Mercredi 13 novembre 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Les inégalités territoriales d'accès aux soins - Examen du rapport d'information

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, notre réunion de ce matin est consacrée à l'examen des conclusions du rapport d'information de Bruno Rojouan sur les inégalités territoriales d'accès aux soins, ce dont je me réjouis.

Vendredi dernier, j'ai assisté, en présence de la ministre de la santé et de l'accès aux soins, Geneviève Darrieussecq, à l'ouverture d'une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) dans le Doubs, où j'ai pu mesurer l'importance de redynamiser médicalement nos territoires. Comme nombre d'entre vous, je trouve ce dispositif très intéressant afin d'assurer une présence médicale dans les zones rurales. Je ne doute pas que le rapporteur évoquera les dispositifs de ce type dans la présentation de son rapport.

Vous le savez, notre commission s'intéresse de longue date à la question des inégalités territoriales d'accès aux soins. Hervé Maurey avait mené une mission d'information à ce sujet en février 2013. J'ai moi-même été l'auteur du rapport Déserts médicaux : L'État doit enfin prendre des mesures courageuses !, en janvier 2020.

On dit souvent que le Sénat est une institution du temps long. Notre constance à travailler sur cette question en témoigne ! Pour rappel, Bruno Rojouan a rédigé un premier rapport d'information en février 2022. Conformément aux conclusions du groupe de travail conduit par Pascale Gruny sur le contrôle parlementaire, cette nouvelle mission d'information constitue un droit de suite à ce rapport.

De fait, il est essentiel de veiller à ce que nos travaux soient suivis d'effets : il ne suffit pas de publier des rapports, il faut avoir une influence concrète sur les politiques publiques. Le travail mené par Bruno Rojouan s'inscrit dans cet objectif, et je le remercie de l'avoir mené avec sérieux.

Je lui laisse la parole sans plus attendre pour nous présenter les principales conclusions de son rapport d'information.

M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter le résultat des travaux de la mission d'information sur les inégalités territoriales d'accès aux soins.

Pour commencer, je veux dire un mot de l'état d'esprit qui m'a guidé durant ces six derniers mois : comme lors de mon précédent rapport d'information, publié en février 2022, j'ai souhaité impliquer le plus grand nombre d'entre vous et associer tous les groupes politiques dans mon travail préparatoire, en organisant une réunion de travail avec les commissaires volontaires et en ouvrant l'ensemble des auditions à tous les commissaires. Je remercie tous ceux qui y ont pris part, notamment Jocelyne Antoine, Nicole Bonnefoy ainsi qu'Alain Duffourg et Simon Uzenat, qui m'ont tous deux accompagné en Allemagne. Je remercie également notre président d'avoir consacré une réunion plénière à la problématique de l'équité territoriale en matière d'accès aux soins le 27 mars dernier, ainsi que mon whip Philippe Tabarot, pour son appui.

Vous le savez, les positions de la commission des affaires sociales et de la nôtre n'ont pas toujours été rigoureusement alignées sur le sujet, mais je tiens à souligner que j'ai pu compter - c'est un changement important - sur l'oreille attentive du président de la commission des affaires sociales Philippe Mouiller, avec lequel j'ai régulièrement échangé sur l'avancée de nos travaux.

J'en viens maintenant aux conclusions du rapport. Les auditions que j'ai conduites m'ont permis de recueillir l'analyse de l'ensemble des professionnels de santé, des administrations compétentes, de l'Assurance maladie, mais également des premiers concernés par les inégalités territoriales d'accès aux soins : les patients et les élus locaux.

Le constat est clair : depuis deux ans, l'offre de soins a continué de se dégrader. La France a perdu près de 2 500 médecins généralistes. On en compte désormais moins de 100 000 sur l'ensemble du territoire - ils sont 99 500 exactement. À cause de cette pénurie de praticiens, 6,3 millions de nos concitoyens n'avaient plus de médecin traitant en 2022 ; ils sont probablement près de 7 millions aujourd'hui.

Ce constat est encore plus alarmant si l'on considère les évolutions effectives et attendues de la démographie du corps médical et de la population dans les années à venir. Aujourd'hui, plus de 30 % des médecins généralistes en activité ont plus de 60 ans, soit 6 % de plus qu'en 2018. Nous risquons donc d'être piégés par un effet ciseaux entre une offre de soins en repli et une demande qui ne va cesser de croître en raison du vieillissement généralisé de la population, puisque près de 16 millions de nos concitoyens auront plus de 65 ans en 2030, contre 14 millions aujourd'hui.

Ce manque de praticiens concerne aussi les spécialistes et les autres professionnels de santé. Dans plusieurs territoires, la prise de rendez-vous pour une consultation s'apparente à un véritable parcours du combattant. À titre d'illustration, il faut, suivant les territoires, compter de 6 à 123 jours pour avoir un rendez-vous avec un ophtalmologue, et de 1 à 97 jours pour un pédiatre. Par exemple, dans le territoire de Billom, en périphérie de Clermont-Ferrand, il faut parfois attendre 18 mois pour obtenir un rendez-vous chez un orthophoniste... Les territoires concernés ne sont pas des cas marginaux : c'est une partie significative de la France qui souffre d'un manque cruel de professionnels de santé. Dans près de 37 départements métropolitains, on recense moins de 5 dermatologues et, dans 22 d'entre eux, moins de 5 cardiologues pour l'ensemble d'un territoire.

Cette inégalité dans l'accès aux soins est inacceptable. Elle favorise le phénomène de « renoncement aux soins », qui est un véritable fléau pour la santé publique. C'est aussi une rupture du pacte de confiance républicain et du principe d'égalité entre les territoires, auquel nous sommes tous ici profondément attachés.

Pour corriger cette situation, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2022 ont pris des mesures - dans lesquelles, comme l'a dit M. le président, nos rapports ne sont pas pour rien - visant à : réduire les inégalités territoriales d'accès aux soins, en favorisant l'installation des professionnels de santé dans les zones sous-denses et en développant la télémédecine ; gagner du temps médical utile, en délestant les médecins de tâches administratives et en accélérant les transferts de compétences vers d'autres professions de santé ; former davantage de médecins et leur faire effectuer des stages dans les zones médicales sous-denses.

Quel bilan peut-on dresser de ces mesures ? Le sentiment qui domine est celui qu'il y a eu des avancées, mais que nous sommes encore dans une logique de petits pas, bien loin du big bang nécessaire.

Pour ce qui est, tout d'abord, de la méthode, l'accès aux soins a fait l'objet de plusieurs textes législatifs : les derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) comportaient tous des mesures à ce sujet, et des véhicules spécifiques, notamment la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite Rist 2, et la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, ont complété cette architecture. Remarquons que ces deux derniers textes sont d'origine parlementaire ! Je regrette, à ce propos, l'absence de projet de loi dédié, tant il est nécessaire que le Gouvernement s'attaque véritablement à cette question dans sa globalité.

En outre, le pouvoir réglementaire n'a pas encore publié nombre de décrets d'application de ces textes en temps utile, nuisant à l'efficacité de leurs dispositions. Je vous en donnerai plusieurs exemples par la suite.

J'en viens au fond des mesures. Les dispositifs mis en oeuvre afin de lutter contre les disparités territoriales et sociales d'accès aux soins sont bien trop limités.

Afin de remédier à l'inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire, l'assurance maladie a changé d'approche. Lors de ses négociations avec les syndicats de professionnels de santé libéraux, elle a prévu des mesures de régulation de l'installation, à l'instar de ce qui prévaut de longue date pour les infirmiers et les sages-femmes. Les masseurs-kinésithérapeutes ont ainsi connu un durcissement du cadre de régulation en 2023. Les chirurgiens-dentistes ont également accepté de voir leur exercice dans les zones les plus dotées soumis à ce principe d'une installation pour un départ.

Cependant, une irréductible profession résiste encore et toujours à la régulation : les médecins, pour lesquels la remise en cause de la liberté totale d'installation est un véritable tabou. Leur cadre d'exercice repose uniquement sur des incitations financières à exercer dans les zones sous-denses, mesures très coûteuses à l'efficacité non démontrée.

Vous en conviendrez, mes chers collègues, une telle exception est difficilement compréhensible. J'en tiens pour preuve la pratique de nos voisins allemands, pourtant peu suspects d'être moins attachés que nous à la liberté d'entreprendre... Lors de notre déplacement en Allemagne, nous avons pu observer leur système de « planification des besoins », dispositif reposant sur l'étude des besoins de santé des territoires, de manière à fixer le nombre de médecins recherché par zone. Ces derniers ne peuvent obtenir un agrément de l'assurance maladie publique que s'ils s'installent dans une zone où le nombre de professionnels de santé est insuffisant. Ce système est notamment mis en oeuvre par les associations régionales de médecins conventionnés, qui régulent ainsi elles-mêmes l'installation de leurs confrères.

J'en conviens, un cadre analogue est difficile à mettre en place pour le moment en France, compte tenu de la pénurie généralisée de médecins, dont le nombre baissera jusqu'en 2028. Cependant, la situation dégradée de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire ne doit pas servir de prétexte pour ne pas agir en faveur des zones les moins dotées. Dire que toute la France est un désert médical revient à gommer les différences entre des situations que l'on ne peut pas mettre sur le même plan.

Par conséquent, je propose de réguler l'installation des médecins dans les zones les mieux dotées et de favoriser leur exercice dans les zones sous-dotées. Toute nouvelle installation dans les zones les mieux dotées pourrait ainsi être liée à un exercice partiel obligatoire dans une zone sous-dotée, sous forme de consultations dans un cabinet secondaire.

Les modalités pratiques d'une telle obligation, notamment son zonage, pourraient, dans un premier temps, être confiées à la profession elle-même, en suivant l'exemple allemand. Faute de proposition dans un délai que nous pourrions décider, le législateur pourrait se substituer à l'inertie de la profession. Ensuite seulement, en raison du peu de médecins dont nous disposons, et à mesure que le nombre de médecins augmentera, du fait de la fin du numerus clausus, il conviendra de mettre en place un cadre de régulation de l'installation plus ambitieux, lequel passerait par le conventionnement sélectif.

La télémédecine a souvent été présentée comme une solution pour venir en aide aux territoires isolés de façon complémentaire. Malheureusement, insuffisamment encadrée, elle rate sa cible. Les patients qui y ont le plus recours ne sont pas ceux qui rencontrent le plus de difficultés d'accès aux soins : ils résident le plus souvent dans des communes densément peuplées et favorisées.

Je recommande donc de revoir les modalités de fonctionnement de la télémédecine afin d'en limiter les abus et de recentrer son utilisation vers les publics qui en ont le plus besoin. Pour cela, son remboursement par l'Assurance maladie pourrait être mieux encadré : seules les téléconsultations assistées par un professionnel de santé seraient remboursées, et uniquement dans le cadre du parcours de soins. La seule exception concernerait les téléconsultations en urgence avec le médecin traitant, qui pourraient avoir lieu sans assistance. Il me semble également nécessaire de restreindre les aides à l'installation et au fonctionnement des cabines de téléconsultation aux seules pharmacies situées dans des zones médicalement sous-dotées et, en contrepartie, de les revaloriser financièrement. Au reste, les pharmacies de ces territoires ayant souvent de petits chiffres d'affaires, leur réserver le pouvoir de téléconsultation faciliterait leur reprise en cas de départ en retraite du pharmacien titulaire.

J'en viens maintenant aux soins non programmés : 30 % des patients qui ont recours aux urgences hospitalières s'y rendent faute de réponse médicale auprès de leur médecin traitant. Le dispositif des services d'accès aux soins (SAS) a été lancé en 2021 afin de répondre à cette situation inadmissible : les patients qui appellent le 15 au lieu d'aller aux urgences sont mis en relation avec un médecin régulateur, qui doit leur permettre de trouver un rendez-vous médical sous 48 heures. Ce dispositif, encore embryonnaire, gagnerait à monter en puissance.

Des mesures de bon sens pourraient être prises de façon complémentaire : il faut mieux s'appuyer sur les nouvelles compétences des pharmaciens, qui peuvent, par exemple, mener certains tests de diagnostic rapide. Je propose également d'impliquer davantage d'autres professions, comme les masseurs-kinésithérapeutes, dans la permanence de soins : ces derniers doivent pouvoir être consultés en accès direct pour certaines pathologies, comme les très fréquentes entorses de la cheville.

Quel bilan peut-on par ailleurs tirer des mesures tendant à faire gagner du temps médical utile ? Les jeunes professionnels et les étudiants en études de santé m'ont fait part, lors des auditions, des craintes qu'ils éprouvent face au « mur administratif » que peut représenter une première installation dans un territoire. La mise en oeuvre d'un guichet unique départemental d'aides à l'installation à partir de 2023 a en partie permis de répondre à ces inquiétudes, mais ce dispositif souffre aujourd'hui d'un déploiement hétérogène entre les territoires. Je propose d'en accélérer le déploiement et que les collectivités locales - je pense surtout à l'échelon départemental - soient systématiquement impliquées dans son fonctionnement, afin de tenir compte des spécificités et des besoins locaux.

