Mercredi 18 décembre 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 8 h 15.

Communication

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je souhaite que nous débutions cette réunion par quelques mots sur le cyclone Chido qui a touché Mayotte le samedi 14 décembre. À la sidération que provoque un tel événement dramatique s'ajoutent à présent la peine et le recueillement, alors que des dizaines d'habitants de l'île, peut-être même des centaines, ont perdu leurs proches et ce qui constitue leur quotidien, si ce n'est leur vie. Au-delà du traumatisme et du choc consécutif à ce phénomène météorologique pour nos territoires insulaires à jamais exposés, ce sont les conséquences pour la population mahoraise qui retiennent notre attention. Si le bilan humain et matériel est pour l'heure encore difficile à établir, les premières images font apparaître un décor apocalyptique, laissant craindre le pire pour les populations locales.

En ce moment douloureux, je tiens à adresser, en mon nom et au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable dans son ensemble, tout notre soutien aux Mahorais et leur manifester notre pleine solidarité. J'ai une pensée particulière pour notre collègue Saïd Omar Oili, personnellement touché par cette catastrophe.

Audition de M. Pierre Monzani, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa)

M. Jean-François Longeot, président. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons ce matin M. Pierre Monzani, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (Acnusa).

Cette nomination ne peut intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Pour rappel, le mandat de six ans du précédent président de l'Autorité, Gilles Leblanc, a pris fin il y a plus de huit mois, le 12 avril 2024. Faute de président de plein exercice, l'Acnusa a cessé d'infliger des sanctions aux compagnies aériennes ne respectant pas les règles relatives au bruit émis par les aéronefs, alors même que la mission d'information conduite par Didier Mandelli sur la modernisation de l'aéroport Nantes-Atlantique a montré les attentes des riverains en matière de nuisances sonores. Si l'on veut tenir compte de l'acceptabilité sociale du développement du transport aérien, il faut apporter une réponse à ces attentes, protéger la qualité de vie et la santé de nos concitoyens. Il était donc urgent que nous puissions enfin entendre un candidat.

Cette audition est publique, ouverte à la presse et retransmise sur le site du Sénat. Elle sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat. Monsieur Monzani, vous avez donc été entendu par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale hier, à 16 h 30.

En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Je cède sans plus tarder la parole à notre rapporteur, Paul Vidal, pour conduire l'audition. Vous pourrez ensuite nous présenter votre candidature et nous faire part de votre retour d'expérience et vos motivations, avant de répondre aux premières questions du rapporteur. À l'issue de cet échange, les autres membres de la commission vous interrogeront à leur tour.

M. Paul Vidal, rapporteur. - Ainsi que l'a souligné le président Longeot, l'Acnusa a été créée en 1999, afin de concilier la hausse du trafic aérien, d'une part, et la qualité de vie et la santé des riverains des aéroports, de l'autre.

En premier lieu, l'Autorité a un rôle consultatif. Elle est notamment consultée dans le cadre de l'élaboration du schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE) ou du plan de protection de l'atmosphère (PPA) des territoires comprenant un aéroport de grande taille. Elle est également saisie des projets de plans de gêne sonore (PGS) et de plans d'exposition au bruit (PEB), ainsi que de textes réglementaires fixant, pour les aérodromes concernés, les mesures visant à assurer la protection de leur environnement sonore.

Elle peut émettre des recommandations sur toute question relative aux nuisances environnementales engendrées par le transport aérien sur et autour des aéroports. Également chargée de contribuer au débat en matière d'environnement aéroportuaire, elle joue ainsi un rôle d'information des citoyens.

En deuxième lieu, l'Autorité a une compétence normative. Pour les plus grands aéroports, elle définit, dans le domaine des nuisances sonores, les indicateurs de mesure du bruit et les prescriptions techniques applicables aux mesures.

En troisième lieu, l'Autorité a en temps normal un pouvoir de sanction à l'encontre des compagnies aériennes qui ne respectent pas la réglementation sur les nuisances sonores applicables dans certains aéroports, comme les couvre-feux nocturnes ou l'interdiction de l'usage d'aéronefs particulièrement bruyants.

Or, cela a été dit, depuis plusieurs mois, le collège de l'Acnusa ne peut plus prendre de sanctions : l'absence de président de plein exercice fragilise la légalité de ses décisions. Je regrette à mon tour que le Président de la République ait tant tardé à proposer un candidat au Parlement pour remplacer Gilles Leblanc, dont le mandat a pris fin en avril.

La procrastination du Président de la République est de nature à donner aux riverains des aéroports, victimes des nuisances, le sentiment que régnerait désormais une certaine impunité. Cet état de fait est également préjudiciable aux compagnies aériennes, dont les dossiers ne pourront vraisemblablement pas être examinés dans des délais raisonnables.

J'en viens à l'examen de votre candidature, monsieur Monzani. Vous avez derrière vous une carrière riche et diverse, marquée notamment par des expériences au sein du corps préfectoral, ainsi que dans plusieurs conseils départementaux. Vous avez en outre été directeur général de l'Assemblée des départements de France de 2015 à 2021. Vous n'avez pas occupé de fonction au sein du secteur des transports, et singulièrement du transport aérien, ni dans le domaine des nuisances environnementales et du bruit. Vous avez cependant su faire preuve d'une réelle capacité d'adaptation tout au long de votre parcours professionnel, ce qui vous a amené à vous intéresser à des thématiques fort différentes les unes des autres.

Avez-vous déjà travaillé sur les enjeux liés aux nuisances sonores dans le cadre des fonctions que vous avez exercées, notamment en tant que préfet ?

Votre parcours vous confère, je n'en doute pas, une connaissance fine des territoires. Les nuisances sonores aériennes peuvent susciter de fortes tensions locales. C'est par exemple le cas en région nantaise, en raison des nuisances engendrées par l'aéroport Nantes-Atlantique, comme l'a souligné Didier Mandelli dans le rapport d'information qu'il a consacré à cette question. Selon vous, quel rôle pourrait jouer l'Acnusa, afin de prévenir la survenue de tels conflits ?

Depuis plusieurs années, le rapport annuel de l'Autorité recommande de revoir la procédure de sanction, afin de la simplifier. Dans un contexte d'augmentation du nombre de dossiers traités depuis deux ans, une telle réforme permettrait de diminuer les délais de traitement.

L'Acnusa demande également à pouvoir assortir certaines de ses amendes de sursis ; elle souhaiterait pouvoir conclure un accord transactionnel avec certaines compagnies plutôt que lancer une procédure de sanction. Ces aménagements bénéficieraient aux compagnies aériennes désirant faire évoluer leurs pratiques pour ne pas s'exposer à des sanctions trop fréquentes. À l'inverse, les décisions à l'encontre des compagnies aériennes les plus fréquemment sanctionnées pourraient être rendues publiques et insérées dans des publications désignées par l'Autorité aux frais des personnes sanctionnées.

Que pensez-vous de ces propositions ?

L'Acnusa estime aussi que ses compétences pourraient être étendues. Elle propose ainsi régulièrement de se voir confier une nouvelle mission de contrôle des émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre (GES) liées aux activités aéroportuaires. Cette évolution vous semble-t-elle opportune ?

En parallèle, l'Autorité suggère que l'on augmente ses moyens humains, de 11 à 14 postes en équivalents temps plein (ETP), pour assurer ses missions. Comment jugez-vous cette demande, qui intervient, je le rappelle, dans un contexte budgétaire contraint ?

Pour conclure, je tiens à souligner le rôle essentiel de l'Acnusa pour nos concitoyens et le développement du transport aérien. Selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) sur le coût social du bruit en France, parue en 2021, le bruit engendré par le transport aérien est source d'une « perte de bien-être » et de « problèmes de santé » : « perturbations du sommeil, maladies cardiovasculaires, obésité, troubles de santé mentale et difficultés d'apprentissage induits ».

C'est pourquoi il est impératif de concilier l'enjeu de la réduction des nuisances sonores aéroportuaires et celui du trafic aérien, qui garantit la bonne connexion des territoires et l'accessibilité de notre pays. Les aéroports, les compagnies aériennes et leurs prestataires emploient environ 100 000 personnes, et leur activité engendre de très nombreux emplois indirects.

Je tiens d'ailleurs à souligner que le niveau des nuisances sonores diminue sur le long terme, alors que le trafic augmente, et ce grâce aux évolutions technologiques rendant les aéronefs moins bruyants. Ce progrès est dû notamment aux innovations du secteur aéronautique français, qui est un fleuron sur la scène internationale et fait travailler plusieurs centaines de milliers de salariés dans notre pays. Je me réjouis à ce titre que notre commission lance une mission d'information sur les nuisances sonores liées aux transports.

Je terminerai mon propos en rappelant le but de cette audition : il s'agit, non pas de faire le procès de l'aéronautique commerciale, mais de nommer le président d'une autorité de contrôle. Mes chers collègues, je compte sur vous pour bien séparer les questions.

M. Pierre Monzani, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires - Monsieur le rapporteur, vous avez bien voulu souligner la diversité de mon parcours : enseignement, recherche, formation, sécurité, administration préfectorale et territoriale, institutions politiques, autant de domaines d'action qui témoignent de la richesse des missions que j'ai pu exercer. Si je devais concéder une autocritique, je pourrais qualifier ce parcours d'« incohérent »... Je n'irai pas jusque-là, car cette diversité s'explique : elle a été guidée par la passion. Je n'ai jamais cherché à me lancer dans un cursus honorum ; j'ai toujours pensé que les serviteurs de l'État et des collectivités locales devaient s'inscrire dans une logique de mission, non dans une logique de carrière.

Si vous m'accordez votre confiance, soyez assurés que j'exercerai les fonctions de président de l'Acnusa à temps plein. J'y mettrai toute mon énergie, toute ma force et tout mon volontarisme. N'en doutez pas, mon investissement personnel, même si c'est une pétition de principe, sera total.

De manière générale, le bruit est un enjeu essentiel pour nos compatriotes, mais un enjeu qui a émergé relativement tardivement dans le débat public sur l'environnement. Chacun sait ici que les plans d'exposition au bruit datent de 1985, ce qui est assez récent. Encore aujourd'hui, cette thématique reste à bas bruit - si vous me permettez ce jeu de mots quelque peu facile - par rapport aux problématiques de pollution atmosphérique et du climat. Or, pour moi, la première mission de l'Acnusa est la lutte contre le bruit, qui est local et intermittent, car, à cette échelle, l'Autorité peut être tout à fait opérationnelle et efficace. La pollution atmosphérique est régionale, le climat est mondial. L'Acnusa ne doit pas se tromper d'échelle.

Certes, je suis un généraliste de par ma formation et les fonctions que j'ai occupées, pas un ingénieur ou un spécialiste des techniques aéronautiques - c'est du reste ce que l'on demande à un préfet sur le terrain : il n'a pas vocation à être un spécialiste du vaste domaine qu'il administre. Mon expérience me permettrait néanmoins, me semble-t-il, de porter un regard non pas naïf - en tout cas je l'espère -, mais d'ensemble sur les sujets du bruit et de la pollution, et de les aborder avec passion.

Si je ne suis pas un technicien, je pense pouvoir apporter ma capacité d'expertise et, surtout, ma double culture, relativement rare chez mes collègues préfets, de l'administration d'État et de l'administration territoriale. Cette double culture présente un intérêt certain pour traiter la question des nuisances aériennes, qui met en jeu les administrations d'État et les collectivités territoriales. Je réponds ainsi à la première question sur le rôle de l'Acnusa pour prévenir les conflits.

Ma méthode sera très simple. Elle correspond d'ailleurs à celle que j'ai appliquée tout au long de ma carrière, parfois d'ailleurs en irritant mes administrations : « le terrain, le terrain, le terrain », pour paraphraser la trilogie de Clemenceau. Je n'ai pas encore une idée précise de ce que souhaitent les associations de riverains - j'ai pris connaissance de ce qu'elles demandent, mais je n'ai pas discuté avec elles ou les élus locaux. J'irai donc m'imbiber du terrain, comme je l'ai toujours fait, en m'appuyant sur quelques convictions, notamment la nécessité d'incarner l'institution, mais sans a priori. Cela m'amène à évoquer une autre devise que j'ai toujours appliquée en termes de méthode de travail : « voir et entendre, plutôt que savoir et prétendre ».

