Mercredi 22 janvier 2025

- Présidence de M. Cédric Perrin, Président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

« Renforcer la relation franco-turque afin d'agir conjointement pour la paix » - Examen du rapport d'information

M. Cédric Perrin, Président. - Mes chers collègues, nous commençons cette réunion par la présentation du rapport de nos collègues sur la Turquie, acteur incontournable de nombre de dossiers qui nous intéressent.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, une délégation de cinq sénateurs de notre commission comprenant Olivier Cigolotti, Nicole Duranton, Sylvie Goy-Chavent et Jean-Marc Vayssouze-Faure s'est rendue en Turquie du 8 au 12 octobre 2024.

Elle a débuté son programme à Izmir par la visite du détachement français du commandement terrestre (LANDCOM) de l'OTAN et des échanges avec les autorités locales avant de rejoindre Ankara où elle a eu des échanges avec des responsables ministériels et parlementaires.

Ce déplacement répondait à une volonté partagée de renouer un dialogue de haut niveau alors que les sujets de désaccord se sont accumulés ces dernières années entre la France et la Turquie. Il a permis de réaffirmer l'importance de notre relation, sans nier les difficultés qui ont été rappelées, en particulier lors des échanges menés à la Grande Assemblée nationale de Turquie.

Au-delà de ces différences connues et assumées, ce dialogue nous a permis de mieux évaluer la position ambivalente de la Turquie : Située à la fois au Proche-Orient et en Europe ; Désireuse de renforcer ses liens avec l'Union européenne tout en poursuivant une voie propre dans le monde musulman ; Héritière d'un projet modernisateur et laïc de Mustapha Kemal Atatürk, mais aussi profondément transformée par le projet politique mis en oeuvre par le président Erdogan ; Médiatrice dans les conflits qui l'entourent mais par ailleurs soutien de certains belligérants dans le Caucase et en Syrie... La Turquie exerce pour toutes ces raisons un rôle régional unique.

Notre programme de travail a privilégié trois perspectives : la Turquie et l'OTAN dans le cadre des crises actuelles, la Turquie et l'Union européenne et, enfin, les relations franco-turques.

Je laisse pour commencer la parole à notre collègue Nicole Duranton pour évoquer la relation entre la Turquie et l'OTAN.

Mme Nicole Duranton, rapporteure. - Depuis son adhésion à l'OTAN en 1952 la Turquie permet à l'Alliance de renforcer sa présence en Méditerranée orientale et dans les détroits des Dardanelles et du Bosphore. Les autorités turques ont souligné par ailleurs que l'armée turque constituait la deuxième de l'OTAN en effectifs.

La présence de l'OTAN en Turquie se matérialise principalement au travers de la base aérienne d'Incirlik qui accueille des éléments de l'US Air Force contribuant au support des missions de l'OTAN dans la région. Outre des aéronefs, la base accueillerait encore un nombre important de bombes thermonucléaires B-61 américaines.

Nous avons souhaité, pour notre part, nous rendre au quartier général terrestre (LANDCOM) situé à Izmir qui accueille un contingent de militaires français. Nous avons pu échanger à cette occasion avec les militaires français afin de leur exprimer notre soutien et prendre connaissance des conditions d'exercice de leur mission, tant sur le plan personnel que professionnel.

Si les militaires français rencontrés ont tous fait part de leur grande satisfaction pour cette affectation, ils ont aussi évoqué des problèmes pour scolariser leurs enfants en l'absence d'établissement français à Izmir ainsi que des difficultés économiques compte tenu de la forte inflation que connaît le pays et des difficultés à se loger à proximité du siège de l'OTAN.

Concernant le rôle du LANDCOM, nous avons bénéficié d'une présentation des travaux en cours sur la transformation de l'OTAN pour répondre aux nouvelles menaces. Nous avons ainsi pu prendre la mesure du travail réalisé ces dernières années par l'Alliance afin d'actualiser l'appréciation de la menace et de redimensionner les efforts à produire pour y répondre dans les meilleurs délais.

L'enjeu majeur pour l'Alliance est, en effet, de pouvoir organiser une montée en puissance rapide, puissante et continue afin de faire face, dans la durée, à une menace de haute intensité, ce qui nécessite la définition d'un nouveau modèle de forces.

À l'issue de ces échanges, nous pensons que le renforcement du rôle du LANDCOM justifie pleinement de faire monter en puissance le contingent français en portant un soin particulier aux conditions de séjour des familles pour renforcer l'attractivité de la mission, en veillant à pourvoir l'ensemble des postes attribués à notre pays et en envisageant l'affectation d'officiers généraux afin d'exercer une influence plus conforme à notre poids dans l'Alliance.

La Turquie occupe par ailleurs une place à part dans l'OTAN comme l'illustre son rôle dans la guerre en Ukraine.

L'agression de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a mobilisé la Turquie qui s'est employée à jouer un rôle de médiateur notamment en réunissant en mars 2022 à Antalya les chefs de la diplomatie russe et ukrainienne, puis en menant plusieurs tentatives de médiation. Cette position particulière de la Turquie dans le conflit s'explique par les liens étroits qu'elle entretient avec chacun des deux protagonistes. Engagée dans une coopération militaire avec l'Ukraine et cliente de ce pays en matière d'importation de céréales, la Turquie doit également tenir compte de sa dépendance à la Russie sur les plans énergétique (gaz acheminé au travers du gazoduc Turk Stream, centrale nucléaire russe d'Akkuyu...) et économique (touristes russes, marché du BTP russe...). Elle a ainsi refusé d'appliquer les sanctions internationales tout en condamnant l'agression russe et elle veille à maintenir le dialogue avec l'ensemble des parties.

Si la fermeture des détroits des Dardanelles et du Bosphore décidée par la Turquie dès février 2022 a, par exemple, eu pour conséquence d'interdire l'entrée de bâtiments de pays non riverains en Mer noire, elle a aussi compliqué les mouvements des bâtiments russes, les autorités turques ayant indiqué que près de 28 navires russes s'étaient vu refuser le passage vers la Mer noire depuis le début de la guerre. La Turquie a également joué un rôle important afin de permettre l'adoption d'un accord sous l'autorité de l'ONU qui a créé un corridor maritime sûr en Mer noire emprunté par plus de mille navires chargés de céréales et d'autres denrées alimentaires de juillet 2022 à juillet 2023. À cet égard, le vice-ministre des affaires étrangères, Melmet Kemal Bozay, nous a indiqué que la sécurité alimentaire à travers la poursuite des exportations de céréales et la préservation de la liberté de circulation en Mer noire constituaient toujours deux priorités pour les autorités turques.

