Mercredi 20 novembre 2024

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Audiovisuel public » - Programmes 375 (France Médias Monde), 377 (TV5 Monde) et 383 (programme de transformation) - Examen du rapport pour avis

M. Cédric Perrin, président. - Mes chers collègues, nous commençons cette matinée par l'examen de l'avis de nos collègues Roger Karoutchi et Mireille Jouve sur les crédits des programmes 375 (France Médias Monde), 377 (TV5 Monde) et 383 (programme de transformation) de la mission « Audiovisuel public ».

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il y a un an je commençais mon intervention en expliquant que nous étions partagés. Les budgets de France Médias Monde et de TV5 Monde connaissaient une hausse significative et une enveloppe de 5 M€ était prévu pour permettre à France Médias Monde d'engager son plan de transformation numérique. On pouvait ainsi considérer que la tendance était favorable même si la hausse des moyens était aussi motivée par la nécessité de compenser des charges fiscales nouvelles consécutives à la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) et que la programmation budgétaire pour 2025 et 2026, inscrite dans le bleu budgétaire, était nettement plus modérée. Nous avions néanmoins donné un avis favorable à l'adoption de crédits en attendant de pouvoir prendre connaissance des contrats d'objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 de France Médias Monde qui était en préparation.

Mais l'année 2024 ne s'est pas passée comme prévu. Le décret d'annulation de février dernier a eu pour conséquence de réduire de -1,4 M€ le montant du programme de transformation de France Médias Monde. Par ailleurs, Bercy a cessé de verser les mensualités restantes à partir de mai dernier ce qui a réduit l'enveloppe à nouveau de 2,2 M€ soit une baisse de -3,6 M€ sur les 5 M€ escomptés dédiés au plan de transformation numérique.

Le projet de COM de France Médias Monde qui a été envoyé cet été au Parlement prévoyait quant à lui une hausse limitée mais réelle de la ressource publique, la dotation socle devant s'établir à 276 M€ en 2025 avec, à nouveau, 5 M€ supplémentaires au titre du programme de transformation auxquels s'ajoutaient 4,1 M€ au titre de l'APD.

Cependant le PLF 2025 est venu contredire ce projet de COM en prévoyant une baisse des crédits de -6,9 M€ tandis que les crédits de TV5 Monde stagnaient à 83,4 M€ voire régressaient compte tenu de l'augmentation de la taxe sur les salaires alors même que la programmation budgétaire de l'année dernière prévoyait de porter la contribution française à TV5 Monde à 84,7 M€ en 2025 puis 86 M€ en 2026.

Par ailleurs, la DGMIC nous a confirmé la semaine dernière qu'un amendement viendrait amputer à nouveau les moyens de France Médias Monde de 3 M€ en 2025 pour porter la coupe budgétaire à -9,9 M€. L'enveloppe du plan de transformation numérique serait ainsi purement supprimée tandis que la dotation socle serait réduite de 1 M€.

Réduire les moyens consacrés à la « guerre des narratifs » au moment précis où nos adversaires déploient des stratégies qui s'appuient sur des moyens considérables revient à opérer un désarmement informationnel. Il aurait été tout à fait possible de faire reposer le poids de l'ajustement sur les plus gros opérateurs qui disposent de moyens bien plus importants. On ne peut pas réduire les moyens de chacun des opérateurs de manière proportionnelle car les budgets de France Télévisions et Radio France permettent davantage d'ajustements que celui de France Médias Monde.

Je terminerai en évoquant la nature de la ressource attribuée à l'audiovisuel public. Le PLF 2025 prévoit aujourd'hui de recourir à des dotations budgétaires qui présentent l'inconvénient de fragiliser l'indépendance de l'audiovisuel extérieur. Ce recours au dotations budgétaires était inévitable à défaut de modifier d'ici la fin de l'année la LOLF afin de pérenniser le financement par une fraction du produit de la TVA comme cela est le cas depuis 2022.

Avec les président Cédric Perrin et plusieurs collègues de la commission de la culture nous avons porté une proposition de loi organique modifiant la LOLF qui a été adoptée par le Sénat le 23 octobre dernier. Les députés devraient se prononcer sur ce texte aujourd'hui à 15 heures. S'ils adoptent le texte conforme, à l'issue de sa promulgation, le Gouvernement pourra rétablir un financement par le produit d'une taxe affectée pour conforter l'indépendance de l'audiovisuel extérieur.

Afin de redonner quelques moyens à France Médias Monde, nous vous proposerons avec ma collègue co-rapporteure Mireille Jouve un amendement prévoyant de redonner 5 M€ à France Médias Monde qui seraient prélevés sur les crédits de France Télévisions. Nous vous proposerons également de conditionner un avis favorable à l'adoption des crédits à l'adoption de cet amendement.

Mme Mireille Jouve, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, Je souhaite tout d'abord saluer notre ancien collègue Jean-Noël Guérini à qui j'ai l'honneur de succéder comme co-rapporteure. Je veillerai à défendre aussi bien qu'il le faisait notre attachement à un audiovisuel extérieur puissant et indépendant.

Compte tenu du contexte budgétaire particulier qui vient d'être dressé par mon collègue rapporteur Roger Karoutchi, permettez-moi de vous apporter quelques détails sur la situation de chacun des opérateurs.

Concernant France Médias Monde tout d'abord, la baisse de près de 10 M€ des crédits prévus par le Gouvernement aura un impact en 2025 mais également les années suivantes selon qu'il y aura ou non un rattrapage.

La direction de FMM estime, en effet, que si la trajectoire financière est respectée pour les années suivantes il pourrait être possible pour l'entreprise d'absorber les déficits cumulés de 2024 et 2025 sur ses capitaux propres. A contrario, si la trajectoire financière est durablement dégradée, elle sera dans l'obligation de remettre en cause le périmètre de ses actions et de ses missions tout en ayant besoin de solliciter l'actionnaire pour une recapitalisation.

Une dégradation persistante des moyens de FMM réduira d'autant sa capacité à mener sa transformation numérique mais elle constituera également un risque industriel majeur pour ses activités historiques compte tenu du besoin impératif d'investissement dans les infrastructures techniques de l'entreprise comme les régies de France 24, du fait de leur ancienneté.

Dans ce contexte maussade, nous ne pouvons que nous réjouir a contrario du maintien du soutien direct du Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères via l'aide publique au développement (programme 209) qui devrait permettre de financer de nouveaux projets de proximité. La subvention du MEAE qui était de 2,5 M€ en 2024 sera portée à 4,1 M€ en 2025 puis 4,9 M€ à partir de 2026.

FMM devrait donc pouvoir développer son « hub » à Beyrouth - avec une vigilance renforcée sur le plan sécuritaire - pour enrichir la production numérique de France 24 en arabe et MCD à travers la production de contenus dans tous les formats. En Afrique, FMM prévoit de lancer une offre numérique panafricaine pour les jeunes destinée aux réseaux sociaux pour offrir des contenus constructifs et lutter contre les infox. Le pôle de Dakar poursuivra par ailleurs le développement de la production africaine de contenus. En Europe centrale et orientale, le « hub » de Bucarest poursuivra le développement de la rédaction de RFI en ukrainien tandis que le projet de rédaction en turc pourrait être reporté compte tenu du contexte budgétaire.

Le problème de la prévisibilité des ressources concerne également TV5 Monde qui a engagé le processus de rédaction de son nouveau plan stratégique quadriennal. Les grandes orientations ont été présentées au conseil d'administration du 17 octobre mais l'adoption du document devrait être reportée au mois de février 2025. Le plan stratégique de TV5 Monde ne comportant pas de programmation budgétaire, l'entreprise demeure dans l'incertitude quant aux moyens dont elle pourra disposer. Selon la DGMIC la tendance actuelle serait à la stabilité des moyens chez les différents bailleurs, ce qui revient à considérer que les marges de manoeuvre devraient dans les années à venir résulter de l'arrivée de nouveaux pays au tour de table.

L'arrivée de Monaco a permis d'apporter 4,2 M€ au fonctionnement de TV5 Monde. L'élargissement de la gouvernance à de nouveaux pays francophones demeure d'actualité avec le projet d'adhésion commune du Bénin, du Cameroun, du Congo Brazzaville, de la Côte d'Ivoire, du Gabon, de la République démocratique du Congo et du Sénégal qui contribueraient au même niveau que Monaco dans un strict respect de la charte éditoriale et déontologique de TV5 Monde.

TV5 Monde devra néanmoins continuer en 2025 les économies engagées en 2024 dans la diffusion en supprimant des sous-titrages dans certains pays, en réduisant les productions propres avec l'arrêt de plusieurs magazines, en cessant la distribution en Allemagne et en renonçant à la distribution par satellite de la chaîne Style en Afrique.

Enfin, grâce aux financements apportés par la partie canadienne, la plateforme TV5 Monde + poursuivra son développement dans les deux cents pays où elle est présente avec son modèle proposant 6000 heures de programmes financés par la publicité. L'offre Tivi5 Monde qui propose des programmes de qualité à la jeunesse africaine - ciblée par les médias russes, chinois et turcs - sera également préservée.

Sous réserve de ces remarques, je constate également que les crédits prévus pour 2025 ne sont pas à la hauteur de l'ambition nécessaire pour notre audiovisuel extérieur et je rejoins la recommandation de mon collègue rapporteur de conditionner l'adoption des crédits de l'audiovisuel extérieur à l'adoption de notre amendement visant à redonner 5 M€ de crédits à France Médias Monde.

M. Cédric Perrin, président. - Je rappelle que le chef d'état-major des armées intègre la guerre informationnelle, le numérique et le cyber dans la haute intensité pour « gagner la guerre avant la guerre ». C'est donc un contre-sens majeur de réduire les crédits de l'audiovisuel extérieur comme c'est une erreur de réduire les crédits d'autres organismes dépendant de l'ANSII, du SGDSN et de l'IHEDN.

Mme Hélène Conway-Mouret. - J'adhère complètement aux arguments des deux co-rapporteurs. Le maintien des sous-titres est essentiel en particulier en Afrique où le français recule et où il est essentiel de s'adresser aux publics dans leurs langues locales. C'est indispensable pour pouvoir s'adresser à la jeunesse. Notre modèle est obsolète et les crédits ne sont pas à la hauteur. Mon groupe votera en faveur de l'amendement et conditionnera l'avis sur les crédits à son adoption comme le proposent les rapporteurs.

Mme Michelle Gréaume. - J'aurais aimé qu'on parle davantage de la disparition de la contribution à l'audiovisuel public et de la réforme se son financement. Nous sommes favorables à la sanctuarisation de l'audiovisuel extérieur.

M. Olivier Cadic. - Je suis heureux que France Médias Monde puisse poursuivre le développement de son activité à Beyrouth. Le rapport présenté était très éloquent et je soutiendrai l'amendement de 5 M€ qui constitue un signal.

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Lorsque j'étais rapporteur spécial de la commission des finances pour l'ensemble de l'audiovisuel public j'ai déposé chaque année un amendement de transfert de crédits en faveur de France Médias Monde. Nous sommes partout sur la retraite. Est-ce que la France existe encore à l'extérieur ? Aujourd'hui ce n'est pas le cas.

Il n'y a pas de véritable stratégie pour l'audiovisuel extérieur. Je pense qu'il faut faire passer la part de l'audiovisuel extérieur dans la totalité des crédits de l'audiovisuel public de 8% environ aujourd'hui à 10% et arrêter de privilégier les deux plus gros opérateurs. L'amendement de 5 M€ permettrait à France Médias Monde de préserver certaines de ses actions ainsi que sa transformation numérique.

La commission a adopté à l'unanimité l'amendement visant à transférer 5 M€ du programme 372 de France Télévisions au programme 375 de France Médias Monde.

La commission a ensuite donné à l'unanimité un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 375, 377 et 383 sous réserve de l'adoption de l'amendement de transfert de crédits adopté par la commission.

Audition de Madame Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

M. Cédric Perrin. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pour discuter des grandes lignes du budget 2025 et des conditions de sa mise en oeuvre.

Nous l'avions évoqué lors de l'audition du ministre : le projet de budget pour 2025 déposé par le Gouvernement prévoit une diminution des crédits d'environ un milliard d'euros, soit 15 % du total, qui fait suite aux annulations de crédits de l'ordre de 880 millions d'euros survenues en 2024. Elle sera encore aggravée, comme nous l'a annoncé le ministre, par la contribution du ministère aux 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires qui devront être trouvés sur le budget de l'État au cours des discussions budgétaires. On peut donc dire que le ministère prend sa part à l'effort de rigueur demandé à tous pour redresser les finances publiques.

Dans ce contexte, nous aimerions que vous nous disiez, Madame la secrétaire générale, comment votre administration va s'adapter pour mener à bien ses missions. Je pense d'abord au plan de réarmement de notre diplomatie. L'objectif de hausse des effectifs portés par le programme 105 se trouve ainsi diminué de moitié. Quelles conséquences cela aura-t-il sur la mise en oeuvre des priorités identifiées ? Où sont d'ailleurs l'agenda de transformation et ses nombreux chantiers connexes, qu'il s'agisse de la gestion des ressources humaines, des investissements dans la communication et le numérique, de la création de l'Académie diplomatique et consulaire ou encore de la politique sociale du ministère ?

Dans un contexte international toujours plus dégradé, un tel cadre budgétaire pèse encore sur certaines fonctions essentielles de notre action extérieure, à commencer par ce qui s'apparente à des investissements de moyen ou long terme, les contributions internationales, le fonctionnement des ambassades ou la coopération de sécurité. Ne progressent de manière significative que les dépenses de protocole compte tenu de l'actualité toujours chargée en conférences internationales organisées sur notre sol, ce qui constitue certes un atout non négligeable au service de notre influence.

L'essentiel de l'effort de réduction des crédits de la mission est porté par l'aide publique au développement (APD), dont les crédits diminuent de près d'un milliard d'euros en autorisations d'engagements (AE) et de 850 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit respectivement 33% et 26%. L'aide française est, en conséquence, rendue moins concessionnelle et plus multilatérale, ce qui va, dans une certaine mesure, à l'encontre des efforts déployés depuis plusieurs années.

Le programme 151, dont les crédits reculent de 2,4%, contribue également à l'effort financier, tout en poursuivant la mise en oeuvre de trois projets clés de modernisation de l'administration des Français de l'étranger, à savoir le vote par Internet, le registre de l'état civil électronique et le service France consulaire.

En matière de diplomatie culturelle et d'influence, enfin, le programme 185 voit ses crédits baisser de plus de 6% et met fortement à contribution ses opérateurs. Avec une diminution de plus de 14 millions d'euros des moyens de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), l'objectif de doublement des effectifs d'élèves au sein du réseau semble s'éloigner.

Je vous cède la parole pour un propos luminaire à la suite duquel les rapporteurs pour avis vous poseront des questions relatives à leurs programmes budgétaires respectifs. Je rappelle que cette audition est captée et diffusée sur le site Internet et les réseaux sociaux du Sénat.

Mme Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères vous a présenté, le 23 octobre, les grands axes et les objectifs prioritaires du budget de notre ministère pour l'année 2025.

