Mercredi 11 décembre 2024

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 10 h 10.

Réforme de l'accès aux études de santé - Enquête de la Cour des comptes - Audition de M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes

M. Philippe Mouiller, président. - Nous sommes réunis pour entendre M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, nous présenter l'enquête que j'ai demandée à la Cour, en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, sur la réforme de l'accès aux études de santé.

Ce sujet est sensible à plusieurs égards. Deux rapports de la commission de la culture ont mis en avant des dysfonctionnements dans la mise en oeuvre de cette réforme, ainsi que d'importantes disparités territoriales. Les étudiants et leurs familles regrettent le manque de lisibilité, voire l'impression d'aléa qui en résulte.

Par ailleurs, la commission des affaires sociales souhaiterait connaître précisément l'effet de la suppression du numerus clausus sur le nombre d'étudiants admis et vérifier que ce dernier correspond aux besoins estimés en professionnels de santé. Les conclusions de la Cour sont donc très attendues.

Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes. - J'ai le plaisir de vous présenter les grandes lignes du rapport L'accès aux études de santé : quatre ans après la réforme, une simplification indispensable, fruit d'une enquête réalisée par la troisième chambre de la Cour des comptes, chargée notamment du suivi de l'enseignement supérieur, avec le concours de la sixième chambre, chargée des questions de santé. Je suis accompagné de Philippe Hayez, président de section, de Henri Guaino, conseiller maître qui a joué un rôle important dans la conduite de cette enquête, et de Clément Henin, qui en a été la cheville ouvrière.

Le sujet est majeur, puisqu'il concerne plus de 40 000 étudiants entrant chaque année dans le système de l'enseignement supérieur. Comme vous le savez, l'accès aux études de santé était historiquement organisé autour de la première année commune aux études de santé (Paces). Dès sa mise en place, cette dernière a suscité de nombreuses critiques, en raison de ses modalités d'enseignement et de son taux d'échec élevé, laissant bon nombre d'étudiants sans diplôme après deux années d'études malgré leur niveau général élevé.

Afin de remédier à ce gâchis de talents et de ressources, la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé a engagé une réforme visant plusieurs objectifs.

Il s'agissait d'abord de renouveler les modalités d'enseignement et d'évaluation des étudiants en créant deux parcours distincts : le parcours accès santé spécifique (Pass), d'une part, et la licence accès santé (LAS), d'autre part. Ces nouveaux parcours avaient pour but de corriger les défauts de la Paces en améliorant la réussite et le bien-être des étudiants, en favorisant leur progression dans des parcours d'études, en diversifiant les profils des étudiants et, enfin, en développant des passerelles entre les différentes filières de la santé.

Le second aspect de la réforme touchait aux modalités de fixation du nombre de professionnels de santé à former, anciennement défini par le numerus clausus. Comme vous le savez, ce dernier a pris fin en 2019 pour laisser place à un exercice de concertation qui a eu lieu pour la première fois en 2021. Ce nouveau processus visait à augmenter le nombre de professionnels de santé afin de mieux répondre aux besoins des territoires, en d'autres termes à remédier au problème des déserts médicaux.

Instauré en 1971, le numerus clausus avait pour objectif de réguler le nombre d'étudiants admis en études de médecine afin d'assurer les conditions d'une formation de bonne qualité. Ce système était soutenu par les professionnels de santé, qui voyaient un moyen de maintenir un niveau de rémunération élevé, ainsi que par les administrations fiscales, qui y percevaient une manière de limiter les dépenses de santé. Après une période de réduction continue, il a été augmenté dans les années 1990 jusqu'à sa suppression en 2019.

Les nouvelles modalités de fixation du nombre de professionnels de santé à former s'appuient désormais sur des concertations locales et nationales menées sous l'égide de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS). Elles impliquent une planification complexe faisant intervenir de nombreux acteurs territoriaux - universités, centres hospitaliers universitaires (CHU), agences régionales de santé (ARS) et collectivités locales - qui a donc pris la forme, en 2021, d'une conférence nationale de santé.

L'objectif était de définir un nombre de professionnels à former à l'échelon régional, avec une cible nationale fixée autour d'une augmentation globale de 20 %. Bien que ces nouvelles modalités permettent une meilleure prise en compte des besoins territoriaux, elles nécessitent à l'évidence des ajustements.

En particulier, il est nécessaire de définir des indicateurs standardisés permettant de comparer les travaux réalisés dans différentes régions et de s'appuyer sur les données déjà disponibles. Dans la pratique, l'ONDPS réalise déjà un exercice de planification des ressources humaines en santé qui dépasse ses missions initiales d'observation. C'est pourquoi la Cour recommande que son statut, son rattachement administratif ainsi que ses moyens - très faibles - soient revus afin de prendre en compte ses nouvelles missions sans pour autant diminuer le rôle des responsables politiques et administratifs.

Après la première conférence nationale de 2021, l'augmentation globale du nombre de professionnels formés a masqué en réalité d'importants écarts entre disciplines et territoires. Si le nombre de médecins et de dentistes a effectivement augmenté, les effectifs de sages-femmes et de pharmaciens sont restés stables, voire ont légèrement diminué.

Cette diminution n'est pas due à une modification des objectifs, mais elle est la conséquence des places restées vacantes après les choix des étudiants. Si ce défaut d'attractivité des filières pharmacie et maïeutique préexistait, il n'avait pas auparavant les mêmes conséquences sur les effectifs étudiants. Aussi, la Cour recommande des mesures pour améliorer l'attractivité de ces filières, notamment par la création à titre expérimental d'une voie d'accès post-baccalauréat en pharmacie et en maïeutique directement accessible via Parcoursup, en complément des voies d'accès traditionnelles. Vous retrouverez dans cette préconisation celle de votre collègue Bruno Rojouan, auteur d'un récent rapport sur les inégalités territoriales d'accès aux soins.

En ce qui concerne la médecine, dont les effectifs ont augmenté dans toutes les régions, les volumes de professionnels n'ont pas été choisis de façon à combler les écarts existants. Ainsi, certaines régions déjà bien dotées en médecins, comme l'Occitanie ou Auvergne-Rhône-Alpes, ont bénéficié des plus grandes augmentations. À l'inverse, d'autres régions comme les Hauts-de-France, la Normandie ou le Grand Est, qui n'étaient pas historiquement bien dotées, ont bénéficié d'augmentations relativement modestes par rapport à la moyenne nationale. Cette situation révèle que la logique de rattrapage n'a pas prévalu lors de la fixation des objectifs.

Les conséquences de ce déséquilibre devront être prises en compte lors du prochain exercice de concertation, qui s'impose au plus vite. À cet égard, la Cour regrette que la conférence prévue pour fixer les objectifs de formation pour la période 2025-2030 ne soit pas programmée en 2025 ni même en 2026. Cela retardera d'autant la mise en place des mesures nécessaires pour établir l'équité d'accès aux soins à long terme.

Passons maintenant à l'examen des modalités d'enseignement et d'évaluation mises en place par la réforme. Depuis la rentrée 2020, les étudiants souhaitant s'orienter vers les filières de médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie (MMOP) ont le choix entre plusieurs cursus. Le premier est le Pass, qui s'inscrit dans la continuité de la Paces. Il est unique pour chaque université comportant une unité de formation et de recherche (UFR) en santé. Les enseignements sont essentiellement centrés sur la santé et, contrairement à la Paces, il n'est pas possible de redoubler la première année. Une mineure hors santé est obligatoire pour préparer une réorientation vers une licence 2 ou une LAS 2.

La deuxième voie est celle des licences accès santé, principale innovation de la réforme. Ces LAS sont intégrées à des licences au sein d'autres UFR de l'université. Elles comportent une majorité de cours hors santé et une mineure en santé. Par exemple, un étudiant en sciences de la vie peut suivre cette mineure et, s'il obtient les résultats nécessaires, intégrer les cursus en médecine, maïeutique, odontologie ou pharmacie dès la première, deuxième ou troisième année de licence.

Dans ce système, des étudiants de différentes filières, telles que les sciences de la vie, la psychologie, les sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) ou même le droit, se retrouvent en compétition pour accéder aux formations MMOP. Afin de départager ces candidats, un système d'interclassement a été mis en place à partir de retraitements statistiques des notes et des classements obtenus dans chaque licence. Nous sommes loin de la simplification attendue ! Des épreuves orales destinées à diversifier les critères de sélection ont également été mises en place pour les deux cursus Pass et LAS.

Dès le départ, la mise en oeuvre de cette réforme s'est révélée particulièrement difficile, certes dans un calendrier très contraint et surtout en pleine crise sanitaire. Le pilotage du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, en collaboration avec le ministère de la santé, n'a pas permis de surmonter cette complexité de manière efficace.

Mis en place trop tardivement, le comité de suivi n'a pas disposé de tous les éléments nécessaires. De plus, en l'absence d'assistance juridique et d'une jurisprudence établie par les ministères de tutelle, les personnels administratifs des universités ont été contraints d'interpréter les textes normatifs de façon hétérogène.