Pour prévenir les conflits liés au bruit, l'Acnusa doit être présente localement. Or, à la lecture des rapports de l'Autorité, je pense pourvoir dire qu'elle n'est pas encore assez sur le terrain, pas assez au contact, et ce même si ses présidents successifs ont cherché à la faire progresser dans cette voie. Il faudrait à mon sens l'équivalent d'une commission locale de l'Acnusa ; en tout cas, je me transporterai, avec les membres du collège ou une partie d'entre eux, au plus près du terrain.

J'en profite pour souligner l'importance de la collégialité. Sachez que je ne serai pas un président isolé ; je m'appuierai sur l'équipe et je la ferai vivre.

Au risque de me répéter, l'action de terrain est essentielle et, pour tout vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai déjà réalisé un rapide sondage de terrain en vue des fonctions que vous seriez susceptibles de me confier. Le hasard a fait que j'évaluais la semaine dernière, en tant que préfet évaluateur, une sous-préfète en Seine-Saint-Denis, ce qui m'a donné l'occasion d'interroger vos collègues sénateurs et les élus locaux sur les nuisances aériennes dans ce département. J'ai déjà pu recueillir un certain nombre d'idées et j'ai déjà pris, par anticipation, quelques rendez-vous. Vous l'aurez compris, mon agenda serait bien chargé si je devenais président de l'Autorité...

La procédure de sanction est l'aspect le plus tangible des missions de l'Acnusa. Bien davantage que quand elle rend des avis consultatifs, le caractère essentiel de l'Autorité apparaît à ce moment-là. Seule une amende peut, en effet, garantir aux riverains réveillés la nuit par le bruit des avions que de tels désagréments ne se reproduiront plus. En cela - pardonnez-moi l'expression - l'Autorité est vraiment au coeur du réacteur.

Alors que certaines compagnies font délibérément voler des aéronefs à des horaires qui les exposent à la violation d'un couvre-feu, j'ai appris récemment que le coût d'un détournement de vol d'Orly à Roissy est d'environ 15 000 euros pour un gros porteur et de 8 000 euros pour un moyen porteur, tandis que le niveau moyen des amendes prononcées, l'an dernier, par l'Acnusa était légèrement supérieur à 13 000 euros. Ce n'est donc pas dissuasif.

Certains parlementaires proposent de porter le plafond des amendes encourues de 40 000 euros à 80 000 euros. Cela me semble inutile à ce stade : faisons en sorte d'atteindre le plafond, avant d'envisager une réforme législative ! Il convient, à mon sens, d'adapter le montant des amendes à la compagnie et au profil de l'avion concerné.

En tout cas, il faut frapper au portefeuille des compagnies qui ne respectent pas sciemment les règles du jeu et violent délibérément les couvre-feux pour des raisons pécuniaires, souvent des compagnies à bas coûts. De telles compagnies méritent d'être sanctionnées financièrement, et ce pour un montant supérieur à celui des économies espérées. Quand les compagnies aériennes récidivistes auront compris que l'Acnusa ne plaisante pas, il sera envisageable de franchir l'étape suivante : celle des accords transactionnels. Mais, personnellement, je n'entends pas discuter avec une compagnie et lui faire signer un accord avant d'avoir démontré que l'Autorité est tenue d'une main ferme et qu'elle est capable de frapper au portefeuille tous ceux qui contournent les règles.

Je vous rejoins sur la publication des sanctions, monsieur le rapporteur. Il faut évidemment « nommer et faire honte » - pour ne pas employer l'expression anglaise bien connue -, faire de la contre-publicité à toutes les compagnies violant délibérément les règles du jeu, d'autant que l'on connaît la sensibilité de nos compatriotes au respect de l'environnement.

Par ailleurs, la prise en compte des émissions de polluants et de GES liées aux activités aéroportuaires entre dans les compétences de l'Acnusa. La loi initiale du 12 juillet 1999 portant création de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires limitait certes son périmètre d'action au domaine du bruit, mais le Grenelle 2 y a ajouté la question des pollutions en 2010. L'Autorité doit se saisir pleinement des compétences accordées par le législateur ; pour autant, sa priorité doit rester le bruit, car c'est dans ce domaine qu'elle peut avoir l'action la plus immédiate et la plus efficace.

Puisque la question des effectifs a été évoquée, permettez-moi de souligner que cette lutte contre les émissions de gaz à effet de serre implique que l'Autorité dispose de l'expertise technique correspondante. Or, si elle compte au sein de ses équipes des compétences juridiques suffisantes pour faire face aux contentieux, des compétences importantes dans le domaine des sciences de l'ingénieur, elle n'est probablement pas suffisamment dotée pour traiter, de manière générale, ce sujet des émissions de polluants et de GES. Or rien ne serait pire, pour une autorité comme l'Acnusa, que de ne pas être pertinente et scientifiquement au point.

Dans le contexte budgétaire actuel, je ne demanderai évidemment pas l'augmentation des effectifs. Néanmoins, si un jour j'étais amené à le faire, notamment parce que je ne disposerais pas des compétences indispensables à l'exercice des missions, je les demanderais à effectifs constants du ministère de l'écologie. Il est hors de question d'accroître, même à la marge, les effectifs d'un ministère pour les besoins d'une autorité administrative indépendante - en tout cas, c'est ma conviction - et au moment où des efforts substantiels sont demandés aux collectivités locales, ce n'est pas moi, qui les aime tant et ai eu l'honneur de les servir, qui vais formuler ce type de réclamations.

Enfin, je crois que l'on peut compter sur l'évolution technologique. On a tendance, certainement à bon escient, à se concentrer sur la question du niveau du bruit : le niveau sonore des réacteurs a chuté de 25 % à 30 % depuis vingt ans, la descente continue a permis de grands progrès, ainsi que l'utilisation différenciée des volets et sorties de train d'atterrissage. Tout cela contribue à améliorer les choses, malgré la croissance du trafic aérien, qui reste une nécessité pour notre économie.

Ce sera d'ailleurs ma conclusion : n'oublions pas le rôle essentiel que joue le secteur aéroportuaire et aérien pour l'emploi. En Île-de-France, 130 000 emplois dépendent directement de ce secteur, ainsi que plus de 400 000 emplois indirects. Les riverains sont très souvent des personnes salariées par les aéroports, si bien que leur point de vue sur l'activité économique des aéroports franciliens n'est pas toujours celui que l'on peut entendre ici ou là ; il est souvent beaucoup plus nuancé.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au transport aérien. - En tant que rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au transport aérien, j'ai pris l'habitude d'auditionner les dirigeants de l'Acnusa. Je commence, par conséquent, à avoir quelques connaissances sur le fonctionnement de cette autorité et les problématiques qui l'affectent.

Permettez-moi à titre liminaire de souligner l'importance de cette audition. Pour l'Acnusa, l'exercice 2024 a été marqué par la fin du mandat de Gilles Leblanc et un intérim de la présidence relativement long, entraînant une absence de séance en formation de juridiction au cours des mois de septembre, octobre et novembre. Cette situation est particulièrement préoccupante, car plus de 600 dossiers de manquements ont été instruits, mais n'ont pas été présentés au collège pour une décision de sanction. Il est donc effectivement urgent qu'un président de plein exercice soit nommé.

Ma première question porte sur la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA). Les produits de cette taxe ne sont pas totalement utilisés et il existe une forte trésorerie, notamment en Île-de-France, où le taux de réalisation des travaux d'insonorisation est particulièrement faible. Quelles mesures pourraient être mises en place pour mieux informer les personnes et les collectivités éligibles aux aides ? Selon vous, un accès simplifié aux procédures de demande de subventions pourrait-il être mis en place ?

Ma deuxième question a trait aux moyens attribués à l'Acnusa. J'ai bien entendu vos propos, que je qualifierai de « responsables », concernant la masse salariale de l'Autorité. Néanmoins, s'agissant de ces moyens humains, il convient de relever que les effectifs ont été réduits de 1 ETP dans le cadre de la loi de finances pour 2019, puis de celle pour 2021, pour s'établir à 11 ETP au total. Sans tomber dans la gourmandise excessive, souhaiteriez-vous que l'on en revienne aux effectifs de l'époque ?

Ma troisième question concerne les efforts déployés par les compagnies aériennes, notamment françaises, pour réduire le bruit à la source. Quel regard portez-vous sur ce sujet ? Je pense particulièrement au renouvellement des flottes, très coûteux en investissements pour les compagnies, elles-mêmes encore fragilisées par la crise de la covid-19. Les appareils de nouvelle génération ont beaucoup amélioré les performances, leur empreinte sonore étant parfois jusqu'à 50 % plus faible que celle des appareils qu'ils remplacent. Comment envisagez-vous de promouvoir le dialogue et la coopération entre l'Acnusa et l'ensemble des acteurs de la chaîne aéronautique pendant votre mandat ?

M. Jacques Fernique. - Indépendance vis-à-vis des acteurs économiques du secteur aérien, expérience et connaissances approfondies du domaine, grande technicité, vigilance, transparence, capacité à bien informer les riverains, rigueur dans l'exercice des contrôles et des sanctions, les qualités ou les compétences requises pour exercer les fonctions de président de l'Acnusa sont particulièrement exigeantes. Je dois dire à cet égard que Gilles Leblanc, l'ancien président, a su s'imposer par ses qualités d'écoute, son expérience et son indépendance par rapport à la direction générale de l'aviation civile (DGAC) comme un défenseur efficace de la lutte contre les nuisances du transport aérien.

Je vous ai bien écouté : vous avez évoqué un parcours presque incohérent, mais passionné et énergique. Vous prônez le terrain, je suis moi-même un sénateur de terrain dans mon département du Bas-Rhin, et c'est pourquoi je me permettrai d'aborder la problématique locale, mais très significative de l'aéroport de Strasbourg-Entzheim.

Rappelez-vous qu'en 1996 un projet de hub de fret aérien nocturne avait provoqué une impressionnante mobilisation de la population du bassin de Strasbourg et de nombre de ses élus, qui redoutaient les graves conséquences des vols de nuit. Aujourd'hui, et depuis 1998, c'est un protocole d'accord qui encadre les conditions d'exploitation nocturne de l'aéroport. Il prévoit que les avions de fret doivent atterrir avant minuit. Ce protocole fut le premier de ce type en France : y préfigurait la volonté de l'Acnusa - qui a été créée un an plus tard, ce qui n'est pas un hasard - de réglementer le fonctionnement des aéroports français.

À Strasbourg, cette promesse de favoriser le développement de l'aéroport tout en respectant les riverains n'a pas été tenue. De fait, entre 22 heures et 6 heures du matin, la maîtrise des nuisances sonores n'est pas assurée. Aujourd'hui, les riverains se sentent, à juste titre, trahis et lésés. En jouant sur la tolérance accordée aux compagnies ayant une base à Strasbourg, dont les avions, retardés, arriveraient après minuit, la compagnie Volotea - je fais comme vous le dites, je nomme pour faire honte - systématise ses vols de nuit. S'y ajoutent les vols sanitaires et les retours de match du Racing club de Strasbourg. Mis bout à bout, ces éléments tendent à dévoyer le protocole initial, si bien que les 75 décibels sont parfois atteints en pleine nuit !

Le protocole imaginé à Entzheim prévoit comme sanction la majoration des redevances pour les compagnies qui multiplieraient sciemment les vols de nuit. Ce levier est resté sans suite : ne pensez-vous pas, au vu de l'échec de cette démarche, qu'il est temps de changer de méthode et d'obtenir, comme partout ailleurs, un arrêté ministériel définissant les conditions d'exploitation de nuit ? L'Acnusa a notamment la mission de formuler des recommandations : celle-ci vous paraît-elle pertinente ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je vous remercie de votre présentation et des précisions que vous avez apportées. Je tiens également à remercier notre rapporteur Paul Vidal, qui représente le même territoire que le mien, la métropole de Lyon et le Nouveau-Rhône. Nous pouvons tous deux confirmer qu'en une vingtaine d'années les progrès technologiques ont nettement amélioré la situation des riverains de l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry. Néanmoins, notre ressenti serait probablement différent si nous étions du côté de Bron ou de Corbas, où se situent de nombreux aérodromes.

