Mardi 5 novembre 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques - Examen du rapport

M. Claude Raynal, président. - Nous débutons nos travaux cet après-midi par l'examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement de nos finances publiques, dont la commission des finances s'est saisie pour avis.

M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. - Les projets et propositions de loi constitutionnelle relèvent de la pleine compétence de la commission des lois, au même titre que les lois de finances relèvent de la nôtre.

Toutefois, lorsque notre collègue Vanina Paoli-Gagin a déposé, le 30 septembre dernier, une proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques, notre commission s'en est naturellement saisie pour avis, son contenu rejoignant très exactement nos préoccupations et l'objet principal de notre travail.

Désigné rapporteur pour avis, j'ai conduit des auditions en commun avec le rapporteur au fond de la commission des lois, Stéphane Le Rudulier, dans un esprit de parfaite coopération.

Je tiens à saluer l'initiative de notre collègue. La situation actuelle, marquée par cinquante années de déficit et aggravée par la crise et le « quoi qu'il en coûte », exige une action résolue. La question des moyens à mettre en place pour y parvenir doit être débattue.

La proposition de loi envisage une solution forte : instituer, pour la durée d'une législature, une loi portant cadre financier pluriannuel, qui fixerait une trajectoire de retour à l'équilibre budgétaire, et dont les dispositions s'imposeraient ensuite aux lois de finances annuelles ainsi qu'aux lois de financement de la sécurité sociale. Le Conseil constitutionnel serait chargé de vérifier la conformité des lois de finances à la loi-cadre. Celle-ci serait adoptée selon une procédure assez proche de celle des lois de finances, mais ne pourrait être révisée qu'en convoquant le Parlement en Congrès, avec un vote aux trois cinquièmes des suffrages exprimés.

La proposition de loi prévoit également de réserver aux lois de finances le monopole des dispositions fiscales et vise à inscrire dans la Constitution le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), en lui confiant un nouveau rôle d'élaboration de prévisions économiques indépendantes relatives aux finances publiques.

Cette proposition s'inspire d'un texte assez proche, adopté par les deux assemblées en 2011, sur l'initiative du gouvernement de François Fillon. L'inscription d'une procédure de retour à l'équilibre budgétaire dans la Constitution paraissait alors presque indispensable au regard des engagements européens de la France et du pacte budgétaire européen, alors en négociation. Malgré une adoption en termes identiques, le Congrès n'a jamais été convoqué, peut-être par crainte de ne pas recueillir une majorité suffisante, mais surtout, plus fondamentalement, en raison de l'évolution du contexte. La mise en oeuvre, peu après, du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) a en effet montré que la loi organique constituait une voie suffisante pour garantir le respect des engagements européens, notamment avec la création du HCFP.

La proposition de loi de notre collègue reprend donc les objectifs du texte de 2011. La dégradation des finances publiques est aujourd'hui bien pire qu'elle ne l'était à l'époque, et les lois de programmation des finances publiques n'ont eu aucun effet sur la trajectoire du déficit, à tel point d'ailleurs que les derniers gouvernements ne cherchaient même plus à les réviser en cours de période.

Les solutions proposées soulèvent toutefois des objections qui - je l'annonce d'emblée - me conduiront à vous proposer de ne pas adopter le texte.

Les modalités de révision des lois-cadres par convocation directe du Congrès, sans examen au préalable par chacune des assemblées, posent par exemple la question du rôle du Sénat, qui ne représente que 37,6 % des membres du Congrès. Ce serait donc les seuls textes sur lesquels notre assemblée ne serait pas amenée à se prononcer séparément.

En outre, l'obligation de contrôle de tous les textes financiers par le Conseil constitutionnel risquerait de ralentir excessivement l'action publique : dans une situation telle que celle que nous avons connue en mars 2020, il faudrait, avant de pouvoir voter une loi de finances rectificative, modifier la loi-cadre devant le Congrès, tout en soumettant ladite loi comme la loi de finances rectificative au contrôle du Conseil constitutionnel... Il ne serait pas possible, comme nous l'avons fait alors, de débloquer en cinq jours des crédits très importants et absolument nécessaires.

Si le principe d'annualité paraît certes très rigoureux et mal adapté à une vision nécessairement pluriannuelle de l'action publique, la rigidité des procédures n'est pas forcément un gage de rigueur de l'action publique. On pourrait imaginer, par exemple, que, pour obtenir une majorité des trois cinquièmes, un gouvernement soit conduit à accorder un trop grand nombre de concessions et à renoncer aux objectifs initiaux de bonne gestion budgétaire.

Par ailleurs, si le principe d'annualité doit être aménagé, la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons risque de lui porter une atteinte trop forte. L'annualité permet d'ajuster les agrégats de finances publiques en fonction de la croissance et des circonstances, et autorise à réorienter une politique qui n'a pas porté ses fruits en cours de législature. Recueillir l'aval de trois cinquièmes des membres du Parlement réuni en Congrès à cette fin paraît disproportionné.

Parfois, une règle peut avoir l'effet inverse de celui qui est attendu. Prévoir le dépôt du projet de loi de finances le 15 septembre nous donnerait certes plus de temps pour l'examiner, mais le gouvernement pourrait être tenté de présenter un projet minimaliste, complété en cours de discussion par un nombre plus élevé encore qu'aujourd'hui d'amendements dépourvus d'étude d'impact, au détriment de l'information du Parlement.

Le périmètre des lois-cadres, tel que défini dans la proposition de loi, semble également trop détaillé pour un texte constitutionnel. Les auditions que nous avons conduites ont fait état d'un certain nombre de discussions, pour ne pas dire de désaccords sur les indicateurs de finances publiques qui devraient figurer dans le texte. L'indicateur de dépenses nettes, qui constitue le nouvel indicateur de référence des règles budgétaires européennes adoptées le 29 avril dernier, répond bien à cet impératif. Il serait dommageable de mettre en concurrence les indicateurs français et les indicateurs européens. En outre, élever au rang constitutionnel des règles précises et strictes relatives aux finances publiques peut s'avérer inapproprié, comme en témoigne le cas de l'Allemagne. La règle de frein à l'endettement, introduite dans la loi fondamentale en 2009, fait ainsi aujourd'hui l'objet de critiques quasi unanimes dans ce pays, mais il est toujours plus difficile de retirer ou de réviser une règle constitutionnelle qu'une règle de niveau inférieur.

Je souligne par ailleurs que des règles élevées au niveau constitutionnel et pesant sur l'ensemble des administrations publiques pourraient conduire à une « reprise en main » encore plus importante des finances locales par l'État, contraire aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités.

Enfin, l'extension du contrôle du Conseil constitutionnel à la conformité des lois de finances à la loi-cadre soulève des questions quant au rôle de cette institution. Un tel contrôle, portant sur des aspects économiques et financiers, comporterait un risque de transformer le Conseil en un « juge des finances publiques », ce qui n'est pas sa vocation.

Le monopole des lois de finances en matière de fiscalité, quant à lui, rejoint une bonne pratique qui est largement suivie depuis une circulaire du Premier ministre François Fillon en 2010 et qu'il faut approuver. Toutefois, l'inscrire dans la Constitution reviendrait en fait à réduire le champ de l'initiative parlementaire : il ne serait pas possible, par exemple, de réformer la fiscalité des meublés dans une proposition de loi, comme le prévoit le texte sur lequel députés et sénateurs ont trouvé un accord il y a quelques jours en commission mixte paritaire.

S'agissant de l'inscription du HCFP dans la Constitution, cette mesure ne soulève sans doute pas d'objection majeure, même s'il a déjà prouvé, depuis 2012, sa capacité à trouver sa place dans le cadre juridique actuel et à forcer les gouvernements successifs à mieux justifier leurs prévisions. Quant à l'extension de ses compétences en matière de prévisions, elle pose la question des moyens de cet organisme et de son positionnement par rapport à l'administration du ministère de l'économie et des finances, sans laquelle il est difficile de réaliser de manière crédible les prévisions qui sous-tendent le projet de loi de finances.

Je veux donc remercier Mme Paoli-Gagin de nous conduire à « relever la ligne d'horizon », pour reprendre une expression du Premier ministre, à lever les yeux du projet de loi de finances pour nous projeter sur la manière dont l'effort pourrait être pérennisé. On peut discuter de l'opportunité d'inscrire une contrainte juridique dans la Constitution, mais nous disposons aussi d'une « Constitution financière », la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), qui a montré sa capacité à s'adapter à l'évolution très tourmentée des finances publiques ces dernières années.

En tout état de cause, les règles juridiques ne peuvent suffire : il faut surtout changer d'attitude face à la dépense publique et perdre les réflexes hérités de la crise sanitaire, lorsque des sommes considérables déversées en période de taux d'intérêt nuls ont fait croire à l'argent gratuit. Le débat public que permet cette proposition de loi y contribue.

C'est pourquoi, tout en partageant l'objectif de redressement de nos finances publiques, je ne vous proposerai pas d'adopter cette proposition de loi. Si la commission des lois, demain, décide de même, nous débattrons donc en séance publique avec le Gouvernement du texte initial déposé sur le Bureau du Sénat.

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. - Cette proposition de loi constitutionnelle n'arrive pas en débat au meilleur moment. Alors que nous avons déjà entamé l'examen du projet de loi de finances pour 2025, elle ne rend pas vraiment service, j'en conviens.

Vous avez évoqué le « quoi qu'il en coûte » et les budgets votés en déficit depuis cinquante ans, monsieur le rapporteur pour avis. Personne ne peut non plus se satisfaire du projet de budget pour 2025. Nous peinons à contenir notre déficit sous la barre des 5 % du PIB, bien au-delà de nos engagements européens, tout en augmentant les impôts du pays déjà le plus imposé du monde, en rupture totale avec la politique économique engagée depuis sept ans... Nous commençons d'ailleurs, dans nos circonscriptions, à percevoir l'enrayement de la machine économique, qui ne fera que s'amplifier si nous poursuivons sur cette voie.

Nous ne parvenons absolument pas à réduire nos dépenses, à peine à en freiner l'augmentation, ce qui n'empêche pas nos concitoyens d'être de plus en plus mécontents des services publics qui leur sont rendus, avec des conséquences politiques inéluctables que l'on voit se dessiner également.

Nous ne pouvons certes blâmer l'actuel gouvernement, qui a dû agir en urgence, ni bien entendu les travaux de la commission des finances - bien au contraire -, mais nous sommes collectivement responsables de cette dérive. C'est pourquoi nous devons changer de méthode.

Nous ne sommes même pas assurés de parvenir au terme de l'examen de ce budget, en raison de l'inflation chronique du nombre d'amendements, sauf à renoncer à l'exercice de notre droit le plus souverain. Le budget pourrait finalement n'être voté ni par l'Assemblée nationale ni par le Sénat, ce qui serait assez déplorable pour la démocratie, car c'est traditionnellement l'une des prérogatives essentielles du Parlement.

Ce travail, engagé voilà plus de six mois - et si l'on en discute maintenant c'est malgré moi -, a pour objet de tenter d'améliorer la situation, à défaut de résoudre le problème. J'ai auditionné des professeurs de finances publiques, des économistes, des responsables d'organismes de prévision : M. Philippe Dessertine, M. François Ecalle, M. Alain Pariente, M. Mathieu Plane, M. Olivier Redoulès, M. Francesco Martucci, M. William Honvo.

Nous l'avons constaté au fil des ans, une divergence se creuse inéluctablement entre la trajectoire adoptée en loi de programmation et les lois de finances que nous votons chaque année. Je propose donc de graver dans le marbre cette programmation et de contraindre les lois de finances annuelles à la respecter. Il s'agirait, concrètement, de donner la primauté à la pluriannualité sur l'annualité en matière budgétaire. Nous conserverions bien entendu, en cas de crise, des marges de manoeuvre qu'il serait possible d'actionner en présence d'un relatif consensus politique.

Par souci d'efficacité, je me suis inspirée de l'architecture du projet de loi constitutionnelle avorté de 2011, qui, je le rappelle, avait été voté par de nombreux membres éminents de cette commission.

Ma proposition entre en résonance avec le modèle européen de cadre financier pluriannuel et renforce par ailleurs le rôle du HCFP pour éviter les erreurs de prévision, fréquentes ces dernières années, jusqu'au dérapage industriel que nous connaissons aujourd'hui.

Elle serait aussi gage de responsabilité : tout nouvel exécutif serait obligé, en début de mandature, de présenter son « plan de vol » budgétaire à cinq ans et de s'y conformer, car il s'agirait d'une norme constitutionnelle. Je suis certaine que nos concitoyens comprendraient cette démarche, qui est aussi un moyen de lutter contre nos propres démons.

S'agissant enfin de vos réserves sur le contrôle de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel serait éclairé par les analyses du HCFP et à aucun moment il ne se substituerait au rôle du Parlement.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le dispositif proposé se rapproche de celui qui avait été adopté il y a un peu plus d'une décennie, dans un contexte qui ressemble au nôtre.

L'objectif est pertinent, mais la solution proposée se heurte à des obstacles juridiques et à des questions pratiques, notamment en termes de réactivité aux crises soudaines.

De plus, la consultation du Conseil constitutionnel pourrait entacher la liberté du Parlement et de l'exécutif.

Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur pour avis : la rigidité des procédures n'est pas synonyme de rigueur dans la gestion des affaires publiques. Il faut identifier des voies qui ne soient pas aussi contraignantes que celles que propose Mme Paoli-Gagin et qui ne comportent pas d'obstacles juridiques.

Je partage donc l'analyse prudente du rapporteur pour avis. Néanmoins, nous devons poursuivre notre réflexion sur ce sujet. Le cadre et les objectifs pourraient être plus contraignants qu'ils ne le sont aujourd'hui afin de ne pas permettre une forme de laisser-aller.

Mme Nathalie Goulet. - Cette proposition de loi constitutionnelle prouve que nous cherchons des outils pour ne pas rester démunis face au déficit budgétaire.

En 2008, lors de l'examen de la loi constitutionnelle de modernisation des institutions, la « règle d'or » d'Alain Lambert n'a pas été adoptée, à deux voix près. Si nous avions inscrit cette règle dans la Constitution, notre situation serait bien différente. Il faudrait peut-être tendre vers un tel dispositif.

Cette proposition de loi constitutionnelle a le mérite d'exister, de nous faire réfléchir et de montrer que nous tentons de reprendre la main ; il s'agit d'un bel effort.

M. Vincent Delahaye. - Je remercie Vanina Paoli-Gagin parce qu'une réflexion sur ces sujets est hautement nécessaire, compte tenu de notre situation.

Cette proposition de loi constitutionnelle est sans doute un peu trop contraignante. Cependant, je conviens que nous manquons de contraintes et, de loi de finances en loi de finances, le laxisme budgétaire demeure. Le Gouvernement tente aujourd'hui de resserrer la vis, mais la tâche est compliquée.

Il me semble dommage que le rapporteur pour avis n'ait pas fait de propositions et ne se soit pas engagé à entamer un travail complémentaire avec l'auteur du texte, afin de l'amender pour que nous trouvions la voie du redressement de nos finances publiques.

Certains pays n'ont pas besoin de contraintes pour parvenir à bien gérer leurs finances publiques, mais ce n'est pas notre cas : dès que nous formulons des propositions d'économies, des oppositions se font entendre. Nous sommes quasiment dans le mur et il serait bien que le Sénat agisse en faveur d'une plus grande rigueur et d'une plus grande contrainte, pour encadrer nos décisions en la matière.

M. Pascal Savoldelli. - J'arrive aux mêmes conclusions que le rapporteur pour avis, mais en empruntant des chemins différents.

Deux idées me semblent intéressantes dans ce texte : questionner le périmètre du HCFP et prévoir une consultation plus fréquente du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Cependant, le Parlement sera rendu responsable des déficits publics et je ne compte pas dédouaner les gouvernements successifs.

Enfin, je suis favorable au maintien de l'annualité, qui permet de procéder à des prévisions et à des comparaisons, évite d'avoir recours à des lois de finances rectificatives et pose la question du consentement à l'impôt.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez rappelé que les comptes n'étaient plus à l'équilibre depuis 1974, mais il faudrait en finir avec cette référence datée. Le monde a changé. Aujourd'hui, presqu'aucun État ne vote un budget à l'équilibre. En effet, un bon emprunt est lié aux dépenses d'avenir. La référence au « zéro emprunt » n'a aucune crédibilité et la question est bien d'avoir une dette soutenable et bien orientée.

Je suis d'accord avec le rapporteur pour avis, la proposition de loi constitutionnelle entraînerait la suppression de la compétence du législateur ordinaire en matière fiscale, ce qui me semble impossible.

Enfin, le cadre financier pluriannuel pourrait être voté en ayant recours au 49.3. Il pourrait aussi être adopté la dernière année d'une législature, pour les cinq ans qui suivent.

Je comprends l'idée du texte, mais les dispositions proposées me semblent compliquées.

M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. - Je partage les préoccupations de l'auteur de ce texte, qui pose de bonnes questions. Cependant, les réponses apportées ne correspondent pas à ce qui nous semble souhaitable. La Lolf constituerait un vecteur plus approprié pour apporter les ajustements nécessaires et permettre de mieux encadrer le débat, sans perdre nos prérogatives.

Je n'ai pas développé les arguments constitutionnels et juridiques, qui sont du ressort de la commission des lois. Cependant, je rappelle que cette proposition de loi constitutionnelle devrait faire l'objet d'un référendum pour être adoptée, ce qui représenterait un frein important à l'aboutissement de cette démarche.

Le contexte a effectivement changé depuis 2011. Si la situation de nos finances publiques s'est encore dégradée, le TSCG a été adopté et certains éléments nous permettent de mieux encadrer nos délibérations.

Je partage certaines remarques de Vincent Delahaye sur le besoin de contraintes juridiques, même si ce besoin résulte de manquements politiques. Cependant, le pacte de stabilité et de croissance (PSC), réactivé cette année, crée déjà certaines obligations. Lors de la décennie 2010, il a constitué un aiguillon pour réduire le déficit public, notamment sous le quinquennat de François Hollande.

Nous rencontrons une réelle difficulté à respecter les objectifs fixés par les lois de programmation des finances publiques (LPFP) et les lois de finances, mais les contraintes doivent rester réalistes.

De plus, la délibération permettant le consentement à l'impôt me semble un élément essentiel des prérogatives du Parlement.

Enfin, je rappelle que certains pays, y compris européens, comme le Danemark, l'Irlande ou le Portugal, ont des budgets en excédent.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption de la proposition de loi constitutionnelle.

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Aide publique au développement » - Compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » - Examen du rapport spécial

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ». - La mission « Aide publique au développement » est particulièrement mise à contribution dans le cadre de l'effort budgétaire proposé pour 2025.

Les crédits demandés s'élèvent à 4,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 4,4 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Pour mémoire, ils ne représentent qu'une partie du montant global de l'aide publique au développement de la France, qui atteint 14,8 milliards d'euros en 2024.

En 2025, le périmètre de la mission intègre le programme 384, qui est nouveau et acte la rebudgétisation du fonds de solidarité pour le développement (FSD). Jusqu'alors, ce fonds sans personnalité juridique était affectataire d'une partie de la taxe de solidarité sur les billets d'avion et de la taxe sur les transactions financières, pour un montant de 738 millions d'euros. Avec l'entrée en vigueur de la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le FSD est désormais intégré aux crédits de la mission.

En tenant compte des ajustements de périmètre, la baisse des crédits de la mission s'élève à 19 % en AE et à 23 % en CP. Si l'on prend en considération les amendements de crédits annoncés par le Gouvernement pour un montant de 641 millions d'euros en CP, le montant des CP de la mission se situerait à 3,8 milliards d'euros en 2025, soit une baisse de 34,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Il s'agit donc de la mission la plus affectée par les coupes budgétaires, en volume.

En proportion, la mission avait déjà été la plus ponctionnée lors des annulations de crédits en février 2024, avec une réduction de 13 % des crédits votés par le Parlement quelques semaines plus tôt.

Certes, la trajectoire de dépenses proposée par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales était trop ambitieuse, puisqu'elle fixait l'objectif d'un montant de l'aide publique au développement s'élevant à 0,7 % du revenu national brut en 2030. L'an dernier, nous avons d'ailleurs présenté avec Michel Canévet un amendement visant à diminuer les crédits de la mission.

Pour autant, l'effort demandé me semble disproportionné. Au-delà du coup de rabot qu'elle représente, cette coupe budgétaire traduit un renoncement à l'ambition affichée par la France. Une telle déstabilisation du volume des crédits de la mission, provoquée dans la précipitation, ne sera pas sans conséquence.

En effet, celle-ci frappe jusqu'aux fondamentaux de l'aide publique au développement, dont nous pouvions penser qu'ils seraient préservés : l'aide d'urgence, l'aide alimentaire et l'aide humanitaire. De plus, ces fondamentaux sont touchés dans un moment où les crises sont fortes, partout à travers le monde.

À cet égard, l'exemple récent du Liban est significatif, tout comme celui du Soudan. Ce dernier illustre combien l'effondrement de la sécurité et de la santé dans les États les moins développés multiplie les enjeux pour notre pays, surtout en ce qui concerne la sécurité sanitaire et la question migratoire. Ainsi, 10 millions de Soudanais sont aujourd'hui en exil. À Calais, ils représentent 60 % des migrants. Il est paradoxal de découpler nos ambitions en matière de solidarité internationale et de politique migratoire.

De plus, la suppression de la provision pour crises majeures pose question, eu égard à l'instabilité climatique et géopolitique du monde.

Concernant les contributions multilatérales, nous sommes tentés de saluer la réduction, au sein du programme 110, des participations de la France à de nombreux organismes, ce qui répond aux recommandations de la Cour des comptes.

Cependant, en y regardant de plus près, nous constatons que c'est le programme 209 du ministère des affaires étrangères qui subit l'essentiel des efforts de réduction des crédits. En fait, on s'attaque aux contributions volontaires du programme, qui résultent des choix stratégiques de la France, plutôt qu'à certaines contributions obligatoires relevant du programme 110, pourtant responsables de la rigidification des dépenses.

Les baisses des crédits de la mission, opérées sans discernement, contribueront à l'effort de redressement des finances publiques, mais passeront à côté de l'enjeu de la rationalisation. Ainsi, le Fonds d'études et d'aide au secteur privé (Fasep), particulièrement critiqué par l'inspection générale des finances pour son inefficience, se trouve malgré tout maintenu.

Enfin, l'aide au développement constitue un canal de projection internationale pour nos entreprises, qui peuvent accéder aux marchés émergents par ce biais. À cet égard, les critères d'appel d'offres de l'Agence française de développement (AFD) intègrent dorénavant les dimensions sociale et environnementale, évitant ainsi de privilégier les offres moins-disantes. Sur la totalité des appels d'offres internationaux financés par l'AFD entre 2019 et 2023, la part de marché des entreprises françaises s'élevait à 51 %, ce qui correspond à 800 marchés et à 2,5 milliards d'euros.

L'ampleur de cette coupe budgétaire porte atteinte à l'action humanitaire menée par la France, ne permet pas de rationaliser nos contributions multilatérales et aura un impact économique qui n'est pas pris en compte. L'effort légitime demandé à la mission, comme aux autres, doit être abordé avec nuance et pragmatisme, pour éviter la faute politique qui consisterait à abîmer la voix de la France à l'international. Les mesures d'économies demandées me paraissent disproportionnées et mettent en péril notre influence dans le monde. J'émettrai donc un avis de rejet de ces crédits.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ». - Comme vient de l'indiquer Raphaël Daubet, la mission connaît une diminution de ses CP de près d'un quart et la trajectoire fixée par la loi de programmation du 4 août 2021 paraît aujourd'hui caduque. J'en tire toutefois des conclusions différentes de celles de mon corapporteur.