Sur le plan financier, bien que l'exposé des motifs évoque des économies de 50 millions d'euros, le coût total de la réforme avoisine en réalité 125 millions d'euros entre 2020 et 2024, soit environ 26 millions d'euros par an. Si les subventions ministérielles ont permis de couvrir les dépenses supplémentaires dans les universités, l'absence de visibilité pluriannuelle sur ces subventions a freiné le développement des parcours LAS. L'absence criante d'anticipation des besoins induits sur les systèmes d'information des universités a par ailleurs largement aggravé les difficultés.

Initialement, la réforme visait à instaurer exclusivement des parcours LAS. Toutefois, face à l'opposition de certains doyens de santé, un compromis a dû être trouvé et les deux parcours, Pass et LAS ont finalement coexisté, ce qui n'a pas facilité le développement des LAS.

Afin de permettre aux universités qui le souhaitaient de mettre en oeuvre pleinement le projet initial de la réforme, les textes juridiques ont été rédigés de façon « permissive ». Le modèle Pass reste prédominant, 29 universités disposant d'une UFR en santé sur 36 qui le proposent quand seulement 7 d'entre elles ont fait le choix de ne proposer que des LAS. On parle à cet égard de modèle « tout LAS ».

De façon plus générale, la flexibilité des textes de loi a entraîné une mise en oeuvre hétérogène de la réforme à tous les niveaux : orientation des lycéens, critères de sélection, organisation des études, modalités d'accès à MMOP et modalités de classement.

Cette diversité de modèles rend le pilotage et l'évaluation de la réforme extrêmement difficiles. L'administration a, une nouvelle fois, probablement sous-estimé l'autonomie des établissements publics que sont les universités.

Les dysfonctionnements observés au sein des établissements sont par ailleurs nombreux. En effet, les parcours LAS impliquent la collaboration de deux UFR, ce qui n'est pas habituel et engendre des difficultés organisationnelles, notamment au niveau des calendriers et de la comptabilisation des crédits ECTS. De plus, les UFR hors santé n'ont pas eu forcément intérêt à ce que leurs meilleurs étudiants intègrent le cursus MMOP, ce qui complique encore la gestion des formations.

Les étudiants eux-mêmes ont exprimé de manière quasi unanime leur insatisfaction. Selon un sondage que la Cour des comptes a réalisé avec l'appui d'un institut spécialisé auprès d'un échantillon représentatif de 3 000 étudiants, 53 % des inscriptions en LAS seraient subies par les étudiants, qui ont choisi ce parcours par défaut, contre 5 % seulement pour le Pass. La nécessité de suivre des enseignements hors santé est souvent mal comprise et engendre un sentiment d'injustice. De plus, les étudiants en LAS ont une image négative, selon une perception partagée par tous les étudiants en Pass, en LAS et même en MMOP. En conséquence, les départs à l'étranger que la réforme visait à réduire se poursuivent. Près de 10 % des étudiants non admis en MMOP choisissent ainsi chaque année de poursuivre leurs études dans d'autres pays européens.

Les résultats de cette réforme sont donc clairement mitigés. Environ la moitié des étudiants en MMOP proviennent de LAS. Cependant, ce chiffre masque une réalité plus complexe : une part significative de ces étudiants provient d'universités « tout LAS » où le choix d'un Pass n'est pas proposé. Ainsi, quatre ans après la mise en oeuvre de la réforme, le Pass reste, en définitive, la voie principale d'accès au cursus MMOP.

En ce qui concerne la réussite des étudiants, mesurée par leur capacité à intégrer le cursus MMOP en un an, on observe une amélioration limitée, principalement au cours de la première année après l'accès santé. Toutefois, deux ans après cette année, 63 % des étudiants ont perdu une année d'études. Il s'agit certes d'une amélioration - ce pourcentage s'élevait à 79 % avant la réforme -, mais elle est tout à fait relative et en tout cas insuffisante. De plus, elle dissimule de fortes inégalités entre les étudiants issus du Pass, du LAS et des universités sans UFR santé alors même que les choix d'orientation restent en grande partie déterminés par le dossier lycéen et par les choix imposés par Parcoursup. Au contraire de cette forme de déterminisme, l'objectif de la réforme était de susciter des vocations et de diversifier l'accès aux carrières de santé.

Concernant l'objectif de diversification des profils, le bilan est également décevant. Les étudiants admis en cursus MMOP en 2023 présentent des caractéristiques sociales similaires à ceux qui y étaient admis avant la réforme. Par ailleurs, la diversification académique reste limitée, puisque la majorité des étudiants admis proviennent encore du Pass et que les formations hors santé sont peu nombreuses.

Face à cette situation qui pénalise les étudiants et met en péril l'attractivité des formations médicales, la Cour estime qu'il faut accepter de tirer tous les enseignements d'une réforme qui n'a pas atteint ses buts. Elle formule en conséquence dix recommandations.

Plutôt que d'entrer dans le détail de ces recommandations, je voudrais surtout insister sur ce point : quatre années après le lancement de la réforme, le statu quo n'est plus possible. La Cour propose donc une évolution substantielle d'un système devenu trop complexe, peu lisible et dont les difficultés persistent. Après avoir considéré plusieurs options, elle estime que la mise en place d'une voie unique d'accès après le baccalauréat semble la plus crédible. Cette voie unique, qui ne signifie pas pour autant le retour à la situation antérieure, pourrait combiner une majorité d'enseignements en santé, une mineure hors santé pour préparer la réorientation et un fonctionnement sous forme de portail offrant un accès au MMOP ou à d'autres cursus du premier cycle. Pour simplifier le pilotage, ce parcours serait géré par une seule et unique UFR en santé. Cela répondrait aussi à l'enjeu de la réorientation, qui est très important.

En résumé, la Cour considère qu'il est temps d'agir. Quatre ans après la réforme, ce n'est pas trop tôt, mais ce peut être trop tard. Le remède doit être à la hauteur des enjeux : 40 000 étudiants sont en difficulté, les universités peinent à mettre en place les nouveaux dispositifs et le pilotage commun des deux ministères de tutelle semble impossible.

Manifestement, l'ONDPS, qui aurait pu être un élément de stabilisation important, un lieu hébergeant l'ensemble des données statistiques et un soutien des décideurs dans la conduite de la réforme, dispose de moyens trop faibles pour mener à bien ces missions. Est-ce d'ailleurs vraiment à lui d'en assumer la charge ? C'est une autre question sur laquelle nous pourrons travailler le moment venu.

Pardonnez-moi ce propos radical, mais il y a tout de même dans cette histoire une forme d'irresponsabilité. La conférence nationale ne s'est tenue qu'une seule fois, tardivement, et il n'y a pas de comité de suivi. C'est à se demander si les personnes chargées de conduire cette réforme ont conscience de l'engagement et de l'implication qu'elle suppose.

Je conclurai mon propos par une offre de service : la Cour des comptes se tient à la disposition de la Haute Assemblée pour poursuivre ce travail de manière continue et in itinere. Dans ce rapport, nous nous sommes en effet intéressés au premier cycle, l'accès aux études de santé, mais il conviendrait d'examiner avec autant d'attention le second et surtout le troisième cycle. Nous pourrions mobiliser les chambres régionales et territoriales des comptes pour aller voir comment les choses se passent concrètement dans les internats et les CHU, et réfléchir beaucoup plus finement, à l'échelle des territoires, aux options qui pourraient être envisagées pour lutter contre les déserts médicaux.

M. Philippe Mouiller, président. - Monsieur le président, je vous remercie pour la qualité de vos travaux et notamment pour les moyens que vous y avez consacrés, en particulier le sondage représentatif que vous avez réalisé. Ces moyens sont à la hauteur de notre responsabilité collective et nous retenons de vos travaux qu'il faut agir rapidement.

Nombre de vos propositions font écho à des constats que nous avons pu faire, en particulier à la suite de l'audition de l'ONDPS. Nous partageons vos remarques concernant les moyens de cet observatoire. La question se posera de savoir s'il s'agit d'un outil adapté à la situation.

Avant de laisser mes collègues vous interroger, j'aurai deux questions. L'accès aux études de santé constitue un sujet important non seulement pour le système de santé, mais aussi pour les lycéens, qui sont près de 21 % à formuler le voeu d'accéder en Pass ou en LAS. Pourtant, votre rapport montre que cette réforme a été insuffisamment préparée. Certains de ses objectifs, comme la diversification des profils, n'ont pas été bien définis. Les universités ont été insuffisamment accompagnées et les premières années de mise en oeuvre se sont révélées chaotiques. Des transferts de places entre les différentes voies d'accès ont, d'ailleurs, dû être autorisés en urgence pour éviter un nombre important de places vacantes. Quelles sont, selon vous, les principales causes de cette impréparation ?

Ma deuxième question porte sur la fin du numerus clausus. Votre rapport souligne le manque d'anticipation des besoins associés à l'augmentation du nombre d'étudiants. Il fait écho aux travaux de notre commission, qui observait, lors de l'examen du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale en septembre dernier, des difficultés similaires dans la mise en oeuvre de la réforme du troisième cycle de médecine générale, plaçant un certain nombre d'étudiants dans l'incertitude.

