- Mercredi 4 décembre 2024
- Communication
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Régimes sociaux et de retraite » et compte d'affectation spéciale « Pensions » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Cohésion des territoires - Programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » - Examen du rapport pour avis
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à prolonger la dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire - Examen du rapport et du texte de la commission
Mercredi 4 décembre 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Communication
M. Philippe Mouiller, président. - En préambule, je souhaite dire un mot sur la motion de censure examinée cet après-midi par l'Assemblée nationale. Dans le cas où elle serait adoptée, il appartiendrait au nouveau gouvernement soit de déposer un nouveau projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), soit de modifier l'actuel PLFSS - dans ce dernier cas, nos travaux resteraient d'actualité. Il en sera de même pour la proposition de loi (PPL) visant à prolonger la dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire que nous allons examiner ce matin.
La semaine prochaine, nous entendrons la Cour des comptes sur la réforme des études de médecine. Cette audition sera maintenue en tout état de cause. Pour le reste, en fonction de l'actualité, nous adapterons l'ordre du jour de nos travaux. Les missions en cours se poursuivent et, si nos travaux législatifs devaient s'alléger d'ici à la fin de l'année, ce serait l'occasion de lancer rapidement de nouvelles missions de contrôle.
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Régimes sociaux et de retraite » et compte d'affectation spéciale « Pensions » - Examen du rapport pour avis
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons trois rapports pour avis dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
Nous commençons par l'examen du rapport de Mme Gruny sur la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » du PLF pour 2025.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ». - Dans le cadre de ce PLF pour 2025, il me revient de présenter le rapport sur la mission « Régimes sociaux et de retraite » et le CAS « Pensions ». Les dépenses de ces programmes servent à équilibrer des régimes de retraite déficitaires en raison d'un ratio démographique défavorable, de surcroît accentué par la fermeture de plusieurs d'entre eux.
L'évolution des crédits budgétaires dévolus dépend, d'une part, de l'évolution démographique - soit du nombre de départs en retraite et de décès - et, d'autre part, de la revalorisation annuelle des pensions sur l'inflation, qui influe sur le montant des pensions. Nous avons entièrement réécrit l'article 23 du PLFSS pour 2025, de sorte que les prévisions de dépenses, effectuées sur l'hypothèse d'une revalorisation des pensions au 1er juillet à un taux de 1,8 %, devront être révisées. La tendance baissière de l'inflation nous assure toutefois que la revalorisation des pensions sera nécessairement moindre qu'au 1er janvier 2024 ; pour rappel, celle-ci s'élevait à 5,3 %, ce qui explique la baisse de crédits de nombreux programmes.
Je présenterai d'abord les évolutions notables du financement de la mission « Régimes sociaux et de retraite », dont presque l'ensemble des régimes sont désormais fermés, à l'exception de celui des marins, de la Comédie-Française et de l'Opéra national de Paris. Au titre de l'année 2025, la mission bénéficie de 5,9 milliards d'euros de crédits, soit une augmentation de 3,5 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024.
Permettez-moi de m'attarder un instant sur les régimes de la SNCF et de la RATP, qui figurent dans le programme 198 et représentent 69 % des crédits de la mission. Si ces régimes sont fermés depuis le 1er janvier 2020 pour la SNCF et le 1er septembre 2023 pour la RATP, ils continuent de percevoir le versement des cotisations des agents affiliés avant la fermeture, et conservent la responsabilité du versement des pensions de ceux qui sont désormais retraités. Les nouveaux agents de la SNCF et de la RATP sont maintenant affiliés à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et à l'Agirc-Arrco, qui perçoivent leurs cotisations sans avoir à financer leurs pensions avant plusieurs décennies ; cela justifie que celles-ci reversent une compensation à ces régimes.
L'année 2025 sera marquée par l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien, qui relevait jusqu'à présent du monopole de la RATP. Les agents transférés dans des entreprises concurrentes pourront conserver le bénéfice de leur régime spécial. Il n'est donc pas certain que le montant des crédits alloués varie substantiellement dans les années à venir.
Jusqu'à l'année dernière, le financement de ces régimes était assuré par trois flux distincts : la compensation généralisée vieillesse ou compensation démographique, versée par des régimes de retraite excédentaires afin d'en équilibrer d'autres ; la compensation de la fermeture des régimes de la SCNF et de la RATP par l'Agirc-Arrco et la Cnav ; et une subvention d'équilibre versée par l'État.
L'article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2024 a réformé le financement de l'ensemble des régimes spéciaux mis en extinction, pour les intégrer progressivement au régime général. Désormais, ces trois flux sont remplacés par une subvention d'équilibre versée par la Cnav, qui reste elle-même bénéficiaire d'une contribution versée par l'Agirc-Arrco et d'une subvention d'équilibre versée par l'État.
Si je me félicite que la mission renseigne toujours le montant de la subvention versée par la Cnav - cela n'était pas acquis l'année dernière et ne le sera pas non plus à l'avenir -, je déplore le fait qu'il ne soit désormais plus possible de suivre la subvention d'équilibre versée par l'État à la Cnav, à savoir la part de financement issue de la solidarité nationale.
Enfin, les effets à court terme de la réforme des retraites de 2023 ne sont pas significatifs pour les régimes de transport terrestre, dont les affiliés partent à la retraite après l'âge d'ouverture légal. Ces effets devraient être plus marqués à mesure de la montée en charge de la réforme.
La mission mentionne également, dans le cadre de son programme 197, les subventions allouées par l'État au régime de retraite des marins ; l'État équilibre le régime à hauteur de 75 %. Ce dernier confère des avantages certains, qualifiés de « hors normes » par la Cour des comptes dans son rapport annuel de mai 2023 sur les LFSS, et entraînant des dépenses « disproportionnées ». Les cotisations, en effet, sont calculées selon un taux unique, sur la base des annuités validées, et ouvrent des droits à pension dès trois mois de cotisations. Plus de la moitié des pensions liquidées par l'Établissement national des invalides de la marine (Enim) le sont ainsi pour une durée médiane d'affiliation de trois ans et demi. Une réflexion sur le maintien de certains de ces avantages pourrait être menée dans le cadre de la convergence entre les régimes de retraite actuellement en cours.
Le programme 195 répertorie les crédits de divers régimes de retraite fermés, dont le nombre de pensionnés diminue progressivement jusqu'à leur extinction, comme le régime des mines et celui de la société d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (Seita). Depuis 2024, les régimes de la Comédie-Française et de l'Opéra national de Paris ont également été transférés dans ce programme, selon une logique de rassemblement des régimes spéciaux percevant des subventions d'équilibre. Leur financement est en hausse, en raison d'une dégradation du ratio démographique de la caisse de retraites des personnels de l'Opéra national de Paris. Par ailleurs, ils sont tous deux exclus de la réforme des retraites de 2023.
Le second volet de mon avis budgétaire concerne le CAS « Pensions ». Celui-ci retrace les opérations relatives aux pensions et aux avantages accessoires gérés par l'État. Ses recettes et ses charges sont respectivement en hausse de 3,5 % et 1,33 % par rapport à la LFI de 2024.
Dans le détail, 95 % des dépenses du CAS sont attribuées au programme 741, relatif aux régimes de retraite et d'invalidité des fonctionnaires de l'État. Or, le solde budgétaire annuel de ce programme est désormais déficitaire, et cette tendance doit s'aggraver à l'avenir. Selon les projections de la direction du budget, ce déficit s'élèvera à 1,107 milliard d'euros en 2025 ; 1,567 milliard d'euros en 2026 et 2,026 milliards d'euros en 2027. Cette évolution s'explique par la politique de réduction de la masse salariale de la fonction publique menée depuis plusieurs années, conjuguée à l'augmentation du nombre de retraités et à la hausse du montant moyen des pensions revalorisées sur l'inflation. Si les effets positifs de la réforme des retraites sont visibles et que le nombre de départs en retraite se contracte progressivement, cela n'est toutefois pas suffisant pour juguler l'augmentation des dépenses.