L'aviation générale représente en France et en outre-mer près de 800 sites, dont le fonctionnement comme les activités qui y sont liées échappent aux réglementations environnementales. L'absence de telles réglementations dans ce secteur cause des atteintes insupportables aux conditions de vie des habitants ; elle est à l'origine de tensions croissantes, dont certaines remontent à l'Autorité pour laquelle vous présentez votre candidature.

Comment envisagez-vous d'aborder cette question de la nécessaire régulation des nuisances provoquées par l'aviation générale, telle que l'aviation d'affaires, l'aviation légère de tourisme ou de pratique sportive, les survols touristiques en hélicoptère, en ultra-léger motorisé (ULM), en gyrocoptère, en paramoteur, le parachutisme intensif de loisirs - qui se pratique à Corbas par exemple - et, bientôt, les drones ?

Mme Audrey Bélim. - Concernant les sites d'aviation générale comme les principaux aéroports d'aviation commerciale, le pouvoir combiné de la DGAC et des acteurs du monde de l'aviation permet de fait d'imposer les exigences de l'aviation aux riverains et aux collectivités locales.

Dans le cas de l'aviation commerciale et des grands aéroports, les exemples abondent. Qu'il s'agisse des études d'impact selon l'approche équilibrée, largement vidées de leurs objectifs ou, de manière plus concrète, des débats sur les plafonnements, les couvre-feux ou les plans de prévention du bruit dans l'environnement, les collectivités locales et les riverains se heurtent à une capacité d'obstruction qui entrave la prise en compte des enjeux liés aux nuisances, à l'environnement et à la santé.

Pour l'aviation générale, face à la faiblesse des processus de concertation et en l'absence de réglementation environnementale, la population est confrontée, dans l'immense majorité des cas, à l'absence de possibilité d'action contre les nuisances causées par l'aviation - c'est même parfois le cas des collectivités locales.

Dans ce contexte, la rupture de confiance entre les pouvoirs publics et les parties prenantes au niveau local est patente et il faut y remédier. Dès lors, comment envisagez-vous la concertation avec ces acteurs, notamment les collectivités locales et les associations ?

Par ailleurs, comptez-vous mener à bien la modernisation et la simplification de la procédure de sanction devant l'Acnusa ? Le projet, lancé par Élisabeth Borne en 2018, à l'issue des Assises nationales du transport aérien, a été conduit par l'Autorité en concertation avec l'administration. Il vise à simplifier la procédure de sanction, à réduire les délais, à introduire, pour le secteur, des dispositions déjà appliquées dans d'autres secteurs depuis l'entrée en vigueur de la loi pour un État au service d'une société de confiance et, enfin, à augmenter le plafond des sanctions. Ce projet, dont la mise en oeuvre devrait permettre de mieux prévenir les infractions, est prêt depuis 2020, mais il est bloqué en raison du renouvellement incessant depuis 2017 des titulaires du ministère chargé des transports.

M. Hervé Gillé. - Je tiens à saluer le travail sérieux et rigoureux de l'Acnusa, notamment la production d'un certain nombre de rapports de qualité, qui apportent un éclairage intéressant sur la situation actuelle.

Le rapporteur a souligné le préjudice occasionné par l'absence de nomination d'un président de plein exercice. Heureusement, le secrétaire général de l'Autorité, Philippe Gabouleaud, a été très présent sur le terrain, notamment récemment à Bordeaux à l'invitation de Bordeaux Métropole et de sa présidente Christine Bost.

L'Acnusa, dans un récent rapport d'activité, a préconisé que, pour chaque aéroport, un ou plusieurs scénarios de régulation des mouvements de nuit adaptés aux territoires concernés fassent l'objet d'une concertation menée par les préfets avec les parties prenantes avant d'être soumis à une étude d'impact, et ce selon une approche équilibrée.

Je constate que ce processus est en cours à l'aéroport de Bordeaux-Mérignac, ce qui est une bonne chose : comment envisagez-vous de renforcer cette démarche, notamment avec les préfets, et d'impliquer les collectivités locales, les acteurs économiques et les riverains dans la définition des scénarios de régulation des vols nocturnes ?

S'agissant du renforcement des moyens de l'Autorité, l'Assemblée nationale a récemment proposé de porter les fonds qui lui sont alloués à 4 millions d'euros, afin de renforcer la lutte contre les nuisances aériennes. Y êtes-vous favorable ?

Dans un contexte de renforcement des protections environnementales, il me semble crucial de vous interroger sur le renforcement des protections phoniques autour des aéroports. Le maintien de la piste sécante de l'aéroport de Bordeaux-Mérignac est, comme vous le savez, à l'étude. Le futur ministre des transports aura donc ce dossier urgent à traiter. Quelle politique de renforcement des protections phoniques préconisez-vous ? Au regard des besoins, ne serait-il pas temps de faire cesser les inégalités liées aux différences de taux de TNSA entre les aéroports ? Comment, également, mieux employer, voire optimiser le produit de la TNSA qui ne serait pas totalement utilisé ?

M. Alexandre Ouizille. - L'Acnusa est évidemment très attendue : elle a à gérer des conflits d'usage importants avec des aéroports qui se situent souvent à proximité de vastes aires urbaines, pour lesquelles la question du bruit se pose avec acuité.

J'ai été rassuré par vos propos sur le régime de sanctions. Je suis d'accord, la répression doit être un levier d'action. Si le fait de commettre une infraction reste rentable malgré l'amende prononcée, c'est que l'Acnusa ne joue pas son rôle ! J'ai néanmoins une divergence avec vous à ce sujet : les 13 000 euros évoqués sont le résultat d'un processus d'instruction et de discussion. Accroître le plafond au-delà des 40 000 euros actuels permettrait d'obtenir un équilibre plus élevé à l'issue de ce processus.

Sur la modération du trafic, j'étais en décalage avec votre propos. Vous louez le nécessaire développement du secteur aéroportuaire, ce qui est, je vous l'accorde, un enjeu économique d'importance pour notre pays. Cela étant, j'estime que l'enjeu écologique est tout aussi crucial, voire davantage. Même si l'on note des progrès au niveau des motorisations, l'essor du trafic aérien est tel qu'il y a, de fait, une augmentation globale des émissions de gaz à effet de serre engendrées par le secteur aéroportuaire. En somme, les avancées technologiques ne permettent pas de compenser la tendance de fond. Il y a une confrontation entre nos engagements internationaux, et notamment l'Accord de Paris, et le développement économique. Localement, certains aéroports sont arrivés à saturation. Par le passé, l'autorité que vous présiderez peut-être d'ici peu a préconisé, à plusieurs reprises, une modération de ce trafic. Poursuivrez-vous dans cette voie ?

Je citerai l'exemple de l'aéroport de Beauvais, dans mon département, qui a connu un développement sans précédent, inédit, et qui est progressivement en train de devenir le terminal 4 de l'aéroport de Roissy. Il me semble essentiel de tenir compte des propositions de modération du trafic, au vu de telles expériences.

Par ailleurs, un certain nombre d'aéroports ne sont pas « acnusés », c'est-à-dire que le régime des sanctions prises par l'Autorité ne n'y applique pas. C'est toujours le cas de l'aéroport de Beauvais, qui sera pourtant, demain, le quatrième ou cinquième aéroport français par son trafic. Une évolution en la matière exige un arrêté interministériel, donc une décision de l'exécutif, mais un soutien de l'Acnusa serait essentiel... Qu'en pensez-vous ?

Comme vous l'avez indiqué, la question des polluants atmosphériques entre dans le cadre des missions de l'autorité, même si cette compétence n'est pas pleinement exercée ou moins prioritaire. Une récente étude d'Airparif montre qu'à proximité immédiate de l'aéroport de Roissy, l'air inhalé est de même qualité que celui que l'on respire au milieu du périphérique parisien. Il y a là, tout de même, un sujet et, si j'entends vos propos sur les effectifs de l'Acnusa, j'estime qu'il est légitime lorsque l'on est en guerre - comme c'est le cas en matière environnementale - de se poser la question de l'accroissement des personnels.

Mme Marta de Cidrac. - Dans mon département des Yvelines, de nombreuses communes se situent dans des couloirs aériens où les avions sont soit en approche finale et phase d'atterrissage, soit en phase de décollage.

En novembre 2022, j'avais interrogé le Gouvernement sur les trajectoires aéroportuaires dites en descente douce. La réponse qui m'avait été faite ne reprenait pas les engagements de 2021, à savoir un déploiement de ces nouveaux plans de vol en 2023. Pourtant, les couloirs de descente vers l'aéroport de Roissy, notamment ceux des vols transatlantiques, commencent dans le ciel yvelinois, et beaucoup de communes subissent d'importantes nuisances sonores nocturnes et diurnes liées à ce trafic.

L'Acnusa ayant un rôle central dans ce dossier, quelles actions envisagez-vous de mener sur le sujet spécifique des descentes douces ?

Le mois dernier, l'Acnusa a publié une étude technique relative aux survols de la commune de Marly-le-Roi. Les données figurant dans cette analyse comparative étaient uniquement techniques. Ne faudrait-il pas faire évoluer cet outil, qui par ailleurs est bon ?

M. Pierre Monzani. - Pour ce qui concerne le retard des dossiers, nous avons fait un choix de précaution juridique, car la présidente par intérim de l'Acnusa ne dispose pas de la sécurité juridique permettant d'éviter un contentieux en cas de décision répressive.

Il conviendra de s'attaquer au stock de dossiers en attente. J'ai à cet égard deux missions. Tout d'abord, je vais demander au ministre des transports de nommer les trois membres manquants du collège de l'Acnusa, c'est-à dire ceux qui connaissent techniquement le sujet de l'aviation. Ensuite, je solliciterai davantage la collégialité en doublant les séances d'instruction en formation de jugement, qui auront lieu les mardi et mercredi tous les quinze jours, voire en les quadruplant si cela ne suffit pas. Selon mes calculs, en six mois, le retard sera résorbé ; je m'engage à remporter ce défi très concret.

S'agissant de la TNSA, il existe une trésorerie élevée- 100 millions d'euros non utilisés -, je ne suis donc pas favorable à son déplafonnement.

Sur ce sujet de santé publique, il y a un problème d'accès au droit, qu'il convient de simplifier. Je vérifierai, à cet égard, les conditions de transmission de l'information aux riverains et la qualité de celle-ci, afin que nos concitoyens qui sont concernés par les nuisances sonores puissent exercer leurs droits. Je souhaite, enfin, étendre le nombre des bénéficiaires. En région parisienne, si 76 000 dossiers d'insonorisation ont abouti, se traduisant concrètement par des travaux, 40 000 dossiers - soit autant de foyers qui subissent des nuisances sonores - sont en attente.

Je considère qu'il faut relever le plafond des aides de 80 % à 100 %, avec ou sans conditions de ressources - c'est un point qu'il faudra examiner, compte tenu de l'éventuel effet de seuil. Ce relèvement est nécessaire, car, pour ce type de travaux, comme pour ceux de rénovation thermique, le reste à charge est considérable, et parfois insupportable pour les foyers modestes, a fortiori dans le contexte actuel d'inflation et de crise économique.

Je proposerai également que les personnes ayant déjà effectué ces travaux voilà quinze ou vingt ans puissent solliciter de nouveau une aide, afin de tenir compte des changements touchant la configuration des logements ou la composition de la famille ; lorsque l'on a des enfants en bas âge, par exemple, le bruit d'un avion la nuit peut poser davantage de problèmes... Il faut aussi prendre en considération l'évolution des techniques en matière d'insonorisation, plus performantes aujourd'hui qu'il y a vingt ans, et qui permettent même d'améliorer le bilan énergétique du logement : c'est un rapport gagnant-gagnant. Il convient donc de sortir d'une vision statique et datée.

