- Mardi 5 novembre 2024
- Mercredi 6 novembre 2024
- Communication relative à la situation financière de la sécurité sociale - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
- Audition de M. Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d'assurance vieillesse
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de Mme Isabelle Sancerni, présidente, et M. Nicolas Grivel, directeur général, de la Caisse nationale des allocations familiales
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à poursuivre l'expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d'employabilité - Examen des amendements au texte de la commission
- Organisme extraparlementaire - Désignation
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale
Mardi 5 novembre 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Projet de loi de finances pour 2025 et projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi
M. Philippe Mouiller, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 et sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, nous accueillons aujourd'hui Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.
Madame la ministre, vous avez la responsabilité de deux branches de la sécurité sociale : les branches vieillesse et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Plusieurs mesures importantes de ce texte concernent ces deux branches, en particulier le report de l'indexation des pensions de retraite, la réforme des retraites agricoles et la réforme du calcul des rentes AT-MP.
De plus, vos fonctions vous amènent à porter un regard très attentif à l'évolution des allégements généraux de cotisations et contributions patronales prévues à l'article 6 du PLFSS, tant en matière d'emploi que de mobilité salariale.
La mission « Travail et emploi » du PLF est l'une des plus touchées par les efforts budgétaires, avec une baisse des crédits proposée de l'ordre de 10 %.
Madame la ministre, je vous propose de débuter cette audition par un propos liminaire. Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, en commençant par Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse, Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche AT-MP et Frédérique Puissat, rapporteur pour avis de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ».
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi. - Je suis très heureuse et très impressionnée d'intervenir pour la première fois devant votre commission.
J'ai été membre de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale pendant deux ans en tant que députée de Paris - j'ai alors constaté que personne n'y siégeait par hasard, et cela vaut pour les deux chambres du Parlement. Le Sénat cultive le goût de la dispute argumentée et de l'esprit constructif, ainsi qu'un sens de la collégialité que je me suis efforcée de faire vivre à l'Assemblée nationale - avec plus ou moins de succès.
Je salue votre décision d'organiser une réunion commune de présentation du PLF et du PLFSS : ces deux textes forment un tout et montrent la cohérence de la stratégie de mon ministère.
Tous, ministres et législateurs, nous devons protéger notre modèle social, le rendre plus efficace et en garantir la durabilité.
Les contributions des employeurs et des salariés représentent la principale source de financement de la sécurité sociale, à hauteur de 54 % en 2021. Les revenus d'activité constituent l'assiette principale - 65 % - des recettes des régimes de base. C'est là une spécificité française : cela explique les débats relatifs au coût du travail et à l'écart entre le salaire net, le revenu disponible du salarié et le coût complet pour l'employeur - nous y reviendrons lorsque nous évoquerons l'article 6 du PLFSS.
Le travail et l'activité, qui financent principalement notre modèle de protection sociale, ne suffisent objectivement pas et nous devons, à terme, réfléchir à un autre modèle de financement. Mais, dans l'immédiat, personne ne peut se satisfaire d'un financement par le déficit et l'emprunt. C'est pourquoi nous devons travailler plus longtemps et en meilleure santé. Mon rôle est de faire en sorte que notre économie crée des emplois ; que ceux-ci restent de qualité, exercés dans de bonnes conditions et avec des revenus décents ; qu'ils contribuent, dans un effort de montée en gamme, à la transition climatique, la réindustrialisation et la transition numérique de notre pays.
Dans un contexte budgétaire contraint, nous essayons de sanctuariser autant que possible les opérateurs et les outils en faveur de l'emploi. Le taux de chômage est certes historiquement bas, à 7,3 %, mais il est encore supérieur d'un point à la moyenne européenne.
Le premier axe de ma feuille de route porte sur l'emploi des jeunes, des seniors et de tous ceux qui sont durablement éloignés de l'emploi. Le taux d'activité des jeunes et des seniors connaît un niveau historiquement élevé ; notre pays accuse toutefois un retard par rapport à ses voisins européens.
Le PLF traduit un soutien continu aux opérateurs et aux outils efficaces des politiques de l'emploi.
Premièrement, France Travail est en pleine transformation, non seulement pour poursuivre l'accompagnement des demandeurs d'emploi, mais aussi pour se rapprocher du monde des entreprises. Seuls 25 % d'entre elles font appel à ses services ; il y a là des marges considérables de progrès. La subvention à l'opérateur est maintenue. En contrepartie, nous souhaitons que ses effectifs diminuent de 500 équivalents temps plein (ETP), c'est-à-dire 1 % du total. Face aux critiques, remettons les choses en perspective : ces effectifs ont crû de 10 % depuis 2019.
Deuxièmement, les moyens des opérateurs de l'insertion par l'activité économique (IAE) sont stabilisés. Il en va de même pour le contrat d'engagement jeune (CEJ), dont le nombre d'entrées reste stable - 200 000 en 2024, soit un doublement par rapport à la situation prévalant en 2020.
Troisièmement, l'apprentissage bénéficie toujours d'un financement de 14 milliards d'euros, un niveau équivalent aux mieux-disant européens, telle la Suisse ou l'Allemagne. En quelques années, nous avons réussi une révolution culturelle dans ce domaine.
D'autres sujets ne relèvent pas de la thématique budgétaire. Le Premier ministre et moi-même avons invité les partenaires sociaux à relancer la négociation relative à l'assurance chômage, après l'accord conclu en novembre 2023 : il faut prendre en compte la question de l'emploi des seniors, ainsi que le contexte budgétaire contraint. La relance du dialogue social sera au coeur de ma méthode de travail, à l'image de celle du Premier ministre.
J'en viens à la question du travail et du pouvoir d'achat des travailleurs.
Le travail est au coeur de la promesse républicaine : quand on travaille, quand on respecte la règle, on doit pouvoir construire une vie meilleure pour soi et pour ses enfants. Le travail doit payer.
À cet égard, l'article 6 du PLFSS, supprimé par l'Assemblée nationale, prévoyait une baisse des allégements de cotisations patronales, en vue de relancer le dynamisme de l'évolution salariale en cours de carrière. Je le répète : notre protection sociale est financée essentiellement par les salaires, d'où un revenu net relativement bas par rapport au coût total supporté par l'employeur. Depuis une trentaine d'années, les gouvernements, toutes tendances politiques confondues, ont voulu résoudre ce problème, par le biais d'allégements généraux ou de la pérennisation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), en vue de limiter le coût du travail non qualifié et de protéger les emplois industriels par rapport aux autres pays européens.
De telles politiques sont extrêmement coûteuses, puisqu'elles représentent quatre points de PIB. Elles contribuent aussi à la constitution de trappes à bas salaire : 20 % de la population active est au Smic et un tiers de ces salariés est maintenu durablement à ce niveau. Or, nous sommes tous d'accord sur ce point, le Smic est un salaire d'entrée ; il ne saurait constituer une rémunération à vie. Nous voulions, par le biais de l'article 6, procéder, en deux ans, à une baisse progressive des allégements pour les salariés entre 1 et 1,2 Smic et à une hausse des exonérations pour les salariés entre 1,3 et 1,8 Smic. Cette mesure aurait engendré une économie de 4 milliards d'euros, qui doivent être mis en perspective aux 80 milliards d'euros d'allégements généraux concédés aux entreprises - à juste titre, d'ailleurs, car le coût du travail est plus élevé en France qu'en Allemagne ou en Angleterre. Cette somme aurait été reversée à la branche maladie et à la branche vieillesse.
Alors que les défaillances d'entreprise et les plans sociaux se multiplient, nous devons être vigilants sur les mesures relatives au coût du travail. Le Gouvernement est bien entendu ouvert à la discussion, notamment sur les conséquences de la mesure sur les salariés dont le revenu est compris entre 1 et 1,2 Smic.
Ce sujet est étroitement lié au chantier de l'allocation sociale unique, évoqué par le Premier ministre. Une récente étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montre combien le sujet des allégements généraux au profit des entreprises est imbriqué avec celui des minima sociaux visant à soutenir les revenus d'activité. Il en est ainsi d'une mère au Smic, qui élève seule ses deux enfants, n'est pas propriétaire de son logement et touche une prime d'activité avec en sus une majoration familiale des aides au logement : son employeur devrait débourser 770 euros pour que le salaire de la personne augmente de 100 euros, sans prendre en compte les aides communales pour la cantine ou les centres de loisirs, notamment. Nous avons construit de véritables trappes à bas salaire et à inactivité : des personnes se retrouvent enfermées dans des situations qu'elles souhaiteraient quitter.
Le pouvoir d'achat des salariés relève aussi des branches ; j'ai commencé à convoquer celles qui ne jouaient pas le jeu des négociations salariales.
Nous devons tous faire preuve de sérieux budgétaire si nous voulons pérenniser notre modèle social. Alors que l'inflation est passée sous la barre des 2 %, nous proposons de différer la revalorisation des pensions au 1er juillet ; ce mécanisme avait déjà été utilisé en 2009, 2014, 2015 et 2018. Cela dit, nous pouvons affiner la mesure, de portée générale pour l'instant. Comme l'a rappelé le Premier ministre, cela ne remet pas du tout en cause l'indexation des pensions de retraite sur l'inflation ; je rappelle que le précédent gouvernement avait revalorisé les retraites de 5,3 %, pour un coût de 14 milliards d'euros.
Les retraités bénéficiant du minimum vieillesse ou de l'allocation veuvage ne seront pas concernés par cette mesure : ces prestations seront revalorisées le 1er janvier prochain.
Les retraités les plus modestes profiteront de la revalorisation du minimum contributif (Mico), pour un gain mensuel s'élevant de 25 à 100 euros. En outre, la réforme de 2023 n'a pas touché les retraités : elle concerne uniquement les actifs. Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), entre autres, s'interroge sur la pertinence de l'abattement général de 10 % pour frais professionnels qui s'applique à toutes les pensions, alors que 75 % des retraités sont propriétaires et que 60 % du patrimoine financier et non financier est détenu par les retraités. Le décrochage touche surtout les retraités qui ne sont pas propriétaires : c'est envers ces personnes qu'il faut faire un effort.
La réforme de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) est nécessaire : sans cela, le déficit de la Caisse serait susceptible d'atteindre 10 milliards d'euros en 2030, sur les 14 milliards d'euros de déficit de l'ensemble du système de retraite. Nous avons retenu la fourchette basse pour les augmentations de cotisation, ainsi que le recommandaient plusieurs rapports d'inspections.
Ce PLFSS contient des réformes en faveur de l'amélioration des retraites des travailleurs indépendants et des retraités non salariés agricoles pour les faire converger vers le régime général. Le dispositif pour l'emploi des travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi (TO-DE) ne sera pas concerné par l'article 6 du texte.
Les mesures relatives aux indemnités journalières participent de l'esprit de responsabilité. Leur montant s'élève à 17 milliards d'euros, contre seulement 8 milliards d'euros en 2017. Cette croissance est due pour moitié au vieillissement de la population et à la revalorisation du Smic, et pour l'autre à l'augmentation de la durée et de la fréquence des arrêts de travail. Nous sommes conscients que la mesure décidée relève du court terme : aussi, dès janvier 2025, nous souhaitons que les parlementaires, les partenaires sociaux et les chercheurs s'emparent de sujets tels que la santé au travail, les arrêts de travail, les prescriptions ou la prévention, notamment. Nous proposerons des mesures plus structurelles et plus intelligentes à l'occasion du PLF pour 2026.
J'en viens à la branche AT-MP. L'article 24 du texte retranscrit fidèlement dans la loi l'accord national interprofessionnel (ANI) de mai 2023, qui a été précisé en juin 2024. Celui-ci vise à couvrir tant le préjudice professionnel que le préjudice personnel pour les victimes d'accident du travail et de maladies professionnelles présentant une incapacité permanente.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - L'article 6 du PLFSS entraînera inévitablement des suppressions d'emplois. Quelles sont vos évaluations en la matière ? Quels seraient les ajustements envisageables ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Le Sénat a récemment adopté la proposition de loi de Philippe Mouiller visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles, après avoir adopté en février 2023 la loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses.
L'article 22 du PLFSS prévoit d'unifier la pension de retraite forfaitaire et la pension de retraite proportionnelle des non-salariés agricoles, et de calculer leur retraite de base sur les vingt-cinq meilleures années de revenus à compter de 2016. Pourquoi avoir retenu un calcul selon les vingt-cinq meilleures années de revenus, et non selon les vingt-cinq meilleures années de points, comme le Sénat l'avait voté aux termes de la proposition de loi de Philippe Mouiller dont j'étais rapporteur ? Je rappelle que les vingt-cinq meilleures années de points seront retenues à titre transitoire pour liquider la part des retraites proportionnelles correspondant aux carrières antérieures à 2016.
En outre, l'étude d'impact de la réforme prévue à l'article 22 ne mesure son effet que sur les non-salariés polypensionnés qui représentent, selon la caisse de la mutualité sociale agricole (MSA), 85 % des retraités non salariés agricoles. Or le système de retraite proportionnelle par points était fondé sur un barème dont l'effet redistributif bénéficiait aux monopensionnés ayant de faibles revenus. Quelles sont les conséquences de la mesure sur cette catégorie de pensionnés ?
La réforme sera mise en place au 1er janvier 2028, avec effet rétroactif au 1er janvier 2026. À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a déposé un amendement tendant à ce que la pension de retraite proportionnelle puisse être calculée dès le 1er janvier 2026, pour la période de carrière antérieure à 2016 selon la moyenne des vingt-cinq meilleures années de points au prorata des années cotisées avant 2016 dans ce régime. Pouvez-vous nous confirmer que la MSA sera en mesure de réaliser ce calcul à cette date ?
La loi pour le plein emploi, dont j'ai été rapporteur pour la commission des affaires sociales, prévoyait un accompagnement rénové pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), avec une obligation d'activité de quinze heures hebdomadaires afin de construire un parcours vers l'emploi. Cette mesure a fait l'objet d'une expérimentation dans plus de 47 départements - dont le mien -, et devrait être généralisée l'an prochain. Dans mon territoire, la coopération entre les acteurs est plutôt efficace, mais quel est le retour de cette expérimentation au niveau national ? Par ailleurs, une fois la généralisation advenue, comment entendez-vous satisfaire à l'exigence de trouver quinze heures hebdomadaires d'activité à l'ensemble des bénéficiaires du RSA, dans le contexte budgétaire que nous connaissons ? Pour le moment, les moyens financiers existent. Mais qu'en sera-t-il lorsque le dispositif sera généralisé à l'ensemble des départements ?
En prévoyant des dispositions sur le service public de la petite enfance, la loi pour le plein emploi abordait la question des freins périphériques à l'emploi. Envisagez-vous de reprendre ce chantier dans les mois à venir ?
La réforme des retraites ne fonctionnera que si le taux d'emploi des seniors progresse - c'est un objectif que nous partageons tous ici.
Vous avez choisi de remettre les partenaires sociaux au coeur de la gestion de l'assurance chômage en prolongeant les règles du régime jusqu'au 31 décembre 2024. Vous avez aussi confié une mission aux organisations représentatives : trouver 400 millions d'euros d'économies en quatre ans, en décalant les bornes concernant les seniors, mais aussi 400 millions d'euros supplémentaires d'économies pour 2025.
Certes, il est logique de tirer les conséquences de la réforme des retraites sur l'âge à partir duquel les durées d'indemnisation par l'assurance chômage sont plus longues, mais pensez-vous que l'accord national interprofessionnel conclu à l'issue de ces négociations comportera également des mesures permettant une meilleure inclusion des travailleurs plus âgés dans le monde du travail ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles. - Vous avez évoqué la question de la santé au travail à deux reprises. C'est un sujet qui nous est cher : avec Laurence Cohen, Annick Jacquemet et Laurence Rossignol, nous avons publié un rapport relatif à la santé des femmes au travail. Ce thème relève directement de la branche AT-MP. Il faut encourager la prévention ; à cet égard, les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont aujourd'hui mieux pris en compte.
Contre toute attente, la branche AT-MP pourrait se retrouver dans une situation déficitaire durable à partir de 2026, avec un solde négatif de l'ordre de 500 millions d'euros chaque année. Ces prévisions tranchent avec celles du dernier PLFSS, qui tablait sur un excédent de l'ordre du milliard d'euros sur la période.
Une telle différence s'explique principalement par la hausse du transfert à la branche maladie, qui devrait augmenter de 800 millions d'euros d'ici à 2027 : ce sont autant de contributions des employeurs qui ne serviront pas leur vocation originelle, à savoir la prévention et la réparation des risques professionnels. Cette hausse fait suite à la nouvelle estimation du coût de la sous-déclaration par la commission créée à cet effet, mais on ne peut ignorer que ces projections sont sujettes à une grande volatilité : le montant bas de la fourchette est passé de 800 millions d'euros en 2017 à 1,2 milliard d'euros en 2021 puis, donc, à 2 milliards d'euros en 2024.
Ces données vous semblent-elles être suffisamment fiables pour être utilisées afin de prendre des décisions de politique publique ?
Depuis deux ans, la branche AT-MP a doublé son effort de financement en faveur du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva), qui devait être renfloué. Or l'État compte maintenir sa dotation à un niveau constant en 2025. Il représente désormais à peine 1,5 % des ressources publiques du fonds, alors même que sa contribution est censée couvrir, au nom de la solidarité nationale, l'indemnisation des victimes professionnelles au titre de l'État employeur et des victimes environnementales, qui représentent un cinquième des bénéficiaires.
L'État, dont la responsabilité dans le scandale de l'amiante a été reconnue, compte-t-il enfin prendre sa juste part dans le financement du Fiva, ou bien la branche AT-MP devra-t-elle continuer de supporter indûment le coût de l'indemnisation pour des victimes non éligibles à une réparation par la branche ?
Contrairement à l'article 39 du PLFSS de l'an dernier, il semble que l'article 24 du PLFSS pour 2025 retranscrive fidèlement les demandes exprimées par les partenaires sociaux, au service d'une meilleure indemnisation pour tous les bénéficiaires de rente : comme vous, je m'en réjouis.
Je regrette toutefois que le texte ne réponde pas pleinement aux enjeux concernant les victimes de faute inexcusable de l'employeur (FIE), qui verraient leur indemnisation de long terme revalorisée au prix d'un amoindrissement de leur réparation à court terme. Pour pallier ce problème, on pourrait par exemple imaginer que la majoration de la part fonctionnelle de leur rente puisse leur être directement reversée, sur option, sous forme de capital. Cette solution semble d'autant plus juste que le montant de majoration est lui-même versé sous forme de capital à la branche par l'employeur fautif ou son assureur : on voit donc mal ce qui empêcherait la branche de transférer ce montant directement à l'assuré victime de FIE. Lors des auditions, les partenaires sociaux ont semblé ouverts à cette recommandation, issue du récent rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la branche AT-MP, dont j'étais la rapporteure avec Annie Le Houerou.
Quelles suites estimez-vous possible d'apporter à cette préconisation ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ». - La mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » est l'une de celle qui contribue le plus aux économies souhaitées par le Gouvernement, à hauteur de 2,4 milliards d'euros par rapport à 2024. Je m'en réjouis, car le budget de cette mission représente 22 milliards d'euros depuis la crise sanitaire, contre 14 milliards d'euros auparavant. Accepteriez-vous le principe d'économies supplémentaires au sein de la mission ? Nous en étudions actuellement la faisabilité.
L'apprentissage a grandement contribué à l'augmentation du budget de la mission. Vous prévoyez de réviser le montant des aides à l'embauche - certains articles de presse évoquent un retour à la situation prévalant avant la crise sanitaire, soit environ 4 300 euros. L'an dernier, le rapporteur de la commission des finances avait proposé un amendement modulant le montant de l'aide selon la taille des entreprises. Pouvez-vous nous donner votre avis sur cette option ?
Le déficit cumulé de France Compétences avoisine les 10 milliards d'euros. La ponction de plus de 12 milliards d'euros effectuée sur le budget de l'Unédic devait contribuer à un retour à l'équilibre de ses finances. Quelles sont les perspectives en la matière ?
J'en viens aux opérateurs. Je m'étonne de voir figurer les agences régionales de santé (ARS) dans le périmètre de l'ancienne mission « Travail et emploi »... Plus largement, seriez-vous prête à rationaliser encore davantage l'action des opérateurs placés sous la tutelle de votre ministère ?
Je suis d'autant plus favorable à la baisse de 500 ETP dans les effectifs de France Travail que j'avais proposé l'an dernier de supprimer les 1 300 emplois créés au sein de l'opérateur à la suite de la crise sanitaire : il en reste aujourd'hui 700. Lors d'une audition, les représentants de France Travail ont indiqué qu'il fallait toutefois assurer la mise en oeuvre de la loi pour le plein emploi. Ces ETP restants pourraient trouver là une utilité.
Mais nous manquons de visibilité... Quel est votre sentiment sur la gestion des effectifs de France Travail ? Ne peut-on demander à l'opérateur de « rendre » - pardon d'utiliser ce terme - les 700 emplois dus à la crise sanitaire ? Peut-on évaluer le nombre d'emplois nécessaires pour assurer la réussite de la loi pour le plein emploi et examiner, le cas échéant, le différentiel qui pourrait être source d'économies ? Nous devons avoir une approche rationnelle et plus lisible.
Enfin, je me permets d'attirer votre attention sur les élections syndicales au sein des très petites entreprises (TPE) et pour les particuliers employeurs qui auront lieu du 25 novembre au 9 décembre 2024. La participation aux dernières élections en 2021 n'était que de 5 %. Je vous invite à ne pas relâcher vos efforts pour que les salariés se mobilisent ; le Sénat ne manquera pas de vous aider à cet effet.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - L'impact de l'article 6 sur l'emploi est difficile à mesurer. Une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) évoquait 150 000 emplois détruits, mais elle prenait aussi en compte la dégradation économique. À moyen terme, l'augmentation prévue du coût du travail conduirait à la suppression de 15 000 à 40 000 emplois, selon le scénario du rapport d'Antoine Bozio et d'Étienne Wasmer, notamment. C'est pourquoi nous voulons atténuer les conséquences de la mesure sur les très bas salaires situés entre 1 et 1,2 Smic.
Des débats sont en cours. Là où plusieurs rapports préconisent d'arrêter les exonérations de charges patronales à 2,5 Smic, toutes les fédérations professionnelles du secteur de l'industrie ont insisté sur la nécessité de les maintenir au-delà pour des raisons de compétitivité : actuellement, elles vont jusqu'à 3,5 Smic et nous proposons d'abaisser le seuil à 3 Smic. Certes, je souhaite atténuer l'impact sur les bas salaires, mais prenons garde aux effets de la mesure sur la compétitivité de nos emplois industriels, même pour la main-d'oeuvre la plus qualifiée.
J'en viens à la branche vieillesse.
Pour les non-salariés agricoles, nous avons retenu un calcul en années de revenu, et non en points, car nous voulions mettre en cohérence le système avec le régime général des salariés. Un système fondé sur les points ne permettait pas d'atteindre l'objectif de convergence. En outre, entre 35 % et 45 % des bénéficiaires sortiront gagnants avec la solution retenue.
Initialement, la MSA prévoyait une entrée en vigueur du système en 2028 pour des raisons opérationnelles. Nous travaillons avec ses représentants pour accélérer le mouvement et permettre une application dès le 1er janvier 2026. Mais cela semble encore compliqué.
Par ailleurs, des simulations avaient été réalisées pour évaluer l'impact de la réforme sur les monopensionnés : celle-ci ne modifie pas le niveau de pension tous régimes pour un monopensionné payé au Smic tout au long de sa carrière et permet une augmentation de la pension tous régimes de l'ordre 12,1 % à court terme pour un monopensionné ayant eu un revenu équivalent au salaire moyen.
Je clos les réponses sur la branche vieillesse pour aborder l'emploi.
Parmi la quarantaine de départements impliqués dans les expérimentations prévues par la loi pour le plein emploi, certains ont cherché à mettre l'accent sur les nouveaux entrants dans le dispositif du RSA, d'autres à travailler sur des publics éloignés plus durablement de l'emploi. Indépendamment de ces différences d'approche, les taux d'insertion dépassent en moyenne 40 % -, ce ratio est de 20 % pour l'obtention d'un emploi durable sous six mois. Les résultats sont donc positifs pour cette approche consistant à recevoir rapidement un allocataire du RSA et lui proposer, sur la base de ce diagnostic à 360 degrés, un accompagnement social ou professionnel adapté.
