Mercredi 4 décembre 2024

Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de M. Bruno Patino, président du comité de pilotage des États généraux de l'information (EGI)

M. Laurent Lafon, président. - Monsieur Patino, s'il est inutile de vous présenter, je crois cependant nécessaire de rappeler en quelques mots votre parcours et vos centres d'intérêt. Vous avez exercé des fonctions de direction dans l'ensemble des médias : la presse écrite avec Le Monde, les Cahiers du Cinéma et Télérama, la radio chez France Culture, la télévision chez France Télévisions, et maintenant la chaîne franco-allemande Arte, dont vous assurez la présidence depuis 2020.

Vous avez également exercé dans le monde du livre, du côté éditeur, chez Hachette Livre, mais également en tant qu'auteur, avec une production toujours passionnante et qui prête à réflexion sur l'évolution de l'information dans nos sociétés, je pense bien sûr à votre ouvrage « La civilisation du poisson rouge » en 2019, métaphore que vous avez poursuivie avec « Tempête dans un bocal » en 2022.

C'est donc assez logiquement que vous avez été appelé, en janvier 2024, à exercer les fonctions de président du comité de pilotage des États généraux de l'information (EGI), en remplacement de Bruno Lasserre. C'est à ce sujet que nous souhaitons vous entendre ce matin, même si je ne doute pas que vos nombreuses expériences passées seront également de nature à nourrir nos débats et notre réflexion.

Avant de rentrer dans le vif de sujet, je tiens bien entendu à rendre hommage à la mémoire de Christophe Deloire, que nous avions entendu en tant que directeur général de Reporters sans frontières, disparu alors qu'il exerçait les fonctions de délégué général des États généraux de l'information.

Monsieur le président, vous avez dû mener à bon port ce que l'on peut qualifier de paquebot, tant les défis posés par ces États généraux, lancés par le Président de la République en octobre 2023, se sont avérés nombreux.

À travers nos rapporteurs, je pense bien sûr à Michel Laugier pour la presse, à travers les initiatives législatives lancées par le Sénat, comme la loi sur les droits voisins ou plus récemment la proposition de loi de Sylvie Robert sur l'indépendance de l'information, mais également à travers nos travaux de contrôle, comme la commission d'enquête sur la concentration des médias, nous avons pris conscience de la profonde évolution de l'information au XXIe siècle, et avons cherché à tracer des pistes d'évolution.

J'ai d'ailleurs eu le plaisir de constater que nos réflexions avaient été largement utilisées par les cinq groupes de travail et que nombre de nos propositions ont été reprises et affinées. Le déroulé de vos travaux a été marqué par une très grande ambition, dont témoignent les 174 auditions menées ou encore les 22 consultations citoyennes organisées dans toute la France. Rendues le 12 septembre 2024, les conclusions des EGI permettent de prendre la pleine mesure de l'urgence démocratique qui se dresse devant nous et nous impose l'élaboration rapide de solutions, sous peine de voir nos sociétés se fragmenter encore plus et éclater en multiples groupes qui ne seraient plus en capacité de dialoguer et de s'entendre.

Le volumineux rapport que vous avez rendu est très dense. Vous formulez quinze propositions, elles-mêmes enrichies par les contributions des groupes de travail. Sans déflorer le sujet, mon attention a été attirée par plusieurs d'entre elles, et je veux ainsi en citer trois.

La première concerne l'économie générale des médias qui, comme nous le savons, est grandement fragilisée. Je reprends votre proposition n° 8, dans laquelle vous souhaitez redistribuer au profit des médias les richesses créées par les fournisseurs de services numériques, afin, pour reprendre la citation d'Ethan Zuckerman que « ce qui divise finance ce qui unit ». Nous souhaiterions vous entendre de manière plus précise sur ce point, qui fait l'objet de très larges débats.

J'aimerais également évoquer votre proposition n° 3 qui vise à créer un statut de société à mission, issu de la loi pour la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE, aux entreprises de médias. Cela pose bien sûr la question plus vaste du statut des entreprises de presse, qui n'est pas reconnu par la loi de 1881, et constitue une réflexion que je trouve très intéressante. Comment envisagez-vous ces sociétés ?

Enfin, et cela ne vous étonnera pas, je voudrais des précisions sur votre proposition n° 9 sur les concentrations, qui reprend en partie nos propres recommandations issues des travaux de la commission d'enquête de 2022. Vous suggérez ainsi de calculer une « part d'audience » qui servirait, sur le modèle allemand, à la détermination d'un seuil de concentration plurimédias. Concrètement, comment s'exercerait ce mécanisme sur lequel nous nous étions beaucoup interrogés, et quels bénéfices en attendez-vous ?

Ce ne sont là bien entendu que quelques questions, tant votre rapport pourrait donner lieu à des heures de discussion. Je vais maintenant vous céder la parole pour une présentation générale des conclusions des EGI, avant de laisser mes collègues s'exprimer.

M. Bruno Patino, président du comité de pilotage des États généraux de l'information (EGI). - Je débuterai mon propos par un petit rappel contextuel général sur ce dispositif, lancé en 2023 par le président de la République et largement inspiré par Christophe Deloire, délégué général. L'écho de ce dispositif s'est fait entendre au-delà de nos frontières comme en témoigne le rapport de la Chambre des Lords publié il y a quelques jours sur l'état de l'information et les démarches similaires entreprises dans plusieurs pays d'Europe et d'Amérique latine.

La question « Qu'est-ce qui se passe avec l'information ? » devient donc une question universelle qui dépasse largement le cadre de nos frontières. Elle pose en filigrane celle de nos espaces publics au sens d'Habermas, c'est-à-dire la qualité du dialogue citoyen dans nos espaces publics, fondée sur une réalité partagée, constituée de faits partagés et avérés, permettant l'expression d'opinions différentes autour de cette même réalité partagée. Or, ce qui concerne l'information inquiète bien au-delà du monde des médias ou de celui des journalistes, au-delà de nos frontières car la nature même de l'espace public est aujourd'hui menacée.

S'agissant du dispositif des EGI, il se voulait avant tout un procédé de délibération commune, à trois niveaux. Le premier niveau était constitué de cinq groupes de travail d'une cinquantaine de personnes, de provenances diverses, journalistes, éditeurs de médias, universitaires ou autres, débattant de questions précises. Chacun des groupes de travail était un lieu de débat et d'auditions sur ces sujets particuliers. Leurs rapports sont inclus dans le rapport général. Le deuxième niveau était consacré aux rencontres citoyennes, dans lesquelles les citoyens questionnaient, dans un espace de délibération. Enfin le troisième niveau était celui du comité de pilotage qui a tenté non pas de valider, invalider ou faire une synthèse, mais de proposer ce qui pouvait être une vision relativement commune et structurée. L'ensemble de ces auditions et travaux conduisent à deux constats. D'une part, il existe une inquiétude très profonde et partagée par beaucoup, concernant l'information. D'autre part, le rapport de confiance dans le monde informationnel est relativement dégradé à tous niveaux, entre les citoyens, les journalistes professionnels et les éditeurs ou les patrons de médias. De nouveaux instruments sont nécessaires afin de rétablir la confiance des citoyens envers l'information, la confiance des journalistes peut-être envers les patrons de médias et la confiance des patrons de médias envers les citoyens et les journalistes.

Dans ce contexte général, quatre phénomènes impactent le domaine informationnel. Le premier est celui de la marginalisation de l'information dans l'ensemble des signaux auxquels nous sommes exposés, que ce soit les images ou les textes que nous pouvons recevoir ou regarder. L'information y a une part de plus en plus congrue et marginalisée, notamment sur les réseaux sociaux et dans l'espace médiatique qui est le nôtre. Le deuxième phénomène réside dans la mise en oeuvre d'outils de polarisation. La société et l'espace politique peuvent certes se polariser à un moment donné. Toutefois des outils, tels que les instruments numériques ou les grandes plateformes, accélèrent et amplifient ce mécanisme naturel. On peut également observer que le modèle économique tend à accentuer les invitations à la polarisation. Je parle d'accentuation et d'amplification et non de création ex nihilo de la polarisation, qui relève d'actions plus importantes. Le troisième phénomène consiste en la décrédibilisation. Un certain nombre d'acteurs sont aujourd'hui à l'oeuvre pour décrédibiliser toutes tentatives ou toutes démarches informationnelles de réalité factuelle. Cette décrédibilisation peut provenir d'une puissance extérieure comme de l'intérieur. Enfin, le quatrième phénomène, qui n'est pas un détail, vous l'avez mentionné, monsieur le président, concerne la paupérisation du secteur, à double titre, celle de ceux qui ont comme activité principale l'information, les médias d'information, ainsi que celle des journalistes, ceux qui ont comme métier le fait d'informer.

Ceci me conduit à insister sur un point qui me paraît d'importance, le modèle économique des médias, qui doit être dissocié de celui de l'information. La santé des médias peut être excellente alors que l'information peut être en souffrance. Il est plus rare que l'information se porte très bien quand le secteur des médias est en difficulté. Les deux modèles économiques sont donc distincts, car les médias constituent des acteurs économiques qui peuvent participer à un modèle concurrentiel classique, contrairement à l'information qui représente un bien public ainsi qu'un bien commun sur le plan philosophique. Son modèle économique plus complexe justifie l'octroi d'aides publiques et l'intervention des pouvoirs publics, en raison de ses externalités positives.

L'étude de ces quatre phénomènes de marginalisation, polarisation, décrédibilisation et paupérisation nous a conduits à adopter une vision holistique des actions à mettre en oeuvre. Un consensus s'est dégagé parmi tous ceux qui ont participé aux États généraux de l'information pour proposer un ensemble de mesures et non pas une mesure donnée dans un des secteurs donnés. Cette approche holistique abordant l'ensemble des problématiques a été identifiée au tout départ de la démarche des États généraux de l'information et s'est confortée au fil du temps. J'insiste sur ce point. Il y avait un véritable accord sur le fait de proposer des actions concernant non seulement les citoyens, mais aussi les médias et leur gouvernance, l'espace médiatique pluraliste et les plateformes. Ceci étant dit, en toute transparence, des discussions ont ensuite porté sur les modalités de mise en oeuvre de ces actions. C'est pourquoi nous avons publié l'ensemble des rapports mettant en lumière les nuances, voire les divergences portant sur les modalités d'action.

