- Mercredi 13 novembre 2024
- Les inégalités territoriales d'accès aux soins - Examen du rapport d'information
- Désignation d'un membre du Bureau
- Mission d'information sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec) - Création de la mission et désignation des rapporteurs
- Communication
- Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation (sera publié ultérieurement)
Mercredi 13 novembre 2024
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Les inégalités territoriales d'accès aux soins - Examen du rapport d'information
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, notre réunion de ce matin est consacrée à l'examen des conclusions du rapport d'information de Bruno Rojouan sur les inégalités territoriales d'accès aux soins, ce dont je me réjouis.
Vendredi dernier, j'ai assisté, en présence de la ministre de la santé et de l'accès aux soins, Geneviève Darrieussecq, à l'ouverture d'une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) dans le Doubs, où j'ai pu mesurer l'importance de redynamiser médicalement nos territoires. Comme nombre d'entre vous, je trouve ce dispositif très intéressant afin d'assurer une présence médicale dans les zones rurales. Je ne doute pas que le rapporteur évoquera les dispositifs de ce type dans la présentation de son rapport.
Vous le savez, notre commission s'intéresse de longue date à la question des inégalités territoriales d'accès aux soins. Hervé Maurey avait mené une mission d'information à ce sujet en février 2013. J'ai moi-même été l'auteur du rapport Déserts médicaux : L'État doit enfin prendre des mesures courageuses !, en janvier 2020.
On dit souvent que le Sénat est une institution du temps long. Notre constance à travailler sur cette question en témoigne ! Pour rappel, Bruno Rojouan a rédigé un premier rapport d'information en février 2022. Conformément aux conclusions du groupe de travail conduit par Pascale Gruny sur le contrôle parlementaire, cette nouvelle mission d'information constitue un droit de suite à ce rapport.
De fait, il est essentiel de veiller à ce que nos travaux soient suivis d'effets : il ne suffit pas de publier des rapports, il faut avoir une influence concrète sur les politiques publiques. Le travail mené par Bruno Rojouan s'inscrit dans cet objectif, et je le remercie de l'avoir mené avec sérieux.
Je lui laisse la parole sans plus attendre pour nous présenter les principales conclusions de son rapport d'information.
M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter le résultat des travaux de la mission d'information sur les inégalités territoriales d'accès aux soins.
Pour commencer, je veux dire un mot de l'état d'esprit qui m'a guidé durant ces six derniers mois : comme lors de mon précédent rapport d'information, publié en février 2022, j'ai souhaité impliquer le plus grand nombre d'entre vous et associer tous les groupes politiques dans mon travail préparatoire, en organisant une réunion de travail avec les commissaires volontaires et en ouvrant l'ensemble des auditions à tous les commissaires. Je remercie tous ceux qui y ont pris part, notamment Jocelyne Antoine, Nicole Bonnefoy ainsi qu'Alain Duffourg et Simon Uzenat, qui m'ont tous deux accompagné en Allemagne. Je remercie également notre président d'avoir consacré une réunion plénière à la problématique de l'équité territoriale en matière d'accès aux soins le 27 mars dernier, ainsi que mon whip Philippe Tabarot, pour son appui.
Vous le savez, les positions de la commission des affaires sociales et de la nôtre n'ont pas toujours été rigoureusement alignées sur le sujet, mais je tiens à souligner que j'ai pu compter - c'est un changement important - sur l'oreille attentive du président de la commission des affaires sociales Philippe Mouiller, avec lequel j'ai régulièrement échangé sur l'avancée de nos travaux.
J'en viens maintenant aux conclusions du rapport. Les auditions que j'ai conduites m'ont permis de recueillir l'analyse de l'ensemble des professionnels de santé, des administrations compétentes, de l'Assurance maladie, mais également des premiers concernés par les inégalités territoriales d'accès aux soins : les patients et les élus locaux.
Le constat est clair : depuis deux ans, l'offre de soins a continué de se dégrader. La France a perdu près de 2 500 médecins généralistes. On en compte désormais moins de 100 000 sur l'ensemble du territoire - ils sont 99 500 exactement. À cause de cette pénurie de praticiens, 6,3 millions de nos concitoyens n'avaient plus de médecin traitant en 2022 ; ils sont probablement près de 7 millions aujourd'hui.
Ce constat est encore plus alarmant si l'on considère les évolutions effectives et attendues de la démographie du corps médical et de la population dans les années à venir. Aujourd'hui, plus de 30 % des médecins généralistes en activité ont plus de 60 ans, soit 6 % de plus qu'en 2018. Nous risquons donc d'être piégés par un effet ciseaux entre une offre de soins en repli et une demande qui ne va cesser de croître en raison du vieillissement généralisé de la population, puisque près de 16 millions de nos concitoyens auront plus de 65 ans en 2030, contre 14 millions aujourd'hui.
Ce manque de praticiens concerne aussi les spécialistes et les autres professionnels de santé. Dans plusieurs territoires, la prise de rendez-vous pour une consultation s'apparente à un véritable parcours du combattant. À titre d'illustration, il faut, suivant les territoires, compter de 6 à 123 jours pour avoir un rendez-vous avec un ophtalmologue, et de 1 à 97 jours pour un pédiatre. Par exemple, dans le territoire de Billom, en périphérie de Clermont-Ferrand, il faut parfois attendre 18 mois pour obtenir un rendez-vous chez un orthophoniste... Les territoires concernés ne sont pas des cas marginaux : c'est une partie significative de la France qui souffre d'un manque cruel de professionnels de santé. Dans près de 37 départements métropolitains, on recense moins de 5 dermatologues et, dans 22 d'entre eux, moins de 5 cardiologues pour l'ensemble d'un territoire.
Cette inégalité dans l'accès aux soins est inacceptable. Elle favorise le phénomène de « renoncement aux soins », qui est un véritable fléau pour la santé publique. C'est aussi une rupture du pacte de confiance républicain et du principe d'égalité entre les territoires, auquel nous sommes tous ici profondément attachés.
Pour corriger cette situation, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2022 ont pris des mesures - dans lesquelles, comme l'a dit M. le président, nos rapports ne sont pas pour rien - visant à : réduire les inégalités territoriales d'accès aux soins, en favorisant l'installation des professionnels de santé dans les zones sous-denses et en développant la télémédecine ; gagner du temps médical utile, en délestant les médecins de tâches administratives et en accélérant les transferts de compétences vers d'autres professions de santé ; former davantage de médecins et leur faire effectuer des stages dans les zones médicales sous-denses.
