- Mercredi 11 décembre 2024
- Proposition de nomination de M. Martin Ajdari, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) - Désignation d'un rapporteur
- Audition de M. Luis Vassy, directeur de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris
Mercredi 11 décembre 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Proposition de nomination de M. Martin Ajdari, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) - Désignation d'un rapporteur
M. Laurent Lafon, président. - Il nous appartient de désigner, en application de l'article 19 bis du règlement du Sénat, un rapporteur sur la proposition de nomination par le Président de la République de M. Martin Ajdari aux fonctions de président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Je vous propose de confier cette tâche à notre collègue Cédric Vial. L'audition de M. Ajdari pourrait être programmée dès la semaine prochaine, à condition que le Premier ministre soit nommé d'ici là.
La commission désigne M. Cédric Vial rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Martin Ajdari aux fonctions de président de l'Arcom, en application de l'article 13 de la Constitution.
Audition de M. Luis Vassy, directeur de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris
M. Laurent Lafon, président. - Nous accueillons ce matin M. Luis Vassy, qui dirige l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris depuis le 1er octobre dernier.
La nomination de M. Vassy est intervenue au terme de plusieurs mois de remous à la tête de Sciences Po Paris, à la suite de la démission de son prédécesseur, Mathias Vicherat, en mars dernier, et dans le contexte d'une forte mobilisation étudiante sur le conflit opposant Israël au Hamas.
Pendant cette période troublée, notre commission a eu l'occasion de recueillir plusieurs éclairages à ce sujet. Je pense à celui de Laurence Bertrand Dorléac, présidente de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), accompagnée d'Alban Hautier, secrétaire général de l'Institut, que nous avons auditionnés quelques jours après qu'une manifestation propalestinienne non autorisée a défrayé la chronique à l'intérieur de l'établissement. Je pense aussi à celui de Jean Bassères, administrateur provisoire de l'Institut pendant plusieurs mois, dans le cadre des travaux de la mission d'information que nous avions lancée sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.
Monsieur le directeur, je vous remercie d'avoir bien voulu vous rendre disponible pour nous aider à mieux appréhender les défis qui vous attendent.
Alors que de récents débats autour de la tenue d'une conférence de Rima Hassan dans votre établissement témoignent de la vivacité des tensions perdurant autour du conflit entre Israël et le Hamas, nous vous saurions gré de nous faire part de quelques éléments d'analyse sur l'évolution de la situation à Sciences Po Paris, ainsi que sur la manière dont vous entendez continuer de prévenir et de sanctionner les débordements antisémites qui peuvent en découler.
Nous serions également heureux de connaître votre vision générale sur le fonctionnement de l'Institut et sur les orientations que vous souhaitez lui donner.
Je vous laisse la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, après quoi mes collègues, notamment notre rapporteur pour avis sur les crédits du projet de loi de finances (PLF) dédiés à l'enseignement supérieur, Stéphane Piednoir, souhaiteront sans doute vous interroger.
M. Luis Vassy, directeur de l'Institut d'études politiques de Paris. - Je vous remercie de m'accueillir, mesdames, messieurs les sénateurs ; c'est un très grand plaisir et un honneur, quelques semaines seulement après mon élection à la tête de Sciences Po, puis ma désignation par le Président de la République et le Gouvernement, de pouvoir venir faire ce point de situation devant vous.
Je commencerai par vous exposer, comme vous m'y invitez, les grandes directions de mon projet, qui a été soumis au conseil de l'Institut et au conseil d'administration de la FNSP. J'ai la conviction que l'apaisement interne et le redressement de l'image externe de Sciences Po découleront nécessairement du cap que nous nous donnerons sur le fond, comme il sied à une institution intellectuelle et académique de rang mondial. Deux questions me paraissent essentielles : ce que nous faisons à Sciences Po - le « quoi » -, et la manière dont nous le faisons - le « comment ».
La première est celle de la matrice intellectuelle générale que se donne un tel établissement. À cet égard, Sciences Po doit agir comme il a toujours su le faire au fil de son histoire depuis 150 ans : revoir sa démarche académique et intellectuelle en fonction des défis du temps présent. Cet institut de la contemporanéité a été créé dans le contexte particulier de la défaite de la France face à la Prusse, à l'heure où la question fondamentale était de savoir si le régime républicain, et donc démocratique, pouvait être aussi efficace que celui de la puissance ennemie.
Cette matrice a été largement revue à la Libération, à l'aune de ce qui a été vu non comme une faillite de Sciences Po, puisqu'un nombre extrêmement important d'anciens élèves ont participé à des mouvements de résistance - en témoignent les noms inscrits sur la plaque commémorant les morts pour la France lors de la Seconde Guerre mondiale -, mais comme une compromission d'une partie des élites françaises durant cette période.
Une autre révision intellectuelle a eu lieu à l'issue de la guerre froide. En 1989, l'enseignement « Grandes lignes de partage du monde contemporain » relatif à la mondialisation et créé par Alain Lancelot symbolise cette extrême malléabilité et capacité à s'ancrer dans les réalités du moment pour les examiner en profondeur par la recherche et la formation. L'école des années 1990 à 2010 est celle de la mondialisation heureuse et de la démocratie fonctionnelle. Ce temps étant révolu, il est souhaitable de revisiter nos schémas intellectuels.
J'ai proposé de partir des enjeux majeurs du temps présent, à savoir la rupture démocratique, la conflictualité internationale - je pense à Raymond Aron ou à Pierre Hassner, figures importantes de cette institution - , le climat - j'ai notamment fondé ma candidature sur la création d'une école de la gouvernance et des politiques du climat, qui serait la première en Europe continentale -, les ruptures numériques et digitales, et enfin, la question européenne, qui est présente à Sciences Po, mais pourrait l'être plus centralement.