Je vous remercie de m'avoir invitée à m'exprimer sur ce projet de budget. Je m'efforcerai bien sûr de répondre à toutes vos questions. Toutefois, dans le cas où vous souhaiteriez des précisions supplémentaires, je me suis permis de venir accompagnée du directeur des affaires financières du ministère, M. Alexandre Morois, du directeur adjoint des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, M. Raphaël Trannoy, de la directrice générale adjointe des affaires politiques, Mme Emmanuelle Lachaussée, et du directeur général adjoint de la mondialisation, Monsieur Olivier Richard.

Je crois que vous avez parfaitement posé la question qui, à nos yeux, est centrale : face à la contrainte budgétaire qui s'impose à nous, le budget du ministère nous permettra-t-il de poursuivre la transformation engagée depuis plus d'un an et demi ?

Cet ambitieux agenda de la transformation, issu des états généraux de la diplomatie - un exercice inédit qui a mobilisé l'ensemble des agents pendant trois mois -, doit nous permettre d'adapter le ministère aux défis auxquels la diplomatie doit faire face aujourd'hui : le défi de la guerre, qui est revenue sur le continent européen, le défi énorme et multidimensionnel des enjeux globaux, le défi de la démocratie et de la défense des principes et des organisations qui permettent de la guider, et, enfin, le défi de la prospérité partagée.

Face à ces défis, nous devons essayer de nous transformer pour que nos diplomates soient capables, comme nous l'a demandé le ministre Barrot, de mener une diplomatie qui porte une voix singulière dans les enceintes européennes et internationales, se distingue par sa créativité et sa capacité d'innovation et oeuvre au service des Français.

Pour atteindre ces objectifs, nous avons bâti un agenda sur la base des 356 recommandations issues du rapport des états généraux de la diplomatie, qui a été remis en mars 2023 au Président de la République, dont 80 % sont déjà mises en oeuvre ou le seront d'ici à la fin de l'année.

Le Président de la République avait fixé cinq axes d'efforts, qui rejoignent les objectifs énoncés par le ministre : une diplomatie agile dans un monde en recomposition, une diplomatie des partenaires, une diplomatie des biens communs, une diplomatie pour les Français et une diplomatie des talents.

Pour y parvenir, nous avons mis en chantier, depuis 18 mois, plusieurs actions. Je souhaiterais en citer quelques-unes, qui sont vraiment structurelles et emblématiques. Je pense d'abord à la transformation de nos services aux Français avec le déploiement de la plateforme téléphonique France consulaire dans 62 pays, le registre d'état civil électronique ou encore l'expérimentation du renouvellement des passeports à distance. Nous avons également engagé dès la fin de 2022 le renforcement de nos capacités de communication et d'influence, tant en administration centrale que dans le réseau, et déployé progressivement une capacité en matière de lutte contre la désinformation. Nous avons aussi organisé la montée en puissance de notre expertise en matière d'enjeux globaux, en administration centrale et dans le réseau, par le recrutement d'experts et amorcé la simplification de nos méthodes de travail et de nos procédures internes en nous fixant un objectif de réduction de 50 % de nos formulaires internes en 2025. La transformation de notre politique des ressources humaines et de notre culture managériale est très largement engagée, puisque nous avons procédé à une refonte des concours d'entrée et lancé une marque employeur pour gagner en attractivité dans un contexte de diminution de celle de la fonction publique et diversifier nos viviers de recrutement. Nous avons donc lancé une Académie diplomatique et consulaire ainsi qu'un nouveau plan d'action pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pour 2024-2026.

Cette transformation est engagée avec tous les agents du ministère, qui y sont bien sûr associés et sont régulièrement informés de l'état d'avancement des projets. La vitesse à laquelle évolue l'environnement international nous encourage à accélérer ces efforts de modernisation. Nous avions prévu, sur la base des moyens qui nous avaient été annoncés, d'échelonner l'augmentation de notre budget pour réarmer la diplomatie entre 2024 et 2027.

Je ne saurais dire que le contexte budgétaire ne nous affecte pas. Le ministère a pris une part significative dans les annulations et gels de crédits décidés en février et juillet derniers, pour 880 millions d'euros au total, soit 12,5 % de notre budget. Nous avons donc dû faire des choix pour que la mise en oeuvre de ces réductions ne remette pas en cause nos projets prioritaires. Les chantiers de réforme et de modernisation ont ainsi été protégés et je crois que cela influe sur notre capacité à faire mieux avec moins dans des périodes de contrainte comme celle que nous traversons.

Vous avez rappelé - et vous connaissez très bien notre budget - quelle était la contribution à la maîtrise des finances publiques qui nous est demandée. Je vais donc vous faire part à grands traits de la façon dont nous allons prioriser nos actions en 2025. Je commencerais par une remarque sur l'amendement gouvernemental prévoyant 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires, qui doit permettre de ramener le déficit à 5 % du PIB. Cette mesure a été portée, pour ce qui concerne le ministère, sur le programme 209, qui représente la moitié de nos crédits.

Malgré cela, nous allons faire en sorte de limiter au maximum ses conséquences sur les moyens bilatéraux - j'y reviendrai ultérieurement. Nous protégerons l'investissement dans l'agenda de la transformation, et notamment nos moyens humains, au travers d'une trajectoire d'équivalents temps plein (ETP) qui reste positive, bien qu'inférieure à ce que nous avions prévu. Nous veillerons également à poursuivre le réarmement de nos services consulaires, au bénéfice direct de nos ressortissants à l'étranger.

Concernant les crédits du titre 2, je voudrais attirer votre attention sur la poursuite de la dynamique qui caractérise nos ressources humaines depuis deux ans. En 2025, nos crédits de rémunération s'élèveront à 1,146 millions d'euros, en hausse de 0,7 % par rapport au budget 2024. Cette progression permettra de financer la création de 75 nouveaux ETP, qui s'ajouteront aux 265 créés sur la période 2023-2024. C'est important, même si c'est inférieur à ce que nous avions espéré, parce que nous restons dans la rupture claire, dans la durée, avec les années d'érosion de nos moyens, qui ont vu la suppression de plus de 3 000 ETP entre 2006 et 2021. Nous continuons donc sur une trajectoire ascendante et espérons pouvoir maintenir les 200 créations supplémentaires d'ici à 2027. Le regroupement de l'ensemble de la masse salariale sur le seul programme 105 en sécurisera l'exécution financière, renforcera la transparence vis-à-vis du Parlement et permettra un pilotage plus dynamique de nos effectifs.

Ces nouveaux ETP seront évidemment répartis en fonction de nos priorités : le renforcement de notre capacité d'analyse politique au plus près du terrain - important dans le contexte de crises à répétition que nous connaissons -, de notre action de communication externe et de veille stratégique, de nos fonctions de soutien logistique, de notre capacité d'instruction des demandes de visas au service de notre politique d'influence, dans la suite du rapport Hermelin, des équipes de lutte contre la fraude - pour améliorer la qualité de service non seulement pour les étrangers, mais aussi pour les Français - et des capacités de nos postes qui gèrent des Fonds Équipe France (FEF). Nous devons également nous préparer à armer de nouveaux postes, puisqu'une nouvelle ambassade sera créée au Guyana ; nous ferons en sorte de fournir cette nouvelle petite équipe.

Concernant les crédits du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », grâce à la baisse tendancielle de nos contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix, les moyens sont, dans l'ensemble, préservés et nous pourrons, au prix de priorisations, préserver les fondamentaux et poursuivre les réformes les plus structurantes.

Les formes de conflictualité se multiplient dans le monde, s'aggravent et appellent une adaptation de notre action. Dans ce contexte, nous pensons que notre mission d'analyse politique est absolument essentielle et doit être préservée. Pour cela, il ne nous faut pas seulement plus d'agents, mais surtout des agents mieux formés aux métiers de la diplomatie. C'est la raison pour laquelle nous mettons en place l'Académie diplomatique et consulaire, créée en mai de cette année pour renforcer les compétences de nos agents, mais également pour intensifier nos échanges avec la société civile au travers du collège des hautes études de l'Académie diplomatique (Chead). Nous voulons aussi nourrir nos partenariats internationaux et valoriser notre expertise auprès des Français et des territoires. Le budget des activités de l'Académie diplomatique et consulaire est estimé à 5,4 millions d'euros pour 2025, en augmentation de 22 %. Il a été construit de façon à intégrer et consolider les programmes antérieurs, avant de lancer les nouvelles formations et les nouvelles missions de l'Académie.

Nous pensons que, dans le contexte que nous avons rappelé, nos agents doivent pouvoir travailler dans un environnement sûr et dans de bonnes conditions. Nous continuerons donc à renforcer la sécurité de nos emprises diplomatiques et consulaires, avec une hausse globale de 2,6 millions d'euros pour assurer leur protection. L'opération emblématique d'extension et de réhabilitation de l'aile des archives du Quai d'Orsay, le projet ERA, débutera l'année prochaine et offrira une capacité de 600 postes de travail supplémentaires sur le site du Quai d'Orsay. Pour accompagner les travaux, nous avons pris à bail un site temporaire, le Spallis, en Seine-Saint-Denis. Il permettra d'accueillir pendant 5 ans 300 postes de travail pour limiter l'exposition des agents aux nuisances des travaux qui seront menés sur le site du Quai d'Orsay. Les opérations de travaux à l'étranger seront poursuivies ; une enveloppe supplémentaire de 7,5 millions d'euros est mobilisée à cet effet.

Pour être plus efficaces dans notre action, nos agents ont besoin d'outils plus performants. Le budget de la direction du numérique sera maintenu à son niveau de la loi de finances initiale (LFI) pour 2024, soit 57 millions d'euros en CP, sanctuarisant ainsi la hausse significative que nous avons opérée ces dernières années - pour mémoire, le budget de la direction du numérique s'élevait à un peu plus de 40 millions d'euros en 2022 -, ce qui permettra de continuer à accompagner les évolutions des métiers de la diplomatie et à déployer des technologies innovantes.

Enfin, nous avons besoin de nous positionner sur les grands enjeux globaux. Ce sera le cas avec l'organisation du sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle en février et de la conférence des Nations unies sur l'océan en juin, pour laquelle une enveloppe de 25 millions d'euros de crédits exceptionnels est prévue.

S'agissant de notre action consulaire, portée par le programme 151, les moyens consacrés aux grands chantiers de modernisation sont préservés. Les services rendus aux Français de l'étranger ne cessent de se moderniser - et je pense que vous avez pu le constater sur le terrain -, au travers d'un recours élargi à la dématérialisation des procédures pour permettre aux agents consulaires de se concentrer davantage sur leur coeur de métier, c'est-à-dire la délivrance des titres d'identité et de voyage, dont la demande a augmenté de 42 % par rapport à 2019, la protection consulaire, les démarches d'état civil et la gestion des urgences, tout en accordant une attention particulière aux publics les plus fragiles et peu familiers de l'environnement numérique. Nous avons pris l'habitude de mener de manière systématique des enquêtes de satisfaction pour prendre en compte les attentes des usagers des services consulaires.

La politique prioritaire du Gouvernement « Amélioration de la qualité du service rendu aux Français de l'étranger », mise en oeuvre par la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire (DFAE) de façon tout à fait exemplaire, se décline en quatre projets majeurs de modernisation : le registre d'état civil électronique, le vote par Internet, le service de réponse téléphonique France consulaire et l'expérimentation du renouvellement des passeports à distance en cours au Canada et au Portugal.

Ces chantiers seront évidemment poursuivis en 2025. La finalisation du registre d'état civil électronique est envisagée pour la fin de 2025 pour permettre la dématérialisation de l'ensemble de l'état civil du ministère. Le service France consulaire, qui couvre déjà 62 pays, achèvera son déploiement en vue d'une couverture mondiale à l'horizon de la fin 2025. Le marché du vote par Internet a été renouvelé en septembre 2024 et des modalités de vote plus simples pourront être envisagées pour les prochaines élections. Une évaluation de l'expérimentation du renouvellement des passeports à distance est attendue pour novembre et devrait nous permettre d'envisager l'extension à d'autres pays. D'autres chantiers importants de modernisation du service consulaire sont prévus en 2025, en particulier le déploiement de l'identité numérique pour les Français à l'étranger et la généralisation du paiement des droits de chancellerie par timbre électronique.

J'en viens aux crédits consacrés, au travers du programme 185, à notre diplomatie dite culturelle et d'influence. Malgré une diminution de 6 %, soit 46,4 millions d'euros, les crédits sont maintenus au niveau significatif de 674,4 millions d'euros. Après une montée en puissance en 2024 dans le prolongement des orientations stratégiques définies par la feuille de route de l'influence de 2021 et des priorités présidentielles, les moyens prévus en 2025 seront priorisés sur les dynamiques prioritaires engagées.

Nous allons donc continuer à financer des actions essentielles au rayonnement international de la France, et notamment les bourses de mobilité étudiantes, dont la dotation sera stabilisée à 70,1 millions d'euros. L'objectif de 15 000 boursiers d'études à l'horizon de 2027, qui découlait de la stratégie interministérielle Bienvenue en France, ne peut malheureusement être atteint, mais nous maintiendrons tout de même notre effort pour continuer à attirer des talents en France, puisque la compétition internationale s'accroît.

Nous réaffirmerons également le soutien aux instituts français à l'étranger, qui constituent des relais d'influence incontournables. Leur dotation de fonctionnement est sanctuarisée à hauteur de 45,7 millions d'euros, ce qui permettra de poursuivre la revalorisation salariale et l'amélioration de la protection sociale des personnels dans le cadre de notre agenda de transformation. Cet investissement dans la qualité de nos ressources humaines est indispensable au rayonnement de la France à l'étranger. Nous devons attirer les meilleurs dans nos centres culturels pour organiser des évènements de qualité et convaincre à la fois nos partenaires et nos mécènes de continuer à nous soutenir. Les opérateurs - principalement l'AEFE, mais aussi l'Institut français - contribueront eux aussi à l'effort de réduction du déficit public. Des travaux ont commencé avec eux pour identifier les pistes d'économies, tout en continuant à cibler les priorités.

Le programme 209, consacré à la solidarité avec les pays en développement, est celui qui a été le plus mis à contribution, avec une diminution de 47 % de ses AE. Nous veillons à ce que nos outils bilatéraux soient les moins affectés par cette baisse. Les ambassades pourront encore lancer des projets via les FEF, cet outil ayant fait la preuve de son efficacité et de sa réactivité sur le terrain. Nous continuerons aussi à augmenter le nombre des experts techniques internationaux, certes pas aussi vite que prévu, mais cet outil d'influence est important.

En matière humanitaire, nous avons dû supprimer la provision pour crise majeure, mais, avec 500 millions d'euros - contre 790 millions d'euros en LFI pour 2024 -, nous préservons une réelle capacité à intervenir rapidement, ce qui constitue un gage de crédibilité politique dans les nombreuses situations de crise auxquelles nous sommes confrontés. Notre capacité à apporter une réponse d'urgence lors du déclenchement de crises aux conséquences humanitaires graves doit en effet rester un volet prioritaire de notre action. Enfin, les réductions budgétaires auront évidemment des conséquences sur les crédits délégués à l'Agence française de développement (AFD), qui constituent le bloc le plus important au sein du programme 209.

Les moyens destinés aux agences et aux organisations des Nations unies ainsi qu'aux autres organisations multilatérales et régionales seront les plus affectés par la baisse des crédits. Nos partenariats devront donc être réévalués et priorisés à l'aune de l'influence qu'ils nous confèrent.