Alors que la présence de la Turquie dans l'OTAN et son rôle essentiel pour équilibrer la défense des pays membres ne sont pas aujourd'hui contestés, plusieurs événements récents sont venus mettre en évidence le fait que la Turquie pouvait avoir, dans certaines circonstances, une interprétation propre du devoir de solidarité inhérent à toute alliance militaire.

L'achat de plusieurs systèmes de batteries sol-air S400 russes en septembre 2017 a, ainsi, été vécu par certains membres de l'Alliance comme une entorse à la cohérence militaire de l'Alliance puisque ces systèmes ne sont pas compatibles avec ceux utilisés par les autres pays membres.

Cet achat a été à l'origine d'une détérioration des relations de la Turquie avec les Etats-Unis qui s'est traduite, en particulier, par l'arrêt de la participation de la Turquie au programme de développement du chasseur F35, puis par l'adoption en décembre 2020 de sanctions plus larges prévoyant notamment l'interdiction des exportations d'armes américaines vers la Turquie.

Le blocage imposé par la Turquie à l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN, a par ailleurs nourri les interrogations sur la détermination de la Turquie à assurer le renforcement de l'Alliance dans le contexte de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Si la Finlande a pu rejoindre l'Alliance à compter du 4 avril 2023, la Suède a dû attendre le 7 mars 2024 pour l'intégrer à l'issue d'un dialogue compliqué avec la Turquie qui exigeait que la Suède modifie sa politique d'accueil de certains réfugiés politiques. Cette mise sous condition de l'adhésion de ces deux pays européens directement menacés par la Russie n'a pas contribué à faire oublier le trouble créé par l'épisode de l'achat des batteries de S400.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Olivier Cigolotti évoquera les relations pas toujours simples entre la Turquie et les pays occidentaux d'une part et ses voisins du Caucase et du Moyen-Orient d'autre part.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - La position ambiguë de la Turquie au sein de l'Alliance constitue sans doute une des raisons pour lesquelles la coopération militaire entre la Turquie et les autres pays de l'OTAN est aujourd'hui limitée. Si l'Allemagne a accepté en octobre 2024 l'exportation de chasseurs Eurofighter à la Turquie, le projet de vente de systèmes franco-italiens sol-air SAMP-T n'a pu aboutir en dépit des demandes des autorités turques. Ces dernières ont réitéré au cours de nos échanges leur intérêt pour ce système de défense sol-air en regrettant que l'absence d'accord ait pour effet d'affaiblir l'OTAN.

Tout comme les pays européens, la Turquie a également tiré les leçons de la guerre en Ukraine en identifiant les problèmes d'approvisionnement auxquels elle pouvait être confrontée en cas de conflit. Le Gouvernement turc a ainsi décidé d'augmenter le budget des dépenses militaires de 150% en 2024 pour le porter à 40 Mds$ ce qui constitue un effort sans précédent en dépit du niveau élevé de l'inflation.

Les échanges que nous avons menés à la Présidence des industries de défense - équivalent de la DGA - ont permis de prendre la mesure de la diversité et de l'expertise des entreprises turques de l'armement qui permettent au pays de disposer d'un large choix de drones, missiles, roquettes, véhicules blindés.

Les responsables de la Présidence des industries de défense ont, par ailleurs, indiqué que la Turquie avait la volonté de développer un chasseur de 5ème voire de 6ème génération et était intéressée pour contribuer au SCAF en rappelant que la Turquie avait été partenaire des programmes Cougar et A400M et travaillait au développement d'une constellation de satellites Gökturk.

La place de la Turquie a évolué en Méditerranée orientale depuis la fin de la guerre froide. L'éclatement de l'URSS a non seulement donné lieu à l'indépendance de l'Ukraine mais également à celle des différents États du Caucase tandis que les conflits en Irak puis en Syrie et en Libye ont rendu la région particulièrement instable, ce qui a amené la Turquie à s'impliquer pour stabiliser son environnement proche dans un sens conforme à ses intérêts.

Les dirigeants turcs ont, par ailleurs, mis en oeuvre à compter de 2013 une nouvelle stratégie géopolitique appelée « Mavi Vatan » - la Patrie bleue - à l'initiative de l'ancien amiral Cem Gürdeniz pour revendiquer une souveraineté sur le plateau continental en Mer Égée et affirmer la vocation de la Turquie à exercer son influence en Méditerranée orientale.

La mise en oeuvre de cette doctrine a contribué à générer de vives tensions avec la Grèce et Chypre qui se sont néanmoins apaisées, le dialogue ayant été repris au plus haut niveau entre Athènes et Ankara. Mais la question de la gestion du plateau continental et de la délimitation des zones maritimes demeure d'actualité, la Turquie n'ayant pas renoncé à négocier des traités avec des pays riverains comprenant des clauses relatives à la délimitation des zones maritimes.

Nous avons pu constater que les responsables turcs rencontrés se sont tous félicités du réchauffement des relations avec la Grèce et de la relance des coopérations économiques et commerciales, le dialogue se poursuivant sur la délimitation du plateau continental et de la ZEE. Nous avons cependant observé concernant Chypre qu'alors que des solutions de cohabitation fédérales étaient encore explorées il y a quelques années la Turquie continuait à plaider en faveur de la reconnaissance d'un État dans la partie nord de l'île occupée par la Turquie.

La Turquie demeure, par ailleurs, attentive à la situation au Caucase qui constitue une seconde « zone tampon » avec la Russie, en plus de l'Ukraine. La Turquie et l'Azerbaïdjan entretiennent des relations très étroites au sein du « conseil turcique » tandis que des responsables des deux pays n'hésitent pas à évoquer « une seule nation, deux États ». Leur coopération militaire a amené la Turquie à fournir de nombreux drones militaires Bayraktar TB2 à l'Azerbaïdjan dans le cadre de son offensive au Haut-Karabagh.