Quel bilan peut-on dresser de ces mesures ? Le sentiment qui domine est celui qu'il y a eu des avancées, mais que nous sommes encore dans une logique de petits pas, bien loin du big bang nécessaire.
Pour ce qui est, tout d'abord, de la méthode, l'accès aux soins a fait l'objet de plusieurs textes législatifs : les derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) comportaient tous des mesures à ce sujet, et des véhicules spécifiques, notamment la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite Rist 2, et la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, ont complété cette architecture. Remarquons que ces deux derniers textes sont d'origine parlementaire ! Je regrette, à ce propos, l'absence de projet de loi dédié, tant il est nécessaire que le Gouvernement s'attaque véritablement à cette question dans sa globalité.
En outre, le pouvoir réglementaire n'a pas encore publié nombre de décrets d'application de ces textes en temps utile, nuisant à l'efficacité de leurs dispositions. Je vous en donnerai plusieurs exemples par la suite.
J'en viens au fond des mesures. Les dispositifs mis en oeuvre afin de lutter contre les disparités territoriales et sociales d'accès aux soins sont bien trop limités.
Afin de remédier à l'inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire, l'assurance maladie a changé d'approche. Lors de ses négociations avec les syndicats de professionnels de santé libéraux, elle a prévu des mesures de régulation de l'installation, à l'instar de ce qui prévaut de longue date pour les infirmiers et les sages-femmes. Les masseurs-kinésithérapeutes ont ainsi connu un durcissement du cadre de régulation en 2023. Les chirurgiens-dentistes ont également accepté de voir leur exercice dans les zones les plus dotées soumis à ce principe d'une installation pour un départ.
Cependant, une irréductible profession résiste encore et toujours à la régulation : les médecins, pour lesquels la remise en cause de la liberté totale d'installation est un véritable tabou. Leur cadre d'exercice repose uniquement sur des incitations financières à exercer dans les zones sous-denses, mesures très coûteuses à l'efficacité non démontrée.
Vous en conviendrez, mes chers collègues, une telle exception est difficilement compréhensible. J'en tiens pour preuve la pratique de nos voisins allemands, pourtant peu suspects d'être moins attachés que nous à la liberté d'entreprendre... Lors de notre déplacement en Allemagne, nous avons pu observer leur système de « planification des besoins », dispositif reposant sur l'étude des besoins de santé des territoires, de manière à fixer le nombre de médecins recherché par zone. Ces derniers ne peuvent obtenir un agrément de l'assurance maladie publique que s'ils s'installent dans une zone où le nombre de professionnels de santé est insuffisant. Ce système est notamment mis en oeuvre par les associations régionales de médecins conventionnés, qui régulent ainsi elles-mêmes l'installation de leurs confrères.
J'en conviens, un cadre analogue est difficile à mettre en place pour le moment en France, compte tenu de la pénurie généralisée de médecins, dont le nombre baissera jusqu'en 2028. Cependant, la situation dégradée de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire ne doit pas servir de prétexte pour ne pas agir en faveur des zones les moins dotées. Dire que toute la France est un désert médical revient à gommer les différences entre des situations que l'on ne peut pas mettre sur le même plan.
Par conséquent, je propose de réguler l'installation des médecins dans les zones les mieux dotées et de favoriser leur exercice dans les zones sous-dotées. Toute nouvelle installation dans les zones les mieux dotées pourrait ainsi être liée à un exercice partiel obligatoire dans une zone sous-dotée, sous forme de consultations dans un cabinet secondaire.
Les modalités pratiques d'une telle obligation, notamment son zonage, pourraient, dans un premier temps, être confiées à la profession elle-même, en suivant l'exemple allemand. Faute de proposition dans un délai que nous pourrions décider, le législateur pourrait se substituer à l'inertie de la profession. Ensuite seulement, en raison du peu de médecins dont nous disposons, et à mesure que le nombre de médecins augmentera, du fait de la fin du numerus clausus, il conviendra de mettre en place un cadre de régulation de l'installation plus ambitieux, lequel passerait par le conventionnement sélectif.
La télémédecine a souvent été présentée comme une solution pour venir en aide aux territoires isolés de façon complémentaire. Malheureusement, insuffisamment encadrée, elle rate sa cible. Les patients qui y ont le plus recours ne sont pas ceux qui rencontrent le plus de difficultés d'accès aux soins : ils résident le plus souvent dans des communes densément peuplées et favorisées.
Je recommande donc de revoir les modalités de fonctionnement de la télémédecine afin d'en limiter les abus et de recentrer son utilisation vers les publics qui en ont le plus besoin. Pour cela, son remboursement par l'Assurance maladie pourrait être mieux encadré : seules les téléconsultations assistées par un professionnel de santé seraient remboursées, et uniquement dans le cadre du parcours de soins. La seule exception concernerait les téléconsultations en urgence avec le médecin traitant, qui pourraient avoir lieu sans assistance. Il me semble également nécessaire de restreindre les aides à l'installation et au fonctionnement des cabines de téléconsultation aux seules pharmacies situées dans des zones médicalement sous-dotées et, en contrepartie, de les revaloriser financièrement. Au reste, les pharmacies de ces territoires ayant souvent de petits chiffres d'affaires, leur réserver le pouvoir de téléconsultation faciliterait leur reprise en cas de départ en retraite du pharmacien titulaire.
J'en viens maintenant aux soins non programmés : 30 % des patients qui ont recours aux urgences hospitalières s'y rendent faute de réponse médicale auprès de leur médecin traitant. Le dispositif des services d'accès aux soins (SAS) a été lancé en 2021 afin de répondre à cette situation inadmissible : les patients qui appellent le 15 au lieu d'aller aux urgences sont mis en relation avec un médecin régulateur, qui doit leur permettre de trouver un rendez-vous médical sous 48 heures. Ce dispositif, encore embryonnaire, gagnerait à monter en puissance.
Des mesures de bon sens pourraient être prises de façon complémentaire : il faut mieux s'appuyer sur les nouvelles compétences des pharmaciens, qui peuvent, par exemple, mener certains tests de diagnostic rapide. Je propose également d'impliquer davantage d'autres professions, comme les masseurs-kinésithérapeutes, dans la permanence de soins : ces derniers doivent pouvoir être consultés en accès direct pour certaines pathologies, comme les très fréquentes entorses de la cheville.