La question des quinze heures d'activité par semaine a été longuement discutée au cours des différents débats parlementaires. Des exemptions ont été prévues, selon la situation médicale, familiale ou autre ; elles offrent de la flexibilité. Par ailleurs, nous parlons d'un mélange d'immersion courte en entreprise et de séances de préparation de CV ou d'entretiens professionnels, dans un souci de mise en mouvement.
La remarque sur les freins périphériques à l'emploi est tout à fait juste. Une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) signale, comme pouvant être des freins majeurs, les problématiques de formation professionnelle, garde d'enfant ou transport. Il va falloir se pencher sur ces sujets.
Celui de la formation professionnelle, en particulier, fera partie des thèmes traités au long cours en 2025. La France compte aujourd'hui 500 000 emplois non pourvus, dont certains, tous niveaux confondus, demandent un degré de technicité : cela exige une approche sur la formation professionnelle plus fluide, plus simple, plus centrée sur les bassins d'emploi et mieux fléchée. La liste des métiers en tension que nous sommes en train de construire, en lien avec le sujet de l'immigration régulière, pourrait constituer une bonne base de travail pour s'assurer que les financements publics en matière de formation professionnelle sont orientés vers les bons secteurs.
La négociation sur l'emploi des séniors est en cours. Elle est essentielle, car c'est une bataille que la France, contrairement à d'autres pays d'Europe du Nord, n'a pas encore gagnée. La question des retraites progressives a été mise sur la table des négociations par le Premier ministre. Ce sujet exige également une capacité à anticiper, d'où l'importance des entretien et visite médicale de milieu de carrière. Tout cela est discuté.
Nous avons demandé, en échange de la reprise de la négociation sur l'accord assurance chômage de novembre 2023, que l'on trouve 400 millions d'euros d'économies supplémentaires. Nous pensons cet effort possible, notamment en travaillant sur le régime des transfrontaliers, qui coûte chaque année 800 millions d'euros à l'Unédic. Au-delà des concertations à mener au niveau européen, nous pouvons prendre des mesures ici, en France : renforcer l'accompagnement des demandeurs d'emplois transfrontaliers par les agences transfrontalières de France Travail ou faire évoluer, par voie réglementaire, l'« offre raisonnable d'emploi » en revenant à des critères adaptés au contexte français.
S'agissant des AT-MP, plus particulièrement de l'article 24, je suis ouverte sur la question des sorties en capital. Nous allions proposer un amendement du Gouvernement sur le sujet, prévoyant, de mémoire, un contrôle du juge. Je suis aussi ouverte à l'octroi d'un rôle plus important aux associations dans les comités de suivi.
Par ailleurs, le transfert de la branche AT-MP à la branche assurance maladie vise à compenser la sous-déclaration, étant rappelé que nous avons retenu d'atteindre, à horizon 2027, la limite basse de la fourchette donnée dans les rapports d'inspections.
N'étant pas en mesure de répondre à la question sur le Fiva, je répondrai par écrit sous quarante-huit heures.
Pour ce qui est du budget de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux », je n'ai aucun problème à défendre une réduction de dépenses. En effet, comme cela a été très justement souligné, voilà quelques années encore le budget de la mission représentait 2,5 % du budget total de la Nation ; aujourd'hui, il représente 5 %. Il me semble donc que nous pouvons travailler en ce sens, en nous fondant sur l'efficacité des dispositifs, mesurée en taux d'insertion en emploi - en particulier, en emploi durable. C'est ainsi que j'ai choisi d'arrêter le dispositif des emplois francs, qui avaient un effet d'aubaine considérable pour des réalisations faibles, ou celui des contrats aidés dans le secteur privé.
L'apprentissage a effectivement bénéficié d'une très forte augmentation de la dépense publique. Malgré la baisse envisagée, l'effort de financement est donc comparable aux mieux-disants européens, avec un montant de 14 milliards d'euros répartis en 4 milliards d'euros environ sur les aides à l'embauche et un peu moins de 10 milliards d'euros sur les coûts contrat.
Dans le présent PLF, nous essayons de rationaliser les aides à l'embauche. Plusieurs options étant envisageables - baisse unilatérale ; modulation en fonction du niveau d'étude ; modulation en fonction de la taille de l'entreprise -, je dois en discuter avec vous, mais aussi avec certains de mes collègues ministres. Je ne suis pas très favorable à moduler en fonction du niveau d'étude. D'abord, un tiers des étudiants en master suivent ce cursus par la voie de l'apprentissage. Ensuite, l'apprentissage améliore la qualité de l'emploi dans le premier métier, indépendamment des niveaux de qualification. Enfin, les fédérations professionnelles employant de nombreux apprentis de niveaux 2 et 3 nous demandent de ne pas toucher aux niveaux 6 et 7 pour que l'apprentissage reste perçu comme une voie d'excellence. En revanche, je suis sensible aux coûts supportés par les petites entreprises, sachant que plus de 60 % des apprentis travaillent dans des entreprises de moins de 50 personnes et que l'apprentissage a aussi permis à ces petites structures de recruter à des niveaux de licence ou master.
Pour toutes ces raisons, je m'orienterais plutôt vers une modulation par taille d'entreprise.
Un élément concernant France Travail : les pays ayant atteint le plein emploi ont de bien meilleurs taux d'accompagnement des demandeurs d'emploi par employé des services publics de l'emploi. Autrement dit, un employé des services publics de l'emploi danois ou allemands suit un portefeuille de chômeurs bien moindre que celui de son homologue français. C'est pourquoi, s'il me semble nécessaire de réduire les crédits des dispositifs qui n'ont pas l'efficacité escomptée, il faut être attentif à l'ensemble du réseau national créé autour de France Emploi.
Enfin, s'agissant des élections pour les salariés des TPE et des particuliers employeurs, je suis ravie d'envisager un travail commun pour améliorer le taux de participation.
Mme Corinne Bourcier. - J'avais une demande d'éclaircissement sur l'articulation des articles 4 et 6 du PLFSS à la suite d'une alerte de la filière arboricole. Vous y avez répondu, en indiquant que les TO-DE ne seraient pas concernés.
Je rappelle néanmoins que l'article 4, en pérennisant le dispositif d'exonération de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi, et en relevant le plafond d'exonération, va dans le bon sens. Il aidera nos producteurs de fruits à faire face à la concurrence de nos voisins européens. Mais l'adoption de l'article 6, visant à augmenter les charges patronales sur les salaires compris entre 1 et 1,2 Smic, viendrait annuler cet effet positif. Cet article a été supprimé par nos collègues députés. Envisagez-vous de le réintroduire ?
Vos propos sur l'apprentissage m'ont rassurée, Madame la ministre. En effet, l'apprentissage est crucial pour les TPE et les PME.
Mme Annie Le Houerou. - Pour nous, l'article 6 consacré au reformatage des allégements généraux de cotisations patronales était une bonne amorce. Nous espérons y revenir au Sénat. Pourquoi avoir fait le choix de maintenir les allégements à hauteur de 3 Smic et de ne pas suivre les préconisations de différents rapports - notamment le rapport Bozio-Wasmer, qui souligne une absence d'impact sur l'emploi des allégements au-delà de 2,5 Smic ? Vous avez reconnu que 80 milliards d'euros d'exonération représentaient des sommes considérables ; un écart de seuil entre 2 Smic et 3,5 Smic correspond à 2 milliards d'euros. Ce n'est pas rien !
Par ailleurs, une étude de l'Insee fait état d'un effet positif du dispositif relatif aux jeunes entreprises innovantes (JEI). Sur quels éléments fondez-vous sa suppression ?
Vous avez annoncé une augmentation de cotisations à la CNRACL pour pallier l'urgence, mais les collectivités territoriales, déjà exsangues, sont dans l'incapacité totale de prendre en charge cette hausse. Quant aux hôpitaux, comment vont-ils l'absorber avec leurs déficits abyssaux et une limitation de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) à 2,8 % ?
Un pays comme l'Allemagne consacre 10 % de ses dépenses d'AT-MP à la prévention. Nous en sommes bien loin, avec un taux d'effort à peine supérieur à 3 %. Dans l'étude que nous avons menée avec Marie-Pierre Richer, nous avons constaté les conséquences de cette situation : le nombre des accidents du travail et, surtout, des maladies professionnelles est très important. Notre rapport préconisait, en conséquence, un choc d'investissement inédit dans ce domaine. Partagez-vous notre constat ? Quelles mesures souhaitez-vous mettre en oeuvre pour y remédier ?
Enfin, le barème d'évaluation du taux d'incapacité permanente apparaît obsolète. Est-il envisagé de le réactualiser ?
M. Daniel Chasseing. - Vous avez déjà répondu à de nombreuses questions, madame la ministre, nous rassurant notamment sur l'apprentissage et soulignant, en matière de réforme des exonérations patronales, qu'il fallait maintenir la compétitivité des entreprises. Je reviens néanmoins sur deux points.
Les expérimentations menées sur les publics bénéficiant du RSA ont permis un retour à l'emploi de personnes qui en étaient éloignées, dans un contexte de synergie entre conseils départementaux et acteurs du secteur de l'emploi. Nous jugeons positivement la loi ayant instauré la règle des quinze heures. Toutefois, pourrez-vous mettre en place les accompagnements qui vont avec, compte tenu du caractère restreint de votre budget ?
Vous avez augmenté l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et diverses allocations. Mais, selon les syndicats de retraités, avec une retraite au Smic, on a des difficultés pour vivre si l'on n'est pas propriétaire.
Mme Monique Lubin. - Comment pensez-vous articuler les dispositifs concernant le RSA, dès lors que les départements, dans le projet du Gouvernement, vont devoir contribuer à hauteur de 5 milliards d'euros à l'effort budgétaire prévu dans le PLF ? Comment ces départements vont-ils pouvoir s'acquitter de leurs obligations ?
Il vient d'être dit que le dispositif des quinze heures était positif... Ce que l'on entend du terrain - et cela rejoint vos propos, madame la ministre -, c'est qu'il s'agit, non pas tant d'insertion professionnelle à proprement dit, que de mesures d'accompagnement, depuis longtemps portées par les départements. Il n'y a rien de nouveau ! La loi pour le plein emploi a été conçue pour faire plaisir à certains courants d'opinion, qui voulaient absolument que l'on mette les bénéficiaires du RSA au travail.
Mes interrogations sur les dispositifs du RSA valent aussi pour les missions locales, dont les moyens devraient évoluer à la baisse, et pour France Travail, qui perdra une partie significative de ses moyens humains. Comment, dans un tel contexte, ces organismes pourront-ils s'adapter aux évolutions ?
Dans son article intitulé France Travail : plus de sous-traitance et moins de service public, le journal Mediapart insiste sur l'explosion du budget de sous-traitance de Pôle emploi entre 2018 et 2023, et évoque une nouvelle vague d'externalisation massive dans le cadre de France Travail. Pouvez-vous confirmer les éléments contenus dans cet article ? Comment expliquez-vous la baisse des agents de France Travail, avec un tel niveau d'externalisation, pour des coûts aussi élevés et, nous le savons tous pour le voir dans nos départements, des résultats loin d'être probants ?
Enfin, le PLFSS prévoit de soumettre les apprentis à la contribution sociale généralisée (CSG) et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) au-delà de 50 % du Smic. Cette mesure est-elle, selon vous, de nature à encourager l'entrée dans l'apprentissage ?
Mme Solanges Nadille. - L'article 6 du PLFSS impacte, par ricochet, l'exonération dite Lodéom dont bénéficient les employeurs d'outre-mer pour compenser les handicaps liés à l'insularité et l'éloignement. Il y a là un enjeu d'emploi et de vie chère. À l'Assemblée nationale, les députés ont adopté des amendements visant à pérenniser le dispositif actuel, renvoyant le débat à l'examen du PLFSS 2026. Vous avez évoqué une mission en cours de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). Avez-vous des éléments nouveaux à nous communiquer à ce stade, en particulier sur la version du texte qui arrivera bientôt au Sénat ?
Mme Marion Canalès. - À compter de janvier prochain, deux dispositifs mis en oeuvre par les missions locales pour accompagner les jeunes - le CEJ et le parcours contractualisé d'accompagnement adapté vers l'emploi et l'autonomie, ou Pacea - ne seront plus accessibles qu'aux jeunes inscrits à France Travail. Or seuls sont inscrits les jeunes se déclarant en recherche d'emploi ou ayant les prérequis administratifs. De ce fait, pour un certain nombre de personnes, le travail parfois très long qui est effectué en amont ne pourra plus être réalisé. Avez-vous l'intention d'examiner ces difficultés ?
Ma collègue Monique Lubin a fait référence au recours à la sous-traitance au sein de France Travail. Pouvez-vous nous faire une mise à jour sur les engagements pris par votre prédécesseuse, Mme Catherine Vautrin, sur les sous-traitants, les travailleurs intérimaires qu'ils emploient et les risques professionnels accrus au sein de cette catégorie de travailleurs ?
Mme Patricia Demas. - Je souhaite revenir sur un secteur particulier de l'apprentissage, celui de l'« Erasmus de l'apprentissage ». Nous avons adopté en décembre 2023, sur une initiative parlementaire, une loi visant à faciliter la mobilité des apprentis au niveau européen. Que pensez-vous de ce dispositif ? Quelle solution envisagez-vous pour motiver et accompagner les centres de formation d'apprentis (CFA) dans cette voie ? Les coupes budgétaires ne pourraient-elles pas ralentir la dynamique en cours, attendue à la fois par les entreprises et les apprentis ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Vous dites, madame la ministre, que la fédération professionnelle de l'industrie demande de ne surtout pas toucher aux bandeaux « maladie » et « famille ». Est-ce la même qui nous avait promis 1 million d'emplois avec l'instauration du CICE ? Auquel cas elle menacerait de détruire des emplois qu'elle n'a en grande partie pas créés !
Je suis convaincue qu'au-delà de 2 Smic, on peut parler d'effet d'aubaine. D'ailleurs, même les économistes les plus libéraux parlent d'une absence d'effets sur l'emploi ou la compétitivité à compter de ce seuil. Je ne comprends pas pourquoi vous ne vous attaquez pas à ces bandeaux et à des effets d'aubaine qui atteignent jusqu'à 8 milliards d'euros.
Ces mêmes économistes rappellent aussi que, depuis le CICE, dont le bilan en termes de milliards d'euros dépensés et de résultat est terrible, une baisse des impôts de production a été enclenchée. Les secteurs industriels en ayant bénéficié, vous pouvez sans difficulté enlever autre chose.
Si je ne suis pas d'accord sur tous les propos tenus par la rapporteure pour avis de la mission « Travail et emploi », je confirme qu'il faut partir de l'analyse des besoins. Le taux d'insertion de 40 % obtenu dans le cadre des expérimentations est lié à un accompagnement renforcé et une baisse drastique des portefeuilles. Avant de procéder à une généralisation, il faut estimer le nombre de conseillers nécessaires pour un même niveau d'accompagnement. J'ai l'exemple sur la métropole de Lyon : je sais les moyens qu'ils ont mis en oeuvre ; il faut compter 1000 euros par bénéficiaire du RSA pour avoir le bon taux d'encadrement... sauf, évidemment, à mettre en place de l'externalisation, et il ne fait pas de doute que cette ligne budgétaire va croître !
Sur la retraite, quel indice de revalorisation allez-vous appliquer au 1er juillet ? Allez-vous appliquer le taux que vous auriez appliqué au 1er janvier ? Cette question peut paraître technique, mais elle est importante : douze mois glissants en juillet, ce serait un indice bien moindre ; les retraités paieraient alors deux fois, par une perte sèche et par une revalorisation moindre.
Enfin, si pour les hôpitaux, 1,1 point d'Ondam est fléché vers la compensation de l'augmentation du taux de cotisation à la CNRACL, je ne vois pas trace d'un engagement de votre part pour une compensation en faveur des collectivités territoriales.
Mme Annick Petrus. - Je souhaite souligner l'importance cruciale des missions locales dans l'accompagnement des jeunes vers l'emploi, particulièrement en outre-mer où les défis sont considérables - à Saint-Martin, par exemple, le taux de chômage des jeunes dépasse 30 %. Or les crédits de paiement alloués à ces missions locales passent de 632 millions d'euros en 2024 à 490 millions d'euros en 2025, un effort jugé absorbable par le ministère. À partir du 1er janvier 2025, celles-ci auront la responsabilité d'inscrire les jeunes à France Travail et de les orienter vers le parcours le plus adapté. Auront-elles les ressources pour cela ? Comment comptez-vous accompagner les missions locales, pour qu'elles continuent à soutenir les jeunes, particulièrement dans les territoires où leur taux de chômage est préoccupant ?
Mme Silvana Silvani. - Le cas des travailleurs transfrontaliers a été évoqué. Je suis sénatrice d'un département ayant deux frontières, dont une avec le Luxembourg, traversées quotidiennement par des milliers de salariés. En 2023, 77 000 allocataires du chômage étaient indemnisés en France, alors qu'ils avaient travaillé et cotisé à l'étranger. C'est 50 % de plus par rapport à 2011 ! L'impact financier sur le système est lourd, faute de compensation suffisante. Dans son rapport, l'Unédic relève que les allocataires transfrontaliers sont en moyenne mieux indemnisés que l'ensemble des allocataires, compte tenu des écarts de salaire avec certains pays voisins. La réglementation européenne prévoit en principe des compensations entre États, mais celles-ci restent inférieures aux charges. Il y a en outre des dérogations, comme celle dont le Luxembourg bénéficie : les remboursements versés à la France sont limités à trois mois, indépendamment de la durée d'activité correspondante. Je ne m'explique pas ce type de dérogations. Qu'allez-vous faire, madame la ministre, pour récupérer les millions manquants chaque année ?
Mme Nadia Sollogoub. - Je comprends qu'en pleine discussion budgétaire rien n'est arbitré. Malgré tout, les annonces de coupes sombres dans l'apprentissage engendrent de nombreuses inquiétudes au sein des établissements d'enseignement professionnel et du secteur de l'apprentissage. Pouvez-vous apporter quelques éléments rassurants ? Les écoles de production seront-elles impactées ?
Mme Anne-Sophie Romagny. - Pourrions-nous réfléchir à travailler ce budget dans la dentelle ? Je sais que celui-ci a été préparé très rapidement. Mais nous sommes tellement sur le fil du rasoir que, si nous voulons sauvegarder les équilibres, il faut travailler en finesse. Les besoins des entreprises ne sont pas les mêmes. Sur l'apprentissage, une baisse de 8 000 euros à 6 000 euros, voire 4 000 euros, n'aura pas le même impact pour les plus petites d'entre elles que pour les autres. Il me semble donc nécessaire d'être capable d'ajustements et de ne pas imposer de coupes drastiques à tout le monde.
Il en va de même pour les missions locales. Toutes n'ont pas les mêmes budgets et les mêmes besoins, selon qu'elles interviennent en milieu urbain ou en milieu rural. Ayant été vice-présidente d'une mission locale rurale, je peux dire qu'il faut, dans ce cas de figure, aller chercher les jeunes et louer des salles pour monter les ateliers. Les besoins de fonctionnement sont alors plus élevés que dans les zones où la mobilité est plus aisée. Là aussi, si on pouvait faire dans la dentelle, ce ne serait pas du luxe...
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Je commencerai cette série de réponses par la thématique des jeunes, en englobant les questions liées à l'apprentissage, les contrats d'engagement jeune, les écoles de production et les missions locales.
Sur l'apprentissage, je répète les chiffres : entre 14 et 15 milliards d'euros de dépenses, dont 4 milliards d'euros sur les aides à l'embauche et 10 milliards d'euros sur les coûts contrat. L'effort visé portant sur les aides à l'embauche, je vous ai dit ma préférence, non pas pour une modulation en fonction du niveau diplôme, mais plutôt pour une segmentation en fonction de la taille des entreprises, en tenant compte de la lisibilité et de la simplicité du dispositif. J'aimerais par ailleurs ouvrir une concertation avec les acteurs de la compétence, les régions et les partenaires sociaux sur les coûts contrat. Il y a, dans ce domaine, des marges de progrès possibles par un pilotage en fonction de la qualité et, peut-être, un fléchage selon les besoins de main d'oeuvre des entreprises. Compte tenu des impératifs de réindustrialisation et de transition écologique, ne faut-il pas inciter les jeunes à se diriger vers des contrats adaptés aux besoins des entreprises ?
La question concernant l'assujettissement à la CSG-CRDS de la rémunération des apprentis au-delà de 50 % du Smic est légitime. Je vous avoue ne pas être très à l'aise avec cette mesure, qui aboutit à une baisse du pouvoir d'achat des appentis, et ce quel que soit leur niveau de qualification. Ce n'est pas un bon message envoyé à notre jeunesse : j'espère que nous pourrons trouver d'autres leviers lors des discussions.
Je me permets de corriger les chiffres donnés par Mme Petrus : les crédits alloués aux missions locales passent de 637 à 600 millions d'euros. Le montant prévu dans le PLF 2025 reste deux fois supérieur à celui qui avait été alloué en 2019 : cela témoigne de l'effort sans précédent en faveur de ces missions locales. Le CEJ verra ses effectifs maintenus à 200 000 jeunes. Cela dit, nous devrons en effet faire de la dentelle, les charges des structures n'étant pas les mêmes selon leur lieu d'implantation.
Le modèle des écoles de production fonctionne très bien ; c'est pourquoi nous augmentons les crédits qui leur sont affectés de 17 %. Nous travaillons à la mutualisation des plateaux techniques avec les conseils régionaux.
Je souhaite apporter quelques précisions sur le profil des bénéficiaires du RSA. Selon une étude de la Dares publiée voilà deux ans, 25 % d'entre eux perçoivent le RSA depuis moins d'un an, 25 % depuis deux à cinq ans, 21 % depuis cinq à dix ans et 14 % depuis plus de dix ans. Une part non négligeable est donc constituée de personnes très éloignées du marché du travail.
Comme je l'ai indiqué, l'accompagnement proposé dans les expérimentations est multidimensionnel, avec un premier entretien à 360 degrés durant lequel la personne est reçue par deux conseillers, l'un relevant de France Travail et l'autre du conseil départemental. Trois types d'accompagnement sont alors proposés : uniquement professionnel ; socioprofessionnel ; social. Je ne manquerai pas de partager avec vous le résultat de ces expérimentations - je vous en ai déjà dit quelques mots. Pour en avoir discuté avec deux présidents de conseil départemental, ayant opté pour des configurations d'expérimentation différentes, je peux faire état d'une efficacité en termes de retour rapide à l'emploi. D'où l'intérêt d'un déploiement plus large, qui, me semble-t-il, ne sera pas mis à mal par la baisse de 1 % du nombre d'ETP de France Travail.
Actuellement, la limite des exonérations de charges patronales est fixée à 3,5 Smic. L'article 6 du PLFSS prévoit une nouvelle borne à 3 Smic. Malgré vos remarques, je reste attentive à la question de la compétitivité, le risque encouru étant, non pas de détruire des emplois, mais d'en créer moins. Soyons conscient que 3 Smic, c'est un profil d'ingénieur et que ce profil est sensiblement plus cher en France que chez nos voisins. Nous sommes le pays le plus attractif en matière d'investissements étrangers, mais nos premiers concurrents sont des pays au profil comparable, comme l'Allemagne ou la Suisse. Il faut donc parvenir à un dosage équilibré, pour créer des emplois dans les secteurs où nous devons réindustrialiser et monter en gamme.
Effectivement, le dispositif d'indemnisation des chômeurs transfrontaliers coûte très cher : 800 millions d'euros de déficit de l'Unédic pour 77 000 bénéficiaires transfrontaliers. Je rappelle les leviers que nous allons actionner : une évolution de l'« offre raisonnable d'emploi », l'accompagnement des agences transfrontalières France Travail ; des discussions européennes et bilatérales. C'est un sujet au long cours, qui n'avait pas été traité et qui, au vu des déficits et des marges de manoeuvre existantes, nécessite une action très forte. Vous pouvez compter sur moi pour l'engager !
Le rapport concernant les dispositifs Lodéom sera remis la semaine prochaine. Je sais qu'il y a là un sujet d'inquiétude. Nous pourrons en rediscuter.