Récemment, plusieurs mesures ont été déployées pour redonner aux patients du temps médical de qualité, en favorisant la délégation de certaines tâches, de manière que les médecins puissent se concentrer sur leur coeur de compétence. Le plan de déploiement de 10 000 assistants médicaux, présenté, en 2018, au sein du programme « Ma santé 2022 », répondait à cet objectif. Aujourd'hui, l'utilité des assistants médicaux est largement reconnue et ne souffre d'aucun débat, mais leur nombre reste insuffisant. Je recommande d'intensifier leur déploiement et de revoir à la hausse la cible d'assistants médicaux en activité. Je préconise également d'étendre l'éligibilité des aides à l'embauche d'un assistant médical aux maisons de santé pluriprofessionnelles, ce qui nécessite de revoir l'architecture des conditions de l'octroi.

Les infirmiers, et tout spécialement les infirmiers en pratique avancée (IPA), ont conquis de nouveaux champs de compétences et ont gagné en autonomie dans le parcours de soins. Les IPA, infirmiers spécialisés titulaires d'un master, assurent un suivi, en coordination avec les médecins, des pathologies chroniques et stabilisées. Ils agissent comme un relais autonome entre le médecin et le patient, évitant par là même les allers-retours intempestifs entre ces derniers. Les infirmiers diplômés d'État (IDE) ont quant à eux bénéficié de la possibilité de signer des certificats de décès, déchargeant les médecins de cette tâche.

Cependant, ces mesures restent largement partielles et manquent d'une vision d'ensemble qui permettrait de proposer une véritable « réingénierie » - c'est le mot utilisé par la profession. Tel pourrait être l'objectif d'une « loi infirmiers », qui permettrait, dans le contexte de pénurie de médecins que nous connaissons, de leur déléguer davantage de compétences en matière de soins de proximité, mais aussi d'adapter davantage la formation et les compétences des IPA à la pratique en médecine de ville.

Il m'apparaît également nécessaire de renforcer les prérogatives dévolues aux pharmaciens, qui, avec les infirmiers, constituent l'autre profession de santé encore bien répartie sur la totalité du territoire. Ce sont les seuls professionnels de santé à être accessibles sans rendez-vous ni salle d'attente, et leur proximité immédiate avec les patients leur offre bien souvent une connaissance fine des pathologies et des problèmes médicaux que ces derniers peuvent rencontrer. Ce rôle charnière dans l'offre de soins mérite mieux que les ajustements paramétriques effectués par la loi Rist 2 et les dernières lois de financement de la sécurité sociale - une liste rachitique d'antibiotiques qu'ils peuvent prescrire directement après avoir effectué un test rapide d'orientation diagnostique (Trod) en cas d'angine ou de cystite, et la possibilité de renouveler trois fois de suite certaines ordonnances.

Il convient donc d'aller vers une intensification des possibilités d'intervention des pharmaciens : comme il faut une « loi infirmiers », il faut une grande « loi pharmaciens ». Je recommande que leur soit reconnu un rôle d'orientation du patient, afin de prendre en charge tous les maux du quotidien qui ne nécessitent pas forcément le recours à un médecin - je pense, par exemple, à la conjonctivite ou aux plaies simples. Le renforcement de l'attractivité de cette profession est un impératif dans les zones sous-denses afin de conserver un maillage territorial en officines.

La délégation de compétences à destination de plusieurs professions n'est pas le seul instrument qui a été mis en oeuvre. L'ouverture de l'accès direct à certaines d'entre elles participe également de cette logique de rationalisation du temps de soins. Cependant, des dispositifs dont la complexité a, en pratique, limité l'effectivité ont parfois été choisis, au détriment de mesures simples et lisibles. C'est le cas notamment des masseurs-kinésithérapeutes, dont seulement 5 % sont concernés par l'accès direct, tel qu'il est aujourd'hui reconnu. La loi Rist 2 a également ouvert l'accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes membres d'une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), mais les textes d'application se font encore attendre. De toute façon, un patient n'a pas les moyens de savoir si un praticien est membre ou non d'une CPTS - encore faut-il qu'il sache ce que c'est !

Il faut sortir de cette logique kafkaïenne et revenir à plus de lisibilité, en ouvrant l'accès direct à l'ensemble de la profession pour certaines pathologies bien connues, comme les entorses de la cheville. L'encadrement de l'accès direct me paraît toutefois incontournable, au risque de voir les cabinets de kinésithérapie embouteillés par la gestion des « bobos » du quotidien.

À long terme, la seule façon de régler la question de l'accès aux soins est de former plus de professionnels de santé. L'abrogation du numerus clausus à l'entrée des études de santé, lors de la réforme en 2020, était nécessaire. Pourtant, il faut être lucide : le choc d'offre tant attendu n'a pas eu lieu. Les effectifs en deuxième année de médecine ont progressé de 16,8 % entre 2020 et 2024, mais la quasi-totalité de la hausse du nombre d'étudiants date d'avant 2022. La dynamique actuelle est donc insuffisante pour répondre aux besoins futurs de médecins.

Les facultés de médecine sont saturées, les locaux sont surchargés et le nombre de formateurs est insuffisant. Il faut donner aux facultés la possibilité de recruter plus d'étudiants sans dégrader la qualité de l'enseignement, en particulier en médecine générale. Pour cela, elles ont besoin de plus d'enseignants. Je propose de renforcer l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires et, surtout, de favoriser l'exercice mixte, associant enseignement universitaire et exercice libéral, pour attirer plus de formateurs.

La réforme, en 2020, des parcours accès santé spécifique (Pass) et des licences accès santé (LAS), dite réforme Pass-LAS, a plongé les lycéens, les étudiants et leurs familles dans une confusion certaine à cause de son manque de lisibilité et de sa complexité. Ce nouveau système a des effets particulièrement délétères pour la pharmacie et la maïeutique. Les effectifs dans ces disciplines ont paradoxalement diminué, alors que les besoins de recrutement croissent. En 2022, véritable année noire pour ces formations, le nombre d'admis a chuté de 15 % en maïeutique et de 20 % en pharmacie. Je propose donc de corriger les effets contre-productifs les plus marqués de la réforme Pass-LAS, notamment pour les études de pharmacie et de maïeutique, en envisageant l'ouverture d'une voie directe post-baccalauréat pour les études de pharmacie.

La hausse du nombre d'étudiants n'aura de pertinence à long terme pour résorber les inégalités territoriales d'accès aux soins que si elle est territorialisée. Or la formation des médecins est encore organisée autour des centres hospitaliers universitaires (CHU) des métropoles. Cette concentration géographique accentue les disparités territoriales d'accès aux soins : les étudiants peuvent difficilement s'installer dans des territoires qu'ils n'ont jamais fréquentés. Il est donc nécessaire de sortir d'une approche « CHU-centrée » des formations et de procéder à un choc de territorialisation. Je propose de lancer un plan d'ouverture d'urgence de facultés et d'antennes de facultés de médecine dans des villes de taille moyenne, à proximité des zones médicales sous-denses.

Ce virage territorial des études de santé suppose également de repenser l'organisation des stages des étudiants, afin qu'ils soient effectués sur toute la durée de leurs études en médecine de ville et, de façon privilégiée, dans des zones sous-dotées.

Plus immédiatement, il me semble essentiel de lancer un plan d'urgence pour que les stages des internes en quatrième année de médecine générale aient lieu en médecine de ville dans les zones sous-denses, comme la loi le prévoit. La première promotion de ces médecins juniors sortira en 2026-2027. Toute velléité d'utiliser ces internes comme supplétifs face au manque de personnel à l'hôpital, au détriment de la médecine de ville des zones sous-dotées, trahirait l'esprit de la réforme que nous avons votée.

Un tel bouleversement exige de prendre en compte les contraintes des étudiants : ceux qui réalisent leurs stages dans des territoires éloignés de leur centre hospitalier universitaire doivent bénéficier d'un accompagnement matériel et financier renforcé.

Afin d'assurer à long terme une répartition plus équitable des soignants sur le territoire, il est également nécessaire de recruter plus d'étudiants issus des zones médicales sous-denses - les zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville notamment -, qui sont sous-représentés dans les études de santé. En effet, ces derniers sont plus enclins à venir s'installer dans ces espaces à l'offre de soins insuffisante.

Actuellement, tous les leviers existants pour attirer les élèves souhaitant exercer en zone sous-dense n'ont pas encore été mobilisés. Ainsi, la réforme du contrat d'engagement de service public (CESP), prévue par la loi Valletoux, n'est toujours pas appliquée. Je rappelle que le législateur a étendu le bénéfice de ce contrat, qui consiste en une allocation financière mensuelle accordée à un étudiant en échange d'un engagement à exercer en zone sous-dense à la fin de ses études, aux étudiants en médecine, en odontologie, en maïeutique et en pharmacie dès la fin de la deuxième année du premier cycle.

Il faut cependant dépasser cette logique d'incitation financière. Pour cela, je propose d'introduire, parmi les critères de sélection en première année de Pass ou de LAS, un nouveau critère : le lieu de résidence des étudiants. Les étudiants issus de zones médicales sous-denses, au même titre que les boursiers, seraient ainsi favorisés dans le processus de sélection pour entrer en première année d'études. Cette mesure prendrait la forme de quotas réservés : pour les lycées des zones sous-denses, la proportion d'admis devrait être égale à la proportion de candidats.

Mes chers collègues, il m'est impossible, dans le temps qui m'est imparti, de développer plus avant les travaux que j'ai conduits durant les six derniers mois. J'invite chacun d'entre vous à vous reporter au rapport d'information dense que j'ai rédigé.

En conclusion, je souhaite faire une remarque de vocabulaire. Vous avez sans doute remarqué que je n'ai pas repris à mon compte l'expression « déserts médicaux ». Nombre de jeunes professionnels de santé et d'étudiants, qui méconnaissent souvent les territoires ruraux et leur vitalité, s'imaginent que les zones sous-denses sont de vrais déserts, dépourvus d'activité économique, d'écoles, d'associations sportives, etc. Nous devons bannir cette expression, qui favorise ce grand malentendu !

Notre commission devra continuer inlassablement à travailler sur ce sujet pour faire pression sur l'exécutif afin que les choses avancent.

M. Jean-François Longeot, président. - Effectivement, il faudra que notre commission poursuive son travail sur ce sujet. J'ai reçu hier des représentants des jeunes pharmaciens. Ils soutiennent les propositions que vous formulez.

M. Stéphane Demilly. - La désertification médicale concerne 87 % du territoire, et tout particulièrement les territoires ruraux. Ce cancer gagne les territoires semi-urbains ou semi-ruraux. Selon l'Académie nationale de médecine, 30 % de la population française vit dans un désert médical. On observe un effet ciseaux entre une offre de soins en repli et une demande croissante liée au vieillissement de la population. Le nombre de médecins généralistes baisse de 1 % chaque année. Les disparités s'aggravent selon les territoires. Les 10 % de la population qui vivent dans les zones les mieux dotées en médecins généralistes ont accès à 5,7 consultations par an, tandis que les 10 % de nos concitoyens vivant dans les territoires les moins bien dotés ont accès à 1,5 consultation par an.

Dans les Hauts-de-France, il est de plus en plus difficile de consulter des spécialistes. Selon l'agence régionale de santé (ARS), 70 % de la population se trouve dans une zone de désertification médicale, taux qui monte à 90 % dans le Pas-de-Calais. Certaines communes sont obligées de publier des annonces dans la presse ou sur les réseaux sociaux pour inciter des médecins libéraux à s'installer !

Je voudrais parler du nomadisme fiscal de certains médecins : certains médecins installés en ville décident de déplacer leur cabinet quelques kilomètres plus loin, dans une zone rurale proche, simplement pour bénéficier d'exonérations fiscales. Parfois, ils demandent aux communes rurales de financer leur implantation. On a l'impression qu'ils veulent le beurre et l'argent du beurre.

Les médecins libéraux sont attachés à la liberté d'installation, mais on oublie trop souvent que tout le système de soins, depuis l'organisation des études de santé jusqu'au remboursement des soins par la sécurité sociale, est financé par de l'argent public.

La situation devient insupportable. L'heure n'est plus aux discussions. Les rapports s'empilent sur ce sujet. Nous devons nous fâcher : il est temps d'agir, autrement je crains l'apparition de « gilets jaunes » de la santé. Le Sénat, qui est la chambre des territoires, doit relayer ces attentes et se faire entendre du Gouvernement.

M. Simon Uzenat. - Notre rapporteur a eu le souci d'associer tous les groupes politiques à ses travaux préparatoires. Nous avons tous pu participer et faire valoir nos préoccupations.

Nous partageons tous le même constat : les écarts entre les territoires sont importants. Même dans les départements où la situation semble s'être améliorée, des disparités apparaissent selon les endroits. La pénurie de médecins que nous connaissons va durer. Notre rapporteur a raison : un big bang est nécessaire, la politique des petits pas ne suffit plus.

