d'un dernier article relatif à l'interdiction de paraître et à l'expulsion locative, qui, outre qu'il ne correspond nullement aux préconisations de la commission d'enquête et est totalement inopérant, me paraît attentatoire aux libertés. Nous ferons tout notre possible pour qu'il soit supprimé.
Mme Cécile Cukierman. - Je salue à mon tour la contribution des rapporteurs et observe que le travail collectif porte ses fruits. Cette méthode de travail n'est peut-être pas transposable à tous les textes, mais elle est à souligner à un moment où la vie démocratique de notre pays est fragilisée et où l'urgence du sujet commande d'agir et d'apporter des réponses.
Notre pays, comme tant d'autres en Europe et dans le monde, n'échappe pas au défi qu'impose le narcotrafic. Mais à la différence de certains autres pays qui ont déjà basculé dans d'immenses difficultés - ayons à l'esprit la situation qui a conduit le maire de Rotterdam à démissionner -, il a su maintenir des digues face à ce phénomène.
J'insisterai plus particulièrement sur trois points.
En premier lieu, j'entends l'argument d'efficacité du travail législatif qui suggérerait de circonscrire nos débats. Cependant, le narcotrafic qui, dans certaines communes, gangrène des quartiers entiers et touche nombre de familles repose sur bien d'autres réalités que celles que la proposition de loi aborde. C'est d'abord un enfant à qui l'on propose de respirer des fioles de protoxyde d'azote en échange d'une petite surveillance ou d'une petite indication ; puis à l'âge du collège, le service est rendu contre une cigarette transformée avec des substances totalement illicites. Ces pratiques ne coûtent guère au narcotrafic, mais lui rapportent beaucoup. Les maires des communes particulièrement confrontées à ce fléau le savent et refusent de distinguer les causes qui alimentent le narcotrafic. Ne pas retenir la même approche reviendrait à se nourrir d'une illusion.
En second lieu, il est un écueil que nous voulons éviter, et nous y serons vigilants. Les professionnels de notre pays, qu'ils soient avocats, agents pénitentiaires, douaniers, dockers ou contrôleurs dans les aéroports, représentent, dans leur grande majorité, un atout dans la lutte contre le narcotrafic, en première ligne de laquelle ils se trouvent souvent et dont ils sont aussi parfois les premières victimes - je pense au drame survenu il y a quelques années dans le port du Havre. Ne généralisons donc pas dans nos propos et notre travail la fréquence de comportements certes pernicieux, mais qui demeurent des exceptions.
Enfin, devant un trafic de stupéfiants d'envergure mondiale, nous ne pouvons que nous interroger sur nos relations diplomatiques empreintes de permissivité avec plusieurs États qui sont des lieux de production des matières premières de produits détruisant les vies de nombre de nos concitoyens.
M. André Reichardt. - Je m'associe aux félicitations adressées tant à la commission d'enquête qu'aux auteurs de la proposition de loi et aux rapporteurs.
Je m'interroge sur la méthode retenue pour nos travaux, qui concernent un sujet des plus transversaux : n'y aurait-il pas eu lieu de créer une commission spéciale sur cette thématique décisive, pour aller plus loin dans l'étude, ou à tout le moins de solliciter l'avis d'autres commissions ? À titre d'exemple, il n'est pas certain que la commission des lois soit la mieux à même de traiter des techniques mises en oeuvre dans le blanchiment des revenus issus du narcotrafic, objets du titre II du texte ; la commission des finances aurait pu s'en saisir. La commission des affaires économiques aurait également pu utilement intervenir.
M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Ces deux commissions ne l'ont pas demandé.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est dommage !
M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Pour autant, de prochains travaux de contrôle approfondiront le sujet et nos débats. La question de la coordination entre Ofast et les autres services de police se trouve notamment posée. La situation actuelle rappelle celle qui avait prévalu au moment de la création du parquet antiterroriste et du développement d'un nouvel arsenal dans la lutte contre le terrorisme.
M. André Reichardt. - La commission des affaires européennes aurait également pu traiter de la question du blanchiment. Une prochaine proposition de résolution européenne (PPRE) dont je serai le rapporteur vise précisément à examiner la possibilité de créer un fichier européen inspiré du fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba).
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie très sincèrement Étienne Blanc et Jérôme Durain du travail qu'ils ont réalisé afin de répondre à un problème majeur pour notre pays. L'enjeu en dépasse les clivages politiques.
Avant de poser la question des moyens disponibles, posons-nous celle de la volonté. Le présent texte affiche assurément une réelle volonté de prendre le problème à bras-le-corps et, à partir de ce constat, reconnaissons qu'il faudra des moyens pour y parvenir.
Je pense aux millions de personnes qui subissent au quotidien le narcotrafic et les effets du blanchiment d'argent. Nous avons parfois tendance à les oublier dans nos prises de parole politiques ou intellectuelles. La notion de liberté individuelle est certes au coeur de notre sujet quand autant de nos concitoyens, qui n'ont d'autre solution que de rester là où ils vivent, n'entrent ou ne sortent plus à leur guise de leur immeuble ni ne se déplacent sans crainte dans leur quartier. Ils vivent l'enfer et le blanchiment d'argent ne renvoie pas uniquement à la situation de grands narcotrafiquants fortunés. Soyons à la hauteur de l'espoir que nos concitoyens retrouveront peut-être avec ce texte.
Enfin, n'oublions pas qu'il existe derrière le narcotrafic un véritable problème de santé publique : les gamins qui, dans les quartiers, consomment du cannabis avec des taux de tétrahydrocannabinol (THC) désormais effarants deviennent rapidement des cas psychiatriques et vont très mal.
Mme Corinne Narassiguin. - Je précise que le groupe SER a déposé sur le titre Ier un amendement qui nous paraît important. La recommandation initiale de la commission d'enquête d'instaurer un Pnast, répondant à la nécessité d'une meilleure coordination du travail des services judiciaires et d'enquête, n'est pas suffisante. Lui substituer un Pnaco correspondrait davantage à la réalité des liens que le trafic de stupéfiants entretient avec d'autres trafics, avec les réseaux de blanchiment et avec la corruption.
Cependant, notre idée ne consiste en aucun cas à tout centraliser à Paris. Il conviendra de s'assurer de la plus-value du travail de coordination nationale et interrégionale du Pnaco par rapport à l'actuelle juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), de ne pas désarmer les Jirs et, au contraire, de les renforcer, voire d'en augmenter le nombre.
Enfin, il est important de rappeler que ceux qui se laissent prendre dans l'engrenage du blanchiment et de la corruption ne nourrissent pas tous des intentions criminelles ; il peut aussi s'agir de personnes victimes de pressions ou de menaces. L'efficacité de notre travail législatif commande que nous appréhendions également la question sous cet angle.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie Étienne Blanc, Jérôme Durain et Muriel Jourda de leur travail.
Depuis quelques années, la France connaissait le fléau du narcotrafic. Les Français assistaient médusés, inquiets ou parfois incrédules, aux règlements de comptes, homicides et balles perdues qui fauchaient des innocents. Ils pouvaient avoir l'impression que le rôle des ministres se cantonnait à commenter cette triste actualité. Il a fallu que le Sénat s'empare du sujet pour qu'un début de prise en considération de ce problème se fasse jour sur le plan politique.
La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise vise à adapter notre droit à la situation, à doter nos pouvoirs et services publics d'outils nouveaux.
Je pense tout particulièrement à nos maires, car, désormais, le deal concerne aussi bien les petites communes rurales que les grandes villes. Ainsi, dans l'Hérault, on voit, à la nuit tombée, dans des communes de 200 ou 300 habitants, les parkings des caves coopératives devenir des points de deal, du fait de leur position le long de la route nationale. On y observe le ballet de véhicules de personnes bien installées dans la vie qui, en rentrant de leur travail, font un crochet afin d'acheter, au vu et au su de tout le monde, leur consommation de produits stupéfiants. Telle est aujourd'hui la réalité du narcotrafic.
Le narcotrafic, c'est aussi le blanchiment et la corruption. Ils ne concernent peut-être qu'une minorité de personnes, mais je n'accepte plus le déni et le corporatisme de certaines professions. Il suffit de consulter la presse, y compris aujourd'hui même, pour constater que toutes les professions sont concernées, des plus subalternes aux plus élevées, fussent-elles éminemment respectables.
C'est donc une guerre transversale qu'il faut mener, à la fois contre les dealers et contre ceux qui se laissent corrompre. Tous les outils que nous créerons en ce sens au service des maires et des préfets seront les bienvenus. Je pense notamment aux mesures de fermeture administrative, qu'ils nous demandent. À Montpellier, il n'existe pas moins de 200 épiceries de nuit : leurs rayons sont vides ou aux trois quarts remplis de bouteilles d'alcool, et ce que l'on présente ordinairement comme des entreprises personnelles ou familiales est en réalité de grandes « blanchisseuses » industrielles. Sortons aussi de ce déni ! Quand on se rend à 2 ou 3 heures du matin dans ces « épiceries », ce n'est pas pour y acheter un pot de moutarde ou du sel !
Cependant, tout ce que nous pourrons voter n'aura de sens que si l'État accorde des moyens supplémentaires à la police et à la justice.
Concernant la dimension sanitaire, préventive et éducative, nous ne pouvons que constater qu'elle fait défaut dans le texte que nous examinons. Ce n'est cependant pas son objet, et un autre texte pourra opportunément y être consacré. Attachons-nous aujourd'hui à la lutte contre le narcotrafic et à sa répression !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'ai, pour ma part, interrogé le président de la commission des affaires sociales sur l'aspect sanitaire et de prévention que nous n'étudions pas parce qu'il ne relève pas de notre périmètre d'intervention et de notre compétence principale, à savoir le droit pénal. De nombreux travaux ont apparemment déjà été menés sur cet aspect que l'on ne saurait certes négliger, et peut-être conviendra-t-il que la commission des affaires sociales les réactive.
Je suis d'accord sur le fait que nul n'est à l'abri de la corruption. C'est d'ailleurs elle qui, avec la menace, fait plonger des États sous la coupe du narcotrafic. Elle rend inutile l'État de droit, en conduisant à l'inapplication des textes que l'on peut adopter.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'ensemble des groupes politiques du Sénat ont été associés aux travaux de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, dont l'effectif comprenait 23 sénateurs, avec un niveau de participation important.
