Jeudi 28 novembre 2024
- Présidence de Mme Micheline Jacques -
Audition de M. Stanislas Martin, rapporteur général de l'Autorité de la concurrence
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin les auditions pour notre étude relative à la lutte contre la vie chère que nous avons lancées le 14 novembre dernier avec l'audition de M. Christophe Girardier, qui a suscité un certain nombre de réactions.
Je saisis donc l'occasion pour effectuer une petite mise au point. Je souhaite que nos travaux soient sereins et qu'ils objectivent la réalité pour trouver des solutions durables. Nous prendrons le temps d'entendre les différents points de vue afin de formuler des propositions constructives, comme cela a toujours été le cas pour les travaux de la délégation aux outre-mer.
Je rappelle également que, pour cette étude, nous avons désigné trois binômes de rapporteurs composés d'Hexagonaux et d'ultramarins, selon le principe de parité et d'équilibre qui régit depuis l'origine notre délégation : Dominique Théophile (RDPI - Guadeloupe) et Évelyne Perrot (UC - Aube) ; Jocelyne Guidez (UC - Essonne) et Teva Rohfritsch (RDPI - Polynésie) ; Viviane Artigalas (SER - Hautes-Pyrénées) et moi-même.
Pour notre deuxième audition, nous avons convié M. Stanislas Martin, rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, afin qu'il nous aide à mieux identifier les facteurs de la vie chère dans nos outre-mer et à formuler nos futures recommandations. Nous vous remercions vivement, Monsieur Stanislas Martin, pour votre disponibilité.
Vous connaissez bien l'Autorité de la concurrence, puisque vous y avez été nommé rapporteur général adjoint en 2009. Vous avez ensuite, entre 2010 et 2017, été chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, au sein du ministère de l'Économie et des Finances. Pendant cette période, vous avez d'ailleurs eu une expérience en outre-mer puisque vous avez été, en octobre 2011, médiateur à Mayotte pour mener des discussions sur les prix des produits de première nécessité.
Nommé rapporteur général de l'Autorité de la concurrence en 2017 pour quatre ans, vous avez été renouvelé dans vos fonctions en 2021 pour quatre années supplémentaires, autant dire que vous connaissez parfaitement le sujet de notre étude.
Pour cette audition, nous vous avons adressé comme à l'accoutumée un questionnaire indicatif sur lequel vous pourrez vous appuyer pour votre exposé liminaire.
Parmi nos nombreuses interrogations figure votre appréciation du bilan de la mise en oeuvre des recommandations faites par l'Autorité de la concurrence dans son avis du 4 juillet 2019 sur le fonctionnement de la concurrence outre-mer.
Selon vous, toutes les facultés offertes par la loi (saisine par le préfet notamment) sont-elles bien utilisées ?
Nos pistes de réflexion portent aussi sur la réorientation des flux commerciaux vers le marché régional et l'adaptation des normes européennes. Quels pourraient en être les leviers pour atteindre ces objectifs ?
Après votre exposé liminaire, je donnerai la parole aux rapporteurs et à nos collègues pour leurs questions.
Sans plus tarder, Monsieur le rapporteur général, vous avez la parole.
M. Stanislas Martin, rapporteur général de l'Autorité de la concurrence. - Madame le président, mesdames et messieurs les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer, je vous adresse mes remerciements pour votre invitation.
Les territoires ultramarins constituent une priorité constante de l'Autorité de la concurrence. La lutte contre la vie chère dans ces territoires, inscrite parmi les trois axes stratégiques de notre dernière feuille de route, oriente résolument l'ensemble de notre action.
En 2023, sur un total de 24 décisions de sanction, 6 ont concerné les territoires ultramarins, soit 25 % de nos interventions.
Il convient de souligner que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française disposent de leurs propres autorités de concurrence, avec lesquelles l'Autorité de la concurrence entretient une étroite collaboration.
S'agissant de notre champ d'action, l'Autorité de la concurrence intervient selon trois axes principaux : la sanction des pratiques anticoncurrentielles, incluant l'abus de position dominante, les ententes entre concurrents, ainsi que les exclusivités d'importation prohibées par la loi Lurel du 20 novembre 2012 ; le contrôle des concentrations : toute entreprise souhaitant procéder à une concentration et dépassant les seuils réglementaires de chiffre d'affaires est tenue d'en notifier l'Autorité ; l'émission d'avis à destination des pouvoirs publics, en vue d'enrichir les réflexions du Gouvernement et du Parlement.
La coopération entre l'Autorité de la concurrence et les services locaux de la DGCCRF dans les outre-mer constitue une pièce maîtresse de notre déploiement. Nos interlocuteurs sur le terrain, les DREETS (directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) jouent un rôle essentiel en tant que relais dans la transmission d'indices et d'éléments concrets.
Depuis sa création en 2008, l'Autorité de la concurrence a rendu 45 décisions contentieuses concernant les territoires ultramarins, totalisant un montant de 217 millions d'euros. Par ailleurs, 79 décisions ont été émises en matière de concentrations et 17 avis ont été formulés, portant sur des enjeux tant généraux que spécifiques.
Ces interventions couvrent une variété de secteurs, notamment la consommation, la viande fraîche, le poisson, la téléphonie ou encore le contrôle technique des poids lourds.
Actuellement, une vingtaine d'enquêtes sont en cours dans les outre-mer, dont plusieurs ont franchi le stade de l'instruction. Parmi les décisions attendues, le collège de l'Autorité de la concurrence finalise son délibéré concernant une affaire liée au transport aérien dans les Antilles, dont la publication est prévue dans les jours à venir.
Par ailleurs, Madame le président, je réponds à votre sollicitation concernant le bilan des recommandations formulées dans notre avis de 2019.
À cet égard, il convient de relever que la principale recommandation en attente d'application porte sur le développement du commerce en ligne. Cette mesure vise à faciliter les démarches fiscales et douanières liées aux commandes en ligne et à proscrire le « géoblocage », conformément au règlement (UE) n° 2018/302 du 28 février 2018 interdisant aux commerçants en ligne de bloquer ou de limiter l'accès à leurs produits ou services en fonction de la nationalité ou du lieu de résidence des consommateurs dans l'Union européenne.
Bien que l'applicabilité de ce règlement aux territoires ultramarins demeure à éclaircir, nous préconisons que le législateur renforce cette dynamique en imposant à tout opérateur livrant en France métropolitaine l'obligation d'accepter les livraisons vers les territoires ultramarins, en harmonisant également les tarifs d'octroi de mer. Cette proposition, à la fois simple à mettre en oeuvre et politiquement consensuelle, serait encline à éveiller l'intérêt des principales plateformes de commerce en ligne, qui n'exploitent pas encore pleinement ces marchés, leur offrant ainsi un levier de développement économique majeur.
Les autres recommandations ont été mises en oeuvre de manière relativement satisfaisante. En particulier, celle visant à simplifier le mécanisme d'injonction structurelle, qui permet à l'Autorité d'intervenir en cas de dysfonctionnements de marché ou de concentration excessive, demeure en suspens. Bien que la mesure ait été adoptée, elle se heurte à des complexités techniques notables dans sa mise en application.