La position de la Turquie sur le conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie semble avoir évolué ces derniers mois puisque le gouvernement turc soutient le principe d'un accord de paix entre les deux pays. Le président de la commission des affaires étrangères Fuat Oktay a ainsi souligné devant notre délégation « l'importance du dialogue ouvert en dépit des désaccords » et « le rôle très important que pouvait jouer la Turquie » pour aboutir à un accord.

Nous considérons que le soutien turc à la recherche d'un accord entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan constitue une avancée majeure à un moment où des tentations subsistent d'établir une continuité territoriale entre les différents territoires azerbaidjanais.

La Syrie est un autre sujet stratégique pour la Turquie compte tenu des relations anciennes entre les deux pays, des liens étroits entre leurs populations et de la présence de plus de trois millions de réfugiés syriens en Turquie. Depuis 2011, la Turquie s'est impliquée dans le conflit syrien afin, notamment, de structurer les différentes oppositions au régime de Bachar El-Assad et de conduire des interventions en territoire syrien contre les forces kurdes. Elle visait en particulier à stabiliser suffisamment le nord du pays pour pouvoir y reconduire les millions de réfugiés installés sur son territoire. La chute du régime de Bachar El-Assad le 8 décembre 2024 doit ainsi beaucoup au soutien militaire de la Turquie à la coalition dirigée par le groupe islamiste Hayat Tahrir Ach-Cham (HTC).

Le rôle joué par la Turquie dans l'évolution politique de la Syrie comme son influence auprès des nouvelles autorités gouvernementales lui donnent une responsabilité importante pour concourir de façon décisive à une transition pacifique. Les défis sont immenses puisqu'il s'agit à la fois de jeter les bases d'un régime politique stable et inclusif, de préserver la souveraineté territoriale de la Syrie et de mobiliser les moyens nécessaires à la reconstruction du pays.

Nous avons pu constater l'attachement de la Turquie à l'intégrité territoriale de la Syrie et la préoccupation des autorités turques de voir assurée la sécurité à leurs frontières. À cette occasion, nous n'avons pas manqué de rappeler le rôle joué par les forces kurdes syriennes pour lutter contre Daech et le régime de Bachar El-Assad et la nécessité de permettre à toutes les communautés de concourir au fonctionnement des nouvelles institutions syriennes.

M. Christian Cambon, rapporteur. - notre collègue Jean-Marc Vayssouze-Faure va revenir sur la situation politique en Turquie puis sur ses relations avec l'Union européenne.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, rapporteur. - La vie politique turque demeure marquée par la figure du président de la République, Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre de 2003 à 2014, puis président de la République, réélu le 28 mai 2023 pour 5 ans avec 52,2 % des suffrages exprimés au second tour de l'élection présidentielle. Lors des élections législatives du 14 mai 2023, l'alliance gouvernementale rassemblant le Parti de la justice et du développement (AKP) et ses alliés du MHP a conservé sa majorité absolue, remportant 323 des 600 sièges de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Le Parti républicain du peuple (CHP) créé par Mustafa Kemal Atatürk en 1923 a, pour sa part, remporté les élections municipales du 31 mars 2024 et dirige aujourd'hui les cinq provinces les plus peuplées (Istanbul, Ankara, Izmir, Bursa et Antalya).

La situation politique et institutionnelle de la Turquie demeure l'objet de controverses tant de la part des différents responsables politiques turcs que des organisations de défense des droits de l'Homme. Le succès de l'opposition aux élections municipales du 31 mars 2024 dans les grandes métropoles ne clôt pas, selon de nombreux observateurs, le débat sur le caractère équitable des compétitions électorales et l'indépendance de la justice. Des journalistes et des élus locaux continuent, selon ces derniers, à être poursuivis pour des motifs d'ordre politique.

Le succès du CHP kémaliste aux élections locales de mars 2014 s'expliquerait notamment par le rejet croissant par l'opinion publique des 3 millions de réfugiés syriens dont la présence pèse sur le fonctionnement de certains services publics. La chute du régime de Bachar El Assad suite à l'offensive du HTC appuyé par la Turquie pourrait ainsi accélérer le processus de retour des réfugiés, qui constitue une priorité pour le Gouvernement dans la perspective de l'élection présidentielle de 2028.

Après son succès aux élections municipales, le CHP appelle pour sa part à des élections anticipées et se prépare à exercer le pouvoir à l'issue d'une alternance qui lui semble possible. La formation kémaliste a indiqué à notre délégation qu'elle souhaitait à l'intérieur s'inspirer de son expérience locale qui lui a permis de créer des modèles innovants et à l'extérieur « tourner le visage de la Turquie vers l'Europe ». Les responsables du CHP considèrent qu'une Turquie stable, démocratique et tournée vers l'Europe est possible et ils entendent mettre un terme à ce qu'ils estiment être « l'imprévisibilité actuelle de la Turquie ».

Concernant la relation franco-turque, le CHP appelle de ses voeux davantage de coopérations et moins de concurrence avec une Turquie démocratique, laïque, européenne et prévisible.

Nous avons pu constater que le pluralisme politique demeurait une réalité dans la société turque comme l'illustre le succès de l'opposition aux élections locales, même si la séparation des pouvoirs n'était sans doute pas mise en oeuvre de la même manière que dans les pays de l'Union européenne.

J'en viens maintenant aux relations entre la Turquie et l'Union européenne. La Turquie s'est vue reconnaître le statut de « pays candidat » en 1999. Les négociations d'adhésion entre l'UE et la Turquie ont été ouvertes en octobre 2005 sur la base d'un cadre précisant qu'elles « sont un processus ouvert dont l'issue ne peut être garantie à l'avance ». Ces négociations dépendent de la capacité de la Turquie à assumer les obligations liées à l'adhésion (plein respect des critères de Copenhague, dont les critères politiques - droits de l'Homme, État de droit, démocratie) ainsi que de la capacité d'assimilation de l'Union. À l'heure actuelle, 16 chapitres de négociation sur 35 ont été ouverts et un seul provisoirement clos. Cependant les négociations d'adhésion avec la Turquie sont aujourd'hui à l'arrêt, en raison d'une part de la situation de l'État de droit et de l'évolution des opinions publiques tant en Europe qu'en Turquie qui sont moins favorables à cette perspective.