Or, le CAS « Pensions » est soumis par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) à une obligation d'équilibre, en vertu de laquelle son solde budgétaire cumulé doit être excédentaire en tout instant. Jusqu'en 2021, le CAS enregistrait des soldes annuels excédentaires, portés par la dynamique vertueuse d'une faible inflation, du relèvement des taux de contribution employeur de l'État, et de la montée en charge de la réforme des retraites de 2010.
Cette tendance s'est inversée depuis 2022, et le CAS enregistre désormais des soldes annuels déficitaires de plus en plus importants. Le déficit s'élevait à 500 millions d'euros en 2023, et s'est aggravé en 2024, à hauteur de 3,5 milliards d'euros, en raison de la forte revalorisation des pensions sur l'inflation. Les prévisions de 2024 projetaient un solde cumulé déficitaire dès 2025. Cela justifie l'augmentation de 4 points du taux de contribution employeur au titre des personnels civils dans le PLF pour 2025, qui s'élèvera ainsi à 78,28 %. Selon la direction du budget, la hausse d'un point de taux permet d'augmenter les recettes du CAS « Pensions » de 550 millions d'euros en 2025 - soit 2,022 milliards d'euros au total, et une hausse de 6,7 % par rapport à l'exécution de 2023.
Cette mesure, couplée à l'économie projetée d'une moindre revalorisation des pensions sur l'inflation, permettra ainsi de redresser provisoirement la trajectoire du solde cumulé du CAS, qui restera toutefois déficitaire à l'horizon 2027.
Nous ne pouvons nous satisfaire d'un tel sursis, d'autant que les prévisions de revalorisation sur l'inflation ne sont désormais plus d'actualité. Dans ce contexte, une refonte du mode de financement du CAS me semble nécessaire. Le relèvement du taux de contribution employeur de l'État, dont les documents budgétaires indiquent qu'il pourrait être réitéré à court terme, ne peut être le seul levier pour maintenir le solde cumulé du CAS « Pensions » à un niveau excédentaire.
À l'aune de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du CAS « Pensions ». Comme je l'ai déjà indiqué l'année dernière, nous ne pouvons faire obstacle au paiement des pensions des assurés des régimes spéciaux et des fonctionnaires. Je formule néanmoins des réserves relatives, d'une part, à la nécessaire actualisation des dépenses sur l'hypothèse de revalorisation des pensions finalement retenue et, d'autre part, à la fragilité de la situation du CAS « Pensions », au regard de son obligation de solde cumulé excédentaire. Si je me félicite que le périmètre de la mission reste inchangé et que le Parlement puisse toujours suivre les crédits d'équilibres alloués par la Cnav aux régimes fermés, je souhaite que la comptabilité soit plus transparente et qu'elle renseigne clairement le montant de la subvention d'équilibre versée par l'État à la Cnav.
Mme Monique Lubin. - Je partage la nécessité de transparence sur le montant de la subvention d'équilibre versée par la Cnav.
Nous nous abstiendrons sur le vote de cette mission. Nous partageons l'idée d'abonder les comptes pour verser les pensions mais, par cette abstention, nous montrons notre désaccord concernant la non-revalorisation des pensions au 1er janvier 2025.
Le CAS « Pensions » mérite des explications et un débat. L'État et les collectivités locales paient les salaires et les retraites des fonctionnaires. Ces sommes doivent être inscrites au budget. Si le CAS « Pensions » est déficitaire, l'État devra compenser.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - À l'origine, tous les retraités devaient bénéficier d'une revalorisation de leur pension ; finalement, après discussion, seules les petites retraites sont aujourd'hui concernées. Si la motion de censure devait être votée cet après-midi, toutes les retraites seraient revalorisées au 1er janvier 2025, ce qui serait une bonne nouvelle.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. - Madame Lubin, il serait intéressant d'avoir un débat sur le CAS « Pensions ». Le système, en effet, est très complexe.
M. Philippe Mouiller, président. - Je propose d'élargir le débat au fonctionnement du Fonds de réserve pour les retraites (FFR) et de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - Examen du rapport pour avis
M. Philippe Mouiller, président. - Nous en venons maintenant à l'examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
M. Laurent Burgoa, rapporteur pour avis. - Il m'appartient de vous présenter les crédits alloués à cette mission dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
Les crédits de paiement (CP) proposés pour la mission s'élèvent à 30,37 milliards d'euros, soit une hausse de 2,13 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024. Il s'agit d'une des rares missions qui, dans un contexte budgétaire contraint, sachant le risque qui pèse sur nos finances publiques, connaît une augmentation de ses moyens à la mesure de l'inflation.
Cette mission représente près de 5,86 % des crédits du budget général de l'État. Cela dénote un effort important, mais nécessaire, puisque les conséquences des crises sociales et économiques survenues continuent de peser sur nos concitoyens.
Rassemblant les crédits destinés à financer de nombreuses politiques publiques, visant à lutter contre la pauvreté, à défendre et inclure les personnes vulnérables et à renforcer l'égalité des droits, le périmètre de la mission évolue cette année. Dans un objectif de rationalisation, le programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales », doté de 1,35 milliard d'euros en LFI 2024, a fusionné avec le programme 155 « Soutien des ministères sociaux » de la mission « Travail et emploi ».
La mission s'avère ainsi, pour une large part, constituée de dépenses d'intervention ; à elles seules, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et la prime d'activité représentent plus de 81 % des crédits de la mission. Cette prépondérance des dépenses d'intervention se traduit également par un taux d'exécution des crédits de 101,73 % en 2023, autorisé par l'ouverture de crédits supplémentaires dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion (LFG).
Au sein du programme « Inclusion sociale et protection des personnes », doté de 14,26 milliards d'euros au total, les crédits inscrits au titre de la prime d'activité s'élèvent à 10,31 milliards d'euros, pour la première fois en baisse depuis la reprise économique après la crise sanitaire. L'effectif des bénéficiaires reste stable et atteint 4,57 millions de foyers en 2025 ; cela s'explique par un ralentissement de l'amélioration des conditions du marché du travail.
Dans ces conditions, et compte tenu de la revalorisation légale attendue au 1er avril, la baisse de crédits peut sembler paradoxale. Elle trouve son explication dans les premières avancées du chantier de la solidarité à la source. Lors de son audition devant notre commission, le ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes a confirmé la généralisation au premier trimestre 2025 du préremplissage, actuellement expérimenté dans cinq départements, des déclarations trimestrielles de ressources pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime d'activité. Ce préremplissage doit permettre de faciliter les démarches administratives et de réduire le taux de non-recours ; il aboutira également à une réduction du risque d'indus qui représentent encore près de 6 % des prestations versées.
Sur le plan de la protection juridique des majeurs, j'ai la satisfaction de vous annoncer que la hausse de 4,15 % des crédits intègre le bénéfice de l'amendement déposé par la commission des affaires sociales l'année dernière. Cela doit permettre de répondre à l'augmentation du nombre de mesures prononcées par les juges des contentieux de la protection, sous l'effet du vieillissement de la population.
Les crédits liés à la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) s'élèvent à 101,3 millions d'euros, en augmentation de 1 % par rapport à l'année dernière. Ces crédits concourent à la fois à la compensation aux départements des frais relatifs à la mise à l'abri et à l'évaluation de la minorité des MNA, ainsi qu'au financement d'une partie du coût des MNA confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE).
De l'audition des représentants des départements de France, il ressort ce que nous constatons tous sur nos territoires : la mise à contribution des départements dans le domaine social, et les compensations partielles des charges directes et indirectes de l'exercice ont fortement dégradé la situation de leurs finances. Cette situation appelle une réponse structurelle, qui dépasse le cadre de nos travaux mais ne saurait être ignorée.