Nous accueillons positivement votre proposition visant à poursuivre vos travaux. À ce stade, auriez-vous de premiers enseignements sur la façon de réformer les études de santé ?

M. Nacer Meddah. - Puisque vous avez salué les moyens mis en oeuvre par la Cour des comptes, j'ajoute que nous avons également réalisé des comparaisons internationales. J'évoquais tout à l'heure une fuite vers l'étranger. Nous sommes donc allés regarder du côté de la Roumanie, de la Belgique et de l'Espagne. Les données qui en ressortent sont frappantes et interrogent.

Pour expliquer l'impréparation de la réforme, j'ai déjà évoqué le manque criant d'anticipation, mais il y a d'autres aspects, qui ressortent des travaux de la Cour sur les politiques publiques en faveur de la jeunesse et sur l'échec dans le premier cycle universitaire. La Cour a travaillé en particulier sur l'information et l'orientation des jeunes. Si l'on n'a pas réussi la diversification des profils, c'est sans doute que l'on a pêché en amont dans ce domaine. Nous le savons bien : tout se joue avant, bien avant le premier cycle universitaire. Ce travail d'accompagnement est absolument nécessaire et cela ne vaut pas que pour les lycées. Notre chambre travaille sur l'école primaire ; nous travaillerons l'an prochain sur le collège et nous serons sans doute amenés à nous pencher sur Parcoursup. Nous ne voulions pas le faire trop vite, trop tôt, mais il y a là un énorme sujet.

Je ne veux faire grief à personne. Il fallait certainement que les ministères de tutelle soient pleinement responsables. Une conférence a été organisée, elle aurait dû jouer son rôle. Il aurait fallu anticiper davantage la multiplicité des acteurs concernés. Toute la difficulté est là : les acteurs principaux étant les universités, on a peut-être oublié qu'elles étaient autonomes, voire indépendantes, d'où la nécessité de travailler plus en amont.

Afin de répondre aux besoins territoriaux, il fallait naturellement impliquer les collectivités, mais aussi les ARS ou encore les CHU. Il fallait préparer ces multiples acteurs à la réforme et ils ne l'ont pas été. Il s'agissait aussi de définir avec eux un mode de travail collectif. La concertation ne se décrète pas, elle s'organise. Il y a donc eu un véritable problème d'organisation et de concertation. Le fait de confier en quelque sorte cette mission organisationnelle à l'ONDPS, dont vous connaissez par ailleurs la faiblesse des moyens, ne pouvait conduire qu'à l'échec. Et ce n'est pas qu'une question de moyens. Mobiliser tous les acteurs pour qu'ils se sentent pleinement impliqués suppose une organisation à la hauteur.

J'insiste de nouveau sur le travail d'information et d'orientation qu'il faut mener. Les choses se jouent non pas au moment de prendre sa carte d'étudiant, mais bien avant. À cet égard, il y a beaucoup à faire.

M. Philipe Hayez, président de la section Enseignement supérieur et recherche de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Cette réforme pourrait faire une bonne étude de cas dans les écoles d'administration. Il faut se méfier des réformes affichant plusieurs objectifs : on ne peut pas tous les atteindre. Une autre erreur a été la présomption selon laquelle l'administration centrale peut tout. Les établissements universitaires défendent farouchement leur autonomie ; vous connaissez le fonctionnement des conseils d'administration universitaires, qui adoptent, ou pas, telle ou telle orientation ministérielle, telle ou telle réforme.

La multiplicité des objectifs et la méconnaissance de ce qu'est l'autonomie sont donc deux des raisons qui expliquent la non-réussite, pour rester pudique, de cette réforme.

M. Nacer Meddah. - Un énorme travail de remise en plat est en effet nécessaire. J'ai évoqué les circonstances atténuantes - calendrier contraint, crise sanitaire -, mais elles n'expliquent pas tout. Peut-être fallait-il se fixer quelques objectifs forts et simplifier les choses. Il est toujours très compliqué de faire travailler ensemble des composantes universitaires, qui défendent farouchement leur autonomie. Imaginez quand s'y ajoutent les injonctions des ministères !

Vous m'interrogez, monsieur le président, sur des pistes de réforme. À l'évidence, la réponse appelle un travail que nous n'avons pas encore conduit et pour lequel je vous ai fait une offre de service.

Il ne suffit pas de se fixer un objectif quantitatif. Répondre aux besoins des territoires suppose une organisation et une concertation d'une autre nature et, sans doute, des moyens et des dispositifs de péréquation au niveau national pour tenter d'atténuer les disparités territoriales. Vous le savez mieux que quiconque : les obligations qui sont fixées pour atteindre les objectifs quantitatifs se heurtent souvent à des oppositions sur le terrain. En revanche, un accompagnement et une organisation adaptés, construits sur des réalités de terrain permettraient sans doute de corriger, par exemple, un héliotropisme trop marqué.

En tout état de cause, la réponse ne peut pas être uniquement le déblocage du numerus clausus. L'erreur fondamentale a été de croire que nous pourrions répondre aux besoins simplement en nous fixant un objectif plus ambitieux. Si nous voulons réussir, il nous faudra mener un véritable travail de planification, mais à partir de données qui, pour l'heure, sont manquantes. Il faudra travailler main dans la main avec les chambres régionales et aller voir plus encore les différents acteurs. Sur cette base, il faudra faire des propositions sérieuses et réalistes, et établir un véritable calendrier.

Je crains que, jusqu'à présent, nous ne nous soyons satisfaits du déblocage du numerus clausus. Voilà le pendant de l'illusion des objectifs multiples : un objectif unique qui résoudrait tous les problèmes. Ce n'est pas la bonne approche.

M. Philipe Hayez. - Il faut dix à douze ans pour former un médecin, ce qui nous invite à considérer le temps long. Sur ce point, il sera intéressant d'entendre Henri Guaino, qui a quelque expérience en matière de planification.

M. Henri Guaino, conseiller maître à la Cour des comptes. - La question de la planification dépasse l'objet de cette étude. On la rencontre très souvent désormais dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Planifier, ce n'est pas avoir un Gosplan, c'est prévoir les moyens nécessaires pour atteindre un objectif. Dans le cas présent, il est clair que, compte tenu de la complexité du sujet et du nombre d'acteurs concernés, l'outil de planification est indispensable. Or, jusqu'à présent, on a refusé de la mettre en oeuvre et même de l'évoquer. On a supprimé le commissariat général au plan tel qu'il existait jadis, c'est-à-dire un organe opérationnel qui avait sa place dans les institutions gouvernementales, et dont le rôle administratif était très important. Il n'a pas été remplacé.

Nous sommes actuellement dans une forme de caricature de l'instrument nécessaire pour sortir du numerus clausus et augmenter progressivement le nombre de soignants. J'ai été frappé par le fait que ce besoin était apparu criant à l'occasion des auditions de responsables administratifs que nous avons menées et que, pour autant, personne jusqu'à maintenant n'a osé franchir le pas.

Cela s'explique aisément par la sociologie administrative : chacun reste dans son domaine, dans son pouvoir, dans sa féodalité, et personne ne veut partager. On ne peut pas, toutefois, s'en tirer simplement en créant une instance de concertation interministérielle. Il faut vraiment confier cette mission à un organisme. S'agirait-il d'un organisme spécifique qui serait chargé de régler les problèmes en santé ou d'un organisme général de planification pour la mise en oeuvre des politiques publiques ? La question reste à trancher et la représentation nationale aura un jour à en débattre. Toujours est-il que l'on ne peut pas s'en tenir à la situation actuelle.

Il a été question de la conférence nationale de santé. Celle-ci a travaillé comme elle a pu, avec les moyens qu'elle avait - c'est-à-dire pas grand-chose. Elle a donc « bricolé ».

En réalité, l'objectif de hausse des effectifs des étudiants en médecine a été fixé non par cette conférence, mais par le pouvoir politique. Toutefois personne n'était capable de l'expliquer ou de le justifier !

Sans réflexion en amont, toute réforme complexe, qui touche plusieurs ministères, est vouée à l'échec. Les moyens de l'ONDPS sont ridicules. Il ne peut pas répondre aux attentes. Il faut donc changer totalement cette organisation, mais cela ne peut procéder que d'une décision du pouvoir politique et de la représentation nationale.

Si le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ne travaille pas avec le ministère de l'éducation nationale, une telle réforme ne peut pas fonctionner - et, d'ailleurs, cela n'a pas fonctionné ! La réforme de la Paces pose en effet le problème de Parcoursup, de l'orientation au lycée, etc. Tout est lié. Or je n'exagère guère en disant que ceux qui ont fait la réforme comprenaient à peine ce qu'ils faisaient ; ils n'arrivaient pas totalement à l'expliquer.

M. Nacer Meddah. - Nous plaidons pour la mise en place d'un pilotage interministériel. De même, une contractualisation avec les collectivités est indispensable. Il est nécessaire, en effet, de travailler en amont pour identifier les besoins des territoires. Or, en l'occurrence, on a commencé par fixer un objectif de hausse des effectifs, sans prendre en considération la réalité des territoires. Les objectifs auraient dû être différenciés.