Vous m'avez aussi interrogé sur les ETP. Tout d'abord, je m'engage à diriger cette équipe. Le management est d'ailleurs une mission que j'apprécie particulièrement, quelle que soit la taille de l'équipe, car elle est au plus près de la motivation des collaborateurs.

Un poste d'ETP avait en effet été supprimé du fait de la crise du covid, durant laquelle les nuisances sonores étaient évidemment moins importantes ; ce fut d'ailleurs pour nos compatriotes l'occasion de prendre conscience de la place du bruit dans notre vie quotidienne... Je souhaite récupérer ce poste, puisque la circulation aérienne est de nouveau très élevée.

Je suis prudent quant à l'augmentation du nombre d'ETP pour les raisons, que j'ai déjà évoquées, de contexte général. Mais si l'activité de l'Acnusa devait monter en puissance, il faudrait que cet effectif augmente ; nous recruterions alors des ETP travaillant pour d'autres secteurs du ministère de l'écologie. C'est ainsi que l'emploi public doit être réparti, dans une logique de productivité - au sens d'efficacité de l'institution.

Le renouvellement des flottes est un axe majeur des efforts que doivent faire les compagnies aériennes et l'Acnusa doit jouer à cet égard un rôle d'aiguillon, en saluant les bonnes pratiques technologiques. En effet, les nuisances sont très souvent liées à la vétusté des appareils, notamment ceux des compagnies à bas coûts. Ce renouvellement est donc positif pour l'industrie aéronautique française, notre pays étant l'un des seuls au monde à proposer une telle gamme d'appareils - avions d'affaires, gros porteurs, sans parler des avions de chasse et des bombardiers militaires, lesquels ne relèvent pas de la compétence de l'Acnusa.

Encore une fois, les nuisances sonores les plus graves sont le fait d'avions dont l'état ne correspond pas aux normes qu'appliquent les autres compagnies. Je crois, pour ma part, à la régulation par le marché : lorsque des voyageurs empruntent des compagnies mieux-disantes du point de vue de la sécurité et de la préservation de l'environnement, ils militent concrètement, en tant que consommateurs, en faveur de l'écologie. Il convient d'encourager de telles pratiques, comme cela se fait dans le domaine de l'alimentation lorsque l'on boycotte les produits trop sucrés ou saturés d'huile de palme.

J'ai été interrogé sur l'aéroport de Strasbourg. Un point est essentiel : j'aurai beaucoup plus de pouvoirs à l'égard des aéroports « acnusés » qu'à l'égard des autres, le pouvoir de sanction, qui ne s'applique qu'aux premiers, étant de ce point de vue central. Les aéroports « acnusés » sont ceux pour lesquels on dénombre, par an, plus de 20 000 mouvements d'aéronefs de plus de 20 tonnes, auxquels il faut ajouter l'aérodrome de Paris-Saclay-Versailles, anciennement aérodrome de Toussus-le-Noble, et celui de Pontoise-Cormeilles-en-Vexin. Un problème se pose avec l'aéroport de Strasbourg : il n'est pas « acnusé ». Je ne pourrais donc qu'émettre un avis allant dans le sens de ce qui est demandé, et non sanctionner la compagnie citée, laquelle se comporte mal.

Le débat de fond est le suivant : faut-il étendre le nombre d'aéroports « acnusés » ? Si vous m'accordez votre confiance, je m'engage à revenir devant vous autant de fois que nécessaire pour échanger sur cette question. J'estime, pour ma part, que la définition retenue est trop technique, avec un effet de seuil trop restrictif. Dès lors que les gênes sont massives ou la menace suffisante, il faut en réalité placer les aéroports dans le spectre de protection de l'organisme.

Aussi, monsieur Fernique, si vous le souhaitez, je viendrai à Strasbourg. Je pourrai émettre un avis, même s'il me faudrait une semaine pour énumérer les avis sur lesquels l'administration et le politique se sont assis... La liste des aéroports « acnusés » permettra de savoir quels acteurs peuvent être sanctionnés.

L'étude d'impact selon l'approche équilibrée (EIAE) est une obligation européenne. À la suite d'une décision de 2022 du Conseil d'État, nous avons manqué une occasion : le pouvoir de réaliser ces études a été retiré à la DGAC au profit du préfet, et non de l'Acnusa, contraignant cette dernière à demander une invitation pour participer aux travaux. Il est intéressant de noter - j'ai regardé les choses de près avant de venir vous voir - que le ministère de l'intérieur était en faveur de l'Autorité. Le choix des préfets ne s'explique donc pas par une demande corporatiste.

Essayons de nous rattraper le mieux possible. Actuellement, l'Acnusa est prisonnière : son avis reste en l'air ! L'EIAE lui échappe en très grande partie et le président de l'Autorité ne signe pas les arrêtés ministériels ou interministériels. Il faut donc examiner la piste de la mise en place d'un avis conforme, en tout cas pour un certain nombre de plans qui conduisent les riverains à être particulièrement exposés ou qui laissent opérer les compagnies voyous, si vous me permettez l'expression un peu excessive. Si les parlementaires me font confiance, j'ouvrirai, à vos côtés, ce débat essentiel, que je n'ai pas entendu être tant mis en avant. L'exécutif et surtout le législatif décideront. La décision est entre vos mains !

Cette piste mettrait fin aux obstructions : il faut bien une pelleteuse pour casser les murs ! Je crois aux concertations et aux capacités du dialogue, à condition qu'il soit sincère. Le président devra s'investir beaucoup, être sur le terrain et ainsi montrer le concret de l'Acnusa. Il est important que les autorités publiques en général et les autorités indépendantes a fortiori, perçues comme parisiennes, soient palpables ! On n'administre bien, pour reprendre l'expression célèbre, qu'à portée de baffe. Ceux qui m'ont connu savent ma conviction.

Pour reprendre une anecdote personnelle que j'ai racontée hier à l'Assemblée nationale, ma première demande à chacune de mes nominations en tant que préfet a toujours été que mon futur cabinet prépare autant de lettres qu'il y avait de maires dans le département, peu importe la taille de ce dernier. Je les signais moi-même, la veille de mon arrivée officielle, en ajoutant un petit mot adéquat pour expliquer aux maires que j'étais à leur disposition, quelle que soit la dimension de la commune, pour venir les voir quand ils le souhaiteraient. Malgré la grande panique dans mon cabinet, j'essayais d'être pragmatique en répondant aux demandes de manière chronologique : si le premier élu à me solliciter administrait 112 habitants dans un département rempli de villes de plus de 10 000 habitants, j'allais à lui. Cette démarche fonctionne très bien et permet de délier beaucoup de langues. Vous voyez mon état d'esprit.

Beaucoup de commissions consultatives de l'environnement (CCE) se font dans les aéroports sans l'Acnusa, faute que cette dernière soit connue. La concertation fait pourtant avancer les choses. En la matière, le préfet honoraire qui préside la commission sur les vols nocturnes de Roissy réalise, d'après ce que j'ai lu, un bon travail.

Il en va de même en matière de logique administrative pour les procédures de sanction que pour l'accès au droit : il faut simplifier et renforcer. Les sanctions les plus efficaces sont les plus simples et rapides à appliquer. L'enjeu est similaire pour la communication : dénoncer publiquement des compagnies aériennes doit se faire de la manière la plus immédiate possible par rapport au manquement. Il n'est pas très pédagogique de condamner un trafiquant de drogue ou un cambrioleur deux ans après les faits !

Ma posture a été très claire concernant le renforcement des moyens de l'Acnusa : ne pas demander d'ETP a priori, à part l'emploi qui nous a été ôté à l'occasion de la crise sanitaire et dont je demanderai le rétablissement. En effet, l'administration ne créditera pas toujours les autorités administratives indépendantes en premier, du fait même de leur indépendance. Après notre montée en puissance, notamment au sujet des gaz à effet de serre, et notre travail commun, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l'avis conforme, je serai en position de demander des ETP. Je connais suffisamment les arbitrages au sein de l'État pour savoir que celui qui obtient les ETP est non celui qui les demande avec le plus de force, mais celui qui montre que ses agents seront efficaces pour la sphère publique. Ce sera ma démarche.

Je suis né dans l'Est sidérurgique. Mes nuits ont été bercées par le bruit des laminoirs, mes poumons et mes narines par la douce odeur du soufre qui sortait des hauts-fourneaux. La question du bruit industriel me parle donc, mais aussi, objectivement, celle de l'emploi dans ce secteur. Je me souviens que ma petite ville natale comptait dans mon enfance 16 000 habitants, dont 8 000 emplois dans la sidérurgie. À présent, ils sont 9 000 et il n'y a plus d'emplois : tout le monde travaille au Luxembourg. Il faut donc faire face à la quadrature du cercle : élus, riverains, écologie, économie... J'ai tâché de le faire dans mon métier, car il faut s'attaquer au problème avec beaucoup de volonté.

Il faut se saisir à pleine main du sujet de la pollution dans les aéroports. Le rôle de l'Acnusa est essentiel du fait de ses actions pour faire baisser la toxicité des nuisances aériennes, la santé étant parfois l'oubliée du lien entre écologie et économie. Chacun sait les conséquences du bruit sur la santé mentale ou cardiaque.

Les nuisances nocturnes proviennent du fret, facile à délocaliser. Par corrélation, perdre du fret revient à perdre des emplois, donc de la richesse et ainsi à poser des questions de santé publique. Un monde pur et parfait d'un point de vue écologique, sans activité économique et sans emploi, serait un monde dans lequel la santé ne serait pas assurée.

Pour en venir au sujet de l'aéroport de Beauvais, je ne m'explique pas pour l'instant la sous-utilisation de l'aéroport de Châlons-Vatry, dans la Marne. Le modèle économique de ce dernier est fondé sur le transport de 50 000 tonnes de fret par an. Or, cette année, le total atteindra péniblement les 10 000 tonnes, alors que l'aéroport bénéficie de la plus grande piste d'Europe : 3 860 mètres. Châlons-Vatry ne doit pas être tellement plus loin de Paris que l'aéroport de Beauvais, mais les nuisances sur les riverains y sont extrêmement limitées. Nous pourrions ainsi par son utilisation faire respirer le Beauvaisis.

J'ai perçu dans les Hauts-de-Seine, où j'habite, la modification des trajectoires aéroportuaires en fonction des saisons et du « chevelu », comme on dit à la DGAC, des aéronefs. La descente continue est la bonne méthode pour diminuer considérablement le bruit. Toutefois, les impératifs de sécurité et de contrôle aérien sont dans ce cas plus intenses : il faut un surguidage. En effet, quatre avions sur quatre lignes différentes peuvent engager à la fois une descente selon la méthode par paliers, même si l'utilisation des volets et la mise à fond des réacteurs occasionnent beaucoup plus de bruit.

Nous connaissons donc un problème de niveau technique du contrôle aérien, qui ne sera pas réglé par le président de l'Acnusa. Nous avons pris du retard alors que nous étions très en avance dans les années 1960 par rapport aux autres grands pays européens. J'ai été très frappé en me plongeant dans les dossiers par le fait que la descente continue est bien plus développée dans les autres aéroports du continent : nous sommes les derniers de la classe. Il faut saisir le ministre des transports de ce sujet, car la descente douce est une solution qui permettrait d'améliorer énormément les choses.

L'Acnusa s'est penchée sur le cas de Marly-le-Roi grâce à une saisine du maire. Il faut faire savoir aux élus qu'ils peuvent faire appel à nous. Je ne resterai pas dans mon bureau boulevard Saint-Germain pour faire des courbes relatives au bruit ! En tant que généraliste, il faut que je sois sur le terrain.

Même si je n'ai pas lu en détail l'avis sur Marly-le-Roi, je reconnais qu'il est trop technique. Je vous propose donc pour améliorer l'Acnusa d'éliminer les propos partageant ce défaut et non conclusifs. J'ai par exemple été très frappé par le rapport sur le fret aérien : il n'apporte pas grand-chose ! Toute une partie relève du recueil de données, ce qui peut se faire de nos jours facilement à l'aide de l'intelligence artificielle, et de préconisations trop générales.