Les crédits consacrés à l'aide alimentaire augmentent de 1,95 % et atteignent 147 millions d'euros. Cette hausse peut sembler limitée après les 20 % d'augmentation en 2024, mais elle traduit le ralentissement de l'inflation sur les denrées alimentaires, qui devrait atteindre 0,3 % selon l'Insee. Cette relative accalmie est bienvenue pour les banques alimentaires, rudement éprouvées durant les dernières années, même si celle-ci ne doit pas masquer la persistance de la précarité alimentaire en France, avec une augmentation du nombre d'étudiants et de retraités bénéficiaires de l'aide.
Une attention particulière doit également être portée aux territoires d'outre-mer. Les banques alimentaires ont indiqué que la problématique de la vie chère dans ces territoires rendait d'autant plus nécessaire leur action, en dépit des limites de leurs moyens. Je salue l'effort de celles-ci pour fiabiliser leurs procédures d'achats ; cela a permis de limiter le nombre de lots infructueux, qui ne permettent pas de mobiliser les fonds européens.
Enfin, le programme « Inclusion sociale » finance pour la première fois la mise en place du service public de la petite enfance (SPPE), créé par la loi pour le plein emploi. Lors de notre audition commune avec le rapporteur de la branche famille et la rapporteure de la loi pour le plein emploi, nous avons constaté que les nouvelles compétences obligatoires, dont sont dotées les communes de plus de 3 500 habitants, étaient le plus souvent déjà investies par les édiles. Une clarification par les services de l'État doit intervenir au sujet des intercommunalités exerçant ces compétences en l'absence de commune de plus de 3 500 habitants en leur sein.
Une problématique concerne l'ensemble des acteurs du secteur médico-social, qu'ils soient associatifs ou liés aux collectivités locales. Le 18 juin dernier, deux accords de la branche associative, sanitaire, sociale et médico-sociale (BASSMS) ont été signés par les partenaires sociaux, puis étendus à l'ensemble de la branche par la ministre du travail. Ces accords permettent à l'ensemble des salariés de la branche de bénéficier des mesures du Ségur, soit 238 euros bruts mensuels ; la mesure s'applique de manière rétroactive au 1er janvier 2024. Au niveau national, cela représente 600 millions d'euros supplémentaires à la charge de la sécurité sociale, de l'État et des départements pour la seule année 2024.
Tous les représentants du secteur associatif, ainsi que des départements, se sont félicités de cette avancée au profit du maintien du pouvoir d'achat de leurs salariés. Cependant, cette mesure n'a fait l'objet d'aucun abondement des dotations, et cette absence de compensation par l'État des revalorisations salariales, pourtant décidées par le Gouvernement, questionne tant sur la méthode que sur le principe. Une réflexion est à mener prochainement afin de pérenniser les acteurs de la solidarité dans nos territoires.
Au sein du programme « Handicap et dépendance », les dépenses en faveur de l'AAH connaissent cette année encore une forte augmentation, de 4,8 %, pour atteindre 15,9 milliards d'euros. Cette dynamique concerne particulièrement l'AAH 2, en faveur des personnes présentant une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi (RSDAE). Cette tendance naturelle est renforcée par la « déconjugalisation » de l'AAH, dans la mesure où l'exclusion des ressources du conjoint dans le calcul du montant se traduit par une dépense de 299 millions d'euros supplémentaires en 2025.
Plus récemment, des mesures d'ordre réglementaire ont été prises en faveur de l'harmonisation des modalités de calcul de l'AAH pour les travailleurs en situation de handicap en établissement et service d'aide par le travail (Ésat) ou en milieu ordinaire. Cette évolution, qui trouve sa traduction budgétaire en 2025, doit permettre de faciliter les transitions du milieu protégé vers le milieu ordinaire. Cependant, les associations auditionnées ont souligné que l'information auprès des personnes concernées n'était pas suffisante, et que l'absence d'un simulateur de ressources ne permettait pas aux personnes en situation de handicap d'anticiper les effets de leurs choix dans le monde du travail. Par ailleurs, l'harmonisation des modalités de calcul doit être renforcée, notamment concernant les différences subsistantes entre la caisse d'allocations familiales (CAF) et la Mutualité sociale agricole (MSA).
L'autre action du programme « Handicap et dépendance » permet le financement des Ésat via l'aide au poste, au titre de la garantie de ressources des travailleurs handicapés (GRTH). Les crédits consacrés s'établissent à hauteur de 1,59 milliard d'euros, en légère baisse de 0,93 %, par rapport à 2024.
Les Ésat ont connu un plan de transformation peu concluant, et ont vu au fil des années se succéder les mesures de rapprochement des droits sociaux de leurs travailleurs du droit des salariés en milieu ordinaire : garantie des droits collectifs fondamentaux ; prise en charge des frais de transports domicile-travail ; bénéfice des titres-restaurant, puis d'une complémentaire santé.
Plus récemment, un rapport d'inspection invite à la mise en place d'un statut de quasi-salarié. Nous ne pouvons que nous féliciter du renforcement des droits des travailleurs en situation de handicap, et de leur meilleure inclusion dans le collectif de travail. Cependant, ces avancées ne peuvent se réaliser au prix de la stabilité financière des établissements. La seule mise en place d'une complémentaire santé représente un coût annuel de 338 euros par travailleur, auquel s'ajoutent les 96 euros mensuels en cas de mise en place du scénario préconisé par le rapport. Ce dernier précise qu'une telle décision conduirait 55 % des Ésat à être en situation déficitaire à la fin de l'année 2025.
Il est temps de poser la question de la pérennité du modèle financier des Ésat ; je suis convaincu que les travaux des rapporteures de la mission d'évaluation de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, permettront de trouver des pistes en ce sens. D'ici là, je vous propose d'adopter un amendement visant à compenser le seul coût de la complémentaire santé pour les Ésat, soit 18 millions d'euros, afin de les soutenir dans l'attente d'une réforme structurelle de leur modèle de financement.
Enfin, les crédits du programme « Égalité entre les femmes et les hommes » s'élèvent à 85 millions d'euros, en hausse de 3,65 % par rapport à l'année dernière. Ce programme ne totalise cependant pas l'ensemble des dépenses en faveur des droits des femmes, disséminées entre plusieurs missions et retracées au sein du document de politique transversale « Politique de l'égalité entre les femmes et les hommes » ; dans ce document, il est précisé que près de 5,78 milliards d'euros de dépenses, au sein du budget général de l'État, y concourent.
Au sein de la mission, l'augmentation est principalement portée par le recours à l'aide universelle d'urgence pour les personnes victimes de violences conjugales (AVVC), créée sur l'initiative du Sénat. Les premiers retours font état de 26 000 bénéficiaires au 1er juillet 2024, dont plus de 99 % se sont vus proposer une aide non remboursable.
La réussite de la mise en oeuvre de cette aide tient en majeure partie au rôle d'accompagnement et d'information du secteur associatif. Espérons maintenant que les annonces faites au sujet du pack nouveau départ trouveront une traduction rapide sur le terrain, afin d'accompagner les victimes sur le chemin d'une reconstruction personnelle et d'une stabilité financière.
Les crédits de cette mission traduisent une ambition forte en faveur de l'inclusion sociale et de l'égalité. Ils sont le reflet d'un engagement politique au service des plus vulnérables. À l'issue de cet examen, j'émets un avis favorable aux crédits de la mission, et je propose l'adoption d'un amendement augmentant de 18 millions d'euros les crédits de l'action « Allocations et aides en faveur des personnes handicapées ».
Mme Raymonde Poncet Monge. - Le principe de la solidarité à la source a permis d'économiser 800 000 euros. Les erreurs liées à des indus étaient suffisamment traumatisantes pour que certains renoncent à la prestation. À ce titre, avec M. Savary, dans le cadre de notre rapport sur la solidarité à la source, nous avions préconisé de flécher le financement vers des actions spécifiques contre le non-recours. En luttant contre le non-recours, on lutte contre la pauvreté.