De plus, des interrogations subsistent quant à la proportionnalité et la constitutionnalité du dispositif. Les modifications législatives entreprises pour faciliter l'injonction structurelle dans les outre-mer n'ayant pas abouti à la simplification escomptée, ce sujet demeure particulièrement délicat. En effet, lors des tentatives de mise en oeuvre, les critères fixés se sont révélés trop stricts, rendant impossible l'atteinte du seuil de preuve exigé.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Je vous remercie, Monsieur le rapporteur général, pour ces précisions. Je cède à présent la parole aux membres de la délégation.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Monsieur le rapporteur général, je tiens à vous remercier pour votre présence, votre intervention sera particulièrement précieuse pour l'élaboration de notre rapport. Eu égard à votre présentation des enquêtes en cours, constatez-vous un nombre plus élevé d'affaires dans les outre-mer par rapport à la France hexagonale ?
Par ailleurs, je m'interroge également sur les contacts que vous entretenez avec des pays voisins, comme Maurice, et si les problématiques liées à la vie chère y sont similaires à celles des outre-mer français.
Enfin, en tant qu'Autorité de la concurrence, envisagez-vous des mesures supplémentaires à mettre en place pour lutter contre la hausse des prix, et pourriez-vous nous éclairer sur la question des produits alimentaires, en particulier ?
M. Stanislas Martin. - Il est difficile d'établir une comparaison directe entre les affaires ultramarines et les affaires métropolitaines. Toutefois, l'année dernière, 25 % des décisions de sanction concernaient des affaires survenues dans les outre-mer, représentant une part considérablement plus élevée que celle du PIB des outre-mer dans le PIB national.
Cependant, il demeure délicat de déterminer si cette situation reflète une problématique plus aiguë dans les outre-mer ou si elle témoigne simplement d'un investissement plus important des pouvoirs publics dans ces territoires. Elle résulte, vraisemblablement, d'une combinaison de ces deux facteurs.
Néanmoins, il est indéniable que des cas sont régulièrement détectés dans ces territoires et que des sanctions sont appliquées en conséquence. Les infractions liées aux exclusivités d'importation, par exemple, sont en grande partie spécifiques aux outre-mer. Parmi les 45 décisions contentieuses prises depuis 15 ans sur les territoires ultramarins, 10 concernaient précisément les exclusivités d'importation.
Pour ce qui est de nos contacts avec les autorités de concurrence des pays voisins, il est vrai que ces échanges s'avèrent insuffisants. J'ai eu l'occasion de discuter avec l'autorité de concurrence de Maurice lors de la création de leur instance, toutefois ces discussions ne sont pas régulières.
Dans le Pacifique, un réseau des autorités de concurrence a récemment été mis en place à l'initiative de la Polynésie, regroupant des acteurs tels que la Nouvelle-Calédonie, Vanuatu, Fidji, Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, en plus de l'Autorité de la concurrence métropolitaine, compétente sur Wallis-et-Futuna. À ma connaissance, il n'existe pas d'autorité de concurrence dans les Caraïbes, hormis dans les îles néerlandaises d'Aruba, de Bonaire et de Curaçao, avec qui nous maintenons des échanges ponctuels, notamment dans le cadre de l'International Competition Network.
Votre question soulève un point important. Il serait éminemment bénéfique de formaliser davantage ces relations avec nos homologues des territoires concernés, notamment aux Antilles. Je n'ai, à ce jour, jamais échangé avec une autorité de concurrence à Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines ou la Dominique.
Concernant les propositions visant à lutter contre la hausse des prix dans les outre-mer, j'ai mentionné précédemment l'enjeu du commerce en ligne. Bien qu'il ne relève pas directement des prérogatives de l'Autorité de la concurrence, cet outil constituerait une avancée notable en faveur des consommateurs ultramarins.
S'agissant de l'injonction structurelle, l'assouplissement des critères nécessaires à sa mise en oeuvre soulève un risque constitutionnel. En effet, une telle mesure affecterait les droits de propriété ainsi que la liberté du commerce et de l'industrie, tous deux protégés par la Constitution. Pour être recevable, elle doit donc être étayée par un intérêt général d'une importance suffisante.
Par ailleurs, dans le cadre du contrôle des concentrations, bien que des injonctions de cession puissent être imposées, nous sommes parfois confrontés à l'absence d'acheteurs appropriés. Il s'avère également difficile d'identifier des acquéreurs susceptibles de ne pas reproduire ou aggraver les distorsions de concurrence initiales.
Cette problématique est particulièrement vive dans le secteur de la grande distribution aux Antilles, où le nombre restreint d'opérateurs complique davantage la recherche de solutions viables. Les opérateurs métropolitains se montrant peu enclins à investir dans ces territoires, l'étroitesse du marché pose la question de la disponibilité de solutions alternatives, qui, dans certains cas, demeurent limitées, voire inexistantes.
Enfin, s'agissant des différences de prix entre les outre-mer et l'Hexagone, une enquête de l'Insee réalisée en 2022 révèle que leur ampleur varie considérablement selon les territoires.
À titre d'exemple, La Réunion présente un écart de prix de 9 % par rapport à l'Hexagone, tandis qu'en Guadeloupe, cet écart peut atteindre 16 %. En ce qui concerne les produits alimentaires, l'écart est particulièrement marqué, variant de 30 à 40 % en Martinique, constituant une source importante de polémique. Toutefois, certains produits, comme les transports en Martinique ou à La Réunion, sont étonnamment moins chers qu'en métropole, de même que les articles d'habillement et les chaussures en Guyane et à La Réunion.
Ces variations de prix, bien qu'inégales, soulèvent de légitimes préoccupations. Il semble fondamental d'examiner en priorité les produits alimentaires, où l'écart demeure le plus significatif.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - En écho à votre observation concernant l'insuffisance des relations avec les autres territoires en matière de concurrence, il convient de souligner que la délégation mène actuellement une étude consacrée à la coopération régionale. Ce sujet pourrait vraisemblablement constituer un axe de réflexion pertinent dans le cadre de cette analyse.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Il est surprenant de constater que la France métropolitaine importe davantage d'avocats en provenance d'Israël que des Antilles françaises, alors même que ces derniers se distinguent par leur grande qualité. De même, une proportion significative de bananes proviendrait du continent africain.
Si tel est le cas, pourquoi ne pas relancer cette production locale, à l'instar de ce qui a été initié pour les ananas ? Bien que leur exploitation ait été ralentie par des coûts de production élevés, la Martinique a su relancer cette filière avec succès, semble-t-il.
Une telle dynamique conduirait non seulement à renforcer l'économie locale, mais également à réduire le coût de la vie dans les territoires ultramarins.
Je tiens à saluer, Monsieur le rapporteur général, la précision et la richesse de vos réponses précédentes. Toutefois ce point me semble également essentiel en vue d'approfondir notre réflexion commune.
M. Stanislas Martin. - Je partage votre analyse. Dans notre avis de 2019, nous avions abordé cette problématique en insistant sur la nécessité de mieux structurer les filières locales et de les accompagner dans leur développement. L'objectif, à la fois ambitieux et essentiel, vise, d'une part, à encourager la production locale pour répondre aux besoins des consommateurs ultramarins, en réduisant ainsi la dépendance aux importations, et d'autre part, à soutenir les capacités d'exportation, afin de stimuler l'économie et l'emploi dans ces territoires.
Cela étant dit, il convient de souligner que ce sujet excède le champ de compétences de l'Autorité de la concurrence, relevant davantage des prérogatives de l'État, des collectivités régionales et des institutions en charge du développement économique.
