Mardi 12 novembre 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - C'est avec un plaisir tout particulier que nous accueillons Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine ; elle retrouve ici une commission où elle a siégé et travaillé pendant tant d'années, en particulier sur les sujets qui concernent le secteur du logement, avec nos collègues Amel Gacquerre et Viviane Artigalas, ou bien encore avec Marie-Noëlle Lienemann au moment où le groupe Action Logement était directement menacé.

Mais cette satisfaction n'est pas seulement celle d'accueillir une ancienne collègue : elle résulte aussi du fait que le Premier ministre Michel Barnier a clairement pris conscience des conséquences politiques, sociales et économiques de la crise du logement dans notre pays. C'est la raison pour laquelle, pour la première fois depuis 2017, il a nommé un ministre de plein exercice chargé du logement et de la rénovation urbaine. Valérie Létard s'est battue pour cela et en a fait une condition non négociable pour accepter de rejoindre le Gouvernement. Nous nous félicitons de ce ministère de plein exercice, car jusqu'alors le secteur du logement était traité comme un marché qui devait se réguler naturellement, les investisseurs étant considérés comme des rentiers plutôt que comme des entrepreneurs jouant un rôle dans la vie économique et sociale de notre pays. Désormais, le logement apparaît comme un bien essentiel à la vie de chacun d'entre nous.

Le Premier ministre a choisi une femme aux convictions connues. Chacun le sait, Valérie Létard est engagée en faveur de la rénovation urbaine, dont elle est une actrice historique, à l'échelon national comme dans sa région des Hauts-de-France. Elle s'est aussi engagée pour l'implication des entreprises dans le logement des salariés, au travers d'Action Logement, ou encore contre la réduction de loyer de solidarité, la fameuse RLS, dont nous constatons les dégâts dans les offices publics de l'habitat (OPH) comme dans les entreprises sociales pour l'habitat (ESH) dans tous nos départements, et à laquelle nous nous sommes pour la plupart opposés.

Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a placé le logement en haut de la pile des priorités, conscient qu'il représente la première dépense des ménages. Il a pris un certain nombre d'engagements : la relance de l'accession à la propriété, avec le prêt à taux zéro (PTZ), la relance de l'investissement locatif, ou encore la mise en oeuvre de mesures de simplification et d'assouplissement pour la construction et la rénovation.

C'est donc un vrai tournant par rapport à la politique suivie depuis 2017 qu'il vous revient de concrétiser, madame la ministre. Les prises de parole du Premier ministre qui forment votre feuille de route ont fait naître un réel espoir, celui d'un gouvernement qui prendrait enfin des mesures contre la crise du logement plutôt que des mesures qui aggravent la situation, comme nous l'avions dénoncé dans le rapport d'information que nous avons présenté au mois d'avril dernier, avec Amel Gacquerre et Viviane Artigalas.

Ce tournant est absolument nécessaire, il ne faut laisser personne en douter. Certains voient dans la baisse des taux d'intérêt la fin de la crise du marché immobilier ou la baguette magique pour redonner des subsides à bon compte aux bailleurs sociaux. D'autres continuent d'imaginer des martingales pour ne pas construire, comme récemment l'idée selon laquelle le départ des personnes âgées de leurs logements résoudrait le problème - ignorant qu'un grand nombre de retraités habitent en zone non tendue.

Si ce changement de politique reste urgent, c'est parce que les conséquences de la crise sont toujours là : le secteur de la construction est en danger, le parcours résidentiel est bloqué, le mal-logement est prégnant et la rénovation énergétique reste le grand défi à relever. Nombre de nos concitoyens sont frustrés parce que leur projet de vie est empêché. Le développement économique est lui-même entravé, puisque là où l'on pourrait embaucher, il n'y a pas de logements, ou du moins pas assez.

Alors que la crise et l'urgence sont là, le cadrage budgétaire dont vous héritez, madame la ministre, est celui dessiné à l'été 2024, quand de nombreux problèmes ont été laissés en suspens. Si, pour des raisons techniques de changement de périmètre, les chiffres globaux sont flatteurs, il n'en va pas de même dès lors que l'on considère la situation dans le détail.

Ainsi, la rénovation urbaine a été laissée sans financement de l'État en 2024 et le sera peut-être aussi en 2025. De même, le financement du Fonds national des aides à la pierre (Fnap) serait laissé à la charge des bailleurs sociaux, si l'on n'apportait pas de correction. La RLS pourrait également être indexée et non plafonnée, et je pourrais encore citer bien d'autres sujets.

Je voudrais donc, madame la ministre, que vous nous présentiez votre budget en même temps que la manière dont vous envisagez de dénouer le noeud gordien du logement.

Sachez que vous pourrez compter sur notre commission et sur le Sénat, dans sa large majorité, pour vous y aider.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat.

Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine. - Cette audition revêt forcément pour moi une importance particulière. J'ai quitté votre commission en 2023, avec de la peine au coeur et en pensant ne pas y revenir. Le travail que vous y menez, d'une manière collégiale et au-delà des sensibilités particulières, est d'une qualité incroyable et donne le sentiment de faire avancer les choses. C'est donc pour moi un plaisir et un honneur que de revenir participer à vos travaux en tant que ministre de plein exercice, afin de vous éclairer sur l'état d'avancement de la préparation du budget de mon ministère - dont je précise qu'il n'est pas figé ni arrêté. J'accorde d'autant plus d'importance à cette audition que je connais votre expertise, de sorte qu'il me faudra être la plus précise possible sur les éléments que je vous livrerai. Votre travail est essentiel et je m'en inspire !

Je vais donc vous présenter le budget de mon ministère, ainsi que la feuille de route que je souhaite mettre en place, six semaines après la nomination du Gouvernement.

Je commencerai par rappeler deux éléments de contexte.

Tout d'abord, d'un point de vue politique, le contexte parlementaire a changé, ce qui amène à développer une approche et un travail différents. Vous connaissez mieux que personne la richesse et la complexité de la réalité parlementaire.

Ensuite, le contexte économique et budgétaire dans lequel se trouve le secteur a été décrit à plusieurs reprises par les acteurs. Le président d'Action Logement, lors du congrès de l'Union sociale pour l'habitat (USH), a exposé de façon assez crue et avec sincérité les menaces qui pèsent aujourd'hui sur des centaines de milliers d'emplois.

Ces circonstances rendent d'autant plus difficile l'exercice auquel je me prête devant vous. Je reste toutefois convaincue que sur le logement, nous pouvons au moins aboutir à un constat commun, et une conjonction des bonnes volontés. C'est pourquoi ce que je vous présenterai prendra la forme d'une feuille de route - ou du moins son état d'avancement, car les choses cheminent et s'améliorent vers un plan d'action à moyen terme.

Mais, parce que la situation que je viens de décrire demande des réponses rapides, je souhaite aussi prendre certaines mesures qui relèvent de l'urgence, ou du bon sens, dans le cadre de l'examen budgétaire.

J'achève à peine mon deuxième mois à la tête de ce ministère et les résultats n'ont rien d'instantané. J'aimerais toutefois que vous reteniez un symbole. En effet, comme madame la présidente vient de le rappeler, cela faisait très longtemps qu'il n'y avait pas eu de ministère du logement de plein exercice. J'avais exigé qu'il en soit ainsi avant d'accepter le poste, et cette exigence a été satisfaite. Au-delà du symbole, il nous faut désormais prendre la mesure de l'importance politique et budgétaire de ce ministère.

J'en viens donc au budget que le Gouvernement a préparé et que vos collègues de la commission des finances ont examiné cet après-midi. Au sein de la mission « Cohésion des territoires », le ministère du logement met en oeuvre la stratégie du Gouvernement à travers plusieurs politiques : la production et la rénovation de logements, dans le cadre du programme 135 ; l'hébergement et l'insertion des personnes vulnérables, au sein du programme 177 ; enfin, la politique de la ville (c'est le programme 147). Mon ministère représente donc 98 % des crédits de la mission. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit actuellement plus de 23 milliards d'euros de crédits pour cette mission, dont le budget est réparti en quatre axes.

Le premier de ces axes est le soutien à la production de logements et à l'accession à la propriété. Comme je l'ai annoncé, conformément à la déclaration de politique générale du Premier ministre, le prêt à taux zéro sera élargi à tout le territoire pour le logement neuf, et maintenu pour l'ancien en zone détendue. Cette mesure, très attendue par la chambre haute, devrait favoriser le retour des ménages vers l'accession à la propriété. Cette extension à tout le territoire concernera aussi bien les appartements que les maisons individuelles. Même si cela relève du domaine réglementaire, je souhaite que nous puissions débattre des quotités de prêt, qui sont fondamentales pour assurer le succès du PTZ.

En complément, il faudra soutenir l'investissement locatif, compte tenu notamment de la fin programmée du dispositif Pinel. La défiscalisation des donations pour les enfants et petits-enfants est un sujet qu'il faudra traiter. L'objectif est en réalité d'utiliser ces capitaux dormants. Plusieurs propositions en la matière ont été faites à l'Assemblée nationale. Je soutiendrai bien évidemment les initiatives du Sénat qui permettraient d'aboutir à un dispositif consensuel avec l'Assemblée nationale.

La production de logements sociaux doit être un autre moteur de la reprise. Le taux du livret A baissera au 1er février 2025 - Antoine Armand et Éric Lombard me l'ont assuré. Viviane Artigalas connaît bien ces sujets. Nous travaillerons ensemble pour calibrer au mieux cette baisse, qui doit être importante.

Je suis convaincue que nous devons aller plus loin pour redonner des marges de manoeuvre aux bailleurs, sans aucun tabou. Ainsi, le Gouvernement proposera une baisse de la RLS de 200 millions d'euros en contrepartie d'engagements précis de la part des bailleurs sociaux sur la production de logements.

Au-delà de la désindexation, nous ferons donc un effort important, inédit depuis 2017, en faveur des bailleurs sociaux. Je réunirai dans les prochains jours leurs représentants de manière à aboutir, avant la mi-décembre, à un ensemble d'engagements réciproques. En échange de cet ajustement budgétaire, il y aura des exigences, les objectifs déterminants qui seront fixés dans le cadre des engagements que prendront les bailleurs sociaux au sein du dispositif seront évalués. Il faudra en effet que les résultats soient au rendez-vous, pour pouvoir continuer dans cette voie dans les années à venir.

Le deuxième axe consistera à assurer l'hébergement et l'accès au logement des plus démunis. Les capacités d'accueil du parc d'hébergement d'urgence seront maintenues à 203 000 places durant l'année 2025, comme en 2024. Le Gouvernement a en effet débloqué 250 millions d'euros afin d'assurer le financement complet de l'année 2024 et de sécuriser un nombre de places conforme au niveau d'exigence attendue. Ces crédits intègrent le coût du Ségur de la santé, ce qui devrait apaiser les inquiétudes du secteur.

Le plan Logement permet, depuis 2018, d'orienter le plus rapidement possible vers le logement les personnes sans abri ou mal-logées tout en assurant un accompagnement social adapté aux besoins. Il bénéficiera de 29 millions d'euros supplémentaires en 2025 pour pouvoir tenir l'objectif fixé, soit 30 000 créations de places en intermédiation locative et 10 000 créations de places en pension de famille entre 2023 et 2027. Depuis 2017, quelque 550 000 personnes sans domicile ont pu être ainsi relogées.

Le troisième axe vise à assurer la stabilité et la visibilité des dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements. Dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov', le système d'aide articulé autour du parcours accompagné pour les rénovations d'ampleur et du parcours par gestes pour le remplacement des systèmes de chauffage fossile et les travaux d'isolation sera maintenu en 2025. La stabilité des modalités de financement sera une priorité de mon action en matière de rénovation énergétique. C'est là une demande forte des usagers et des fédérations professionnelles, dont vous connaissez les inquiétudes. Le passage du geste de rénovation globale aux monogestes avait généré un stop-and-go dont une partie des filières subissent encore les conséquences. Je m'engage donc à ce que le monogeste et la rénovation globale ne soient pas opposés, mais maintenus l'un comme l'autre, car ils sont complémentaires. Je veux ainsi prendre en compte les recommandations de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et de la Fédération française du bâtiment (FFB) quant à la nécessité de ne pas revenir à la disposition de janvier 2024.

Certes, il faudra des ajustements, notamment pour ce qui concerne les chaudières à gaz qui consomment de l'énergie fossile, ce qui ne correspond pas aux orientations du plan Climat. Malgré les points de crispation qui subsistent, je veillerai à conserver la trajectoire qui a été choisie, car même si la rénovation globale est l'idéal, pour certains usagers, le monogeste reste un moyen d'entrer dans un parcours accompagné.

Pour mettre en oeuvre cet accompagnement, nous disposons de 600 points de conseil France Rénov' ouverts ou en cours de réalisation. C'est aussi grâce à l'action de proximité que nous pourrons mieux accompagner les usagers dans la rénovation énergétique de leur logement.

Le quatrième axe consiste à poursuivre la mise en oeuvre des contrats de ville et de la politique de rénovation urbaine. Les crédits du programme 147 permettront de financer de nouveaux contrats de ville « Engagements quartiers 2030 » pour la période 2024-2030. Le financement du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) sera bien entendu assuré en 2025 ; le Gouvernement déposera un amendement en ce sens au Sénat. Hors contribution financière de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), les crédits de la politique de la ville seront ramenés au niveau des dépenses constatées en 2023 sur ce programme.

Si je souhaite agir vite pour ce qui relève presque de l'évidence, je veux aussi vous donner une perspective de moyen terme.

Loger mieux, cela passe d'abord par la production de logements. Nous devons nous atteler à diminuer les coûts de production, par des simplifications en matière d'urbanisme et de normes de construction. Je pense surtout aux territoires urbains, ultramarins et insulaires, pour lesquels ces problématiques sont particulièrement sensibles. Je veillerai à ce que les orientations prises à l'échelle européenne intègrent ces enjeux et à ce que les textes européens ne soient pas surtransposés, pour maîtriser les coûts. Je reprendrai toutes les mesures de simplification qui faisaient consensus dans les débats passés, en exploitant les véhicules législatifs qui me permettront de les faire adopter le plus vite possible.

Pour produire plus de logements, il faut développer l'industrie de la transformation urbaine. Un premier travail a été engagé dans le cadre de la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements. Je sais que votre chambre est particulièrement investie sur ce texte. Le Gouvernement le soutient et je veux croire qu'il achèvera rapidement son parcours législatif. En tout cas, je m'y emploie.

Je suis convaincue que nous devons être plus incitatifs en matière de réhabilitation. Je souhaite travailler avec le Parlement sur le sujet spécifique des friches commerciales et je serai attentive à toutes vos propositions en la matière.

Les bailleurs sociaux sont les principaux producteurs de logements. La compression de l'échelle des salaires rend le logement social de plus en plus important dans les parcours résidentiels. Je connais la situation difficile des bailleurs, largement soulignée par la Caisse des dépôts et consignations, et je crois que nous ne pourrons sortir des difficultés que par des engagements conjoints garantissant l'investissement de tous les bailleurs pour aller au-delà des 82 000 logements agréés en 2023, comme je l'ai expliqué : c'est le sens de la baisse du taux du livret A et de la RLS.

Nous ne produirons pas non plus de logements sans les élus locaux. Il faut notamment, par un travail de simplification, faciliter la délivrance des autorisations d'urbanisme et le recours aux dérogations des plans locaux d'urbanisme (PLU).

Loger mieux implique aussi que les logements produits répondent aux besoins. La solidarité nationale doit apporter son concours à certains publics ; c'est l'un des piliers de notre pacte républicain. Cela concerne tout d'abord les personnes sans abri. Alors que nous entrons dans l'hiver, les besoins sont monstrueux ; je suis extrêmement attentive à cette réalité. Les élus sont en première ligne dans les territoires pour y faire face.

Il faut maintenir la dynamique lancée dans le cadre du plan Logement d'abord, voulu par le Président de la République en 2018. Nous devons améliorer la fluidité du parc, grâce à un partenariat renforcé avec mon collègue ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau. Je l'ai déjà rencontré sur ce sujet et nous travaillerons main dans la main. Je travaillerai également avec ma collègue ministre du travail sur un accompagnement vers l'accès à l'emploi. En effet, un plan sur les métiers en tension permettrait de faire sortir de nombreuses personnes de l'hébergement d'urgence, ce qui libérerait des places. Nous devons nous emparer de ce sujet, et je m'y emploierai.

Je serai attentive au développement de la prise en charge de l'hébergement des femmes victimes de violences. Certes, j'ai choisi de mener mon combat de manière plus globale, en finançant 203 000 places d'hébergement d'urgence en 2025 tout en intégrant le coût du Ségur. Toutefois, je serai particulièrement attentive à la situation des femmes victimes de violences et des femmes avec enfants, dans le cadre des échanges que je pourrai avoir avec les préfets. Il s'agit en effet d'un public particulièrement vulnérable, sur lequel nous devons porter un regard attentif. Sur ce sujet, il nous faut améliorer la mobilisation interministérielle, qu'il s'agisse de l'emploi, de la santé, de la solidarité ou de l'éducation. Vos collègues de la délégation sénatoriale aux droits des femmes me remettront prochainement leur rapport d'information Femmes sans abri, la face cachée de la rue, sur lequel je souhaite m'appuyer. Encore une fois, de manière générale, je regarderai avec bienveillance et attention les travaux du Sénat, qui m'aideront à cheminer dans la bonne direction.

L'État est aussi responsable du logement étudiant. Nous devons en assurer la production avec les bailleurs sociaux, les gestionnaires privés et les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous). Il faudra développer le logement étudiant intermédiaire pour les étudiants de classe moyenne. Plus globalement, nous devons simplifier les normes et accompagner les projets. Je mobiliserai les préfets en ce sens, en lien étroit avec mon collègue Patrick Hetzel. Nous nous appuierons sur tous les dispositifs qui sont à notre disposition. Je souhaite ainsi que la transformation des bureaux en logements puisse contribuer à accélérer notre production de logements étudiants. Je m'assurerai également du concours de la Caisse des dépôts et consignations et je mobiliserai les services de mon ministère pour que les progrès soient concrets.

Je souhaite par ailleurs favoriser le logement intergénérationnel et les nouvelles formes d'habitat collectif permettant aux personnes âgées de continuer à vivre à domicile le plus longtemps possible. Je compte lancer une mission sur ce sujet, qui rendra ses conclusions avant la fin du premier trimestre 2025. Il faut aussi veiller au renforcement et à l'accessibilité du dispositif MaPrimeAdapt'.

Loger mieux implique également de mobiliser le parc existant, d'abord en favorisant la location de longue durée dans le parc privé. Un premier jalon a été franchi pour la régulation des meublés de tourisme. Nous devons maintenant mener un travail d'ampleur sur la rentabilité et la sécurité de l'activité de location résidentielle. Il faut trouver les moyens de rassurer les propriétaires comme les locataires et de simplifier l'accès au logement, par exemple en révisant les dispositions contractuelles et en prévenant les impayés de loyer de manière plus efficace. Il faut aussi se pencher sur chaque poste de rentabilité, des charges aux travaux et aux loyers. À ce titre, je souhaite que votre commission se mobilise pour une évaluation de l'encadrement des loyers dès le milieu de l'année prochaine.

Pour mieux exploiter le parc existant, il faut aussi s'appuyer sur tout le parc social. Les bailleurs sociaux font déjà un travail fin de gestion locative et cherchent à s'améliorer, comme en témoigne le thème du prochain congrès HLM.

Nous devons également aboutir à des mesures utiles d'accompagnement de la mobilité des locataires. Il faudra donner des marges aux bailleurs, pour qu'ils puissent baisser les loyers d'un logement neuf susceptible d'accueillir, par exemple, une personne âgée quittant un grand logement en étage, sans ascenseur, qui ne lui est plus adapté, tout en ajustant les loyers d'autres logements pour compenser cet effort.

Mieux exploiter le parc existant implique aussi d'assurer sa rénovation énergétique. Je travaille sur ces questions de concert avec Agnès Pannier-Runacher, dont le champ de compétences est complémentaire du mien. Cet effort englobe tant le logement que les bâtiments tertiaires. L'État investit massivement dans la rénovation du parc privé, via MaPrimeRénov' ; les crédits prévus à ce titre permettront 350 000 rénovations l'année prochaine. Je me suis engagée à maintenir les aides à leur niveau actuel. De plus, nous continuerons d'accompagner la filière, de simplifier l'accès au label RGE (« reconnu garant de l'environnement »), de déployer le service public de la rénovation, avec les collectivités, et de faciliter les financements : pour ce dernier point, Mmes Gacquerre et Margaté, qui ont déjà travaillé sur ce sujet au sein de votre commission, intégreront un groupe de travail sur la création d'une banque de la rénovation, chargé d'apporter à ce projet les ajustements nécessaires pour le respect des objectifs et des jalons.

Nous nous appuierons aussi sur les bailleurs sociaux. J'ai obtenu le report de 200 millions d'euros de crédits pour financer ces rénovations l'année prochaine et ainsi prolonger la mobilisation des bailleurs.

Enfin, je continuerai de lutter contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil. Je pense aux victimes des effondrements de la rue d'Aubagne, à Marseille, et à celles de toutes les situations de mal-logement. Nous mettrons tout en oeuvre pour lutter contre ce fléau, en nous appuyant sur la loi du 9 avril 2024 sur les copropriétés dégradées.

Concernant l'aménagement du territoire, en tant qu'élue d'un bassin minier, je connais la désindustrialisation, l'habitat indigne et les centres-villes qui se vident ; je suis convaincue du besoin de planifier, de soutenir et de financer. Il faut une vision tant locale que nationale de l'aménagement du territoire ; mon action sera guidée par le souci d'un développement territorial équilibré. L'État s'engage à conduire, aux côtés des collectivités, des opérations stratégiques de production de logements par l'action des établissements publics d'aménagement (EPA) et des établissements publics fonciers (EPF), ainsi que par des démarches partenariales telles que les projets partenariaux d'aménagement (PPA) et, plus récemment, les « territoires engagés pour le logement » ; les dernières conventions de ces territoires seront très prochainement signées grâce au dégel et au report de crédits que j'ai obtenus.

En cohérence avec nos objectifs de sobriété foncière et de protection des espaces agricoles, naturels et forestiers, je contribuerai au travail sur l'adaptation du cadre du « zéro artificialisation nette » (ZAN) que conduira ma collègue Catherine Vautrin, cheffe de file sur ce sujet, en coordination avec Agnès Pannier-Runacher et moi-même. Ce travail devra permettre une mise en oeuvre plus facile et plus souple du ZAN ; je veillerai à ce que les enjeux de logement soient pris en compte à leur juste place. Les sénateurs Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc, dont je salue l'engagement sur ce sujet, seront associés à ce travail.

L'État a un rôle à jouer dans la réflexion sur les liens entre emploi et logement. Je salue le travail accompli en la matière par Action Logement. Certaines dynamiques locales nécessitent sans doute d'être amplifiées, par des expérimentations et la mobilisation des leviers de l'État.

J'en viens à un sujet qui me tient particulièrement à coeur au vu de mon parcours professionnel et politique, celui de la politique de la ville. Je sais l'inquiétude qui s'exprime et je veux redire que je serai pleinement mobilisée sur ces sujets. Certes, je ne gagnerai pas tous les combats. Une contribution financière à la nécessaire maîtrise budgétaire est attendue de ce département comme de tous les ministères. Néanmoins, je me mobiliserai pour l'amélioration de cette politique.

Je porterai une politique territoriale forte en priorisant fermement le recours au droit commun. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ont besoin d'une mobilisation durable ; ce doit être un réflexe dans chaque strate de politique publique, et ce sera l'un des principaux objectifs du comité interministériel des villes que je veux réunir, sous l'autorité du Premier ministre, au début de 2025. Je souhaite une réelle coordination entre les collectivités territoriales, les agences et opérateurs de l'État - agences régionales de santé (ARS), caisses d'allocations familiales (CAF), caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Caisse des dépôts... -, les entreprises et les associations.

Je serai enfin très attentive à la mise en oeuvre des programmes de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Tous les crédits ont été répartis et tous les quartiers sont en chantier, avec 3 460 opérations livrées, 12 000 en cours et 2,4 milliards d'euros de subventions versées. Je serai attentive à poursuivre cet effort ; l'État y prendra sa part en 2025.

Voilà les trajectoires que j'entends donner à mon action. La crise que subit le secteur nécessitait aussi des réponses de court terme, en deçà de cette feuille de route qui embrasse une période plus large. Il m'a fallu les apporter, pour redonner confiance aux acteurs du logement. Vous aurez un rôle important à jouer pour conforter cette dynamique attendue, je sais pouvoir compter sur vous et vos nombreux travaux. Pour ma part, je continuerai à porter mes convictions autant que je le peux, avec la loyauté qui s'impose à moi comme membre du Gouvernement, mais avec aussi beaucoup d'exigence.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous ne doutons nullement de vos convictions, madame la ministre : comme membre de notre commission déjà, vous étiez extrêmement rompue à tous les sujets du logement et de la politique de la ville, et pleine de détermination. Je sais combien votre nomination à ce poste a été favorablement accueillie par l'écrasante majorité des acteurs du secteur.

Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis. - J'ai quelques questions à vous poser, madame la ministre, sur la relance de la construction et de l'accession à la propriété, sur le financement du logement social, sur le traitement des copropriétés en difficulté et sur l'hébergement d'urgence.

Concernant la relance de la construction dans le parc privé, pouvez-vous nous confirmer que le Gouvernement pourrait soutenir un dispositif qui serait un mix du dispositif dit « Balladur » de 1994 et de la « donation Sarkozy » de 2004, en permettant une donation défiscalisée afin d'acquérir un premier logement neuf en résidence principale ? Si tel est bien le cas, sera-t-il possible d'aller jusqu'à 150 000 euros, somme avec laquelle on peut vraiment accéder à la propriété en province ?

Concernant le logement social, les bailleurs sociaux appellent de leurs voeux, depuis six ans, une réduction de la RLS. Je vous félicite de l'annonce que vous venez de faire d'une baisse de 200 millions d'euros de cette dernière. Avec la baisse du taux d'intérêt du livret A, cette mesure donnera un peu d'air pour la production de logement social.

Sur 750 000 copropriétés immobilières, 150 000 seraient en difficulté. Marianne Margaté et moi-même avons présenté en juillet dernier les conclusions d'une commission d'enquête sur cette paupérisation grandissante. Des immeubles se dégradent, des propriétaires restent sans moyens, et des marchands de sommeil en font leur fonds de commerce. Les petites copropriétés, parfois sans syndic, sont les plus touchées, sans qu'aucune politique publique ne les cible aujourd'hui. Nous avons émis 25 propositions concrètes, que nous serions heureuses de vous présenter prochainement. Un travail est-il prévu sur ce sujet ?

Enfin, les besoins de l'hébergement d'urgence sont criants. Je sais combien vous êtes sensible à ce sujet. Le programme 177 est structurellement sous-doté de 250 millions d'euros. Chaque soir, plusieurs milliers de familles avec enfants ne trouvent pas de réponse au 115. La délégation aux droits des femmes du Sénat s'est penchée sur le sort des femmes à la rue et a demandé la création de 10 000 places. Vous avez annoncé le maintien de 203 000 places pour 2025, mais tous les acteurs nous disent que ce ne sera pas suffisant. La situation devrait s'aggraver l'année prochaine avec la suppression de plusieurs milliers de places dans le dispositif national d'asile (DNA). Comment cette situation sera-t-elle traitée ?

Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis. - Il me revient de vous interroger sur la politique de la ville ; je voudrais vous poser trois questions sur les moyens de l'Anru, les contrats de ville et les adultes relais.

Concernant l'Anru, j'alerte depuis de nombreuses années : l'État ne paye pas sa part de l'effort. Aujourd'hui, ne faisons pas en sorte qu'il ne soit pas du tout au rendez-vous ! Les 50 millions d'euros destinés à financer le NPNRU en 2024 ont été annulés et la ligne du budget 2025 est vierge. Vous venez toutefois d'annoncer vouloir y remédier, à hauteur de 50 millions d'euros ; je m'en félicite. Les annonces initiales étaient graves, parce que le NPNRU est un vrai succès, nous nous le constatons à chaque déplacement.

L'Anru doit maintenant décaisser environ 1 milliard d'euros par an ; elle ne pourra pas le faire sans l'appui de l'État. Certains espèrent que les difficultés financières des collectivités les conduiront à renoncer à leurs projets et éviteront à l'État de payer ! Je refuse absolument cette politique du « chien crevé qui suit le fil de l'eau », qui serait aussi une double peine pour les communes les plus pauvres, et je sais que vous ne la souhaitez pas non plus. Alors dans le contexte financier que nous connaissons, comment faire ? Est-il envisageable de repousser la fin du programme ? Est-il envisagé de reporter certains projets à un troisième programme national de renouvellement urbain ? Enfin, ne faut-il pas lancer une revue de programme et prioriser les actions plutôt que d'attendre les échecs, les renoncements et les impasses ?

Le budget 2025 est difficile, en décroissance. Pour autant, pouvez-vous nous garantir que les moyens déconcentrés des contrats de ville, qui correspondent au budget d'un très grand nombre d'associations des quartiers, seront préservés ?

Enfin, concernant les adultes relais, je peux comprendre la contrainte budgétaire, mais pas son application comptable consistant à ne pas renouveler les contrats arrivant à échéance en 2025. On doit remettre de la politique dans les choix et arbitrer en fonction des besoins. Il faut aussi prendre garde à ne pas laisser l'ardoise aux collectivités qui, par la suite, refuseraient alors de participer à la politique de la ville, sachant qu'au bout d'un ou deux ans l'État se désengage et les laisse seules pour payer des agents que l'État les avait incitées et aidées à embaucher.

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Le programme 177 est un filet de sécurité de la solidarité nationale, c'est ce qui reste en dernier lieu ; il faudrait absolument éviter qu'il ne craque. Ses crédits sont pérennisés à hauteur de 2,9 milliards d'euros, ce qui est remarquable dans le contexte que l'on connaît. Vous vous êtes battue pour que le Gouvernement ne fasse pas d'économies sur les personnes sans domicile.

Je veux néanmoins soulever quelques points d'alerte. Si les crédits sont globalement maintenus, on relève des transferts à l'intérieur de cette ligne budgétaire. Quelque 70 millions d'euros de crédits auparavant destinés, au sein de l'hébergement d'urgence, aux nuitées les moins chères, aux nuits d'hôtel qui ne règlent rien, sont réaffectés à des places d'hébergement en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de meilleure qualité et avec de l'accompagnement social. Mais ces places coûtent environ deux fois plus cher ; on ne peut donc pas, à contour budgétaire constant, conserver l'objectif de 203 000 places, il manquerait 70 millions d'euros pour le faire tout en améliorant la qualité d'un certain nombre de places d'hébergement.

Le deuxième sujet inquiétant est l'hébergement des Ukrainiens. Aucune ligne budgétaire n'est prévue à cette fin en 2025. Les plus vulnérables d'entre eux, ceux qui n'ont pas réussi à devenir autonomes, soit quelque 45 000 personnes, sont menacés d'expulsion de l'hébergement, parfois dès janvier 2025 ; des alertes nous sont déjà remontées. Le manque de financement est estimé à environ 27,5 millions d'euros. Si rien n'est fait pour le combler, il y aura bien des personnes à la rue. Cela fait aussi courir un risque diplomatique. En outre, le bruit court déjà dans la communauté ukrainienne que, pour échapper à ce danger, mieux vaut demander l'asile, ce qui risque d'emboliser davantage encore notre système d'asile.

Le troisième point d'inquiétude concerne le fonctionnement du programme 177, comme Amel Gacquerre l'a déjà bien souligné. Ce programme est chroniquement déficitaire : quand on commence l'année, on sait déjà qu'il faudra, avant la fin de l'exercice, le compléter à hauteur de 250 millions d'euros. Je vous remercie d'avoir fait le nécessaire pour 2024, mais si l'on part sur les mêmes bases pour 2025, là encore, avant la fin de l'année, il manquera 250 millions. Ce n'est pas un glissement budgétaire, mais bien une dette ancienne que l'on traîne d'année en année. Cette situation fragilise profondément les associations, qui manquent de visibilité et ne savent pas si elles pourront être payées pour les services qu'elles rendent. La moitié d'entre elles risque de mettre la clé sous la porte en 2025, ce qui aurait un impact gravissime sur l'accompagnement de ceux qui sont dans la rue. Elles nous alertent : ce stop-and-go ne peut plus durer ! Ajoutons que ces associations, en particulier dans des territoires ruraux comme le mien, remplissent aussi d'autres missions : handicap, aide alimentaire, accompagnement de diverses populations fragiles ou de personnes hébergées en Ehpad. Si nous les perdons, nous allons nous trouver en grande difficulté.

Mme Valérie Létard, ministre. - Concernant le premier sujet d'interrogation de Mme Gacquerre, le dispositif proposé par amendement à l'Assemblée nationale, et regardé avec bienveillance par le Gouvernement, ne correspond pas exactement au dispositif dit « Balladur ». En effet, il s'agit d'une exonération de frais de succession pendant une durée limitée à un an. Le calibrage du dispositif n'est pour l'instant pas à la hauteur des attentes du Sénat ; le dispositif pourra être amélioré au fil de la navette parlementaire, le Gouvernement y sera attentif. Par ailleurs, un atterrissage souple du Pinel est également attendu - dont on sait depuis longtemps qu'il prendra fin au 31 décembre 2024 -, afin de permettre la conclusion des dernières opérations.

Il faudra ensuite travailler à un système plus durable pour les bailleurs privés ; nous nous y attellerons en 2025, avec mon collègue chargé du budget Laurent Saint-Martin, mais aussi avec le Parlement. Cette dynamique permettra aussi, peut-être, de mettre à contribution du capital ou du patrimoine dormant, en incitant leurs détenteurs à aider leurs enfants ou leurs petits-enfants à investir dans une résidence principale à construire. Le prêt à taux zéro (PTZ) existe déjà, pour les ménages modestes, mais il faut actionner tous les leviers, avec pragmatisme, impliquer tous les acteurs pour dégripper autant de verrous que possible. Cela implique de se projeter au-delà de 2025 et de la fin du Pinel. À l'Assemblée nationale, Laurent Saint-Martin a ouvert la voie à une discussion pour une sortie « en sifflet » ; le travail doit maintenant continuer avec le Sénat.

Pour ce qui est du logement social, on est passé d'une indexation de la RLS à une désindexation, avec un amendement qui tend à la plafonner à 1,1 milliard d'euros au lieu de 1,3 milliard, mais il nous faut maintenant, en retour, convenir avec les bailleurs des exigences qui s'imposeront à eux, par lesquelles ils montreront qu'ils contribuent à l'effort de production et de rénovation. Il leur faudra être au rendez-vous de ce combat collectif, s'ils veulent défendre la cause du logement social. Quoi qu'il en soit, notre volonté politique est forte, en dépit des obstacles.