Les autorités turques ont réaffirmé lors de nos échanges leur souhait de voir aboutir le processus d'adhésion alors même que le projet politique qu'elles poursuivent semble contradictoire sur plusieurs aspects avec cet objectif. Par ailleurs, comme l'ont reconnu plusieurs responsables turcs, l'évolution des opinions publiques dans un nombre croissant d'États européens rend moins envisageable dans un avenir proche la perspective d'une adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Nous pouvons ajouter que les opinions publiques européennes sont devenues réticentes vis-à-vis de l'idée même d'accueillir de nouveaux membres dans l'UE. Ce décalage croissant entre un processus d'adhésion reposant sur des critères techniques et une absence de soutien politique de la part des opinions publiques génère une forme d'attentisme de la part des Européens que regrettent les responsables turcs, le président de la commission des affaires étrangères, Fuat Oktay, ayant par exemple déploré que « l'Union européenne n'a pas de vision stratégique sur la Turquie ».

L'Union européenne et la Turquie coopèrent cependant de manière efficace sur la question des migrations. L'Union européenne a, en effet, accepté de contribuer à l'accueil des réfugiés en Turquie et un accord de réadmission a été conclu concernant les migrants en situation irrégulière partis du territoire turc. Cette coopération s'est accompagnée d'une aide européenne de 6 Mds€ depuis 2016 au titre de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie (FRiT) à laquelle s'est ajoutée une enveloppe additionnelle de 3 Mds€ pour la période 2021-2023 entièrement financée par le budget européen, pour permettre la poursuite de projets dans les domaines de l'assistance humanitaire, de la santé, de l'éducation, et du soutien socio-économique.

Les interlocuteurs rencontrés ont ainsi rappelé le souhait de la Turquie de rejoindre l'Union européenne sans toutefois laisser penser que cette demande avait de réelles chances d'aboutir dans un futur proche. Nous avons pu mesurer combien cette situation constituait une source de frustration pour les autorités turques qui n'ont toutefois pas esquissé de stratégie alternative à cette demande d'adhésion pour le cas où elle ne pourrait aboutir. Tout au plus ont-elles évoqué leur souhait de moderniser l'union douanière et de faciliter l'octroi des visas.

Concernant les coopérations sur les questions de défense, le vice-ministre des affaires étrangères, Mehmet Kemal Bozay, a déploré que la Turquie ne bénéficie pas de la facilité européenne pour la paix tandis que le président de la commission des affaires étrangères, Fuat Oktay, a regretté que la Turquie soit « le seul pays candidat pour lequel une libéralisation des visas n'a pas été mise en place ».

À l'issue de ces échanges, nous estimons que des nouveaux partenariats pourraient être recherchés entre l'Union européenne et la Turquie à la fois sur la politique de visas pour encourager les échanges d'étudiants et de professionnels qualifiés, la gestion des flux migratoires avec une reconduction des aides européennes et le développement de grands programmes de coopération notamment dans les domaines des infrastructures locales (assainissement, transports collectifs), de la défense et du spatial.

M. Christian Cambon, rapporteur. - notre collègue Sylvie Goy-Chavent va revenir sur les désaccords entre nos deux pays et la nécessité de les dépasser.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure : Comme l'a rappelé la vice-présidente du groupe d'amitié Turquie-France, Tuba Vural Çokal, l'établissement de relations diplomatiques entre la France et la Turquie remonte à 1484. Cette longue histoire explique pourquoi, au-delà des désaccords inévitables que génèrent les relations internationales, les responsables des deux pays conservent une estime réciproque et la conviction ancrée que la force des intérêts mutuels doit prévaloir à long terme. C'est la raison pour laquelle le déplacement de notre délégation était attendu et souhaité afin de relancer un dialogue politique en perte de vitesse.

Ce dialogue est d'autant plus nécessaire que l'influence de la Turquie en France même n'a cessé de s'accroître ces dernières années, les représentants politiques turcs rencontrés rappelant opportunément que la France comptait sur son sol 800 000 ressortissants turcs dont la moitié possède la double nationalité. Le président de la commission de la défense de la Grande Assemblée nationale, Lulusi Akar, a insisté sur le rôle de cette communauté dans le dialogue bilatéral.

Les échanges politiques de haut niveau menés à Ankara ont aussi été l'occasion pour les responsables turcs issus de l'AKP de faire la liste des nombreux griefs qu'ils nourrissent à l'encontre de la France. Le président de la commission de la défense a, par exemple, déploré les positions prises par les deux assemblées parlementaires françaises sur la question des génocides arménien et assyro-chaldéen, estimant que « ce n'était pas le rôle des Parlements de juger des questions historiques ». La politique étrangère française a également été critiquée, qu'il s'agisse du soutien à l'Arménie lorsqu'elle occupait le Haut-Karabagh, du soutien à la Grèce et à la République de Chypre dans son différend avec les chypriotes turcs du nord de l'île et de la situation en Afrique.

Nous avons estimé que la reprise du dialogue politique ne pouvait faire l'économie d'échanges sincères évoquant les points de divergence. Nous estimons par ailleurs que la Turquie est fondée à voir mieux reconnaître sa contribution à la solidité de l'Alliance atlantique, sa participation à la stabilité de l'Europe à l'occasion de la crise migratoire en Syrie et son intérêt à la valorisation des ressources maritimes, dans le respect du droit international.

Au-delà de cette clarification indispensable, nous avons pu prendre la mesure de l'affaiblissement de la relation franco-turque qui concerne également l'évolution de l'opinion publique turque. La multiplication des désaccords diplomatiques comme les polémiques sur des sujets comme la place de la laïcité en France ont, en effet, accru la méconnaissance de notre pays qui fait par ailleurs l'objet d'un dénigrement régulier de la part de certains médias.

Cette « impopularité » auprès d'une part importante de l'opinion publique turque a pour conséquence de rendre moins attractifs les produits français, la destination touristique France ainsi que la culture et l'éducation françaises. On peut toutefois remarquer que l'image de la France demeure positive auprès des catégories de citoyens turcs les plus connectées ou les plus mobiles à l'international.