Nous soutenons un grand nombre des recommandations formulées, comme celles qui sont relatives aux stages, aux téléconsultations, à l'ouverture d'antennes de facultés de médecine dans les villes moyennes - cela se fait déjà dans le Morbihan, par exemple. À ce propos, la question centrale est celle des moyens des universités. Les mesures budgétaires annoncées par le Gouvernement ne vont pas améliorer leur situation ! Le taux d'abandon durant les études médicales est préoccupant. La proposition de créer des classes préparatoires « talents médicaux » pour aider les étudiants des familles modestes issus des zones sous-denses à réaliser des études médicales est intéressante.

Toutefois, nous restons sur notre faim sur un certain nombre de recommandations. Notre rapporteur a évolué par rapport à la position qu'il exprimait dans son rapport de 2022, Rétablir l'équité territoriale en matière d'accès aux soins : agir avant qu'il ne soit trop tard. On observe ainsi un recul sur la question de la régulation de l'installation des médecins. Même si le sujet ne fait pas consensus, celle-ci est indispensable dans une période de pénurie. Elle est déjà en vigueur en Allemagne.

Il faut soumettre toutes les aides à des conditionnalités strictes. Je pense notamment à celles qui sont allouées pendant la formation en contrepartie de l'engagement à exercer dans une zone sous-dense. L'exigence de remboursement si le contrat n'est pas respecté n'est pas suffisante, car les jeunes praticiens ont bien compris qu'ils pouvaient très vite rembourser s'ils s'installaient dans des zones où la patientèle dispose de hauts revenus. Dès lors, ils n'honorent pas souvent leur contrat.

De même, notre rapporteur parlait de « conventionnement sélectif » en 2022. Il n'en est plus question dans ce rapport.

Nous pourrions nous inspirer du modèle allemand, même si celui-ci n'est pas duplicable en l'état. Ce système garantit aux médecins un niveau d'activité. Il ne se contente pas de définir un ratio entre le nombre de médecins et le nombre d'habitants : il vise à adapter le nombre de professionnels de santé aux besoins de santé des territoires. Il convient donc d'évaluer non pas seulement les dispositifs de régulation de l'installation des médecins, mais aussi ces besoins de santé pour réfléchir à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande de soins. Dans votre rapport d'information de 2022, vous évoquiez la « responsabilité populationnelle territoriale » ; nous regrettons que cette notion ait disparu.

Nous déplorons un autre recul par rapport aux travaux de 2022, sur l'engagement des collectivités locales. Celui-ci est très important au vu de leurs compétences, car la santé relève de l'État. Elles investissent des milliards d'euros pour accompagner les médecins ! Il faut les soutenir sur le plan financier. En 2022, vous envisagiez la création d'une dotation spécifique pour aider les collectivités à lutter contre la désertification médicale. Cela ne figure plus dans vos recommandations.

Si nous soutenons certaines d'entre elles, nous nous abstiendrons sur le rapport, car il nous semble que le compte n'y est pas. La situation est tellement grave qu'il faut cesser de tergiverser. Il est temps d'agir ! Le message envoyé au travers de ce rapport ne nous paraît pas suffisamment fort.

M. Jean Bacci. - J'adhère pleinement aux propositions de notre rapporteur. Dans le Var, on compte un médecin pour 1 100 habitants, alors que ce ratio est en moyenne d'un médecin pour 350 habitants en France. Si la côte est bien dotée, la situation est critique dans les zones rurales de l'intérieur.

Les communes s'efforcent de créer des maisons médicales. Certains médecins ferment leur cabinet en ville et viennent s'installer en zone rurale uniquement pour profiter des aides. Cependant, il est bien difficile de leur dire que l'on ne veut pas d'eux !

Nous devrions faire preuve de plus d'interventionnisme à l'égard des jeunes médecins. Lorsqu'un médecin part en retraite, il faut souvent deux jeunes pour faire le travail qu'il réalisait, car ces derniers souhaitent exercer en libéral, tout en ayant des emplois du temps de fonctionnaire. C'est leur choix ; nous devons le respecter. Sans doute pourrions-nous fiscaliser les revenus d'un médecin qui s'installe en zone sous-dense sur le travail qu'il réalise jusqu'à 35 heures chaque semaine et défiscaliser les heures qu'il réalise au-delà, pendant une période de cinq ans. De la sorte, le médecin prendra l'habitude de travailler plus de 35 heures, s'installera sur place, fondera une famille et restera sur le territoire.

M. Jacques Fernique. - Les 38 recommandations de ce rapport constituent une base opérationnelle intéressante pour répondre à l'insupportable inégalité d'accès aux soins qui met en cause notre pacte républicain. Les besoins de santé vont augmenter sous l'effet du vieillissement de la population. Le statu quo n'est pas viable.

Notre rapporteur ne propose pas de révolutionner le système, mais ses propositions sont pertinentes. Il propose ainsi, dans un premier temps, de conditionner l'installation de nouveaux médecins en zone bien dotée à un exercice avancé à temps partiel en zone sous-dotée. Ce serait une première étape avant l'instauration d'une réglementation plus contraignante. D'autres dispositions visent à évaluer les dispositifs existants, à conforter les possibilités d'intervention des différentes professions médicales - afin de soutenir, par exemple, les officines rurales, qui réalisent un petit chiffre d'affaires, mais qui ont une très grande utilité publique - ou à mener un « choc de massification et de territorialisation des études de santé ».

Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) soutient ces propositions bienvenues. Elles impliquent un renforcement de la responsabilité territoriale et un nouvel élan de la décentralisation. Il faudra donner les moyens afférents aux collectivités. Sans doute conviendra-t-il d'aller plus loin par la suite, mais la mise en oeuvre de ces mesures constituerait déjà une avancée significative.

M. Jean-Claude Anglars. - Pour m'être intéressé localement à ces problèmes, je trouve ces propositions très pertinentes, notamment les recommandations n° 15 sur le dossier médical partagé (DMP), n° 17 sur le développement des CPTS de petite taille, ou encore nos 37 et 38 sur l'installation de stagiaires en zones sous-denses.

Dans l'Aveyron, nous recevons depuis quinze ans 160 internes par an, dont 10 restent chaque année en médecine générale. Cependant, nous avons pu remarquer que beaucoup d'étudiants ne voulaient pas passer leur temps - pardonnez-moi ces mots un peu crus - « à donner des pilules à des vieux de plus de 60 ans. » Aussi, nous avons impliqué plus fortement dans leur stage les urgences de l'hôpital de Rodez et les sapeurs-pompiers pour leur montrer la diversité des pathologies et leur offrir d'autres perspectives professionnelles.

Avez-vous songé à interroger les jeunes internes à cet égard ?

Mme Marie-Claude Varaillas. - Je félicite notre collègue pour son travail fouillé et courageux.

Nous n'avons pas encore atteint le point dur en ce qui concerne l'évolution de la démographie médicale. Nous avons encore sept ou huit années difficiles devant nous avant de connaître les effets bénéfiques de la fin du numerus clausus. Il faut trouver les moyens de passer cette période.

Le rapport de la mission d'information de la délégation aux droits des femmes du Sénat de mai 2023, Femmes et ruralités : la parole aux élues de nos territoires a montré que 13 départements ne comptaient pas de gynécologue médical. C'est très préoccupant, notamment pour la prévention des cancers. Dans mon département de la Dordogne, 25 000 personnes n'ont plus de médecin traitant. De plus, la maternité de Sarlat va fermer, obligeant les femmes à parcourir 80 à 100 kilomètres pour accoucher. Et je ne vous parle pas de celles qui donnent naissance à leur enfant dans la voiture de leur mari ou dans le camion des pompiers...

Les collectivités locales font ce qu'elles peuvent : notre conseil départemental a ainsi salarié des médecins au sein de centres de santé, malgré les difficultés financières qu'il connaît. Toutefois, ce sujet relève principalement de l'État. À cet égard, la collectivité nationale ayant assumé la plus grande part du coût de la scolarité des médecins, il ne semble pas anormal d'imposer des contreparties à ces derniers, via la régulation. Je n'en démordrai pas ! En parallèle, l'État doit former plus de médecins et y mettre les moyens nécessaires.

J'approuve ce rapport d'information en ce qu'il place en poste avancé certaines professions de santé - kinésithérapeutes, infirmiers et pharmaciens -, dont nous avons de plus en plus besoin pour pallier le manque de médecins.

Il faut savoir que, pour remplacer un médecin « ancienne génération », il faut former trois médecins « nouvelle génération ». C'est notamment dû à la féminisation - 70 % des médecins formés sont des femmes - et au désir des jeunes installés en libéral de moins travailler. Mais les médecins, notamment les spécialistes, ne jouent pas tous le jeu des permanences de soins. Dans mon département, il n'y a aucune permanence ophtalmologique les nuits, les week-ends et les jours fériés. Imaginez les conséquences que cela peut avoir ! L'ARS a essayé de les mettre autour de la table, mais certains n'ont même pas daigné se déplacer à la réunion.

Aussi ai-je des doutes sur la recommandation n° 1, bien que j'en approuve la philosophie. En effet, il ne me semble pas opportun de laisser à la profession le soin de définir les modalités de ces installations subordonnées à l'engagement d'effectuer un temps partiel en zone sous-dense.

Par ailleurs, il me semble que la recommandation n° 7, relative aux incitations des collectivités locales, gagnerait à être plus explicite.

Nous sommes tout de même d'accord à 90 % avec ce rapport, que nous voterons.

M. Olivier Jacquin. - Je tiens à féliciter le rapporteur, ainsi que le procureur Stéphane Demilly : je voterais très volontiers sa proposition très ferme !

Ayant été président d'une communauté de communes en zone sous-dense, j'ai pu faire l'expérience de ces négociations avec des médecins qui réclamaient une remise de loyer, l'octroi d'une voiture... C'est pourquoi il me semble aussi que la recommandation n° 7 doit être explicitée. Les collectivités locales sont déjà très impliquées. Elles ont besoin d'un cadre plus précis.

En ce qui concerne la recommandation n° 1, vous avez tenté de nous faire partager votre enthousiasme sur l'exemple allemand, mais je suis un peu déçu : j'attendais quelque chose de plus contraignant.

M. Philippe Tabarot. - Je ne dirai que quatre mots. Ingénieux ! Courageux ! Bravo Bruno !

M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Mes chers collègues, je prends toutes vos remarques comme des contributions bienvenues.

Ce rapport est un droit de suite révisionnel, mais le rapport de 2022 conserve toute son actualité et reste le rapport étalon. À mon sens, et c'est une proposition que je fais à notre président, nous devrions faire un rapport d'étape tous les deux ans afin de voir comment la situation évolue.

Certains d'entre vous ont considéré que le terme de régulation était tabou. Je vous faire part de ma conviction, qui n'a pas varié : à terme, on ne pourra pas se passer d'une régulation complète. On n'y coupera pas !

Cependant, je me dois d'être pragmatique : le numerus clausus a disparu, mais nous n'en verrons les effets qu'à partir de 2028 au mieux. Jusque-là, nous allons continuer à perdre des médecins, compte tenu des départs à la retraite et du temps nécessaire à la formation d'un praticien. Il est donc pour le moment impossible de mettre en place une régulation ambitieuse, par exemple dès 2025, en raison d'effectifs insuffisants. Nous devons attendre a minima 2028, mais il faut préparer cette échéance en faisant du prévisionnel. C'est pour cette raison que j'ai été conquis par l'exemple allemand ; je n'ai pas changé sur ce point.

Dans l'intervalle, nous n'avons d'autre choix que de déléguer des compétences. Je dis bien « déléguer » et non pas « transférer », pour ne pas heurter les médecins, qui ont peur de se voir dépossédés. J'y insiste, le médecin reste bien l'autorité supérieure des soins, le sachant, mais il doit accepter de se faire seconder par ces deux professionnels incontournables que sont le pharmacien et l'infirmier diplômé d'État (IDE). Le pharmacien, notamment grâce à la téléconsultation, et l'IDE doivent pouvoir exercer plus de compétences. Puisque leurs ordres professionnels nous assurent qu'ils en sont capables, n'hésitons pas à l'inscrire dans la loi ou le règlement !

Le ministère de la santé nous dit que 87 % du territoire est sous-doté, mais ce chiffre ne veut pas dire grand-chose, tant les situations sont contrastées. En gros, on peut répartir les territoires en trois catégories selon la gravité de la situation, mais il faut reconnaître que celle-ci est correcte dans certains territoires.

En réalité, il me semble que les arguments développés par l'administration de la santé sont surtout des excuses pour ne pas avoir à prendre de mesures coercitives. De même, la commission des affaires sociales de notre assemblée a eu tendance à ne proposer que des mesures incitatives. En cela, elle fait le jeu des syndicats et de l'ordre des médecins, qui sont de véritables citadelles.

Certains préconisent d'imiter totalement les Allemands, en laissant la profession s'organiser elle-même. C'est méconnaître la réalité du système de cogestion allemand, très différent du système français. Il est bien entendu attrayant d'associer la profession, mais il ne faut pas lui laisser encore dix ans. Si rien n'est fait dans deux ans, nous devrons intervenir par la loi.

Soyons optimistes, mes chers collègues : la situation tend à s'améliorer, mais nous devons aller vers plus de contraintes.