Tant Mme Gacquerre que Mme Sollogoub ont évoqué le programme 177. J'ai essayé dans mon propos liminaire d'expliquer jusqu'où j'avais réussi à cheminer. Au sein des 250 millions d'euros que j'ai pu débloquer pour la fin de 2024, 29 millions sont fléchés pour l'accueil des Ukrainiens : nous gardons bien ce sujet en tête. Pour l'exercice 2025, tout n'est pas encore satisfaisant, mais j'ai au moins obtenu l'engagement de rester à 203 000 places d'accueil. Tout ce que nous pourrons améliorer, nous l'améliorerons.

Si tout le monde se mobilise pour plus de fluidité autour des métiers en tension, certains des publics accueillis en hébergement d'urgence, s'ils sont en situation régulière et reçoivent une bonne formation et une orientation, pourraient obtenir un emploi et des perspectives de logement de droit commun ; pour ce faire, leur accompagnement sera crucial. On pourrait ainsi libérer jusqu'à 10 000 places. Certes, ce sera un long travail, mais ce sont de premières pistes d'amélioration. Il faudra aussi travailler sur les droits incomplets, ou encore sur une meilleure délivrance des titres de séjour : un renouvellement accompli dans les délais par la préfecture évite parfois de verser dans l'hébergement d'urgence. Je vois là d'importantes marges d'amélioration. Si je le pouvais, j'irais encore plus loin, car je suis extrêmement sensible à la situation de ces personnes. J'essaie de cheminer dans ce sens, et je crois que le Sénat aura aussi un rôle à jouer pour poser ses choix et ses priorités dans ses discussions avec le Gouvernement.

Pour vous répondre sur l'Anru, madame Artigalas, j'ai bien conscience du contexte dans lequel opère cette agence. Oui, je soutiendrai l'amendement tendant à abonder son budget, de 50 millions d'euros dans un premier temps. Certes, cela ne règle pas le problème des contributions en retard de l'État, mais c'est une première étape avant le travail qui devra être mené en 2025 autour de la trajectoire de sortie du NPNRU. Il faudra procéder à une évaluation fine et précise de ce programme avant de déterminer comment l'État et ses partenaires continueront de cheminer. L'État devra alors définir clairement ses choix et ses stratégies. C'est l'un des chantiers que j'aurai à traiter, l'un des nombreux sujets pour lesquels je dois assumer la réalité dont j'ai hérité.

Sur le contrat de ville, sur les adultes relais, sur les cités éducatives, je sais quelles sont les attentes. Le travail va se poursuivre d'ici au débat budgétaire en séance publique. Je sais que vous déposerez des amendements sur ces sujets, que je regarderai avec attention, car ils me tiennent également à coeur. Il est indispensable que les moyens déconcentrés de l'État arrivent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville : si le droit commun trouvait une application concrète dans les QPV, le contrat de ville ne serait plus aussi essentiel. C'est tout le travail que je mène, avec mon cabinet, auprès des autres ministères : identifier tous les points, quantifiables et mesurables, qui pourraient faire l'objet d'un travail de mobilisation concrète du droit commun dans ces quartiers, avec un vrai suivi. C'est évidemment un travail de fourmi ; mais s'il porte ses fruits, il fournira un socle solide aux crédits de la politique de la ville, qui sont évidemment insuffisants à ce stade, mais dont j'espère qu'ils pourront progresser au cours du débat budgétaire. Je connais de nombreux élus qui sont mobilisés pour accompagner cette dynamique.

M. Jean-Claude Tissot. - La crise du logement s'accélère de manière inquiétante. Un chiffre en témoigne : plus de 2,5 millions de ménages sont en attente d'un logement social d'après l'USH. Les raisons de la crise traversée par le secteur sont multifactorielles, mais la responsabilité des gouvernements successifs est entière. Au-delà du manque de logements, le parc social français est aujourd'hui vieillissant et souvent inadapté, notamment au regard des enjeux de transition énergétique.

À la lumière de ces éléments, mes questions porteront sur les projets de rénovation, qu'il s'agisse de démolition-reconstruction ou de réhabilitation. Les programmes de rénovation financés par l'Anru entraînent en moyenne une perte de 10 % de logements sociaux, la démolition étant souvent privilégiée. Or de nombreuses études montrent que les réhabilitations restent moins onéreuses que le neuf ou les opérations de démolition-reconstruction, ces dernières étant également plus intéressantes du point de vue environnemental.

Par ailleurs, la politique de rénovation urbaine pilotée par l'Anru incite indirectement les bailleurs à ne pas entretenir régulièrement leur patrimoine, afin de bénéficier des potentielles subventions de l'agence. Envisagez-vous de changer les règles de l'Anru pour que celle-ci ne finance plus de projets de rénovation lorsque les bâtiments n'ont pas été correctement entretenus par les bailleurs ? Plus généralement, ne pensez-vous pas qu'un moratoire sur tous les projets de rénovation urbaine dans le logement social permettrait de mieux expertiser les besoins via un organisme indépendant et, in fine, de favoriser soit les réhabilitations, soit les démolitions ?

M. Éric Dumoulin. - Si l'objectif de 25 % de logements sociaux fixé par les lois Duflot et Solidarité et renouvellement urbain (SRU) est très largement partagé par les maires, de nombreuses villes peinent à l'atteindre dans les délais impartis, pour des raisons très variables : coût du foncier, contraintes territoriales, villes urbanistiquement achevées, complexité croissante des opérations, etc. Envisagez-vous des pistes d'assouplissement de cette réglementation dans une logique qui ne serait pas uniforme sur l'ensemble du territoire, mais qui prendrait en compte les spécificités de certaines villes pour mieux les accompagner dans le travail de rattrapage des logements sociaux ?

Nous sommes aujourd'hui à mi-chemin de la triennale. Plusieurs villes souffrent des immenses difficultés du marché immobilier. Les programmes sont en panne. De nombreux opérateurs, aménageurs ou promoteurs abandonnent les permis de construire accordés. La plupart des villes concernées par la loi SRU ont besoin, au regard du coût du foncier, de pouvoir équilibrer les opérations entre accession et logement social. Ces villes se retrouveront dans un an et demi face à une énorme difficulté, malgré la bonne volonté des maires, car elles ne pourront pas atteindre les objectifs de la loi Duflot.

M. Christian Redon-Sarrazy. - La réduction de la consommation d'espace et de l'artificialisation passe indiscutablement par la reconquête de l'ancien. Les communes sont en première ligne ; la plupart d'entre elles sont prêtes à s'engager. Mais la rénovation, notamment celle du gros oeuvre et la rénovation énergétique, est quasiment impossible à équilibrer, pour les communes comme pour les propriétaires privés. Que comptez-vous faire pour inciter les communes, voire les propriétaires, à engager ce chantier si nécessaire au regard de l'impératif de sobriété foncière ?

Mme Valérie Létard, ministre. - Monsieur Tissot, vous avez évoqué les difficultés liées aux projets de rénovation. Les annonces que je viens de faire, sur le livret A ou la RLS notamment, donneront aux bailleurs sociaux la possibilité de s'embarquer un peu plus aisément dans l'aventure. En ce qui concerne les démolitions-reconstructions, il importe que l'Anru booste la reconstitution de l'offre. Elle traîne parfois, ce qui fait perdre des logements en attente. Force est de reconnaître qu'il s'agit de volumes non négligeables. Nous allons également très rapidement publier le décret « Seconde vie », qui est attendu.

M. Dumoulin m'a interrogée sur les villes carencées. Un tiers d'entre elles n'ont pas saisi l'occasion des contrats de mixité sociale pour diminuer la charge et pouvoir aller plus loin. Ce n'est certes pas l'alpha et l'oméga, mais là où ces contrats ont été mis en oeuvre, ils ont permis un ajustement. Je n'aurais pas défendu l'idée du contrat de mixité sociale (CMS) ou de l'assouplissement si je n'étais pas convaincue des limites de l'article 55 de la loi SRU - qui est un totem et un tabou. On a changé de mandature, le Parlement n'est pas le même qu'avant la dissolution. L'Assemblée et le Sénat doivent travailler ensemble pour construire un chemin. Quoi qu'il en soit, sans article 55, il sera difficile d'atteindre les objectifs de production de logements sociaux. Aujourd'hui, en raison de la compression de l'échelle des salaires, la part de la population qui relève du logement social est de plus en plus importante. Il importe donc de maintenir un objectif de production. J'entends les difficultés que vous évoquez, je n'ai pas de réponse à vous donner aujourd'hui, il faut que les deux chambres réfléchissent à tracer un chemin afin que nous puissions aboutir.

M. Redon-Sarrazy m'a interrogée sur l'artificialisation, la rénovation énergétique, la sobriété foncière et le ZAN. Tous ces sujets devront être examinés avec Catherine Vautrin. La question du logement est essentielle. Quid des souplesses données sur la consommation foncière et sur les enveloppes disponibles ? Un travail a été mené par le Sénat : le Gouvernement l'examine et il doit inspirer sa réflexion. Je ne sais pas encore quel sera le résultat de cette réflexion. Quoi qu'il en soit, je suis consciente de l'importance de libérer du foncier en faveur du logement, comme cela a été le cas pour le foncier économique d'intérêt national. Comment procéder ? Sous quelle forme ? Nous y réfléchirons évidemment avec vous.

M. Yannick Jadot. - Merci de votre engagement. Vous aurez compris que la moitié de cette salle est vent debout contre une remise en question de la loi SRU en faveur du logement locatif intermédiaire (LLI). Les débats avec votre prédécesseur sur le sujet ont d'ailleurs été assez toniques.

Vous avez obtenu une baisse de 200 millions d'euros de la réduction de loyer de solidarité (RLS), sur une ponction d'environ 8 milliards, mais je suis inquiet des conditions que vous allez poser en échange de cette baisse ; elles me semblent extrêmement contraignantes. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Quid de la TVA à 5,5 % pour le logement social ou la rénovation ?

Mme Valérie Létard, ministre. - La TVA est à 5,5 % dans les zones Anru et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

M. Yannick Jadot. - Et pour la rénovation ?

Mme Valérie Létard, ministre. - Le débat est ouvert, monsieur le sénateur.

M. Yannick Jadot. - Enfin, l'instabilité sur MaPrimeRénov' a conduit à une sous-utilisation des budgets. Ces derniers sont faibles au regard des besoins : 2,3 milliards d'euros, alors qu'il faudrait plutôt prévoir 8 milliards. Ne craignez-vous pas qu'une telle enveloppe ne suffise pas à relancer la machine de la rénovation ? Mme Estrosi Sassone et M. Gontard ont remis un rapport sur le sujet. Un certain nombre de seuils doivent être améliorés pour les familles les plus en difficulté. Êtes-vous prête à en discuter lors des débats budgétaires ?

Mme Marianne Margaté. - J'axerai également mon propos sur la question du logement social. Vous le savez, 70 % de la population y est éligible. Cette conception généraliste du logement est un atout pour nos concitoyens, mais cet acquis a été fortement remis en cause par les désengagements de l'État, qu'il s'agisse du fonds national d'aide à la pierre ou de la mise en place de la RLS. La conception généraliste française doit-elle selon vous être défendue, ou prenons-nous petit à petit le chemin d'une conception plus résiduelle, à l'image de ce qui se pratique dans d'autres pays d'Europe ?

J'aborderai également la question des locataires, qui subissent depuis plusieurs années une hausse importante des loyers et des charges liées à l'énergie. Les associations plaident en faveur d'un gel des loyers qui serait compensé auprès des bailleurs. La situation des locataires dans le logement social est à prendre en compte.

Vous annoncez une baisse de la RLS. Cette baisse de la RLS sera-t-elle neutre pour les locataires ? L'État assumera-t-il le différentiel ?

Mme Antoinette Guhl. - Vous souhaitez relancer le logement intermédiaire pour les étudiants. Seuls 7 % des étudiants peuvent se loger dans un logement social ou un Crous. Or la proportion des étudiants boursiers s'élève aujourd'hui à près de 30 %. C'est dire combien nous sommes loin de couvrir les besoins ! Ce n'est pas de logement intermédiaire dont nous avons besoin, mais de logement social. Que comptez-vous faire ? Ce sujet concerne certes une petite partie de la population, mais ces quelque 3 millions d'étudiants rencontrent bien des difficultés pour se loger compte tenu de l'augmentation du prix des logements. Ces hausses sont en partie dues aux niches fiscales : je pense au dispositif Censi-Bouvard qui permet certes de produire du logement étudiant, mais avec des loyers relativement chers, puisqu'il n'est pas conditionné à un certain niveau de loyer.

Quid enfin de l'encadrement des loyers ? Vous souhaitez mettre en place une mission d'évaluation. Pensez-vous pouvoir contenir à terme l'augmentation du prix des loyers par la généralisation d'une telle mesure ?

Mme Valérie Létard, ministre. - M. Jadot m'a interrogée sur la baisse de 200 millions d'euros de la RLS : vous voyez le verre à moitié vide, monsieur le sénateur, et non le verre à moitié plein ! Pour information, c'est la première fois depuis 2017 que la RLS va baisser. Plus que le montant, ce qui importe, c'est le symbole et la direction prise. Certes, des conditionnalités sont prévues, mais j'ai toujours soutenu les bailleurs. Il s'agira ni plus ni moins pour eux que de réinvestir les fonds. Un budget étant annuel, nous devons chaque année rappeler clairement le cap. Je suis convaincue que le monde du logement social a sa part à prendre dans ce dispositif, sinon je ne l'aurais pas défendu.

On a besoin des bailleurs privés et des investisseurs privés, on a besoin du monde du logement social, on a besoin de l'accession à la propriété. Le chantier est tellement énorme qu'on a besoin de tous les acteurs pour participer à cette relance de la construction. J'entends vos remarques, monsieur le sénateur, mais s'il y a bien quelqu'un qui n'est pas négatif vis-à-vis des bailleurs sociaux, c'est certainement moi !

J'ai également été interrogée sur les locataires, les charges et le gel des loyers. La baisse de la RLS sera neutre et n'aura pas d'impact. En ce qui concerne le gel des loyers compensé pour les bailleurs, j'examine les points un par un. Je n'ai pas choisi le moment le plus facile pour entrer au Gouvernement... Je sais combien le chemin à parcourir est long. Pour autant, je défends, avec le soutien du Premier ministre, un certain nombre de dossiers. On ne réglera pas tous les problèmes en même temps, mais nous portons à chaque sujet une attention particulière. Pour l'instant, la question que vous évoquez ne fait l'objet d'aucune disposition, même si nous avons commencé à avancer sur une partie du chemin, comme vous l'avez bien compris.

Mme Guhl a abordé la question du logement étudiant. J'ai bien conscience que le logement des jeunes est une difficulté. Je souhaite que tous les acteurs travaillent conjointement à la réalisation d'une bonne photographie afin de déterminer comment avancer en nous servant de tous les outils disponibles, notamment pour ceux qui disposent des plus faibles revenus. Je n'ai pas de réponse à vous apporter pour l'instant, madame la sénatrice, mais j'ai bien identifié le problème pour 2025. Nous allons nous accrocher.

Sur la question de l'encadrement des loyers, je ne saurai pas non plus vous répondre avant d'avoir réalisé cette photographie. Je peux néanmoins d'ores et déjà vous annoncer que 2024 ne sera pas une mauvaise année pour le logement étudiant puisque 8 000 logements sociaux sont attendus.

M. Daniel Gremillet. - Madame la ministre, je vous félicite de votre engagement. L'attente est grande : celle d'une véritable politique du logement dans nos territoires.

Vous avez évoqué la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements. Le travail de rénovation des anciens commerces est gigantesque ; dans les petites villes, le potentiel est énorme. Idem pour la transformation d'anciens corps de fermes qui n'ont plus de vocation agricole. Cela fait partie des points-clés à mettre en avant et à développer.

Le deuxième élément de mon intervention concerne la tentation de remettre en cause le chauffage au bois, notamment aux granulés de bois. Une telle initiative perturberait ceux qui ont investi en faveur de la décarbonation et pour utiliser une ressource locale. Ce serait une erreur. Organisons plutôt le gisement de la filière bois de manière à pouvoir satisfaire tout le monde.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je souhaite vous interroger sur les logements saisonniers touristiques. Le droit en vigueur permet au propriétaire bailleur non professionnel d'un bien meublé d'alléger ses impôts en déduisant de ses recettes l'amortissement de son bien - en général, calculé entre quinze et trente ans.

L'article 24 du projet de loi de finances pour 2025 prévoit de tenir compte de ces amortissements dans le calcul de la plus-value en cas de vente du bien immobilier. L'Assemblée nationale a voté des amendements visant à en exclure les locations de longue durée et les biens mis en location avant le 1er octobre 2024, afin d'éviter les effets d'aubaine, mais le rejet de la première partie du PLF par l'Assemblée nationale risque de rendre ces votes sans effet, le Sénat examinant le texte initial. Quelle est votre position sur ces dispositions qui devraient s'appliquer à compter du 1er janvier 2025 ? Cette échéance serait problématique dans la mesure où les propriétaires bailleurs qui ont accumulé un certain nombre d'amortissements en sachant que ces montants n'étaient pas en pris en compte dans la plus-value seraient à l'avenir imposés sur des investissements qu'ils ont engagés et pour lesquels ils ont fait des emprunts. Leur modèle économique serait complètement remis en question. Ce serait pour eux une double peine.

Je regrette en outre que ce nouveau mécanisme s'applique indistinctement. Autant je comprends qu'on veuille le mettre en place en zone tendue, comme à Paris ou à Biarritz, car cela permettrait de dégager des logements en location nue, autant ce serait assez catastrophique dans des zones rurales où la location de meublés saisonniers est souvent la seule offre accessible aux touristes, et n'entre en concurrence ni avec une offre hôtelière classique - qui y est inexistante - ni avec la location longue durée, car ces meublés sont souvent aménagés dans des propriétés habitées ou situées dans des lieux isolés. Serait-il possible de prévoir une clause du grand-père consistant à appliquer cette réforme fiscale aux seuls biens acquis à partir de l'année 2025, comme le suggère d'ailleurs le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), qui avait recommandé la mise en oeuvre de cette réforme fiscale, mais en la conditionnant à cette clause. A minima, il conviendrait de ne pas tenir compte des amortissements générés avant le 31 décembre 2024 dans le calcul de la plus-value.

Mme Sylviane Noël. - Madame la ministre, je rebondis sur le propos de mon collègue Éric Dumoulin afin d'attirer votre attention sur un autre irritant, à savoir la loi SRU, qu'il me semblerait utile de corriger si l'on souhaite éviter de décourager les élus locaux, afin de relever l'enjeu de la production de logement social. Plus précisément, les modifications du seuil de tension de la demande de logements sociaux décidées par décret impliquent une évolution brutale de la production de logements sociaux de 20 % à 25 %, en infligeant des pénalités immédiates aux communes concernées, par une forme d'application rétroactive de la sanction, ce qui me semble très discutable et préjudiciable.

Dans mon département, une commune qui avait quasiment atteint son objectif de 20 % a été concernée par ce décret et a vu sa pénalité passer de 40 000 euros à 85 000 euros, à payer immédiatement. Au-delà de l'aspect financier et des assouplissements proposés par le contrat de mixité sociale, je me fais le relais du désarroi des élus locaux concernés par ce type de mesures, car ils voient leurs efforts méprisés. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de corriger ce type de sanctions, qui ne font qu'accroître l'exaspération et la colère des élus locaux ?

Mme Valérie Létard, ministre. - S'agissant de la reconquête des logements et de la transformation des anciens corps de ferme, il est très difficile de faire intervenir des opérateurs sur des chantiers de cette taille. En lien avec Françoise Gatel, il conviendra sans doute de réfléchir à la ruralité de manière plus large et de repenser les outils qui pourraient être déployés.

Pour ce qui est du bois, il existe bien un enjeu que nous creuserons avec le délégué interministériel. Le sujet est sensible et nous devrons oeuvrer à la poursuite de la trajectoire prévue en matière de chauffage et d'utilisation de cette ressource. J'entends vos propositions et je les relaierai.

Concernant les meublés de tourisme, l'abattement pour durée de détention est maintenu. Les députés ont voté cet article dans le cadre de la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme ; des réflexions sont en cours quant aux moyens de l'améliorer, la discussion sera probablement rouverte au Sénat.

Quant au sujet très sensible des pénalités liées à la loi SRU, il est possible d'envisager toutes les hypothèses dès lors qu'elles ne risquent pas d'entraîner une diminution de la production de logements sociaux à un moment où nous en avons cruellement besoin. Il s'agit sans doute du sujet le plus épineux et le plus complexe qui soit, tous les territoires concernés par la loi SRU n'étant pas forcément dotés des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs, ou ne pouvant y parvenir que dans des conditions insatisfaisantes, en étant parfois pénalisés même s'ils sont vertueux. Le sujet est un irritant pour les maires, qui sont pour la plupart de bonne foi. J'ai bien conscience des problématiques soulevées par cette loi, et nous chercherons des voies de passage permettant de tenir l'objectif de production.

Mme Anne-Catherine Loisier. - La révision du barème de MaPrimRénov' risque de réduire l'aide apportée au bois de chauffage pour privilégier les usages industriels. Pourtant, plus de 7 millions de ménages se chauffent au bois - la première des énergies renouvelables - et, pour beaucoup de nos concitoyens résidant dans les territoires ruraux, il n'existe pas d'alternative. Par ailleurs, les usages industriels ne portent pas du tout sur les mêmes volumes, d'où un risque d'effet domino sur le chauffage et les logements en milieu rural, avec une incidence potentiellement catastrophique sur le plan social.

Vous avez également évoqué la relance de la construction. Je voudrais attirer votre attention sur la mise en place par la France d'une responsabilité élargie du producteur (REP) pour tous les produits et matériaux de construction, alors qu'aucun autre pays européen n'a fait de même. Par conséquent, construire deviendra de plus en plus onéreux : à l'heure où nous avons tous conscience de l'urgence de la construction de logements, il serait plus pertinent d'éviter ce type de surcoûts.

M. Yves Bleunven. - Merci, madame la ministre, pour votre engagement. La crise du logement est à la fois grave et durable. Je suis surpris de ne pas vous avoir entendu davantage parler de simplification, afin que nous ne revivions pas le phénomène observé au cours de la décennie écoulée, à savoir un doublement du temps moyen écoulé entre la décision de produire le logement et sa livraison effective. Nous ne pouvons plus supporter cette inertie et il faut absolument retrouver un cycle normal de construction.

Face à cette crise, nous devons faire preuve d'imagination et d'innovation, en pensant des logements pour chaque étape de la vie, en fonction des moyens et des besoins : que pensez-vous, à ce titre, de l'habitat léger et de l'habitat réversible ? Le sujet fait parfois sourire, mais il existe une véritable appétence pour ce type de logement, qui répond à une attente. Dans la commune dont j'étais maire, nous avions mis en place une trentaine d'habitats légers et reçu plus d'une centaine de demandes, qui continuent à affluer.

Cependant, ce type d'habitat rencontre diverses difficultés, dont un financement à la consommation, qui est complètement aberrant, et des règles d'urbanisme totalement inadaptées. Êtes-vous prête à avancer sur ce sujet ?

Mme Martine Berthet. - Madame la ministre, je vous remercie d'avoir confirmé que le texte visant à faciliter la transformation des bureaux en logements pourra poursuivre son chemin. Le Sénat a élargi son champ et il suscite une forte attente, de la part des élus comme des constructeurs ; par ailleurs, il apporte des solutions pour le logement étudiant.

Je souhaite évoquer l'article 55 de la loi SRU, qui pénalise doublement les communes touristiques. Tout d'abord, elles ne peuvent pas comptabiliser les logements destinés aux saisonniers comme des logements sociaux, alors qu'elles sont obligées de réserver une partie de leurs logements sociaux pour ces travailleurs. Par ailleurs, nous avions validé ici sur proposition de Sophie Primas, qui était alors rapporteure sur le projet de loi « Logement abordable », le concept de bail mobilité pour les saisonniers, qui est selon moi une bonne idée, qu'il conviendrait de remettre sur la table.

Les communes touristiques sont aussi pénalisées par des obligations découlant de la loi Littoral ou de la loi Montagne, ainsi que par leur topographie. Il faudrait pouvoir multiplier les possibilités d'exemption pour ces communes, compte tenu de ces nombreuses contraintes, qui les exposent à des pénalités financières.

Mme Valérie Létard, ministre. - Madame Loisier, nous avons bien entendu les interrogations relatives au bois de chauffage et aux modifications du barème de MaPrimRénov', les inquiétudes étant liées à la trajectoire de la ressource en bois. Le sujet doit être abordé de manière transversale en lien avec le délégué interministériel, afin de déterminer une trajectoire. J'ai bien pris note, en outre, de votre remarque relative à la REP.

Quant à la simplification, monsieur Bleunven, il s'agit bien de l'un des objectifs que nous poursuivons et nous travaillerons en lien avec le Parlement à ce sujet, l'Assemblée nationale formulant la même demande. De nombreuses pistes sont déjà identifiées.

Pour ce qui est de l'habitat léger, il représente en effet une solution utile pour un certain public et il faudra voir comment consolider ce type de logement, qui ne doit pas apparaître comme un « sous-produit ».

S'agissant de l'article 55 de la loi SRU, je ne peux que rappeler le caractère délicat du sujet. Après la dissolution et ses conséquences sur l'Assemblée nationale, il faut construire des solutions qui puissent recueillir l'assentiment des deux chambres.

M. Philippe Grosvalet. - Madame la ministre, je mets à votre crédit votre enthousiasme débordant, votre énergie et votre sincérité, mais j'ai bien peur que ceux qui ont contribué à piller les bailleurs sociaux ne vous fournissent qu'une petite cuillère pour remplir une grande piscine.

Dans un contexte marqué par un manque cruel de logements sociaux, la mobilité résidentielle est un facteur essentiel pour en libérer une partie. Le bail réel solidaire (BRS), qui est un dispositif tout à fait nouveau, fonctionne remarquablement dans des zones très tendues telles que les métropoles ou le littoral.

Disposez-vous d'une baguette magique pour dynamiser ce dispositif tout à fait original, qui permettrait à des jeunes ou des personnes modestes d'accéder à la propriété dans des conditions favorables et de recréer de la mobilité dans le parc social ?

M. Rémi Cardon. - Madame la ministre, la Journée contre la précarité énergétique se tient en ce 12 novembre ; le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a déposé une proposition de loi visant à combattre ce phénomène. Aujourd'hui, 12 millions de Français sont touchés par la précarité énergétique, un chiffre tout à fait alarmant. Face à cette situation, le Gouvernement procède pourtant à des choix budgétaires douloureux, dont l'amputation de MaPrimRénov' à hauteur de 1 milliard d'euros alors qu'il s'agit d'un dispositif essentiel pour la rénovation énergétique.

De la même manière, le chèque énergie ne sera plus envoyé automatiquement aux Français. De surcroît, le plan lancé par le précédent gouvernement, visant à installer un million de pompes à chaleur d'ici 2027, dont 30 000 dès 2024, n'a été réalisé qu'à moitié pour cette année. Quel est donc le cap du Gouvernement pour résorber cette précarité énergétique, au bénéfice de celles et de ceux qui vivent dans le froid ?

M. Daniel Salmon. - Madame le ministre, nous connaissons la profondeur de vos convictions, mais le cadre qui vous est imposé est pour le moins très contraint : je ne peux donc que vous souhaiter bonne chance !

Vous avez évoqué le monogeste et la rénovation globale : vous savez aussi bien que moi que le premier ne permettra pas d'atteindre les objectifs et qu'il faut privilégier la seconde, plus pertinente. Nous pouvons nous orienter vers une programmation par étapes, mais en s'assurant que chacune d'entre elles sera franchie, avec un reste à charge qui doit être minimal.

La ressource en bois est effectivement limitée, mais la mise en oeuvre de ces mêmes rénovations globales permettra de diviser la consommation par trois : les différents enjeux sont liés.

Depuis des années, de nombreux efforts sont consentis pour les investisseurs et les héritiers, mais où est la valeur travail ? Aujourd'hui, un ouvrier ou un employé ne parviendra jamais à devenir propriétaire, alors qu'il pouvait réussir à se construire une maison par le passé. Le BRS peut être un moyen de réduire l'investissement nécessaire, mais les collectivités locales sont elles-mêmes sous pression et risquent de ne pas pouvoir acquérir davantage de foncier. Les crispations risquent d'aller crescendo sur ce BRS, qui était pourtant une solution très porteuse.

Mme Valérie Létard, ministre. - Monsieur Grosvalet, nous avons remonté les plafonds de ressources permettant d'accéder au BRS et nous travaillerons avec Marie-Noëlle Lienemann à une simplification des dispositifs pour les locataires du parc social. En juin, votre commission a voté un dispositif de sociétés civiles immobilières d'accession progressive à la propriété (SCI-APP), justement pour faciliter cet accès, dispositif que nous voulons reprendre. Nous sommes extrêmement sensibles à tout ce qui a trait à l'accession des ménages modestes à la propriété, car nous devons agir à tous les niveaux, en travaillant dans le même temps à la mise en place d'un véritable statut du bailleur privé.

Pour ce qui concerne la précarité énergétique, la rénovation globale est certes préférable, mais les difficultés de la filière des pompes à chaleur s'expliquent aussi par le changement de règles qui a consisté à retirer les monogestes en janvier avant de les réintégrer en mai : ce stop-and-go a mis un coup d'arrêt dont nous subissons les conséquences aujourd'hui.

Il ne faut donc pas opposer les monogestes et la rénovation globale, mais mettre en place un accompagnement qui permette de ne pas en rester à un monogeste. L'objectif consiste bien à ce que chaque usager, en fonction de sa situation, puisse accéder à un parcours de rénovation, en levant peu à peu les difficultés.

L'enjeu de la rénovation a été porté à une échelle de masse en peu de temps, ce qui m'amène à saluer le travail de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). La situation reste certes très perfectible, mais le processus prend une ampleur considérable.

M. Henri Cabanel. - Madame la ministre, je ne doute ni de vos compétences ni de votre énergie, tout en étant conscient des difficultés que vous aurez à affronter.

Les petits villages qui ne rentrent pas dans le cadre des actions Coeur de ville et Petites villes de demain sont confrontés à de sérieuses difficultés lorsqu'ils souhaitent reconquérir les centres anciens, comme l'étroitesse des rues et un type de construction difficilement compatible avec le style plus contemporain que peuvent souhaiter nos concitoyens. De plus, les moyens font défaut : que peut-on faire pour aider les maires concernés ?

Par ailleurs, quelles solutions pourrait-on proposer aux agriculteurs résidant dans des territoires soumis à la loi Littoral afin qu'ils puissent construire des logements saisonniers ?

Mme Micheline Jacques. - Madame la ministre, je vous remercie de votre engagement en faveur de la défense, au niveau européen, du marquage régions ultrapériphériques (RUP), qui permettra d'aider nos territoires à s'approvisionner en matériaux de construction dans leur environnement proche. Par ailleurs, les Assises de la construction durable en outre-mer ont abouti à la rédaction d'un livre blanc proposant des mesures concrètes et pragmatiques : comptez-vous le mettre en oeuvre ?

Sur un autre point, de nombreux acteurs du logement - pour ne pas dire la totalité d'entre eux - s'alarment du projet de décret d'application du crédit d'impôt pour la réhabilitation des logements sociaux en outre-mer. En l'état, ce projet illustre bien la problématique de l'inadaptation des normes hexagonales aux réalités ultramarines. Là où le comité interministériel des outre-mer (CIOM) du 18 juillet 2023 avait acté l'extension du crédit d'impôt pour les logements sociaux situés en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville et où la loi de finances pour 2024 avait opportunément matérialisé cet engagement, nous nous dirigeons finalement vers une année blanche en termes de rénovation. En effet, l'ensemble des opérations - dans les QPV et en dehors - est désormais tributaire de la publication de ce décret d'application qui, en l'état, imposerait des critères de performance énergétique totalement inadaptés aux climats ultramarins. Or l'adaptation de ces critères est aussi un engagement du CIOM.

Au total, d'une bonne disposition votée pour 2024, nous en arrivons à une situation de blocage et à de sérieux risques pour le maintien des investissements dans la rénovation des logements outre-mer. Je rappelle pourtant que la rénovation faisait partie des messages forts envoyés par le Sénat à l'occasion du vote de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi Érom. Pouvez-vous donc nous dire si ce texte est appelé à être publié en l'état ?

M. Fabien Gay. - Madame la ministre, je connais votre énergie et votre détermination et vous souhaite sincèrement de réussir votre mission. Nous avons ici souvent lutté - parfois ensemble - contre la baisse des crédits destinés au logement, notamment pour soutenir la construction de nouveaux logements, les diminutions de crédits ayant eu de forts impacts sur la filière du bâtiment et travaux publics (BTP). Votre gouvernement va réduire le budget des collectivités locales, qui sont les premiers investisseurs dans la rénovation thermique des bâtiments publics.

J'étais à Montreuil la semaine dernière, commune qui verra ses moyens amputés de 7 millions d'euros, soit l'équivalent de l'ensemble des subventions versées aux associations, ou encore du double du montant des investissements prévus pour la rénovation des écoles et des bâtiments publics. Comment peut-on afficher une ambition élevée pour le logement et envoyer un signal à ce point contraire à la filière du BTP ? Avez-vous des débats avec ces professionnels ? C'est avec eux que nous réussirons ou non la rénovation et la construction.

Par ailleurs, vous connaissez notre combat contre la pauvreté et la grande précarité. J'ignore s'il faut les ériger en causes nationales - un bien grand mot qui n'est le plus souvent pas accompagné d'efforts supplémentaires -, mais il nous faut nous pencher sur les marchands de sommeil, qui sont un vrai fléau en Île-de-France. Dans ma commune du Blanc-Mesnil, il existe ainsi un certain nombre de pavillons subdivisés en trois, quatre, cinq, voire dix boîtes aux lettres, le tout pour des loyers assez astronomiques. Pensez-vous que nous pourrions lutter contre ce phénomène via un permis de louer ? Selon moi, il faudra repasser par la loi.

Enfin, l'encadrement des loyers reste une réelle problématique, car actuellement, en Ile-de-France par exemple, il n'est pas possible de trouver un logement décent en étant payé au Smic. Avec 1 426 euros nets par mois, il est littéralement impossible de se loger en étant célibataire. Cela ne fait que renforcer les marchands de sommeil ! L'encadrement des loyers sera-t-il suffisant ? Nous pensons en tout cas que c'est une bonne mesure. En outre, nous ne pourrons pas régler cette situation en continuant à comprimer les salaires. Je pense que la précarité du logement recoupe tous les aspects de la vie, à commencer par le travail : c'est ça le réel.

Si le budget reste en l'état, nous allons encore faire peser une nouvelle fiscalité sur les factures d'électricité, alors que les gens n'arrivent plus à les payer depuis trois ans. Ils peuvent subir une coupure ou une réduction de puissance qui ne leur permet plus que d'allumer la lumière, alors qu'ils habitent dans des passoires thermiques qui les obligent à pousser le chauffage. Seriez-vous favorable à ce que l'on étende l'interdiction de couper l'approvisionnement en énergie aux gens, au-delà de la seule trêve hivernale ? Il s'agit d'une question de dignité.