Enfin, j'y insiste, sans action mise en oeuvre, la CNRACL enregistrera en 2030 un déficit de 10 milliards d'euros, pour une branche vieillesse déficitaire de 14 milliards d'euros. Il faut se rendre compte à quel point le déséquilibre démographique sur cette caisse engendrera une situation intenable. Les rapports d'inspections proposaient une hausse de cotisation de 10 points cette année, puis de 8 points d'ici à 2030 ; nous avons retenu un niveau plus bas de 4 points. Pour l'instant, aucune compensation n'est prévue.
La réunion est close à 18 h 30.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 6 novembre 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 08 h 35.
Communication relative à la situation financière de la sécurité sociale - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
M. Philippe Mouiller, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous accueillons ce matin M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes.
Je vous précise que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et qu'elle sera consultable en vidéo à la demande.
Parmi les représentants de la Cour qui accompagnent le Premier président, je tiens à saluer tout particulièrement M. Bernard Lejeune, que nous accueillons pour la première fois en sa qualité de président de la sixième chambre, compétente pour la sécurité sociale, la santé et le secteur médico-social. J'en profite également pour remercier l'ancienne présidente de cette chambre, Véronique Hamayon, devenue procureure générale près la Cour des comptes, pour la qualité de notre collaboration au cours des dernières années.
Monsieur le Premier président, avec mon homologue de l'Assemblée nationale, Frédéric Valletoux, j'ai demandé à la Cour des comptes de réaliser une analyse actualisée de la situation financière de la sécurité sociale, un projet que vous aviez au demeurant déjà initié. Au moment d'entamer l'examen du PLFSS pour 2025, et alors que nous constatons un écart important entre les prévisions de la LFSS pour 2024 et les chiffres disponibles cet automne, le regard de la Cour est essentiel pour nous permettre d'affiner notre analyse.
Sans plus attendre, je vous laisse la parole, avant de la céder à Mme la rapporteure générale et aux membres de la commission pour une série de questions-réponses.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Je vous remercie de votre invitation, monsieur le président. Pour présenter l'analyse de la Cour sur la situation financière de la sécurité sociale à l'automne 2024, je suis en effet accompagné ce matin du nouveau président de la sixième chambre, Bernard Lejeune, mais aussi du contre-rapporteur Jean-Luc Fulachier et des rapporteurs Nicolas Fourrier et Vincent Dalmais, que je remercie pour leur contribution à la rédaction de cette note précise et synthétique.
Cette note étant la première du genre, je rappellerai tout d'abord quelques éléments de contexte. Jusqu'à la réforme organique de mars 2022, la publication de notre rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, le fameux Ralfss, était couplée au dépôt du PLFSS, ce qui permettait une expression de la Cour sur les finances de la sécurité sociale concomitante au débat parlementaire. Depuis la réforme, le Ralfss est désormais publié fin mai, lors du dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale. La Cour ne publie donc plus d'analyse spécifique sur les grands équilibres et la trajectoire financière du PLFSS. Pour combler ce manque, nous avons pris l'initiative cette année d'examiner la situation financière de la sécurité sociale à l'automne 2024, en intégrant les mesures inscrites dans le PLFSS 2025, afin d'actualiser le Ralfss de mai dernier.
Si vous jugez l'exercice utile, mesdames, messieurs les sénateurs, je forme le voeu qu'il puisse être pérennisé, car il s'inscrit pleinement dans notre rôle de vigie des finances publiques que nous exerçons de concert avec le Parlement.
Notre publication intervient à un moment décisif, qui permet de replacer notre analyse de la situation financière de la sécurité sociale dans le contexte, plus large, de forte dégradation de nos comptes publics. L'objectif de déficit public prévu dans la loi de finances initiale pour 2024 était de 4,4 % du PIB, mais il a été porté à 5,1 % dans le programme de stabilité présenté en avril, et l'année se terminera sans doute par un déficit de 6,1 %, ce qui représente une aggravation de 1,7 point de PIB en un an, autrement dit de 50 milliards d'euros. La situation est inédite hors période de crise, et à contre-courant de la tendance observée chez nos partenaires de la zone euro.
Ce creusement du déficit des administrations publiques en 2024 relève pour plus d'un tiers des administrations de sécurité sociale, qui comprennent l'ensemble des régimes de base de la sécurité sociale, les régimes complémentaires de retraite Agirc-Arrco, le régime d'assurance chômage ainsi que la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Leur solde, qui devait être positif de 0,6 point de PIB, sera finalement à l'équilibre et ne viendra donc pas compenser cette année le solde déficitaire de l'État et des administrations publiques locales.
L'année 2024, cela n'aura échappé à personne, a également été marquée par l'ouverture d'une procédure européenne pour déficit excessif contre notre pays. Sans dramatiser - nous ne sommes pas sous tutelle extérieure, et c'est avant tout pour notre avenir que nous devons agir -, cette procédure nous oblige à transmettre une trajectoire crédible de désendettement fondée sur un budget cohérent. Le 23 octobre dernier, le premier plan budgétaire et structurel de la France à moyen terme (PSMT), prévu par la nouvelle gouvernance des finances publiques européennes, a été présenté au Conseil des ministres, puis transmis au Parlement et à la Commission européenne. Il est plus réaliste que les trajectoires précédentes, ce dont je me réjouis. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), que je préside également, avait souligné l'incohérence de la version présentée dans le programme de stabilité en avril 2024.
L'objectif est désormais de ramener le déficit public sous les 3 points de PIB à l'horizon 2029, et non plus 2027. Il aurait été socialement et économiquement très difficile de le faire en trois ans, mais l'objectif des cinq ans reste ambitieux. Il faut donc être conscient que nous entrons dans un nouveau cycle pluriannuel de finances publiques, non pas un cycle d'austérité, mais un cycle d'efforts après des années expansionnistes commencées avec la crise de la covid-19.
Il était crucial de tenir un discours de vérité aux Français, à nos partenaires européens et à la Commission européenne. Conformément aux règles de gouvernance européenne, la période d'ajustement budgétaire de la France pourra être prolongée à sept ans, mais, en contrepartie, notre trajectoire doit être tenue. Nos programmations pluriannuelles ne peuvent plus devenir caduques dès leur publication.
J'ai été commissaire européen dans une vie antérieure, précisément en charge de ces questions, et, croyez-moi, le plus problématique, c'est l'instabilité chronique, les changements permanents. Nous devons dire où nous allons et nous y tenir.
Pour maîtriser la trajectoire plus raisonnable que nous avons arrêtée, nous devons prendre des engagements très concrets. L'enjeu n'est pas de se soumettre aux marchés ou à l'Union européenne, mais de faire preuve de bon sens. La charge de notre dette était de quelque 25 milliards d'euros en 2021 - l'équivalent du budget du logement -, de 53 milliards d'euros en 2024 - l'équivalent du budget de la défense -, et sans doute de 70 milliards d'euros l'an prochain - presque le budget de l'éducation nationale. Si notre signature devait se dégrader, l'addition pourrait tangenter les 100 milliards d'euros en 2027 ou 2028. Comment financer en même temps la sécurité sociale, l'éducation nationale, la transition écologique ? La dette publique est la dépense publique la plus stupide qui soit ; elle est improductive, elle anesthésie l'action publique.
L'objectif de réduire le déficit structurel de 1,2 point de PIB en 2025 constitue donc une inflexion réelle et bienvenue. C'est la première brique de cette trajectoire de redressement. La marche est haute, l'ajustement majeur, mais je rappelle que nous avons à l'inverse accru le déficit de 1,7 point de PIB en 2024...
Faut-il augmenter les impôts, faire plus d'économies ? Il y a mille façons de réduire le déficit. Je ne veux absolument pas préempter le débat politique, et ce n'est absolument pas mon rôle au demeurant. En revanche, si nous ne tenions pas notre objectif de réduction des déficits, nous nous exposerions à de très grandes difficultés : renchérissement des primes de risque, augmentation du coût de l'argent, diminution de l'investissement, de la consommation, de l'activité... Sans verser dans le scénario catastrophe, auquel je ne crois pas en vérité, nous devons veiller aux effets « boule de neige ».
J'en viens plus spécifiquement à la situation financière de la sécurité sociale, à propos de laquelle la Cour des comptes souhaite vous livrer trois messages principaux.
Nous constatons, premièrement, que le déficit de la sécurité sociale s'est brutalement aggravé en 2024 pour atteindre un niveau alarmant, alors même que les dépenses liées à la crise sanitaire sont désormais résiduelles. C'est d'autant plus préoccupant que nous sommes en période de croissance, fût-elle faible. Avec un tel déficit, la sécurité sociale n'a pas de marges financières pour absorber une éventuelle nouvelle crise sanitaire ou faire face au mur des dépenses médico-sociales et de santé qui s'annoncent sous l'effet du vieillissement de la population.
Nous pensons donc, deuxièmement, qu'un effort vigoureux de maîtrise du déficit de la sécurité sociale est indispensable, dès 2025. Les mesures en recettes et en dépenses présentées dans le PLFSS permettraient certes de contenir le déficit, mais uniquement dans la limite de ce qui était prévu dans la LFSS pour 2024. Il s'agirait donc d'un minimum, conditionné de surcroît aux mesures législatives définitivement adoptées et au comportement des acteurs et prescripteurs du système de santé.
S'agissant, troisièmement, de la trajectoire financière de la sécurité sociale d'ici à 2028, le PLFSS 2025 prévoit une dégradation continue du déficit de la sécurité sociale, sans perspective de retour à l'équilibre financier, comme le prévoyait déjà la LFSS 2024. Cette trajectoire, à notre sens, n'est pas soutenable. La Cour appelle donc à une prise de conscience collective et à des réformes structurelles permettant d'envisager un retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Le déficit de la sécurité sociale devrait finalement s'établir en 2024 à 18 milliards d'euros, selon les données actualisées du PLFSS pour 2025, soit 10,8 milliards d'euros de plus qu'en 2023, et 7,5 milliards d'euros de plus que la prévision initiale pour 2024. Au cours de la dernière décennie, à l'exception des deux années de crise sanitaire, un dépassement d'une telle ampleur est, là encore, sans précédent. Il s'agit surtout d'une rupture dans le processus de résorption du déficit de la sécurité sociale depuis le pic atteint en 2020 lors de la crise sanitaire. La mauvaise exécution de la LFSS pour 2024 s'explique par un effet de ciseaux entre, d'une part, un niveau surestimé de recettes pour la sécurité sociale - c'est aussi le cas pour l'ensemble des administrations publiques en 2024 - et, d'autre part, une dynamique des dépenses de santé insuffisamment maîtrisée.
Vous l'avez relevé dans votre analyse du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023 : l'amélioration des comptes en 2022 et 2023 n'a tenu qu'au reflux des dépenses liées à la crise sanitaire, et non au reflux des dépenses structurelles.
Quant aux recettes, elles sont inférieures de 6,2 milliards d'euros à la prévision initiale, en raison, sans doute, de projections macroéconomiques trop optimistes. L'évolution de la masse salariale serait ainsi de 3,2 %, contre une prévision de 3,9 % en LFSS, ce qui conduit à un manque à gagner de 2,9 milliards d'euros de recettes assises sur les revenus du travail. Par ailleurs, la moindre dynamique de la TVA, dont 28 % est affecté à la sécurité sociale, pèse également sur les recettes. Cela fait partie des sujets qu'il faudra étudier : la composition de la croissance a peut-être changé, il est possible qu'elle soit davantage tirée par les exportations désormais... Ce n'est pas une mauvaise chose, mais c'est la consommation qui fabrique de la TVA, non l'export. Enfin, les recettes de la fiscalité comportementale sont en retrait par rapport aux prévisions.
Aurait-il été possible d'atténuer le déficit en 2024 ? Plusieurs signaux d'alerte avaient été émis. En 2023, le HCFP avait jugé optimiste la prévision de croissance de 1,4 % retenue par la loi de finances pour 2024. Le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale avait détecté, en 2024, 5,4 milliards d'euros de recettes manquantes. Enfin, dans son avis de juillet 2024, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie avait relevé que la progression spontanée des dépenses de soins de ville, trop rapide, dépassait la prévision de 1 milliard d'euros.
Pour prendre en compte ces alertes, la meilleure solution aurait incontestablement été l'examen d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, ce qui aurait permis de débattre des conditions du rétablissement de l'équilibre financier.
La dégradation des comptes est imputable - dans des proportions équivalentes avoisinant 3,5 milliards d'euros - à la branche vieillesse, dont le déficit atteindrait 5,5 milliards d'euros, et à la branche maladie, dont le déficit continuerait à progresser pour atteindre 14,6 milliards d'euros. En parallèle, les excédents structurels se réduiraient en 2024 pour la branche famille, à 0,4 milliard d'euros, et pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), à 0,7 milliard d'euros. Seul le solde de la branche autonomie se rétablirait, à 0,9 milliard d'euros.
L'excédent de la branche AT-MP s'inscrirait dans un contexte de renforcement de la prévention et d'évolutions des prises en charges liées tant aux troubles musculo-squelettiques qu'aux risques psychosociaux. Le récent rapport de votre commission Les grands enjeux de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), par Mmes Marie-Pierre Richer et Annie Le Houerou, souligne ces évolutions.
Quant à la branche autonomie, elle fait face au défi majeur de l'amélioration de l'accueil des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Je tiens, à cet égard, à insister sur la situation financière des établissements médico-sociaux, analysée dans le rapport de votre commission Ehpad : un modèle à reconstruire, par les sénatrices Chantal Deseyne, Solanges Nadille et Anne Souyris. La Cour des comptes avait elle-même réalisé un rapport à votre demande, que j'étais venu présenter ici : La prise en charge médicale des personnes âgées en Ehpad. Celui-ci soulignait un besoin incontestable de financements supplémentaires pour ces établissements. La difficulté est manifeste : alors que la branche est faiblement excédentaire, il faut accroître les dépenses.
La branche vieillesse reste encore fortement déficitaire. La hausse des dépenses, de 6,8 %, avait été anticipée dans la LFSS pour 2024, en raison de la forte revalorisation des pensions au 1er janvier dernier, avec, en outre, des effets financiers limités de la réforme des retraites, la revalorisation des minima de pension étant équivalente aux économies permises par les mesures d'âge.
Le déficit de la branche maladie se cristalliserait désormais à un niveau proche de 15 milliards d'euros. Il s'explique en partie par le rattrapage non financé des salaires du personnel hospitalier décidé dans le cadre du Ségur de la santé, à hauteur de 12 milliards d'euros par an, mais aussi par l'accumulation de dépassements importants de l'Ondam au cours des dernières années, notamment du fait des soins de ville. Ainsi, les dépenses de l'Ondam, qui devaient progresser de 7 milliards d'euros en 2024, augmenteraient finalement de 8,2 milliards d'euros. Nous appelions dans le Ralfss à une « reprise en main » du pilotage de cet objectif après les dépassements de 2022 et 2023 ; je renouvelle le message pour 2025 !
À cela s'ajoute le déficit des hôpitaux publics, qui a atteint des proportions inédites en 2023 à 2,1 milliards d'euros, contre 1,3 milliard d'euros en 2022 et 0,4 milliard d'euros en 2021. Il y a néanmoins deux bonnes nouvelles dans ce domaine : un, l'activité en nette reprise au premier semestre 2024, à hauteur de 4,3 %, pourrait enfin permettre de repasser au-dessus du volume d'avant la crise sanitaire ; deux, l'investissement pourrait atteindre 5,6 milliards d'euros, avec, comme nécessaires objectifs, de remédier à la vétusté des installations et d'améliorer les conditions de travail des personnels. On ne peut néanmoins que regretter que les 13 milliards d'euros de ressources de la Cades destinés au désendettement et à la relance de l'investissement hospitalier sur la période 2021-2029 aient été saupoudrés, comme le montre notre rapport d'octobre 2023 La situation financière des hôpitaux publics après la crise sanitaire.
En définitive, il en va des finances sociales comme de celles de l'ensemble des administrations publiques : l'année 2024 a été particulièrement négative, avec une dégradation inédite du déficit hors période de crise. Ce tableau peu optimiste appelle des efforts immédiats. Sans mesure correctrice, le déficit s'établirait en effet à 28,4 milliards d'euros dès l'an prochain, selon le dernier rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale.
Le PLFSS pour 2025 vise un effort de l'ordre de 12,4 milliards d'euros, réparti entre une baisse des dépenses de 4,9 milliards d'euros et une augmentation des recettes de 7,5 milliards d'euros. Cela représente environ un cinquième de l'effort global de 60 milliards d'euros sur les finances publiques proposé par le Gouvernement. L'objectif figurant dans le texte est un déficit ramené à 16 milliards d'euros à la fin de 2025, un montant proche de ce qui était prévu dans la trajectoire figurant dans le précédent PLFSS.
Les principales mesures concernent logiquement les deux branches déficitaires.
Je pense notamment à la réduction des allégements généraux de cotisations sociales, qui ont bondi de 60 milliards d'euros en 2019 à 80 milliards d'euros en 2024. Le gain financier serait de 4,1 milliards d'euros pour la sécurité sociale, ce qui paraît raisonnable au regard de la progression des dernières années et de la considérable dégradation des finances publiques. Au passage, je note que l'on commence à revenir en partie sur les niches sociales liées aux compléments de salaire, qui ont fait l'objet d'un chapitre du Ralfss en mai dernier. La possible inclusion de la prime de partage de la valeur dans le calcul du revenu de référence pour les allégements généraux et les évolutions en matière de déduction forfaitaire spécifique constituent un premier pas vers le retour au droit commun que nous encourageons.
Deux mesures importantes concernent le rééquilibrage de la branche vieillesse. En premier lieu, le décalage pérenne de six mois de l'indexation des pensions de retraite - au 1er juillet, au lieu du 1er janvier - représenterait une économie annuelle avoisinant 3 milliards d'euros pour la sécurité sociale et 4 milliards d'euros pour l'ensemble des finances publiques. Il n'appartient pas à la Cour de discuter de l'opportunité de cette mesure, qui sera largement débattue, même si quelques éléments objectifs sont sans doute à prendre en compte. En second lieu, le PLFSS fait apparaître un effort d'économie supplémentaire du système de santé lié au rééquilibrage financier de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), dont la situation n'avait pas été prise en compte dans le cadre de la réforme des retraites d'avril 2023.
La progression de l'Ondam au titre de 2025 est revue à 2,8 %. Une telle rectification paraît équilibrée : elle permet de tirer les conséquences du dépassement de l'année précédente et de prendre en compte la révision à la baisse de l'inflation. Parmi les économies imposées au sein de l'Ondam, certaines sont en réalité des transferts de charge vers les organismes complémentaires de santé. Toutes ces mesures, si elles étaient in fine adoptées, représenteraient un quantum raisonnable. Il resterait toutefois une incertitude sur leurs conditions d'exécution, qui reposent sur des hypothèses économiques favorables. De fait, selon le Haut Conseil des finances publiques, la prévision de croissance de 1,1 % est « un peu élevée compte tenu de l'orientation restrictive du scénario de finances publiques associé ». En appliquant ce que les économistes appellent un multiplicateur keynésien, certains instituts de conjoncture parlent plutôt de 0,7 % ou de 0,8 % de croissance. D'où une prévision de masse salariale pour 2025 jugée un peu optimiste.
La trajectoire financière dessinée dans le PLFSS, qui doit contribuer à l'objectif de repasser sous le seuil des 3 % de déficit public en 2029, ne nous paraît pas suffisamment soutenable. Le déficit annuel de la sécurité sociale se dégraderait de manière continue pour atteindre 19,9 milliards d'euros en 2028, sans perspective de retour à l'équilibre financier. Cette situation reflète la part croissante des dépenses de sécurité sociale dans le PIB, sans véritable solution de financement. Or cette part est appelée à croître encore, en raison du vieillissement de la population et du développement des maladies chroniques. Les dépenses de retraite progresseraient de 13,4 % du PIB en 2023 à 13,7 % en 2027.
En outre, le niveau des déficits prévus de 2026 à 2028 excède la capacité annuelle de la Cades, soit 16 milliards d'euros, éloignant toute perspective de réduction de la dette sociale. La Cour a déjà insisté, dans le dernier Ralfss, sur ce « point de bascule » préoccupant. La trajectoire financière conduirait à l'accumulation d'un stock de dettes sociales estimé à près de 100 milliards d'euros d'ici à 2028, c'est-à-dire à environ 3 % du PIB, et ce sans solution de financement puisque la capacité de reprise de la Cades est saturée, ou presque. En conséquence, les déficits sont dorénavant financés par l'Urssaf Caisse nationale, qui a pour mission d'assurer la trésorerie de court terme des régimes de sécurité sociale. Dès 2024, le montant total des déficits à couvrir par cet organisme se rapprochera sensiblement de son plafond d'emprunt, fixé à 45 milliards d'euros. Pour y remédier, le PLFSS 2025 prévoit deux mesures : d'une part, un relèvement de ce plafond à 65 milliards d'euros et, d'autre part, l'allongement de la durée maximale d'emprunt de l'Urssaf Caisse nationale allongée à vingt-quatre mois. Cela étant, l'organisme n'a pas vocation à soutenir dans la durée des montants élevés de dette sociale.
Cette situation appelle à une reprise en main de la trajectoire financière de la sécurité sociale. La solution en apparence la plus simple serait un nouveau report de la durée de vie de la Cades au-delà de 2033 et, donc, un report des prélèvements dont celle-ci bénéficie. Une telle décision supposerait le vote d'une loi organique. Ce recours ne remédierait pas à la situation structurellement déficitaire de la sécurité sociale et n'empêcherait pas la poursuite de l'accumulation de dettes. Le traitement du stock de dettes des prochaines années doit en conséquence s'accompagner d'une stratégie pluriannuelle crédible de remise en ordre des comptes de la sécurité sociale, condition nécessaire pour permettre à la Cades de faire appel, dans de bonnes conditions, aux marchés financiers.
L'impasse de financement dans laquelle nous nous trouvons impose désormais de prendre des mesures de redressement dans un cadre pluriannuel, ce que la Cour suggère dans ses rapports. Je me refuse à considérer qu'il y aurait une forme de fatalité au déficit croissant de la sécurité sociale. Il est indispensable d'en reprendre le pilotage financier pour assurer la pérennité de notre modèle de solidarité et de cohésion : c'est l'héritage que nous léguons aux générations futures. Nous avons la responsabilité d'en assurer l'équilibre financier.
Je préconise une approche responsable, qui concilierait les réponses aux besoins sociaux et nos capacités de financement, en étant à la fois socialement acceptable et économiquement soutenable. Atteindre le point d'inflexion est une impérieuse nécessité ; à la démocratie de s'exprimer, ensuite, sur la façon d'atteindre cet objectif.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir éclairés, même si nous disposions déjà d'un certain nombre d'éléments. Nous avons conscience de la situation, conscience que les constats de la Cour viennent renforcer.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Nous remercions l'ensemble des membres de la Cour pour les éclairages essentiels qu'ils nous apportent - je pense notamment à celui sur la CNRACL, que vous avez évoquée dans vos propos, monsieur le Premier président.
Vous évoquez une dégradation très significative, une crise d'une ampleur inédite. Je ne vais pas vous redemander pourquoi nous en sommes là - vous avez évoqué les origines de la situation -, mais que pensez-vous de la méthodologie des prévisions ? Selon vous, un projet de loi de financement rectificative aurait été nécessaire ; il n'y en a pas eu. Vous avez également signalé que le rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale du mois de mai et l'avis du comité d'alerte du mois de juillet avaient, d'une certaine manière, été mis sous le tapis.
Quelle méthodologie nous proposeriez-vous, afin que nous réagissions plus tôt et évitions de nous retrouver dans une telle situation ?
Par ailleurs, des mesures importantes ont été prises sur les retraites, même si elles demeurent insuffisantes. Ce n'est pas le cas pour les dépenses de santé. La Cour considère donc, dans son dernier Ralfss, que l'effort à réaliser d'ici à 2028 doit « porter en priorité sur la branche maladie ». Pouvez-vous nous rappeler, à cet égard, vos principales propositions concrètes de réformes structurelles ?