La forte contraction des moyens de la mission constitue le revers d'une trajectoire de dépenses trop ambitieuse. En effet, entre 2017 et 2023, le volume de la mission avait progressé de 40 %. Dans un contexte budgétaire dégradé, il n'est pas illégitime de s'interroger sur le volume et la qualité de nos dépenses publiques en la matière. Plusieurs pays ont d'ailleurs revu à la baisse leurs objectifs d'aide publique au développement ces dernières années.

En premier lieu, je rappellerai que l'augmentation importante des moyens de notre politique de développement présentait deux limites principales.

D'abord, le quasi-doublement des moyens de la mission s'est accompagné d'une rigidification croissante des dépenses. Si l'on examine le programme 110, géré par la direction générale du Trésor, nous constatons que la baisse des dépenses est entravée par le volume conséquent des restes à payer. Ce programme comprend en effet d'importantes dépenses obligatoires, en particulier des contributions internationales à de grands fonds multilatéraux et des crédits de bonification des prêts de l'AFD. Le caractère pluriannuel de ces dépenses limite les marges de manoeuvre budgétaires du Gouvernement.

Ensuite, la trajectoire de notre aide publique au développement a conduit à un risque de sous-exécution des crédits et de dispersion des dépenses. Certaines enveloppes, comme les crédits de l'aide-projet ou la provision pour crises majeures, faisaient chaque année l'objet d'une sous-exécution. S'agissant des contributions internationales, la récente enquête de la Cour des comptes a souligné que nous contribuons au budget de 271 entités multilatérales, parfois pour des sommes modiques et donc peu efficaces.

Je salue à cet égard les efforts fournis par la direction générale du Trésor et la direction générale de la mondialisation, qui ont su, en réaction à la réduction de l'enveloppe budgétaire, concentrer les dépenses sur leurs priorités stratégiques et abandonner des instruments plus accessoires. La forte réduction de la participation française aux fonds fiduciaires de la Banque mondiale en 2025 en est une illustration.

En second lieu, ces coupes franches appellent une ligne claire. La redéfinition du montant des crédits de l'aide au développement doit être l'occasion de mieux définir nos objectifs et la doctrine d'utilisation de nos instruments. En ce sens, nous identifions trois priorités pour les prochains exercices.

D'abord, il paraît indispensable d'opérer une véritable revue de dépenses de nos contributions internationales. Le renouvellement de nombreux fonds verticaux en 2026 devra constituer l'occasion, pour le Gouvernement et le Parlement, de réexaminer l'ensemble des participations aux entités multilatérales, pour mieux sélectionner nos versements.

Dans le même sens, il faudra établir une doctrine claire quant à l'articulation entre les canaux multilatéraux et bilatéraux qu'emprunte notre aide. Il en est de même concernant l'articulation avec les instruments européens d'aide au développement : le Fonds européen de développement (FED), auquel nous versons encore 144 millions d'euros de crédits cette année alors qu'il est en voie progressive d'extinction, et l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (NDICI).

Ensuite, trois ans après l'adoption de la loi de programmation, il apparaît indispensable de concrétiser l'objectif d'amélioration de l'évaluation de cette politique publique. En ce sens, nous regrettons la trop lente concrétisation des instruments introduits par la loi. Ainsi, le premier rapport annuel relatif à la politique de développement n'a été remis qu'en juin dernier et la commission d'évaluation de l'aide publique au développement ne sera mise en place que début 2025 ; il nous faudra suivre son installation avec attention.

Enfin, la baisse du volume de la mission impose une actualisation des objectifs de notre politique de développement. À ce titre, les conclusions du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de juillet 2023 apparaissent en décalage avec les moyens dont nous disposerons dans les années à venir. Il faudra changer son fonctionnement et associer davantage le Parlement à la définition de notre politique de développement.

En conclusion, je vous invite à adopter les crédits de la mission et ceux du compte de concours financier « Prêts aux États étrangers ».

M. Patrice Joly, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères sur les programmes « Aide économique et financière au développement » et « Solidarité à l'égard des pays en développement ». - J'ai entendu les deux rapporteurs spéciaux : l'un s'est positionné dans le champ politique et l'autre dans celui de la gestion budgétaire.

D'abord, la pauvreté s'accroît dans le monde, la malnutrition demeure un problème majeur et la santé comme l'éducation restent plus que jamais essentielles.

De plus, notre intervention soulève la question de l'interdépendance à l'échelle mondiale, qui est de plus en plus prégnante et dont la conscience est largement partagée. Des efforts sont menés dans les domaines de l'alimentation, de la biodiversité, de la gestion de l'eau, de la lutte contre le réchauffement climatique ou encore de la gestion des flux migratoires. Sur toutes ces questions, l'interdépendance est réelle et la France doit jouer son rôle.

On peut s'interroger sur le caractère raisonnable de la diminution proposée des crédits. Quel message est ainsi exprimé, auprès des Français et de l'opinion publique mondiale, quant aux responsabilités que la France considère comme siennes au niveau international, à un moment où elle est contestée, en Afrique en particulier ?

On peut aussi questionner les conséquences qu'une telle baisse aura sur les actions menées sur le terrain, notamment par des ONG déjà touchées de plein fouet par la diminution des crédits qui a eu lieu cette année.

Il nous reste des auditions à mener et je conviens que certains éléments budgétaires méritent rationalisation. Cependant, sur le plan politique et compte tenu des conséquences à prévoir sur les actions en cours, il me semble difficile de pouvoir émettre un avis favorable.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Certes, des efforts de rationalisation sont à fournir, mais il faudrait balayer devant notre porte. Entre 2017 et 2023, le volume de la mission a augmenté de 40 % et il s'est accompagné d'une rigidification de la dépense, qui est contraire à l'idée d'autorisation parlementaire.

Avec le décret de février dernier, des coupes sérieuses ont déjà eu lieu et le Gouvernement en propose de nouvelles.

Il nous faut considérer l'évolution récente de la relation de la France avec ses partenaires en matière de développement international. Ainsi, certains pays lui ont soudainement demandé de quitter des territoires qu'elle aidait depuis longtemps.

Je souscris à la nécessité d'actualiser les objectifs de la politique d'aide au développement. En effet, on ne peut pas penser qu'en diminuant nos moyens, nous pourrons continuer à mener les mêmes actions. Ce travail d'actualisation doit être réalisé de manière collégiale et s'appuyer sur le point de vue du Parlement.

Mme Nathalie Goulet. - Il a toujours été difficile d'évaluer l'efficacité de la politique d'aide au développement.

Je m'interroge sur la taxe sur les billets d'avion : à combien s'élève-t-elle ? Qui la collecte ? Une société privée s'en charge-t-elle ? Comment est-elle redistribuée ?

J'en viens au centre de crise et de soutien (CDCS), qui constitue une pépite de notre diplomatie et dont l'activité risque d'être pénalisée par la baisse des moyens alloués à l'aide humanitaire. Quelles diminutions de budget sont prévues ?

- Présidence de M. Thomas Dossus, vice-président -

M. Vincent Delahaye. - Je félicite Michel Canévet pour son courage. En effet, il est rare qu'un rapporteur spécial donne un avis favorable à des crédits qui baissent à ce point ; il s'agit d'une bonne jurisprudence, qui devrait nous inspirer.

Il me semble irresponsable d'avoir augmenté de façon considérable les crédits de la mission ces dernières années, sans avoir les moyens de les financer.

Je n'avais pas voté la loi de programmation de 2021. Le coût démesuré du nouveau siège du groupe AFD m'a également interpellé. Où en est-on à ce sujet ? Que sont devenus ces locaux largement surdimensionnés ?

J'avais alors souhaité que nous recentrions l'aide au développement sur les pays les plus pauvres, qui reçoivent à peine la moitié des sommes allouées à l'ensemble des pays. Le conseil d'administration de l'AFD s'est-il saisi de tous les projets ? Fonctionne-t-il de façon correcte ?

M. Éric Jeansannetas. - Deux points de vue s'affrontent en effet et l'un est gestionnaire.

Ce rude coup de rabot fragilise-t-il nos actions en faveur de la vaccination et des associations féministes dans le monde, en faveur de la lutte contre la famine et la malnutrition ? Les crédits sont-ils préservés dans ces domaines ou s'agit-il d'un affaiblissement complet en la matière ? Réduire ces actions de solidarité internationale peut poser de graves problèmes et jouer sur notre stabilité future.

M. Victorin Lurel. - Certes, il faut faire des efforts, mais ce qui est proposé me semble lourd et disproportionné.

Au 31 décembre 2024, selon votre graphique, les restes à payer représentent près de 8 milliards d'euros. Vous proposez une trajectoire pour les absorber, mais, au-delà de 2027, il restera encore plus de 5 milliards d'euros à financer. Une grande partie des crédits sont ainsi absorbés. La mission n'est-elle pas dès lors cantonnée à une inertie totale, qui entraîne une perte de rayonnement pour la France ?

Il y a plusieurs années, nous avions eu un débat sur les critères d'éligibilité et d'attribution des aides. Quels sont les critères aujourd'hui retenus ? Sont-ils objectivables ? La Chine est-elle encore considérée comme un pays prioritaire pour l'attribution de l'aide publique au développement ?

M. Grégory Blanc. - L'approche proposée est davantage comptable que gestionnaire.

Sur les 14 milliards d'euros de dépenses, la moitié concernera les collectivités territoriales, de manière directe ou indirecte. De plus, les domaines de l'écologie et de l'éducation se trouvent dans le viseur. Enfin, des ponctions ont lieu sur les agences et l'aide humanitaire.

Cependant, peu de réformes structurelles sont proposées, notamment en ce qui concerne les doublons et l'organisation de l'État, ce qui me semble symptomatique.

Deux approches s'affrontent dans la façon d'analyser ces crédits, mais j'entends peu de nuance dans les propos des deux rapporteurs spéciaux. Il ne s'agit pas seulement de valider ou non ces crédits ; nous pourrions aussi augmenter et réduire certaines enveloppes.

M. Jean-Marie Mizzon. - La France est-elle un pays généreux ou pingre ? Je ne dispose pas de points de comparaison avec les autres pays européens.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - La part de la taxe sur les billets d'avion à destination de l'aide publique au développement s'élève à 206 millions d'euros en 2024, le reste allant au budget général de l'État. Je suis incapable de vous répondre sur le mode de collecte. Il nous faut développer une expertise sur le sujet et demander des éclairages au rapporteur du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».

Paradoxalement, les moyens dédiés au CDCS augmenteront en 2025, à hauteur de 20 millions d'euros. Comme nous le disions l'an dernier, nous sommes de ceux qui préfèrent utiliser la provision de 270 millions d'euros de cette structure plutôt qu'apporter de l'argent, étant donné le contexte budgétaire. Identifions d'abord les masses monétaires en jeu puis, si besoin était en cours d'année, abondons le Centre par un collectif budgétaire !

Pour ce qui concerne l'humanitaire, il est clair que la France ne résout pas les crises qui traversent le monde au travers de sa seule action. Nous visons un tel objectif en contribuant à des organisations multilatérales, par exemple au Programme alimentaire mondial (PAM) dont M. Daubet et moi avons rencontré à Rome les représentants pour nous renseigner sur leur action. La coordination permet en outre d'intervenir sur des territoires comme celui de Gaza ou les pays africains où la France est honnie.

L'AFD a pour objectif de s'installer en 2027 dans de nouveaux locaux que nous avions déjà eu l'occasion de juger surdimensionnés - le projet de ce déménagement a été élaboré en 2020 - et qui le sont plus encore à l'heure actuelle. En effet, les modes de travail ont changé entre-temps. Nous avons interrogé l'organisme sur la part de ses locaux considérés comme surnuméraires. Pour le moment, aucune estimation n'existe. À l'époque, je parlais de 20 000 mètres carrés sur les 50 000 du lieu, mais le nombre de 8 000 mètres carrés nous a été avancé.

Lors de l'examen de la loi du 4 août 2021, nous avions appelé au recentrage de l'APD sur dix-neuf pays prioritaires, à savoir dix-huit pays africains et Haïti. Or, en 2023, le Cicid, en dehors de toute consultation du Parlement, a décidé de porter la cible à quarante-six pays moins avancés (PMA), ce qui a tendance à diluer l'aide.

Le conseil d'administration de l'AFD avait tendance à avaliser tous les projets qui lui étaient présentés, parfois contre l'avis de ses autorités de tutelle, à savoir, d'une part, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, d'autre part, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour mémoire, les cotutelles n'ont pas la majorité au sein du conseil d'administration. Lors de la dernière réunion, il a fallu l'intervention de l'un de nos collègues, qui est administrateur au sein de cet organisme, pour qu'un projet qui n'avait pas reçu l'aval soit - enfin ! - remis en cause. Il s'agissait alors - je vous réponds par la même, monsieur Lurel - de financer deux entreprises chinoises investissant en Égypte. Le rôle de l'AFD est-il de financer des projets soulevant de telles interrogations contre l'avis de sa tutelle ? Il importe de se concentrer sur l'essentiel.

Malgré les coupes budgétaires, nous continuons à financer assez vigoureusement les actions en faveur des plus fragiles à travers le monde dans le domaine de la santé, à la fois en bilatéral et en multilatéral. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a essayé de préserver l'aide humanitaire, car nous passons de 200 millions à 220 millions d'euros pour le CDCS.

Les projets de l'AFD sont pluriannuels, ce qui explique les restes à payer.

En matière d'aide publique au développement, nous reviendrons en 2025 aux moyens que nous consacrions à cette politique en 2021. Ce n'est pas un recul de retourner à ce niveau ! Il nous faudra toutefois amplifier les politiques d'évaluation - il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs -, car rien n'avance en la matière malgré la décision du législateur en 2021.

L'AFD aura peut-être moins de moyens pour intervenir dans les pays étrangers, mais peut-être son action sera-t-elle plus efficiente dans les départements d'outre-mer et dans les territoires d'outre-mer, qui en ont bien besoin.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - L'aide alimentaire connaîtra une baisse de 20 millions d'euros et l'aide humanitaire de 395 millions d'euros. Il s'agit bien de baisses pour des aides au fondement de l'aide publique au développement, ce que je trouve un peu problématique.

Devons-nous être comptables ou gestionnaires ? Si nous étions gestionnaires, nous assainirions un certain nombre de pratiques et de participations moins efficientes ou ne répondant pas à nos stratégies. Comme il existe de nombreux restes à payer concernant des engagements pluriannuels, nous réaliserons non pas des économies sur de telles contributions contraignantes, mais sur le reste, par exemple au sein d'instances dans lesquelles nous avions voulu concourir avec les autres pays. La marge de manoeuvre sera donc réduite.

L'AFD intervient en Chine au titre de ses activités bancaires - c'est une réalité -, non pas pour aider ce pays, mais pour favoriser la lutte contre le changement climatique. En effet, dans le cahier des charges stratégique de l'Agence figure le soutien à des actions en la matière. Faut-il se réjouir de cette politique ? Je laisse à chacun le soin d'en juger.

Par ailleurs, la diminution des moyens propres de l'AFD entraînera, de manière contre-intuitive, une baisse du volume des prêts bonifiés portés par l'agence et une augmentation des prêts accordés aux conditions de marché. Je nous mets en garde contre ce danger, à savoir obtenir l'inverse de ce que nous attendions.

D'après les informations que nous avons pu recueillir, les choix concernant le siège de l'Agence sont très critiquables. Malheureusement, la baisse des crédits ne supprimera pas le problème.

M. Vincent Delahaye. - Nous avions prévenu !

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - À nouveau, il ne faut pas frapper au mauvais endroit.

Au sein des États membres de l'OCDE, nous étions le cinquième pays donateur en volume en 2023 et le dixième en pourcentage de revenu national brut (RNB) en 2022. Nous étions pingres en 2017 sur nos contributions internationales et nous sommes plutôt généreux en 2024. L'idée est non pas de redevenir pingre, mais d'être un peu moins généreux.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - Examen du rapport spécial

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons avec le rapport de MM. Christian Klinger et Victorin Lurel sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar). Nous accueillons pour ce point à l'ordre du jour M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Nous le savons tous, la situation des agriculteurs français n'est pas réjouissante : réchauffement climatique, pluies massives depuis un an, possible concurrence économique déloyale du fait de l'ouverture potentielle au Mercosur, droits de douane chinois sur nos spiritueux, conséquences de l'élection présidentielle américaine sur les exportations de nos fromages et de nos vins, poids du conflit ukrainien sur le cours de notre blé et de nos volailles, manque d'attractivité d'une partie des professions agricoles, crises sanitaires successives, handicaps propres à la ruralité, vols de matériels, recul de notre souveraineté alimentaire, faiblesse de notre innovation dans ce secteur, défi assurantiel... J'en passe ! Je dois bien avouer que même l'optimisme alsacien pourrait en prendre un coup.

Il est difficile, dans ces conditions, de ne pas donner raison aux exploitants agricoles qui ont manifesté en début d'année. Leur situation est d'autant plus difficile du fait d'un contexte budgétaire particulièrement morose. L'endettement abyssal dont nous héritons et l'absence de marge de manoeuvre qui en résulte doivent, à mon sens, nous astreindre à une forme de modestie. Répondre aux attentes du secteur agricole dans un tel contexte est un véritable défi. Si une personne autour de la table a une solution miracle pour concilier les contraintes économiques, écologiques, sociales, concurrentielles et budgétaires, qu'elle n'hésite pas à la partager !

Je tiens néanmoins à mettre en avant un point de satisfaction, car il s'agit bel et bien d'une satisfaction que de voir le total des concours publics consacrés à l'agriculture être maintenu en 2025. Si l'on ajoute les crédits européens de la politique agricole commune (PAC), les dépenses sociales figurant au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), les mesures fiscales, les dépenses budgétaires que nous sommes en train de présenter, le compte d'affectation spéciale dont nous parlerons, les crédits, comme l'enseignement technique agricole, qui figurent sur d'autres missions, nous consacrerons en tout 25,6 milliards d'euros en 2025 à l'agriculture et à la forêt. Ce montant est très proche du total des concours publics de 2024, ce qui constitue un effort colossal au vu du contexte budgétaire

Notons toutefois que la répartition des sommes varie. Des crédits qui figuraient l'an dernier dans la mission sont déplacés et prennent une autre forme, pour soutenir d'autres priorités. Ces changements s'expliquent par les revendications des agriculteurs, qui se sont traduites par plus de 3 000 demandes lors du mouvement social du début d'année et ont abouti à soixante-dix engagements gouvernementaux.

Ces engagements débouchent sur des crédits d'urgence engagés sur l'exercice 2024, des mesures fiscales figurant dans la première partie du projet de loi de finances pour 2025 (PLF), des mesures sociales dans le PLFSS et, enfin, des dispositifs présents dans le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui reviendra en janvier prochain devant le Parlement. S'y ajoutent quelques actions contenues dans la mission que nous examinons.

Dès lors, deux choix s'offraient à nous, en tant que rapporteurs spéciaux.

D'une part, nous pouvions nous restreindre aux crédits de la mission et comparer les seules années 2024 et 2025, comme pour tendre une loupe et nous focaliser ainsi sur une toute petite partie de la réalité. Cette option n'est pas celle que nous avons retenue.

D'autre part, nous pouvions prendre tous les critères en compte et nous poser la question sous un angle autre qu'une simple analyse comptable, en nous demandant si les crédits pour l'agriculture, dans leur ensemble, permettront de répondre aux principales attentes des professionnels du secteur, tout en ne dégradant pas notre souveraineté alimentaire. Nous avons adopté cette démarche, que nous considérons comme la plus honnête intellectuellement.

Ainsi, nous avons décidé de comparer le projet pour 2025 et les années 2023 - dernière année entièrement exécutée - et 2024.

Les pouvoirs publics, je l'ai dit, accomplissent un effort budgétaire réel en maintenant la somme totale des concours publics agricoles. Poser un tel constat pourrait sembler paradoxal parce que les autorisations d'engagement (AE) de la mission diminuent de 13,46 % et les crédits de paiement (CP) de 6,56 %. Le paradoxe n'est qu'apparent : le rapport retranscrit notre volonté de photographier l'ensemble de l'effort accompli envers le monde agricole, et non les seuls crédits transitant par la mission.

Le document qui vous a été distribué fait apparaître un graphique comparant les crédits de la mission pour 2025 avec ceux de l'exercice 2023 - ce rapprochement nous est apparu comme le plus révélateur. Ce graphique montre un effort globalement soutenu. Bien sûr, nous aimerions faire plus et je partage certaines des pistes d'amélioration que Victorin Lurel mettra en avant. Néanmoins, je considère que nous devons voter en faveur de ces crédits : ils répondent à l'essentiel des attentes des professionnels, dans un contexte objectivement difficile.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Comme M. Klinger, je reconnais l'effort consenti par les pouvoirs publics. Nous percevons bien toute la difficulté de concilier le nécessaire redressement des finances publiques et le soutien à des politiques publiques aussi transversales que celles dont nous parlons. Le montant global des moyens alloués en 2025 me semble satisfaisant, à condition de prendre tous les paramètres en compte, au travers des articles 18, 19 et 20 de la première partie du PLF.

En revanche, il me semble difficile de faire abstraction de plusieurs caractéristiques de cette mission pour 2025. Il y a encore, selon moi, une marge de progression.

L'effort consenti en 2024 sur le plan écologique n'est pas reconduit. Certes, reconnaissons-le, la fibre en la matière du gouvernement Attal était largement fictive - proposer des crédits sans les avoir est une démarche spécieuse -, mais ce budget 2025 voit les moyens pour la planification écologique fondre de deux tiers... C'est encore plus rapide que la fonte des glaces !

Cette diminution, d'environ 600 millions d'euros en autorisations d'engagement, affecte les actions considérées comme pilotables, c'est-à-dire principalement la planification. L'action n° 29 « Planification écologique » du programme 149 perd 650 millions d'euros en AE et 300 millions d'euros en CP ; l'action n° 09 « Planification écologique - Stratégie de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires » du programme 206 voit son enveloppe réduite de 90 millions d'euros en AE et 45 millions d'euros en CP.

Cette importante diminution est à nuancer. Effectivement, par rapport à ce qui a été réellement dépensé en 2023, les crédits pour une agriculture écologique augmentent, ce pourquoi la répartition des crédits au sein du programme 149 me pose davantage problème que leur montant.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, sept des dix sous-actions de l'action n° 29 affichent une ligne budgétaire nulle, alors même que cet état de fait ne correspondrait pas, pour partie, à l'intention gouvernementale. Le cabinet de la ministre nous a suggéré d'appréhender les crédits alloués à l'échelle de l'action n° 29 dans son ensemble, sans tenir compte des montants affichés dans le détail... Cette situation est particulièrement regrettable. Elle serait même intolérable dans un contexte d'examen plus classique, rendant la comparaison des sous-actions non pertinente. Certes, cette répartition a vocation à être rectifiée prochainement, mais nous attendons depuis des semaines...

J'insiste donc : à ce stade, c'est surtout la répartition qui est problématique. Un seul exemple, les fortes précipitations au cours de l'année écoulée ont contribué à gorger les arbres d'eau ; sans travaux forestiers, c'est-à-dire sans coupe de ce bois, celui-ci sera perdu ; une telle perte signifierait que les crédits engagés en 2024 pour planter de nouveaux arbres auraient été dépensés en vain. Par conséquent, investir 230 millions d'euros en 2025 pour le renouvellement forestier sans prévoir de crédits pour les travaux et sans soutenir le secteur des pépinières forestières afin d'envisager une replantation rapide n'a véritablement aucun sens.