Concernant les compétences à développer chez nos étudiants, nous sommes conscients qu'il faut revoir rapidement nos schémas sous le prisme de l'essor de l'intelligence artificielle (IA). Traditionnellement, Sciences Po met beaucoup en avant l'analyse, la rédaction et la synthèse, valeurs qui, sur le plan strictement professionnel, pourraient décroître prochainement compte tenu du rythme des progrès technologiques. C'est pourquoi nous sommes engagés dans un travail de révision du bachelor, c'est-à-dire des trois premières années d'études qui scellent le socle de compétences, le master relevant plus d'une logique de spécialisation professionnelle.
J'en viens à notre manière de faire. Sciences Po doit assumer d'être une institution de premier rang mondial et viser à demeurer à cette place. J'utiliserai trois mots pour résumer notre méthode.
Premièrement, l'excellence. Celle-ci est vue, non comme un principe agressif ou condescendant, mais comme un principe émancipateur pour qui trouvera en soi les ressources de détermination, de travail, de curiosité intellectuelle et de goût d'apprendre. En découle l'excellence morale, qui amène à être ouvert aux autres, bienveillant et attaché au pluralisme.
Deuxièmement, la liberté. Cela inclut bien sûr la liberté d'expression, qui est pleinement assurée à Sciences Po. J'entends en être le garant à l'égard de ceux qui usent de l'intimidation ou de la force pour occuper les espaces. Et j'ai eu l'occasion de dire à quel point je serai intransigeant sur l'antisémitisme. Cette liberté, c'est aussi la liberté académique des chercheurs, dont l'indépendance est au coeur d'une démarche d'université en sciences humaines et sociales et conditionne des résultats pertinents.
Troisièmement, l'ouverture. Celle-ci doit être sociale - Sciences Po est la seule institution d'enseignement supérieur aussi sélective assurant autant de diversité sociale, puisque 27 % de nos élèves sont boursiers - et internationale - environ 50 % de nos étudiants viennent de l'étranger, et ce mouvement concerne massivement nos enseignants-chercheurs.
Je souhaite pour Sciences Po une trajectoire ambitieuse, conquérante. Les fondations que je trouve sont extrêmement solides, puissantes, reconnues. Nous sommes riches de 450 partenariats avec les plus grandes universités mondiales, mais notre école doit « tenir les deux bouts », notamment celui de son ancrage dans la réalité française. Nous avons ouvert dans plusieurs régions des campus qui accueillent les deux tiers de nos étudiants en bachelor. Nous formons 70 % à 90 % des élèves de l'Institut national du service public (INSP), un tiers des magistrats - dont cette année, pour la première fois, les quatre premiers reçus au concours de l'École nationale de la magistrature (ENM) -, la majorité des commissaires de police, des directeurs d'hôpitaux et un grand nombre des cadres dirigeants de notre pays. C'est une mission à laquelle nous sommes profondément attachés. Dans le même temps, notre institution fait rayonner la France à l'international. Depuis quelques années, nous sommes à la deuxième place au classement QS en « Science politique et relations internationales ».
Au titre de son rôle de formation des élites et de son rayonnement international, Sciences Po est une fierté française que j'aurai à coeur de faire prospérer dans les années à venir.
M. Stéphane Piednoir. - Félicitations pour votre élection. Nous nous réjouissons d'un retour à la stabilité de cette institution, à laquelle nous sommes très attachés. L'IEP rayonne en France et à l'international, forme de nombreux étudiants étrangers et recrute beaucoup d'enseignants hors de France. Nous sommes attentifs à votre projet. Le premier mot que vous avez choisi est l'excellence académique - nos analyses divergent sur l'excellence morale... Sciences Po jouit effectivement d'une réelle attractivité auprès des futurs bacheliers.
Néanmoins, on ne peut passer sous silence cette période de tumultes et les dérives qui ont été constatées à plusieurs reprises dans les mobilisations étudiantes. Sciences Po a mis en place une cellule d'enquête interne préalable pour améliorer le traitement de ces incidents, notamment sur le plan disciplinaire. Avez-vous pu en tirer un premier bilan ? Cela pourrait-il améliorer la bonne tenue de l'Institut ? D'autres évolutions des procédures disciplinaires sont-elles envisagées ?
Vous avez mis en place une réforme du concours d'entrée visant à tirer les conséquences de la réforme du baccalauréat, qui sème le trouble chez les recruteurs de l'enseignement supérieur en raison de la multitude d'options offertes aux élèves. Vous avez souhaité, me semble-t-il, consolider la place des épreuves orales dans ce concours d'entrée. Ce choix est-il l'axe principal de votre réforme du recrutement, sachant les critiques qui ont accompagné l'importance prise par les épreuves orales dans le cadre du baccalauréat ? Comment caractérisez-vous le profil des étudiants recrutés dans la procédure actuelle ? Quelle est la part des étudiants provenant de lycées bénéficiant d'une convention éducation prioritaire (CEP) ? Souhaitez-vous faire évoluer les modalités d'admission de ces derniers ?
M. Laurent Lafon, président. - Pour clore cette première série de questions, je laisse la parole aux deux rapporteurs de la mission d'information relative à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire.
M. Pierre-Antoine Levi. - Je vous félicite pour votre nomination, monsieur le directeur. Cette audition intervient dans un contexte sensible pour Sciences Po Paris. Les incidents antisémites survenus dans votre établissement - notamment l'occupation d'un amphithéâtre le 12 mars dernier et l'exclusion d'une étudiante membre de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) - soulèvent des questions fondamentales sur le climat au sein de votre institution. En tant que rapporteur d'une récente mission d'information sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, je suis très attentif à ces enjeux. J'ai noté votre volonté d'être intransigeant sur le sujet.
Les récents incidents antisémites semblent révélateurs d'un malaise plus profond au sein de Sciences Po. Comment analysez-vous cette situation ? Quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre afin de restaurer un climat plus serein, propice au débat d'idées ?