Mme Valérie Létard, ministre. - Monsieur Cabanel, la reconquête des centres anciens devra être examinée avec Françoise Gatel. Un certain nombre de dispositions ont été prises en matière d'habitat rural : depuis le 1er avril 2024, il existe ainsi une prime de sortie de la vacance qui incite à la mise en location de logements vacants en milieu rural. Nous essayons de construire des solutions avec la ruralité, même s'il faudra poursuivre cet effort.

L'Anah, quant à elle, soutient le déploiement de France Rénov' et les opérations programmées de rénovation en zone rurale, ainsi que le recrutement de chefs de projets par les collectivités. De surcroît, le BRS pourrait être développé en milieu rural. Pour autant, il nous reste à définir un modèle qui permettrait d'accompagner des opérations de taille modeste tout en étant viable sur le plan économique. J'aborderai là aussi ce sujet avec Françoise Gatel, qui sera la référente pour tous les enjeux liés à la ruralité.

Micheline Jacques m'a interrogée sur le fameux décret d'application du crédit d'impôt pour rénovation de logements sociaux. Nous travaillons à la simplification pour tenir compte des contraintes évoquées, en lien avec François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer.

Fabien Gay a abordé plusieurs sujets, notamment la baisse des crédits budgétaires consacrés à la construction. Dans un contexte général de réduction, nous parvenons néanmoins à progresser sur la question du logement. Il importe de continuer à travailler ensemble pour améliorer nos outils et envisager des perspectives sur un certain nombre de chantiers.

Les observations sur les collectivités dépassent le champ de mes compétences, mais j'entends et je comprends le message.

Vous avez également parlé des pavillons subdivisés, des marchands de sommeil et du permis de louer. Ce dernier est aujourd'hui à la main des élus, qui peuvent le mobiliser s'ils le souhaitent. Une disposition récente créée par cette commission dans le cadre de la loi sur les copropriétés dégradées permet aux maires de piloter directement les permis de louer et d'en récupérer les amendes.

Enfin, je suis à l'écoute sur la question de l'encadrement des loyers, mais il s'agit de bien en mesurer l'impact réel. Tout est urgent, mais ne mettons pas non plus la charrue devant les boeufs. Ce travail fera l'objet d'une évaluation, que nous confierons au Sénat.

J'ai également entendu votre message sur les coupures durant la trêve hivernale, mais je ne suis pas en mesure d'y apporter une réponse à ce stade.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous souhaite bon courage, madame la ministre. Vous trouverez toujours au Sénat, et plus particulièrement au sein de sa commission des affaires économiques, une écoute, un accompagnement et un soutien. Nous vous retrouverons avec plaisir dans la cadre de l'examen du projet de loi de finances et des crédits de la mission « Cohésion des territoires ».

La réunion est close à 19 h 50.

Mercredi 13 novembre 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 10.

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons aujourd'hui le rapport pour avis sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » de nos collègues Laurent Duplomb, Jean-Claude Tissot et Franck Menonville.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Le budget agricole 2025 contient des avancées et nous proposerons de l'adopter, mais non sans avoir préalablement proposé des améliorations au Gouvernement. Après une hausse exceptionnelle en 2024, ce budget diminue de 6,5 % en crédits de paiement (CP) - à 4,4 milliards d'euros - et de 13,5 % en autorisations d'engagement (AE), pour atteindre 4,6 milliards d'euros.

Ces chiffres pourraient inquiéter, mais replacés dans leur contexte, ils traduisent davantage une pause qu'un recul. La progression des crédits depuis 2023 demeure indéniable : plus 12 % en CP et plus 15 % en AE sur deux ans. Trois pas en avant en 2024, un pas en arrière en 2025 : le solde est donc toujours largement positif en 2025, même pour la planification écologique.

De plus, plusieurs promesses du précédent gouvernement ont été tenues par le gouvernement actuel, dans le PLF et le PLFSS : pérennisation et hausse du plafond du TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi), pour un montant prévisionnel de 163 millions d'euros ; maintien d'un avantage fiscal et social pour lutter contre la décapitalisation et soutenir le développement de l'élevage bovin, pour 150 millions d'euros ; passage de 20 à 30 % du dégrèvement sur la taxe foncière dont s'acquittent les propriétaires ruraux, pour 50 millions d'euros ; cumul des exonérations de cotisations sociales pour les jeunes agriculteurs et pour les agriculteurs aux revenus les plus faibles, pour 25 millions d'euros ; nouveaux relèvements des seuils d'exonération des plus-values pour faciliter la transmission ; enfin, réforme du calcul des retraites agricoles sur la base des 25 meilleures années, qui entrera plus lentement en vigueur que ce qu'en a dit la ministre pour les polypensionnés, mais qui constitue tout de même une avancée majeure. Toutes ces mesures sont un soutien direct à la compétitivité des exploitations, et j'en remercie la ministre.

« La première protection contre les aléas relève de la bonne gestion des agriculteurs », peut-on lire dans un rapport de 2017 du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et de l'inspection générale des finances (IGF) sur la gestion des risques. À cet égard, la meilleure des politiques est de desserrer l'étau fiscal qu'ils subissent.

Pour poursuivre sur les aléas économiques et les crises sanitaires, que nous avons étudiés conjointement avec Jean-Claude Tissot, je salue la montée en charge de l'assurance-récolte, à 600 millions d'euros dans ce budget, comme nous l'avions demandé lors de l'examen de la loi sur la gestion des risques climatiques.

Je salue également avec Franck Menonville le renforcement de la déduction pour épargne de précaution (DEP), par une exonération de 30 % de son montant au moment de la réintégration, en cas d'aléas climatiques ou sanitaires. Cependant, je crois qu'il faut aller plus loin, en étendant cette possibilité aux aléas économiques, ce qui permettrait davantage de souplesse et inciterait au recours à cet outil sain de lissage des revenus agricoles entre bonnes et mauvaises années ; c'est la première recommandation de nos quinze recommandations.

Sur la gestion des crises sanitaires, nous avons été alertés par le CGAAER sur le risque de saturation de nos capacités d'équarrissage « hors temps de paix », avec des dépenses exceptionnelles associées à l'enfouissement de sous-produits animaux en catastrophe, au plus fort de l'influenza aviaire.

Pour que cela ne se reproduise pas, nous souhaiterions profiter du statut de risque « négligeable » retrouvé par la France à l'été 2022 en matière d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), pour financer des surcapacités d'équarrissage - d'abord sur fonds publics à hauteur de 2,1 millions d'euros - avant que la charge ne soit transférée aux interprofessions et aux associations ATM.

Nous proposons d'acter la première tranche de financement de la dématérialisation de l'identification et de la traçabilité des animaux de rente, pour 5 millions d'euros, car les défaillances des systèmes d'information actuels sautent aux yeux et entravent la gestion de crise - je vous renvoie à notre rapport, qui est édifiant à ce sujet.

Sachant qu'un euro bien investi dans la prévention en économise sept en indemnisation et en gestion de crise, dépenser au total 7 millions d'euros, ce n'est pas cher payé ! La prévention vaut mieux que la gestion des crises dans l'urgence.

Avec un angle plus prospectif, nous croyons, avec Franck Menonville, que le fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux (FMSE), qui associe cotisations professionnelles et cofinancement aux deux tiers par l'État, doit jouer un rôle plus stratégique. Aujourd'hui organisme de financement, il gagnerait à jouer un rôle d'orientation, notamment par l'ajout d'un volet préventif, ce pour quoi le ministère a déjà plaidé au niveau européen.

Cela devrait aller de pair avec une hausse dès 2025 des cotisations professionnelles, aujourd'hui dérisoires, et un cofinancement de l'État qui pourrait aller jusqu'à 70 % dans le PLF pour 2026. Pour les maladies réglementées, telles que la tuberculose bovine ou la fièvre aphteuse, bien sûr, l'État resterait pleinement compétent.

Le FMSE pourrait ainsi utilement prendre en charge une politique de prophylaxie, laquelle n'est plus à la hauteur ces dernières années, en contribuant à assurer le maillage territorial des vétérinaires sanitaires spécialisés en élevage - au besoin par la mise en place d'équipes mobiles sur le modèle de la sécurité civile - et en contribuant plus largement à l'achat de vaccins, à des audits de biosécurité, ou encore à la formation des éleveurs.

Dans le cadre des assises du sanitaire annoncées par la ministre, une réflexion sur l'intégration aux chambres d'agriculture des groupements de défense sanitaire (GDS), compétents pour les maladies animales et, en miroir, des Fredon, compétents pour le végétal, serait gage de rationalisation.

Pour finir, un mot sur les outre-mer, alors que la situation est particulièrement explosive en Martinique : nous vous proposons d'endosser un amendement de 8 millions d'euros pour mieux financer le régime spécifique d'approvisionnement (RSA) afin d'améliorer à la fois le pouvoir d'achat et la souveraineté alimentaire de nos compatriotes ultramarins.

M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Avec Laurent Duplomb, nous nous sommes intéressés à la résilience de l'agriculture française face aux crises, en particulier les crises sanitaires. Il nous est d'abord apparu important de profiter de l'étape critique de l'installation pour renforcer la résilience des exploitations, afin de doter nos agriculteurs, au plus tôt, d'outils pratiques pour adapter leurs structures de production aux défis climatiques et économiques de demain.

À cette fin, nous préconisons, au sein des crédits de planification écologique, de prolonger la ligne « Diagnostic carbone », qui n'était programmée que pour durer un an mais qui a connu trois fois plus de demandes qu'il n'y avait de crédits disponibles, en l'élargissant au financement de ce que mes deux corapporteurs entendaient renommer « diagnostics de viabilité économique et de vivabilité des exploitations », à l'article 9 du projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA). Le principe de la gratuité d'un tel outil pour les jeunes agriculteurs nous paraît en effet important, dans une logique d'anticipation. Pour ma part, je souhaite que la dimension environnementale de cet outil soit préservée en repérant les leviers de réduction des gaz à effet de serre dans chaque ferme.

Depuis 2018, les dépenses de gestion de crise continuent d'exploser. En 2022, elles ont dépassé 2 milliards d'euros, avec des aides pour le gel, les inondations et les maladies. En 2024 encore, comme l'a rappelé la ministre, 80 millions d'euros ont été ouverts pour aider le secteur viticole, notamment pour l'arrachage, 50 millions d'euros d'indemnisations ont été annoncées au bénéfice des éleveurs face à la maladie hémorragique épizootique (MHE) et, à la rentrée, un fonds d'urgence de 75 millions d'euros a été ouvert pour compenser la surmortalité liée à la fièvre catarrhale ovine sérotype 3 (FCO3) - que la ministre nous a dit étendre à celle de sérotype 8 (FCO8), une demande que nous portions de façon unanime.

Entendons-nous bien, nous ne remettons pas en cause la nécessité de réagir aux crises « en pompier » pour éteindre l'incendie lorsqu'il est déclaré - nous proposons simplement de concevoir davantage les dépenses de la mission « en architecte », afin de prévenir, en amont, autant que faire se peut, l'impact des crises. Comme l'a rappelé mon collègue Laurent Duplomb, chaque euro investi dans la prévention en économise sept en indemnisation et en gestion de crise. Cela vient notamment du fait que les aides de crise sont conçues dans l'urgence - dans notre rapport, nous donnons plusieurs exemples de mauvais calibrage. Par ailleurs, il n'y a pas eu cette année de loi de finances rectificative, alors que c'est ce type de véhicule qui porte habituellement ces aides, ce qui a créé des tensions inédites sur les moyens et les équipes du ministère.

L'accumulation des aides montre que nous ne faisons qu'absorber les chocs, sans chercher suffisamment à en réduire la fréquence ou l'impact. Une révision de la maquette budgétaire nous paraîtrait donc importante afin de mieux identifier les dépenses de prévention et de surveillance des aléas climatiques, par un programme miroir au programme 206 qui finance la prévention des aléas sanitaires - je défendrai avec mes collègues un amendement dans ce sens. Il y aurait, sur cette ligne, matière à financer une veille sur l'interaction entre changement climatique et risques sanitaires - les maladies vectorielles ou les étouffements dans les élevages nous le rappellent, hélas !

Il nous semble qu'un tel programme accueillerait logiquement les crédits de la planification écologique, qui sont aujourd'hui malaisément greffés au programme 206 et surtout au programme 149, cette architecture étant loin de garantir que la destination votée en loi de finances initiale soit pleinement respectée en cours de gestion. Ce programme accueillerait également avec profit une ligne transversale « accompagnement des agriculteurs à la transition », telle que nous l'avions déjà proposée l'an dernier. Les besoins en accompagnement des agriculteurs sont massifs : il faudra être au rendez-vous.

Malgré ces points d'accord, des désaccords profonds sur les orientations de ce budget et les choix de la ministre me conduisent à émettre à titre personnel un avis défavorable à l'adoption de ces crédits. Principale raison, ma profonde inquiétude quant à la réduction de moitié en CP et de deux tiers en AE des crédits alloués à la planification écologique par rapport au budget 2024. Cette diminution compromet nos capacités à anticiper les chocs à venir et à lutter contre le dérèglement climatique. Ainsi, malgré le fait que de nombreux agriculteurs se soient engagés dans des actions, le pacte en faveur de la haie est raboté de 80 millions d'euros. De même, le fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions verra sa dotation baisser de 85 millions d'euros. Le plan Protéines n'apparaît même plus. Toutes ces dépenses sont un coût immédiat, mais aussi un investissement sur le long terme.

Nos désaccords concernent aussi les groupements de défense sanitaire et le fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE).

J'appelle donc personnellement à ne pas voter ce budget.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Je le dis tout de go : nous proposerons bien sûr l'adoption des crédits, si possible complétés par les propositions que nous faisons pour améliorer la résilience de notre agriculture et de nos forêts.

Le budget est très contraint cette année et nous ne pourrons pas tout financer. Pour autant, il serait dommage de ne pas traduire budgétairement, par anticipation, des mesures du PLOA qui pourraient être amenées à entrer en vigueur dès 2025.

Jean-Claude Tissot a évoqué les « diagnostics de viabilité économique et de vivabilité des exploitations », dont nous proposons la généralisation dans le PLOA - c'est un point important car, comme il l'a rappelé, l'installation est un moment clé pour reconcevoir les exploitations afin de les rendre plus résilientes face aux crises.

La ministre Annie Genevard a confirmé que le budget de l'aide à l'installation-transmission en agriculture (AITA) serait bien porté à 20 millions d'euros au Sénat, contre 13 millions dans le texte initial. Cela nous semblait indispensable pour accompagner la mise en place du guichet unique de l'installation, que nous voudrions renommer dans la loi d'orientation que nous examinerons bientôt « France Installations-Transmissions ». C'était, du reste, une promesse du précédent gouvernement.

Nous voudrions également financer la préfiguration de l'aide au passage de relais, qui serait introduite de façon programmatique dans le PLOA. Cette aide de cinq ans au maximum vise à favoriser le tuilage entre des exploitants agricoles en fin de carrière en proie à des difficultés et de jeunes agriculteurs désireux de s'installer. Pour les exploitants les plus en difficulté, sujets au mal-être, la transmission peut être la clé d'une résilience retrouvée de l'exploitation.

En vitesse de croisière, cette aide représenterait une dizaine de dossiers par département et par an, pour une enveloppe totale d'environ 13 millions d'euros. Pour ne pas augmenter la dépense publique, nous proposons de réallouer à la préfiguration de ce dispositif les crédits non utilisés de l'aide à la relance des exploitations agricoles (Area), également fléchés vers les agriculteurs en difficulté, mais dont la sous-consommation est chronique.

Pour le volet forestier, l'audition de la ministre a permis de relever des convergences, s'agissant notamment des moyens humains de l'Office national des forêts (ONF). La situation financière de l'établissement s'est améliorée, et nous ne jugeons pas opportune la suppression de 95 équivalents temps plein (ETP) initialement proposée : le désendettement de l'office se poursuit et le climat social permet de tracer des perspectives favorables.

Nous assumons toutefois deux légères divergences avec le Gouvernement.

La première a trait à la suppression de 13 ETP au Centre national de la propriété forestière (CNPF), en plein milieu d'une trajectoire de hausse de 50 ETP prévue sur trois ans, pour assumer les missions nouvelles confiées par la loi sur les feux de forêts de nos collègues Jean Bacci, Anne-Catherine Loisier, Pascal Martin et Olivier Rietmann - et notamment la masse de travail supplémentaire engendrée pour cette organisation par la baisse du seuil nécessitant un plan simple de gestion de 25 à 20 hectares. Anne-Catherine Loisier a parlé de « go and stop » et je crois que c'est une bonne formule : un an après une évolution positive des moyens de l'établissement, il ne faut pas revenir dessus.

La seconde a trait aux crédits « forêt » de la planification écologique, qui sont divisés par deux en AE dans ce budget, de 509 à 228 millions d'euros. L'effort reste important, mais il nous semble qu'il faut maintenir une trajectoire stable et plutôt accélérer en début de cycle, en ajoutant 22 millions d'euros, pour que tous les acteurs, notamment les entrepreneurs de travaux forestiers, mais aussi ce maillon essentiel que sont les pépiniéristes, aient confiance dans l'engagement de l'État. Il nous semble particulièrement que les lignes « renouvellement forestier » et « graines et plants » devraient être préservées.

Cette somme peut paraître importante, mais il s'agit d'un investissement rentable : plus nous tardons, plus le taux de plantation en échec risque d'augmenter, avec les sécheresses et les évolutions climatiques. L'été 2022, qui pourrait être la norme d'ici à 2100, nous en a donné la primeur, avec une hausse subite de près de 60 % de ce taux d'échec.

En contrepartie, notre rapport présente quatre chantiers pour améliorer l'efficience des dépenses dans la forêt. Deux sont réglementaires : la sécurisation des exploitants au regard de la réglementation « espèces protégées » à l'approche des périodes de nidification et l'assouplissement des arrêtés relatifs aux matériels forestiers de reproduction (MFR), pour aider nos forêts à faire face à un changement climatique qui va malheureusement plus vite qu'elles.

Je voudrais m'attarder un instant sur le déséquilibre forêt-gibier qui, dans les forêts meusiennes d'Argonne et du Verdunois, a ponctionné près de la moitié des crédits du fonds de renouvellement forestier. C'est tout bonnement intenable ! Cela ne peut pas durer : les forestiers, les chasseurs, mais aussi les associations environnementales doivent se mettre autour de la table et assumer des mesures de correction dans les massifs les plus affectés.

Enfin, il nous semble important d'accompagner les communes forestières et les propriétaires privés isolés par un surcroît d'ingénierie - c'est là tout le sens du maintien des effectifs du CNPF et de l'ONF -, en ne rabotant pas de 3 millions d'euros le fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB). Leurs peuplements sont les plus sinistrés ; c'est donc dans ces forêts que les investissements sont à la fois les plus urgents, les plus pertinents et, en conséquence, les plus rentables.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je laisse la parole à notre collègue Christian Klinger, qui est l'un des deux rapporteurs spéciaux de la commission des finances sur cette mission.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » » et sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - La commission des finances a adopté les crédits de la mission mardi dernier, avec la satisfaction de constater que le total des concours publics à l'agriculture avait été maintenu.

Si l'on compte la politique agricole commune (PAC), les dépenses sociales contenues dans le PLFSS, les dépenses fiscales et dépenses de ce PLF, y compris sur d'autres missions - je pense notamment au programme « Enseignement technique agricole » - ou via le compte d'affectation spéciale (CAS) « Développement agricole et rural », ce sont 25,6 milliards d'euros qui sont consacrés à l'agriculture, un effort comparable à celui de 2024.

Certes, la répartition n'est pas la même que l'an dernier : des crédits qui figuraient dans la mission sont placés ailleurs pour d'autres priorités. Les revendications du mouvement des agriculteurs du début d'année ont pris la forme de 3 000 demandes qui se sont traduites par 70 engagements gouvernementaux : crédits d'urgence, mesures fiscales, mesures sociales dans le PLFSS, dispositions du projet de loi d'orientation agricole (PLOA), qui sera examiné en janvier.

Certes, nous attendons toujours des précisions du Gouvernement, par exemple sur la planification écologique ou sur des sous-actions qui n'ont pas été budgétées, mais nous sommes globalement satisfaits.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Le budget consacré à la forêt est en diminution, baissant de 509 millions d'euros en 2024 pour atteindre 228 millions d'euros en 2025. Cet effort colossal peut « passer », dans la mesure où une bonne part de ces crédits étaient fléchés vers l'aval, avec des investissements lourds déjà engagés et des crédits non entièrement consommés. La filière comprend donc l'effort demandé.

Concernant l'ONF, rappelons que l'État ne subventionne pas des postes, mais des missions. S'il veut supprimer des postes, qu'il indique les missions qu'il veut supprimer ! Néanmoins, comme l'a rappelé l'un des rapporteurs, les ventes de bois ayant été positives, le budget de l'office est depuis quelque temps en excédent.

Ce n'est pas le cas du CNPF, qui va connaître une suppression de 13 postes, alors que 21 ont été créés l'année dernière pour améliorer la lutte contre l'incendie. Il s'agit, je le rappelle, de mobiliser des acteurs auprès des propriétaires privés - la forêt privée représente les trois quarts de la forêt en France. Ces postes sont nécessaires pour la prévention des incendies, mais aussi pour la lutte contre d'autres catastrophes naturelles - les inondations récentes ont rappelé le rôle des forêts sur l'eau. Il est important que l'État soit au rendez-vous ; ces postes ne représentent qu'environ 800 000 euros...

Par ailleurs, même si cela n'entre pas directement dans le périmètre de cette mission, un enjeu majeur est la consolidation des entreprises de travaux forestiers, qui sont en grande détresse. Du fait des contraintes environnementales, leur travail est devenu un travail saisonnier - en hiver, on risque de défoncer les chemins détrempés ; au printemps, les oiseaux nidifient... - et, parallèlement à cette réduction du temps disponible de travail, les équipements coûtent très cher. Or, comme je le rappelle chaque année, ces entreprises ne bénéficient pas du TO-DE. Si ce maillon disparaît, il n'y a plus de bois de construction, plus de bois-énergie. C'est donc un enjeu majeur.

Agissons avec discernement sur les groupements de défense sanitaire (GDS). Il y a des territoires où ils travaillent bien et sont très appréciés des présidents de chambres d'agriculture ; il y en a même où ils contrôlent les établissements de restauration. Il y a donc une réflexion à mener pour les améliorer là où ils ne sont pas structurés ; mais ne les cassons pas là où ils fonctionnent bien.

M. Daniel Salmon. - Merci aux rapporteurs pour leur vision diversifiée. Je note une large régression, voire une rupture quant à la transition agroécologique, avec de nombreuses économies faites à son détriment : planification écologique, plan Écophyto, plan Protéines, pacte en faveur de la haie, protection des forêts. Le rapporteur pour avis parle de pas en avant et en arrière : ce n'est vraiment pas le moment de faire des pas en arrière ! Je lisais encore hier dans Le Monde un article sur le flufénacet, un pesticide pour céréales qui se retrouve partout, notamment dans l'eau potable. Il faudrait à cet égard se demander s'il n'y aurait pas un lien entre, d'une part, les pesticides perturbateurs endocriniens et, d'autre part, les problèmes immunitaires et toutes les épizooties constatées...

La santé, bien primordial, n'apparaît pas dans ce budget. Pris dans la compétition internationale, le Gouvernement ne pense qu'au court terme. Nous voterons donc contre ces crédits.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Nous avons effectivement besoin de nous poser de vraies questions sur la politique sanitaire. Les épizooties ont toujours existé, qu'il y ait des pesticides ou non. N'oublions pas l'étymologie du mot pesticide, qui a à voir avec la lutte contre la peste.

Le problème est la situation de la prophylaxie à cause de la diminution drastique du nombre de vétérinaires ruraux : il n'y en a plus que 6 500 en France. Si nous ne les rémunérons pas pour assurer la veille sanitaire, nous irons au-devant de graves problèmes. En 2000, en même temps que l'ESB, la Grande-Bretagne et la France avaient connu une alerte à la fièvre aphteuse. Mais tandis que la France était restée à trois cas, il y en avait eu des centaines en Grande-Bretagne. Pourquoi ? Le maillage des vétérinaires ruraux y avait été détricoté. Le principe est de former un budget digne de ce nom, de 60 millions d'euros, en augmentant la cotisation des agriculteurs ; en tant qu'agriculteur, je cotise 20 euros - il y a de la marge ! Parallèlement, il faut passer de 65 % à 70 % la part de l'État. Il faut éviter autant que possible le transfert de ces vétérinaires vers les villes où ils soignent les chiens et les chats, ce qui est plus rémunérateur et moins contraignant.

Le but n'est pas de tuer les GDS, mais de trouver un système plus performant. Quoique classés organismes de veille sanitaire (OVS), les GDS n'ont pas été à la hauteur dans nombre de territoires sur la fièvre catarrhale. Ils auraient dû sonner l'alarme pendant l'hiver et favoriser la vaccination dans les territoires sains.

Anne-Catherine Loisier a raison : là où le système fonctionne, il faut le conserver. Ce que nous préconisons me fait penser aux associations départementales pour l'aménagement des structures et exploitations agricoles (Adasea) : qui se plaint aujourd'hui de leur fusion avec les chambres d'agriculture ?

M. Gérard Lahellec. - Merci aux rapporteurs, qui ont exprimé des désaccords, même si leurs remarques ne modifient pas le fond de mon appréciation. Nous ne partons pas du bon pied sur la crise structurelle que connaissent tant l'élevage que les fruits et légumes. Effectivement, s'agissant de la transmissibilité, il faut veiller à ne pas contrarier l'équilibre de certaines exploitations. Vous avez pointé à juste titre le risque foncier. Veillons à ce que les aides aillent à ceux qui en ont besoin.

Certains oublis ou imprécisions peuvent être dramatiques, comme sur l'agroécologie ou tout ce qui a été dit sur la forêt - on pourrait en dire autant de l'enseignement public agricole. Pour l'enseignement général, le Gouvernement nous oppose la chute démographique pour justifier les baisses d'effectifs, mais cela ne fonctionne pas dans l'autre sens pour l'enseignement agricole... Nous nous opposerons aux crédits de la mission.

M. Henri Cabanel. - Je m'associe aux remerciements. Je me pose des questions sur notre façon de traiter les crises agricoles successives. Il faudrait anticiper davantage les problèmes posés par le changement climatique. Nous consacrons énormément de budget à réparer - mais vu l'ampleur et l'accélération des catastrophes depuis une décennie, j'ai le sentiment que nous arrosons le sable ! Si nous ne changeons pas de paradigme en adoptant une vision prospective, rien n'y fera ! Pas même l'assurance récolte, qui n'apportera pas de résilience aux exploitations si nous ne changeons pas les règles fixées par les accords de Marrakech de 1994, notamment la moyenne olympique.

Ce budget n'est pas assez ambitieux. Certes, des décisions ont été prises en coordination avec les filières. Une enveloppe de 120 millions d'euros a été consacrée à l'arrachage des vignes, mais la campagne d'arrachage, terminée cette semaine, n'atteint pas 20 000 hectares sur les 30 000 prévus. Nous manquons de stratégies de filières.

M. Franck Montaugé. - Il est intéressant que vous en appeliez à une approche préventive pour le FMSE. Il faudrait l'élargir à d'autres sujets qui devraient s'inscrire dans la planification écologique - la grande absente de ce PLF. Je pense au diagnostic sur la qualité des sols ou à la politique de l'eau. Comme Henri Cabanel l'a rappelé, il faut adopter une démarche préventive territoire par territoire, car il faut faire de la dentelle même si certains aspects sont communs.

Je regrette que les externalités positives ne fassent pas l'objet de crédits spécifiques ; c'est un moyen qui pourrait être utile. Ce budget est l'occasion pour la majorité sénatoriale de pousser de bonnes idées - mais cela viendra peut-être par la suite.

Pas moins de 600 millions d'euros sont consacrés aux assurances - je m'en réjouis. Mais quid du calcul des moyennes ? Il faudrait une indexation des crédits en fonction du taux de pénétration filière par filière et territoire par territoire.

M. Daniel Gremillet. - Effectivement, concernant l'assurance, nous sommes au milieu du gué. Les situations de crise s'accumulent et l'intérêt d'être assuré est faible si l'assiette n'est pas plus large. On peut se souvenir du fonds des calamités agricoles : l'État donnait un et l'agriculteur un. Les Jeunes agriculteurs avaient proposé de rendre obligatoire l'assurance récolte. Il faudra être courageux sur ce point.

Le dossier sanitaire est complexe : la sécurité sanitaire dépend de l'État et des vétérinaires sanitaires - tous ne le sont pas. Il est vrai qu'un manque de vétérinaires sur un territoire peut poser problème. La sécurité sanitaire du cheptel peut influer sur la sécurité sanitaire humaine.

Le FMSE est un fonds de participation obligatoire organisé entre l'État et les agriculteurs ; mais il faudrait parler aussi des caisses de solidarité, gérées par les GDS. Cela me fait penser aux assurances des particuliers : elles se cumulent parfois sur les mêmes risques...

Nos débats de ce matin sont intéressants : il nous faudra faire preuve de courage politique pour ne pas déresponsabiliser l'État sur les questions sanitaires, ni opposer les indemnisations entre elles : des éleveurs doivent être libres de prendre une assurance supplémentaire - je pense à des risques qui ne relèvent pas de la politique sanitaire.

Je partage votre propos sur la forêt, monsieur Menonville. Alors que la France a des ressources forestières non utilisées, ce serait une erreur terrible d'opposer le bois de chauffage aux autres utilisations.

Cela me rappelle l'installation d'une grande usine à papier dans les Vosges - cela ne date pas d'hier, Philippe Séguin était encore député-maire d'Épinal. Certains nous prédisaient que la montagne vosgienne serait bientôt toute pelée ; aujourd'hui, la forêt est toujours là et l'usine aussi, créant beaucoup d'emplois sans parler de l'impact carbone positif.

M. Olivier Rietmann. - En 2022, avec Jean Bacci, Anne-Catherine Loisier et Pascal Martin j'ai rédigé un rapport sur les feux de forêts ayant donné lieu à une proposition de loi. L'idée était que ce n'est pas une fois qu'il pleut dans la voiture qu'il faut fermer les vitres. Il faut prévenir pour éviter les coûts pour la filière, pour la biodiversité, mais aussi pour l'économie en général. Un euro investi dans la prévention, c'est au minimum 25 euros de sauvé, nous disait-on au sujet des feux de forêt. Il faut donc voir ces dépenses comme un investissement.

Nous avions voté 50 créations de postes au CNPF sur trois ans ; 21 postes ont été créés l'année dernière. Je pourrais accepter qu'on étale ces créations, mais revenir en arrière pour 13 postes, cela me semble relever de l'opportunisme financier : certes il n'y a pas eu beaucoup d'incendies cette année, mais ce n'est qu'une parenthèse. Dans notre rapport, nous avions fait état que la zone considérée comme très à risque serait multipliée par 8 ou 10 ! C'est maintenant qu'il faut faire des efforts pour éviter que cela nous coûte des fortunes à l'avenir.

M. Yannick Jadot. - La question des transmissions d'exploitations est liée à l'enjeu - considérable - de la concentration des exploitations. Le débat est porté par les Jeunes agriculteurs : plus on concentre, plus il est difficile de transmettre. Dans certains territoires, les fermes, trop grosses, sont rachetées par des fonds d'investissement. Certains paysans parlent de cannibalisme : comme vous êtes payés à l'hectare, il faut parfois avaler le voisin pour survivre.

Concernant la planification, le recul des financements est une forme de déni de la réalité. Oui, il y a toujours eu des épizooties et des aléas climatiques, mais ne pas voir que la crise écologique amène une intensification des chocs est une erreur.

Enfin, nous devons nous donner les moyens de développer la filière bio - c'est un modèle à valoriser. Pourtant, certaines lois, dont la loi Égalim, ne sont même pas respectées. Si nous ne faisons rien, la crise du bio va continuer.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - Je suis pleinement d'accord avec ce qui a été dit sur la politique forestière. Nous avons réussi à faire corriger le tir sur l'ONF et la ministre va intégrer des modifications à son budget. Notre proposition me semble raisonnable en ce qui concerne le CNPF : nous sommes d'accord pour suspendre la trajectoire prévue pour un temps, mais nous ne voulons pas revenir sur le pas déjà fait - la création de 21 ETP en 2024.

S'agissant de la planification écologique, souvenons-nous qu'un pas très important a été fait en 2024. Dans ces conditions, il me semble que le recul envisagé en 2025 ne casse pas la dynamique engagée, qui reste positive sur plusieurs années.

La ministre a veillé à concrétiser l'ensemble des engagements pris depuis les mobilisations agricoles : aides à la transmission et à l'installation, TO-DE, tarif réduit du gazole non routier (GNR), déduction pour épargne de précaution, soutien face aux crises sanitaires...

Je veux ajouter que les efforts pour la transition écologique ne se limitent pas au strict budget de l'agriculture : il faut aussi prendre en compte l'importance de la recherche pour faire émerger des solutions en faveur de la résilience.

S'agissant des crises sanitaires, il est clair que cet été nous avons connu des retards à l'allumage pour les anticiper et les gérer au mieux. Nous devons aussi améliorer la coordination européenne en la matière, parce que les épizooties ne s'arrêtent pas aux frontières. Nous avons en outre constaté des fragilités en matière d'interopérabilité des systèmes d'information et de transmission des données : alors que les éleveurs ont sept jours pour déclarer des naissances ou des décès d'animaux, l'État n'est pas en capacité de quantifier correctement et rapidement certains phénomènes, et nous devons nous en remettre aux tonnages d'équarrissage pour en déduire les pertes d'animaux.

M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Je veux d'abord saluer la bienveillance qui, malgré les désaccords avec mes corapporteurs, transparaît de nos échanges ce matin.

Le TO-DE pourrait peut-être répondre à certaines problématiques de la filière forêt-bois, comme l'a indiqué Anne-Catherine Loisier, mais il me semble que ce dispositif est parfois dévoyé. Nous devons donc faire attention.

Je ne suis pas d'accord avec les autres rapporteurs pour avis sur les GDS : s'il peut exister des difficultés dans tel ou tel département, nous ne devons pas tout mettre à la poubelle, parce que ce dispositif existe depuis très longtemps et que certains fonctionnent bien. Le fait qu'ils soient déconnectés des chambres d'agriculture leur donne de l'autonomie et leur permet d'être moins partisans d'un point de vue syndical. J'ajoute qu'en matière de veille sanitaire il faut lier végétal et animal.

En ce qui concerne le fonds de calamité et l'assurance récolte, nous devons trouver un système qui soit accessible à tous.