Concernant les Ésat, nous sommes favorables au rapprochement des droits. À l'époque, un tiers des Ésat étaient en difficulté ; aujourd'hui, dans la mesure où nous n'avons rien fait, on estime que plus de la moitié le sont. Il s'agit de mieux anticiper et de prévoir, dans un premier temps, un accompagnement financier ; votre amendement va dans ce sens.
Sur le sujet du Ségur, après l'accord en juin dernier et l'extension de la convention collective unique étendue (CCUE) en septembre, demeure un manque d'anticipation. De nouveau, il s'agira d'intervenir pour prendre en charge la compensation. On sait, par exemple, que le Ségur hospitalier n'a pas été financé. La convention collective de l'aide à domicile attend toujours son Ségur, et nous en sommes encore à nous demander qui devra compenser. Auparavant, un régime dérogatoire prévoyait que 100 % des besoins étaient financés par l'État ; désormais, il semblerait que l'on se tourne vers les collectivités territoriales.
Mme Annie Le Houerou. - Les augmentations de crédits sont en trompe-l'oeil. Il s'agit le plus souvent de droits nouveaux ; je pense notamment à la « déconjugalisation » de l'AAH, avec une augmentation mécanique des besoins. Sur de nombreux programmes, on observe même une baisse des crédits.
Les Ésat ne bénéficient d'aucune hausse des crédits, alors même que ces établissements connaissent d'importantes difficultés et que les nouveaux droits ne sont pas financés.
L'AAH 2 concerne les personnes en situation de handicap avec un taux d'incapacité de 50 % à 79 %. Pendant deux ans, les bénéficiaires ont cumulé cette allocation avec la RSDAE. Cette disposition n'a pas été reconduite au printemps dernier. Avez-vous des éléments sur le sujet ? Après le succès des jeux Olympiques et Paralympiques, il est nécessaire d'accroître nos efforts pour réduire les inégalités de traitement. Pour rappel, le taux de chômage concernant les personnes en situation de handicap est deux fois plus élevé.
Je souhaite également évoquer le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes, et notamment l'action 24 qui concerne l'accès aux droits. Les centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) peuvent bénéficier de la prime Ségur, mais aucune compensation financière n'est prévue à ce sujet. La dotation de l'action est identique à celle de 2024, alors que les femmes victimes de violences conjugales sont de plus en plus nombreuses à demander de l'aide. Les CIDFF vont devoir réduire la voilure et licencier du personnel pour faire face à leurs obligations.
De même, on ne constate aucune valorisation du budget des espaces vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) qui interviennent dans les établissements scolaires dans le cadre de l'éducation affective et sexuelle ; eux aussi seront contraints de réduire la voilure, alors que les demandes d'intervention s'accroissent.
Enfin, je souhaite évoquer le sujet de la prostitution. Le faible montant de l'aide à l'insertion professionnelle - 343 euros - ne permet pas à ces femmes de sortir de la situation dans laquelle elles se trouvent. Nous demandons à ce que cette allocation soit, au minimum, équivalente à celle du RSA.
Pour toutes ces raisons, nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur sur cette mission.
Mme Frédérique Puissat. - Je souhaite revenir sur l'accord de revalorisation salariale signé en juin dernier dans le cadre du Ségur. Pour l'heure, il n'existe pas de compensation. Alors que l'Assemblée des départements de France (ADF) a demandé aux départements de ne pas verser la prime dans l'attente d'une compensation, des associations ont revalorisé les salaires ; il s'agit d'une bombe à retardement. Disposez-vous d'un état des lieux pour chaque département sur le sujet ?
Mme Jocelyne Guidez. - Sur le sujet des violences conjugales, je m'étonne de ces 99 % liés à l'aide non remboursable. Pouvez-vous nous préciser à quoi cela correspond ?
M. Daniel Chasseing. - Les départements ont besoin d'une compensation pour répondre à l'augmentation du nombre de MNA.
En ce qui concerne les Ésat, je soutiens l'amendement proposé par le rapporteur. Les nouveaux droits accordés aux travailleurs de ces établissements appellent une augmentation des crédits.
Enfin, les moyens alloués à la lutte contre les violences conjugales sont insuffisants, mais l'apport n'est pas négligeable pour les associations.
Mme Marion Canalès. - Sur les crédits alloués au SPPE, la compensation apparaît approximative et insuffisante au regard des enjeux. Les besoins dans les territoires, évalués à 86 millions d'euros par l'État, sont encore incertains. Par ailleurs, ce service public connaît également des difficultés de recrutement.
En ce que qui concerne la protection de l'enfance, la loi Taquet avait défini un certain nombre d'avancées pour les jeunes majeurs protégés par l'ASE. Presque trois ans plus tard, les jeunes majeurs constituent un véritable sujet ; il convient d'inscrire dans le budget un fonds de mobilisation départementale pour répondre aux besoins.
Sur le sujet de l'aide alimentaire, les promesses ne sont pas à la hauteur du précédent budget. On observe une forte augmentation des demandes, et le ralentissement de l'inflation sur les denrées alimentaires ne peut constituer un amortisseur. Le contexte budgétaire est certes difficile, mais nous allons déposer un amendement en ce sens.
Mme Anne-Marie Nédélec. - Les accords liés au Ségur vont-ils s'étendre aux salariés des maisons d'accueil spécialisées (MAS) qui ne sont pas rattachées à un établissement hospitalier ? Cela pose également des problèmes de recrutement, avec des écarts de salaires importants d'une maison à l'autre.
M. Xavier Iacovelli. - Les crédits alloués à l'égalité entre les femmes et les hommes ont été multipliés par 2,7 en cinq ans. Un effort significatif a été réalisé ; je pense également à la mise en application de la proposition de loi (PPL) de Mme Létard.
Le Gouvernement a manifesté sa volonté d'accompagner les communes pour la mise en place du SPPE. Le montant de 86 millions d'euros s'avère encore approximatif, mais il s'agit d'un premier pas. Nous ferons le bilan à la fin de l'année. Au-delà de l'aspect financier, se posent également les questions de la formation, du recrutement et de l'attractivité des métiers après les scandales de ces derniers temps.
Le budget de la protection de l'enfance me semble, encore une fois, insuffisant. Je pense notamment à la question des MNA, ainsi qu'à l'accompagnement des jeunes majeurs et à la nécessité de recourir à un fonds de mobilisation en soutien des départements sur le sujet.
Je soutiens la création de 25 unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped) supplémentaires, mais celle-ci s'effectue à budget constant. Je compte déposer un amendement ouvrant un crédit de 4 millions d'euros sur le sujet. Au-delà de la nécessité de disposer d'une unité d'accueil par département, il s'agit également de s'interroger sur la composition de ces Uaped, et notamment sur le nombre d'équivalents temps plein (ETP) nécessaires à un accompagnement efficace.
Mme Chantal Deseyne. - Je souhaite revenir sur l'aide universelle d'urgence. Dans ce cas particulier des violences conjugales, les auteurs sont identifiés. La prise en charge doit-elle relever de la solidarité nationale ? Un recours n'est-il pas envisageable contre ces auteurs ?
Mme Silvana Silvani. - En dépit du contexte et de l'augmentation des demandes, je déplore l'application d'une politique d'austérité pour cette mission.
Les dispositions de ce budget sont à mettre en regard d'autres décisions. Certains opérateurs subissent ainsi de véritables ponctions ; je pense à l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), à qui l'on retire 50 millions d'euros de subventions, ou encore à certains opérateurs sur la question des violences.
Concernant les victimes de violences, le budget s'avère insuffisant. Par ailleurs, les départements contribuent déjà à un certain nombre de décisions financièrement non compensées.
En conclusion, nous ne suivons pas l'avis du rapporteur sur ce budget.
M. Khalifé Khalifé. - Nous n'avons pas évoqué un point important : la coordination de toutes ces actions. J'ai coordonné, jusqu'à un passé récent, la politique de cohésion sociale de la ville de Metz. Un certain nombre de structures travaillent sur le sujet des violences faites aux femmes, mais on observe de nombreux trous dans la raquette. Dans un budget aussi restreint, il s'agit de mieux coordonner les actions afin que celles-ci soient plus lisibles et efficaces.