Vous évoquez la nécessité d'un nouveau transfert de dette à la Cades et, donc, d'une loi organique pour repousser une nouvelle fois l'échéance de 2033, sous réserve de perspectives crédibles de retour à l'équilibre pour permettre le transfert. Interrogé par notre commission sur cette question, le ministre chargé du budget et des comptes publics a insisté, avant toute chose, sur la nécessité d'avoir cette trajectoire crédible de retour à l'équilibre. Quelles mesures concrètes pour aller en ce sens ? Faudrait-il prévoir, par exemple, des mesures d'économies supplémentaires de 5 ou 6 milliards d'euros par an à partir de 2026, soit deux fois moins que ce qui est prévu en 2025, et compléter cela par des transferts de recettes si, comme nous pouvons le craindre, l'hypothèse de croissance du Gouvernement se révèle optimiste ?
La Cour écrit que « l'estimation d'économie [de la réforme des allégements généraux] ne prend pas en compte le surcoût, non chiffré pour la sécurité sociale, lié aux potentielles suppressions d'emplois qui résulteraient de cette hausse ». J'ai eu l'occasion d'en parler à la ministre du travail, hier. Si on suppose que la réforme mettrait 40 000 personnes au chômage, à combien peut-on chiffrer ce « surcoût » ?
M. Pierre Moscovici. - J'aurai une réponse brève et générique sur la méthodologie. Le débat s'ouvre à peine, il faudra bien comprendre ce qui s'est passé, non pas pour dresser un quelconque procès en responsabilité, mais pour éviter de réitérer les mêmes erreurs. Sur les recettes, constatons qu'il y a eu des erreurs en 2023, et qu'elles se sont répétées et amplifiées en 2024, avec, au passage, un effet boule de neige, faute d'avoir fait les corrections nécessaires.
Personne, donc, n'a à l'heure actuelle la réponse à votre question. La dérive des comptes publics en 2024 découle de trois facteurs, dont il nous faudra apprécier le poids respectif. D'abord, des erreurs de prévisions ont été commises, et c'est un point - je suis obligé de le dire - que nous avions souligné dans plusieurs de nos avis. Ensuite, la dynamique des dépenses n'a pas concerné que les collectivités locales ; il faut regarder l'évolution des dépenses de chacun des trois ensembles constitutifs de notre sphère publique : État, collectivités locales et sécurité sociale. Enfin, et peut-être surtout, les recettes publiques ont connu une attrition encore inexpliquée, les recettes de la sécurité sociale n'échappant pas à ce phénomène extrêmement spectaculaire. La TVA est particulièrement concernée, mais aussi l'impôt sur les sociétés. Notre machine à prévoir les recettes est en partie cassée.
Il faudra, sur ce sujet, une réflexion collective. La commission des finances de l'Assemblée nationale, transformée en commission d'enquête, et la Cour des comptes, au travers de sa première chambre, contribueront à ces travaux. La publication de notre rapport sur l'exécution du budget de l'État sera effectivement à peu près concomitante avec les résultats de la commission d'enquête, vers le début du printemps.
Une fois la boîte noire ouverte, nous pourrons réfléchir aux solutions. Je n'ai jamais évoqué en public l'une d'entre elles, qui ne correspond pas vraiment à notre culture administrative, mais je l'instille ici : soustraire l'exercice de prévisions à l'administration, qui est sous le contrôle du politique, et le confier à une institution indépendante, qui pourrait être le Haut Conseil des finances publiques. Cette piste n'est pas totalement baroque, car cette pratique correspond à celle d'un certain nombre de nos partenaires européens. L'exemple le plus frappant est l'Office for Budget Responsibility au Royaume-Uni.
Je tâcherai d'élaborer un peu plus ma proposition dans les semaines à venir, d'autant que j'imagine être auditionné par la commission d'enquête. Objectiver la prévision est en tout cas un but tout à fait souhaitable, certains commentaires évoquant une baisse de la qualité des estimations. Dans ce jeu de ping-pong entre l'administration et le politique, une solution peut émerger...
Les Ralfss des dernières années ont été riches en propositions de réformes structurelles. Pour me limiter au dernier, datant de mai 2024, il proposait de revenir sur les exemptions et exonérations de charges sociales pour certaines primes, dont le poids représente plus de 13 % de la rémunération des salariés. Plusieurs scénarios étaient présentés afin de faire évoluer l'équilibre dans la prise en charge des congés maladie, entre l'assurance maladie, les entreprises et, pour une faible part, les salariés eux-mêmes. Il était proposé de restreindre à l'hôpital le recours aux médecins contractuels et de mieux piloter la gestion des lits. Pour les soins de ville, nous suggérions de changer considérablement d'échelle - nous insistons sur ce point - dans la lutte contre les fraudes. Nous recommandions enfin la création d'un sous-objectif spécifique au médicament au sein de l'Ondam.
De telles réformes, si elles sont appliquées, peuvent avoir de fortes répercussions sur les dépenses. Il appartient au Parlement de définir leurs conditions de mise en oeuvre. De manière générale, le déficit structurel de l'assurance maladie appelle à revoir l'organisation de notre système de santé, qui a bénéficié d'une hausse importante de crédits ces dernières années sans objectif précis d'amélioration de la qualité, de l'accessibilité et de la sécurité des soins.
Je n'ajouterai pas grand-chose à mon intervention liminaire sur la Cades ; je ne veux pas épuiser tout de suite les travaux en la matière !
Enfin, le chiffrage de la mesure de réduction des allégements généraux se limite bien aux effets directs de la baisse des avantages, toutes choses égales par ailleurs, comme c'est le cas pour l'ensemble des estimations produites dans le cadre des projets de loi de financement de la sécurité sociale. En cela, nous suivons la méthode habituelle de construction budgétaire. Dans son analyse, la Cour prend néanmoins la précaution de préciser que l'estimation de 4,1 milliards d'euros d'économies ne tient pas compte des effets indirects.
À cet égard, c'est moins les effets mécaniques en croissance du nombre de chômeurs que les effets indirects sur la masse salariale qui vont impacter les comptes de la sécurité sociale. La réduction des allégements généraux se traduirait par un renchérissement du coût du travail pour les entreprises. Certaines devraient recruter moins ou licencier beaucoup pour réduire les hausses de salaire qu'elles envisagent d'accorder à leurs salariés et compenser la charge nouvelle. La somme de tous ces effets amoindrira les gains de recettes attendus pour la sécurité sociale. L'effet global dépend toutefois de l'équilibrage final des réductions d'allégement, au niveau du Smic ou de salaires plus élevés.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Dans le Ralfss de 2024, la Cour des comptes relevait qu'en l'absence de mesures, le déficit de la CNRACL représenterait en 2027 les trois quarts du déficit de la branche vieillesse et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Pour y remédier, le Gouvernement prévoit d'augmenter le taux de contribution employeur de quatre points par an pendant trois ans. Nous avons entendu, hier, le président du conseil d'administration de la CNRACL, qui nous a longuement parlé des problèmes structurels rencontrés par la Caisse, notamment la tendance démographique défavorable à moyen et long termes. Il nous a également fait part du poids croissant de la dette financière et du fait que l'Urssaf Caisse nationale augmentait les taux d'intérêt payés par la CNRACL, avec une marge financière justifiée par la fragilité de sa situation.
Quelles solutions vous semblent envisageables pour résorber le déficit de la Caisse, sachant qu'il n'est pas certain que la hausse envisagée puisse être effectivement supportée par les collectivités territoriales et les établissements hospitaliers ? Ne pourrait-on pas prévoir un rachat de la dette de la CNRACL par la Cades ?
S'agissant de la branche vieillesse, si les prévisions figurant dans le PLFSS pour 2025 sont plus optimistes que celles qui figurent au PLFSS pour 2024, il apparaît néanmoins que le déficit continuera à s'aggraver en 2028, date à laquelle il serait de 6,1 milliards d'euros. Pensez-vous qu'un allongement de la durée du travail soit à nouveau nécessaire ? Quelles sont vos préconisations pour résorber ce déficit ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche maladie. - Vous rappelez que la bonne exécution de l'Ondam en 2025 est conditionnée à la réalisation d'un niveau d'économies sans précédent, d'un montant de 4,9 milliards d'euros. Le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie et le Haut Conseil des finances publiques ont souligné le caractère optimiste de cet objectif en raison du caractère très incertain des économies projetées, tant pour le sous-objectif relatif aux dépenses de soins de ville que pour celui relatif aux établissements de santé.
Nous en déduisons que la projection de l'Ondam a peu de chances d'être respectée en exécution. Devons-nous porter la même appréciation sur les prévisions établies pour 2026 à 2028 ? Ces dernières sont-elles étayées et vous paraissent-elles plausibles, en l'état des informations dont vous disposez ? Quels seraient pour la Cour les scénarios plausibles de redressement des comptes de la branche maladie ? À quel horizon ?
Vous appelez à reprendre le pilotage financier des comptes de la sécurité sociale. Alors que le comité d'alerte, à la main du Gouvernement, a un seuil d'alerte fixé à 0,5 % de l'objectif, le Sénat avait voté une disposition en 2023 et en 2024 visant à considérer que l'équilibre général de la sécurité sociale était remis en cause si le seuil atteignait les 1 %. L'idée est de déclencher la sollicitation de la commission des affaires sociales prévue dans la loi organique. Que pensez-vous d'une telle disposition ?
Vous indiquez, dans votre communication sur les comptes de la sécurité sociale, que « la persistance de [...] déficits fragilise la sécurité sociale et l'expose à des difficultés supplémentaires en cas de nouvel aléa conjoncturel ou d'événements affectant ses recettes ou ses dépenses ». Faut-il comprendre de cette affirmation que notre système de financement ne pourrait pas absorber un nouvel événement exceptionnel du type de celui du covid-19 ?
Dans le Ralfss de mai dernier, la Cour recommande de renforcer la contribution des soins de ville à l'effort de régulation des dépenses d'assurance maladie. Pour cela, elle préconise de mettre en place des dispositifs qui permettraient de compenser les dépassements constatés par rapport aux objectifs adoptés en loi de financement de la sécurité sociale. Quels sont les types de dispositifs envisagés ? La possibilité de procéder à des baisses de tarif unilatérales, telle que prévue par le Gouvernement dans le champ de l'imagerie ou de la biologie, répond-elle à cette recommandation ?
Au-delà de la dynamique des dépenses de soins de ville qui demeure difficile à réguler, une inquiétude forte porte actuellement sur la situation des établissements de santé, notamment des hôpitaux publics dont les indicateurs financiers s'aggravent et dont les déficits cumulés, qui se creuseront encore en 2024, devraient déjà dépasser les 2 milliards d'euros en 2023. Cette situation limite leur capacité à investir et peut mettre en difficulté l'offre de soins au niveau local. Vous avez noté que l'investissement redémarrait : sera-t-il suffisant pour autant ?
Vous préconisez d'engager des réformes structurelles en matière d'organisation de l'offre de soins dans les territoires, mais de telles réformes ne peuvent produire leurs effets qu'à long terme alors que les tensions sur l'investissement et sur l'offre de soins sont immédiates et très concrètes. Quelles pistes propose la Cour pour résoudre cette difficile équation ?
M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Les indus de la branche famille vous ont poussés à ne pas valider les comptes. Pensez-vous que les décisions prises à ce sujet sont amenées à résoudre le problème dans les années à venir ?
En suivant la pente actuelle, la branche famille sera bientôt non plus excédentaire, mais à l'équilibre, du fait du transfert de la prise en charge financière des indemnités journalières à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Quelles sont les prévisions de la Cour quant à l'évolution des comptes de la branche pour les prochaines années, compte tenu du vote créant un service public de la petite enfance ?
Il a été décidé, dans le cadre du Ségur de la santé, d'un certain nombre de moyens à investir. Pourtant, nous avons presque l'étrange sentiment que rien ne s'est passé ! N'aurait-il pas fallu accompagner une évolution structurelle plus lourde ? Compte tenu des moyens que nous avons consacrés, c'est un peu le tonneau des Danaïdes.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche AT-MP. - La branche AT-MP, jusqu'à présent excédentaire, devient déficitaire, alors que nous regrettons un manque d'investissement. La Cour des comptes a publié un audit flash en 2024, assez critique sur certains outils de la politique de prévention de cette branche, déplorant une logique de guichet qui n'encourage pas à l'efficience. Annie Le Houerou et moi parvenons au même constat au travers du rapport que nous avons présenté, en soulignant l'insuffisance du ciblage des subventions en faveur de la prévention.
Localement, la situation actuelle peut créer des difficultés. En effet, les subventions sont attribuées selon une logique de « premier arrivé, premier servi », qui conduit parfois à léser des entreprises dont les besoins seraient avérés. Quelles réponses estimez-vous envisageables pour sortir la politique de prévention de la branche d'une logique de guichet et pour encourager un meilleur ciblage sur les entreprises qui en ont le plus besoin ?
Quelles leçons devons-nous tirer du défaut d'efficacité de certaines politiques de prévention alors que le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu) poursuit sa montée en charge rapide et appelle à une utilisation efficiente des moyens compte tenu de la situation financière de la branche ? Quels sont plus généralement les enjeux propres à la branche pour la Cour des comptes ?
M. Pierre Moscovici. - La CNRACL - je le répète - est un angle mort de la réforme des retraites, comme nous l'avions souligné à l'époque, alors même que cette structure représentera les trois quarts du déficit de la branche en 2030. Puisque le déséquilibre est structurel, il faut rétablir l'équilibre financier. Pour cette raison, attendons-nous à ce que l'augmentation des cotisations employeur prévue en 2025 se poursuive en 2026 et 2027. Elle est indispensable pour assurer la pérennité de la CNRACL. Le PLFSS traduit cette hausse par un effort d'économies supplémentaire du système de santé, à due proportion.
La hausse des taux de cotisation, étalée sur trois ans, est une piste utile, qui a été préconisée par le rapport de l'inspection générale des finances (IGF), l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'inspection générale de l'administration (IGA).
Il faut effectivement mieux gérer la dette de la CNRACL, dans un contexte où, compte tenu de la hausse des taux, de l'état des finances de la sécurité sociale et de celui des finances de la Caisse, le coût de l'intervention de l'Urssaf Caisse nationale s'élève.
Madame Gruny, le choix d'augmenter les recettes de la branche vieillesse relève du Gouvernement et du Parlement. Nous pouvons sans doute en premier lieu réduire les niches. La reprise de la dette de la Cades ne peut être une solution que marginalement étendue à la CNRACL : les limites sont procédurales, juridiques et financières.
Madame Imbert, la bonne tenue de la trajectoire de l'Ondam d'ici à 2028 implique la poursuite d'efforts sur la durée concernant la branche maladie et sa « reprise en main », pour utiliser une expression qui peut paraître ferme. De 2026 à 2028, la trajectoire repose sur une progression moyenne de 2,9 points par an, soit 1,2 point au-dessus de l'inflation - un chiffre identique à la trajectoire de la période 2017-2019, qui a été respectée.
Cette progression est donc réaliste, mais ne permet pas pour autant de revenir à l'équilibre financier : la question est politique, car, de facto, nous savons comment prendre en main la situation, comme je l'ai entendu au cours d'une audition de M. Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), pour préparer les revues de dépenses que je remettrai au Premier ministre prochainement. Cette progression permet seulement de stabiliser le déficit.
À ce stade, les mesures d'économie prévues d'ici à 2028 ne sont pas documentées dans les annexes du PLFSS. Elles sont pourtant indispensables. Il ne sera pas possible de décider chaque année de nouvelles baisses de remboursement ou de nouveaux transferts de charges vers les organismes complémentaires. Le premier objectif doit donc être d'assurer l'exécution de l'Ondam, conformément aux prévisions initiales. Le comité d'alerte de l'Ondam rappelle dans son avis du 30 octobre dernier les « risques élevés de dépassement s'agissant des dépenses de soins de ville et de soins en établissement de santé ». Il est encore temps de définir précisément les économies en mettre en oeuvre.
À plus long terme, le retour de la branche maladie vers une situation financière plus équilibrée suppose de mettre en oeuvre dans un cadre pluriannuel des réformes structurelles dans le domaine de la santé. Il faut les préparer dès maintenant. Les hôpitaux publics bénéficient d'une enveloppe de 13 milliards d'euros dans le cadre du Ségur de la santé sur la période 2021-2029, dont 6,5 milliards d'euros sont alloués au désendettement et 6,5 milliards d'euros à la relance de l'investissement hospitalier. Ce financement, qui n'est pas comptabilisé dans l'Ondam, doit être utilisé pour faire évoluer notre système vers plus d'efficience. Il ne s'agit pas de proposer je ne sais quelle politique d'austérité au détriment de nos concitoyens.
La trajectoire financière de la sécurité sociale, qui n'est pas excessive, est effectivement sur une mauvaise pente. De fait, à notre sens, elle n'est pas en l'état totalement soutenable alors que nous connaissons une période de croissance économique. Même si toutes les mesures prévues dans le PLFSS pour 2025 sont votées et exécutées, permettant de respecter cette trajectoire jusqu'en 2028, le déficit continuera à s'aggraver. Pourtant, en 2019, à la veille de la crise sanitaire, la sécurité sociale était presque revenue à l'équilibre financier après le pic de déficit qui avait suivi la crise financière de 2008.
La trajectoire financière de la sécurité sociale conduit à une accumulation de déficit de près de 100 milliards d'euros d'ici à 2028. Imaginons qu'une crise sanitaire survienne à nouveau : contrairement à 2020, la Cades ne pourrait pas en supporter les conditions financières.
La dynamique des dépenses de soins de ville dépasse chaque année la progression de l'Ondam inscrite en LFSS. Contrairement aux autres sous-objectifs, il n'existe pas de mécanisme de mise en réserve de crédits susceptibles d'être annulés en fin d'année.
À nouveau en 2024, une annulation des crédits des établissements médico-sociaux est prévue pour atténuer en partie le dépassement de ces soins. Les mécanismes de régulation des soins de ville sont toutefois extrêmement insuffisants. Seul le report de six mois de l'entrée en vigueur de nouvelles conventions de professionnels de santé est mis en oeuvre. En revanche, la suspension sous condition de l'entrée en vigueur des mesures conventionnelles n'est pas envisagée. La Cour propose donc d'instituer des mécanismes de régulation des soins de ville qui soient plus opérants.
Pour les professions prescriptives de soins, la nouvelle convention médicale signée en juin 2024 pour la période allant jusqu'à 2029 ne contient qu'une seule clause de rendez-vous, lequel se tiendra en septembre 2025. Ce n'est pas suffisant pour s'assurer du suivi des engagements de chaque partie. Le mécanisme de régulation prix-volume, négocié par la Cnam avec le secteur de la biologie médicale, est, à notre sens, à étendre au secteur de la radiothérapie et de l'imagerie médicale dans l'objectif de fixer sur plusieurs années des enveloppes de dépenses compatibles avec le taux de progression de l'Ondam.
Pour les dépenses de produits de santé, qui relèvent largement des soins de ville, la Cour a recommandé la création d'un sous-objectif spécifique.
La situation des établissements de santé est incontestablement un point d'attention, notamment celle des hôpitaux publics, dont les indicateurs financiers s'aggravent et dont les déficits cumulés devraient déjà dépasser les 2 milliards d'euros en 2023. Toute action de rétablissement des comptes prendra du temps. Il faut agir avec méthode et détermination pour viser à la fois la qualité des soins, la sécurité de ces derniers et l'équilibre financier. La première étape est sans doute d'analyser les causes du déficit croissant. Une part est liée à des facteurs conjoncturels, communs à tous les hôpitaux, comme l'inflation, mais il faut constater, au-delà, une extrême hétérogénéité de la situation financière des établissements. Il faut donc examiner ces derniers au cas par cas : territoire, taille, spécialités...
Le modèle en difficulté est celui de l'hôpital généraliste de taille petite et moyenne, isolé sur son territoire. Ce type de structure éprouve des difficultés croissantes à stabiliser sa patientèle, à fidéliser son personnel soignant et, à terme, à assurer de meilleures conditions de qualité et de sécurité des soins. Vous êtes les représentants des territoires et j'ai moi-même été un élu local - trop jeune ou trop vieux, je n'ai pas l'âge d'être amnésique ! - : nous touchons à quelque chose d'extrêmement sensible. Nous sommes attachés à la présence des services publics sur les territoires, mais d'autres difficultés apparaissent s'ils sont de faible qualité.
La Cour a préconisé la préparation de stratégies individuelles de retour à l'équilibre financier pour les hôpitaux publics dont la situation est parmi la plus dégradée. À la demande des agences régionales de santé (ARS), une quarantaine d'établissements identifiés comme fragiles a connu un audit en 2023 et en 2024 par l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap). Cette démarche est assurément à poursuivre. À moyen terme, les hôpitaux les plus en crise - ils ne sont pas nombreux - devraient envisager des regroupements ou des fermetures de services dans le cadre d'une réorganisation de l'offre régionale de soins. Les 13 milliards d'euros financés par la Cades pour le désendettement des établissements de santé et pour la relance de l'investissement hospitalier doivent être mobilisés en ce sens, comme l'a recommandé la Cour dans son rapport d'octobre 2023.
Monsieur Henno, les pertes après contrôle de la branche famille en 2022 étaient de 5,8 milliards d'euros, dont plus des trois quarts proviennent d'indus. La Cour a donc refusé de certifier les comptes cette année-là.
La Cour, conformément à la loi organique, consacre des moyens non négligeables, tant en quantité qu'en qualité, à la certification des comptes de la sécurité sociale et de l'État, ce qui nous a conduits à un refus, en 2022, ou à des réserves, malgré l'attention plus que distraite des pouvoirs publics. Qui pourrait imaginer une entreprise qui considérerait comme peu important le fait que son commissaire aux comptes refuse la certification ou l'accepte avec des réserves substantielles ? Je suis choqué chaque année par cet état de fait. La Cour doit être respectée par l'État dès lors que le peuple souverain l'a chargée de cette mission. Nos experts de certification - ils sont vingt-cinq dans la première chambre et autant pour les comptes de l'État - sont des jeunes très bien formés qui choisissent d'être auprès de nous au lieu de travailler dans les big five des cabinets d'expertise comptable.
En 2023, nous avons constaté un progrès, insuffisant toutefois pour certifier les comptes. La Cnaf a mis en oeuvre des actions pour redresser la situation. Les travaux de certification sont à nouveau en cours. La Cour présentera son rapport à la mi-mai. Certains nous écoutent, mais il faut nous écouter jusqu'au bout !
Aucune économie ni ressource nouvelle n'a été décidée pour financer le Ségur de la santé. Je ne discute absolument pas de la légitimité des décisions attendues par les professionnels, mais il faut trouver les moyens de ces mesures, car les effets du Ségur n'ont absolument pas été pris en compte dans la trajectoire de l'Ondam.
Madame Richer, la branche AT-MP est totalement gérée par les partenaires sociaux, avec un souci constant d'accompagnement des salariés. Elle est excédentaire historiquement et tend à devenir déficitaire, à hauteur de 500 millions d'euros en 2028. La piste essentielle pour limiter les coûts est bien le renforcement de la prévention, comme pour l'ensemble des dépenses de santé en général. L'exemple du secteur du bâtiment est intéressant à ce titre : il faut le suivre dans le secteur tertiaire et dans les Ehpad.
Il faut prendre compte deux évolutions : les troubles musculo-squelettiques et les troubles psychologiques au travail. Il faut à ce titre mettre en oeuvre des mesures nouvelles.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Vous mentionnez dans votre rapport les exemptions d'assiette, passées de 10 milliards d'euros en 2017 à 20 milliards d'euros actuellement. Nous avions souligné le problème de leur réintégration dans le revenu de référence lors de l'examen de la loi du 29 novembre 2023 portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise. Les primes de partage de la valeur ne seront-elles toujours pas soumises à cotisations sociales ?
L'ensemble des mesures du plan gouvernemental a un effet récessif sur le PIB de 0,6 à 0,8 point. Est-il pris en compte ?
Le coefficient multiplicateur demeure le même, quel que soit le niveau des mesures d'exonération de cotisation : 1,2 Smic, 1,4... Quel est alors l'intérêt de cet outil ?
M. Daniel Chasseing. - Nous sommes d'accord pour conserver la retraite à 64 ans pour équilibrer la sécurité sociale. En revanche, la non-indexation des retraites pose problème, surtout pour les personnes seules qui reçoivent une pension d'un faible montant. Une indexation sur l'évolution du Smic est-elle envisageable ? Combien coûterait-elle ?