Il est par ailleurs exact que la question des moyens s'avère centrale et on mesure bien les conséquences de logiciels métiers qui ne fonctionnent pas correctement dans les services de police ou dans les juridictions. Gardons-nous cependant de penser que des moyens supplémentaires résoudraient tout ou que certains des outils que nous proposons ont pour objet de compenser une insuffisance de ces moyens. Nous avons réellement besoin d'outils nouveaux dans la procédure et les investigations. Nous sommes, par exemple, complètement déclassés en matière numérique.
Assurément, maintenir dans notre travail législatif, avec l'élan que nous lui donnons, l'esprit transpartisan de la commission d'enquête revêt un sens démocratique et orientera la suite du parcours du texte que nous examinons. Aller trop loin sur le périmètre de la proposition de loi nous conduirait à des sujets de désaccord, par exemple sur les aspects sanitaires et sur la consommation. Nous répondons ici à une urgence qu'il faut traiter, celle de la répression, sans préjudice d'un futur travail sur d'autres aspects liés au narcotrafic.
Des mesures telles que l'interdiction de paraître et l'expulsion locative suscitent la désapprobation. Pourtant, dans mes échanges avec les élus locaux, je constate que, quelle que soit leur sensibilité politique, des mesures leur paraissent assez naturelles qui passent ici pour particulièrement dérogatoires au droit commun.
Deux sujets sont centraux : d'une part, la symétrie à rétablir entre les moyens de la puissance publique, sa capacité d'action, et ceux des narcotrafiquants, et, d'autre part, la protection. Or des mesures qui semblent quelque peu privatives de liberté sont aussi source de protection pour des personnes enfermées dans une économie de la dette, où elles sont autant victimes qu'actrices.
Enfin, il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur certaines professions. Le risque de corruption, sous ses deux volets - l'appât du gain et la menace -, est tangible partout. Notre premier devoir à cet égard était celui de la lucidité. Il nous faut à présent permettre à chacun, à chaque profession, à chaque corps constitué et à chaque administration de se protéger effectivement contre la pression du narcotrafic.
M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Au titre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que le périmètre du texte de la proposition de loi comprend les dispositions relatives à l'organisation et aux prérogatives des services publics régaliens en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée, la lutte contre le blanchiment, le renseignement administratif en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée ainsi que les liens entre les services de renseignement et l'autorité judiciaire dans le même domaine, le recueil de renseignements au cours des enquêtes pénales relatives à des infractions de délinquance ou de criminalité organisée, la lutte contre le trafic de stupéfiants dans l'espace numérique, la répression pénale de la criminalité organisée ainsi que la procédure pénale et l'organisation judiciaire dans le même domaine, le régime des nullités en procédure pénale, la lutte contre la corruption liée à la délinquance et à la criminalité organisées, la compétence extraterritoriale des autorités françaises en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, enfin le régime de privation de liberté des personnes détenues pour des faits de criminalité organisée ainsi que les mesures de sécurisation des établissements et de l'action des personnels de l'administration pénitentiaire.
Il en est ainsi décidé.
PROPOSITION DE LOI VISANT À SORTIR LA FRANCE DU PIÈGE DU NARCOTRAFIC
EXAMEN DES ARTICLES
M. Olivier Bitz. - Avec l'amendement de suppression COM-21, je souligne que l'article 1er relèverait davantage du domaine réglementaire que de la loi. Il ne s'agit donc nullement de remettre en cause l'existence de l'Ofast. Je m'interroge néanmoins quant à son autorité sur les services de renseignement, laquelle me paraît des plus hypothétiques.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - On ne peut envisager de boîte à outils sans une bonne coordination entre eux. Ici, la dimension législative de la disposition tient à l'identification des deux chefs de file pour les enquêtes relatives au « haut du spectre », avec l'Ofast du côté des forces de sécurité intérieure et le Pnaco du côté judiciaire, ainsi qu'au partage du renseignement, qui nécessite un tel ancrage législatif. L'avis est défavorable.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pour appuyer le propos du rapporteur, nous constatons que c'est le Parlement qui assure le travail d'élaboration d'un socle normatif destiné à lutter contre le narcotrafic. Peut-être les ministères ne font-ils d'ailleurs pas montre de beaucoup d'allant sur certains aspects de ce travail. Gardons la main et maintenons cet article 1er !
M. Francis Szpiner. - Comment peut-on concevoir que l'Ofast ait autorité sur la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), y compris dans le domaine spécifique dans la lutte contre le narcotrafic ? Cela supposerait d'habiliter l'ensemble des agents de l'Office au secret défense. Par ailleurs, comment en contrôlera-t-on les choix et décisions ? À vouloir trop étendre les possibilités, nous risquons d'aboutir à un dispositif paralysant. Je soutiens l'amendement.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Notre objectif est de conférer à l'Ofast non pas une autorité, ...
M. Francis Szpiner. - C'est ce que vous avez écrit !
M. Jérôme Durain, rapporteur. - ... mais une capacité de coordination sur l'ensemble des services.
M. Francis Szpiner. - Ce n'est pas la même chose !
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous entendons votre argument et tâcherons de vous proposer, en vue de la séance publique, une rédaction qui prenne en compte vos remarques. Pour l'heure, nous maintenons notre avis sur l'amendement COM-21.
M. Philippe Bas. - Francis Szpiner a raison et l'amendement est justifié. Le texte de l'article énonce en effet que l'Office « a autorité sur l'ensemble des services [...] de renseignement ». Or la mission de ces services de renseignement n'est pas de la même nature qu'une mission d'enquête dans le cadre d'un crime ou d'un délit. La modification proposée touche en réalité à l'organisation du renseignement en France.
M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Nous pourrons revenir sur cette question en séance.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ne pourrions-nous pas plutôt nous entendre dès à présent sur la réécriture de l'article ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Soyons clairs sur les différents enjeux en présence. L'amendement concerne la nature législative ou réglementaire du dispositif inscrit à l'article1er de la proposition de loi. Nous pensons que ce dispositif est d'ordre législatif, notamment du fait de la mise en place d'une double tutelle, et il appartient désormais à la commission de trancher ce point. Nos collègues Francis Szpiner et Philippe Bas se demandent si la rédaction proposée convient pour ce qui concerne le renseignement. Je conviens que le texte de la proposition de loi, que nous n'avons pas à ce stade modifié, n'est pas opportune et sans doute excessive. Le Gouvernement ne manquera d'ailleurs certainement pas de nous le signaler, car le sujet est éminemment sensible. Je vous propose que nous nous en tenions à ce stade au texte présenté par les rapporteurs et que nous réfléchissions à une nouvelle rédaction de l'article d'ici à la séance.
L'amendement COM-21 n'est pas adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Les amendements COM-54 et COM-44 concernent la tutelle de l'Ofast.
Notre amendement COM-54 prévoit une tutelle des deux ministères impliqués dans le renseignement, le ministère de l'intérieur ainsi que celui de l'économie et les finances, avec respectivement Tracfin et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), ou une coordination plus étroite entre eux, susceptible, selon nous, d'aboutir à de meilleurs résultats opérationnels, comme cela a pu être le cas en matière de lutte contre le terrorisme.
Le second amendement, de notre collègue Corinne Narassiguin, de leur adjoindre le ministère de la justice ne nous paraît pas opportun, car, en application des règles de droit commun de la procédure pénale, la direction et la supervision des enquêtes relèvent déjà d'un magistrat. Avec l'article 1er, la préoccupation porte sur l'organisation des forces de sécurité intérieure et la répression. Le volet judiciaire est traité avec le Pnaco.
Mme Corinne Narassiguin. - C'est parce que nous sommes favorables à la création d'un Pnaco qu'il nous semblait important de préciser que la tutelle du ministère de la justice sur les travaux de l'Ofast devait être au même niveau que celle des deux autres ministères.
M. Francis Szpiner. - Je suis favorable à l'amendement COM-44 parce que les offices centraux de la DNPJ sont composés d'officiers de police judiciaire (OPJ), lesquels exercent leurs fonctions sous la direction et le contrôle des magistrats. Tant sur le plan de l'équilibre général du système que du point de vue de l'effet d'annonce, tenir le ministère de la justice à l'écart du fonctionnement de l'un de ces offices me paraît regrettable.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - On ne peut à la fois affirmer la nécessité d'une coordination générale entre toutes les autorités et structures impliquées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et en écarter d'emblée le futur Pnaco, qui doit être un acteur majeur de cette lutte. Si l'amendement COM-44 n'est pas adopté, nous redéposerons un amendement analogue, car il est nécessaire à la cohérence du texte.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous avons à l'esprit que l'on ne peut être à la fois juge et partie. La justice contrôle les services d'enquête. Le lien organique entre justice et services répressifs s'établit dans les relations entre le Pnaco et l'Ofast, et nous atteignons ainsi, par un moyen différent, l'objectif que vous recherchez.
L'amendement COM-54 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-44 devient sans objet.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-55 vise à préciser le champ de compétences qui serait confié à l'Ofast en matière de police judiciaire, en coordination et en cohérence avec le champ de compétences exclusif du Pnaco que nous vous proposerons de définir à l'article 2. L'idée consiste à le recentrer sur les infractions les plus graves, c'est-à-dire sur les enquêtes judiciaires liées à la direction d'un groupe de narcotrafiquants, ainsi que sur des affaires de meurtre, tortures ou actes de barbarie commis en bande organisée. Lorsque ces affaires sont en lien avec le narcotrafic, le Pnaco saisirait systématiquement l'Ofast. Ce périmètre plus restreint nous semble mieux dimensionné que le monopole sur l'ensemble des affaires criminelles, tel qu'il était initialement prévu par l'article 1er.
L'amendement COM-55 est adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-17 rectifié visant à simplifier les transmissions de renseignements.
L'amendement COM-17 rectifié est adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-56 prévoit une entrée en vigueur différée de trois mois de l'article 1er, afin de tenir compte de la réalité opérationnelle des services. Ces propositions de réorganisation de nos administrations ne sont en effet pas sans conséquence sur leur structuration et leur organisation. Il convient de leur laisser le temps de mettre en place la réforme. Par parallélisme, nous proposerons la même solution pour l'article 2.