Quel bilan peut-on par ailleurs tirer des mesures tendant à faire gagner du temps médical utile ? Les jeunes professionnels et les étudiants en études de santé m'ont fait part, lors des auditions, des craintes qu'ils éprouvent face au « mur administratif » que peut représenter une première installation dans un territoire. La mise en oeuvre d'un guichet unique départemental d'aides à l'installation à partir de 2023 a en partie permis de répondre à ces inquiétudes, mais ce dispositif souffre aujourd'hui d'un déploiement hétérogène entre les territoires. Je propose d'en accélérer le déploiement et que les collectivités locales - je pense surtout à l'échelon départemental - soient systématiquement impliquées dans son fonctionnement, afin de tenir compte des spécificités et des besoins locaux.
Récemment, plusieurs mesures ont été déployées pour redonner aux patients du temps médical de qualité, en favorisant la délégation de certaines tâches, de manière que les médecins puissent se concentrer sur leur coeur de compétence. Le plan de déploiement de 10 000 assistants médicaux, présenté, en 2018, au sein du programme « Ma santé 2022 », répondait à cet objectif. Aujourd'hui, l'utilité des assistants médicaux est largement reconnue et ne souffre d'aucun débat, mais leur nombre reste insuffisant. Je recommande d'intensifier leur déploiement et de revoir à la hausse la cible d'assistants médicaux en activité. Je préconise également d'étendre l'éligibilité des aides à l'embauche d'un assistant médical aux maisons de santé pluriprofessionnelles, ce qui nécessite de revoir l'architecture des conditions de l'octroi.
Les infirmiers, et tout spécialement les infirmiers en pratique avancée (IPA), ont conquis de nouveaux champs de compétences et ont gagné en autonomie dans le parcours de soins. Les IPA, infirmiers spécialisés titulaires d'un master, assurent un suivi, en coordination avec les médecins, des pathologies chroniques et stabilisées. Ils agissent comme un relais autonome entre le médecin et le patient, évitant par là même les allers-retours intempestifs entre ces derniers. Les infirmiers diplômés d'État (IDE) ont quant à eux bénéficié de la possibilité de signer des certificats de décès, déchargeant les médecins de cette tâche.
Cependant, ces mesures restent largement partielles et manquent d'une vision d'ensemble qui permettrait de proposer une véritable « réingénierie » - c'est le mot utilisé par la profession. Tel pourrait être l'objectif d'une « loi infirmiers », qui permettrait, dans le contexte de pénurie de médecins que nous connaissons, de leur déléguer davantage de compétences en matière de soins de proximité, mais aussi d'adapter davantage la formation et les compétences des IPA à la pratique en médecine de ville.
Il m'apparaît également nécessaire de renforcer les prérogatives dévolues aux pharmaciens, qui, avec les infirmiers, constituent l'autre profession de santé encore bien répartie sur la totalité du territoire. Ce sont les seuls professionnels de santé à être accessibles sans rendez-vous ni salle d'attente, et leur proximité immédiate avec les patients leur offre bien souvent une connaissance fine des pathologies et des problèmes médicaux que ces derniers peuvent rencontrer. Ce rôle charnière dans l'offre de soins mérite mieux que les ajustements paramétriques effectués par la loi Rist 2 et les dernières lois de financement de la sécurité sociale - une liste rachitique d'antibiotiques qu'ils peuvent prescrire directement après avoir effectué un test rapide d'orientation diagnostique (Trod) en cas d'angine ou de cystite, et la possibilité de renouveler trois fois de suite certaines ordonnances.
Il convient donc d'aller vers une intensification des possibilités d'intervention des pharmaciens : comme il faut une « loi infirmiers », il faut une grande « loi pharmaciens ». Je recommande que leur soit reconnu un rôle d'orientation du patient, afin de prendre en charge tous les maux du quotidien qui ne nécessitent pas forcément le recours à un médecin - je pense, par exemple, à la conjonctivite ou aux plaies simples. Le renforcement de l'attractivité de cette profession est un impératif dans les zones sous-denses afin de conserver un maillage territorial en officines.
La délégation de compétences à destination de plusieurs professions n'est pas le seul instrument qui a été mis en oeuvre. L'ouverture de l'accès direct à certaines d'entre elles participe également de cette logique de rationalisation du temps de soins. Cependant, des dispositifs dont la complexité a, en pratique, limité l'effectivité ont parfois été choisis, au détriment de mesures simples et lisibles. C'est le cas notamment des masseurs-kinésithérapeutes, dont seulement 5 % sont concernés par l'accès direct, tel qu'il est aujourd'hui reconnu. La loi Rist 2 a également ouvert l'accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes membres d'une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), mais les textes d'application se font encore attendre. De toute façon, un patient n'a pas les moyens de savoir si un praticien est membre ou non d'une CPTS - encore faut-il qu'il sache ce que c'est !
Il faut sortir de cette logique kafkaïenne et revenir à plus de lisibilité, en ouvrant l'accès direct à l'ensemble de la profession pour certaines pathologies bien connues, comme les entorses de la cheville. L'encadrement de l'accès direct me paraît toutefois incontournable, au risque de voir les cabinets de kinésithérapie embouteillés par la gestion des « bobos » du quotidien.
À long terme, la seule façon de régler la question de l'accès aux soins est de former plus de professionnels de santé. L'abrogation du numerus clausus à l'entrée des études de santé, lors de la réforme en 2020, était nécessaire. Pourtant, il faut être lucide : le choc d'offre tant attendu n'a pas eu lieu. Les effectifs en deuxième année de médecine ont progressé de 16,8 % entre 2020 et 2024, mais la quasi-totalité de la hausse du nombre d'étudiants date d'avant 2022. La dynamique actuelle est donc insuffisante pour répondre aux besoins futurs de médecins.
Les facultés de médecine sont saturées, les locaux sont surchargés et le nombre de formateurs est insuffisant. Il faut donner aux facultés la possibilité de recruter plus d'étudiants sans dégrader la qualité de l'enseignement, en particulier en médecine générale. Pour cela, elles ont besoin de plus d'enseignants. Je propose de renforcer l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires et, surtout, de favoriser l'exercice mixte, associant enseignement universitaire et exercice libéral, pour attirer plus de formateurs.