Je crains d'avoir été mal compris sur la recommandation n° 7. On reproche aux médecins de ne plus faire de déplacements à domicile, mais ceux-ci nous expliquent avoir de plus en plus de difficultés à circuler et à stationner dans les grandes villes et les métropoles. L'idée est d'encourager les collectivités à se saisir de ce problème, par exemple en autorisant plus de places de stationnement aux médecins en intervention ou en les autorisant à rouler dans les couloirs de bus. Cela n'entraînerait aucune charge financière supplémentaire pour les collectivités.

En ce qui concerne les classes préparatoires « talents médicaux » de la recommandation n° 31, il s'agit de permettre à des jeunes sélectionnés dans les territoires sous-denses de progresser dans leurs études, tout en sachant qu'ils seront plus facilement disposés à s'installer dans leur région d'origine.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué leurs expériences de « deal » avec des praticiens, notamment sur les loyers, pour les convaincre de venir s'installer dans une zone sous-dotée. J'en ai moi-même connu. C'est une pratique qui existe, même si elle tend à reculer. Comme les maisons de santé se développent, le jeu de la concurrence s'estompe. Les cabinets de recrutement ont également normalisé, voire moralisé leurs pratiques, et les élus locaux tombent de moins en moins dans le piège du chantage.

Pour tout dire, j'aurais même souhaité proposer que les loyers soient les mêmes partout afin d'éviter cette surenchère dans les demandes d'avantages. Du reste, ne perdons pas de vue que ce type d'installations est en moyenne subventionné à 80 % par les collectivités, les 20 % restants étant couverts par l'emprunt du médecin - c'est en fait ce que couvre le loyer.

Nous avons calqué la carte du vote pour les extrêmes, notamment pour l'extrême droite, aux scrutins de 2024 sur celle des déserts médicaux : elles correspondent parfaitement ! C'est pourquoi je suis persuadé que nous devons reprendre la main, via la régulation. Il s'agit d'un enjeu politique majeur. Nous aurons d'ailleurs un premier test de notre capacité à réguler en orientant l'installation lors de l'arrivée des 3 900 médecins juniors en 2026. Il ne faudra pas céder à la tentation des CHU de récupérer ces internes pour répondre à leurs propres difficultés.

Pour finir, je reviens à la recommandation n° 1, qui est un premier pas vers la régulation de l'installation. Elle ne pourra être mise en place que par le conventionnement ou le non-conventionnement avec l'Assurance maladie.

En votant les 38 recommandations de ce rapport d'information, nous nous donnerons un peu plus les moyens de pousser les médecins à s'installer là où nous voulons qu'ils s'installent, et nous confierons des compétences à deux professions qui n'en ont pas suffisamment aujourd'hui pour pouvoir soigner les Français de manière correcte.

Il faut que le législateur s'empare du sujet. Nous n'avancerons pas en nous en remettant aux seules habitudes du Conseil national de l'ordre des médecins ! Le 29 octobre dernier, devant la commission des affaires sociales, son vice-président affirmait une nouvelle fois que les 3 900 jeunes qui seront formés seront l'alpha et l'omega de la réponse aux déserts médicaux.

Je n'y crois absolument pas. Nous devons, mes chers collègues, prendre nos responsabilités !

M. Jean-François Longeot, président. - Au travers de ce rapport d'information, vous avez pris les vôtres, mon cher collègue. Vous nous avez fixé une ligne de travail. Nous ne devons pas nous arrêter là.

Mes chers collègues, j'en appelle à la solidarité au sein de notre commission pour que nous puissions passer à l'action. Notre chemin est semé d'embûches : l'ordre des médecins, les Jeunes médecins, les ministères, quels qu'ils soient - je m'en suis rendu compte en préparant mes deux rapports de 2016 et 2020. La position de la commission des affaires sociales peut différer de la nôtre. Il faut que ce soit nous qui donnions le la, qui montrions la voie.

Voter en faveur de ces travaux, ce n'est pas seulement reconnaître le travail du rapporteur : c'est, surtout, oeuvrer en faveur de nos concitoyens. Sur le terrain, on nous parle constamment de l'accès aux soins. C'était déjà l'un des thèmes de la campagne pour l'élection présidentielle.

C'est la vision de notre commission qui doit l'emporter au sein du Sénat. Il faut que nous puissions unir nos forces pour convaincre nos partenaires potentiels. Nous devons montrer que notre commission est celle qui a travaillé, qui a réfléchi, en associant l'ensemble de ses commissaires.

À cet égard, un vote unanime servirait l'intérêt général. C'est ce qui doit primer ! C'est en considérant l'intérêt général que nous ferons avancer les choses.

Les territoires riches ont les moyens de faire monter les enchères pour attirer les médecins. Il faut reconnaître que l'on en manque aujourd'hui.

Marie-Claude Varaillas a rappelé que plus de 70 % des médecins étaient des femmes. Il faut respecter le temps partiel, mais cela implique qu'il faudra plus de médecins qu'il n'en fallait hier.

Ce rapport traduit une volonté forte. Nous sommes sur la voie de la réussite. Je le voterai avec enthousiasme. Les membres de mon groupe le voteront également.

Merci, monsieur le rapporteur, de votre travail.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

Désignation d'un membre du Bureau

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, lors de la réunion du Bureau de notre commission le 30 octobre dernier, Didier Mandelli nous a informés de son souhait de renoncer à ses fonctions de premier vice-président. Nous avons pris acte de sa décision.

Je tiens à le remercier pour les échanges constructifs que nous avons eus lors de chacune de nos réunions depuis que je préside cette commission et de sa participation active à la gouvernance de celle-ci, au sein de notre instance collective. Je suis sûr qu'il apportera la même valeur ajoutée à l'instance collégiale à laquelle il appartient désormais en sa qualité de vice-président du Bureau du Sénat.

Je vous rappelle que, en application de l'alinéa 9 de l'article 13 du Règlement du Sénat, « en cas de vacance d'un poste de vice-président ou de secrétaire, le groupe intéressé fait connaître au président de la commission le candidat qu'il propose. »

Compte tenu de la proposition formulée par le groupe Les Républicains, je vous propose de désigner M. Philippe Tabarot comme premier vice-président.

M. Philippe Tabarot est désigné premier vice-président.

Mission d'information sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec) - Création de la mission et désignation des rapporteurs

M. Jean-François Longeot, président. - Mercredi 16 octobre dernier, le Bureau de la commission a acté le principe de la création d'une mission d'information sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec).

Quatre ans après l'entrée en vigueur de cette loi, nous commençons à observer l'impact des filières à responsabilité élargie du producteur (REP) sur la compétitivité de nombreux acteurs économiques, alors que les écocontributions payées par les producteurs en application du principe pollueur-payeur montent progressivement en charge.

En parallèle, les résultats environnementaux attendus ne sont pas toujours au rendez-vous : les objectifs de recyclage des emballages plastiques ne sont pas atteints, ce qui conduit la France à payer, chaque année, une contribution de 1,5 milliard d'euros à l'Union européenne, comme nous l'avons évoqué pas plus tard que la semaine dernière au cours de l'audition de la ministre Agnès Pannier-Runacher. Les objectifs de collecte ne sont pas davantage atteints, tandis que le réemploi et la réutilisation, qui, dans l'esprit de l'économie circulaire, doivent être privilégiés, restent encore balbutiants.

Enfin, la mise en place de certaines des nouvelles filières REP créées par la loi Agec est particulièrement laborieuse.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable doit prendre toute sa place dans le débat public pour éclairer au mieux le législateur, en menant ses propres travaux d'évaluation. Nous avons été alertés, Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études Économie circulaire, et moi-même, sur ces signaux et sur la nécessité d'un travail du Sénat. Le Bureau de la commission a pleinement approuvé cette démarche. C'est pourquoi nous avons décidé de lancer une mission interne d'information sur le bilan de la loi Agec de 2020.

Afin d'associer le plus largement possible les commissaires à ces travaux, il a été décidé qu'un corapporteur issu d'un groupe minoritaire serait désigné et que l'ensemble des commissaires qui le souhaitent pourraient assister aux auditions des rapporteurs.

J'ai reçu les candidatures de Marta de Cidrac et de Jacques Fernique. Je vous propose de les désigner rapporteurs.

La commission désigne Mme Marta de Cidrac et M. Jacques Fernique rapporteurs de la mission d'information sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec).

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je vous félicite et vous souhaite bon courage pour engager le travail qui vous attend. Nous y porterons une très grande attention.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Bien évidemment, mes chers collègues, les auditions seront ouvertes à tous. Nous mènerons notre travail de manière transpartisane et ouverte.

Le sujet est éminemment important pour nos collectivités. Je ne doute pas que vous en ayez parfaitement conscience !

M. Jacques Fernique, rapporteur. - J'insiste sur la nécessité d'une collaboration transpartisane.

Nous avons à comprendre pourquoi, cinq ans après la loi Agec, 40 % des déchets qui sont théoriquement soumis à REP échappent encore à la collecte. Nos objectifs de recyclage ne sont pas atteints, et ceux du réemploi le sont encore moins. Il nous faudra étudier comment nous pouvons rectifier cette tendance, surtout que ce sont les collectivités qui paient les pots cassés de ces trajectoires non réalisées.

Communication

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, avant que nous nous quittions, je souhaite faire un rapide rappel de la réglementation relative aux obligations de présence aux réunions de notre commission mentionnées à l'article 23 bis du Règlement du Sénat.

Pour les travaux de commission, qu'elle soit permanente ou spéciale, les obligations de présence s'appliquent uniquement aux réunions convoquées le mercredi matin et consacrées à l'examen de projets de loi, de propositions de loi ou de résolution. Trois critères cumulatifs sont donc à retenir : mercredi, matin et législatif, d'où l'appellation de « réunions MML ». Ces réunions sont mises en valeur dans vos convocations et dans le calendrier prévisionnel par la présence d'un double encadré.

J'appelle votre attention sur nos réunions du mercredi matin des 20 et 27 novembre et du 4 décembre prochains, qui seront des MML et au cours desquelles l'absence sera donc décomptée.

J'attire votre attention sur le fait que sont également visés à l'article 23 bis du Règlement du Sénat les séances de questions d'actualité au Gouvernement et les votes, y compris les explications de vote, sur les projets de loi et propositions de loi ou de résolution déterminés par la Conférence des présidents.

Bien entendu, le Règlement du Sénat prend en compte la spécificité de nos collègues ultramarins. Par ailleurs, des motifs de dérogation sont prévus à l'article 23 bis du Règlement, auquel je vous invite à vous reporter.

La réunion est close à 11 h 10.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation

M. Jean-François Longeot, président. - Madame la ministre, vous connaissez le lien singulier et fort qui unit le Sénat aux territoires, ainsi que la capacité des sénateurs à se faire les relais des préoccupations des élus locaux. Aussi, alors que votre audition s'inscrit dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, ne soyez pas étonnée que nos interrogations ne se limitent pas à la sphère budgétaire.

Lors de votre audition du 29 octobre dernier devant nos homologues de l'Assemblée nationale, vous avez insisté sur l'impérieuse nécessité qu'aucun territoire ne se sente abandonné ; nous partageons cet objectif. L'État doit se rapprocher des territoires et trouver le moyen de répondre aux demandes d'accompagnement des élus des communes les plus rurales.

C'est pour nous l'occasion de faire un point sur une réforme à laquelle nous sommes très attentifs, celle du dispositif des zones de revitalisation rurale (ZRR), devenu France Ruralités Revitalisation (FRR). Il conviendra aussi de nous arrêter sur l'action que le Gouvernement entend mettre en oeuvre pour dynamiser les territoires, en tenant compte de leurs singularités, mais aussi pour faire mûrir et accompagner les projets de développement.

D'abord, la question du zonage du dispositif FRR nous tient particulièrement à coeur. Dès 2019, notre collègue Rémy Pointereau a insisté sur la nécessité de réviser les critères de classement des communes en ZRR, afin de tenir compte des fragilités des territoires ruraux avec davantage de justesse. Ce travail prolongé en 2023 a donné lieu au dépôt d'une proposition de loi, en mai de la même année. Comme vous le savez, la loi de finances pour 2024 a réformé le dispositif des ZRR, ce qui a eu pour effet malheureux d'écarter près de 2 200 communes qui en bénéficiaient, alors que le Sénat avait alerté à de nombreuses reprises sur les effets de bord d'une telle réforme. Le PLF pour 2025 procède à leur réintégration, ce que nous saluons unanimement.

Néanmoins, à la lecture de l'article 27 du PLF, nous constatons que l'intégration de ces « communes rattrapées » n'est prévue qu'à titre dérogatoire et transitoire, jusqu'en 2027. Quelles raisons ont justifié une telle décision ? Pourquoi ne pas avoir choisi une révision des critères de classement, plutôt qu'une mesure qui semble faire office de rustine ? Ainsi, vous auriez pu assurer une meilleure sécurité juridique du dispositif et permettre aux communes concernées de s'inscrire dans le temps long.