M. Alain Milon. - Cela fait des années que j'entends la Cour des comptes nous alerter sur le dépassement quasi constant de l'Ondam. Dans le même temps, elle réclame un retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. Ne pensez-vous pas que le taux de progression de l'Ondam, tel qu'il est fixé, n'est pas adapté aux besoins réels de santé de la population ?
Mme Anne Souyris. - Lors de sa dernière audition au Sénat, Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, indiquait que le vieillissement de la population n'avait pas été pris en compte dans les perspectives pluriannuelles. Il s'agit pourtant d'un phénomène prévisible, tout comme la hausse des besoins de santé face à l'épidémie de maladies chroniques. Quel regard portez-vous sur l'enjeu du vieillissement de la population dans les trajectoires du PLFSS pour 2025 ?
Le nouveau cycle des finances publiques dans lequel nous sommes entrés rime avec austérité. Or vous venez de prétendre le contraire : nous voilà rassurés ! Cependant, ce cycle pourrait s'apparenter à une socialisation renforcée des risques sociaux, d'autant que nous en connaissons mieux les facteurs, comme les déterminants de santé. Les déterminants environnementaux, eux, sont encore insuffisamment pris en compte dans les politiques de santé publique et de prévention, ce qui crée une mauvaise dépense sociale.
Une bonne gestion de ces risques doit être organisée dans une perspective de long terme. En mai 2024, la Cour des comptes recommandait de prévoir une planification ciblée des pathologies respiratoires. Ainsi, que pensez-vous d'une pluriannualisation de la gestion de la sécurité sociale et des politiques de santé ?
Enfin, la financiarisation du système de santé est un problème systémique qui se traduit par des dépenses indues ; la commission des affaires sociales a d'ailleurs créé une mission d'information sur ce sujet. Quelles préconisations formulez-vous en la matière ?
Mme Frédérique Puissat. - Je me réjouis de votre message d'optimisme consistant à dire que tout est possible. Mais cela est-il vrai à périmètre constant ? Par ailleurs, envisagez-vous de relancer le débat sur la réforme de la retraite par capitalisation ?
M. Khalifé Khalifé. - Ma question est simple : quel regard portez-vous sur la financiarisation de la médecine et avez-vous quantifié ses répercussions sur le budget ?
M. Pierre Moscovici. - Je vais m'efforcer de répondre brièvement à cette dernière série de questions, bien qu'elles ne relèvent pas toutes de mon domaine de compétences.
Les primes de partage de la valeur sont toujours exonérées, sauf décision contraire du législateur. D'ailleurs, elles sont en hausse. Pour le reste, Mme Poncet Monge s'est livrée à une analyse financière que je ne veux pas discuter, car elle n'est pas mesurée dans la trajectoire présentée.
Certains, ici, m'ont parlé d'austérité. En France, les dépenses publiques représentent aujourd'hui 57 % du PIB, soit 8 points de plus que la moyenne des pays de la zone euro. Cette part était de 53,8 % en 2019, avant la crise sanitaire.
Avons-nous réellement la sensation que la qualité du système de santé s'est améliorée depuis que nous avons une dépense publique qui représente 3,2 points de PIB supplémentaires ? Nos concitoyens sont-ils davantage satisfaits de leurs services publics ? Poser ces questions en ces termes, c'est déjà y répondre.
Je ne pense pas que la France conduise une politique d'austérité : elle a accumulé 50 milliards d'euros de déficit public supplémentaires l'an dernier - soit un dérapage de 1,7 point de PIB - et la dépense publique s'abaissera doucement à 56,3 % l'année prochaine.
J'irai même plus loin : nous avons, en France, une préférence partagée pour la dépense, quels que soient les gouvernements. Le problème se trouve dans la qualité de la dépense publique et sociale, et ce n'est pas en socialisant et en dépensant davantage que nous pourrons y répondre.
La politique de tax and spend renforcera l'effet boule de neige de la dette, laquelle aura à terme un coût supérieur. Cela aura pour conséquence de rogner encore plus le budget, au-delà des économies qui s'imposent. Bref, on peut très bien avoir des trajectoires soutenables qui échappent à toute accusation d'austérité.
La règle des 3 % de déficit public est tout simplement le prix à payer pour appartenir à une copropriété, si j'ose dire, dont tous les membres doivent respecter les règles. L'euro n'est pas une contrainte : au contraire, nous en avons été de grands bénéficiaires. Je n'ose imaginer ce que seraient les primes de risque sur les taux d'intérêt français ou les spreads sans l'euro. Pour rappel, dans les années 1990, lors de la politique du franc fort, nous accrochions notre monnaie au mark, avec une prime de risque de 500 points de base.
J'insiste, l'euro avantage la France par rapport à certains États voisins dits frugaux, qui ont dû faire encore plus d'efforts pour contrôler leurs finances publiques.
Concernant la réforme des retraites, ce n'est sûrement pas à moi de décider si l'on doit conserver l'âge de départ à 64 ans. Cependant, mes fonctions m'autorisent à formuler une remarque d'ordre financier : incontestablement, le rapport entre actifs et inactifs se dégrade dans nos sociétés et le vieillissement de la population est une réalité qu'on ne saurait ignorer. Heureusement, nous vivons plus longtemps et en bonne santé, si bien que les années passées à la retraite sont plus longues aujourd'hui.
En ce domaine, on ne peut pas raisonner de manière statique. Nous devons absolument nous assurer que notre système de retraite est financé et finançable. On peut toujours avoir un débat politique sur l'âge pivot et quelques ajustements de la réforme, comme l'a dit le Premier ministre, mais il n'est pas question de renoncer à financer de manière soutenable notre régime de retraite.
Cela suppose de prendre un certain nombre de mesures. À cet égard, l'allongement de la durée des cotisations ne date pas de la dernière réforme des retraites ; d'autres familles politiques l'ont fait auparavant.
Je l'ai dit, le régime de retraite n'est pas encore à l'équilibre. Ainsi, le texte défendu par Mme Borne n'est pas un solde de tout compte ; d'autres réformes devront sans doute être menées plus tard.
Concernant l'Ondam, on prévoit une croissance de 1 % en volume pour l'année 2025, ce qui ne me semble pas déraisonnable.
Le véritable enjeu, c'est le vieillissement de la population, car il pèse sur la trajectoire de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse. C'est la raison principale de l'effet ciseaux que je décrivais tout à l'heure, entre des dépenses tirées vers le haut et des recettes qui, incontestablement, sont moins dynamiques.
Le débat sur la retraite par capitalisation est légitime, mais c'est un point sur lequel la Cour des comptes ne s'est pas prononcée. Je sortirais de mon rôle si je me livrais à un simple commentaire d'actualité.
Enfin, la financiarisation de la santé est un sujet sensible sur lequel les acteurs publics commencent à réfléchir. Le risque majeur est celui d'une perte de contrôle des acteurs de la santé sur les décisions qui s'imposent, au profit d'un raisonnement purement financier. Celui-ci aurait forcément un caractère oligarchique, dès lors qu'il serait entre les mains de quelques grands groupes. La Cour des comptes se penche actuellement sur ce sujet ; des contrôles seront bientôt menés. J'aurai ainsi l'occasion de vous communiquer un bilan à l'occasion d'une audition ultérieure.
J'en ai terminé, monsieur le président. C'est toujours un très grand plaisir de venir devant votre commission, dont les travaux sont empreints de la sérénité qu'on prête au Sénat. La qualité des débats y est incontestable.
M. Philippe Mouiller, président. - C'est un plaisir partagé. Nous vous remercions pour votre venue.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d'assurance vieillesse
M. Philippe Mouiller, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous accueillons maintenant M. Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).
Je vous indique que la présente audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera disponible à la demande.
Le PLFSS pour 2025 prévoit que la branche vieillesse restera en déficit jusqu'en 2028, dans des proportions certes bien moindres que celles qui étaient prévues avant la réforme de 2023. La branche subit en particulier l'effet des revalorisations des pensions, après plusieurs années de forte inflation.
Je vais sans attendre vous céder la parole, monsieur le directeur général, pour un propos liminaire qui nous permettra de connaître votre vision du budget de la sécurité sociale, sous l'angle financier, mais aussi s'agissant des mesures relatives à la branche vieillesse, à commencer par le décalage de la date de revalorisation annuelle des pensions et prestations d'assurance vieillesse sur l'inflation au 1er juillet 2025 au lieu du 1er janvier 2025.
M. Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. - Mon propos liminaire sera bref, afin de laisser du temps aux échanges.
Après l'exercice 2023, où la branche retraite était presque à l'équilibre - elle accusait seulement un déficit de 200 millions d'euros, ce qui n'est pas si fréquent -, l'exercice 2024 s'annonce beaucoup moins favorable. En effet, le déficit prévisionnel de la branche retraite est estimé à 3,2 milliards d'euros et il se creuserait encore au cours des exercices suivants.
Le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) se stabiliserait autour de 7 à 8 milliards d'euros entre 2025 et 2027, grâce à la réforme des retraites de 2023.
Comment expliquer ce déficit ? L'inflation, plus forte que prévu, n'a pas été compensée par la masse salariale, dont la croissance a ralenti. Sur la période 2022-2023, l'inflation cumulée a été particulièrement dynamique : elle a ainsi nécessité plus de 10 milliards d'euros de dépenses nouvelles pour la branche retraite.
La réforme des retraites de 2023 prévoit de remettre tout le régime à l'équilibre. Le régime complémentaire, lui, est en suréquilibre.
Je m'exprimerai sur trois des mesures du PLFSS pour 2025.
Première mesure : le décalage de la revalorisation annuelle des pensions sur l'inflation au 1er juillet prochain. Dans la version initiale du texte, tel qu'il vous a été transmis par l'Assemblée nationale qui n'a pas eu le temps de l'examiner, il est facile de mettre en oeuvre ce décalage. Il rapporterait ainsi 2,4 milliards d'euros pour l'exercice 2025.
Deuxième mesure : la réduction des allègements généraux de cotisations sociales, qui assurera 2 milliards d'euros de recettes supplémentaires pour la branche vieillesse dès 2025.
Troisième mesure, dont l'impact est considérable, même s'il semble contre-intuitif : la réforme visant à retenir les vingt-cinq meilleures années pour le calcul des retraites des non-salariés agricoles. C'était l'engagement du gouvernement précédent, de même qu'une revendication forte des mouvements d'exploitants agricoles que la France a connus il y a quelques mois.
Le PLFSS prévoit une double mise en oeuvre, compte tenu de la forte complexité induite en matière de gestion.
Nous pourrons appliquer la réforme concernant le régime général dès le 1er janvier 2026. En revanche, le travail à fournir du côté du régime agricole est beaucoup plus lourd que pour le régime général, ce qui explique que la pension de retraite correspondant aux années cotisées au titre du régime des non-salariés agricoles ne puisse être calculée selon la moyenne des vingt-cinq meilleures années de points qu'à compter du 1er janvier 2028, avec un effet rétroactif au 1er janvier 2026.
Dans la mesure où les retraites des exploitants agricoles seront calculées sur la base des vingt-cinq meilleures années, la moitié sera supportée par le régime général. Le coût financier, à l'horizon 2080-2100, s'élève à 700 millions d'euros. Notez que le régime général versera des pensions plus favorables aux exploitants agricoles - c'était bien le sens de la mesure proposée par le Gouvernement.
Mme Pascale Gruny, rapporteure pour la branche vieillesse. - Nous souhaitons que la réforme des retraites agricoles puisse être mise en oeuvre dès 2026, sans effet rétroactif pour les exploitants.
Certes, un poids supplémentaire repose sur la Cnav, mais il s'agit tout de même d'une mesure d'équité : aujourd'hui, toutes les retraites, exceptées celles des fonctionnaires, sont calculées sur les vingt-cinq meilleures années.
Le décalage de la revalorisation annuelle des pensions soulève encore un certain nombre de questions, notamment pour les petites retraites, même si cette mesure permettra d'atténuer les 2,4 milliards d'euros de déficit prévus par le Conseil d'orientation des retraites (COR). Pouvez-vous chiffrer précisément cette mesure, sachant que les seuils à partir desquelles les petites retraites en seraient exclues n'ont pas été déterminés ?
Comment sont mesurés les effets de ces changements sur le niveau des pensions de base et des pensions complémentaires versées aux assurés ?
Enfin, doit-on encore repousser l'âge légal de départ à la retraite ? Le financement par capitalisation fait-il partie de vos réflexions ?
M. Renaud Villard. - Vous avez raison, il pouvait sembler atypique que les retraites des exploitants agricoles soient calculées sur toute leur carrière. Ce n'est désormais plus le cas.
La réforme contient trois mesures. Les deux premières, à savoir le calcul des pensions sur la base des vingt-cinq meilleures années et l'alignement par le haut des minima de pension - soit les mesures les plus favorables, donc les plus coûteuses -, entreront en vigueur à compter du 1er janvier 2026. Quant à la troisième mesure, le calcul de la retraite par la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), avec un effet de rattrapage, elle entrera en vigueur en 2028.
Nous conduisons des travaux informatiques très complexes, conjointement avec la Mutualité sociale agricole (MSA), pour raccourcir le délai de mise en oeuvre de ces mesures. Le 1er janvier 2026 semble être une gageure, mais je suis sûr que les débats permettront d'éclairer notre action.
Si vous me le permettez, je laisserai la directrice chargée des statistiques s'exprimer sur la question du décalage de la revalorisation.
Mme Valérie Albouy, directrice statistiques, prospective et recherche de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. - Le rendement de cette revalorisation différenciée, pour le régime général et la MSA, serait de 2,3 milliards d'euros. S'il n'y était pas procédé pour tous les régimes de retraite, cela coûterait entre 200 millions et 300 millions d'euros, selon que l'on fixe le seuil à 1 050 ou à 1 200 euros.
Pour tous les régimes de base, le rendement est plus élevé puisqu'il atteint 3,1 milliards d'euros.
Si nous ne décalons qu'une partie des retraites et que nous continuons à revaloriser les petites pensions au 1er janvier 2025, cela coûtera entre 300 millions et 500 millions d'euros, selon que le seuil est établi à 1 050 ou 1 200 euros.
M. Renaud Villard. - Bien entendu, nous vous transmettrons ces éléments chiffrés.
Si l'on ne tient compte que des toutes petites retraites, la perte de rendement de la mesure serait uniquement de l'ordre de 10 % à 15 %. En revanche, il existe un vrai problème opérationnel de mise en oeuvre. Au 1er janvier 2025, nous serions incapables de procéder à une revalorisation différenciée, car elle supposerait de recueillir les montants de retraite, tous régimes confondus, de calculer ce que gagne chacun et d'indiquer le même taux de revalorisation à tous les régimes.
Toutefois, c'est faisable rétroactivement, en versant au 1er juillet 2025 la part qui aurait dû l'être six mois avant. Ce rappel est beaucoup plus simple à réaliser sur le plan technique et opérationnel.
Quid de l'impact du décalage sur les assurés ? De fait, cette mesure ne concerne pas tous les régimes, d'où l'existence de distorsions. D'une part, les régimes de base et les régimes complémentaires intégrés seront entièrement concernés par la mesure ; d'autre part, le régime complémentaire, s'il est séparé du régime de base, sera revalorisé au 1er novembre, avec une sous-indexation pour tous les assurés.
Bref, les pensions évolueront selon le régime auquel les assurés appartiennent. On peut considérer que la sous-indexation décidée par les partenaires sociaux pour le régime complémentaire Agirc-Arrco est d'un volume équivalent à celle qui est proposée par le Gouvernement au travers du PLFSS.
Dans le cadre de la revalorisation différenciée, il conviendrait, comme en 2020, d'opérer des lissages, pour éviter que celui qui perçoit 1 201 euros ne gagne moins que celui qui percevait une retraite de 1 199 euros.
Le Conseil d'État apprécie peu les effets de seuils potentiels, ce qui nous a conduits à réaliser des lissages incompréhensibles aux yeux des assurés, bien sûr, mais aussi pour les parlementaires et les gestionnaires. Nous avons ainsi fixé des seuils à 1 128 ou à 1 131 euros, pour éviter que l'ordre des pensions ne soit bouleversé.
Est-il nécessaire de repousser encore l'âge légal de départ à la retraite ? Sur cette question, je botterai en touche, d'autant que nous aurons le temps de prendre acte des évolutions de la réforme qui interviendront jusqu'en 2032. Il faudra sans doute rouvrir le débat lors de la prochaine législature.
La capitalisation n'est pas un gros mot, même pour le gestionnaire de régime par répartition que je suis. Les dispositifs sont déjà bien ancrés dans le paysage social français. Le troisième étage du système de retraites, composé du plan d'épargne pour la retraite (Perco), entre autres, est plutôt prospère.
Les salariés de la sécurité sociale, qui sont pourtant viscéralement attachés à la retraite par répartition, bénéficient eux-mêmes d'un plan de retraite supplémentaire cofinancé par l'employeur.
En outre, la législation est plutôt favorable à la retraite supplémentaire, notamment sur le plan fiscal. Les assurés peuvent ainsi effectuer un placement intéressant qui leur permet de compléter comme ils le souhaitent leur retraite par répartition.
De mon point de vue, la législation est suffisamment solide, mais la question de la capitalisation relève du dialogue social et du choix individuel.
J'insiste, la capitalisation fonctionne plutôt bien en ce qu'elle vient augmenter davantage les revenus de substitution versés aux retraités.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - On ne peut pas ignorer l'augmentation assez forte des allègements généraux de cotisations sociales ces dernières années.
Avez-vous évalué la mesure présentée dans le cadre du présent PLFSS, qui rapporterait environ 2,7 milliards d'euros pour la branche vieillesse ? Nous ignorons les conséquences qu'elle entraînerait, notamment en matière de suppression d'emplois. C'est un point qu'il faut prendre au sérieux, car, si le chômage augmente, il y a moins de cotisations pour les retraites.
Aujourd'hui, tout indique que nous traversons une période de récession économique. Les plans de licenciements chez Michelin et Auchan, par exemple, suscitent des inquiétudes. Avez-vous des notes vous alertant sur l'état de l'emploi dans notre pays ? J'insiste, la situation actuelle aura une incidence sur les choix que nous allons faire en matière d'allègements généraux de cotisations sociales.
Mme Monique Lubin. - Nous sommes en déficit, malgré la réforme des retraites, dont vous avez dit - si j'ai bien compris vos propos - qu'elle n'avait jamais eu pour but de mettre notre système général de retraite à l'équilibre. Or, c'est bien de cela dont il était question lors de l'examen de la réforme, et nous avons travaillé sur la base des rapports du COR, qui concernent toujours tous les régimes de retraite.
Je ne comprends donc pas tout, mais ce qui est certain, c'est que malgré les annonces qui avaient été faites et en dépit d'un excédent en 2023, le système de retraite sera déficitaire et ce n'était pas prévu. Qu'a-t-il bien pu se passer ? Vous parlez d'une moindre dynamique de l'emploi, mais celle-ci ne semble démarrer que maintenant. D'un excédent amélioré grâce à la réforme, on arrive à un déficit qui va continuer à se creuser.
Vous dites ne pas vouloir entrer dans le débat sur le prolongement de la durée du travail, mais vous y êtes entré malgré vous en affirmant qu'il sera nécessaire de s'en préoccuper lors de la prochaine mandature.
Personne ne peut être devin en matière d'excédent ou de déficit de régime de retraite. Ainsi, ne pensez-vous pas qu'il faudrait mener un travail de refonte du système, tout en conservant ses bases, afin d'éviter les effets « yoyo » entre les différentes mandatures ?
Chaque fois, la solution proposée est celle de l'allongement de la durée du travail. Pourtant, ce ne sera pas humainement viable pour un certain nombre de salariés.
Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer la part de chaque régime dans le déficit général du système de retraite ? Nous le savons, certains régimes sont plus déficitaires que d'autres ; il ne faudrait donc pas faire payer aux salariés leur incurie.
Concernant le décalage de la revalorisation des pensions au 1er juillet 2025, je sais bien que vous vous contentez d'appliquer les mesures du Gouvernement. Toutefois, nous en discuterons entre parlementaires, dans l'hémicycle.
Enfin, vous avez eu des mots presque dithyrambiques au sujet de l'emploi des seniors. Selon vous, il ne s'était jamais aussi bien porté depuis la réforme des retraites. J'aimerais qu'on explique qu'il s'agit en réalité d'un effet mécanique : parmi les seniors comptabilisés, il y a ceux qu'on maintient au travail plus longtemps, notamment en raison du décalage de l'âge de départ.
Mme Raymonde Poncet Monge. - La revalorisation des pensions suivra-t-elle le taux d'inflation tel qu'il est établi au 1er janvier 2025, ou sera-t-elle rétroactivement calculée sur douze mois glissants, de juillet à juillet, ignorant ainsi le premier semestre 2024 ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Selon vous, la revalorisation des pensions permettra d'économiser 2,4 milliards d'euros ; il me semblait plutôt que les économies envisagées atteignaient 4 milliards d'euros. Pouvez-vous apporter des précisions sur ce point ?
Vous avez également parlé d'un lissage pour les petites retraites, mais que considérez-vous être une petite retraite ? S'agit-il d'une retraite médiane, ou d'une retraite de 2 000 euros, comme celle qui est prise en compte pour la revalorisation des taux de contribution sociale généralisée (CSG) ?
Plutôt que de toucher tous les retraités, n'aurait-il pas fallu supprimer progressivement l'abattement de 10 % pour les frais professionnels, que les retraités n'ont plus ? Cette mesure concernerait les retraités aisés, puisque ce sont eux qui paient l'impôt.
Enfin, il me semblerait plus juste de viser la durée de cotisation plutôt que l'âge de départ. Ce point a été tranché, mais dans la mauvaise direction.
Le COR a publié des soldes par régime. Ce n'est pas le régime privé qui est le plus déficitaire, mais bien celui de l'État et des collectivités locales. Nous toucherons aussi à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) puisque nous augmenterons les cotisations des employeurs. Ne serait-il pas préférable d'assurer une gestion différenciée entre les secteurs privé, public et libéral ?
M. Daniel Chasseing. - Vous l'avez rappelé, le déficit du système de retraite atteindra 8 milliards d'euros entre 2025 et 2027, malgré la dernière réforme. Quant à la réindexation, elle s'élèvera à 10 milliards d'euros en 2024. Existe-t-il un consensus avec les partenaires sociaux sur la question des retraites progressives et de la pénibilité ?
Les pensions inférieures à 1 400 euros ne permettent pas aux personnes seules de vivre convenablement. Ainsi, pourrait-on réindexer ces petites retraites, au-delà des minima ? Quel serait le coût d'une telle mesure ?
M. Renaud Villard. - On mesure mal l'effet de bouclage macroéconomique consistant en une baisse des allègements généraux qui conduit à une réduction de la croissance économique, donc à une destruction d'emploi et de cotisations. C'est d'ailleurs un angle mort des réformes de politique sociale. On le mesure toutefois à l'occasion de réformes très structurelles, mais avec une forme d'imprécision, car cela dépend du comportement des acteurs économiques.
Le rendement de la réforme des retraites de 2023 est en bonne partie implicite. Il est lié au fait qu'on améliore l'emploi en général et celui des seniors, avec un effet positif sur la croissance potentielle.
L'augmentation des allègements généraux de cotisations sociales a été extrêmement dynamique, suivant la forte croissance du Smic. L'an dernier, vous avez d'ailleurs voté une première réforme des allègements généraux avec la désindexation de 3,5 points du Smic.
Le Gouvernement entend procéder en deux étapes ; l'évaluation permettra sans doute d'éviter un choc trop important.
La hausse des cotisations à 2 milliards d'euros correspond à une hypothèse de croissance inchangée, où la réforme des allègements généraux n'aurait pas d'impact, positif ou négatif, sur la croissance et l'emploi dans notre pays.
Madame Lubin, j'ai sans doute été trop rapide lors de mon propos liminaire ; je vous prie de bien vouloir m'en excuser. Il faut bien distinguer le régime général de l'ensemble des régimes de retraite. La réforme de 2023 avait bien pour ambition de remettre à l'équilibre tout le système de retraite. En revanche, le régime général et la CNRACL étaient toujours en déséquilibre. D'autres régimes, tels que l'Agirc-Arrco, étaient plutôt en situation de suréquilibre.
L'hypothèse d'un équilibre pour l'ensemble du régime de retraite d'ici à 2032 ne se vérifie plus, pour plusieurs raisons.