L'amendement COM-56 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Le sous-amendement COM-18 rectifié bis à l'amendement COM-57 vise à habiliter le Pnaco à recevoir les informations que voudront lui envoyer, de leur initiative, les services de renseignement. Il s'inscrit indéniablement dans le sens de l'affirmation de la nouvelle structure comme chef de file. L'avis est favorable.
Les auditions que nous avons menées ont démontré l'existence de liens forts, voire inextricables, entre le narcotrafic et les autres formes de criminalité organisée, et nous avons à plusieurs reprises entendu dire que le narcotrafic était « l'infraction mère », la matrice de la criminalité organisée. Nous constatons d'ailleurs que les organisations criminelles qui le dirigent se placent dans une logique de diversification commerciale : extorsions, blanchiment, vol de véhicules, corruption, atteintes aux personnes, etc. Dans ces conditions, l'idée d'un Pnast semblait ne pas correspondre à la réalité du trafic ni à celle de son évolution. À titre d'exemple, la DZ Mafia se dirige de plus en plus vers des opérations d'extorsion. Par cohérence, il nous a semblé utile de proposer, avec l'amendement COM-57, un Pnaco.
En conséquence, nous supprimons la Junalco, à laquelle le Pnaco se substitue. Ce dernier aura pour compétence le spectre haut de la criminalité organisée, à l'exception des infractions qui relèvent déjà d'autres parquets nationaux, le PNF et le Pnat, avec un monopole sur les infractions criminelles les plus graves.
Notre rédaction fixe également les modalités d'exercice par le Pnaco de ses nouvelles compétences et les règles applicables en matière de jugement et d'appel.
Il ne s'agit cependant pas de substituer une organisation sommitale à l'organisation décentralisée des Jirs. Il s'agit au contraire d'éviter la dévitalisation des Jirs, en les mobilisant sur le niveau de compétence qui est le leur, tout en se prémunissant contre les risques d'incohérences dans le traitement de certains dossiers. À l'occasion des travaux de la commission d'enquête, nous avons, par exemple, constaté que des tribunaux se réservaient des affaires en raison de l'intérêt qu'elles présentaient pour eux, mais contre la logique de ramifications criminelles qui s'étendaient bien au-delà de leur ressort. Nous avons aussi vu que des Jirs ne se saisissaient pas de dossiers pourtant particulièrement importants. Il importe qu'une autorité intervienne pour arbitrer entre ce qui relève d'un traitement local ou d'un niveau supérieur.
L'amendement inscrit également dans la loi le principe de la « double information » des parquets locaux et des Jirs, d'une part, et des Jirs et du Pnaco, de l'autre, de façon que chaque juridiction connaisse parfaitement la réalité de la criminalité qui la concerne et puisse faire jouer son pouvoir d'évocation. L'attaque, le 14 mai dernier, d'un fourgon pénitentiaire à Incarville, le jour de la remise par la commission d'enquête de son rapport, portait la marque du défaut d'informations croisées entre les administrations. Il nous faut mieux organiser la circulation de l'information.
M. Guy Benarroche. - Les implications financières du narcotrafic étant bien connues, et comme il existe déjà un parquet national financier, de quelle manière la répartition des affaires entre les deux parquets nationaux s'effectuera-t-elle ?
Par ailleurs, avons-nous bien mesuré toutes les conséquences de la création du Pnaco pour les détenus, les avocats, et les coûts supplémentaires qu'elle pourrait engendrer ?
Enfin, on aura beau améliorer la coordination en créant le Pnaco, si les Jirs ne sont pas plus nombreuses et plus opérationnelles, rien ne changera. Pour tout cela, il faut des moyens supplémentaires.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous sommes favorables à la transformation du Pnast en Pnaco. Mais ce dernier aura-t-il une compétence exclusive ou une compétence concurrente ? Aura-t-il un pouvoir hiérarchique ? Je ne suis pas certaine d'avoir parfaitement compris l'architecture retenue.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - La construction que nous proposons vise précisément à renforcer les Jirs, qui, aujourd'hui, ne sont parfois même pas informées des affaires qui les concernent.
Le Pnaco a vocation à mettre de l'huile dans les rouages. Il ne disposera pas d'un pouvoir hiérarchique, mais d'un pouvoir de coordination ainsi que d'un monopole pour les affaires criminelles du haut du spectre. Il aura aussi vocation à servir de tour de contrôle sur des sujets particuliers, par exemple dans les relations avec les pays étrangers en matière d'entraide pénale. Il aura, en outre, une fonction d'incarnation.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ses pouvoirs seront donc moins étendus que ceux du parquet national antiterroriste ?
M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Nous avons eu le même type de débats lors de la création du parquet national antiterroriste. Ce n'est pas le même périmètre, mais le même type de coordination.
Le sous-amendement COM-18 rectifié bis est adopté. L'amendement COM-57, ainsi sous-amendé, est adopté. En conséquence, l'amendement COM-43 devient sans objet.
L'article 2 est ainsi rédigé.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous vous proposons avec l'amendement COM-58 une réécriture globale du dispositif de fermeture administrative des commerces suspectés d'agir comme des blanchisseuses. Outre des corrections techniques, il s'agit de l'étendre à d'autres catégories d'infraction que le blanchiment, notamment le trafic de stupéfiants, de doubler la durée maximale de la mesure, de renforcer le régime répressif et de prévoir l'abrogation subséquente des autorisations dont dispose le commerce. La mesure serait donc juridiquement plus robuste et opérationnellement plus adaptée aux besoins des services.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous approuvons la suppression du monopole du maire. En revanche, j'émets un doute sur la possibilité de supprimer les permis de construire délivrés à l'établissement.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Les permis de construire ne sont pas concernés. Il me semble cohérent de retirer les autorisations accordées à un commerce ayant une activité criminelle.
M. Guy Benarroche. - Ne faudrait-il pas prévoir une procédure contradictoire, comme nous le proposons avec l'amendement COM-22 ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. - J'ai omis en effet de préciser notre avis sur les trois amendements en discussion commune avec l'amendement COM-58.
L'amendement COM-8 rectifié est satisfait.
La procédure contradictoire prévue par le code des relations entre le public et l'administration s'appliquera de plein droit au dispositif issu de notre amendement, rendant ainsi le dispositif prévu par l'amendement COM-22 superflu.
Enfin, l'amendement COM-53 habilite le maire à signaler de tels commerces aux autorités préfectorales et judiciaires, celles-ci devant répondre dans un délai de trente jours. Outre que les maires n'ont pas juridiquement besoin d'être habilités pour procéder à de tels signalements, nous préférons ne pas les exposer à d'éventuelles représailles. Plus généralement, dans un souci de protection, nous préférons que les maires ne soient pas dépositaires d'informations qui seraient un facteur de risques nouveaux.
M. Hussein Bourgi. - Je suis réservé sur ce dernier argument. Le maire est l'autorité à qui l'on vient se plaindre en cas de problème. Je ne vois pas pourquoi on le tiendrait à l'écart de ce genre d'informations.
M. Guy Benarroche. - Il faut certes protéger les maires, mais aussi les informer des suites judiciaires. Je ne comprends pas très bien la logique. Le rapport de la commission d'enquête suggérait d'impliquer davantage les maires.
M. Olivier Bitz. - Je rejoins le rapporteur : le bon sens commande de tenir les maires à l'écart de ce genre d'informations, pour leur protection et pour le bon déroulement des enquêtes.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Les maires sont les premiers à vivre les événements dans leurs communes et à donner des informations aux services de police. Ils sont aussi les premiers à se faire agresser, malheureusement. Ils sont capables de garder pour eux des informations confidentielles !
M. Dany Wattebled. - Les maires sont garants de la cohésion de leur territoire, il faut les informer.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Les maires n'auront pas moins d'éléments qu'aujourd'hui. Nous cherchons à fluidifier à tous les niveaux la circulation de l'information. Mais ne rendons pas obligatoire la communication d'informations qui mettraient les maires en danger.
Mme Audrey Linkenheld. - Ce n'est pas ce que prévoit l'amendement COM-53.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - La dimension ascendante de signalement et de renseignement territorial, que les maires peuvent fournir aux autorités par leur bonne connaissance du terrain, est centrale. Une fois la procédure lancée, un échange naturel aura lieu avec les autorités judiciaires, mais ne systématisons pas une information descendante qui exposerait les maires.
M. Philippe Bas. - Il ne me semble pas opportun de réserver exclusivement aux maires l'initiative des procédures de fermeture des établissements suspectés de se livrer à des délits.
Je suis favorable en revanche à ce que les maires soient informés des suites d'une enquête judiciaire.
M. Guy Benarroche. - Notre amendement COM-29, que nous allons examiner ensuite, identifie avec précision le champ d'information systématique du maire.
M. Francis Szpiner. - Nul besoin de légiférer sur la fermeture administrative à l'initiative du maire. Il peut agir sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, et c'est au préfet d'endosser la responsabilité de la fermeture, pour ne pas faire du maire une cible.
M. Philippe Bas. - Le préfet doit aussi pouvoir prendre lui-même l'initiative.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'obligation d'information systématique du maire entraînerait une avalanche d'informations ; elle ne me semble pas opportune.
M. Francis Szpiner. - Sauf liens personnels avec les autorités judiciaires, les maires n'ont que très peu d'informations. Il serait logique qu'ils soient mieux informés.
L'amendement COM-58 est adopté. En conséquence, les amendements COM-8 rectifié, COM-22 et COM-53 deviennent sans objet.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-29 a un double objet.
Il prévoit tout d'abord une information systématique du maire, par le procureur, des suites judiciaires dans un dossier de trafic de stupéfiants et des mesures de fermeture administrative de commerces. Nous souscrivons bien entendu à l'idée d'associer les élus locaux, et nous prévoyons, à l'article 7, d'associer les maires aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants.