Le programme 384, auquel le fonds de solidarité pour le développement est désormais intégré, demeure par ailleurs un moyen d'action important en matière de santé mondiale. Nous poursuivons également nos efforts dans le cadre du pacte de Paris pour les peuples et la planète pour que les grandes institutions financières internationales élargissent leurs capacités d'intervention.

Nous sommes aussi, malheureusement, un ministère des crises, et pas seulement de l'innovation diplomatique. Je voudrais donc, pour terminer, dire quelques mots sur le centre de crise et de soutien (CDCS), qui permet une coordination exemplaire des moyens de l'État, sur laquelle de nombreux partenaires comptent, notamment en cas d'évacuation.

En 2025, nous renforcerons la capacité d'action et de préparation du CDCS en augmentant légèrement ses moyens de fonctionnement à 5,25 millions d'euros. Il sera donc armé pour assurer la préparation du ministère et de son réseau à la gestion de crise, appuyer les postes du réseau dans l'élaboration de leur plan de sécurité, poursuivre le renforcement de la capacité de réponse téléphonique adossée à une cellule de crise en cas d'afflux massif d'appels, veiller à l'amélioration continue des fiches « Conseils aux voyageurs », dont la certification ISO 9001 a été renouvelée en 2024, avec plus de 26 millions de consultations enregistrées en 2023, développer et promouvoir le service Fil d'Ariane auprès du grand public, assurer la veille sécuritaire, notamment en matière épidémiologique, poursuivre le renouvellement des moyens de communication radio et satellitaires, continuer à déployer auprès des postes des stocks nécessaires à la gestion de crise, organiser les cellules de crise et assurer le retour de nos ressortissants, le cas échéant.

Je pense que nous serons, grâce à ce travail très fin de priorisation, en mesure de poursuivre notre transformation au cours de l'année qui vient, de défendre nos intérêts, de promouvoir nos principes et nos valeurs, d'améliorer la qualité du service rendu aux Français, d'augmenter notre attractivité et de soutenir l'enseignement français à l'étranger.

Voilà, Monsieur le président, Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs, les principaux éléments sur lesquels je souhaitais attirer votre attention alors que vous étudiez le projet de budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Je vous remercie de votre attention et suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Merci, Madame la secrétaire générale, pour cette présentation très complète.

Avec Valérie Boyer, nous avons mené un certain nombre d'auditions pour mesurer l'efficacité de notre appareil diplomatique. Nous nous réjouissons d'ores et déjà du maintien d'une dynamique positive en termes de créations d'ETP. Il est vrai que nous ne sommes pas au niveau de la trajectoire qui était attendue à la suite des états généraux de la diplomatie, puisque seuls 75 ETP seront créés contre 150 prévus initialement, mais nous sommes tout de même lancés dans une dynamique de créations de postes, ce qui était nécessaire après 20 ou 30 années de coupes budgétaires au cours desquelles le ministère était à l'os.

On voit dans le monde tel qu'il est aujourd'hui l'affirmation de puissances qui souhaitent mettre en place un multilatéralisme alternatif, un alter-multilatéralisme. Le sommet des BRICS et un certain nombre d'initiatives prises par ces puissances régionales en témoignent. Il est donc important que notre diplomatie ne parle pas uniquement à ses partenaires occidentaux. J'ai en tête un certain nombre de formats, les E3, les Weimar, les G7, etc.

Comment, selon vous, resserrer les liens avec ces enceintes de dialogue du Sud global ? Les BRICS représentent aujourd'hui 36 % du PIB mondial contre 29 % pour le G7. On voit bien ces nouvelles réalités économiques et géopolitiques. Il est important que la France, qui a toujours une voix singulière, puisse être à l'avant-garde et porter un certain nombre de réformes des institutions en partenariat avec le Sud global.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Je souhaiterais vous interroger sur la singularité et la place de la France, et notamment sur la feuille de route de l'influence de la France, qui a fixé un objectif de renforcement de la présence française dans les organisations internationales.

J'aimerais savoir où nous en sommes à cet égard. Quels progrès peut-on accomplir en la matière ? La stratégie visant à identifier les postes de haut niveau que la France pourrait briguer est-elle prête ? Lorsque nous nous rendons au sein d'organisations internationales, nous voyons que les Français ne sont pas aussi bien représentés qu'ils pourraient l'être eu égard, notamment, à notre contribution au financement de ces organismes.

Nous savons par ailleurs que le titre de docteur ou de PhD est le plus reconnu dans le monde. Je voudrais savoir où en sont les réflexions sur l'intégration des doctorants et des docteurs dans l'administration des affaires étrangères, sur la possibilité pour les diplomates de se libérer du temps pour effectuer un doctorat ou encore sur l'identification d'un vivier de docteurs familiers des questions internationales pour appuyer les candidatures françaises. Dispose-t-on d'un plan ou d'un schéma ? Sait-on précisément si nous avons progressé en la matière et quelles sont les voies pour y parvenir ?

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a présenté, le 11 septembre dernier, un plan d'action pour l'égalité entre les femmes et les hommes pour la période 2024-2026. Pouvez-vous nous en présenter les grandes lignes ? Dans quelle mesure ce plan contribue-t-il à la diplomatie féministe que les ministres successifs appellent de leurs voeux ? Est-il vraiment efficace ?

Mme Anne-Marie Descôtes. - Vous avez cité l'enceinte des BRICS, qui retient évidemment toute notre attention. Nous avons observé ce qui se passait à Kazan, engagé une réflexion sur l'analyse des BRICS et sollicité l'ensemble du réseau pour essayer d'observer comment le sommet de Kazan avait été perçu. Quelle est la réalité qui se cache ou est en train d'émerger derrière cette enceinte des BRICS ? Est-elle homogène ou non ? Pourquoi ? Quelles sont les dynamiques qui sont à l'oeuvre au sein de ce mouvement, que nous prenons évidemment très au sérieux ?

Le G20 se réunissait jusqu'à hier. Cette enceinte, qui nous paraît extrêmement importante, est loin d'avoir été supplantée par celle des BRICS. Le G20 est un vrai lieu de dialogue - un dialogue que l'on peut parfois qualifier de viril -, comme nous l'avons encore constaté ces derniers jours, et nous entendons l'utiliser pleinement. Nous allons, pour notre part, présider le G7 dans deux ans. Ce sera l'occasion de réfléchir plus largement à cette question des enceintes et de leur articulation.

Il s'agit de l'une des raisons pour lesquelles nous avons besoin de plus d'ETP, non pas massivement, mais en les plaçant aux bons endroits, pour renforcer les équipes qui mènent l'analyse politique sur le terrain. La transformation de l'Académie diplomatique et le Centre d'analyse et de prévision stratégique (Caps) jouent à cet égard un rôle très important. Nous devons absolument consolider notre capacité à obtenir des informations de terrain de première bourre, dont nous disposons grâce à notre réseau - un travail que nous menons via le Caps, avec l'ensemble des think tanks avec lesquels nous sommes en relation, en essayant de nourrir la réflexion, d'anticiper les évènements, si possible, et de définir la manière dont nous pouvons ensuite, diplomatiquement et au travers d'actions de coopération, travailler avec le Sud global, qui n'est pas un groupe nécessairement homogène et que nous souhaitons surtout ramener vers le multilatéralisme et le respect du droit international.

Il y a un lien avec la recherche et l'intégration des docteurs. Nous souhaitons avoir la possibilité de recruter plus d'agents et d'aller chercher des talents et des profils différents. Une part sera réservée à la recherche au sein de l'Académie diplomatique et consulaire. Nous comptons accueillir des doctorants, favoriser leur travail et inciter les diplomates qui le souhaiteraient à mener des travaux de recherche. En réalité, nous accueillons déjà beaucoup de chercheurs, puisque, dans les secteurs que nous rassemblons sous les enjeux globaux, les sujets que nous traitons sont souvent d'une grande technicité. Nous recrutons souvent des doctorants ou des personnes de ce niveau parmi nos agents contractuels.

Ceux-ci sont évidemment très importants pour notre travail de placement dans les organisations internationales. Nous avons constamment à l'esprit cette dimension à chaque campagne de recrutement des organisations, que ce soit au niveau dirigeant ou à un niveau expert, et nous agissons en lien étroit avec nos représentations permanentes auprès d'elles. Cette réponse n'est peut-être pas suffisamment précise, mais nous pourrons bien sûr vous communiquer des données chiffrées et des éléments plus concrets sur notre action en la matière grâce à la délégation que nous avons au sein du ministère et au travail que mène avec elle et avec l'Académie la direction des ressources humaines pour former nos collègues et accroître leurs chances d'être recrutés lorsqu'ils passent les panels de recrutement. Il s'agit donc d'un travail que nous menons de façon tout à fait appuyée, en gardant à l'esprit que cette dimension de la formation et de l'expertise est absolument essentielle.

J'ai moi-même accordé beaucoup d'importance au sujet de la diplomatie féministe lorsque j'étais directrice générale de la mondialisation - en étant aussi la première ambassadrice à Berlin et, aujourd'hui, la première secrétaire générale du ministère. Ce n'est pas symbolique : je crois qu'il faut porter derrière cela une véritable politique.

La diplomatie féministe est un axe choisi par Jean-Yves Le Drian en 2019 et porté avec constance par ses successeurs. Il s'agit d'une diplomatie à double volet : l'un vers l'intérieur du ministère - la place des femmes dans le ministère -, l'autre vers les programmes à l'extérieur - la place des femmes dans les programmes de coopération, l'attention que nous leur portons au travers des programmes de santé et d'éducation, le statut des femmes premières victimes des conflits, le rôle que les femmes peuvent jouer dans la résolution des conflits ou encore l'accès des femmes aux postes à responsabilités dans les organisations internationales.

À l'intérieur du ministère, nous avions, à l'issue du mouvement de cet été, 44 femmes parmi les primo-nominés à des postes de chef de poste diplomatique ou consulaire. C'est un beau résultat, car la loi Sauvadet fixait pour objectif l'atteinte d'un taux de 40 % de femmes et nous en avons 32 % en stock. Il faut donc que nous fassions encore un effort, mais nous avons réellement progressé : nous disposons d'un vivier de 44 % de sous-directrices - 33 sur 75. Les choses sont en train de bouger.

Nous avons apporté une attention particulière aux femmes en créant des programmes de soutien - je pense au programme Tremplin -, notamment pour repérer les talents et aider les femmes à se projeter dans des fonctions d'encadrement et de chef de poste en les accompagnant dans l'acquisition de capacités de management et d'affirmation et dans la conciliation de leurs vies familiale et professionnelle. Cet exercice de conciliation concerne aussi les hommes. Nous sentons que les jeunes agents souhaitent que nous soyons également attentifs à cette dimension chez les hommes - et nous le sommes, bien évidemment.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 151 « Français de l'étranger et action consulaire ». - Le programme 151 prend sa part de l'effort de redressement de nos finances publiques, avec une baisse de ses crédits, à périmètre égal, d'un peu plus de 2 %.

En revanche, la modernisation de l'administration du réseau a été pleinement soutenue, avec des crédits en hausse pour des projets clés comme France consulaire ou le registre d'état civil électronique. On ne peut que s'en féliciter.

Toutefois, le transfert de l'intégralité du titre 2 vers le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » ne prive-t-il pas la DFAE du pilotage des effectifs du réseau consulaire ?

M. Guillaume Gontard, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 151 « Français de l'étranger et action consulaire ». - Les Français à l'étranger bénéficient d'aides sociales, comme nos compatriotes, mais dans un cadre législatif assez différent et moins protecteur. Ainsi, un certain nombre d'aides directes, comme l'allocation aux adultes handicapés (AAH), sont attribuées par l'État à titre gracieux, comme nous l'a indiqué l'administration du ministère.

Or on observe dans ce projet de loi de finances (PLF) pour 2025 une certaine attrition de ces aides - aides directes, mais aussi soutien au tissu associatif des Français à l'étranger (Stafe), organismes locaux d'entraide et de solidarité (Oles) et autres. Il n'y a clairement plus de marge de manoeuvre budgétaire, alors que les besoins pourraient augmenter.

Pouvez-vous nous garantir que nos compatriotes les plus fragiles à l'étranger, notamment dans des pays particulièrement éprouvés comme le Liban, bénéficieront du filet de sécurité auquel ils ont droit ?

Mme Anne-Marie Descôtes. - En ce qui concerne les ETP, je crois que la politique de ciblage à laquelle nous procédons permettra de poursuivre les efforts et de continuer à travailler de façon fine. Nous avons engagé, au cours de l'année 2024, un travail d'analyse, de ciblage et de réactivité.

Nous ne devons pas avoir un certain nombre d'ETP une fois pour toutes, mais aussi des ETP volants pour aider lorsque des besoins apparaissent dans certains postes de manière saisonnière et pour nous montrer aussi réactifs que possible. Par ailleurs, nous travaillons bien sûr sur la formation des agents, ce qui constitue à mes yeux une autre manière de répondre à la couverture des besoins.

Concernant le financement des aides sociales, 15,2 millions d'euros sont destinés à l'aide sociale directe sous forme de versement d'allocations mensuelles aux Français de l'étranger en situation de précarité. Ils sont 4 246 en 2024 et la conservation d'une enveloppe budgétaire substantielle, en augmentation de 1,9 million d'euros par rapport à la période pré-covid-19, devrait permettre de couvrir la déconjugalisation de l'AAH, déjà appliquée en France.

Par ailleurs, 1,6 million d'euros sont prévus pour les subventions aux associations au titre du Stafe, 1,2 million d'euros pour les subventions aux Oles, 1,3 million d'euros pour le rapatriement sanitaire pour indigence et 600 000 euros pour les subventions aux centres médicaux et sociaux et à la Caisse des Français de l'étranger (CFE).

Mme Catherine Dumas, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». - Mon collègue Didier Marie et moi-même nous étions félicités l'an dernier de l'augmentation de 50 millions d'euros des crédits de ce dernier.

Malheureusement, le PLF pour 2025 fait marche arrière. Vous considérez que les crédits s'élèvent encore à un niveau significatif et que vous pouvez faire mieux avec moins. Il n'empêche que le réarmement de la diplomatie culturelle est une ambition contrariée - et le terme est plutôt édulcoré par rapport à la réalité.

Nous avons appris lors de nos auditions que l'Institut français envisageait de solliciter une accréditation auprès de la Commission européenne pour accéder à certains financements européens, ce qui nous a paru une bonne idée. Aujourd'hui, seul l'Institut Goethe dispose d'une telle habilitation. À quel stade d'avancement de cette procédure sommes-nous parvenus ? Dans quelle mesure les ministères s'y associent-ils ? Évidemment, nous soutenons très fortement cette démarche.

M. Didier Marie, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». - Vous avez signalé dans votre propos liminaire la diminution de 14 millions d'euros de la subvention pour charges de service public de l'AEFE. Pensez-vous que ce recul puisse permettre d'atteindre l'objectif de doublement du nombre d'élèves dans le réseau d'ici à 2030 ?

Par ailleurs, la question du financement des investissements immobiliers des établissements en gestion directe (EGD) n'est toujours pas réglée. Ils disposaient de la faculté de recourir à l'emprunt jusqu'en 2011. Depuis, une solution temporaire a été mise en oeuvre ; elle doit prendre fin en 2026. Nous avions proposé l'an dernier l'inscription d'une subvention pour charges d'investissement au PLF 2025, mais nous n'avions pas été suivis. Quelles solutions alternatives sont envisagées pour répondre à ce besoin d'investissement de plus en plus urgent ?