Une petite structure comme l'Acnusa ne peut être sur tous les fronts. Les colloques pour se faire connaître, d'autant plus internationaux, ne sont pas essentiels : je n'y passerai pas mon temps. Je préfère expliquer notre rôle aux maires et aux associations, et voir les parlementaires. Nous pouvons donc réaliser des gains de productivité en abandonnant, comme dans toute administration, les rapports qui font plaisir essentiellement à ceux qui les écrivent.

M. Jean-François Longeot, président. - J'insiste sur l'importance de la proximité : il est nécessaire d'écouter les maires et l'ensemble des acteurs de terrain.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Pierre Monzani aux fonctions de président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires

M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons achevé l'audition de M. Pierre Monzani, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

Dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Pierre Monzani aux fonctions de président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires

La commission procède au dépouillement du scrutin sur proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Pierre Monzani aux fonctions de président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants : 33

Nombre de bulletins blancs : 4

Nombre de bulletins nuls : 0

Nombre de suffrages exprimés : 29, dont 20 voix pour et 9 voix contre.

Communication diverse

M. Jean-François Longeot, président. - Avant de poursuivre nos travaux, je cède la parole à notre collègue Ronan Dantec, qui a une information importante à nous communiquer.

M. Ronan Dantec. - La directrice de l'Institut des hautes études par les sciences et la technologie (IHEST), qui est l'équivalent de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) pour le ministère de la recherche, m'a informé que le nouveau cycle de formation s'intitulera : « L'usage des terres et des mers : quelles trajectoires pour quelle société ? ». Cette formation sera l'occasion d'appréhender la question foncière à l'aune des enjeux sociaux, économiques et environnementaux. Certains collègues de notre commission pourraient être intéressés. Les inscriptions s'achèveront le 6 janvier 2025. C'est une formation importante, qui requiert un certain engagement et une certaine disponibilité tout au long de l'année. L'IHEST regrette de ne pas compter, pour l'heure, de parlementaires dans leur cycle de formation.

M. Jean-François Longeot, président.  Nous vous relayerons cet appel candidature dans les meilleurs délais et je suis à votre disposition pour échanger à ce sujet.

Recyclage des métaux stratégiques - Audition de MM. Guillaume Pitron, Manuel Burnand et Olivier François

M. Jean-François Longeot, président. - Nous sommes réunis ce matin pour une table ronde relative au recyclage des métaux stratégiques, sur l'excellente suggestion de Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études Économie circulaire, que je remercie.

Les métaux stratégiques, qu'il s'agisse des terres rares, du lithium, du cobalt ou encore du tungstène sont au coeur de notre transition écologique. Ils sont indispensables pour fabriquer des batteries, des panneaux solaires, des éoliennes, ou encore des dispositifs électroniques. En d'autres termes, ils sont les piliers des technologies de demain.

Leur extraction repose toutefois sur des ressources limitées, concentrées dans quelques régions du monde, ce qui nous rend vulnérables à des tensions géopolitiques et à des fluctuations de marché. L'exploitation minière peut par ailleurs être source d'impacts environnementaux et sociaux relatifs à la pollution, à la destruction des écosystèmes et à des conditions de travail parfois indignes.

Face à ces constats, le recyclage des métaux stratégiques apparaît comme une réponse incontournable. Pourtant, relever ce défi est loin d'être simple. Les obstacles peuvent être techniques - l'extraction de ces métaux dans les déchets mobilise des procédés sophistiqués et coûteux -, économiques - dans bien des cas, recycler coûte encore plus cher que d'extraire -, ou encore organisationnels : trop d'équipements contenant ces métaux finissent encore dans des décharges ou sont exportés illégalement.

Pour autant, les opportunités sont réelles et immenses. La France et l'Europe ont une carte à jouer pour devenir leaders dans le recyclage des métaux stratégiques. Cela passe par le développement de technologies innovantes, par une meilleure organisation des filières de collecte et de tri ainsi que par la mobilisation des acteurs industriels des territoires et des citoyens pour construire des chaînes de valeur durables.

Pour discuter de ces enjeux, nous accueillons aujourd'hui, Guillaume Pitron, journaliste spécialiste de la géopolitique des matières premières, auteur notamment du livre La Guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique ; Manuel Burnand, directeur général de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage, du réemploi et de l'économie circulaire (Federrec) et Olivier François, président de la Confédération européenne des industries du recyclage.

Je souhaite vous entendre sur la situation du recyclage des métaux stratégiques en 2024, en France et en Europe. Le recyclage pratiqué aujourd'hui est-il suffisant ? Si ce n'est pas le cas, comment pouvons-nous mobiliser les politiques publiques, en France comme en Europe, pour améliorer le recyclage des métaux stratégiques et ainsi renforcer notre indépendance économique dans des secteurs clés pour la transition écologique ?

Je vous remercie de votre présence et je vous laisse sans plus attendre la parole pour un propos liminaire de quelques minutes.

M. Guillaume Pitron, journaliste - Nous rentrons dans un monde qui, nous l'espérons tous, sera bas carbone, mais haute matière. À mesure que nous réussirons à baisser nos émissions de dioxyde de carbone, nous consommerons davantage de ressources : en 2018, une étude de l'OCDE estimait qu'en 2060, l'humanité consommerait deux fois plus de matière qu'elle n'en consommait en 2011.

Le Circularity Gap Report de Deloitte en 2023 confirme cette tendance et conclut : « We live in the overshoot era », nous sommes shootés aux matières premières et les transitions énergétique et numérique accélèrent nos besoins. Ces révolutions nous permettront de baisser nos émissions de CO2, mais nous feront consommer davantage de matières premières, minérales et métalliques, notamment pour fabriquer des batteries et des éoliennes : l'intensité matière d'une éolienne est cinq à quinze fois plus importante que celle d'une centrale à charbon ; les éoliennes offshore requièrent notamment du cuivre. Nous basculons donc dans un monde « hauts métaux » et « haute matière ». Nous avons besoin de matières premières pour tous nos besoins de la vie quotidienne, pas seulement pour les énergies ou le numérique. Les transitions énergétique et numérique se tiennent par la main : on ne peut faire de numérique sans énergie verte - c'est le numérique responsable - ni d'énergie verte sans numérique - c'est le pilotage informatique des réseaux.

Le monde que nous bâtirons ne sera pas soutenable, responsable et durable s'il est ainsi bas carbone et haute matière, il devra être à la fois bas carbone et basse matière ; à défaut, notre transition sera incomplète et insuffisante. Nous sommes comme des automobilistes devant un passage à niveau : le premier train qui passe est celui de la transition énergétique, il en cache un second, celui de la transition vers la basse matière et le circulaire. La véritable révolution des vingt prochaines années n'est pas seulement la révolution verte, mais aussi la révolution circulaire, nettement plus ambitieuse, dans laquelle s'inscrit le recyclage.

Un recycleur ne peut rien sans un éco-concepteur qui fabrique des produits recyclables en amont. Faute de quoi, le recycleur restera au chômage. De même, à quoi bon disposer d'un écosystème de collecte des métaux stratégiques s'il n'est pas organisé ? Si nous ignorons où se trouvent les déchets électroniques, ou s'ils sont disséminés en Afrique et que nous ne pouvons pas les rassembler pour les recycler, cela ne sert à rien.

Le recyclage s'inscrit dans un écosystème plus large, celui de l'économie circulaire. Cela commence par une exploitation minière responsable, qui recycle notamment l'eau, ressource indispensable pour produire du cuivre au Chili avant que ce dernier ne serve à fabriquer des véhicules électriques. Recyclons d'abord les matières premières nécessaires à l'extraction des métaux. Ensuite viennent l'écoconception, l'écologie territoriale et industrielle : comment récupérer des ressources qui seront recyclées ? Cette symbiose industrielle doit être développée, tout comme la réparabilité des objets et l'allongement de leur durée d'usage. In fine, le recyclage intervient en bout de chaîne de l'économie circulaire, en dernier recours et en aval de toutes ces premières mesures. Il fait partie d'un tout cohérent. On ne peut faire de recyclage sans développer au préalable les six autres piliers de l'économie circulaire qui le favorisent.

Ce recyclage, complexe, représente un véritable défi. Il peut être relativement aisé pour des matières premières produites en gros volumes comme le cuivre, le fer, le zinc ou le plomb, le volume permettant de réduire les coûts du recyclage. De même, les coques de téléphone portable en aluminium pur se recyclent très facilement : il suffit de les faire fondre.

En revanche, le recyclage est plus délicat pour des métaux stratégiques dont la valeur n'est pas forcément élevée - contrairement à l'or, l'argent ou le palladium qui se recyclent très bien en raison de leur prix élevé - mais dont le coût de recyclage dépasse celui du métal à la mine.

Avez-vous déjà essayé de recycler de la mayonnaise en séparant l'oeuf, la moutarde, l'huile, le poivre et le sel pour refaire une nouvelle mayonnaise avec ces ingrédients ? Non, la mayonnaise sera jetée ou donnée aux poules, mais ne sera pas recyclée. Il en va de même pour un aimant de terres rares dans votre téléphone portable : celui de votre vibreur est composé d'une terre rare légère, le néodyme, ainsi que de fer et de bore. Séparer ces trois éléments pour en refaire un nouveau est aussi complexe que recycler une mayonnaise. Le processus, extrêmement ardu technologiquement, requiert beaucoup d'énergie et de produits chimiques, il est long et coûteux. Il revient donc beaucoup moins cher d'extraire du néodyme à la mine, matière primaire non recyclée.

Je pourrais également évoquer le lithium et le cobalt - dont le recyclage est un peu plus aisé - et tous les petits métaux comme le gallium, le germanium, l'indium ou le tantale, difficiles à recycler. Tout l'enjeu sera de développer un modèle économique compétitif par rapport aux industries minières.

L'un des défis réside dans la grande volatilité des cours des matières premières primaires. Lorsque le lithium coûte trois fois plus cher qu'actuellement, son recyclage est davantage envisageable, car le lithium recyclé reste compétitif par rapport à la mine. À l'inverse, quand son cours est très bas comme c'est le cas actuellement, cela fragilise d'autant le modèle économique du recyclage.

Les recycleurs sont tributaires non seulement de leur propre processus industriel interne, mais également d'une conjoncture géoéconomique sur laquelle ils n'ont pas de prise et qui, au gré de la volatilité des cours, fait fortement évoluer leur modèle économique. Dans ce contexte très instable, il nous faut donc réussir à construire un monde à la fois bas carbone et basse matière.

M. Olivier François, président de la Confédération européenne des industries du recyclage- La Confédération européenne des industries du recyclage, basée à Bruxelles a été créée il y a dix ans pour interagir avec les autorités européennes et les services de la Commission européenne ; nous avons suivi avec beaucoup d'attention le Critical Raw Materials Act.

Je partage les propos de M. Pitron. Le prix du lithium, métal souvent évoqué dans les médias comme l'élément critique pour les batteries, connaît une évolution sidérante avec un facteur 10 entre un moment de tension, comme en 2022, et aujourd'hui.

Pour investir dans le recyclage, nos entreprises ont besoin de visibilité ; or la variabilité des prix est extrême, comme le rappellent régulièrement les journaux spécialisés tels que L'Usine nouvelle ou Les Échos.

De plus, la composition chimique des batteries électriques est encore à déterminer. Auparavant, ces batteries étaient fabriquées à partir de lithium, nickel et cobalt. Désormais, les constructeurs automobiles abandonnent cette technologie mobilisant des métaux rares et coûteux comme le cobalt, uniquement produit au Congo, pour passer à des batteries au lithium, fer et phosphate, qui sont très peu intéressantes pour un recycleur.

Alors même que les réglementations demandent d'accélérer sur le recyclage, les recycleurs ne peuvent investir dans le recyclage des matériaux pour les mobilités douces s'ils n'ont aucune visibilité sur la chimie future des batteries. Pour amortir des installations, comme tout industriel, nous avons besoin d'au moins dix ans de visibilité, ce que nous n'avons absolument pas, même pour un élément aussi essentiel que les batteries de véhicules électriques, sans même parler des petits objets électroménagers.