Enfin, il est dommage que la prise en compte des externalités positives ait complètement disparu de ce budget.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Regardons tout de même avec attention de quoi sont composés certains appels à projets du pacte en faveur de la haie : dans certaines régions, près de 40 % des crédits sont destinés à des études ou à de l'animation... Veillons à l'utilisation de l'argent public !

M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Il est logique qu'en début de programmation les crédits en faveur de l'animation soient élevés, puisqu'il faut faire connaître les dispositifs nouveaux aux différents acteurs. Ces crédits ont vocation à diminuer, il faut les lisser dans le temps.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous en venons à l'examen des sept amendements proposés par nos rapporteurs pour avis.

M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Le premier amendement vise à créer, au sein de la mission, un nouveau programme consacré à la prévention et à la surveillance des aléas climatiques. Il serait le pendant de ce que fait le programme 206 pour les aléas sanitaires.

Mme Amel Gacquerre. - Je suis d'accord avec le principe, mais un tel programme ne serait-il pas redondant avec ceux qui sont mis en oeuvre par le ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques ?

M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - La Cour des comptes a souligné qu'une telle ligne budgétaire financerait utilement une veille sur l'interaction entre changement climatique et risques sanitaires. Chambres d'agriculture France le demande également. Nous pourrons interroger Mme Pannier-Runacher cet après-midi.

L'amendement AFFECO.1 est adopté.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - Le deuxième amendement vise à accroître le financement du régime spécifique d'approvisionnement, qui permet la compensation des coûts liés au fret maritime dans les outre-mer. Le RSA est aujourd'hui financé, à hauteur de 27 millions d'euros, par le Fonds européen agricole de garantie (Feaga).

Alors que la situation est particulièrement tendue en Martinique, cet amendement permettrait d'améliorer, à la fois, le pouvoir d'achat et la compétitivité de nos filières ultramarines.

L'amendement AFFECO.2 est adopté.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - Le troisième amendement vise à acter la première tranche de financement de la dématérialisation de la traçabilité et de l'identification animales par un financement de 5 millions d'euros.

L'amendement AFFECO.3 est adopté.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - Le quatrième amendement vise à consacrer temporairement 2,1 millions d'euros au maintien de surcapacités d'équarrissage, avant d'en transférer la charge aux interprofessions.

L'amendement AFFECO.4 est adopté.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - Le cinquième amendement vise à majorer de 22 millions d'euros l'enveloppe de la planification écologique au bénéfice de la forêt.

L'amendement AFFECO.5 est adopté.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - Le sixième amendement vise à donner au Centre national de la propriété forestière les moyens d'assurer sa mission de dynamisation de la gestion de la forêt privée, qui représente les trois quarts de la forêt française, en revenant sur l'annonce du Gouvernement de baisser ses effectifs de 13 ETP.

L'amendement AFFECO.6 est adopté.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - Le septième amendement vise à abonder de 3 millions d'euros le FSFB.

L'amendement AFFECO.7 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » » et des crédits du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

Projet de loi de finances pour 2025 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport pour avis

Mme Dominique Estrosi Sassone, président. - Nous passons à l'examen des crédits du compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État ».

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». - L'année 2024 a été une année particulière pour l'agence des participations de l'État (APE), non seulement parce qu'elle fêtait ses vingt ans d'existence, mais aussi parce que l'État a annoncé des opérations d'ampleur dans des entreprises de souveraineté qui étaient jusqu'alors hors de son giron. Je pense bien sûr à Atos ou à Alcatel Submarine Networks, mais aussi à John Cockerill Defense.

L'année 2025 permettra quant à elle de concrétiser ces opérations. C'est en partie pour cela que les crédits prévus pour les opérations en capital du périmètre de l'APE sont en hausse en 2025 : ils s'élèveront à 2,6 milliards d'euros, contre environ 1,8 milliard en 2024.

Je commencerai par vous dresser un panorama du portefeuille de l'APE en cette fin 2024. Ce portefeuille inclut quatre-vingt-cinq entreprises, dont dix cotées. Il est plutôt en bonne santé financière, avec une valorisation estimée à 179 milliards d'euros, dont 50 milliards d'euros pour les participations cotées. Ce portefeuille surperforme régulièrement le CAC 40 : comme en 2023, son taux de rendement actionnarial en 2024 - 4,6 % entre juin 2023 et juin 2024 - est supérieur à celui du CAC 40 - 4,2 % sur la même période.

L'APE accompagne ces entreprises, en soutien à des politiques publiques prioritaires pour notre commission, comme la souveraineté énergétique, la réindustrialisation et la construction de logements.

En 2024, cela s'est notamment traduit par une augmentation de capital de la société pour le logement intermédiaire (SLI) à hauteur de 200 millions d'euros, par une souscription de titres de la société Le Nickel, filiale d'Eramet, à hauteur de 330 millions d'euros, par une dotation en fonds propres de 56 millions d'euros au grand port maritime de Dunkerque pour l'aménagement du foncier industriel ou encore par une souscription à l'augmentation de capital d'Orano à hauteur de 300 millions d'euros, portant la participation de l'État au capital à plus de 90 %.

Ce portefeuille de l'État actionnaire est en expansion. Loin de la stratégie de 2017 qui prévoyait des cessions d'actifs tous azimuts, nous assistons aujourd'hui à un élargissement du portefeuille de l'État actionnaire. C'est un mouvement assez récent. Nous avons tous en tête l'opération emblématique de l'année 2023 : la nationalisation d'EDF. Elle reste bien sûr exceptionnelle par son montant et son ampleur. Néanmoins, en 2024 et 2025, l'État a investi ou investira dans des entreprises qui étaient jusqu'alors hors de son portefeuille. L'APE m'a confirmé qu'en nombre d'opérations nouvelles, l'année 2024 était inédite.

En juin 2024, l'État a souscrit à l'augmentation de capital de l'entreprise belge John Cockerill Defense, à hauteur de 10 %, pour un montant de 81 millions d'euros. Cette opération s'inscrit dans le cadre de la fusion entre John Cockerill Defense et Arquus, anciennement Renault Defense Trucks, leader européen des véhicules blindés, qui était jusqu'en juin dernier détenu par Volvo. Cette opération, de concert avec l'État belge, vise à créer un champion industriel européen des véhicules blindés légers pour la défense.

Également en juin dernier, l'État a formulé une promesse d'achat d'au moins 80 % du capital d'Alcatel Submarine Networks (ASN), leader de la fabrication, de la pose et de la maintenance de câbles sous-marins. ASN est une entreprise de droit français, dont l'usine est située à Calais, mais elle est la propriété du groupe finlandais Nokia. Vous le savez, puisqu'Antoine Armand nous l'a annoncé la semaine dernière lors de son audition, cette acquisition a été officialisée par l'État. C'est une opération importante : ASN est une entreprise critique pour notre souveraineté et notre indépendance numérique. Le rapport de juillet 2022 de Sophie Primas, Amel Gacquerre et Franck Montaugé soulignait déjà la nécessité de préserver l'implantation industrielle et le savoir-faire d'ASN sur le territoire national au vu de l'importance des câbles sous-marins pour le trafic internet mondial.

Enfin, en avril 2024, l'État a indiqué son souhait d'acquérir 100 % des activités sensibles d'Atos Big Data & Security. Il a notamment identifié les activités liées au calcul de haute performance, aux systèmes logiciels critiques, aux matériels électroniques ainsi qu'aux produits cyber. Cette offre, confirmée en juin dernier, a expiré le 4 octobre sans qu'un accord ne soit trouvé avec l'entreprise. Atos a néanmoins proposé de poursuivre les discussions. L'APE m'a confirmé son souhait de réaliser cette opération en 2025, car elle est bénéfique pour le développement à long terme de ces activités, qui sont stratégiques pour la Nation. Cette acquisition s'inscrirait dans la continuité des constats de la mission d'information de Sophie Primas, Fabien Gay, Jérôme Darras et Thierry Meignen sur l'avenir d'Atos : ils préconisaient une prise de participation de l'APE au capital d'Atos afin de conserver ses activités sensibles dans le giron national.

En parallèle de ces négociations, la convention entre l'État et Atos de juin dernier prévoit l'émission d'une action de préférence au sein de Bull SA, filiale qui loge une partie des activités souveraines sensibles d'Atos, notamment les activités liées aux supercalculateurs.

Je rappelle qu'une action de préférence est une action assortie de droits particuliers, décorrélés de la participation de l'État au capital. En l'occurrence, ces droits particuliers seront : un droit d'information renforcé, un droit d'autorisation préalable sur toute opération impliquant les activités sensibles, un droit d'agrément en cas de projet de transfert à un tiers ou d'entrée au capital, ainsi que la capacité de procéder au rachat d'activités sensibles dans certaines conditions. Cette action de préférence ne coûte que 10 centimes d'euros à l'État, tout en garantissant la protection des intérêts stratégiques de l'État dans Bull.

Par ailleurs, bien que cette opération dépasse le cadre du CAS « Participations financières de l'État », je ne peux pas omettre le dossier Doliprane : la cession par Sanofi de 50 % de sa filiale Opella, spécialisée dans les produits en vente libre, à un fonds américain a fortement mobilisé l'État ces derniers mois. Afin d'assurer l'ancrage français des actifs stratégiques, le Gouvernement a annoncé une entrée au capital d'Opella à hauteur de 1 % à 2 %, via Bpifrance, autre visage de l'actionnariat public. L'opération sera finalisée courant 2025. Bpifrance investira entre 100 millions et 150 millions d'euros et bénéficiera d'une place au conseil d'administration.

C'est un bel exemple d'articulation des différents actionnaires publics : Bpifrance investit généralement de manière très minoritaire dans des TPE, PME ou ETI pour soutenir leur développement, notamment dans des secteurs à forte composante technologique et d'innovation, comme les biotechnologies, pour lesquelles Bpifrance dispose d'une compétence approfondie. En outre, Bpifrance est actionnaire depuis 2021 de Seqens, un fournisseur important de la chaîne de valeur de Sanofi.

Au total, ces opérations placent l'État actionnaire, sous ses différents visages, au coeur de notre souveraineté économique. Je crois que nous pouvons nous en féliciter.

Ces évolutions positives appellent néanmoins à une vraie réflexion sur la doctrine de l'État actionnaire, qu'il faut actualiser. Celle dont nous disposons date de 2017, soit d'une époque qui privilégiait le resserrement du portefeuille.

J'ai donc été rassurée, lorsque l'APE m'a indiqué que cette doctrine avait été enfin réévaluée et était en cours d'approbation par le ministre. Elle sera publiée en 2025, mais je peux d'ores et déjà vous indiquer que les trois secteurs stratégiques pour l'APE ne changeront pas : les entreprises dites de souveraineté, les entreprises chargées d'une mission de service public pour lesquelles l'État ne dispose pas de leviers suffisants et les entreprises dont la disparition entraînerait un risque systémique. La formalisation de cette doctrine sera aussi l'occasion de valoriser les objectifs stratégiques de l'APE en tant qu'actionnaire, à savoir la performance financière et extrafinancière, la résilience des entreprises de son portefeuille - je pense notamment au risque cyber - et leur responsabilité sociale et environnementale.

Il faut naturellement que cette doctrine soit définie et actualisée en complémentarité avec les autres actionnaires publics que sont Bpifrance, qui agit en faveur du développement et de l'innovation des TPE, PME et ETI, et la Caisse des dépôts et consignations, qui intervient en soutien aux collectivités notamment via la Banque des territoires.

De même, la dynamique des recettes et des dépenses du compte d'affectation spéciale doit nous conduire à engager une réflexion sur sa raison d'être et son fonctionnement.

Je rappelle qu'un CAS procède d'une logique un peu différente de celle d'une mission budgétaire. Il s'agit d'associer des recettes particulières à des dépenses particulières : en l'occurrence, pour le présent CAS, financer des acquisitions de parts de capital par des produits de cessions. Néanmoins, je ne vous apprends rien, en vous disant que les cessions d'actifs se font rares. L'heure n'est pas du tout au resserrement du giron de l'État actionnaire. Il faut trouver des recettes autre part pour financer les opérations en capital : le CAS est donc provisionné par des crédits du budget général. C'est justifié et même nécessaire pour financer les acquisitions que j'ai mentionnées il y a quelques instants et que j'estime bénéfiques aux intérêts nationaux. Mais en 2025, 90 % des crédits du CAS proviennent du budget général - 98 % l'an dernier.

C'est d'autant plus déroutant lorsque l'on sait que les dividendes de l'État actionnaire n'alimentent pas le CAS, mais le budget général. C'est une bizarrerie comptable : l'APE est le seul actionnaire à ne pas récupérer directement le fruit de ses investissements. Ces dividendes sont significatifs : en 2022 et 2023, ils s'élèvent à 2,3 milliards d'euros. Même la Cour des comptes a ouvert la voie à une réflexion sur une affectation de ces dividendes au CAS. C'est une réflexion qui doit être menée par des experts au niveau du ministère de l'économie et qui nécessiterait sans doute une modification de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) - nous n'y sommes donc pas encore... Mais j'y suis sensible : il faut s'interroger sur l'intérêt de continuer à séparer budgétairement la gestion des dividendes de la gestion des actifs eux-mêmes.

Enfin, au niveau des dépenses, le CAS contribue de manière artificielle au remboursement de la dette covid. C'est une contribution artificielle, car les crédits permettant de rembourser cette dette proviennent, là encore, du budget général. Ils ne font donc que « transiter » par le CAS. C'est le cas depuis 2022 et nous le relevons chaque année. Néanmoins, je pense qu'en cette période de finances publiques dégradées, nous pouvons saluer tous les efforts, quels qu'ils soient, en faveur de la réduction de la dette publique. La dette covid que le CAS contribue à apurer représente tout de même 165 milliards d'euros jusqu'en 2042. Le montant à provisionner chaque année à la Caisse de la dette publique (CDP) est déterminé en fonction d'une formule mathématique complexe que je vous épargne et qui dépend notamment de la croissance. En 2025, la contribution du CAS à la CDP s'élève donc à 5,15 milliards d'euros, en légère diminution par rapport à 2024, en raison de la revue à la baisse des prévisions de croissance.

Voilà, mes chers collègues, ce que nous pouvons retenir de ce CAS « Participations financières de l'État ». Je tiens à saluer la forte inflexion de l'État actionnaire en cette fin d'année 2024, qui fait des participations financières de l'État un véritable outil de politique économique en soutien à la souveraineté et aux intérêts stratégiques de la Nation. C'est ce qui justifie l'avis favorable à l'adoption de ces crédits que je vous propose aujourd'hui.

M. Fabien Gay. - L'an dernier, les crédits avaient été rejetés, alors que vous aviez émis un avis favorable. J'imagine que le vote cette année sera le même. Je ne vois pas ce qui a changé en un an au point que le vote du jour diffère : nous dénoncions déjà l'an dernier le fait que le programme 731, sur les acquisitions, n'était pas renseigné. On nous propose d'ouvrir plus de 2,5 milliards d'euros.

Bien sûr, il y a le problème d'Atos, et ça traîne... La mission d'information que nous avions menée avec Sophie Primas proposait non seulement de racheter BDS, mais surtout d'entrer au capital d'Atos SE. Ce n'est pas exactement la même chose. On ne sait toujours pas où va Atos. Nous avons préconisé de renouveler les contrats des ministères pour aider Atos et les 100 000 empois à la clef. De toute façon, même si l'État venait à racheter BDS, cela ne couvre pas les 2,5 milliards d'euros inscrits en 2025 : pour l'instant, on annonce un chiffre entre 300 et 500 millions. À quoi ces 2,5 milliards vont-ils servir ? Où vont-ils être investis ?

Cela ouvre la question de la stratégie de l'État actionnaire. L'État actionnaire doit-il être un actionnaire comme un autre, à la recherche de la rentabilité économique, sans aucune préoccupation d'emploi et de maintien de l'outil industriel ? Que dit l'État actionnaire au conseil d'administration de Renault à ce sujet ? Pas grand-chose ! Nous sommes en train de liquider un certain nombre de sous-traitants de Renault et je n'entends pas l'État actionnaire avec une volonté très forte.

Enfin, il y a un petit débat politique que nous ne devons pas mettre sous le tapis. Plusieurs membres de la Macronie ont proposé de céder les actifs ou les participations d'Orange, de Stellantis ou de la Française des jeux, notamment Gérald Darmanin et Olivia Grégoire. Quelle est votre position sur les cessions d'actifs ? Pour moi, ce n'est pas une bonne chose, car les dividendes et les cessions d'actifs financent le désendettement et le budget général, alors qu'ils devraient être versés à l'APE ! Peut-être trouverons-nous une position commune sur ce point-là.

J'appelle à une véritable réflexion sur la stratégie de l'APE, de Bpifrance, de la Caisse des dépôts. L'APE est-elle le bras armé de la réindustrialisation de notre pays ? Faut-il que Bpifrance entre au capital de Stellantis ? L'objectif doit-il être de protéger les emplois ?

Comme l'an dernier, par cohérence et compte tenu de ce flou, nous voterons contre l'adoption de ces crédits.

M. Franck Montaugé. - Quelle est la part des augmentations de prise de participation dans le coût de la dette ? Notre dette dépasse les 3 000 milliards d'euros. Quel est le bilan des entrées et sorties, s'il y en a, au capital des entreprises de ce portefeuille ?

Intervient-on en coordination avec la Commission européenne sur nos prises de participation ? L'Union européenne peut-elle intervenir dans les entreprises qui oeuvrent dans un domaine d'intérêt général européen ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je me réjouis que l'APE s'intéresse aux infrastructures réseaux numériques. Nous sommes leaders dans la fabrication des câbles et dans le déroulage des câbles sous-marins ; nous avons des entreprises d'excellence et nous avons un hub mondial sur notre territoire : gardons ce leadership !

En 2017, au moment du débat sur la privatisation d'ADP, le fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) avait été créé. Je n'ai jamais eu d'informations sur le devenir de ce fonds. Où en est-il ?

M. Yannick Jadot. - Nous traitons là d'un sujet de souveraineté et de politique industrielle. On entend souvent dans le débat public : « Il ne faut pas vendre les bijoux de famille », mais c'est une caricature. Évidemment, il y a une question de patrimoine sur ce que nous souhaitons contrôler, mais la véritable question est stratégique. Or le PLF n'offre pas une bonne visibilité sur la politique industrielle, pas plus, d'ailleurs, que la discussion sur l'APE.

Nous souhaitons - c'est une revendication de longue date - que l'APE gère mieux ses dividendes. Dès lors que l'on renvoie au budget de l'État, il y a conflit entre la capacité à dépenser, à investir et les choix industriels.

Un processus plus circulaire au niveau de l'APE serait donc bienvenu.

Et puis, que faire de ces participations ? Nous avons tous en tête des exemples d'entreprises, dont l'évolution industrielle et stratégique a été pour le moins bancale, et qui sont désormais en difficulté.

Nous voterons donc, comme l'année dernière, contre l'adoption des crédits.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - J'ai bien mentionné que la mission d'information préconisait une entrée au capital d'Atos. Le sujet est encore en discussion ; les négociations n'ont pas été rompues. Une convention du mois de juin dernier prévoit l'émission d'une action de préférence au profit de l'État au sein de Bull SA. Effectivement, c'est un moyen, pour l'État, de garder un contrôle sans entrer beaucoup au capital.

L'État doit-il se désendetter en resserrant son portefeuille, c'est-à-dire en abandonnant des entreprises stratégiques, ou bien en faisant des économies de dépense ? Il me semble que garder nos entreprises stratégiques et des participations est plus que jamais important pour répondre aux enjeux de souveraineté.

Cette souveraineté est tout autant européenne que française. À l'échelon européen, ce sont les différents fonds européens qui doivent être mobilisés à cette fin, et non les participations financières de l'État. Faudrait-il envisager une agence de participation européenne ? La question mérite d'être posée.

En 2024, 1,8 milliard d'euros auront été consacrés aux opérations en capital relevant du périmètre de l'APE. Les dividendes s'élèveront quant à eux à 2,3 milliards d'euros. Mais les dividendes sont directement versés au budget général de l'État.

M. Franck Montaugé. - Cela concerne également EDF ?

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Oui.

Je rappelle qu'en 2025 les crédits prévus pour les opérations en capital relevant du périmètre de l'Agence des participations de l'État s'élèveront à 2,6 milliards d'euros.

Le fonds pour l'innovation et l'industrie évoqué par Anne-Catherine Loisier n'a fonctionné que brièvement, la Cour des comptes ayant recommandé sa suppression.

Même si les crédits du compte d'affectation spéciale ont été rejetés en commission l'année dernière, je préconise de les approuver cette année. En effet, l'Agence des participations de l'État, dont la gestion est bonne, a pleinement joué son rôle. Par ailleurs, ses interventions seront encore plus fortes en 2025. Il s'agit d'un acteur indispensable, qui agit en complémentarité avec Bpifrance ou la Caisse des dépôts et consignations.

Les auditions que j'ai menées m'ont permis de noter le bon dialogue entre ces différents interlocuteurs. Le travail se fait, il va dans le bon sens, avec pour objectif que la France conserve sa souveraineté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

Proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Pierre Cuypers rapporteur sur la proposition de loi n° 108 (2024-2025) visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, présentée par M. Laurent Duplomb, M. Franck Menonville et plusieurs de leurs collègues.

La réunion est close à 11 h 15.

Mercredi 13 novembre 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Audition de Mmes Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et Olga Givernet, ministre déléguée chargée de l'énergie

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mmes Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, et Olga Givernet, ministre déléguée chargée de l'énergie, pour échanger sur les crédits dédiés à l'énergie de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

Mesdames les ministres, avant de vous donner la parole pour nous présenter le projet de budget, je souhaite vous interroger sur la riche actualité législative et réglementaire du secteur de l'énergie.

Après des années d'incertitude, la programmation énergétique est de nouveau à l'agenda. Dans sa déclaration de politique générale du 1er octobre dernier, le Premier ministre, Michel Barnier, a annoncé la reprise immédiate des travaux de planification, de même que la relance de l'énergie nucléaire. Lors de votre conférence de presse du 4 novembre dernier, vous avez soumis à concertation la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Ce sont de bonnes nouvelles, de réelles avancées, dont nous vous félicitons.

Vous le savez, notre commission a plaidé de façon constante non seulement pour actualiser notre programmation énergétique, mais aussi pour légiférer sur le sujet. C'est elle qui a fixé le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie, lors du vote de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat. C'est également elle qui a fait adopter une proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, le 16 octobre dernier.

Légiférer est une obligation légale, car l'article L. 100-1-A du code de l'énergie dispose qu'une loi de programmation prévaut sur la PPE et la SNBC. C'est aussi une nécessité économique, la filière du nucléaire ayant besoin d'une assise législative et d'une légitimité politique pour mettre sa relance à l'abri des accroches contentieuses et des soubresauts politiques.

Nous connaissons votre engagement fort en la matière. Madame Pannier-Runacher, vous avez présenté le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique au mois de décembre 2023, dont le titre Ier était consacré à la programmation énergétique, mais ce texte n'a malheureusement pas survécu au remaniement gouvernemental de janvier 2024. Madame Givernet, vous avez soutenu notre proposition de loi de programmation, en coconstruisant une quinzaine d'amendements avec son auteur, Daniel Gremillet, et les rapporteurs Alain Cadec et Patrick Chauvet, et en levant le gage financier en séance publique. Nous vous en remercions.

Dans ce contexte, je forme le voeu que vos travaux réglementaires et notre initiative législative, qui sont tout à fait complémentaires, puissent aboutir le plus rapidement possible. Pouvez-vous nous indiquer si notre proposition de loi sera inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale au début de l'année 2025 ? Son contenu sera-t-il bien repris par la PPE et SNBC ? Quand ces documents réglementaires seront-ils finalisés ?

À ce stade, si les ambitions en matière d'électricité renouvelable et de bioénergies de la PPE et de notre proposition de loi convergent parfaitement, la PPE est un peu en retrait s'agissant de l'énergie nucléaire, de la rénovation énergétique et de l'efficacité énergétique. La PPE confirme la construction de six EPR2 et du SMR (Small Modular Reactor) Nuward, mais n'évoque que l'étude de huit EPR2 supplémentaires. De son côté, la proposition de loi prévoit d'engager la construction des six EPR2 d'ici 2026 et celle des huit EPR2 et du SMR Nuward d'ici 2030, et de tendre vers un total de 27 gigawatts (GW) de nouveau nucléaire d'ici 2050. De plus, la PPE évoque 600 000 rénovations énergétiques par an d'ici 2030, contre 900 000 pour la proposition de loi et un minimum de 825 térawattheures cumulés/actualisés (TWhc) d'économies par an d'ici 2026, contre 1 250 pour la proposition de loi. La concertation que vous avez engagée pourra-t-elle être l'occasion de rapprocher davantage encore vos rédactions des nôtres sur ces trois points ?

Je souhaite également aborder la relance de l'énergie nucléaire. Quand seront prises les autorisations de construction des six premiers EPR2 et des huit autres, évoqués par le Président de la République lors du discours de Belfort du 10 février 2022 ? Et comment seront financés ces nouveaux réacteurs ? Le président-directeur général (P-DG) du groupe EDF, Luc Rémont, et la Cour des comptes ont insisté sur la nécessité d'un soutien public. Quels seraient le véhicule et le calendrier d'une telle modification ?

Concernant la réforme du marché de l'électricité, le dispositif parafiscal proposé à l'article 4 du projet de loi de finances initiale pour 2025 (PLF 2025), qui doit succéder à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), a nécessairement fait l'objet d'une étude d'impact. Aussi, pouvez-vous nous préciser quelle sera son incidence sur les finances du groupe EDF et sur le prix de l'électricité acquitté par les consommateurs, particuliers comme professionnels ?

Enfin, je veux vous interroger sur le devenir des concessions hydroélectriques. Où en sont les négociations avec la Commission européenne ? Le passage du régime des concessions vers celui des autorisations est-il toujours préféré à la mise en oeuvre d'une quasi-régie regroupant les activités hydroélectriques du groupe EDF ? Quels seraient le véhicule et le calendrier d'une telle évolution ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. - Je vous remercie de nous accueillir, avec ma collègue Olga Givernet, pour notre première audition commune. Dans chacune de mes fonctions ministérielles précédentes, j'ai pu mesurer la qualité du travail mené au Sénat. Nous avons su avancer ensemble sur de nombreux sujets cruciaux pour notre stratégie industrielle, climatique et énergétique. Je souhaite continuer avec vous dans cette dynamique.

Entre 2011 et 2023, le climat mondial s'est déjà réchauffé, selon les dernières évaluations, de 1,5 degré par rapport au niveau de l'ère préindustrielle. Depuis 1970, près de 70 % des populations d'espèces sauvages de vertébrés ont disparu. Les effets du dérèglement climatique sont déjà là dans notre quotidien. Il est donc urgent d'agir ; c'est ce que nous faisons.

Dès ma prise de poste, dans le prolongement de la déclaration de politique générale du Premier ministre Michel Barnier, je me suis réengagée sur le chemin précédemment ouvert par Élisabeth Borne, puis par Gabriel Attal. Ainsi, grâce à la planification écologique lancée à l'été 2022, nos émissions ont diminué de 5,8 % en 2023 ; c'est ce que nous devons faire chaque année pour tenir notre trajectoire européenne rehaussée. Si les douze derniers mois glissants à 4,8 % sont encourageants, chaque nouvelle marche est plus difficile à franchir que la précédente. Il nous faut donc être vigilants.

Nous venons de soumettre à la consultation publique les trois textes qui forment notre stratégie française sur l'énergie et le climat (SFEC) : le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), la SNBC et la PPE.

Le Pnacc, issu des travaux de mon prédécesseur Christophe Béchu, contient cinquante et une mesures pour mieux préparer notre pays à une hausse de température de 4°degrés d'ici la fin du siècle, non pas pour la planète, mais pour la France, qui se réchauffe en moyenne plus vite que la planète.

La SNBC et la PPE doivent permettre à notre pays de tenir nos deux grands objectifs : d'une part, rehausser la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) à - 50 % à horizon 2030 par rapport à 1990 ; d'autre part, préparer la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles d'ici la moitié du siècle. Je le précise, les - 50 % sont totalement cohérents avec les - 55 % européens. Un récent rapport du Haut Conseil pour le climat (HCC) a bien précisé cette correspondance.

Ces trois textes réunis sont essentiels, car ils fixent un cap : le rôle de l'État-stratège.

Parallèlement, je travaille à la territorialisation de ces politiques. C'est là le point-clé de la planification : permettre aux collectivités locales, aux entreprises, aux associations et aux citoyens de savoir où nous voulons aller, secteur par secteur, année après année. Nous avons besoin de visibilité, de constance et de cohérence face au mur d'investissements de la transition écologique. Pour cela, la planification est un atout. Cet enjeu a d'ailleurs été particulièrement souligné dans le rapport des sénateurs Brigitte Devésa, Lauriane Josende et Simon Uzenat intitulé Entreprises et climat : se mobiliser pour relever le défi de la compétitivité carbone.

La PPE détaille de manière très opérationnelle la transformation de nos modes de production et de consommation d'énergie pour les dix ans à venir. Elle montre surtout combien l'heure n'est plus à l'opposition factice entre énergies nucléaire et renouvelable. L'enjeu est le passage d'une consommation d'énergie fondée à près de 60 % sur les énergies fossiles à l'horizon 2030 à une consommation reposant à plus de 60 % sur les énergies décarbonées, qu'elles soient renouvelables ou nucléaire. Telle est notre nouvelle cible à l'horizon 2030. Inverser les proportions, changer de paradigme : voilà l'ambition de cette nouvelle PPE.

Je veux saluer le travail de qualité du Sénat sur la proposition de loi déposée par le sénateur Daniel Gremillet et rapportée par les sénateurs Alain Cadec et Patrick Chauvet.

Au-delà de la planification, j'ai de nombreuses autres priorités qui contribuent aussi à la lutte contre le dérèglement climatique, car la lutte contre l'effondrement de la biodiversité est liée au combat contre le dérèglement climatique : économie circulaire, biodiversité, eau, prévention des risques, etc.

J'en viens au projet de budget pour 2025. Pour soutenir notre planification, nous devons envoyer des signaux clairs, en agissant pour que les solutions décarbonées soient, autant que possible, moins coûteuses que leur alternative carbonée. C'est pourquoi nous continuons à nous attaquer aux niches brunes. J'attends le rapport des inspections sur les subventions nocives pour l'environnement pour que nous puissions ouvrir ensemble de nouveaux combats.

Comme tous les autres ministères, nous devons faire des efforts sur les finances publiques ; tout l'enjeu est de les cibler efficacement.

Le budget est de 16,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement, en hausse de 2 milliards d'euros, pour autant, cette hausse masque des situations très diverses. En comparaison à la prévision de consommation pour 2024, ce qui me paraît constituer la meilleure approche en raison des gels et des annulations de crédits qui sont intervenus, la hausse est de 4,6 milliards d'euros, mais il s'agit en réalité d'un retour à une situation d'avant la crise. Cela illustre la poursuite de nos efforts en matière d'énergies renouvelables. Ces chiffres s'expliquent par la baisse importante du coût de la fourniture d'électricité sur les marchés internationaux.

MaPrimeRénov' voit son enveloppe en ligne par rapport à l'exécution 2023 et en hausse par rapport à la prévision d'exécution 2024, d'environ 30 %. Il en va de même pour le fonds Barnier, avec les 75 millions d'euros d'autorisations d'engagement obtenus par amendement, soit une hausse d'un tiers par rapport à 2024.

Inversement, le fonds d'intervention de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), dont le fonds chaleur, recule de 34 %, l'électrification des véhicules de 66 %, repositionnant ces chiffres au niveau d'avant la crise, mais avec un vivier de projets très important. Le fonds vert, qui avait été créé en 2023, est réduit de 60 %. On notera un effort substantiel sur la trésorerie des agences de l'eau, de 130 millions d'euros.

Sur le volet recettes, le projet de loi de finances réduit le soutien à certaines dépenses brunes : malus automobile, suppression de taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) réduit à 5,5 % sur l'installation de chaudière à énergies fossiles.

En matière de fiscalité sur l'électricité, la proposition du Gouvernement qui vous est présentée repose sur une augmentation en deux temps.

Le premier temps, législatif, acte le retour à la fiscalité d'avant la crise énergétique. C'est la fin du bouclier énergétique, qui a représenté plus de 50 milliards d'euros d'aides aux ménages et aux entreprises sur ces trois dernières années.

Le second est un renvoi au pouvoir réglementaire de la capacité à aller au-delà de ce niveau, dans une fourchette déterminée par le législateur et dans le respect de l'engagement du Premier ministre : une baisse de 9 % des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE) au 1er février 2025. Cette baisse concerne tout particulièrement les 60 % de Français aux TRVE et les 15 % dont les contrats sont liés à ces TRVE. Ce renvoi permet évidemment de définir finement le niveau de fiscalité approprié en tenant compte de l'actualisation importante des coûts du réseau, sur la base des plans d'investissement d'Enedis et de Réseau de transport d'électricité (RTE), attendue au 1er août de l'année prochaine. L'idée est de lisser cette augmentation.

Je recommande que nous soyons vigilants sur plusieurs points.

D'abord, ne sacrifions pas notre dette écologique à notre dette financière. Cela implique de garder en mémoire qu'un euro investi dans l'adaptation, c'est sept à huit euros de dommages évités demain - le retour sur investissement est très important - et de rester très attentifs à la cohérence des signaux-prix.

Ensuite, il faut veiller à l'enjeu crucial du pouvoir d'achat. EDF nous a alertés sur l'augmentation des contentieux de précarité énergétique ; leur plateforme téléphonique peine à répondre à toutes les demandes.

Enfin, au regard de notre ambition de reconquête industrielle, n'oublions pas que le coût de l'énergie est un élément déterminant l'installation dans un pays comme la France, où l'électricité a longtemps été plus compétitive que dans les autres pays européens. Malheureusement, ce n'est pas le cas du gaz. Faisons attention à ne pas envoyer de signaux contradictoires.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, chargée de l'énergie. - C'est un honneur pour moi d'être aujourd'hui au Sénat pour ma première audition par la commission des affaires économiques, même si j'avais échangé avec certains de ses membres - je pense notamment à l'auteur Daniel Gremillet et aux rapporteurs Alain Cadec et Patrick Chauvet - lors de l'examen de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie. Nous avions alors fixé des objectifs qui correspondent à ceux de la PPE, par exemple sur le renouvelable - avec 200 térawattheures (TWh) -, le nucléaire - avec 360 TWh -, l'hydrogène - avec 6,5 GW -, le biogaz - avec 50 TWh -, la chaleur - avec 297 TWh - et les biocarburants - avec 48 TWh. À ce stade, le calendrier législatif est encore trop flou pour savoir quand l'Assemblée nationale pourra examiner ce texte. Les discussions dans cette assemblée seront sans doute longues et doivent être abordées sereinement. Pour la PPE, l'enjeu est qu'elle soit mise en oeuvre rapidement.