À propos des crédits du programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire », dont vous avez la responsabilité, qui accueillent les crédits liés aux espaces France services, un rapport paru en septembre dernier de la Cour des comptes a souligné les réussites de ce dispositif et la satisfaction de nos concitoyens à leur égard. Toutefois, la Cour estime aussi que le réseau pourrait davantage tenir compte des spécificités des territoires et gagnerait à mieux connaître les publics qui les composent. Quelles mesures sont envisagées pour répondre à ce besoin toujours grandissant de proximité ?

Le tour d'horizon des dossiers composant votre portefeuille serait incomplet si nous n'évoquions pas le fonds vert. Les élus locaux apprécient la mécanique de ce fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, en raison de la facilité d'accès aux crédits mobilisables et de la gestion déconcentrée par le préfet, qui garantit un versement des sommes par un tiers ayant une bonne connaissance du territoire. Sa dynamique ne se dément pas cette année, avec plus de 12 000 dossiers déposés par les collectivités et près de 5 000 projets financés. Cependant, les autorisations d'engagement (AE) ont drastiquement chuté, jusqu'à 1 milliard d'euros, au lieu des 2,5 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale. Le montant du fonds a diminué en cours de gestion en raison des gels et annulations de crédits de 500 millions d'euros en AE et 430 millions d'euros en CP.

J'aimerais connaître votre sentiment quant à l'avenir de cette enveloppe, qui participe à la transition concrète des territoires, grâce à des projets d'adaptation et d'atténuation qui prennent différentes formes : prévention des inondations, recyclage des friches, rénovation des bâtiments publics, renaturation ou encore adaptation au recul du trait de côte. En gardant à l'esprit l'intérêt indéniable des sommes mobilisées et la puissance de l'effet de levier de ce type de soutien public, quels choix serez-vous prête à faire au nom de la rigueur budgétaire ?

Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. - Je suis très heureuse d'intervenir devant votre commission, monsieur le président, et mesure bien le lien singulier et fort qui existe entre le Sénat et nos territoires.

L'action territoriale de l'État est essentielle au développement des territoires et doit être préservée, y compris dans des périodes de forte contrainte budgétaire. Je n'insisterai pas sur le contexte particulier dans lequel ce PLF a été élaboré. Nous devons fournir un effort budgétaire exceptionnel, qui exige un sursaut collectif de toutes les composantes de l'action publique.

J'en viens à la réforme du dispositif des ZRR et au rattrapage des 2 168 communes sortantes. Ma prédécesseure avait proposé des modifications et Gabriel Attal avait procédé à un arbitrage en juin dernier. Ce n'est pas à vous que je vais expliquer que ce qu'un texte de loi a fait, seul un texte de loi peut le modifier. Aussi, le PLF 2025 a été l'outil législatif retenu pour réintégrer les 2 168 communes concernées.

Pour l'immense majorité des communes classées en FRR, le zonage s'étend jusqu'à 2030. Pour autant, les 2 168 communes réintégrées ne le sont que jusqu'à la fin de l'exercice 2027, avec un effet rétroactif pour 2024. Le Gouvernement sera vigilant et étudiera les différentes propositions en la matière. Pour autant, je rappelle qu'il s'agit de communes qui ne répondent pas aux critères adoptés par la représentation nationale.

Je rappelle que ce PLF prévoit également l'application d'un régime de zonage intégral pour les communes créées au 1er janvier 2024, parmi lesquelles une au moins est classée en FRR. Les autres sont considérées comme rurales selon la grille communale de densité de l'Insee. Cette précision est importante compte tenu des débats que vous aviez eus sur le sujet.

L'aménagement du territoire repose sur la contractualisation comme sur l'expertise et l'appui. Il constitue le ferment du rôle de l'État au plus proche de nos concitoyens, un soutien quotidien aux collectivités, aux élus et à ceux qui vivent dans notre pays.

D'abord, nous menons une démarche contractuelle et partenariale. Le programme « Impulsion et coordination des politiques d'aménagement du territoire » porte la part de mon ministère pour les contrats de plan État-régions (CPER) et les contrats pour la réussite de la transition énergétique (CRTE). L'extinction des paiements des contrats de précédentes générations conduit à une réduction budgétaire qui rend cette part minoritaire. Le programme 112 comprend également une partie des financements consacrés aux pactes territoriaux. L'État initie des actions dédiées à des espaces territoriaux particuliers sur la base de problématiques spécifiques, comme dans le cas de l'engagement pour le renouveau du bassin minier.

Notre action repose aussi sur une démarche d'expertise et d'appui aux citoyens, aux élus et aux collectivités, qui passe par les moyens de la direction générale des collectivités locales (DGCL) et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Vous avez évoqué la proximité, qui est au coeur des programmes portés par mon ministère. L'État a développé plusieurs dispositifs dont la proximité est assurée par les espaces France services. Ce modèle d'accès aux services publics place la quasi-totalité de nos concitoyens à moins de vingt minutes d'un lieu où ils sont accompagnés et écoutés. Ce dispositif compte onze opérateurs, et bientôt douze, puisqu'au 1er janvier 2025, l'Urssaf s'y joindra. Ces opérateurs sont directement impliqués dans plus de 2 800 établissements et plus d'un million de contacts sont établis chaque mois, pour un taux de satisfaction supérieur à 85 %. Nous avons donc atteint notre objectif pour 2026 en termes de nombre de contacts ; je le souligne, car il est rare que nous dépassions nos objectifs.

Nous consacrons 65 millions d'euros à ce dispositif vital, dans l'esprit de service qui nous anime. Nous ajouterons 5 000 euros de fonctionnement par maison et valorisons particulièrement les zones rurales, dans lesquelles les maisons des communes classées FRR recevront encore 5 000 euros supplémentaires, ce qui portera leur budget à un total de 50 000 euros.

Un système d'évaluation régulière est mis en place, qui permet d'évaluer les maisons dans leur environnement, grâce à des échanges menés avec les élus des territoires. Ce système nous permet de savoir si nous répondons bien à l'objectif premier de ce dispositif : la proximité avec nos concitoyens.

Les personnels font l'accueil et les missions sont ensuite effectuées par les représentants des différents organismes, qui sont en lien avec les maisons France services.

La notion de proximité avec les élus repose aussi sur une offre forte en matière d'ingénierie. Aucun territoire ne doit se sentir exclu de l'appui technique ou privé du développement de son projet en raison d'un manque de moyens. C'est la vocation de l'offre de services dont l'ANCT est l'intermédiaire, qui opère les rapprochements nécessaires avec d'autres établissements publics compétents, comme le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Je peux aussi évoquer l'appel d'offres passé par l'ANCT, qui permet l'accès à certaines prestations d'ingénierie.

Il existe aussi des dispositifs d'accompagnement adaptés aux territoires pour permettre de territorialiser l'action publique de l'État. Ainsi, « Villages d'avenir » regroupe 1 500 projets portés par des communes de moins de 3 500 habitants dans 95 départements et animés par 120 chefs de projet au premier trimestre 2024, pour un coût de 8 millions d'euros.

Le dispositif « Petites villes de demain » regroupe plus de 1 600 collectivités, rurales pour la plupart, engagées pour cinq ans, jusqu'en 2026. Sur la durée du mandat, près de 3 milliards d'euros sont financés par l'État ou ses agences. Dans ce cadre, 1 187 collectivités ont signé une opération de revitalisation des territoires et plus de 900 chefs de projet sont financés par l'État et ses partenaires, à hauteur de 75 %.

Le programme « Action coeur de ville » permet de soutenir les communes de 10 000 à 100 000 habitants dans le cadre d'une politique partenariale décentralisée et déconcentrée, qui déploie des aides en matière d'ingénierie et d'investissement, pour rénover les logements, les commerces et les espaces publics. Le dispositif mobilise des partenaires tels qu'Action Logement, l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ou encore la Banque des territoires. Ce programme bénéficie à 245 communes et plus de 9,2 milliards d'euros ont déjà été engagés. Ainsi, 275 000 logements sont subventionnés, notamment à travers MaPrimeRénov' ; 30 000 logements sont réhabilités ou construits par Action Logement ; plus de 500 locaux commerciaux sont soutenus par le fonds de restructuration des locaux d'activité, dans 51 villes. De plus, 233 villes sont couvertes par une opération de revitalisation des territoires et près de 1 000 dossiers sont soutenus par le fonds vert, pour un financement s'élevant à 400 millions d'euros.

Enfin, le programme « Territoires d'industrie », qui constitue le volet territorial de la politique industrielle, repose sur l'accompagnement des bassins d'emploi les plus industriels dans leur stratégie de développement. Nous en comptons 183, qui associent 603 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et représentent plus de 2 millions d'emplois.

Ensuite, l'État accompagne l'investissement des collectivités. Le PLF prévoit le maintien des montants de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).

Vous avez évoqué, monsieur le président, l'évolution du fond vert. Nous poursuivons toujours l'objectif d'accélérer la transition énergétique des territoires en accompagnant les collectivités territoriales. Le PLF pour 2025 acte un montant de 2,5 milliards d'euros. À cet égard, je me permets de rappeler que le gel du début de l'année avait arrêté le programme à 2 milliards d'euros. Au titre de l'exercice 2023, 1,7 milliard d'euros ont été consommés.

Je mets aussi en avant le puissant effet levier du fond vert - 1 euro pour 7 euros. Ce programme très important obtient des résultats démontrés en termes d'impact écologique. À titre d'exemple, les économies d'énergie s'élèvent à 50 % pour la rénovation des bâtiments publics et des écoles.

Par ailleurs, la DETR est de plus en plus utilisée pour soutenir des projets de verdissement. Il nous faudra peut-être mener une réflexion sur ces différentes dotations et sur un possible fléchage grandissant vers des démarches environnementales. En 2025, je souhaite d'ailleurs commencer ces travaux de rapprochement avec les autres dotations de l'État, parce que nous savons combien aider les collectivités dans leurs démarches de verdissement est essentiel. À cet égard, je rappelle le rôle des préfets et des sous-préfets pour guider les élus vers les dispositifs les plus appropriés.

Pour en revenir aux espaces France services, quelques statistiques permettent un retour d'expérience sur leur utilisation. Ainsi, un visiteur sur cinq a mené des démarches liées à sa retraite auprès de la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA). Près d'un visiteur sur cinq s'est également préoccupé de ses titres d'identité et de voyage avec l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), 17 % d'entre eux ont échangé avec la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et 13 % ont compté sur la caisse d'allocations familiales (CAF) et France Travail pour leurs démarches de solidarité et d'insertion. Enfin, 12 % ont été en rapport avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) pour évoquer leurs impôts.

Je suis très vigilante quant à l'évaluation de la performance de ces structures par ses usagers. Il ne s'agit pas de nous contenter du succès rencontré, mais bien de poursuivre dans cette voie pour répondre au mieux aux demandes des élus et de nos concitoyens.

Nos partenaires ont aussi envie de s'impliquer ; je pense notamment à La Poste et à la SNCF.

Enfin, j'ouvre la réflexion sur la notion d'échange entre les collectivités et les différentes strates. Ce type d'échange existe déjà en matière de cofinancement, mais pourrait se développer dans le domaine de l'accompagnement technique. En matière d'ingénierie, l'État local est souvent animateur et il doit conserver ce rôle. Je connais les liens entre les collectivités et je pense qu'il est important de faciliter la manière dont on peut travailler ensemble, notamment dans les démarches de simplification et d'économie qu'il nous faudra mettre en oeuvre.

À ce titre, nous aurons peut-être à travailler ensemble sur des questions évoquées depuis des années, comme celle des instructions uniques pour certains dossiers, qui éviterait aux collectivités d'avoir à en remplir plusieurs pour un même projet.

Nous devons être innovants, trouver le bon niveau de soutien pour les élus comme pour les collectivités. Je m'inscris à vos côtés dans cette démarche, qui participe de la volonté de dialogue du Gouvernement.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis des crédits relatifs à la politique des territoires. - En ma qualité de rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la politique des territoires, je m'intéresse particulièrement à quatre enjeux de ce projet de loi de finances.

Le premier enjeu est celui du budget accordé au fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) pour sa section locale. Pour rappel, ce fonds sert à financer des projets portés par les collectivités locales et les acteurs locaux, dans l'objectif de dynamiser le développement des territoires et de réduire les disparités régionales. Entre la loi de finances initiale pour 2024 et le PLF 2025, le montant de la section locale du FNADT dégringole de près de 84 %, passant de 134 millions à 21 millions d'euros. Or les montants contractualisés dans le cadre des CPER sont considérables, atteignant près d'un milliard d'euros pour la période 2021-2027, sans compter les montants qui doivent encore être décaissés pour les contrats de précédentes générations. Je m'interroge sur cette diminution sèche et quelque peu sévère ; comment la justifiez-vous ?

Le soutien et le financement des opérateurs du programme 112, notamment de l'ANCT, constituent le deuxième enjeu. À cet égard, les crédits alloués à cet opérateur diminuent, passant de 81,5 millions à 64 millions d'euros, soit une baisse de 21 %. Je salue ce réalisme budgétaire et reconnais la nécessité de faire mieux, ou à tout le moins aussi bien, avec des moyens inférieurs. Ces efforts budgétaires nécessaires relèvent de notre responsabilité de parlementaires.