Avant d'aborder les trois points que vous avez soulevés, monsieur le président, je souhaite rappeler que la philosophie du comité de pilotage a été de respecter un équilibre entre trois libertés, celle du citoyen d'être informé de façon pluraliste, sans être manipulé, celle du journaliste de pouvoir informer sans être soumis à des pressions extérieures et économiques ou à l'intérieur de sa propre structure et, enfin, celle des entrepreneurs de pouvoir librement entreprendre dans l'entreprise qu'ils possèdent, à un moment ou à un autre. Nous avons donc tenté - Y sommes-nous parvenus ? C'est une autre question - d'élaborer un ensemble de mesures holistiques, 15 plus 2, et j'expliquerai pourquoi les plus 2, visant à atteindre un équilibre entre ces trois libertés qui nous semblent essentielles.

J'en viens aux trois points que vous avez soulevés, couvrant une grande partie des problématiques que nous avons abordées. Au préalable, je me permettrai de mettre l'accent sur un autre point non encore mentionné, d'une importance cruciale et qui ne saurait être considéré comme une simple mesure d'accompagnement traditionnel d'un rapport, celui de l'éducation des citoyens aux faits, qui nous semble d'une importance considérable. Bien que ces mesures fassent généralement consensus quand on les exprime, leur mise en oeuvre se heurte à des difficultés multiples auxquelles il ne m'appartient pas de répondre. Je me permets donc d'insister sans évidemment oublier les autres propositions sur la nécessité d'une éducation à la réalité factuelle, et non pas seulement aux médias. Apprendre aux plus jeunes à faire la distinction entre un fait et une opinion, ainsi qu'à faire face à des messages de désinformation ou à des messages humoristiques nous semble être essentiel.

En effet, quel que soit l'état de la régulation, de l'économie ou de l'autodiscipline des acteurs, l'essor de l'intelligence artificielle ne nous permettra pas de revenir en arrière, face à la submersion des messages ou à l'exposition, dès le plus jeune âge, à des messages de toute nature. Il semble illusoire de penser que nous arriverons à protéger les plus jeunes ou l'ensemble de nos concitoyens, des messages de désinformation ou autres. La solution réside donc dans une sorte de « pre-bunking », c'est-à-dire le fait d'« armer » à un moment donné, je mets des guillemets, le citoyen dans sa capacité à discerner l'information d'une démarche de désinformation. Cela conduit au développement, dès le plus jeune âge, d'une culture des faits qui nous semble très importante. Je ferme cette parenthèse qui n'en est pas vraiment une, parce qu'encore une fois, je le redis, ce sont des propositions qui semblent consensuelles, mais dont la mise en oeuvre se heurte à de très grandes difficultés. Or, elles nous semblent fondamentales.

S'agissant des trois points que vous avez mentionnés, monsieur le président, le premier porte sur l'économie générale des médias, ou plus exactement sur celle de l'information. Notre conviction est qu'aujourd'hui, l'économie générale des médias d'information est fortement fragilisée. Un très grand nombre d'acteurs, de la presse régionale comme nationale et des acteurs audiovisuels potentiellement à terme, se trouvent dans une situation de très grande fragilité qui a notamment pour cause la captation quasiment automatique et naturelle de l'ensemble de la ressource publicitaire par les grandes plateformes. Face à cette situation, soit on parvient à faire diverger ce flux ou à l'atténuer, soit on entre dans un mécanisme de distribution. En effet, il ne semble exister aucune raison qui puisse laisser penser qu'à terme, la ressource publicitaire revienne naturellement vers les médias d'information. Par ailleurs, les modèles d'abonnement sont plutôt réservés à une minorité d'acteurs. Si, en plus, ils devaient se généraliser, ils seraient sans doute également réservés à une minorité de nos concitoyens. La capacité de pouvoir informer la plus grande partie des citoyens de façon ouverte serait alors remise en cause. Bien que cela ne rentre pas dans le périmètre des États généraux de l'information, cela justifie évidemment le maintien d'un fort service public pour l'information. Quant au modèle économique, il nous a semblé qu'à un moment ou un autre, si on ne s'attaquait pas à la ressource publicitaire, nous n'arriverions pas à donner des perspectives d'indépendance économique aux acteurs qui font de l'information.

Deux propositions abordent ce problème. La première consiste à essayer d'atténuer la surprime aux plateformes en matière publicitaire par la création d'une responsabilité démocratique, consistant notamment en un véritable fléchage des investissements publicitaires. En effet, il s'agit de dire aux acteurs qui font de l'information qu'ils peuvent bénéficier de l'exercice, par les acteurs économiques, qu'ils soient privés ou publics, de leur responsabilité démocratique, qui viendrait s'ajouter à la responsabilité environnementale et sociale. Tout annonceur déclarerait, en toute transparence, avoir consacré un certain pourcentage de ses investissements publicitaires en tant qu'annonceur à l'exercice de sa responsabilité démocratique, sur des médias d'information.

Il n'y a pas de sanctions prévues. Pour reprendre un terme anglais, cela relève du « praise », l'éloge. On a vu que dans le cadre de la RSE, cela avait véritablement des impacts positifs. J'ajouterais la précision suivante qui n'est pas mentionnée dans le rapport : toute transparence sur le fléchage des investissements publicitaires devrait entrainer une transparence sur les conditions tarifaires ou les expositions des publicités, ce qui conduira à terme à un examen de la loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques dite « loi Sapin 1 » du 29 janvier 1993, qui a tendance, sans l'avoir bien évidemment voulu, à privilégier l'investissement publicitaire sur les plateformes plutôt que dans les médias d'information. Cet aspect des choses constitue « le premier étage de la fusée » qui vise à placer les acteurs économiques devant leurs responsabilités et les faire participer à la responsabilité démocratique, donc au bien commun d'un secteur informationnel important. Cela fait partie aussi de leur rôle.

L'autre point, que vous avez mentionné, monsieur le président, sur l'économie générale des médias est la création d'un mécanisme de redistribution publicitaire, selon le comité de pilotage. Nous ne sommes pas les seuls à y avoir pensé. Un projet de loi californien que nous mentionnons dans le rapport prévoit une taxation au-delà d'un certain chiffre d'affaires, 6,5 % du chiffre d'affaires publicitaire des plateformes, au-delà de quelques milliards de recettes publicitaires, au bénéfice de l'écosystème informationnel. La référence à l'écosystème informationnel, que nous avons reprise, ne se restreint pas qu'aux médias, mais englobe également d'un côté l'éducation aux faits et à l'information, et de l'autre, les médias, à partir du moment où ils recrutent des journalistes, donnant lieu à un allègement de charges, afin de bien dissocier, encore une fois, ce qui relève de l'économie des médias de ce qui appartient à l'économie de l'information. Force est de constater que nous n'échapperons pas à une nécessité de redistribution car le modèle économique des médias est menacé à terme.

J'aimerais ajouter un autre aspect relatif au modèle économique figurant dans une autre proposition, celui des droits voisins et de leur évolution. Il nous semble très important de plaider pour une approche collective de la négociation et de la défense des droits des acteurs qui font de l'information. Le droit voisin est un droit très fortement inspiré du droit d'auteur, relevant d'un modèle d'exposition. J'expose mon information au regard, je suis rémunéré en conséquence. Nous avons déjà constaté la difficulté de faire respecter un tel droit ainsi que l'opacité de certains acteurs dans le cadre de négociations séparées, en l'absence de négociation collective par défaut d'union des acteurs concernés.

Or, l'intelligence artificielle fait évoluer le modèle économique d'exposition vers un modèle économique de contribution. Nous aurons tous un assistant personnel qui nous fournira de façon auditive, audiovisuelle ou écrite, de l'information, tout en travaillant sur un certain nombre de contenus fournis par des professionnels. Les contenus informationnels des organes d'information auront donc contribué aux résultats produits par l'intelligence artificielle. Ces organes devront donc être rémunérés pour la contribution à ces contenus générés par les intelligences artificielles. Or un tel modèle général contributif est impossible si tous les acteurs ne s'unissent pas dans le cadre d'une négociation collective. C'est une question absolument essentielle. Dans chaque pays du monde, un seul acteur signe avec OpenAI. C'est le cas en France et en Allemagne. Mettre en oeuvre un pluralisme des médias d'information bénéficiant de ce modèle contributif à terme requiert de les encourager très fortement à se mettre ensemble pour négocier collectivement.

En conséquence, vous observerez que la création d'instruments collectifs fait partie des propositions importantes des États généraux de l'information. Nous avons hésité sur les modalités de cette création. À qui devait revenir cette charge, au pouvoir public ou à la profession ? Il nous a semblé que, dans une philosophie proche de la loi de 1881, il serait très difficile de solliciter les pouvoirs publics pour créer une sorte de Centre national de l'information.

S'agissant du deuxième point que vous avez mentionné, monsieur le président, la proposition d'un statut de société à mission pour les entreprises de médias est issue de notre conviction que la question de la gouvernance des médias d'information joue un rôle primordial dans la confiance des citoyens à l'égard des médias. Cependant, ce sujet, comme vous avez pu le constater à la lecture du rapport du groupe 3, donne lieu à différentes approches.

Deux aspects importants doivent être soulignés en ce domaine. Tout d'abord, le caractère essentiel de la réflexion autour de la gouvernance des médias d'information. C'est pourquoi le groupe 5 propose la généralisation d'un droit de veto en cas de nomination d'un nouveau directeur de la rédaction. Quant au comité de pilotage, il a préféré un approfondissement et un élargissement de la loi de 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « Loi Bloche », par sa généralisation à l'ensemble des médias, par des amendes réellement dissuasives en cas de non-respect et par la modification de la composition des comités d'éthique pour les rendre paritaires et leur donner ce droit d'information. La question des modalités demeure ouverte.