M. Laurent Burgoa, rapporteur pour avis. - Madame Poncet Monge, concernant la solidarité à la source, le fléchage des ressources s'avère complexe à mettre en place, aussi bien d'un point de vue technique que juridique, dans la mesure où cela est contraire au principe de non-affectation.
Mesdames Le Houérou et Silvani, vos jugements sur ce budget me semblent sévères. Sans doute des points sont-ils améliorables mais, dans le contexte budgétaire actuel, il s'agit d'une des rares missions dont les crédits augmentent.
Les remarques sur les CIDFF sont pertinentes. Les centres se réjouissent de l'enveloppe au niveau national, mais, dans les départements, certains se trouvent dans des situations difficiles, voire en liquidation judiciaire. Ces difficultés doivent autant à la baisse du financement de l'État qu'à celle du financement des collectivités.
Sur le financement des Ésat, j'ai proposé un amendement afin d'améliorer la situation.
Le cumul de l'AAH 2 et d'un travail est possible un temps en milieu ordinaire, et durablement dans les Ésat. Un travail d'harmonisation des calculs est en cours ; vous serez informés de l'état de la situation.
Madame Puissat, concernant le Ségur et les départements, aucun état des lieux n'a été réalisé. Il serait utile de sensibiliser les départements sur le sujet.
Madame Guidez, les deux possibilités existent : un prêt remboursable à taux zéro ou une aide non remboursable. Cette dernière est proposée dans 99 % des cas.
Madame Canalès, il est prévu 86 millions d'euros pour le SPPE. Lors des auditions, les associations d'élus ont alerté sur l'insuffisance de ce budget, mais nous pourrons le corriger en cours d'année.
Sur la question de l'aide alimentaire, les associations ont indiqué que la pauvreté demeurait stable et que les financements, prévus dans le budget de l'année dernière, correspondaient à leurs attentes.
Le sujet des MAS n'entre pas dans le cadre de notre mission et relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
M. Philippe Mouiller, président. - À ce jour, aucune compensation financière de l'État n'est prévue.
M. Laurent Burgoa, rapporteur pour avis. - Madame Deseyne, vous avez attiré notre attention sur l'aide universelle d'urgence. Le recours contre le conjoint violent est prévu, mais il est difficile à mettre en oeuvre. Par ailleurs, la limite de ce recours s'élève à 5 000 euros.
Monsieur Khalifé, je partage votre avis sur le nécessité de la coordination. Mais, là encore, la mise en place est difficile.
Enfin, sur les jeunes majeurs, rien n'est prévu à ce jour dans le budget.
M. Laurent Burgoa, rapporteur pour avis. - L'amendement no II-1734 propose de traduire d'un point de vue budgétaire l'annonce gouvernementale prévoyant de prendre en charge la moitié du coût employeur de la complémentaire santé. Pour cela, je demande une hausse de 18 millions d'euros des crédits du programme 157 « Handicap et dépendance » et, afin de respecter les règles de recevabilité financière, une baisse d'un montant identique des crédits du programme 304.
L'amendement n° II-1734 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sous réserve de l'adoption de son amendement.
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Cohésion des territoires - Programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » - Examen du rapport pour avis
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons maintenant le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis sur le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ». - Le programme 177 constitue l'un des piliers de la mission « Cohésion des territoires ». Au coeur de la politique de lutte contre le sans-abrisme en France, il finance l'hébergement et l'accompagnement social des personnes sans domicile.
Aujourd'hui, la responsabilité de ces dispositifs incombe principalement à l'État, à une exception près : la mise à l'abri des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de 3 ans, qui relève, en principe, de la compétence des départements. Le programme 177 soutient un hébergement généraliste inconditionnel, garantissant à toute personne sans domicile un accueil digne et adapté.
Je rappelle cette distinction fondamentale, sur laquelle notre collègue, Mme Rossignol, était revenue lorsqu'elle était rapporteure d'une proposition de loi (PPL) sur le sujet : est considérée comme sans domicile une personne ayant dormi la nuit précédente dans un lieu non prévu à l'habitation - comme la rue ou une voiture - ou dédié à l'hébergement - comme un centre d'hébergement, un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou chez un tiers ; est considérée comme sans abri une personne ayant dormi la nuit précédente dans un lieu non prévu à l'habitation. Ainsi, si les personnes sans abri sont sans domicile, la réciproque n'est pas toujours vraie.
Avant toute chose, il m'apparaît indispensable de dresser le portrait du sans-domicilisme en France. Les statistiques publiques dont nous disposons sont lacunaires et datées. La dernière enquête de l'Insee sur le sujet a été publiée en 2012, et sa méthodologie fut vivement critiquée ; la prochaine étude sortira seulement en 2026.
Pour autant, grâce au travail des organismes gestionnaires, nous disposons d'estimations permettant de constater que le nombre de personnes sans domicile est en augmentation constante depuis 2012, passant de 133 000 à 300 000 personnes en 2021. Par ailleurs, le profil des personnes sans domicile évolue ; les femmes et les familles sont plus nombreuses, la part des enfants dans la population hébergée passant de 22 % à 35 % en dix ans.
Cependant, ces données restent parcellaires, le public sans domicile, notamment les femmes, mettant en oeuvre des stratégies d'invisibilisation et la part des personnes à la rue n'ayant plus recours au 115 étant croissante.
Le premier plan Logement d'abord, lancé en 2018, a restructuré la politique d'hébergement. La principale avancée de ce plan a été de mettre fin à la gestion « au thermomètre » des places d'hébergement. Désormais, les places sont mises à disposition toute l'année et nous n'avons plus à ouvrir en catastrophe des gymnases ou des salles des fêtes lors des périodes de grand froid.
Ce premier plan s'est accompagné d'un déploiement inédit de moyens pour sortir les personnes de la rue. Le budget dédié à l'hébergement a augmenté de 66 % depuis 2017 et de 208 % depuis 2013. Le nombre de places d'hébergement est passé de 150 000 en 2017 à 203 000 en 2023. Sur la même période, 40 000 places d'intermédiation locative ont été créées. En 2022, 6,6 % des logements sociaux ont été attribués à des ménages sans domicile. Le bilan de ce plan est sans appel : 440 000 personnes ont trouvé un logement grâce à lui entre 2018 et 2022.
En 2023, le Gouvernement a présenté le deuxième plan Logement d'abord. Celui-ci fixe des objectifs ambitieux : maintien du parc d'hébergement à 203 000 places ; réduction de la part des nuitées hôtelières dans l'hébergement d'urgence ; création de 30 000 places d'intermédiation locative ; recrutement de 500 équivalents temps plein (ETP) dans la veille sociale. À ce jour, les objectifs annuels de création de places sont globalement atteints.
En dépit de ces efforts, le parc d'hébergement est saturé, et le secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion est au bord de la rupture. Les associations, auxquelles l'État a confié la gestion de l'hébergement, sont confrontées à une triple crise de financement, de croissance et des vocations.
Concernant le financement, les organismes subissent deux phénomènes distincts mais cumulatifs : une sous-budgétisation chronique du programme et un retard dans le versement des crédits.
S'agissant de la sous-budgétisation chronique, celle-ci est estimée à 250 millions d'euros par la Cour des comptes, un montant que l'État vient abonder tous les ans en fin de gestion. Or cette sous-budgétisation entraîne des effets en cascade. En l'absence de crédits suffisants prévus dès la loi de finances initiale (LFI), les associations sont contraintes de réduire les moyens alloués à l'accompagnement social, pourtant indispensable pour une sortie durable de la rue. Elles privilégient des solutions moins onéreuses, comme l'hôtel social, et doivent ouvrir des places en urgence qui, paradoxalement, reviennent plus cher que si elles avaient été planifiées dès le début de l'année budgétaire. Cette sous-budgétisation, en plus d'être un marqueur d'insincérité budgétaire, est inefficiente ; nous pourrions faire mieux avec autant de moyens.