Que dire, aussi, de la baisse des crédits de la politique consacrée à la sécurité et à la qualité sanitaires de l'alimentation au sein du programme 206 ? Leur réduction de 30 millions d'euros dans un contexte sanitaire pourtant loin d'être optimal n'a rien de rassurant. Nous avons donc demandé des garanties sur ce point. L'essentiel m'apparaît préservé dès lors que le nombre d'agents travaillant sur la sécurité alimentaire et sanitaire augmente : il passe de 2 299 équivalents temps-plein travaillés à la fin de 2023 à 2 351  au début de 2025. Une fois encore, il faut prendre tous les paramètres en compte.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Permettez-moi de signaler d'autres points très positifs dans ce budget.

En premier lieu, les crédits budgétaires consacrés au renouvellement des générations sont sanctuarisés. L'action n° 23 du programme 149 passe de 123 millions à 126 millions d'euros. Ces crédits viennent compléter ceux du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), lesquels passent par les régions.

En ajoutant à cela l'effort réalisé à travers l'article 19 de la première partie du PLF, que le rapporteur général nous présentera en commission le 13 novembre prochain, nous nous donnons enfin les moyens d'inverser la tendance en matière de transmission d'exploitations et de renouvellement des générations. Le fait que le montant du programme d'accompagnement à l'installation et la transmission en agriculture (AITA) pour 2025 reste en discussion, puisque 13 millions d'euros sont proposés à ce stade, alors que 20 millions d'euros seraient nécessaires en année pleine pour tenir l'engagement, n'efface pas toutes les avancées.

En second lieu, certains dispositifs favorables aux travailleurs se voient consolidés. L'agriculture est un secteur très concurrentiel. Sans adaptation de nos règles, nous favorisons une certaine précarisation. L'exonération de plusieurs charges ou cotisations dont bénéficient environ 71 000 entreprises, soit à peu près la moitié des structures agricoles employant un salarié, assure le maintien de 31 % du volume global des heures salariées dans le secteur agricole tout en donnant lieu à compensation par la Mutualité sociale agricole (MSA). C'est un des moyens de lutter contre le travail illégal et les conséquences de ce dernier, en particulier sur les emplois à faible valeur ajoutée.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Je prête également une attention particulière à ce sujet, en raison de la situation dans les outre-mer, où le salariat agricole joue un rôle central. Je vois donc des avancées dans l'augmentation des crédits de protection sociale du programme 149, mais également dans celle des crédits consacrés aux fameux travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE) au sein du programme 381. Cette évolution vise à anticiper les conséquences de deux mesures du PLFSS très attendues par les agriculteurs : la prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour le calcul des pensions de retraite et le rehaussement de 1,2 à 1,25 Smic du seuil de dégressivité du dispositif TO-DE.

Nous évoquons aussi, dans le rapport, le rôle crucial des dix opérateurs rattachés à la mission, qui, pour la plupart, voient leurs moyens pérennisés ou renforcés. Au-delà de la question des crédits budgétaires, nous veillerons néanmoins au maintien du plafond d'emploi des opérateurs forestiers, en particulier de l'Office national des forêts (ONF). Celui-ci verrait son schéma d'emplois diminuer de 95 équivalents temps-plein (ETP) en 2025.

Je signale, au passage, que nous aurons un échange avec l'Agence de services et de paiement (ASP) en début d'année prochaine, afin de vérifier les capacités de l'organisme à accélérer les versements d'aides. Malgré les progrès, de nombreux retards nous sont encore signalés.

Vous l'aurez compris, je considère que ce budget retranscrit un effort réel de l'État. Dès lors, voter contre ces crédits n'aurait pas de sens. Toutefois, le Gouvernement doit revoir sa copie sur plusieurs points, notamment sur la répartition des crédits entre les sous-actions du programme 149. Je pense aussi à un aspect que nous développons dans le rapport, mais que nous vous épargnons en raison de sa technicité, à savoir la question du différentiel entre recettes et dépenses au sein du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural », le solde comptable s'établit à 134,24 millions d'euros à la fin de 2023 et devrait atteindre environ 141 millions d'euros à la fin de l`année.

Je m'abstiendrai donc, à ce stade, sur le vote des crédits de cette mission essentielle, avec l'espoir que des améliorations interviendront d'ici à la séance publique. Je ne suis pas totalement rassuré sur ces améliorations puisque nous avons appris hier soir que le Gouvernement était sur le point de déposer à l'Assemblée nationale des amendements visant à réduire le déficit à 5 % du PIB en 2025, ce qui se traduirait, pour notre mission, par une réduction de 98,3 millions d'euros des autorisations d'engagement et de 97,3 millions d'euros de crédits de paiement

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - J'irai dans le sens des conclusions des deux rapporteurs spéciaux. De nombreuses mesures correspondent à des engagements précis, visant à ne pas détériorer - contrairement à nos malheureuses habitudes - la compétitivité de la ferme France, engagements que le gouvernement précédent avait pris à la suite des manifestations des agriculteurs.

La suppression de la hausse de la fiscalité appliquée au gazole non routier (GNR) et l'exonération de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB) sont des bonnes nouvelles.

Nous pourrions par ailleurs nous pencher sur l'ouverture de la déduction pour épargne de précaution (DEP) aux aléas économiques, en plus des aléas climatiques et sanitaires. Cette ouverture en ferait un véritable instrument financier permettant aux agriculteurs d'affronter les différentes crises.

Trois mesures du PLFSS me paraissent essentielles.

La première mesure est la prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour le calcul des retraites agricoles, même si le problème de la durée de mise en place de la réforme se pose. De fait, seuls 10 % des agriculteurs, c'est-à-dire ceux qui disposent d'une carrière complète à ce titre, seront alignés sur ce mode de calcul. Les 90 % restants sont les multipensionnés, lesquels devront attendre jusqu'à 2028 pour voir l'amélioration de leur régime de retraite devenir réalité. Au moins, nous n'aurons pas la surprise de voir des retraités agricoles victimes d'une diminution de leur pension, étant donné le travail que le Sénat a fourni en ce sens.

La deuxième mesure dont je me félicite touche aux TO-DE. Il faut toutefois faire attention : l'article 8 améliore et pérennise le dispositif, tandis que l'article 6 plafonne les exonérations. Si les discussions budgétaires à l'Assemblée nationale n'allaient pas à leur terme, comme il semble que ce soit le cas, nous devrions nous pencher sur ce paradoxe et reprendre les éléments de l'amendement proposé aux députés par le Gouvernement pour résoudre le problème. Un article ne peut pas doucher les espoirs suscités par un autre !

La troisième mesure, enfin, concerne l'exonération sur les cotisations maladie et famille en faveur des jeunes agriculteurs. Cet amendement, que je porte depuis sept ans au Sénat, trouve enfin sa traduction dans le PLFSS. Il permettra de corriger une injustice flagrante, à savoir le fait que sur certaines exploitations, par exemple sur les groupements agricoles d'exploitation en commun (Gaec), les jeunes agriculteurs paient plus de charges sociales que les agriculteurs ayant vingt ou trente ans d'expérience dans la profession, et ce malgré les exonérations.

Je rejoins le rapporteur spécial Christian Klinger sur la question de l'AITA, sur lequel un problème demeure. Nous attendions 20 millions d'euros ; on en annonce 13 millions... Nous aurons donc des propositions à formuler.

Ma vision est également très claire sur l'ONF. Si, au départ, je n'étais pas totalement opposé à la diminution de 95  ETP, cette évolution m'apparaît à présent comme un mauvais signal.

Cet organisme, passé de plus de 12 000 à 7 500 salariés, a consenti à un effort colossal, bien que nécessaire, sur sa structure. Depuis deux ou trois ans, il se retrouve, grâce à une gestion bien plus rigoureuse, à déclarer un bénéfice de plus de 60 millions d'euros par an, induisant un surcroît d'impôt de plus de 5 millions d'euros. En outre, ces nouveaux bénéfices - ils auraient pu être partagés avec les salariés, mais ceux-ci l'ont refusé - ont été intégralement mis à contribution pour le désendettement de l'ONF, dont la dette est passée de plus de 400 millions d'euros à 270 millions d'euros environ. Compte tenu de l'ensemble de ces réalisations, ne vaudrait-il pas mieux, plutôt que des coupes budgétaires transversales, maintenir les effectifs et encourager l'État à suivre ce modèle ?

Le signal serait tout aussi mauvais pour le Centre national de la propriété forestière (CNPF). Celui-ci ne dispose que de 374 ETP. Aurions-nous accepté, l'an dernier, une augmentation de 21 ETP pour mieux décider, cette année, d'une diminution de 13 ? Quel est le sens d'une telle politique, si ce n'est faire deux pas en avant, puis trois pas en arrière ?

Je termine par une proposition sur le plan sanitaire. La France s'est peu à peu habituée à un moindre nombre de crises sanitaires - souvenons-nous des problématiques de prophylaxie qu'ont connues nos prédécesseurs du fait de maladies comme la fièvre aphteuse ou la tuberculose. Nous nous sommes pensés un petit paradis. Or les maladies endémiques touchant les troupeaux reviennent : fièvre catarrhale ovine (FCO), maladie hémorragique épizootique (MHE), etc. Il nous faut donc refondre entièrement le système sanitaire, en repensant cette politique et les capacités financières mises au profit de la profession vétérinaire. Sans action de notre part, la population des vétérinaires ruraux, seules sentinelles de notre pays, ne fera que baisser, et nous n'aurons plus aucune possibilité de faire de la prévention face aux pandémies. À titre d'exemple, la France et le Royaume-Uni ont connu en l'an 2000 des cas de fièvre aphteuse : par son système sanitaire fondé, encore à cette époque, sur une répartition harmonieuse des vétérinaires, la France a limité le nombre de cas à trois, quand le Royaume-Uni en a connu des dizaines de milliers !

Même si cela fera grincer des dents, j'écrirai une proposition pour appeler à une fusion des groupements de défense sanitaire (GDS) avec les chambres d'agriculture. L'objectif sera d'avoir, à la fois, des opérateurs capables d'une veille sanitaire plus précise et un lien direct avec les vétérinaires, notamment par l'intermédiaire d'un véritable financement. Je proposerai même une contribution volontaire obligatoire, peut-être cofinancée par l'État, pour atteindre un budget de 60 millions d'euros environ et avoir ainsi les moyens de faire évoluer positivement le nombre de vétérinaires ruraux. Si nous n'y prenons pas garde, les crises que nous connaissons ne feront qu'empirer et leur traitement nécessitera de plus en plus d'argent.

M. Michel Canévet. - Je ne suis pas de ceux qui apprécient la valeur d'une mission à l'aune de l'augmentation de ses crédits. Il ne faudrait pas que la situation financière de l'ONF s'inverse en réintroduisant des effectifs.

Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture offrira-t-il les moyens d'accompagner la transmission des exploitations agricoles ? Des procédures de simplification, sources d'économies, y figurent-elles ?

Par ailleurs, de nombreux agriculteurs ont dénoncé la lenteur de l'ASP. Peut-on améliorer les délais en termes de paiements, notamment pour accompagner les personnes qui se sont engagées de manière pluriannuelle dans des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) ?

Les rapporteurs spéciaux voient-ils des possibilités de regroupements au sein des dix opérateurs ?

M. Éric Jeansannetas. - Concernant le programme 206 et l'action n° 09, l'appel à projets du ministère de l'agriculture pour financer la recherche et la mise en oeuvre de solutions de substitution à l'utilisation des pesticides - ceux-ci sont un danger pour la santé publique et pour la santé des agriculteurs eux-mêmes - serait-il affecté par la diminution importante des crédits ?

M. Jean Pierre Vogel. - À la lecture du rapport spécial, j'ai été assez rassuré par la préservation sur le plan budgétaire des dix opérateurs - ils jouent un rôle clé - malgré la diminution de crédits qui frappe deux d'entre eux. Je suis notamment inquiet pour l'Institut français du cheval et de l'équitation, organisme incontournable pour la filière hippique. Quel est le montant exact des crédits supprimés, en montant et en pourcentage ? Le périmètre des actions de cet organisme sera-t-il revu pour lui permettre de réaliser des économies ? Les conséquences d'une telle diminution ont-elles été évaluées ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le sujet des opérateurs est récurrent dans notre assemblée : nombre, efficacité non optimale...

Concernant l'ASP, la situation s'améliore-t-elle ? Le cas échéant, de quelle manière ?

Même si le Casdar est moins critiqué que par le passé, bénéficie-t-il d'une attention suffisante ? Faudrait-il réorienter ses moyens, par exemple vers le budget du ministère ?

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Comme cela a été dit, nous avons tâché de faire une revue générale de la politique agricole, sans nous limiter à la mission présente : les promesses qui avaient été faites aux agriculteurs ont, pour beaucoup, été respectées.

D'abord, grâce à des simplifications administratives figurant à l'article 20 du projet de loi de finances, les agriculteurs paieront moins cher le GNR en n'avançant pas les fonds susceptibles d'être remboursés.

Ensuite, des exonérations et déductions de charges s'appliqueront au secteur agricole, comme la DEP. La déduction pour les stocks de vaches laitières se transformera en provision comptable dans une limite de 15 000 euros. La reprise de cette provision sera exonérée si le cheptel augmente en valeur au cours des six dernières années. Par ailleurs, le taux relevé d'exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties passera de 20 % à 30 %. Les pertes de recettes des communes et intercommunalités à la suite de prises à bail seront compensées.

Enfin, l'article 19 vise à faciliter les transmissions. Des mesures sont prises concernant les plus-values de cession d'une exploitation à un jeune. Ainsi, le seuil d'exonération totale connaîtra une augmentation de 100 000 euros, pour s'établir à 450 000 euros, tandis que l'exonération partielle passera de 450 000 à 550 000 euros. Les plus-values de cession en cas de départ à la retraite bénéficieront d'un étalement sur soixante-douze mois tout en donnant droit à une exonération sur l'impôt sur le revenu. Le chiffre d'affaires des Gaec éligible à ce dispositif passera de 500 000 à 600 000 euros.

Reste à savoir si ces mesures seront pérennisées. Par ailleurs, je ne peux pas vous répondre sur la prise en compte des aléas économiques dans le cadre de la DEP, ne disposant de l'impact budgétaire de cette proposition qui ne peut pas être formulée sans qu'on dispose d'un chiffrage.

Nous attendons tous le vote, dans le PLFSS, de la prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour le calcul de la retraite. Nous cherchons une égalité de traitement au sein du secteur privé. Il faut éviter qu'une part importante d'agriculteurs n'ait pas une carrière complète et s'assurer que ces derniers disposent du nombre d'annuités suffisantes pour obtenir une pension minimale, en nous penchant sur les 90 % d'entre eux qui pourraient être affectés très sévèrement par la réforme.

Ce problème prend une acuité considérable dans les outre-mer. Les personnes que nous avons auditionnées nous ont assuré clairement ne pas être techniquement prêtes pour cette réforme au regard de spécificités locales  : bénéfices imposés à l'hectare, retraites forfaitaires, exonérations... Une refonte pourrait passer par ordonnance. Je suis inquiet que la représentation parlementaire puisse être écartée.

Plusieurs améliorations concernent les TO-DE. Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture permettra d'améliorer les transmissions non seulement en individuel, mais aussi en société, comme dans le cas des Gaec.

Les mesures concernant l'AITA suscitent la déception. Je suis partisan de trouver un juste milieu entre les 13 millions d'euros proposés en PLF et les 20 millions d'euros nécessaires en année pleine. Nous en débattrons au travers d'amendements en séance publique.

L'ONF a fait savoir qu'elle pourrait prendre en charge les 95 ETP sur ses fonds propres, il faut donc s'interroger sur la nécessité de toucher au plafond d'emplois.

Quant au CNPF je n'apprécie pas vraiment les fluctuations d'effectifs contradictoires qu'il connaît d'un exercice sur l'autre et je partage la position du rapporteur pour avis sur ce point.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Le plafond d'emploi de l'ONF pour 2025 prend en compte un transfert d'effectifs de 154 ETP vers une filiale créée au sein de l'établissement en 2023, ainsi qu'un transfert de 43 ETP, correspondant à des emplois vacants, vers l'ASP au sein du même programme. Il est vrai que l'ONF propose de prendre en charge les 95 ETP susceptibles d'être supprimés pour 2025. Nous en débattrons en séance.

Les crédits de l'Institut français du cheval et de l'équitation figurent sur le programme 149. La baisse de 600 000 euros émanant du programme 149 est partiellement compensée par 150 000 euros supplémentaires alloués au travers du programme 219 « Sport ». Au total, le financement public apporté à l'opérateur passe donc de 45,2 millions d'euros à 44,7 millions d'euros.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Face à la diminution des crédits relatifs aux questions sanitaires, des réorientations doivent être réalisées, notamment à l'égard des vétérinaires.

Concernant les transmissions agricoles, je le répète, les mesures qui figurent dans le projet de loi de finances me paraissent aller dans le bon sens.

L'ASP a suscité des critiques puisqu'on nous signale que, dans certains départements, 30 % des agriculteurs ont touché des aides pourtant débloquées avec un retard conséquent : la lenteur des processus crée des problèmes de trésorerie grave. Certains professionnels et la plupart des syndicats ont reconnu des améliorations sur les délais de paiement, mais il reste beaucoup à faire.

Faut-il regrouper les opérateurs ? La question est récurrente. Dans l'absolu, e un rapprochement entre l'ONF et le CNPF semblerait possible, mais un tel rapprochement reste politiquement compliqué et je ne suis pas sûr qu'il se fera. Quant à rapprocher FranceAgriMer et l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom), on ne l'a jamais voulu dans les outre-mer, pour des raisons d'autonomie et de liberté, et cela serait également complexe à réaliser.

Le budget de l'action n° 09 du programme 206 passe, par rapport à la loi de finances pour 2024, de 250 à 161 millions d'euros en AE, soit une baisse de 35,73 %, et de 150 à 105 millions d'euros en CP, soit une diminution de 29,42 %. Peut-être la chute de ces autorisations et crédits est-elle davantage lissée par rapport à 2023, mais elle demeure forte.

S'agissant du Casdar, son solde pose effectivement un problème. Il faut à mon sens augmenter le plafond de dépenses du compte, qui a enfin été augmenté l'an dernier. Il s'établit dorénavant à 146 millions d'euros, contre 126 millions d'euros précédemment.

Faut-il rebudgétiser le compte ? Les professionnels n'y sont pas favorables et il s'agit de l'argent des agriculteurs. Sans y être clairement opposé, je suis plutôt sceptique quant à une rebudgétisation dont les modalités leur échapperaient.

M. Christian Klinger, rapporteur. - Les groupements départementaux sanitaires évoqués par M. Duplomb relèvent indirectement de la présente mission ; c'est un débat que nous aurons plutôt lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole. Il convient peut-être aussi d'attendre le renouvellement des chambres d'agriculture en janvier prochain, pour voir si les prochains organismes consulaires y seront ouverts.

Au sujet du Casdar, je comprends le point de vue du rapporteur général en faveur d'une rebudgétisation, au vu du solde comptable de quelque 140 millions d'euros. Mais il existe une volonté et un attachement de la profession agricole à laisser l'affectation des recettes dans ce compte et à essayer d'en relever le plafond des dépenses.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Régimes sociaux et de retraite » - Compte d'affectation spéciale « Pensions » - Examen du rapport spécial

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale de la mission « Régimes sociaux et de retraite ». - Pour l'année 2025, les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et ceux du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » s'élèvent à 74,5 milliards d'euros, en augmentation de 0,7 % par rapport à l'année 2024, où ils atteignaient 74 milliards d'euros.

Cette hausse est modérée pour deux raisons : d'une part, le choix par le Gouvernement d'attendre le mois de juillet 2025 pour revaloriser le montant des pensions ; d'autre part, la réduction de l'inflation à laquelle la hausse des pensions est corrélée.

Avant d'entrer dans le détail de ces crédits, je dirai quelques mots concernant la réforme paramétrique des retraites de 2023. En effet, l'année 2024 constitue la première année pleine d'application de cette réforme.

Les projections du Conseil d'orientation des retraites (COR) indiquent que le solde général du système des retraites devrait redevenir déficitaire dès 2024 et se dégrader progressivement, pour atteindre 0,4 % du PIB en 2030 et 0,8 % en 2070. Il apparaît donc que la réforme n'a pas pour effet principal de rétablir l'équilibre à moyen terme du système.

En revanche, l'utilité principale de cette réforme est de participer à accroître le taux d'emploi, qui n'est aujourd'hui que de 36 % pour les 60-64 ans, là où dans l'OCDE ce taux atteint 44 %, et même 63 % en Allemagne. Nous avons donc toujours des progrès à faire...

Cette hausse du taux d'emploi, permise par le recul de l'âge légal de départ et l'allongement de la durée de cotisation, mais aussi par des évolutions en faveur de la retraite progressive ou du cumul emploi-retraite, induira des bénéfices largement partagés par l'économie française.

La réforme a eu, en outre, des effets redistributifs marqués, notamment en faveur des plus petites retraites, qui s'accroissent de 12 % alors que les pensions les plus élevées régressent légèrement, en prenant en compte tout le cycle de vie. La pension de liquidation des femmes croît en moyenne de 3,4 %, contre 1,7 % pour les hommes.

Cette réforme nous permet aussi de considérer que l'important tient moins à la notion d'équilibre du système, qui est liée à des choix conventionnels, qu'à la part du PIB que nous consacrons à la retraite de nos aînés. En cela, les projections pour la France montrent que la part du PIB consacrée aux dépenses de retraite est maîtrisée et diminuera de 14,4 % en 2024 à 13,6 % en 2070.

J'évoquerai les réserves de l'Agirc-Arrco, qui s'établissaient à 78,5 milliards d'euros à la fin de 2023.

Selon le COR, elles pourraient atteindre, à politique inchangée, 550 milliards d'euros fin 2070 ! Pourquoi et comment ? De 2013 à 2017, les partenaires sociaux qui gèrent l'Agirc-Arrco ont gelé la valeur du point : les pensions complémentaires ont donc été figées pendant quatre ans, alors que l'inflation s'élevait de 3,8 %. C'est assez radical comme méthode et comme solution. Elles sont à mettre en regard avec l'ambition du Gouvernement de retarder de six mois la revalorisation en 2025. La question est maintenant de savoir ce que va faire l'Agirc-Arrco de tant de réserves.

Après cette brève synthèse, j'en viens à la présentation de la mission « Régimes sociaux et de retraite ».

Les crédits proposés pour la mission atteindraient 5,9 milliards d'euros. Ils sont fléchés à près de 70 % vers les régimes de retraite spéciaux des agents de la SNCF et de la RATP. Les crédits demandés régressent légèrement, au vu du report de la revalorisation des pensions en juillet 2025 proposée par le Gouvernement. Cela a pour conséquence de limiter l'effet dépense du report de la mise en oeuvre de la réforme de 2023 pour les régimes de la SNCF et de la RATP, le Gouvernement ayant prévu qu'elle n'entrerait pas en vigueur, pour ces deux régimes, avant le 1er janvier 2025.

J'attire votre attention, en premier lieu, sur les difficultés qui seront induites par l'ouverture à la concurrence des activités de la RATP. Alors que près de 15 000 agents du groupe devraient rejoindre des entreprises de la concurrence, ces derniers pourront conserver l'intégralité des droits qui sont les leurs aujourd'hui. Ainsi, la caisse de retraite de la RATP sera chargée de continuer à collecter leurs cotisations, malgré le fait qu'ils n'y seront plus employés et que leurs rémunérations risquent d'être modifiées. La mise en oeuvre de ce nouveau schéma hybride, qui concernera les agents de la RATP restant affiliés au régime spécial malgré leur départ dans un autre groupe, risque d'avoir l'effet inverse de celui qui avait été recherché au travers de la réforme : plus de complexité et un surcroît de coûts de gestion.