Nous estimons néanmoins que cette situation n'est pas satisfaisante et qu'elle nécessite de redoubler d'efforts pour améliorer l'image de la France en Turquie que ce soit en poursuivant le projet d'offre d'information en turc de France Médias Monde, en soutenant l'action des institutions culturelles françaises en Turquie et en maintenant la présence des établissements scolaires français.

Nous sommes convaincus que le développement des coopérations bilatérales concrètes notamment au niveau local peut contribuer utilement au renforcement de la relation franco-turque. À Izmir, nous avons ainsi pu prendre la mesure des actions menées dans le domaine économique, culturel et éducatif avec le soutien de l'AFD et de notre personnel diplomatique. Le maire d'Izmir, Cemil Tugay, nous a ainsi présenté ses projets notamment dans les domaines des transports et du traitement de l'eau en rappelant l'expertise des groupes français dans ces domaines.

La présence française à Izmir s'appuie sur l'engagement de plusieurs personnalités locales qui contribuent à développer la présence française. Elle bénéficie aussi d'un important réseau francophone et francophile autour de l'Institut français et du Lycée Saint-Joseph qui permet de maintenir une offre attractive pour les écoliers et les étudiants qui souhaitent apprendre le français.

Nous avons pu également échanger à Ankara avec la proviseure du Lycée Charles-de-Gaulle qui a évoqué les échanges conduits avec les autorités turques concernant le maintien de la possibilité pour les élèves turcs de s'inscrire dans les établissements français.

Nous réaffirmons pour notre part l'importance des établissements d'enseignement français pour l'avenir du dialogue franco-turc et notre souhait qu'un accord puisse être trouvé afin de préserver l'accès le plus large possible à cet enseignement qui a toujours contribué activement à travers ses alumni au renforcement des relations entre les deux pays.

Si le renforcement de la confiance entre la France et la Turquie peut trouver à se concrétiser dans les investissements économiques et les actions culturelles et éducatives, il doit aussi pouvoir s'affermir dans les coopérations militaires bilatérales qui nécessitent le plus haut niveau de confiance et constituent une priorité pour les interlocuteurs turcs rencontrés.

Le général lkay Altýndað, directeur général de la sécurité au ministère de la défense, a rappelé que la Turquie avait engagé plusieurs coopérations avec des États européens - notamment avec l'Espagne sur les porte-hélicoptères et avec l'Allemagne sur les sous-marins - tout en ajoutant qu'elle prévoyait de lancer de nouveaux programmes concernant notamment les drones sous-marins. Il a ainsi appelé de ses voeux une reprise des échanges avec la DGA afin d'examiner dans quelle mesure des collaborations pourraient être engagées entre les entreprises turques et françaises compte tenu des projets envisagés par la Turquie. Ce dialogue a été suspendu ces dernières années à mesure que la relation franco-turque se distendait à l'occasion d'incidents comme celui survenu le 10 juin 2020 entre les frégates française Courbet et turque Gökova au large de la Libye. Compte tenu des délais particulièrement longs qui caractérisent le développement des programmes militaires, il pourrait être particulièrement pertinent de procéder à une revue stratégique commune afin d'examiner les sujets d'intérêt communs et de signifier qu'une page a bel et bien été tournée.

Nous estimons que la reprise de ce dialogue serait utile compte tenu des enjeux partagés, des niveaux d'expertise respectifs des BITD turque et française et de la nécessité de renforcer les capacités industrielles des pays membres de l'OTAN. Une coopération relancée dans ce domaine sensible où prédominent les enjeux de souveraineté pourrait constituer un élément important pour renforcer la confiance entre les deux pays. La diplomatie parlementaire doit pouvoir jouer son rôle pour approfondir ce dialogue en lien avec le ministère des armées et les industriels concernés.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Les désaccords qui ont pu exister en matière de politique étrangère ces dernières années ne peuvent pas faire oublier le fait que la France et la Turquie partagent également des analyses convergentes sur l'avenir de plusieurs régions traversées par de graves conflits qui mettent en péril la sécurité collective. Comme l'a indiqué Melmet Kemal Bozay, Vice-ministre des affaires étrangères : « Nous pouvons avoir des divergences mais nous avons la Paix en dénominateur commun ».

La France et la Turquie, qui ont toutes deux condamné l'agression russe du 24 février 2022 contre l'Ukraine, oeuvrent ainsi sans relâche pour mettre un terme à cette guerre en créant les conditions d'une négociation respectueuse des intérêts de l'Ukraine. Nous avons ainsi rappelé à plusieurs reprises le rôle éminent que pourrait être amenée à jouer la Turquie dans ces négociations pour parvenir à une paix juste et durable, conformément aux principes fondamentaux du droit international et à la Charte des Nations Unies.

Un autre point de convergence important concerne la situation à Gaza puisque les échanges menés ont mis en évidence que la France et la Turquie plaidaient chacune pour un arrêt des combats à Gaza - nous saluons à cet égard la récente trêve même si elle demeure fragile - et nous considérons qu'une solution politique à deux États constitue la seule perspective permettant de ramener une paix durable.

Concernant les autres évolutions géopolitiques en cours ces derniers mois, notre délégation a salué l'amélioration des relations entre la Turquie et la Grèce tout en entendant le souhait de la Turquie - rappelé par le président de la commission des Affaires étrangères de la Grande Assemblée nationale de Turquie - de voir « reconnaitre les droits légaux de tous les acteurs en Mer Égée » qui doit trouver une issue dans la poursuite du dialogue et la négociation. Nous avons rappelé l'influence que pouvait avoir la Turquie auprès de l'Azerbaïdjan pour trouver, enfin, les termes d'une paix durable entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Si les autorités turques avaient insisté en octobre dernier lors du déplacement de la délégation sur l'importance que représentait pour elles la situation en Syrie compte tenu, en particulier, des enjeux de sécurité et de l'immigration, la chute du régime de Bachar El Assad et l'installation d'un nouveau pouvoir proche de la Turquie ont créé une situation nouvelle qui change la donne au Proche-Orient.

La France et la Turquie partagent un intérêt commun dans la stabilité de la nouvelle Syrie dans le respect de ses frontières internationales et dans la poursuite des actions visant à juguler l'influence de Daech dans ce pays, la Turquie ayant déjà neutralisé 4 500 combattants de Daech comme l'a rappelé le général lkay Altýndað, directeur général de la sécurité au ministère de la défense.