Néanmoins, il demeure incontestable que le renforcement des filières locales constitue une réponse pertinente et durable à la problématique de la vie chère. En effet, les produits locaux peuvent, dans certains cas, se révéler plus compétitifs que les marchandises importées, bien que cette affirmation ne soit pas systématique.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - En effet, sur le marché du Diamant en Martinique, j'ai constaté que les produits locaux étaient considérablement plus chers que dans les grandes surfaces, suscitant un vif mécontentement chez les habitants. Les commerçants justifiaient ces prix élevés par le coût de la vie, générant ainsi un cercle vicieux.
Ce phénomène illustre l'effet délétère des réalités économiques actuelles à la fois sur les producteurs locaux et les consommateurs, au détriment de l'économie locale.
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - En visitant certaines de ces régions, j'ai eu l'occasion de découvrir des environnements qui rappellent intimement nos zones rurales métropolitaines. À cet égard, l'essor du commerce en ligne, bien qu'il présente des avantages, représente une menace pour les petits commerces locaux des villages, notamment pour les personnes âgées ou celles qui ne maîtrisent pas l'usage des ordinateurs.
De surcroît, ce phénomène fragilise les liens sociaux et la structure relationnelle des communautés rurales.
C'est un aspect qu'il convient de prendre en considération.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Merci, chères collègues. À présent, la parole est à Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. - Monsieur le rapporteur général, permettez-moi de formuler plusieurs interrogations.
Tout d'abord, pourrait-on envisager une fréquence plus importante des études de l'Autorité de la concurrence, eu égard au déficit d'informations ? L'Insee ne publie des études approfondies qu'à intervalle de cinq ou six ans, ce qui me semble bien insuffisant.
Ensuite, concernant les injonctions structurelles, je m'interroge sur leur faible utilisation. Ce dispositif, mis en place à l'époque avec Bruno Lasserre, avait pour ambition de renforcer la concurrence, mais il semble sous-exploité.
Par ailleurs, sur la question des données relatives aux entreprises verticalement intégrées, il apparaît que des informations cruciales, comme les prix de cession interne ou les marges, ne sont pas accessibles, empêchant ainsi la Cour d'Appel de Paris de statuer efficacement. La DGCCRF disposant de ces données sous forme confidentielle, pourquoi ne sont-elles pas exploitées, au moins de manière macroéconomique, pour guider une politique plus incisive en matière de concurrence ?
En complément des observations de mes collègues, une problématique croissante concerne le commerce en ligne dans les territoires ultramarins. En effet, de grandes plateformes comme Amazon et d'autres n'y assurent pas la livraison, ce qui limite fortement l'accès des habitants à ces services.
Enfin, à propos des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), leur statut et leur rôle mériteraient d'être renforcés. Actuellement, les préfets, qui gèrent le budget opérationnel, limitent l'autonomie des présidents des OPMR, souvent dépourvus de moyens. Selon vous, ne faudrait-il pas rattacher ces observatoires à une instance comme l'Autorité de la concurrence, ou envisager une transformation structurelle pour renforcer leur efficacité dans les différents territoires ? Nous pourrions envisager, par exemple, la formation de deux grands OPMR regroupant, d'une part, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon et, d'autre part, La Réunion et Mayotte.
M. Stanislas Martin. - Monsieur le Ministre, en réponse à votre première question sur la fréquence des avis, il est vrai que notre dernier rapport date de 2019. À l'époque, nous avions déjà relevé un manque de données régulières, notamment en matière d'enquêtes économiques. Toutefois, notre démarche n'est pas de produire des avis de manière systématique, mais de cibler des sujets pour lesquels des éléments nouveaux justifient une analyse approfondie.
Un point soulevé dans notre avis de 2019 mérite, me semble-t-il, d'être prolongé, à savoir l'accumulation des marges dans les filières. À chaque échelon, les marges, bien que raisonnables individuellement, s'accumulent pour finalement créer un surcoût significatif. Il pourrait être pertinent d'examiner si la structure actuelle de ces chaînes d'intermédiaires est optimale et si elle pourrait être rationalisée pour réduire les écarts de prix. Cette problématique requiert, selon moi, une intervention rigoureuse de l'Autorité de la concurrence.
Concernant l'injonction structurelle, créée en 2012 et assouplie en 2019, sa mise en oeuvre demeure complexe. Il convient non seulement d'établir l'existence d'une position dominante, ce qui, dans les outre-mer, se heurte souvent à des structures oligopolistiques plutôt qu'à des monopoles, mais aussi de prouver l'existence de prix (au détail) ou de marges « anormalement élevés par rapport aux moyennes habituellement constatées dans le secteur ». Ce cadre complique l'action, eu égard au caractère subjectif des notions employées. De ce fait, il appartiendra au juge de statuer.
Pour ce qui est des données liées aux entreprises intégrées, notamment les prix de cession interne ou les marges, nous n'avons pas un accès régulier à ces informations. Ces données, détenues par la DGCCRF, sont généralement exploitées dans le cadre de dossiers spécifiques, mais ne sont pas suivies en continu.
Contrairement à un régulateur sectoriel, nous ne disposons pas de ressources spécifiques faisant l'objet d'un suivi permanent. Notre champ d'action est l'économie dans son intégralité.
M. Victorin Lurel. - Ne disposez-vous pas d'une base de données spécifique ? Par ailleurs, je m'enquiers de la notion de « préoccupation de concurrence » qui, me semble-t-il, n'est plus usitée.
M. Stanislas Martin. - La notion de « préoccupation de concurrence » reste utilisée dans le cadre des décisions d'engagement. Elle désigne un problème de concurrence que l'on identifie, mais sans le formaliser pleinement, car l'objectif est d'aboutir à un accord avec l'entreprise concernée, sans motivation approfondie.
Elle peut également être mobilisée dans le cadre d'une injonction structurelle. Cependant, la mise en oeuvre pratique de cette dernière pose des difficultés. Lorsqu'il s'agit de comparer les prix pour établir qu'ils sont excessifs, il est complexe de définir une référence pertinente en métropole : quelle ville choisir ? Par ailleurs, même lorsque des prix sont relevés dans la région ultramarine concernée et en métropole, les produits ne sont pas toujours référencés de manière identique, rendant les bases de données difficilement comparables.
Enfin, une injonction structurelle exige une base solide, car elle porte atteinte aux droits de propriété. Un relevé ponctuel de prix, effectué à une date donnée, ne suffit pas : l'entreprise pourrait légitimement contester en indiquant que ses prix variaient à d'autres moments. Or un suivi continu des prix sur plusieurs années n'est pas envisageable dans nos moyens actuels.
En résumé, bien que l'injonction structurelle soit une idée pertinente en théorie, sa mise en oeuvre pratique demeure singulièrement complexe et, pour le moment, difficilement réalisable.
M. Victorin Lurel. - Quelles sont les propositions de l'Autorité de la concurrence en direction du législateur ?
Par ailleurs, convient-il, à l'instar de la Nouvelle-Calédonie, de renforcer la présence d'observatoires de prix et d'observatoires de tarifs bancaires, dans un souci de transparence ?
En effet, il est regrettable de constater que nous sommes véritablement gangrénés par l'opacité.
M. Stanislas Martin. - Sur le plan législatif, certaines propositions évoquées dans notre avis 2019 concernant le développement du commerce en ligne restent en attente d'application. L'une d'elles concerne l'interdiction du géoblocage qui, comme mentionné précédemment, semble techniquement réalisable.