Cette programmation est nécessaire pour atteindre l'objectif de « neutralité carbone » en 2050. Nous avons d'ores et déjà 40 % d'énergie propre - c'est une fierté -, et nous devons passer à 60 % en 2030. Avec cette consultation sur la PPE, nous pouvons y arriver par trois fronts.

Le premier est la réduction des prix, pour protéger les consommateurs et oeuvrer pour le pouvoir d'achat de toutes les familles. Vous le savez, l'État a aidé à hauteur de 20 milliards d'euros les entreprises et les ménages durant la crise de l'énergie, de 2022 à 2024. Depuis, les prix de l'électricité ont pu baisser, c'est pourquoi le bouclier fiscal prend fin en 2025. Contrairement à ce que j'entends parfois, les prix de l'énergie ne vont pas augmenter. Notre volonté est de faire baisser les factures pour tous les Français, avec certains dispositifs, comme la fiscalité sur l'électricité - avec une part fixe et une part variable -, ou le chèque énergie, dont l'enveloppe est inchangée, à 900 millions d'euros d'autorisations d'engagement. J'entends les inquiétudes sur les conditions d'éligibilité au chèque énergie, suite à la suppression de la taxe d'habitation, mais l'envoi restera automatique pour les bénéficiaires actuels et une plateforme va être ouverte afin qu'il puisse se déclarer. Je vous invite à la relayer.

Le deuxième est la maîtrise de notre consommation d'énergie. C'est en consommant intelligemment l'énergie que nous tiendrons notre trajectoire. La rénovation énergétique, financée par MaPrimeRénov' et les certificats d'économies d'énergie (C2E) y contribuent. Les efforts des Français et des entreprises ont d'ores et déjà apporté des résultats : notre consommation combinée de gaz et d'électricité a baissé de 12 % par rapport à 2019. Il faut maintenir cet effort et arriver à - 30 % en 2030 par rapport à 2012. L'objectif est aussi de remplacer la consommation d'énergies fossiles par l'usage de l'électricité : le pétrole fossile importé pollue et pèse sur notre balance commerciale. Il nous faut produire en France et, dans l'idéal, exporter notre énergie décarbonée. Cela passe également par l'électrification des véhicules. Le malus automobile que nous mettons en place concerne seulement les véhicules neufs : comme neuf Français sur dix ont plutôt tendance à acheter des véhicules d'occasion, seuls les ménages les plus aisés seront touchés.

Le troisième est la production d'énergie décarbonée, qui est un moyen formidable de sortir des énergies fossiles. Nous nous appuyons sur le nucléaire et sur le développement des énergies renouvelables. Nous en avons débattu entre nous, lors de l'examen de la proposition de loi de programmation. Nous prévoyons six EPR2, et huit réacteurs supplémentaires sont à l'étude, ainsi que des petits réacteurs modulaires (SMR) et des réacteurs nucléaires innovants. La décision du conseil d'administration d'EDF pour les six premiers EPR2 devrait être prise en 2026. L'attribution des sites pour les huit EPR2 supplémentaires est également prévue pour 2026. Nous avons donc quelques mois devant nous pour y travailler. Enfin, en matière d'éolien en mer, les annonces de programmation atteignent 45 GW à l'horizon 2050, et nous prévoyons de multiplier par six le photovoltaïque en 2035, de réinvestir sur l'hydroélectricité et de doubler la consommation de chaleur. La décarbonation marche donc sur ses deux jambes : le nucléaire et les énergies renouvelables. Le Gouvernement vient d'annoncer un soutien fort, à hauteur de 1,5 milliard d'euros, en faveur de la décarbonation de l'industrie.

Tout cela vise à faire de la France une grande nation de l'énergie. Nous y oeuvrons.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». - Mesdames les ministres, je tiens à vous remercier de votre forte implication dans l'actualisation de notre programmation énergétique ; nous y attachons beaucoup d'importance. C'est un exercice fondamental, très attendu des filières, nucléaire comme renouvelables. Je me félicite de l'ouverture de la concertation sur la PPE et la SNBC et de l'adoption, avec votre soutien, de notre proposition de loi de programmation. Je forme le voeu que ces différents textes aboutissent rapidement ; n'ayons pas peur du débat parlementaire. Nous avons pu avancer au Sénat et je suis convaincu qu'il en sera de même à l'Assemblée nationale.

Les crédits dédiés à l'énergie de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » sont fortement mis à contribution dans l'effort - général et nécessaire - de modération budgétaire, ce qui interroge cependant notre capacité réelle à atteindre les objectifs de décarbonation de notre économie.

Plusieurs articles fiscaux du PLF pour 2025 font ainsi l'objet de critiques.

D'une part, les taux fixés pour le partage des revenus du nucléaire historique ou l'accise sur l'électricité sont renvoyés à des arrêtés, plutôt que de figurer dans la loi. D'autre part, les fournisseurs craignent la hausse de l'accise sur l'électricité et les industriels celle de la taxe sur les installations nucléaires de base (INB). Enfin, le financement des opérations liées à l'électrification rurale - via le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (CAS Facé) - et des opérations liées à la péréquation tarifaire - via les charges de service public de l'énergie (CSPE) allouées aux zones non interconnectées (ZNI) - ne serait plus assuré par le budget général, mais par une taxe affectée, ce qui inquiète énormément les élus locaux, dont les ultramarins. Seriez-vous prêtes à évoluer sur ces points ? Il me semble que nous devrions contenir la hausse de l'accise sur l'électricité à son niveau d'avant-crise et abandonner la réforme du financement des opérations liées à l'électrification rurale ou à la péréquation tarifaire.

Les articles budgétaires du PLF pour 2025 sont aussi l'objet de critiques.

Certes, les crédits des CSPE allouées aux énergies renouvelables augmentent de 4,3 Mds€, pour l'électricité, et de 300 M€, pour le biogaz.

Cependant, les crédits baissent de 1,7 milliard d'euros pour le dispositif MaPrimeRénov', de 530 millions d'euros pour l'aide à l'acquisition de véhicules propres et de 470 millions d'euros pour l'Ademe, avec de lourdes répercussions sur le fonds chaleur qui est géré par cette agence. Ne craignez-vous pas qu'une diminution des moyens d'intervention de l'État n'entraîne un ralentissement considérable de l'action de décarbonation et, surtout, de la rénovation énergétique, de la mobilité propre et de la chaleur renouvelable ?

Les crédits des mesures exceptionnelles de protection des consommateurs d'électricité et de gaz baissent de 1,2 milliard d'euros, compte tenu de l'extinction des différents boucliers tarifaires. Si celle-ci était prévisible, comment les consommateurs seront-ils protégés ? Il y a bien un sujet, par exemple sur les crédits du chèque énergie, qui sont stables en autorisations d'engagement, mais qui baissent de 180 millions d'euros en crédits de paiement. De nouvelles modalités d'attribution pourraient, selon le projet annuel de performance (PAP), « conduire à une réduction transitoire du nombre de bénéficiaires la première année de mise en oeuvre ». Notre crainte est qu'un nombre considérable de familles en soient privées en 2025. Combien de bénéficiaires pourraient être concernés ? Ne faudrait-il pas abandonner cette réforme, qui inquiète énormément les associations de consommateurs et de droit au logement ? Il ne faudrait pas, pour 2025, ajouter à l'extinction des mesures exceptionnelles de protection des consommateurs d'électricité et de gaz une réforme mal perçue du chèque énergie.

M. Pierre Cuypers. - Nous sommes convaincus que les bioénergies sont essentielles pour décarboner, notamment, les secteurs les plus difficiles à électrifier, comme l'industrie ou les transports. Le projet de PPE, mis en consultation par le Gouvernement, prévoit « d'orienter progressivement les biocarburants vers les secteurs qui auront durablement peu d'alternatives ». Ne devrait-on pas faire figurer dans cette PPE le recours aux biocarburants pour les automobiles, dès lors qu'un parc thermique continuera d'exister encore pendant de nombreuses années ?

Le projet de PPE propose un objectif de 50 TWh de biogaz, dont 44 TWh injectés, pour atteindre 15 % de la consommation de gaz sur le réseau d'ici 2030. Ne pourrait-on pas reprendre l'objectif encore plus ambitieux de 20 %, qui est proposé par la filière ?

Le projet de PPE évoque enfin des dispositifs de soutien, comme les certificats de production de biogaz ou le mécanisme de soutien à la production d'hydrogène, qui fait actuellement l'objet, me semble-t-il, d'échanges avec la Commission européenne. Quand ces dispositifs seront-ils opérationnels ?

M. Alain Cadec. - Madame Pannier-Runacher, je vous remercie de ne pas vous rendre à la COP29. C'est une bonne décision.

La recherche énergétique est cruciale pour trouver de nouvelles voies pour diversifier la production et modérer la consommation d'énergie. C'est tout particulièrement le cas dans le secteur du nucléaire, industrie innovante, du temps long. Le projet de PPE fixe la perspective de deux prototypes de petits réacteurs modulaires ou innovants d'ici 2030 et d'une étude du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sur les réacteurs à neutrons rapides (RNR) d'ici 2026.

Pourquoi ne pas viser un objectif plus mobilisateur de 4 GW de petits réacteurs modulaires d'ici 2050, comme l'a proposé RTE, dans le scenario « N03 » de son étude Futurs énergétiques à l'horizon 2050 ? Ne faudrait-il pas, en outre, être moins timide s'agissant des RNR, dans la mesure où l'actuelle PPE prévoit explicitement « de maintenir la perspective d'un éventuel déploiement industriel d'un parc de réacteurs à neutrons rapides à l'horizon de la deuxième moitié du XXIe siècle » ? Il ne faudrait pas que la prochaine PPE soit moins ambitieuse que l'actuelle.

M. Franck Menonville. - Le projet de PPE prévoit « d'accompagner l'émergence des projets agrivoltaïques ». C'est une bonne chose, à condition de bien les encadrer. Dans le cadre du bilan de l'application des lois effectué par notre commission au printemps dernier, il est apparu que plusieurs décrets et arrêtés étaient encore attendus. Où en est-on ? Les acteurs de terrain se sont-ils saisis des documents-cadres départementaux devant mieux encadrer les projets ? Par ailleurs, le sujet des baux ruraux, qui n'avait pas pu être traité dans la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables mérite d'être résolu, notamment pour sécuriser les exploitants agricoles en fermage ou en cours de transmission. C'est pourquoi j'ai déposé une proposition de loi en ce sens. Qu'en pensez-vous ? Le Gouvernement est-il favorable, sur le principe, à un tel complément ?

M. Patrick Chauvet. - Le projet de PPE propose de « résoudre les précontentieux autour du renouvellement des concessions hydroélectriques ». Ne devrait-on pas exclure explicitement la Compagnie nationale du Rhône (CNR), dont la concession a été prolongée pour vingt ans à l'unanimité par la loi 28 février 2022 relative à l'aménagement du Rhône ? En effet, celle-ci n'est pas demandeuse d'une quelconque évolution, contrairement, bien sûr, au groupe EDF. Par ailleurs, le projet de PPE évoque une capacité additionnelle de 2,8 GW d'ici 2035 en matière d'hydroélectricité. Ne pourrait-on pas reprendre le chiffrage global, plus explicite, de 29 GW d'ici 2035, proposé par la filière ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La taxe sur les INB se retrouve effectivement sur les factures des consommateurs. L'objectif du Gouvernement est qu'elle abonde de 20 millions d'euros les crédits de la nouvelle Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), moyennant un impact limité sur les factures.

Par ailleurs, je me suis mal exprimée lors de mon audition devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (CATDD) : nous supprimons la contribution au CAS Facé, car comme elle équivaut à une accise, le droit européen exige que nous la traitions comme telle ; en revanche, le CAS lui-même demeure, contrairement à ce qui a pu être compris à la suite de mes propos.

Concernant l'augmentation des prix de l'électricité, le Premier ministre a été très clair : nous sommes prêts à améliorer le texte que nous vous présentons. La contrainte budgétaire est connue : un euro enlevé d'un côté doit se retrouver ailleurs. Olga Givernet et moi-même nous tenons néanmoins à votre disposition, ainsi qu'Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, pour préparer des simulations en amont des séances. L'objectif de réduction de notre déficit et du maintien de l'équilibre de notre budget n'en demeure pas moins intangible.

J'ai précisé dans mon propos liminaire quels devaient être nos points d'attention. Tout d'abord, la transition écologique implique des signaux-prix cohérents. Ensuite, elle constitue un investissement utile pour éviter des coûts futurs pour l'adaptation au changement climatique. Le pouvoir d'achat demeure également un enjeu, car c'est le consommateur final qui paie la facture. Enfin, la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) ne s'applique pas à taux plein aux électro-intensifs, mais à toutes les autres entreprises, du boulanger au petit industriel de l'aéronautique.

La mécanique des CSPE reflète les engagements du passé. Nous pourrions nous faire plaisir en remettant en cause un contrat signé par l'État, mais nous perdrions au contentieux. Nous nous sommes engagés, pour une certaine période et à un certain prix. Rappelons-nous, en outre, que tout le monde était content d'avoir des énergies renouvelables au moment où nous manquions d'électricité, en 2022, à un coût jugé à l'époque particulièrement compétitif.

M. Yannick Jadot. - Ces énergies renouvelables ont d'ailleurs financé le bouclier tarifaire !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Effectivement.

Monsieur le sénateur Gremillet, concernant MaPrimeRénov', vous avez r ison, si l'on compare les crédits inscrits dans la version initiale de la loi de finances pour 2024 et ceux qui sont inscrits dans le PLF pour 2025 ; en revanche, l'analyse de leur consommation donne un résultat différent : 2,3 milliards d'euros ont en effet été inscrits au PLF pour 2025, contre 1,8 milliard d'euros consommés en 2022, environ 2,4 milliards d'euros en 2023 et 1,7 milliard d'euros en 2024. De ce point de vue, les crédits sont donc plutôt en augmentation, même significativement.

Les crédits du fonds chaleur sont en revanche en baisse, revenant en autorisations d'engagement à l'enveloppe d'avant la crise : 520 millions d'euros. Compte tenu du vivier de projets des collectivités locales étudié par l'Ademe en 2024, l'intégralité de l'année 2025 a presque déjà été réalisée. Je précise que 10 millions d'euros de crédits de paiement représentent 300 millions d'euros d'autorisations d'engagement.

Pour ce qui concerne l'électrification des véhicules, nous pouvons à la fois travailler sur l'enveloppe et recourir aux C2E. La vigilance est de mise toutefois pour les cas de leasing, afin d'éviter leur requalification en débudgétisation par la Commission européenne. En revanche, des systèmes de bonus pour les voitures électriques peuvent être envisagés.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Le chèque énergie, dispositif de protection dont les Français ont besoin, est pérennisé. Nous essayons d'augmenter le nombre de bénéficiaires touchés via la plateforme ainsi que le nombre de bénéficiaires automatiques, estimés à 2 millions. Les Français, notamment les plus modestes, doivent pouvoir accéder à une énergie abordable.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le sénateur Cuypers, de manière générale, l'utilisation de la biomasse soulève des interrogations au vu de l'importance des besoins et des demandes d'usage. Dans notre première SNBC, la demande était ainsi deux fois supérieure à nos capacités de production. Il nous a donc fallu nous montrer raisonnables et trouver de justes équilibres, qui ont tous été largement discutés. La stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC) réunissait ainsi plus d'une centaine d'acteurs, notamment la quasi-intégralité des groupes politiques représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Les certificats de production de biogaz sont par ailleurs parus.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - La taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (Tiruert), mécanisme de soutien aux biocarburants, devra prochainement évoluer pour intégrer les objectifs de la directive révisée sur les énergies renouvelables (RED III). Le projet de PPE fixe un objectif de consommation de biocarburants compris entre 50 et 55 TWh en 2030, et entre 50 et 90 TWh en 2035. L'utilisation des biocarburants dans le secteur de l'automobile est bien prise en compte. Bien sûr, les véhicules thermiques peuvent également avoir recours au rétrofit pour se convertir en véhicules électriques.

En matière d'utilisation du biogaz, l'objectif est fixé à 50 TWh en 2030, dont 44 TWh, soit 15 % de la consommation de gaz sur le réseau, ce qui implique une multiplication par cinq. Cet objectif nous semble déjà ambitieux, compte tenu de nos capacités de production. Il existe deux dispositifs pour soutenir la filière : le budget, et les certificats de production de biogaz. Nous poursuivrons dans cette voie.

En matière d'hydrogène, notre engagement s'élève à 6,5 GW. Nous travaillons également sur une stratégie. Nous devons débattre de son usage pour redonner des perspectives à la filière, justifier le déploiement des électrolyseurs, et clarifier nos besoins industriels comme nos besoins en matière de transport.

Pour ce qui concerne les SMR, nos objectifs sont inchangés. Le volet nucléaire de France 2030 consacre environ 1 milliard d'euros au développement des petits réacteurs nucléaires et s'appuie sur un programme de trois appels à projets visant un soutien de plus en plus ciblé. Le premier appel à projets s'est clos en 2023 : onze lauréats ont été désignés, pour un montant total de soutien de plus de 120 millions d'euros. Pas moins de 300 millions d'euros ont été également accordés par France 2030 pour les phases successives du projet Nuward.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous formulons pour 2050 un objectif de GW, neutre technologiquement. Cet objectif pourra être atteint au moyen de SMR, d'AMR (Advanced Modular Reactors), ou d'EPR2. Nous ne savons pas quelle technologie fonctionnera en 2040, donc nous nous adaptons.

M. Yannick Jadot. - On ne sait même pas si ça va marcher !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je reformule : nous nous laissons la liberté de choisir la technologie la plus adaptée, en fonction des progrès scientifiques.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - L'enjeu est en effet de ne pas s'enfermer dans une technologie, mais de garder une certaine ouverture.

Les décrets relatifs à l'agrivoltaïsme ont été publiés. Un vecteur législatif est effectivement nécessaire sur les baux ruraux. Par ailleurs, les chambres d'agriculture sont en train d'élaborer les documents-cadres.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je vous invite à vous rapprocher du député Pascal Lecamp sur ce sujet. Un groupe de travail transpartisan sur l'agrivoltaïsme travaille en effet sur une proposition de loi à l'Assemblée nationale, rassemblant les spécialistes de l'agriculture, des députés Julien Dive à Dominique Potier. Bien entendu, nous serions ravis d'inscrire à l'ordre du jour une proposition de loi fonctionnant. Par le passé, j'avais en effet été particulièrement vigilante à ne pas légiférer à l'aveugle sur le sujet des baux ruraux.

Monsieur le sénateur Chauvet, la loi s'applique à tous et l'on ne peut y déroger. Cela vaut également pour l'hydroélectricité. On ne peut opérer de distinction en la matière, d'autant que la Commission européenne, légitimement, ne nous laisserait pas faire. En revanche, un temps d'adaptation pourrait être aménagé pour les entreprises concernées, afin que le nouveau régime ne s'applique pas brutalement à la CNR. Cette dernière peut d'ailleurs se prévaloir d'une mission de service public pour la gestion de l'eau. En effet, lors des inondations dans la Loire, ses ouvrages ont dégagé de l'eau dans des proportions impressionnantes. Cela fait partie de nos points de vigilance, sur lesquels nous souhaitons attirer l'attention de la Commission européenne.

La mission d'information consacrée aux modes de gestion et d'exploitation des installations hydroélectriques portée par les députés Philippe Bolo et Marie-Noëlle Battistel avance. Elle devrait rencontrer les représentants de la Commission européenne dans les prochains jours.

Nous n'avons pas de difficulté à faire figurer un volume de production global, plutôt qu'additionnel, en matière d'hydroélectricité, dans le projet de PPE. Notre point d'attention principal a trait à la façon dont le dérèglement climatique peut affecter la ressource en eau et notre capacité de production hydroélectrique. De manière assez protectrice, RTE proposait que nous nous donnions les moyens de maintenir nos capacités, sans faire de pari sur l'augmentation de notre production à horizon 2050, compte tenu des mauvaises surprises potentielles dans la gestion du cycle de l'eau. Il s'agissait d'éviter de nous retrouver en situation de manque. Cependant, la vérité oblige à dire que nous en sommes très loin.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Les concessions hydroélectriques passeront-elles bien sous un régime d'autorisation ? Le calendrier de cette réforme est-il connu, sachant que les négociations avec la Commission européenne se poursuivent ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Comme je l'ai indiqué, les députés Philippe Bolo et Marie-Noëlle Battistel rencontreront la Commission européenne dans les prochains jours. Nous reprendrons contact avec celle-ci par la suite. Des réunions techniques ont déjà eu lieu au sein de l'administration. La Commission européenne se dote par ailleurs de nouveaux commissaires, ce qui revêt une dimension politique non négligeable. Notre objectif est de faire aboutir cette réforme le plus tôt possible, car nous devons lancer des investissements. J'ai d'ailleurs demandé aux équipes de chercher un régime juridique de protection des concessionnaires pour la réalisation d'investissements capacitaires.

M. Patrick Chauvet. - Cette question a été abordée, sous la forme d'une expérimentation, dans la proposition de loi de notre collègue Daniel Gremillet.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Tout à fait.

M. Patrick Chauvet. - Nous sommes plusieurs parlementaires à être très attachés à l'hydroélectricité. Vous évoquiez une crainte à l'égard de la ressource, mais soyons pragmatiques : ces derniers mois, la capacité de production d'électricité à partir des barrages était extraordinaire. Cela reste un moyen de production d'avenir. Cependant, tant que le vide juridique demeure, les acteurs ne peuvent se projeter dans l'avenir ni engager des investissements. L'expérimentation proposée dans le texte de notre Daniel Gremillet aurait constitué à cet égard un premier pas intéressant.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous partageons cette observation et allons avancer.

M. Henri Cabanel. - Dans un rapport récent, l'inspection générale des finances (IGF) évalue à 21 milliards d'euros, d'ici 2030, le coût des investissements que doivent conduire les collectivités territoriales en faveur de la transition écologique. Le poste le plus coûteux serait la rénovation énergétique des bâtiments des collectivités territoriales, chiffrée à 7 milliards d'euros. Parallèlement, les experts du HCC rappelaient dernièrement qu'il faudrait consacrer 60 à 70 milliards d'euros d'investissements annuels supplémentaires d'ici 2030 pour atteindre la neutralité carbone. Or le programme 380 « Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires », ou fonds vert, voit ses dotations baisser de 1,5 milliard d'euros. Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'un mauvais signal envoyé aux collectivités territoriales ?

Par ailleurs, les services de la direction générale des entreprises (DGE) ont confirmé que l'exclusion du solaire thermique du crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (C3IV) n'était pas justifiée par le fait que la Commission européenne n'aurait pas prévu l'énergie solaire thermique. Cette exclusion relèverait donc d'une mauvaise interprétation, donc d'une surtransposition. Pour multiplier par sept sa capacité installée d'ici 2030, le marché du solaire thermique doit être soutenu. L'intégrerez-vous donc au C3IV ?

M. Fabien Gay. - Madame la ministre, je salue votre décision de ne pas vous rendre à Bakou.

Le budget débattu au Parlement donnera-t-il à EDF les moyens d'investir 25 milliards d'euros par an dans le nouveau nucléaire ou le Grand Carénage notamment, ce montant ayant été identifié par le PDG, Luc Rémont, devant notre commission ? Le cas échéant, comment ? Dans le cas contraire, pourquoi ajouter de nouvelles taxes, sachant que taxer EDF revient pour l'État à se taxer soi-même ?

Le PDG Luc Rémont nous a confirmé que le nouveau mécanisme post-Arenh fonctionnait plutôt bien. Les prix seront divisés par deux pour les électro-intensifs. Cependant, les TRVE seront-ils augmentés, sachant qu'ils concernent près de 20 millions de ménages ? Quelles seront les conséquences de l'accord passé entre l'État et EDF ?

Par ailleurs, s'agissant de l'accise sur l'électricité, vous annoncez une diminution du prix de l'électricité, mais je rappelle qu'il a augmenté de 51 % en deux ans ! L'ancien ministre Bruno Le Maire avait annoncé une diminution après la forte hausse de 2022. Le 16 juin, vous avez annoncé vous-même une diminution du prix de 15 %. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a envisagé une diminution du prix de 20 à 25 %. Or vous prévoyez de relever le tarif de l'accise sur l'électricité à 32 euros le MWh, voire à 50 euros, ce qui n'a jamais été fait et qui reviendrait à prendre 3 milliards d'euros dans la poche de l'ensemble des usagers de l'énergie ! Je rappelle également que les énergéticiens ont engrangé près de 32 milliards d'euros de rente, d'après un rapport de la Cour des comptes. Il y a là des sommes importantes à récupérer. Or la contribution sur les rentes inframarginales (Crim), censée rapporter 12,9 milliards d'euros, n'a généré que 800 millions d'euros.

Enfin, je souhaite vous faire part de ma grande colère devant la situation de la centrale de Cordemais. En finir ainsi avec un projet porté par l'intelligence ouvrière n'est pas acceptable. Quand on est un responsable politique, on doit assumer les choix, et recevoir les salariés. Madame Givernet, une visioconférence organisée avec un collaborateur politique pour les syndicats ne suffit pas, il faut leur ouvrir la porte du ministère, pour leur expliquer pourquoi leur projet de décarbonation construit pendant dix ans ne verra pas le jour.

M. Jean-Claude Tissot. - À mon tour, madame la ministre, de vous remercier de ne pas vous rendre à Bakou. Merci aussi d'être venu dans mon département, la Loire, pendant les intempéries.

Le décret relatif à l'agrivoltaïsme, publié le 8 avril dernier, et l'arrêté qui l'a suivi en juillet ont suscité de vives réactions, dépassant les clivages politiques traditionnels. La Confédération paysanne a déposé un recours devant le Conseil d'État, le président de la région Normandie, Hervé Morin, a menacé de faire de même et le syndicat des Jeunes Agriculteurs a émis des réserves et appelé à une grande vigilance à l'égard de leur application concrète. La principale crainte tient au fait que la limite du taux de couverture au sol a été fixée à 40 %, ce qui est considérable. Certes, un seuil de 10 % de perte de rendement maximum a été établi, mais, en fonction des filières et des exploitations, les conséquences sur la production purement agricole peuvent être importantes.

Des évaluations sont-elles prévues pour analyser la pertinence de ce décret, en fonction de la taille des exploitations ou de l'origine des investisseurs ? Notre souveraineté agricole et alimentaire doit être préservée, et il faut lutter contre toute forme d'opportunisme financier sur les terres agricoles.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Les crédits du fonds vert sont effectivement en baisse, mais je rappelle que ce dispositif avait vu son enveloppe réduite dès le mois de février. Son budget n'a donc jamais été de 2,5 milliards d'euros en 2024.

Par ailleurs, une réflexion est nécessaire sur l'accompagnement des collectivités locales pour le financement de la transition écologique, comme ma collègue Catherine Vautrin l'a souligné, intégrant la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et le fonds vert.

L'objectif est que le fonds vert contribue au financement de l'adaptation au changement climatique, en lien avec le Pnacc. Par ailleurs, deux enjeux se présentent : la rénovation des bâtiments publics, soumise à des objectifs européens, et la gestion des friches, en lien avec l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN), pour lesquelles aucune solution de marché n'existe. On ne sait donc pas faire sans un soutien de l'État.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - L'intégration du solaire thermique dans le C3IV est à l'étude.

Pour répondre au sénateur Gay, notre objectif par rapport à EDF est de trouver un équilibre entre les recettes et leur taxation. L'accord de l'an passé prévoit de dégager des ressources et de les ventiler. Notre objectif est de définir avec EDF, d'ici la fin de l'année, un cadre pour le financement du nouveau nucléaire ; s'agissant du mécanisme post-Arenh, il doit intégrer les charges du nucléaire existant.

Je fais par ailleurs le tour des installations existantes, pour confirmer que nous avons suffisamment d'énergie pour l'hiver. D'ailleurs, nous sommes en situation d'exportation.

M. Philippe Grosvalet. - Mais vous ne savez pas quel temps il va faire !

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Nous veillerons également à accompagner les off-takers pour qu'ils utilisent cette énergie décarbonée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - S'agissant des conséquences du mécanisme post-Arenh sur le niveau des TRVE, le niveau de fourniture de l'électricité se situe aux alentours de 70 euros le MWh, soit un résultat proche de la combinaison des prix de marché et des prix de l'Arenh. Cette composante a bien gagné la partie pour 2025, mais aussi pour 2027 et 2028. La construction de ce prix intègre des tarifs d'accise, le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe) et la TVA, qui s'applique aux tarifs d'accise. Augmenter l'accise de 10 euros revient donc à augmenter de 12 euros le coût de l'électricité au MWh.

M. Fabien Gay. - Il y a de la TVA sur les taxes !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Oui, c'est une taxe sur la taxe.

Un retour à la situation antérieure au déploiement du bouclier tarifaire représente un tarif d'accise de 35,78 euros, auquel il faut ajouter 20 % de TVA, soit un montant assez peu éloigné du coût de fourniture de l'énergie.

Le faible rendement de la Crim témoigne du fait que les rentes n'étaient peut-être pas aussi importantes que nous l'imaginions... Cette taxation était en effet établie pour récupérer toute forme de rente, au-delà d'un certain niveau.

M. Fabien Gay. - Le rapport de la Cour des comptes mentirait donc !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je crois qu'il ne dit pas exactement cela.

Par ailleurs, ma collègue Olga Givernet est bien placée pour savoir que nous avons reçu les salariés de la centrale de Cordemais.

M. Fabien Gay. - Non !

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Un rendez-vous leur a été proposé.

M. Philippe Grosvalet. - 350 emplois, une visioconférence !

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Cette visioconférence a été mise en place pour des raisons de facilité.

L'objectif de sortie du charbon en 2027 implique bien de trouver une solution pour les salariés. Compte tenu de l'importance du coût de conversion de la centrale, pour quelques heures de fonctionnement, ce scénario n'a pas été jugé soutenable par EDF. Je connais l'engagement de l'ensemble des salariés du site et leur implication dans la production d'énergie cet hiver. Nous avons organisé notre production d'énergie pour que cela ne puisse plus arriver. EDF a pris l'engagement de reclasser l'ensemble des salariés du site d'ici 2029. Le site de Cordemais fait l'objet d'une grande attention. Un comité de suivi associant la préfecture, les organisations syndicales, le délégué interministériel à l'accompagnement des territoires en transition énergétique et EDF est prévu en fin de semaine, pour trouver des solutions viables pour les salariés.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le sénateur Tissot, le décret et l'arrêté sur l'agrivoltaïsme ont été travaillés avec le syndicat des Jeunes Agriculteurs. La loi prévoit qu'il est interdit d'installer du photovoltaïque au sol qui aurait pour effet de diminuer la production de l'exploitation. L'étude de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) montre que l'écart type entre les rendements des exploitations à l'aune de la limitation du taux de couverture au sol est compris entre - 20 % et + 20 %. Je ne peux pas en inférer que le rendement diminue.

L'arrêté prévoit par ailleurs, en cas de non-respect de l'interdiction susmentionnée, le remboursement intégral de toutes les sommes perçues pendant les années de production précédentes ainsi que le démantèlement intégral de l'installation, soit une sanction très sévère.

En outre, une couverture à 40 % n'est possible que si l'on a prouvé qu'elle n'entraînait pas de baisse du rendement de l'exploitation.

En revanche, des augmentations de rendement ont été relevées en maraîchage ou en arboriculture, par exemple dans la Drôme ou sur la côte atlantique.

M. Daniel Laurent. - Le CAS Facé, distribué par les syndicats d'électrification et chapeauté par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), est indispensable pour moderniser les réseaux électriques, garantir la sécurité de l'approvisionnement et intégrer davantage d'énergies renouvelables. Face aux défis climatiques et à la transition énergétique, quels moyens supplémentaires pourraient être alloués à ce fonds pour améliorer la résilience des territoires ruraux ?

Par ailleurs, cette année marque le soixantième anniversaire de la loi fondatrice sur l'eau, à l'origine des agences de l'eau. Le prélèvement de 130 millions d'euros prévu dans le budget mettra en péril leurs capacités d'intervention, notamment dans les communes rurales. Comment préserver ce modèle et garantir aux agents les moyens nécessaires pour accomplir leurs missions, sachant qu'il existe d'autres agences bien moins utiles, non concernées par de telles diminutions de budget ?

Mme Viviane Artigalas. - Je reviens sur la question du nouveau nucléaire. Quel calendrier et quel mode de financement envisagez-vous ? Je sais que les négociations sont en cours, mais des précisions sur le sujet seraient les bienvenues.

Quant aux concessions hydroélectriques, n'oublions pas qu'il existe un troisième acteur, la Société hydroélectrique du Midi (Shem). Dans mon département, les Hautes-Pyrénées, elle exploite deux concessions hydroélectriques ; toutes deux connaissent des difficultés pour financer leurs investissements. Nous, les élus locaux, souhaitons que la Shem puisse réaliser ses investissements et qu'elle conserve ses concessions.

M. Bernard Buis. - Lors de la consultation sur le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique, le Gouvernement avait affiché l'ambition de parvenir à un mix de production d'électricité composé à 100 % d'énergies renouvelables dans les départements et régions d'outre-mer (Drom) à l'horizon 2030 et à l'autonomie énergétique en 2050. Si cet objectif est tout à fait louable et positif, le PLF pour 2025 prévoit une baisse de 97 % de l'action n° 11 « Soutien dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain », qui passe de plus de 1 milliard à 35 millions d'euros. Comment expliquez-vous ce paradoxe au regard des ambitions affichées ?

Ma deuxième question concerne l'effet de la montée des eaux pour les Drom ainsi que pour le littoral français. Compte tenu des récentes inondations dévastatrices survenues en Espagne, quelles mesures la France prend-elle pour faire face à la montée du niveau de la mer et au risque de crue ? Quelles sont ses stratégies actuelles et futures pour protéger les zones côtières et les régions vulnérables aux inondations et dans quelle mesure pouvons-nous les financer ?

Enfin, un an après la promulgation de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, tirez-vous déjà un bilan sur les zones d'accélération des énergies renouvelables (Zaer) ? Ont-elles été mises en place ? Les territoires ont-ils massivement délibéré à ce sujet ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - En ce qui concerne les moyens, je commencerai par répondre sur les agences de l'eau, qui dépendent du ministère de la transition écologique. Je n'ai pas le sentiment qu'aucune d'entre elles ait contribué, d'une manière ou d'une autre, aux efforts budgétaires qui nous sont demandés. Cependant, je perçois parfois dans mes équipes l'expression d'un doute sur la qualité de leur travail, voire un peu de démotivation. Tant l'Office français de la biodiversité (OFB) que l'Ademe ou les agences de l'eau ont, il est vrai, été particulièrement exposés ces derniers mois, mais ils ont su prendre en compte les critiques qui leur étaient adressées et s'adapter. Il me semble donc important de renvoyer à leurs agents, qui sont au service de l'intérêt général, ce message de confiance, qui leur signale que nous comptons sur eux pour poursuivre nos politiques. Si certains textes s'avèrent complexes, nous devons traiter le problème au niveau même de leur élaboration, et nous en sommes, il me semble, collectivement auteurs.