Mme Anne-Marie Descôtes. - Nous avons engagé les travaux tendant à permettre à l'Institut français d'être accrédité auprès de l'Union européenne. Il s'agit d'une procédure très longue, qui va durer au moins deux ans. C'est la raison pour laquelle il y a eu une hésitation et une longue discussion entre les ministères de tutelle de l'Institut français, mais je crois que c'est une bonne chose. Les institutions européennes seraient également heureuses de ne pas avoir que l'Institut Goethe pour interlocuteur. Dans la mesure où nous travaillons très bien avec ce dernier, il serait bon d'être nous aussi dans le jeu, ce qui nous permettrait d'avoir accès à des moyens et à des programmes.

Sur la question du financement de l'immobilier des EGD et de leur capacité d'emprunt, nous n'avons toujours pas de solution satisfaisante, malheureusement. Le mécanisme des avances accordées par l'agence France Trésor, auquel vous avez fait allusion, pourra être utilisé jusqu'en 2026. Même si ma réponse n'est pas très satisfaisante, nous disposons encore d'un certain laps de temps pour poursuivre la réflexion et nos travaux. Nous allons travailler à trouver un mécanisme pérenne car nous sommes bien conscients des besoins importants du réseau de l'AEFE en matière immobilière.

M. Patrice Joly, rapporteur pour avis de la mission « Aide publique au développement » sur le programme 209 « Aide économique et financière au développement et solidarité à l'égard des pays en développement ». - Merci pour votre intervention, Madame la secrétaire générale, et notamment pour votre présentation de ce qui relève du programme 209.

Il s'agit pour vous d'un exercice impossible, dans la mesure où ce programme est massacré. Je pense qu'il serait intéressant de sortir des éléments de langage comme « faire mieux avec moins ». On les entend depuis des années ; récemment encore, le directeur des finances publiques de mon département voulait me voir pour travailler à la réorganisation du réseau dans l'objectif de « faire mieux avec moins » et je lui ai demandé d'éviter ce type d'expression...

Le massacre du programme 209 constitue un message étonnant à l'adresse des Français, dès lors que nous sommes confrontés à des défis mondiaux qu'il nous faut relever collectivement - défi du réchauffement climatique, défi de la protection de la biodiversité, défi de la gestion de l'eau, défi de la gestion des flux migratoires -, et de l'ensemble de nos interlocuteurs internationaux, et en particulier des bénéficiaires de ces aides, dont nous bénéficions indirectement nous-mêmes.

La pauvreté ne recule plus depuis quelques années, tandis que la sous-alimentation progresse. Dans cette situation, les moyens dédiés à l'APD ne devraient pas être réduits. Ces dernières années, cette aide avait atteint environ 0,5 % du PIB et nous avions fixé la perspective à 0,7 %. Nous sommes revenus au niveau de 2019, tandis que les crises sont encore devant nous, avec une acuité toute particulière.

En outre, dans un contexte où l'influence de la France régresse, il est dommage de remettre en cause un certain nombre d'outils qui permettent justement de préserver cette influence, voire de la renforcer.

Comment allez-vous définir des critères de poursuite, d'intervention et d'accompagnement sur un certain nombre d'actions qui sont en cours aujourd'hui ou avaient été projetées et portées par des organisations non gouvernementales (ONG), notamment celles que j'ai pu rencontrer dans le cadre de l'audition de Coordination SUD, qui portent sur les populations civiles et qu'il serait très dommageable de remettre en cause ?

Mme Anne-Marie Descôtes. - Je crois qu'effectivement, nous ne pouvons pas nous payer de mots, Monsieur le sénateur. Je l'ai dit : le programme 209 est le premier concerné par la diminution importante des crédits et ça n'est jamais un choix facile à faire.

Évidemment, après une phase d'augmentation importante, cette baisse peut paraître un coup d'arrêt. Mais enfin, nous avons accompli au cours des dernières années un certain nombre de choses qu'il ne faut pas oublier. En portant l'APD à 0,56 % du revenu national brut (RNB), nous avons pu engager plusieurs programmes et travailler à asseoir notre influence.

La contrainte, que nous espérons passagère, ne doit donc pas faire oublier tout ce que nous avons pu engager depuis 2017, et en particulier depuis 2022, puisque, sur le plan strictement budgétaire, les montants accordés au programme 110 par le ministère de l'économie et des finances et au programme 209 par notre ministère ont plus que doublé entre 2017 et 2024. Cela nous a permis d'accroître notre contribution à de grands fonds verticaux qui ont engagé des actions très importantes sur les enjeux de santé, d'éducation et d'environnement, lesquels appellent des réponses globales et coordonnées.

Nous allons effectivement devoir travailler sur les priorités. Je pense qu'il nous faut continuer à réfléchir à l'utilisation des crédits et prioriser l'action bilatérale et les programmes qui nous permettent, dans ce contexte de contrainte, de disposer d'une parfaite visibilité sur cette utilisation.

À cet égard, l'évolution du fonds de solidarité pour le développement est importante, car celui-ci permet de travailler avec cette exigence de ciblage et de transparence. L'AFD n'est pas qu'une agence, mais aussi une banque, et elle dispose à ce titre d'autres moyens d'action et d'intervention. De notre côté, nous devons, au travers de notre aide, conserver le pilotage des crédits pour continuer à cibler les grands enjeux de santé, d'éducation et de préservation de la biodiversité, entre autres.

Dans ce contexte, nous devons peut-être élargir le débat et la réflexion. Nous ne sommes pas les seuls à nous trouver dans cette situation de contrainte. C'est également le cas de certains de nos partenaires européens, grands pourvoyeurs d'aide. L'Europe ayant longtemps été la première pourvoyeuse, il est nécessaire que nous engagions collectivement une réflexion sur ce que nous pouvons faire pour garder cette marque de fabrique et cette empreinte vis-à-vis des pays les plus pauvres. Nous ne voulons pas avoir à choisir entre la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique. Cela appelle, je crois, une action plus coordonnée entre les pays européens pour identifier les moyens disponibles pour agir de la façon la plus ciblée et la plus efficace possible, conformément à nos engagements et à nos valeurs, tels qu'ils sont portés par ce ministère, par nos postes et par l'AFD.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour votre présentation, Madame la secrétaire générale. Vous avez un ton plutôt combatif et il ne peut effectivement en être autrement. Pour moi, « faire mieux avec moins » pourrait être le slogan adopté par ce ministère, qui est habitué aux coupes budgétaires successives et qui a pour habitude de se transformer et de se moderniser.

Néanmoins, l'annonce de l'extinction du corps diplomatique dans le cadre de la réforme de la fonction publique a jeté un trouble très perceptible sur le terrain, même si les choses sont rentrées dans l'ordre après la grève inédite de 2022 grâce à la discrétion des diplomates.

Avez-vous établi un premier bilan des entrées au Quai d'Orsay des administrateurs de l'État qui ne sont pas issus du ministère ? Connaissez-vous leur nombre et leur profil ?

Disposez-vous également d'un premier bilan du placement des agents en mobilité externe ? Ils sont fortement encouragés à s'engager dans cette voie, mais un refus de leur part peut-il constituer un obstacle à leur progression de carrière ?

Mme Michelle Gréaume. - Ma question portera sur la réunion des ministres des affaires étrangères qui a eu lieu avant-hier à Bruxelles.

Alors que le gouvernement libanais espérait la signature d'un accord de paix avec l'État israélien, puissance occupante, il y a deux semaines, ce dernier a rejeté la feuille de route proposée par les Libanais. Pour Israël, qui exige de pouvoir pénétrer dans le sud du Liban pour contrôler le retrait du Hezbollah avec un libre accès à l'espace aérien libanais, la trêve ne peut plus se baser uniquement sur l'application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU. Naturellement, ces demandes tendant à un abandon partiel de la souveraineté du Liban sur son espace territorial et aérien ont été considérées comme inacceptables par le gouvernement libanais.

En outre, la crise humanitaire et l'offensive des troupes d'occupation israéliennes dans le nord de Gaza ont conduit les Nations unies à qualifier d'apocalyptique le sort de la population palestinienne, confrontée non seulement à des bombardements continus, mais aussi à la famine. Le dernier bilan des victimes des attaques israéliennes s'élève à peu près à 44 000 personnes, dont 70 % de femmes et d'enfants.

Récemment, deux de nos gendarmes à statut diplomatique ont été interpellés par des policiers israéliens dans le domaine de l'Éléona, en Palestine occupée. Alors que les prises de position de la Cour internationale de justice (CIJ) et du procureur près la Cour pénale internationale (CPI) à l'encontre d'Israël ne parviennent pas à faire cesser ces agissements et que la France a été directement humiliée de voir deux de ses militaires mis face contre terre par une police étrangère, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a souhaité que soit formellement discutée, lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne qui s'est tenue lundi à Bruxelles, la possibilité de soutenir formellement le dialogue politique avec Israël. Quelle position la France a-t-elle tenu et qu'attendons-nous pour sanctionner concrètement l'État israélien ?

M. Cédric Perrin, président. - Je rappelle qu'il s'agit d'une audition sur le budget.

M. Olivier Cadic. - Je voudrais d'abord saluer le travail mené par la DFAE pour se moderniser. Nos consulats sont souvent présentés comme dédiés aux Français de l'étranger. Pourtant, ils s'occupent souvent des touristes en difficulté qui ne respectent pas les conseils aux voyageurs. Ces cas sont souvent très chronophages, en particulier lorsqu'ils n'ont pas souscrit une assurance santé et s'en remettent ensuite au consulat.

Pourriez-vous nous communiquer les statistiques Oscar sur le temps perdu avec les personnes qui se mettent en difficulté ? Ne faudrait-il pas, selon vous, mettre en place un plan de prévention pour réduire le nombre de cas problématiques ?

M. Jean-Luc Ruelle. - Merci pour votre intervention, Madame la secrétaire générale. Je me suis penché sur la question des biens immobiliers détenus par la France à l'étranger et je dois dire que peu d'informations précises paraissent avoir été rendues publiques. En effet, il ne me semble pas que nous disposions d'un inventaire physique et comptable récent de l'immobilier de l'État à l'étranger. Nous ne connaissons pas non plus de façon détaillée les régimes juridiques dont relèvent ces actifs, ce qui nous permettrait de savoir si la France contrôle effectivement ces biens.

Par ailleurs, le schéma directeur immobilier pluriannuel pour l'étranger (SDIPE), établi par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour la période 2021-2025 et visant à entretenir le parc immobilier et à l'adapter aux nouveaux enjeux diplomatiques et consulaires, n'est pas accessible au public.

Les opérations immobilières à l'étranger sont examinées par la commission interministérielle chargée d'émettre un avis sur les biens de l'État (Cime). Nous ne connaissons ni la fréquence des réunions de cette commission, ni le nombre de dossiers examinés chaque année, ni les avis rendus. C'est regrettable, dans la mesure où j'ai pu constater, lors de mes déplacements à l'étranger, des cessions de biens apparaissant inopportunes. Par exemple, un consulat a été vendu pour passer à un système de location pour abriter les services consulaires et héberger le consul dans un pays où les prix locatifs sont prohibitifs.

Pouvez-vous nous fournir quelques chiffres sur ce patrimoine immobilier et nous présenter les actions en termes de gestion et les critères à remplir pour justifier une décision de cession de l'un de nos actifs ?

M. Rachid Temal. - Si l'on prend en compte la partie financée par Bercy, les crédits dédiés à l'APD diminuent de 2 milliards d'euros. En outre, la loi de programmation qui a été adoptée à l'unanimité n'est pas suivie, puisque le Président de la République a souhaité y changer un certain nombre de choses.

Êtes-vous en train de préparer une nouvelle loi de programmation sur l'APD ? Elle est, je crois, nécessaire dans la mesure où la première n'est pas appliquée et où la période de programmation touche à son terme.

Mme Anne-Marie Descôtes. - En ce qui concerne la gravité de la situation humanitaire au Proche-Orient, nous n'avons jamais fait de distinction entre les victimes. Au contraire, nous avons toujours dit et montré que nous nous tenions aux côtés des victimes, qu'elles soient palestiniennes ou israéliennes.

Nous faisons également en sorte que le Liban puisse préserver sa souveraineté. C'était l'un des objectifs de la conférence de soutien au peuple libanais et à la souveraineté du Liban du 24 octobre dernier, dans le cadre de laquelle il a été décidé qu'une partie du milliard d'euros collecté - 200 millions d'euros - serait consacrée au soutien aux forces armées libanaises. Il s'agissait d'une manière de montrer que nous voulons très concrètement aider le Liban à contrôler son territoire et à assurer sa sécurité.

Sur la question des gendarmes arrêtés sur le site d'Éléona, nous avons convoqué l'ambassadeur d'Israël pour lui dire ce que nous pensions de cette situation tout à fait inacceptable et rechercher une solution. Nous travaillons avec les Américains pour essayer de participer à l'élaboration d'une sortie de crise, que nous ne voyons pas encore pour l'instant.

S'agissant des Français qui font fi des conseils aux voyageurs, j'ai dit tout à l'heure que nous étions très heureux que 26 millions de consultations soient enregistrées, mais certains ne tiennent malheureusement pas compte de nos recommandations. Comment faire pour être plus convaincants ? Je ne sais pas. Nous ne pouvons pas porter atteinte à la liberté de nos concitoyens.

Néanmoins, nous travaillons sur la prévention à destination des touristes car c'est un sujet qui nous préoccupe beaucoup et certains mesurent mal qu'ils peuvent être des proies, alors que la pratique des otages se répand. Un travail a été engagé par la DFAE, le CDCS et les postes pour identifier les moyens d'assurer une meilleure information de nos ressortissants. Nous l'avons fait de manière très nette. Vous l'avez peut-être vu très récemment pour l'Azerbaïdjan, à l'occasion de la conférence des parties. Nous savions que beaucoup de personnes voulaient s'y rendre et quel danger cela représentait pour elles.

Je n'ai pas les chiffres Oscar sous la main, mais nous vous les transmettrons.

Je suis quelque peu surprise de la question relative à l'immobilier car je crois que nous sommes très clairs et transparents. Le parc immobilier du ministère à l'étranger se compose de 21 000 biens, pour une surface de 1,6 million de mètres carré et une valeur de 4 milliards d'euros, qui sont souvent dans un état de grande vétusté. En administration centrale, ce sont 121 000 mètres carré répartis sur dix sites, dont quatre à Nantes. Ils sont désormais saturés et nous devons donc retrouver des marges, d'où l'engagement du programme dont je parlais en introduction.

Pour anticiper ce que nous allons faire au cours des années à venir, nous avons engagé une refonte du schéma pluriannuel de stratégie immobilière pour 2025-2030 afin d'essayer de mettre à niveau nos bâtiments en tenant compte de trois critères principaux, à commencer par la sécurité et l'accessibilité de nos sites à l'étranger. Du fait des crises, il faut désormais construire des logements sécurités pour nos agents sur certains sites. 25 millions d'euros sont engagés pour des projets en cours. Nous devons aussi procéder à des travaux de désamiantage, de mise en sécurité électrique ou incendie et d'accessibilité pour le public et les agents en situation de handicap - sur ce dernier plan, le besoin du réseau est évalué à environ 50 millions d'euros par an sur dix ans et à 17 millions d'euros par an sur huit ans.