L'amendement prévoit ensuite que les groupes thématiques chargés des violences contre les élus constitués au niveau local puissent évoquer les possibilités pour le maire de participer à la lutte contre le narcotrafic en opérant des signalements à Tracfin. La plus-value de cette précision ne me paraît pas évidente, étant entendu que les maires peuvent déjà directement signaler des faits à Tracfin. Le lien avec les missions existantes de ce groupe est par ailleurs ténu. Nous sommes défavorables à cet amendement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Votons cet amendement ! Les rapporteurs pourront ensuite le modifier en séance.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Je ne vois pas l'intérêt de ce vote. Les maires sont déjà associés aux procédures judiciaires et ont déjà accès de plein droit à Tracfin.
L'amendement COM-29 est adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Notre collègue Étienne Blanc propose au travers de l'amendement COM-11 trois ouvertures supplémentaires d'accès à des fichiers pour les besoins de la lutte contre le narcotrafic : le Ficoba pour les greffiers des tribunaux de commerce, le fichier des contrats de capitalisation et d'assurance vie (Ficovie) et le Patrim (recherche des transactions immobilières) pour les assistants spécialisés des Jirs ainsi que le système d'immatriculation des véhicules (SIV) pour les agents de Tracfin. Il s'agit là d'un besoin opérationnel légitime et exprimé avec force par les intéressés. De tels aménagements, dont le périmètre est par ailleurs circonscrit, nous paraissent utiles. L'avis est donc favorable.
L'amendement COM-11 est adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous sommes également favorables à l'amendement COM-12.
L'amendement COM-12 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-10 rectifié devient sans objet.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-48 entend limiter l'obligation de certification de maîtrise des règles anti-blanchiment aux professions non financières. Il nous apparaît paradoxal de vouloir exempter de cette obligation les professions financières alors qu'elles sont les plus directement concernées par le sujet. L'avis est donc défavorable.
L'amendement COM-48 n'est pas adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-51 prévoit d'appliquer les règles de lutte contre le blanchiment aux prestataires de services sur actifs numériques. Il nous semble d'ores et déjà satisfait.
L'amendement COM-51 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-59 permet l'application de la présomption de blanchiment prévue par le code pénal, qui est un instrument puissant de lutte contre les trafics et la grande criminalité organisée, à l'hypothèse dans laquelle une opération a été conduite dans le seul but de dissimuler l'identité du bénéficiaire effectif des fonds, hors de toute rationalité économique. Il procède également aux coordinations nécessaires dans le code des douanes. Il nous semble indispensable pour atteindre les objectifs que nous avons fixés.
L'amendement COM-59 est adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-60 vise à réduire le champ de l'injonction pour richesse inexpliquée aux seuls dossiers en lien avec la criminalité organisée.
Nous vous proposons également de ne pas retenir la systématisation des enquêtes patrimoniales sur les dossiers de trafic de stupéfiants, les personnes que nous avons interrogées ne la jugeant pas nécessaire. Le manque d'enquêtes de cette nature résulte en effet essentiellement d'un manque de moyens et d'une acculturation insuffisante des services.
M. Guy Benarroche. - Il me semble que ces enquêtes patrimoniales sont utiles, et que leur systématisation serait pertinente.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Est-ce parce que ces enquêtes ne sont pas nécessaires ou parce que les services n'ont ni les moyens ni le temps de les mener ?
M. Philippe Bas. - Cet amendement sauve le septième alinéa de l'article 4, qui laissait ouverte, en dehors même de toute enquête judiciaire, la possibilité de requérir d'une personne qu'elle justifie son train de vie. Cette disposition aurait été censurée.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous prenions en effet le risque de voir invalidée cette disposition, pourtant extrêmement utile dans les enquêtes relatives à la criminalité organisée.
S'agissant des enquêtes patrimoniales, monsieur Benarroche, les services eux-mêmes nous ont indiqué que leur systématisation impliquerait un travail inutile dans un certain nombre de cas. Ils nous ont demandé expressément de les laisser juges de leur opportunité. Nous sommes conscients que la question des moyens se pose aussi, pour l'ensemble du texte d'ailleurs, mais cet amendement porte sur la systématicité de ces enquêtes.
Par ailleurs, depuis que l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) dispose d'antennes interrégionales, les enquêtes patrimoniales fonctionnent beaucoup mieux.
L'amendement COM-60 est adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les amendements identiques COM-2, COM-30 et COM-36 prévoient la confiscation obligatoire des biens dont l'origine ne peut être justifiée, étant rappelé que ce dispositif ne concerne aujourd'hui que les infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement et touche autant le condamné que ses proches, puisqu'il vise non seulement les biens dont le condamné est propriétaire, mais aussi ceux dont il a la libre disposition.
Cette proposition présente des risques très forts de contrariété à la Constitution en raison d'une atteinte excessive au droit de propriété. Nous proposons de nous en tenir aux dispositions législatives actuelles sur la confiscation. L'avis est donc défavorable.
M. Guy Benarroche. - C'est pourtant ce qui a fonctionné en Italie pour lutter contre le blanchiment !
M. Hussein Bourgi. - Il n'y a aucune raison que ce qui fonctionne en Italie ne puisse être appliqué en France. Tous les criminologues s'accordent à dire que les trafiquants prennent toujours leurs dispositions en prévision de leur incarcération. Dans ma région, lors d'une perquisition au domicile d'un narcotrafiquant, on a trouvé des relevés bancaires et des relevés d'assurance vie au nom de sa mère dont les montants atteignaient 600 000 euros. Or cette femme vivait du minimum vieillesse et de la pension de réversion de son mari... Il faut sanctionner ces trafiquants ingénieux non seulement en les privant de liberté, mais en donnant à la justice et à la police les moyens de confisquer obligatoirement et systématiquement les revenus dont l'origine ne peut être prouvée, y compris lorsqu'ils sont en détention. N'oublions pas qu'il n'y a que deux manières de s'enrichir en France : le travail et l'héritage.
M. Guy Benarroche. - La seule chose qui peut avoir une réelle incidence sur les narcotrafiquants, c'est de les toucher au porte-monnaie. Cet important moyen de coercition ne laisse aucune place au doute.
M. Francis Szpiner. - En l'état, je ne vois pas ce qui empêche la justice de saisir ces comptes et d'en ordonner la confiscation. Vous voulez faire peser une présomption sur l'entourage. Il s'agit d'un très bel effet d'annonce, mais en pratique, cela ne change rien.
M. Guy Benarroche. - Cela a fonctionné en Italie.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les dispositions visées sont extrêmement larges et attentatoires au droit de propriété, et nous les avons rejetées récemment. Jérôme Durain et moi-même sommes évidemment favorables à des sanctions financières, mais on ne peut le faire de façon juridiquement déraisonnable. Les deux amendements COM-31 et COM-37 me semblent plus judicieux, car ils prévoient la confiscation obligatoire des biens dont l'origine n'est pas justifiée en lien avec une infraction pénale existante. Néanmoins, nous y serons également défavorables, car leur rédaction soulève en l'état des difficultés importantes. C'est pourquoi je vous proposerai d'y retravailler d'ici à la séance. Ne nous laissons pas aveugler par l'objectif que nous poursuivons. Restons dans une certaine orthodoxie juridique.
Les amendements identiques COM-2, COM-30 et COM-36 ne sont pas adoptés.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les amendements COM-31 et COM-37 visent effectivement à apporter une solution à cette pratique criminelle qui consiste à mettre son patrimoine à l'abri chez un proche. Mais ils prévoient une confiscation obligatoire et motivée, ce qui est incohérent. Je suggère donc à leurs auteurs de retravailler leur rédaction afin qu'ils s'intègrent correctement dans l'édifice juridique important de la confiscation obligatoire.
M. Hussein Bourgi. - Je retire mon amendement.
L'amendement COM-37 est retiré. L'amendement COM-31 n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-3, qui est quasiment identique aux deux amendements précédents.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-14 tend à interdire de manière anticipée les « mixeurs » de crypto-actifs. Ces outils qui permettent de rendre intraçable l'origine des fonds particulièrement prisés des narcotrafiquants à des fins de blanchiment. Avis favorable.
L'amendement COM-14 est adopté et devient article additionnel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-61 prévoit d'étendre le dispositif de gel judiciaire des avoirs prévu à l'article 5 à l'ensemble de la criminalité organisée et non au seul trafic de stupéfiants. Il procède par ailleurs à des ajustements techniques pour préciser la durée maximale de la mesure ainsi que, le cas échéant, la procédure applicable lorsqu'elle est décidée par un juge d'instruction.
L'amendement COM-61 est adopté.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-62 vise à créer, en sus du dispositif judiciaire, un mécanisme administratif de gel des avoirs des narcotrafiquants. Cette mesure nous a été instamment demandée lors de nos auditions. Outre sa rapidité, la voie administrative est en effet plus adaptée pour toucher des criminels établis hors de France et dont la perspective de judiciarisation est faible.
L'amendement COM-62 est adopté et devient article additionnel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-42 rectifié est irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pourtant, la lutte contre la corruption fait bien partie du périmètre retenu pour cette proposition de loi. En l'espèce, il s'agit de transférer l'agrément des associations anticorruption qui agissent comme partie civile à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
M. Francis Szpiner. - Cela n'a rien à voir avec la corruption !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Si, car il s'agit de savoir quelle est la partie poursuivante possible.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Est concernée la lutte contre la corruption liée à la délinquance et à la criminalité organisées. Or votre amendement inclut les associations qui agissent dans des domaines qui n'ont aucun lien avec l'objet du texte.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est faux !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La lutte contre la corruption, dans le cadre de la criminalité organisée, est suffisamment large à travers ce texte pour que l'on ne puisse pas prétendre l'inverse.
L'amendement COM-42 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-50 vise à créer une nouvelle unité spécialisée au sein de l'Ofast, chargée notamment des enjeux liés à l'utilisation d'actifs numériques à des fins de blanchiment. Ces missions sont déjà couvertes par la cellule « cyber » intégrée au pôle opérationnel de l'Ofast. L'amendement est donc satisfait ; avis défavorable.
L'amendement COM-50 n'est pas adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Par l'amendement COM-19 rectifié, nos collègues membres de la DPR souhaitent limiter l'extension du champ des dispositifs existants de partage d'information aux Jirs, d'une part, et à certaines infractions relevant de la criminalité organisée, d'autre part. Cela nous semble effectivement plus proportionné. Avis favorable.