Par ailleurs, notre interaction directe avec les OPMR reste limitée. Cependant, nos principales affaires proviennent de la DGCCRF, y compris des directions locales, qui collaborent étroitement avec les OPMR et les collectivités territoriales.
Cette dynamique permet d'assurer un suivi des problématiques spécifiques aux territoires ultramarins.
M. Victorin Lurel. - Dans certains cas, des informations essentielles sont retenues par la DGCCRF, qui oppose de vives réticences à leur partage, arguant qu'elles ne relèvent pas de la compétence des OPMR. Ce cloisonnement freine parfois la coopération et limite l'accès à des données pourtant cruciales pour le suivi des évolutions économiques et des politiques publiques.
Bien entendu, je ne généralise pas ce constat à l'ensemble des situations. Néanmoins j'ai été personnellement confronté à des cas où cette retenue d'information a entravé le travail des OPMR.
Par ailleurs, l'absence de bases de données partagées complique encore davantage l'analyse des tendances et des résultats des politiques menées.
M. Stanislas Martin. - Effectivement, la question du secret des affaires pose une limite importante dans la communication des informations. La DGCCRF, en tant qu'autorité compétente, est tenue de respecter cette confidentialité.
Concernant l'hypothèse d'un rattachement des OPMR à l'Autorité de la concurrence, il est essentiel de distinguer les fonctions des différentes entités. Les OPMR, en tant que représentants des intérêts économiques et sociaux, n'ont pas la même mission que des structures comme l'Autorité de la concurrence, qui détient des pouvoirs de régulation et de sanction. Scinder ces rôles pourrait entraîner des confusions et nuire à l'efficacité des actions.
En tout état de cause, la collaboration entre la DGCCRF et les OPMR semble fonctionner de manière satisfaisante dans le cadre actuel, la DGCCRF jouant un rôle fondamental en centralisant les informations. Aujourd'hui, plus de la moitié des affaires relatives aux outre-mer nous sont transmises par la DGCCRF.
Dans ce contexte, il ne semble pas nécessaire de procéder à des changements structurels majeurs.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - À cet égard, je précise que la délégation procédera à l'audition des OPMR et de la DGCCRF. Nous aurons ainsi l'opportunité de leur soumettre ces interrogations.
M. Stéphane Demilly. - Monsieur le rapporteur général, avez-vous identifié un secteur ultramarin justifiant une surveillance accrue ?
M. Stanislas Martin. - Il n'existe pas de secteur particulièrement pathologique. À titre d'exemple, nous avons traité des dossiers concernant la viande en Martinique, la pêche à La Réunion, les télécoms, le transport aérien, et actuellement, nous menons une enquête sur les déchets à risque infectieux. Nous agissons dans des domaines très diversifiés.
Mme Annick Petrus. - Merci Madame le président, merci Monsieur le rapporteur général pour vos réponses.
Permettez-moi de me montrer directe et pragmatique. Depuis toujours, en tant qu'ultramarine, je suis confrontée à la problématique de la vie chère. Nous avons connu d'importants mouvements sociaux, conduisant notamment à la mise en place de la prime de vie chère pour les fonctionnaires, dont j'ai eu l'opportunité de bénéficier. En 2009, un autre mouvement, meurtrier de surcroît, s'est intensifié pour protester contre la « profitation ».
De nombreuses instances se sont formées, des rapports ont été rédigés, qu'il s'agisse du Sénat ou d'autres organismes.
Toutefois, je peine à comprendre pourquoi nous ne parvenons pas à identifier, de manière claire et définitive, le principal facteur d'explication de ces prix exorbitants. Envisage-t-on des solutions concrètes et adaptées ? Leur mise en oeuvre semble se heurter à des résistances, peut-être même à des susceptibilités, qu'il conviendrait de surmonter.
Cette question est si récurrente qu'elle traverse les générations, et je présume que mes enfants y seront également confrontés.
Certes, l'égalité réelle semble hors de portée. Néanmoins, il est illusoire de prétendre que le seul coût du transport justifie des prix trois, quatre, voire dix fois plus élevés que dans l'Hexagone.
Ne feignons pas l'ignorance. Pourquoi la vie est-elle aussi chère dans les territoires ultramarins ?
M. Stanislas Martin. - En effet, cette question s'avère résolument complexe, dès lors qu'elle repose sur un ensemble de causes multifactorielles.
Tout d'abord, les coûts de transport constituent un facteur majeur. Nous menons actuellement des réflexions quant à la possibilité de lier davantage ces coûts à la valeur des produits transportés, afin d'améliorer la pertinence des frais appliqués.
En outre, des réflexions sont en cours concernant la révision de l'octroi de mer, notamment en prévision de son renouvellement en 2027 dans le cadre des négociations avec la Commission européenne. Il serait pertinent de favoriser certains produits sensibles, tout en ajustant les modalités pour d'autres.
Enfin, il convient de réexaminer le nombre et l'efficacité des intermédiaires au sein de la chaîne de valeur. Une analyse des pratiques des groupes intégrés serait également judicieuse, dès lors que les intermédiaires appartiennent aux distributeurs, cela pouvant entraîner une concentration des marges et, in fine, des prix plus élevés.
Cette approche, reposant sur une analyse intégrale de la chaîne de valeur, apparaît comme l'axe de travail le plus pertinent en matière de concurrence dans les outre-mer.
M. Saïd Omar Oili. - Je souscris pleinement aux propos de ma collègue Annick Petrus.
Depuis 1993, Mayotte est en proie à des mouvements sociaux récurrents - en 2011, 2018, et encore en 2024 - marqués par des violences et des revendications qui, malgré les années, semblent ne jamais aboutir à des solutions pérennes.
Ce constat est d'autant plus saisissant lorsque l'on observe la réalité quotidienne de nombreux habitants, notamment celle de jeunes filles dans l'impossibilité de se procurer des serviettes hygiéniques en raison de leurs moyens financiers limités. Une telle situation est tout simplement inacceptable.
Les efforts déployés pour remédier à cette situation, tels que la mise en place du Bouclier Qualité Prix (BQP), restent insuffisants, ces produits étant souvent absents des rayons.
Étant donné que 77 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté, les enfants sont exposés à la « malbouffe », entraînant 1 600 évacuations sanitaires annuelles vers La Réunion.
Les élus, pourtant en première ligne pour instaurer la paix sociale, se trouvent désormais évincés par des voix populaires qui, dans la rue, semblent avoir plus de poids et de visibilité que celles qui cherchent à apporter des réponses institutionnelles. Ces manifestations, bien que légitimes, témoignent d'un profond désaveu vis-à-vis des politiques en place.
La vie devient insupportable et, inlassablement, une question revient : pourquoi ?
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Merci à mes collègues ultramarins pour le rappel de ces dates incontournables.
Je garde en mémoire un souvenir d'enfance marquant ; celui de femmes manifestant, dans la rue, contre le prix exorbitant du riz. Ce constat cyclique nous enjoint à nous interroger : pourquoi les prix demeurent-ils aussi élevés, rendant la vie si difficile, notamment pour les populations les plus précaires ? En effet, le lien entre vie chère, santé et mal-logement est indéniable.