La réforme, en 2020, des parcours accès santé spécifique (Pass) et des licences accès santé (LAS), dite réforme Pass-LAS, a plongé les lycéens, les étudiants et leurs familles dans une confusion certaine à cause de son manque de lisibilité et de sa complexité. Ce nouveau système a des effets particulièrement délétères pour la pharmacie et la maïeutique. Les effectifs dans ces disciplines ont paradoxalement diminué, alors que les besoins de recrutement croissent. En 2022, véritable année noire pour ces formations, le nombre d'admis a chuté de 15 % en maïeutique et de 20 % en pharmacie. Je propose donc de corriger les effets contre-productifs les plus marqués de la réforme Pass-LAS, notamment pour les études de pharmacie et de maïeutique, en envisageant l'ouverture d'une voie directe post-baccalauréat pour les études de pharmacie.
La hausse du nombre d'étudiants n'aura de pertinence à long terme pour résorber les inégalités territoriales d'accès aux soins que si elle est territorialisée. Or la formation des médecins est encore organisée autour des centres hospitaliers universitaires (CHU) des métropoles. Cette concentration géographique accentue les disparités territoriales d'accès aux soins : les étudiants peuvent difficilement s'installer dans des territoires qu'ils n'ont jamais fréquentés. Il est donc nécessaire de sortir d'une approche « CHU-centrée » des formations et de procéder à un choc de territorialisation. Je propose de lancer un plan d'ouverture d'urgence de facultés et d'antennes de facultés de médecine dans des villes de taille moyenne, à proximité des zones médicales sous-denses.
Ce virage territorial des études de santé suppose également de repenser l'organisation des stages des étudiants, afin qu'ils soient effectués sur toute la durée de leurs études en médecine de ville et, de façon privilégiée, dans des zones sous-dotées.
Plus immédiatement, il me semble essentiel de lancer un plan d'urgence pour que les stages des internes en quatrième année de médecine générale aient lieu en médecine de ville dans les zones sous-denses, comme la loi le prévoit. La première promotion de ces médecins juniors sortira en 2026-2027. Toute velléité d'utiliser ces internes comme supplétifs face au manque de personnel à l'hôpital, au détriment de la médecine de ville des zones sous-dotées, trahirait l'esprit de la réforme que nous avons votée.
Un tel bouleversement exige de prendre en compte les contraintes des étudiants : ceux qui réalisent leurs stages dans des territoires éloignés de leur centre hospitalier universitaire doivent bénéficier d'un accompagnement matériel et financier renforcé.
Afin d'assurer à long terme une répartition plus équitable des soignants sur le territoire, il est également nécessaire de recruter plus d'étudiants issus des zones médicales sous-denses - les zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville notamment -, qui sont sous-représentés dans les études de santé. En effet, ces derniers sont plus enclins à venir s'installer dans ces espaces à l'offre de soins insuffisante.
Actuellement, tous les leviers existants pour attirer les élèves souhaitant exercer en zone sous-dense n'ont pas encore été mobilisés. Ainsi, la réforme du contrat d'engagement de service public (CESP), prévue par la loi Valletoux, n'est toujours pas appliquée. Je rappelle que le législateur a étendu le bénéfice de ce contrat, qui consiste en une allocation financière mensuelle accordée à un étudiant en échange d'un engagement à exercer en zone sous-dense à la fin de ses études, aux étudiants en médecine, en odontologie, en maïeutique et en pharmacie dès la fin de la deuxième année du premier cycle.
Il faut cependant dépasser cette logique d'incitation financière. Pour cela, je propose d'introduire, parmi les critères de sélection en première année de Pass ou de LAS, un nouveau critère : le lieu de résidence des étudiants. Les étudiants issus de zones médicales sous-denses, au même titre que les boursiers, seraient ainsi favorisés dans le processus de sélection pour entrer en première année d'études. Cette mesure prendrait la forme de quotas réservés : pour les lycées des zones sous-denses, la proportion d'admis devrait être égale à la proportion de candidats.
Mes chers collègues, il m'est impossible, dans le temps qui m'est imparti, de développer plus avant les travaux que j'ai conduits durant les six derniers mois. J'invite chacun d'entre vous à vous reporter au rapport d'information dense que j'ai rédigé.
En conclusion, je souhaite faire une remarque de vocabulaire. Vous avez sans doute remarqué que je n'ai pas repris à mon compte l'expression « déserts médicaux ». Nombre de jeunes professionnels de santé et d'étudiants, qui méconnaissent souvent les territoires ruraux et leur vitalité, s'imaginent que les zones sous-denses sont de vrais déserts, dépourvus d'activité économique, d'écoles, d'associations sportives, etc. Nous devons bannir cette expression, qui favorise ce grand malentendu !
Notre commission devra continuer inlassablement à travailler sur ce sujet pour faire pression sur l'exécutif afin que les choses avancent.
M. Jean-François Longeot, président. - Effectivement, il faudra que notre commission poursuive son travail sur ce sujet. J'ai reçu hier des représentants des jeunes pharmaciens. Ils soutiennent les propositions que vous formulez.
M. Stéphane Demilly. - La désertification médicale concerne 87 % du territoire, et tout particulièrement les territoires ruraux. Ce cancer gagne les territoires semi-urbains ou semi-ruraux. Selon l'Académie nationale de médecine, 30 % de la population française vit dans un désert médical. On observe un effet ciseaux entre une offre de soins en repli et une demande croissante liée au vieillissement de la population. Le nombre de médecins généralistes baisse de 1 % chaque année. Les disparités s'aggravent selon les territoires. Les 10 % de la population qui vivent dans les zones les mieux dotées en médecins généralistes ont accès à 5,7 consultations par an, tandis que les 10 % de nos concitoyens vivant dans les territoires les moins bien dotés ont accès à 1,5 consultation par an.
Dans les Hauts-de-France, il est de plus en plus difficile de consulter des spécialistes. Selon l'agence régionale de santé (ARS), 70 % de la population se trouve dans une zone de désertification médicale, taux qui monte à 90 % dans le Pas-de-Calais. Certaines communes sont obligées de publier des annonces dans la presse ou sur les réseaux sociaux pour inciter des médecins libéraux à s'installer !
Je voudrais parler du nomadisme fiscal de certains médecins : certains médecins installés en ville décident de déplacer leur cabinet quelques kilomètres plus loin, dans une zone rurale proche, simplement pour bénéficier d'exonérations fiscales. Parfois, ils demandent aux communes rurales de financer leur implantation. On a l'impression qu'ils veulent le beurre et l'argent du beurre.