Concernant les modalités de versement, les centres d'hébergement d'urgence (CHU) ne sont pas des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), et sont subventionnés dans le cadre d'appels à projets, percevant ainsi les subventions suivant la règle du service fait. Or l'État est en retard dans ses paiements : 50 % des versements de subventions s'effectuent lors du dernier trimestre, pour une activité qui court sur toute l'année.
Ce mode de fonctionnement a des effets délétères sur le secteur. Les associations doivent avancer sur leur trésorerie les frais d'hébergement, les plaçant en découvert bancaire. Les subventions, versées a posteriori, ne correspondent pas toujours au montant réel dépensé, faisant peser sur les associations des charges non compensées. Enfin, les préfectures sont débordées durant le dernier trimestre et ne peuvent effectuer un contrôle correct de la dépense.
Si la situation perdure, 50 % des associations pourraient disparaître d'ici à la fin 2025. Je tiens à tirer la sonnette d'alarme. Ces associations sont aussi celles qui s'occupent de nos aînés, des personnes en situation de handicap, des plus démunis. Une bombe sociale pourrait exploser si ce tissu associatif venait à s'effondrer. L'État est un mauvais payeur et fait aujourd'hui courir le risque, par ses carences, d'un démantèlement du système d'hébergement.
Concernant la crise de croissance, la Cour des comptes relève que l'augmentation de la taille du parc ne s'est accompagnée ni d'une montée en puissance en matière de gestion des ressources humaines pour les associations ni d'une amélioration du pilotage du parc d'hébergement du fait de logiciels non interopérables. Il est à saluer qu'un nouveau système d'information soit en cours de déploiement pour optimiser la gestion du parc.
Au sujet de la crise des vocations, les organismes gestionnaires ont de plus en plus de difficultés à recruter des travailleurs sociaux. Ces derniers, mal rémunérés, sont confrontés à la gestion de la pénurie du parc d'hébergement. Alors que l'hébergement est censé être un droit inconditionnel, ils doivent trier les publics vulnérables pour offrir à une fraction de demandeurs un toit pour la nuit.
En 2024, 60 % des demandes d'hébergement sont non pourvues, faute de places, et 70 % des ménages à la rue n'appellent plus le « 115 ». À Paris, sont prioritaires dans l'accès à l'hébergement les femmes enceintes de huit mois et les femmes avec un enfant de moins de trois mois. Ces critères créent chez les travailleurs sociaux un sentiment profond de mal-être, voire même de maltraitance, conduisant à des démissions en chaîne. Au Samusocial de Paris, les écoutants ont en moyenne sept mois d'ancienneté, ce qui est le signe d'un fort renouvellement des effectifs.
Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, les crédits du programme 177 sont reconduits à hauteur de 2,9 milliards d'euros de crédits de paiement (CP). C'est un élément à saluer, alors que le contexte budgétaire est à la consolidation. Il convient de le répéter : l'État ne fait pas d'économies sur les personnes sans domicile.
Pour autant, je m'inquiète de l'absence de correction de cette sous-budgétisation de 250 millions d'euros et de mesures de périmètre apparaissant en contradiction avec le maintien du parc d'hébergement à 203 000 places. Les crédits dédiés à l'hébergement sont en baisse de 16 % par rapport à la loi de finances de fin de gestion (LFG) de 2024. À moins de recourir davantage aux hôtels sociaux, le maintien de 203 000 places d'hébergement n'apparaît pas compatible avec la diminution de 74 millions d'euros de l'enveloppe dédiée à l'hébergement d'urgence, et ce même en tenant compte de l'augmentation de 38 millions d'euros des crédits dédiés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale.
Or il n'est pas souhaitable d'augmenter la part des hôtels sociaux dans le parc d'hébergement. Ces hôtels - qui n'ont d'hôtel que le nom - proposent de minuscules chambres souvent insalubres, avec parfois des punaises de lit et des cafards, sans cuisine, dans lesquelles on place des familles sans que celles-ci ne disposent d'un accompagnement social suffisant pour en sortir. Aujourd'hui, 60 % des familles hébergées le sont dans un hôtel social. Les enfants y grandissant ont si peu d'espace qu'ils ne peuvent se développer correctement ; ils sont comme amorphes et semblent anesthésiés.
Enfin, je m'inquiète de constater qu'aucune ligne budgétaire dédiée à l'hébergement des déplacés ukrainiens n'est prévue. En 2023, sur 100 000 Ukrainiens présents en France, 37 700 bénéficiaient d'un dispositif financé par le programme 177. L'absence de budgétisation des moyens nécessaires à l'accueil de ce public crée des difficultés de trésorerie pour les associations. Pire, il engendre dans certains cas une dette ukrainienne. La fin prématurée des financements à destination de ce public pourrait mettre à la rue des familles entières ayant fui la guerre, créant un risque de crise sociale et diplomatique. La population ukrainienne pourrait alors se tourner vers la demande d'asile, déjà embolisée et contraire à l'idée d'un retour en Ukraine pour reconstruire le pays après la guerre.
En cohérence, je vous propose deux amendements, en miroir de ceux déposés par la commission des affaires économiques au titre de leur avis budgétaire sur le programme 177 : un amendement de 250 millions d'euros visant à corriger la sous-budgétisation chronique du programme, au nom de la sincérité budgétaire et de l'efficience du pilotage du parc ; et un amendement de 30 millions d'euros visant à budgétiser les moyens dont ont besoin les déplacés ukrainiens.
M. Philippe Mouiller, président. - Les deux amendements de crédits, qui doublonnent donc, en termes de montants, avec un amendement unique présenté par la commission des affaires économiques, correspondent à un besoin identifié par les différents acteurs du secteur.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1742 vise à corriger la sous-budgétisation initiale à hauteur de 250 millions d'euros, la somme étant prélevée sur le programme « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ». Les années précédentes, nous avons corrigé le budget en fin d'année. En mettant les moyens dès le début de l'exercice, on gagne des places d'hébergement. Par ailleurs, de nombreuses associations ont indiqué qu'elles ne pouvaient plus fonctionner ainsi ; certaines ont évoqué des problèmes de trésorerie à hauteur de 9 millions d'euros.
L'amendement n° II-1742 est adopté.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1725 prévoit 30 millions d'euros pour maintenir les dispositifs financés par le programme 177 à destination des déplacés ukrainiens.
L'amendement n° II-1725 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à prolonger la dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à prolonger la dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire.
Cette proposition de loi, déposée par les députés Anne-Laure Blin, Jean-Pierre Taite et Pierre Cordier a été adoptée par l'Assemblée nationale le 20 novembre 2024. Il est à noter que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi. Ce texte est inscrit à l'ordre du jour de la séance du jeudi 12 décembre.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - La proposition de loi qui nous a été transmise par l'Assemblée nationale, et que nous examinons ce matin, a comme un air de déjà-vu. Il s'agit en effet de prolonger, une nouvelle fois, l'assouplissement temporaire des règles d'utilisation du titre-restaurant, que notre commission avait proposé lors des travaux de la loi portant mesures d'urgence pour protéger le pouvoir d'achat face à l'inflation en 2022. Cette première dérogation, justifiée par les circonstances exceptionnelles du retour d'une inflation forte, a été prolongée d'une nouvelle année par la loi du 26 décembre 2023.
La question qui nous est posée, dans le contexte incertain que nous connaissons tous, est simple : faut-il une nouvelle fois prolonger le dispositif dérogatoire permettant d'acheter avec un titre-restaurant des aliments non directement consommables ? Si oui, pour combien de temps ?
Si des initiatives privées, souvent portées par des employeurs visionnaires, existent depuis le début du XXe siècle, c'est l'ordonnance du 27 septembre 1967 qui donne un cadre légal au titre-restaurant et le dote d'un régime fiscal et social incitatif.