De nombreux étudiants expriment leur inquiétude quant à une possible dévalorisation de leur diplôme en raison de l'image renvoyée par certains événements médiatisés. Comment comptez-vous répondre à ces préoccupations légitimes et préserver l'excellence académique de Sciences Po ?
Concernant le pluralisme intellectuel, Sciences Po a toujours été un lieu de débat où différentes sensibilités pouvaient s'exprimer. Comment garantissez-vous aujourd'hui ce pluralisme, particulièrement sur des sujets sensibles comme le conflit israélo-palestinien, tout en prévenant les dérives antisémites ?
Au-delà des sanctions disciplinaires, quel dispositif préventif avez-vous mis en place pour lutter contre l'antisémitisme ? Comment accompagnez-vous les étudiants victimes de tels actes ?
Sciences Po a pour mission de former des citoyens éclairés. Dans le contexte actuel, comment adaptez-vous les enseignements afin de sensibiliser les étudiants aux valeurs républicaines et au respect de la diversité ?
M. Bernard Fialaire. - Reconnue au niveau international, votre institution est davantage exposée que d'autres. Lors de la mission d'information, nous avions mesuré les dégâts produits par les dérives antisémites constatées à Sciences Po Paris. Nous nous sommes interrogés sur le repérage de ces dérives et sur la manière dont les étudiants qui en sont victimes peuvent les faire remonter. Dans le cadre de cette mission d'information, il a été également question d'un antisémitisme d'atmosphère, avec des étudiants stigmatisés en raison de leur nom ou de leurs origines présumées. Quelles sont vos propositions pour lutter contre ce climat ?
Les valeurs républicaines ne semblent plus faire rêver. Avez-vous en tête des projets pour promouvoir ces valeurs qui, appartenant à notre culture, ont un rayonnement international ?
M. Luis Vassy. - Les incidents évoqués se sont déroulés avant mon arrivée à la tête de Sciences Po. Depuis, les retours des étudiants font état d'un apaisement sensible de l'ambiance. Nous avons des contacts avec les étudiants de l'union des étudiants juifs de France (UEJF) comme avec tous les étudiants de Sciences Po. Par ailleurs, j'ai reçu récemment les 4 500 chargés d'enseignement, qui sont des personnes de la vie civile venant enseigner à Sciences Po et, à ce titre, contribuent à briser la bulle dans laquelle certaines institutions peuvent s'enfermer ; ceux-ci m'ont également fait part d'un apaisement généralisé dans l'établissement.
Il ne s'agit pas de nier les difficultés, mais de les analyser avec froideur et objectivité. Rançon du succès, notre institution, porteuse d'une forte charge émotionnelle, symbolique et politique, s'avère très scrutée par les médias. Certains campus universitaires peuvent être occupés pendant des semaines sans que personne dans ce pays ne réagisse, et il suffit d'un slogan, certes inadmissible, pour faire la une de la presse nationale. Cette attention, d'une certaine façon, nous oblige.
Je souhaite revenir sur la question complexe du pouvoir disciplinaire qui, comme dans tout établissement d'enseignement supérieur, est encadré par l'article L. 811-5 du code de l'éducation, pour rappeler deux éléments importants. Tout d'abord, le président d'une université ou le directeur d'un établissement ne dispose pas d'un pouvoir disciplinaire, c'est-à-dire qu'il n'a pas le pouvoir de sanctionner ou d'exclure ; il peut uniquement saisir la section disciplinaire, qui est constituée de manière paritaire. Ensuite, le temps des procédures disciplinaires est long. De l'extérieur, on observe donc un décalage entre l'établissement des faits et la réponse disciplinaire apportée, qui peut prendre plusieurs mois.
Concernant les incidents du 12 mars dernier, trois décisions disciplinaires ont été rendues. L'une d'elles m'a semblé trop faible et j'ai fait appel, auprès de la justice administrative, de la décision rendue par la section disciplinaire de mon propre établissement ; j'ai décidé cela sans ciller, dans la mesure où j'estime avoir raison sur le fond.
Pour les cas relevant d'activités violentes, j'ai utilisé les pouvoirs liés à la prévention des risques d'ordre public au sein de l'établissement. Cela m'a conduit à prendre quatre mesures conservatoires interdisant l'accès au campus à certains étudiants. Après avoir entendu les étudiants en question, qui m'ont garanti de respecter le règlement de la vie étudiante, j'ai ensuite levé ces mesures.
Sur le même fondement d'ordre public, j'ai décidé de m'opposer à la conférence prévue par l'association Students for Justice in Palestine (SJP), avec Mme Rima Hassan ; le Conseil d'État a décidé de suivre notre raisonnement.
Quelques jours après mon arrivée, sur la base du travail effectué par l'administrateur provisoire M. Jean Bassères, nous avons adopté des modifications du règlement intérieur de l'établissement, afin notamment de clarifier un certain nombre de questions liées à l'action politique ou militante. La liberté d'expression reste pleinement garantie, mais certaines modalités d'action débouchaient sur une occupation massive des espaces, avec notamment des affichages envahissants qui venaient contredire le principe de pluralisme. Nous avons ainsi précisé que les affichages ne devaient pas concerner un seul sujet et qu'il n'était pas possible de s'imposer physiquement dans les locaux. Le fait que cela soit inscrit dans le règlement de la vie étudiante nous permet d'instaurer un dialogue sur des questions très opérationnelles.
Avant toute chose, Sciences Po est un établissement d'excellents élèves et de citoyens actifs. Nous accueillons 93 % de mentions très bien et 42 % d'élèves français ayant eu les félicitations du jury au baccalauréat. Les quelques débordements inadmissibles ne concernent pas la masse de la communauté étudiante.
Je constate un malentendu dans la presse sur la réforme de la procédure d'admission. Je n'ai pas accru l'importance de l'oral ; j'ai maintenu la décision de passer à 50 % le coefficient de l'oral, une fois celui-ci atteint. Auparavant, l'oral ne pesait que 25 % par rapport au reste des notes.