Il convient aussi de tenir compte des exigences liées à la transition écologique et énergétique dans le cadre du projet Ambassade verte et plus largement Services publics écoresponsables. Nos besoins en la matière sont estimés à environ 22 millions d'euros par an sur dix ans. Enfin, nous devons aussi tenir compte des nouveaux modes de travail et d'occupation des locaux, qui ont fait l'objet d'une circulaire de la Première ministre de février 2023. Nous restons à votre disposition, Monsieur le sénateur, pour vous fournir des éléments plus précis.

J'en viens à la question de Madame la sénatrice sur la suppression du corps diplomatique. Cette annonce a suscité beaucoup de questionnements, mais je crois que cela découlait du fait que nous traversions alors une longue période d'attrition de nos moyens. La réaction a été particulièrement vive dans ce contexte.

Lorsqu'il est venu au Quai d'Orsay le 16 mars 2023 pour prendre acte de la fin des états généraux, le Président de la République a souligné à quel point la diplomatie était un métier. Il nous a demandé de mettre l'accent sur la formation, ce qui a engendré l'idée de l'Académie diplomatique, dont nous sommes en train de tirer le meilleur.

Il est trop tôt pour dresser un bilan de la mobilité, mais elle ne gêne aucunement. Nous avons procédé à une refonte du service qui en assure la gestion pour disposer d'une vision très large des types de mobilité de nos cadres entre ministères ou dans des organisations du secteur privé ou de la société civile et faire en sorte que la mobilité soit prise en compte dans l'affectation ultérieure de nos collègues. Aujourd'hui, il faut avoir eu une expérience de mobilité pour accéder aux plus hautes fonctions d'encadrement dans le ministère - cette règle est d'ailleurs valable pour toute la fonction publique.

Nous veillons bien sûr à organiser la mobilité en exportant les meilleurs de nos collègues et à proposer des gens compétents sur les postes qui nous sont proposés. Dans le même temps, lorsque nous accueillons, nous regardons si les agents qui se présentent sur les postes que nous proposons disposent des compétences techniques ou diplomatiques requises, à défaut de quoi nous devons leur proposer de les acquérir, ce qui relève de l'Académie diplomatique.

Je n'ai donc pas encore de chiffres vraiment intéressants à vous fournir car la réforme est encore en cours de déploiement, mais je crois que la réforme de la haute fonction publique a permis de regarder de manière plus objective la situation des diplomates, et notamment en administration centrale, pour opérer une remise à niveau par rapport aux autres ministères. Nous sommes revenus dans la moyenne interministérielle, ce qui est important au moment où nous nous interrogeons sur l'attractivité de la fonction publique. Nous avons un assez bon niveau d'attractivité et essayons de nous améliorer, notamment dans la manière de gérer la mobilité et de l'intégrer dans les parcours, et dans les conditions d'accueil de nos nouveaux agents.

Enfin, s'agissant de l'APD, aucun projet de loi n'est en cours d'élaboration.

M. Cédric Perrin. - Merci beaucoup pour votre intervention, Madame la secrétaire générale. Un certain nombre de mises au point étaient nécessaires compte tenu des enjeux stratégiques majeurs liés au fonctionnement du ministère. Nous avons toujours fait de cette ambition de renforcer le rayonnement de la France et de notre capacité à peser sur les affaires du monde une priorité.

Comme l'a rappelé le chef d'état-major des armées, pour gagner la guerre avant la guerre, nous devons être en capacité de lutter à armes égales contre nos adversaires qui, eux, ont déjà commencé cette guerre depuis longtemps en matière informationnelle, cyber, numérique et diplomatique. J'ai coutume de dire que la diplomatie est la dernière étape avant la guerre et qu'il faut l'encourager pour pouvoir peser.

Merci pour cette audition ainsi que pour ce que vous faites pour le rayonnement de la France dans le monde. J'espère que, dans le cadre des auditions budgétaires et du vote du budget, nous pourrons améliorer un certain nombre de points ici, au Sénat.

La réunion est close à 11 h.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » - Programme 129 - Coordination du travail gouvernemental (action 2 Coordination de la sécurité et de la défense, SGDSN, Cyberdéfense) - Examen du rapport pour avis

M. Olivier Cadic, rapporteur. - Monsieur le Président, Chers Collègues, nous avons entendu ici même en audition publique le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) avec les responsables des deux principaux services à compétence nationale dont il a la charge : le directeur général de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et le chef du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum).

Je ne reviendrai donc pas en détail sur les motifs de satisfaction de l'année 2024 concernant la lutte contre les attaques cyber et les ingérences numériques étrangères pour lesquelles nous avons collectivement félicité les services concernés.

Avec l'examen du budget du programme 129 dédié à la coordination du travail gouvernemental, c'est l'année 2025 et l'avenir qui nous préoccupent plus particulièrement avec mon collègue co-rapporteur Michaël Vallet.

À cet égard, je remercie le SGDSN pour sa franchise concernant la contraction des moyens que subira ce programme budgétaire et les choix que ses services devront opérer pour s'adapter. Je les rappelle pour que nous ayons ces chiffres à l'esprit : avec 425 millions d'€ au lieu de 438 millions d'€, les crédits de paiement de l'action n°2 « Coordination de la sécurité et de la défense » subiront en 2025 une baisse de 3 % par rapport à 2024. Sont donc impactés dans ce périmètre budgétaire le coeur de l'activité de défense et de sécurité nationale à savoir les fonds spéciaux qui financent certaines actions des services de renseignement liés à la sécurité intérieure et extérieure (72 millions d'€ en 2025 au lieu de 76 millions d'€ en 2024) et le Groupement interministériel de contrôle (GIC) qui centralise les techniques de renseignement.

Très concrètement les services du SGDSN (principalement l'ANSSI et Viginum) vont devoir fonctionner avec 8 millions d'euros en moins ;

Quant aux effectifs, le plafond d'emplois ne devrait pas évoluer : il reste à 1284 équivalent temps plein (ETP) ainsi que l'a précisé le SGDSN.

Ce contexte nous a conduit à privilégier cette année la méthode du contrôle sur place et sur pièces pour mieux nous rendre compte de la contrainte qui pèsera sur les missions du SGDSN.

S'agissant des services et des opérateurs nous nous sommes rendus aux sièges opérationnels de l'ANSSI, de Viginum et du GIP Acyma qui opère la plateforme Cybermalveillance. À cet égard, mon collègue Michaël Vallet a prévu de revenir plus en détail sur nos observations.

Nous avons également tenu cette année à entendre directement des acteurs de la cybersécurité (Orange cyber défense et plusieurs entreprises du secteur) mais aussi les cibles des attaques dans le secteur hospitalier et universitaire : l'AP-HP et l'université Paris-Saclay.

Concernant la réduction des moyens de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), le Général de Courrège, nouveau directeur de l'Institut, nous a confirmé une réduction d'effectif de 5 emplois dès 2025 pour une réduction totale de 17 emplois sur trois ans, soit près de 24% des effectifs actuels qui s'établissent à 71 (ETP).

L'argumentaire développé pour obtenir le maintien des effectifs s'appuyait sur des actions réalisées. Mais il ne s'appuyait pas sur l'atteinte d'objectifs pertinents. Compte tenu de l'évolution de nos finances publiques, l'IHEDN gagnerait à s'interroger sur sa raison d'être et à se concentrer sur ses activités stratégiques pour sécuriser son budget à l'avenir.

Dans un contexte de réduction généralisée des crédits, il me paraitrait raisonnable que chacun agisse en responsabilité et cherche à redimensionner les services pour qu'ils restent efficaces, plutôt que de porter une appréciation destinée à sanctuariser plutôt tel budget que tel autre.

Viginum devait passer de 42 à 65 ETPT, il restera à 42.

L'ANSSI avait demandé 35 millions d'€ et 60 ETP notamment pour conduire la réforme nécessaire pour appliquer le projet de loi relatif à la résilience des entités critiques et au renforcement de la cybersécurité, dont fait partie la transposition de la directive NIS2 ; il n'aura que 27 millions d'€ et zéro ETP en plus ;

Selon l'étude d'impact de la directive NIS 2, ce sont 15 000 entités dans 18 secteurs d'activités, contre 500 dans 6 secteurs pour NIS 1, qui entrent directement dans le champ d'application de cette directive. Mais dans sa mise en oeuvre, ce nombre pourrait être multiplié par 2 ou 3, voire plus car les fournisseurs ou prestataires des 15 000 entités initiales pourraient être soumis aux contraintes de la directive par voie contractuelle. Le coût pour les entités concernées de mise en conformité avec les mesures envisagées n'est pas précisé par l'étude d'impact.

Dans une note de présentation d'une version antérieure du projet de loi communiquée aux ministères en mars dernier l'ANSSI estimait à 400 000 € le coût moyen de mise en conformité pour une entité, quelle quelle soit -- ce qui représenterait donc un coût global de 6 milliards d'€ pour les seules entités entrant directement dans le champ d'application du texte -- et envisageait une subvention moyenne de 25 % pour les collectivités territoriales concernées, ce qui supposerait un budget global triennal de 60 millions €/an.

L'ANSSI devra mieux expliquer comment elle compte répondre à la mise en application de la transposition de la directive NIS 2.

Les missions de l'ANSSI n'étant plus précisées dans le projet de loi qui nous a été soumis, il reviendra à la commission spéciale d'obtenir ces précisions.

De plus, notre commission aura à se prononcer sur une probable réduction supplémentaire de crédit que le Gouvernement demandera au Sénat. Le Gouvernement avait en effet déposé un amendement de réduction supplémentaire de 25 millions d'€ de crédits sur le programme 129, avant que la première partie du projet de loi de finances ne soit rejetée. Cet amendement n'a donc pas été examiné à l'Assemblée nationale mais il risque très certainement de revenir au Sénat.

Plus largement, cette question de moyens pose la question de la gouvernance et des missions. On ne peut pas résoudre un problème ponctuellement pour un service indépendamment des autres. Cela nécessite de revoir les objectifs et les missions assignées à tous les services du Premier ministre : ANSSI, Viginum et les opérateurs y compris Cybermalveillance et l'IHEDN.

M. Mickaël Vallet, rapporteur. - Olivier Cadic a évoqué la question des moyens et je vais revenir sur le bilan et les observations que nous avons pu faire lors de nos différentes auditions et visites de site, notamment sur la question des Jeux olympiques et le panorama de la cybermenace, comme nous le faisons tous les ans, avant de revenir sur les enjeux de gouvernance.

Je tiens donc tout d'abord à saluer la réussite de tout l'écosystème cyber et à sa tête l'ANSSI pour le bon déroulement des JOP alors que le niveau de menace était supérieur à celui de Tokyo. Et même largement supérieur avec 55 milliards d'attaques répertoriées par ATOS, en charge du consortium numérique et cyber, contre moins de 5 milliards aux JO de Tokyo en 2021. Cette réussite est notamment liée à l'efficacité et la rapidité des échanges entre les différents opérateurs concernés par l'évènement comme ATOS et Orange Cyberdéfense. Il faut aussi rappeler qu'en plus des 12 millions d'euros consacrés spécifiquement par l'ANSSI, l'agence a en outre sacrifié 30% de ses capacités à la sécurisation des Jeux, par des activités d'audit et d'accompagnement. Par ailleurs 100 % de ses équipes ont été mobilisés pendant l'événement, nécessitant la formation d'agents non spécialistes à la gestion des notifications d'alertes cyber.

S'agissant du panorama des menaces, les chiffres données par l'ANSSI peuvent paraître modestes mais ils ne sont pas contradictoires avec le niveau élevé d'attaques. Ainsi, si « seulement » 548 tentatives d'attaques, dont 83 ont produit des effets, ont été dénombrées par l'ANSSI sur les JO de Paris, c'est sur la base d'une analyse des 55 milliards d'attaques individuelles en ne comptabilisant que les opérations notables qui regroupent elles-mêmes une multitude d'attaques individuelles. C'est notamment le cas des attaques par saturation des réseaux. Je précise qu'il faut faire attention aux chiffres qu'on entend, car il faut comprendre qu'un événement comptabilisé par l'ANSSI peut recouvrir des milliers ou des centaines de milliers d'attaques individuelles tous azimut pour saturer des installations. Ce que je veux relever, c'est que la menace n'a pas été surévaluée au regard de l'absence d'indicent grave, mais que la menace a bien été évaluée, les attaques ont bien eu lieu et le niveau de défense a été à la hauteur.

Dans un contexte marqué par de nouvelles tensions géopolitiques, la cybermenace a continué à évoluer. En 2023, 3703 événements de sécurité contre 3018 en 2022 ont été portés à la connaissance de l'ANSSI dont 1112 concernait des incidents contre 832 en 2022.

Les attaques à but lucratif se maintiennent à un niveau élevé avec un nombre d'attaques par rançongiciel supérieur à 30 % par rapport à l'année précédente. Les cibles sont également de plus en plus diversifiées.

À titre d'exemple, le secteur du social est de plus en plus ciblé et devient une source d'inquiétude (exemple : en février 2024, deux opérateurs de gestion du tiers payant ont été victimes d'une cyberattaque affectant les données personnelles de plus de 33 millions de personnes). Ce secteur ne devra pas être négligé dans le cadre de la transposition de la directive NIS 2. Le niveau de maturité des universités et des hôpitaux en matière de cybersécurité demeure très bas, hormis l'AP-HP qui fait figure d'exception grâce à la masse critique que son budget numérique et cyber permet pour développer de bonnes pratiques, notamment celle de consacrer 10% du budget numérique à la cybersécurité. Il faut savoir que ce qu'on a pensé être une cyberattaque sur l'AP-HP cet été a en réalité été une panne d'électricité. C'est très loin d'être le cas dans le secteur hospitalier dans son ensemble mais aussi pour le secteur universitaire et de la recherche, dont nous avons entendu le vice-président en charge du numérique de l'Université Paris-Saclay.

Sur la gouvernance, je reviendrai sur nos visites du GIP Acyma, de Viginum et de l'ANSSI en faisant une observation générale valable pour ces 3 entités, à savoir un manque global de lisibilité des données annuelles dans le plan annuel de performance du SGSDN qu'il s'agisse de la répartition des crédits de personnels ou de la projection pluriannuelle des crédits.

Je formulerais deux constats concernant la plateforme cybermalveillance :

- La mise en place d'un filtre anti-anarques a été autorisée par la loi SREN de 2024. Alors que ce filtre devait être fonctionnel pour les JOP, l'appel d'offres lancé par Bercy (via la DGE) concernant le développement et la gestion du filtre est toujours en cours. Nous pourrions nous émouvoir du fait que le GIP ACYMA a été écarté de l'appel d'offres alors qu'il était le candidat idéal en termes de compétence et d'outil et qu'il existe un risque que le marché soit remporté par un acteur privé étranger. Pour l'heure, ce service n'est donc toujours pas mis en oeuvre.

- Nous pouvons également regretter que la plateforme 17Cyber n'ait toujours pas été lancée alors qu'elle est prête depuis mars de cette année. Le lancement de cette plateforme devient urgent car elle pourra pallier la disparition de certains centres de réponse cyber régionaux qui arrivent au bout de leur financement par le plan France Relance en 2024 et qui ne seront probablement pas conservés par un certain nombre de régions. Surtout, alors qu'il s'agissait d'une priorité annoncée pour contribuer à la sécurisation des JO, la plateforme n'a toujours pas été inaugurée par le ministre de l'Intérieur qui assure la tutelle de ce dispositif. Il y a toujours urgence et il convient donc de le signaler au ministre actuel.