Entre le projet originel de réforme du Gouvernement et le texte définitivement adopté, le travail parlementaire a eu lieu. Il a plutôt conduit à introduire des mesures favorables qui ont un coût supplémentaire. Dans ces conditions, nous ne saurions faire grief au Gouvernement de n'avoir pas intégré à son chiffrage initial les amendements des parlementaires, qui sont intervenus plus tard.
Deux éléments exogènes au travail parlementaire expliquent que les prévisions de 2023 semblent ne pas se vérifier.
Premièrement, la croissance de la masse salariale a été moins rapide que prévu, même s'il ne s'agit pas d'une dégradation de l'emploi. Le COR continue à miser sur le plein emploi, si bien qu'on ne présume pas d'augmentation du taux de chômage. Le gros des recettes des régimes de retraite, ce sont les salaires : si ces derniers progressent un peu moins vite qu'envisagé, les pertes de recettes se chiffrent très rapidement en milliards d'euros.
Deuxièmement, le COR a révisé souverainement ses hypothèses macroéconomiques trop ambitieuses, en particulier en matière de croissance et de compétitivité.
Je veux lever les doutes, je ne défends aucune position particulière en matière de recul de l'âge légal de départ à la retraite. Je me contente d'appliquer la politique du Gouvernement, telle que vous l'avez votée. Toutefois, je me suis permis d'insister sur le fait que le sujet des retraites allait sans doute être de nouveau inscrit à l'agenda de 2027. Je ne peux pas imaginer que la représentation nationale laisse filer les déficits de la sécurité sociale sans rien dire.
Ce sera bien au Gouvernement et au Parlement qu'il appartiendra de déterminer la manière de combler ces déficits. Sur ce point, je n'ai pas d'opinion ; c'est l'honneur de ma fonction que de rester neutre et sans saveur.
Du reste, je ne me souviens pas avoir parlé de l'emploi des seniors en des termes dithyrambiques. Vous avez raison, l'effet « horizon » frappe l'emploi des seniors, car le décalage de l'âge de départ à la retraite les maintient dans l'emploi. Il en existe un deuxième, auquel je crois profondément. La réforme de 2023 a rendu opposable la retraite progressive. Auparavant, elle nécessitait l'accord de l'employeur. Pour s'y opposer, celui-ci doit désormais justifier qu'elle met l'entreprise en difficulté. Ce mécanisme permet le maintien exceptionnel des seniors dans l'emploi, soit 10 000 à 15 000 occurrences par an sur 700 000. Les partenaires sociaux veulent d'ailleurs s'en emparer d'une manière plus large.
La retraite progressive assure un effet de levier qui reste très peu utilisé. Ma responsabilité consiste donc à la faire connaître. Dans les semaines à venir, nous déploierons un service en ligne permettant aux salariés de demander leur mise à la retraite progressive. En parallèle, nous mènerons une campagne de communication.
Concernant la refonte du système de retraite, je suis obligé de conserver ma neutralité. En raison des 43 régimes de retraite existants, la lisibilité du système est imparfaite. Malgré tout, réforme après réforme, beaucoup de ces régimes ont été mis en extinction.
Sur le plan du pilotage financier, le système de retraite est excessivement complexe. Certains régimes spéciaux souffrent d'un déficit structurel extrême. Le régime général devient donc leur assureur en dernier ressort. Par ailleurs, certains régimes fortement déséquilibrés sont laissés seuls avec leurs responsabilités, si j'ose dire. C'est le cas de la CNRACL. Enfin, le système de retraites de l'État n'est pas un régime de retraite proprement dit, ce qui ajoute à l'illisibilité. Il n'est pas financé par des cotisations, si bien que son équilibre est assuré par le budget de l'État, tel que vous le votez.
On ne saurait faire plus compliqué en matière de pilotage financier, mais c'est aussi ce qui fait le charme de nos régimes de retraite...
Songez à l'assurance vieillesse des marins, qui a été créée par Louis XIV et qui survit aujourd'hui au travers de l'Établissement national des invalides de la marine (Enim). Napoléon, quant à lui, a créé le régime de retraite de l'opéra par un décret de 1812, en pleine campagne de Russie...
Pour répondre à Mme Poncet Monge, le PLFSS retiendra la date du 1er juillet pour prendre en compte l'inflation dans le processus d'indexation.
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est donc bien une double peine pour les retraités !
M. Renaud Villard. - De fait, il existe un écart de 0,2 ou 0,3 point entre les indices prévisionnels du 1er janvier et ceux du 1er juillet. Quoi qu'il en soit, nous constatons un ralentissement très net de l'inflation sur l'année 2024, entre 1,8 et 2,1 %. Il s'agit non pas d'une désindexation, mais d'un décalage de la revalorisation : les retraites restent bien arrimées à l'inflation.
Le décalage de la revalorisation des pensions, tous régimes confondus, permettra bien d'économiser 4 milliards d'euros, et, pour le seul régime général, 2,4 milliards d'euros.
L'hypothèse évoquée d'une revalorisation épargnant les toutes petites retraites autour de 2 000 euros ferait perdre 10 à 15 % de ces recettes espérées : 300 millions d'euros pour le régime général, 500 millions pour tous les régimes.
J'en viens au lissage des pensions. Distinguer ceux qui sont riches de ceux qui ne le sont pas m'engage sur une pente glissante. Aussi, ne me risquerai-je pas à en dire davantage sur la notion de « petites » retraites. Une chose est sûre, les pensions de 2 000 euros mensuels se situent au-delà de la retraite médiane. Il y a donc beaucoup plus que la moitié des retraités qui perçoivent moins de 2 000 euros par mois. Le rendement de la mesure fond comme neige au soleil.
La suppression de l'abattement d'impôt sur le revenu au titre des frais professionnels n'est pas difficile à mettre en oeuvre d'un point de vue technique, les retraités n'étant pas exposés à ce genre de frais. Toutefois, cela entraînerait des effets de seuils qui nécessiteraient sinon un lissage, du moins une mise en oeuvre progressive des dispositifs. Il existe notamment un effet de rendement potentiel, l'augmentation de l'assiette de l'impôt sur le revenu entraînant un taux majoré de CSG.
J'ai un léger désaccord avec M. Vanlerenberghe sur l'allongement de la durée de cotisation : ce levier commence à être épuisé. Certes, plutôt que de baisser le montant des pensions ou d'augmenter le taux de cotisation, on pourrait allonger la durée de cotisation. Or les assurés sont attachés à l'âge de départ et ont une préférence pour la décote. Le risque d'un allongement excessif de la durée de cotisation est de les voir partir le plus tôt possible avec de toutes petites pensions.
Sur la question du solde par régime, je vous rejoins entièrement. La CNRACL présente le déficit le plus important, rapporté à son volume de dépenses. D'où l'augmentation de cotisation proposée dans le PLFSS.
Enfin, les travaux sur la pénibilité, la retraite progressive et la réindexation prospèrent. Je les suis avec attention, bien qu'ils n'aient pas encore rendu leurs conclusions.
Les seuils de réindexation sont plus près de 1 200 euros. Les salariés touchés seraient en bien plus grand nombre si l'on décalait légèrement ce seuil, mais cela suppose de procéder à un chiffrage plus fin.
Mme Annick Petrus. - Vu les ajustements budgétaires pour 2025, comment la Cnav prévoit-elle d'allouer les ressources pour maintenir une qualité de service optimale, notamment pour les publics les plus précaires ? Y aura-t-il un renforcement des équipes pour réduire les délais de traitement des dossiers et répondre aux demandes d'informations ?
En outre-mer, les retraites dépendent de la caisse générale de sécurité sociale (CGSS). La collectivité de Saint-Martin relève de la CGSS de Guadeloupe. Le délai de traitement des dossiers est de plus d'un an, ce qui met en difficulté les usagers, mais aussi la collectivité territoriale elle-même, qui est contrainte d'offrir un soutien financier au travers de son aide extralégale.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Cela a été rappelé, le Gouvernement a décidé de décaler la revalorisation des pensions de retraite de six mois pour réaliser une économie de 4 milliards d'euros en 2025.
Cette mesure entraînera une perte pour les retraités puisque la revalorisation sera moindre en valeur absolue. Surtout, les pensions ne seront revalorisées que de 1,8 % au 1er juillet, alors qu'elles devaient l'être de 2,3 % si l'on retenait la date du 1er janvier. Cette mesure ne toucherait pas les bénéficiaires du minimum vieillesse, mais elle s'appliquerait bien aux bénéficiaires des minima de pension.
Le ministre du budget et des comptes publics s'est montré ouvert à une évolution du curseur pour les petites retraites à 1 200 ou 1 400 euros, mais le gel des retraites ne semble pas être abandonné. Pouvez-vous confirmer ces éléments ?
J'insiste, les retraités vont endurer une double peine, à savoir le décalage de six mois de la revalorisation et un taux moins important. Encore une fois, on s'attaque à une catégorie de personnes qui vivent avec les pires difficultés. Je pense souvent aux retraitées veuves de mineurs et aux salariés qui ont eu des carrières hachées. C'est bien cette population qui paiera les pots cassés du Gouvernement.
M. Renaud Villard. - Nous portons une attention toute particulière à la gestion des retraites en outre-mer. Fin octobre, la Cour des comptes a publié un rapport sur la CGSS en Martinique, mais pas sur celle de Guadeloupe, qui n'est pas des plus favorables. Sur le volet retraites, il souligne la mobilisation très forte de la Cnav pour améliorer la qualité du service via le renforcement des moyens humains et financiers.
D'ici à 2027, nous veillerons à uniformiser les indicateurs de qualité et de performance du service public entre l'outre-mer et l'Hexagone. Cela n'allait pas de soi jusqu'à présent. Le taux de décrochés téléphoniques, les délais de traitement des dossiers et la conformité financière seront désormais les mêmes.
En effet, la collectivité de Saint-Martin dépend de la CGSS de Guadeloupe, car elle n'a pas une population suffisante pour détenir une caisse générale autonome. Cela induit un coût de coordination relativement élevé. Aujourd'hui, les délais de traitement de la CGSS de Guadeloupe sont supérieurs de 60 % à ceux de l'Hexagone.
Les agents se mobilisent pour renforcer la qualité et la proximité du service public. À cet égard, je me félicite que la CGSS de Guadeloupe ait mis en place le premier bus itinérant à Marie-Galante.
Il reste du chemin à parcourir, mais le cap est fixé et nous ne renoncerons pas à cette exigence.
Concernant les minima de pension, à savoir l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI), ils ne seront pas concernés par le décalage de la revalorisation. Le minimum contributif, qui est un mode de calcul de la retraite, est intégré aux pensions et suivra, lui, le principal.
Sur cette question, je n'ai pas à commenter les engagements pris par le ministre du budget des comptes publics. Cela étant, le décalage de la revalorisation aura bel et bien un impact sur les petites retraites. C'est bien un effort qui est demandé, comme le démontre, d'ailleurs, le rendement financier important de la mesure. En revanche, les retraites restent indexées sur l'inflation, comme elles l'ont été lors des deux derniers exercices - ce qui n'a pas été le cas de tous les salaires, à l'exception du Smic.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les retraites étaient tellement basses que c'était le minimum à faire !
M. Renaud Villard. - Pardonnez-moi, je n'ai pas voulu introduire une polémique au moment de quitter la salle ; j'ai juste voulu dire que les retraites, contrairement aux salaires, n'ont pas été affectées par l'hyperinflation car elles y étaient arrimées.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de Mme Isabelle Sancerni, présidente, et M. Nicolas Grivel, directeur général, de la Caisse nationale des allocations familiales
M. Philippe Mouiller, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous accueillons à présent Mme Isabelle Sancerni, présidente, et M. Nicolas Grivel, directeur général, de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.
Le PLFSS pour 2025 prévoit que la branche famille, après plusieurs années d'excédents significatifs, reste tout juste à l'équilibre au cours des prochains exercices, en lien avec la montée en charge des objectifs poursuivis en matière de petite enfance et avec la réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG) introduite par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023. En termes de contenu, c'est précisément l'absence de mesures relatives à la famille qui caractérise le PLFSS pour 2025, du moins dans sa version initiale. Quelle est votre vision de ce PLFSS ?
Mme Isabelle Sancerni, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales. - Le conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales, réuni en séance exceptionnelle le 15 octobre, a émis un vote majoritairement négatif sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui lui a été présenté dans des délais très contraints. L'ensemble des tendances ont signalé leur forte préoccupation sur l'état des finances de la sécurité sociale et l'impérieuse nécessité de préserver cette dernière.
Je souhaite souligner la mise en oeuvre très réactive, depuis seize mois, de notre convention d'objectifs et de gestion (COG). Nous améliorons le service aux familles et aux plus vulnérables sur l'ensemble du périmètre de la branche. Nous avons ainsi voté de nombreuses mesures en faveur de la qualité de l'accueil dans les crèches, parmi lesquelles le financement de journées pédagogiques, la prise en charge des heures de préparation de l'accueil de l'enfant et la mise en oeuvre du bonus attractivité pour augmenter les rémunérations des professionnels, et avons revu l'aide à l'investissement dans les structures d'accueil du jeune enfant. Nous avons également mis en oeuvre le bonus inclusion handicap dans les accueils collectifs de mineurs et avons augmenté notre participation financière au fonctionnement de ces structures. Nous avons aussi doublé l'aide au passage du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa). Enfin, nous avons débloqué 12 millions d'euros d'aides non prévues initialement pour soulager le secteur de l'animation de la vie sociale, en grande difficulté.
En parallèle, la branche continue de mener les réformes déjà engagées, qu'elles soient prévues ou non dans la COG. Après la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), nous avons mis en oeuvre l'aide aux victimes de violences conjugales et le déploiement du pack nouveau départ, fin 2023. Nous travaillons à notre chantier France Travail, qui aboutira en 2025. Enfin, depuis le 1er octobre, nous expérimentons la solidarité à la source dans cinq départements.
Les mois passés ont été extrêmement denses et la branche a montré sa capacité à agir dans les temps. Cependant, 2025 sera une année particulièrement chargée pour les caisses d'allocations familiales (CAF) et la Cnaf. Dans la continuité des chantiers précédemment engagés, nous contribuerons ainsi à la mise en place du service public de la petite enfance à partir du 1er janvier par un soutien financier fortement accru, mais aussi par une offre nouvelle en ingénierie. En effet, nous accompagnons les porteurs de projets dans le développement de solutions d'accueil pour toutes les familles, partout.
La révision des modalités d'attribution et des montants du CMG s'achèvera en septembre 2025. Notre objectif est de garantir la cohérence et l'égalité de traitement entre tous les foyers en harmonisant le reste à charge des familles, quel que soit le mode d'accueil choisi.
La solidarité à la source sera généralisée en mars 2025. Complexe, cette évolution améliore l'accès aux droits, limite les erreurs, les indus et le non-recours.
Je remercie nos 35 000 collaborateurs qui, chaque jour, assurent les fondements de notre activité tout en s'adaptant aux besoins de la société et aux réformes qui y répondent.
M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Le PLFSS pour 2025 ne comporte aucune mesure nouvelle concernant la branche famille. Malgré la contrainte budgétaire, que nous comprenons, il est dommage que notre pays se prive d'une véritable politique familiale. Je note d'ailleurs que la branche famille subit cette année un nouveau transfert puisqu'une partie des gains issus de la réforme des allègements généraux est affectée à la branche maladie pour 266 millions d'euros. Ainsi, la branche devrait être à l'équilibre en 2025 et déficitaire en 2026.
Dans ce contexte, et alors que l'année 2025 signe l'an 1 du service public de la petite enfance, comment la Cnaf prévoit-elle le financement, d'une part, des réformes du CMG et, d'autre part, des objectifs de création de places en établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) fixés par la COG 2023-2027 ? À moyen terme, pensez-vous que la branche famille soit en mesure de mettre en oeuvre des réformes structurelles comme un nouveau congé de naissance ou la réforme du financement des EAJE ?
Les projections établies dans l'étude d'impact de la réforme du calcul du CMG estimaient que 43 % des familles seraient perdantes. Le chiffre définitif dépendra beaucoup des modalités d'application et de calcul qui doivent être prévues par décret. Plus le reste à charge des familles est moindre, plus l'employabilité des assistantes maternelles sera forte. Quelles mesures la Cnaf envisage-t-elle pour limiter le nombre de familles perdantes ? La question du reste à charge est centrale pour les familles. La hausse du prix de l'accueil est un facteur déterminant dans le choix de ne pas avoir d'enfant, alors que notre taux de natalité est bas.
Par ailleurs, la mise en place du tiers payant pour le CMG dit « structure » a été à plusieurs reprises repoussée en raison de difficultés techniques persistantes. Pourriez-vous préciser les difficultés rencontrées et si le calendrier, prévu par la loi, reste d'actualité ?
Enfin, concernant la lutte contre la fraude, la Cour des comptes a constaté cette année « l'impossibilité » de certifier les comptes de la branche. La fraude aux prestations légales est estimée à 4,9 % des sommes versées, soit 3,9 milliards d'euros. La Cour pointe notamment une hausse en 2023 des indicateurs de risque financier à neuf mois. Malgré certaines améliorations, d'importantes faiblesses perdurent, notamment dans la supervision et l'accompagnement des agents pour assurer le paiement à bon droit des prestations légales. Quelles sont les principales mesures prises par la Cnaf pour renforcer la lutte contre la fraude ? Pourquoi le nombre de contrôles sur place a-t-il baissé ? Ils seraient pourtant, d'après la Cour, parmi les plus efficaces.
M. Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales. - Ce PLFSS ne comporte pas de nouvelle mesure relative aux familles, alors que le plan de charge est très ambitieux. Il ne faut pas voir de manque de détermination dans l'absence de mesure spécifique cette année, d'autant que nous évitons également les restrictions. Les effets de recettes que vous décrivez, monsieur le rapporteur, n'entravent pas notre action, très largement guidée par la COG. Nous suivrons une logique d'amplification de notre action, notamment pour le Fonds national d'action sociale (Fnas), dont la trajectoire haussière se poursuivra l'année prochaine.
Un de nos enjeux est qu'une grande partie de notre politique d'action sociale sur les territoires est partenariale. C'est le cas pour la petite enfance, l'enfance, la jeunesse, l'animation de la vie sociale et la parentalité. Nos moyens d'accompagnement s'amplifient et, en même temps, nous avons besoin de partenaires réactifs et ambitieux, ce qui est parfois difficile dans un contexte financier compliqué pour les collectivités territoriales.
L'enjeu est d'accompagner le secteur de la petite enfance d'une façon qualitative pour les familles, mais aussi pour les professionnels, alors que l'on connaît les difficultés de recrutement du secteur. Qui dit qualité dit aussi coût. Nous devons aller vers un service public qui coûte plus cher, ce qui paraît paradoxal. Notre capacité d'accompagnement suppose de développer notre offre, mais surtout de consolider l'existant partout. Nos outils ont été déclinés tout au long de l'année, par des délibérations du conseil d'administration, en amélioration de financements, en accompagnement financier renforcé sur les accueils de loisirs pour les enfants, le périscolaire, les centres sociaux... Notre ambition n'est pas remise en cause par le PLFSS, au contraire.
Le congé de naissance a fait l'objet de concertations qui n'ont pas abouti à ce stade. Nous sommes à l'écoute de ce qui sera décidé. Nous continuons à mettre en oeuvre la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) qui existe aujourd'hui. Si le congé de naissance se mettait en place, nous serions ravis de l'accompagner, dans un cadre qui resterait à déterminer. En effet, l'indemnisation aurait vocation à tenir compte du salaire, ce qui répond à une logique pratiquée par l'assurance maladie sur les indemnités journalières et les congés maternité et paternité. Ce serait donc à elle de le gérer plutôt qu'à nous, qui devrions créer un dispositif de proportionnalité au salaire ex nihilo dont nous n'avons pas l'habitude. Nous n'aurions donc pas forcément la charge centrale de ce dispositif.
Mme Isabelle Sancerni. - L'aspect financier du congé de naissance vient d'être abordé. Le conseil d'administration plaide pour un congé plus court et mieux rémunéré.
Il serait aussi nécessaire d'anticiper le nombre de places disponibles au premier anniversaire de l'enfant pour que les parents ne s'en trouvent pas dépourvus à la fin du congé de naissance. En outre, le droit d'option entre le congé de naissance et le congé parental est à sécuriser.
- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -
M. Nicolas Grivel. - La réforme du CMG vise à rendre plus accessibles les différentes solutions d'accueil des jeunes enfants pour l'intégralité des familles en lissant le reste à charge, quel que soit leur revenu. Actuellement, une partie des familles ne peut pas accéder à une partie de l'offre parce que les restes à charge sont proportionnellement trop élevés. Pour schématiser, les familles les plus précaires ont des difficultés à accéder à l'accueil individuel, qui reste le mode majoritaire dans beaucoup de régions. Cette réforme est très importante dans cette logique de service public et d'égalisation des restes à charge.
La réforme entrera en vigueur en septembre 2025 et non en juillet, ce qui était initialement prévu. Beaucoup de familles sortent du dispositif à la rentrée de l'enfant en maternelle. Une entrée en vigueur en juillet risquait de provoquer des perdants artificiels pour deux mois. Il est prévu, dans certains cas, une compensation transitoire des perdants. Enfin, nous voulons limiter les pertes et cibler les publics concernés. Le paramétrage peut limiter le nombre de perdants. Surtout, le dispositif fait énormément de gagnants.
Nous voulons que l'impact financier soit limité pour les perdants alors que le volume financier serait bien plus important pour les gagnants. Nous y travaillons avec la direction de la sécurité sociale. Les paramètres feront l'objet d'une concertation. Nous avions besoin d'avoir la dernière année de référence, donc les données de 2023.
L'intention est plutôt de ne pas mettre en oeuvre la réforme très complexe du CMG tiers payant et de se concentrer sur la mise en oeuvre des priorités que je viens d'évoquer.
J'aimerais nuancer le lien que vous faites, monsieur le rapporteur, entre la lutte contre la fraude et la non-certification des comptes. La Cour des comptes a refusé, pour la deuxième année consécutive, de certifier nos comptes, mais cela n'a pas de rapport avec la lutte contre la fraude. La Cour des comptes, en effet, salue positivement notre action contre la fraude. En revanche, elle met en cause la qualité des données entrantes, c'est-à-dire les informations transmises par les allocataires sur leurs ressources. Nous devons aller chercher les informations très régulièrement auprès des allocataires, notre système se voulant très réactif. Jusqu'à présent, nous avons besoin de leur demander, tous les trois mois, des informations sur leurs ressources. Nous faisons donc peser sur les allocataires des obligations déclaratives très lourdes et très complexes qui engendrent beaucoup d'erreurs. Il est compliqué d'obtenir ces informations.
La Cour des comptes constate, en s'appuyant sur nos estimations, que les volumes d'imperfections déclaratives se sont accrus ces dernières années, et ce pour deux raisons : le doublement de la prime d'activité en 2019, qui double le risque résiduel d'erreurs non corrigées et le risque d'indus qui conduisent à des demandes de remboursement, ce qui n'est pas idéal dans la relation ; la contemporanéisation des aides au logement, qui a conduit à s'appuyer sur des ressources très récentes. Si l'on prend comme base les ressources perçues deux ans avant, on dispose de données fiscales établies. Là, ce sont des ressources contemporaines plus variables. Ces éléments ont amplifié les risques ; la Cour nous le signale par cette non-certification. Ce faisant, elle nous appelle à une réforme très importante, celle de la solidarité à la source, qui consiste à connaître les ressources des allocataires et ne plus avoir à les leur demander.
Depuis janvier dernier, le montant des aides sociales, c'est-à-dire celui à déclarer, figure sur la fiche de paie. Depuis le 1er octobre, on expérimente, dans cinq départements, les déclarations de ressources préremplies. Si tout va bien, la généralisation se fera en mars prochain, ce qui sécurisera beaucoup nos données entrantes.
Cela n'obère pas le sujet de la fraude. Nous sommes, chaque année, plus performants. Nous avons détecté 374 millions d'euros de fraudes l'an dernier, notamment grâce à une amélioration du ciblage et de l'efficacité de nos contrôles. Nous avons créé un service national de lutte contre la fraude à enjeux, c'est-à-dire organisée - certes, il faut aussi lutter contre la fraude individuelle. La Cour mentionne que nous sommes plus efficaces en la matière.