Il faut donc développer le travail en interministériel, notamment entre le ministère de l'enseignement supérieur, le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la santé. Il faut aussi tenir compte de l'autonomie des universités. Là aussi, il importe de prévoir une contractualisation. Enfin, il faut travailler en lien avec les collectivités. Leur rôle est essentiel. Nous n'arriverons pas à répondre aux besoins des territoires si nous ne les associons pas très étroitement, pour identifier les besoins et définir les objectifs spécifiques de chaque territoire, sur la base de données indiscutables.

La Cour est à la disposition des parlementaires pour travailler sur ce sujet.

M. Philippe Mouiller, président. - La contractualisation avec les territoires, voilà un thème qui nous est cher au Sénat !

M. Henri Guaino. - La planification ne se décrète pas d'en haut ! La bonne démarche consiste à réunir toutes les forces vives pour qu'elles définissent ensemble une stratégie, des objectifs et la manière de les atteindre.

M. Khalifé Khalifé. - Il est difficile de prendre la parole après vous, car vous avez tout dit ! Vous avez distingué les trois problématiques qui concernent tout le territoire national. Toutes les régions sont concernées. Notre président sollicitera certainement la Cour des comptes pour travailler sur le déroulement des études de santé, qui pose de nombreux problèmes, et sur la réforme de l'internat.

Vous avez évoqué le fait que l'autonomie des universités était un facteur d'explication de la complexité des parcours. Les premières victimes ont été les pharmaciens : dans certaines facultés, le nombre d'étudiants en pharmacie a fortement chuté.

Les facultés de médecine relèvent d'une double tutelle : enseignement supérieur et santé. Elles en jouent pour être plus autonomes et faire ce qu'elles veulent.

S'agissant des LAS, on ne demande pas toujours aux étudiants quelle licence ils souhaiteraient faire : la sélection est souvent faite par un ordinateur ou par tirage au sort. Je comprends mal comment on peut obliger un étudiant qui souhaite faire des sciences, dans la perspective de suivre des études de médecine, à faire du droit !

Dans certaines facultés, le taux de passage en deuxième année a fortement augmenté, mais si les effectifs concernés sont faibles la réalité de la hausse est limitée !

Les taux d'admission en médecine demeurent faibles. Cette réforme est donc un échec total. Il faut revoir le système. Je ne suis pas nostalgique du numerus clausus, mais il existe certainement une autre voie possible entre le système des années 1970 et celui qui vient d'être mis en place.

Mme Véronique Guillotin. - J'ai écouté avec délice vos propos qui font écho à nos préoccupations.

Ma première question concerne le numerus clausus et la fixation des nouveaux objectifs pluriannuels d'admission. Vous avez indiqué que le nouveau système a permis d'augmenter de 18 % le nombre d'étudiants admis dans les études médicales. Cependant, vous avez également souligné que la réforme n'avait pas répondu aux attentes concernant l'égalité entre les territoires ni priorisé les territoires présentant les densités médicales les plus faibles. C'était pourtant un point essentiel, car l'enjeu est bien de répondre aux besoins de santé dans les territoires. En fait, la croissance générale des effectifs risque de creuser encore les écarts existants. Vous jugez nécessaire de responsabiliser davantage les universités dans l'augmentation du nombre de places offertes. Pourriez-vous préciser votre réflexion sur ce point ? Comment pourrait-on mieux piloter les capacités d'accueil des universités à l'avenir afin de répondre aux difficultés d'accès aux soins dans certains endroits ?

Ma deuxième question concerne le pilotage des ressources humaines dans le domaine de la santé. Vous avez souligné le sous-dimensionnement capacitaire de l'ONDPS. Quels sont, selon vous, les changements indispensables et pertinents à opérer pour améliorer notre capacité d'anticipation et de planification en la matière ? Selon quelle fréquence les projections devraient-elles être actualisées ? Comment peuvent-elles être mieux prises en compte pour déterminer le nombre de professionnels de santé qu'il convient de former afin de répondre aux besoins de la population ?

Mme Corinne Imbert. - Je tiens à vous remercier de préconiser l'instauration d'un accès direct en maïeutique et en pharmacie. Une telle mesure est, selon moi, nécessaire et indispensable. Toutefois, pourquoi n'envisagez-vous cet accès direct que pour la maïeutique et la pharmacie ? Est-ce par peur de priver les étudiants de la maîtrise d'un socle commun de connaissances, ce qui compliquerait, par la suite, la coopération entre les différentes professions médicales et pharmaceutiques ? Il me semble que cela ne constitue pas un frein, car la coopération et la coordination entre les professionnels de santé se mettent facilement en place de différentes manières, le cas échéant au travers de formations.

Je partage votre analyse sur l'ONDPS, à la fois sur la faiblesse des moyens et sur une certaine forme d'irresponsabilité. Je m'étais d'ailleurs exprimée en ce sens lorsque nous avons auditionné son président. Le témoignage d'Henri Guaino est très intéressant. Je me demande si la faiblesse des moyens qu'on accorde à cet observatoire n'est pas voulue pour laisser la main au ministère et au pouvoir politique. Dans ce cas, il faut le dire franchement et supprimer cet observatoire.

Vous n'avez pas évoqué les observatoires régionaux. Alors que leur mission est de faire remonter à l'ONDPS les besoins locaux, on m'a rapporté que celui-ci mettait leurs observations de côté et rendait au Gouvernement la copie qu'il attendait ! Je ne suis donc même pas sûre qu'il faille renforcer leurs moyens... Si c'est le pouvoir politique qui décide, il faut le dire clairement ! Mais on peut alors faire l'économie de ces observatoires.

Je veux saluer l'action de l'ordre national des pharmaciens et de l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France pour développer l'attractivité des métiers de la pharmacie et faire la promotion de ces études, car elles manquent de visibilité. Leur slogan, « Pharmacien, le moins connu des métiers connus », me semble très bien trouvé à cet égard.

Vous proposez de revenir sur la réforme en profondeur - nous souscrivons à votre proposition - dès 2026 et d'instaurer une voie unique d'accès aux études de santé, tout en conservant les apports du Pass et en maintenant l'interdiction du redoublement. Le délai semble serré. Pourriez-vous nous préciser le calendrier de mise en oeuvre que vous envisagez ? Faut-il, en outre, maintenir l'interdiction de redoublement, alors que celui-ci existe en LAS ? J'ai recueilli le témoignage de plusieurs étudiants de première année, qui ont été contraints de redoubler car ils n'avaient pas eu la moyenne dans la discipline hors santé, alors même qu'ils avaient la moyenne en mineure santé. Permettez-moi d'ailleurs de m'étonner que certaines UFR de santé ne proposent que des parcours « tout LAS » pour accéder aux filières MMOP. On interdit donc le redoublement dans les Pass, tandis que l'on oblige au redoublement en « tout LAS » ! C'est incompréhensible.

M. Nacer Meddah. - Nous nous sommes beaucoup intéressés à ce que pensaient les étudiants. Il faut partir de leurs témoignages. Je laisse la parole à Clément Henin qui a animé les ateliers de réflexion.

M. Clément Henin, rapporteur de la Cour des comptes. - Nous avons organisé des groupes de travail avec les parties prenantes - doyens d'université, étudiants, personnels administratifs, etc. - pour essayer d'aboutir à un scénario d'évolution réaliste, crédible et apte à susciter l'adhésion.

La question de l'interdiction du redoublement a fait l'objet de longues discussions. Les acteurs ne veulent absolument pas revenir à la Paces. C'est une vraie ligne rouge. Pour eux, autorisation du redoublement rime avec retour à la Paces, et donc avec la remise en place d'un système qui crée un immense gâchis parmi les étudiants, sélectionne les meilleurs bacheliers, leur impose un ou deux redoublements, puis les contraint, en cas d'échec, à retourner en première année de premier cycle. Nous avons donc conservé cette disposition visant à limiter les redoublements. Les données montrent que celle-ci a été plutôt efficace en termes de progression des parcours d'études. La réussite étudiante a, ainsi, un peu augmenté.

Il semble incohérent en effet de forcer des étudiants qui veulent entrer en médecine à faire du droit. Il est difficile de faire porter la charge de construire un parcours cohérent sur les épaules d'étudiants qui ont à peine 18 ans, alors qu'ils doivent déjà, par ailleurs, souvent quitter le domicile familial pour étudier dans une grande ville. C'est plutôt une période au cours de laquelle ils devraient être accompagnés. C'est pourquoi nous avons proposé de créer une voie unique d'accès, après le bac, aux études médicales.

Nous avons aussi prévu un accès direct, à titre expérimental, pour les études de pharmacie et de maïeutique. Pourquoi, me demanderez-vous, faire une exception pour ces deux disciplines uniquement ? Là encore, nous avons organisé des groupes de travail. Ce sujet donne lieu à des crispations. Les acteurs n'ont pas envie de revenir à un système de différenciation des filières dès la première année. Avant la création de la Paces, chaque filière était distincte : il y avait une première année de pharmacie, une première année de médecine, une première année d'odontologie, etc. Les acteurs n'ont pas envie de revenir à cet éclatement. Cependant, l'accès direct sur Parcoursup nous paraît indispensable. Dans certaines universités, comme à Amiens, le taux de places vacantes en deuxième année en pharmacie est de 20 % à 30 %, ce qui est préoccupant pour cette filière. Quant aux connaissances nécessaires pour travailler en interprofessionnel avec les autres professionnels de santé, elles devraient pouvoir être acquises lors de la deuxième partie du premier cycle et au cours du deuxième cycle.