La première évolution de la procédure, votée hier sur ma proposition lors du conseil d'administration de l'Institut, n'est qu'une étape transitoire ; elle concerne deux aspects problématiques. Tout d'abord, les écrits du baccalauréat ayant été déplacés en juin, cela complique la lecture des dossiers en mars ; ceux-ci contiennent surtout des notes de contrôle continu, dont on connaît la tendance à l'inflation, et il est donc devenu difficile d'opérer des distinctions entre les dossiers. Ensuite, nous avons constaté que les lettres de motivation et essais personnels, qui pèsent pour un tiers dans l'évaluation de la première étape, étaient bien souvent écrits par les familles, les proches, des préparations privées ou même, désormais, ChatGPT.
Aussi avons-nous décidé, pour cette première phase de sélection, de mettre l'accent sur les performances scolaires en accordant plus d'importance à l'épreuve écrite du baccalauréat de français, la seule qui soit notée de manière homogène sur le territoire national. Par ailleurs, nous continuerons de lire tous les bulletins des candidats, de manière à regarder les commentaires des enseignants qui, entre les lignes, caractérisent le niveau de performance.
Pour la deuxième étape de l'oral, nous jugerons davantage de la personnalité du candidat, de sa motivation, sa curiosité, son goût d'apprendre et son sens de l'effort.
La filière CEP, qui permet d'assurer un haut niveau de diversité sociale à Sciences Po, est maintenue. Entre 175 et 200 élèves accèdent à Sciences Po par ce biais. En 2021, il a été décidé de supprimer, dans les modalités de sélection, la voie particulière qui valait pour la filière CEP. La question se pose pour 2026 : faut-il un maintien dans la voie de sélection générale ou le retour au système antérieur de la voie particulière ? Celle-ci avait pour avantage, en associant les jurys qui participaient à la présélection des dossiers au niveau des lycées, de créer une adhésion au dispositif et une émulation positive entre les candidats. Désormais, les dossiers sont gérés par la plateforme Parcoursup, via des quotas différents.
Le débat d'idées est consubstantiel à Sciences Po. Sur la question particulière du conflit israélo-palestinien, nous ne manquons pas d'événements où s'exprime une diversité de points de vue. Nous avons lancé un cycle de douze conférences sur le conflit au Proche-Orient, avec des intervenants de haut niveau représentatifs de la diversité des approches sur le sujet. Je peux citer, notamment, les conférences de MM. Denis Charbit, Samy Cohen ou Alain Dieckhoff.
Nous sommes, quels que soient les sujets, les garants du pluralisme. Nos intervenants représentent la diversité politique du pays. Je note, par exemple, l'intervention récente de M. Castex afin d'évoquer la mobilité à l'École urbaine.
Les valeurs républicaines sont centrales dans notre vision du monde. Sciences Po n'est pas une institution hors sol, elle est ancrée dans les territoires, à Paris et en région. Ces valeurs, abordées sous l'angle académique dans nos écoles, peuvent être mieux comprises à la fois en France et en dehors de nos frontières, dans la mesure où nous accueillons un nombre important d'étudiants, d'enseignants et de chercheurs étrangers.
Dans le contrat d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) adopté à une large majorité en conseil d'administration de l'Institut, un paragraphe évoque la question des valeurs républicaines ainsi que la lutte contre l'antisémitisme et toutes les formes de discrimination.
M. Adel Ziane. - Dans les années 2000, votre institution s'est ouverte au monde tout en affirmant son ambition d'excellence académique. Aujourd'hui, l'établissement doit continuer de former des générations capables d'analyser et de décrypter les enjeux d'un monde en pleine mutation. Je partage vos propos sur les rôles et les missions de Sciences Po, ainsi que ses origines, sa matrice intellectuelle qui a su évoluer. Vous avez pour ambition, aujourd'hui encore, de revisiter ce schéma intellectuel et de repenser le fonctionnement.
Je souhaite élargir mon propos à la situation des universités. En tant que partie prenante de France Universités, vous échangez avec vos homologues. À cette aune, comment envisagez-vous votre projet pédagogique ? Il est loin le temps des quatre filières possibles ; désormais, l'offre est pléthorique à Sciences Po, et cela rend plus difficile la lisibilité des filières, le choix de l'orientation et le cadre de travail.
Dans une démocratie libérale, la défense de la liberté académique est une priorité absolue. Sciences Po est également un centre de recherche, qui repose sur des valeurs fondamentales : la diversité des opinions, le dialogue et le débat d'idées. Il s'agit de préserver cet héritage précieux, surtout dans le contexte actuel où les conflits se multiplient dans le monde.
Comme cela a été précisé dans le cadre du rapport sur la lutte contre l'antisémitisme et le racisme dans le monde universitaire, Sciences Po subit aujourd'hui de nombreuses pressions médiatiques, économiques et politiques ; je pense aux manifestations devant l'établissement lors du conflit israélo-palestinien, ainsi qu'à la visite controversée, le 13 mars dernier, du Premier ministre de l'époque, M. Attal. Comment garantissez-vous l'indépendance de votre institution face à ces pressions extérieures ?
Je souhaite également vous interroger sur le lien entre direction, enseignants et étudiants, sujet historiquement important à Sciences Po. Comment, après les relations tendues de ces derniers mois, comptez-vous créer un environnement propice à l'échange et à la réflexion collective ?
M. Pierre Ouzoulias. - Je souhaite vous interroger sur le rapport concernant les libertés académiques, que France Universités avait confié à Sciences Po. La lettre de mission date de février 2023, avec une remise du rapport prévue en décembre 2023. À l'époque, M. Vicherat était le président du groupe de travail, et je comprends que son départ ait pu ralentir la remise du rapport. Ce dernier est-il toujours d'actualité ?
Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche jusqu'en septembre 2024, Mme Sylvie Retailleau avait appuyé la démarche, en considérant que ce rapport pouvait constituer un préalable à une réflexion d'ampleur sur les façons de changer la législation, voire d'introduire dans la Constitution, comme c'est le cas dans d'autres pays européens, des normes plus sévères permettant de protéger les libertés académiques. Quelles différences établissez-vous entre, d'une part, la liberté académique et, d'autre part, la liberté d'expression des étudiants ?
Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, la réforme du baccalauréat. Je note que le dossier Parcoursup ne comptera plus que pour 50 % dans l'évaluation globale. Sachant la manière dont a été menée cette réforme du baccalauréat, sans tenir compte du continuum entre l'avant et l'après-baccalauréat, de nombreux établissements organisent leur propre concours d'entrée ; à terme, Parcoursup pourrait devenir une étape facultative dans le recrutement, et ne concerner que les seules universités n'ayant pas, comme vous, les moyens d'organiser des concours d'entrée. J'observe un alignement des conditions de recrutement dans l'enseignement supérieur en France sur celles des pays anglo-saxons. Cela est-il compatible avec une vision républicaine de l'enseignement supérieur ?
Mme Laure Darcos. - Depuis plusieurs années, Sciences Po a développé de nombreux partenariats avec des entreprises privées ; certaines, parmi elles, pourraient remettre en cause leur financement. J'ai entendu également que des collectivités, comme la région notamment, voulaient se désengager en raison du climat d'instabilité à la tête de l'institution. Comment comptez-vous redonner confiance à ces acteurs, afin qu'ils continuent de contribuer au financement de l'établissement ?
M. Jacques Grosperrin. - Ma première question porte sur l'articulation avec la plateforme Parcoursup. La question de la justice sociale doit être au centre de nos préoccupations. Vous avez évoqué les aménagements effectués après la réforme du baccalauréat. Que comptez-vous faire avec Parcoursup ?
Par ailleurs, quid du campus de Dijon ? Celui-ci, financé dans le cadre du plan France 2030, doit normalement s'installer sur le site de l'ancien siège du centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous).
Enfin, au sujet de l'investissement de Sciences Po Paris, quel est l'avenir du programme d'études intégrées (PEI) ?
M. Aymeric Durox. - Je souhaite vous interroger sur la baisse de niveau général des élèves, que l'on retrouve également à Sciences Po. Cette baisse, en effet, a des conséquences sur le recrutement et la réputation de votre école. Au-delà des causes conjoncturelles, liées notamment aux événements de cette année, certaines sont davantage structurelles. Concernant le recrutement, je note que vous souhaitez revenir sur cette hérésie des exercices rédactionnels très peu méritocratiques. Ces exercices ont eu pour conséquence de discriminer certains profils avec des orientations idéologiques différentes de celles, très politiquement correctes, que l'on retrouve à Sciences Po Paris ; je pense, par exemple, aux élèves venant du lycée Stanislas, lequel compte seulement deux admis cette année.
Je souhaite citer un témoignage extrait d'un article de Décideurs Magazine datant du 12 novembre dernier, qui résume bien, je crois, la position de nombreux recruteurs du secteur privé : « Traditionnellement, Sciences Po c'était la certitude d'avoir des très bons. Aujourd'hui, ce n'est plus un gage de qualité. Évidemment, je ne vais pas exclure un jeune issu de cet établissement, mais j'examine son dossier avec beaucoup de réserves. » Comment comptez-vous rétablir le niveau et la réputation d'excellence de cet établissement, afin que celui-ci continue de former une élite républicaine au service de l'intérêt général ?
Mme Sonia de La Provôté. - Pour compléter, je souhaite aborder quatre sujets.
Le premier concerne les lycées partenaires du dispositif éducation prioritaire de Sciences Po. D'après ce que je sais, les CEP ne couvrent pas toutes les académies et, donc, pas tous les territoires. Sur quels critères de sélection reposent ces conventions ? Lancez-vous régulièrement des appels à candidatures pour renouveler la liste des lycées conventionnés ?
Le deuxième sujet tient à l'origine territoriale des étudiants. Pour nous, la diversité doit aussi être territoriale : le recrutement est-il équitablement réparti sur le territoire ou existe-t-il une très forte majorité d'étudiants issus de Paris et de la région parisienne ?
Le troisième a trait à l'« esprit de caste » qui régnerait dans votre établissement. En effet, Sciences Po forme les futures élites, et ce dans tous les domaines, de la santé à la justice, en passant bien évidemment par la politique, ce qui l'expose à un certain nombre de critiques et de caricatures. Que faites-vous pour prévenir cette réputation ? Comment combattre cette idée, relayée parfois jusque dans les médias, que ce sont toujours les mêmes qui occupent les postes les plus importants dans notre pays ?
Le quatrième et dernier sujet est celui de la baisse générale du niveau des étudiants. Vers quels critères entendez-vous faire évoluer le recrutement ? Je pense notamment à ces nouveaux critères qualitatifs que sont la maîtrise du numérique ou la capacité à se forger un esprit critique, par contraste avec l'omniprésence du prêt-à-penser, notamment sur les réseaux sociaux.
M. Max Brisson. - Monsieur le directeur, à mon tour, je vous félicite de votre élection. Je tiens à saluer la clarté de vos réponses aux questions très précises de nos collègues Stéphane Piednoir, Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire. Ces propos tranchent avec les réponses beaucoup plus évasives que nous avons pu entendre par le passé, ainsi qu'avec votre introduction. Celle-ci - je le dis avec le sourire - m'a fait un peu penser à la présentation d'une plaquette publicitaire, une présentation somme toute éloignée des difficultés que l'on a observées à Sciences Po, mais sur lesquelles, je le reconnais, vous avez su vous expliquer dans un second temps.