Alors que des incertitudes subsistent sur les orientations que prendra à long terme le nouveau pouvoir syrien, nous estimons que la stabilité de la Syrie sera d'autant plus forte que celle-ci pourra recouvrer rapidement sa pleine souveraineté territoriale et adopter des institutions permettant de concilier au mieux son intérêt national et les demandes d'autonomie locale. Nous considérons ensuite que, dans le cadre de la levée des sanctions envisagée par les membres de l'Union européenne, des coopérations entre les entreprises françaises et turques pourraient être envisagées dans de nombreux secteurs d'activités économiques et sociaux (énergie, transport, eau, agriculture, santé...) afin d'améliorer rapidement la vie des Syriens et de jeter les bases d'un développement économique durable. Nous formons le voeu qu'une coopération exemplaire puisse permettre d'ouvrir une nouvelle page des relations entre les deux pays.

En conclusion, au terme de ce déplacement, nous avons considéré que le renforcement de la confiance entre la France et la Turquie devait constituer un objectif prioritaire dans le prolongement du dialogue politique renoué à l'occasion de cette visite sénatoriale. Cette confiance nécessaire, fondée sur le respect mutuel et la reconnaissance du rôle incontournable de nos deux pays dans le monde méditerranéen, doit être consolidée par des décisions fortes en matière de coopération économique, militaire, culturelle, éducative et décentralisée, mais aussi par l'affirmation de convictions partagées concernant le respect du droit international et la volonté de résoudre les conflits régionaux par le dialogue et la recherche de compromis justes et équitables.

Au carrefour des mondes occidental, slave et musulman, la Turquie sait gérer ses affinités multiples en fonction des circonstances pour renforcer son influence et constitue donc un partenaire de choix pour concourir à stabiliser une région aujourd'hui profondément déstabilisée.

La diplomatie parlementaire doit pouvoir accompagner ce rapprochement en favorisant la compréhension réciproque et en favorisant les progrès nécessaires. J'ai, à cet égard, été informé par l'ambassadeur de Turquie à Paris que le président de la Grande assemblée nationale de Turquie pourrait se rendre prochainement à Paris.

Mme Valérie Boyer. - J'aimerais en savoir plus sur la situation des écoles françaises en Turquie car je ne comprends pas le parallèle fait par les autorités turques avec les écoles turques en France qui sont des établissements religieux. Sur Chypre, quelle est la position des autres États membres de l'Union européenne ? Enfin, je déplore les destructions de bâtiments religieux opérées au Haut-Karabagh depuis que l'Azerbaïdjan a reconquis ce territoire avec le soutien de la Turquie. Je souhaiterais aussi savoir combien il y a de Kurdes en France. Il est temps de mettre un terme définitif à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.

M. Rachid Temal. - J'entends qu'il faut travailler avec la Turquie mais il faut aussi être lucide. Le président Erdogan veut restaurer un empire et la question de la réponse de l'Europe se pose. Concernant l'accord sur les réfugiés, la situation nouvelle en Syrie pose la question de son avenir.

Il faudrait par ailleurs qu'on prenne le temps de débattre de la question des écoles françaises à l'étranger car celles-ci s'inscrivent également dans une logique d'influence.

M. Roger Karoutchi. - Le rapport est un peu idyllique. Je ne sais pas trop ce que l'on peut faire avec la Turquie d'Erdogan dont la vision impérialiste est incompatible avec nos valeurs. Il soutient l'influence des mosquées en France alors que les lycées français ne font pas de politique. Il faut certes améliorer nos relations avec la Turquie mais il faut pour cela que le régime soit plus démocratique.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Ces observations illustrent les difficultés de la mission. Le but était d'aller à la rencontre d'un pays qui a pris des positions qui ne nous étaient pas favorables. Le rapport souligne les points de convergence sans pour autant faire l'impasse sur les divergences.

Concernant Chypre, le Conseil européen d'avril 2024 a fait le lien entre les progrès de la relation avec l'Union européenne et l'avenir de l'île.

S'agissant des écoles françaises, tout le monde a compris le lien avec le fait que la Turquie essayait d'ouvrir des écoles en France non reconnues par l'État. Mais comme cela a été rappelé, nos écoles à l'étranger ne s'inscrivent pas non dans l'organisation locale.

Toujours pour répondre à Valérie Boyer, le dialogue entre l'Union européenne et la Turquie est aujourd'hui à l'arrêt et, par ailleurs, l'image de la France s'est dégradée en Turquie. Il y aurait environ 40.000 Kurdes en France.

En réponse à Roger Karoutchi, la vision du président Erdogan ne recoupe évidemment pas celle de l'Union européenne mais celle-ci n'est pas univoque puisque des pays comme l'Allemagne entretiennent des relations plus étroites avec la Turquie notamment en matière d'immigration.

On ne peut pas exclure une évolution politique car toutes les grandes villes sont aujourd'hui dirigées par l'opposition. Notre rôle est de parler à tout le monde et de miser sur l'avenir qui peut être différent.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Les relations franco-turques sont comme les montagnes russes c'est pourquoi ces analyses sont précieuses. Concernant les lycées français, cela fait plusieurs années que les autorités turques envisageaient d'interdire l'inscription des élèves turcs. Leur exclusion en début d'année a donc été brutale mais elle s'inscrit dans un différend ancien sur l'ouverture d'écoles turques en France. Est-ce que vous pensez qu'il y a un espoir de trouver une solution ?

Par ailleurs je souhaiterais savoir ce que représente selon vous l'OTAN pour la Turquie.

Mme Michelle Gréaume. - Je souhaite tout d'abord adresser un message de condoléances et de solidarité aux victimes de l'incendie d'un hôtel dans la station de ski de Kartalkaya qui a fait plus de soixante-dix victimes.

Je rappelle par ailleurs que les autorités turques poursuivent régulièrement les ONG, les journalistes et les Kurdes et que les atteintes à l'État de droit et les restrictions à la liberté d'expression sont nombreuses dans ce pays. La Turquie est de moins en moins laïque et elle finance des mosquées en Égypte. Je souhaiterais savoir si un bilan des aides accordées à la reconstruction des régions touchées par les séismes de 2023 a été réalisé.