L'extinction du régime, prévue vers 2115, permettra néanmoins à terme de rendre plus lisible et fluide la situation.

En deuxième lieu, il me semble nécessaire de faire état de l'évolution du schéma de financement des régimes spéciaux fermés, qui sont nombreux dans la mission : les industries électriques et gazières (IEG), les clercs et employés de notaire, la Banque de France, le Conseil économique, social et environnemental (Cese). En effet, à partir du 1er janvier 2025, ce n'est plus l'État, mais la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) qui sera chargée en dernier ressort de les équilibrer.

Il faut se féliciter que ces crédits budgétaires demeurent retracés dans les documents budgétaires, ce qui permet au Parlement d'avoir une vision sur le coût pour l'État de la compensation qu'il verse à la Cnav, qui elle-même équilibre ensuite les régimes. Il avait en effet été prévu, au départ, de mettre en place une affectation directe de TVA, que nous n'aurions pas été capables de retracer.

Nous devons cependant rester attentifs à ce que cet arbitrage soit pérennisé et qu'il ne s'agisse pas d'un simple décalage de la mise en oeuvre du financement par un prélèvement fiscal que nous ne maîtriserions pas. Cela est d'autant plus important que le nouveau schéma intègre en un versement unique trois composantes de l'ancien schéma de financement : la compensation au titre de la fermeture, d'abord ; la compensation généralisée vieillesse, ensuite, qui est le système de péréquation inter-régimes pour tenir compte des déséquilibres démographiques ; la subvention budgétaire d'équilibre de l'État, enfin. Une part de l'information est ainsi moins lisible qu'auparavant, ce que je ne peux que regretter.

En troisième lieu, je tiens à saluer l'évolution de la maquette budgétaire, qui inclut désormais les régimes de la Comédie-Française et de l'Opéra de Paris à cette mission. Cette demande, que j'avais formulée il y a un certain temps, facilite la lecture des informations sur les retraites équilibrées par l'État.

Pour finir, j'indique que le Gouvernement s'apprête à déposer un amendement de réduction des crédits de 193 millions d'euros, soit 3,3 % du montant prévu. Aux dires de l'administration, cela tiendrait à une sous-exécution des crédits en 2024, permettant de réorienter à la baisse les crédits ouverts pour 2025. Je serai attentive à ce que cette évolution ne remette pas en cause les droits acquis et à ce que tous les pensionnés reçoivent bien le montant qui leur est dû.

J'en viens aux crédits du CAS « Pensions ». Ils s'élèvent à 68,5 milliards d'euros pour 2025.

Le CAS « Pensions » a connu en 2024 un solde annuel négatif de 3,5 milliards d'euros, en lien avec un double phénomène. D'un côté, la hausse très dynamique de ses dépenses a tenu à l'indexation des pensions sur l'inflation, qui s'est traduite par une revalorisation de 5,3 % en janvier 2024. De l'autre, la hausse de ses recettes a été limitée par la croissance plus modérée des rémunérations publiques, de l'ordre de 1,8 % seulement en 2024.

Or la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), qui a créé en 2001 le CAS, dispose que le solde cumulé du CAS « Pensions » doit nécessairement être équilibré à tout moment, ce qui ne peut être le cas lorsque les déficits annuels sont de façon répétitive négatifs.

Le Gouvernement a par conséquent proposé une hausse de 4 points du taux de contribution de l'État employeur, qui passera au 1er janvier 2025 à 78,28 %. Cette évolution ne constitue pas une surprise, car il s'agit du levier par lequel l'État peut équilibrer le système de retraite de ses fonctionnaires.

En revanche, la conséquence directe de cette évolution du taux de contribution est de venir grever les budgets de chacun des ministères. En effet, une partie de leurs dépenses de personnel est chaque année utilisée pour alimenter le CAS « Pensions ». Chacune des missions du budget est, par conséquent, majorée cette année de la valeur de l'augmentation de ce taux pour toute la masse salariale des fonctionnaires titulaires de l'État.

Il faut s'attendre à ce que la hausse prévue cette année soit renouvelée l'an prochain. Les prévisions ne permettent pas, en effet, de conserver un solde cumulé du CAS positif après 2026. J'attire dès lors votre attention sur l'importance pour le Gouvernement de fixer un cap clair qui permette d'équilibrer à long terme le CAS, sans que les hausses de taux viennent apporter une charge que les ministères ne peuvent pas prévoir dans leurs trajectoires pluriannuelles de dépenses.

Par ailleurs, et puisque beaucoup s'interrogent sur le poids de la dépense publique, il serait intéressant de disposer, au-delà du CAS « Pensions », d'un document consolidant le système de retraite de l'ensemble de la sphère publique, c'est-à-dire des six régimes : le service des retraites de l'État (SRE), la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec), la Cnav pour les contractuels, le Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État (FSPOEIE) et la retraite additionnelle de la fonction publique (Rafp). Cela gommerait par exemple les effets de transferts - souvent mal compensés - entre l'État et les collectivités et permettrait de mieux cerner les évolutions des régimes publics.

Cette année, un sujet sensible est celui de la CNRACL, dont le taux de cotisation de l'employeur augmente de 4 points dans le projet du Gouvernement. La caisse de retraite, qui est celle des agents des collectivités locales et de la fonction publique hospitalière, est passée d'un excédent de 15 millions d'euros en 2017 à un déficit de 2,5 milliards d'euros en 2023 ; et il atteindra 11,1 milliards en 2030 si rien n'est fait. La raison tient à l'effondrement de son ratio démographique, avec moins de recrutements de titulaires, donc moins de cotisants, et le recours massif à des contractuels, qui eux cotisent au régime général et à l'Agirc-Arrco. La CNRACL ne bénéficie par ailleurs pas d'un apport de contribution sociale généralisée (CSG), à la différence du régime général, qui lui en bénéficie à hauteur de 20 % de ses recettes en 2023. Il en résulte un besoin de lisibilité entre les différents financements, plutôt que de sectionner les divers régimes de la fonction publique.

Enfin, je rappelle que l'évolution du CAS « Pensions » n'est pas la conséquence d'une mauvaise gestion par l'État de son système de retraites. Il s'agit bien plutôt d'un effet consécutif à la très grande rigueur avec laquelle la masse salariale de l'État est gérée depuis bientôt deux décennies. La contractualisation comme la limitation de la croissance des rémunérations contraignent mécaniquement l'assiette de cotisations, quand les pensions à servir continuent à croître tendanciellement.

Cette dernière observation me permet de souligner que le sujet des retraites est complexe et que les déterminants des déficits particuliers des différents régimes sont parfois liés à des dynamiques plus larges, qu'il convient d'analyser avec le recul nécessaire.

Pour conclure, je vous propose d'adopter, sans modification, les crédits de la mission et du CAS, car il s'agit de pouvoir verser 74 milliards d'euros à nos concitoyens.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cette présentation a le mérite d'expliquer avec le plus de simplicité possible le sujet des retraites - il relève en grande partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) -, tout en marquant, une fois de plus, la complexité de l'évolution des pensions, avec l'effet mécanique qu'entraîne la moindre modification. Relever, en amont, un paramètre du versement, sans revalorisation en aval, peut engendrer des réserves ; à l'inverse, un gel des rémunérations ou des traitements avec davantage de pensionnés, sans autre changement, détériore aussitôt le dispositif de pension.

Je continue de dire que nous n'avons fait qu'une partie du chemin. Dans son exposé, Mme Vermeillet a évoqué le gel, pendant quatre ans, par l'Agirc-Arrco, du point de retraite. C'est l'une des raisons pour lesquelles je suis défavorable au régime actuel, dans lequel une simple décision peut figer le dispositif.

À l'issue de son analyse, la rapporteure spéciale propose d'adopter les crédits, dans le contexte que nous connaissons d'effort collectif qui, sur les pensions, se traduit par un gel d'un semestre. Je crois cependant que nous aurions intérêt à réfléchir très vite aux évolutions de nos systèmes de retraite, parce que la situation de notre démographie est implacable : moins de naissances et une espérance de vie plus longue, avec une durée de versement des pensions qui ne cesse de croître. Cela nécessitera des arbitrages, et je pense qu'un pilier progressif de capitalisation, à l'instar de ce qui existe avec le Rafp, constitue certainement l'une des réponses - mais c'est un autre débat.

M. Pascal Savoldelli. - J'ai deux questions.

La première renvoie au fait qu'un agent public sur cinq est contractuel. Quel est le montant des pertes de cotisations qui en découlent ?

La seconde a trait au report de la revalorisation des pensions au 1er juillet 2025. Quelles en seront les conséquences financières pour les agents de la fonction publique ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Merci à notre rapporteure spéciale qui, au début de son propos, a insisté sur la notion de taux d'emploi, singulièrement plus faible chez nous que dans bien des États voisins. L'amélioration de ce taux d'emploi est sans doute une solution sur laquelle il faut accentuer l'effort, bien que cela soit plus facile à dire qu'à faire.

Je poserai une question sur le régime de la CNRACL. Son déficit est-il lié à une perte d'intérêt des salariés des collectivités territoriales pour la fonction publique ou à une volonté de ces collectivités de proposer plus facilement des emplois de contractuel que des emplois de titulaire ?

M. Claude Raynal, président. - Mon commentaire porte sur l'intitulé du A du document L'Essentiel sur le projet de loi de finances pour 2025 relatif à la mission « Régimes sociaux et de retraite » et au CAS « Pensions » que vous avez élaboré : « Le gel pour six mois de la revalorisation des pensions : une décision difficile, mais nécessaire dans le cadre du redressement des finances publiques. » On aurait pu dire aussi, dans la même phrase, un « gel de douze mois » - ou mentionner tout autre durée. Qu'est-ce qui fait que vous acceptez celle de six mois ?

En outre, la valeur de 1,8 % d'augmentation des rémunérations publiques est-elle une valeur acquise ? Dans la même partie du document, vous indiquez en effet : « Cette baisse [des subventions d'équilibre versées par la mission « Régimes sociaux et de retraite »] est liée au report de la revalorisation des pensions, qui aura lieu le 1er juillet 2025 à hauteur de 1,8 %. » Vous êtes extrêmement précise. Peut-on aujourd'hui calculer le taux de revalorisation des rémunérations publiques au 30 juin 2025 ? Il me semblait qu'on le ferait à partir de valeurs données au cours du premier semestre de l'année.

Ce dernier point me paraît plus important que le report de six mois de la revalorisation des pensions. Un tel report affecte en effet les pensionnés actuels, tandis qu'obtenir une augmentation non de quelque 2,2 % en janvier, mais de 1,8 % six mois après, concerne tous les pensionnés actuels mais aussi les futurs retraités. Est-ce bien ainsi qu'il faut le comprendre ?

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Merci monsieur le rapporteur général de souligner la complexité du système. Présenter cette mission est toujours un exercice difficile, car il faut y mêler les différents effets qui interviennent. On doit tenir compte de l'inflation, de la démographie, de la valeur de points de retraite, autant d'aspects qui s'additionnent. Les chiffres que je vous présente agglomèrent ces divers effets. La CNRACL, par exemple, connaît aujourd'hui des difficultés. Elles tiennent en partie, mais pas seulement, à un effet démographique.

Toute modification d'un paramètre a son importance en matière de régimes de retraite. On peut se réjouir de contraindre la dépense publique, mais payer moins les fonctionnaires entraîne mécaniquement un niveau plus faible de cotisations pour payer les pensionnés, ce qui aggrave le déficit. Le système de retraite fonctionne toujours à l'envers de ce qu'on pense spontanément ; et quand on imagine réaliser des économies, on pénalise au bout du compte le système de retraite.

S'agissant de l'idée d'un pilier progressif de capitalisation, je ne m'y oppose pas si ce pilier est additionnel, comme dans le Rafp que vous avez évoqué. Certains collègues pensent en revanche à la capitalisation en substitution du régime de répartition actuel. Sa mise en place ne pourrait se faire que par de la dette et nous ne disposons pas de marge de manoeuvre en ce sens.

Monsieur Savoldelli, un agent sur cinq, en effet, est aujourd'hui contractuel. C'est une vraie difficulté et avec tous les transferts de compétences qui interviennent, j'en suis à ne plus savoir moi-même ce que cela représente.

Quant au choix de revaloriser les pensions de la fonction publique au 1er juillet 2025, il équivaut à une économie de 850 millions d'euros.

Sur la question de M. Mizzon relative au taux d'emploi, la réforme des retraites améliore évidemment ce taux, mais nous sommes encore loin du résultat de l'Allemagne ou des Pays-Bas, par exemple. Peut-être la réforme n'a-t-elle pas été suffisante quant au volet de l'accompagnement des seniors ou des mesures en matière de pénibilité du travail, pour laquelle les partenaires sociaux doivent s'entendre pour bien en définir les critères.

L'amélioration de notre taux d'emploi est clairement un filon extraordinaire pour le système de retraite. Dans un article récent, le président du COR estimait à 140 milliards d'euros l'amélioration du solde public de la France si elle parvenait à combler l'écart avec les autres pays européens en termes de taux d'emploi des 60-64 ans. L'élaboration du projet de loi de finances (PLF) conduit à explorer toutes les pistes d'économies, mais le niveau du taux d'emploi dans notre pays est absolument déterminant.

Au sujet de la CNRACL, des transferts de compétences ont conduit à ce qu'elle intègre tant les agents de la fonction publique hospitalière que ceux de la fonction publique territoriale. Dans les années 1980, nombre de recrutements sont intervenus, qui lui ont apporté beaucoup de cotisants. À cette époque, elle était à un rapport de quatre cotisants pour un pensionné, c'est-à-dire dans une dynamique extrêmement favorable. Jusqu'à une époque récente, elle contribuait au système général, celui de la Cnav, et permettait d'équilibrer d'autres régimes au contraire démographiquement déséquilibrés.

Cependant, avec une gestion plus rigoureuse de l'État et sous l'effet de transferts de compétences, la Caisse a perdu de plus en plus de cotisants. En outre, les collectivités territoriales, de même que la fonction publique hospitalière, ont en effet toujours davantage tendance à embaucher des contractuels. Or ces derniers cotisent à la Cnav pour le régime de base et à l'Agirc-Arrco pour le régime complémentaire. J'ajoute que les agents à temps partiel cotisent pour leur part à l'Ircantec.

La CNRACL a également vu nombre de ses cotisants atteindre l'âge de la retraite, retraite qu'il lui faut aujourd'hui verser. Elle en est arrivée à un déséquilibre démographique plus marqué que celui du régime général, avec moins de 1,7 cotisant pour un pensionné. Et par le jeu de ce qu'on appelle un « effet de noria », plus les gens partent en retraite, plus le niveau des pensions est élevé en comparaison des cotisations, qui sont donc celles des seuls agents titulaires.

C'est pourquoi j'appelle à la réalisation d'une maquette globale qui prévoit des compensations de la part de régimes qui accueillent de leur côté de nouveaux entrants. Ce type de compensations existe dans d'autres régimes. Ainsi, quand on ferme le régime de la SNCF, des compensations interviennent avec l'Agirc-Arrco et la Cnav, car il s'agit de toujours payer les pensions des intéressés.

On peut aussi mettre en regard les difficultés de la CNRACL avec le fait que la Cnav bénéficie dans ses recettes, et contrairement à elle, de 20 % de CSG.

La hausse de 4 points est inévitable si l'on veut continuer à payer les pensions. Elle ne sera d'ailleurs certainement pas suffisante. Est-elle juste ? Regardons le déséquilibre démographique de la CNRACL. Les compensations que lui versera la Cnav ne suffiront pas. Le fait que les agents contractuels n'y cotisent pas constitue le premier problème.

Monsieur le président, le report de six mois de la revalorisation des pensions ne m'enthousiasme pas... Il faut cependant comparer cette décision du Gouvernement avec celle qu'avait retenue l'Agirc-Arrco de manière spectaculaire et radicale - et elle avait produit des ressources -, à savoir à la fois geler le point de retraite pendant quatre ans, de 2013 à 2017, et diminuer le taux de rendement. Compte tenu de l'effort budgétaire à réaliser, la décision du Gouvernement me paraît s'imposer et être supportable, parce que le niveau de vie des retraités reste aujourd'hui un peu supérieur à celui des actifs. N'oublions pas non plus qu'une revalorisation de 5,3 % est intervenue au 1er janvier 2024, en réponse à un niveau d'inflation qui avait atteint 4,9 % au cours de l'année précédente.

L'information d'une augmentation de 1,8 % des rémunérations publiques prévue au 30 juin 2025 nous a été communiquée par la direction du budget. L'augmentation se fonde sur le niveau d'inflation de 2024.

M. Claude Raynal, président. - Quel aurait été ce taux au 1er janvier 2025 ? On parle de 2,2 %...

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - C'est 2,3 %.

M. Claude Raynal, président. - Quand on passe de 2,3 % à 1,8 %, l'ensemble des futurs retraités perdent 0,5 point, une fois pour toutes. Le report de six mois de la revalorisation des retraites ne concerne que les pensionnés, et pour cette seule durée.

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Oui.

Je précise par ailleurs que la Cour des comptes nous a indiqué que, en 2017, la masse salariale des contractuels était de 25,8 milliards d'euros. Avec le nouveau taux de contribution de l'État employeur, qui passe de 74 % à 78,28 %, la perte est estimée à 20 milliards d'euros de cotisations.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Remboursements et dégrèvements » - Examen du rapport spécial

M. Claude Raynal, président. - Nous terminons par l'examen du rapport spécial sur la mission « Remboursements et dégrèvements ».

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial de la mission « Remboursements et dégrèvements ». - La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires qui résultent mécaniquement de l'application de dispositions prévoyant des dégrèvements, des remboursements ou des restitutions d'impôt. Le caractère mécanique de ces dépenses implique que les crédits de la présente mission sont évaluatifs et ne sont pas soumis à un plafond de dépense pour le Gouvernement.

Cette mission est la plus importante en volume de crédits, tous budgets confondus. Ses crédits s'élèvent désormais à plus de 147 milliards d'euros et ont augmenté de 86 milliards d'euros depuis 2001, soit une hausse de 142 %.

Une telle progression procède de deux phénomènes : d'une part, des modifications des politiques fiscales qui, au gré de la multiplication des exonérations, contribuent à la perte de recettes fiscales, et, d'autre part, la hausse des recettes fiscales brutes de l'État, qui engendre une augmentation corrélative des remboursements et des dégrèvements. En ce qui concerne les remboursements et dégrèvements, les dépenses sont évaluées, pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 à 142,7 milliards d'euros, soit une hausse notable de 6,5 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024.

Les crédits votés en 2024 étaient manifestement sous-estimés, puisque les dernières estimations à ce jour pour l'année 2024 les envisagent à la hausse de 9 milliards d'euros, et à 2,5 milliards de plus que les crédits proposés pour 2025. La baisse effective de ces crédits pour 2025 nous amène à nous interroger : devons-nous notamment considérer le résultat des dernières estimations comme la conséquence de la politique récessive du Gouvernement, laquelle déboucherait sur une diminution des recettes fiscales brutes ?

Les restitutions liées à la mécanique de l'impôt enregistrent une augmentation importante, de près de 7 milliards d'euros, par rapport à la loi de finances pour 2024. Les restitutions de TVA en sont la composante prédominante. Elles s'élèvent à 80,3 milliards d'euros dans le PLF 2025. Si leur hausse est légère en comparaison de la LFI de 2024, de l'ordre de 1 milliard d'euros, celle-ci s'inscrit dans une tendance longue et prononcée : de 2014 à 2025, la progression des remboursements de TVA atteint 68,6 %, avec 32,7 milliards d'euros.

Certes, le contexte inflationniste a pu expliquer en partie cette hausse, mais ce niveau historiquement haut pose également la question du niveau de fraude puisque les remboursements de TVA augmentent plus rapidement que la TVA collectée.

Par définition, il n'est pas aisé de mettre un chiffre sur l'ampleur de la fraude à la TVA. En 2022, l'Insee l'a estimée entre 20 et 25 milliards d'euros. Sa méthodologie a toutefois été affinée, en collaboration avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) - dont je salue la disponibilité -, et les dernières estimations évaluent désormais l'ampleur de la fraude à la TVA autour de 10 milliards d'euros. La typologie de fraudes observées fait ressortir, pour une large part, des transactions internationales, souvent intracommunautaires, réalisées par des sociétés-écrans.

Des avancées sont assurément constatées dans la lutte contre la fraude et les résultats sont plutôt encourageants puisque l'écart entre la TVA attendue et la TVA perçue a baissé de manière significative entre 2020, où elle s'élevait à 14 milliards d'euros, et 2021, où elle s'établissait à 9,6 milliards d'euros. Le défi reste toutefois de taille : à titre indicatif, les rappels faisant suite à des demandes indues de remboursement de TVA se sont élevés à plus de 3 milliards d'euros en 2023, un chiffre en constante augmentation depuis 2019.

Comme vous, je serai particulièrement vigilant à la mise en oeuvre effective de certaines annonces du Gouvernement et, alors que la fraude est souvent internationale, j'insiste en particulier sur la nécessité de maintenir les moyens suffisants pour que la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) puisse continuer d'exercer cette mission cruciale, toute économie en la matière étant indubitablement contre-productive au vu des montants en jeu. Les hausses d'effectifs annoncées par le gouvernement en 2023 dans certains services d'enquête de la douane tardent notamment toujours à se concrétiser.

Par ailleurs, nous devrons évaluer les conséquences de la mise en oeuvre de la généralisation de la facture électronique en France, prévue pour 2026. Il nous faudra être vigilants, car le risque existe que certains de nos concitoyens, des artisans ou des chefs d'entreprise se retrouvent alors dans une situation problématique.

Aujourd'hui, la TVA finance largement les collectivités territoriales, qui ont perçu près de 55 milliards d'euros de TVA transférée en 2024. Elle financera désormais, et de façon pérenne, conformément à la proposition de la majorité sénatoriale, l'audiovisuel public, ce qui, à mon avis, ne garantit ni l'indépendance de ce dernier ni la visibilité pluriannuelle de ses ressources. Le recouvrement de la TVA est donc un enjeu crucial.

Pour le reste, les crédits liés à la mécanique de l'impôt se sont révélés particulièrement imprévisibles. En matière d'impôt sur les sociétés, les crédits seraient de 7,5 milliards d'euros supérieurs aux prévisions et atteindraient 18,5 milliards d'euros.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, je vous alertais sur ce niveau que je jugeais faible et susceptible d'une révision à la hausse. L'administration fiscale estime, quant à elle, que l'année 2024 est exceptionnelle : s'appuyant sur les valeurs historiques, elle anticipe une baisse des remboursements en 2025 qui s'élèverait à 15,5 milliards d'euros. Si une telle approche statistique peut s'entendre, elle n'est pas sans risque d'une nouvelle sous-estimation des crédits en 2025.

D'une manière générale, et après un échange très intéressant avec l'administration fiscale, j'estime que le Parlement doit être mieux informé sur les hypothèses retenues par l'administration, afin de pouvoir jouer pleinement son rôle de contrôle.

Nous relevons, d'un côté, la mécanique de l'impôt et, de l'autre, la responsabilité des politiques publiques, la part qui est associée aux secondes s'élevant à 18,8 milliards d'euros pour 2025, soit un peu plus de 13 % de l'ensemble des crédits de la mission.

Les remboursements et dégrèvements liés à l'impôt sur le revenu (IR) progressent, notamment sous l'effet de la montée en charge du crédit d'impôt contemporain pour l'emploi d'un salarié à domicile, qui est en deçà des attentes, mais qui reste très dynamique. Les crédits prévus pour 2025 s'élèvent à 2,4 milliards d'euros, soit une hausse de près de 800 millions d'euros et de 49 % par rapport à 2024.