Ensuite, nous avons également pensé que disposer d'un statut spécifique dérivé de la société à mission pouvait constituer un modèle vertueux pour un certain nombre d'acteurs indépendants. En effet, la société à mission non seulement renforce la gouvernance en donnant du pouvoir à la fois aux rédactions et aux citoyens, mais elle permet d'assurer une transparence vis-à-vis des citoyens sur les chartes et les engagements pris. Par ailleurs, ce modèle vertueux pourrait être, à terme, destinataire d'un certain nombre d'aides à la presse que nous proposons de revisiter. La bonne gouvernance des médias d'information devrait être encouragée. Ce statut s'inscrit comme une piste importante pour un très grand nombre de médias indépendants ainsi que pour toute négociation qui pourrait avoir lieu dans le futur, dans un contexte de changements capitalistiques des médias d'information.

Le troisième et dernier point, sur lequel vous m'avez interrogé, monsieur le président, porte sur la concentration, qui représente peut-être l'une des clés de voûte des EGI. Deux démarches se cumulent en ce domaine, celle de l'analyse de marché, qui relève de l'Autorité de la concurrence ainsi que celle de déterminer si une opération de concentration peut, à un moment donné, menacer ou non le pluralisme de l'information.

Vous l'avez bien compris, ce que nous proposons dans le modèle économique de l'information vise à rendre ces opérations de concentration moins subies et plus voulues qu'elles ne le sont aujourd'hui. Il nous est ainsi apparu que la loi de 1986 ne permettait plus aux régulateurs, et notamment à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), de mesurer l'impact d'une opération de concentration sur le pluralisme sur l'ensemble de l'espace informationnel. Ce qui importe, ce n'est plus la détention du nombre de radios ou le poids que vous avez dans telle ou telle famille de média à un moment donné, mais le poids que vous pouvez avoir sur l'opinion, en détenant plusieurs médias ou plusieurs instruments, qui se font écho les uns avec les autres. Le consensus total de tous ceux qui ont travaillé dans le cadre des États généraux de l'information a été d'adopter une approche holistique afin de prendre en compte, pour un acteur donné, tout ce qui concourt aujourd'hui à l'espace public en termes d'opinion et d'information, telles que la possession de radios, de journaux, les capacités d'affichage, le poids dans l'édition, les médias numériques et les intelligences artificielles.

Deux modèles se sont présentés à nous sur ce sujet. Le premier est celui de l'Office des communications (Ofcom) britannique, qui nous semble souhaitable à terme, avec une autorité de régulation qui vérifie si une opération est conforme aux exigences du pluralisme et qui se réfère à des lignes directrices bien documentées qui reposent sur une analyse générale du secteur.

Le second modèle est celui de l'Allemagne, qui nous inspire dans son principe, mais non dans ses modalités, en cours de révision aujourd'hui. Il se fonde sur des chiffres, en l'espèce, l'audience générale. Nous avons utilisé le concept de reach, c'est-à-dire la capacité à atteindre de façon répétée, une population sur un territoire donné. Le reach se calcule à peu près dans tous les médias aujourd'hui, dans la presse comme le numérique et permet de déterminer quel est le poids d'un groupe, quel qu'il soit, auprès d'une population donnée.

S'agissant des recommandations en ce domaine, le groupe 5 a proposé de recourir au modèle allemand tandis que le comité de pilotage souhaitait n'y recourir que dans un premier temps avant de mettre en oeuvre le modèle britannique, dès que l'Arcom, le régulateur, aurait discuté et établi ses lignes directrices. Il semblerait qu'un projet de loi soit actuellement à l'étude se rapprochant plus du modèle britannique Ofcom que de celui du reach. En tout état de cause, les modalités importent moins que le principe d'adopter une approche holistique du poids d'un groupe, quel qu'il soit, sur l'opinion, en prenant en compte l'ensemble des instruments qu'il détient, et non pas une catégorie de médias par rapport à une autre.

M. Laurent Lafon, président. - Nous allons commencer par une première série de questions de Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits budgétaires relatifs à la presse pour notre commission.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis. - Permettez-moi, tout d'abord, d'avoir une pensée pour Christophe Deloire que j'ai auditionné à plusieurs reprises et qui m'avait entendu dans le cadre des EGI. Le rapport des EGI évoque la question de la réforme des aides à la presse. Vous proposez d'utiliser ces aides comme levier pour inciter les entreprises de presse à adopter le statut de société à mission, et à donner en conséquence des garanties d'indépendance. Vous suggérez également de basculer une partie des aides à la diffusion vers des aides à la transition et à l'abonnement numérique, en notant que ce mode d'achat ne bénéficie actuellement d'aucun soutien. Je suis en plein accord avec ces propositions.

Mes questions sont les suivantes : Avez-vous pu tester ces idées auprès des éditeurs, car cette réforme avec une enveloppe constante fera des gagnants, mais aussi des perdants ? Avez-vous senti une volonté du gouvernement de progresser dans cette direction ?

S'agissant des droits voisins, votre rapport établit clairement qu'ils ne seront pas une source suffisante de revenus pour rééquilibrer la relation entre les éditeurs et les plateformes. Vous proposez de créer des conditions d'une négociation plus équilibrée, une tâche à laquelle notre collègue Sylvie Robert a déjà commencé à s'attaquer avec l'article 7 de sa proposition de loi sur l'indépendance des médias. Vous avez évoqué il y a quelques minutes des accords collectifs. Pouvez-vous développer les leviers que vous estimeriez utiles à mettre en place ?

Enfin, quelles seront selon vous les conséquences de l'élection de Donald Trump sur le contexte informationnel, en particulier pour le réseau X-Twitter et les législations européennes ?

M. Bruno Patino. - Il apparait que les éditeurs ne sont pas toujours unis sur l'ensemble de ces questions, en particulier sur l'évolution des aides à la presse. En conséquence, si vous me demandez si mes propositions font l'unanimité au sein des éditeurs, une réponse positive vous surprendrait et m'obligerait à détailler mon propos pour vous en apporter la preuve. Il n'existe donc pas de consensus. Toutefois, la position d'un grand nombre d'éditeurs a évolué ces derniers mois, sur quelques points. Tout d'abord, plus aucun éditeur ne pense aujourd'hui pouvoir opérer sans abonnement numérique, ce qui n'était pas le cas il y a trois ou quatre ans. On constate que les modèles économiques notamment des journaux, s'orientent vers un triptyque associant un peu de publicité, les abonnements numériques à terme, et ce qu'on pourrait appeler du B2B, tel que l'événementiel, les courses sportives, les concerts ou les conférences. Les éditeurs ont donc pris conscience de la nécessité de déployer et de développer l'abonnement numérique.

Quant aux aides à la presse, les éditeurs sont souvent favorables à celles qui s'ajoutent les unes aux autres plutôt qu'à celles qui se substituent les unes aux autres... Si demain, la question était de savoir si une aide supplémentaire pour la société à mission serait la bienvenue pour les éditeurs, la réponse est unanimement positive, ce qui ne serait pas le cas en cas de substitution. Nous ne sommes pas entrés dans le détail du périmètre des aides à la presse, mais il me semble important de prendre en compte la nature de la gouvernance d'un média d'information.

S'agissant du deuxième point portant sur la position du gouvernement, il ne me semble pas, pour l'instant, que le chantier de la réforme des aides à la presse ait été abordé même si je souhaite qu'il le soit. Rappelons que les EGI ne sont ni législateur ni régulateur.

Vous m'avez interrogé sur les droits voisins. Or nous n'avons pas abordé un aspect très important, celui du rééquilibrage des relations vis-à-vis des plateformes. Il a été évoqué d'un point de vue économique, mais pas du point de vue du pluralisme des algorithmes et de l'obligation d'affichage. Nous proposons en matière de droits voisins de s'unir pour collecter et mettre à l'abri les données afin de négocier ensemble avec les plateformes. Cela relève de l'encouragement, ce qui peut être perçu comme insuffisant. Il semble, peut-être à tort, que tous avaient l'habitude de négocier séparément leurs droits voisins. Aujourd'hui, ils font appel à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) pour les aider dans leur négociation. La nécessité de « jouer collectif » se fait désormais jour auprès des éditeurs.

En ce qui concerne les conséquences de la nouvelle présidence de Donald Trump, la grande différence entre 2016 et 2024 dans le domaine des réseaux sociaux est qu'en 2016 ces derniers ont aidé Donald Trump à accéder au pouvoir, sans le vouloir, en étant instrumentalisés alors qu'en 2024, le réseau X a décidé d'y contribuer volontairement. Cela ouvre effectivement de façon vertigineuse la question du contrôle de ces réseaux, au-delà de la régulation visant à empêcher un réseau social d'accélérer, d'amplifier et de polariser de façon involontaire la vie politique.

Mme Sylvie Robert. - À cet instant, j'ai une pensée pour Christophe Deloire que je connaissais bien. Je voudrais également remercier Bruno Patino pour le travail qu'il a entrepris dans le cadre de ces EGI, qui m'ont beaucoup inspirée lorsque j'ai déposé ma proposition de loi. J'ai particulièrement trouvé intéressante l'approche holistique, en adoptant une vision très large du sujet allant jusqu'aux influences étrangères. Avec ma collègue Catherine Morin-Desailly, nous avons fait partie de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères. Nous avons intégré dans nos préconisations l'ensemble des dimensions du problème de souveraineté y compris en matière de médias et d'information.

Un grand nombre des questions que vous avez abordées ce matin ont été débattues lors de l'examen de ma proposition de loi. Certaines de ses dispositions ont été retenues, beaucoup ont été modifiées, d'autres ont fait l'objet de débats très tendus. L'annonce d'un grand projet de loi sur les EGI avait justifié de ne pas adopter certains articles de ma proposition de loi. Aussi, je voudrais vous demander si vous avez été associé à l'élaboration de ce projet de loi que nous attendons tous.

Vous avez abordé l'éducation aux faits et à la réalité factuelle. Vous n'avez pas parlé d'éducation aux médias. Nous l'avons votée, mais sa mise en oeuvre n'avance pas, alors même que nous considérons aujourd'hui que cette éducation à l'esprit critique et aux médias est absolument essentielle dans notre société contemporaine et dans le monde géopolitique très compliqué dans lequel nous vivons.