D'autres questions concernaient le pilotage des ressources humaines en santé et le rôle de l'ONDPS. Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) a publié un avis dans lequel il attire l'attention sur la nécessité de mieux définir les besoins de santé et les besoins en soins. Des recherches sont en cours pour y parvenir. Cela suppose un travail d'ampleur qui devrait durer plusieurs années. Nous ne devrions pas disposer d'éléments concrets tangibles avant plusieurs années.

Pour agir de manière pragmatique dès maintenant, nous préconisons de nous appuyer sur les données dont nous disposons aujourd'hui. Telle n'a pas été la démarche qui a été suivie jusque-là. On constate qu'un grand nombre de places en médecine ont été créées à Lyon, alors que ce n'est pas la région où la pénurie en professionnels de santé est la plus forte. La tendance naturelle du système est d'accroître les inégalités territoriales : pour former des médecins, on a besoin de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) ; or ces derniers sont situés dans les métropoles.

En ce qui concerne la fréquence des projections, la possibilité d'établir les objectifs sur une base pluriannuelle permet de donner de la visibilité aux universités.

M. Nacer Meddah. - Clément Henin vous a traduit le ressenti des acteurs. En ce qui concerne l'accès direct en pharmacie et en maïeutique, je tiens à souligner que nous ne proposons qu'une expérimentation. Nous avons bien perçu que cette question donnait lieu à des crispations et à des réticences. Nous sommes également bien conscients de la situation politique actuelle de notre pays, qui complique un peu la donne. Il n'en demeure pas moins que nous pouvons faire des choses rapidement. En tout état de cause, il y a urgence à adresser un signal. Le statu quo n'est plus possible, il faut avancer. Nous devons établir un calendrier progressif. Sans doute pourrons-nous prendre certaines mesures assez rapidement, peut-être dès la rentrée 2025. L'essentiel est d'enclencher le processus et de forcer les acteurs à se sentir responsables.

Il convient de décider ce que l'on fait de l'ONDPS. Il est possible de modifier son statut pour que son rattachement soit interministériel. Nous n'avons pas les mêmes suspicions que vous, mais on pourrait se demander en effet si le système actuel n'a pas été conçu de telle sorte que les deux ministères gardent la main et que les universités fassent ce qu'elles veulent grâce à leur autonomie... Si on l'« interministérialise », tout en le dotant de moyens importants, dans le cadre d'une démarche de concertation et de contractualisation avec les universités et les collectivités, la situation sera différente.

Il convient aussi, si l'on veut former correctement les étudiants, de mesurer les capacités d'accueil des universités. Avant de réaliser la réforme, il aurait fallu commencer par récupérer des données précises sur les besoins et l'ampleur du travail de rattrapage à faire. Or nous ne l'avons pas fait. Au contraire, nous avons bâti un beau système, un jardin à la française comme on aime à les faire, identique pour tout le monde. Nous aurions dû accepter l'idée qu'il fallait différencier, que les besoins n'étaient pas exactement les mêmes partout et que l'instauration de dispositifs de rattrapage ici ou là était nécessaire.

Nous sommes aussi très en retard sur les systèmes d'information. Or aucune réforme ne peut fonctionner sans un système d'information performant. Nous allons examiner ce point de près lors de notre contrôle de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, pour savoir si leur système est à la hauteur, et comment s'organisent ses déclinaisons régionales. Le chantier est colossal, mais il est indispensable.

Il y a urgence à agir : 40 000 jeunes vont faire leur rentrée. On ne peut pas accepter un tel taux d'échec à l'université en premier cycle, et pas seulement en médecine. Nous travaillons aussi sur l'école primaire. On en arrive parfois à se dire qu'il faudrait refondre toute l'éducation nationale ! La Cour des comptes est prête à vous accompagner dans cette voie. Le délai de quatre ans nous semble déjà bien lointain.

Mme Corinne Bourcier. - Vos propos sont convaincants. J'y souscris totalement.

Il est effectivement très important d'écouter les étudiants, car ils sont en première ligne.

La Paces a disparu au profit de deux voies, le Pass et la LAS. La LAS contient moins d'unités d'enseignement en santé que le Pass. Elle s'avère donc moins qualitative et cela crée un déséquilibre, qui est vécu comme injuste par les étudiants. Cela contribue à la chute des connaissances, tandis que la diversification des parcours entraîne l'élimination d'étudiants brillants au profit d'autres qui sont sans doute excellents, mais moins bien formés.

Beaucoup d'étudiants passés par la LAS se retrouvent en difficulté dans leurs études, ce qui est assez logique. Ils n'ont étudié qu'un quart du programme suivi par les étudiants en Pass. En 2022, 60 % des étudiants en LAS ont échoué à leur examen, tandis que le taux de réussite des étudiants en Pass s'élève à 80 %. Le taux de passage en deuxième année est deux fois plus élevé pour ces derniers. Les associations d'étudiants souhaitent que le dispositif soit revu. Je souscris à vos recommandations en la matière.

Il est dommage et anormal que des étudiants doivent partir à l'étranger pour faire leurs études de médecine. C'est aussi souvent très coûteux pour les familles.

Enfin, je m'interroge concernant votre proposition d'accès direct pour la maïeutique et la pharmacie. Certains étudiants souhaitent s'inscrire en santé, mais ils ne savent pas forcément ce qu'ils souhaitent y faire. Certains étudiants ont commencé leurs études en médecine, mais sont devenus dentistes ou pharmaciens par la suite, parce qu'ils le souhaitaient.

Mme Céline Brulin. - Les rapports de la Cour des comptes ne sont pas mes lectures favorites, mais votre présentation était particulièrement stimulante.

Avez-vous une idée du bilan de la réforme des études de santé sur la démographie médicale dans quelques années ? En vous écoutant, j'ai l'impression que les effets ne seront sans doute pas tous positifs !

Vous avez beaucoup parlé de rattrapage et de contractualisation. Les collectivités font déjà beaucoup : certaines collectivités financent des postes de professeur, facilitent la réalisation de stages dans les hôpitaux de proximité, etc. Le doyen de l'université de Rouen explique que ses affectifs ont augmenté de 200 % et qu'il ne peut pas faire plus : on ne peut pas pousser les murs ! Comment donner aux universités les moyens de développer leurs capacités pour répondre aux besoins des territoires ? Les étudiants ont tendance à s'installer ensuite dans la région où ils ont été formés.

L'objectif, tout à fait juste et pertinent, de la réforme était de diversifier les profils des étudiants en médecine. Un jeune issu d'un quartier populaire, d'une commune rurale ou d'une ville moyenne sera plus enclin à venir s'installer comme médecin dans ces endroits qu'un jeune qui a toujours vécu au coeur d'une métropole et qui est issu des catégories socioprofessionnelles les plus favorisées.

J'ai le sentiment que nous ne cherchons pas tant à diversifier les profils qu'à réorienter ceux qui seraient en échec dans leurs études. Cela me semble valoir aussi pour le système que vous préconisez. Bien sûr, il faut aider ceux qui sont en difficulté à se réorienter, mais cela ne répond pas à la question de la démocratisation des études de santé. Cette problématique commence bien avant les études supérieures. On doit s'interroger ainsi sur le lycée : on choisit ses spécialités à la carte et les enseignements proposés varient selon les établissements. Les bagages culturels des élèves sont très différents. Vous préconisez la mise en place d'une voie unique d'accès aux études de santé, mais il faudra, pour y avoir accès, avoir choisi les bons enseignements de spécialité. Il faut donc agir aussi en amont de l'université.

Vous déplorez que l'on manque de données. Lors de l'examen de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, certains d'entre nous préconisaient de créer un indicateur d'accès aux soins, qui aurait constitué un outil de régulation de l'installation de médecins. Le débat a eu lieu. On nous a dit que nous disposions déjà de pléthore de données sur le sujet ; or vous évoquez une carence de données. De quelles données parlez-vous ? On constate qu'il y a parfois un fossé entre les chiffres des ARS et la réalité. Quel objectif visez-vous au travers de la collecte de ces données ?

Mme Florence Lassarade. - Tout a été dit ou presque. Les études de médecine sont des études par alternance. Les doyens, qui sont plutôt élitistes, ne voulaient pas de cette réforme et auraient bien conservé le numerus clausus. Cette formation en alternance commence dès la deuxième année. D'autres acteurs, comme les petits hôpitaux, les médecins ou les dentistes libéraux, proposent de participer à la formation.

Nous manquons de spécialistes. La France est au vingt-deuxième rang en Europe en ce qui concerne la mortalité infantile et, curieusement, elle est aussi au vingt-deuxième rang pour le nombre de pédiatres. Je me réjouis donc que vous vous intéressiez à la question des internats de spécialité et à leur répartition. Il faut faire preuve de volontarisme en la matière, car un généraliste ne s'installe dans une région que s'il est entouré de spécialistes. Mais je n'en dirai pas plus aujourd'hui...