Je suis étonné de votre remarque sur les contrôles, car nous améliorons nos résultats. Nous préférons effectuer un peu moins de contrôles, mais mieux ciblés, qui déclenchent des procédures plus lourdes sur des enjeux plus élevés, plutôt que des contrôles qui tournent dans le vide. On afficherait plus de contrôles, mais on obtiendrait moins de résultats financiers. En 2023, les régularisations financières détectées par les contrôles sur place s'élevaient à 473 millions d'euros, contre 424 millions d'euros en 2022, soit une augmentation de 12 %.
M. Laurent Burgoa. - En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances, je m'intéresse particulièrement à l'AAH, qui représente plus de la moitié des crédits budgétaires de la mission.
Les associations de soutien aux personnes en situation de handicap m'ont alerté sur les conditions de cumul entre l'AAH et une activité mixte à temps partiel. Cette possibilité de cumul est louable, car elle rapprocher les travailleurs en situation de handicap du milieu ordinaire de façon graduelle. Cependant, les modalités de calcul de ce cumul sont encore méconnues des bénéficiaires, qui ne sont donc pas en mesure de connaître l'impact de l'acceptation d'un contrat de travail sur leur prestation. Des travaux sont-ils en cours afin de mettre en place un simulateur de ressources pour ce cas précis ? Un rapprochement des modalités de calcul entre la CAF et la Mutualité sociale agricole (MSA) est-il prévu sur ce point afin de prendre en compte la situation des personnes interrégimes ?
Mme Jocelyne Guidez. - Le Sénat a adopté hier en deuxième lecture la loi visant à améliorer le repérage et l'accompagnement des personnes présentant des troubles du neurodéveloppement et à favoriser le répit des proches aidants. Dans le cadre de la mise en place du service public de la petite enfance, soutenue par des crédits alloués à la branche famille, quels leviers spécifiques envisagez-vous pour faciliter cette mission essentielle, ainsi que le repérage précoce de ces troubles ?
Le congé de naissance donné aux pères ne fonctionne pas très bien : ils ne le prennent pas, alors que le congé parental, ou PreParE, a plus de succès. On peut le prendre jusqu'aux 3 ans de l'enfant. Pourrait-il être allongé jusqu'aux 4 ans de l'enfant ? Ne pourrait-on pas rendre la situation identique pour le privé et le public, qui ne sont actuellement pas logés à la même enseigne ?
M. Xavier Iacovelli. - Environ 72 % des pères prennent le congé de paternité. Cela me semble bizarre que l'on dise qu'il ne fonctionne pas.
Après des inquiétudes, le projet d'extension du CMG jusqu'à 12 ans, qui représente 400 millions d'euros, est maintenu, ce dont nous nous réjouissons, car il est très attendu par les familles. Je comprends le décalage de deux mois, de juillet à septembre.
Des moyens humains seront-ils mis en place pour le parcours séparation ? Les familles monoparentales seront-elles ciblées ? J'ai rendu un rapport sur le sujet en septembre dernier au Premier ministre, et la délégation aux droits des femmes du Sénat a également publié dernièrement un rapport d'information sur les familles monoparentales. Parmi les recommandations de ces deux rapports, on trouve un renforcement des moyens de la CAF pour renforcer l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa), qui est un bel outil indispensable aux familles monoparentales. Une réflexion sur le prélèvement à la source de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant est-elle menée ? Par ailleurs, l'allocation de soutien familial (ASF) peut-elle être maintenue en cas d'une remise en couple ? Le compromis proposé dans ces rapports était un maintien de six mois. Une réflexion a-t-elle été amorcée par la Cnaf sur ce point ?
M. Khalifé Khalifé. - Merci d'avoir éclairci le point sur la certification des comptes.
La convention territoriale globale (CTG) a nécessité énormément de pédagogie de vos services et de nos collectivités vis-à-vis des communes. Sur le plan qualitatif, la CTG, qui s'apparente à un contrat d'objectifs et de moyens, est une réussite indéniable. Quel bilan en tirez-vous ? Quel est son impact financier ? A-t-elle un impact sur la fraude ?
M. Nicolas Grivel. - Je ne suis pas certain que l'on puisse proposer rapidement un simulateur de cumul entre AAH et activité, mais nous y travaillerons. Nous collaborons très bien avec la MSA.
M. Laurent Burgoa. - Je vous fais confiance.
M. Nicolas Grivel. - Nous sommes très sensibles aux troubles du neurodéveloppement et au rôle du service public de la petite enfance en la matière. Nous avons accompagné le déploiement d'un kit de dépistage dans les établissements.
Nous avons développé, sous l'impulsion de la présidente, un bonus inclusion handicap qui prend en compte les efforts supplémentaires des structures d'accueil envers les enfants concernés. C'est un succès important puisque près de la moitié des établissements d'accueil en bénéficient. Cela montre une dynamique positive, importante pour les premières années de l'enfant, mais aussi pour l'inclusion scolaire. Si celle-ci a commencé dès les premières années, elle est facilitée.
Le congé de paternité est très fréquemment utilisé dans sa formule allongée, alors que la PreParE est assez faiblement mobilisée par les pères. Cela fait partie des réflexions alimentant le projet du congé de naissance, qui, en étant plus court et mieux indemnisé, favorise un recours plus large des pères. La PreParE dure trois ans, dont deux ans pour un parent et un an pour l'autre, mais peu de pères prennent l'année supplémentaire. Cela renvoie à la question plus globale de l'articulation des différents congés. La tendance est plutôt à faire plus court et mieux indemnisé que plus long.
Nous saluons l'ambition du CMG 6-12 ans et accompagnerons la réforme importante du CMG 0-3 ans linéarisé l'année prochaine. Nous sommes très impliqués sur les enjeux des familles monoparentales et des séparations, par les prestations, mais aussi le travail social en CAF. Le parcours séparation favorise l'accès aux droits, à cette occasion. Ce peut être un moment de détection de violences conjugales antérieures, ou liées à la séparation. Nous sommes proactifs : nous nous tournons vers les familles dès que nous avons connaissance d'une séparation. Le taux de venue des familles vers nous - surtout des femmes - est de plus de 50 %. Notre COG nous a offert plus de moyens humains. Nous menons également une action spécifique sur le second parent, qui est souvent le père.
Nous sommes très mobilisés sur l'Aripa, une belle politique publique qui s'est montée en très peu de temps. Elle fonctionne, mais doit être améliorée. Plus de 1 000 personnes sont aujourd'hui mobilisées. Nous devons accompagner sa montée en charge. En effet, le stock est important, mais le flux continue à augmenter. Nous avons automatisé les entrées, sauf refus des deux parents. Nous devons améliorer nos outils pour absorber cette montée en charge continue.
Mme Isabelle Sancerni. - Le conseil d'administration de la Cnaf souhaite une amélioration de l'intermédiation des pensions alimentaires. Nous voulons mettre en place le paiement de la pension alimentaire dès le premier mois via l'intermédiation. Actuellement, nous n'intervenons qu'au bout du deuxième mois. Nous regrettons ce temps de latence au cours duquel les familles ne savent pas bien qui doit verser la somme, une fois la décision de justice rendue. L'intervention dès le premier mois réduirait le délai du premier paiement, qui est de 65 jours et devrait passer à moins de 30 jours.
Une motion a été votée par le conseil d'administration pour que l'ASF, versée au parent vivant seul avec l'enfant en cas de pension alimentaire impayée ou d'un montant inférieur à 195,86 euros, soit automatiquement versée dès lors que la famille entre dans le dispositif d'intermédiation. Actuellement, il faut qu'elle en fasse la demande. Nous le faisions pour les familles à l'Aripa jusqu'à la généralisation de l'intermédiation. Cela ne change pas le caractère quérable de l'ASF pour les familles qui refusent l'intermédiation. Ce serait une amélioration de l'existant.
Nous souhaitons que vous intégriez ces demandes dans vos travaux. Je les ai défendues auprès de nos ministres de tutelle et de l'Assemblée nationale.
Nous avons intégré depuis 2024, pour les services d'aide à domicile, un motif relatif au répit parental. Nous venons de diffuser des outils de dépistage et d'évaluation du burn-out parental. Des initiatives locales de cofinancement d'actions de répit parental ont été prises avec la MSA notamment, qui propose le dispositif Bulle d'air.
M. Nicolas Grivel. - En résumé, monsieur Iacovelli, vous voulez déconjugaliser l'ASF qui, pour rappel, à l'origine, est un dispositif d'aide aux veuves. Supprimer la condition d'isolement d'une allocation dont la raison d'être est d'aider les personnes isolées représenterait un bouleversement assez fort.
M. Xavier Iacovelli. - L'ASF doit-elle être tournée vers l'enfant ou vers la famille ?
M. Nicolas Grivel. - Le choix précédent a été de cibler les personnes sans soutien familial. Le présupposé est qu'en couple, une part des charges est mutualisée. Mais on peut débattre de l'individualisation des prestations. Le Parlement a estimé qu'il fallait déconjugaliser l'AAH. Doit-il faire la même analyse pour l'ASF ? C'est un débat politique, en réalité, et non technique.
Mme Isabelle Sancerni. - La CTG a été mise en place à partir de 2018 et couvre l'intégralité de la France. C'est le socle sur lequel nous asseyons toute notre politique : petite enfance, enfance, jeunesse, parentalité, animation de la vie sociale. La CTG commence par un diagnostic partagé avec les élus au cours duquel nous leur fournissons des éléments dont ils ne disposent pas forcément. À l'issue de cet échange, nous regardons ce que nous pouvons faire sur plusieurs années. La CTG dénombre des objectifs, qui peuvent être atteints selon un séquençage dans le temps, mais dès la signature, nous affichons les financements prévus qui seront à la disposition des communes ou des intercommunalités. Cela facilite le déploiement de l'ensemble de notre politique sur le territoire, en lien avec les élus.
Il n'existe pas deux CTG identiques puisqu'elles sont coconstruites. Certaines peuvent inclure le logement, l'accès aux droits ou la mobilité. Chaque année, un point d'étape est réalisé. Nous finançons aussi des moyens humains pour le suivi des CTG.
Pour moi, elles permettent des échanges et offrent une vision pluriannuelle.
Mme Annick Petrus. - Le PLFSS prévoit-il l'amélioration des délais de traitement des dossiers outre-mer ? L'instruction de l'AAH prend plus d'un an à Saint-Martin, qui dépend de la CAF de la Guadeloupe. Prévoyez-vous aussi une connexion entre la CAF et la branche retraite, afin d'assurer un relais systématique en amont pour les allocataires sortant de l'AAH et leur éviter de se voir retirer toute dignité, puisqu'ils sont obligés de vivre de bons alimentaires en attendant le rétablissement de leurs droits ?
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Le 20 mars dernier, Gabriel Attal présentait son bilan contre la fraude sociale : près de 2 milliards d'euros détectés en 2023, dont 400 millions d'euros d'allocations familiales. Ce tribut a été obtenu par l'intensification des contrôles des organismes sociaux, notamment de la CAF. Vous disposez d'un arsenal réglementaire et législatif contre les fraudeurs, dont le dépôt de plainte. Combien récupérez-vous des pénalités financières que vous êtes en droit de demander ?
Mme Solanges Nadille. - Quinze associations ont annoncé le mois dernier saisir le Conseil d'État pour contester un algorithme antifraude de la Cnaf. Quelle est votre réaction ? Quels sont vos difficultés et vos besoins pour lutter contre la fraude aux allocations ?
Je voudrais également aborder le revenu de solidarité outre-mer (RSO) pour les publics de 55 à 65 ans bénéficiant du RSA depuis au moins deux ans et ne percevant pas encore de retraite. Le nombre d'allocataires du RSO a presque été divisé par deux depuis 2010, notamment parce que, pour de nombreux foyers, le montant du RSO est moins élevé que celui du RSA. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?
Enfin, dans le cadre de la CTG, la mobilité peut-elle être prise en compte pour l'archipel de la Guadeloupe ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - La Cnaf a confié le ciblage des fraudes à un algorithme. Nous partageons le besoin de lutter contre la fraude, notamment pour ce qui concerne les cotisations. Mais en 2023, la Quadrature du Net a révélé l'existence d'un algorithme discriminatoire, qui cible les allocataires les plus vulnérables, et ce depuis 2010. Est-ce ainsi que vous avez amélioré le ciblage ? Un score de suspicion allant de 0 à 1 serait attribué à chaque allocataire en fonction de critères tels que des faibles revenus, le chômage, percevoir l'AAH, ou encore habiter un quartier défavorisé. C'est un ciblage indirect des familles monoparentales. Plus le score est élevé, plus la probabilité de faire l'objet d'un contrôle à domicile est grande.
Le 16 octobre, quinze organisations, dont la Quadrature du Net, Amnesty International et APF France handicap, ont saisi le Conseil d'État, demandant l'arrêt de l'utilisation de cet algorithme. Le Monde l'a écrit, ce contrôle vise des profils types. Le contrôle doit être mené par des hommes et des femmes : vos agents, et non un algorithme. L'avez-vous abandonné ?
Mme Frédérique Puissat. - Le PLF et le PLFSS modifient l'apprentissage, notamment en socialisant davantage les revenus des apprentis, en y intégrant la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), ce qui peut avoir un impact sur la prime d'activité pour les apprentis. L'avez-vous anticipé ? Contrôlez-vous les apprentis dans le volume de distribution de la prime d'activité ?
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Quels seront les critères de répartition des 86 millions d'euros alloués aux collectivités pour le service public de la petite enfance ?
La Cnaf a lancé une expérimentation sur une nouvelle offre personnalisée d'accompagnement à la parentalité dans une dizaine de départements. Quel est le calendrier de ce programme ? Quels sont ses objectifs et quels sont vos critères d'évaluation et de suivi ?
M. Nicolas Grivel. - On verse l'AAH après la procédure de reconnaissance du handicap par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Les problèmes de délai se situent surtout là, lors de l'instruction de la première demande. Nous échangeons beaucoup avec les MDPH pour améliorer les délais, en cas de renouvellement et de maintien des droits. La déconjugalisation de l'AAH, qui a entraîné une augmentation du volume d'allocataires, n'a pas eu d'impact négatif sur les délais de traitement.
Les difficultés liées à l'AAH ne sont pas strictement réservées à l'outre-mer, et portent plutôt sur la partie MDPH que sur la partie CAF. Globalement, le traitement des dossiers dans les CAF est bien plus rapide que l'an dernier. Nous avons surmonté les difficultés liées à la réforme des aides au logement.
La connexion entre AAH et retraite pouvait entraîner de très grosses difficultés. Nous avons beaucoup amélioré l'articulation entre les droits, avec Renaud Villard et ses équipes. Nous pouvons nous satisfaire d'avoir supprimé cette cause de souffrance pour les personnes concernées.
Nous disposons d'un arsenal juridique satisfaisant contre les fraudes. Nous avons proposé diverses mesures de simplification et d'amélioration. Gabriel Attal, à l'époque ministre des comptes publics, a simplifié divers éléments. Par exemple, les conditions de résidence étaient différentes selon les prestations.
Cet arsenal nous sert notamment contre la fraude à enjeux, qui passe par les réseaux sociaux ou le darknet. Nous nous caractérisons par une récupération relativement facile des indus chez les allocataires connus, puisque nous nous servons nous-mêmes dans les prestations que nous continuons à verser. Ce qui est plus compliqué, c'est de faire face à la fraude organisée. Cela nous conduit à développer des outils de prévention efficace. La fraude évitée est plus difficile à évaluer. Elle concerne par exemple les RIB, que les fraudeurs changent sur les comptes des allocataires juste avant les versements mensuels. Dans plus de 80 % des cas désormais, on détecte cette fraude avant le premier versement. C'est très précieux, puisque dans ces cas, on a beaucoup de mal à récupérer l'argent versé.
Sur les algorithmes, soyons clairs et transparents. Il n'y a pas de scandale ni de vocation discriminatoire. Notre système engendre de l'instabilité des droits, par des erreurs déclaratives, davantage que des fraudes. Cela a des inconvénients pour les allocataires. Pour nous, aller chercher ces indus constitue aussi une lourde charge. Nous préférerions allouer nos ressources humaines à l'accompagnement des publics en difficulté.
L'algorithme, qui a plus de quinze ans, est très simple. Il répond à une question : quelles sont les situations présentant un risque d'indu de plus de 600 euros ? Évidemment, on a plus de risques d'avoir un indu important quand on reçoit beaucoup d'argent de la CAF, et donc quand on est dans une situation précaire. Il ne s'agit pas de cibler les pauvres, mais les situations à risque d'indu. Ainsi, l'algorithme ne vise pas les personnes sans aucun revenu, puisqu'elles ont, par définition, moins de risque de se tromper dans leur déclaration. L'AAH n'est pas non plus un facteur de risque. Ce qui l'est, c'est le cumul entre l'AAH et une activité professionnelle, qui est une source d'erreurs très importante.
Il faut détecter les erreurs le plus tôt possible, afin de les corriger et d'aider les allocataires. La fonction des contrôleurs de la CAF est avant tout pédagogique. L'AAH représente des sommes importantes. Imaginez le choc, si l'on détecte l'erreur tardivement et que l'on demande 18 mois d'indus !
Je préfère cibler rationnellement les situations les plus risquées, y compris dans l'intérêt des personnes, puisqu'on leur évite des erreurs et que l'on détecte rapidement le risque d'indu.
Cet algorithme n'est ni Big Brother ni une intelligence artificielle. C'est juste un reflet statistique. Si nous nous en passions, nos ciblages seraient moins efficaces. Nos contrôles et nos conseils seraient par conséquent moins bons, ce qui ne serait pas de bonne politique.
Des instances ont été saisies. Fort bien ! Je serai ravi d'avoir leur position sur ce que l'on peut faire ou non. Évidemment, nous respecterons leurs décisions. Notre algorithme n'est pas un outil de flicage, mais d'amélioration du système social. Il ne faut pas non plus en surestimer l'ampleur. C'est une part très minoritaire de nos contrôles, qui restent humains. Le contrôleur est libre. En outre, on ne contrôle pas 100 % des allocataires - on n'en a pas les moyens ! S'il n'y a rien à rectifier, on ne rectifie rien !
Nos préoccupations sur cet algorithme nous ont conduits à présenter à notre conseil d'administration un plan d'accompagnement et de transparence renforcée sur ces sujets. Nous mettrons en place un comité d'éthique de la donnée au sein de la branche famille.
J'ajoute que la solidarité à la source diminuera les risques liés aux déclarations de revenus.
Je n'ai pas de visibilité sur le sujet spécifique des apprentis. La prime d'activité dépend de nombreux paramètres, liés au chômage ou au Smic.
Nous sommes très engagés dans l'accompagnement des collectivités pour le service public de la petite enfance. Nous les soutenons financièrement. Les 86 millions d'euros sont autre chose : c'est la compensation aux collectivités de la compétence de l'organisation de l'offre de petite enfance. Cela concerne l'État et les collectivités, non la branche famille.
Notre rôle, en matière de service public de la petite enfance, va bien plus loin. Nous assurons un soutien financier, mais fournissons également de l'ingénierie aux collectivités territoriales. Nous amplifions nos moyens en ce sens.
Mme Isabelle Sancerni. - Nos financements en faveur de la mobilité favorisent l'aller vers. Nous finançons des bus et divers équipements itinérants allant vers les populations. En revanche, nous ne finançons pas d'autres types de dispositifs.
Mme Solanges Nadille. - Il faut se pencher sur la mobilité inter-îles, car sur le territoire, il n'y a pas de relais.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à poursuivre l'expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d'employabilité - Examen des amendements au texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons à présent les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, visant à poursuivre l'expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d'employabilité.
Ce texte sera examiné en séance ce jour, après les questions d'actualité au Gouvernement et le débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 1 qui supprime l'article 1er, et donc dévitalise le texte.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Les amendements identiques nos 2 et 8 limitent la durée de l'expérimentation du contrat de travail à temps partagé aux fins d'employabilité (CDIE) à deux années. D'une part, nous voulons que ce texte soit voté conforme. D'autre part, quatre ans ne paraît pas une durée démesurée pour obtenir une vraie appréciation de l'expérimentation. Avis défavorable.
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est ajouter quatre ans à quatre ans !
Nous avons reçu les avis des organisations syndicales, dont la CFDT, qui voteraient mon premier amendement si elles le pouvaient. Elles estiment qu'il n'y a aucune raison de rajouter encore quatre ans. C'est aussi l'avis de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). La rapporteure refuse tout amendement pour obtenir un vote conforme. Vous mettez vos pas dans ceux du Gouvernement, qui demande d'aller vite ! Le rapport de l'Igas a été sous embargo pendant plus d'un an. C'est se soumettre que d'accepter cette situation. L'Assemblée nationale a délibéré sans avis éclairé, alors que le rapport de l'Igas date de juillet 2023. Le Parlement a été bafoué. Consentir à légiférer sans avis éclairé alors qu'un rapport est placé sous embargo est grave !
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 2 et 8.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - L'amendement n° 6 vise à restreindre l'éligibilité des demandeurs d'emploi au CDIE aux seuls chômeurs de catégorie A. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - L'amendement n° 5 tend à créer une sanction en cas de manquement aux conditions légales du CDIE. Les députés n'ont pas retenu ce principe au motif qu'il s'agit d'une expérimentation. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - L'amendement n° 7 a pour objet de préciser par décret les conditions d'application de l'article. Il est satisfait.
Mme Corinne Bourcier. - Je le retirerai.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 7 et, à défaut, y sera défavorable.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - L'amendement n° 3 vise à supprimer la limite de trois mois dans laquelle la mission exercée en CDIE est comptabilisée pour l'ancienneté. Cette limite est pourtant une avancée qui rapproche, conformément au rapport de l'Igas, le contrat de travail intermittent (CDII) du CDIE. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - L'amendement n° 4 a pour objet d'engager les partenaires sociaux à ouvrir une négociation sur un accord de branche sur le CDIE. Il paraît superfétatoire, d'autant que j'interviendrai en séance pour demander à la ministre des avancées en matière sociale. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
TABLEAU DES AVIS
Organisme extraparlementaire - Désignation
M. Philippe Mouiller, président. - Le Premier ministre a saisi le Président du Sénat afin de désigner un représentant de notre assemblée au sein du conseil d'administration de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Notre collègue participera aux réunions du conseil à titre consultatif. Comme à notre habitude, je vous propose que la rapporteure de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) représente le Sénat.
La commission désigne Mme Marie-Pierre Richer pour siéger au conseil d'administration de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail.
La réunion est close à 12 h 30.
- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président -
La réunion est ouverte à 16h30.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale
Mme Pascale Gruny, président. - Nous achevons nos travaux préparatoires à l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 avec l'audition de M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.
L'Urssaf Caisse nationale est au coeur du financement de la sécurité sociale. Elle est, en quelque sorte, le réceptacle naturel de ses difficultés.
Cela se traduit, dans le PLFSS pour 2025, par une forte augmentation de la demande d'autorisation d'emprunt à court terme par la caisse, qui passerait de 45 à 65 milliards d'euros, mais également par une demande d'autorisation à recourir à des emprunts de plus de douze mois à condition que la durée moyenne de ses emprunts reste inférieure à douze mois. Ce sont autant de manifestations des tensions que créent, d'une part, l'accumulation de lourds déficits au fil des ans et, d'autre part, l'impossibilité de procéder à de nouveaux transferts de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). On peut se demander jusqu'à quand une telle situation restera gérable.
Monsieur le directeur, je vais vous laisser commencer cette audition par un propos liminaire qui vous permettra de nous livrer votre vision de ce PLFSS et de la situation financière de votre caisse et, plus généralement, de la sécurité sociale. Nous attendons également votre expertise sur les mesures de recettes, parfois très importantes, qui figurent dans ce projet de loi.
M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale. - L'Urssaf Caisse Nationale est le nom d'usage de l'Acoss, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'établissement de tête pilote d'un réseau de vingt et un centres régionaux d'Urssaf et de cinq caisses de sécurité sociale outre-mer, dont la mission principale est de collecter les cotisations et les contributions pour financer la sécurité sociale et la protection sociale.