On nous oppose souvent que nous ne recyclons pas les terres rares - en réalité celles-ci ne sont pas rares - présentes dans les aimants permanents. L'image de la mayonnaise est parfaitement adaptée : certains aimants permanents contiennent des terres rares, mais en quantité extrêmement faible ; isoler le néodyme d'un aimant constitué principalement de ferrite n'est pas viable économiquement.

On considère souvent à tort que l'électroménager contient des terres rares, alors que ces appareils grand public bon marché ne contiennent pas d'éléments ayant de la valeur. On trouve des matériaux à base de terres rares en concentration importante dans des objets technologiques, par exemple dans les moteurs ou dans les transformateurs présents dans les nacelles des éoliennes, avec des aimants permanents. Ces éléments ne seront pas détruits, mais réutilisés.

Il en va de même pour les voitures électriques : les moteurs contiennent à la fois une quantité importante de cuivre et des aimants parfois permanents comprenant des terres rares. Mais il serait absurde de les détruire pour chercher à extraire les différents éléments, car les moteurs électriques d'une voiture peuvent parcourir au moins 1 million de kilomètres supplémentaires. Le modèle économique diffère totalement de celui des moteurs thermiques, qui commencent à poser problème dès 200 000 kilomètres. La Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec) a d'ailleurs récemment ajouté un « R » dans son nom pour réemploi, devenant ainsi la Fédération du recyclage, du réemploi et de l'économie circulaire (Federrec). Les moteurs électriques doivent donc être réemployés tels quels.

Nous évoluons d'un modèle économique entièrement basé sur le carbone vers un modèle économique basé sur le métal, comme l'a parfaitement résumé M. Pitron dans son introduction. Une simple éolienne offshore moyenne nécessite 1 000 tonnes d'acier. Nous assistons à une évolution d'une rapidité sans précédent dans ce domaine. Si nous aspirons à un outil de production électrique à la hauteur de nos ambitions, qu'il s'agisse d'une centrale nucléaire ou d'une éolienne, il faut des quantités phénoménales de métal, sans même parler des métaux stratégiques.

L'acier inoxydable est le véritable marqueur du caractère industriel d'une nation. Dans les moteurs d'avion de Safran, c'est l'acier inoxydable qui prime, et non le cuivre ou l'aluminium. En Europe, 95 % de l'acier inoxydable fabriqué à des fins de haute technologie industrielle est produit à partir d'acier inoxydable recyclé. C'est un chiffre méconnu, mais d'une importance capitale. Si demain l'Europe et la France souhaitent se réindustrialiser, il faudra se tourner vers ce domaine de la haute technologie, basée sur des métaux comme l'acier inoxydable, la réalisation de moteurs d'avion ou de centrales nucléaires. Telle est ma vision de la direction que nous devons prendre pour l'avenir.

M. Manuel Burnand, directeur général de la Fédération du recyclage, du réemploi et de l'économie circulaire (Federrec) - Le réemploi constitue un axe fort de développement pour notre fédération, au même titre que l'innovation. Lors de la révision de nos statuts pendant le salon Pollutec, nous avons intégré en notre sein l'ensemble des entreprises innovantes du secteur, dans le but d'affiner notre vision scientifique.

La profession bénéficie d'une longue expérience sur les pots catalytiques, apparus il y a une trentaine d'années. Nous avons récupéré des composants en petite quantité. Cependant, au fil des générations de voitures, compte tenu du coût de ces matériaux, les metteurs sur le marché ont eu tendance à utiliser des matières de moindre valeur.

Par ailleurs, le recyclage des déchets électriques et électroniques est la filière la plus mature en France et l'une des plus performantes en Europe. L'organisation a été définie avec des unités très sectorisées - une pour les réfrigérateurs, une pour les petits appareils en mélange, une pour les machines à laver... Ces technologies séparées ont permis d'obtenir une belle performance technique et économique de récupération des matières, qu'il s'agisse de matières stratégiques, de plastiques, de polyuréthane, etc.

Je pourrais également citer l'exemple des cartes électroniques, domaine dans lequel la profession a su progresser. Nous pouvons encore nous améliorer dans certains secteurs, par rapport aux gisements, même si la généralisation n'est pas possible. Plus de deux cents chimies de batteries ont été testées et le même phénomène s'observe sur les panneaux solaires : lorsque l'on réfléchit sur la performance et le prix de revient par rapport aux matériaux, les équations évoluent en permanence.

La composition des batteries automobiles est en train de se stabiliser, avec la prise en compte du risque majeur d'incendie : le lithium prend feu au contact de l'humidité. Nous avons déjà témoigné du drame que représente cette dissémination des batteries au lithium dans de nombreux produits, et du risque considérable que cela fait peser tant sur les particuliers que sur les entreprises. Nous devons le prendre en compte, et nous apprenons collectivement à le faire.

Parmi les leviers de cette économie circulaire, comment favoriser le recyclage par rapport à l'enfouissement ? La France a fait des choix qui se sont avérés bénéfiques, par exemple sur les résidus de broyage léger. Lorsque l'on broie une voiture, une fraction des matériaux est aspirée - textiles, mousses... - qui, pendant très longtemps, a été mise en centre de stockage. Avec l'augmentation du prix de la mise en décharge, les recycleurs ont développé des technologies pour rentabiliser un processus alternatif, la valorisation. Voilà un bon retour d'expérience sur la manière dont un élément de marché et des dispositions de l'État ont favorisé le recyclage.

Ces vingt dernières années, nos installations ont acquis un niveau technologique considérable. L'intelligence artificielle est largement déployée dans nos installations. Toutes les techniques de l'industrie minière ont été transposées à l'industrie du recyclage, et d'autres innovations émergent, comme la lecture atomique et moléculaire pour le plastique ou d'autres composants.

Les alliages méritent, enfin, une attention particulière. On procède aux alliages de minerais sur la base de diverses nécessités techniques. Puis, lors du recyclage, la séparation des différents éléments implique un certain nombre de nuances. Les aciers sont séparés par aimant, les aluminiums par induction. Il faut, de plus, regrouper les différentes qualités d'un même métal. Nous sommes en train de préparer la prochaine étape, notamment pour séparer les différentes nuances d'aluminium en fonction des éléments de l'alliage. Pour le cuivre, ce travail reste à accomplir. De tels exemples rappellent que le recyclage est un sujet extrêmement complexe.

Mme Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études économie circulaire. - Avant tout, je tiens à remercier M. le président d'avoir retenu ma proposition d'organiser cette table ronde.

À mon sens, nous traitons là d'un sujet crucial. Les différents intervenants l'ont rappelé au cours de leurs riches propos introductifs, il s'agit, en particulier, d'un enjeu central pour l'économie circulaire.

Dans un contexte marqué par l'augmentation exponentielle de la demande mondiale, en raison du développement des produits nécessaires à la transition écologique, il est plus que jamais nécessaire de sécuriser l'approvisionnement en métaux stratégiques.

Le recours aux métaux recyclés permet de renforcer la sécurité d'approvisionnement, en minimisant l'empreinte environnementale de l'extraction et en favorisant l'essor, en France, de l'industrie verte, malgré les limites évoquées notamment par M. Pitron.

La montée en puissance du recyclage, qui se heurte à des contraintes techniques et économiques, est donc aujourd'hui une priorité. Elle exige une mobilisation en amont, pour favoriser l'éco-conception des produits incorporant des métaux stratégiques, comme en aval, pour développer des filières de collecte, de tri et de recyclage efficaces.

Monsieur Pitron, dans La Guerre des métaux rares, ouvrage paru en 2018, vous vous montrez particulièrement pessimiste quant au recyclage des métaux stratégiques. Vous déplorez des « promesses déçues » en pointant les difficultés techniques inhérentes à la séparation des composants d'un alliage. Votre analyse a-t-elle évolué depuis six ans ? Les avancées technologiques récentes et la généralisation des démarches d'éco-conception ont-elles, selon vous, contribué à rendre le recyclage des métaux stratégiques économiquement plus viable et écologiquement plus efficace ? À tout le moins, sommes-nous dans la bonne direction ?

J'en viens aux politiques publiques nationales. Lors des dix-huitièmes assises nationales des déchets, qui se sont tenues à Nantes en octobre dernier, Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, a annoncé le lancement d'un plan au titre duquel la France adopterait, d'ici à mai 2027, des mesures pour améliorer la recyclabilité des matières premières critiques.

En dépit d'une situation politique pour le moins singulière, cette annonce gouvernementale a-t-elle été suivie d'effet ? Quelles mesures faudrait-il prendre pour améliorer la recyclabilité des métaux stratégiques ? Faut-il privilégier une approche normative, en adoptant des exigences renforcées, ou miser davantage sur des dispositifs de financement adaptés, favorisant l'innovation et le développement des infrastructures ?

Enfin, le cadre communautaire ne saurait être négligé. La législation européenne relative aux matières premières critiques, adoptée en mars 2024, renforce la sécurité et la durabilité de l'approvisionnement en métaux stratégiques au sein de l'Union européenne. Afin de réduire notre dépendance d'approvisionnement, la législation fixe pour objectif que, d'ici à 2030, 25 % des matières premières stratégiques utilisées en Europe soient issues du recyclage. Divers leviers sont prévus, comme l'accès simplifié aux financements, la réduction des freins administratifs ou encore le développement de la récupération des matières critiques dans les flux de déchets industriels.

Messieurs, quel avis portez-vous sur cette législation inédite ? Les moyens alloués sont-ils, selon vous, à la hauteur des objectifs fixés par l'Union européenne ? Comment la France peut-elle jouer un rôle moteur dans la mise en oeuvre de ces mesures ?

M. Guillaume Chevrollier. - Je suis heureux de retrouver M. Pitron, que nous avions déjà entendu au titre de la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, en tant qu'auteur de L'Enfer numérique.

À cette occasion, nous avions déjà longuement parlé des enjeux d'éco-conception. Le recyclage des métaux stratégique permettrait bel et bien de ménager les ressources naturelles, donc de préserver l'environnement et la biodiversité, mais, sur ce sujet comme sur bien d'autres, on a le sentiment de faire du sur-place...

Il y a plus de dix ans, j'insistais déjà sur les « mines urbaines » dans un rapport d'information parlementaire. Je soulignais alors que le recyclage permettrait de réduire les exploitations naturelles dans des proportions tout à fait significatives - 40 % pour le cuivre et le cobalt, 25 % pour le lithium et le nickel. Bien exploitées, ces « mines urbaines » ne pourraient-elles pas garantir notre développement industriel et notre souveraineté énergétique ? Ne passons-nous pas à côté d'un gisement considérable ?

Quels sont les freins identifiés au recyclage des métaux stratégiques, comme le cuivre ? Comment expliquer que d'importants projets de recyclage - je pense notamment aux batteries - aient été suspendus en France faute de débouchés européens, alors même que la demande de métaux stratégiques va croissant ? Quelle est, à ce titre, la part de responsabilité des éco-organismes ? Leurs cahiers des charges sont-ils suffisamment ambitieux ? Ne doit-on pas également revoir leur gouvernance ?

Mme Audrey Bélim. - Monsieur Pitron, votre livre, La Guerre des métaux rares, a provoqué une prise de conscience collective : nous sommes désormais confrontés à de nouvelles dépendances, qui menacent notre capacité à conduire les transitions écologique et numérique. On le constate tout particulièrement dans les territoires ultramarins.

Dans votre livre, vous insistez sur la valeur stratégique du nickel calédonien. Mais, pour ma part, je tiens à vous interroger sur mon territoire, l'île de La Réunion, et, plus précisément, sur le devenir des batteries électriques lithium-ion usagées.

Les acteurs locaux, notamment le syndicat de l'importation et du commerce de La Réunion (SICR), ont rencontré plusieurs porteurs de projet, ainsi que les représentants de l'Agence française de développement (AFD), afin de créer une filière de recyclage ou de réemploi de ces batteries, déjà trop nombreuses dans notre territoire. Mais l'évolution perpétuelle des technologies de batteries rend cet investissement impossible, d'autant que les territoires insulaires ne disposent pas de gisements suffisants.