Mme Émilienne Poumirol. - Je partage l'analyse de Céline Brulin. Nous connaissons bien l'ampleur des déserts médicaux, nous avons tous travaillé sur le sujet. Nous faisons les mêmes constats sur l'absence de lien entre le système des études de santé et les territoires, sur le manque de diversification des profils des étudiants, etc. Comme la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) le reconnaît, un médecin issu d'une zone rurale s'installera plus volontiers dans la ruralité. C'est un fait prouvé, en France comme partout dans le monde.

Vous dressez le constat de l'échec de la réforme. Votre analyse est tout à fait conforme au ressenti que l'on peut avoir sur le terrain. En 2021 déjà, le doyen de la faculté de santé de Toulouse me disait qu'il n'avait pas les moyens d'accueillir davantage d'étudiants. Lorsque le tribunal administratif lui a demandé d'en accueillir 20 % de plus, il a augmenté le nombre de reçus, mais la question sous-jacente est bien celle des moyens donnés aux universités.

Nous sommes tous favorables à la diversification des lieux de stage. Il est nécessaire de rompre avec une approche encore trop souvent centrée sur l'hôpital et les métropoles. Les grandes universités sont situées dans les grandes villes, et on a du mal ensuite à inciter les jeunes diplômés à revenir s'installer ailleurs sur le territoire.

Votre idée de contractualisation est très intéressante. Les ministères ont tendance à travailler en silo, sans échanges véritables. M. Guaino a raison : la planification doit procéder d'abord des territoires. La contractualisation permettrait de faire en sorte que les uns et les autres s'engagent mutuellement, car il y a, en effet, urgence. En dépit de la suppression du numerus clausus, les déserts médicaux n'auront pas disparu en 2032.

Enfin, les étudiants qui poursuivent leurs études de médecine à l'étranger rencontrent de grandes difficultés à leur retour, notamment pour passer le concours de l'internat. En effet, ces étudiants ne sont pas préparés de la même façon. Il faut absolument les aider à revenir en France. Actuellement, lorsqu'ils ont achevé leurs études en Roumanie ou ailleurs, ils vont s'installer en Allemagne - il leur suffit d'avoir étudié l'allemand pendant un an durant leur scolarité - ou en Suisse. Quasiment aucun d'entre eux ne revient en France. C'est vraiment dommage.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Le travail qu'a réalisé la Cour des comptes est remarquable. Nous vous remercions pour vos préconisations. Avez-vous défini un calendrier, une feuille de route concernant leur mise en oeuvre ?

Vous avez indiqué que l'on manquait de professeurs. Avez-vous pu identifier, sur le plan territorial, les difficultés liées aux ressources humaines et, surtout, aux infrastructures ? Il est bien beau d'annoncer que le nombre d'étudiants augmentera, mais a-t-on les moyens de les accueillir ?

Certains départements, dépourvus de faculté de médecine, ont organisé, depuis quelques années, une première année de médecine délocalisée, sous la supervision d'une université. En Mayenne, nous avons ainsi déjà pu recruter davantage d'étudiants en santé. Comme il s'agit d'un concours, et que partir étudier dans un autre département coûte cher, certains jeunes préfèrent s'assurer qu'ils pourront passer en deuxième année avant de partir. Les effectifs ont augmenté et ce système est une véritable réussite. Que pensez-vous de ces initiatives ?

Mme Jocelyne Guidez. - On a voulu simplifier, mais la réforme a complexifié le système ! C'est bien français...

Vous avez évoqué la question centrale des disparités territoriales, et je vous en remercie. Dans cette même logique, la Cour s'est-elle penchée sur les impacts de la réforme de l'accès aux études de santé outre-mer ?

La création d'un deuxième cycle de formation en médecine aux Antilles et en Guyane, conformément à la stratégie Ma Santé 2022, constitue un pas important vers une meilleure accessibilité aux études de santé pour les étudiants ultramarins. Quels premiers enseignements tirez-vous de cette initiative en ce qui concerne la réduction des disparités territoriales outre-mer ?

Comment le système Pass-LAS pourrait-il mieux tenir compte des spécificités des territoires ultramarins pour soutenir la démographie médicale locale ?

Il y a urgence, chacun en convient, mais je suis un peu inquiète car, étant donné la situation politique très instable de la France, je ne vois pas comment nous pourrons agir rapidement.

M. Nacer Meddah. - Nous n'avons pas traité la question de l'outre-mer dans ce rapport, car nous venons de publier six cahiers territoriaux sur la situation de l'enseignement supérieur et de la recherche outre-mer. Nous nous sommes rendus dans chaque université ultramarine, et nous avons bien entendu examiné la situation des études de médecine à cette occasion. C'est pourquoi nous n'avons pas repris dans notre rapport ce qui figurait dans ces monographies.

Nous avons défini un calendrier de mise en oeuvre de nos préconisations, mais nous ne sommes pas maîtres de la situation politique actuelle - vous êtes beaucoup mieux placés que nous à cet égard. Notre rôle est de vous accompagner au mieux. Je rappelle aussi, par ailleurs, que la Cour fait systématiquement un suivi de ses recommandations. Nous souhaitons réaliser un travail continu dans la durée sur le sujet.

En ce qui concerne la contractualisation et les capacités des universités, je rappelle que les contrats de plan État-région (CPER) comportent un important volet sur l'université, notamment sur les capacités d'accueil des étudiants. Il faut veiller à ce que les besoins capacitaires des universités soient bien pris en compte lors des négociations des CPER. Je pense notamment à la création d'unités de proximité, qui constituent, à l'évidence, des réponses pour certains jeunes qui veulent faire des études de santé, mais qui ne peuvent pas être accompagnés par leurs familles.

On estime que 2 300 étudiants français en médecine et en odontologie poursuivent leur cursus en Espagne : c'est tout simplement parce que nos universités n'ont pas toujours les équipements nécessaires pour les former. Il faut prendre en compte cette dimension. Ce chiffre a plus que doublé ces dernières années. La question des moyens ne se réduit pas à la taille des amphithéâtres, elle concerne aussi la qualité des équipements. Cela suppose une réflexion en amont.

Les collectivités font des efforts importants pour s'attaquer à la question des déserts médicaux et développer l'attractivité de leur territoire. Elles accompagnent parfois, même si cela n'entre pas toujours dans leurs prérogatives, les étudiants et les universités. Néanmoins, ces initiatives se font de manière un peu dispersée. Il faut veiller à éviter l'apparition de disparités entre les régions, entre les départements, voire entre des communes limitrophes ; les actions pourraient être mieux coordonnées. Nous devons aussi examiner l'offre de logements étudiants. Nous menons une étude sur ce sujet en ce moment. Si l'on veut démocratiser les profils, il faut prendre en compte toutes ces dimensions. Octroyer des bourses ne suffit pas. Il faut accompagner et aider les étudiants.

C'est pourquoi nous recommandons, notamment, d'encourager l'accès aux études des jeunes issus des milieux ruraux et défavorisés en développant une offre territoriale de formations délocalisées donnant accès aux études de santé. On sait qu'ils auront plus tendance à revenir s'installer dans ces régions par la suite. Cette question de la démocratisation relève d'une approche globale. On ne peut pas isoler la question universitaire de son contexte. Si l'on veut développer l'attractivité des études de médecine, diversifier et démocratiser les profils, il faut aussi réaliser un travail considérable au niveau de l'éducation nationale. Or les dialogues entre le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et celui de l'éducation nationale ne sont pas très développés.

Le constat que nous dressons n'est pas très bon. Notre rôle est non pas simplement de faire une radiographie du système - pour reprendre un terme médical -, mais de vous aider, par le biais de nos recommandations, à faire en sorte que les réformes nécessaires et urgentes puissent être enclenchées.

Nous partons des besoins des étudiants et des territoires. Nous manquons vraiment de données pour bien connaître les publics et les futurs étudiants. Il faudrait que l'éducation nationale s'empare de ce sujet pour identifier ceux qui pourraient avoir vocation à suivre ces études, mais qui ne peuvent pas le faire pour différentes raisons. Il faut réfléchir à la création de passerelles et à la manière d'accompagner au mieux les lycéens et les étudiants. Pour cela, nous devons étayer notre réflexion par des données solides. Celles-ci existent, mais elles sont fragmentées. Nous devrons ensuite bâtir des indicateurs pertinents. Il faudra aussi recueillir des données, qui manquent actuellement, sur les capacités d'accueil, le nombre de professeurs, etc.

Tout cela suppose de bâtir des systèmes d'information efficaces. Lorsque nous aurons fait tout ce travail, nous pourrons placer les décideurs face à leurs responsabilités pour trouver la meilleure manière de répondre aux besoins des étudiants et des territoires. J'y insiste, nous n'appréhendons ces besoins aujourd'hui que de manière très fragmentaire. Pour réaliser un vrai rattrapage et corriger les disparités, il faut travailler à une échelle beaucoup plus fine, non pas nécessairement à l'échelle des régions administratives, mais en tenant compte des logiques interrégionales, voire interdépartementales.