L'Urssaf Caisse Nationale exerce aussi d'autres missions. Elle a ainsi une mission d'accompagnement de 12 millions d'usagers, depuis les particuliers employeurs, puisque nous gérons le chèque emploi service universel (Cesu) ou Pajemploi, jusqu'aux entreprises du CAC 40, en passant par les TPE, les PME, les travailleurs indépendants, etc. Tous acquittent des cotisations et des contributions sociales. L'accompagnement de l'Urssaf se traduit de plusieurs manières, aux différents moments de vie des entreprises : lors de la création, lors de la première embauche, mais aussi en cas de difficultés financières. Notre démarche est tournée vers le service aux usagers, car c'est la meilleure manière de bien faire notre mission.
Notre mission est également de nous assurer de l'équité des cotisations et des contributions. Nous réalisons ainsi un contrôle comptable d'assiette, qui vise à vérifier l'écart entre la norme et son application. Ce contrôle n'est pas punitif, mais factuel. Il aboutit à des redressements en faveur de la sécurité sociale, mais aussi à des restitutions en faveur des entreprises lorsque ces dernières ont trop cotisé.
La lutte contre la fraude et la lutte contre le travail dissimulé constituent un autre volet important de notre activité. En 2023, des redressements d'un montant de 1,2 milliard d'euros ont été notifiés pour des cas de travail dissimulé.
Nous avons également une mission de fiabilisation des données sociales qui sont transmises à travers les déclarations sociales nominatives. Ces données portent sur les salariés. Ce travail de fiabilisation permet de s'assurer de la correcte inscription des droits acquis par les salariés au fil de leur vie.
Enfin, l'Urssaf Caisse nationale a une mission de financement de la sécurité sociale, qui est le corollaire de sa mission de collecte des cotisations et des contributions.
Nous jouons ainsi le rôle de trésorier de la sécurité sociale. Concrètement, cela signifie qu'il nous appartient de combler l'écart temporel qui peut exister entre le versement des prestations et la collecte des cotisations. Les cotisations sont collectées le 5 et le 15 du mois, tandis que les pensions de retraite sont versées le 8 ou le 9 du mois. Nous devons combler ce décalage temporal en empruntant à court terme sur les marchés.
Nous devons sécuriser notre trésorerie à trente jours, ou à deux mois dans les périodes risquées, grâce à la constitution d'un coussin de sécurité, pour pouvoir faire face au versement des prestations. Il est important de noter que l'argent collecté par l'Urssaf Caisse nationale est immédiatement reversé dans les vingt-quatre heures aux différentes caisses de la sécurité sociale pour leur permettre de verser les prestations. Nous avons l'obligation de financer en permanence les prestations sans aucune interruption.
Nous fournissons aussi des avances à certains partenaires, notamment à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Nous finançons également, par la force des choses, le déficit de la sécurité sociale, puisque ce déficit, lorsqu'il n'est pas repris par exemple par la Cades, reste dans les comptes de la sécurité sociale et est porté, en pratique, par l'Urssaf Caisse nationale et son emprunt.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 revêt à cet égard une importance très particulière pour nous. Il fixe une nouvelle trajectoire pour la sécurité sociale. Son article 13 contient une disposition relative au plafond d'emprunt de l'Acoss et une autre qui porte sur les modalités techniques d'emprunt. Le PLFSS comprend un certain nombre de mesures d'économie et de recettes, destinées à redresser les comptes de la sécurité sociale. Toutefois la situation déficitaire devrait durer jusqu'en 2028, horizon de prévision du projet de loi. Le déficit sera de 16 milliards d'euros en 2025.
Ce texte nous donne la possibilité, grâce au rehaussement de notre plafond d'emprunt de 45 milliards à 65 milliards d'euros, de faire face à nos besoins de financement au cours de l'année 2025. Il nous donne aussi la possibilité de faire des emprunts à plus de douze mois, dès lors que la maturité moyenne de notre dette ne dépasse pas douze mois. Nous sommes un émetteur de court terme et nous avons vocation à le rester.
Cet aménagement de notre capacité d'emprunt nous permettra de faire appel à des poches d'investisseurs auxquelles nous ne faisons pas appel aujourd'hui. Actuellement, nous ne pouvons pas faire d'emprunt de plus de douze mois ; nous nous adressons donc à deux marchés de papier commercial, le Negotiable EUropean Commercial Paper (NEU CP) et l'Euro Commercial Paper (ECP). Notre dette a une maturité moyenne de trente à soixante jours. En opérant sur un marché différent, nous pourrons avoir accès à des poches d'investissement différentes et allonger la maturité moyenne de notre dette, tout en maintenant celle-ci bien en dessous d'une durée d'un an. Cela constituerait un gage de sécurité. Actuellement, nous sommes un très gros investisseur sur le marché du papier commercial, mais nous atteignons les limites de ce que nous sommes capables d'emprunter de cette manière. Nous considérons donc, en tant qu'opérateur, que les mesures de l'article 13 sont nécessaires pour assurer un financement sécurisé du versement des prestations au cours de l'année 2025.
Le PLFSS contient également plusieurs mesures importantes - réduction générale des cotisations patronales, exonérations relatives aux apprentis, aux marins, à certaines entreprises. Celles-ci auront pour nous un impact, que nous sommes en train d'analyser, lié à leur mise en oeuvre. Elles auront aussi un impact pour les entreprises déclarantes, pour les tiers déclarants, ou pour les éditeurs de logiciels de paye.
En tant qu'opérateur, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l'opportunité de ces mesures. En revanche, nous devrons faire en sorte que les évolutions prévues n'affectent ni la capacité déclarative ni la capacité de paiement de nos usagers.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Maintenant que le plafond de transferts de dette à la Cades de 136 milliards d'euros prévu par la loi du 7 août 2020 a été atteint, la dette sociale va recommencer à s'accumuler à l'Acoss.
En 2020, au début de la crise sanitaire, l'Acoss s'est brièvement retrouvée dans l'incapacité de se financer sur les marchés, ce qui a amené à mettre en place en urgence un dispositif de financement ad hoc. Nous partageons la même angoisse que l'opérateur : pourrons-nous assurer le paiement des pensions ? La dette atteint un niveau catastrophique : le solde de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale sera négatif de 18 milliards d'euros en 2024. C'est déjà plus que le déficit de 17,2 milliards qu'il était prévu il y a un an d'atteindre en 2027 ! Un redressement s'impose.
Un scénario similaire à celui que nous avons connu pendant la crise covid vous semble-t-il susceptible de se reproduire ? Quel encours maximal de dette l'Acoss estime-elle pouvoir gérer dans de bonnes conditions ?
L'article 13 autorise l'Acoss à s'endetter à deux ans, alors que la durée maximale autorisée est actuellement d'un an. Pouvez-vous faire le point sur ce que cette disposition permettra concrètement à l'Acoss de faire ? Si cette disposition avait été en vigueur en 2020, cela aurait-il selon vous permis d'éviter le problème de liquidité ?
L'article 13 augmente également fortement le plafond d'emprunt de l'Acoss. Cela s'explique par l'ampleur du déficit attendu et par la fin des reprises de dette par la Cades. Quelles sont les perspectives à moyen terme ? Si la trajectoire de déficit du PLFSS jusqu'en 2028 était respectée, quel serait l'ordre de grandeur de ce plafond en 2028 ?
Un transfert significatif de dette sociale à la Cades impliquera de repousser une nouvelle fois l'échéance d'amortissement, actuellement fixée à 2033, ce qui implique une disposition organique. Quelles vous semblent être les conditions d'un nouveau transfert de dette sociale à la Cades ? Faut-il selon vous que l'annexe à la LFSS prévoie un retour à l'équilibre en quatre ans ? Suffirait-il qu'elle prévoie une dynamique de baisse ?
M. Damien Ientile. - En 2020, l'Acoss n'a pas été confrontée à une impossibilité d'emprunter, car le Parlement a vite relevé notre plafond d'emprunt, d'abord à 70 milliards d'euros, puis à 95 milliards d'euros à l'été. L'annonce d'une reprise de la dette par la Cades a permis de construire un plan de financement de secours. Mais il s'agissait de mesures de court terme et il faut aussi agir de manière pérenne. On peut emprunter beaucoup à court terme sur les marchés en cas extrême, mais cela ne peut pas durer. En 2020, le plan mis en place impliquait une hausse des financements de marché : celle-ci a été facilitée par l'annonce d'une reprise de la dette par la Cades, qui a permis aux investisseurs de nous financer plus largement. Un pool bancaire a été constitué, pour un prêt de 21 milliards d'euros. Cette solution temporaire a été confortée par l'adoption d'une loi financière et d'une loi organique pendant l'été. La Caisse des dépôts et consignations a octroyé un prêt de 20 milliards d'euros, ce qui correspondait au maximum qu'elle pouvait faire.
Une telle crise peut-elle se reproduire ? Je ne sais pas. D'un point de vue sanitaire, aucun signal ne nous permet de le penser. En revanche, nous sommes très attentifs à la situation géopolitique mondiale qui ne peut pas pleinement nous rassurer. Nous devons pouvoir parer à toute éventualité. D'autres menaces existent aussi, tels que des cyberattaques, qui pourraient aussi fragiliser notre système de financement. Nous essayons de limiter les risques, mais le risque zéro n'existe pas.
En cas de circonstances exceptionnelles, nous avons la possibilité d'augmenter nos encours de marché, mais cela ne peut se faire que jusqu'à un certain niveau. Nous pouvons également recourir à des prêts de la Caisse des dépôts. Nous avons signé une convention avec la Caisse des dépôts, qui prévoit une possibilité de financement à hauteur d'un montant maximum de 13 milliards d'euros, mais cela reste une solution de dernier recours. La Caisse des dépôts elle-même a des limites en ce qui concerne le montant des prêts qu'elle peut octroyer à un acteur.
Notre conviction, fondée sur notre expérience sur les marchés, est que nous pouvons gérer un encours de dette de l'ordre de 40 milliards d'euros de manière sécurisée. C'est ce que nous faisons actuellement. Si l'encours s'établit dans une fourchette entre 40 et 60 milliards d'euros, nous pouvons emprunter, mais dans des conditions plus risquées et qui ne sont pas sécurisantes si cela devient pérenne. Si l'encours est supérieur à 60 milliards d'euros, nous considérons que nous sommes en très grand risque.
L'article 13 confirme notre statut d'emprunteur de court terme, tout en nous permettant d'augmenter la maturité moyenne de notre dette. Celle-ci est actuellement de l'ordre de deux mois, ce qui est relativement court, compte tenu des montants que nous empruntons. Nous devons donc rouler en permanence notre dette, c'est-à-dire que nous réempruntons en permanence environ 5 milliards chaque semaine pour rembourser les dettes qui arrivent à échéance.
L'article 13 autorise l'Acoss à s'endetter à deux ans. Si 30 % de notre dette était empruntée avec une échéance de 18 mois, la maturité moyenne de notre dette passerait de deux mois à 6,8 mois. Cet article nous donne ainsi un horizon de temps plus grand pour sécuriser notre dette. Il peut donc nous permettre de traverser plus facilement une crise conjoncturelle de quelques semaines.
Un autre élément important est que nous aurons la possibilité de solliciter des « poches » financières dédiées à cette maturité. Les investisseurs institutionnels ont des poches pour le très court terme, de 2 à 4 mois, et des poches pour des produits de court terme, de 12 à 24 mois, auxquelles nous n'avons pas accès aujourd'hui. Si le PLFSS est adopté, nous pourrons ainsi intervenir sur un marché plus plafond. Nous serons en mesure d'étendre notre capacité totale d'emprunt et de gérer un encours de dette supérieur. Cette mesure, associée au relèvement du plafond de la dette, devrait nous permettre de traverser l'année 2025 de manière sécurisée. En 2020, si cette disposition avait déjà été en vigueur, il aurait été quand même nécessaire de procéder à une reprise de la dette par la Cades, tant les montants exigés à cause de la crise du covid étaient élevés. Néanmoins, nous aurions pu agir dans un cadre plus sécurisé et nous aurions pu prendre le temps de construire un plan de financement. La situation aurait été plus favorable et moins risquée.
J'en viens à la question du plafond de la dette et à la manière dont nous parvenons au montant de 65 milliards d'euros, qui figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
D'abord, au 1er janvier 2025, nous commencerons l'année avec un encours de dette de 6 milliards d'euros.
Il faut ajouter à ce chiffre environ 18 milliards d'euros, qui correspondent à une variation de trésorerie reflétant le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) en 2025, qui atteint 16 milliards d'euros.
Ensuite, nous devons prendre en compte les financements auxquels nous procédons en avance pour certains partenaires, comme la CNRACL. Ces sommes s'élèvent à 12 ou 13 milliards d'euros.
Il faut également ajouter le montant lié à notre rôle de trésorier, qui est compris entre 15 et 20 milliards d'euros.
Ces chiffres additionnés donnent un total d'environ 58 milliards d'euros, auxquels nous ajoutons 7 milliards, pour prévoir une marge en cas d'écart ou de dérapage.
Ce plafond sera respecté si les mesures prévues par le PLFSS en termes de recettes et d'économies sont bien adoptées et mises en oeuvre.
Il est difficile d'évaluer le plafond nécessaire pour 2028. Cependant, nous pouvons partir du plafond de 2025 et y ajouter les déficits prévus pour les années suivantes. Nous obtenons alors le chiffre de 120 milliards d'euros.
En ce qui concerne le transfert à la Cades, nous ne pouvons pas, en tant qu'opérateur, nous prononcer. Il appartient aux pouvoirs publics de trancher. Cependant, compte tenu des montants, il faudra probablement organiser une reprise de dette un jour, même s'il n'est pas nécessaire de le faire dès maintenant, grâce aux mesures évoquées.
M. Emmanuel Laurent, directeur financier. - L'Urssaf Caisse nationale est un opérateur de référence sur les marchés de court terme et reste le plus gros émetteur sur les marchés ECP et NEU CP. Dans les résultats du dernier trimestre, nous sommes confirmés dans ce rôle de premier émetteur et nous trouvons très loin devant le deuxième. Si nous n'étions pas les premiers, nous aurions une marge de progression. Il s'agit d'un élément important : il existe une limite à ce que nous pouvons lever sur les marchés de court terme.
Mme Pascale Gruny, présidente. - À quel taux empruntez-vous ?
M. Emmanuel Laurent. - À 3 %. Cependant, il est difficile de dire dans l'absolu si ce taux est bon ou non. Nous empruntons au plus près du taux de marché de référence, l'Ester (Euro Short-Term Rate), qui correspond au taux plancher de la Banque centrale européenne (BCE). La prime de taux d'intérêt que nous payons est très faible et parfois négative par rapport à ce taux. La manière dont nous émettons nous permet d'obtenir d'excellents taux. Ainsi, se financer auprès des banques coûterait plus cher et ne permettrait pas d'obtenir autant de financements.
Mme Annick Petrus. - Ma question concerne les cotisations des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), en particulier dans les outre-mer. Ces territoires rencontrent des difficultés spécifiques, notamment en termes de coûts d'exploitation. Comment l'Urssaf prend-elle en compte ces difficultés dans ses processus de recouvrement ? Quelles actions envisagez-vous pour accompagner plus efficacement ces entreprises et leur éviter le paiement de pénalités ? En tant que parlementaire de Saint-Martin, je préfèrerais voir l'Urssaf recouvrir intelligemment les sommes dues plutôt que de voir les entreprises fermer ou s'installer du côté hollandais de l'île, ce qu'elles ont commencé à faire.
M. Damien Ientile. - Les territoires ultramarins ont des caractéristiques économiques différentes de celles de l'Hexagone et des contraintes propres. Nous y rencontrons parfois davantage de difficultés en matière de paiement des cotisations.
Notre accompagnement se compose de plusieurs types d'actions. D'abord, les caisses de sécurité sociale peuvent octroyer des délais, qui permettent de payer les cotisations en plusieurs mois. Cette facilité de paiement permet de dépasser certaines difficultés conjoncturelles.
Ensuite, les travailleurs indépendants qui cotisent au Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) sont éligibles à des aides d'action sociale qui leur permettent de faire face à des difficultés conjoncturelles.
De manière générale, avant d'entamer un recouvrement « forcé », les Urssaf passent par certaines étapes, qui relèvent du recouvrement amiable et dont fait partie l'octroi de délais. Un dialogue se met en place avec les usagers, qu'il s'agisse d'entreprises ou de travailleurs indépendants, pour tenter de trouver la meilleure solution et d'éviter que l'entreprise ne ferme ou ne déménage. Il s'agit pour nous d'un souci constant et personne n'a intérêt à ce qu'une entreprise ferme, dans les outre-mer comme dans l'Hexagone.
Nous savons aussi nous adapter à certaines situations. À titre d'exemple, le contexte en Martinique nous a incités à retarder certaines procédures de recouvrement. En lien avec les pouvoirs publics, nous avons estimé qu'il fallait privilégier un apaisement de la situation. Nous sommes très attentifs à ces questions et privilégions les démarches d'accompagnement, partout sur le territoire, mais un peu plus encore dans les outre-mer.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je voudrais revenir sur l'accompagnement des entreprises, étant moi-même entrepreneure. Votre rôle en matière de trésorerie n'est pas forcément lisible.
Vous entretenez un dialogue permanent et vous privilégiez les recours amiables, ce qui fonctionne plutôt bien. Néanmoins, pour améliorer la communication avec les entreprises, vos services pourraient envoyer un message de rappel 24 ou 48 heures avant l'échéance de paiement, plutôt que de déclencher une majoration dès le lendemain. En effet, l'absence de paiement advient parfois de bonne foi, notamment dans les très petites structures, qui manquent de ressources pour suivre les échéances. Un tel dispositif permettrait à certains entrepreneurs de ne plus associer l'Urssaf à l'idée d'un couperet qui peut parfois tomber de façon violente.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Vous avez un besoin structurel de fonds de roulement et, pour y répondre, vous faites rouler la dette. Dans le passé, ce besoin était-il couvert par des capitaux propres ? Cette situation est-elle le fruit du cumul des déficits au fil du temps ?
M. Khalifé Khalifé. - Dans le cadre d'une audition menée hier, nous avons entendu plusieurs personnes faire part d'un avis réservé quant au statut d'autoentrepreneur ; quel est votre avis sur la question ?
Mme Pascale Gruny, présidente. -J'ai lu que vous aviez recours à l'intelligence artificielle pour cibler les entreprises à contrôler et que les contrôles sur les TPE-PME étaient plus nombreux qu'auparavant. Certains contrôleurs passent beaucoup de temps dans de très petites structures pour récupérer trois francs six sous. Quels moyens déployez-vous en faveur du ciblage des fraudes organisées ?
M. Damien Ientile. - Vous avez noté que la pédagogie en direction des entreprises manquait, ce dont je suis convaincu. L'année prochaine, nous célébrerons les 80 ans de la sécurité sociale et nous tenterons de profiter de cet anniversaire pour mieux faire connaître son fonctionnement. De plus, nous lancerons prochainement une campagne de communication et d'information, qui s'appellera « À quoi servent mes cotisations ? ». La volonté de communiquer n'est pas nouvelle, mais nous prenons conscience qu'il est difficile d'atteindre le grand public. Nous devons fournir cet effort de pédagogie, qui constitue l'une des conditions du consentement au prélèvement et aux cotisations.
M. Emmanuel Dellacherie, directeur de la réglementation, du recouvrement et du contrôle. - J'ai été sensible à vos propos sur la question des relances et des règlements à l'amiable. D'abord, il est possible d'anticiper les déclarations avec le recours au télépaiement, notamment pendant certaines périodes, comme l'été, pendant lesquelles les oublis sont plus fréquents.
Quand l'oubli n'est pas répété, nous adressons un avis amiable une ou deux semaines après l'échéance. Nous n'envoyons pas tout de suite de mise en demeure à l'entreprise ou au travailleur indépendant.
Par ailleurs, la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite Essoc, a instauré le principe du droit à l'erreur. Nous avons dorénavant la possibilité de ne pas appliquer de majoration quand il s'agit du premier retard de paiement dans l'année.
M. Emmanuel Laurent. - Je répondrai à la question posée sur la façon dont nous faisons rouler la dette de court terme. Avant la pandémie, l'horizon de trésorerie sécurisé pour la sécurité sociale était en moyenne de quatre jours. Nous étions à la recherche d'un principe de trésorerie zéro, pour minimiser l'emprunt et les coûts. Cet horizon s'est révélé bien trop court avec la pandémie et notre horizon de trésorerie est aujourd'hui d'un mois.
Nous jouons un rôle de trésorerie de court terme et, chaque mois, il nous faut financer des creux. Nous avons donc besoin d'emprunter. Or les marchés ECP et NEU CP sont structurellement organisés à très court terme. Sur ces marchés, les investisseurs cherchent des placements pour quelques jours ou semaines et, si nous souhaitions emprunter sur douze mois, nous ne trouverions pas les fonds. Il faut se défaire de l'idée selon laquelle il suffirait de dégrader les prix pour obtenir les montants souhaités. En empruntant du papier commercial sur le très court terme, nous utilisons un moyen standard, que nombre d'émetteurs publics, d'entreprises ou de banques utilisent, pour sécuriser la trésorerie sur un mois.
L'un des bénéfices de l'article 13 du PLFSS serait de permettre à l'Urssaf de voir une fraction de son financement s'opérer sur 12, 14 ou 18 mois, pour ne plus avoir à émettre chaque mois l'intégralité des montants. En effet, chaque mois, lorsque nous rencontrons un creux de trésorerie, indépendamment de tout déficit, il nous faut trouver 15 milliards d'euros. Aujourd'hui, nous avons recours au marché chaque mois pour emprunter cette somme, ce qui revient à devoir trouver 180 milliards d'euros sur une année. Grâce à la mesure proposée, nous aurions la possibilité d'emprunter davantage en une seule fois ...
Mme Raymonde Poncet Monge. - ...et ce serait moins cher ?
M. Emmanuel Laurent. - Pas forcément mais ce serait très intéressant en termes de gestion des risques. Il s'agirait d'un bénéfice technique qui ne dénaturerait pas notre rôle de trésorier.
M. Damien Ientile. - Je n'ai pas de jugement à porter sur le statut d'autoentrepreneur. Cependant, en tant que collecteur de cotisations sociales, il me semble que ce statut a le mérite d'une grande simplicité, qui prive d'excuses ceux qui refusent de s'enregistrer et de cotiser.
Les autoentrepreneurs font aussi l'objet de contrôles et nous avons mis en place un guichet de régularisation, géré par l'Urssaf Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Nous croisons les déclarations fiscales et sociales et, si l'écart est trop important, nous faisons une demande d'explication qui entraîne généralement une régularisation.
Il s'agit d'un statut très débattu mais qui a l'intérêt d'être un vecteur de formalisation de l'emploi.
M. Emmanuel Dellacherie. - Nous avons recours à deux types de contrôles. D'une part, nous organisons des contrôles comptables d'assiette, qui ont lieu sur place ou sur pièces, qui visent à vérifier la bonne application de la législation de sécurité sociale et peuvent entraîner des redressements ou des restitutions. D'autre part, nous menons des actions de lutte contre la fraude.
Dans les deux cas, nous avons recours à des technologies innovantes, notamment en termes de mobilisation des données pour cibler les contrôles. Nous utilisons aussi ces techniques pour les contrôles comptables d'assiette parce que l'Urssaf ne peut pas contrôler toutes les entreprises chaque année. Il faut donc faire des choix.
Nous prévoyons une petite part de contrôles aléatoires, pour respecter le principe selon lequel toute entreprise peut faire l'objet d'un contrôle, mais aussi pour évaluer l'évasion sociale et le manque à gagner. Cependant, la plupart de nos contrôles sont ciblés et visent les TPE et PME qui présentent le plus de risques. Dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion signée avec l'État en 2023, nous avons fait le choix structurant de contrôler moins de TPE-PME, pour nous concentrer sur les entreprises pour lesquelles nous appréhendons des risques plus élevés de redressement.
Pour la grande majorité des TPE-PME, nous privilégions la fiabilisation des données déclaratives. Nous les invitons aussi à nous solliciter dès que des questions se posent sur l'application de la réglementation, sans attendre le contrôle.
Nous avons recours à des algorithmes et la démarche est ouverte, notamment pour ce qui concerne la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada). La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique établit la règle de la transparence en la matière et prévoit une exception, dans les situations où les algorithmes concourent à la recherche d'infractions pénales, ce qui est le cas dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé.
La réunion est close à 17 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.