Le titre-restaurant est donc un titre de paiement cofinancé par l'employeur, à hauteur de 50 % à 60 % de sa valeur faciale, et par le salarié, permettant notamment de répondre à la situation des salariés qui ne disposent pas d'un lieu de restauration collective. Qu'il se présente sous format papier ou dématérialisé, il ne s'apparente en aucun cas à un « chèque alimentation », puisqu'il est destiné à l'achat, par le salarié, d'un repas par journée travaillée.
Le respect de cette vocation me semble essentiel, car elle permet de justifier les exonérations sociales et fiscales consenties au dispositif, lesquelles coûtent 1,5 milliard d'euros par an à l'État et à la sécurité sociale.
Par ailleurs, il faut souligner que les titres-restaurant ont évolué. Ils ne pouvaient initialement être acceptés que par les restaurateurs, mais ils ont vu leur utilisation étendue aux détaillants en fruits et légumes, puis aux commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR). Il s'agit principalement des commerces de bouche et des grandes et moyennes surfaces (GMS), même si l'émergence de commerces en ligne agréés se confirme et doit interpeller.
Contrairement à la prime de panier, les titres-restaurant n'ont qu'une affectation possible : le règlement du repas du salarié. Afin de s'en assurer, le repas acheté au moyen de titres-restaurant doit être, en principe, composé de préparations alimentaires directement consommables. Il peut également être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables, mais ne saurait être utilisé pour acheter des boissons alcoolisées.
D'après la CNTR, en 2024, 180 000 employeurs auraient recours aux titres-restaurant, pour 5,4 millions de bénéficiaires. En 2023, 9,4 milliards d'euros de titres ont été émis par les sociétés en charge de cette opération.
La vocation du titre-restaurant n'est pas de soutenir le pouvoir d'achat des salariés, pas plus qu'il n'est de soutenir les restaurateurs, même si nous ne connaissons que trop bien les difficultés qu'ils rencontrent - inflation sur les denrées et l'énergie, difficultés de recrutement, etc.
Toutefois, le titre-restaurant a de fait été utilisé temporairement pour répondre à la forte inflation rencontrée en 2022 et 2023, faute de meilleur outil.
Ainsi, alors que la valeur moyenne d'un titre-restaurant est de 8,75 euros, le Gouvernement a rehaussé par décret le plafond d'utilisation journalière des titres-restaurant de 19 euros à 25 euros à compter du 1er octobre 2022, ce qui a de facto favorisé l'utilisation des titres en grandes et moyennes surfaces. Le législateur a également rehaussé plusieurs fois le plafond d'exonération de la participation de l'employeur afin d'augmenter indirectement la valeur moyenne des titres.
La dernière évolution vient du Sénat, plus précisément de notre collègue Frédérique Puissat, qui avait proposé de permettre l'achat d'aliments non directement consommables avec des titres-restaurant. Cette dérogation est notamment applicable auprès des commerces assimilés tels que les grandes et moyennes surfaces, et provoque, vous le savez, l'insatisfaction profonde - pour ne pas dire plus ! - des restaurateurs.
Cette colère qui tait son nom aurait pu être relancée par la volonté de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale de pérenniser cette dérogation, contre l'avis de la rapporteure, avant de revenir finalement à une simple prolongation pour deux ans lors de la séance publique.
Depuis le vote de l'Assemblée nationale, la CNTR a communiqué sur une nouvelle étude au sujet de cette dérogation, étude dont il ne nous a pas été permis de disposer dans son intégralité.
Selon ces chiffres, dont je ne connais pas la méthodologie, la part de la grande distribution dans l'utilisation des titres serait passée de 22,4 % en 2022 à 30,8 %, faisant reculer la part restauration de plus de six points, à 40,1 %.
Comparaison n'est pas raison, et cette évolution ne peut être imputée uniquement au dispositif que nous examinons aujourd'hui. D'abord, seuls 25 % des achats réalisés en grande surface au moyen de titres-restaurant concernent des produits non directement consommables. Ensuite, et surtout, cette évolution traduit aussi une volonté des salariés, qui plébiscitent cette évolution à plus de 96 % selon un sondage d'opinion, et qui apprécient la flexibilité ainsi offerte, trouvant parfois en GMS des offres plus proches de leurs régimes alimentaires ou simplement moins chères. Enfin, si la part restauration diminue, le marché des titres-restaurant augmente : in fine, les restaurateurs ont vu leurs revenus liés aux titres-restaurant continuer d'augmenter depuis 2022.
Forts de ces constats, nous devons choisir. Certes, l'inflation n'est plus aussi importante que l'année dernière, même si certains territoires, notamment ultramarins, sont encore percutés par la problématique de la vie chère. Il me semble toutefois que l'assouplissement doit être prolongé, car les salariés ne comprendraient pas de se voir retirer cette flexibilité sans une évolution plus globale du titre-restaurant.
Je vous proposerai néanmoins d'adopter un amendement visant à limiter à une année cette prolongation, conformément au texte initial de la proposition de loi. Prolonger de deux ans reviendrait, de fait, à pérenniser cette dérogation - certains orateurs l'assumaient expressément lors des débats à l'Assemblée nationale. À l'inverse, un délai d'un an permet de se donner les moyens de ne pas se retrouver dans une situation similaire l'an prochain.
Il me paraît en effet indispensable que le Gouvernement procède à la réforme du titre-restaurant via un projet de loi dédié, au terme d'une véritable concertation avec l'ensemble des acteurs. L'avenir du titre-restaurant ne peut se réduire à la question de la pérennisation ou non de l'achat de denrées non directement consommables, pas plus qu'il n'est souhaitable de prolonger annuellement cette possibilité en multipliant les véhicules législatifs. La question de la dématérialisation des titres doit être posée, de même que celle du renforcement de la concurrence sur le marché des sociétés émettrices, ou encore des contrôles et des moyens de la CNTR.
Je tiens dans cette perspective à souligner le courage et le sérieux des représentants du secteur de la restauration. Durant nos auditions, ils ont en effet reconnu que supprimer toute flexibilité à l'utilisation du titre-restaurant ne leur semblait pas souhaitable, dans l'intérêt même de la collectivité. En revanche, et je les rejoins à titre personnel, des solutions doivent être trouvées pour permettre une plus juste utilisation des titres. La possibilité évoquée d'introduire un double plafond, différencié entre les denrées alimentaires non directement consommables et la restauration, me semble une perspective intéressante, même si elle soulève des questions juridiques.
Dans l'immédiat, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de loi, modifiée par l'amendement que je vais vous présenter.
Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la durée d'un assouplissement dérogatoire des règles d'utilisation des titres restaurants. En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables des amendements relatifs aux conditions d'attribution des titres-restaurant, à leur régime fiscal et social ou à la régulation du marché des titres restaurant.
Mme Corinne Bourcier. - La prolongation de la dérogation pour une année permet de répondre aux besoins des salariés, notamment pour les soutenir face à l'inflation. En revanche, sa prolongation pour deux ans s'apparenterait à une pérennisation et ne correspondrait plus à la raison d'être du ticket-restaurant, conçu comme une aide à la restauration des salariés sur leur temps de travail, et non comme un complément de pouvoir d'achat.
Ce dispositif doit s'adapter et se moderniser ; il faut le réformer sans précipitation, après une large concertation. Je souscris donc pleinement à l'amendement de Mme la rapporteure.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je salue également l'amendement de Marie-Do Aeschlimann ; j'allais déposer le même ! L'an dernier, j'avais proposé une prolongation de six mois, le temps de conduire un chantier complet de rénovation du titre-restaurant. Il devait être engagé, mais finalement rien n'a été fait.
En effet, si l'on prolonge encore de deux ans la dérogation, de fait, on la pérennise. Les grandes surfaces ne s'y étaient d'ailleurs pas trompées : elles soutenaient ardemment la prolongation, sachant pertinemment que le dispositif finirait par devenir irréversible. Mais, dans ce cas, quid de l'objet social du ticket-restaurant ?