Concernant Viginum, il faut signaler que pour la première fois depuis sa création en 2021, le budget de VIGINUM ainsi que ses effectifs ne vont pas augmenter. Une telle stagnation nous paraît inquiétante alors que les manipulations de l'information continuent de croître quantitativement et qualitativement grâce notamment à l'intelligence artificielle.

L'ANSSI va également devoir faire face à une forte contrainte budgétaire : elle devra renoncer à 8 millions d'euros (par rapport aux 35 millions de besoin initial) et elle ne pourra pas recruter d'agent supplémentaire (par rapport aux 20 ETPT supplémentaires prévus). Contrairement à ce qu'on nous dit, c'est compliqué de faire mieux avec moins. Cette contrainte budgétaire emporte nécessairement des renoncements de la part de l'agence sur divers sujets :

- la préparation de la transposition de la directive NIS 2 : le passage à l'échelle qui était annoncé au sein du dernier rapport devra être retardé ;

- le maintien de son expertise de pointe : la création d'un laboratoire dédié à l'intelligence artificielle devra être retardée ;

- la création d'un second centre de données sécurisées devra être reportée ;

- l'agence ne pourra pas non plus continuer à étendre sa couverture des ministères, ni faire l'acquisition de nouveaux téléphones sécurisés.

Par ailleurs, l'élection récente de Donald Trump est un signal d'alerte pour l'ANSSI qui, selon nous, devra s'interroger sur son niveau de coopération futur avec les agences cyber américaines. Face à l'extraterritorialité du droit chinois, l'ANSSI devra également rester très vigilante à ce que des données et des matériels critiques restent bien dans l'escarcelle d'opérateurs français.

S'agissant de la transposition de la directive NIS 2, celle-ci élargit considérablement le nombre d'acteurs soumis à des obligations en matière de cybersécurité par rapport à NIS 1. Nous pouvons déplorer l'absence de réalisation d'un bilan préalable de NIS 1. C'est une maladie française que l'absence d'évaluation avant de passer à l'étape suivante.

Cette observation n'est pas anodine sur le plan des moyens quand on sait que malgré les fonds spécifiquement attribués à la sécurisation des JOP (12 millions d'euros), l'Agence a dû sacrifier 30% de ses autres activités d'audit et d'accompagnement au profit des JOP. Par ailleurs, elle a dû mobiliser 100% de ses équipes pendant l'évènement, s'obligeant à former des salariés non spécialistes à la gestion des notifications d'alertes cyber.

Il me semble par ailleurs important que l'ANSSI fasse un travail d'estimation du coût associé à chaque mesure de sécurité que les entités concernées par NIS 2 devront mettre en place. D'autant plus que les collectivités territoriales seront également concernées.

Nous nous pencherons lors de l'examen du projet de loi sur le projet de l'ANSSI de ne pas sanctionner des manquements à la directive NIS 2 pendant une durée de trois années à compter de la transposition du texte ; ce qui pourrait laisser impunis des graves dysfonctionnements de la part des entreprises concernées, surtout si elles étaient déjà soumises à NIS 1.

Pour conclure, je voudrais rappeler que plus généralement la coordination interministérielle en matière de défense et de sécurité nationale doit s'intégrer dans une stratégie commune à tous les ministères concernés et bénéficier d'un portage politique plus affirmé. J'ai mentionné l'absence d'impulsion politique en ce qui concerne le 17Cyber. Cette question se reposera lorsqu'il faudra porter la révision de la stratégie de cybersécurité et lancer une nouvelle stratégie en matière de lutte contre les manipulations de l'information qu'on nous a promise pour 2025.

Au bénéfice de ces observations, nous vous proposons l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » mais en regrettant la baisse des moyens sur ces sujets si sensibles qui ont des effets extrêmement concrets dans le quotidien de la population.

M. Cédric Perrin, Président. - Je remercie les rapporteurs.

M. Pascal Allizard. - Je remercie nos collègues pour ce rapport extrêmement clair. Ma question porte sur l'intervention de notre collègue Olivier Cadic car je n'ai as bien compris sa charge ou son propos concernant l'IHEDN et un certain nombre d'institutions qui rentrent dans le périmètre. Dans cette commission nous portons un principe que le Président rappelle à juste titre qu'il faut essayer de gagner la guerre, avant la guerre, et les outils dont vous nous parlez ce matin sont des outils d'influence qui permettent de travailler à cette mission. Je m'interroge sur le fait que nous votions les crédits en l'état. Peut-être aurions-nous pu envisager comme pour l'audiovisuel public et France Média Monde de réfléchir à un amendement. D'ailleurs notre collègue Mickaël Vallet ne l'a pas complètement dit mais est resté ouvert dans sa conclusion. Je suis donc perplexe sur le propos concernant l'IHEDN, que j'ai deux bonnes raisons de connaître, car j'ai été auditeur en 2008 et que je représente le Sénat au conseil d'administration.

L'institution a-t-elle failli dans sa mission ? Et si tel n'est pas le cas je ne cache pas que je suis tenté de m'abstenir sur ce rapport.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je suis d'accord que la situation budgétaire appelle des efforts mais je n'adhère pas à toutes les économies surtout quand je pense qu'elles ne sont pas justifiées. J'ai déjà questionné le ministre des armées, dont ce n'est pas les compétences puisque l'IHEDN relève du Premier ministre. Je pensais que le ministre au vu du rôle de l'Institut de rassembler et préparer des hauts fonctionnaires, des militaires et des civils, dont j'ai fait partie comme plusieurs d'entre-nous, pouvait également prendre position. J'ai bénéficié des enseignements de l'IHEDN pas seulement sur le plan professionnel mais également personnel. C'est une entité conçue en 1936 qui a un vrai rôle compte tenu de l'importance d'une mobilisation globale, comme le rappelait tout à l'heure Roger Karoutchi, où nous avons besoin de toute la population. La mission de l'IHEDN, c'est une pédagogie sur la préparation et la conduite de la guerre pour les non militaires. C'est la deuxième fois que l'institut est visé par des économies à réaliser. D'autres instituts ont disparu et dans ce cas si l'IHEDN perd de son attractivité, au regard du coût des formations, il sera remplacé par quoi ? C'est une tentation du moment de démembrer des institutions qui existent depuis des décennies pour les remplacer par autre chose. Donc quelles économies faisons-nous ? Il y a maintenant une académie des hautes études diplomatiques qui n'existait pas et nous avons créé une académie de l'École militaire qui n'existait pas non plus. Cela coûte. Donc je ne vois pas où sont les économies si elles sont transférées vers d'autres postes, sauf à vouloir remodeler tout ce qui existait avant 2017.

M. Rachid Temal. - Je partage les propos de mes deux collègues sur l'importance de cet institut et je précise que je n'y ai pas suivi de formation. On ne peut pas se demander si les élus sont sensibles aux enjeux majeurs qui se profilent et retirer un outil qui fonctionne. Il y a là une contradiction. Je soutiens la démarche d'un amendement.

Le deuxième point que je souhaite aborder est celui des influences étrangères malveillantes sur lesquelles j'ai fait un rapport avec notre collègue Dominique de Legge. Nous avons salué le travail de Viginum et nous souhaitions que le travail de ce service se développe. Or le Gouvernement décide de lui couper les ailes. On ne peut pas voter ce dispositif en l'état car c'est encore une incohérence. Plus que jamais la guerre informationnelle se répand et nos partenaires, notamment américains et britanniques, citent Viginum comme une référence. Or ce service, c'est seulement 50 ETP, dont une quarantaine sur les opérations. Renforcer ces capacités est un investissement plus que nécessaire, donc je souhaite que l'on puisse faire un abondement de crédits vers un organisme qui a prouvé son efficacité et dévoilé de nombreuses opérations de manipulation en publiant d'excellents rapports techniques.

M. Ronan le Gleut. - L'IHEDN a pour mission de promouvoir l'esprit de défense et sa force est de rassembler des civils et des militaires travaillant ensemble non seulement sur les enjeux stratégiques, la BITD mais aussi sur des sujets académiques, politiques ou du monde des médias. Les officiers supérieurs qui sont auditeurs du Centre des hautes études militaires participent à la session nationale de l'IHEDN, c'est essentiel car ce seront nos futurs généraux. Face au durcissement de la conflictualité, il est important que les civils en prennent conscience et aucune autre institution que l'IHEDN n'offre ce cadre. C'est pourquoi nous avons besoin plus que jamais de cet institut.

M. Roger Karoutchi. - Je n'ai pas été auditeur de l'IHEDN, mais pourquoi faut-il casser quelque chose qui fonctionne ? L'IHEDN a un rôle essentiel car la société civile doit être mobilisé. Je pense à l'« IHEDN jeunes », c'est un outil performant auprès des étudiants. Faisons en sorte que cette institution de 90 ans continue à bien fonctionner car c'est essentiel pour l'avenir de notre défense.

Mme Valérie Boyer. - Nous discutons ce matin essentiellement de l'influence de la France. Il est absolument nécessaire de développer le lien armée-Nation. On ne peut pas balayer un outil qui fonctionne et qui s'est développé régionalement. Le modèle de l'IHEDN a d'ailleurs été copié pour la justice, la sécurité intérieure et la diplomatie. Je ne souscris donc pas aux propos tenus contre l'institut.

M. Cédric Perrin. - Je redonne la parole à Pascal Allizard que je félicite pour son élection à la présidence de la délégation française de l'assemblée parlementaire de l'organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

(Applaudissements)

M. Pascal Allizard. - Merci chers collègues. Au vu des interventions de nos collègues, serait-il possible de suspendre l'examen de ce rapport et d'y revenir la semaine prochaine ?

M. Ludovic Haye. - Je voudrais enfoncer le clou, car il y a des pistes d'économie qui sont néfastes quand elles sont appliquées au mauvais endroit. Le lien armée-Nation évoqué par ma collègue Valérie Boyer s'opère par différents biais : l'IHEDN jeunes par exemple, le service national universel qui va rencontrer de grandes difficultés et le service militaire que nous avons connu qui n'existe plus. Il ne reste plus par défaut que les préparations militaires pour les jeunes qui souhaitent faire un premier pas vers nos armées.

S'agissant de Viginum et de l'ANSSI, je pense que nous avons raté le train des Gafam, alors ne ratons pas celui de l'intelligence artificielle qui est un sujet relié à celui des manipulations de l'information.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je voulais rappeler la présence d'officiers supérieurs qui sont des auditeurs étrangers qui passent un an en France à l'IHEDN. C'est un outil d'influence très important.

M. Cédric Perrin. - Je voudrais ajouter que les missions de l'IHEDN s'inscrivent dans les priorités de la revue nationale stratégique de 2022. Je cite le Président de la République : « je veux qu'en 2030 la France ait conforté son rôle de puissance d'équilibres, unie, rayonnante et influente ». Y concourt l'IHEDN au même titre d'ailleurs que l'ANSSI participe à la cyberdéfense et Viginum à l'influence.

L'IHEDN participe à cette fonction stratégique d'influence. Je voudrais rappeler quelques chiffres concernant les propos du rapporteur sur une nécessité d'introspection de l'Institut. Depuis 2010, les effectifs ont été réduit très fortement, de 111 il y a quelques années à 86 en 2024, dont 15 mises à disposition, soit 71 ETP. C'est une baisse de 22,5 % depuis 2012. Et là on leur réappliquerait une nouvelle diminution de 24 %. On peut donc dire que l'Institut a déjà fait sa réorganisation et son introspection.

Je propose que l'on continue à défendre une continuité stratégique, c'est pour cela que nous avons cette discussion. On a parlé de l'ANSSI, de Viginum et de l'IHEDN, mais ce ne sont pas les seuls. Ce sont des acteurs de l'esprit de défense et de la cohésion nationale, de la lutte contre la désinformation et c'est au nom d'une approche globale qu'il nous faut construire nos outils d'influence.

Je rappelle que l'objet du rapport est de refléter l'avis de l'ensemble de la commission. Donc réfléchissons-y, le cas échéant en reportant si vous le souhaitez. Je consulte les rapporteurs sur ce point, faute de quoi, je pense que nous serons plusieurs à vouloir déposer un amendement en nos noms personnels dans un esprit transpartisan sur ce sujet.

M. Mickaël Vallet. - L'appréciation de mon collègue co-rapporteur sur l'IHEDN lui appartient et il y reviendra. À titre personnel, comme l'a remarqué Pascal Allizard, je ne vois pas d'obstacle à voter le fait que les crédits sont insuffisants et qu'il faut les augmenter. Mais comme disait Lacan, la réalité c'est quand on se cogne. Donc où va-t-on prendre les recettes ?

Ce débat ne doit pas altérer le consensus que nous avons habituellement sur les crédits du programme 129 et les enjeux de cybersécurité.

Sur l'IHEDN, ce que nous dit son directeur, ce n'est pas tant la baisse des moyens sur 2025 que l'engrenage triennal que cela risque d'engendrer de manière conséquente.

C'est ce que j'ai dit pour Viginum et l'ANSSI, ce dernier devant renoncer à certains équipements. Plutôt que de reporter d'une semaine, prenons le temps de régler le sujet aujourd'hui.

M. Olivier Cadic. - Sur le fond, je vis dans un pays, l'Angleterre, où lorsqu'il y a un conflit d'intérêt ou que l'on est concerné, on se déporte. Je regarde cela de manière totalement neutre. J'ai beaucoup de respect pour l'institution. Beaucoup des anciens auditeurs ont rappelé la qualité et l'apport de l'IHEDN. Je ne le conteste pas. La question est qu'il y a des mesures d'économie pour tout le monde du fait de l'état de nos finances publiques. Donc la question qui s'est posée en audition est celle des objectifs et de la mission sur le long terme. Ce sont ces éléments d'analyse que j'attendais et que je n'ai pas eu. C'est pour cela que j'ai appelé à s'interroger sur la raison d'être de l'Institut et à se recentrer sur ses activités stratégiques pour sécuriser le budget de l'IHEDN à l'avenir. Dans une entreprise, quand on a le chiffre d'affaires qui baisse on se pose la question de ses missions. On se reconfigure, c'est cela que j'attendais.

Par rapport à la problématique du programme 129, l'ANSSI, Viginum, comme l'a rappelé Rachid Temal, il y a de vrais besoins. Ce budget est un coup d'arrêt à une mission qui est essentielle comme l'a rappelé sa commission d'enquête. Le développement de Viginum est stoppé. Ce n'est pas à nous de faire ce choix, c'est au Gouvernement. A faire un choix, c'est sur Vigninum que je remettrais des crédits.

M. Olivier Cigolotti. - Il faut le temps nécessaire de la réflexion s'il faut préparer un amendement.

M. Rachid Temal. - Avec Michaël Vallet nous partageons une approche cohérente de cette loi de finances puisque nous ne sommes pas caution de ce budget d'austérité. Sur Viginum, que je connais mieux que l'IHEDN, le rapport que j'ai fait avec Dominique de Legge préconisait d'en renforcer les moyens. Respectons les rapporteurs et je propose que nous portions le message dans l'hémicycle, pourquoi pas au moyen d'un amendement transpartisan.