L'amendement COM-19 rectifié est adopté.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Par l'amendement COM-28, nos collègues écologistes proposent d'intégrer un magistrat de la Jirs territorialement compétente à la composition de la Cross. Avis favorable.
L'amendement COM-28 est adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-47 prévoit d'intégrer au groupe de travail constitué au sein de la Cross les parlementaires élus dans la circonscription, ainsi que les élus régionaux et départementaux chargés de la sécurité. Compte tenu des informations dont ceux-ci seront détenteurs, cette mesure risque plutôt de les fragiliser. De plus, je n'en vois pas vraiment l'utilité. Avis défavorable.
L'amendement COM-47 n'est pas adopté.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Selon toute vraisemblance, il y a une certaine confusion entre la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette dernière est compétente. Avis défavorable à l'amendement COM-26.
L'amendement COM-26 n'est pas adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Par l'amendement COM-20 rectifié, nos collègues membres de la DPR proposent deux ajustements à l'expérimentation du renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée prévue par l'article 8 : un alignement des durées d'autorisation d'usage de la technique et d'exploitation des données sur les autres régimes existants ; une transmission à la seule DPR des éléments d'évaluation de l'expérimentation qui seraient couverts par le secret. Avis favorable.
L'amendement COM-20 rectifié est adopté.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-63 tend à créer une nouvelle infraction d'appartenance à une organisation criminelle, indépendamment de la préparation de toute infraction.
Une organisation criminelle serait définie comme une association de malfaiteurs prenant la forme d'une organisation structurée préparant la commission de crimes. Cette appartenance serait attestée par un ou plusieurs faits matériels démontrant que, directement ou indirectement, la personne tient un rôle dans l'organisation de cette structure, fournit des prestations de toute nature au profit de ses membres, ou verse une rémunération à ses membres ou en perçoit de ceux-ci.
Le dispositif paraît particulièrement utile en ce qu'il permet d'adapter notre arsenal pénal à la diversité des modes de fonctionnement des organisations criminelles. Il sera possible de poursuivre et condamner une personne dont on pourrait prouver qu'elle appartient à un groupe criminel, quand bien même il n'aurait pas été possible de démontrer à ce stade qu'elle a participé à la préparation d'une infraction particulière. Pour respecter la cohérence de l'échelle des peines, la sanction encourue resterait inférieure à celle qui est prévue par le délit d'association de malfaiteurs, qui implique nécessairement la préparation d'une infraction.
L'amendement COM-63 est adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-64 tend à limiter le champ d'application du crime de participation à une association de malfaiteurs. Nous proposons de circonscrire le dispositif à la préparation de crimes pour lesquels la loi prévoit une circonstance aggravante de bande organisée.
L'amendement COM-64 est adopté.
L'amendement de coordination COM-65 est adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est close à 10 h 30.
- Présidence de Mme Patricia Schillinger, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants - Suite de l'examen du rapport et des textes de la commission
Mme Patricia Schillinger, présidente. - Nous reprenons l'examen des articles sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
PROPOSITION DE LOI VISANT À SORTIR LA FRANCE DU PIÈGE DU NARCOTRAFIC
EXAMEN DES ARTICLES (SUITE)
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les amendements identiques COM-9 et COM-41 ont un objet analogue à celui de l'amendement que nous avons adopté ce matin à l'article 9, dont la rédaction nous semble préférable pour des raisons techniques.
Avec la rédaction qui est ici proposée, une personne membre d'une organisation préparant des infractions punies de cinq ans d'emprisonnement pourrait être condamnée à une peine de quinze ans de réclusion criminelle. Avis défavorable.
Les amendements identiques COM-9 et COM-41 ne sont pas adoptés.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-66 a pour objet de procéder à un ajustement légistique visant à faire de l'infraction caractérisée par l'article 10 - soit la publication d'une offre de recrutement pour le trafic sur une plateforme accessible aux mineurs - une infraction autonome de celles qui sont prévues à l'article 227-18-1 du code pénal.
L'amendement COM-7 porte sur des produits légaux et est, par conséquent, irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution, monsieur Szpiner. Mais sachez que le fait de provoquer un mineur à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs est déjà passible d'une amende de 15 000 euros.
L'amendement COM-66 est adopté.
L'amendement COM-7 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les narcotrafiquants demandent parfois aux personnes que l'on appelle des « mules » d'ingérer de la drogue. Le délai de la garde à vue est parfois insuffisant pour expulser la drogue ingérée et l'état de santé de ces personnes peut ne pas permettre leur présentation devant un magistrat pour décider d'une comparution avec un délai différé.
Aussi, l'amendement COM-67 vise à prolonger la durée maximale de la garde à vue, qui serait limitée à 120 heures. Il prévoit en outre certaines garanties supplémentaires pour la personne concernée à l'expiration de la quatre-vingt-seizième heure de garde à vue : la possibilité de s'entretenir avec un avocat ; le droit de demander un nouvel examen médical ; la possibilité de réitérer une demande tendant à faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un membre de sa famille.
L'amendement COM-67 est adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-68 vise à encadrer les peines complémentaires pouvant être prononcées à l'encontre des passeurs.
L'article 11 crée une peine complémentaire d'interdiction de vol et de paraître dans certains aéroports.
Pour assurer la proportionnalité du dispositif, l'amendement tend à préciser les motifs permettant à la juridiction de décider d'une condamnation à cette peine, en prévoyant expressément qu'elle ne peut être prononcée qu'au regard des risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise, afin de circonscrire le dispositif.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Quel est votre avis sur l'amendement COM-27 qui prévoit d'aménager des exceptions ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement de notre collègue Guy Benarroche prévoit des exceptions pour des motifs notamment d'ordre familial, comme le décès d'un proche. Nous lui proposons de retravailler la rédaction d'ici à la séance publique pour le rendre opérationnel. Les situations particulières qu'il mentionne doivent effectivement être prises en compte. Nous n'y sommes pas hostiles sur le fond, mais il faut préciser les modalités de sa mise en oeuvre.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Comment peut-on combiner les dispositions prévues dans ces deux amendements ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ces peines complémentaires seraient prévues pour un délai de trois ans maximum. Nous allons, en lien avec Guy Benarroche, expertiser son amendement afin de tenir compte de l'intégralité des situations exceptionnelles qui peuvent se présenter pour suspendre les peines complémentaires et voir comment nous pouvons l'articuler avec l'amendement de la commission.
L'amendement COM-68 est adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Comme je viens de le dire, j'émets à ce stade un avis défavorable sur l'amendement COM-27, mais nous demandons à notre collègue de retravailler la rédaction.
L'amendement COM-27 n'est pas adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-1 prévoit une peine complémentaire applicable aux personnes condamnées pour des faits liés au trafic de stupéfiants, qui consisterait en une interdiction de solliciter un titre de séjour permettant de résider de manière légale à Mayotte.
En l'état actuel du droit, aucune peine n'interdit de solliciter un titre. En revanche, une condamnation pour de tels faits est de nature à justifier un refus ou un retrait du titre de séjour. Aussi, mon avis est défavorable.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cet amendement ne subit pas le couperet de l'article 45 de la Constitution ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La disposition est applicable aux personnes condamnées pour des faits liés au trafic de stupéfiants.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-69 vise à compléter l'alignement de l'extension des prérogatives de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) en matière de lutte contre le narcotrafic sur celles qui existent déjà en matière de lutte contre le terrorisme et la pédocriminalité.
Nous souhaitons que Pharos puisse agir non seulement pour le retrait et le déréférencement des contenus liés à l'offre ou à la cession de stupéfiants, mais également pour le blocage d'accès au site concerné.
Cet amendement prévoit également d'aligner les garanties juridiques prévues et les sanctions pénales applicables aux personnes concernées en cas de non-respect de la demande de retrait.
L'amendement COM-69 est adopté.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-70 prévoit que l'ensemble des crimes commis en bande organisée sont jugés par une cour d'assises spécialement composée.
L'amendement COM-70 est adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-71 vise à supprimer le traitement des infractions connexes selon la procédure spécifique à la criminalité organisée. En effet, les articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale permettent déjà la prise en compte des règlements de comptes et du blanchiment, ainsi que des trafics de toute nature.
L'amendement COM-71 est adopté.
L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Outre des améliorations rédactionnelles, des harmonisations et des coordinations, l'amendement COM-72 tend à ouvrir la possibilité de recourir au dispositif des « repentis » en matière de trafic d'armes ; à effectuer diverses simplifications suggérées par le président de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), Marc Sommerer, s'agissant de l'exemption de peine, de la compétence de la CNPR pour attribuer des identités d'emprunt aux « repentis » ou encore pour renforcer la protection de ces derniers à tous les stades de la procédure ; à préciser les conditions dans lesquelles le statut de collaborateur de justice pourra être révoqué et les conséquences d'une telle révocation, à savoir, en particulier, la mise à exécution de la peine d'emprisonnement complémentaire qui aura été prévue ab initio par la juridiction de jugement ; et surtout, à créer, sur le modèle du droit britannique, un système d'immunité de poursuites pour les personnes dont les déclarations justifieraient une telle immunité. Elle serait réservée au cas où de telles déclarations ont un impact majeur et serait soumise à l'avis conforme de la CNPR.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous l'avons constaté lors des auditions, il faut rendre le dispositif plus opérationnel. Les dispositions prévues dans cet amendement s'appliquent-elles aux auteurs de faits criminels ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Dans certains cas prévus par la loi.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je croyais que les crimes de sang étaient actuellement exclus.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - La proposition de loi les intègre désormais, ce qui constitue une avancée majeure.
Les amendements identiques COM-5 et COM-39 prévoient que les déclarations faites par les repentis avant qu'ils n'aient manifesté leur volonté de collaborer avec la justice soient prises en compte dans l'octroi du statut. C'est une proposition intéressante dans son principe, mais qui pose une difficulté en ce qu'elle ne précise pas les destinataires de ces déclarations. Or nous souhaitons distinguer clairement le rôle des magistrats, seuls juges de l'intérêt des déclarations du « repenti », de celui des services qui doivent évaluer leur personnalité et leur capacité à changer de vie, voire d'identité. L'avis est donc défavorable sur ces amendements identiques.