Mes questions sont les suivantes : avez-vous eu un retour de la part de l'éducation nationale sur l'éducation à la question factuelle ? Comment envisagez-vous cette éducation, sous forme de parcours ou de manière obligatoire à l'école, comme dans certains pays aujourd'hui ? Quelle place accorderiez-vous aux journalistes, aux associations et aux membres de la société civile dans ce dispositif ? Finalement, il est beaucoup question d'éducation aux médias alors que l'on ne dispose d'aucune évaluation. Personne ne semble entreprendre de chantier très précis sur ce qu'elle pourrait être et sur ce qu'elle devrait être.

Ma deuxième observation porte sur la contribution obligatoire des plateformes numériques, ciblée sur la publicité digitale. J'abonde dans votre sens. Cela participe de la consolidation économique du monde des médias. Faut-il privilégier, selon vous, une approche européenne du sujet ou faut-il que nous nous en emparions immédiatement au niveau national ? Vous avez également évoqué la loi californienne et fait référence à la loi canadienne dans vos travaux. Pourriez-vous nous expliquer quel serait finalement le chemin à emprunter, éventuellement au niveau national ?

Enfin, vous avez abordé le secret des sources. Vous restez très prudent, et je le comprends tout à fait, le Parlement l'a été également. Pensez-vous que la question de conférer une pleine portée au principe de protection des sources, sans ouvrir le dossier du secret des affaires ou du secret défense, fait actuellement l'objet d'un examen interministériel peut-être en vue de ce fameux projet de loi ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je me joins aux propos de mes collègues, Michel Laugier et Sylvie Robert, sur Christophe Deloire qui avait travaillé de longue date avec le Sénat, notamment dans le cadre de l'élaboration des textes de régulation des réseaux sociaux par la commission des affaires européennes, en partageant la vision qu'il avait du nouveau modèle numérique dans lequel nous étions entrés.

Je me réjouis des conclusions de ces États généraux de l'information auxquels j'ai eu le plaisir de participer, avec plusieurs de mes collègues. Je salue la démarche qui a eu le mérite de faire la synthèse de très nombreux travaux réalisés par des parlementaires de plusieurs commissions, des deux assemblées, ainsi que de les mettre en perspective, ce dont nous avions besoin. Je rejoins l'approbation de cette vision holistique du sujet.

Force est de constater qu'il y a plusieurs chantiers qu'il convient de mener, dont celui d'approfondir la législation européenne en la matière, en particulier celui du règlement européen sur les services numériques (DSA) et le statut des plateformes qui, pour l'instant, ne sont toujours pas dotées d'un statut officiel. Christophe Deloire s'était par ailleurs battu pour que les plateformes soient redevables d'une véritable responsabilité, par le biais d'un statut à mi-chemin entre hébergeurs et éditeurs. Cela fait partie des préconisations du rapport. Sachez que la commission des affaires européennes suit l'application du DSA, en étant extrêmement attentive à ces problématiques. La commission est également en charge du suivi de l'application du règlement européen sur la liberté des médias. Ces travaux ont été menés au niveau européen au moment où, en France, on se questionne également sur le devenir de nos médias, de l'avenir du pluralisme et de nos démocraties.

Le premier sujet qui me préoccupe, et je rejoins les questions formulées par les précédents orateurs, c'est le pouvoir immense conféré aux plateformes qui deviennent, en réalité, les agents de certains États. J'en veux pour preuve la plainte que Reporters sans frontières (RSF) a déposée contre le réseau X, accusé d'avoir laissé en ligne de la propagande russe, en usurpant l'identité de RSF. Les choses sont assez graves. Les faits se sont multipliés ces dernières semaines. Je voudrais également citer la manipulation des élections en Roumanie, rendue possible par TikTok, le défi et la provocation continue d'Elon Musk par rapport à l'application du DSA à Twitter, et, enfin, Google qui est poursuivi par la justice française pour non-application des droits voisins. J'insiste donc particulièrement sur ce point. L'actualité nous démontre que la problématique de la régulation des plateformes n'est certainement pas achevée et qu'il va falloir, au-delà de la question de la juste redistribution de la publicité, qui est bien entendu un combat que nous devons tous mener, s'intéresser au sujet de l'application de la réglementation européenne.

Le deuxième sujet sur lequel je souhaite insister est l'éducation aux médias, qui est un véritable « serpent de mer ». Depuis des années, au sein de cette commission, tous bancs confondus, on ne fait que réitérer l'importance de l'éducation aux médias et, finalement, on a du mal à en voir la réalisation. On sait que les équipes du Centre pour l'éducation aux médias et à l'information (Clemi) sont peu nombreuses. Comment en faire un enjeu important au sein de l'éducation nationale ? Je pense qu'il revient à chaque enseignant de pouvoir, à tout moment, alerter ses élèves et souligner que cette éducation aux médias se conjugue à l'éducation au numérique. En effet, l'éducation aux médias et aux faits est rendue plus difficile quand on ignore comment l'écosystème fonctionne et comment on peut se prémunir des abus constatés sur les plateformes. Notre commission, monsieur le président, aurait intérêt à effectuer une mission d'information sur ce sujet afin d'apporter des réponses qu'on ne nous donne jamais sur le sujet.

M. Pierre Ouzoulias. - Je souhaite saluer l'importance de votre réflexion, monsieur Bruno Patino. J'ai lu avec plaisir vos écrits. Le réginaburgien que je suis salue un voisin, mais surtout votre parcours de grand commis de l'État. J'ai la certitude qu'il existe un service public de l'information, qui est fondamental. Or, vous avez été et vous êtes encore au service de cet audiovisuel public qui essaie de donner du sens à l'information. Vous avez cité Habermas et je vous suis totalement. Il ne peut pas y avoir de démocratie sans s'entendre sur un minimum de règles dans la constitution de ces informations, ce qui constitue l'enjeu philosophique du moment.

Donald Trump et Elon Musk ont été mentionnés. Or on observe aujourd'hui la réussite d'un modèle qui considère, dans une vision très libertarienne du monde, qu'il est interdit d'interdire, conduisant ainsi à offrir à certaines plateformes la totalité des pouvoirs dont elles disposent sans aucune règle ni déontologie ni aucune régulation. Cette position met en difficulté notre vision du monde ainsi que notre système républicain parce qu'elle ébranle finalement le statut de la vérité. Les citoyens ne peuvent dans ces conditions mesurer les différents statuts de vérité de l'information. Tout se vaut. Une crise de la raison critique se généralise.

La pédagogie au sein des salles de classe est pertinente, mais malheureusement, risque de se révéler insuffisante parce que la solution réside dans une démarche collective. « On a besoin d'un nouvel humanisme pour faire face à une déferlante qui est triomphante et qui ne va pas s'arrêter à l'Atlantique ». Elon Musk et Donald Trump vont probablement mener une lutte acharnée contre ce que nous considérons comme des formes de régulation, constitutives de notre démocratie. Je rappelle que le mot « information » provient du latin informare, qui signifie « donner de la forme ». Or, on ne peut pas donner de forme sans accepter un minimum de règles. C'est l'enjeu fondamental de la période.

S'agissant de l'intelligence artificielle, il est effectivement très intéressant de s'interroger sur ce qu'elle est. Elle repose sur un modèle algorithmique et statistique qui ne différencie pas la bonne information de la mauvaise. En d'autres termes, elle ne donne aucune valeur à la constitution d'une information vérifiée. L'information vérifiée comme celle non vérifiée, ont la même valeur.

Nous sommes donc face à quelque chose qui est redoutable. Je crains que nous soyons emportés par un modèle qui nous vient d'outre-Atlantique et que la France ne soit très isolée pour s'opposer à ce mouvement. Je n'imagine pas qu'on puisse s'y opposer autrement que par une réponse européenne. C'est là le sens de la question que je souhaite vous poser. Comment pouvons-nous, sur la base des travaux et de votre bilan, essayer de fédérer un certain nombre d'États européens pour aller plus loin dans la régulation ? Les règles sont nécessaires. Le droit constitue un bon moyen d'opposer un certain nombre de règles. Cependant, je n'entends pas par le mot « règles », uniquement celles de nature normative, mais également celles déontologiques et philosophiques. La responsabilité des plateformes, aujourd'hui, représente un objectif à court terme tout à fait essentiel.

Mme Monique de Marco. - Bien que sceptique au lancement des EGI, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt leurs travaux en raison de la méthode de concertation et d'analyse que vous avez adoptée. Un grand nombre de propositions des groupes de travail sont aujourd'hui sur la table. Certaines de vos recommandations rejoignent celles formulées par la commission d'enquête sur la concentration des médias du Sénat. Je ne vais pas revenir sur le constat présenté ici, mais j'aimerais partager quelques observations sur les EGI qui ont fourni une feuille de route claire pour protéger et développer le droit à l'information.

Tout d'abord, je m'étonne que face à l'urgence de la situation, nous n'ayons pas su saisir toutes les opportunités parlementaires pour avancer sur ce sujet. Je pense en particulier à la proposition de ma collègue Sylvie Robert. Elle aurait pu servir de véhicule législatif pour adopter un certain nombre de propositions issues des EGI. C'est le cas, semble-t-il, de la lutte contre les procédures « baillons », amendement qui a été déclaré irrecevable car sans lien avec le texte. C'est également le cas de la labellisation des influenceurs, de la réforme de la gouvernance des médias, de la question de la personnalité juridique et des droits des rédactions.

J'aimerais revenir sur la première proposition des EGI, qui était de faire de l'éducation à l'esprit critique, aux médias et aux faits, une priorité pour l'école. Ayant été précédemment enseignante et connaissant tous les efforts déployés par mes collègues enseignants sur ce sujet, je souhaite insister sur la nécessité d'enseigner l'éducation au numérique dès la rentrée en sixième. Or elle a été supprimée, à la suite d'une réforme de l'enseignement de technologie en sixième il y a deux ans. Mon expérience en tant qu'enseignante en technologie en classe de sixième me conduit à demander de reconsidérer cette suppression car l'enseignement de l'accès au numérique constituait alors ma première mission. Par ailleurs, il conviendrait de réfléchir au sein de cette commission sur comment intégrer l'éducation aux faits et aux médias, qui est indispensable, dans l'enseignement en sixième, et peut-être même avant, dans le primaire. Par ailleurs, nous devrions soutenir la dotation de crédits consacrés à l'éducation aux médias, plutôt que de les supprimer.