Un grand nombre des professionnels de santé que nous formons partent en Allemagne, en Belgique, en Suisse ou au Luxembourg. C'est une réalité. Pour appréhender les besoins territoriaux, il faut tenir compte du phénomène transfrontalier. L'idéal serait de posséder un organisme centralisé qui disposerait de toutes ces données. Mais chacun défend ses prérogatives et n'est pas prêt à partager ses informations. Lors de la préparation des CPER, il est possible d'évaluer les besoins capacitaires des universités et de décider, si l'on veut développer les études de santé dans une région, de faire un effort plus important dans ce cadre. Cela suppose que tout le monde tire dans le même sens et s'organise.

Nous devons mettre en place de manière articulée une planification opérationnelle et une contractualisation. Encore une fois, la Cour des comptes est prête à vous accompagner pour faire évoluer le système.

M. Philippe Hayez. - Vous nous avez demandé si la Cour avait défini une feuille de route, mais nous ne faisons pas un travail de consultants. Nos rapports ne visent pas à livrer un dispositif « clé en main ». Il appartient au Parlement et au Gouvernement de s'emparer, ou non, de notre travail et de reprendre, le cas échéant, nos recommandations.

La première d'entre elles, relative à l'instauration d'une voie d'accès unique, est déterminante. Elle appelle une prise de position : il vous appartient d'apprécier si, sur la base du constat qui a été fait par la Cour, le système doit être changé. C'est « stop ou encore » ! Nos autres recommandations en découlent. Les cinq recommandations suivantes concernent ainsi la mise en oeuvre d'une réforme à moyen terme. Notre recommandation sur la LAS est de court terme, car il est urgent de remettre un peu d'ordre dans le dispositif actuel. Les trois dernières recommandations sont valables, quant à elles, quel que soit le scénario d'évolution du système retenu. Elles concernent la création de passerelles ou le développement d'une offre territoriale délocalisée.

Nos propositions s'inscrivent ainsi tantôt dans le court terme, tantôt dans le long terme. L'essentiel est néanmoins de s'accorder sur la nécessité de changer le système des études de santé.

Mme Annie Le Houérou. - Vous n'avez pas répondu à la question de Mme Doineau. Que pensez-vous de la délocalisation des études de santé dans les villes moyennes ? Dans les Côtes-d'Armor, par exemple, nous n'avons pas d'université, mais nous avons mis en place une délocalisation des deux premières années des études de santé. Avez-vous pu mesurer les conséquences positives de ces nouvelles modalités d'accompagnement des étudiants au plus près de chez eux sur la démocratisation de l'accès aux études de santé ?

Enfin, vous avez beaucoup parlé de contractualisation pour mieux répondre aux besoins des territoires. Mais qui piloterait cette démarche ?

Mme Nadia Sollogoub. - Il est agréable d'entendre ces propos, à l'heure où le discours ambiant laisse penser que le numerus clausus étant supprimé, il suffirait d'attendre dix ans pour que tout s'arrange. Nous savons tous que ce n'est pas vrai et nous disposons maintenant d'un rapport sur lequel nous appuyer pour étayer nos propos. Cela ne nous empêchera pas de faire des choix le plus rapidement possible.

Il a été dit largement que l'ONDPS nous avait beaucoup déçus. Les critères retenus me semblent manquer de pertinence dans la mesure où ils considèrent le nombre de praticiens sans jamais intégrer le temps médical. Par ailleurs, nous avons beaucoup parlé des étudiants ; ne serait-il pas pertinent selon vous de faire un focus sur les professeurs de médecine ? On se fixe, plus ou moins au doigt mouillé, un objectif de 20 % d'étudiants en santé supplémentaires, or la dynamique démographique des enseignants en médecine est à la baisse. Certains démissionnent de leur chaire faute de moyens, d'autres sont démotivés ou vont dans le privé en fin de carrière. Nous ne pourrons monter en puissance que si nous embarquons tout le monde dans l'aventure.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je salue ce rapport et me félicite de la discussion très intéressante que nous avons ce matin. J'ai l'impression - nous le constatons aussi sur le terrain - que la réforme Pass-LAS est devenue une usine à gaz et que nous avons fait pire que mieux.

Si nous formons peut-être davantage de médecins, cela ne réglera pas le problème des déserts médicaux. J'habite le Pas-de-Calais, je connais bien la faculté de médecine Henri-Warembourg et je sais très bien que les médecins qui partiront à la retraite sont bien plus nombreux que ceux qui viendront exercer sur notre territoire.

Figurez-vous que j'ai reçu voilà quelques minutes seulement le message suivant : « Bonjour Cathy, je voulais t'informer que la catastrophe tant redoutée est arrivée. Mon service de pédopsychiatrie du centre hospitalier de Lens voit son dernier médecin quitter ses fonctions fin février 2025. Il est seul aux commandes de dix unités fonctionnelles de soins, ce qui représente 2 500 enfants et leurs familles. La nouvelle est tombée comme un tsunami. Les familles ne sont pas encore au courant. Peux-tu nous aider ? Je ne sais pas comment faire. » Nous recevons toutes et tous des messages de ce type. Quand il ne s'agit pas de départs en pédopsychiatrie - c'est pourtant une grande cause nationale -, cela reflète un manque de médecins sur le territoire.

Pour en revenir aux études de médecine, j'ai toujours considéré que le numerus clausus était une erreur. Par ailleurs, le concours est extrêmement difficile et les études chronophages. Sauf erreur de ma part, il s'agit du seul cursus dans lequel le concours a lieu en fin d'année. Tous les étudiants s'inscrivent dans l'espoir d'avoir ce concours. À la faculté Henri-Warembourg, sur 3 800 élèves inscrits au départ, il n'en restait que 1 200 à la fin. Les jeunes ayant échoué n'ont d'autre choix que de redoubler, quand ils le peuvent, ou, à défaut, de s'orienter vers d'autres filières en désespoir de cause et après avoir perdu plusieurs années d'études.

Cette situation me posait déjà un problème et je me rends compte que nous devrons peut-être revenir en arrière, tant la réforme se révèle un échec, voire une catastrophe. Avez-vous donc l'intention de réfléchir sur cette question du moment de l'année auquel intervient le concours ?

Il faut aussi poser la question de Parcoursup. Si nous voulons réellement démocratiser les études de médecine, ne devrions-nous pas, en amont, orienter davantage les jeunes vers le baccalauréat nécessaire pour suivre des études de médecine ? Nous savons très bien que la majeure partie des jeunes qui réussissent ces études ont passé un bac S. Comment peut-on encore laisser croire dans ce pays à des jeunes qui ont un bac technologique qu'ils peuvent y parvenir ?

Tout jeune qui le souhaite a le droit de prétendre à des études de médecine. Ce n'est pas parce que l'on vient d'une cité populaire que l'on ne peut pas devenir médecin ou dentiste. Dès le lycée, il faudrait orienter les jeunes à suivre les bonnes options. Dans le Pas-de-Calais, nombreux sont les jeunes qui, ayant échoué en France, partent en Belgique faire leurs études. Que pensez-vous du système belge ?

M. Daniel Chasseing. - Je vous remercie, monsieur le président, pour ces explications qui ne nous font pas plaisir : en 2019, nous nous disions que nous aurions, en 2030, des médecins dans nos territoires. Le nombre d'étudiants qui partent étudier en Espagne est une illustration de ce qu'il faut bien appeler un échec.

Je rejoins ce qui a été dit sur la nécessité de mieux orienter et de mieux accompagner les jeunes. Par ailleurs, afin de réduire les inégalités territoriales, il faut mettre en oeuvre, me semble-t-il, une planification beaucoup plus fine, en particulier dans les départements qui se situent autour des CHU et y associer également les hôpitaux périphériques.

Enfin, je voudrais soulever le problème des pharmacies qui ferment ou se regroupent dans nos territoires ruraux. Comment, à l'avenir, contrecarrer cette tendance ?

Mme Anne Souyris. - Je vous remercie pour cet exposé très intéressant. Ce système est en effet illisible, y compris pour les étudiants eux-mêmes, qui ne savent pas estimer où sont leurs meilleures chances de réussite.

Par ailleurs, j'ai lu récemment que la France était l'un des plus mauvais élèves dans les matières scientifiques dès le secondaire. Ce n'est pas qu'une question de choix d'options ou de dominantes : il y a un travail préalable à mener pour faire en sorte qu'un nombre suffisant d'étudiants soient au niveau.

Je m'interroge également sur les passerelles. On entend dire qu'il faut plus de passerelles et il est vrai que les vocations peuvent être tardives. Il me semble toutefois que les passerelles dont il est question dans les LAS consistent à proposer en même temps un enseignement en santé et un enseignement en littérature, en philosophie ou en droit par exemple. Mais une personne qui serait titulaire d'une licence de littérature peut-elle soudainement bifurquer vers des études de santé ? Et si oui, comment ? Existe-t-il des sas de rattrapage ? Comment une infirmière qui se serait spécialisée peut-elle suivre des études de médecine ? Il est important de prévoir un socle commun compréhensible pour le tout-venant des élèves, avec un meilleur socle scientifique, mais également d'intégrer ceux qui viennent d'ailleurs et qui souhaiteraient se réorienter.