Vous avez ensuite raison de souligner l'importance des moyens alloués, avec un montant de 130 millions d'euros. Il s'agit de ressources de trésorerie qui correspondent à la situation actuelle des agences de l'eau. D'un côté, ces moyens répondent aux attentes des agriculteurs sur la gestion de l'eau, au renforcement de la volonté de les accompagner par des travaux structurants permettant un accès plus pérenne à la ressource. De l'autre, ils tiennent compte des préjudices que plusieurs départements ont subis à la suite d'inondations, lesquelles nous conduisent à prévoir des zones d'expansion de crue (ZEN), à réfléchir à la manière de contenir ou de ralentir les crues ainsi qu'à celle de maintenir en état canaux et ruisseaux.

Ces questions se posent avec acuité, particulièrement dans le Pas-de-Calais, où nous disposons de près de douze mois de recul et où nous avons engagé des travaux considérables, pour un montant total de 280 millions d'euros. Plus de 600 travaux d'urgence ont ainsi été effectués, à côté de 174 travaux structurants, afin de rehausser notre capacité à faire face aux inondations. Avec les épisodes à répétition qu'il connaît, le Pas-de-Calais affronte l'équivalent d'une crue centennale et demie.

Un tel constat nous apprend que nos référentiels historiques ne conviennent plus et qu'il convient d'entreprendre un exercice de modélisation théorique qui permette d'en saisir la portée exacte. Il nous faudra au moins retravailler la question du financement de nos travaux de prévention des inondations et des crues. La question du prix de l'eau va se poser, elle constituera l'un des enjeux de la conférence nationale sur l'eau que le Premier ministre promeut. Croyez à notre engagement dans la conduite de cet exercice de vérité portant sur les besoins des territoires. Nous utiliserons tous les leviers financiers existants, ceux de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), de la redevance pour pollution diffuse, etc. Et cela demande du temps.

Sur le CAS Facé, les moyens consacrés sont également non négligeables. Ils représentent 1 euro de taxation de l'électricité pour tous les consommateurs finaux que nous sommes, à l'exception des consommateurs électro-intensifs. Ses moyens sont en outre maintenus, dans un contexte d'effort budgétaire assez réparti, cela atteste de notre confiance dans ce dispositif.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - En ce qui concerne le nouveau nucléaire, EDF a assuré un préfinancement de quelque 5 milliards d'euros destiné aux études. L'opérateur, notamment par son conseil d'administration, a formulé sa demande d'une meilleure visibilité sur l'engagement de l'État. Nous visons la fin de l'année pour disposer d'un cadre de financement adéquat. Nous sommes en particulier dans l'attente de devis relatifs aux six premiers EPR2. Ils nous donneront un montant global qui nous permettra de nous positionner. Les premiers devis reçus avoisinent 60 milliards d'euros. D'autres financements sont par ailleurs à prévoir, notamment sur nos réseaux de transport et de distribution, à hauteur de 100 milliards d'euros chacun. Il s'agit d'une planification. La décision d'EDF sur les six premiers EPR2 interviendra en 2026, de même que la décision d'attribution de huit EPR2 supplémentaires.

Au sujet de la Shem, nous avons bien identifié, comme pour les autres concessionnaires, les attentes qui prévalent sur des investissements nouveaux, nécessaires au développement des capacités de production.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Pour les territoires d'outre-mer, la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables fixe un objectif, non de 100 % d'énergie décarbonée, mais de 100 % d'électricité décarbonée. Nous ne disposerons en effet pas de solution évidente sur le chauffage d'ici à 2030. Parvenir à 100 % d'électricité décarbonée reste en revanche possible, à condition, notamment, de fermer les centrales au fioul.

Le budget consacré aux ZNI est financé d'une manière spécifique. Nous avons sorti la ligne budgétaire en tant que telle ; elle est couverte par une contribution de 5 euros d'accise, laquelle permet un financement, en légère augmentation, correspondant aux besoins des ZNI.

Le Pnacc contient des éléments sur le trait de côte. Aujourd'hui, on estime à 20 centimètres l'augmentation du niveau de l'eau. Elle devrait atteindre environ 40 centimètres en 2050. Au-delà, à une échéance de 2100 ou de 2120, nous entrons dans l'inconnu avec des prévisions d'augmentation de ce niveau supérieures à 80 centimètres, ce qui entraînera la disparition de territoires sur la planète. Je rencontre des dirigeants de petits États insulaires, comme Tuvalu, qui évoquent cette disparition dès 2050 et qui, dans les négociations internationales, et outre la recherche des mesures les plus fortes possible pour lutter contre le changement climatique, anticipent des accords avec d'autres pays en vue de l'accueil de leurs populations.

En France, il s'agit premièrement de préciser à destination des collectivités locales la notion de trait de côte ; deuxièmement de protéger les côtes, notamment avec des solutions fondées sur la nature, souvent plus efficaces que les digues. Ces solutions supposent des investissements, lesquels sont fléchés vers l'adaptation au changement climatique. Troisièmement, il convient d'envisager le déplacement des personnes en situation de difficulté devant la montée des eaux. Quatrièmement, à la suite d'une des réflexions menées par la députée Sophie Panonacle, nous devons nous interroger sur la mise en place de modes de financement spécifiques et les plus pérennes possible : la question se pose par exemple de la fiscalité des éoliennes marines en zone économique exclusive (ZEE) ou de la taxation sur les plateformes de location telles que Airbnb.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Un total de 10 387 communes, dont environ 33 % en métropole, ont défini 630 000 Zaer, prévues par la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, sur le portail cartographique du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Plus de la moitié d'entre elles concernent la production d'énergie solaire photovoltaïque. À ce titre, nous attirons l'attention sur le fait qu'il est préférable de diversifier les énergies renouvelables.

Ces projets bénéficient de conditions tarifaires incitatives. Ils émettent aussi un signal en direction des développeurs, les encourageant à se diriger vers les zones en question. Nous vous invitons pour notre part - et vous recevrez un courrier en ce sens - à participer à la PPE et à nous faire remonter ceux des projets qui, au plus près des communes, pourraient voir le jour ou connaîtraient des difficultés, afin que nous les accompagnions.

Les objectifs étant régionalisés, les comités régionaux de l'énergie statueront à leur échelle sur la répartition de l'ensemble de ces zones.

M. Patrick Chaize. - La réforme du CAS Facé, son objectif et ses effets paraissent encore très flous en l'état. Nous avons besoin d'y voir clair, d'autant qu'elle ne comporte aucun enjeu en matière de réduction du déficit des finances publiques et qu'elle n'a fait l'objet d'aucune concertation préalable ni de véritable étude d'impact. Qu'est-ce qui motive un changement, en toute urgence, des recettes du CAS Facé ? Quelles sont la nature et la gravité du risque juridique qui pèse sur elles ? On peut penser à une mise en demeure de la Commission européenne ou à un contentieux devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Pouvez-vous, surtout, nous rassurer sur le fait que le changement de recettes ne remet nullement en cause l'existence du CAS lui-même, non seulement en 2025, mais pour les années futures ? Votre déclaration lors d'une précédente audition, et que vous avez tout à l'heure corrigée, selon laquelle le CAS Facé était supprimé, avait jeté un trouble sur les objectifs poursuivis et les conséquences de cette réforme. À cet égard, et au vu des précédents en la matière, le changement de recettes pose la question de la conformité du CAS au droit budgétaire et, plus précisément, à la loi organique du 1er août 2021 relative aux lois de finances (Lolf).

M. Yannick Jadot. - Merci, mesdames les ministres, d'avoir défendu le personnel de nos agences, notamment celui de l'OFB, qui a été particulièrement ébranlé.

Vous avez dressé un diagnostic, celui d'une accélération du dérèglement climatique. Il commande d'envisager un ajustement de notre stratégie d'adaptation à un réchauffement de 4 degrés, voire 4,5 degrés. Nous en tenir à la prévision de 3,1 degrés du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), laquelle sera peut-être révisée à 3,2 degrés ou 3,3 degrés avec le retour de Donald Trump aux affaires, ne suffira pas. C'est dire l'urgence qu'il y a d'agir, y compris sur le plan de l'adaptation.

L'enjeu de ces sujets est aussi d'ordre économique. Nous ne saurions par conséquent perdre de temps. Vous l'avez rappelé, 1 euro investi, notamment dans la transition énergétique, est 1 euro qui rapporte.

Ces différentes injonctions, contradictoires avec le redressement du déficit budgétaire, nous inquiètent quant aux signaux que l'on nous envoie. Je pourrais reprendre à mon compte la plupart des propos de notre collègue Daniel Gremillet ; il ne s'agit pas seulement des signaux de recul budgétaire - et j'entends que les baisses seront finalement moindres qu'attendu -, mais des signaux qui nous laissent l'impression d'une instabilité permanente des politiques avancées. Du point de vue réglementaire, administratif, budgétaire ou financier, la plupart des acteurs de ces filières de la transition énergétique s'interrogent sur les choix profonds du pays et sur le bien-fondé d'investir quand, d'une année sur l'autre, la réglementation, les objectifs ou le budget changent.

Nous risquons là de perdre la guerre économique, en plus de ne pas investir de manière rentable sur la rénovation thermique ou sur les collectivités qui se sont emparées du fonds vert. On ne saurait certes affirmer que l'intégralité de ce fonds ait été dépensée à bon escient dans les enjeux liés au climat, mais le processus était vertueux. Le recul actuel s'avère déstabilisant et j'imagine que tous vos interlocuteurs vous le rappellent.

Pour ce qui concerne la rénovation thermique, le réabondement des fonds et le recours au fonds vert, il importe de rassurer et de faire en sorte que les dynamiques s'enclenchent.

Enfin, j'ai deux questions précises. Premièrement, s'agissant du mécanisme d'indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat), vous avez certes réabondé le fonds Barnier, mais il est incompréhensible pour nos concitoyens qu'une partie des contributions nationales destinées à indemniser les victimes de catastrophes naturelles, dont la fréquence augmente en raison du dérèglement climatique, soit versée au budget général. Pour rassurer les Français, il faudrait que la totalité de ces sommes soit consacrée au fonds.

Deuxièmement, contrairement à mon collègue Alain Cadec, je considère qu'il est urgent d'agir. Évoquer des échéances lointaines, comme 2040, 2050 ou 2060, est très beau, mais le véritable enjeu se situe dans les cinq à dix prochaines années. C'est maintenant que nous devons relever les défis du dérèglement climatique, de l'adaptation et de la guerre économique. Il est impératif d'accélérer le développement des énergies renouvelables.

À ce titre, je partage l'inquiétude de mon collègue Philippe Grosvalet concernant la situation de General Electric (GE) en Loire-Atlantique. Le secteur de l'éolien offshore connaît actuellement un trou d'air dans les commandes. Comment pouvons-nous accélérer les projets et stabiliser ces entreprises afin de préserver les compétences très fortes dont dispose notre pays dans ce domaine, qui commencent à s'effondrer ?

M. Daniel Fargeot. - Je souhaite revenir sur le secteur aérien, qui pourrait subir un triplement de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA), générant ainsi 1,7 milliard d'euros de recettes supplémentaires. Cette mesure risque de dégrader davantage la compétitivité du secteur aérien français, déjà fragilisé par des marges nettes inférieures à 3 %, très en deçà de celles de ses concurrents internationaux desservant le ciel français. Cette nouvelle mesure réduira ce niveau de marge et, par conséquent, la capacité d'investissement du secteur dans la transition environnementale et la décarbonation.

Ce triplement de la TSBA représente ainsi, pour Air France, un coût équivalent à l'achat de deux A350 ou de quatre A321 de nouvelle génération par an, soit 500 millions d'euros. Alors que le pavillon français s'efforce de décarboner, le Gouvernement semble préférer le décourager. Mesdames les ministres, pourquoi avoir choisi de tripler la TSBA alors que son produit n'est pas fléché vers la décarbonation ? Pourquoi ne pas envisager une réflexion sur le coût des derniers kilomètres de livraison ou sur le secteur numérique, dont l'activité est pourtant plus polluante ?

Vous avez évoqué la nécessité de changer de paradigme en faisant preuve de plus de constance et de cohérence. Quelles sont donc vos intentions pour le secteur aérien ? Comment prétendre défendre l'écologie en étranglant un secteur qui investit massivement dans sa transition ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le sénateur Chaize, je tiens à réaffirmer ce que j'ai dit précédemment : le CAS Facé est bien maintenu ; seule la contribution à ce compte est supprimée et remplacée par un système par MWh, assurant ainsi son financement. La Commission européenne ayant confirmé qu'il s'agissait d'une accise, ce que corrobore une récente jurisprudence de la CJUE, cette modification technique vise à nous conformer au droit européen, sans conséquence financière sur le CAS Facé.

Monsieur le sénateur Jadot, votre remarque sur la guerre économique est essentielle. Ceux qui seraient moins enclins à lutter contre le dérèglement climatique doivent comprendre que la Chine mène une véritable guerre économique en la matière. Elle a saisi que cette lutte impliquait la mise en place de nouvelles chaînes de production, selon le principe du premier arrivé, premier servi. Contrairement aux idées reçues, ce pays a une trajectoire rapide de réduction de ses GES et a cinq ans d'avance sur ses objectifs de déploiement des énergies renouvelables. Il faut faire preuve d'humilité face à ces enjeux de souveraineté, d'indépendance et de pouvoir d'achat, comme face à des épisodes comme celui de Valence. Une étude récente montre d'ailleurs que si nous ne faisions pas face au dérèglement climatique, nous perdrions à terme 30 % de pouvoir d'achat.

Vous avez raison : une trajectoire pluriannuelle avec des signaux clairs serait idéale, comme nous avons tenté de le faire concernant le malus automobile. La stabilité est cruciale, notamment en matière de financement. Ma collègue Valérie Létard m'a ainsi demandé de stabiliser MaPrimeRénov' pendant dix-huit mois pour permettre aux particuliers et aux entreprises de s'adapter et de proposer des offres combinant isolation et changement de mode de chauffage, plutôt que de prendre des mesures immédiates pour pousser à la rénovation globale. Le mieux est parfois l'ennemi du bien dans ce domaine.

Concernant le financement du fonds Barnier par la surprime CatNat, le lien entre ces dispositifs a été desserré depuis 2021. Contrairement aux années précédentes, toutefois, nous faisons un effort en augmentant la part du fonds Barnier. Pour autant, ce sujet semble susciter des interrogations de manière transpartisane, j'y réfléchirai donc.

S'agissant du nucléaire et des énergies renouvelables, avec les SMR à l'horizon 2040, nous travaillons sur les deux fronts, ainsi que sur la consommation, dès maintenant. Les exportations d'électricité nucléaire ont atteint un record absolu cette année, grâce aux efforts industriels menés ces trois dernières années. EDF a tenu la trajectoire d'augmentation du nucléaire, avec une hausse de 30 % de notre production. Notre production d'énergies renouvelables a aussi progressé de 30 % fin 2023. Parallèlement, notre consommation électrique a baissé : elle est revenue au niveau de 2005, ce qui témoigne d'ailleurs d'une électrification encore trop lente.

S'agissant du secteur numérique, il est l'un des plus aptes à effacer sa consommation et constitue un relais important pour la flexibilité, grâce à sa capacité à déconnecter et à reconnecter rapidement. L'intelligence artificielle, et le numérique en général, sont des facteurs déterminants de compétitivité, il faut faire de ces gros consommateurs des acteurs de l'équilibre entre consommation et production, à l'instar de ce que nous faisons avec les véhicules électriques. Celles-ci, grâce au travail effectué avec les Allemands sur le vehicle-to-grid (V2G), peuvent être envisagées comme des batteries sur roues capables de participer à l'effacement des émissions et à la flexibilité qui sont nécessaires. Cela profite aux consommateurs en leur permettant de recharger aux tarifs les plus bas. Ainsi, le système électrique devient de plus en plus décentralisé, avec des acteurs à la fois consommateurs, producteurs et effaceurs. Notre objectif est d'aligner au mieux consommation et production de manière à lisser l'effort, à obtenir les prix les plus faibles et à garantir la sécurité d'approvisionnement.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - La programmation sur les dix prochaines années est indispensable, notamment pour le biogaz et l'éolien en mer, afin de donner une visibilité à la filière et de lancer le prochain appel à projets. La PPE nous permettra d'atteindre 18 GW d'éolien en mer d'ici 2035 et de multiplier par cinq le photovoltaïque.

Concernant GE, lorsque nous annonçons cette programmation sur l'éolien en mer, nous devons nous assurer que les acteurs de la filière soient en mesure de répondre à nos appels d'offres. J'interrogerai donc cette entreprise dans les prochaines semaines sur ses prévisions, alors que nous signalons nous-mêmes à ces filières que nous aurons besoin qu'elles soient au rendez-vous.

S'agissant du secteur aérien, la taxe sur les billets d'avion triple, certes, mais les niveaux applicables aujourd'hui sont plutôt modiques. Il faut également prendre en compte le fait que le kérosène utilisé par les aéronefs n'est soumis à aucune accise, contrairement à toutes les autres énergies.

M. Daniel Fargeot. - Il faut surtout développer des filières de carburants d'aviation durables (SAF pour Sustainable Aviation Fuels) !

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Nous devons envoyer les bons signaux et lutter contre les niches brunes, en identifiant le besoin de transition. Je suis issue du secteur aéronautique, lequel a encore beaucoup à faire en matière de transition. Des solutions existent et nous croyons fermement à la décarbonation : nous souhaitons faire émerger sur le sol national une filière de production de carburants d'aviation durables, nous avons d'ailleurs lancé un appel à projets à cette fin : Carb Aéro. L'émergence d'une telle filière nous permettra de gagner en souveraineté énergétique et de réduire massivement les émissions de GES du transport aérien.

Vous connaissez les travaux menés pour réduire le nombre de vols de très courte distance, garder des créneaux pour les vols long-courriers et émettre un signal-prix sur ces énergies carbonées. Je crois en la capacité du secteur à opérer sa transition, mais il est nécessaire qu'il le fasse. Nous avons besoin d'off-takers pour notre énergie décarbonée, et nous comptons également sur l'aviation pour cela.

M. Daniel Fargeot. - Alors il ne faut pas la pénaliser !

Mme Annick Jacquemet. - Je souhaite aborder la biodiversité et vous interroger sur l'évolution des critères d'attribution de la dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales, qui exclut désormais certaines communes urbaines de moins de 10 000 habitants classées de 1 à 4 sur la grille communale de l'Institut national de la statistique et études économiques (Insee), depuis la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024. Cette exclusion semble injuste aux yeux de nombreux maires qui m'ont fait part de leur inquiétude, car beaucoup des collectivités pénalisées possèdent un important patrimoine naturel et oeuvrent pour protéger la biodiversité. Dans mon département, le Doubs, la commune de Montfaucon, qui compte un peu plus de 1 600 habitants et dont 75 % du territoire se trouve en zone Natura 2000, s'est vu retirer en 2023 le bénéfice de cette dotation, qui s'élevait à 13 667 euros. Une réforme du dispositif est-elle envisageable pour mettre fin à ces conséquences ressenties comme injustes ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - En complément de mes collègues, je souhaite revenir sur les choix d'évolution de la fiscalité sur l'électricité et le gaz. Pourriez-vous nous en dire davantage ? Il n'est pas évident d'accepter que l'électricité soit finalement plus taxée que le gaz, compte tenu notamment du bilan carbone de ce dernier et du fait qu'un certain nombre de nos concitoyens n'y ont pas accès.

Cela me permet de rebondir sur la révision du barème MaPrimeRénov' concernant la diminution des aides aux appareils de chauffage pour les particuliers. Une bonne partie de nos concitoyens vivant en territoire rural sont dépendants du chauffage au bois et ne disposent pas de gaz. Il est surprenant que le motif évoqué par votre collègue ministre délégué chargé de l'industrie soit de réorienter les dispositifs en faveur des industriels : les granulés de bois qui alimentent les foyers des particuliers sont issus de la sciure des scieries, tandis que les industriels utilisent principalement de la plaquette forestière. Il ne s'agit pas de la même ressource, il est donc étonnant de tenir ce discours. Nous pouvons faire les deux sans pénaliser les nombreux foyers souvent modestes qui utilisent aujourd'hui le chauffage au bois et ont besoin d'équipements modernes moins émetteurs de particules.

Enfin, concernant les C2E, il semble que certains des seuils aient été contournés par les fournisseurs d'énergie qui ont créé de nombreuses entreprises agréées pour en jouer. Avez-vous travaillé sur cette question pour supprimer ces seuils, ce qui pourrait rapporter plusieurs dizaines de millions d'euros de recettes complémentaires à l'État ?

Mme Martine Berthet. - Avant de poser mes questions, permettez-moi de rebondir sur le sujet précédemment évoqué concernant la Chine et la guerre économique. La Chine propose à ses industriels des prix très bas pour l'énergie, en particulier pour l'électricité, ce qui pénalise considérablement nos industriels sur le marché international. C'est un sujet à part entière, que vous pourriez aborder.

Mes questions portent tout d'abord sur les conventions signées concernant le transfert des digues de l'État vers les collectivités territoriales au 31 janvier 2024. Dans mon département, quatre-vingts kilomètres de digues seront transférés, avec 110 millions d'euros hors taxes de travaux à réaliser. La taxe Gemapi, même à son maximum, ne permet de récolter que 14 millions d'euros pour entreprendre ces travaux. Des engagements de l'État ont été pris dans le cadre d'une convention en deux parties, avec 80 % de fonds Barnier, puis 40 %, mais une soulte devait être versée, provenant notamment du fonds vert. Ces engagements seront-ils tenus malgré le budget proposé ? Les collectivités locales ne peuvent en effet absolument pas prendre en charge ces travaux, lesquels auraient dû être réalisés auparavant par l'État.

Ma seconde question concerne le malus automobile, en particulier pour les pick-ups 4x4 à deux portes, deux places et deux strapontins utilisés par les entreprises du BTP et de la montagne. Des exonérations leur ont été accordées jusqu'à présent et je souhaite vivement qu'elles soient reconduites. Le sujet est très technique, mais d'une grande importance, car il est très pénalisant et concerne de grosses sommes pour ces entreprises dont les marges sont déjà très faibles.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La réforme de l'année dernière concernant les aménités rurales visait à renforcer la capacité à financer les communes rurales qui rendent des services à la population, avec une augmentation de la dotation portée à 100 millions d'euros et une hausse du nombre de collectivités locales concernées, passant de 6 388 communes en 2023 à 8 921 en 2024, soit plus d'un tiers. Cependant, certaines communes ont été exclues du dispositif en raison d'un critère de densité ne correspondant pas à la définition de la ruralité. Le problème des seuils est que ceux qui sont juste au-dessus s'en félicitent et ceux qui sont juste en dessous sont marris. Cette réflexion avait toutefois été largement soutenue par la représentation nationale.

Concernant la fiscalité sur l'électricité et le gaz, vous abordez le sujet par le point de vue du consommateur final, rappelant que le gaz est surtout présent dans les grandes villes et beaucoup moins en ruralité, où l'on a le choix entre l'électricité et, éventuellement, le bois ou un complément bois. Dans le Grand Est ou en montagne, ces modes de chauffage sont très répandus. L'objectif principal était l'efficacité : un foyer ouvert a un coefficient d'efficacité de 15 à 20 %, contre 85 % pour un foyer fermé avec un chauffage à pellets de dernière génération, ce qui impacte la facture et les émissions de particules fines, importantes pour la qualité de l'air dans les vallées. La question de la trajectoire sur le chauffage à biomasse, en tension dans les années à venir, a été discutée lors du budget précédent. Cet argument a peut-être été employé de manière un peu rapide pour réduire certains soutiens financiers. Nous devons réaliser un travail de merit order, déjà présent dans la PPE, et réfléchir à ces soutiens. À ce stade, aucune décision n'est prise, mais vous n'êtes pas les premiers à nous en parler.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Il y a urgence : cette mesure s'appliquerait dans un mois.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Sur la question de la biomasse, nous avons effectivement un problème de priorisation en fonction de la ressource. Pour ma part, j'ai souhaité que, au sein de mon cabinet, nous accordions une attention particulière à la durabilité de nos carburants, de nos combustibles, de nos matériaux et de nos métaux.

La lutte contre la fraude aux C2E est notre priorité : nous avons baissé les seuils d'obligation pour limiter les risques de fraude. Le sujet pourrait toutefois être intégré dans la sixième période des C2E, il conduira également à faire passer des obligations auprès des entreprises.

L'objectif est bien évidemment de répondre aux enjeux de sobriété. Nous voulons continuer à accompagner toute personne désireuse de faire évoluer son logement dans la rénovation énergétique, mais nous restons attentifs à la manière dont l'argent peut être dépensé.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Sur la question des prix de l'énergie, je rappelle que le tarif à destination des électro-intensifs en France est aujourd'hui l'un des plus compétitifs en Europe. Après, chacun fait ses choix en matière de fiscalité.

Les tarifs du gaz ne sont pas compétitifs en Europe et la chimie est en train d'en mourir. Pour autant, attention à ne pas nous tromper de combat : si nous avons la capacité de rendre l'électricité plus compétitive, nous ne sommes pas producteurs de gaz ; nous n'avons pas de réserves. Nos amis américains et d'autres arrivent à en sortir à des coûts qui défient toute concurrence. C'est une réalité. Aujourd'hui, le gaz est taxé à 18 euros du MWh, contre 22 euros du MWh pour l'électricité. Le texte permet une taxation complémentaire de 5 à 25 euros.

Concernant le transfert des digues, il n'y a pas d'enveloppe fléchée dans le fonds vert, mais un effort important de diminution de l'enveloppe de 60 %. Le fonds vert a probablement vocation à se recentrer sur certains sujets, suivant les recommandations de la Cour des comptes. Pour autant, il va falloir faire des choix. J'ai mentionné ceux sur lesquels je suis positionnée : les friches, la rénovation thermique des bâtiments publics et l'adaptation au changement climatique. La question des digues pourrait éventuellement y être intégrée, mais je ne peux pas vous garantir un fléchage et une enveloppe dans ce fonds vert. Nous travaillons sur ce dossier avec ma collègue Catherine Vautrin, qui connaît bien le sujet en tant qu'ancienne maire et présidente d'agglomération.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Je souhaite apporter quelques précisions sur les nouveaux barèmes qui seront appliqués en 2025. Le malus automobile ne concernerait que 6 % des véhicules ; ce sont évidemment ceux qui sont achetés par les ménages les plus aisés. Et il n'y a pas de volonté de changer les exonérations qui sont prises en compte à ce jour concernant les pick-ups.

Mme Marie-Lise Housseau. - Ma première question concerne le dispositif de majoration de la taxe générale sur les activités polluantes, la surtaxe TGAP. Il est tout de même étrange que l'atteinte, voire le dépassement, par certaines collectivités des objectifs de réduction de l'enfouissement se traduisent par l'application d'une majoration des tarifs visant pourtant à sanctionner le fait de ne pas les atteindre. Serait-il possible de ne pas pénaliser les acteurs ayant réalisé des investissements en conformité avec la loi et les objectifs fixés ? Cette fraction de TGAP pourrait-elle être affectée à une politique de prévention ?

Ma deuxième question concerne le cahier des charges de la filière emballages. Beaucoup de collectivités en demandent la suspension. A priori, les éco-organismes n'ont pas fait la démonstration de leur efficacité : ils pâtissent de conflits d'intérêts et d'une certaine opacité dans leur fonctionnement. Toutes ces collectivités demandent une révision complète du cahier des charges, qui emporte tout de même des conséquences financières importantes. Envisagez-vous d'améliorer la filière et son fonctionnement ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cette question relève du champ de compétences de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ma chère collègue.

M. Philippe Grosvalet. - Comment vous dire calmement, mesdames les ministres, la colère qui nous anime ? Les sujets dont nous parlons sont des sujets de très long terme. Vous n'êtes évidemment pas seules responsables. Cette transition énergétique que nous appelons tous de nos voeux est certes le fruit d'orientations nationales fortes, mais elle ne peut pas se faire sans nos territoires, représentés par le monde industriel et par les élus locaux. Or, comment expliquer que, sur un territoire résolument engagé dans la transition énergétique, puisqu'il abrite le premier parc éolien offshore de France et le premier démonstrateur éolien offshore flottant, on nous annonce, outre l'abandon du projet Ecocombust, la fermeture du campus énergétique par Engie, le dépôt de bilan du dernier fabricant français de panneaux solaires, Systovi, et le lancement d'un plan de sauvegarde pour l'emploi chez GE, impliquant la suppression de 360 emplois de cadres ?

Vous avez donc annoncé la fermeture définitive de la centrale de Cordemais, alors qu'un magnifique projet avait été élaboré par les salariés, soutenu par l'ensemble des élus du territoire. En outre, Saunier Duval vient d'annoncer la suppression de 225 emplois. Et je ne reviens pas sur l'annonce par l'État de l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes.

Dans ces conditions, comment voulez-vous que je me rende vendredi, à l'invitation du représentant de l'État, à un comité de pilotage sur la situation du site de Cordemais, alors que, lors du dernier en date, on nous avait annoncé le calendrier de réalisation du projet qui vient d'être abandonné ? Un permis de construire avait même été déposé par le maire ! Comment voulez-vous que nous ayons confiance dans la parole de l'État ?

Nos chantiers navals construisent des sous-stations pour l'éolien, dont la valeur est considérable. Chaque machine représente un chiffre d'affaires de 1 milliard d'euros.

Je reviens sur le cas de GE. Vous avez parlé, à juste titre, de guerre économique. Les États-Unis ont imposé à Alstom une amende record de 772 millions de dollars. Puis GE a racheté ce groupe, pour le liquider. C'est une guerre ouverte ! Les armes que vous utilisez pour y faire face ne devraient pas servir à nous tirer une balle dans le pied, comme vous venez de le faire avec le projet Ecocombust.

Mesdames les ministres, je vous le demande : pouvons-nous faire confiance à la stratégie que vous nous décrivez ? Quelle stratégie industrielle prévoyez-vous ? Nos industriels ont besoin de se projeter dans le temps long pour engager des recherches et développer des outils. Nous sommes tournés vers l'avenir et attendons des solutions. Remplacer une centrale énergétique par une usine de tuyaux ne suffira pas, fût-elle de haute qualité.

Venez dans notre territoire, madame la ministre !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - J'y suis déjà venue de nombreuses fois !

M. Philippe Grosvalet. - La Loire-Atlantique importe 30 % de main-d'oeuvre dans la métallurgie ! Or vous nous proposez de fermer une production d'énergie pour la transformer en industrie métallurgique ! Ce projet est la risée de tout le département.

M. Rémi Cardon. - Vous avez annoncé le 20 septembre dernier qu'en l'absence d'un budget ambitieux, vous démissionneriez. Or le budget de votre ministère passe de 25 à 20 milliards d'euros, et je serai étonné qu'il ressorte de son examen au Sénat avec davantage de crédits, la droite sénatoriale étant obnubilée par la baisse des dépenses... Cela vous semble-t-il ambitieux ? Dans le cas contraire, l'hypothèse de votre démission reviendra-t-elle ? La gauche sénatoriale pourra vous aider à retrouver les 5 milliards d'euros manquants, il suffira d'un avis de sagesse du Gouvernement sur nos amendements.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La mise en décharge a diminué de 30 % en France ces dix dernières années, soit un gain considérable. Notre politique en matière de déchets fonctionne. L'objectif de la surcote de 5 euros est de déroger à la planification régionale, censée décliner les objectifs de réduction de mise en décharge. J'ai été saisie d'une situation particulière sur ce point par le président d'Intercommunalités de France. Nous pourrons travailler sur ce sujet.

Selon les spécialistes de la filière, l'objectif de réduction de 50 % des quantités de déchets admis en installation de stockage pourrait être atteint en 2025. Le recyclage peut devenir rentable, grâce aux efforts réalisés.

Le cahier des charges des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) est en cours de réexamen, à l'aune du modèle belge notamment. Certaines complexités méritent en effet d'être revues, et plusieurs rapports d'évaluation témoignent de l'existence de marges de progrès. Ces mécanismes génèrent du financement et vont dans le bon sens, mais il faut qu'ils soient bien ciblés, sans créer de rente pour aucun acteur.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Dès mon entrée en fonctions, l'un de mes premiers rendez-vous a concerné le site de la centrale électrique Cordemais, dont l'annonce de la fermeture est intervenue avant la nomination du nouveau Gouvernement. Le projet Ecocombust 1 ne permettait apparemment pas de donner suffisamment de visibilité aux salariés du site. Un nouvel appel à manifestation d'intérêt a été lancé sur le projet Ecocombust 2, que portaient EDF, l'entreprise Paprec et l'État. Lui-même a été abandonné, avec une annonce en ce sens le 24 septembre dernier, la capacité de production identifiée était trop faible pour être compétitive et rentable. L'objectif consiste bien à donner de la visibilité aux salariés et des possibilités de reconversion existent, du moins je l'espère. Je vous invite vivement à participer au comité de suivi, où s'organisent les discussions sur l'avenir à donner aux salariés du site.

M. Philippe Grosvalet. - Certainement pas !

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. - Il importe de continuer à accompagner l'ensemble des parties prenantes du secteur et du territoire. Je sais que les décisions sont parfois difficiles, mais nous devons démontrer la compétitivité de nos installations et nous appuyer sur un territoire dynamique du point de vue de l'économie et de l'emploi pour ouvrir des perspectives nouvelles aux employés.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Sur le budget, j'ai l'impression que nous ne disposons pas des mêmes chiffres. Je reviens donc sur ceux que j'ai avancés en introduction de nos échanges. En hausse de 2 milliards d'euros, le budget de mon ministère s'établit à 16,8 milliards d'euros. Il n'a jamais atteint le niveau de 25 milliards d'euros. Les chiffres que vous avez communiqués sur les réseaux sociaux sont totalement erronés.

J'ai été très claire en disant que j'en tirerais les conséquences - je n'ai pas prononcé le mot de « démission ». Vous me voyez plutôt combative et je relève des évolutions de même que des discussions intéressantes sur le PLF. Je note l'annonce, sous la forme d'amendements gouvernementaux, d'une augmentation de 75 millions d'euros du fonds Barnier et de 1,6 milliard d'euros sur la décarbonation de l'industrie. Des discussions sont en cours sur d'autres sujets. Je me tiens à votre disposition pour faire en sorte que le budget de 2025 permette de maintenir et de faire avancer les dispositifs qui fonctionnent, sur lesquels les collectivités locales sont engagées et qui conjuguent efficacité écologique, efficacité pour le pouvoir d'achat des Français et efficacité industrielle. Je crois que vous avez des propositions à nous soumettre et, pour notre part, nous travaillons en ce sens avec le rapporteur général Jean-François Husson et la rapporteure spéciale Christine Lavarde.