Je voudrais également réagir sur l'avenir de l'audiovisuel public qui n'a pas été discuté au sein des EGI. Quel est votre avis personnel concernant le mode de financement retenu ? Les enjeux ont été souvent présentés de façon réductrice dans les débats, en opposant le financement par fraction de TVA à une nouvelle forme de redevance. Je sais qu'Arte représente un cas particulier qui a été également discuté. Je regrette également que nous ne soyons pas allés plus loin. Vous avez parlé des recettes publicitaires des plateformes, des Gafam, mais que pensez-vous du financement par une taxe sur les fournisseurs d'accès Internet, qui me semble être une piste à envisager ?

M. Bernard Fialaire. - J'ai assisté à la présentation des conclusions des EGI au Conseil économique social et environnemental. J'ai été assez surpris par la modération et la sagesse des pistes de réflexion alors que je m'attendais à des propositions plus audacieuses. J'aimerais revenir sur la proposition n° 4 concernant la gouvernance des médias, prolongement de la loi Bloche. Il est question d'une charte déontologique entre la direction et la rédaction ainsi que d'un comité d'éthique. C'est une démarche sage, mais pourquoi ne pas proposer un code de déontologie des journalistes qui serait élaboré par un ordre ? Un tel code tendrait à rassurer les citoyens sur l'information, à protéger les journalistes et à permettre de délivrer une carte de journaliste qui ne soit pas basée sur des critères purement économiques. Il faut vraiment oser un jour franchir le pas pour rassurer, peut-être même sauver cette profession.

S'agissant de la formation à l'esprit critique, aux médias et à l'information, les sondages constatent que la très grande majorité des jeunes se souviennent avoir eu de tels cours et ont même conscience qu'ils peuvent être manipulés par les plateformes. Pour autant, en avoir conscience ou être informé ne suffit pas face à la tentation et peut-être aussi à la paresse parfois intellectuelle qu'on a de se laisser séduire.

Enfin, concernant l'intelligence artificielle et votre proposition de contribution, cela nous conduit à nous interroger un peu plus loin, comme sur les contributions aux travaux des journalistes. Jusqu'où remonter la contribution ? Je ne suis pas favorable à un dispositif purement économique car il existe une information qui doit être open source, pour que d'autres puissent l'utiliser. Il faut voir à quel moment, effectivement, la valeur du travail produit est rémunérée et protégée.

Mme Laure Darcos. - C'est à mon tour de vous féliciter et de saluer les travaux issus des EGI. J'y associe une pensée pour Christophe Deloire. Je suis également ravie qu'Antoine Bernard, à la tête de RSF, puisse prendre le relais, et vous-même pour les travaux des EGI. Ces derniers ont été approfondis et sérieux, loin des idées reçues. Ils ont l'avantage de reconnaître le rôle majeur de la presse ainsi que ses grandes difficultés économiques, qu'il s'agisse du format papier ou numérique.

Toutefois, j'ai deux frustrations. La première porte sur la question de l'IA générative que vous avez évoquée tout à l'heure, mais qui ne figure pas dans le texte, alors qu'actuellement, 51 % des réponses données par ChatGPT sont factuellement fausses. Ne pourrait-on pas saisir l'opportunité de considérer les modèles d'IA générative comme un domaine d'information à haut risque ? Envisagez-vous, à ce titre, de former une délégation, peut-être à Bruxelles, pour essayer de convaincre nos amis bruxellois de régir également ce domaine ?

Ma seconde frustration porte sur l'absence de traitement par les EGI de la question : « Qu'est-ce qu'être journaliste aujourd'hui en 2024 ? », leur rôle ayant beaucoup évolué. Comme mes collègues, je suis extrêmement sensible à la question de la formation à l'esprit critique et au numérique de nos jeunes, à l'école, mais également à l'information et à la presse. On avait même évoqué l'idée d'allouer une partie du pass Culture à la presse. Ne pourrait-on pas créer un pass Presse, pour que nos jeunes puissent lire une véritable presse et pas simplement, regarder des vidéos sur TikTok contenant des informations erronées, voire manipulatrices ?

Mme Colombe Brossel. - Je voudrais développer l'idée que plusieurs de mes collègues ont déjà évoquée concernant l'éducation aux médias et l'éducation à l'esprit critique, ainsi que la manière dont se forge le libre arbitre.

Vous avez choisi de mettre en exergue, dans le rapport, un modèle, ou une façon de faire, en prenant l'exemple finlandais, qui intègre entièrement l'éducation aux médias dans le cadre scolaire. Comment faire pour échapper à la difficulté que l'on ressent lorsqu'on parle d'éducation artistique et culturelle avec deux ministères de tutelle ? Je sais bien que l'on fait de la politique-fiction en parlant d'un grand projet de loi porté par la ministre de la culture aujourd'hui, mais comment faire pour échapper à cette difficulté ? Chacun se renvoie la balle ! Cela n'est pas une question personnelle, mais un problème structurel qui persiste, quel que soit le ministre en place.

Comment échapper à cette difficulté d'un paysage morcelé ? On n'a pas la capacité d'évaluer ce qui est fait ni la capacité d'évaluer les effets de ce qui est mis en oeuvre ni, enfin, de mettre en oeuvre une politique publique qui ait du sens et qui soit efficace !

M. Bruno Patino. - Je vais essayer de répondre à toutes ces questions lorsque cela est possible, car je rappelle que nous ne sommes ni législateur ni membre du gouvernement.

Nous avons été reçus par la ministre de la culture, qui nous a exprimé son souhait d'élaborer un projet de loi s'inspirant des EGI. Ce projet de loi devrait aborder un certain nombre de points. L'une des questions récurrentes est de savoir ce qui relève de l'espace européen et ce qui relève du domaine de la loi. Il s'agit là d'une question juridique et politique extrêmement importante. De temps en temps, nous avons pu être amenés à éclairer vos réflexions. Mais, nous ne sommes pas dans la rédaction du projet de loi et nous n'en connaissons pas les détails. Cependant, il me semble que pour le moment, ce projet de loi, conformément à la volonté de la ministre, reprend un grand nombre de points évoqués dans les EGI, y compris ceux qui concernent le secret des sources.

Je voudrais également aborder le sujet de l'éducation, que vous avez tous mentionné, ainsi que le sujet des plateformes et la régulation européenne. C'est un point central de nos travaux. Vous avez vu que le rapport était articulé en deux parties qui parlent de l'espace public français et de l'espace public européen. Je ne voudrais pas que l'on croie que les EGI se limitent à dire que les plateformes devront payer ou contribuer. La question de l'écosystème informationnel que proposent les plateformes est abordée de façon extrêmement détaillée et montre que ces plateformes contribuent à une polarisation tantôt involontaire, tantôt voulue, ainsi qu'à la désinformation. La place du pluralisme des algorithmes nous paraît essentielle. Aucune des plateformes n'en veut, évidemment. Mais les trois niveaux de pluralisme des algorithmes repris in extenso par le comité de pilotage signifient que chaque réseau ou chaque plateforme devrait devenir pluraliste, c'est-à-dire avoir une sorte de pluralisme interne. Cela signifie qu'un journal comme Le Monde ou Le Figaro, peut proposer un algorithme qui oriente, articule ou organise son fil X, TikTok ou autre. Ce pluralisme est essentiel. Il faut essayer de profiter des quelques ouvertures qui semblent exister afin de l'imposer au niveau européen et de l'encourager, en tout cas, au niveau français.

Le deuxième sujet concerne le devoir d'affichage. Une des garanties du pluralisme est d'essayer d'avoir un citoyen de moins en moins manipulé. La loi Bichet du 2 avril 1947 impose aux marchands de presse de devoir prendre tous les journaux distribués et aux distributeurs de distribuer tous les journaux bénéficiant d'un numéro de commission paritaire pour justement assurer une absence de barrière, économique ou politique, existant chez le distributeur ou chez le point de vente.

Ce devoir d'affichage est plutôt une absence de droit de ne pas afficher. C'est une sorte de « loi Bichet » pour l'univers numérique des plateformes. On sait très bien aujourd'hui qu'un certain nombre de plateformes pénalisent l'information dans leur structure économique parce que le message informationnel n'apporte pas beaucoup d'argent, voire, de temps en temps même, ne les affiche plus du tout. Or nos concitoyens, qu'on le veuille ou non, passent énormément de temps à s'informer, se divertir, se cultiver au sein de ces plateformes-là. Si l'information est marginalisée de façon volontaire, cela pose un problème de pluralisme.

Pour nous, tout ce qui a trait au pluralisme des algorithmes, à l'obligation d'affichage, ou encore à l'exercice ou l'extension d'une forme de responsabilité, sont des sujets de niveau européen, mais qui doivent être également mentionnés dans la loi française.

En tout cas, l'abus n'est pas forcément bon. Nous avons tous l'exercice de notre propre liberté. Savoir que ce n'est pas forcément bon ou savoir qu'on est manipulé et y céder, sont des éléments de cette liberté.

La première réponse consiste à diminuer le degré de manipulation. Nous savons aujourd'hui à quel point la structure même de fonctionnement de ces plateformes accentue l'accélération et l'amplification des messages les plus émotionnels, donc la plupart du temps des messages de désinformation ou des messages de mésinformation.

Ce qu'on appelle le « dark design », l'amplification algorithmique des messages émotionnels, se confronte à la législation européenne sur les services numériques (« Digital Services Act » ou DSA) et sur les marchés numériques (« Digital Markets Act » ou DMA), qui propose que seuls les algorithmes publicitaires ne soient pas organisateurs des réseaux sociaux ou autres. Il faut évidemment réguler la structure de fonctionnement de ces plateformes.

Deuxièmement, je pense que quand on informe bien ou quand on forme bien nos concitoyens du fait qu'ils sont manipulés à un moment donné, on ne diminue peut-être pas leur exposition aux messages de désinformation ni le fait d'y avoir recours de temps en temps, mais je pense qu'on diminue la crédulité. Et ce travail sur la crédulité sur les plateformes est important.

Cela m'amène à l'intelligence artificielle (IA). Je rappelle que les EGI ont été lancés en octobre 2023. Si aujourd'hui, les IA génératives nous semblent faire partie de notre environnement habituel, cela n'est que le début.