Ma première question a trait à vos attentes vis-à-vis du législateur. Vous l'avez interpellé tout à l'heure lorsque vous avez évoqué les pouvoirs dont vous disposez pour mettre fin à un certain nombre d'incidents. Pourriez-vous préciser vos attentes à ce sujet, notamment pour combler le décalage entre les actes, lorsqu'ils sont incriminés, et les sanctions, lorsqu'elles tombent ? Autrement dit, de votre point de vue, le législateur doit-il agir ?
Ma deuxième question porte sur le contrôle continu dans les lycées. Vos propos à ce sujet m'inquiètent quelque peu. Curieux pays qui serait incapable de tisser un lien de confiance entre ses établissements d'enseignement supérieur les plus prestigieux et ses lycéens. Est-ce en s'isolant, en sortant de Parcoursup et du droit commun que Sciences Po espère trouver des solutions stables et durables ?
La grande erreur de la réforme Vidal a été de mettre la charrue avant les boeufs, en dissociant la réforme du lycée et la transformation d'APB, l'ancien système d'admission post-bac, en Parcoursup - qui était certes nécessaire. Il est insupportable d'entendre certains directeurs d'établissements dire qu'ils cherchent à « retomber sur leurs pattes » et à contourner Parcoursup, alors que le vrai sujet est ailleurs : il importe avant tout de repenser le continuum bac-3/bac+3 et l'orientation de nos lycéens dans l'enseignement supérieur, y compris d'élite.
Tout à l'heure, vous avez été interpellé sur la liberté académique. Vous avez parfaitement rappelé le pacte qui s'est noué entre la Nation et Sciences Po. L'heure est venue de renouveler ce pacte, ce qui ne peut pas passer par un isolement de l'institut. Il faut, au contraire, que vous garantissiez un véritable dialogue entre votre école et le pays.
M. Jean Hingray. - Pourriez-vous faire un point précis sur l'état des finances de l'établissement pour 2024 et 2025 ?
Un tiers des ressources de l'école proviennent des frais de scolarité, mais une large part est tirée des partenariats que vous avez développés avec différentes institutions et collectivités, ainsi qu'avec de grandes familles ou entreprises. Je pense plus particulièrement à LVMH, qui a décidé de ne plus associer son nom à la soirée de gala de l'école à la suite des incidents de l'année dernière. Je pense aussi à la fondation McCourt, qui tient une place importante à Sciences Po, notamment dans le domaine de l'entrepreneuriat. Que pourriez-vous nous dire de l'état de vos relations avec M. McCourt, ainsi qu'avec vos grands partenaires institutionnels, lesquels ont été particulièrement choqués des incidents ayant eu lieu l'an passé et ont dit très ouvertement qu'ils cesseraient de financer votre établissement ?
Comme l'a dit mon collègue Max Brisson, vous nous tenez un discours rassurant, ce qui est louable. Nous n'avons pas toujours été tendres avec Sciences Po, mais nous estimons que, face au « bazar », pour ne pas dire plus, ayant prévalu récemment dans les amphithéâtres de l'école, il faut des réponses fermes.
Mme Mathilde Ollivier. - Permettez-moi, à mon tour, de vous féliciter pour votre élection à la tête de Sciences Po.
Je souhaite revenir sur le troisième point de votre intervention, à savoir l'ouverture de Sciences Po, à la fois, sous l'angle de la mixité sociale et à l'international. Un certain nombre de jeunes élèves et d'étudiants que je rencontre en France et un peu partout dans le monde considèrent Sciences Po comme l'une des options possibles. Selon vous, quelle stratégie faudrait-il adopter pour attirer ou continuer d'attirer les meilleurs étudiants internationaux ?
Par ailleurs, vous avez évoqué la place plus importante que vous entendez donner aux épreuves orales : comment lutter contre les biais qui perdurent lors de ces épreuves des concours d'entrée dans les établissements d'enseignement supérieur ? Quels mécanismes envisagez-vous de mettre en oeuvre pour assurer une égalité de traitement dans la procédure de sélection de vos étudiants ?
M. Luis Vassy. - Si j'ai concentré mon intervention liminaire sur la trajectoire intellectuelle et académique des étudiants de Sciences Po, c'était, je le précise, parce que je pressentais que vos questions porteraient sur d'autres sujets...
Je le redis, j'ai la conviction que l'apaisement interne comme le rétablissement de l'image de l'établissement vis-à-vis de l'extérieur reposeront sur la pertinence de ce que proposera Sciences Po dans les domaines de la recherche et de l'enseignement, ainsi que de sa capacité à répondre aux défis que nos étudiants - qui sont, je le répète, parmi les meilleurs élèves de France - auront à affronter. C'est du reste l'une des raisons pour lesquelles Sciences Po a l'ambition de créer une école du climat, de développer son expertise sur les conflictualités internationales, de proposer des clés de compréhension de l'intelligence artificielle, de l'Europe et des ruptures que subissent nos régimes démocratiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demanderai de faire preuve d'un peu de mansuétude à notre égard, tant il est vrai que nous sommes confrontés, en tant qu'institution, à des attentes très divergentes : au cours d'une même session, je peux ainsi être accusé à la fois d'avoir renoncé à l'élitisme et d'être excessivement élitiste... C'est la raison pour laquelle, à titre personnel, je m'astreins à ne pas employer le terme « élitisme » et que je lui préfère celui d'« excellence », qui me semble être plus positif.
Je commencerai par répondre aux questions sur la liberté académique. L'établissement que je dirige est confronté à la problématique de son positionnement sur les questions politiques. J'ai fait publiquement part de mon point de vue sur le sujet : selon moi, nous ne devons pas nous positionner, en tant qu'institution, sur des sujets de nature politique ; cela ferait descendre l'institution dans une arène qui n'a pas à être la sienne. Cela n'entrave évidemment en rien la liberté d'expression des étudiants et des enseignants. Je note à cet égard qu'Émile Boutmy, fondateur de l'école, était un dreyfusard extrêmement actif, mais n'a jamais fait prendre à Sciences Po une position en soutien du capitaine Dreyfus.