L'amendement COM-49 concerne la non-publication des identités d'emprunt octroyées aux repentis. Cet amendement étant satisfait, nous en demandons le retrait.
Enfin, les amendements COM-40 et COM-6 prévoient que la juridiction de jugement peut ne pas accorder l'exemption ou la réduction de peine demandée pour le repenti par une décision spécialement motivée. Ils sont satisfaits par notre amendement ; nous en demandons le retrait.
M. Hussein Bourgi. - Votre avis concernant les amendements identiques COM-5 et COM-39 me semble quelque peu hâtif. Les déclarations des « repentis », que nous souhaitons désormais appeler « coopérateurs de justice », sont consignées dans des procès-verbaux, mais ce sont les déclarations faites auprès des enquêteurs qui ont toute leur importance pour le parquet. Si l'on veut encourager les coopérateurs de justice, il faut leur apporter un minimum de garanties. Il importe d'avoir une réflexion approfondie sur cette question d'ici à la séance publique.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Les déclarations seront prises en compte dans notre amendement. Mais à qui seront-elles adressées ? Au service interministériel d'assistance technique (Siat) ou à la CNPR ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous pouvons y regarder de plus près d'ici à la séance publique.
L'amendement n° 72 est adopté. En conséquence, les amendements identiques COM-5 et COM-39, les amendements COM-49, COM-40, COM-6 deviennent sans objet.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Avec les amendements identiques COM-38 et COM-4, nos collègues proposent que l'on parle de « coopérateurs de justice » au lieu de « repentis », terme quelque peu connoté. Toutefois, ce terme n'existe pas dans notre droit positif. Avis défavorable.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Il faudrait par ailleurs procéder à des coordinations dans l'ensemble du code pénal.
Les amendements identiques COM-38 et COM-4 ne sont pas adoptés.
L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-73 traite des conditions d'anonymisation des personnels affectés dans les services chargés des enquêtes en matière de criminalité organisée.
Nous souhaitons étendre la possibilité d'agir sous une identité d'emprunt aux agents de police judiciaire, aux agents des douanes et aux agents chargés de la lutte contre le trafic en haute mer. Nous supprimons l'exigence d'une autorisation hiérarchique pour ce faire. Nous apportons des précisions sur les cas dans lesquels l'anonymat pourra être levé et définissons les hypothèses dans lesquelles il ne sera pas opposable.
Enfin, l'amendement prévoit également que l'ensemble de ces agents seront réputés être habilités à accéder aux fichiers d'antécédents pénaux pour accomplir leur mission.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il suffira que les agents soient affectés aux services chargés des enquêtes en matière de criminalité organisée ? L'anonymisation n'est pas liée à l'enquête elle-même ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement vise les agents qui travaillent dans un service spécialement chargé des enquêtes en matière de délinquance et de criminalité organisées.
L'amendement COM-73 est adopté.
L'article 15 est ainsi rédigé.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - En sus de l'anonymisation, l'amendement COM-74 offre la possibilité pour les enquêteurs de recourir à l'hypertrucage en cas d'utilisation d'une identité d'emprunt, c'est-à-dire de modifier leur voix et leur apparence grâce à l'intelligence artificielle.
L'amendement COM-74 est adopté et devient article additionnel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La proposition de loi prévoit un procès-verbal distinct pour que ne soient pas identifiées les personnes menacées ou que ne soient pas révélés les éléments de fonctionnement dont dépend la faculté de mettre en oeuvre certaines techniques spéciales d'enquête.
L'amendement COM-75 vise à corriger une malfaçon légistique s'agissant du recours à la géolocalisation et à clarifier la rédaction pour mieux encadrer les indications susceptibles d'être inscrites dans le procès-verbal distinct. Il apporte des garanties supplémentaires, en prévoyant que le recours à ce procédé soit limité aux cas où il est nécessaire à la manifestation de la vérité. Nous avons recentré le dispositif sur des techniques spéciales d'enquête les plus sensibles, afin d'exclure son utilisation en matière d'écoutes téléphoniques, par exemple. Nous avons également précisé les conséquences de la révocation éventuelle de l'autorisation de recourir au procès-verbal distinct, et précisé les conditions du contrôle systématique qui sera exercé par la chambre de l'instruction sur le contenu du procès-verbal distinct. Enfin, nous prévoyons le versement au dossier de l'ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention autorisant le recours au procès-verbal distinct.
Le sous-amendement COM-89 apporte des précisions sur la procédure d'autorisation de la géolocalisation. Il traduit l'une des recommandations de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic. Notre droit permet déjà un déploiement en urgence de la géolocalisation, un délai de vingt-quatre heures étant accordé au magistrat pour valider cette opération. Le délai de huit heures prévu par notre collègue nous semble raisonnable. Avis favorable.
Le sous-amendement COM-89 est adopté. L'amendement COM-75, ainsi sous-amendé, est adopté.
L'article 16 est ainsi rédigé.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'article 17 est porteur d'évolutions utiles pour sécuriser juridiquement le travail des policiers et des gendarmes infiltrés ou agissant sous une identité d'emprunt, puisqu'il donne enfin un cadre à la notion, aujourd'hui relativement imprécise, d'« incitation à la commission d'une infraction ».
Pour sécuriser le dispositif, nous proposons, au travers de l'amendement COM-76, que ne constitueraient pas une incitation à commettre une infraction les actes qui ne font que contribuer à la poursuite d'une infraction déjà préparée ou débutée au moment où le magistrat compétent a autorisé le lancement de l'infiltration, afin de répondre à une demande claire des forces de l'ordre.
M. Francis Szpiner. - C'est une disposition très importante pour éviter un aléa jurisprudentiel. Lorsqu'il y a une infraction préexistante de trafic, le travail du policier s'inscrit dans la continuité et non dans la provocation. Or certaines chambres de l'instruction ont condamné certains policiers. Il importe de clarifier les choses.
L'amendement COM-76 est adopté.
L'article 17 est ainsi rédigé.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-77 vise à octroyer aux forces de l'ordre la faculté d'acquérir des produits stupéfiants pour mettre au jour les réseaux de narcotrafic. Nous demandons qu'il leur soit possible de recourir à une identité d'emprunt pour tous ces achats, y compris ceux qui ne sont pas effectués en ligne.
L'amendement COM-77 est adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-78 ouvre de plus aux forces de l'ordre la possibilité de recourir aux hypertrucages.
L'amendement COM-78 est adopté.
L'article 18 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-79 concerne les « infiltrés civils ». Devant le risque que ces informateurs puissent être tentés de manipuler la police ou de faire prospérer leur propre commerce au détriment de leur concurrence, l'amendement prévoit qu'ils s'engageront, dans le cadre d'un accord préalable, à témoigner, à l'issue de leur infiltration, à tous les stades de la procédure. C'est à nos yeux la condition sine qua non de l'efficacité de ce nouvel outil.
L'amendement fixe également les conditions de ce témoignage, afin d'assurer la sécurité de l'informateur, avec, de nouveau, la possibilité du recours à des hypertrucages.
Enfin, il réduit les délais d'autorisation de l'infiltration civile, afin d'éviter que ce régime ne soit plus libéral que celui qui existe aujourd'hui pour les officiers de police judiciaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pour que ce dispositif fonctionne, il faut prévoir que la possibilité d'altérer ou de transformer sa voix ou son apparence physique soit de droit si la personne le demande. L'emploi de la locution « le cas échéant » à l'alinéa inséré après l'alinéa 18 me paraît donner à cette possibilité un caractère trop aléatoire pour des personnes qui, de toute évidence, prennent des risques. Espérons du reste que la convention passée avec l'informateur ne sera pas versée au dossier pénal...
M. Francis Szpiner. - Nous parlons de l'infiltration concrète non pas de policiers, mais de trafiquants, c'est-à-dire de personnes connues des milieux criminels. L'idée de modifier la voix ou l'apparence physique de ces informateurs me paraît très théorique. Et quand bien même ils témoigneraient sous condition d'anonymat, la nature des renseignements qu'ils fourniront éclairera les réseaux criminels sur leur identité.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le changement de voix, l'hypertrucage, la dissimulation d'identité concernent non pas l'infiltration elle-même, mais le témoignage. Nous essayons de donner quelque cohérence au système et de « tenir » l'infiltré, afin qu'il n'agisse pas uniquement pour son propre compte.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mais la protection de l'identité par ces différents moyens doit être de droit ! Dans la rédaction actuelle, la locution « le cas échéant » prête à confusion sur le choix laissé, ou non, à l'informateur d'en bénéficier.
L'amendement COM-79 est adopté.
L'article 19 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-45 de M. Szpiner vise à supprimer l'article 20, qui fait état des manoeuvres qui pourraient être utilisées par une partie pour faire échec aux poursuites pénales qui la concernent.
Notre amendement COM-80 tend à modifier la procédure d'examen des requêtes en nullité, en réduisant le délai pour leur dépôt au cours de l'instruction judiciaire, en rendant obligatoire leur notification au juge d'instruction et en imposant un délai minimal avant l'audience pour leur dépôt.
Cependant, je comprends les difficultés que pose la rédaction de l'article 20 et que Francis Szpiner souligne. Elle est, comme celle de notre amendement, largement perfectible. Nous pourrions y retravailler avant la séance publique : c'est pourquoi je propose que chacun retire son amendement.
M. Francis Szpiner. - Je retire mon amendement, en sachant que nous serons amenés à en rediscuter.
L'amendement COM-45 est retiré.
Mme Laurence Harribey. - Il me semble important que le principe posé dans l'article 20 demeure.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'article 20 tire en effet les conséquences de certaines des conclusions de la commission d'enquête. Nous le maintenons, mais nous allons voir dans quelle mesure nous pouvons le réécrire. En l'état actuel du texte, sa mise en oeuvre paraît assez complexe.
M. Francis Szpiner. - Les libertés publiques ont un sens et je considère que cet article doit être supprimé. Si je comprends que l'on puisse aménager des dispositions de la procédure pénale, notamment sur les délais d'instruction des demandes de mise en liberté adressée à la chambre de l'instruction, le principe énoncé à l'article 20 est proprement inutile et, surtout, immoral.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Dans notre groupe politique, les avis divergent. Pour ma part, je note que personne n'a été en mesure de nous dire quelle était la réalité de l'usage des moyens de nullité de la procédure pénale pour contrecarrer l'effet des poursuites et obtenir des mises en liberté. Mais même à supposer qu'il soit significatif, la formulation peu claire du 3° de l'article 20 - « La nullité ne peut pas être prononcée lorsqu'elle découle d'une manoeuvre ou d'une négligence de la personne mise en cause » - ne résout pas le problème.