J'ai plusieurs pistes de réponse aux questions posées sur ce sujet.

Tout d'abord, le débat n'est pas uniquement français autour de l'IA de confiance. C'est un sujet qui a été porté au sein de l'UE par plusieurs acteurs, dont le Parlement européen, et par des spécialistes. Aujourd'hui, on ne peut pas reprocher à chaque « Generative Pre-trained Transformer » (GPT) de ne pas dire la vérité. Cela ne fait pas partie de son rôle. Son rôle, c'est de deviner un mot qui viendra après le mot précédent. C'est une démarche statistique. Et on ne peut pas demander à une démarche statistique de dire la vérité !

L'ambiguïté qui fait croire qu'on pourrait s'informer par un chatbot (ChatGPT), qui est un outil qui n'a jamais prétendu informer qui que ce soit, ni même former qui que ce soit, est un malentendu. On en revient à la formation.

Ces questions d'IA autour des assistants personnels et des IA labellisées vont se poser. On va retrouver cette double question de labellisation à un moment ou à un autre. On demande à la profession d'avoir des critères de labellisation lorsqu'ils exercent une responsabilité éditoriale. On aura, j'espère, des IA labellisées d'information.

C'est là toute la question de l'équilibre, très ténu, qui se joue aujourd'hui, entre les intérêts économiques et l'intérêt général. Les médias d'information doivent être à la base de l'entraînement des IA qui vont nous informer plus tard pour que justement ces IA nous proposent quelque chose de confiance.

C'est là où, à mon avis, intervient le législateur et l'Union européenne, afin de s'assurer qu'il n'y ait pas d'antinomie entre les deux démarches. Si, à un moment donné, les médias d'information exercent leur droit d'« opt-out » et que les IA s'entraînent sur des informations approximatives, conspirationnistes ou autres pour nous informer, alors l'espace informationnel connaîtra une dégradation bien plus importante qu'il ne le connaît aujourd'hui.

Personnellement, je pense que l'avenir est dans la mise en place d'une licence légale pour les médias d'information au sein de l'IA. Mais c'est un avis personnel, nous n'en avons pas discuté au sein des EGI.

Tout journaliste a une source. Mais, si on parle d'un point de vue purement professionnel, un contenu journalistique est une présentation des faits, certes, mais une présentation qui, à un moment donné, est vérifiée. Donc, il y a un processus professionnel de vérification, qui est « désintéressé », c'est-à-dire réalisé de façon indépendante, en dehors du propre intérêt personnel, qu'il soit économique, politique, social, familial, et qui engage la responsabilité de la personne qui le génère. Si on part de ce principe-là, on voit bien comment un média d'information engage sa propre responsabilité.

Je reviens sur la question de savoir ce que c'est d'être journaliste en 2024.

Nous avons publié une étude menée avec l'IFOP, sur le ressenti actuel des journalistes dans leur façon de faire leur métier. Est-ce qu'ils se sentent menacés ou pas ? J'ai noté que les journalistes ont l'impression que les gens pensent qu'ils ne travaillent pas de façon indépendante. C'est une question centrale dans le schéma institutionnel et informationnel qui est le nôtre, de la perception croisée des trois acteurs dont je parle, des citoyens, des patrons de presse et des journalistes, et de la réalité factuelle de l'exercice de leur pouvoir.

Cela me permet de revenir sur votre frustration en termes de gouvernance. Comme je dis, l'arbre du droit d'agrément cache la forêt de la gouvernance des médias. Il y a eu des débats internes très forts au sein des EGI sur la question de savoir s'il fallait un droit d'agrément des rédactions sur leur patron, si en ne prenant pas ce droit d'agrément, les EGI ne servaient à rien parce qu'ils avaient raté « le coche » pour réformer l'espace informationnel... On a été totalement transparents et on a proposé différentes modalités. Mais nous ne sommes pas, encore une fois, ni législateurs ni membres du gouvernement. La décision vous appartient.

Si l'on observe aujourd'hui le nombre de rédactions qui exercent le droit d'agrément sur les 32 000 ou 33 000 cartes de presse en France, c'est une toute petite minorité. Faut-il généraliser cela au prix de la fragilisation des petites structures ? Je ne tranche pas. Je sais que cette question est importante, mais je ne veux pas faire d'un choix du comité de pilotage une règle absolue.

Faut-il un comité de déontologie central ? C'est une discussion qui existait aussi pendant les états généraux de la presse écrite auxquels j'ai participé, en 2008. C'est une question récurrente qui divise extraordinairement la profession. Nous avons tous une charte unique déontologique, qui correspond au serment d'Hippocrate de chaque médecin. Je ne connais aucune rédaction qui n'en fasse pas mention. Certaines rédactions la complètent. Quand vous avez une carte de presse, vous êtes censé adhérer à cette charte-là qui est l'alpha et l'oméga de votre déontologie.

Faut-il un organe centralisé qui décide à un moment donné de qui est journaliste, qui ne l'est pas ? Il y a un organe qui a été créé. Certains médias décident de l'écouter, d'autres, pas. Cette question divise le métier, comme vous le savez, très fortement. Certains disent qu'il ne faut pas de Conseil de l'ordre central, parce que l'information, c'est avant tout un pluralisme et l'exercice d'une liberté avec une déontologie partagée. Dans le modèle belge ou le modèle espagnol, des commissions de déontologie sont uniquement consultatives, sans pouvoir décisionnel.

Concernant l'audiovisuel public, vous comprendrez que c'est très compliqué, étant président du comité de pilotage, d'utiliser mon temps de parole pour plaider en faveur d'Arte. Quoi qu'il en soit, Arte, étant le fruit d'un traité international, est une entreprise différente par sa nature des autres entreprises d'audiovisuel public.

En revanche, qu'un financement indépendant de l'audiovisuel public soit perçu par le Conseil constitutionnel et l'ensemble de l'écosystème comme une condition d'exercice de son métier me paraît une évidence. Avoir échappé à la budgétisation nous semble très positif.

Enfin, concernant l'éducation aux médias, nous avons plaidé pour avoir une mesure d'impact qui soit interministérielle. Il est essentiel, pour nous, quoi qu'il arrive, que l'éducation aux médias ne soit pas optionnelle. Vous avez mentionné à juste titre le modèle finlandais. Ce modèle nous semblait important parce qu'il était pluridisciplinaire et nous proposait des pistes pour résoudre la pénurie de moyens.

Au regard du nombre d'élèves, du nombre de classes, du nombre d'établissements, le fait de ne pas avoir un programme donné bien normé, évolutif suivant les niveaux, qui permet de passer progressivement de l'éducation du fait, du libre arbitre, à l'enseignement de ce qu'est l'écosystème informationnel et à la façon dont vous pouvez être manipulé, est essentiel et nécessite une démarche interministérielle.

La question, c'est la modalité, c'est comment on fait cela. Et donc, à un moment donné, cela nécessite effectivement un accord interministériel et sans doute une volonté politique exprimée au plus haut niveau.

M. Laurent Lafon, président. - Votre présentation ouvre beaucoup de pistes de réflexion. Nous aurons certainement à y revenir.

Félicitations pour les résultats de ces États généraux. Ce n'était pas une évidence d'y parvenir. Les propositions formulées réunissent un certain consensus des professionnels. Elles peuvent sans doute aussi réunir un certain consensus autour des acteurs politiques. Nous allons continuer de travailler dans la direction de ce qui a été esquissé.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - La suite de notre ordre du jour appelle l'examen du rapport pour avis de notre collègue Christian Bruyen sur la partie consacrée à l'enseignement agricole du projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole.

Je vous précise que ce texte, renvoyé à la commission des affaires économiques, devrait être inscrit à l'ordre du jour de nos séances de janvier prochain.

Je laisse la parole à notre rapporteur pour nous présenter son analyse des articles en question et ses propositions sur ce texte.

M. Christian Bruyen, rapporteur. - Nous devions examiner en juin dernier ce projet de loi, mais la dissolution avait alors stoppé net la navette parlementaire deux jours avant son examen en commission. Cette fois, cela s'est peut-être joué à quelques heures, mais nous y sommes. Le texte que nous examinons est celui adopté par l'Assemblée nationale au printemps dernier. Le contexte agricole reste le même aujourd'hui qu'hier, s'agissant en particulier de l'enjeu du renouvellement des générations. Les chiffres sont vertigineux, puisque d'ici 10 ans, la moitié des exploitants agricoles seront partis à la retraite. Les politiques de formation et d'installation des futurs agriculteurs ont un rôle majeur à tenir dans un avenir proche.

Les dispositions relatives à l'enseignement agricole présentes dans ce projet de loi font certes l'objet de remarques, de divergences parfois et d'inquiétudes. Toutefois, elles font globalement consensus entre l'ensemble des acteurs que j'ai auditionnés. Elles reprennent d'ailleurs plusieurs recommandations qui sont issues de notre commission et du Sénat.

Ce projet de loi propose quatre évolutions importantes dans les domaines relevant de la compétence de notre commission. Il vise avant tout à fortement augmenter le nombre d'apprenants. Ces effectifs s'étiolaient année après année entre 2009 et 2019. On note un petit rebond salutaire ces quatre dernières années, avec 1 % de croissance annuelle. La marche reste cependant haute pour atteindre les objectifs ambitieux fixés pour 2030 par nos collègues députés : une augmentation de 30 % des effectifs dans les formations préparant aux métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire par rapport à 2022 ; une croissance de 75 % de vétérinaires formés en France par rapport à 2017 et enfin une hausse de 30 % d'ingénieurs agronomes formés par rapport à 2017.

Interrogé sur la faisabilité de ces objectifs, le ministère les considère atteignables grâce notamment à un choc d'attractivité décliné en quatre points. Il s'agira tout d'abord d'enclencher un processus de promotion de l'enseignement agricole. Cela passe en premier lieu par une promotion dès l'école primaire en permettant aux plus jeunes d'établir des contacts avec le monde agricole par la mise en oeuvre d'actions de découverte. Par ailleurs, des stages de découverte des métiers du vivant seront organisés pour tous les élèves du niveau collège. Il ne s'agira que de temps d'observation et donc limité sur le plan des responsabilités. On peut le regretter, mais il ne peut évidemment pas en être autrement avec un public aussi jeune. Sans accompagnement local, ce dispositif risque toutefois de connaître les mêmes difficultés que celles rencontrées par les élèves de seconde en juin dernier pour trouver un stage de fin d'année obligatoire. L'annonce de cette mesure huit mois auparavant a malheureusement fait l'objet d'une insuffisante collaboration entre les acteurs pour sa mise en oeuvre.