En parallèle, la convention de Bâle nous défend d'exporter ou d'importer des déchets dangereux en dehors des pays de l'OCDE. Une dérogation en vertu de notre statut européen de région ultrapériphérique (RUP) serait peut-être utile pour renforcer la coopération à l'échelle du bassin régional.

L'île Maurice, voisine de La Réunion, va accueillir une usine de fabrication de batteries lithium-ion : il faut étudier les pistes de mutualisation du traitement des déchets avec ce territoire. Mais, pour l'heure, la seule solution reste l'exportation vers l'Hexagone via un nouveau dispositif plus sécurisé, conçu par Suez. Ce choix impliquerait une péréquation nationale de la part de la future filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) pour absorber les surcoûts liés à l'exportation.

Quoi qu'il en soit, ce transport maritime restera confronté à un enjeu d'assurabilité et de sûreté. Je pense en particulier au risque d'incendie. En outre, la pandémie de covid-19 a révélé la désorganisation des chaînes logistiques et les fortes réticences de la Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime (CMA-CGM) à transporter certains types de déchets. Nous craignons, dès lors, que la solution d'exportation vers l'Hexagone ne soit absolument pas résiliente.

Envisagez-vous des solutions plus pérennes et plus respectueuses de l'environnement, reposant sur d'autres acteurs, notamment pour traiter ces déchets sur notre île ?

M. Guillaume Pitron. - Depuis environ quatre ans, j'observe comme une prise de conscience, sans doute largement due à la crise du covid. Rappelez-vous : au début de la pandémie, nous sommes restés sans masques pendant trois semaines, car toute la production était partie en Chine. Puis, en 2021, un porte-conteneurs est resté bloqué six jours dans le canal de Suez, mettant au jour de nouveaux dysfonctionnements de la mondialisation. La guerre en Ukraine a, elle aussi, contribué à mettre au jour notre fragilité stratégique - je pense bien sûr au gaz russe.

Au titre des métaux stratégiques, nous sommes confrontés à des enjeux d'approvisionnement et de recyclage, lesquels sont étroitement liés, le recyclage étant à même de nous offrir des sources d'approvisionnement additionnelles. Depuis environ quatre ans, les pouvoirs publics et les entreprises en prennent de plus en plus conscience. Ainsi, en vertu du Critical Raw Materials Act, définitivement validé cette année, 25 % de nos besoins devraient être couverts par le recyclage à l'horizon 2030. Mais ce n'est malheureusement qu'un objectif.

La prise de conscience est d'abord de nature géostratégique. Elle porte sur les enjeux de résilience et de souveraineté. Ajouter à un flux de matière primaire des flux de matière secondaire, c'est un moyen de diversifier nos approvisionnements, donc d'échapper à diverses dépendances, dont la dépendance chinoise.

S'y ajoute bien sûr un fort enjeu écologique. Toutes les études le confirment, quel que soit le métal considéré : la production issue du recyclage émet beaucoup moins de dioxyde de carbone que la production issue de la mine.

En la matière, les entreprises font également face à un enjeu réputationnel.

À titre personnel, j'ai créé une société d'intelligence minérale et, depuis un an, je me trouve régulièrement face à des industriels. Je m'efforce de comprendre quels sont, pour eux, les enjeux des métaux stratégiques. Environ 50 % de mes interlocuteurs ne connaissent le sujet que vaguement et n'ont pas spécialement agi. Environ 20 % des entreprises ont conscience du sujet, mais n'ont pris que quelques mesures assez timides. En revanche, deux filières se montrent très actives : la filière des voitures électriques, notamment au titre des batteries, compte tenu de la nécessaire accélération de la transition écologique dans le secteur automobile, et la filière aéronautique, compte tenu de son importance économique, en Europe en général et en France en particulier.

À mon grand étonnement, le sujet de l'économie circulaire revient très régulièrement lors de mes entretiens avec les industriels. Ces derniers me demandent comment utiliser davantage de matériaux recyclés, que ce soit en boucle longue, c'est-à-dire en cherchant le matériau où qu'il se trouve, y compris dans des territoires éloignés, ou en boucle courte, dans des périmètres très resserrés, grâce aux filières locales de collecte et de recyclage.

Depuis quelques années, l'enjeu que représentent les métaux stratégiques bénéficie de cette prise de conscience, et la question du recyclage s'invite ainsi avec davantage de force. Pour autant, la situation a-t-elle véritablement changé ?

De nombreuses lois et de nombreux règlements ont été adoptés. Outre le Critical Raw Materials Act, on peut citer le règlement européen sur les batteries de 2023, qui fixe des objectifs à horizons 2031 et 2036. En 2031, 6 % à 10 % du lithium et du cobalt présents dans les batteries doivent être issus du recyclage. Un tel objectif est très ambitieux. De même, le règlement européen éco-conception pousse in fine au recyclage, y compris pour les métaux stratégiques.

Aujourd'hui, bon nombre d'industriels s'intéressent au sujet. Mais, dans l'ensemble - les chiffres le prouvent -, le recyclage des métaux stratégique n'a pas beaucoup progressé depuis 2018. Les terres rares ne se recyclaient pas il y a six ans : elles ne se recyclent guère plus à ce jour.

En 2018, l'entreprise Solvay annonçait en grande pompe son ambition de recycler certaines terres rares permettant de fabriquer les luminophores. La promesse a fait long feu et, désormais, il n'en est plus question.

D'une manière générale, la prise de conscience géostratégique est à l'oeuvre et les entreprises se penchent sur le sujet, mais la mise en oeuvre concrète tarde encore. On attend encore des résultats probants.

On comprend, dès lors, la nécessité de légiférer. D'un point de vue strictement économique, aucun industriel n'a aujourd'hui intérêt à investir dans le recyclage. Il faut donc fixer des objectifs assortis de sanctions financières pour créer une économie du recyclage.

La loi doit rendre le métal recyclé plus compétitif, ou au moins le métal issu de la mine moins compétitif, en créant artificiellement un marché du recyclage. Pour être efficace, la sanction financière doit coûter beaucoup plus cher que l'investissement nécessaire à l'emploi de matières premières recyclées.

Il faut, plus précisément, fixer des seuils de recyclage et de réutilisation, puis les rehausser de manière progressive. On a procédé ainsi pour le Polytéréphtalate d'éthylène (PET), qui entre dans la composition de certaines bouteilles en plastique : bon nombre d'industriels se sont rués vers les matières recyclées ; ils ont même accepté de payer des primes afin d'obtenir un accès prioritaire à la ressource. Pour eux, c'était le seul moyen de respecter les termes de la loi. À l'évidence, il faut en faire autant pour les métaux stratégiques : les industriels seront contraints d'organiser des filières pour respecter les objectifs chiffrés fixés par la loi.

Aujourd'hui, faute d'un environnement stabilisé, c'est-à-dire faute de cours et de technologies stables, la disruption est un frein à l'innovation. Ce paradoxe s'observe dans le secteur des batteries. Pourquoi mettre des millions sur la table si l'on n'a pas la certitude que, demain, le lithium, le cobalt ou le nickel seront véritablement stratégiques pour la filière ? Sans législation contraignante, le marché n'est pas en mesure de s'organiser.

Dans le Circularity Gap Report, Deloitte estime que la circularité de nos économies était de 10 % en 2019, contre 7,8 % en 2023. Cette donnée est particulièrement éloquente, car elle montre que le taux d'accélération de l'extraction minière est plus rapide que le taux de recyclage des produits de cette extraction. Nous ne prenons donc pas le chemin d'un monde circulaire.

M. Olivier François - La réglementation européenne impose que dès 2025, 25 % de PET recyclé soit incorporé dans les bouteilles d'eau, ce qui devrait logiquement ouvrir de nouveaux marchés à l'industrie du recyclage. Afin de se préparer au respect de cette obligation, les embouteilleurs se sont mis en quête de PET recyclé. En Asie, des pays comme le Vietnam ou l'Indonésie se sont rapidement mis en ordre de marche pour proposer aux embouteilleurs européens du PET prétendument recyclé - car comment le vérifier ? - à bas prix, et elles ont inondé le marché européen. Résultat, les entreprises européennes de recyclage de PET ferment l'une après l'autre.

À Bruxelles, la Direction générale du commerce (DG-Trade), que nous avons alertée sur cette situation, nous a répondu que son rôle était de veiller à l'ouverture des frontières au commerce international. Il reste que les bonnes intentions dont l'Union européenne est indéniablement pétrie ont emporté un effondrement de l'industrie européenne du recyclage de PET, qui était pourtant florissante. En 2019, lorsque cette réglementation a été adoptée, l'entreprise Paprec, qui est un acteur majeur du recyclage, et pas seulement de papier, a fortement investi afin d'agrandir son usine de Limay, près de Porcheville. Or ces nouvelles capacités de production ne sont pas pleinement utilisées. À défaut d'un mécanisme de régulation, ces obligations d'incorporation profitent aux pays asiatiques, dont les préoccupations environnementales et les conditions sociales n'ont rien de comparable aux nôtres, et aux États-Unis, dont les prix de l'énergie sont quatre fois inférieurs aux nôtres. Il en ira prochainement des métaux critiques comme il en va du PET si nous ne parvenons pas à lever cette contradiction politique.

J'en viens aux territoires insulaires. Les batteries au lithium sont de véritables bombes incendiaires, qui lorsqu'elles prennent feu déclenchent un incendie d'une puissance thermique inouïe. Il conviendrait donc, dans les territoires insulaires, de broyer les batteries de sorte à en extraire la black mass (masse noire), comme cela se fait déjà en Europe et dans un certain nombre de pays dans le monde. L'opération de broyage et de préparation de cette masse noire isole le concentré de métaux critiques, de sorte que le transport de celle-ci ne pose plus du tout les mêmes difficultés que le transport de batteries. Moyennant un investissement raisonnable, les obstacles pourraient être levés.

Pour ce qui concerne les boucles courtes et les boucles longues, il faut avoir conscience que l'essentiel du petit électroménager consommé en Europe est produit en dehors de l'Europe, en particulier dans les pays asiatiques. Il ne peut y avoir de boucle courte que si nous avons des constructeurs à proximité. La division internationale du travail qui s'est mise en place au cours des quarante dernières années nous contraint à renvoyer dans les pays producteurs les matières recyclées issues des produits que nous importons de ces pays. Que cela nous plaise ou non, il s'agit bien d'une boucle longue.

L'empreinte carbone du transport maritime entre l'Europe et l'Asie étant minime, je ne crois pas que nous parviendrons à réinstaller une industrie de construction de petits appareils électroménagers en Europe. Il faut à mon sens nous concentrer sur ce que nous savons faire, c'est-à-dire sur la haute technologie, dont les métaux critiques sont des intrants essentiels : les réacteurs nucléaires, les réacteurs d'avion, l'armement, etc.

M. Manuel Burnand. - En ce qui concerne les filières à responsabilité élargie du producteur (REP), la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec, a profondément modifié notre écosystème en introduisant des systèmes d'éco-modulation, ou de bonus-malus, pour favoriser l'incorporation de matières recyclées, mais également la recyclabilité. Si de tels outils sont positifs, le bilan de la REP des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) fait figure de contre-exemple au niveau européen. Chaque éco-organisme s'est en effet lancé avec une organisation contractuelle et des systèmes d'information différents, ce qui n'a abouti qu'à une suradministration inefficiente et à une grande pagaille. Telles sont du reste les conclusions de la mission d'évaluation demandée par Élisabeth Borne, qui dresse un constat extrêmement sévère des REP à la française.

Cela me désole, car la France devrait être à l'avant-garde, mais notre modèle n'est pas celui que la Federrec préconise aux niveaux européen ou international. Nous avons travaillé avec le Sénat à l'élaboration d'une proposition de loi visant à réformer ce système. Il est aujourd'hui indispensable d'aligner les énergies des différentes forces vives de sorte que les éco-organismes soient un catalyseur de l'économie circulaire. Or du fait de la hausse des prix de l'énergie, mais aussi des contraintes qui pèsent sur les salaires ainsi que de la surcharge administrative, les entreprises françaises ne sont pas les plus compétitives, ce qui amène les éco-organismes à exporter les matières premières hors de France pour leur recyclage. Je souscris donc aux propos de Guillaume Pitron, qui qualifiait ce système de REP d'« économie artificielle ».