Par ailleurs, il importe que les délais ouverts aux mis en cause pour l'exercice de leurs droits soient tenables.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - C'est pourquoi Jérôme Durain et moi-même retravaillerons sur la rédaction de cet article avant la séance publique. Il conviendra notamment de mieux distinguer les demandes en nullité des demandes de mise en liberté. En tout état de cause, on se prémunira des manoeuvres non pas par des amendements qui ne font qu'ajouter du contentieux, mais par des éléments objectifs qui visent à ne pas permettre ces manoeuvres. Ceux que nous avons imaginés restent, je le répète, perfectibles et nous sommes ouverts à la discussion.
L'amendement COM-80 est retiré.
L'article 20 est adopté sans modification.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous avions l'ambition d'inscrire un dispositif de compétence universelle dans la proposition de loi ; il nous aurait permis d'arraisonner des navires sans l'accord de l'État du pavillon concerné. Il semble toutefois que le droit international en vigueur, et en particulier la convention de Vienne, ne le permette pas ainsi que nous l'envisagions. L'amendement COM-81 vise donc à supprimer ce dispositif.
En revanche, nous vous proposons de suivre une recommandation de la Marine nationale, qui permet de mieux traiter l'enjeu des sabordages de submersibles ou de voiliers liés au narcotrafic.
En l'état du droit, les trafiquants qui occupaient le navire sabordé pour se soustraire au contrôle des bâtiments de l'État ne peuvent qu'être appréhendés comme de simples naufragés. Pour renforcer les moyens d'action des forces face à ce phénomène, l'amendement tend à intégrer la dissimulation de preuve au cadre juridique de l'action de l'État en mer pour la poursuite d'infractions liées aux conventions internationales.
L'amendement COM-81 est adopté.
L'article 21 est ainsi rédigé.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Notre amendement COM-82, s'il est adopté, rendrait sans objet l'amendement COM-32 de M. Mandelli, qui serait alors satisfait.
Nous vous proposons, pour les ports - dont le rôle est central dans l'acheminement des produits stupéfiants -, de mieux circonscrire le dispositif d'enquêtes administratives préalables, applicable en l'état à l'ensemble des agents, afin de le recentrer sur les autorisations d'accès à certaines zones sensibles. Par rapport au droit existant, l'article 22 étendrait ainsi sensiblement les zones pour lesquelles l'autorisation d'accès, permanent ou temporaire, requiert une enquête. Ces enquêtes seraient de surcroît renouvelées chaque année.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'enquête administrative de sécurité préalable, régulièrement renouvelée, concernerait donc les ports et les aéroports ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Tout à fait.
L'amendement COM-82 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-32 devient sans objet.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Avec l'amendement COM-83, nous entendons mieux encadrer le dispositif de signalement des faits de corruption ou des menaces concernant des agents dans les administrations et services publics les plus sensibles, que l'article 22 de la proposition de loi prévoit d'instituer. Nous proposons notamment de limiter à un an la durée de conservation des signalements, en prévoyant un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) sur le décret d'application.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Est-ce la hiérarchie de l'agent qui déciderait de diligenter ou non une enquête administrative de sécurité à la suite d'un signalement le concernant ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Oui.
L'amendement COM-83 est adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Notre amendement COM-84 vise à renforcer et améliorer le dispositif de communication du ministère public aux administrations dont les agents sont poursuivis ou condamnés pour des faits de corruption. Il rend cette communication, facultative en l'état du droit, obligatoire pour tous les faits liés à la criminalité organisée, dès lors que la personne concernée est soit condamnée, soit renvoyée devant une juridiction, soit mise en examen pour ces faits. Pour ce qui a trait aux agents dépositaires de l'autorité publique, cette communication serait possible, sous certaines conditions, à n'importe quel stade de la procédure.
L'amendement COM-84 est adopté.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-85 vise à appliquer aux exploitants des installations portuaires les obligations en matière de prévention de la corruption prévues par la loi Sapin II, eu égard aux risques avérés de corruption liée au narcotrafic auxquels ils sont exposés. Il répond à une recommandation de l'Agence française anticorruption (AFA).
L'amendement COM-85 est adopté.
L'article 22 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-13 prévoit que les faits de corruption publique comme de corruption privée en lien avec d'autres infractions relevant de la criminalité organisée puissent relever du même régime procédural dérogatoire, permettant ainsi l'utilisation des techniques spéciales d'enquête et la garde à vue prolongée.
Une telle mesure semble proportionnée au niveau de la menace. Elle répond à un besoin opérationnel exprimé avec force par l'ensemble des acteurs de la procédure pénale, services enquêteurs comme magistrats, eu égard à la grande complexité des enquêtes en matière de corruption liée à la criminalité organisée. L'avis est favorable.
L'amendement COM-13 est adopté et devient article additionnel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les amendements COM-24, COM-86, COM-87 et COM-46 ont essentiellement trait à la sécurisation des demandes de mise en liberté, lesquelles représentent un véritable enjeu pour les narcotrafiquants. Un délai s'impose en effet en France pour le jugement des personnes qui comparaissent détenues et, ces affaires étant prioritaires, les mis en cause sont alors à peu près sûrs d'être jugés, tandis qu'ils ne le seraient peut-être jamais en l'absence de détention.
Pour ces demandes de mise en liberté davantage que pour les requêtes en nullité, la commission d'enquête a démontré que les narcotrafiquants n'hésitent pas à recourir à des manoeuvres.
Des mesures techniques objectives permettraient certainement d'y mettre un terme. Jérôme Durain et moi-même avons essayé d'en concevoir plusieurs.
Avec l'amendement COM-86, nous vous proposons d'abord d'augmenter les délais accordés au parquet, au juge des libertés et de la détention et à la chambre de l'instruction pour statuer sur les demandes de mise en liberté.
Nous vous proposons ensuite - et quoique cette mesure reste perfectible - de prévoir l'irrecevabilité d'une telle demande en appel tant qu'il n'a pas été statué sur l'appel précédent, ce qui existe déjà en première instance, et de prévoir que cette irrecevabilité s'applique jusqu'à la notification de la décision aux parties, puisqu'il nous a été indiqué que de nombreuses demandes de mise en liberté étaient successivement formulées sans que le magistrat sache si la décision sur la précédente demande avait été rendue.
Nous proposons aussi que les pièces produites par le prévenu ou son avocat soient transmises au plus tard cinq jours avant l'audience.
En outre, nous proposons de porter de quatre à huit heures la durée pendant laquelle une personne bénéficiant d'une ordonnance de remise en liberté est maintenue temporairement en détention, en vue de la formation d'un appel et d'un référé-détention par le procureur de la République.
Nous proposons également de supprimer la possibilité pour l'avocat de déposer une demande de mise en liberté par voie postale, ce qui donne également lieu, en pratique, à des manoeuvres. En conséquence, le dispositif du texte initial imposant à l'avocat d'être inscrit au barreau local est supprimé.
Par ailleurs, nous proposons de supprimer la possibilité de saisine directe de la chambre de l'instruction si la personne maintenue en détention provisoire n'a pas été entendue depuis plus de quatre mois.
Enfin, nous vous proposons de modifier les délais de saisine directe de la chambre de l'instruction à l'expiration desquels une mise en liberté d'office peut intervenir. En parallèle, l'amendement vise à créer, sur le modèle d'une procédure déjà existante, une possibilité de décision en extrême urgence de la chambre de l'instruction après l'expiration des délais pour les seules personnes mises en examen pour des faits liés à la délinquance et à la criminalité organisées.
Quant à notre amendement COM-87, il prévoit de ramener la durée maximale de la détention provisoire à deux ans pour des faits de délinquance organisée, que la proposition de loi avait initialement portée à quatre ans, comme en matière criminelle, ce qui nous a paru excessif. Nous avons plus modestement allongé la durée du mandat de dépôt correctionnel initial de quatre à six mois.
L'amendement COM-24 du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) prévoit, pour sa part, de supprimer toute disposition relative aux demandes de mise en liberté ou aux délais de détention provisoire. C'est évidemment contraire à notre position.
L'amendement COM-46 de notre collègue Francis Szpiner tend à supprimer, à juste titre selon nous, et quoique l'adoption de l'amendement COM-86 le rendrait sans objet, les dispositions qui imposent que l'avocat dépositaire d'une demande de mise en liberté soit inscrit au barreau local.
M. Francis Szpiner. - Je retire mon amendement.
En revanche, si je partage la philosophie générale sous-tendue par les amendements des rapporteurs, certaines des dispositions proposées me laissent perplexe et gagneraient à mon sens à être réécrites.
C'est, par exemple, le cas de celle qui a trait à la suppression de la possibilité de saisir directement la chambre de l'instruction quand la personne maintenue en détention provisoire n'a pas été entendue depuis plus de quatre mois. Ce dispositif présente, de mon point de vue, l'avantage d'instaurer un principe de contrôle du travail du juge d'instruction et devrait donc être maintenu.
Par ailleurs, la disposition qui tend à imposer que les pièces produites par le prévenu ou son avocat soient transmises au plus tard cinq jours avant l'audience me semble violer par trop les droits de la défense : que reste-t-il en effet de ces droits si le ministère public présente ses réquisitions au dernier moment ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je n'ai pas manqué moi-même d'émettre quelques doutes sur certains de nos dispositifs d'application générale. Tout me semble largement améliorable et les droits de la défense ne nous sont pas indifférents. D'ici à la séance publique, nous pourrons certainement trouver une rédaction qui soit plus équilibrée et, peut-être même, plus efficace.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ces dispositions s'appliquent-elles à toutes les demandes de mise en liberté ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Oui. La proposition de loi avait sur ce thème un périmètre général, et il paraissait au demeurant difficile de poser des règles sur les demandes de mise en liberté qui soient propres à la criminalité organisée.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La modification que vous proposez à l'alinéa 10 induit-elle qu'il n'y a plus de possibilité de demander une mise en liberté auprès du greffe de l'établissement pénitentiaire ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Non, cette possibilité existe toujours.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est pas ce qui est écrit !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le dépôt de la demande de mise en liberté reste possible à la fois auprès du greffe de la juridiction d'instruction et auprès de celui de l'établissement pénitentiaire.