Les médecins libéraux sont attachés à la liberté d'installation, mais on oublie trop souvent que tout le système de soins, depuis l'organisation des études de santé jusqu'au remboursement des soins par la sécurité sociale, est financé par de l'argent public.
La situation devient insupportable. L'heure n'est plus aux discussions. Les rapports s'empilent sur ce sujet. Nous devons nous fâcher : il est temps d'agir, autrement je crains l'apparition de « gilets jaunes » de la santé. Le Sénat, qui est la chambre des territoires, doit relayer ces attentes et se faire entendre du Gouvernement.
M. Simon Uzenat. - Notre rapporteur a eu le souci d'associer tous les groupes politiques à ses travaux préparatoires. Nous avons tous pu participer et faire valoir nos préoccupations.
Nous partageons tous le même constat : les écarts entre les territoires sont importants. Même dans les départements où la situation semble s'être améliorée, des disparités apparaissent selon les endroits. La pénurie de médecins que nous connaissons va durer. Notre rapporteur a raison : un big bang est nécessaire, la politique des petits pas ne suffit plus.
Nous soutenons un grand nombre des recommandations formulées, comme celles qui sont relatives aux stages, aux téléconsultations, à l'ouverture d'antennes de facultés de médecine dans les villes moyennes - cela se fait déjà dans le Morbihan, par exemple. À ce propos, la question centrale est celle des moyens des universités. Les mesures budgétaires annoncées par le Gouvernement ne vont pas améliorer leur situation ! Le taux d'abandon durant les études médicales est préoccupant. La proposition de créer des classes préparatoires « talents médicaux » pour aider les étudiants des familles modestes issus des zones sous-denses à réaliser des études médicales est intéressante.
Toutefois, nous restons sur notre faim sur un certain nombre de recommandations. Notre rapporteur a évolué par rapport à la position qu'il exprimait dans son rapport de 2022, Rétablir l'équité territoriale en matière d'accès aux soins : agir avant qu'il ne soit trop tard. On observe ainsi un recul sur la question de la régulation de l'installation des médecins. Même si le sujet ne fait pas consensus, celle-ci est indispensable dans une période de pénurie. Elle est déjà en vigueur en Allemagne.
Il faut soumettre toutes les aides à des conditionnalités strictes. Je pense notamment à celles qui sont allouées pendant la formation en contrepartie de l'engagement à exercer dans une zone sous-dense. L'exigence de remboursement si le contrat n'est pas respecté n'est pas suffisante, car les jeunes praticiens ont bien compris qu'ils pouvaient très vite rembourser s'ils s'installaient dans des zones où la patientèle dispose de hauts revenus. Dès lors, ils n'honorent pas souvent leur contrat.
De même, notre rapporteur parlait de « conventionnement sélectif » en 2022. Il n'en est plus question dans ce rapport.
Nous pourrions nous inspirer du modèle allemand, même si celui-ci n'est pas duplicable en l'état. Ce système garantit aux médecins un niveau d'activité. Il ne se contente pas de définir un ratio entre le nombre de médecins et le nombre d'habitants : il vise à adapter le nombre de professionnels de santé aux besoins de santé des territoires. Il convient donc d'évaluer non pas seulement les dispositifs de régulation de l'installation des médecins, mais aussi ces besoins de santé pour réfléchir à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande de soins. Dans votre rapport d'information de 2022, vous évoquiez la « responsabilité populationnelle territoriale » ; nous regrettons que cette notion ait disparu.
Nous déplorons un autre recul par rapport aux travaux de 2022, sur l'engagement des collectivités locales. Celui-ci est très important au vu de leurs compétences, car la santé relève de l'État. Elles investissent des milliards d'euros pour accompagner les médecins ! Il faut les soutenir sur le plan financier. En 2022, vous envisagiez la création d'une dotation spécifique pour aider les collectivités à lutter contre la désertification médicale. Cela ne figure plus dans vos recommandations.
Si nous soutenons certaines d'entre elles, nous nous abstiendrons sur le rapport, car il nous semble que le compte n'y est pas. La situation est tellement grave qu'il faut cesser de tergiverser. Il est temps d'agir ! Le message envoyé au travers de ce rapport ne nous paraît pas suffisamment fort.
M. Jean Bacci. - J'adhère pleinement aux propositions de notre rapporteur. Dans le Var, on compte un médecin pour 1 100 habitants, alors que ce ratio est en moyenne d'un médecin pour 350 habitants en France. Si la côte est bien dotée, la situation est critique dans les zones rurales de l'intérieur.
Les communes s'efforcent de créer des maisons médicales. Certains médecins ferment leur cabinet en ville et viennent s'installer en zone rurale uniquement pour profiter des aides. Cependant, il est bien difficile de leur dire que l'on ne veut pas d'eux !
Nous devrions faire preuve de plus d'interventionnisme à l'égard des jeunes médecins. Lorsqu'un médecin part en retraite, il faut souvent deux jeunes pour faire le travail qu'il réalisait, car ces derniers souhaitent exercer en libéral, tout en ayant des emplois du temps de fonctionnaire. C'est leur choix ; nous devons le respecter. Sans doute pourrions-nous fiscaliser les revenus d'un médecin qui s'installe en zone sous-dense sur le travail qu'il réalise jusqu'à 35 heures chaque semaine et défiscaliser les heures qu'il réalise au-delà, pendant une période de cinq ans. De la sorte, le médecin prendra l'habitude de travailler plus de 35 heures, s'installera sur place, fondera une famille et restera sur le territoire.
M. Jacques Fernique. - Les 38 recommandations de ce rapport constituent une base opérationnelle intéressante pour répondre à l'insupportable inégalité d'accès aux soins qui met en cause notre pacte républicain. Les besoins de santé vont augmenter sous l'effet du vieillissement de la population. Le statu quo n'est pas viable.
Notre rapporteur ne propose pas de révolutionner le système, mais ses propositions sont pertinentes. Il propose ainsi, dans un premier temps, de conditionner l'installation de nouveaux médecins en zone bien dotée à un exercice avancé à temps partiel en zone sous-dotée. Ce serait une première étape avant l'instauration d'une réglementation plus contraignante. D'autres dispositions visent à évaluer les dispositifs existants, à conforter les possibilités d'intervention des différentes professions médicales - afin de soutenir, par exemple, les officines rurales, qui réalisent un petit chiffre d'affaires, mais qui ont une très grande utilité publique - ou à mener un « choc de massification et de territorialisation des études de santé ».
Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) soutient ces propositions bienvenues. Elles impliquent un renforcement de la responsabilité territoriale et un nouvel élan de la décentralisation. Il faudra donner les moyens afférents aux collectivités. Sans doute conviendra-t-il d'aller plus loin par la suite, mais la mise en oeuvre de ces mesures constituerait déjà une avancée significative.
M. Jean-Claude Anglars. - Pour m'être intéressé localement à ces problèmes, je trouve ces propositions très pertinentes, notamment les recommandations n° 15 sur le dossier médical partagé (DMP), n° 17 sur le développement des CPTS de petite taille, ou encore nos 37 et 38 sur l'installation de stagiaires en zones sous-denses.
Dans l'Aveyron, nous recevons depuis quinze ans 160 internes par an, dont 10 restent chaque année en médecine générale. Cependant, nous avons pu remarquer que beaucoup d'étudiants ne voulaient pas passer leur temps - pardonnez-moi ces mots un peu crus - « à donner des pilules à des vieux de plus de 60 ans. » Aussi, nous avons impliqué plus fortement dans leur stage les urgences de l'hôpital de Rodez et les sapeurs-pompiers pour leur montrer la diversité des pathologies et leur offrir d'autres perspectives professionnelles.
Avez-vous songé à interroger les jeunes internes à cet égard ?
Mme Marie-Claude Varaillas. - Je félicite notre collègue pour son travail fouillé et courageux.
Nous n'avons pas encore atteint le point dur en ce qui concerne l'évolution de la démographie médicale. Nous avons encore sept ou huit années difficiles devant nous avant de connaître les effets bénéfiques de la fin du numerus clausus. Il faut trouver les moyens de passer cette période.
Le rapport de la mission d'information de la délégation aux droits des femmes du Sénat de mai 2023, Femmes et ruralités : la parole aux élues de nos territoires a montré que 13 départements ne comptaient pas de gynécologue médical. C'est très préoccupant, notamment pour la prévention des cancers. Dans mon département de la Dordogne, 25 000 personnes n'ont plus de médecin traitant. De plus, la maternité de Sarlat va fermer, obligeant les femmes à parcourir 80 à 100 kilomètres pour accoucher. Et je ne vous parle pas de celles qui donnent naissance à leur enfant dans la voiture de leur mari ou dans le camion des pompiers...
Les collectivités locales font ce qu'elles peuvent : notre conseil départemental a ainsi salarié des médecins au sein de centres de santé, malgré les difficultés financières qu'il connaît. Toutefois, ce sujet relève principalement de l'État. À cet égard, la collectivité nationale ayant assumé la plus grande part du coût de la scolarité des médecins, il ne semble pas anormal d'imposer des contreparties à ces derniers, via la régulation. Je n'en démordrai pas ! En parallèle, l'État doit former plus de médecins et y mettre les moyens nécessaires.
J'approuve ce rapport d'information en ce qu'il place en poste avancé certaines professions de santé - kinésithérapeutes, infirmiers et pharmaciens -, dont nous avons de plus en plus besoin pour pallier le manque de médecins.
Il faut savoir que, pour remplacer un médecin « ancienne génération », il faut former trois médecins « nouvelle génération ». C'est notamment dû à la féminisation - 70 % des médecins formés sont des femmes - et au désir des jeunes installés en libéral de moins travailler. Mais les médecins, notamment les spécialistes, ne jouent pas tous le jeu des permanences de soins. Dans mon département, il n'y a aucune permanence ophtalmologique les nuits, les week-ends et les jours fériés. Imaginez les conséquences que cela peut avoir ! L'ARS a essayé de les mettre autour de la table, mais certains n'ont même pas daigné se déplacer à la réunion.
Aussi ai-je des doutes sur la recommandation n° 1, bien que j'en approuve la philosophie. En effet, il ne me semble pas opportun de laisser à la profession le soin de définir les modalités de ces installations subordonnées à l'engagement d'effectuer un temps partiel en zone sous-dense.
Par ailleurs, il me semble que la recommandation n° 7, relative aux incitations des collectivités locales, gagnerait à être plus explicite.
Nous sommes tout de même d'accord à 90 % avec ce rapport, que nous voterons.
M. Olivier Jacquin. - Je tiens à féliciter le rapporteur, ainsi que le procureur Stéphane Demilly : je voterais très volontiers sa proposition très ferme !
Ayant été président d'une communauté de communes en zone sous-dense, j'ai pu faire l'expérience de ces négociations avec des médecins qui réclamaient une remise de loyer, l'octroi d'une voiture... C'est pourquoi il me semble aussi que la recommandation n° 7 doit être explicitée. Les collectivités locales sont déjà très impliquées. Elles ont besoin d'un cadre plus précis.
En ce qui concerne la recommandation n° 1, vous avez tenté de nous faire partager votre enthousiasme sur l'exemple allemand, mais je suis un peu déçu : j'attendais quelque chose de plus contraignant.
M. Philippe Tabarot. - Je ne dirai que quatre mots. Ingénieux ! Courageux ! Bravo Bruno !
M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Mes chers collègues, je prends toutes vos remarques comme des contributions bienvenues.
Ce rapport est un droit de suite révisionnel, mais le rapport de 2022 conserve toute son actualité et reste le rapport étalon. À mon sens, et c'est une proposition que je fais à notre président, nous devrions faire un rapport d'étape tous les deux ans afin de voir comment la situation évolue.
Certains d'entre vous ont considéré que le terme de régulation était tabou. Je vous faire part de ma conviction, qui n'a pas varié : à terme, on ne pourra pas se passer d'une régulation complète. On n'y coupera pas !
Cependant, je me dois d'être pragmatique : le numerus clausus a disparu, mais nous n'en verrons les effets qu'à partir de 2028 au mieux. Jusque-là, nous allons continuer à perdre des médecins, compte tenu des départs à la retraite et du temps nécessaire à la formation d'un praticien. Il est donc pour le moment impossible de mettre en place une régulation ambitieuse, par exemple dès 2025, en raison d'effectifs insuffisants. Nous devons attendre a minima 2028, mais il faut préparer cette échéance en faisant du prévisionnel. C'est pour cette raison que j'ai été conquis par l'exemple allemand ; je n'ai pas changé sur ce point.