Nous devons également considérer les dispositifs extrabudgétaires, qui s'avèrent importants dans le domaine de l'écologie. Les C2E représentent 6 milliards d'euros, la REP plusieurs centaines de millions d'euros. Nous avons fait aboutir les certificats de production de biogaz, nous sommes sur le point de faire aboutir des crédits biodiversité, nous refondons le label bas-carbone : dans tous les cas, il s'agit d'éléments financiers de projets de transition écologique.

Par ailleurs, au moment où il nous incombe effectivement de rechercher des moyens, il nous faut être beaucoup plus offensifs sur la partie européenne. Je pense aux crédits du programme Horizon Europe ainsi qu'à ceux du programme Life, que nous pouvons solliciter davantage que nous ne le faisons actuellement.

Enfin, un point sur lequel je reste particulièrement vigilante est celui des signaux-prix que nous envoyons. Il est important que nous nous posions la question de la cohérence de notre système de signaux-prix et de fiscalité. À cet égard, je constate que la discussion se poursuit de manière construite. C'est à la fin de la foire que l'on compte les bouses et nous verrons ce que sera la copie finale du budget de 2025 !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Un grand merci, mesdames les ministres. Vous avez eu réponse à presque toutes les questions, qui étaient nombreuses et diversifiées. Vos réponses portent la marque de votre connaissance des dossiers et, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, de l'engagement et de la détermination qui sont les vôtres.

Les débats seront encore nourris dans l'hémicycle, je n'en doute pas. Nous espérons que, avec le concours d'une grande partie des sénateurs, nous pourrons vous accompagner dans votre volonté de porter une véritable vision et une trajectoire, en faisant en sorte que le PLF pour 2025 réponde effectivement aux besoins, aux attentes et aux priorités que l'une et l'autre avez ciblées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 20.

Jeudi 14 novembre 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, de M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Audition de Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir ce matin notre ancienne collègue Sophie Primas, ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger, pour évoquer en particulier un sujet brûlant : celui de l'accord qui pourrait être conclu prochainement entre l'Union européenne et le Mercosur. Ce dossier est largement évoqué à Bruxelles et dans la presse nationale et internationale, qui pointe parfois la France du doigt.

Voilà deux jours a été publiée la lettre ouverte que plus de 600 parlementaires, dont vos trois serviteurs et l'ensemble des présidents des groupes politiques du Sénat, ont adressée à la présidente de la Commission européenne pour marquer leur opposition à l'accord d'association envisagé avec le Mercosur tel qu'il a été négocié depuis 1999 et présenté en 2019, et pour rappeler les conditions posées par la France à sa signature.

Le ministre-président de Wallonie vient également d'exprimer l'opposition de la Wallonie à cet accord « en l'état », tout comme un certain nombre de députés européens français. « En l'état » : ces trois mots ont leur importance. Madame la ministre, je souhaiterais que vous nous précisiez d'entrée de jeu quelles conditions le gouvernement français pose aujourd'hui à la conclusion d'un accord avec le Mercosur et comment ces conditions vous semblent prises en compte par la Commission européenne dans les négociations qu'elle mène en ce moment avec ce dernier.

Je veux saluer votre engagement sur ce dossier. Nous avions conjointement déposé, l'an dernier, une proposition de résolution sur le sujet, que le Sénat a adoptée au mois de janvier de cette année. La position était claire et exigeante. Nous sommes heureux de constater que cette clarté et cette exigence se retrouvent aujourd'hui, par votre voix, dans le discours du Gouvernement.

Celui-ci aura besoin de votre détermination, alors que la Commission européenne, soutenue par de nombreux États membres, pousse en faveur de la conclusion politique rapide de cet accord avec le Mercosur, notamment pour des raisons géostratégiques et d'enjeux de concurrence avec la Chine, que le président de la commission des affaires étrangères évoquera sans doute.

J'étais récemment à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (Cosac), à Budapest. Tous mes homologues m'ont interrogé sur la position de la France. Nous nous défendons, mais il faut savoir que, même dans un tel cadre, la pression est forte.

Disons-le franchement, à la suite du vote intervenu au Sénat sur l'accord économique et commercial global (Ceta) avec le Canada, et devant l'exigence que nous martelons avant tout accord avec le Mercosur, la Commission européenne ne semble pas comprendre les critiques que nous formulons, notamment concernant le manque d'ambition de cet accord. Elle peut même avoir le sentiment que la France est aujourd'hui opposée, par principe, à tout accord commercial.

Or la volonté de nombreux États membres de parvenir à un accord avec le Mercosur pourrait avoir des conséquences sur la procédure retenue pour le faire adopter. L'accord négocié avec le Mercosur est un accord d'association ; il nécessite, à ce titre, l'unanimité au Conseil, l'approbation du Parlement européen et une ratification par les Parlements nationaux. En théorie, cela laisserait donc à la France la possibilité de s'y opposer. Mais est également à l'étude, au sein des services de la Commission européenne, non pas une scission de l'accord, mais, suivant le modèle retenu pour l'accord avec le Chili, la présentation d'un accord intérimaire qui reprendrait les seules dispositions relevant de la politique commerciale commune. Et un tel accord pourrait, cette fois, être approuvé par le Conseil à la majorité qualifiée et par le Parlement européen, sans vote des parlements nationaux. Ce scénario apparaît aujourd'hui très probable.

La décision de recourir à une telle procédure relève de la présidente de la Commission européenne, mais je voudrais que vous nous fassiez part de votre analyse concernant cet enjeu de procédure et le calendrier envisageable.

Je sais également que vous ne ménagez pas votre peine pour identifier les contours d'une minorité de blocage, dans l'hypothèse où un accord intérimaire serait soumis à la délibération du Conseil. Pouvez-vous nous faire part des premiers résultats de cette exploration que vous menez auprès de nos partenaires européens et des contacts que vous avez avec vos homologues ? En clair, la France est-elle isolée ou a-t-elle la capacité d'obtenir une minorité de blocage ? Avec qui, et à quelles conditions ?

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Madame la ministre, au nom de la commission des affaires étrangères, je vous souhaite la bienvenue pour cette audition. Je vous réitère également mes félicitations pour votre nomination au Gouvernement.

Avant d'aborder la question du Mercosur, je souhaitais vous interroger sur les conséquences des élections américaines du 5 novembre. Celles-ci ouvrent, en effet, une période d'incertitudes, en particulier dans le champ commercial. Le président Trump semble avoir donné le ton des relations qu'il entend entretenir avec l'Union européenne en la qualifiant, voilà quelques semaines, de « mini-Chine ». Il nous serait utile que vous nous indiquiez les répercussions que ce changement d'administration pourrait avoir sur l'état des relations commerciales que la France et, plus généralement, l'Union européenne entretiennent avec les États-Unis, même si l'imprévisibilité du président Trump peut parfois limiter l'étendue de la réponse.

J'en viens à la question de l'avenir de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur.

Une délégation de notre commission s'est rendue au Brésil l'an dernier, où elle a pu mesurer une certaine attente du côté brésilien, avec une volonté que les discussions aboutissent rapidement. Nos collègues qui ont participé à ce déplacement ont cependant rappelé à leurs interlocuteurs brésiliens les lignes rouges françaises, qui n'ont pas bougé depuis : le respect de l'accord de Paris, l'inscription de clauses miroirs et la protection des filières sensibles, notamment la filière bovine.

À l'époque, si le Brésil, la Commission européenne et l'Espagne, qui s'apprêtait à assurer la présidence de l'Union européenne, étaient très allants pour une conclusion rapide de l'accord, des divergences demeuraient entre les pays du Mercosur, l'Argentine notamment étant alors opposée à cet accord. Entretemps, l'exécutif argentin a changé - cela n'aura échappé à personne -, et Javier Milei, très hostile à l'accord avant son élection, a opéré un virage à 180 degrés et y est désormais favorable.

Les autorités brésiliennes semblent, par conséquent, miser sur un possible aboutissement des négociations dès le G20 des 18 et 19 novembre. Vous nous direz si cette hypothèse est crédible, et comment l'empêcher dès lors que nos positions ne seraient pas prises en compte.

Il nous serait également utile de connaître précisément le contenu de l'instrument additionnel négocié depuis plus d'un an par la Commission européenne, sa portée juridique et les demandes du Mercosur auxquelles il a été fait droit.

Certes, le conflit ukrainien et ses conséquences sur l'économie mondiale ont rappelé la nécessité de diversifier nos sources d'approvisionnement. Pour autant, nous ne pouvons pas accepter que l'agriculture serve systématiquement de monnaie d'échange dans les négociations menées par l'Union européenne.

C'est pourquoi la France et l'Autriche y sont fortement opposées. Dans un entretien au journal L'Opinion du 22 octobre, vous avez rappelé avec fermeté l'opposition française à l'économie actuelle de l'accord.

Mais cette position semble de plus en plus minoritaire parmi nos partenaires, comme en témoigne le revirement de l'Allemagne sur le sujet, même si l'explosion de la coalition gouvernementale la semaine dernière rend les choses incertaines.

En tout état de cause, un scénario d'accord intérimaire qui reviendrait à contourner les parlements nationaux, comme l'a évoqué le président de la commission des affaires européennes, ne serait pas acceptable : il conduirait à détourner durablement les opinions publiques du projet européen, ce dont nous n'avons pas besoin en ce moment. Sentez-vous chez vos homologues européens une prise de conscience des risques que font peser sur l'Union européenne des décisions allant à l'encontre de la volonté de certains États membres ? Nous espérons que l'influence de notre commissaire européen permettra d'inverser la tendance...

Madame la ministre, vous l'avez compris, les éclairages que vous pourrez nous apporter sur ces différents sujets sont très attendus.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Madame la ministre, chère Sophie Primas, je veux à mon tour me joindre aux propos de bienvenue du président de la commission des affaires européennes et du président de la commission des affaires étrangères et de la défense à votre endroit. Vous êtes ici chez vous, et nous vous accueillerons toujours avec grand plaisir. Nous vous remercions d'avoir trouvé un créneau dans votre agenda, pour le moins chargé depuis votre nomination au vu de vos nombreux déplacements, pour pouvoir participer à cette audition commune devant nos trois commissions.

Je me joins d'abord à l'interrogation du président de la commission des affaires européennes sur la procédure et l'existence ou non d'un droit de veto. La ministre de l'agriculture, Annie Genevard, que nous avons auditionnée la semaine dernière, nous a indiqué « travailler activement à l'instauration d'un droit de veto ». J'aimerais que vous nous éclairiez sur le sens de cette formule, parce que rien ne serait pire que de promettre ce dont ne pouvons pas être absolument sûrs.

J'aurais ensuite souhaité comprendre pourquoi et comment une telle divergence de points de vue s'est instaurée avec nos voisins. On entend parfois parler d'un accord « boeufs contre voitures » : des intérêts contradictoires expliquent sûrement partiellement cette divergence.

Pourtant, nous partageons un certain nombre d'intérêts. D'un côté, tous les pays européens cherchent à diversifier leurs approvisionnements pour limiter leur exposition à la Chine, en particulier dans les matières premières critiques pour la transition énergétique, comme le lithium, dont l'Argentine et la Bolivie, à l'instar du Chili, sont parmi les premiers producteurs au monde. De l'autre, tous les pays européens sont désireux de garantir le respect de l'accord de Paris, de limiter la contribution de leurs importations à la déforestation et d'éviter que des distorsions de concurrence ne viennent mettre en péril notre souveraineté alimentaire et le revenu de nos agriculteurs.

Aussi, au-delà de ce que peuvent expliquer ces intérêts contradictoires, j'ai l'impression que se creuse un clivage entre différentes philosophies du commerce international : une approche plus régulationniste, fondée sur des règles de réciprocité et de respect de nos engagements climatiques, défendue notamment par la France, et une approche qui suppose une forme d'autorégulation intervenant par le simple développement des échanges, défendue par les pays nordiques. Quelle est votre perception ? Pensez-vous qu'à l'avenir, les États européens parviendront à parler d'une voix plus unie dans un monde de plus en plus fragmenté ?

Enfin, il me faut parler plus spécifiquement des importations agricoles, à l'heure où la contestation reprend dans nos campagnes. Je rappelle les quotas à droits de douane nuls qui seraient accordés par l'Union européenne aux États du Mercosur : 3,4 millions de tonnes de maïs ; 450 000 tonnes d'éthanol, plus 200 000 tonnes à droits de douane réduits, et 180 000 tonnes de sucre ; 180 000 tonnes de volaille ; 61 000 tonnes de boeuf, plus 99 000 tonnes à droits de douane réduits ; ou, encore, 45 000 tonnes de miel, une filière plus petite, mais qu'il ne faut pas négliger.

Quel est le plan du Gouvernement pour protéger au mieux ces filières, dans l'éventualité où un accord devrait aboutir dans les prochains mois malgré son opposition affichée ? Est-on au moins sûr que les denrées produites avec des pesticides ou des activateurs de croissance interdits dans l'Union européenne n'entreront pas au sein du marché intérieur ?

Les organisations agricoles ont relevé que l'Union européenne entendait mettre en place un fonds d'indemnisation, geste qu'elles ont perçu comme la reconnaissance du coup que l'accord porterait à notre agriculture. Les agriculteurs souhaitent et doivent pouvoir vivre de la vente de leur production, et non d'indemnisations ou de subventions ! Nous ne pouvons pas nous résigner à une telle issue, mais il est important que nous disposions de toutes les informations sur les options envisagées par la Commission européenne.

L'intérêt particulièrement marqué pour les questions agricoles dans notre commission, dont vous avez assumé la présidence, ne vous étonnera pas. Nous savons combien le sujet vous est cher ; il est d'ailleurs en lien étroit avec votre portefeuille ministériel. Je pense que vous aurez tout loisir de nous apporter un certain nombre de réponses.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger. - Chers anciens collègues sénatrices et sénateurs, je vous remercie tout d'abord pour votre accueil et vos souhaits de réussite dans mes nouvelles fonctions. Il est vrai que, depuis maintenant une cinquantaine de jours, la question du Mercosur est au centre de mes préoccupations et de celles de mon équipe, dont je salue l'engagement à mes côtés.

Je suis évidemment très heureuse de me retrouver au Sénat ce matin et de constater combien la Haute Assemblée reste fidèle à elle-même, puissamment mobilisée sur le sujet capital de l'accord avec le Mercosur. Plus que jamais, nous, Gouvernement et Parlement, devons unir nos forces sur cette question, qui est devenue à la fois pressante, incontournable et politiquement symbolique.

Voilà vingt-cinq ans que l'accord avec le Mercosur est en négociation. Or, depuis un quart de siècle, le monde a profondément changé. Depuis 2019, la France oppose un « non » catégorique à ce projet de traité dans sa version actuelle, considérant que celui-ci menace la cohérence même de la politique de l'Union européenne et le bien-fondé de son action volontariste de lutte contre le changement climatique. Ainsi, cet accord mettrait en péril notre force productive, ouvrant la voie à une concurrence totalement déloyale, touchant en premier lieu notre agriculture européenne et française.

Ces dernières semaines, les négociations menées par l'Union européenne s'emballent à mesure que les discussions entre la Commission et les pays du Mercosur gagnent en intensité. Je songe notamment à la visite au Brésil, voilà quelques jours, du commissaire européen au commerce, M. Valdis Dombrovskis, afin d'accélérer les tractations. Comme vous, je suis extrêmement attentive aux déclarations qui peuvent être faites.

Le calendrier mondial est par ailleurs propice à des annonces symboliques. La tenue du G20 dans quelques jours à Rio est une étape absolument clé. Celle du sommet des pays du Mercosur, au début du mois de décembre prochain, en est une autre. Et la fin de la mission de la précédente équipe européenne en est probablement une troisième.

Je veux donc le dire aujourd'hui devant vous avec une grande clarté : la position de la France ne change pas ; elle est ferme et inébranlable. Nous n'accepterons pas ce traité tel qu'il est aujourd'hui. De notre point de vue, ce traité, en l'état, est un accord obsolète, une « occasion manquée », pour paraphraser les conclusions du rapport de la commission conduite par le professeur Stefan Ambec en 2020.

La position du Premier ministre, qu'il a eu l'occasion de répéter hier à la présidente de la Commission européenne, la position du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et celle de tout le Gouvernement sont alignées sur ce refus en l'état, déjà exprimé au G7 de Biarritz par le Président de la République.

En tant que ministre déléguée chargée du commerce extérieur, je défendrai donc la voix du « non » avec détermination, comme je l'ai défendue avec vous dans la résolution adoptée par le Sénat au mois de janvier dernier. J'ai évidemment emporté cette conviction avec moi au ministère ; elle est d'autant plus enracinée qu'elle reflète profondément mes convictions personnelles - vous le savez.

L'accord avec le Mercosur tel qu'il est écrit me semble déséquilibré et, surtout, porteur d'incohérences politiques à l'échelon européen. Depuis des années, notre pays arbore avec ferveur l'étendard d'une intégration ambitieuse des objectifs de développement durable au coeur des politiques publiques de l'Union européenne. Au nom des urgences environnementales et climatiques pressantes, nous imposons à nos entreprises et à nos agriculteurs des contraintes fortes, souvent coûteuses. N'est-il pas juste et naturel que notre politique commerciale s'inscrive en harmonie avec notre cap environnemental ? Je pense notamment aux engagements découlant de l'accord de Paris, d'ailleurs signé par quatre et bientôt par les cinq pays du Mercosur. Il semble en effet cohérent sur le plan politique de ne pas accepter l'entrée de marchandises moins-disantes du point de vue environnemental ou sanitaire quand les productions de nos propres acteurs économiques européens sont, par obligation, mieux-disantes. Cette exigence va au-delà des seuls pays du Mercosur et illustre notre aspiration à une concurrence saine et équitable.

Cette aspiration est d'autant plus légitime qu'elle est plébiscitée par les syndicats et par la société civile en France et, en dehors de la France, en Europe. Cependant, l'horizon concernant un accord sur ce traité est-il fermé ? Devons-nous rejeter l'accord en bloc sans proposer de solution de sortie ? Il apparaît en réalité, me semble-t-il, que des solutions simples et efficaces sont à notre portée pour procéder aux ajustements nécessaires. Quelles en sont les conditions ?

En premier lieu, nous devons faire de l'application de l'accord de Paris un élément dit « essentiel » de l'ensemble du traité. Concrètement, cela signifie que la France demande que l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur puisse être suspendu si nous constatons une violation majeure par l'une ou l'autre des deux parties. Cette requête est d'ailleurs en parfaite harmonie avec les engagements du Brésil sur le volet environnemental et en totale adéquation avec les travaux que le Brésil a lui-même initiés au cours du G20 Commerce, auquel je me suis rendue. Faire de l'accord de Paris une clause essentielle de nos accords commerciaux est une demande qui ne concerne pas que le Mercosur. Qu'il s'agisse des accords avec le Royaume-Uni, avec le Kenya ou la Nouvelle-Zélande, nous faisons valoir partout la même exigence : que cette notion d'élément essentiel soit intégrée dans les traités. Les pays du Mercosur ont, avec l'Amazonie et le Cerrado, un rôle décisif à jouer dans la protection de l'environnement et de la biodiversité ainsi que dans la lutte contre le réchauffement climatique à l'échelon mondial. Il est donc primordial et logique que l'accord envisagé avec l'Union européenne soit à la hauteur de ces enjeux.

En deuxième lieu, il est crucial que, dans le chapitre de l'accord consacré au commerce et au développement durable, nous nous assurions que les engagements environnementaux de l'accord soient effectivement mis en oeuvre. Tout manquement aux dispositions de ce chapitre doit être soumis à un mécanisme de règlement des différends introduisant la possibilité de sanctions. Ce mécanisme doit être prévu par l'accord, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il ne s'agit bien évidemment pas là d'une marque de défiance à l'endroit de nos partenaires du Mercosur ; au contraire, ils ont toute notre confiance. Mais cette confiance n'exclut ni la clarté des termes de l'accord, ni le contrôle, ni la prudence ; c'est même la réassurance de nos propres acteurs économiques européens. Notre exigence environnementale, souvent synonyme d'efforts coûteux en termes de transformation de nos outils de production et d'investissements pour nos entreprises et nos agriculteurs, est défendue par tous les acteurs européens et par notre société civile. C'est pourquoi, je le répète ici, nous serons inflexibles sur le respect des conditions que je viens d'évoquer. Il faut aussi des garanties sur le fait que les règles européennes relatives à la déforestation s'appliqueront sans dérogation, et je pense que l'Union européenne devrait appuyer cette position. Comment faire triompher ces prérequis dans les futurs accords si nous ne les défendons pas face à un partenaire aussi important et aussi stratégique que le Mercosur ?

En troisième lieu, notre position sur l'accord est aussi étroitement liée à la question agricole, qui, comme vous le savez, me tient particulièrement à coeur, car elle touche à une valeur cardinale de l'Union européenne : notre souveraineté alimentaire. Depuis des années, nous alertons, avec les membres de cette Haute Assemblée, sur les effets dévastateurs qu'infligeraient à notre modèle agricole des échanges commerciaux déséquilibrés, en particulier sur les filières les plus fragiles que vous avez mentionnées. Nos filières agricoles, dont certaines font partie de nos fleurons à l'exportation qui leur permet d'ailleurs de consolider leur propre équilibre économique, participent également grandement au rééquilibrage de notre balance commerciale. Elles sont, enfin, les gardiennes de notre souveraineté alimentaire et, plus encore, de l'équilibre de nos territoires, qui est lui-même indispensable à une forme de stabilité démocratique en France et en Europe. C'est une conviction que je partage naturellement avec Annie Genevard, notre ministre de l'agriculture, qui, vous l'avez rappelé, ne ménage pas ses efforts pour répondre aux attentes des agriculteurs.

Ma mission est double : soutenir les productions agricoles dans leur conquête de marchés internationaux et les prémunir contre toute forme de concurrence déloyale.

Pour toutes ces raisons, nous continuerons évidemment à nous battre méthodiquement et sans relâche pour un accord d'association avec le Mercosur qui soit exigeant sur les questions environnementales et loyal pour notre agriculture. Quelle que soit l'issue de la négociation, il faudra des dispositifs pour protéger nos filières en ce sens.

L'opposition à la version actuelle de l'accord Mercosur est l'une des rares positions politiques qui fassent l'unanimité sur les bancs parlementaires, toutes couleurs politiques confondues. Je souhaite que nous soyons à la hauteur de ce consensus parlementaire, qui nous donne à nous, Gouvernement, un mandat d'autant plus fort et nécessaire pour défendre la position de la France sans concession.

Sous l'autorité du Premier ministre, avec Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe, nous faisons valoir cette position auprès de nos partenaires au sein de l'Union européenne avec une grande détermination.

L'Europe en laquelle nous croyons, c'est une Europe souveraine qui fait valoir son principal atout dans les négociations internationales, celui d'un marché fort de 450 millions de consommateurs, atout extrêmement important dont elle n'a parfois - je dois bien le dire - pas tout à fait conscience.

C'est aussi une Europe qui respecte les décisions des parlements nationaux. Le nôtre s'est exprimé à de nombreuses reprises contre un tel accord ; il n'est pas le seul. Vous pouvez compter sur la parlementaire que je fus et sur la ministre que je suis pour rappeler à la Commission européenne la position de la France.

Certes - il ne faut pas se le cacher -, cette position n'est pas majoritaire en Europe. Mais nous ne sommes pas les seuls à la défendre. D'autres États membres partagent nos inquiétudes. Nous nous appuyons évidemment sur eux pour dialoguer et persuader. J'entends les doutes et les scepticismes qui s'expriment ici ou là ; je lis la presse, qui est très prolixe en ce moment. Je le réaffirme donc ici, devant la représentation nationale : la voix de la France n'est pas isolée dans cette défense de l'environnement, dans la protection de son agriculture, dans la préservation des équilibres du monde rural et dans sa volonté de défendre la cohérence de nos politiques publiques européennes.

La forme actuelle de l'accord nous permet pour l'instant de faire usage de notre droit de veto, puisque le vote devrait être à l'unanimité. Néanmoins, nous n'aurions que difficilement la possibilité de nous opposer à une scission de l'accord, comme cela a été le cas pour le Chili. Nous ne pouvons pas empêcher le collège des commissaires de prendre cette décision, sur l'initiative de la présidente de la Commission européenne. Pour préparer cette éventualité, nous devons réunir un maximum d'États membres pour former alors une minorité de blocage.

Dans cette bataille, le Gouvernement ne peut être seul : tout le monde doit relayer notre message et inlassablement expliquer nos arguments à nos partenaires. Nous avons besoin de chacun de vous, de vos différences d'appréciation et de vos différents territoires. Nous avons besoin des partisans d'une Europe qui protège sans se fermer, des défenseurs de la planète, des syndicats et des fédérations d'agriculteurs, en France comme ailleurs. Je remercie nombre d'entre vous des prises de position récentes qu'ils ont prises, notamment via des tribunes transpartisanes.

Mesdames et messieurs les sénateurs, ce moment est important, car il peut marquer une nouvelle rupture dans l'histoire de notre politique commerciale européenne. Je veux promouvoir une approche moins naïve, plus audacieuse et offensive de nos échanges commerciaux internationaux, qui tienne compte des impacts économiques, environnementaux, stratégiques et sociaux des accords en cours de négociation, dans la droite ligne des conclusions du rapport Draghi.

Je tiens à écarter toute méprise : la France est bien partisane d'un accord avec le Mercosur, mais d'un accord renégocié. Les pays du Mercosur sont des partenaires stratégiques de grande importance pour l'Europe. Je n'ignore ni l'intérêt diplomatique que cet accord revêt pour la reconnaissance de cette région ni les avantages commerciaux qu'il apporte pour des secteurs entiers de notre économie, tant dans l'industrie, l'agriculture que les services. La réduction des droits de douane, l'accès aux marchés publics et une meilleure protection des indications géographiques sont des éléments importants pour que nos entreprises accèdent à ce marché dans de meilleures conditions.

Toutefois, c'est précisément parce qu'il s'agit d'un partenaire exceptionnel que nous ne pouvons pas nous contenter d'un traité en demi-teinte. La fermeté ne doit pas être synonyme de fermeture : il est indispensable d'ouvrir de nouveaux marchés pour nos entreprises, d'autant plus compte tenu des tensions commerciales avec la Chine, des craintes à l'égard des États-Unis et des sanctions envers la Russie, ainsi que le président Perrin l'a rappelé,

Les accords de commerce, tant celui-ci que d'autres, sont indispensables. Dans cette marche vers l'avenir, l'Europe ne peut trahir son identité et doit rester fidèle à ses valeurs. Elle doit être à la hauteur de ses ambitions et de ce moment politique tendu de l'Histoire. Il est inconcevable de brandir la bannière du développement durable et de la cohésion des territoires tout en votant le Mercosur sous sa forme actuelle.

Cette voie nécessite le développement de mesures miroirs dans la réglementation européenne. Plus d'une fois, nous avons exhorté l'Union européenne à considérer sérieusement l'introduction de telles mesures dans sa législation sectorielle. Nous devons aux forces économiques européennes de faire tout notre possible pour que le choix de la vertu ne soit jamais sanctionné par la concurrence déloyale de produits venus de pays qui ne partagent pas notre ligne de conduite, car il en serait alors fini de nos capacités productives, insuffisamment compétitives.

Des efforts ont certes été faits, mais souvent trop tard. Le bilan de la Commission reste largement en deçà des attentes, singulièrement de la France. Si quelques mesures ont vu le jour, d'autres ont été reportées, à l'instar du règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, dont le Brésil demanderait d'ailleurs à être quasiment exempté.

Laurent Duplomb nous a souvent alertés sur le sujet : il est urgent que l'Union européenne se dote d'une force de contrôle sanitaire afin de contrôler de façon effective un très grand nombre de produits importés, au regard notamment des limites maximales de résidus (LMR) de produits phytosanitaires. Le dernier audit de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne, publié en octobre 2024, montre que des substances interdites en Europe, comme les promoteurs de croissance tels que le 17-â oestradiol, continuent d'être utilisées alors qu'elles sont interdites dans l'Union européenne depuis 1981 en raison de leurs effets potentiellement cancérigènes.

L'un des grands enjeux du mandat de la Commission européenne à venir sera donc de donner à nos réglementations la force et l'effectivité qu'elles méritent. Sans contrôle ni possibilité de sanction, nos normes resteront lettre morte. La Commission elle-même dresse un constat implacable : les contrôles sanitaires brésiliens manquent cruellement d'efficacité. Comment pourrions-nous en toute conscience exposer nos consommateurs à ces risques ?

Aussi ardu que soit le chemin, la main de la France ne tremblera pas. Je veux vous adresser un message de volontarisme et de fermeté. L'équipe de France est mobilisée dans ce combat juste, pour nos agriculteurs, nos industriels et nos concitoyens. Mon engagement contre la version actuelle de l'accord avec le Mercosur est entier : nos demandes doivent y être intégrées.

La bataille est rude, mais elle vaut la peine d'être menée ensemble, au-delà de la protection ou de la promotion de telle ou telle filière, car elle sera le marqueur d'une nouvelle politique européenne plus forte et plus exigeante. Le commerce international se complexifie, le contexte se durcit, et, si nous ne faisons pas maintenant bloc autour de nos convictions européennes et de nos ambitions communes, nous courons le risque de trahir le rêve des créateurs de l'Union, celui d'une Europe de paix, forte dans le monde, consciente de ce qu'elle représente sur la scène économique mondiale.

Monsieur le président Rapin, vous m'avez interrogée sur le calendrier des procédures envisagées pour l'adoption de l'accord avec le Mercosur. Comme vous l'avez indiqué, ce dernier a été négocié comme un accord d'association de nature mixte. Ce format est crucial pour déterminer les modalités de son adoption, et nous rappelons avec constance et fermeté à la Commission la nécessité de le conserver - hier encore, le Premier ministre l'a fermement rappelé lors de sa rencontre avec la présidente de la Commission européenne. Ce format impose que l'accord soit soumis à un vote à l'unanimité du Conseil, avant d'être transmis aux vingt-sept États membres pour ratification. Dans cette forme actuelle d'accord d'association mixte, nous disposons donc de deux leviers de taille pour faire entendre notre désaccord.

Le risque principal, que vous avez soulevé, est que la Commission revienne sur ce format d'association mixte, en introduisant une scission entre le volet commercial et le volet politique de l'accord. Le volet commercial échapperait alors à la règle de l'unanimité, pour pouvoir faire l'objet d'un vote à la majorité qualifiée du Conseil.

La Commission a réalisé de précédentes scissions, notamment lors de l'accord avec le Chili. Nous lui rappelons toutefois régulièrement que le mandat qu'elle a reçu du Conseil en 1999 était de négocier un accord d'association, et que le Conseil a ensuite rappelé que toute tentative de contournement de la forme juridique unique de l'accord pour éviter la règle de l'unanimité semblerait parfaitement illégitime.

Dans la lignée des propos du président Perrin, j'estime qu'il s'agirait d'une faute politique caractérisée : organiser le contournement d'autant de parlements nationaux risquerait de nourrir le sentiment anti-européen au plus mauvais moment.

C'est pour anticiper cette faute et combattre cette éventualité que nous avons pris contact avec l'ensemble de nos partenaires afin de constituer une minorité de blocage. Il s'agit pour nous de créer un front uni suffisamment fort pour dissuader la Commission.

Quant au calendrier, si la conclusion de l'accord était annoncée par la Commission, cet accord devrait être présenté au Conseil pour être formellement signé. Pour ce faire, il devrait d'abord être traduit dans les langues officielles de l'Union européenne, et la Commission devrait finaliser sa relecture juridique avant de présenter au Conseil une proposition de décision. Ce processus avait duré un an pour la modernisation récente de l'accord avec le Chili, mais, comme l'essentiel de la négociation de l'accord avec le Mercosur est finalisé depuis cinq ans, les choses pourraient aller plus vite. Viendraient ensuite le vote du Parlement européen et, en fonction de la forme de l'accord, un vote des parlements nationaux. La ratification du Conseil de l'Union européenne et du Parlement européen pourrait donc être assez rapide. Elle n'avait pris que trois mois pour l'accord avec le Chili. Devant ce calendrier très resserré, toutes nos institutions, Président de la République, Gouvernement et Parlement, doivent agir ensemble.

La France est-elle isolée ? Pour vous dire la vérité, la minorité de blocage, composée d'au moins quatre États représentant 35 % de la population européenne, est difficile à atteindre. En revanche, certains parlements nationaux au sein de l'Union européenne se sont prononcés contre ce traité avec le Mercosur. C'est sur ces pays, ainsi que sur les plus timides, qui se taisent actuellement, que nous comptons. Je ne souhaite mettre aucun de nos partenaires en porte-à-faux, et je ne vous en dirai donc pas davantage, mais nous nous intéressons à ceux pour lesquels l'économie agricole est extrêmement importante. La minorité de blocage est difficile à trouver, mais elle n'est pas impossible à atteindre. Nous nous y attelons matin, midi et soir.

Monsieur le président Perrin, vous m'avez interrogée sur les répercussions de l'élection de Donald Trump à la tête des États-Unis. La France respecte évidemment le choix souverain du peuple américain et nous avons commencé à nouer des contacts avec la future administration. Sur le plan commercial, l'élection de Donald Trump induit un fort risque de crispation des relations entre l'Union européenne et les États-Unis. Dans son programme, le candidat Trump a promis l'application d'un droit de douane général de 10 à 20 % sur toutes les importations européennes. Si une telle guerre commerciale était déclarée, l'impact serait majeur pour notre économie. La perte est estimée par la direction générale du Trésor à 2,8 points de PIB pour l'Union européenne et à 2,1 points de PIB pour la France, à l'horizon 2030. L'enjeu est donc capital.

Cette élection doit être un électrochoc pour rassembler l'Union européenne et la faire sortir de la naïveté commerciale. Nous devons faire preuve d'unité et de fermeté, mais nous devons également d'ores et déjà engager un dialogue avec les États-Unis, avant que les décisions soient prises, pour envisager leurs conséquences d'un côté et de l'autre de l'Atlantique. Il me semble que nul n'a intérêt à une guerre commerciale. Rappelons que l'Union européenne compte 450 millions de consommateurs, ce qui représente un intérêt pour les États-Unis, comme pour la Chine.

Monsieur le président Perrin, vous m'interrogez également sur le contenu de l'instrument additionnel à l'accord. Depuis 2019, l'Union européenne en a fait une porte d'entrée dans les négociations environnementales avec le Mercosur. Cet instrument juridiquement contraignant est destiné à garantir des engagements internationaux. Cet instrument additionnel ne toucherait pas à l'accord issu des négociations finalisées en 2019, mais il vise à interpréter de manière plus large ses dispositions. Nous demeurons assez sceptiques quant à sa portée, et nous préférons, pour cette raison, que les termes de l'accord de Paris figurent dans l'accord avec le Mercosur.