À ce propos, je profite de cette intervention pour recueillir votre ressenti sur le sujet des agences et de leur multiplication. Dans mon précédent avis budgétaire, j'avais qualifié ce phénomène d' « archipellisation ». Quel est votre point de vue sur ce sujet essentiel de rationalisation et de bonne gestion des deniers publics ?

J'en viens au troisième enjeu : les crédits destinés au plan « Marseille en grand ». Je me concentrerai sur les 56,8 millions d'euros de crédits ouverts au sein du programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs gouvernements », au titre du financement du volet « école » de ce plan massif, estimé à 5 milliards d'euros d'investissement. La Cour des comptes, dans un rapport accablant paru le 21 octobre dernier, fait état d'un suivi lacunaire par l'État et se révèle particulièrement critique quant à la mise en oeuvre du plan. Ce plan a-t-il encore un avenir, alors que les dépenses budgétaires sont de plus en plus contraintes ? Ne faudrait-il pas réfléchir à une rationalisation des crédits destinés à ce volet au sein du PLF pour 2025 ?

Enfin, je souhaite abonder dans le sens de notre président sur la réforme des ZRR. L'article 27 de la première partie du PLF a été voté par les députés, mais amendé au bénéfice d'une prolongation du dispositif jusqu'en 2030 plutôt que jusqu'en 2027, comme vous l'aviez prévu. Certes, cette première partie a été rejetée et il revient au Sénat de procéder à l'examen de l'article dans sa version initiale. Cette réforme ne faisant visiblement pas l'unanimité, ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat, quelles pistes envisagez-vous pour le futur ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Effectivement, les crédits alloués au FNADT connaissent une baisse importante. Pour autant, les moyens d'intervention sont préservés pour les programmes de l'ANCT, France Services, « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain ». Les enveloppes locales du FNADT baissent de manière transitoire. Une extinction progressive des précédents contrats de plan est en cours et les paiements sont lissés. Je me permets de rappeler que les crédits du FNADT sont sous-exécutés, ce qui tient notamment au temps nécessaire à la réalisation et aux paiements.

En ce qui concerne l' « archipellisation » des agences, je partage votre analyse. Le Premier ministre a donné consigne à chacun des ministres de procéder à une analyse de coût-bénéfice pour chacune des agences relevant de son domaine de responsabilité. L'objectif est bien de travailler à une rationalisation. En parallèle, le sujet des normes se pose. Avec Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics, nous avons confié une mission à Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, pour approfondir le rapport sur le coût du millefeuille administratif. Il s'agit d'apprécier les normes non pas en termes de ce qu'elles pourraient potentiellement produire, mais du coût qu'elles pourraient générer. L'objectif est de pouvoir proposer rapidement des trains de mesures de suppression de normes. Gilles Carrez, le président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) ne manque jamais de rappeler que, bien que le Conseil soit régulièrement consulté, le Gouvernement passe régulièrement outre son avis. Il y a là une source d'économies non négligeable.

En ce qui concerne le plan « Marseille en grand », je voudrais d'abord rappeler que le rapport de la Cour des comptes procédait d'une photographie prise à la fin du mois de décembre 2023. Le jour de la remise de ce rapport, j'étais à Marseille, avec le préfet Christophe Mirmand, et nous avons fait un point global sur ce dossier.

Ce plan comprend la rénovation de 188 écoles sur 478 en fonctionnement, ce qui représente 40 % des établissements ! Marseille fait face à un problème d'indignité des conditions d'accueil des enfants dans les écoles. Les écoles sont de la compétence de la mairie. Il a fallu un peu de temps pour travailler avec la ville de Marseille. Les travaux sont planifiés jusqu'en 2028, avec un objectif de 81 écoles livrées, soit 43 % de l'objectif. Sur la première livraison de 14 écoles, 10 ont été livrées - 6 en septembre et 4 d'ici au mois de décembre. En 2025 seront livrées les 4 dernières écoles de la première étape ; l'appel d'offres pour les 31 écoles de la deuxième phase de ce chantier se poursuivra. En 2026 et 2027, nous verrons la livraison de ces 31 écoles et le début des chantiers pour les 36 écoles de la troisième phase.

Nous avons considérablement avancé sur ce chantier avec l'arrivée en outre d'une sous-préfète en milieu d'année. Je suis consciente de l'importance de ce programme et de la nécessité d'une coordination pour le mener à bien. Au-delà des écoles, le transport et le logement sont des sujets majeurs. Le Premier ministre a souhaité que nous revisitions l'ensemble des différents chantiers, preuve de notre vigilance dans le suivi de ce dossier.

M. Jacques Fernique. - Madame la ministre, certes, un sursaut collectif s'impose face à l'état de nos finances publiques. Mais l'effort imposé aux collectivités me semble disproportionné. De manière directe ou indirecte, si l'on cumule les 5 milliards d'euros prélevés sur le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) et le fonds de précaution, le gel de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et de la fraction reversée de la TVA, la saignée concernant le fonds vert et les subventions d'investissement, sans compter les baisses de crédit aux missions locales ou encore aux contrats aidés, la moitié des économies de 25 milliards d'euros du PLF sera supportée par les collectivités.

Cela soulève la consternation parmi les élus, à tous les niveaux des collectivités. Madame la ministre, comment assumez-vous les deux traductions concrètes pour nos territoires de cette restriction d'ampleur ? Je pense, premièrement, à la détérioration des services publics locaux qui va en résulter, avec des problématiques impossibles d'arbitrage pour les élus locaux ; deuxièmement, à la récession qu'entraînera cette lourde atteinte à l'investissement local. L'activité économique et l'emploi dans les territoires vont souffrir de cette décision, et les investissements de la transition écologique décentralisée en pâtiront aussi. Comment animer le partenariat avec les territoires quand on les envisage comme des variables d'ajustement budgétaire de l'État ?

Dans ce contexte budgétaire hostile, ne pensez-vous pas qu'il convient de donner davantage de liberté aux territoires en charge des mobilités, de manière à ce qu'ils puissent actionner le levier du versement mobilité (VM) pour le dispositif du contrat rural Île-de-France, et que la promesse d'équité territoriale puisse progresser pour les transports du quotidien ?

M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis des crédits relatifs au transport routier. - Je souhaite évoquer les mobilités du quotidien, sujet prioritaire de votre ministère si j'en crois vos récentes déclarations, ainsi que celles de François Durovray, entendues il y a deux semaines par notre commission.

Lors de votre audition à l'Assemblée nationale le 29 octobre dernier, vous avez annoncé une réflexion en cours sur de possibles évolutions du versement mobilité. Les débats sur le PLF ont fait émerger de nombreuses options : déplafonner le VM ou en rehausser le plafond pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) locales de province ; permettre aux régions de bénéficier du VM ; contribuer au développement des services express régionaux métropolitains (Serm) en tant qu'AOM régionale, ou mettre en place des services de mobilité se substituant aux comités de communes non saisis de la compétence mobilité ; ou bien encore, déplafonner le cumul entre VM et versement mobilité additionnel (VMA) au bénéfice des syndicats mixtes SRU.

Aucune de ces pistes, comme on le sait, n'a passé le cap de l'Assemblée nationale. Le Gouvernement s'est dit ouvert à l'idée de flécher une part du VM vers les régions pour financer les Serm. Cette proposition ne semble pas faire l'unanimité, notamment parmi les intercommunalités qui y voient un risque de perte de marge de manoeuvre pour le prélèvement du VM sur leur propre tissu économique.

Comment envisageriez-vous l'articulation d'un VM régional avec le VM actuel prélevé par les AOM locales ?

D'autres recettes pourraient être fléchées vers les régions ; je pense au produit des recettes du système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, comme l'avait préconisé le Sénat, ou encore aux recettes tirées des concessions autoroutières. Que pensez-vous de ces pistes de financement ?

À cette liste, j'ajoute l'écotaxe sur les poids lourds. Celle-ci peut être mise en place depuis le 1er janvier dernier par les régions susceptibles de subir un report significatif du trafic de poids lourds du fait de l'instauration d'une écocontribution sur un territoire limitrophe. La nécessité de doter les régions de ressources financières dédiées au transport, neutres pour le budget de l'État, ne justifierait-elle pas de rouvrir le débat sur une généralisation de l'écotaxe ?

Je souhaite évoquer la problématique des mobilités en zones peu denses. Entre la baisse de 60 % des autorisations d'engagement allouées au fonds vert en 2025, l'amputation des moyens de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et les 5 milliards d'euros d'économies demandées aux collectivités territoriales, le contexte budgétaire ne fera que fragiliser encore davantage la capacité des petites collectivités à développer des projets de mobilité.

Dans quelques semaines, nous fêterons le cinquième anniversaire de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), qui avait fixé l'objectif de mettre fin aux zones blanches de la mobilité. Ne serait-il pas temps d'aller au bout de cette ambition, en permettant aux AOM des zones rurales de disposer d'une ressource pérenne, à l'abri des aléas budgétaires, pour développer leur offre de mobilité ?

Le VM peut sembler un outil tout indiqué. Or, comme vous le savez, de nombreuses communautés de communes sont dans l'impossibilité de prélever cette ressource, la loi conditionnant la possibilité de lever le VM au fait d'organiser des services réguliers de transport public de personnes, ce qui est rarement pertinent en zones peu denses. Quel regard portez-vous sur l'idée d'élargir la possibilité de lever le VM dans les communautés de communes en prenant en compte un bouquet de mobilité comprenant notamment le covoiturage et le transport à la demande ?

À défaut, et dans l'hypothèse où les régions se verraient autorisées à lever le VM, celles-ci pourraient-elles jouer un rôle pour soutenir les projets de mobilité des communautés de communes AOM qui n'ont pas la possibilité d'utiliser cet outil ou n'ont pas les ressources fiscales pour le faire ?

Enfin, je souhaite aborder le sujet du leasing social, dont la reconduction en 2025 a été annoncée par le Gouvernement. Les contours de cette reconduction restent flous. En 2024, selon des chiffres publiés récemment, le leasing social aurait majoritairement bénéficié - à plus de 60 % - aux déciles de revenus 4 et 5, alors que la cible annoncée portait sur les ménages les plus modestes.

Des articles de presse ont dénoncé le fait que des étudiants de grandes écoles de commerce en stage, bien qu'issus de milieux aisés, aient pu bénéficier du dispositif. Avez-vous connaissance de ces effets d'aubaine et comment entendez-vous les corriger ?

Allez-vous mettre à profit cette première expérience pour cibler plus efficacement les ménages précaires, notamment dans les zones périurbaines et rurales où la dépendance à la voiture est plus forte ? Pour cela, quel regard portez-vous sur l'idée d'étendre le leasing social aux véhicules électriques d'occasion, plus abordables et dont le marché commence à se développer ? Selon les derniers chiffres, 28 000 voitures électriques d'occasion ont été vendues au premier trimestre 2024.

M. Simon Uzenat. - L'objectif principal de votre gouvernement est la réduction du déficit. Celui-ci, pour une large part, a été creusé par vos récents prédécesseurs. Si les collectivités ont une part marginale de responsabilité concernant la dette, elles n'en ont aucune concernant le déficit. Ces dernières années, nous avons réduit leur autonomie financière et fiscale, en compensant cette réduction par des dotations de l'État. Il y a une forme de malhonnêteté à déclarer aujourd'hui que ces dotations pèsent sur le budget de l'État.

Sur le programme 112, les chiffres sont édifiants, en cohérence avec la démarche globale de programmation budgétaire de votre gouvernement, avec une diminution de 37,6 % des crédits, soit une baisse de 150 millions d'euros en AE par rapport à 2024. En coupant une bonne partie des crédits alloués aux collectivités, celles-ci vont, par la force des choses, moins investir. Cela implique des besoins moindres en ingénierie. Il y a une forme de cohérence dans le dispositif, mais pour autant les questions et les inquiétudes demeurent.

Concernant l'ANCT, la baisse de 18 millions d'euros de ses crédits correspond à une diminution de plus de 20 %, alors même que les besoins d'accompagnement des collectivités, en particulier des petites communes, restent très importants.

Je ne vais pas m'étendre sur le dispositif France Ruralités Revitalisation ; les questions ont été posées. Je partage le besoin de visibilité pour les collectivités, notamment celles qui ne seront concernées que jusqu'en 2027.

Sur le dispositif « Villages d'avenir », j'ai entendu des discours volontaristes, mais des interrogations demeurent en fonction des réalités locales. Dans le Morbihan, le chef de projet devait être recruté en février dernier ; au bout de quelques semaines, il s'est retiré et son remplaçant n'est arrivé qu'au mois de novembre.

On observe une baisse de 80 % des crédits concernant les tiers lieux. Nous serons nombreux, dans les prochains jours, à nous mobiliser pour défendre la cause de ces espaces indispensables, notamment dans les territoires ruraux. Cette chute brutale par rapport aux crédits de 2024 n'est pas compréhensible et met en danger de nombreux projets.

Au sujet du dispositif « Territoires d'industrie », nous avons été nombreux à réagir à la crise qui semble se profiler, avec de nombreux plans sociaux annoncés. Comment entendez-vous mobiliser ce dispositif qui a bénéficié de 70 millions d'euros au titre du fonds vert, dans le contexte actuel des suppressions d'emplois en cascade ?