Dans l'intervalle, nous n'avons d'autre choix que de déléguer des compétences. Je dis bien « déléguer » et non pas « transférer », pour ne pas heurter les médecins, qui ont peur de se voir dépossédés. J'y insiste, le médecin reste bien l'autorité supérieure des soins, le sachant, mais il doit accepter de se faire seconder par ces deux professionnels incontournables que sont le pharmacien et l'infirmier diplômé d'État (IDE). Le pharmacien, notamment grâce à la téléconsultation, et l'IDE doivent pouvoir exercer plus de compétences. Puisque leurs ordres professionnels nous assurent qu'ils en sont capables, n'hésitons pas à l'inscrire dans la loi ou le règlement !
Le ministère de la santé nous dit que 87 % du territoire est sous-doté, mais ce chiffre ne veut pas dire grand-chose, tant les situations sont contrastées. En gros, on peut répartir les territoires en trois catégories selon la gravité de la situation, mais il faut reconnaître que celle-ci est correcte dans certains territoires.
En réalité, il me semble que les arguments développés par l'administration de la santé sont surtout des excuses pour ne pas avoir à prendre de mesures coercitives. De même, la commission des affaires sociales de notre assemblée a eu tendance à ne proposer que des mesures incitatives. En cela, elle fait le jeu des syndicats et de l'ordre des médecins, qui sont de véritables citadelles.
Certains préconisent d'imiter totalement les Allemands, en laissant la profession s'organiser elle-même. C'est méconnaître la réalité du système de cogestion allemand, très différent du système français. Il est bien entendu attrayant d'associer la profession, mais il ne faut pas lui laisser encore dix ans. Si rien n'est fait dans deux ans, nous devrons intervenir par la loi.
Soyons optimistes, mes chers collègues : la situation tend à s'améliorer, mais nous devons aller vers plus de contraintes.
Je crains d'avoir été mal compris sur la recommandation n° 7. On reproche aux médecins de ne plus faire de déplacements à domicile, mais ceux-ci nous expliquent avoir de plus en plus de difficultés à circuler et à stationner dans les grandes villes et les métropoles. L'idée est d'encourager les collectivités à se saisir de ce problème, par exemple en autorisant plus de places de stationnement aux médecins en intervention ou en les autorisant à rouler dans les couloirs de bus. Cela n'entraînerait aucune charge financière supplémentaire pour les collectivités.
En ce qui concerne les classes préparatoires « talents médicaux » de la recommandation n° 31, il s'agit de permettre à des jeunes sélectionnés dans les territoires sous-denses de progresser dans leurs études, tout en sachant qu'ils seront plus facilement disposés à s'installer dans leur région d'origine.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué leurs expériences de « deal » avec des praticiens, notamment sur les loyers, pour les convaincre de venir s'installer dans une zone sous-dotée. J'en ai moi-même connu. C'est une pratique qui existe, même si elle tend à reculer. Comme les maisons de santé se développent, le jeu de la concurrence s'estompe. Les cabinets de recrutement ont également normalisé, voire moralisé leurs pratiques, et les élus locaux tombent de moins en moins dans le piège du chantage.
Pour tout dire, j'aurais même souhaité proposer que les loyers soient les mêmes partout afin d'éviter cette surenchère dans les demandes d'avantages. Du reste, ne perdons pas de vue que ce type d'installations est en moyenne subventionné à 80 % par les collectivités, les 20 % restants étant couverts par l'emprunt du médecin - c'est en fait ce que couvre le loyer.
Nous avons calqué la carte du vote pour les extrêmes, notamment pour l'extrême droite, aux scrutins de 2024 sur celle des déserts médicaux : elles correspondent parfaitement ! C'est pourquoi je suis persuadé que nous devons reprendre la main, via la régulation. Il s'agit d'un enjeu politique majeur. Nous aurons d'ailleurs un premier test de notre capacité à réguler en orientant l'installation lors de l'arrivée des 3 900 médecins juniors en 2026. Il ne faudra pas céder à la tentation des CHU de récupérer ces internes pour répondre à leurs propres difficultés.
Pour finir, je reviens à la recommandation n° 1, qui est un premier pas vers la régulation de l'installation. Elle ne pourra être mise en place que par le conventionnement ou le non-conventionnement avec l'Assurance maladie.
En votant les 38 recommandations de ce rapport d'information, nous nous donnerons un peu plus les moyens de pousser les médecins à s'installer là où nous voulons qu'ils s'installent, et nous confierons des compétences à deux professions qui n'en ont pas suffisamment aujourd'hui pour pouvoir soigner les Français de manière correcte.
Il faut que le législateur s'empare du sujet. Nous n'avancerons pas en nous en remettant aux seules habitudes du Conseil national de l'ordre des médecins ! Le 29 octobre dernier, devant la commission des affaires sociales, son vice-président affirmait une nouvelle fois que les 3 900 jeunes qui seront formés seront l'alpha et l'omega de la réponse aux déserts médicaux.
Je n'y crois absolument pas. Nous devons, mes chers collègues, prendre nos responsabilités !
M. Jean-François Longeot, président. - Au travers de ce rapport d'information, vous avez pris les vôtres, mon cher collègue. Vous nous avez fixé une ligne de travail. Nous ne devons pas nous arrêter là.
Mes chers collègues, j'en appelle à la solidarité au sein de notre commission pour que nous puissions passer à l'action. Notre chemin est semé d'embûches : l'ordre des médecins, les Jeunes médecins, les ministères, quels qu'ils soient - je m'en suis rendu compte en préparant mes deux rapports de 2016 et 2020. La position de la commission des affaires sociales peut différer de la nôtre. Il faut que ce soit nous qui donnions le la, qui montrions la voie.
Voter en faveur de ces travaux, ce n'est pas seulement reconnaître le travail du rapporteur : c'est, surtout, oeuvrer en faveur de nos concitoyens. Sur le terrain, on nous parle constamment de l'accès aux soins. C'était déjà l'un des thèmes de la campagne pour l'élection présidentielle.
C'est la vision de notre commission qui doit l'emporter au sein du Sénat. Il faut que nous puissions unir nos forces pour convaincre nos partenaires potentiels. Nous devons montrer que notre commission est celle qui a travaillé, qui a réfléchi, en associant l'ensemble de ses commissaires.