M. Mickaël Vallet. - Nous pourrions proposer de ne pas adopter les crédits. Ce serait à la commission de prendre position ? C'est ma première question.

Deuxièmement, nous pouvons par avance faire savoir que nous ne serons pas d'accord avec un amendement gouvernemental consistant à aggraver la baisse des crédits de ce programme.

Troisièmement, si nous voulons augmenter les crédits, il pourra y avoir un amendement pour renforcer Viginum, le cas échéant transpartisan, et un autre pour soutenir l'IHEDN.

Sur le reste des analyses, il ne me semble pas qu'il y ait de contradictions sur le bilan des insuffisances que nous avons identifiées.

M. Cédric Perrin. - Les rapporteurs souhaitent-ils amender maintenant, l'idée étant que le transfert de crédit provienne du programme 308 qui finance un certain nombre d'autorités administratives indépendantes.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Votre constat est-il celui d'une insuffisance de crédit, ce qui clarifierait la question, et ensuite il y aura un débat en séance sur la base d'un amendement ?

M. Akli Mellouli. - Le problème sera le même dans tous les programmes ou un amendement prévoit de retirer à un programme pour donner à un autre.

M. Olivier Cadic. - Nous avons bien identifié dans le rapport les renoncements causés par ce budget. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que la commission se prononce sur cette base. Je ne souhaite pas entrer dans une logique de ponction sur un programme pour en abonder un autre.

M. Cédric Perrin. - Je propose que nous donnions un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 129 puis que chacun prenne ses responsabilités pour déposer un amendement en séance.

La commission a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 129.

Projet de loi de finances pour 2025 - Programmes 185 (Diplomatie culturelle et d'influence) - Examen du rapport pour avis

Mme Catherine Dumas, rapporteure pour avis. - Représentant près du quart des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » hors dépenses de personnel, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » porte les crédits destinés au financement de la politique d'influence de la France dans le domaine de l'enseignement français à l'étranger et l'ensemble des moyens destinés à la diffusion culturelle, linguistique, universitaire et scientifique.

Essentiel au rayonnement de la France à l'international, ce programme verra pourtant ses crédits diminuer de manière significative en 2025, avec une baisse prévue de 45 millions d'euros.

Cette réduction tient pour partie à l'extinction de deux dispositifs en 2025 : le soutien à l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit et le plan de reconquête et de transformation du tourisme, qui représentaient 10 millions d'euros en 2024.

Au-delà de ces dispositifs arrivant à terme, la diminution sera particulièrement sensible pour les moyens de coopération du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les échanges d'expertise, essentiels pour mobiliser des acteurs internationaux autour des priorités de la France, verront leurs crédits diminuer de 3 millions d'euros.

Dans l'enseignement supérieur, une baisse de 10 millions d'euros affectera la mise en oeuvre de programmes stratégiques, tels que les campus franco-pays, les instituts de recherche à l'étranger, et d'autres dispositifs importants pour notre image à l'international.

Par ailleurs, et nous y reviendrons avec Didier Marie, les opérateurs du programme seront mis à contribution, parfois fortement à l'effort budgétaire demandé.

J'aborderai les questions relatives à la diplomatie culturelle et à la promotion de la francophonie avant de laisser Didier Marie évoquer les crédits consacrés à l'enseignement français à l'étranger et aux mobilités étudiantes.

S'agissant de la diplomatie culturelle, l'Institut français Paris, verra le montant de subvention pour charges de service public diminuer de 1,7 million d'euros l'an prochain.

Pour faire face à cette réduction, l'opérateur a engagé une revue de ses programmes, touchant plusieurs actions. Ainsi, les crédits destinés à la politique de soutien au cinéma, aux résidences artistiques, et aux partenariats européens seront réduits. Des économies seront également réalisées sur les frais de fonctionnement, le budget de communication subissant par exemple une baisse de 23 %.

Une bonne nouvelle : dans ce contexte de restriction budgétaire, il est important de noter que les établissements à autonomie financière, c'est-à-dire les Instituts français adossés aux postes, seront globalement préservés, leur dotation de fonctionnement étant maintenue à 46 millions d'euros. Cela est crucial, compte tenu de la situation fragile dans laquelle se trouvent certains d'entre eux. Ainsi, en 2023, 57 établissements affichaient un résultat négatif.

En matière de soutien à la francophonie, force est de constater que l'ambition affichée par le Président de la République dans son discours de Villers-Cotterêts peine à se matérialiser budgétairement.

Ainsi, les dotations destinées à la promotion de la langue française diminueront de 1,4 million d'euros.

De plus, la subvention accordée aux alliances françaises baissera de 45 %, passant de 7,5 millions d'euros à 4 millions d'euros. Cette diminution pourrait compromettre la viabilité de certaines alliances, déjà fragilisées par la pandémie et confrontées à une concurrence croissante dans le secteur de l'enseignement des langues.

Mes chers collègues, avec Didier Marie nous prenons donc acte du choix du Gouvernement de diminuer les moyens consacrés à notre diplomatie culturelle et d'influence. Ce choix repose sur un constat que personne n'ignore : la situation budgétaire de notre pays, considérablement dégradée ces dernières années, impose des efforts importants et nécessaires.

La loi de finances pour 2024 avait marqué un rebond notable des crédits du programme 185. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 traduit, à ce stade, un retour aux niveaux de crédits observés en 2023.

Pour autant, nous ne pouvons que regretter la multiplication des discours présidentiels qui fixent des objectifs élevés que la diminution des moyens rend inatteignables. Qu'il s'agisse de l'ambition pour la langue française et le plurilinguisme affirmée à l'Institut de France en 2018, des états généraux de la diplomatie en mars 2023, ou encore des engagements récents à Villers-Cotterêts en faveur de la francophonie, ces discours nourrissent des attentes légitimes, tant en France qu'à l'international, qui ne pourront qu'être déçues.

Aussi et sous bénéfice de ces observations et de celles qui seront présentées par Didier Marie, nous vous proposerons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 sans modification.

M. Didier Marie, rapporteur pour avis. - Dans son discours prononcé à l'occasion de la clôture des États généraux de la diplomatie en mars 2023, le Président de la République appelait à un « réarmement complet de notre diplomatie », lequel devait passer par une augmentation régulière des crédits du ministère de l'Europe et des affaires étrangères jusqu'en 2027.

Un an et demi plus tard, force est de constater que ces moyens ne suivent pas.

Je ne reviendrai pas sur la baisse des crédits consacrés à notre diplomatie culturelle et à l'apprentissage du français, qui vient d'être évoquée par Catherine Dumas pour me concentrer sur deux sujets : les moyens dédiés à l'enseignement français à l'étranger et ceux consacrés aux mobilités étudiantes.

S'agissant de l'enseignement français à l'étranger, après deux années de hausse significative de la subvention pour charges de service public versée à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), celle-ci connaîtra une diminution sensible de 14 millions d'euros en 2025.

Les documents budgétaires nous expliquent que cette baisse résulterait de la fin du dispositif de soutien au réseau libanais et de la réévaluation à la baisse des coûts de la réforme des personnels détachés.

Soit. Mais cette présentation, qui laisse entendre que cette diminution serait indolore pour l'opérateur, nous semble appeler trois observations.

En premier lieu, la fin du dispositif de soutien aux établissements libanais intervient alors que le pays traverse une crise majeure. À titre d'exemple, la fermeture du lycée Abdel Kader de Beyrouth pour accueillir des réfugiés nécessitera des travaux dès 2025. Un tel désengagement pose donc question.

En deuxième lieu, le coût de la réforme des personnels détachés est certes plus faible que ce qui était initialement anticipé, mais je rappelle que l'État ne prend à sa charge que la moitié du coût de cette réforme, le reliquat restant à la charge de l'AEFE, soit près de 9 millions d'euros en 2025.

Enfin, en troisième et dernier lieu, je tiens à rappeler que l'augmentation de quatre points du taux de contribution aux pensions civiles se traduira par une charge pour l'opérateur estimée à 9 millions en 2025. Sans entrer dans le détail, la compensation versée par l'État au titre du transfert à l'opérateur de cette charge en 2009 n'a pas évolué depuis cette date.

Au total, l'AEFE connaîtra donc bien une baisse significative de ses moyens. L'opérateur prévoit ainsi de ne pas pourvoir 50 postes à la rentrée prochaine qui s'ajouteront aux 15 suppressions de postes déjà actées.

L'AEFE nous a également indiqué en audition que les subventions qu'elle verse aux établissements, qui financent des projets en matière de sécurité, d'immobilier et de développement, diminueront sensiblement, passant de 12 millions d'euros à 4 millions d'euros.

Ces restrictions budgétaires surviennent alors que le réseau fait face à des défis accrus : fermetures d'établissements au Liban, à Bakou, et interdictions d'inscriptions en Iran et en Turquie. À cela s'ajoute une nouvelle contrainte au Royaume-Uni, où les établissements privés devront s'acquitter d'une TVA de 20 % à partir de 2025, aggravant les tensions financières pour les établissements du réseau.

Dans le même temps, le Gouvernement continue d'afficher un objectif de doublement du nombre d'élèves dans le réseau d'ici 2030, mais sans moyens accrus, cet objectif semble irréaliste.

Une prise en compte des établissements non homologués, comme l'a suggéré en audition notre collègue Olivier Cadic, pourrait être envisagé, en s'appuyant sur l'expertise de l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger (ANEFE), ce qui donnerait une image plus fidèle de la réalité de l'enseignement français à l'étranger.

Mais ces établissements devront en tout état de cause faire l'objet d'un accompagnement, le cas échéant jusqu'à l'homologation, ce qui nécessitera des moyens accrus.

J'ajoute que la question du financement des investissements immobiliers des établissements en gestion directe n'est toujours pas résolue.

Comme nous le relevions dans notre rapport l'an dernier, l'absence de solution pérenne apportée à cette question constitue en outre un frein au développement du réseau. Le mécanisme des avances de l'Agence France Trésor dont peuvent bénéficier les établissements en gestion directe (EGD), qui, en tant qu'organismes divers d'administration centrale, ne sont pas autorisés à emprunter, a certes été reconduit jusqu'en 2026, mais cette solution n'est que transitoire, comme l'a rappelé la secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères tout à l'heure.

Je rappelle en outre que l'augmentation du coût du transfert de la charge liée aux pensions civiles que j'évoquais tout à l'heure contraint l'AEFE à consacrer l'intégralité de la participation financière complémentaire au paiement des pensions civiles, alors que 50 % de celle-ci devaient à l'origine être consacrés au développement de projets immobiliers.

Or, le montant des travaux envisagés par l'AEFE dans ses EGD s'élève, à l'heure actuelle, à 142 millions d'euros, certaines opérations pouvant atteindre plusieurs dizaines de millions d'euros.

Au total, à défaut d'une dérogation au profit de l'AEFE, qui lui permettrait de recourir de nouveau à l'emprunt, nous plaidons, comme nous l'avons fait l'an dernier, pour l'inscription, dès le PLF pour 2026, d'une subvention pour charges d'investissement, ou pour un resoclage du montant de sa subvention pour charges de service public prenant en compte la hausse du coût résultant du transfert de la charge liée aux pensions civiles.

Par parenthèse, le principe d'une subvention pour charges d'investissement aurait été rejeté au PLF 2025 sous prétexte qu'il n'était pas demandé aux EGD de contribuer au développement du réseau. Cela laisse perplexe...

En tout état de cause, nous nous opposerons à tout projet de mutualisation intégrale des trésoreries des établissements. Outre que cette solution ne permettrait pas de répondre à l'ensemble des besoins, elle ne serait pas justifiée, ces trésoreries ayant pu être constituées pour la réalisation de projets immobiliers déterminés.

J'en viens maintenant à la question de l'accueil des étudiants internationaux. Un satisfecit d'abord, la France reste une destination attractive. En particulier, un retour des étudiants asiatiques peut être constaté après une période post-covid atone.

Mais derrière cette situation apparemment favorable, que constate-t-on ? Un écart qui se creuse avec nos concurrents.

L'Allemagne figure désormais à la 3e position des pays d'accueil, alors que nous stagnons à la 7e place et que des pays comme la Turquie et les Émirats arabes unis, qui consacrent des moyens bien supérieurs aux nôtres, nous talonnent.

Le PLF pour 2025 prévoit un maintien du montant des bourses de mobilité à 70 millions d'euros. C'est une bonne nouvelle. Pour autant, nous sommes loin de l'objectif de doublement des bourses d'ici 2027 fixé dans le cadre de la Stratégie Bienvenue en France adoptée en 2018, qui aurait nécessité une croissance de l'enveloppe des bourses de 8 millions d'euros par an.

De même, le montant de la subvention pour charges de service public versée à Campus France sera quasi stable l'an prochain à 3,4 millions d'euros. C'est un moindre mal car l'opérateur connait une situation financière qui, sans être inquiétante, appelle une certaine vigilance.

Il nous semble par conséquent que la France est à la croisée des chemins. Soit elle fait le choix de rester parmi les premières destinations mondiales et doit accepter de s'en donner réellement les moyens soit elle accepte d'être reléguée en seconde division et se contente d'un budget réduit au minimum vital.

J'ajoute que la question des moyens dédiés aux bourses et à Campus France doit s'accompagner d'une amplification de ce qui a été initié dans le cadre de la Stratégie Bienvenue en France : facilitation des démarches administratives, accompagnement des établissements d'enseignement supérieur pour améliorer encore les conditions d'accueil, amélioration des conditions de logement, ou encore allongement de la durée de séjour autorisée sur le territoire après l'obtention du diplôme.

Mes chers collègues, comme vient de le rappeler Catherine Dumas, les discours présidentiels de ces dernières années ont affiché un très haut niveau d'ambition pour notre diplomatie culturelle et d'influence.

Force est malheureusement de constater que cette ambition est fortement contrariée par un projet de budget qui n'est pas à la hauteur.

Nous ne nions pas que la très forte dégradation de nos comptes publics au cours des dernières années appelle des efforts et il n'est pas anormal que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères y prenne sa part.

Lors de nos auditions, nous avons pu mesurer l'engagement exemplaire des agents du ministère et de ses opérateurs, grâce à qui les conséquences de la baisse des budgets prévus en 2025 devraient pouvoir être contenues.

Mais si cette diminution devait se poursuivre dans les années à venir, c'est bien le rayonnement de la France à l'international qui en souffrirait.

M. Ronan Le Gleut. - Dans son discours à la Sorbonne de 2018, le Président de la République avait fixé l'objectif d'un doublement du nombre d'élèves dans le réseau de l'enseignement français à l'étranger, qui comptait à l'époque 350 000 élèves. Un doublement d'ici 2030 signifie le passage à 700 000 élèves. Nous sommes à mi-parcours. Or, à la rentrée 2024, le réseau de l'AEFE comptait 399 000 élèves. Il aurait fallu dépasser les 520 000 élèves pour respecter la trajectoire. On peut par conséquent acter que les objectifs ne seront pas tenus et qu'ils sont déraisonnables. Il n'est pas très sérieux de fixer des objectifs chiffrés inatteignables, même quand cela témoigne d'une ambition que nous partageons.

M. Olivier Cadic. - Je voudrais tout d'abord remercier les rapporteurs de m'avoir auditionné en tant que président de l'ANEFE, association d'écoles françaises à l'étranger, et d'avoir pu avoir un échange, un débat permettant de mieux se comprendre. Cela a été très utile.