Dernier échelon de cette campagne de promotion, l'ensemble des enseignants et personnels de l'éducation nationale bénéficieront d'une information renforcée sur les différentes formations qui sont proposées par l'enseignement agricole. À plusieurs reprises notre commission a alerté sur les connaissances souvent lacunaires de ces personnels qui jouent pourtant un rôle essentiel dans l'orientation des élèves.

La seconde avancée portée par ce texte consiste en la création d'une sixième mission pour l'enseignement agricole. Celle-ci ancre le rôle de l'enseignement agricole en matière de renforcement de la souveraineté alimentaire et de préparation aux transformations majeures que connaît le monde agricole.

Le troisième point concerne à l'article 4 la mise en place d'une cartographie à l'échelle des régions des besoins de consolidation ou d'ouverture de sections de formation.

Il s'agit, au regard des besoins identifiés, d'établir un contrat de plan régional entre la région, l'État, les établissements d'enseignement ainsi que les branches professionnelles. Ce document fixera des objectifs d'accroissement du nombre de personnes à former et déterminera les engagements de chacun pour y parvenir.

Cette analyse territoriale donnera une visibilité pluriannuelle aux établissements. C'est une avancée importante, notamment pour les classes à petits effectifs : aujourd'hui, elles sont en sursis avant chaque nouvelle rentrée.

L'État, pour sa part, s'engagera à accorder localement des moyens supplémentaires aux filières pour lesquelles un accroissement du nombre de jeunes à former est prévu dans le plan régional.

Enfin, dernière avancée majeure de ce texte, un « bachelor Agro » renommé à l'Assemblée nationale en « diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie » est créé. Il répond à un double besoin de l'enseignement agricole supérieur court : une meilleure lisibilité dans l'échelle des diplômes et une réponse aux attentes des professionnels.

Selon les informations transmises par le ministère, ce diplôme devrait contenir huit mentions. Il sera de cette manière bien plus visible que les 176 licences professionnelles actuelles qui ne répondent pas aux attentes des exploitants agricoles. Par ailleurs, le maillage des licences professionnelles dépend des universités et du ministère de l'enseignement supérieur. Dès lors, ces formations peuvent être amenées à fermer du fait d'un redéploiement de postes au sein d'une université ou bien du départ d'une personne-ressource.

Surtout, il s'agira d'un diplôme du ministère de l'agriculture : celui-ci aura la main sur le cahier des charges des formations et pourra, dans ce cadre nouveau, accorder des moyens spécifiques, notamment des postes enseignants, pour préparer à ce diplôme.

Se pose encore la question de la dénomination de ce diplôme. Les avis sont partagés sur ce terme de « bachelor » qui peut parler aux jeunes. Je souligne toutefois le risque que des officines privées jouent sur la confusion entre titres et diplômes, comme elles le font déjà dans bien d'autres filières de l'enseignement supérieur. Elles proposent ainsi des formations dénommées bachelor, sur la base de titres loués au répertoire national des compétences. Mais au final, la formation ne débouche sur aucune qualification véritable ni reconnaissance. Nous aurons sans doute à débattre du nom de ce diplôme en séance.

Une plus forte promotion de l'enseignement agricole, une meilleure articulation entre éducation nationale et enseignement agricole, une possible prise en compte de la spécificité des classes à petits effectifs et un diplôme d'études supérieures en adéquation avec les besoins des métiers agricoles : ce texte répond sur ces points aux attentes de notre commission.

Je dois toutefois nuancer ce tableau positif par trois alertes qui ne relèvent pas d'amendements.

Premièrement, il me semble important de ne pas oublier que l'enseignement agricole forme au-delà des métiers de l'agriculture. Je pense aux métiers de services, d'animation et de développement des territoires. J'avais interrogé Marc Fesneau, alors ministre de l'agriculture, sur un risque de transfert de moyens entre les formations de services aux personnes et les formations agricoles. Il avait affirmé qu'il n'y avait pas de volonté du gouvernement de « vases communicants » entre les différentes formations. Il a toutefois précisé qu'il s'agissait d'un engagement « à date ».

J'ai posé la même question à Annie Genevard, il y a quelques semaines. Là encore, les propos se sont voulus très rassurants. Elle a affirmé devant nous que les deux filières, filière agricole et filière des métiers de services, sont essentielles, en précisant qu'il s'agissait bien d'un point de vue personnel. Il nous faudra être vigilants dans le contexte budgétaire actuel : les métiers des services aux personnes sont essentiels, particulièrement dans la ruralité - mais pas seulement.

Mon second point d'alerte concerne la formation vétérinaire. Certes, le texte fixe un objectif ambitieux d'augmentation de 75 % du nombre de vétérinaires formés en France et lance les réflexions sur une cinquième école vétérinaire publique. Mais il faut également réfléchir sur la manière d'attirer ces jeunes vétérinaires sur la « médecine des champs » plutôt que sur la « médecine des villes », aujourd'hui bien plus séduisante pour eux.

Enfin, les efforts pour attirer les jeunes vers les métiers de l'agriculture seront vains, sans amélioration des conditions de travail et de revenus des agriculteurs.

Ces points vont bien sûr au-delà du champ de compétences de notre commission, mais sont pourtant des conditions essentielles pour relever le défi qui nous attend.

Je vous proposerai tout à l'heure quatre amendements qui s'inscrivent dans les positions portées par notre commission. Les voici en quelques mots. Le premier supprime toute référence au service national universel (SNU) dans ce texte. C'était déjà mon intention en juin dernier. La position de la commission sur le SNU lors de l'examen du PLF 2025 justifie d'autant plus cet amendement.

Le deuxième amendement supprime l'article 2 ter qui prévoit une expérimentation pour trois ans de conventions entre les lycées de l'éducation nationale et ceux de l'enseignement agricole permettant de suivre en seconde une option non proposée par l'établissement de base. Cet article fragilise l'enseignement agricole.

Le troisième amendement améliore le dispositif du « DASEN agricole » pour renforcer son rôle et en faire un homologue du directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN). Actuellement, le texte prévoit que le représentant de l'enseignement agricole assiste le DASEN. Or, il ne doit pas y avoir de hiérarchie entre eux.

Enfin, je vous proposerai d'actualiser la procédure disciplinaire dans l'enseignement supérieur agricole, aujourd'hui obsolète.

Chers collègues, 40 ans après les lois Rocard fondatrices de l'enseignement agricole, ce projet de loi consolide l'enseignement agricole. Toutefois, au-delà des textes, l'avenir de l'enseignement agricole dépendra d'actions concrètes. Notre commission, j'en suis sûr, y sera particulièrement attentive.

Mme Annick Billon. - Je remercie notre rapporteur pour ses travaux et ses propositions d'amendements. Cette loi est certes attendue, mais elle n'est pas suffisante. Ce texte va sans doute contribuer au renouvellement générationnel chez les agriculteurs, mais il n'y parviendra pas seul.

Pour y parvenir, le métier d'agriculteur doit redevenir attractif. Cela passe bien sûr par la rémunération. Les différentes lois Egalim n'ont pas réussi à atteindre leurs objectifs. Cela nécessite également une reconnaissance de leur métier, en mettant fin à l'agribashing, l'arrêt des contrôles intempestifs de l'office français de la biodiversité (OFB), une décision ferme contre l'accord avec le Mercosur ainsi que l'arrêt d'une surtransposition des normes. Le refus de l'accord avec le Mercosur participe de notre souveraineté alimentaire.

Nous le constatons dans nos départements : le métier d'agriculteur est un métier de passionnés. Il faut en effet l'être pour travailler autant et gagner si peu.

Le nombre d'apprenants a augmenté ces dernières années. Cette augmentation doit s'accompagner de moyens. Or, la situation financière d'un certain nombre d'établissements d'enseignement agricole ainsi que de leurs exploitations est inquiétante.

Ce texte évoque la question de l'orientation qui ne peut être éclairée sans fluidité entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole.

Quant au manque de vétérinaires, prenons en compte la féminisation de ces métiers et ses conséquences en termes d'organisation du travail : il faut anticiper cette évolution.

Enfin, comme le rapporteur, je me réjouis de la création du « bachelor agro ».

Je déposerai à l'occasion de l'examen du texte en séance, quelques amendements d'ajustement techniques.

M. Bernard Fialaire. - Je partage la position du rapporteur à une nuance près : le SNU. Je rappelle que le SNU a été mis à contribution pour accueillir des élèves qui ne trouvaient pas de stage, par manque de réseaux ou de connaissances. Pour ceux-ci, le SNU peut être l'occasion de découvrir de nouveaux horizons.

Mme Karine Daniel. - Je lie les ambitions de cette loi d'orientation au budget que nous sommes en train d'examiner. Or, les moyens ne sont pas à la hauteur des objectifs affichés par ce texte. Certes ce texte prend en compte les enjeux agroécologiques et environnementaux, mais sans moyens fléchés.

Par ailleurs, nous partageons les interrogations du rapporteur sur la notion de « bachelor » et les effets concurrentiels qu'elle pourrait entraîner.

L'enseignement agricole accueille une proportion importante de filles. Toutefois, au moment de l'installation en exploitation agricole, on constate un fort taux de décrochage : ce sont principalement les hommes qui créent leur exploitation. Une politique d'encouragement et d'accompagnement des jeunes filles à l'installation doit être menée.

Notre avis est plutôt réservé au regard du manque de moyens pour atteindre les objectifs que fixe ce texte.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Ce texte est attendu. Pour répondre aux enjeux de l'agriculture et du monde agricole, il est indispensable de prendre en compte les contraintes des territoires. Ce projet de loi évoque la souveraineté alimentaire. Pour certains territoires, il faut même aller jusqu'à l'autonomie alimentaire. Je pense notamment aux territoires ultramarins, qui peuvent très rapidement subir de fortes contraintes du fait des conflits internationaux. Je note d'ailleurs que les territoires d'outre-mer ne sont pas oubliés, même si, comme toujours, les dispositions les concernant sont reléguées à la fin du texte.