À partir des derniers travaux de la Cour des comptes et du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), je m'interroge sur le périmètre d'un dispositif aussi coûteux et peu contrôlable, portant sur des dépenses non contraintes pour certains contribuables. Le risque de travail dissimulé ne peut motiver à lui seul le maintien d'une dépense fiscale aussi significative pour les finances publiques. Il convient donc de mettre en débat la nature des dépenses, le taux de prise en charge et le profil socio-économique des bénéficiaires.

L'autre crédit d'impôt coûteux auquel je prête une grande attention est le crédit d'impôt recherche (CIR), qui continue à croître, pour atteindre 7,7 milliards d'euros en 2025. Alors que son effet sur le niveau d'investissement en France reste à démontrer, il me paraît nécessaire de mener une réforme du CIR qui viserait a minima à établir une véritable différenciation par type d'entreprise et par secteur d'activité ainsi qu'à conditionner le versement de l'argent public au maintien de l'activité et des emplois.

J'en viens maintenant au deuxième programme de cette mission. Il concerne les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux. Les crédits évalués pour 2025 s'élèvent à 4,4 milliards d'euros, soit une légère hausse qui met un terme à une tendance à la baisse entamée depuis 2021 en raison de la suppression de la taxe d'habitation, de la réforme des impôts de production et de la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Premièrement, les remboursements et dégrèvements d'impôts économiques suivent naturellement la pause marquée dans la réforme des impôts de production, qui se confirme dans le PLF, lequel repousse à 2029 la suppression totale de la CVAE.

Si ces réformes ont été interrompues, elles ont néanmoins affecté durablement l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. En effet, il était initialement prévu que ces pertes de recettes soient compensées à l'euro près par le transfert d'une fraction de TVA ; à l'issue des réformes fiscales successives menées par le Gouvernement, la part de TVA transférée était la première recette des départements (40 %) et des régions (63 %) en 2023.

Or les risques de cette perte d'autonomie fiscale sont tout sauf théoriques. Ce qui devait arriver arriva et, dès ce PLF 2025, ce gouvernement a proposé une stabilisation en valeur des fractions de TVA affectées aux collectivités locales : sur les gains de 1,5 milliard d'euros annoncés par le Gouvernement, ce gel représente un manque à gagner de l'ordre de 635 millions d'euros au titre de la compensation de la perte de la CVAE.

Deuxièmement, les remboursements et dégrèvements de la taxe foncière augmentent sensiblement chaque année. Entre 2018 et 2024, ils ont enregistré une hausse de 909 millions d'euros, soit près de 78 %. Cette hausse s'explique par l'augmentation des montants de taxes foncières, principalement en raison de la revalorisation des valeurs locatives cadastrales.

Il me paraît donc nécessaire d'avoir une réflexion plus approfondie sur le financement des collectivités et leur levier d'action sur leurs ressources.

Avant de conclure, j'indique que je défendrai des amendements au PLF pour 2025 en faveur de la résorption des risques de fraude, qu'il s'agisse de la fraude à la TVA ou d'autres mécanismes qui génèrent du contentieux fiscal.

Mes chers collègues, je vous invite à voter les crédits de la mission.

Mme Sylvie Vermeillet. - Serait-il possible de limiter le bénéfice du CIR aux entreprises européennes ? Des entreprises américaines font travailler nos chercheurs - et le font très bien -, mais le développement peut très bien s'effectuer aux États-Unis, alors que l'État a apporté son financement.

M. Thierry Cozic. - Le CIR occupe une place toute particulière dans cette mission. Longtemps vanté comme un moteur pour l'innovation, il est de plus en plus remis en cause par un certain nombre d'économistes et d'analystes. Comme l'a rappelé le rapporteur spécial, ce crédit d'impôt coûte près de 7,7 milliards d'euros en 2024 et est l'aide la plus avantageuse des pays de l'OCDE, malgré le fait que la part de l'investissement dans la recherche stagne en France depuis plusieurs années autour de 2,3 % du PIB, loin derrière l'Allemagne - 3,1 % du PIB - et le Japon - 3,3 % du PIB.

En France, l'argent public finance près de 20 % de la recherche et développement, contre 6 % en moyenne dans l'OCDE. Si l'on compare avec les 8,26 milliards d'euros consacrés à la recherche publique dans le budget - montant en diminution de 169 millions d'euros par rapport à l'année précédente -, on attend avec appréhension le prochain croisement des courbes budgétaires, qui pourrait conduire à ce que l'argent public finance davantage la recherche privée que publique.

Initialement conçu pour stimuler la recherche, le CIR ne fait aujourd'hui que gonfler les marges des très grandes entreprises. Les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent 89 % des 16 500 bénéficiaires, ne perçoivent ainsi que 36 % des créances ; à l'inverse, les 500 plus grandes entreprises s'approprient à elles seules 40 % de cette niche. Et, comme le précise un rapport parlementaire de 2021, « ces entreprises, dont la compétitivité au niveau mondial est très dépendante de leur capacité à innover, auraient probablement réalisé ces dépenses sans incitation fiscale ».

Ma question est très simple : le rapporteur spécial considère-t-il que le CIR s'apparente davantage à une aubaine pour les multinationales qu'à un moteur de la recherche et développement pour les PME françaises ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -

Il ne faut jamais cesser de lutter contre les opérations frauduleuses, encore plus par les temps actuels.

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. - Je pense que ce rapport, remis chaque année, gagnerait à être instruit dans le temps.

Concernant la possibilité de limiter le CIR quant au champ de ses bénéficiaires, le rapporteur général m'avait indiqué en 2022 qu'une telle mesure serait contraire au droit européen, ce qui est exact. Thierry Cozic a tout à fait raison sur le montant de ce crédit d'impôt, énorme par rapport à nos partenaires. Il est en effet capté très majoritairement par de très grands groupes et est parfois source de fortes contrariétés, comme l'épisode Sanofi l'a récemment démontré.

Lorsque de telles aides publiques sont accordées, j'estime qu'il serait tout à fait envisageable - sans porter atteinte à la liberté d'entreprendre - de définir des priorités et d'encourager la recherche et l'innovation dans certains domaines plus que dans d'autres. Par ailleurs, il me semble essentiel de prendre en compte la taille des entreprises : la solidité économique de la France tient pour beaucoup à son tissu de PME et de TPE, qu'il nous faut soutenir en priorité.

S'agissant de la contribution du CIR à l'activité et à la création d'emplois, il faut faire preuve d'une grande honnêteté intellectuelle et politique en clarifiant une question : considère-t-on que le CIR a un impact sur le maintien et la création d'emplois, à l'instar du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ? De la réponse dépend notre capacité d'évaluer correctement l'efficacité de ce dispositif, travail que nous ne pouvons pas mener sans disposer de critères clairs.

J'avais précédemment tenté de calculer le coût d'un emploi financé par le CIR, qui était de huit à dix fois supérieur à un emploi financé par le CICE, mais je ne me livrerai pas à cette opération de nouveau, car je ne tiens pas à faire de la politique pour faire du bruit. La question reste cependant posée et, une fois encore, tout dépend des objectifs et des critères retenus : s'il est question d'évaluer l'efficacité du dispositif pour l'innovation et la recherche, notre esprit critique devra porter sur ce seul aspect.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

La réunion est close à 17 h 45.

Mercredi 6 novembre 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Projet de loi de finances pour 2025 - Examen des principaux éléments de l'équilibre - Tome I du rapport général

M. Claude Raynal, président. - En notre nom à tous, je souhaite la bienvenue à Pierre Barros, qui remplace Éric Bocquet.

Nous examinons ce matin les principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous présente ce matin mon analyse des prévisions macroéconomiques et de l'équilibre général du projet de loi de finances pour 2025, tel qu'il ressort du texte initial déposé par le Gouvernement, puisque le résultat de l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale reste très incertain. (Le rapporteur général projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.)

Il ne vous aura pas échappé que l'examen du budget pour 2025 s'inscrit dans un contexte très particulier : celui d'une dérive inédite et préoccupante des comptes publics en 2023 et, plus encore, en 2024. J'ai d'ailleurs souhaité vous faire une communication à ce sujet le mois dernier.

Hors période de crise, le déficit de 5,5 % du PIB enregistré en 2023 était le plus élevé de la Ve République : il s'agissait d'une dérive historique. Mais ce chiffre fait désormais pâle figure à côté de celui qui s'annonce pour l'année 2024 : 6,1 % du PIB, soit un niveau maintenant assez proche de celui qui a été enregistré en 2021, à la sortie de la crise sanitaire, ce qui est inacceptable. Si rien n'est fait, les prévisions de l'administration pour 2025 tablent sur un déficit proche de 7 %.

Ce déficit qui s'annonce pour 2024 n'était pas du tout prévu par la loi de finances qui a été adoptée grâce à la procédure prévue à l'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution l'an dernier : il s'agit d'une dérive de l'ordre de 1,7 point de PIB, soit plus de 50 milliards d'euros. Cet écart entre prévision et exécution est tout à fait inhabituel hors période de crise.

Notre mission d'information fera la lumière sur ce qui s'est vraiment passé, après ce constat d'un dérapage en 2024 encore plus massif que celui de 2023. En attendant, si j'insiste sur cet état des lieux, c'est qu'il nous contraint, très fortement, dans nos choix pour le PLF pour 2025 : il s'agit désormais de redresser la barre en urgence.

Sur l'explication de ce dérapage et de sa responsabilité, nous entendrons demain Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, avant de recevoir Gabriel Attal vendredi et Élisabeth Borne la semaine prochaine. La prévision de déficit pour 2025 est passée de 4,1 % en avril, lors de l'adoption d'un programme de stabilité (PStab) que nous avions très fortement critiqué, à 6,9 % à politique inchangée en octobre, soit près de 85 milliards d'euros d'écart en six mois.

À chaud, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a proposé une première décomposition, assez éclairante, du dérapage constaté en 2024 : d'abord, un effet « base » du dérapage de 2023 sur l'année suivante, que nous avions mis en avant dans nos travaux ; ensuite, une erreur de prévision sur la croissance nominale, car tant la croissance en volume que l'inflation pour 2024 étaient surestimées dans la loi de finances de 2024, ce que nous avions également indiqué très clairement il y a exactement un an lors de ce même exercice s'agissant de la prévision de croissance en volume ; la dynamique non prévue des dépenses des collectivités ; enfin, une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB plus faible que prévu.

Je relève donc que quasiment un point de PIB sur le 1,7 point de dégradation était au moins en partie prévisible avant le début de l'année.

Permettez-moi de dire que les collectivités, dont le niveau de dépenses avait été mal anticipé, ne sont donc responsables, en 2024, que d'une petite partie du dérapage des comptes publics par rapport à la prévision.

En tout état de cause, si l'on prend un peu de recul historique en remontant à la première année du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, il est évident que l'État est le principal responsable de la dérive des comptes publics - je l'ai déjà dit, mais il est toujours bon de le rappeler.

Malheureusement, la dérive des comptes observée l'an dernier et cette année pèsera fortement sur la trajectoire des finances publiques pour les années à venir, malgré l'effort de redressement proposé par le Gouvernement.

Cette trajectoire, dont j'ai souligné le caractère réaliste la semaine dernière en vous présentant le plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) pour les années 2025 à 2029, reflète, en creux, l'absence de crédibilité des trajectoires précédentes, qui voulaient nous faire croire en un redressement « express », sans jamais proposer de mesures pour y parvenir.

En matière de dette publique, il existe un écart majeur entre la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027 présentée en avril par le précédent gouvernement et le PSMT défini en octobre dernier par le Gouvernement, que l'on ne saurait taxer de laxisme budgétaire.

J'en viens à l'analyse de la situation économique dans laquelle s'inscrit le PLF. Celle-ci est essentielle pour apprécier le réalisme du scénario de finances publiques du Gouvernement.

J'ai tellement entendu le précédent ministre de l'économie expliquer qu'il avait sauvé l'économie française - au prix d'un endettement abyssal - que j'ai voulu y voir plus clair. Au terme de sept ans de politique économique menée par le tandem Macron-Le Maire, je peux malheureusement dire que le bilan est contrasté. En tout cas, celui-ci ne valait pas la dégradation des finances publiques que nous connaissons.

Premier constat : la France a fait un peu moins bien que ses voisins entre 2017 et 2023. Le PIB a crû de 8,4 % dans notre pays, contre 10,2 % au niveau de la zone euro. Or la situation économique de l'Union européenne est elle-même assez moyenne. Comme le souligne Mario Draghi dans son rapport de septembre dernier, « la croissance dans l'Union européenne a été lente, du fait d'un affaiblissement de la croissance de la productivité, remettant en question la capacité pour l'Europe d'être à la hauteur de ses ambitions ».

Si l'on s'intéresse à l'évolution depuis la crise sanitaire, c'est-à-dire depuis la fin 2019, le PIB de la France évolue un peu moins vite que celui de la zone euro. L'activité, en Allemagne, est au point mort, mais en Espagne, au Portugal, en Grèce, et même en Italie, elle est plus dynamique qu'en France. Bien sûr, il s'agit pour certains de ces pays d'un rattrapage par rapport aux années précédentes. Mais tout cela devrait nous pousser à une certaine modestie.

Je dresse le même constat sur le taux de chômage. Je me félicite que celui-ci diminue sans discontinuer depuis 2017 - on note tout de même un regain cette année -, mais ce mouvement est général dans l'ensemble de la zone euro : le taux de chômage y a d'ailleurs décru plus vite qu'en France et lui reste inférieur. Cette diminution semble davantage le reflet de la baisse de la productivité du travail que de l'impact positif des réformes structurelles menées depuis 2017, qui ne peuvent avoir un effet que sur le long terme. Ainsi, depuis 2019, la productivité du travail en France aurait diminué de 8,5 % par rapport à sa tendance avant le covid, du fait du recours massif à l'apprentissage, d'une forte augmentation de l'emploi peu qualifié, de la crise sanitaire elle-même et d'une rétention de main-d'oeuvre.

En réduisant la focale et en se concentrant sur la dynamique récente, la croissance a été portée principalement par la demande publique et par le commerce extérieur en 2024, tandis que le durcissement de la politique monétaire a conduit l'investissement des ménages et des entreprises à baisser.

J'insiste sur un point important : la croissance a été portée par des facteurs bien différents de ceux qui étaient initialement prévus, ce qui n'a pas été sans incidence sur le contenu des recettes de cette croissance.

Finalement, la consommation des ménages s'est révélée moins allante que prévu, avec un taux d'épargne qui n'aura pas reflué : les recettes de TVA s'en trouvent amoindries.

L'investissement des ménages a bien diminué, comme prévu par le gouvernement, mais celui des entreprises également, à la différence des prévisions initiales. J'avais pourtant souligné, l'an dernier, le sérieux risque que faisait peser le resserrement de la politique monétaire sur cette composante de la demande.

Le commerce extérieur aura soutenu la croissance : les exportations ont augmenté, tandis que les importations ont diminué. La contrepartie de cette baisse des importations aura été un mouvement de déstockage inédit des entreprises.

Finalement, la principale composante de la demande en 2024 aura été la consommation et l'investissement publics, c'est-à-dire, en réalité, le dérapage complet du déficit public. Il n'y a pas lieu de se satisfaire de cette situation. Et il est assez cocasse, dans ces conditions, d'entendre les membres du précédent gouvernement se féliciter d'avoir atteint les prévisions de croissance du programme de stabilité 2024-2027.

Pour 2025, la croissance stagnerait à 1,1 %, mais serait davantage portée par la demande intérieure, ce qui générerait davantage de recettes. La demande publique, en revanche, ne contribuerait plus à la croissance du PIB.

Entre 2024 et 2025, le fait marquant réside dans l'inversion du policy mix. En 2024, l'activité a bénéficié d'une forte impulsion budgétaire, mais a été freinée par les effets retardés du resserrement monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). En 2025, ce devrait être exactement l'inverse.

A priori, le taux d'épargne, aidé par un reflux de l'inflation et par une amélioration du niveau de confiance des ménages, devrait - enfin ! - légèrement diminuer l'année prochaine, ce qui soutiendrait la consommation.

Comme l'année dernière, cette prévision est sujette à d'importants aléas, qui pourraient pousser la dynamique en sens inverse : je pense au report de l'indexation des retraites, à la hausse probable du chômage, à la réforme des allégements généraux et, de manière générale, à l'instabilité politique dans notre pays.

L'investissement des entreprises pourrait rebondir du fait de l'assouplissement de la politique monétaire engagé par la BCE en juin dernier, qui devrait se poursuivre tout au long de l'année 2025.

Les prévisions du Gouvernement sont toutefois contredites par celles d'instituts comme l'OFCE ou Rexecode. En effet, comme pour la consommation, le niveau élevé d'incertitude pourrait conduire les chefs d'entreprise à faire preuve d'attentisme et à reporter leurs décisions d'investissement. À cet égard, la dégradation spectaculaire du climat des affaires observée dans l'industrie en octobre dernier ne présage rien de bon...

L'une des principales questions est celle de l'impact sur la croissance de l'ajustement budgétaire majeur proposé par le Gouvernement ; j'y reviendrai.

Ainsi, ce dernier prévoit une croissance de 1,1 %. Sans cet ajustement, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) estime que la croissance s'élèverait à 1,7 %. Il a souligné qu'une telle prévision « avant redressement » était optimiste et, de fait, le consensus des économistes retenait, « avant redressement », une prévision de croissance située plutôt autour de 1,2 à 1,3 %.

Mais, dès avant le dépôt du PLF pour 2025, il était question de mesures de redressement budgétaire qui étaient pour partie intégrées par les conjoncturistes dans leurs prévisions. L'OFCE, qui a réalisé sa prévision après le dépôt du PLF estimait ainsi que, hors impact des mesures budgétaires de redressement prévues par le PLF - c'est-à-dire avec un déficit en 2025 égal à celui de 2024 -, la croissance s'élèverait à 1,6 %. En intégrant le choc budgétaire, leur prévision atteint 0,8 % du PIB.

Au total, il est possible que l'effet récessif du redressement budgétaire qui s'impose au Gouvernement soit sous-estimé par ce dernier, mais selon une ampleur qui resterait mesurée.

Avant d'évoquer les mesures en dépenses et en recettes, je souhaite dire quelques mots sur les perspectives de croissance mondiale. Le Gouvernement prévoit une hausse de la croissance mondiale de 3,2 % en 2024 et de 3,4 % en 2025 et, en conséquence, une hausse de la demande adressée à la France. Un tel optimisme n'est partagé ni par la Banque de France, ni par l'OFCE, ni non plus par le Fonds monétaire international (FMI), qui prévoit une stagnation de la croissance en 2025 par rapport à 2024. En effet, les aléas sont élevés, au lendemain de l'élection américaine : cela pourrait se traduire par une hausse des droits de douane et par un ralentissement, voire une attrition du commerce mondial. Toutefois, les perspectives économiques de l'environnement proche de la France - la zone euro - sont assez bonnes. Or ce sont celles qui comptent le plus pour déterminer la demande adressée à la France.

L'évolution du commerce extérieur demeure incertaine. Comme le prévoit le Gouvernement, celui-ci pourrait continuer de soutenir la croissance l'an prochain, mais dans des proportions moindres que cette année.

J'en viens au contenu du budget et à la trajectoire des finances publiques proposée pour 2025 : le texte trace un chemin nécessaire pour retrouver notre crédibilité, tant vis-à-vis de nos partenaires européens que de nos prêteurs, mais également pour restaurer le lien de confiance qui nous unit aux Français.

L'effort souhaité par le Gouvernement est significatif et pèsera essentiellement sur l'État. Dans sa communication, le Gouvernement a mis en avant un effort de 60 milliards d'euros, qui se décompose ainsi : 40 milliards d'euros au travers de réductions de dépenses - calculées par rapport à un tendanciel - et 20 milliards d'euros par des mesures en recettes.

Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de la bonne façon de présenter les choses. D'abord, la notion de tendanciel, pour utile qu'elle soit pour un ministre afin de savoir sur quel levier jouer pour réduire le déficit, est trop confuse pour apprécier la nature de l'effort. Par ailleurs, les documents budgétaires mettent en avant une autre réalité, celle de l'ajustement et de l'effort à accomplir en 2025 par rapport à 2024, et non par rapport à un tendanciel 2025 qui n'est pas détaillé. Or c'est sous cet angle qu'il convient, à mon avis, de raisonner. Je vous proposerai, à chaque fois, une conversion en milliards d'euros pour rendre les chiffres plus parlants, mais ils ne sont communiqués que sous forme de points de PIB et ne doivent donc pas constituer la véritable référence.

En réalité, l'effort structurel primaire que nous devrons accomplir s'élève à 1,6 % du PIB, soit environ 48 milliards d'euros.

Il se répartit ainsi : des mesures nouvelles en recettes à hauteur de 1 point de PIB, soit environ 30 milliards d'euros, et un effort en dépense de 0,6 point de PIB, soit environ 18 milliards d'euros, auxquels on retranche la hausse de la charge de la dette entre 2024 et 2025, qui s'élève à 0,2 point de PIB, soit 6 milliards d'euros. Une fois la charge de la dette retranchée, l'effort en dépense est de 12 milliards d'euros : c'est le chiffre retenu par le HCFP. Je le rappelle, nous sommes ici en écart entre 2024 et 2025.

La prise en compte d'un tendanciel en dépenses, comme le fait le Gouvernement, conduit à afficher un effort en dépenses supérieur. Ce mode de calcul n'est pas nécessairement erroné. Pour prendre un exemple, la désindexation des retraites sur l'inflation ne produit pas de baisse nette de la dépense publique ; elle constitue pourtant une mesure de freinage de la dépense, qui pèse sur les Français et qui a bien un effet réel. Mais la détermination d'un tendanciel pour l'ensemble de la dépense publique de notre pays est malaisée.

La combinaison des efforts en dépenses et en recettes diminués de la charge de la dette donne un effort structurel à 1,4 point de PIB, qui ne veut toutefois pas dire que le solde public s'améliorera d'autant. En effet, certains effets contrecarrent cette amélioration.

D'une part, l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB sera inférieure à 1, ce qui signifie que les recettes n'augmenteront pas au même rythme que le PIB : malgré 1 % de point de PIB de mesures nouvelles en recettes, celles-ci ne rapporteraient vraiment que 0,8 % point de PIB. D'autre part, l'évolution des recettes hors prélèvements obligatoires retirerait 0,1 point de PIB supplémentaire.

Au total, l'ajustement structurel proposé par le Gouvernement s'élève donc à 1,1 point de PIB, soit environ 33 milliards d'euros.

C'est donc de ce montant que le déficit public serait réduit l'année prochaine. Dans le cas où le texte du Gouvernement, tel qu'amendé par lui, serait adopté, le déficit public passerait de 6,1 % à 5 % du PIB entre 2024 et 2025. L'État serait le plus mis à contribution de cet effort, puisque son déficit passerait de 5,4 % à 4,5 % du PIB. Le solde des collectivités, lui, serait stabilisé, et celui des administrations de sécurité sociale augmenterait légèrement.

Si l'on regarde concrètement l'évolution de la dépense publique toutes administrations publiques confondues, on constate une nette inflexion par rapport à 2024. En 2024, la dépense publique augmenterait de 67 milliards d'euros - en grande partie du fait du retrait de dépenses exceptionnelles - tandis qu'elle n'augmenterait l'an prochain « que » de 36 milliards d'euros, et ce malgré une charge de la dette augmentant davantage et des dépenses exceptionnelles diminuant moins qu'en 2024.