Vous avez évoqué, Monsieur le rapporteur général, le concept de marge excessive. Quelle en est la définition dans le contexte ultramarin, marqué par un héritage économique colonial ? Il convient d'examiner attentivement l'hypothèse d'une réduction du nombre d'opérateurs, qui pourrait renforcer les situations de monopoles sans nécessairement stimuler la concurrence.
S'agissant des coûts d'approvisionnement, pourquoi ne pas envisager une coopération régionale avec les territoires voisins ?
La disponibilité des produits BQP constitue également un problème récurrent. Comment l'Autorité de la concurrence peut-elle intervenir pour faciliter l'accès à ces produits ?
Enfin, comment rompre le système monopolistique des marchés ultramarins qui semblent réservés à certains opérateurs ?
M. Stanislas Martin. - En effet, les économies ultramarines restent largement dominées par les importations en provenance de l'Hexagone, un héritage historique qui entrave leur réelle intégration dans l'environnement régional.
En outre, l'introduction de produits régionaux se heurte à des normes CE particulièrement strictes. L'importation de produits non soumis à ces normes, comme le carburant en provenance du golfe du Mexique, nécessite une adaptation prudente, garantissant à la fois la qualité des produits et la santé des consommateurs.
Concernant les matériaux de construction, une proposition récemment adoptée par le Parlement européen permet de déroger aux normes CE, facilitant ainsi l'importation de produits provenant du sud de l'océan Indien. Cette avancée, attendue depuis 2018, représente un progrès significatif et ouvre ainsi la voie à l'introduction d'autres produits.
S'agissant de la problématique liée aux produits BQP, il serait pertinent de consulter la DGCCRF, autorité compétente sur ce sujet.
Enfin, bien que l'accès à ces marchés soit difficile en raison du faible nombre d'opérateurs, nous poursuivons l'objectif de stimuler la concurrence. Il est de notre responsabilité de veiller à ce que les opérateurs n'établissent pas d'ententes et qu'une concurrence effective s'instaure entre eux.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Je vous remercie, Monsieur le rapporteur général. La complexité de ce sujet requiert, indéniablement, une évaluation minutieuse. Nous avons pris la mesure de l'impact du nombre d'intermédiaires sur la hausse des prix. En outre, la délégation a entrepris un travail sur les normes, en collaboration avec la commission des affaires européennes du Sénat, dans l'objectif d'élargir le cadre des matériaux de construction.
Il convient également de souligner plusieurs aberrations dans les relations commerciales. Par exemple, les crevettes vendues à Mayotte proviennent de Madagascar, mais sont conditionnées en Bretagne.
Un autre exemple concerne Saint-Martin, qui présente une situation particulière ; la partie néerlandaise consomme davantage de produits en provenance des États-Unis, ce qui explique la différence de prix.
Ces observations mettent en lumière l'importance fondamentale d'ouvrir les marchés, en particulier le marché caribéen océanique.
M. Saïd Omar Oili. - Madame le président, permettez-moi, je vous prie, d'exprimer une réflexion personnelle. Je constate à regret que l'on choisit de payer a posteriori, une fois que tout est brûlé, et nous continuerons ainsi, inlassablement. Il manque, à mon sens, une véritable solution à ce problème.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Certes, toutefois les solutions doivent avant tout émerger des territoires. Il semble capital d'admettre qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de véritable culture des outre-mer. Si la délégation sénatoriale joue un rôle important en cherchant à lever certains obstacles, il revient également aux territoires de proposer des solutions adaptées à leur réalité.
Un changement de paradigme s'impose, une approche nouvelle dans laquelle les territoires ultramarins prennent pleinement part tant à la réflexion qu'à l'action.
Audition de M. Ivan Odonnat, directeur général de l'IEOM et président de l'IEDOM
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Chers collègues, dans le cadre de nos travaux sur la lutte contre la vie chère, après l'audition de M. Stanislas Martin, rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, nous allons poursuivre avec l'audition de M. Ivan Odonnat, directeur général de l'Institut d'Émission d'Outre-mer (IEOM) et président de l'Institut d'Émission des Départements d'Outre-mer (IEDOM).
C'est un plaisir renouvelé de vous accueillir, Monsieur le président, pour cette seconde audition au sein de notre délégation. Votre expertise apporte toujours un éclairage précieux sur les problématiques de prix et de commerce qui touchent nos territoires. Nous saluons également Mme Marie Aouriri, responsable de la communication de l'IEOM et de l'IEDOM, qui vous accompagne.
Je vous précise que pour cette étude nous avons désigné trois binômes de rapporteurs : Dominique Théophile (RDPI - Guadeloupe) et Évelyne Perrot (UC - Aube) pour les dépenses automobiles ; Jocelyne Guidez (UC - Essonne) et Teva Rohfritsch (RDPI - Polynésie) pour le fret maritime et aérien, le sport et le sujet des assurances ; Viviane Artigalas (SER - Hautes-Pyrénées) et moi-même pour les produits du quotidien.
Je rappelle aussi que nous vous avions entendu le 1er février 2024 dans le cadre de notre mission d'information sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer et nous avions donc déjà pu apprécier la qualité de vos analyses.
Pour la présente audition, nous vous avons adressé le questionnaire indicatif auquel vous êtes habitué sur lequel vous pourrez vous appuyer pour votre exposé liminaire.
Parmi nos nombreuses interrogations figurent, comme vous le savez, la possibilité d'une réorientation des flux commerciaux vers le marché régional et l'accélération de l'adaptation des normes européennes pour faire baisser les prix.
Lors de déclarations récentes, vous avez évoqué vous aussi les enjeux spécifiques liés à la dépendance aux importations de nos territoires ultramarins et à leur faible intégration dans leur environnement régional. Vous insistez sur la nécessité que les entreprises investissent davantage dans les outre-mer, en mettant en avant plusieurs priorités : la transition énergétique, la production agricole locale, les infrastructures portuaires...
Nous nous interrogeons aussi sur le poids de la fiscalité. Si vous avez suivi les débats lors de la journée des maires ultramarins à Issy-les-Moulineaux, vous savez qu'une étude du cabinet Action Publique Conseil sur l'octroi de mer tend à démontrer son impact marginal sur la formation des prix.
À ce stade, plusieurs pistes de réflexion sont donc sur la table, mais je vous laisse maintenant la parole pour votre exposé liminaire. Puis, les rapporteurs et les collègues poseront leurs questions.
M. Ivan Odonnat, directeur général de l'IEOM et président de l'IEDOM. - Madame le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie pour votre accueil. Je suis ravi d'être parmi vous pour échanger sur ce sujet complexe, qui touche à la question des prix et de la vie chère dans les territoires ultramarins.
Je commencerai par partager plusieurs observations sur les niveaux de prix et les écarts qui persistent entre les territoires ultramarins et l'Hexagone. Ces analyses s'appuient notamment sur les données issues d'une enquête de l'Insee réalisée en 2022, portant sur la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion. Des méthodologies similaires ont été appliquées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française par des instituts distincts.
J'aborderai ensuite les principales causes de ces disparités, en m'appuyant sur des analyses récentes et sur les spécificités structurelles de ces territoires.
Enfin, je vous présenterai quelques pistes de réflexion pour répondre à ces problématiques.
L'ensemble des outre-mer est concerné par des écarts de prix significatifs par rapport à l'Hexagone.
Ces écarts varient de 9 à 10 % dans l'océan indien (La Réunion, Mayotte) à environ 15 % dans le bloc Antilles-Guyane.