Beaucoup de choses ont été dites également sur France services. Le chiffre donné sur le nombre de contacts témoigne de cette diminution de la couverture en services publics, en particulier dans les territoires ruraux. Nos concitoyens expriment le besoin légitime de trouver des interlocuteurs. Nous prenons note de la hausse de la participation de l'État, à hauteur de 5 000 euros par espace, auxquels s'ajoutent 10 000 euros dans les zones FRR. Mais cette participation reste insuffisante au regard des besoins de ce dispositif en ruralité, alors même que les 12 opérateurs inclus sont exclusivement nationaux et que ces services sont assurés et financés par l'État.

J'ai eu l'occasion de vous interroger sur les contrats de plan État-région (CPER) mercredi dernier lors des questions d'actualité au Gouvernement et vous aviez exprimé quelques inquiétudes sur les crédits de paiement pour 2025. Qu'en est-il précisément ? Sur les CPER, les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) et, plus globalement, le sujet de la transition écologique, des interrogations demeurent. C'est un peu le brouillard dans la répartition des rôles entre vous et Mme Pannier-Runacher ; a priori, vous auriez la main sur le fonds vert ; pour d'autres dispositifs, ce serait votre collègue. Pour les territoires ruraux, la lisibilité n'est pas évidente.

Sur les crédits consommés dans le cadre du fonds vert, les élus ont entendu les signaux envoyés dès le début de l'année 2024 ; dans beaucoup de territoires, ils n'ont pas jugé opportun de déposer des projets. La DETR et la DSIL, comme vous le reconnaissez, permettent de financer également des projets orientés parfois par les préfectures. Sur ce niveau de consommation du fonds vert, il convient donc d'être prudent.

Concernant les CPER, je vous ai déjà interrogée sur ces ressources attendues par les collectivités régionales ; je pense notamment au VMA déplafonné et à la taxe de séjour additionnelle.

Enfin, vous demandez un effort aux chambres de commerce et d'industrie (CCI) et aux chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), alors même que ce sont des interlocuteurs précieux pour les commerces ruraux. Qu'en est-il précisément ?

M. Sébastien Fagnen, rapporteur pour avis des crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire. - Mon interrogation porte sur les politiques de l'habitat, qui revêtent un caractère stratégique au moment où notre pays traverse une crise du logement et dans un contexte d'économies budgétaires exigées des collectivités locales.

Je souhaite notamment évoquer la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS). Je m'interroge d'abord sur les communes nouvelles. Une commune inscrite dans le décret consacré aux zones tendues, en se groupant avec d'autres communes qui ne sont pas inscrites, perd ce statut, et les communes nouvelles ne sont pas intégrées dans le décret. Des pistes pourraient être explorées afin que cela ne soit pas un frein à la création de communes nouvelles. Une cohérence géographique préside à la création d'une commune nouvelle. Ces communes peuvent avoir en partage des difficultés liées au marché local de l'habitat. Pour autant, toutes les communes historiques devenant communes déléguées n'étaient pas préalablement inscrites dans le décret sur les zones tendues.

Je m'interroge ensuite sur les intercommunalités. Aujourd'hui, le produit de la THRS est perçu par les communes. Les EPCI ne peuvent pas activer ce levier fiscal, alors même qu'ils mènent des politiques de l'habitat à l'échelon local particulièrement ambitieuses, et qu'ils sont le support des programmes locaux de l'habitat. Il est essentiel, à l'échelle des bassins de vie, que des stratégies communautaires puissent être menées à bien avec les moyens financiers afférents. Un amendement a été déposé à l'Assemblée nationale, visant à ce que les EPCI puissent percevoir le produit de la THRS. Hélas, il n'a pas prospéré, ce qui place des intercommunalités dans une situation délicate. Ainsi de Granville Terre et Mer, dans le département de la Manche, dont les recettes fiscales liées à l'économie de production sont faibles. Son économie s'articule principalement autour des services, et notamment du tourisme. Les économies exigées dans le cadre du PLF 2025 obligent cet EPCI à trouver 1,5 million d'euros pour équilibrer son budget de l'année prochaine. Aussi, percevoir la THRS sur un territoire soumis à une vague croissante de résidences secondaires serait une bouffée d'oxygène budgétaire, et permettrait de retrouver des moyens d'action en matière d'aménagement du territoire. Madame la ministre, êtes-vous prête à ouvrir la discussion pour que nous puissions trouver des solutions sur ces points particuliers ?

Mme Marta de Cidrac. - Vous avez évoqué un rapprochement entre les différentes dotations, notamment la DSIL et la DETR. Vous souhaitez parvenir à une forme de simplification, avec une souplesse pour les différentes enveloppes. Ces dotations sont aujourd'hui des soutiens vitaux pour de nombreuses communes. Si l'idée peut paraître séduisante, l'expérience a souvent montré que ce genre de mouvement a souvent pour effet, sous couvert de rationalisation, de réduire les montants alloués aux communes. Et à en juger par les tendances du PLF 2025, nous avons quelques raisons de nous inquiéter. Madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer sur ce sujet ?

Je vous alerte également sur la logique de péréquation, renforcée dans ce PLF. Dans mon département, cette logique met à mal les finances de nombreuses communes. Aussi, juger la richesse d'une commune sur son potentiel fiscal et non sur ses moyens réels me semble un biais problématique, vécu comme une injustice, d'autant qu'il n'existe aucune contrepartie pour les communes concernées.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux paysages, à l'eau et à la biodiversité et à l'expertise, à l'information géographique et à la météorologie. - Je souhaitais vous interroger sur les évolutions du fonds vert, mais vous avez déjà répondu. En dépit de l'intérêt porté par les collectivités, la dotation de ce fonds diminue, passant de 2,5 à 1 milliard d'euros en AE. Nous partageons la nécessité de redresser la trajectoire budgétaire de notre pays, mais ce dispositif apportait des résultats. Sa souplesse d'utilisation, notamment, était appréciée des élus.

En matière d'investissement pour l'adaptation au changement climatique, il est important d'avoir de la prévisibilité. Or, les gels et les annulations de crédits envoient un mauvais signal. Comment envisagez-vous de soutenir les élus locaux dans leurs actions en faveur de l'environnement et de la biodiversité, de sorte que ce soutien soit plus lisible et à l'abri des aléas budgétaires dans les prochaines années ?

Sans diminuer l'enveloppe, on peut diminuer les frais de gestion, réduire le nombre d'interlocuteurs, disposer d'une programmation pluriannuelle des investissements. Il existe des tensions au niveau des ressources humaines dans nos communes, et notamment les communes rurales, concernant les secrétaires de mairie. Nous devons réfléchir à une simplification du montage des dossiers.

Dans mon département de la Mayenne, les élus ruraux font preuve d'une gestion rigoureuse des finances publiques, et les nouvelles contraintes budgétaires sont mal ressenties. Comment le Gouvernement compte-t-il soutenir et reconnaître les collectivités locales vertueuses ? Envisagez-vous des mécanismes de financement ou d'accompagnement spécifiques pour les territoires ayant une gestion exemplaire ?

Dans la mesure où vous êtes en charge de la décentralisation et du renforcement des pouvoirs locaux, comment envisagez-vous de renforcer les compétences locales afin d'avoir davantage d'autonomie et d'efficacité dans nos territoires ? Avec quelles nouvelles ressources comptez-vous financer cela ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - En aucun cas le Gouvernement n'a présenté les collectivités territoriales comme responsables de la situation financière du pays. Dans le contexte que nous connaissons, il leur a simplement demandé de participer au rétablissement des comptes publics, d'abord pour atteindre la marche de 5 % de déficit en 2025, puis pour suivre la trajectoire jusqu'en 2028.

Hier, j'ai revu les différents chiffres avec André Laignel et David Lisnard. Pour les prélèvements, nous prendrons en compte les dépenses exécutées, et non les prévisions établies à partir des dépenses arrêtées au 30 juillet, lesquelles, selon la DGCL elle-même, se révèlent toujours fausses.

Vous m'interrogez sur la déclinaison des 5 milliards d'euros d'économies demandées. Le budget qui vous est transmis est une version zéro, puisque nous repartons de la version initiale du projet de loi déposé, que le Gouvernement amendera. Nous avons beaucoup travaillé avec les représentants des collectivités : 3 milliards d'euros seront financés par un prélèvement de 2 % sur les recettes réelles de fonctionnement des collectivités dont le budget est de plus de 40 millions d'euros, 800 millions d'euros par la rétroactivité du FCTVA et 1,2 milliard d'euros par le gel de la TVA.

Je ne dis pas que le Gouvernement n'évoluera pas sur le prélèvement : nous devrons en discuter avec le Sénat, même si le chiffre en bas de page doit rester le même : il faut faire des économies. Le Premier ministre aura l'occasion de s'exprimer sur ce sujet dans les jours qui viennent.

Monsieur Jacquin, le Gouvernement accepterait de travailler avec vous sur le VM, sauf sur un point : nous nous sommes engagés à ce que le versement soit lié à l'investissement dans le réseau dans une logique de décarbonation. Effectivement, monsieur Fernique, nous ne nous arrêterons pas à l'Île-de-France. Une réflexion est ouverte sur la hausse du plafond de la taxe sur la carte grise. Même chose, concernant les départements, sur le plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) à 4,5 %, même si je sais que les recettes de DMTO par habitant n'ont rien à voir dans les Alpes Maritimes et dans les Ardennes...

Il y a déjà des écotaxes : le Grand Est a ainsi fait le choix de reprendre le réseau routier national et de financer son entretien par une écotaxe.

Pour revenir une seconde sur le VM, il faut associer les entreprises aux choix des investissements, de manière à ce que les aménagements aient un lien avec les déplacements de leurs salariés - c'est le fondement de ce prélèvement.

Je suis aussi favorable que vous, monsieur Jacquin, aux mobilités en zone peu dense. J'ai agi en ce sens dans la communauté urbaine que je présidais...

M. Olivier Jacquin. - Effectivement : très belle réalisation !

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Merci ! Vous parlez d'un bouquet ; en tant que champenoise, je parlerais plutôt d'une grappe, mais l'idée est la même : articuler différentes solutions, du transport à la demande au covoiturage. Ce que l'on constate, c'est que dès lors qu'il y a une offre, elle est utilisée. Il faut donc sortir du dilemme entre la poule et l'oeuf et se lancer. Dans ce domaine, le plan France ruralités représente 30 millions d'euros par an sur trois ans et 75 dossiers de mobilités acceptés en 2024.

Les exonérations liées aux zones FRR s'appliquent aux entreprises créées ou reprises entre le 1er juillet 2024 et le 31 décembre 2029. Les communes sont classées jusqu'au 31 décembre 2027. Après cette date, les entreprises créées avant cette date bénéficieront des exonérations pendant cinq ans, puis de manière dégressive pendant trois ans.

Monsieur Uzenat, l'ANCT a recruté 120 chefs de projets entre fin décembre 2023 et fin avril 2024, et il y a eu effectivement quelques cas d'expériences malheureuses, comme celle que vous signalez dans le Morbihan... Mais pour la majorité, les chefs de projet sont mobilisés, ayant en charge entre 22 et 25 projets.

Les crédits d'ingénierie passent de 40 millions à 20 millions d'euros, mais sont maintenus pour Villages d'avenir et Territoires d'industrie. Le fonctionnement sera assez souple entre le cabinet du ministre de l'économie, celui de l'emploi et le mien pour répondre aux besoins territoire par territoire.

Vous parlez à raison de bassins de vie vécus : selon les territoires, la fermeture d'une entreprise n'a pas forcément toujours les mêmes conséquences. Je suis sensibilisée à la situation d'une partie de notre pays - les cartes de l'ANCT sont extrêmement claires là-dessus - où 1 300 bassins de vie vécus dépendent d'une seule entreprise : quand elle ferme, les conséquences sont bien connues.

Comment s'articulent les CPER et les CRTE ? Il me semble que les élus ont un référent : le sous-préfet, voire le préfet. Aussi, avant de parler d'une grande vague de décentralisation, monsieur Chevrollier, parlons de déconcentration. Les maires nous le disent : ils s'adressent au sous-préfet et au préfet ce qui simplifie considérablement leur vie.

Madame de Cidrac, le rapprochement entre la DSIL et la DETR n'en est qu'au stade de la réflexion et elle n'est envisagée qu'à budget constant et dans la concertation. Nous pourrions entamer ces réflexions sur la simplification en début d'année 2025. On nous demande par exemple un retour aux seuils de marchés publics simplifiés de la période du covid, dans une logique de dossier unique et non pour faire des économies.

Comme vous, monsieur Chevrollier, j'attache une grande importance aux secrétaires de mairie. Je n'ai pas grand-chose à vous répondre sur le moment sur un éventuel bonus pour les communes vertueuses, même si je comprends votre logique.

M. Hervé Gillé. - Je salue à mon tour la décision de sécuriser dans le PLF les 2 168 communes qui sortent du dispositif France ruralités. Mais pourquoi s'arrêter en 2027, et non en 2029 ?