L'effort est donc réel et n'est pas déguisé, puisque les dépenses primaires, hors dépenses exceptionnelles et crédits d'impôt, n'augmenteraient que de 29 milliards d'euros en 2025 là où elles enregistreraient une hausse dépassant 70 milliards d'euros en 2024...

Par ailleurs, les prélèvements obligatoires augmenteraient significativement du fait des mesures nouvelles en recettes ; à cet égard, une partie d'entre elles procède non pas du PLF pour 2025, mais de décisions antérieures, telles que les mesures de gage sur l'industrie verte ou la fiscalisation de la prime de partage de la valeur.

Pour autant, force est de constater que le PLF pour 2025 est fortement pourvoyeur de nouveaux impôts, qui feront passer le taux de prélèvements obligatoires de 42,8 % du PIB en 2024 à 43,6 % du PIB en 2025. Cela reste toutefois bien inférieur aux niveaux enregistrés entre 2012 et 2022, période durant laquelle le taux s'échelonnait entre 43,9 % et 45,3 %.

Je pense qu'il faut donc sérieusement nuancer les critiques portées à ce budget. Oui, ce budget contient des mesures fiscales, mais celles-ci sont exceptionnelles et largement concentrées sur les plus aisés. Oui, ces mesures ne sont pas prises de gaîté de coeur, car la pression fiscale est une réalité dans notre pays. Mais oui, ces mesures sont nécessaires étant donné la gestion calamiteuse des finances publiques des dernières années, l'explosion de la charge de la dette sur laquelle je reviendrai et le début de défiance dont font preuve nos prêteurs.

En effet, depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, le taux à 10 ans auquel emprunte la France s'éloigne largement de celui auquel emprunte l'Allemagne. Au début de l'année 2024, l'écart était stable ; depuis juin, il augmente, au point que l'Espagne et le Portugal se financent désormais à des taux plus intéressants que nous. C'est bien pour l'Espagne, qui voit sa bonne gestion récompensée ; l'amélioration des conditions de financement espagnoles joue aussi sa part dans ce phénomène. Pour autant, cette situation doit nous alerter et nécessite des mesures de redressement en urgence pour éviter un renchérissement supplémentaire de notre coût de financement.

En effet, toute augmentation des taux auxquels se finance la France est synonyme d'une hausse future et inévitable de la charge de la dette.

Or celle-ci est déjà très importante et, même avec les mesures de redressement envisagées, elle frôlera les 100 milliards d'euros dès 2028. Je le redis, c'est autant d'argent que nous ne mettrons pas dans des dépenses d'avenir ou dans l'adaptation au changement climatique. Le double défi d'une dette budgétaire et d'une dette climatique est donc très prégnant.

Toute hausse de taux supplémentaire est donc à éviter, car la charge de la dette s'en trouverait également augmentée et notre situation budgétaire encore plus dégradée. Pour préserver notre souveraineté, il faut à tout prix éviter le cercle vicieux qui peut exister entre dégradation de la situation budgétaire et dégradation des conditions d'emprunt.

Après avoir tracé le cadre du paysage budgétaire, je vous propose d'entrer dans le projet de budget de l'État, notamment le chemin qu'il trace pour, enfin, amorcer le redressement des comptes.

Nous devons d'abord voir d'où part ce redressement. Je l'ai dit, durant deux années de suite, alors même qu'aucune crise majeure ne l'expliquait, les comptes de l'État se sont dégradés de manière importante entre la loi de finances initiale et l'exécution ; cette dégradation imprévue a été de 8,1 milliards d'euros en 2023 et de 19,7 milliards d'euros en 2024.

En 2024, le déficit s'établirait donc à 166,6 milliards d'euros, alors que la loi de finances initiale prévoyait un retour en dessous du seuil de 150 milliards d'euros de déficit budgétaire.

Cette situation s'explique tout d'abord par des recettes qui ne correspondent pas du tout au niveau attendu - ou espéré - alors même que l'année n'a pas été marquée par un choc particulier. Or les « mauvaises nouvelles » des années 2009 et 2020 s'expliquaient par la survenance de crises d'une très grande ampleur.

Nous l'avons déjà montré, en 2024, le Gouvernement a décidé de ne pas prendre en compte, lors de l'examen du budget initial, les premières alertes qui lui remontaient, fin 2023, sur la dégradation des comptes et leurs conséquences nécessaires pour 2024. Cela explique en partie pourquoi les recettes initiales ont été autant surestimées dans le projet de loi de finances pour 2024.

Le déficit s'établirait à 142,1 milliards d'euros en 2025, en amélioration de 24,5 milliards d'euros par rapport au déficit de 2024.

Le principal effet consisterait en une amélioration des recettes à hauteur de 35,1 milliards d'euros, résultant de plusieurs leviers, dont la création de deux taxes temporaires pour 10 milliards d'euros. La rebudgétisation de plusieurs taxes, y compris la part de TVA attribuée à l'audiovisuel public qui fait l'objet d'une mission budgétaire dédiée dans le PLF initial, accroît de près de 5 milliards d'euros les recettes, mais aussi les dépenses puisqu'il s'agit de remplacer une taxe affectée par une subvention. Cet élément du budget sera amené à être modifié si la proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public arrive à son terme rapidement, ce que j'espère.

L'augmentation de 11,2 milliards d'euros des dépenses s'explique en partie par cet effet de rebudgétisation. Les dépenses diminuent en réalité en euros et à périmètre constants, comme on le verra tout à l'heure.

Les recettes nettes totales du budget général, minorées des prélèvements sur recettes, s'élèvent à 310,6 milliards d'euros, soit 68,8 % seulement des dépenses nettes du budget général : c'est mieux qu'en 2024, année durant laquelle le ratio des ressources sur les dépenses n'est que de 63,3 % seulement, mais l'excès des dépenses sur les recettes demeure considérable et explique le déficit budgétaire.

Pour la première fois depuis le début de la décennie, le déficit budgétaire repasserait en dessous de 150 milliards d'euros. Ce niveau reste très élevé et ne saurait constituer qu'une première étape pour atteindre l'objectif de ramener le déficit en dessous de 3 % de PIB d'ici à 2029.

L'effort sera d'autant plus important que les contraintes héritées du passé sont nombreuses. La dette est plus importante et produit son effet sur la hausse de la charge de la dette. Cette dernière a déjà augmenté de plus de 50 % depuis 2020 : la France paie plus d'intérêts à ses créanciers qu'elle ne consacre de crédits à la recherche et l'enseignement supérieur, à la police et à la gendarmerie. En 2027, la charge de la dette aura quasiment doublé par rapport à 2020 et devrait constituer la première charge du budget de l'État.

Examinons plus en détail les recettes de l'État, qui connaissent des mouvements assez complexes, mais globalement en hausse nette, dans ce projet de loi de finances.

Les recettes du budget général de l'État, nettes des remboursements et dégrèvements, seraient en 2024 de 378,2 milliards d'euros, en hausse de plus de 30 milliards d'euros courants par rapport à l'estimation révisée pour 2024.

Cette augmentation des prélèvements doit toutefois être relativisée dans la mesure où elle fait suite à un creux en 2023 et 2024 : en euros constants, les recettes fiscales nettes restent inférieures à leur niveau de 2022 et même au niveau atteint dans les années 2016 à 2018.

Entre 2024 et 2025, plusieurs effets proviennent de la rebudgétisation de taxes précédemment affectées, qu'il s'agisse de la part de TVA affectée à l'audiovisuel public ou des cotisations employeurs affectées au Fonds national d'aide au logement (Fnal).

L'effet le plus important résulte toutefois de la création de deux nouvelles contributions temporaires.

L'impôt sur les sociétés (IS) connaîtrait une diminution de son produit de 1,5 milliard d'euros en 2025. Cet impôt est toutefois très difficile à prévoir, même si, sur le moyen terme, ses recettes sont relativement stables en euros constants si on les retraite de l'effet lié au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Les recettes de TVA revenant à l'État seraient en hausse de 10,2 milliards d'euros, mais une partie de cette augmentation - 4 milliards d'euros - provient de la rebudgétisation du financement de l'audiovisuel public, qui pourrait être annulée.

L'impôt sur le revenu connaîtrait, pour sa part, une hausse assez importante de 5,7 milliards d'euros, due en particulier à l'augmentation des revenus en 2024 qui impacte le solde perçu en 2025.

Si le barème de l'impôt sur le revenu est revalorisé comme chaque année, préservant de l'inflation le revenu disponible des classes moyennes, une contribution exceptionnelle est demandée aux plus hauts revenus, pour un produit attendu de 2 milliards d'euros.

Une autre contribution est demandée aux plus grandes entreprises, pour un produit estimé à 8 milliards d'euros. Elle constituera donc l'un des principaux « petits impôts », catégorie dans laquelle on peut classer la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), puisque celle-ci est désormais rejointe par d'autres contributions au produit comparable, notamment les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) et les prélèvements de solidarité.

Les recettes non fiscales devraient bénéficier en 2025 d'un bon niveau de dividendes lié aux résultats financiers attendus d'EDF, mais d'un versement européen en baisse au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR).

Ce versement européen nourrit depuis quelques années les recettes de l'État, mais il ne faut pas oublier que le plan de relance européen devra être remboursé à partir de 2028. Or, si un panier suffisamment bien fourni de recettes propres n'est pas réuni d'ici là, ce remboursement pourrait peser à hauteur de 2,5 milliards d'euros par an sur la contribution de la France au titre des prélèvements sur recettes (PSR) à destination de l'Union européenne.

Je terminerai ma présentation par l'analyse des dépenses de l'État et de l'effort réel qui est proposé par le présent projet de loi de finances ; chacun d'entre vous doit le constater, à des degrés divers, dans la mission qu'il rapporte.

Le panorama général des missions budgétaires inclut non seulement les crédits budgétaires, mais aussi les dépenses fiscales, les ressources affectées et les prélèvements sur recettes. Il est assez différent de celui qui a été présenté l'an passé.

Certaines politiques publiques importantes, par exemple la politique en faveur de l'emploi ou celles qui sont relatives à l'écologie et aux transports, ou encore à la cohésion des territoires, sont financées autant, voire plus, par des dépenses fiscales et des ressources affectées que par les crédits budgétaires ouverts en loi de finances.

L'évolution des crédits dans le projet de loi de finances pour 2025 est très différente de celle que je vous présentais l'an dernier - seuls des dispositifs de crise voyaient leurs crédits diminuer. Cette fois, l'effort est réel, alors même que n'est pas intégré l'effort supplémentaire de 5 milliards d'euros que le Gouvernement a annoncé et souhaite introduire dans le projet de loi de finances par voie d'amendement.

Les missions « Défense » et « Sécurités » poursuivent leur progression. La mission « Écologie, développement et mobilité durables » voit les coûts du service public de l'électricité augmenter, avec la baisse des prix de l'électricité.

La diminution des moyens consacrés à l'alternance et la baisse de la dotation versée à France Compétences réduisent les crédits de la mission « Travail et emploi ». La mission « Aide publique au développement » est l'une de celles qui contribuent le plus à l'objectif de maîtrise des dépenses.

Le Gouvernement met aussi l'accent sur la maîtrise des dépenses des opérateurs, ce que le précédent gouvernement avait annoncé, mais n'avait pas réalisé. Plusieurs mesures de prélèvements sur des trésoreries surabondantes sont proposées par le texte ; je pense d'ailleurs que nous pourrons aller plus loin en la matière.

L'ensemble de ces mesures conduit le projet de budget à rompre enfin - je le crois et je l'espère - avec la politique du « quoi qu'il en coûte » qui, nécessaire en 2020, a fini par être considéré comme un acquis, voire une addiction dont il est temps de sevrer le budget de l'État. C'étaient non pas les dépenses liées au covid ou à la crise inflationniste qui grevaient encore le budget de l'État, mais des dépenses courantes, sans lien ni avec les crises ni avec les recettes de l'État.

Cet effort devra être poursuivi, et le Gouvernement devra faire face au poids des engagements passés, qui prend plusieurs formes.

Le simple examen des lois de programmation en cours montre que celles-ci ont pour effet d'accroître les dépenses annuelles de plus de 20 milliards d'euros à l'horizon 2029-2030. Seules les moins coûteuses de ces lois de programmation ont été remises en cause, et encore très partiellement, dans le présent projet de loi de finances.

Les restes à payer, c'est-à-dire les engagements passés qui devront être couverts par des dépenses futures, s'élevaient fin 2023 à 219,4 milliards d'euros, dont près de 100 milliards d'euros pour la mission « Défense ». Ils étaient presque deux fois moins élevés en 2017.

L'ensemble de ces contraintes doit pousser certaines missions, selon les documents budgétaires, à connaître une augmentation de leurs moyens plus importante que d'autres dans les années à venir : je pense d'abord à la mission « Engagements financiers de l'État » - j'ai déjà rappelé que la charge de la dette deviendrait dans quelques années la première charge de l'État.

Le constat fait sur les dépenses vaut également pour les emplois. Après une hausse importante de l'emploi public depuis 2017, ce projet de loi de finances prévoit une diminution, certes limitée, de 2 200 emplois sur le périmètre de l'État et de ses opérateurs, mais cela constitue déjà une rupture.

La masse salariale connaîtrait en conséquence une légère diminution en euros constants. Cette diminution, par son ciblage sur certains ministères, permet de poursuivre les recrutements dans les armées et la justice, conformément aux lois de programmation qui les concernent. La diminution de l'emploi dans l'éducation nationale est liée à l'évolution de la démographie des élèves et porte logiquement en priorité sur les classes dont les effectifs sont les premiers à diminuer en nombre.

En conclusion, ce projet de budget élaboré dans des conditions très particulières me laisse un sentiment mitigé. D'une part, il concrétise enfin le redressement que notre commission des finances appelle de ses voeux depuis 2022 ; on ne peut que s'en réjouir. D'autre part, il arrive trop tard : nous devons agir en urgence et prévoir un redressement très massif et des hausses d'impôts importantes que nous aurions préféré éviter. Mais je vais choisir de voir le verre à moitié plein, plutôt que l'inverse.

Je souhaite que notre commission joue pleinement son rôle dans l'examen de ce projet de budget, en s'appuyant sur ses rapporteurs spéciaux. Si nous pouvons renforcer les économies proposées par le Gouvernement et alléger la fiscalité pesant sur les Français, je pense que nous ferons oeuvre utile.

M. Claude Raynal, président. - Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu une tonalité favorable à un PLF dans vos discours, monsieur le rapporteur général. Les choses évoluent...

M. Thierry Cozic. - Merci pour votre présentation.

Il est intéressant de voir comment se déroule l'examen du texte à l'Assemblée nationale : nombre d'amendements ont été votés contre l'avis du Gouvernement. Il est clair que l'attelage du socle commun a prouvé son illégitimité à présenter un budget aux Français, qui d'ailleurs ne s'y trompent pas : 75 % d'entre eux le jugent insatisfaisant.

Le groupe socialiste aborde donc ce budget de manière assez différente par rapport aux années précédentes. Nous nous interrogerons sur la conduite que vous adopterez lors des débats à venir, monsieur le rapporteur général. Vous faites désormais partie du socle commun, qui n'a de commun que le nom, tant Les Républicains, Renaissance, le Modem, Horizons ont déposé la moitié des amendements à l'Assemblée nationale ; 20 % des amendements ont été déposés par les seuls 47 députés Les Républicains. Leur opposition leur a permis d'obtenir l'abandon de la hausse de la taxation sur l'électricité ou du malus automobile.

Certes, nous saluons les quelques hausses d'impôt ciblées : celles-ci rétablissent un peu de justice fiscale. Mais elles sont temporaires, mal ciblées et faibles. Ce budget à trous, bâclé, avec 5 milliards d'euros d'économies toujours manquantes, est surtout celui des échecs. La France va malheureusement payer le prix des choix économiques de ces dernières années, choix que la majorité sénatoriale a soutenus. Vous l'aurez compris, les grands équilibres que vous nous présentez ne nous satisfont pas.

Nous serons très sensibles à un autre équilibre, celui du budget des collectivités territoriales, que le Gouvernement souhaite ponctionner à hauteur de plus de 11 milliards d'euros, alors que, comme nous le savons tous, leur situation est précaire.

Monsieur le rapporteur général, ma question est donc simple : quel sera l'avis de la commission sur les 3 milliards d'euros de ponction sur le fonds de précaution, sur les 1,2 milliard d'euros de plafonnement de la TVA, sur les 800 millions d'euros de réduction du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), sur les 5 milliards d'euros en moins pour la transition écologique des collectivités, sur les 2,1 milliards d'euros de désengagement de l'État et enfin sur les 2,5 milliards d'euros d'augmentation des cotisations de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) ?

M. Vincent Delahaye. - Merci pour ce rapport très complet, qui ne m'apprend pas grand-chose. Toutefois, il éclaire certaines évolutions et contredit certains discours. Ceux qui parlent d'austérité devraient se montrer plus raisonnables : quand la dépense publique augmente de 36 milliards d'euros, on ne peut pas parler d'austérité.

Vous ne serez pas surpris, je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin. Nous ne devons pas laisser accroire que les efforts se cantonneront à une année seulement. Les mesures fiscales, importantes, seraient temporaires, nous dit-on. Mais comment serait-ce possible avec un déficit de 142 milliards d'euros ? Nous devons être plus incisifs en matière d'efforts sur les dépenses !

Je remercie le rapporteur général d'avoir torpillé le raisonnement en tendanciel. À cet égard, le déficit estimé à 6,9 % pour 2025, qui sert de base au tendanciel, a-t-il été expertisé par la commission des finances ? Personne ne sait s'il est juste ou non. Il faut raisonner non pas en tendanciel, mais selon la réalité.

L'effort est mal réparti : il porte trop sur l'augmentation de la fiscalité et pas suffisamment sur la réduction des dépenses. Une chose m'inquiète, même si ce n'est pas non plus une surprise : la croissance française était portée par celle de la dépense publique. Or il faudrait que ce soit l'investissement qui la porte, et non la consommation.

Je reste très inquiet. J'ai des doutes sur l'augmentation des recettes de l'impôt sur le revenu, notamment. J'espère que le Gouvernement nous transmettra bientôt des projections documentées.

Nous sommes encore trop optimistes : la situation est loin d'être rétablie. Nous devrons faire des efforts considérables. Nous devrons faire face au désenchantement et aux désillusions de nos compatriotes si nous ne les préparons pas à ce défi.

M. Vincent Capo-Canellas. - J'ai apprécié la conclusion du rapporteur général, qui choisit de voir le verre à moitié plein.

Si j'ai bien compris, les ajustements s'élèvent non pas à 60, mais bien à 40 milliards d'euros. En outre, deux tiers des recettes supplémentaires sont issus de mesures fiscales nouvelles - et non l'inverse, avec des économies. Tels sont les constats que nous devons formuler, malheureusement.

Vous faites preuve de prudence, voire d'optimisme au sujet de la croissance. Vous partez d'une hypothèse à 1,7 % pour aboutir à 1,1 % de croissance ; je ne comprends pas bien si vous la jugez crédible : les justifications de cette analyse reposent sur l'investissement des entreprises. Or l'accroissement de l'imposition sur les sociétés aura des effets très récessifs.

Les dividendes obéissent à des règles basiques : ne pas en verser les années durant lesquelles est instaurée une contribution, annoncée comme temporaire, d'ailleurs.

L'idée d'un sursaut de croissance des dépenses et de la consommation me semble quelque peu contre-intuitive en ce moment, sans parler des conséquences du PLF sur les collectivités territoriales. Le texte n'est pas acceptable et sera à coup sûr modifié par le Sénat. Je rappelle que les collectivités sont à l'origine des deux tiers de l'investissement public : les mesures d'économies proposées par le Gouvernement à leur encontre auront, elles aussi, des effets récessifs.

En outre, une pluie de taxes s'abat sur différents secteurs : alors qu'il paie déjà 2,5 milliards d'euros de taxes, le secteur aérien devra verser 1 milliard d'euros supplémentaire. Il ne faudra pas se plaindre si l'aviation d'affaires ferme ses portes.

En outre, Air France a été soutenue par l'État durant la crise sanitaire et a remboursé ses emprunts - l'État a d'ailleurs gagné de l'argent dans l'opération. Désormais, on remet la tête de l'entreprise sous l'eau en lui imposant 300 millions d'euros de taxes supplémentaires : cela affaiblira notre compétitivité.

Les prévisions ne sont-elles pas trop optimistes ? Il serait très grave de ne pas réussir à atteindre l'objectif d'un déficit à 5 % et de faire une annonce qu'on ne puisse pas tenir, comme cela a déjà pu être le cas précédemment. J'éprouve moi aussi un sentiment mitigé face à ce projet de loi de finances.

M. Jean-François Rapin. - Merci pour ces explications claires.

Nous disposons d'une vision factuelle des dépenses à moyen terme ; en revanche, c'est moins clair pour les recettes. La TICPE rapporte près de 18 milliards d'euros. Comme la consommation de produits fossiles bruts diminuera à l'avenir, anticipe-t-on son extinction progressive ? Cette recette pourrait-elle être compensée si elle venait à disparaître ?

M. Pascal Savoldelli. - Je comprends que le rapporteur général se réjouisse du redressement, puisqu'il équivaut à donner un coup de volant à droite - je n'épiloguerai pas.

Monsieur le rapporteur général, vous comparez l'évolution de l'investissement des entreprises, non seulement entre la France et l'Allemagne - je n'y vois aucun inconvénient -, mais aussi avec les États-Unis. En revanche, vous ne faites plus la comparaison avec ce dernier pays lorsque vous évoquez la question de la dette. Dès lors, pourquoi avoir retenu l'exemple des États-Unis seulement sur la question de l'investissement des entreprises ?

Vous retracez la hausse des prélèvements obligatoires. C'est incontestable, mais quelles sont les recettes réelles, en volume ? En effet, il faut aussi prendre en compte les exonérations, les dégrèvements et les remboursements. Quel est l'impact réel de l'augmentation des prélèvements obligatoires pour les recettes de l'État ?

Pourquoi avez-vous indiqué que le produit net de l'impôt sur les sociétés serait identique, avec et sans le CICE ?

M. Marc Laménie. - Merci pour cette présentation pédagogique.

Ma question porte sur l'évolution des recettes fiscales. Le rapporteur général l'a rappelé à juste titre, la TVA est la première recette de l'État. Comment évoluera le produit de la taxe ?

Les recettes de l'impôt sur le revenu s'établiraient à la hausse, à hauteur de 93 milliards d'euros, tandis que le produit de l'impôt sur les sociétés resterait stable, voire régresserait.

La taxe d'habitation a été supprimée, mais elle est compensée à l'euro près par l'État ; cela représente une somme importante : près de 20 milliards d'euros. Où cette compensation apparaît-elle dans les documents budgétaires ?

M. Albéric de Montgolfier. - Quelle crédibilité peut-on accorder aux estimations des recettes, notamment pour la TVA ? Je pense notamment à la corrélation entre le taux de croissance annoncé, qui est faible, et les recettes de la TVA, qui seront élevées, selon le Gouvernement.

Le produit attendu des recettes fiscales nouvelles n'est-il pas très optimiste ? Par le passé, certaines mesures exceptionnelles n'avaient pas eu le rendement espéré - je pense notamment à la contribution de 75 %, qui n'avait rien rapporté. Les phénomènes d'optimisation existent.

En outre, ces prévisions se fondent sur un comportement inchangé des acteurs économiques, comme si ces derniers n'étaient pas capables de s'adapter face à un changement de situation fiscale. Ne pèche-t-on pas là encore par optimisme ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Merci au rapporteur général pour sa présentation.

Ma question porte sur l'évolution de la charge de la dette. Chacun comprend aisément que l'évolution des taux d'intérêt affecte considérablement notre budget. Un graphique évoque une charge de la dette d'un montant de 69,3 milliards d'euros en 2025, contre 54,2 milliards d'euros à une autre page. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?