M. Olivier Cadic. - La situation de Chypre a fait l'objet il y a quelques années d'un plan de l'ONU qui a été soumis à référendum et c'est la partie grecque qui s'est opposée à la réunification. Les choses ne sont donc pas aussi tranchées qu'il paraît. Le problème est qu'une zone de non-droit se développe au nord avec des casinos et des réseaux de prostitution.

Concernant les écoles, on se met nous-mêmes en situation de ne pas respecter la loi turque et, du coup, les autorités turques en profitent. Les enfants turques sont également victimes de cette situation.

Il y a quelques années une commission d'enquête turque était venue en France pour examiner le respect de la liberté religieuse des musulmans et j'avais proposé qu'on mène une action conjointe en faveur de la liberté religieuse des Ouighours en Chine ce qui n'avait pas été possible. Je salue en tous les cas la démarche des rapporteurs qui ont recherché des « points d'appui » pour faire avancer les sujets.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Les négociations sont toujours en cours sur les écoles françaises et je remercie Olivier Cadic d'avoir souligné le paradoxe consistant à développer notre propre système à l'étranger tout en refusant les écoles étrangères en France.

En réponse à Hélène Conway-Mouret j'indiquerai que la Turquie est très attachée à son statut de membre de l'OTAN mais que les autorités turques revendiquent le droit d'avoir des analyses différentes. Ils considèrent également que l'achat des S400 fait suite au refus de leur céder des systèmes occidentaux.

Sur les industries de défense, notre visite au siège de la Présidence des industries de défense a mis en évidence les capacités importantes de la Turquie qui est en mesure de produire en grandes quantités des matériels moins chers que les nôtres ce qui en fait un concurrent redoutable.

En réponse à Michelle Gréaume, il est vrai que le respect des droits de l'homme pose question en Turquie notamment concernant l'exercice de leur profession par les journalistes et la situation des Kurdes. On a une vision différente sur les droits de l'Homme. Mais on constate une évolution du côté de l'opposition incarnée par le CHP.

En réponse à Olivier Cadic, il y a eu des négociations sur un système fédéral pour Chypre mais ce n'est plus le sujet. Le nord se développe de manière indépendante.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, rapporteur. - Nous sommes dans un monde où on ne peut se priver d'une relation forte avec la Turquie. On a voulu faire preuve de lucidité sans ignorer la vision impérialiste du président Erdogan et les remises en cause de la laïcité. Mais la Turquie demeure un pays démocratique comme l'illustrent les élections municipales remportées par l'opposition.

Il y a une frustration turque vis-à-vis de l'Union européenne d'autant plus depuis que des négociations ont été ouvertes avec l'Ukraine. Concernant l'accueil des réfugiés syriens, il faut reconnaître que cela nous arrangeait bien.

Mme Gisèle Jourda. - Nous avions réalisé une mission en Turquie en 2016 avec Jacques Legendre lors de laquelle on avait constaté que les Turcs laissaient passer les réfugiés en Grèce.

M. Patrice Joly. - Si les autorités turques expliquent que les réfugiés pèsent sur la situation politique c'est aussi le cas de la situation économique avec la baisse de la croissance et la forte hausse de l'inflation.

Concernant la Grèce, le différend territorial est loin d'être réglé tout comme avec Chypre où derrière le sujet des eaux territoriales apparaît celui de l'exploitation des gisements de gaz.

M. Christian Cambon, rapporteur. - En réponse à Gisèle Jourda, ce sont de véritables villes qui ont été créées pour accueillir près de 4 millions de réfugiés. L'accord de financement conclu entre la Turquie et l'Union européenne n'est pas glorieux et il faudra sans doute le revoir en fonction de l'évolution de la situation en Syrie.

Comme l'indique Patrice Joly, la crise économique est un élément important de l'évolution de la situation politique en Turquie. L'opposition kémaliste ne gagnera par ailleurs que si elle est unie et la majorité AKP s'emploie à favoriser sa division.

Concernant les relations de la Turquie avec ses voisins, le relance de la coopération économique avec la Grèce est un point positif. Les positions sont plus tranchées concernant Chypre. Je rappelle que la France multiplie les patrouilles dans la zone.

Cette mission en Turquie fait partie des missions délicates à conduire mais il faut qu'elles aient lieu et le président du Sénat y était attaché. L'évolution démocratique peut changer la donne dans les années à venir.

M. Cédric Perrin. - Je remercie nos collègues de cet éclairage très utile d'un sujet complexe, comme en témoignent vos différentes interventions.

La commission a autorisé la publication du rapport à l'unanimité.

Projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l'article 6 du Protocole de Londres de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Philippe Folliot, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l'article 6 du Protocole de Londres de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières.

Cet amendement, qui date déjà de 2009, est important à plusieurs titres.

D'abord parce qu'il traite d'un sujet environnemental relatif à la protection des océans, soit de 70% de la surface du globe.

Ensuite, parce qu'il fait partie des outils à notre disposition pour atteindre l'objectif de décarbonation.

Enfin, car il pose de véritables questions liées à la souveraineté nationale en matière d'enfouissement de notre CO² résiduel, puisque la France ne dispose pas à ce jour de zones de stockage opérationnelles.

La Convention de Londres relative à l'immersion de déchets en mer de 1972 est l'une des premières conventions internationales en matière d'environnement. Elle est entrée en vigueur en 1975 et est administrée par l'OMI depuis 1977.

La Convention de Londres interdit l'immersion de certaines matières dangereuses et subordonne l'immersion des autres matières à la délivrance préalable d'un permis.

En 1996, les parties ont adopté un Protocole à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets (connu sous le nom de Protocole de Londres), qui a été ratifié par la France en 2006 et entré en vigueur la même année.

Le Protocole est destiné à remplacer la Convention de 1972. Au lieu de préciser les matières qui ne peuvent pas être immergées, il interdit l'immersion de tous les déchets, à l'exception de ceux dont l'immersion est autorisée et qui figurent sur la « contre-liste », dans une annexe du Protocole.

Il souligne l' « approche de précaution », et dispose également que « le pollueur devrait, en principe, assumer le coût de la pollution ».