Vous avez évoqué un coût de 1,5 milliard d'euros pour l'État et la sécurité sociale. Selon moi, il est exclusivement supporté par la sécurité sociale, car le ticket-restaurant fait l'objet d'une exemption d'assiette non compensée. Quoi qu'il en soit, nous devons impérativement nous assurer du respect de son objet social. Sinon, pourquoi prévoir une exonération qui pèse sur les comptes de la sécurité sociale ?
Vous avez raison, le ticket-restaurant n'a été conçu ni pour soutenir le pouvoir d'achat des salariés ni pour soutenir les restaurateurs. Mais, convenons-en, les restaurateurs sont quand même plus proches de l'objet social que les grandes surfaces.
Depuis deux ans, les GMS ont gagné 7,8 points sur un marché de 9 milliards d'euros... À leur échelle, c'est relativement dérisoire, mais cela représente tout de même 0,5 milliard d'euros transférés vers les GMS, et l'on constate qu'elles sont très attachées à ce marché.
Il est donc important de limiter la dérogation à un an et d'engager une étude sur le double plafond, qui, selon moi, devrait refléter le prix moyen d'un repas. Cela permettra aussi de limiter l'emprise des GMS.
Enfin, on dit que les Français sont pour cette dérogation... Mais on voit difficilement comment ils pourraient être contre. Si on leur proposait d'acheter de l'essence avec leurs tickets-restaurant, ils ne diraient pas non !
Mme Annie Le Houerou. - Le Gouvernement n'a pas mis à profit l'année 2024 pour trouver une solution pérenne. Nous le regrettons, et nous devons, le 4 décembre, nous pencher sur un dispositif qui doit prendre fin le 31 décembre...
Le ticket-restaurant ne doit pas devenir une mesure de pouvoir d'achat. Sa vocation est de permettre aux salariés qui n'ont pas accès à un restaurant d'entreprise d'avoir un repas de qualité chaque jour. Le contexte actuel nous oblige à dévoyer l'objet du ticket-restaurant alors que nous devrions indexer les salaires sur l'inflation.
Par ailleurs, le ticket-restaurant contribue à faire vivre les petits commerces et les restaurateurs dans nos territoires.
Nous nous apprêtions à proposer un amendement visant à prolonger la dérogation d'un an, au lieu de deux, en attendant de réelles mesures pour le pouvoir d'achat, ainsi qu'une réflexion sur la possibilité d'élargir le dispositif. Je rappelle en effet que 5 millions de salariés n'ont pas accès aux tickets-restaurant, la moitié travaillant dans des entreprises de moins de 50 salariés. Nous soutenons donc l'amendement de la rapporteure.
Enfin, je me pose une question juridique : si nous ne votons pas conforme le texte issu de l'Assemblée nationale, pourra-t-il s'appliquer au 1er janvier 2025 ?
M. Philippe Mouiller, président. - Si nous ne votons pas le texte conforme, il faudrait idéalement que députés et sénateurs s'entendent en commission mixte paritaire pour l'adopter définitivement avant le 31 décembre.
S'il n'y a plus de gouvernement, il se pourrait que le texte ne puisse pas être adopté avant la fin de l'année, et la dérogation prendrait alors fin au 31 décembre.
M. Xavier Iacovelli. - Je suis très favorable à la prolongation de cette dérogation et je remercie notre collègue Frédérique Puissat d'avoir été à l'initiative de cette proposition il y a quelques années.
Ayant déposé l'an dernier une proposition de loi pour pérenniser le dispositif, je ne voterai pas l'amendement de la rapporteure, mais je voterai la proposition de loi, y compris si cet amendement devait être adopté.
À mes yeux, le titre-restaurant est un droit pour les salariés, et je ne vois pas au nom de quoi l'on dicterait aux salariés ce qu'ils doivent en faire, d'autant que les habitudes de consommation ont changé. Il faut bien entendu limiter l'utilisation des tickets-restaurant à des produits alimentaires, exclure l'alcool et l'électroménager, mais laissons les salariés libres d'acheter des carottes, des plats préparés - même si je les déconseille - ou d'aller manger au restaurant.
Une réforme est nécessaire, le Gouvernement doit enfin se saisir de ce sujet, mais, à titre personnel, je suis favorable à la pérennisation de cette dérogation.
M. Bernard Jomier. - Le rapport de Marie-Do Aeschlimann met bien en évidence la demi-impasse dans laquelle nous sommes engagés. Cette dérogation ne correspond plus à ses objectifs initiaux, mais elle est tellement populaire qu'on ne peut plus la supprimer. C'est la même histoire que pour le dispositif TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi). On prolonge d'année en année, puis on pérennise.
Un point n'a pas été soulevé : ce dispositif tend à faire basculer les salariés d'une alimentation naturelle ou artisanale vers une alimentation ultratransformée. Les études montrent que les salariés n'achètent pas des carottes avec leurs tickets-restaurant. Avant, ils achetaient des sandwichs ou déjeunaient au restaurant. Maintenant, ils s'orientent massivement vers une alimentation ultratransformée en grande surface. Bien sûr, nous n'avons pas à dicter aux gens ce qu'ils doivent manger, mais nous n'avons pas non plus à mettre en place des dispositifs qui encouragent le virage vers ce type d'alimentation.
Il faudrait que cette question fondamentale soit soulevée et que l'on parvienne à recentrer et à améliorer le dispositif à l'avenir.
Mme Nadia Sollogoub. - J'attire aussi votre attention sur les disparités territoriales. Certains salariés disposent de restaurants à proximité, d'autres non.
Les habitudes alimentaires ont évolué, tout comme les façons de travailler. Il est difficile de demander aux télétravailleurs de prendre leur voiture pour aller déjeuner au restaurant. Il convient donc d'engager une réflexion de fond pour clarifier l'objectif et les moyens du ticket-restaurant.
Nous soutiendrons évidemment la proposition de la rapporteure.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Gardons à l'esprit qu'il s'agit d'un dispositif spécifique, qui doit tenir compte des évolutions de la société et de la vie professionnelle, sans oublier sa vocation sociale, qui justifie les exonérations fiscales et sociales qui lui sont attachées.
Je vous remercie de soutenir la prolongation d'un an que je propose. Elle devrait permettre de faciliter la concertation, laquelle me semble indispensable. La ministre Olivia Grégoire devait annoncer une réforme au mois de juin, mais la dissolution nous a renvoyés à la case départ. Nous sommes en effet le 4 décembre, nous avons tout de même pris une semaine d'avance sur notre calendrier, et nous verrons en fonction de l'évolution de la situation politique cet après-midi.
Le marché des titres-restaurant représente seulement 1 % de l'activité des GMS, mais elles y sont très attachées. Le coût pour l'État est de 1,5 milliard d'euros, lié à l'exemption de charges sociales et d'impôt sur le revenu. Il faut veiller à ne pas dévoyer le dispositif, sinon l'avantage fiscal et social attaché à ce dispositif ne se justifierait plus.
Le double plafond, mis en place à la sortie de la crise sanitaire, présente un risque juridique souligné et pour les services de Bercy, en raison de la différence de traitement qu'il instaure. Je suis assez sensible à cette idée, mais il faudra l'examiner de façon approfondie, dans le cadre de la concertation.
J'ai noté les remarques de Nadia Sollogoub sur la spécificité des zones rurales, où les offres de restauration sont en effet limitées. Il faudra trouver un équilibre.
Je remercie Bernard Jomier d'avoir souligné la complexité du sujet, et je me réjouis surtout de constater que vous êtes tous incollables sur les titres-restaurant !
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à réduire à un an la durée de prolongation du régime dérogatoire.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - L'amendement COM-2, présenté par M. Cambier, vise à inscrire dans la loi le principe d'un plafond quotidien différencié selon que le titre-restaurant est utilisé dans le secteur de la restauration ou dans les GMS.
Cette modification ne pourrait intervenir qu'au terme d'une large concertation. Par ailleurs, la direction des affaires juridiques de Bercy comme le Conseil d'État ont soulevé le risque juridique lié à cette différenciation.
J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est close à 11 h 02