Votre document évoque également l'impact d'un choc de taux de 1 % sur la charge de la dette. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

M. Jean-Baptiste Olivier. - Sur le graphique des estimations de solde budgétaire, on observe une baisse des dépenses de 5,8 milliards d'euros seulement, malgré une annulation de crédits s'élevant à 10 milliards d'euros. Comment peut-on expliquer cet écart ?

Je salue le sens des responsabilités du Premier ministre, contraint d'assumer des décisions afin de pallier les dérives des précédents gouvernements. Comme le dira sans doute M. Le Maire demain lors de son audition, il a fallu faire face à des crises et, chaque fois, nous avons infantilisé nos concitoyens en leur octroyant des chèques qui leur permettaient de surmonter les difficultés, comme si celles-ci étaient plus importantes chez nous que dans d'autres pays. La gauche était favorable à ces mesures, il est donc difficile pour elle de critiquer la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

Ce budget est, à mon sens, équilibré. Il demande des efforts importants aux grandes entreprises et à nos concitoyens les plus favorisés. Toutefois, ces grandes entreprises peuvent décider de quitter le territoire pour optimiser, même de façon temporaire, leurs conditions fiscales. Chaque fois, il y a des emplois à la clé. De ce point de vue, le Gouvernement a pris ses responsabilités.

Il s'agit également d'assumer une diminution des dépenses. Or, chacun trouve une bonne raison de s'opposer aux propositions formulées.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur Olivier, vous relevez la responsabilité de la gauche alors que, par exemple, le chèque carburant a été imposé par le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale, contre l'avis de celui du Sénat. L'addition se chiffre à plusieurs milliards d'euros.

M. Arnaud Bazin. - Je souhaite revenir sur un sujet brièvement abordé par le rapporteur général : la baisse de la productivité du travail, de l'ordre de 8,5 % entre 2019 et 2024. Cet élément est essentiel pour comprendre les déséquilibres actuels. Le rapporteur général a évoqué les causes liées aux ressources humaines - le surcroît d'apprentis, le retour au travail de personnels peu qualifiés. On évoque moins la baisse de productivité des investissements. Comment se fait-il qu'une machine achetée en Allemagne soit aujourd'hui plus productive que la même machine achetée en France ? Dans nos travaux ultérieurs, nous devrons regarder de près toutes ces causes qui entraînent une baisse de productivité, car seule la création de richesses nous permettra de remonter la pente.

M. Raphaël Daubet. - Ma première question porte sur les tableaux comparatifs des prévisions de croissance. L'investissement des entreprises, qui contribue à la croissance à hauteur de -0,2 point cette année, doit augmenter en 2025. Or, une des courbes présentées de comparaison avec l'Allemagne et les États-Unis montre plutôt une baisse. Comment l'expliquez-vous ?

Mon autre interrogation porte sur la consommation des ménages. Celle-ci est prévue en forte hausse, de manière à porter la croissance ; cela me paraît risqué. En revanche, je déplore l'abandon du levier de la demande publique qui a pourtant fait ses preuves l'an dernier ; je pense aux dépenses de consommation ainsi qu'aux investissements des administrations.

M. Michel Canévet. - Tous ces éclairages n'apportent pas de réponses à nos inquiétudes qui restent très vives concernant l'évolution de notre situation financière. À cet égard, l'évolution des recettes en 2024 montre une baisse de 26 milliards d'euros par rapport aux prévisions. Sur quels éléments se base-t-on ? Les données sont-elles communiquées par Bercy ? S'agit-il d'estimations de la commission des finances ?

Parmi les évolutions observées, la baisse de l'impôt sur les sociétés, de l'ordre de 14,3 milliards d'euros, est la plus significative. Cela nous conduit à nous interroger sur les perspectives de recettes évoquées par le Gouvernement.

Enfin, concernant les dépenses, si l'on tient compte des évolutions positives et négatives, on se trouve à peu près au même niveau. L'effort est donc relativement limité. Je présume que, dans les chiffres communiqués, ne figurent pas les 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires annoncés par le Gouvernement. Ne pensez-vous pas que l'on puisse, dès cette année, réaliser davantage d'économies ?

M. Christian Bilhac. - Votre présentation m'inspire, concernant le budget, l'appréciation que j'entendais au lycée : peut mieux faire. Par exemple, on ne touche pas au financement de centaines d'opérateurs. Par ailleurs, les mesures fiscales seront, à n'en pas douter, bouleversées par les élections de 2027 ; il est donc inutile de se projeter en 2035.

Je souhaite revenir sur le sujet de la TVA nette. D'une mesure à l'autre, l'État s'est privé de 50 % des ressources de la TVA. Je m'interroge également sur la suppression de la taxe d'habitation et sur celle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous sommes nombreux à les critiquer ici, mais là encore on préfère attendre, procrastiner. Pourquoi ne pas rétablir dès maintenant la CVAE, dont la suppression n'était pas réclamée par les entreprises, ainsi que la taxe d'habitation qui permettrait de recréer un lien indispensable entre les citoyens et les communes ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - M. Cozic s'interroge sur la légitimité de ceux qui ont accepté de se retrousser les manches, et assumé de former une coalition pour agir. Les élections sont intervenues, d'autres coalitions paraissaient peut-être plus naturelles. Si l'on s'en tient à celle qui avait votre préférence, des voix se sont opposées, à l'intérieur de celle-ci, lorsque des noms ont été proposés. Le Président de la République a fait un choix, en nommant Michel Barnier Premier ministre et, dans une logique qui me paraît implacable, nous nous associons à la coalition. Il faudra clarifier l'état des lieux, comme nous avons essayé de le faire dans le cadre de la mission d'information « flash », de manière que chacun endosse ses responsabilités. De mon point, cette clarification est indispensable pour travailler sereinement.

Une chose est certaine : l'ampleur de la dette et du déficit s'est accentuée lors des deux dernières années. Je ne suis pas de ceux qui pensent se résigner. La France a connu d'autres crises de ce type. À l'heure où des bouleversements géopolitiques et des courants populistes ébranlent le monde, je préfère m'engager pour apporter une contribution au service de mon pays. Je crois que, sans forcément avoir les mêmes idées, nous partageons tous cet état d'esprit. Pendant ce débat, j'espère que nous aurons la possibilité de trouver des voies de convergence, peut-être même encore plus larges que celles qui ont été imaginées.

Vous avez évoqué l'idée d'un socle commun ; pour ma part, je ferai référence au « Club des 5 », puisque cette nouvelle majorité sénatoriale élargie se compose de cinq entités. Chacun avec ses convictions, nous allons nous mettre au travail. Dans notre sensibilité, comme vous le savez, nous ne sommes habituellement pas favorables aux augmentations d'impôts ; mais la situation budgétaire appelle des mesures exceptionnelles. Si des efforts sont nécessaires pour réduire encore les dépenses, il faudra collectivement s'y employer. En baissant le niveau des dépenses, l'effet sera immédiat.

Vous avez évoqué, parmi les potentielles cibles de baisse des dépenses, la question des opérateurs. Il ne s'agit pas de tout casser, mais d'en « faire maigrir » certains et d'en regrouper d'autres, afin de muscler les dispositifs et de les rendre plus efficaces. Je ne doute pas que vous apporterez votre contribution. Il y a peu de temps, les mêmes qui préconisent aujourd'hui de dépenser moins demandaient davantage d'emplois. Chacun doit gérer ses contradictions. Nous sommes dans une situation d'urgence budgétaire, et nos concitoyens attendent de nous que la raison l'emporte.

Monsieur Delahaye, je suis favorable à l'idée d'aller plus loin concernant la baisse des dépenses. Je me souviens avoir été mis en minorité l'an dernier sur des sujets où l'on peinait à avancer. Le Gouvernement, de son côté, est allé assez loin sur le sujet de l'aide publique au développement (APD). Nous devons revoir les dispositifs tout en veillant à ne pas engendrer des difficultés excessives. Il faut le faire avec progressivité, même si cela paraît difficile en trente-cinq jours.

Lorsque j'ai évoqué un possible déficit de 6,9 % en 2025, je reprenais les chiffres de Bercy, à politique inchangée.

Les dépenses primaires, qui ne comprennent pas la charge de la dette, devraient se stabiliser en volume en 2025. C'est l'objectif, et ce serait une première.

La trajectoire du PSMT implique que les ressources fiscales soient, pour une part, temporaires. Les efforts devront être déployés durant plusieurs années, mais la marche la plus haute est celle du PLF pour 2025. La charge de la dette s'avère aujourd'hui trop importante. Si l'on arrive à franchir cette première marche, la tendance à l'effort sera bien intégrée.

M. Capo-Canellas a évoqué le sujet de la croissance économique avant redressement, c'est-à-dire avec un déficit en 2025 du même niveau qu'en 2024, soit 6,1 % du PIB. Un tel déficit serait, comme cette année, synonyme de forte impulsion budgétaire mais celle-ci serait combinée à un assouplissement de la politique monétaire. Dans ces conditions, la croissance serait relativement élevée. La prévision gouvernementale me semble un peu optimiste, mais plus raisonnable que celle de l'an passé.

Entre 2024 et 2025, un effort de plus de 40 milliards d'euros sera demandé, et majoritairement porté par l'augmentation des recettes.

L'objectif consiste à ramener le déficit à 5 % du PIB en 2025. L'effort, surtout, doit être suivi et piloté. Une fois le budget adopté par la représentation nationale, il s'agira de rendre des comptes. L'exercice étant inédit, nos concitoyens devront vérifier, peut-être à un rythme trimestriel, si les orientations votées produisent des effets.

Monsieur Rapin, il n'existe pas de projection de la TICPE à long terme. Tendanciellement, les recettes diminuent. Les recettes de la TICPE s'élevaient à 31,7 milliards d'euros en 2023 ; elles diminueront de 500 millions d'euros en 2025.

Monsieur Savoldelli, en termes d'investissements, les États-Unis envoient un signal à l'échelle de l'économie mondiale. Il n'est donc pas inintéressant de les voir figurer dans notre graphique.

Le total des recettes publiques, établi à 51,6 % du PIB en 2023, passerait à 51,3 % en 2024 et 52 % en 2025. De la même manière, le taux des prélèvements obligatoires, établi à 42,8 % du PIB en 2024, passerait à 43,6 % en 2025.

Concernant l'impôt sur les sociétés, le schéma sans le CICE démontre que, contrairement à ce qu'a pu déclarer l'ancien ministre de l'économie sur la baisse des taux de l'impôt sur les sociétés, les recettes n'augmentent pas et sont assez stables dans le temps. Passé un surcroît temporaire en 2022, l'effet magique s'est évaporé.

M. Laménie a évoqué la réforme de la taxe d'habitation et le financement par la TVA. À ceux qui déplorent des disparitions d'impôts, je précise que nous avons encore le niveau de prélèvements le plus élevé d'Europe. Certains critiquent la décision, mais nous avons été nombreux à voter la suppression de la taxe d'habitation. Remettons-nous dans le contexte de 2017. On mesure aujourd'hui la perte de lien que cette suppression a pu entraîner. Mais je ne crois pas non plus que nos concitoyens aspirent à une augmentation excessive du niveau d'imposition et de taxe.

Concernant l'augmentation de la TVA, l'effet de périmètre s'élève à 4 milliards d'euros. Cette hausse est liée à la rebudgétisation de l'audiovisuel public dans le texte initial. Cette année, pour la première fois depuis longtemps, on a observé un écart par rapport aux prévisions de recettes de TVA. Celui-ci s'explique par l'amélioration de nos échanges commerciaux et, dans le même temps, la baisse de nos importations. Ce double phénomène n'entraîne pas de recettes de TVA sur le territoire national. J'ignore comment les choses vont évoluer, mais, comme je l'ai évoqué précédemment, les échanges économiques actuels laissent entrevoir des tensions.

Madame Vermeillet, la charge de la dette est exprimée, d'une part, concernant toutes les administrations publiques en comptabilité nationale, et, d'autre part, pour le seul État en comptabilité budgétaire. Un autre graphique vise à montrer l'impact d'une hausse de taux sur la charge de la dette. Lors du PLF 2021, le ministre de l'économie de l'époque justifiait le besoin d'emprunter à des taux d'intérêt négatifs, sauf que, si l'on emprunte beaucoup et que les taux remontent comme c'est le cas en ce moment, l'effet cumulatif entraîne une augmentation mécanique de la charge de la dette.

Monsieur Olivier, la baisse des dépenses en 2024 s'avère en effet moindre que l'annulation des 10 milliards d'euros de crédits. Cela s'explique par la réintégration dans le budget de 16 milliards d'euros de reports de crédits. Le Gouvernement supprime, par décret, 10 milliards d'euros de dépenses et, mi-mars, récupère 16 milliards d'euros de crédits non mobilisés en 2023.

La question de la productivité au travail animera nos débats de la semaine prochaine. Nous devons être notamment attentifs à l'investissement privé productif des entreprises. La courbe de l'Allemagne montre, de manière étonnante, un effondrement du niveau d'investissement. En France, le climat politique n'est guère favorable, et il s'agit de veiller à ce que les mesures ne pèsent pas trop sur l'activité économique.

De la même manière, pour les collectivités, nous ferons en sorte de trouver des voies de passage peut-être différentes de celles qui sont envisagées par le Gouvernement pour traverser cette période difficile et tracer des perspectives. Les collectivités portent une part importante de l'investissement public, l'objectif n'est pas de leur casser le moral.

Monsieur Daubet, la baisse des taux de la BCE aide à maintenir la dynamique d'investissement des entreprises. Mais il ne s'agit pas d'une science exacte, et il convient d'agir avec précaution. On observe aujourd'hui des inquiétudes liées à la situation politique. Les entreprises ne se réjouissent pas d'un alourdissement de la fiscalité.

Lors du PLF pour 2024, le gouvernement de l'époque s'était montré peu prudent. Ce dernier prévoyait une élasticité des prélèvements obligatoires de 1,1 ; à l'arrivée, elle fut de 0,7. Pour 2025, le Gouvernement prévoit une élasticité de 0,9, ce qui est plus prudent. Des variables peuvent intervenir sans que nous soyons en mesure de les anticiper.

Nous devons aller plus loin au niveau des dépenses, le Sénat est attendu sur ce sujet. Au regard des différents rapports et missions qui ont produit de nombreux éléments chiffrés, il convient de réduire les dépenses peu productives. Je prends l'exemple des dépenses de formation des personnels enseignants : les montants, inscrits chaque année depuis dix ans au budget, sont largement sous-consommés, ce qui a conduit Olivier Paccaud, notre rapporteur spécial, à proposer une réduction de cette enveloppe. Tel est l'état d'esprit qui doit nous animer.

Les prévisions concernant l'impôt sur les sociétés paraissent raisonnables.

Concernant la baisse des dépenses, je pourrai également citer les opérateurs de France 2030, le service national universel (SNU), l'Agence nationale de la recherche (ANR). Je proposerai également de rejeter les crédits dédiés au plan de relance pour intégrer les programmes de cette mission dans le droit commun.

Sur le financement des collectivités territoriales, je ne crois pas qu'une mesure fiscale prise à la hâte soit une bonne solution. Le rétablissement de la taxe d'habitation et de la CVAE correspond-il à une attente ? De mon point de vue, les collectivités souhaitent surtout retrouver un lien avec leurs habitants, qu'ils soient locataires ou propriétaires, dans la mesure où ceux-ci contribuent à l'animation économique du territoire. Après le budget, nous aurons à débattre de réformes plus structurelles, notamment d'une nouvelle étape de la décentralisation. Le président Gérard Larcher envisage un impôt résidentiel ; le président de notre commission, de son côté, pointe des recettes inadaptées, notamment celle des droits de mutation pour les départements.

L'état d'urgence budgétaire nous impose aujourd'hui des mesures qui produisent des effets - soit des réductions de dépenses, soit des recettes supplémentaires -, afin de passer le gué et d'entamer le redressement par un effort collectif le plus équilibré possible.

M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le rapporteur général, pour vos réponses. Sans surprise, le débat sur le PLF promet d'être riche au Sénat.

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Plan de relance » - Examen du rapport spécial

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant le rapport spécial de M. Jean-François Husson sur les crédits de la mission « Plan de Relance ».

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Si la crise sanitaire paraît aujourd'hui bien éloignée, la mission « Plan de relance » existe toujours. Pour rappel, elle a été créée, à juste titre, pour relancer l'économie à l'issue du confinement qui, au printemps 2020, avait interrompu la vie de nombreuses entreprises. Elle représentait 40 % du plan de relance de 100 milliards d'euros.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 ne prévoit que des crédits résiduels pour cette mission, répartis entre deux programmes : 100 millions d'euros pour le programme 362 « Écologie » et 69 millions d'euros pour le programme 363 « Compétitivité ». Le programme 364 « Cohésion » sera, quant à lui, supprimé à partir de 2025.

Ces montants ne reflètent pas la réalité de l'exécution budgétaire de la mission. Celle-ci se caractérise par un recours massif aux reports de crédits, et cette pratique s'est accentuée au fil des années. Chaque année depuis 2022, elle est financée par quelque 6 milliards d'euros de crédits reportés, alors que les crédits ouverts en loi de finances n'étaient plus que de 1,4 milliard d'euros en 2024 et ne seront que de 169 millions d'euros l'an prochain. Les documents budgétaires du PLF pour 2021, au moment de la création de cette mission, n'avaient pourtant pas indiqué au Parlement que les crédits seraient ainsi reportés d'année en année ; ils avaient, au contraire, fixé un objectif de consommation de 100 % des crédits de paiement (CP) ouverts chaque année, et celui-ci ne permettait aucun report.

Le Parlement a donc été contourné, voire trompé, et il en résulte une autorisation parlementaire vide de sens chaque année ainsi qu'une opacité budgétaire préjudiciable au contrôle parlementaire. Les montants inscrits en loi de finances ne correspondent en rien aux crédits effectivement mis à disposition des gestionnaires de programme, qui sont bien supérieurs.

Ce décalage est d'autant plus préoccupant que le financement des actions par report de crédits est d'ores et déjà prévu par l'administration en 2025. Les crédits réduits prévus par le PLF seront complétés par un montant plus important de crédits reportés. Les documents budgétaires le disent explicitement et, après avoir examiné l'état de consommation de la mission, je pense que plusieurs milliards d'euros de crédits seront à nouveau reportés.

Le niveau des restes à payer sur la mission demeure considérable, à hauteur de 7 milliards d'euros sur l'ensemble de trois programmes, dont 945 millions d'euros pour les mesures en faveur des mobilités du quotidien, 777 millions d'euros pour les projets relevant de la stratégie hydrogène, ou encore 723 millions d'euros pour les aides au recrutement. Ces montants sont très supérieurs aux 169 millions d'euros de crédits demandés.

Au-delà de cette pratique des reports de crédits, la mission « Plan de Relance » regroupe des actions hétéroclites qui n'ont plus rien à voir avec l'objectif initial de relance. À titre d'exemple, la mission ouvre des crédits pour financer un portail public de facturation ou l'achat d'hélicoptères par la gendarmerie nationale, des dépenses qui devraient être imputées au budget des ministères concernés.

En outre, la complexité des circuits de financement, par transferts entre programmes budgétaires ou à destination d'opérateurs, rend le suivi des crédits impossible. Par exemple, dans le cas où les crédits sont attribués aux bénéficiaires finaux par des opérateurs ou des entités publiques autres que l'État, c'est le versement des crédits à ces organismes qui est retracé dans le système d'information Chorus, et non le versement effectif aux bénéficiaires.

Le dispositif de performance associé à la mission est également contraire à la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). L'un des objectifs appelle à un taux de consommation des crédits de 100 %, ce qui est contestable dans la mesure où la dépense ne saurait être un objectif en soi. Les autres indicateurs de mission sont marqués comme « sans objet » dans le projet annuel de performances (PAP).

Enfin, je souhaite évoquer le cofinancement européen. Cette question ne relève pas strictement de la mission, et je m'exprime ici également en tant que rapporteur général du budget.

Ce cofinancement devrait être de l'ordre de 40,2 milliards d'euros, dont les trois quarts ont déjà été versés. Toutefois, il ne s'agit pas d'argent gratuit : l'emprunt européen devra être remboursé. Des ressources propres sont censées y pourvoir, mais rien ne le garantit pour l'instant. Si ce n'est pas le cas, la contribution de la France au budget européen pourrait augmenter de 2,5 milliards d'euros chaque année à compter de 2028.

En conclusion, la mission « Plan de Relance » est devenue une coquille vide, un outil budgétaire opaque et inadapté. Nous savons que le Gouvernement, sur ce point comme sur d'autres, a repris le projet de budget élaboré par le gouvernement précédent. Je l'invite donc, puisque ce budget a vocation à être transformé pendant les débats parlementaires, à rompre avec les pratiques antérieures. Aussi, je vous propose, comme l'an dernier, de rejeter des ouvertures de crédit qui ne sont pas nécessaires, compte tenu des crédits disponibles.

La suppression de la mission « Plan de Relance » et le transfert de ses actions vers les programmes de droit commun du budget général s'inscrivent dans notre volonté de revenir à une gestion rigoureuse et transparente des finances publiques après des années de « quoi qu'il en coûte ».

M. Arnaud Bazin. - J'aimerais avoir une précision, pour la bonne compréhension et la garantie de la sincérité du budget : les crédits reportés des années antérieures, dont il est prévu qu'ils soient dépensés en 2025, sont-ils bien intégrés en CP sur le budget pour 2025 ? Ne vont-ils pas apparaître, ensuite, ex nihilo ?

M. Victorin Lurel. - Je partage l'analyse du rapporteur spécial. Il s'agit ici de « queues de comète », avec des difficultés déjà pointées par la Cour des comptes. Les recommandations allaient dans le sens d'une disparition du programme 364 « Cohésion ». Vous allez cependant plus loin, en proposant en outre de supprimer les crédits nouveaux, y compris, si je vous ai bien entendu, les CP, en particulier 100 millions d'euros sur le programme 362 et 69 milliards d'euros sur le programme 363. Vous ai-je bien compris ?...

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Oui.

M. Victorin Lurel. - Je serai d'accord avec vous. L'avis de mon groupe politique penche en faveur d'une réflexion sur un regroupement avec le plan France 2030, afin d'éviter des reports aussi massifs, lesquels ne sont pas conformes à la Lolf.

Mme Christine Lavarde. - Je m'inscris dans la continuité de l'intervention de Victorin Lurel, même si je ne suis pas convaincue de la pertinence du plan France 2030 pour y transférer les crédits ; je pencherai davantage, comme le rapporteur spécial, pour les missions qui existent déjà.

La question a-t-elle été posée de savoir pourquoi ces crédits n'ont pas été rebasculés ? Je prendrai trois exemples. Il y a des crédits pour la stratégie hydrogène sur le programme 345, qui ne seront d'ailleurs pas exécutés en 2025. Ceux qui restent sur la mission « Plan de relance » pourraient être soit annulés, soit basculés sur le programme 345. Pareillement, le fonds Friches représente des crédits de plus de 323 millions d'euros portés, soit par le programme 380, soit par le budget de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Leur présence dans la mission « Plan de relance » atteste d'un émiettement de la politique publique. De même, pourquoi le Gouvernement tient-il tant à rattacher à cette mission le dispositif en faveur de la rénovation énergétique des collectivités locales, également lié au programme 380, alors même qu'il pourrait aisément réaliser des économies en le clôturant et en transférant les actions restant à financer vers les programmes socles de droit commun ?