Madame la présidente Dominique Estrosi Sassone, arriverons-nous à parler d'une voix unie dans un monde de plus en plus fragmenté ? C'est un enjeu capital alors que les relations commerciales et internationales avec la Chine se tendent. L'économie intérieure de la Chine fait face à des surplus de production élevés, et ce pays doit obligatoirement bénéficier d'un marché international favorable. La fermeture du marché américain la conduit à placer beaucoup d'espoirs dans le marché européen. L'Union européenne doit être fermement unie sur ces questions et ne doit pas afficher ses divisions. En particulier, le couple franco-allemand doit se réconcilier pour trouver des positions communes sur l'ensemble de ces sujets. Il s'agit d'un enjeu majeur de puissance : je le dis sans détour, si l'Union européenne est divisée, elle sera écrasée économiquement et commercialement. Il faut que nous retrouvions la voie de l'unité.

En ce qui concerne les filières agricoles affectées par cet accord, Annie Genevard et moi-même travaillons pour répondre à leurs inquiétudes. Nous ne voulons pas d'un plan de compensation de l'accord avec le Mercosur, car nous ne voulons pas de cet accord sous la forme actuelle. Nous réfléchissons avec l'Union européenne aux modes de soutien des agriculteurs, nous avons parlé du milliard d'euros d'aides envisagé par l'ancien commissaire européen Phil Hogan, mais nous ne sommes pas en train de marchander. Nous ne voulons pas détruire notre outil de production : nous voulons conforter nos filières agricoles, et ce n'est pas avec des compensations que nous rémunérerons nos agriculteurs ou que nous répondrons à l'impératif de la souveraineté alimentaire. Nous accordons beaucoup d'attention à ces filières, mais nous n'acceptons pas l'accord actuel avec le Mercosur et nous travaillons d'abord à trouver des minorités de blocage.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Madame la ministre, avant de laisser la parole à nos collègues, je souhaite rebondir sur vos propos au sujet de la déforestation. Il y a des signaux forts, et vous portez vigoureusement la volonté exprimée quasi unanimement, mais il y a aussi des signaux faibles.

La commission des affaires européennes du Sénat vient d'examiner deux textes au titre de sa mission de contrôle du respect du principe de subsidiarité, dont l'un concerne la déforestation. Je veux alerter tous mes collègues à ce sujet. En effet, la Commission européenne propose de repousser d'un an l'entrée en vigueur du règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, qui vise à interdire la mise sur le marché européen ou l'exportation européenne de produits y ayant contribué, qu'il s'agisse de bovins ou d'huile de palme. Cela satisferait le Brésil, mais ne va pas dans le sens des préoccupations environnementales actuelles dont la France se fait l'écho ; en tout état de cause, une telle proposition n'est pas contraire au principe de subsidiarité.

Il est important de bien comprendre la position de nos partenaires, notamment grâce aux réunions interparlementaires que nous tenons. La Pologne est, par exemple, un État clé. Nous renouons avec elle un dialogue précieux. Historiquement, ce pays a toujours défendu l'agriculture. Quelle est sa position ? La Hongrie et l'Italie, dont nous sommes plus éloignés politiquement, peuvent aussi, sur ces points, devenir des alliés.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - L'accord prévoit l'ouverture des marchés publics des pays du Mercosur aux entreprises européennes. Beaucoup de PME françaises pourraient en bénéficier, mais on ne peut que douter de l'accès effectif de nos entreprises aux commandes publiques. L'exemple le prouve : sept ans après la mise en application provisoire de l'accord économique et commercial global avec le Canada (AECG-CETA), qui comportait des dispositions similaires, la participation des PME européennes à la commande publique canadienne demeure très limitée.

Pouvez-vous davantage détailler les secteurs qui seraient concernés par l'ouverture des marchés publics prévue dans cet accord, ainsi que les modalités retenues pour y accéder ? De quelles garanties disposons-nous quant à la réelle ouverture de ces marchés aux entreprises européennes ?

M. Jacques Fernique. - L'appel transpartisan de 622 parlementaires à la présidente de la Commission européenne constitue un acte très significatif, qui doit être déterminant. Il énonce trois conditions au soutien à l'accord : ne pas augmenter la déforestation importée, mettre le traité en conformité avec l'accord de Paris, instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale.

Au sujet de la déforestation importée, c'est-à-dire de l'interdiction d'importation et d'exportation depuis l'Europe de produits ayant contribué à la dégradation des forêts, je m'interroge sur la fermeté des positions européennes. Le Brésil voudrait en être exempté, et l'Union européenne envisage de reporter l'application du règlement sous la pression de pays tiers, africains, asiatiques et sud-américains. Ce report n'envoie pas un signal d'exigence.

Permettez-moi de me faire le porte-parole de notre collègue Didier Marie, contraint de se rendre à une autre réunion. Certaines avancées ont été enregistrées durant la précédente mandature d'Ursula Von der Leyen, notamment l'adoption au premier semestre 2024 du règlement établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques. De premières mesures ont-elles été prises à l'échelon européen au sujet des importations et des exportations de telles matières premières ? À cet égard, des projets ont-ils déjà été reconnus comme stratégiques ? La France a-t-elle conduit son programme national d'exploration des minéraux et des matières premières critiques, que le règlement demande de réaliser d'ici au 24 mai 2025 ?

De plus, Didier Marie avait, à la fin de l'année 2023, interrogé votre prédécesseur Olivier Becht sur la signature d'accords de libre-échange entre l'Union européenne et des pays lointains, notamment la Nouvelle-Zélande. Celui-ci avait répondu avoir « le sentiment qu'il sera de plus en plus compliqué de signer des accords globaux, car on ne peut aligner tous les pays du monde sur nos standards du jour au lendemain. » Partagez-vous ce sentiment ? Est-il possible de bâtir des accords de libre-échange de nouvelle génération, prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux ? Un premier bilan de l'accord avec la Nouvelle-Zélande peut-il être dressé depuis son entrée en vigueur le 1er mai 2024 ?

Enfin, les négociations entre l'Union européenne et le Kenya ont abouti en juin 2023 à un accord ambitieux. Il s'agit d'une bonne nouvelle pour la diversité des partenariats de l'Union européenne, qui permet de répondre aux stratégies chinoise et russe en Afrique. Des accords de ce type avec d'autres États africains sont-ils envisagés ?

M. Jean-Claude Tissot. - Franck Montaugé, retenu dans son département, souhaitait vous interroger sur la situation de la filière armagnac. Alors que la Chine a augmenté ses droits de douane le mois dernier, l'élection de Donald Trump n'est pas de nature à rassurer les producteurs, qui anticipent déjà une nouvelle augmentation des tarifs douaniers américains. Face à ces deux protectionnismes, la filière risque de se retrouver exsangue. Quelle stratégie le Gouvernement compte-t-il adopter pour soutenir concrètement la filière en cas d'augmentation des droits de douane en Chine et aux États-Unis, qui sont les deux principaux importateurs d'armagnac ?

La conclusion de l'accord entraînerait des conséquences très importantes sur l'agriculture française et européenne. La distorsion de concurrence en matière de normes environnementales et sanitaires mettrait à mal tous les efforts réalisés depuis de nombreuses années pour faire évoluer notre agriculture. L'unité des syndicats contre ce traité témoigne du fait que le monde agricole le rejette en bloc, et ce ne sont pas les compensations financières évoquées à Bruxelles qui apporteront des solutions.

Les fameuses lignes rouges énoncées par le Président de la République ont été rappelées. Dans l'hypothèse où l'on tenterait d'obtenir un accord à tout prix, je crains que les exigences environnementales ne soient abaissées. Les pays du Mercosur ont le droit d'utiliser certains produits, mais la volonté d'avoir une concurrence loyale avec eux ne doit pas servir de prétexte pour réduire nos exigences environnementales.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée. - Le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts a été adopté par le Conseil le 16 mai 2023. Cet outil, relativement récent, s'applique à toutes les importations, y compris celles qui proviennent des pays du Mercosur. Concrètement, ce texte interdit l'entrée sur le marché européen de sept matières premières et de certains de leurs dérivés ayant contribué à la déforestation. Il s'agit de l'huile de palme, du boeuf, du bois, du café, du cacao, du caoutchouc et du soja. Ce règlement est compatible avec nos engagements internationaux, en particulier avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

À la demande de plusieurs pays tiers, dont ceux du Mercosur, la Commission européenne a proposé - mais rien n'a encore été décidé - d'en retarder d'un an l'entrée en application. Nous sommes partagés sur cette requête : certes, il y a urgence, mais il faut aussi laisser aux producteurs, y compris français, le temps de s'adapter aux nouvelles règles. Actuellement, il est prévu que les dispositions s'appliquent à partir du 30 décembre 2024. En cas de report, les mesures deviendraient contraignantes au 30 décembre 2025 pour les grandes entreprises, et au 30 juin 2026 pour les petites entreprises.

Par ailleurs, au cours des négociations actuelles avec l'Union européenne, l'ensemble des États du Mercosur ont demandé à être classés dans la catégorie « risque faible », parmi les trois niveaux de risque établis par le règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts. Pour l'heure, la Commission a refusé de répondre à cette requête, que la France juge inacceptable.

Nous souhaitons laisser à nos entreprises le temps de s'adapter à cette réglementation, sans pour autant repousser son entrée en application aux calendes grecques.

Madame Renaud-Garabedian, l'accord avec le Mercosur semble en effet présenter de grands bénéfices dans le domaine des marchés publics : il favorise une ouverture significative des pays du Mercosur, avec lesquels l'Union européenne n'est liée par aucun engagement juridique à ce jour. Je pense en particulier aux transports, au développement urbain, aux télécommunications, à l'énergie ou encore à l'eau, secteurs d'excellence de l'industrie française.

Cependant, pour l'heure, seuls les marchés publics des institutions centrales et fédérales du Mercosur sont directement intégrés à l'offre, tandis qu'au niveau subfédéral, les autorités du Mercosur se sont engagées à ouvrir une offre complémentaire d'accès sous deux ans. Certes, cette avancée est bienvenue, mais elle est extrêmement modeste et peu effective.

Monsieur Fernique, des ressources stratégiques sont bien disponibles dans les pays du Mercosur. Avant de me rendre au Brésil dans le cadre du G20 Commerce et investissement, j'ai fait escale au Chili, qui ne fait pas partie du Mercosur, mais avec lequel nous avons signé des accords satisfaisants. Le commerce avec ces États n'a rien de nouveau. Toutes les entreprises du CAC 40 sont présentes en Amérique du Sud, à l'exception de l'une d'entre elles, et entretiennent des relations commerciales depuis plusieurs décennies avec ces pays. Ceux-ci jouent donc un rôle important dans l'approvisionnement stratégique de notre continent en métaux critiques. J'ai soutenu auprès du gouvernement chilien un grand projet d'exploitation du lithium dans le nord du pays. Cette stratégie fait partie de notre feuille de route sur les métaux critiques.

Certaines mesures de l'accord avec le Mercosur favorisent l'approvisionnement en matériaux stratégiques, mais il ne s'agit pas non plus d'avancées spectaculaires. Là encore, des quotas sont en jeu.

Nos revendications environnementales risquent effectivement de rendre plus difficile la signature d'accords globaux. Il y va toutefois de la cohérence des politiques publiques européennes. Nous ne pouvons y renoncer. Les négociations commerciales prendront de fait une nouvelle dimension. Nous devrons nous assurer de l'effectivité de nos normes et du contrôle appliqué aux importations et aux exportations. Les exigences de nos partenaires à notre égard seront aussi renforcées.

Cependant, nous devons continuer à négocier des accords de libre-échange. Nos acteurs économiques ont besoin de nouveaux marchés.

En contrepartie, nous pourrons sans doute plus facilement avancer sur des accords bilatéraux. Je pense notamment aux pays d'Afrique ou de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean).

Monsieur Tissot, je ne méconnais pas la crise du cognac, de l'armagnac et des brandys liée à l'augmentation de certains droits de douane. Sur ce sujet, le ministre Jean-Noël Barrot a répondu hier aux interrogations de Daniel Laurent lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement. Les mesures de rétorsion de la Chine sont à la fois injustifiées et incompréhensibles. Le prétexte invoqué du dumping est difficile à entendre, quand on sait qu'il s'agit de produits de luxe et quand on voit l'écart considérable entre les prix des brandys français et chinois. En outre, le président Xi Jinping s'est engagé, en mai 2024, à ne pas appliquer de taxes sur ces produits. Le ministre du commerce de la République de Chine, Wang Wentao, que j'ai interrogé à ce sujet, m'a dit que son gouvernement avait bien respecté cet engagement « pendant cinq mois » - une réponse qui ne manquait pas de cynisme ! (Sourires.)

Le Président de la République lui-même a réaffirmé son soutien aux producteurs de brandy français. Nous avons établi la feuille de route de la renégociation. Je me suis rendue à Shanghai, en compagnie de l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui bénéficie d'une certaine popularité en Chine. Nous y avons obtenu la réouverture du dialogue. C'est une première étape. Le Président de la République aura l'occasion d'aborder ce sujet avec son homologue chinois à l'occasion du G20 la semaine prochaine. Le Premier ministre aura aussi un rôle à jouer dans la négociation globale.

Enfin, la Chine a récemment permis aux importateurs de présenter une garantie bancaire, au lieu du dépôt de caution auprès des douanes qui était initialement exigé. Nous y voyons un signal positif - bien que léger - en faveur d'une réouverture des négociations.

D'autres enquêtes sont en cours, notamment sur la viande de porc et les produits laitiers. Nous souhaiterions également que l'Union européenne puisse mener des analyses croisées sur les lois antidumping en Chine.

Cependant, la France ne peut pas céder sur les véhicules électriques. Les mesures de rétorsion ont en effet été prises par la Chine en réaction à la décision de l'Union européenne de taxer les véhicules électriques importés. Une enquête de la Commission européenne avait révélé que les constructeurs chinois bénéficiaient de subventions massives. Un droit compensateur à hauteur des aides reçues a ainsi été instauré à chaque constructeur. Même si elle est importante et qu'elle déplaît à la Chine, cette taxation ne permet malheureusement pas de rattraper l'écart de compétitivité dont souffre l'industrie européenne. Contrairement à d'autres pays, nous ne fermons pas notre marché aux véhicules chinois, mais nous imposons des conditions de concurrence loyale. Telle est la voie de la fermeté de l'Europe que nous devons appliquer dans notre nouvelle politique commerciale.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Malgré l'engagement dont vous faites preuve, nous avons le sentiment d'un isolement de la France en Europe. La Première ministre italienne rappelait ainsi hier, à la COP29, que les normes environnementales n'étaient pas sa priorité. Il faut aussi regretter que notre ancien commissaire européen, Thierry Breton, si prompt à défendre les normes européennes, ait été écarté. Enfin, l'élection de Donald Trump marque le début d'une nouvelle politique transactionnelle dans tous les domaines. Comment convaincre nos partenaires, au sein de l'Union européenne, de nous suivre ?

Les pays en voie de développement du Sud global semblent aujourd'hui tout miser sur la croissance économique. Ne risquent-ils pas de considérer, en matière environnementale, qu'il est suffisant d'adopter les normes minimales exigées par les États-Unis ou par d'autres ? Quelle est notre stratégie, dans la guerre commerciale qui se profile, pour éviter que d'autres secteurs d'activité, comme la défense, soient affectés ?

M. Rémi Cardon. - Les plans sociaux s'accumulent, en raison, souvent, d'une concurrence déloyale. Comment envisagez-vous cette série de batailles, produit par produit, que la puissance publique et les chefs d'entreprises doivent mener de front ?

Vous avez pour objectif de relocaliser une centaine de catégories de produits essentiels ou stratégiques, comme les médicaments, les batteries, la filière hydrogène ou encore les pompes à chaleur. L'ensemble de ces importations représente aujourd'hui un coût de 100 milliards d'euros. Faisons preuve de bon sens industriel dans la liste de ces produits ! Lesquels sont prioritaires ? Quelle est votre feuille de route ? Connaissez-vous l'avis du haut-commissaire au plan sur le sujet ?

M. Daniel Gremillet. - Les négociations avec le Mercosur ont débuté il y a vingt-cinq ans. Depuis 2019, la France semble plutôt défavorable à la conclusion de cet accord. Mais, depuis cette date, nous avons également assisté à des évolutions importantes de la politique agricole commune (PAC), pour ne citer que cet exemple. L'écart n'a cessé de se creuser entre nos attentes au titre de la politique agricole européenne et nos attentes envers les pays avec lesquels nous souhaitons échanger. Comment un tel décalage est-il possible ?

Votre situation n'est pas simple. Il n'y a que deux mois que vous êtes ministre. Mais nous payons aujourd'hui la faiblesse de la France dans nos discussions bilatérales avec les autres membres de l'Union européenne. Paris seul ne saura faire entendre sa voix. Nous avons besoin de temps pour nous mettre d'accord avec les différents États membres sur un projet européen. Je ne peux m'expliquer autrement la situation d'urgence que nous connaissons.

Par ailleurs, c'est une véritable offense que de dire au monde paysan qu'il obtiendra des compensations financières. De tels propos sont impensables. Comment pourrions-nous accepter de l'argent en remplacement du métier des femmes et des hommes qui nous nourrissent dans chacun de nos territoires ? Cette situation me fait de la peine et m'interroge.

Vous savez aussi l'attachement du Sénat à la question des contrôles aux frontières. Mais ce contrôle n'est pas suffisant pour certains produits alors qu'en France, nous disposons, par exemple, d'une traçabilité complète des animaux d'élevage. C'est un sujet d'importance, car il a trait à la sécurité sanitaire.

Enfin, concernant les échanges internationaux, l'élection américaine va amplifier l'importance stratégique du coût de l'énergie en matière de compétitivité de notre économie, en France comme en Europe. Nous entrons dans une zone de turbulences. Nous constatons, en même temps, le ralentissement des investissements dans les pays où les perspectives énergétiques à moyen et long termes semblent incertaines. Comment assurer notre compétitivité, alors que l'énergie fait partie des conditions essentielles de la relocalisation industrielle ?

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - M. Gremillet s'interroge, en réalité, sur l'influence française. J'espère que le cabinet du commissaire européen chargé de l'agriculture et de l'alimentation comptera des Français parmi ses membres. Mais ce n'est pas la voie qui semble se profiler...

Mme Sophie Primas, ministre déléguée. - Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'isolement de la France au sein de l'Union européenne et l'affaiblissement de son influence. Pour ma part, je constate un manque de cohérence de l'Europe entre les politiques publiques qu'elle adopte et sa politique commerciale extérieure. La question est donc celle du projet politique de l'Union européenne. Il est urgent que la nouvelle Commission, sans jamais perdre de vue le rapport Draghi, redéfinisse la cohérence de ses politiques publiques.

M. Gremillet dit, avec pudeur, que la situation lui fait de la peine. Plus que cela, la situation nous révolte, et tout le peuple européen finira bientôt par éprouver un tel sentiment ! Nous vivons réellement un moment charnière. Nous devons réaffirmer ce que nous voulons pour l'Europe. Ce n'est pas simple, car les États membres ont des modèles sociaux, des préoccupations environnementales, des aspirations qui diffèrent. Mais nous devons redéfinir notre vision de l'Europe et en faire un Graal absolu dans la négociation de tous les traités de libre-échange. J'ai entamé mon tour de l'Union européenne. En échangeant avec mon homologue hongrois, j'ai bien compris qu'un long chemin restait à parcourir sur de nombreux sujets. Mais la quête de cette cohérence doit devenir l'alpha et l'oméga des futures discussions de la prochaine Commission européenne.

Sans cela, la Chine n'hésitera pas à instrumentaliser nos dissensions, comme elle sait si bien le faire. M. Wang Wentao m'a dit qu'il était bien conscient que les Allemands étaient opposés à la taxation des véhicules électriques importés de Chine.

Nous ne pouvons prendre des décisions importantes sans qu'un accord soit trouvé entre les deux piliers fondateurs de l'Europe, la France et l'Allemagne, d'abord, puis avec le reste des membres de l'Union européenne.

Bien entendu, il s'agit d'un long travail. Mais il se résume en ces termes : donnons suite au rapport Draghi, préservons la compétitivité de l'Europe, assurons la cohérence de nos politiques publiques, et tenons-en compte dans nos négociations commerciales internationales. Sinon, nous nous ferons écraser.

N'oublions pas que notre force repose, certes, sur une industrie conquérante et puissante, mais aussi sur un marché de 450 millions de consommateurs. La Chine saurait difficilement s'en passer pour vendre ses véhicules électriques : faisons peser cet argument dans la balance.

Monsieur Gremillet, vous soulignez à raison l'importance des contrôles, non seulement à la frontière, mais aussi au sein des pays producteurs.

Monsieur Cardon, vous avez évoqué les fermetures d'industries historiques, comme Michelin. Il faut d'abord penser au devenir des salariés.

Ensuite, ces fermetures m'apparaissent comme la confirmation des conclusions du rapport Draghi, qui souligne le manque de compétitivité de nos industries et l'insuffisante capacité d'investissement dans les nouveaux marchés.

En contrepartie, ces fermetures ne remettent pas en cause l'attractivité de la France pour les investisseurs industriels étrangers. Nous restons le premier pays européen à attirer les investissements. De nouvelles entreprises s'installent en France. L'économie est en pleine transformation. En suivant les conclusions du rapport Draghi, nous devons dégager des capacités d'investissement pour permettre l'évolution vers les industries d'avenir. En déplacement à Dunkerque hier, j'ai eu l'occasion d'admirer l'attractivité de son port et le véritable fourmillement d'entreprises nouvellement installées.

Certes, la France connaît des drames économiques. Nous devons les accompagner au mieux, mais nous devons aussi chercher à retrouver notre compétitivité et nos capacités d'investissement.

Je sais que les mesures relatives à la fiscalité des entreprises prévues dans le projet de loi de finances ont suscité des critiques. Toutefois, pour avoir discuté avec nombre d'investisseurs étrangers, notamment au Brésil, au Chili, en Chine ou en Hongrie, je puis vous dire que l'attractivité de la France n'est pas uniquement d'ordre fiscal. Nous avons coutume de dire que notre pays est très complexe d'un point de vue administratif ; ce n'est pas toujours ainsi qu'il est vu hors de nos frontières ! Il offre, par ailleurs, un important accompagnement à l'installation. Enfin, la mobilisation territoriale de tous les acteurs - État, chambres de commerce, secteur économique - est un atout considérable en termes d'attractivité. Mon état d'esprit est donc positif à cet égard.

J'ajoute que l'Europe ne manque pas d'outils défensifs, en l'occurrence 182 mesures de défense commerciale, qui ont d'ores et déjà permis de protéger 500 000 emplois. Nous devons mettre en oeuvre concrètement ces instruments antidumping, antisubventions et de sauvegarde.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - J'ai apprécié les propos de Daniel Gremillet, car nous faisons face à un problème de souveraineté et de crédibilité des élus. Comment pouvons-nous encore peser sur les décisions et changer les choses ? L'appel contre l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur a été signé par 622 parlementaires ; ce n'est tout de même pas rien ! J'éprouve donc de la tristesse, mais aussi de la colère, voire un sentiment de révolte face à la position de la Commission.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée. - C'est exactement ce que le Premier ministre a défendu hier auprès de Mme von der Leyen. Les décisions ont des conséquences économiques, mais aussi des conséquences politiques dont il faut tenir compte. L'Allemagne traverse aujourd'hui une période politique compliquée, de même que la France. Si l'Union européenne devait passer outre l'avis de la France, cela poserait un problème politique majeur. J'espère que ce discours sera entendu !

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - À défaut, ce serait le signe d'une déconnexion totale...

M. Jean-Luc Ruelle. - Après l'Afrique, la Chine renforce significativement sa position commerciale en Amérique du Sud. En effet, les investissements chinois sur le continent ont été multipliés par 34 entre 2020 et 2022. La construction du mégaport de Chancay, au nord de Lima, largement financée par la Chine, en est un récent exemple. Ce port, qui pourra accueillir les plus gros porte-conteneurs du monde, s'inscrit dans le programme des nouvelles routes de la soie, auquel le Pérou, l'Argentine, le Chili, la Bolivie, l'Équateur et le Venezuela ont déjà adhéré. Le président Xi Jinping s'est d'ailleurs rendu, cette semaine, au sommet de la coopération économique pour l'Asie-Pacifique (Apec), à Lima, en marge duquel il devait inaugurer cette infrastructure portuaire.

Autre indicateur significatif, le Brésil est devenu le premier marché étranger pour les véhicules électriques chinois. L'accord UE-Mercosur permettra-t-il de freiner l'influence chinoise en Amérique du Sud et de préserver les débouchés commerciaux de la France et de l'Europe ?

M. Henri Cabanel. - Je tiens à souligner l'importance du secteur des vins et spiritueux pour notre balance commerciale. Or la France se sent isolée : outre les taxes chinoises, notre pays risque de subir de nouveau les « taxes Trump », aujourd'hui suspendues, mais qui le visaient tout particulièrement.

Pour ce qui est de l'exportation de nos vins, nous sommes très mal placés par rapport à nos principaux concurrents européens, l'Italie et l'Espagne. Nous exportons en effet un peu plus de 14 millions d'hectolitres, contre 23 millions d'hectolitres de vins italiens et 20 millions d'hectolitres de vins espagnols. Si nos résultats sont plutôt bons en termes de valeur, ils ne le sont pas sur le plan des volumes. Cerise sur le gâteau, la France est le premier pays importateur européen de vin, ce qui met la filière en difficulté - raison pour laquelle celle-ci a récemment mis en place une stratégie de filière.

Notre pays est divisé entre les Bourguignons, les Bordelais, les Languedociens, etc., alors que les producteurs italiens, par exemple, font bloc. Comment les convaincre de travailler ensemble et de rejoindre cette « équipe de France » - je reprends votre expression, madame la ministre -, qui ne doit exclure aucun vignoble, afin de valoriser nos exportations ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Lors de la conférence ministérielle de l'OMC de décembre 2017, le Président de la République a donné une feuille de route claire : éviter que les ministres européens ne s'y mettent d'accord au sujet de l'accord UE-Mercosur. Cecilia Malmström, alors commissaire européenne au commerce, n'avait pas pu annoncer de consensus sur ledit accord, et nous avions temporairement remporté la bataille, qui avait été féroce.

L'actuel calendrier - G20 à Rio, sommet du Mercosur, entrée en fonction de la nouvelle Commission - s'accompagne d'un risque avéré de scission de l'accord, avec un détachement de sa partie commerciale. La compétence commerciale étant pleinement communautaire, le Parlement européen serait alors le seul parlement appelé à se prononcer sur ce volet. Seule sa forme mixte, prévue par le mandat confié à la Commission en 1999, permettrait aux parlements nationaux de s'exprimer sur le volet commercial de l'accord. Il est important d'explorer toutes les voies, y compris juridiques, pour faire barrage à une scission du texte !

Si la Commission européenne adoptait une stratégie de scission, l'un des États membres pourrait-il saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), laquelle doit s'assurer du respect des traités et du bon fonctionnement des institutions de l'UE ? Cette demande pourrait-elle se fonder sur l'argument suivant : le mandat qui lui a été confié prévoyant un accord d'association - donc une forme mixte -, la Commission ne saurait décider d'une telle scission de l'accord ?

M. Bernard Buis. - Ce matin, à Tain-l'Hermitage, les jeunes agriculteurs contestent l'accord avec le Mercosur, lequel est par ailleurs unanimement dénoncé par la classe politique française. Que préconisez-vous pour reconstruire la souveraineté économique de la France ? Mettrez-vous en oeuvre les « cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique » préconisés dans le rapport d'information sénatorial que vous aviez rédigé avec nos collègues Amel Gacquerre et Franck Montaugé ?

M. Guillaume Gontard. - Le secteur de la chimie est en crise aux niveaux français, européen et mondial. En Isère, l'entreprise Vencorex, en redressement judiciaire, risque de perdre 500 emplois faute de repreneur. D'autres entreprises - Arkema, Atanor, Air Liquide - sont également en difficulté, et l'ensemble de la filière risque de s'effondrer ; cela aura des conséquences sur les entreprises de l'armement, les centrales nucléaires, le programme Ariane, et cela pose un problème de souveraineté économique.

Dans ce contexte, quels instruments antidumping comptez-vous mettre en oeuvre ? Comment l'État peut-il soutenir nos secteurs hautement stratégiques, notamment celui de la chimie ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Dans la perspective d'une scission de l'accord - une tentative de contournement dont la Commission se rendrait coupable -, le mandat de négociation de cette dernière pourrait-il être réexaminé ?

À la suite de l'élection de Donald Trump, pensez-vous que l'Union européenne soit capable de prendre les devants sur des dossiers de commerce international ou d'organisation multilatérale, sujets qu'il conviendrait de revoir complètement ?

M. Yannick Jadot. - Le mandat de la Commission a été adopté par le Conseil et continue de valoir, le Parlement européen n'ayant pas son mot à dire à cet égard, ce qui est triste d'un point de vue démocratique. Et, puisque les États membres du Mercosur ne souhaitent pas renégocier l'accord UE-Mercosur, convenu en 2019, seul celui-ci sera soumis à signature, à la différence des autres textes, comme l'instrument additionnel.

Le président brésilien Lula da Silva tente de nous rassurer en faisant montre de sa bonne volonté, par exemple concernant l'Amazonie. Mais, si Jair Bolsonaro était réélu dans deux ans, l'accord tiendrait toujours et l'on ne pourrait rien faire, quoi que M. Bolsonaro décide... On ne peut pas moduler l'application d'un accord en fonction du contexte politique des pays.

La France s'est isolée, notamment face à l'Allemagne. N'ayant pas réussi à constituer une minorité de blocage, elle dispose d'un seul levier : la non-dissociation de la partie commerciale de l'accord. Il faut tenir sur ce point.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée. - Monsieur Ruelle, la Chine était présente en Amérique du Sud bien avant l'inauguration du mégaport de Chancay, et sa volonté d'expansion sur ce marché est ancienne.

Je ne suis pas certaine que l'accord UE-Mercosur nous permette de lutter économiquement contre la Chine. Notre outil de guerre absolu réside dans la compétitivité de nos entreprises, au sein d'une « équipe de France » de l'exportation de nos savoir-faire. Nous sommes d'ailleurs présents dans ces pays d'Amérique du Sud et il me semble que nos parts de marché sont en train d'y augmenter en volume, contrairement à ce que j'entends dire. Ainsi, au Brésil, des sociétés françaises, notamment du CAC 40, sont implantées depuis longtemps, ce qui favorise notre balance des paiements.

Il est vrai que la Chine est conquérante en Amérique du Sud ; à nous de l'être également, et nous avons des atouts pour cela.

Monsieur Cabanel, pour ce qui concerne nos vins et nos alcools, nous allons engager un processus de dialogue avec les États-Unis afin que les taxes décidées lors de la première présidence Trump, actuellement suspendues, ne soient pas appliquées de nouveau. Je le rappelle, les exportations de vin français vers ce pays représentent presque 4 milliards d'euros. Pour être plus performants à l'export - cela fait partie de ma feuille de route -, nous devons jouer collectif, comme le fait l'Italie dans les expositions universelles par exemple. Les interprofessions, avec lesquelles je souhaite travailler sur le pavillon France, et les producteurs doivent agir en ce sens, car l'État ne peut pas tout. Il faut chasser en meute !

Monsieur Lemoyne, la saisine de la CJUE me semble être une voie incertaine, voire contre-productive, si je me réfère à la jurisprudence de cette cour sur les accords commerciaux... La question n'est pas juridique ; elle est politique : que veut faire Mme von der Leyen de l'Europe ? Souhaite-t-elle la voir unie ou attiser les désaccords entre les États membres ? Je rejoins Yannick Jadot : nous devons obtenir une décision purement politique rejetant la dissociation de l'accord.

Monsieur Gontard, le secteur de la chimie est, en effet, en difficulté partout en Europe. Le ministre chargé de l'industrie, Marc Ferracci, est très mobilisé sur ce sujet ; il présentera une feuille de route. Pour s'en sortir, il est essentiel de se conformer aux recommandations de Mario Draghi. Par ailleurs, le plan France 2030 prévoit de consacrer 4 milliards d'euros à ces entreprises, notamment à leur décarbonation.

L'action du Gouvernement est coordonnée. Pour ma part, je m'efforce de nouer un dialogue constant avec mes homologues au sein de l'Union européenne. Jean-Noël Barrot, Benjamin Haddad et le Premier ministre sont également très investis sur les sujets européens. Quant au Président de la République, il dialogue de façon continue avec la présidente de la Commission européenne et s'exprime au sein des grands forums. Le G20 qui va se tenir à Rio sera ainsi l'occasion d'échanges importants avec nos collègues européens et certains pays du Mercosur. Il sera également l'occasion de faire progresser nos relations avec la Chine. En tout cas, au sein de l'équipe gouvernementale, nous sommes unis !

Pour en revenir à l'accord, je ferai toujours preuve de transparence sur les actions que je mène et sur nos marges de manoeuvre, notamment lors de mes échanges avec les interprofessions agricoles. C'est pour moi une question de crédibilité de la parole publique.

Enfin, je tiens à vous dire que je n'ai pas perçu, chez les ministres des pays du Mercosur avec lesquels j'ai pu échanger, un enthousiasme délirant à l'égard de cet accord ; des accords bilatéraux m'ont même été proposés. Ce sont plutôt les pays européens attirés par ce marché, ainsi que le secteur de l'agrobusiness en Amérique du Sud, qui souhaitent qu'il aboutisse.

Monsieur le sénateur Bernard Buis, je suis frappée de voir combien le rapport que vous avez mentionné a fait école ; en tout cas, il a été très lu. J'espère modestement que certaines de ses conclusions pourront être intégrées parmi les réflexions menées dans le prolongement de la présentation du rapport Draghi.

Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, comme l'a indiqué M. Jadot, il est effectivement difficile de revenir sur le mandat de la Commission.

Je pense que l'élection de Donald Trump est un électrochoc. Elle conduit à une prise de conscience européenne quant à la nécessité d'une réaction.

Je suis en train de préparer quatre feuilles de route : une sur l'export, une sur l'attractivité, une sur la politique commerciale, et la dernière sur les Français de l'étranger, que je n'oublie évidemment pas. Lorsque celles-ci seront prêtes, ce qui ne saurait tarder, j'aurais plaisir à revenir devant le Sénat pour vous les présenter.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Madame la ministre, nous vous remercions des réponses que vous nous avez apportées au cours de cette audition intense. Elles étaient précises et étayées par les déplacements que vous avez effectués, ainsi que par les contacts que vous avez pu nouer dans différents pays. Cela les rend d'autant plus précieuses pour nous.

Notre commission a effectivement prévu de vous auditionner au début de l'année 2025, sitôt que les feuilles de route auront été publiées.

Nous savons combien vous et le gouvernement auquel vous appartenez ne ménagez pas vos efforts sur le dossier, si important pour la France et l'Europe, de l'accord avec le Mercosur. Nous vous souhaitons beaucoup de courage dans votre mission.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 10.