Pour revenir sur ce qu'a dit Ronan Le Gleut, jamais le Président de la République n'a considéré que le doublement d'élèves ne devait concerner que les établissements homologués. L'AEFE ne peut pas supporter cet objectif. Il existe de nombreuses écoles qui ne sont pas homologuées mais qui proposent un enseignement français à l'étranger de qualité. Si on ne les comptabilise pas, on exclut tout un pan de cet enseignement, y compris des écoles publiques qui forment en français. Toutes ces écoles présentent des élèves au baccalauréat. Je remercie les rapporteurs d'avoir écouté ce point. L'objectif de doublement ne me semble donc pas irréalisable, selon ce que l'on retient dans le périmètre de l'enseignement français à l'étranger.

Présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente

M. François Bonneau. - Quand on voit le travail fourni par les Institut français avec le peu de moyens dont ils disposent, leur faire supporter une baisse supplémentaire de crédits me parait indécent. Pourrait-on revenir sur ce point ?

Présidence de M. Cédric Perrin, président

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je regrette que l'éducation et la culture soient souvent une variable d'ajustement alors qu'elles sont au coeur des questions d'influence. C'est dans nos Instituts français et nos Alliances française que les étrangers apprennent le français, qu'ils ont accès à la culture et aux valeurs françaises. Dans un certain nombre de pays, cela est essentiel. J'ajoute que lorsqu'il y a des coups d'État, les premiers établissements à fermer ce sont les Instituts français ou les Alliances française car il faut éliminer cette présence culturelle et cette voix de la France, portée par les ondes mais également par une présence physique.

Pour revenir sur l'objectif du doublement du nombre d'élèves dans le réseau de l'AEFE, je déplore que ce celui-ci soit devenu le seul horizon de l'AEFE, au détriment de tout le reste. Cela tiendrait du miracle que l'agence puisse doubler les effectifs d'élèves accueillis avec moins de moyens financiers, moins de professeurs et sans pouvoir s'agrandir. Il faudra m'expliquer comment cela est possible. Or c'est l'objectif donné à l'AEFE.

M. Didier Marie, rapporteur pour avis. - Avec Catherine Dumas nous regrettons le sort réservé à l'ensemble de la politique d'influence. Mais en l'absence de moyens supplémentaires inscrits au PLF, un accroissement des crédits qui y seraient dédiés nécessiterait de ponctionner un autre programme, ce qui ne serait pas satisfaisant.

L'AEFE ce sont des établissements qui se dégradent et qui ne peuvent pas toujours être rénovés, ce sont des tensions internationales qui font que, dans certains pays, leur activité est difficile voire interdite. On ne peut donc pas se satisfaire de cette situation.

Lors des auditions que nous avons réalisées, les opérateurs nous ont expliqué que l'année à venir serait difficile, qu'ils parviendraient à faire face à la baisse des crédits mais que si celle-ci se prolongeait, cela ne serait plus possible. Nous proposons donc néanmoins d'adopter les crédits du programme.

Mme Catherine Dumas, rapporteure pour avis. - Pour répondre à François Bonneau, l'Institut français Paris connaîtra une baisse de sa subvention, mais les crédits de fonctionnement des Instituts français adossés à des postes seront maintenus. Je l'ai indiqué tout à l'heure tout en rappelant la situation difficile traversée par certains d'entre eux.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État ».

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Action extérieure de l'État » - Programme 151 - Français à l'étranger et affaires consulaires - Examen du rapport pour avis

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires », dont Guillaume Gontard et moi sommes les co-rapporteurs, prend sa part du nécessaire redressement de nos finances publiques. À périmètre égal, ses crédits sont en effet en baisse de 3,9 millions d'euros à périmètre égal, soit 2,4% environ.

Au sein du programme cependant, les contrastes sont forts, car la baisse est très inégalement répartie - mon collègue Guillaume Gontard reviendra plus en détail sur les aides sociales et l'aide à la scolarité. En revanche, l'effort de modernisation des services rendus aux Français à l'étranger, à travers plusieurs programmes structurants, est pleinement financé, ce dont il faut se féliciter.

Ces programmes structurants sont au nombre de trois.

D'abord, la mise en place du service France consulaire, plateforme centralisée de réponse téléphonique aux demandes des usagers du réseau consulaire, doit s'achever en 2025. Les téléconseillers apportent une réponse qui porte notamment sur la délivrance de passeports ou les actes d'état-civil.

Ainsi, France Consulaire décharge les services consulaires de la quasi-totalité des demandes téléphoniques, tout en étant plébiscité par les usagers, avec un taux de satisfaction de plus de 90%, grâce à une base de données alimentée en temps réel qui permet d'apporter des réponses pertinentes et localisées aux demandes. La plateforme, que nous avions visitée l'an dernier dans ses locaux de La Courneuve, est en cours de relocalisation à Nantes, auprès des services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Ce service couvre aujourd'hui 71 pays ; à la fin de l'année 2025, il devrait couvrir l'ensemble du monde, ce qui implique notamment une extension des horaires, des recrutements pour répondre à l'augmentation attendue des demandes et un étoffement de la base de données de réponses. Pour cette extension, les crédits alloués au projet sont portés de 3,8 à 5,9 millions d'euros, soit une augmentation très substantielle.

Deuxième projet important, le vote par internet, adopté par plus de 70 % des Français de l'étranger lors des élections législatives anticipées. Là encore les crédits sont en hausse, avec 850 000 euros en autorisations d'engagement et 1,15 million d'euros en crédits de paiement contre 750 000 euros dans la loi de finances initiale pour 2024. Ils financeront notamment la mise en place éventuelle d'une solution d'identité numérique, pour remplacer l'authentification par identifiant et mot de passe.

Enfin, le projet de registre d'état civil électronique (RECE), engagé en 2018, sous la forme d'une expérimentation, par la loi pour une société de confiance, se voit doté de 3,3 millions d'euros contre 900 000 euros l'année dernière. Je m'y arrêterai plus longuement, car c'est un projet à la fois précurseur et emblématique pour l'administration consulaire.

Le traitement des actes d'état-civil repose sur quatre composantes : l'établissement, la mise à jour, la délivrance et l'archivage.

Depuis mars 2021, le service central de l'état-civil (SCEC) peut délivrer des copies ou extraits d'actes portant une signature électronique, sans version papier, ce qui implique des délais de traitement considérablement réduits : jusqu'à 30 jours dans certains postes pour le format papier, 4 jours en format électronique. La délivrance électronique est dans le droit commun depuis juin 2024.

Les premiers actes du registre d'état civil électronique ont quant à eux été établis le 18 janvier 2024 ; enfin, la première mise à jour électronique a été effectuée au mois de juin.

2025 sera l'année de la montée en puissance pour ces deux fonctions d'établissement et de mise à jour, d'où la très forte augmentation du budget. Le projet devrait être mené à son terme en 2026, avec l'achèvement de l'archivage électronique.

Le programme, lancé sous forme d'une expérimentation dans la loi pour une société de confiance, dite Essoc, en 2018, avait pris beaucoup de retard, au point qu'il a fallu une disposition dans la loi 3DS, en 2022, puis une loi ad hoc en juin 2024, pour prolonger l'expérimentation. Ces délais s'expliquent notamment par le covid et la mobilisation non anticipée des équipes sur la plateforme de naturalisation en ligne.

Aujourd'hui, le projet approche de son rythme de croisière. Le taux de satisfaction des usagers est de 96% ; les demandes sont quasiment traitées en flux, de quoi susciter l'envie de beaucoup d'administrations...

De plus, l'économie liée au registre d'état-civil électronique est estimée à 1,3 millions d'euros par an, essentiellement en frais de courrier mais aussi en ETP : la dépense liée à ces projets est donc bien un investissement pour l'avenir.

Ces trois projets illustrent bien le caractère pionnier de notre administration consulaire, que ce soit pour le vote pour internet ou la délivrance électronique des actes, qui à terme devrait s'imposer dans l'ensemble de nos services. J'ai pu me rendre compte, lors de ma visite du site de Nantes où ces projets sont conçus et conduits, de l'implication de nos agents et de leur volonté de les mener à bien.

C'est pourquoi nous vous recommandons d'approuver les crédits du programme 151, car ils financent des projets d'utilité publique non seulement pour les Français à l'étranger, mais aussi pour tous nos concitoyens.

Je cède maintenant la parole à mon co-rapporteur, Guillaume Gontard, qui abordera les aides sociales et les aides à la scolarité.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il faut en effet se féliciter de la poursuite de l'effort de modernisation engagé par la direction des Français à l'étranger et des affaires consulaires. En revanche, si nos compatriotes de l'étranger seront mieux servis par notre administration dans leurs démarches quotidiennes, cet effort s'est fait au détriment des dépenses sociales en leur faveur.

Pour rappel, les aides sociales directes aux Français de l'étranger relèvent d'un cadre différent de celles dont bénéficient les résidents français. Elle est régie par l'article L121-10-1 du code de l'action sociale et des familles, qui n'impose à peu près aucune obligation à l'État : il dispose simplement que les Français établis hors de France en difficulté, en particulier les personnes âgées ou handicapées, « peuvent bénéficier, sous conditions, de secours et aides prélevés sur les crédits d'assistance aux Français établis hors de France du ministère des affaires étrangères, et d'autres mesures appropriées tenant compte de la situation économique et sociale du pays de résidence. »

L'aide sociale distribuée à nos compatriotes en difficulté, qui comprend notamment l'allocation de solidarité, l'allocation adultes handicapés (AAH), l'allocation enfants handicapés (AEH) et le secours mensuel spécifique enfants (SMSE), s'inscrit donc dans un cadre très vague qui laisse à l'Etat une grande marge de manoeuvre budgétaire. Elle est ainsi en baisse de 1 million d'euros dans le PLF 2025, à 15,2 millions d'euros, après avoir été simplement reconduite l'an dernier malgré l'inflation - et alors même que l'enveloppe votée en 2024 a dû être abondée en gestion pour faire face aux besoins.

Le responsable du programme 151 justifie cette coupe par une baisse du nombre d'allocataires, passé de 4 320 en 2023 à 4 245 en 2024, et par une réduction du périmètre des allocations, certaines d'entre elles n'étant plus versées aux Français résidant dans l'Union européenne. Toutefois, les incertitudes de l'économie mondiale comme du contexte géopolitique laissent craindre une aggravation, plutôt qu'une amélioration de la situation de nos compatriotes.

Des baisses similaires ont été appliquées au dispositif de soutien au tissu associatif des Français de l'étranger (STAFE), créé en 2018 pour remplacer la réserve parlementaire, dont l'enveloppe passe de 2 millions à 1,6 million d'euros, et aux organismes locaux d'entraide et de solidarité (OLES), dont les crédits sont réduits de 1,4 à 1,2 million d'euros. Enfin, les crédits aux centres médico-sociaux implantés dans les pays dont les structures sanitaires sont moins développées sont eux aussi en baisse.

Dans ces trois cas, le responsable du programme met en avant une diminution des demandes d'aide de la part des structures concernées. Or cette baisse peut certes témoigner de la bonne santé des associations, mais elle peut tout aussi bien refléter une dévitalisation du tissu associatif au sein de la population des Français de l'étranger, qui n'est certainement pas un motif de satisfaction.

L'enveloppe des bourses scolaires destinées aux élèves du réseau AEFE, qui constitue la plus grande partie des crédits de ce programme, est-elle aussi en diminution, de 118 millions à 111,5 millions d'euros. Là encore, la justification apportée est une baisse du nombre de boursiers, qui selon la direction des Français à l'étranger et des affaires consulaires et l'AEFE serait multifactorielle - l'un des facteurs retenus est la plus grande rigueur apportée au traitement des dossiers et au contrôle du niveau de vie des demandeurs. Cette interprétation serait confirmée par la disparité croissante entre les dossiers instruits et les bourses accordées : 28 000 dossiers instruits pour 24 000 boursiers en 2022/2023, 27 000 dossiers instruits pour 20 000 boursiers en 2023/2024. Là encore, c'est une logique quelque peu malthusienne qui semble prévaloir : le nombre total d'élèves au sein du réseau est en constante augmentation, ce dont on ne peut que se réjouir, mais celui des élèves français stagne, et celui des boursiers est en très forte baisse.

Enfin, il faut revenir sur la situation de la Caisse des Français de l'étranger, sur laquelle nous avions déjà alerté l'an dernier. Organisme de droit privé à mission de service public, la CFE joue un rôle important auprès des Français établis hors de France, car elle leur assure une protection sociale équivalente à celle de la Sécu. Mais le déficit de la Caisse s'est creusé ces dernières années, en partie à cause du financement de la catégorie dite « aidée », constituée des adhérents aux ressources les plus limitées, qui bénéficient d'un tarif préférentiel. Le coût de ce dispositif va en augmentant : en 2024, il a coûté 4,3 millions d'euros à la Caisse. Or le concours de l'État a été fixé à 380 000 euros en 2016, et il n'est complété que par de modestes abondements de fin de gestion.

Avec mon co-rapporteur et les rapporteurs du programme 105, que nous remercions de leur concours, nous déposerons, comme l'année dernière, un amendement pour doubler le concours de l'État à la CFE. C'est à la fois symbolique, car il est important que l'État prenne sa part dans la solidarité due à nos compatriotes de l'étranger les plus défavorisés, et plus lisible d'un point de vue budgétaire.

L'an dernier, le Sénat avait voté cet amendement, avec une sagesse du Gouvernement qui avait même levé le gage. Malheureusement, ce dernier a ensuite changé de position en ne le retenant pas lors de l'adoption finale du budget par le 49.3. Espérons que le Gouvernement fera preuve de davantage de cohérence cette année.

M. Olivier Cadic. - Le Pass éducation langue française (PELF) était doté d'un million d'euros de crédits dans la loi de finances pour 2024, mais il n'y a plus de crédits dans le projet de loi de finances pour 2025. Cet argent a-t-il été utilisé ? Le PELF est destiné à apprendre notre langue à un public d'enfants français qui ne le parlent.

M. Guillaume Gontard, rapporteur pour avis. - Le PELF est une expérimentation. Il nous a été indiqué qu'elle n'avait pas encore réellement commencé. Par conséquent, l'évaluation, qui suit nécessairement l'expérimentation, n'a pas encore pu être réalisée et les crédits n'ont pas été reconduits.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis. - Le PELF a été renommé « Pass enfance langue française ». Il y avait une certaine incohérence, sous son intitulé d'origine, à l'affilier au programme 151 et non au programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». La solution trouvée a été de s'appuyer sur les instituts français et l'Alliance française. Seule une partie des crédits ayant été consommés, la mise en oeuvre de l'expérimentation se poursuit dans quatorze pays pilotes.

Nous vous proposons de voter l'amendement présenté par Guillaume Gontard et moi-même, et cosigné par les deux rapporteurs pour avis du programme 105, Jean-Baptiste Lemoyne et Valérie Boyer. Il s'agit d'un transfert de 380 000 euros destiné à abonder le financement de la catégorie aidée des adhérents de la CFE prélevé sur l'action n°05 « Contributions internationales » du programme 105. Le même amendement a été adopté par le Sénat l'année dernière.

La commission a adopté à l'unanimité l'amendement visant à transférer 380 000 euros du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » vers le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ».

M. Cédric Perrin, président. - Je vous remercie.

La commission a donné à l'unanimité un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 151.

La réunion est close à 12h30.