Dans le Pacifique, les écarts sont encore plus marqués, atteignant 30 % en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
L'alimentation, qui représente 15 % des paniers de consommation, est le poste le plus impacté. Les écarts de prix avec l'Hexagone s'établissent à 30 % à Mayotte, 40 % en Martinique, jusqu'à 50 % en Polynésie française et 70 % en Nouvelle-Calédonie.
Les écarts de prix dans la communication (téléphonie, internet et services postaux) sont également notables. Bien que spectaculaire dans certains territoires, leur impact est limité en raison de leur poids réduit (moins de 10 %) dans les paniers de consommation.
Certains secteurs, comme l'habillement et les chaussures, présentent en revanche des prix légèrement inférieurs à l'Hexagone dans des territoires comme la Guyane ou Mayotte. Les transports (aérien, routier, carburant, véhicules) affichent une situation hétérogène, mais sans surcoûts significatifs.
Malgré des variations selon les territoires et les postes de dépense, la situation demeure fondamentalement insatisfaisante pour les consommateurs ultramarins.
Les outre-mer partagent des caractéristiques communes avec d'autres petites économies insulaires en développement, qui représentent une soixantaine de pays selon un recensement du FMI.
En effet, une faible population (moins de 3 millions d'habitants, 4 % de la population française) ainsi qu'un revenu par habitant réduit, oscillant entre 30 % et 70 % de celui de l'Hexagone, contribuent à une étroitesse de marché qui limite les économies d'échelle, renforce les coûts de production et favorise une faible concurrence.
De nombreux experts s'accordent à reconnaître que les conclusions de l'avis rendu par l'Autorité de la concurrence en 2019 conservent leur pertinence en 2024. Celles-ci mettent en lumière des barrières à l'entrée plus importantes dans les outre-mer que dans l'Hexagone, tant pour la vente de détail alimentaire que pour le commerce en ligne, qui pourrait pourtant représenter une alternative.
En outre, la chaîne d'approvisionnement reste dominée par quelques acteurs cumulant des fonctions de grossistes et de distributeurs, renforçant leur pouvoir sur le marché.
Les marges arrière, constituées de remises ou de rémunérations pour des services commerciaux, sont fréquentes, mais opaques. Contrairement à l'Hexagone où elles peuvent être répercutées sur les prix pour le consommateur, elles représentent souvent une source de profit des distributeurs dans les outre-mer. L'enjeu réside dans le pouvoir de persuasion exercé entre distributeurs et fournisseurs, ainsi que, plus généralement, dans les modalités d'exercice de la concurrence. Par exemple, l'Autorité de la concurrence constate un accroissement des marges arrière depuis 2009 à La Réunion, tandis que, dans le bloc Antilles-Guyane, la pression exercée par les distributeurs sur les producteurs semble être moins intense.
Les éléments comptables issus du fichier bancaire des entreprises (FIBEN) et de la banque de données Eden révèlent cependant que les taux de rentabilité des entreprises ultramarines ne sont pas systématiquement supérieurs à ceux de l'Hexagone, à l'exception notable de Mayotte et, dans une moindre mesure, La Réunion.
À mon sens, il convient de retenir que la faiblesse de la concurrence peut favoriser des comportements abusifs. L'objectif fondamental devrait être d'assurer aux autorités compétentes les ressources nécessaires à l'accomplissement de leur mission de régulateurs de l'économie.
Les outre-mer présentent une forte dépendance aux importations en raison de leur faible production locale, comme l'illustre leur taux de couverture oscillant entre moins de 1 % et 10 %, très éloigné des 80 % constatés dans l'Hexagone.
Cette dépendance, commune à toutes les petites économies insulaires, se trouve aggravée par leur éloignement des grands centres économiques mondiaux, augmentant les coûts d'approvisionnement et de production.
Les travaux de l'IEDOM-IEOM ont abouti à la création d'un indicateur mettant en relation la moyenne des PIB mondiaux avec la distance séparant chaque territoire des principaux partenaires commerciaux. Les résultats révèlent que les territoires ultramarins obtiennent généralement des ratios inférieurs à 50, reflétant leur éloignement significatif par rapport à ces pôles, notamment les grandes économies européennes.
Les distances géographiques avec les grands marchés mondiaux, couplées à une dépendance accrue aux importations, augmentent mécaniquement les coûts de production et de consommation dans un contexte de marché peu intégré au niveau régional.
Ces caractéristiques, communes aux petites économies insulaires, freinent la diversification économique et renforcent la dépendance.
L'octroi de mer, taxe appliquée sur les importations, augmente les prix de manière directe, mais ses effets varient selon les territoires en raison de taux et pratiques hétérogènes (nombre élevé de taux appliqués à 15 000 lignes tarifaires différentes, rythme de modifications des taux, incertitude quant aux biens figurant sur les listes d'exonération, etc.).
Conçu pour protéger la production locale et financer les collectivités, ce système hybride est susceptible de créer des situations de rente favorisant des entreprises établies, tout en pénalisant l'innovation et la compétitivité.
La réglementation, appliquée à certains produits BQP, limite les hausses excessives, mais engendre des rigidités. Elle ne couvre qu'une liste identifiée de produits et repose sur un gel des prix, ne garantissant pas la répercussion des baisses éventuelles. Elle peut ainsi dissuader les opérateurs d'investir, risquant de créer des pénuries. En outre, le BQP, parfois méconnu des consommateurs, se trouve fréquemment concurrencé par des promotions sur des produits connexes plus coûteux, ce qui vient entraver la lisibilité de l'offre.
Bien que le BQP encourage le dialogue entre les parties prenantes, il convient d'enrichir sa portée et de l'accompagner de mesures visant à renforcer la concurrence.
En premier lieu, il conviendrait d'utiliser les mécanismes légaux non utilisés par l'Autorité de la concurrence, comme le pouvoir d'injonction structurelle et les sanctions pour discrimination.
En outre, il semblerait opportun d'appliquer les recommandations non mises en oeuvre pour le commerce en ligne, à savoir : encourager l'envoi groupé de colis ; contrôler que les frais de retour dans le cadre de la garantie légale de conformité ne soient pas injustement répercutés sur les consommateurs ; appliquer un octroi de mer réduit et unique pour les produits vendus en ligne aux particuliers ; obliger les enseignes en ligne à afficher clairement les taxes applicables.
Enfin, une réforme de l'octroi de mer conduirait à une meilleure cohérence, en s'appuyant sur les mesures suivantes : simplifier et harmoniser les taux ; réviser les taux sur les produits sans équivalent dans la production locale ; considérer les intérêts des entreprises locales ne bénéficiant pas d'exonérations alors qu'elles achètent des produits soumis à l'octroi de mer pour leur activité.
Les ports jouent un rôle central dans l'approvisionnement des territoires ultramarins, où l'essentiel des biens transite par la voie maritime. Une réduction des coûts liés au fret, à la manutention, au stockage, et au transit repose sur des infrastructures performantes.
À cet égard, il convient de favoriser la concurrence entre opérateurs, diversifier les acteurs portuaires, réduire les transbordements grâce à des quais modernes et des capacités accrues. Bien que ce soit principalement un enjeu industriel géré par les opérateurs privés, l'État peut jouer un rôle incitatif et de soutien.
Il apparaît essentiel d'adopter une approche holistique, intégrant les enjeux liés aux barrières tarifaires, aux normes, et à la connectivité logistique, qui se trouvent au coeur d'une véritable politique commerciale régionale.