Un rapport récent, commandé en interne, a conclu que, si l'institution se positionnait politiquement, elle pourrait porter préjudice à la liberté d'expression ou de conscience de ceux qui n'adhéreraient pas à cette position, ce qui plaide, là encore, pour que nous nous soumettions à une réserve stricte.
La liberté académique est souvent confondue avec la liberté d'expression, alors qu'il s'agit de deux choses différentes. La liberté d'expression est garantie aux enseignants, aux chercheurs et aux étudiants. La liberté académique dont dispose le personnel universitaire est, quant à elle, assez strictement encadrée dans le code de l'éducation, puisque son principe doit s'articuler avec les critères de mémoire, de tolérance et d'objectivité, qui sont propres à la science. C'est là un sujet fondamental pour une université de sciences humaines et sociales comme Sciences Po - j'observerai d'ailleurs que, dans le projet écrit que j'ai soumis au conseil de l'Institut et au conseil d'administration de la FNSP, la question du lien entre démocratie, d'une part, et sciences humaines et sociales, de l'autre, est très présente.
S'agissant du rapport sur les moyens de renforcer et de défendre la liberté académique, il me revient, en tant que tout nouveau directeur de Sciences Po, de prendre la relève de mon prédécesseur, Mathias Vicherat. Je dois m'entretenir prochainement de ce sujet avec Stéphanie Balme, directrice de notre Centre de recherches internationales (CERI), qui est chargée de m'appuyer dans cette réflexion.
Plusieurs d'entre vous ont abordé une question qui n'est pas sans rapport avec celle de l'indépendance, de l'autonomie et de la liberté de l'établissement : la question des ressources.
Présenté à grands traits, le financement de l'école repose pour environ 40 % sur les frais de scolarité versés par les étudiants, pour près d'un tiers sur des subventions publiques et pour le reste sur des ressources privées ou des partenariats - il peut s'agir d'apports financiers, mais aussi d'appels à projets que Sciences Po remporte régulièrement.
Là encore, ma position est claire : l'autonomie de l'établissement est évidemment fondamentale si l'on veut en préserver l'intégrité. Pour autant, autonomie ne signifie pas isolement : nous souhaitons travailler avec des partenaires extérieurs, qu'ils soient publics ou privés, et nous continuerons à le faire, mais évidemment sans jamais que l'un de ces partenaires puisse intervenir sur le fond de nos travaux de recherche ou des enseignements. De mon point de vue, c'est plutôt la multiplication des partenariats qui garantira notre autonomie que le splendide isolement de l'institution. Comme cela a été dit, nous avons en effet intérêt à être fortement enracinés dans les réalités du pays et du monde.
À cet égard, j'évoquerai les deux cas particuliers qui ont été cités. S'agissant de la fondation McCourt, la décision de mettre un terme au partenariat avait été prise avant mon arrivée. Cette fin de partenariat se déroule dans de très bonnes conditions, puisque nous maintenons le financement de l'ensemble des actions engagées. Pour ce qui est de LVMH, et plus largement des importants partenaires privés qui ont cessé de financer Sciences Po, ceux-ci reviennent sur leurs décisions au vu, notamment, du projet que je viens de vous présenter. À titre d'exemple, le principal soutien financier privé de notre institution vient de renouveler sa contribution au titre de l'année 2024 après en avoir suspendu le versement pendant plusieurs mois. Nous sommes donc en train de renouer un lien de confiance avec nos partenaires extérieurs.
De nombreuses questions ont été posées sur la procédure d'entrée à Sciences Po et sur Parcoursup. Permettez-moi, là encore, de souligner le paradoxe consistant à être l'institut d'études politiques le plus demandé et à être le seul d'entre tous pour lequel l'inscription dépend quasiment exclusivement de Parcoursup. J'observe que personne ne reproche aux autres IEP en région d'avoir maintenu leur concours d'entrée traditionnel et des modalités de recrutement à l'ancienne. Cela témoigne probablement de l'attention très spécifique qui est portée à la moindre modification du règlement d'admission de Sciences Po. En tous les cas, cette situation nous oblige.
Sur le plan pratique, j'entends, encore une fois, lever un malentendu : il est inexact de dire que le poids de l'oral dans la procédure d'admission augmente. En effet, il faut, pour pouvoir se présenter à l'oral, franchir une première étape, exclusivement écrite, qui est celle qui pèse le plus lourd dans la sélection - le nombre de dossiers passe de 8 000 à moins de 2 000 avant les oraux. L'essentiel du recrutement se fait donc au cours de cette première phase, qui est celle, je le précise, où nous sommes confrontés à une forte homogénéité des dossiers, une situation particulièrement délicate à gérer.
Dans cet esprit, je salue la décision - j'espère qu'elle sera mise en oeuvre - d'instaurer des épreuves de mathématiques anticipées : plus nous disposerons d'éléments objectifs à l'échelon national, nous permettant de sortir de la contrainte que fait peser sur nous le contrôle continu, plus nous serons en mesure d'analyser les dossiers de manière objective. Si ma parole a le moindre poids, j'y insiste, je soutiens très fortement cette décision et, de manière générale, je suis favorable à toute mesure visant à ce que nous disposions de données objectives sur les performances des élèves, et ce le plus tôt possible.