À Singapour, les batteries sont d'ores et déjà recyclées à 100 %. Ce pays a une avance de dix ans sur le nôtre, et je ne sais pas dans quelle mesure nous pourrons rattraper ce retard. Les unités de recyclage asiatiques seront par exemple en mesure de nous racheter la black mass dans de meilleures conditions que l'industrie européenne du recyclage. Dans le cadre de la guerre économique qui se joue, il faut être conscient que la Chine ou les États-Unis aident grandement leur industrie et que l'Europe est à la traîne. Afin de sortir par le haut de cette impasse, il convient de faire le bilan de la loi Agec au prisme, non plus seulement de l'environnement, mais aussi de la souveraineté, dont la crise du covid a révélé l'importance. Nous disposons de ressources sur notre territoire. Le défi est aujourd'hui de les garder, c'est pourquoi la Federrec compte sur le Sénat pour accompagner cette réforme de du cadre législatif.

M. Alexandre Ouizille. - Vous nous avez indiqué qu'une partie de nos déchets plastiques est aujourd'hui recyclée en Asie ; l'autre partie est-elle tout de même recyclée en Europe ?

M. Olivier François. - Le modèle économique d'entreprises comme Suez ou Nord Pal Plast, qui travaille notamment avec Cristalline, visait justement à utiliser le PET recyclé en boucle courte.

M. Alexandre Ouizille. - Mais où vont les déchets qui sortent de nos centres de tri ?

M. Olivier François. - Au regard du différentiel de prix, les embouteilleurs font appel à du PET en provenance d'Asie, si bien que nos installations tournent à seulement 50 % de leurs capacités de production.

M. Alexandre Ouizille. - Je me suis récemment rendu sur le site de l'entreprise Nexans, à Lens, pour visiter sa « coulée continue », c'est-à-dire sa fonderie de cuivre. Aujourd'hui, l'entreprise réalise un investissement massif de 100 millions d'euros pour intégrer le cuivre à son processus de production à hauteur de 40 % d'ici à 2030 ou 2035.

Le retard pris par les industriels dans l'incorporation de certains métaux recyclés est-il lié à un développement insuffisant des nouvelles technologies, ou bien y a-t-il un problème de captation du gisement ? Notre incapacité à fournir aux industriels suffisamment de gisements, compte tenu du volume de la production nationale, fait sans doute défaut, sans parler de la concurrence internationale. Quels sont les freins à l'incorporation des métaux stratégiques aux processus industriels ?

Du reste, les représentants de Nexans m'ont expliqué que les zones d'extraction du cuivre sont de plus en plus pauvres : auparavant, il fallait exploiter 100 tonnes de minerai pour extraire 2 tonnes de cuivre ; aujourd'hui, il faut en exploiter 200. L'appauvrissement des gisements renforce nécessairement l'intensité de la question stratégique du recyclage.

M. Damien Michallet. - Aujourd'hui la France possède un vrai gisement de cuivre. Nous sommes attachés au sein de cette commission à parler du déploiement de la fibre optique, lequel suppose le décommissionnement du réseau cuivre historique. Pourtant, la filière de recyclage du cuivre n'est pas bien organisée en amont en France, alors même que les outils industriels existent et ne consomment pas énormément d'énergie. Nous avons sous les pieds un vrai potentiel qui nous permettrait d'être rentables.

À partir de 2030, nous ne serons plus capables de mettre en place, à l'échelle mondiale, des exploitations grâce auxquelles le rapport entre l'offre et la demande serait équilibré. Voilà pourquoi nous devons nous tourner vers le recyclage. Nous vendons nos câbles de cuivre principalement en Asie, mais aussi en Europe, où certains pays sont spécifiquement organisés pour en assurer l'exploitation. Ce n'est pas le cas en France. Dès lors, pensez-vous que nous devrions légiférer en amont, afin de ne pas distribuer trop vite à l'étranger tout ce potentiel ?

Encore une fois, la filière industrielle n'existe pas pour traiter le cuivre jusqu'au granulat. Les industriels s'organisent-ils en conséquence ?

M. Hervé Gillé. - Qu'en est-il de la stratégie européenne ? Nous abordons ces questions à l'échelle de notre pays, mais elles mériteraient d'être traitées dans le cadre d'une approche stratégique commune à l'ensemble des pays de l'Union européenne. L'idée est de qualifier et de fiabiliser toute la filière en Europe. Certains de nos partenaires ont sans doute des filières et des stratégies plus efficaces qu'il conviendrait de promouvoir.

M. Jacques Fernique. - Nous disposons d'un cadre juridique bien établi avec la directive européenne de 2008 relative aux déchets et le paquet européen sur l'économie circulaire, adopté en 2015 et complété en 2020. En outre, nous travaillons à évaluer la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec, et la responsabilité élargie des producteurs (REP) à la française.

Vous avez évoqué le carnage des PMCB. À cet égard, quelles sont les stratégies mises en place pour respecter les objectifs définis à l'échelon européen ?

M. Olivier François. - La dimension européenne est essentielle. À ma connaissance, il n'existe plus, en France, d'entreprises qui assurent le traitement du cuivre par électrolyse.

Pour obtenir du cuivre à 99,99 % - celui qui sera utilisé pour les applications industrielles -, il est nécessaire de passer par des entreprises étrangères, comme Aurubis AG, située en Allemagne, ou Boliden AB, établie en Suède. Force est de constater que le nombre d'entreprises européennes capables de transformer le cuivre est extrêmement faible.

Je voudrais répondre aux questions qui m'ont été posées tout à l'heure sur les problèmes d'exportation. Aujourd'hui, seuls 5 % à 6 % des métaux non ferreux et recyclés - aluminium et cuivre - produits en France sortent de l'Union européenne.

On accuse souvent les recycleurs de vendre les matériaux recyclés à l'étranger, mais ils sont presque tous distribués au sein de l'Union européenne, notamment en Allemagne et en Suède. En Pologne, la fédération du recyclage fait partie de la fédération des mines, car, dans ce pays, la mine est une activité industrielle encore florissante.

Nous avons la chance de concentrer un véritable potentiel : l'acier inoxydable est nécessaire à notre industrie de pointe ; il est produit à 95 % par des matières recyclées en Europe, ce qui est considérable. Encore une fois, les recycleurs ne gagnent pas d'argent grâce à l'exportation des matériaux recyclés hors de l'Union européenne, ne nous accusez pas de négliger les intérêts européens. Nous cherchons des clients près de chez nous : il est plus facile de traiter avec une entreprise comme Nexans qu'avec des industriels chinois, le moindre défaut de réception de la matière livrée en Chine soulevant des difficultés considérables.

Je remercie le sénateur Michallet d'avoir évoqué le décommissionnement des fils de cuivre. L'industrie connaît aujourd'hui des bifurcations, dans la mesure où certains secteurs refusent d'utiliser telle ou telle matière, au prétexte qu'elle devient trop rare ou trop chère. Ainsi, les câbles à haute tension sont désormais faits non plus en cuivre, mais en aluminium, car ce métal est tout aussi conducteur. Après quarante ans passés dans ce secteur, je ne comprends toujours pas pourquoi les industriels, tels que les constructeurs automobiles, persistent à utiliser du cuivre au lieu de l'aluminium, qui est le métal le plus abondant de la croûte terrestre et qui coûte beaucoup moins cher. Au nom de quelle logique devrait-on continuer à utiliser du cuivre pour l'électroménager, par exemple ? C'est absurde !

Les industriels que je rencontre rechignent à passer à l'aluminium, car cela suppose de modifier les méthodes de soudage et de fabrication. Pourtant, certains secteurs utilisent déjà ce métal. Je ne doute pas qu'une bifurcation technologique d'ampleur finira par se produire. Dans les meilleures mines du monde, le taux de cuivre ne s'élève qu'à 0,5 %. On ne peut pas continuer à l'extraire, alors même que cette production consomme énormément d'énergie ! Que peut faire le politique ? Il doit aider les industriels à suivre cette bifurcation technologique, mais les patrons des grands groupes industriels manufacturiers doivent aussi manifester une volonté forte.

M. Manuel Burnand. - Federrec est la centième fédération à avoir rejoint le Mouvement des entreprises de France (Medef). Nous sommes en lien avec toutes les grandes fédérations du Medef, car nous nous intéressons à tous les matériaux : textile, plastiques, métaux, etc.

Faut-il légiférer ? Les entreprises qui souhaitent se développer à l'international y parviennent facilement aux États-Unis, mais rencontrent beaucoup plus de contraintes en Europe et singulièrement en France. Il faut les aider, car elles font vivre le pays : elles paient les retraites, comme la protection sociale. Réfléchissons donc aux meilleurs moyens de leur fournir des conditions favorables à leur développement. Il y a vingt ans, le rêve européen était très beau, mais il a été largement mis à mal. Nous devons nous ressaisir. Les Allemands, les Italiens, les Français se disent qu'ils ont été naïfs. Une réflexion européenne est donc indispensable, à laquelle la France doit contribuer. L'essentiel reste d'aider les entreprises.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour la qualité de vos réponses. Ces sujets sont devant nous, une politique européenne cohérente est plus que jamais nécessaire.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.

Mission d'information relative aux nuisances sonores liées aux transports - Désignation de rapporteurs

M. Jean-François Longeot, président. - Le mercredi 30 octobre dernier, le bureau de la commission a acté le principe de la création d'une mission d'information relative aux nuisances sonores liées aux transports.

Le bruit causé par les transports est la première cause d'exposition aux nuisances sonores en France. Cependant, celles-ci sont encore insuffisamment prises en compte dans les projets d'infrastructures. Les normes sur ce sujet sont d'ailleurs complexes, difficilement lisibles et parfois source d'interprétations divergentes. L'Autorité environnementale a en outre souligné dans son dernier rapport annuel qu'il existe « un écart préoccupant entre la réglementation nationale et le consensus scientifique » sur le bruit.

Cette mission d'information permettra donc de dresser un bilan du cadre de prévention et de lutte contre les nuisances sonores causées par les infrastructures de transport.

Les nuisances sonores causées par les transports sont au coeur des préoccupations des Français et fragilisent l'acceptabilité sociale des projets d'infrastructures. Or, dans un contexte de décarbonation des mobilités, qui devrait conduire à moyen terme à un renforcement de l'offre ferroviaire, notamment dans le cadre des services express régionaux métropolitains (Serm), il est opportun de veiller à ce que les nuisances engendrées par les projets ne fragilisent pas le consensus autour de leur réalisation.

Le report modal du transport routier vers le transport ferroviaire, le transport fluvial et les mobilités actives peut également constituer une opportunité de diminution des nuisances sonores, les nuisances causées par le transport routier étant nettement plus élevées que celles qui sont engendrées par les autres modes de transport.

La commission a régulièrement l'occasion de travailler sur les nuisances sonores aériennes, comme le montre l'audition portant nomination du président de l'ACNUSA que nous venons de mener. Pourtant, le transport aérien alimente une part assez faible des nuisances sonores liées aux transports. Il est donc opportun que nous élargissions notre spectre de travail à l'ensemble des modes de transport.

Vous l'avez compris, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable doit prendre toute sa place dans le débat public sur ce sujet. C'est pourquoi nous avons décidé de lancer une mission interne d'information sur les nuisances sonores causées par les transports. Afin d'associer le plus largement possible les commissaires à ces travaux, il a été décidé qu'un co-rapporteur issu d'un groupe minoritaire serait désigné.

J'ai reçu les candidatures de Guillaume Chevrollier et de Gilbert-Luc Devinaz.

Je vous propose donc de les désigner conjointement rapporteurs..

M. Guillaume Chevrollier. - Merci de votre confiance. Nous serons à votre disposition.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je travaillerai avec plaisir avec Guillaume Chevrollier sur ce sujet.

M. Jean-François Longeot, président. - Je félicite les rapporteurs et leur souhaite bon courage pour engager ce travail, qui fera l'objet d'une attention particulière.

La réunion est close à 11 h 30.