Enfin, ce texte prévoit un plan national pour la souveraineté agricole. Il me parait indispensable de prévoir des déclinaisons régionales y compris en termes d'enseignement. Les dimensions agricoles, culturelles et territoriales sont liées. Ce que l'on produit et consomme raconte notre identité et notre culture.

Je souhaite préciser qu'en matière agricole les Outre-mer sont un atout pour l'agriculture française. Nos productions agricoles représentent un patrimoine génétique très important pour le pays qui pourrait être mis à contribution dans les études menées pour adapter les cultures et méthodes d'élevage au changement climatique. Je terminerai ce point en évoquant l'industrie de la canne à sucre. Celle-ci est critiquée et contestée mais elle reste un pilier d'une économie locale et une fierté française.

Enfin, ce texte souhaite promouvoir l'enseignement agricole dès l'école primaire. C'est une bonne chose, encore faut-il que cette promotion soit accompagnée de formations. Or, lors de l'examen du budget pour 2025, la formation des enseignants est largement impactée par les réductions de crédits.

Mme Mathilde Ollivier. - Notre groupe salue l'objectif d'une augmentation des effectifs de 30 %. Mais comme cela vient d'être mentionné par certains collègues, les moyens ne sont pas à la hauteur de cette cible.

Le rapporteur a évoqué le défi du départ à la retraite d'un nombre important d'agriculteurs ces prochaines années, avec un risque de concentration accrue des terres agricoles.

Je souhaite revenir sur l'importance de former à l'adaptation au changement climatique, mais aussi à l'agro-écologie et à la préservation de la fertilité des sols : 89 % des sols agricoles français sont aujourd'hui dégradés, entraînant une perte de biodiversité et de matières organiques, ou encore de l'érosion. Certes, ces thématiques sont présentes dans les programmes d'enseignement, mais elles doivent disposer de moyens bien supérieurs pour former correctement les agriculteurs de demain.

J'ai entendu les propos concernant la nécessité d'arrêter les contrôles intempestifs de l'office français de la biodiversité. Ce qui m'étonne, c'est que personne ne condamne les attaques et intimidations directes dont sont victimes les agents de l'OFB.

Enfin, en tant que sénatrice représentant les Français de l'étranger, je suis régulièrement interpellée par des étudiants français qui font leurs études vétérinaires à l'étranger faute de places en France, pour ensuite revenir grâce à des équivalences de diplômes. Celles-ci existent, mais sont compliquées à obtenir.

Comme nos collègues socialistes, nous réservons notre avis sur ce texte.

M. Christian Bruyen. - Je partage vos remarques sur la nécessité de disposer des moyens nécessaires pour atteindre les augmentations d'effectifs ambitieuses portées par ce texte. À moyen terme, ils seront nécessaires. Je pense toutefois qu'actuellement, notamment en raison du recul des effectifs entre 2009 et 2019, l'enseignement agricole est en capacité d'absorber la légère croissance des effectifs qu'il connait depuis 2019.

La question de la féminisation de la profession a été évoquée. C'est un enjeu important sur lequel notre commission pourrait se pencher.

En ce qui concerne la promotion de l'enseignement agricole dès le primaire, il est essentiel de former les enseignants. Le « DASEN agricole » a également un rôle à jouer. Je vous proposerai tout à l'heure un amendement visant à étendre ses compétences.

Je ne partage pas la position de Bernard Fialaire sur le SNU. C'est l'un de nos rares points de désaccord sur l'enseignement agricole. Je ne suis pas certain que le SNU soit la bonne réponse à apporter à des élèves qui auraient des difficultés à trouver des stages. Par ailleurs, en raison de leur âge et pour des questions de responsabilité, ils seront cantonnés à des stages d'observation, limitant l'intérêt de la démarche.

En ce qui concerne le bachelor, je partage vos interrogations sur sa dénomination anglaise. Je l'ai d'ailleurs indiqué à nos collègues de la commission des affaires économiques, mais je ne suis pas sûr d'avoir été entendu. Certains considèrent que les dérives observées dans l'enseignement supérieur ne pourraient pas arriver dans la formation agricole. Je les pense au contraire possibles.

Il faut former les enseignants pour les aider à appréhender les nouvelles pratiques agricoles à transmettre face au double défi du changement climatique et de la souveraineté alimentaire - ce qui constitue désormais la sixième mission de l'enseignement agricole. Celui-ci s'est déjà engagé depuis plusieurs années dans cette démarche mais doit poursuivre ses efforts.

Enfin, l'enjeu de l'installation est un sujet très important qui va au-delà des compétences de notre commission. Aujourd'hui, deux tiers des jeunes en formation agricole souhaitent s'installer en tant que responsable agricole. Sur les deux tiers, la moitié peut s'appuyer sur des exploitations familiales. Il reste l'autre moitié pour laquelle les obstacles à franchir sont nombreux.

J'ai écouté avec attention les difficultés que rencontrent les étudiants français partis suivre leurs études vétérinaires à l'étranger lorsqu'ils veulent ensuite revenir en France. La création d'une cinquième école vétérinaire vise notamment à répondre partiellement au nombre insuffisant de places au sein des formations vétérinaires. Toutefois, selon moi, la priorité est d'inciter les vétérinaires à exercer à la campagne.

EXAMEN DES ARTICLES

M. Laurent Lafon, président. - Notre rapporteur nous propose quatre amendements.

Article 2

M. Christian Bruyen, rapporteur. - L'amendement COM-641 vise à supprimer du texte toute mention du SNU.

L'amendement COM-641 est adopté.

Article 2 ter (nouveau)

M. Christian Bruyen, rapporteur. - L'amendement COM-642 vise à supprimer l'article 2 ter, inséré par nos collègues députés. Cet article ouvre la voie à un conventionnement entre lycées de l'éducation nationale et lycées de l'enseignement agricole. Il s'agit de permettre à un élève de suivre dans un lycée de l'autre voie de formation une spécialité ou une option qui n'existe pas dans son établissement. Une telle démarche risque de remettre en cause la spécificité de l'enseignement agricole. Je pense par exemple à l'option « écologie, agronomie, territoire et développement durable » ou encore à la spécialité « biologie-écologie ». Les enseignants de collège connaissent mal l'enseignement agricole et sont parfois réticents à ce que leurs élèves y poursuivent leurs études. La tentation sera sans doute grande pour l'éducation nationale de présenter cette mesure comme permettant à un élève de suivre sa scolarité dans un lycée de l'éducation nationale, à l'exception d'une option. L'enseignement agricole y perdrait des élèves.

Par ailleurs, pour l'enseignement agricole, certaines directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) y verront peut-être une solution pour économiser quelques postes de spécialités et d'options dans leurs établissements. Enfin, cette disposition interroge sur sa mise en oeuvre : les établissements sont souvent éloignés géographiquement les uns des autres. Pour toutes ces raisons, je vous propose la suppression de cet article.

Mme Karine Daniel. - Pour ma part, je pense que cet article peut aussi permettre à des élèves de l'enseignement général de découvrir l'enseignement agricole et d'y poursuivre ensuite leur formation. Nous voterons contre cet amendement.

L'amendement COM-642 est adopté.

Article 3

M. Christian Bruyen. - L'amendement COM-643 concerne le correspondant départemental de l'enseignement agricole. Cette idée est régulièrement portée par notre commission. Elle a été introduite dans le texte à l'Assemblée nationale.

Toutefois, telle que rédigée, cette disposition ne concerne que les lycées agricoles publics. Or, l'enseignement agricole privé sous contrat est un partenaire historique de l'enseignement agricole. De plus, le représentant de l'enseignement agricole serait chargé d'assister le DASEN en matière d'orientation. Il ne saurait y avoir de hiérarchie entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole. Par ailleurs, ses missions doivent être élargies à la promotion des métiers du vivant et inclure des actions à destination de l'ensemble des acteurs de l'orientation, notamment les Psy-EN ainsi que les conseillers d'information et d'orientation.

L'amendement COM-643 est adopté à l'unanimité.

Article additionnel après l'article 3

M. Laurent Lafon, président. - L'amendement COM-644 concerne la modernisation de la procédure disciplinaire dans l'enseignement agricole supérieur. Ce sujet avait notamment été abordé par les représentants de l'enseignement agricole supérieur que nous avions auditionnés au printemps.

M. Christian Bruyen. - Cet amendement aligne la procédure disciplinaire des établissements d'enseignement agricole supérieur sur celle existante dans l'enseignement supérieur, modifiée par la loi de transformation de la fonction publique de 2019.

Il s'agit de renforcer l'impartialité des conseils disciplinaires en prévoyant une procédure de récusation en cas de doute sur son impartialité et en instaurant une possibilité de dépaysement de la procédure. Par ailleurs, la présidence du conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche agricole, agroalimentaire et vétérinaire (CNESERAAV) sera confiée à un conseiller d'État lorsqu'il statue en matière disciplinaire. Enfin, le ministre pourra suspendre un personnel de l'enseignement supérieur agricole de ses fonctions pour une durée maximale d'un an.

Lors de son audition en mai dernier, le directeur général d'AgroParisTech avait souligné l'urgence de moderniser ces procédures disciplinaires.

M. Pierre Ouzoulias. - Nous voterons cet amendement. Toutefois, il me semble important d'avoir une réflexion globale sur les procédures disciplinaires dans l'enseignement supérieur. Il s'agit de l'une des recommandations du rapport sur l'antisémitisme à l'université. De nombreux présidents d'université demandent une mise à niveau d'un système dont ils estiment qu'il fonctionne de moins en moins bien.

M. Christian Bruyen, rapporteur. - Cet amendement permettra de ne pas oublier l'enseignement agricole supérieur lors d'une réflexion future éventuelle.

L'amendement COM-644 est adopté à l'unanimité.

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des articles de ce projet de loi dont elle s'est saisie pour avis, sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle a ainsi adoptés.

La réunion est close à 11 h 30.