Il y a des effets de bord : certains maires ou présidents d'intercommunalités sont confrontés à des critères peu adaptés à leur territoire - c'est tout l'enjeu de la différenciation. Peut-être faudrait-il que les préfets puissent les adapter ?

Les nouveaux critères FRR ne prennent pas suffisamment en compte les communes rurales dites sous influence localisée dans une aire d'attraction d'une ville de plus de 50 000 habitants. Ajouter ce critère permettrait de tenir compte de la réalité périurbaine, cette zone trop souvent négligée, quoique vulnérable, prise entre les défis du développement urbain et les contraintes du rural. Ainsi, nous ne nous contenterions pas de réparer ce qui est dégradé, mais nous pourrions prévenir les dégradations futures. Il y a eu des contacts avec Françoise Gatel sur le sujet. Cela vous semble-t-il possible ?

Les maisons France services ont été évaluées par la Cour des comptes, mais je n'ai pas l'impression qu'un référentiel commun d'évaluation existe.

Je vois bien ce que pourrait apporter un déplafonnement du versement mobilité aux régions. Cela pourrait aider à cofinancer les services express régionaux métropolitains ; mais quid des infrastructures plus lourdes, comme les lignes à grande vitesse (LGV) ? Cela remettrait encore plus en cause l'esprit de la loi d'orientation des mobilités.

M. Cédric Chevalier. - Un sujet hautement sensible dans les collectivités est le zéro artificialisation nette (ZAN). Je crois savoir qu'il l'est particulièrement dans la communauté urbaine que vous avez présidée. J'ai cru comprendre, d'après les propos du Premier ministre, que des évolutions seraient possibles sans remettre en cause l'esprit de la loi : pourriez-vous nous donner vos pistes ? Envisagez-vous de desserrer l'étau sur l'agenda, de prendre en compte les spécificités des territoires, de donner un peu d'agilité ou d'apporter une forme de reconnaissance aux communes ayant été vertueuses par le passé en matière de consommation foncière ?

L'inspection générale des affaires sociales (Igas) a rendu un rapport sur la formation des élus locaux : seuls 3 % d'entre eux se forment chaque année, d'après la Caisse des dépôts (CDC), qui gère le dispositif. Leur nombre est passé de 46 000 en 2021 à 11 338 aujourd'hui. Il faut dire que c'est une usine à gaz. Quelles pistes avez-vous pour la simplifier ? Les formations sont financées par les cotisations obligatoires perçues par la CDC, mais cet argent reste immobilisé - visiblement, il n'est pas perdu pour tout le monde...

Mme Christine Herzog. - Le PLF pour 2025 prévoit une réduction du FCTVA de 800 millions d'euros, son taux passant de 16,4 % à 14,85 %. Cette baisse massive et brutale de la principale aide de l'État à l'investissement local frappera toutes les collectivités : il faut que le Gouvernement la reconsidère. Par ailleurs, il serait judicieux pour les petites communes de réduire le différé de remboursement de deux ans à un an. Enfin, pouvez-vous nous dire si le seuil de 100 000 euros pour les marchés publics de travaux sera pérennisé après le 31 décembre prochain ?

Mme Marie-Claude Varaillas. - Si l'on ajoute les 5 milliards d'euros de prélèvements, la baisse du FCTVA, la stagnation des dotations qui ne prennent pas en compte l'inflation, nous ne sommes pas loin d'une ponction de 10 milliards d'euros sur les collectivités, accusées par l'ex-ministre des finances d'être responsables du déficit public, alors que leurs dettes ne représentent que 8 % de celles de l'État et qu'elles sont tenues de voter leur budget en équilibre, elles... Cette situation injuste ne sera pas sans répercussions sur l'économie puisqu'elles réalisent plus de 60 % des équipements publics du pays.

Les diminutions importantes de MaPrimeRénov' et du fonds vert vont porter un coup très sérieux à l'isolation des logements et des bâtiments publics. Or, nous savons que réduire les gaz à effet de serre ne coûterait que le quart du coût des dommages résultant des catastrophes climatiques, soit un retour sur investissement d'au moins quatre pour un.

Les départements subissent la double peine, avec la baisse des DMTO et l'augmentation de leurs dépenses sociales, notamment au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE). En Dordogne, les enfants bénéficiant de l'ASE sont passés de 1 000 il y a dix ans à 1 700. Les départements sont devenus dépendants des aléas de l'économie puisqu'ils ne récupèrent qu'une part de la TVA.

Fallait-il supprimer la taxe d'habitation, qui rapportait plus de 20 milliards d'euros ? L'application du coefficient correcteur depuis sa suppression a des conséquences sur nos territoires ruraux. En Dordogne, les montants de la taxe foncière transférés par le département aux communes dépassent en volume ceux de la suppression de la taxe d'habitation : en 2023, ce sont 57 millions d'euros que le département paie aux communes urbaines parce qu'elles avaient une taxe d'habitation plus élevée que celle des communes rurales. C'est regrettable, car c'est de l'argent des contribuables locaux de mon département qui était légitimement destiné à financer des équipements et des services sur leurs territoires. Ne faut-il pas prévoir un aménagement ?

Enfin, fallait-il supprimer l'ISF, qui aurait produit les 5 milliards d'euros prélevés demain sur les collectivités ?

M. Philippe Tabarot. - Il est légitime que le Gouvernement cherche à réduire les déficits. Nous abordons ce PLF dans un esprit de responsabilité. Nous acceptons qu'il y ait plus d'impôts sur les transports, mais ces recettes seront-elles fléchées vers leur financement ? Nous devons être vigilants quand l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) a moins de ressources, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est réduite vers les transports, la SNCF assujettie à plus de versements et le secteur aérien lourdement taxé ; enfin, les taxes au tonnage sont dans le viseur, avec une atteinte au pavillon français...

Je voulais également vous interroger sur les zones à faibles émissions (ZFE)...

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Elles ne relèvent pas de mon ministère.

M. Philippe Tabarot. - S'agissant des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), nus avons du mal à distinguer votre domaine de compétences et celui d'Agnès Pannier-Runacher. Deux métropoles, Paris et Lyon, vont interdire au 1er janvier 2025 la circulation des très nombreux véhicules portant la vignette Crit'air 3. À Paris, ces véhicules pourraient entrer quelques jours par an dans la zone grâce à un « pass 24 heures » - nous sommes encore dans une « folie normative » qui se conjugue, dans le cas de l'agglomération parisienne, au mépris social et pousse les collectivités territoriales à prendre des initiatives malheureuses pour s'en sortir. Je connais la position de l'ancienne présidente du Grand Reims que vous êtes sur les ZFE.... Pourriez-vous nous en dire davantage à ce propos ?

M. Ronan Dantec. - Sur le ZAN, le Sénat a fait oeuvre utile en facilitant l'application. Mais jeter par-dessus bord ses grands principes, ce n'est pas la même chose. Alors que Malaga subit les mêmes épreuves que Valence, ce n'est pas le moment de bétonner encore plus la surface agricole utile !

Dans cette période politique troublée, avec des majorités changeantes, respecter le travail du Sénat me semble être un élément de stabilité. Je pense, par exemple, à l'excellent travail de Didier Mandelli sur le partage de la valeur des énergies renouvelables. Or les décrets d'application n'ont jamais été publiés, semble-t-il en raison d'un blocage de Bercy. Il ne s'agit pourtant pas de l'argent de l'État, et cela donnerait un peu d'air aux collectivités. Si vous pouviez en retrouver la trace, nous pourrions ainsi créer de la recette pour elles.

De même, nous avons voté cinq ou six fois de manière consensuelle une dotation climat pour les collectivités. La dernière fois, c'était 200 millions d'euros dans le cadre du fonds vert pour la mise en oeuvre des plans climat-air-énergie territoriaux (PCET), donc fléchés sur des crédits de fonctionnement. Le ministre Christophe Béchu s'était engagé devant le Parlement à appliquer cette décision, alors qu'auparavant, les ministres étaient restés évasifs et nous n'avions pas été satisfaits en commission mixte paritaire (CMP). Mais là encore, l'enveloppe a été abandonnée au printemps, en dépit du travail transpartisan du Sénat. Même si le fonds vert est réduit, pourrait-on imaginer de réactiver ce dispositif ? Encore une fois, pourriez-vous retrouver la trace de ce que nous avions voté ici unanimement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Concernant la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, le choix avait été fait en 2023 de l'échelle communale, pour que la prise en compte du marché immobilier résidentiel soit la plus fine possible. Je n'ai pas de meilleure réponse à vous apporter.

Il existe bel et bien un cadre commun d'évaluation des maisons France services : celui de l'Afnor, reposant sur les horaires, le nombre de personnes présentes, la signalétique, le nombre d'usagers par jour ou le taux de finalisation des demandes - il est intéressant de noter que ce dernier est de 96 %, ce qui est loin d'être négligeable. Il y a eu 900 maisons France services évaluées par l'Afnor.

M. Hervé Gillé. - Pourrions-nous avoir communication de cette évaluation ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Je ne vois pas ce qui s'y opposerait.

Concernant les FRR, monsieur Gillé, tout le monde connaît le cas de La Réole, dans votre département de Gironde. Pourquoi trois ans ? Parce que nous réintégrons là des communes qui ne devraient plus bénéficier de ces dotations : nous organisons donc une sortie en sifflet à partir de 2027 pour ces 2 168 communes, contre 2030 pour les autres communes. Je comprends bien votre volonté : vous vous dites, pourquoi ne pas en réintégrer une 2 169e en utilisant un autre critère ? Mais dans ce cas, il faudrait le prendre en compte pour tout le monde, ce qui suppose une réouverture de ce dossier difficile. C'est pour cela que nous ne sommes pas allés plus loin, même si je sais qu'il y a des communes soumises à des effets de seuil.

Monsieur Chevallier, le Gouvernement ne veut pas faire « le grand soir du ZAN », ni casser sa dynamique, monsieur Dantec. La cible, 2050, est importante, de même que l'étape intermédiaire de 2031. Pas plus tard qu'hier soir, les sénateurs Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc me présentaient leurs travaux publiés cet après-midi, qui comprend des analyses très intéressantes sur les espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) et les projets d'envergure nationale ou européenne (Pene). J'ouvre ces discussions avec intérêt, mais aussi beaucoup de prudence. Dès qu'on agit sur les volumes, il faut être vigilant ; c'est d'autant plus vrai qu'il faut trouver un équilibre avec les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) en cours d'adoption. Il faut donc assouplir sans remettre en cause.

Sur la fiscalité des transports, il n'est pas question de modifier les compétences. Les LGV relevant de la compétence nationale, il n'est pas question de mobiliser pour elles du versement mobilité.

Faut-il flécher des recettes vers les transports, monsieur Tabarot ? Ce n'est pas forcément une bonne idée : la TICPE, par exemple, a vocation à diminuer, voire à s'éteindre, alors qu'on a besoin de recettes stables. Le versement mobilité est étroitement lié à l'organisation de la desserte pour les salariés des entreprises - c'est pour cela qu'il faut que les élus se concertent avec elles.

Madame Varaillas, vous me dites 10 milliards, mais je vous réponds 5, car nous n'additionnons pas les mêmes choses. Mais nous sommes d'accord sur les allocations individuelles de solidarité : elles rendent la situation des départements complexe. Le Premier ministre a beaucoup travaillé avec votre assemblée sur ce sujet.

Effectivement, le coefficient correcteur peut parfois induire que des territoires ruraux paient pour des territoires urbains ; mais il est malgré tout intéressant d'avoir une compensation pérenne et dynamique qui évolue comme les bases fiscales. Pour avoir fait cet exercice dans un territoire mi-urbain, mi-rural, je peux témoigner que l'investissement fait par les urbains dans les territoires ruraux est loin d'être négligeable.

S'agissant de la taxe d'habitation, je pense que nous devons réfléchir sur l'utilisation des services publics : nous savons tous que beaucoup de concitoyens ne participent pas du tout à l'effort collectif. Je n'ai cependant pas de doute sur le fait qu'ils auraient aimé avoir plus de revenus, et ainsi, devenir imposables...

Mme Marie-Claude Varaillas. - Absolument !

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Je le sais : ma communauté d'agglomération compte 43 % de logements sociaux. Pour autant, on peut imaginer une participation symbolique. En tout cas, on ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur le sujet.

Pas plus tard qu'hier, nous réfléchissions à une réforme des critères de la DGF ; mais il faut reconnaître que c'est plus difficile en période de disette budgétaire.

J'ai bien noté que nous gagnerions à être plus limpides sur les périmètres de nos compétences respectives, avec la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, Agnès Pannier-Runacher.

À Reims, nous avions fait le choix d'interdire la circulation des véhicules polluants jusqu'au Crit'air 3, ce qui a produit des effets - mais il est vrai que seule une partie de la ville était soumise à cette interdiction. Madame Herzog, je peux difficilement vous répondre, mais peut-être cela pourrait-il faire l'objet d'un amendement au PLF ?

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie de vos réponses, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.

La réunion est close à 18 h 20.