La production d'électricité en outre-mer repose encore largement sur les énergies fossiles, ce qui engendre des coûts élevés liés à la volatilité des matières premières et à la dépendance aux importations.
Les territoires ultramarins disposent de ressources naturelles propices à la transition énergétique (hydraulique, solaire, éolien, géothermie, etc.). Une accélération des efforts de décarbonation pourrait réduire les coûts et renforcer l'autonomie énergétique.
Investir dans ces énergies renouvelables déjà disponibles n'exige pas d'intervention majeure et pourrait transformer rapidement le paysage énergétique, comme cela commence à être observé à La Réunion.
L'alimentation reste la composante principale des écarts de prix en outre-mer. En Martinique, par exemple, le faible taux de couverture des besoins alimentaires locaux par la production locale aggrave la dépendance aux importations.
Les subventions agricoles, comme celles issues du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), se concentrent sur les cultures historiques. Une redirection partielle vers des productions locales adaptées aux besoins alimentaires actuels pourrait dynamiser l'agriculture et réduire les écarts de prix.
L'enjeu global est de repenser le soutien à la production locale, au-delà du secteur alimentaire, constituant également une réponse structurelle à la vie chère et à la dépendance excessive aux importations.
Ces deux axes, transition énergétique et relance de la production locale, constituent des leviers majeurs pour réduire la vulnérabilité économique des territoires ultramarins.
Pour conclure, je tiens à souligner la complexité des aides agricoles, sans pour autant en remettre en cause le principe. En effet, la Guyane et Mayotte, qui se distinguent par une production agricole diversifiée et abondante, figurent pourtant parmi les territoires les moins aidés. Une réflexion s'impose.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Merci pour cet exposé très complet, qui suscite de nombreuses interrogations. Je partage votre analyse ; ce sujet doit être envisagé de manière globale. Vous avez abordé le faible niveau de production en Martinique, et cela m'évoque un constat récent. Les graines de tomates utilisées localement proviennent de Belgique, adaptées à des conditions tempérées. Les agriculteurs peinent ainsi à les faire pousser, rendant la production de tomates presque inexistante. Pourtant, en s'approvisionnant au Brésil, il serait possible de cultiver des variétés adaptées aux conditions tropicales martiniquaises.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Merci, Monsieur le président, pour votre présentation. Vous mentionnez une faible intégration des territoires ultramarins au marché régional, tout en soulignant que les pays voisins rencontrent des difficultés similaires en matière de vie chère. Comment identifier les productions locales les plus adaptées aux échanges régionaux ?
M. Ivan Odonnat. - En effet, il semble intuitif de privilégier les approvisionnements depuis des pays voisins pour réduire les coûts de transport. Cependant, cette approche se heurte à des obstacles : identifier des productions locales pertinentes dans le voisinage, organiser des circuits commerciaux adaptés, et lever les barrières normatives ou tarifaires tout en acceptant les importations des territoires voisins.
Aujourd'hui, les territoires ultramarins s'inscrivent majoritairement dans le marché unique européen, un héritage historique renforcé par les mécanismes de soutien économique de l'Union. Pour élargir les échanges régionaux, il convient de repenser cet équilibre en négociant des accords commerciaux avec les pays voisins, tout en développant des filières locales pour l'exportation.
Enfin, il serait pertinent de s'inspirer des stratégies de certains territoires comme Maurice, qui ont su adapter leur modèle économique, afin d'en tirer des enseignements pour densifier les relations commerciales dans chaque bassin océanique.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Votre exposé met en lumière plusieurs questions importantes concernant l'octroi de mer et l'autonomie alimentaire en Martinique.
Tout d'abord, je constate, à titre personnel, que le poids de l'octroi de mer est considérable sur les factures d'électricité.
Ensuite, comment expliquer que la production locale de volailles s'établisse à 11 %, malgré leur forte consommation ? La situation du bétail, et en particulier l'intégration récente de races bovines adaptées, mérite également d'être approfondie.
Enfin, je m'interroge sur les raisons expliquant les prix élevés des fruits locaux, tels que le fruit de la passion, malgré leur abondance. Quels ajustements concrets pourraient être envisagés pour diminuer le coût de la vie en Martinique, notamment sur les produits où une réduction semble possible ?
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Je souhaiterais solliciter des précisions supplémentaires sur les marges arrière, notamment sur leur encadrement. Sont-elles soumises à des périodes spécifiques, à l'instar des soldes ?
M. Ivan Odonnat. - Les marges arrière regroupent des remises négociées pour réguler la production, pouvant s'apparenter à des soldes, et des rémunérations pour des services commerciaux, comme la mise en avant des produits.
Ces avantages, cependant, ne figurent pas directement sur la facture et ne sont donc pas intégrés au prix d'achat apparent, générant une certaine opacité sur leur impact réel.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Merci, Monsieur le président, pour les précieuses informations de votre présentation.
Je m'interroge sur l'absence de données concernant le taux de couverture des besoins locaux en poisson pour la plupart des territoires, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française.
Cette lacune est d'autant plus surprenante qu'il s'agit d'îles où la ressource halieutique est essentielle.
Par ailleurs, concernant l'aviculture, il est évident qu'une progression est possible, bien que freinée par l'importation massive de « poulets de dégagement » européens, qui dominent la grande distribution dans les outre-mer.
M. Ivan Odonnat. - L'absence de données dans le tableau sur le taux de couverture des besoins locaux en poisson n'est pas liée à une absence de production, mais à une limitation dans notre capacité à collecter ces données auprès de sources variées.
Permettez-moi d'aborder brièvement la question des tarifs bancaires, soulevée précédemment par Victorin Lurel. Les OPMR jouent un rôle essentiel en réunissant toutes les parties prenantes pour discuter des questions liées aux prix, revenus et marges. Bien que leur fonctionnement varie selon les territoires, elles demeurent des outils précieux pour instruire des sujets complexes comme l'octroi de mer et favoriser un dialogue localisé.
L'enjeu principal reste de leur assurer des moyens suffisants pour animer efficacement ces discussions.
L'Observatoire des tarifs bancaires révèle une convergence progressive entre l'Hexagone et les outre-mer depuis 2009. Cependant, des écarts persistent, notamment sur des services comme la tenue de compte, où certaines banques appliquent des tarifs plus élevés dans les outre-mer. Ces différences peuvent s'expliquer par des coûts d'exploitation plus élevés, notamment en matière de systèmes d'information, ou par des organisations spécifiques des filiales locales.
Pour adresser ces écarts, nous sollicitons l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) afin d'examiner les justifications apportées par les établissements bancaires.
Par ailleurs, nous proposons aux entreprises un dispositif de médiation du crédit qui, bien qu'encore sous-utilisé, pourrait les aider à mieux gérer leurs relations avec les banques et les conditions de tarification.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Victorin Lurel soulevait également la question de l'insuffisance d'informations transmises aux OPMR.
M. Ivan Odonnat. - Les analyses que j'ai partagées sur la concurrence sont issues d'éléments extraits des rapports de l'Autorité de la concurrence et des enquêtes disponibles sur le site de la DGCCRF. Ces ressources, pourtant riches d'enseignements, demeurent toutefois sous-exploitées.
À mon sens, il n'est pas nécessaire de lancer une nouvelle commission d'enquête pour avancer. Exploitons en priorité ces analyses existantes, qui offrent d'ores et déjà plusieurs éléments de réponse aux préoccupations exprimées.