Le Protocole de 1996 inverse la logique : seule est autorisée l'immersion des déchets et matières énumérés dans une annexe.

L'annexe a été complétée en 2006 en ajoutant à la liste les flux de CO² provenant des processus de captage du CO².

En effet, la capture du CO² est apparue comme une solution pour réduire les émissions vers la fin des années 2010.

Les accords de Paris de 2015 adoptés lors de la Cop 21 prévoit la limitation des émissions de gaz à effet de serre.

Au niveau national, la stratégie bas carbone fixe une trajectoire de réduction des émissions, avec un objectif d'une diminution de 35% en 2030 et de 80% d'ici 2050 par rapport à 2015.

L'Union européenne a également adopté en 2019 un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050.

Il est alors apparu que pour atteindre cet objectif ambitieux, la capture du CO² serait utile pour traiter du CO² dit « résiduel ».

Le CO² résiduel est celui que l'on ne peut pas supprimer de la chaîne de production, notamment dans les industries cimentière et chimique et pour l'acier.

Il est dès lors possible de capter le CO² émis, de le liquéfier afin de rendre son transport possible, puis, de l'enfouir dans diverses zones géologiques favorables (anciens réservoirs d'hydrocarbures, aquifères salins) qui peuvent se trouver sur terre ou en mer.

Les techniques existent et ont montré leur efficacité. Certains États sont plus en avance que d'autres.

Bien que la France soit excellente en matière de recherche puisque le CEA est leader sur les brevets liés aux technologies bas-carbone et l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles au 4ème rang mondial, aucune étude à ce jour n'a été lancée pour rechercher en France des zones off-shore destinées au stockage de CO².

En revanche, deux zones ont été repérés pour l'enfouissement du CO² : l'un dans le bassin parisien et l'autre dans le bassin aquitain.

En Europe, les plus avancés en matière de stockage, sont la Norvège, le Danemark, le Royaume-Uni, l'Islande et dans une moindre mesure l'Italie et la Grèce.

Le développement de cette technologie est subordonné à sa viabilité économique. En effet, les investissements nécessaires sont importants. Les industriels doivent être suffisamment incités pour y mettre les fonds nécessaires. En particulier, le marché du carbone fixe le prix du quota à environ 65 euros la tonne. C'est insuffisant. On estime qu'il devrait être porté à 120 euros d'ici 2030.

Il faudrait aussi que l'État accompagne le développement de ces projets, notamment dans le cadre du plan France 2030.

En effet, pour être intéressante, la zone de stockage doit disposer d'une capacité suffisante et se trouver à proximité des sources d'émission afin de limiter les coûts liés au transport.

À ce jour, la France n'a d'autre solution que d'exporter son CO² liquéfié vers d'autres États riverains, en particulier en mer du Nord (Danemark, Norvège et Pays-Bas).

C'est tout l'intérêt de cet amendement qui permet justement d'exporter le CO² vers d'autres pays disposant de capacités de séquestration géologique sous-marine.

Il n'entrera en vigueur que lorsque les deux tiers des Parties, soit 38 États, l'auront ratifié. Or, à ce jour, seuls 12 États l'ont fait. Il est donc urgent que la France autorise l'approbation de cet amendement, avant que se déroule la 3ème Conférence des Nations unies sur l'Océan à Nice, en juin prochain.

La France pourra alors donner l'exemple. De plus, la ratification de cet amendement permettra de faire avancer la recherche et de sécuriser les accords bilatéraux qu'elle pourra alors conclure.

Pour mener à bien ce rapport, j'ai eu plusieurs auditions : des représentants de l'Ademe, l'Ambassadrice de France auprès de l'OMI, le Gican, le Ministère de la Transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, le Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, le Cluster maritime et enfin l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles.

Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, qui, vous l'aurez compris, constitue le préalable à l'exportation d'une partie du CO² émis sur notre territoire.

Son examen en séance publique au Sénat devrait se tenir dans les semaines à venir.

Mme Michelle Gréaume. - La commission du développement durable a-t-elle été saisie de ce texte ? le sujet est très technique. Connait-on les chantiers en cours ? Comment les entreprises prendront-elles en charge ces nouveaux coûts ? Quelles aides incitatives peuvent être mises en place ?

M. Philippe Folliot, rapporteur. - La commission du développement durable ne s'est pas saisie pour avis de cette convention.

Au travers des très nombreuses auditions que j'ai menées, j'ai essayé de rentrer dans le détail de ces techniques que je ne maîtrisais pas du tout. C'était très intéressant. J'ai pu constater l'excellence de la recherche française en matière de captation de CO².

Quant au modèle économique, il reste à trouver. La difficulté est liée au prix du quota qui est insuffisant pour équilibrer ce modèle économique. Le risque est que les industriels aient plus intérêt à payer des taxes que de réaliser les investissements nécessaires.

En tout état de cause, capter le carbone c'est une chose, mais il faut aussi avoir la capacité de le stocker, si possible sur le sol national et de manière sûre. Si le France est très compétente sur le procédé de liquéfaction à la source, il faut ensuite le transporter.

Je me suis demandé si les méthaniers nous livre du gaz naturel ne pourraient pas repartir chargés de CO², mais ce n'est pas possible en raison de conditions de transport très différentes. Par contre, la France dispose d'industriels capables de construire es navires pouvant transporter du CO².

M. Jérôme Darras. - Je voulais porter à la connaissance de mes collègues qu'il y a dans mon département deux entreprises qui ont un projet commun de captation de carbone et de transfert au port de Dunkerque pour être immergé au large de la Norvège.

Le rapport est adopté à l'unanimité.

Projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d'Espagne - Désignation de rapporteur

La commission désigne M. Rachid Temal, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d'Espagne.

Projet de loi autorisant l'approbation de la résolution n°259 portant modification de l'Accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin de permettre l'élargissement de son champ d'action géographique à l'Afrique subsaharienne et à l'Irak - Désignation de rapporteur

La commission désigne Mme Nicole Duranton, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de la résolution n°259 portant modification de l'Accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin de permettre l'élargissement de son champ d'action géographique à l'Afrique subsaharienne et à l'Irak

La réunion est close à 10 h 00