Enfin, concernant les taux de réussite en LAS et en Pass que vous évoquez, peut-on avoir le détail des matières ? J'imagine que la donne est différente selon que l'on a suivi en LAS des cours de biologie ou de philosophie...

M. Nacer Meddah. - Vous faites toutes et tous le même constat que nous : nous sommes loin de la simplification. Commençons par simplifier le paysage. Si vous-mêmes, qui êtes déjà très avertis, avez des difficultés de compréhension, je vous laisse imaginer le jeune lycéen, qui n'est pas du tout préparé culturellement, mais qui a la vocation de faire des études de santé ! Il y a aussi la loterie de Parcoursup, sur lequel je vous ai dit que nous allions nous pencher.

Madame Apourceau-Poly, étant également du Pas-de-Calais, je ne peux qu'être réceptif à vos propos. J'habite désormais dans l'Yonne et la situation n'y est pas meilleure en ce qui concerne les médecins non remplacés ou les difficultés des hôpitaux de proximité, sans parler de la pédopsychiatrie.

On a longtemps cru qu'il était plus facile d'aller faire ses études de médecine en Belgique. Ce n'est sans doute pas le cas. Notre rapport comporte un passage sur ce point.

Nous sommes prêts à travailler sur la question des études de santé dans la durée, si le président de votre commission nous le demande. Nous souhaitons ainsi étudier la situation dans tous les territoires, dans tous les hôpitaux de proximité, et pas simplement dans les CHU. Certains de ces hôpitaux accueillent des internes. Les pratiques ne sont pas les mêmes selon les lieux. Nous pourrions également nous intéresser à la situation des PU-PH ou à la formation des spécialistes.

M. Clément Henin. - La question de la délocalisation des enseignements de santé rejoint celle qui a été posée sur la diversification des profils. La diversification peut être géographique, sociale, académique, etc. Nous montrons que c'est la diversification géographique qui a le plus d'effets sur le système de soins. Nous appelons à la développer en donnant accès aux études de santé aux jeunes issus de la ruralité, car ils auront plus tendance - c'est un fait statistique - à s'installer dans ces territoires qui manquent de médecins.

Nous avons évalué dans notre rapport, de façon extrêmement sérieuse et étayée, l'effet de la délocalisation des formations de santé. Un élément est absolument certain : ces formations ont attiré des étudiants ruraux ou issus de milieux défavorisés. De ce point de vue, ce système est une réussite. En revanche, le taux de réussite dans ces formations délocalisées est encore extrêmement faible - il est même parfois nul. Il faut donc veiller à éviter que la création de ces formations dans des territoires ruraux ou dans des villes moyennes n'aboutisse à la constitution de voies de garage pour ces étudiants que l'on cherche à attirer. Il importe que les UFR de santé s'investissent davantage dans ces formations délocalisées.

Plusieurs questions portaient sur les professeurs de médecine. Il s'agit ici d'évaluer de façon objective les capacités de formation dans les universités et les facteurs qui influencent ces capacités. Si nous interrogeons les universités, elles nous diront qu'elles manquent de professeurs. Selon les ARS, ce sont non pas les professeurs qui manquent, mais les capacités d'accueil dans les stages hospitaliers qui sont insuffisantes. Et lorsque nous allons voir les directeurs de CHU, ils nous disent qu'ils peuvent augmenter les capacités d'accueil en stage autant que de besoin. Vous le voyez, on ne sait pas bien sur quel pied danser ! Pour ce qui est de l'odontologie, le problème viendrait des sièges en nombre insuffisant et de moyens manquants pour en acheter. Un siège coûtant 100 000 euros, il me semble que ce n'est pas là le point bloquant. Le besoin d'objectiver les besoins de formation est donc évident.

Avant les professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH), il y a les chefs de clinique et les assistants hospitaliers, qui sont les futurs maîtres de conférences universitaires. Or un certain nombre de ces postes sont aujourd'hui vacants, ce qui est absolument inédit et assez inquiétant.

Une autre question portait sur le moment où intervient le concours, non pas au début, mais à la fin de la formation. Parmi les scénarios d'évolution, l'une des pistes envisagées est la mise en place d'un accès direct post-baccalauréat. Ce n'est pas le scénario que nous privilégions, car nous y voyons la difficulté suivante. La sélection sur Parcoursup étant assez inégale, il y aurait un risque, en plaçant la sélection à l'issue du baccalauréat, qu'une partie des étudiants n'accède jamais aux études de médecine. Dans les faits, certains élèves seraient accompagnés dès le lycée par des entreprises pour préparer ce concours.

M. Nacer Meddah. - Nous pourrions en effet introduire des facteurs inégalitaires. On sait bien qu'aujourd'hui les lycéens suivent en parallèle une préparation privée. Il faut être vigilant sur ce point.

M. Clément Henin. - Les discussions ont porté également sur l'orientation, une question particulièrement complexe. En Île-de-France, un jeune qui veut faire de l'odontologie a ainsi le choix, sur Parcoursup, entre environ 150 cursus différents. Il aura eu à faire, dès la première, des choix de spécialités stratégiques et déterminants. Il est aussi exposé à une offre privée qui s'est développée fortement pour accompagner les étudiants.

C'est une des raisons pour lesquelles nous appuyons très fortement la création d'une voie unique post-baccalauréat, car elle viendra réduire drastiquement les choix possibles pour les lycéens et simplifier largement cette phase d'orientation.

Enfin, une dernière question portait sur les taux de réussite en fonction de la discipline choisie. C'est assez intuitif, mais les écarts sont assez colossaux et nous avons pu les vérifier par de nombreux chiffres. Ainsi, les étudiants qui choisissent par exemple le droit comme discipline ont un taux de réussite inférieur d'un tiers à celui d'étudiants qui auraient choisi les Staps ou les sciences de la vie, qui sont à l'inverse des disciplines qui facilitent l'entrée dans les études de médecine. Il s'agit néanmoins de constats nationaux. Ils peuvent varier selon les universités, ce qui rend le paysage encore plus complexe et la tâche qui incombe aux lycéens comme aux étudiants d'autant plus difficile.

M. Philippe Hayez. - N'ayant pu répondre que partiellement à vos légitimes préoccupations, nous vous renvoyons également au rapport Universités et territoires que la Cour des comptes a remis l'an dernier à la commission de la culture du Sénat. Il vous apportera des compléments utiles sur la répartition territoriale des formations.

M. Philippe Mouiller, président. - Je salue la qualité de votre travail. Vous lancez un pavé dans la mare, même si nous avions conscience des difficultés de cette réforme en vigueur depuis quatre ans. Nous disposons à présent d'un état des lieux précis et solide.

Je propose de compléter ce rapport et cette audition par des travaux complémentaires au sein de notre commission. Ils nous permettront de réfléchir à la manière de traduire nos propositions et celles de la Cour des comptes dans des textes législatifs et réglementaires, au terme d'un dialogue avec le Gouvernement, de régler les urgences qui ont été identifiées comme de nous projeter à moyen et long termes.

Je vous propose de désigner Corinne Imbert, Khalifé Khalifé et Véronique Guillotin en tant que rapporteurs, à mes côtés, pour mener à bien cette mission.

Il en est ainsi décidé.

Je compte également demander à la Cour des comptes de se pencher en 2025 sur la réforme du troisième cycle des études de médecine, qui semble, là aussi, engendrer de nombreuses critiques et incompréhensions.

Mme Émilienne Poumirol. - Habituellement, une mission procède à plusieurs auditions avant d'élaborer son rapport. J'imagine que ce ne sera pas le cas en l'espèce. Comment les autres commissaires pourront-ils participer à ces travaux ?

M. Philippe Mouiller, président. - Nous procéderons à quelques auditions, non pas pour évaluer la situation et établir des constats, mais pour analyser la pertinence de nos propositions, notamment l'hypothèse d'une entrée directe en faculté de pharmacie à la prochaine rentrée.

Ces auditions seront ouvertes à tous les membres de notre commission. Nous pouvons aussi imaginer des déplacements sur le terrain auxquels certains commissaires pourraient participer.

Nous voulons suivre de près ce sujet et mettre la pression sur les acteurs, notamment en discutant de nouveau avec l'ONDPS.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Philippe Mouiller, président. - Le projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), examiné ce matin par le conseil des ministres, comprend un article autorisant des organismes de sécurité sociale à emprunter. Il s'agit de la seule disposition des lois de financement de la sécurité sociale dont l'absence ne permettrait pas aux caisses de fonctionner normalement et d'assurer le versement des prestations.

À ce titre, il me semble nécessaire que notre commission se saisisse pour avis de ce texte. Celui-ci entrant dans la catégorie des lois de finances au regard des règles constitutionnelles et organiques en vigueur, il est transmis de droit à la commission des finances pour son examen au fond.

Je vous propose tout naturellement de désigner rapporteure pour avis notre rapporteure générale, Élisabeth Doineau.

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi spéciale n° 711 (A.N., XVIIe législature) prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, sous réserve de sa transmission, et désigne Mme Élisabeth Doineau rapporteure pour avis.

La réunion est close à 12 h 30.