Le calendrier de Parcoursup - instrument sur lequel je n'entends pas porter de jugement négatif - nous pose un autre défi, qu'il me semble important de porter à votre attention. Cet agenda est très tardif compte tenu de la spécificité de Sciences Po et de son inscription dans la compétition internationale : certains étudiants, qui pourraient être intéressés par notre cursus, candidatent aussi auprès d'universités étrangères , or, souvent, ils reçoivent une réponse de la part de ces établissements dès les mois de janvier ou février, soit bien avant une potentielle réponse de Parcoursup pour une demande d'admission à Sciences Po... La concurrence est donc en partie faussée, et nous risquons de voir partir de nombreux étudiants à l'étranger. De ce point de vue, le défi à relever est crucial pour une institution comme la nôtre, qui cherche à attirer les meilleurs étudiants de par le monde. Hélas ! je n'ai pas de solution à apporter.
S'agissant de l'origine de nos étudiants, notre population étudiante est extrêmement diverse, comme en témoigne parfaitement le programme des CEP. Ce dispositif, je peux vous l'assurer, est présent dans toutes les académies de France, y compris en outre-mer. D'ailleurs, la présélection des dossiers de l'académie de Nouvelle-Calédonie a eu lieu voilà quelques jours. Nous sommes aussi présents dans la ruralité : aujourd'hui, 200 lycées sont conventionnés, un chiffre en constante hausse ces dernières années. Bien évidemment, nous ne conventionnons que des établissements volontaires et sélectionnons les dossiers de candidature selon des critères objectifs, liés à l'indice de positionnement social des élèves.
Pour renforcer la diversité de nos étudiants, nous avons également développé un partenariat avec l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) - un volet auquel je suis particulièrement sensible en tant qu'ancien diplomate. À cet égard, j'attire votre attention sur un autre effet pervers de Parcoursup : les lycéens des lycées français à l'étranger sont désormais évalués en fonction de la nationalité du baccalauréat qu'ils obtiennent, non plus selon leur nationalité. Leurs dossiers sont donc noyés dans la voie générale, ce qui a malheureusement entraîné une baisse - de 120 à 80 - des effectifs à Sciences Po. Cette situation pose un problème de principe, me semble-t-il, puisqu'un étudiant étranger ayant obtenu un baccalauréat étranger dans un pays donné pourra, lui, candidater via la voie internationale, et que cela ne sera pas le cas pour un étudiant étranger du même pays ayant étudié dans un lycée français - ce dernier sera, qui plus est, en concurrence avec des étudiants français qui, par définition, sont plus avantagés. Là encore, je n'ai pas de solution à apporter, mais il me semblait important de vous le signaler.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué le niveau des élèves. On ne peut pas dire, objectivement, que ce niveau chute. D'après notre dernière enquête, 98 % de nos étudiants trouvent un emploi dans les six mois qui suivent l'obtention de leur diplôme, avec des niveaux de rémunération extrêmement satisfaisants. Les grands cabinets d'avocats recrutent à Sciences Po et, si les quatre premiers au classement du concours de l'ENM sont issus de notre établissement, c'est probablement parce que nos élèves ont des qualités académiques et intellectuelles qui leur permettent d'être performants dans des concours particulièrement sélectifs.
Je suis également interrogé sur les qualités que nous souhaitons promouvoir chez nos étudiants. Je suis tout acquis à l'idée qu'il est dans l'intérêt de tout étudiant de faire preuve d'esprit critique. Néanmoins, je défendrai l'idée que, pour développer un esprit critique, il faut déjà avoir acquis beaucoup de connaissances ; ce sont elles qui permettent ensuite d'avoir une approche critique des sujets. C'est dans cette perspective que nous travaillons actuellement à la réforme du bachelor de Sciences Po, lequel s'oriente vers un fort accroissement des savoirs fondamentaux, avec un degré d'excellence et d'exigence élevé. L'idée est de parvenir, en début de parcours, à combler les écarts d'hétérogénéité constatés entre certains étudiants, notamment en langue vivante.
La question concernant le campus de Dijon me donne l'occasion d'insister sur l'attachement qui est le nôtre à l'égard de notre réseau de campus en région. Nous bénéficions d'un soutien important des collectivités locales, qui s'élève, pour 2025, à 4 millions d'euros. Pour Dijon, nous visons l'installation du nouveau campus en 2028. Le bouclage financier du projet est relativement avancé.
Concernant un supposé isolement de Sciences Po vis-à-vis de la Nation, j'espère vous avoir persuadés que nous nous inscrivons pleinement dans la société française, sa diversité, son économie et son actualité.
Enfin, sur le pouvoir disciplinaire dont ne sont dotés ni le directeur de Sciences Po que je suis, ni les présidents d'université, je n'ai pas appelé à une intervention du législateur. J'ai simplement noté que ce pouvoir était, de fait, limité et je demande humblement à pouvoir être jugé sur les actes que je suis en droit de prendre. S'il y a lieu de modifier les équilibres existants, il ne m'appartient pas d'en décider. Ce serait le résultat d'un dialogue entre le Gouvernement et le législateur. Pour ma part, j'utilise les prérogatives qui sont les miennes.
M. Laurent Lafon, président. - Auriez-vous des précisions chiffrées à apporter sur l'origine territoriale des étudiants de Sciences Po ?
M. Luis Vassy. - Nous pourrons vous transmettre des chiffres précis par écrit. Je n'en dispose pas à l'instant où je vous parle.
La population étudiante de Sciences Po est, me semble-t-il, un parfait témoignage de la diversité de la société française. Nos principaux critères de sélection sont le mérite et le talent individuel. Je me permets de signaler que, Sciences Po étant située en Île-de-France, il est assez naturel qu'il y ait davantage de candidats franciliens que d'élèves provenant d'autres régions. Nous disposons tout de même de cet immense avantage d'être présents physiquement un peu partout en France, au travers des campus de Poitiers, du Havre, de Reims, de Nancy, de Dijon et de Menton. Nous faisons ainsi en sorte d'aller vers le reste du pays.
M. Laurent Lafon. - Merci de cette présentation très complète, monsieur le directeur. Nous suivrons avec beaucoup d'attention votre action à la tête de Sciences Po, ainsi que l'évolution de votre établissement.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 05.