L'amendement COM-46 est retiré.
L'amendement COM-24 n'est pas adopté. Les amendements COM-86 et COM-87 sont adoptés.
L'article 23 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'article 24 ouvre la possibilité de prononcer des interdictions administratives de paraître sur les points de deal contre des personnes soupçonnées de diriger un trafic de stupéfiants ainsi que des mises en demeure pour qu'elles quittent leur domicile, lorsque celui-ci est situé dans la zone d'interdiction et est utilisé dans le cadre des activités de direction du réseau. Il répond à une demande des élus locaux.
Jérôme Durain et moi-même voudrions modifier cet article, mais non le supprimer, au contraire de ce que souhaite le groupe GEST avec l'amendement COM-25 déposé par Guy Benarroche.
L'amendement COM-88 que nous présentons vise d'abord à étendre le dispositif de l'interdiction de paraître à toute personne participant à l'activité d'un point de deal, en ne le limitant plus aux seules têtes de réseaux qui ne se rendent quasiment jamais sur les lieux des trafics qu'elles organisent.
Nous vous proposons ensuite de supprimer l'inapplicabilité du dispositif aux mineurs. Les exempter du dispositif conduirait les trafiquants à les cibler prioritairement pour exercer leurs activités illicites sur des points de deal.
Par ailleurs, il nous faut tenir compte de ce qu'il ne nous sera pas loisible, juridiquement, d'appliquer une telle mesure sur les lieux du domicile de l'intéressé. Cependant, peut-être sera-t-il envisageable d'obtenir son expulsion.
Précisément, en ce qui concerne l'expulsion locative, le dispositif actuel prévu dans la proposition de loi nous paraît juridiquement fragile du fait de l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire. Pour fonder la décision d'expulsion, qui resterait administrative, nous vous proposons d'étendre aux abords des logements le régime de la clause d'occupation paisible qui figure dans les baux. La mise en oeuvre de la décision reviendrait prioritairement au bailleur, mais, en cas d'inaction de sa part - par exemple par crainte de représailles -, le préfet pourrait se substituer à lui.
Mme Audrey Linkenheld. - Il me semble que le texte prévoyait de demander aux bailleurs sociaux de faire une proposition de relogement de la personne expulsée. Cette disposition est-elle maintenue ? Elle ne serait évidemment pas sans poser de lourdes difficultés, en raison tant du manque de logements disponibles que du symbole qui s'y attacherait.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ce mécanisme ne comporte pas d'obligation spécifique de relogement et je partage l'idée selon laquelle une telle obligation à l'égard de narcotrafiquants serait difficilement opposable au bailleur. Celui-ci n'aurait du reste aucun intérêt à procéder à l'expulsion s'il lui fallait aussitôt assurer ce relogement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le texte prévoit au contraire la possibilité pour le représentant de l'État d'imposer le relogement au bailleur. C'est l'équivalent du droit au logement opposable (Dalo) !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - En effet.
Mme Audrey Linkenheld. - C'est incompréhensible !
M. Hussein Bourgi. - Je suis foncièrement hostile à l'amendement de suppression déposé par notre collègue Guy Benarroche, en ce qu'il méconnaît la réalité du narcotrafic. Par ailleurs, au sein de la métropole de Montpellier, nous appliquons la tolérance zéro à l'égard de notre bailleur social ; le maire et le préfet ont par exemple récemment procédé à l'expulsion d'une dame de 89 ans qui avait transformé son appartement ainsi que sa cave, respectivement, en lieux de deal et d'entreposage de la drogue à l'usage de son fils, de son beau-fils et de ses petits-enfants !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Bravo !
M. Hussein Bourgi. - Les narcotrafiquants sont particulièrement vicieux et savent comment contourner la règle de droit, en l'occurrence en impliquant dans leur trafic une personne âgée. Soit on veut lutter efficacement contre le narcotrafic et il ne faut pas avoir d'états d'âme, soit on invoque la nécessité de procéder à des relogements en raison de la présence de mineurs, de personnes en situation de handicap, de personnes malades ou âgées et l'on s'impose alors une double peine ! Dans le cas que j'évoquais, toutes les associations de défense des locataires et de défense des droits de l'homme sont montées au créneau pour nous rappeler l'âge avancé de l'intéressée et demander son relogement ; mais personne ni aucun bailleur social n'a voulu d'elle dans sa résidence ! Et nous avons tenu bon. Je vous en conjure, ne nous compliquez pas la vie sur le terrain !
M. Francis Szpiner. - Il y a quand même une convention des droits de l'enfant. Je veux bien que, pour lutter contre le narcotrafic, l'on donne à la justice tous les moyens, mais on ne peut pas perdre toute humanité ! Mettrez-vous dehors des enfants de trois ou quatre ans ?
M. Hussein Bourgi. - Ce sont les parents qui sont responsables ! Ou on les leur retire...
M. Francis Szpiner. - Monsieur Bourgi, je retiens vos propos, que je ne manquerai pas de vous rappeler à l'occasion d'autres discussions.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La nouvelle rédaction que nous vous proposons avec notre amendement supprime en réalité la possibilité de relogement, prévue dans le texte initial.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je lis pourtant que c'est toujours une possibilité...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Les propos du rapporteur me rassurent, je suis en total accord avec M. Bourgi et en complet désaccord avec mon collègue Francis Szpiner. On ne peut à chaque fois trouver une caution morale pour éviter d'appliquer la loi partout et pour tous ! Cela suffit !
Mme Mélanie Vogel. - Quand vous dites avoir « supprimé la possibilité de relogement », cela signifie-t-il qu'il n'y a pas d'obligation, mais que la possibilité existe encore, ou, plus radicalement, que l'on ne peut plus du tout reloger une personne expulsée ? Il y a une différence, car, dans le second cas de figure, on contraint les gens à être à la rue.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Notre rédaction se substitue à celle de la proposition de loi qui prévoyait cette possibilité, non à la possibilité elle-même. Cela ne revient pas à dire que nous condamnons les gens à la rue.
L'amendement COM-25 n'est pas adopté. L'amendement COM-88 est adopté.
L'article 24 est ainsi rédigé.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-16 rectifié, relatif à la durée maximale de fermeture d'un débit de boisson, est irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
Mme Lauriane Josende. - C'est regrettable et je rejoins les propos que notre collègue Hussein Bourgi a tenus ce matin : dans nos territoires, les épiceries de nuit sont une nouvelle modalité, externalisée, du trafic de stupéfiants et de blanchiment de l'argent de ce trafic. J'aurai quelque mal à expliquer aux élus des Pyrénées-Orientales qu'une proposition de loi relative à la lutte contre le narcotrafic ne les prenne pas en compte.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous avons déjà adopté un dispositif qui permet de prononcer la fermeture administrative des « blanchisseuses » et de leur retirer toute autorisation d'exploitation, telle qu'une licence de débit de boissons. Le sujet que vous soulevez peut-être en grande partie traité sous cet angle.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Blanchiment d'argent et trafic de stupéfiants sont deux choses différentes !
Mme Lauriane Josende. - Il faut pouvoir prouver qu'il y a eu blanchiment d'argent. En ce qui concerne les épiceries de nuit, cette preuve est le plus souvent, et au moins dans un premier temps, difficile à rapporter. Pour prononcer des fermetures administratives à leur endroit, les élus locaux arguent plutôt qu'elles engendrent de considérables nuisances, notamment sonores. Je relève ici un vide législatif.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je précise que nous avons étendu la possibilité de prononcer une fermeture administrative et de procéder au retrait des autorisations en cas de trafic de stupéfiants. Cela me paraît conforme à la demande que les élus locaux formulent, et nous ne serons ainsi pas juridiquement désarmés devant le problème des épiceries de nuit.
M. Hussein Bourgi. - Je plaiderai en faveur de cet amendement, en prenant l'exemple des épiceries de nuit telles qu'elles fonctionnent dans le sud de la France. Elles se fournissent en alcools forts, en réglant en espèces, de l'autre côté de la frontière, en Espagne, où l'alcool est beaucoup moins cher que chez nous, puis remplissent leurs rayons de ces bouteilles. Elles deviennent vite un lieu de tapage nocturne, autant qu'un lieu de deal.
Je vous invite à consulter les contenus publiés par le préfet de l'Hérault sur les réseaux sociaux : vous y constaterez le nombre élevé des fermetures administratives qui sont prononcées chaque semaine. Elles sont malheureusement restreintes dans le temps et des avocats d'épiceries de nuit qui ont été fermées à deux ou trois reprises au cours de l'année attaquent désormais le préfet et le maire pour harcèlement !
J'invite à réfléchir à la durée de la fermeture administrative qui, de mon point de vue, gagnerait à être beaucoup plus étendue. La décision d'un juge qui donnerait droit à un recours de l'une de ces épiceries de nuit nous placerait dans une situation bien embarrassante à l'égard tant de la population que de ceux qui tiennent ces établissements. Soyons donc attentifs à ce qui se passe sur le terrain !
L'amendement COM-16 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-15 rectifié n'est pas adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE FIXANT LE STATUT DU PROCUREUR NATIONAL ANTI-STUPÉFIANTS
Mme Patricia Schillinger, présidente. - Je vous propose de considérer que le périmètre de ce texte comprend l'ensemble des dispositions requises pour fixer le statut des magistrats relevant des juridictions créées par la proposition de loi no 735 rectifiée visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-1 est un amendement de coordination avec le choix fait, à l'article 2 de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, de substituer au procureur national anti-stupéfiants (Pnast) un procureur national anti-criminalité organisée (Pnaco).
L'amendement COM-1 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi organique
M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement de coordination COM-2 apporte la même modification à l'intitulé de la proposition de loi organique.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'intitulé de la proposition de loi organique est ainsi modifié.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements à la proposition de loi examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Le sort des amendements à la proposition de loi organique examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 14 h 50.