À cet égard, un vote unanime servirait l'intérêt général. C'est ce qui doit primer ! C'est en considérant l'intérêt général que nous ferons avancer les choses.
Les territoires riches ont les moyens de faire monter les enchères pour attirer les médecins. Il faut reconnaître que l'on en manque aujourd'hui.
Marie-Claude Varaillas a rappelé que plus de 70 % des médecins étaient des femmes. Il faut respecter le temps partiel, mais cela implique qu'il faudra plus de médecins qu'il n'en fallait hier.
Ce rapport traduit une volonté forte. Nous sommes sur la voie de la réussite. Je le voterai avec enthousiasme. Les membres de mon groupe le voteront également.
Merci, monsieur le rapporteur, de votre travail.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
Désignation d'un membre du Bureau
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, lors de la réunion du Bureau de notre commission le 30 octobre dernier, Didier Mandelli nous a informés de son souhait de renoncer à ses fonctions de premier vice-président. Nous avons pris acte de sa décision.
Je tiens à le remercier pour les échanges constructifs que nous avons eus lors de chacune de nos réunions depuis que je préside cette commission et de sa participation active à la gouvernance de celle-ci, au sein de notre instance collective. Je suis sûr qu'il apportera la même valeur ajoutée à l'instance collégiale à laquelle il appartient désormais en sa qualité de vice-président du Bureau du Sénat.
Je vous rappelle que, en application de l'alinéa 9 de l'article 13 du Règlement du Sénat, « en cas de vacance d'un poste de vice-président ou de secrétaire, le groupe intéressé fait connaître au président de la commission le candidat qu'il propose. »
Compte tenu de la proposition formulée par le groupe Les Républicains, je vous propose de désigner M. Philippe Tabarot comme premier vice-président.
M. Philippe Tabarot est désigné premier vice-président.
Mission d'information sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec) - Création de la mission et désignation des rapporteurs
M. Jean-François Longeot, président. - Mercredi 16 octobre dernier, le Bureau de la commission a acté le principe de la création d'une mission d'information sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec).
Quatre ans après l'entrée en vigueur de cette loi, nous commençons à observer l'impact des filières à responsabilité élargie du producteur (REP) sur la compétitivité de nombreux acteurs économiques, alors que les écocontributions payées par les producteurs en application du principe pollueur-payeur montent progressivement en charge.
En parallèle, les résultats environnementaux attendus ne sont pas toujours au rendez-vous : les objectifs de recyclage des emballages plastiques ne sont pas atteints, ce qui conduit la France à payer, chaque année, une contribution de 1,5 milliard d'euros à l'Union européenne, comme nous l'avons évoqué pas plus tard que la semaine dernière au cours de l'audition de la ministre Agnès Pannier-Runacher. Les objectifs de collecte ne sont pas davantage atteints, tandis que le réemploi et la réutilisation, qui, dans l'esprit de l'économie circulaire, doivent être privilégiés, restent encore balbutiants.
Enfin, la mise en place de certaines des nouvelles filières REP créées par la loi Agec est particulièrement laborieuse.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable doit prendre toute sa place dans le débat public pour éclairer au mieux le législateur, en menant ses propres travaux d'évaluation. Nous avons été alertés, Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études Économie circulaire, et moi-même, sur ces signaux et sur la nécessité d'un travail du Sénat. Le Bureau de la commission a pleinement approuvé cette démarche. C'est pourquoi nous avons décidé de lancer une mission interne d'information sur le bilan de la loi Agec de 2020.
Afin d'associer le plus largement possible les commissaires à ces travaux, il a été décidé qu'un corapporteur issu d'un groupe minoritaire serait désigné et que l'ensemble des commissaires qui le souhaitent pourraient assister aux auditions des rapporteurs.
J'ai reçu les candidatures de Marta de Cidrac et de Jacques Fernique. Je vous propose de les désigner rapporteurs.
La commission désigne Mme Marta de Cidrac et M. Jacques Fernique rapporteurs de la mission d'information sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec).
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je vous félicite et vous souhaite bon courage pour engager le travail qui vous attend. Nous y porterons une très grande attention.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Bien évidemment, mes chers collègues, les auditions seront ouvertes à tous. Nous mènerons notre travail de manière transpartisane et ouverte.
Le sujet est éminemment important pour nos collectivités. Je ne doute pas que vous en ayez parfaitement conscience !
M. Jacques Fernique, rapporteur. - J'insiste sur la nécessité d'une collaboration transpartisane.
Nous avons à comprendre pourquoi, cinq ans après la loi Agec, 40 % des déchets qui sont théoriquement soumis à REP échappent encore à la collecte. Nos objectifs de recyclage ne sont pas atteints, et ceux du réemploi le sont encore moins. Il nous faudra étudier comment nous pouvons rectifier cette tendance, surtout que ce sont les collectivités qui paient les pots cassés de ces trajectoires non réalisées.
Communication
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, avant que nous nous quittions, je souhaite faire un rapide rappel de la réglementation relative aux obligations de présence aux réunions de notre commission mentionnées à l'article 23 bis du Règlement du Sénat.
Pour les travaux de commission, qu'elle soit permanente ou spéciale, les obligations de présence s'appliquent uniquement aux réunions convoquées le mercredi matin et consacrées à l'examen de projets de loi, de propositions de loi ou de résolution. Trois critères cumulatifs sont donc à retenir : mercredi, matin et législatif, d'où l'appellation de « réunions MML ». Ces réunions sont mises en valeur dans vos convocations et dans le calendrier prévisionnel par la présence d'un double encadré.
J'appelle votre attention sur nos réunions du mercredi matin des 20 et 27 novembre et du 4 décembre prochains, qui seront des MML et au cours desquelles l'absence sera donc décomptée.
J'attire votre attention sur le fait que sont également visés à l'article 23 bis du Règlement du Sénat les séances de questions d'actualité au Gouvernement et les votes, y compris les explications de vote, sur les projets de loi et propositions de loi ou de résolution déterminés par la Conférence des présidents.
Bien entendu, le Règlement du Sénat prend en compte la spécificité de nos collègues ultramarins. Par ailleurs, des motifs de dérogation sont prévus à l'article 23 bis du Règlement, auquel je vous invite à vous reporter.
La réunion est close à 11 h 10.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 16 h 45.
Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.
La réunion est close à 18 h 20.