Concernant les marges arrière, elles se caractérisent par leur opacité intrinsèque, étant liées aux relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Ces négociations annuelles, régies par des règles spécifiques, nécessitent d'être clarifiées en interrogeant directement les parties prenantes, à savoir les distributeurs et les fournisseurs.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Nous avons l'intention d'auditionner prochainement les fournisseurs ainsi que les plateformes de revente des grands distributeurs.
Par ailleurs, étant particulièrement attentive aux enjeux liés à l'emploi, je souhaite vous faire part de plusieurs interrogations.
D'une part, l'ouverture accrue du marché du commerce en ligne pourrait fragiliser les petits commerces de proximité et entraîner des pertes d'emplois. Quels mécanismes pourraient être envisagés pour atténuer cet impact et accompagner ces commerces dans leur adaptation ?
D'autre part, la structuration du marché de l'occasion, comme dans le secteur automobile, pourrait-elle devenir un levier efficace pour créer de l'emploi et générer de la valeur, tout en soutenant une transition vers l'économie circulaire ?
Enfin, l'exemple des ports de Saint-Barthélemy et Saint-Martin souligne les défis de la centralisation des flux vers un port unique. Cette réorganisation semble entraîner des surcoûts et des délais accrus dans le traitement des conteneurs, risquant de pénaliser durablement ces territoires. Quelles solutions pourraient être envisagées pour optimiser la logistique portuaire tout en minimisant ces impacts ?
M. Ivan Odonnat. - Madame le président, vos questions illustrent parfaitement l'importance d'une approche holistique. En isolant chaque problématique, nous risquons de perdre de vue les interactions systémiques qui sous-tendent ces enjeux.
Par exemple, la distribution alimentaire, déjà orientée vers les supermarchés, s'est souvent faite au détriment des petits commerces de proximité. Faut-il pour autant refuser cette évolution ? La priorité devrait être d'assurer au consommateur un approvisionnement à coût acceptable, dans des conditions satisfaisantes.
Je n'exprime aucune préférence pour un modèle particulier, qu'il s'agisse de grandes surfaces, de petits commerces ou de commerce en ligne. L'enjeu n'est pas de figer l'organisation actuelle, mais d'établir un cadre de concurrence équilibré. Si le statu quo est jugé insuffisant, il convient alors d'envisager une transformation plus profonde du système de production, de distribution et d'approvisionnement.
Toutefois, ce changement doit être progressif, inclusif, et construit en concertation avec l'ensemble des acteurs.
Il ne s'agit pas de promouvoir le commerce en ligne de manière débridée, mais de permettre l'innovation tout en évitant de verrouiller les systèmes actuels, qui peuvent perpétuer des rentes profitant à une minorité.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - Pour conclure, sur la question de l'innovation, je partage votre vision selon laquelle nos territoires ultramarins doivent devenir des moteurs d'innovation, non seulement pour eux-mêmes, mais également pour les îles environnantes, en leur offrant des opportunités de coopération et de développement mutuel.
Chaque territoire foisonne d'idées novatrices qui méritent d'être valorisées et intégrées dans un système économique global, ancré dans son environnement local.
Toutefois, cette dynamique doit s'accompagner de vigilance, notamment dans le commerce en ligne. Comme cela a été souligné, les produits proposés en ligne, qu'ils soient vestimentaires ou médicaux, doivent répondre à des normes de qualité strictes pour éviter d'aggraver les inégalités ou d'exposer les populations les plus fragiles à des risques sanitaires.
L'équivalence normative, que vous évoquez, est un objectif essentiel pour garantir un approvisionnement de proximité sans compromettre la santé ou la sécurité des consommateurs.
La tâche semble incommensurable, néanmoins vos interventions constructives et éclairées, comme toujours, enrichissent notre réflexion et nos travaux. Nous solliciterons sans aucun doute votre expertise dans la poursuite de nos missions, qu'il s'agisse de la lutte contre la vie chère ou du développement de la coopération régionale.
M. Akli Mellouli. - Madame le président, Monsieur le président, il me tient à coeur d'insister sur l'importance du rapport qualité-prix, résidant au centre des problématiques liées à l'alimentation saine. En évoquant les coûts et le pouvoir d'achat, nous aboutissons invariablement à une situation où les enjeux économiques et sociaux se croisent sans véritable avancée.
En outre, le développement industriel, régulièrement mentionné dans les différentes discussions, doit impérativement s'accompagner d'un renforcement des infrastructures nécessaires, notamment en matière d'eau. En effet, le traitement, l'assainissement et la gestion des ressources hydriques constituent des enjeux fondamentaux pour soutenir une agriculture durable sur les îles.
À mon sens, il est crucial d'adopter une perspective plus intégrée. Tant que nous abordons ces problématiques de manière fragmentée, nous risquons de reproduire sans fin les mêmes constats.
Il est temps de rompre ce cercle et de travailler sur une vision cohérente pour répondre à ces défis.
M. Ivan Odonnat. - Je partage entièrement votre point de vue. Face aux crises, l'urgence nous enjoint naturellement à des solutions immédiates et concrètes, nécessaires pour répondre à des besoins impérieux.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que traiter les symptômes ne suffit pas ; il est indispensable d'aborder les causes profondes. Sans cela, nous reproduirons les mêmes effets, inlassablement, dans un an, cinq ans, voire dix ans.
Ce travail exige une approche globale et durable, qui implique de phaser les actions. Certaines mesures, comme l'ajustement du cadre concurrentiel ou une réflexion sur l'octroi de mer, peuvent être mises en oeuvre rapidement avec des résultats visibles.
Mais d'autres nécessitent une transformation en profondeur de l'organisation économique, pour mieux intégrer les territoires dans leur environnement régional et encourager l'innovation.
Cette démarche suppose également un rôle actif du secteur privé, capable de prendre des risques pour construire une économie plus cohérente.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Les crises successives - pandémie de Covid, conflits mondiaux, tensions économiques - ont particulièrement fragilisé nos économies, affectant en premier lieu les petites et moyennes entreprises (PME).
La hausse des coûts, notamment liée à l'augmentation des flux et des factures, a encore aggravé la situation. Par ailleurs, ces difficultés ont été exacerbées par l'arrivée à échéance des prêts garantis par l'État (PGE).
J'exprime l'espoir sincère de voir émerger des solutions viables face à ces défis.
Mme Micheline Jacques, président, rapporteur. - L'attractivité pour les investisseurs repose en grande partie sur une perception de stabilité. Les mouvements sociaux, peuvent susciter des inquiétudes.
Si nous avons lancé des travaux, c'est précisément parce que nous reconnaissons les difficultés croissantes des plus démunis, notamment concernant l'accès aux produits de première nécessité.
Toutefois, il apparaît fondamental de repenser certaines méthodes, car la destruction engendrée par ces mouvements fragilise davantage le tissu économique. Par ailleurs, la décision de certaines assurances de retirer la couverture des risques liés aux émeutes à partir de 2025 risque de dissuader encore davantage les entreprises d'investir ou même de se reconstruire après des troubles.
Ces problématiques doivent être abordées de manière collective et transparente, en visant des solutions qui permettent à chacun de trouver sa place et de contribuer au développement. Nous devons avancer ensemble pour relever ces défis.
Merci à tous.