M. Claude Raynal, président. - Je pense que nous partageons l'idée qu'il faut savoir mettre un terme à cette mission. Nous pressentons la discussion à venir avec le Gouvernement sur la réaffectation des crédits correspondants. Nos échanges de ce jour sont d'une certaine façon un point d'entrée dans la discussion.

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Vous avez apporté la réponse, monsieur le président, c'est un pont entre nous...

L'article 40 de la Constitution limite nos possibilités, mais nos échanges font écho aux propos de plusieurs de nos collègues sur le regroupement et une meilleure lisibilité des dépenses. Non seulement nous interrogerons le Gouvernement en séance, mais il convient également de lui transmettre rapidement le message. La formation récente de ce gouvernement ne doit pas nous empêcher de nous saisir dès maintenant de ce sujet. À l'instar de la mission « flash », cela participe de la nécessité de donner davantage de lisibilité tant aux Français qu'aux parlementaires, en regroupant les crédits disponibles dans le budget général, puis en dotant de nouveau les missions prévues le moment venu.

À mon avis, la création de divers programmes et la dispersion - volontaire ou non - des crédits dénotent une certaine désorganisation d'ensemble, et il est permis de s'interroger sur la qualité de la tenue des comptes.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Plan de relance ».

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Sécurités » - Compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » - Programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité et éducation routières » et « Sécurité civile » - Examen des rapports spéciaux

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons maintenant à l'examen des rapports sur la mission « Sécurités ». Nous entendrons d'abord M. Bruno Belin pour les programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale », « Sécurité et éducation routières » et le compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » (CAS « Radars »), puis M. Jean-Pierre Vogel pour le programme « Sécurité civile ».

M. Bruno Belin, rapporteur spécial de la mission « Sécurités ». - Je ne fais pas planer le suspense : je vous proposerai d'adopter les crédits de la mission « Sécurités ».

Présenter le budget pour 2025 donne l'occasion de revenir sur l'exercice 2024. Celui-ci aura été particulier sous l'angle de la sécurité, tant pour les personnels de la gendarmerie que pour ceux de la police. Nous avons évidemment en tête les jeux Olympiques et Paralympiques. D'autres événements ont également mobilisé nos forces de l'ordre : les quatre-vingtièmes anniversaires des débarquements de Provence et de Normandie et de la libération de Paris.

Arrêtons-nous un instant sur les jeux Olympiques et Paralympiques. Nous n'en connaissions, un temps, pas le coût exact. Nous disposons désormais de chiffres de plus en plus précis, bien qu'encore provisoires.

Pour leur sécurisation, les jeux ont mobilisé jusqu'à 35 000 policiers et gendarmes. Leur réussite tient non seulement à la ferveur populaire qui les a accompagnés et aux résultats sportifs, mais aussi à une sécurité sans faille, toute à l'honneur de l'ensemble des forces de sécurité qu'elle a impliquée.

La gendarmerie avait d'abord annoncé un coût de 60 millions d'euros, pour la part qui lui revenait en 2024. Nous savons aujourd'hui que le coût pour la police nationale est d'environ 814 millions d'euros, sur la période 2020-2024. En ce qui concerne la gendarmerie, en retenant une période de trois années prenant en compte la préparation des jeux, nous aboutissons à environ 327 millions d'euros. Cela nous permet de dire que la sécurité des jeux a représenté un coût total de l'ordre d'un peu plus de 1,1 milliard d'euros, pour ce qui concerne la police et la gendarmerie nationales.

D'autres événements encore ont pesé en 2024 sur les personnels et les budgets de la sécurité. Je pense à ce qui s'est passé et continue de se passer en outre-mer.

Plus de 3 000 personnels sont intervenus en Nouvelle-Calédonie en renfort des effectifs présents sur place, pour un coût de 155 millions d'euros, réparti à hauteur de 125 millions pour la gendarmerie et de 30 millions pour la police. Un seul chiffre surprend quand on le découvre : l'envoi en avion Antonov, de Châteauroux à Nouméa, de deux véhicules d'intervention Centaure de la gendarmerie représente un coût de 3 millions d'euros ; et on en a envoyé seize en tout... La Martinique a également nécessité la mobilisation de moyens. À Mayotte, la situation a, de même, conduit à mobiliser des forces de sécurité importantes.

Un autre fait d'actualité récent concerne les impayés de loyers de la gendarmerie. Nous avons demandé des précisions lors des auditions que nous avons menées. Derrière, des collectivités ont en effet besoin d'obtenir les flux de trésorerie correspondants. Le rattrapage doit s'effectuer d'ici à la fin de l'année 2024 ouverture de crédits est nécessaire dans le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG).

Quant aux primes qui avaient donné lieu à des engagements avant les jeux Olympiques et Paralympiques pour les gendarmes, elles seront payées avec les salaires de décembre prochain, là encore si une ouverture de crédits est prévue à cet effet dans le PLFG.

L'année 2025 se situera dans la continuité de 2024, avec des éléments de continuité. On retrouve dans la mission « Sécurités », portée à un peu plus de 25 milliards d'euros, une progression inscrite dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Pour les forces de sécurité intérieure, la progression bénéficie un peu plus à la gendarmerie qu'à la police.

On y trouve ensuite quelques enjeux bien ciblés. Le Président de la République a annoncé la création de 239 nouvelles brigades de gendarmerie, dont le nombre a ensuite été ramené à 238 . Il va falloir non seulement les monter, mais aussi les doter en effectifs. En 2025, ce sont 57 nouvelles brigades de gendarmerie qui doivent voir le jour. Et ce n'est pas tant la question de l'immobilier qui posera un problème : les collectivités susceptibles d'accueillir ces unités semblent motivées et sollicitent les bailleurs sociaux. La question est davantage celle de la dotation de ces brigades en effectifs.

Le schéma d'emplois attendu initialement était de 500 nouveaux équivalents temps plein (ETP) pour la gendarmerie et de 356 postes pour la police nationale. Plus rien, désormais, n'est prévu en 2025 de ce point de vue. Ce sera, bien évidemment, une difficulté. Faudra-t-il procéder à des redéploiements ? Je m'en entretiendrai dans les prochains jours avec le nouveau directeur général de la gendarmerie nationale. Mais il ne sera pas possible de faire autant avec moins d'effectifs que prévus.

Les militaires de la gendarmerie sont par ailleurs particulièrement sollicités depuis plusieurs mois pour des transfèrements de détenus, après le double assassinat de deux fonctionnaires de l'administration pénitentiaire survenu à un péage de l'Eure, tandis que trois autres agents ont été grièvement blessés. Nous avons aussi vu, à la fin de la semaine dernière, des départements comme l'Ardèche et la Vienne confrontés à des réalités criminelles terribles.

En ce qui concerne la police aux frontières, la création de nouveaux centres de rétention administrative (CRA) a été décidée par le précédent Gouvernement, puis confirmée par le Gouvernement actuel. Certains verront prochainement le jour. Ils nécessitent des moyens humains. Le nouveau ministre de l'Intérieur a donné, à ce sujet, des directives très claires. On voit que les flux de migrants continuent du sud au nord, depuis les Pyrénées ou les Alpes jusqu'à la Manche. Ils mettent très fortement à contribution la police aux frontières, dont les moyens sont donc appelés à devoir augmenter.

La mission « Sécurités » inclut également des crédits pour la sécurité routière. Dans ce domaine, on peut se réjouir de la légère baisse du nombre des décès sur la route. Métropole et outre-mer confondus, il y a eu un peu moins de 3 400 décès en 2023. Mes échanges avec la déléguée interministérielle à la sécurité routière m'ont laissé l'impression que nous avions atteint un niveau en-dessous duquel il sera difficile de descendre. Nous peinons à obtenir une diminution du nombre des accidents liés à la consommation d'alcool ou de stupéfiants.

Ce qu'on appelle le CAS « Radars » collecte les encaissements de verbalisations et les procès-verbaux électroniques, notamment - mais pas seulement - des 4 700 radars disposés le long de nos routes. Le rendement total des amendes affectées au CAS « Radars » est en progression, et s'établirait à 2,2 milliards d'euros en 2025. Ce montant fait l'objet d'une redistribution, pour un peu moins d'un quart en vue du fonctionnement du système, pour un tiers en direction des aménagements et travaux de sécurité routière des collectivités territoriales, et pour un autre tiers aux fins de contribuer au désendettement de l'État. D'autres affectations, plus marginales, sont également prévues.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial de la mission « Sécurités ». - Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 prévoit une dotation de 861 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 831 millions d'euros en crédits de paiement (CP) sur le programme « Sécurité civile », ce qui représente une baisse modérée de 5 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024. Pris dans sa globalité, le budget de la sécurité civile apparaît donc relativement stable.

Passé cette observation, deux éléments sont à retenir dans l'analyse des crédits.

Premièrement, les crédits d'investissement sont en baisse de presque 90 % en AE et de 30 % en CP. Cette diminution est à nuancer pour deux raisons. D'une part, le niveau d'investissement est extrêmement variable d'une année sur l'autre en fonction des commandes d'aéronefs. Or le renouvellement de la flotte d'avions bombardiers d'eau est reporté à l'horizon de 2030. D'autre part, la LFI 2024 avait prévu d'importants crédits d'investissement pour la création d'une nouvelle unité terrestre ainsi que pour la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Cela me permet d'ailleurs de saluer le travail formidable accompli par l'ensemble des acteurs de la sécurité civile, professionnels et bénévoles, lesquels ont démontré l'efficacité et la résilience du modèle français de sécurité en cette année olympique.

Deuxièmement, la baisse modérée des crédits ne remet pas en cause les capacités opérationnelles de la sécurité civile, du moins à court terme. Le PLF 2025 prévoit ainsi des crédits importants pour la location d'aéronefs, pour le financement des pactes capacitaires ou encore pour le renforcement des colonnes de renfort, autant de moyens indispensables à la mise en oeuvre d'une solidarité nationale face à la double extension temporelle et géographique des risques de catastrophes naturelles.

J'en viens aux enjeux thématiques du programme.

Le sujet des capacités opérationnelles m'amène à évoquer la situation de la flotte d'aéronefs de la sécurité civile.

Si la saison des feux de forêt de l'année 2024 a été sous contrôle, je tiens ici à souligner le caractère heureux de cette réussite. En effet, l'hypermobilisation des agents par les jeux Olympiques, doublée d'un taux de disponibilité anormalement bas des appareils bombardiers d'eau, aurait pu mener à des scénarios bien plus malheureux en cas de fortes chaleurs, avec un risque de rupture capacitaire.

Dans ce contexte, trois points retiennent l'attention quant aux moyens aériens.

Tout d'abord, le renouvellement de la flotte d'hélicoptères se poursuit au rythme prévu, avec la livraison des trois premiers modèles H145 avant la fin de 2024. Le calendrier de livraison de 36 appareils d'ici à 2029 devrait donc être respecté.

Ensuite, le budget 2025 consacre la pérennisation de crédits dédiés à la location d'aéronefs. Dans le PLF 2025, 30 millions d'euros d'AE et de CP permettront la location de dix hélicoptères et de six avions. Dans l'attente de la livraison d'appareils neufs, et face à des saisons de feux d'intensité variable, la location offre une solution viable d'un double point de vue budgétaire et opérationnel.

Enfin, je ne vous cache pas une certaine inquiétude sur l'entretien et le renouvellement de la flotte française de douze canadairs. Ce renouvellement continue d'être repoussé dans le temps, après avoir été promis à l'échéance de 2027. Un contrat avec un industriel canadien a finalement été conclu via la Commission européenne cet été, mais les deux premiers appareils destinés à la France ne devraient être livrés qu'en 2030. Il faut donc composer avec la flotte existante pendant encore au moins cinq à dix ans. Or cette flotte est vieillissante, ce qui contraint à ménager les appareils et conduit à complexifier leur entretien, voire impose de faire évoluer la doctrine française de lutte contre les incendies.

Cependant, les moyens de la sécurité civile ne se résument pas aux aéronefs. Un deuxième sujet thématique est celui des pactes capacitaires destinés à renforcer les moyens opérationnels des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) par l'acquisition de matériels, notamment des véhicules, cofinancés par l'État. À la suite des incendies de 2022, une enveloppe additionnelle de 150 millions d'euros en AE avait été inscrite dans le PLF pour 2023, afin de faire face aux feux de forêt.

La promesse semble aujourd'hui tenue : 37 millions d'euros de CP ont été consommés en 2023, 29 millions d'euros devraient l'être en 2024, et 45 millions d'euros de CP sont prévus pour 2025, tandis que les premiers véhicules ont été livrés le mois dernier.

Malgré des retards et certaines critiques, ces pactes sont source de satisfaction. Dans un contexte de contrainte budgétaire, la mutualisation des commandes au niveau national a permis de peser sur les industriels et de faire baisser le prix des équipements d'environ 30 %.

Je souligne que les pactes capacitaires, aujourd'hui essentiellement dédiés à la lutte contre les feux de forêt, constituent un dispositif de financement exceptionnel dont l'entièreté des crédits devrait être consommée d'ici à 2027.

Or d'autres défis capacitaires s'imposent à nous, et les travaux du Sénat l'ont démontré.

Les conclusions de la très récente mission de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et en 2024, menée par nos collègues Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux, soulignent le fait que le changement climatique conduira à une hausse de la fréquence des inondations. Or, face à des inondations sans précédent, les services de secours ont été confrontés à leurs limites, nécessitant l'intervention de renforts européens bienvenus, mais avec des délais trop longs au regard de l'urgence des situations. Il paraît donc légitime de réfléchir à la mise en place de dispositifs de financement consacrés au renforcement des moyens de prévention et de lutte contre ce risque, par la voie de pactes capacitaires « inondations » ou par l'achat de moyens mutualisés directement par l'État.

Le sujet des inondations m'amène à celui de la modernisation des dispositifs des systèmes d'information, de communication et d'alerte de la sécurité civile.

De fait, les inondations dramatiques qui ont touché la région de Valence en Espagne la semaine dernière montrent l'impératif de disposer d'outils de communication et d'alerte à la population pleinement fonctionnels. Je reste donc attentif à l'évolution des projets de modernisation comme NexSIS, FR-Alert, ou encore de mise en place d'un numéro unique d'urgence, qui nécessitent financements publics, mise à l'épreuve du réel et volonté politique.

En ce qui concerne FR-Alert, une remarque sur les dysfonctionnements relevés le 17 octobre dernier en Ardèche avec l'un des opérateurs téléphoniques, Free. Avec cet opérateur, l'alerte n'a pas toujours été lancée, ou l'a été avec plusieurs jours de retard, ou l'a été auprès de populations qui n'étaient pas concernées par le secteur du sinistre. La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) semble n'y être pour rien ; seul l'opérateur téléphonique paraît avoir été défaillant. Une enquête est en cours ; nous en saurons plus dans les semaines à venir.

Je conclurai sur la question de la volonté politique, en relevant que le Beauvau de la sécurité civile, engagé par le Gouvernement précédent, puis interrompu à la suite de la dissolution, reprendra finalement à la fin du mois. Ce cycle de concertation nationale s'achèvera au printemps 2025, avec à terme un projet de loi ambitieux qui devra « poser les bases d'un modèle renouvelé », près de trente ans après la loi de 1996 de départementalisation des services d'incendie.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, je vous propose d'adopter les crédits du programme « Sécurité civile ».

M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Pour résumer la situation de la gendarmerie nationale dans le PLF 2025, je dirai qu'elle n'est ni terrible ni exceptionnelle et qu'elle aurait pu être pire, vu le contexte contraint en matière de finances.

La gestion du budget de 2024 s'est avérée assez compliquée pour la gendarmerie. Deux raisons à cela : le problème de loyers non honorés et la survenue des événements de Nouvelle-Calédonie, qui a conduit à projeter sur place des moyens humains et matériels, pour un coût global évalué entre 130 et 150 millions d'euros.

J'évoquerai devant vous cinq points.

Premièrement, comme chaque année, l'immobilier apparaît comme une difficulté majeure pour nos armées, quelles qu'elles soient, et pour nos gendarmes en particulier. Nous avions chiffré à un montant de 300 à 400 millions d'euros le budget annuel nécessaire afin d'entretenir les bâtiments et de créer des brigades neuves. À cet égard, 2024 a été une année catastrophique. Nous observons une augmentation des crédits pour 2025, mais nous resterons loin de l'objectif, avec des CP de l'ordre de 175 millions d'euros pour ce qui concerne l'investissement.

Deuxièmement - et c'est un point qui revient également tous les ans -, l'achat des véhicules légers, indispensables à l'exercice par les gendarmes de leurs missions. Le besoin annuel de renouvellement de leur parc avait été estimé à 3 750 véhicules. Année décidément noire pour la gendarmerie, après une année 2023 elle-même assez médiocre, 2024 a vu l'acquisition de seulement 180 véhicules. En 2025, on pourrait apparemment acquérir 1 780 véhicules. Cette augmentation ne permettra cependant pas de rattraper le retard pris au cours des deux exercices antérieurs.

Troisièmement, et il faut y être extrêmement vigilant, on observe dans toutes les armes, notamment dans la gendarmerie, de petites difficultés de recrutement - quoique dans une moindre mesure qu'en 2023 - et surtout un problème de fidélisation des effectifs. Depuis environ trois ans, les gendarmes quittent de plus en plus leurs fonctions avant les dix-sept ans requis pour toucher une demi-pension. Ce phénomène s'amplifie d'une année sur l'autre.

Quatrièmement, la réserve opérationnelle se révèle indispensable au bon fonctionnement de la gendarmerie, particulièrement en période estivale. Or, en 2025, une réduction de 15 millions d'euros s'annonce dans les crédits qui doivent lui être alloués.

Cinquièmement, il faudra surveiller de très près la création de nouvelles brigades, annoncée à grand renfort de communication. Apparemment, le mouvement se ralentit. En ce qui concerne les brigades fixes, la gendarmerie se repose sur les collectivités territoriales pour obtenir des bâtiments. Compte tenu notamment de ce qui vient de se passer, avec l'absence de versement de loyers, ces dernières semblent moins promptes à s'engager. En outre, la question se pose de l'effectif des nouvelles brigades.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ma première question concerne les nouvelles brigades de gendarmerie. J'entends qu'il existe un certain nombre de difficultés, tant en matière de recrutement que sous l'angle de l'immobilier. Le rapporteur spécial peut-il nous faire le point de la situation ?

Je reste très attaché à ce que, sur ce sujet, l'État assume la mission régalienne qui est la sienne. Il convient de ne pas demander trop systématiquement aux collectivités de porter des projets qui ne ressortissent pas véritablement à leur compétence. D'une part, cela remet en cause le modèle d'une fonction régalienne ; d'autre part, les collectivités se retrouvent en porte-à-faux, quand on leur demande, dans le même temps, des efforts budgétaires supplémentaires.

Ma seconde question porte sur le CAS « Radars ». Il me semble qu'il est prévu, à compter de 2025, une source de financement complémentaire en direction de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai). Qu'est-ce qui la motive ? Est-elle temporaire ?

M. Éric Jeansannetas. - Monsieur Belin, votre présentation des crédits de la mission « Sécurités » n'est-elle pas déjà caduque ? On nous annonce pour vendredi prochain, à Marseille, celle du plan de lutte contre le narcotrafic, un plan issu des travaux de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier dont nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain étaient respectivement rapporteur et président... Avec quels moyens luttera-t-on ? Vous nous dites que le schéma d'emplois équivaut à zéro et vous posez la question d'un éventuel redéploiement. Quels crédits complémentaires affectera-t-on à la police judiciaire, l'acteur principal des enquêtes sur le narcotrafic ? Nous constatons plutôt une inscription en baisse de plus de 8 %.

Nous connaissons la force et la vigueur des propos du ministre Bruno Retailleau ; mais ne va-t-il finalement pas combattre avec peu de moyens supplémentaires, alors que la situation en requiert beaucoup ? Les maires confrontés à de très grosses difficultés demandent davantage d'effectifs de policiers et le renforcement des commissariats dans leurs villes.

En 2020, un travail a abouti à la publication d'un Livre blanc sur la sécurité intérieure. Nous n'étions pas tous d'accord sur ses propositions, mais il proposait une redéfinition des zones de compétence, à la fois de la gendarmerie et de la police nationale. N'est-il pas temps de regarder comment tout cela peut fonctionner, en renforçant nos structures de sécurité intérieure ?

M. Marc Laménie. - Merci à nos deux rapporteurs spéciaux ainsi qu'au rapporteur pour avis, qui a en partie répondu à mes interrogations sur les recrutements de jeunes gendarmes ou de jeunes policiers et sur la difficulté à fidéliser les effectifs. Avons-nous une idée du nombre de postes vacants ?

Mme Nathalie Goulet. - Ma question concerne le moral des troupes. Le Sénat a commis un rapport sur l'état psychologique, notamment, des gendarmes. Dans l'Orne, nous déplorons le suicide récent d'un jeune gendarme. Quels moyens ont été dédiés au soutien psychologique de nos gendarmes, qui sont mis à rude épreuve ?

M. Laurent Somon. - Je me réjouis d'abord de l'augmentation des CP prévus pour 2025 à destination de la gendarmerie. C'est nécessaire à l'attractivité de ces métiers, notamment en milieu rural.

En revanche, je m'inquiète au sujet de la police, puisque les annulations de crédits de février 2024, à hauteur de 134 millions d'euros, posent des problèmes pour les nouvelles constructions programmées et provoquent des retards de paiement. Il semble que les entreprises construisant actuellement des commissariats soient confrontées à des difficultés de trésorerie, qui empêchent l'État d'honorer les factures dues et les échéances prévues.

Sur la sécurité routière, le décret du 8 mars 2024, pris à la suite de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), précise les conditions dans lesquelles les collectivités locales peuvent installer ou demander l'installation de radars automatiques. Des installations sont-elles intervenues ? A-t-on une idée de ce que souhaitent les collectivités face à une sécurité routière qui se dégrade ?

M. Stéphane Sautarel. - En matière d'immobilier de la gendarmerie, le rattrapage des loyers dus a été évoqué. Je n'ai cependant pas bien compris si un espoir existe que la situation se rétablisse dès la fin de 2024, ou s'il faudra attendre 2025.

En second lieu, j'insiste beaucoup pour que le programme annoncé sur la création de nouvelles brigades de gendarmerie puisse être déployé. Les crédits relatifs au personnel ne sont pas toujours immédiatement nécessaires ; il faut en effet parfois construire avant de doter les brigades en moyens humains. Il importe en revanche que de telles opérations immobilières, qui souvent reposent sur des bailleurs sociaux, soient confirmées et engagées dans les délais prévus, afin que les brigades puissent rapidement voir le jour sur les territoires.

M. Vincent Delahaye. - Deux questions adressées à nos rapporteurs, que je remercie pour leur travail.

La première porte sur l'augmentation de 4,2 %, soit près de 1 milliard d'euros, du budget de la police et de la gendarmerie nationales. J'imagine qu'elle intègre les dépenses exceptionnelles en lien avec l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques qui ont dû être réalisées en 2024, c'est-à-dire que la hausse atteindrait en réalité 2,1 milliards d'euros en 2025. À quoi cette somme est-elle consacrée ?

La seconde a trait aux amendes. Je note une augmentation de leurs produits de 12,3 %. À quoi est-elle due ? Les recettes attendues ne sont-elles pas l'expression d'une prévision plutôt optimiste ?

M. Grégory Blanc. - Si l'on voit bien une augmentation des crédits du volet sécurité sous l'angle des outils de répression, on relève leur diminution sous celui des secours à la personne. C'est assez symptomatique. Quelques millions d'euros manqueront aux pompiers.

Je partage les alertes du rapporteur spécial Vogel, mais évidemment pas sa conclusion quand il nous invite à voter le budget de la mission, qui plus est à l'aube d'évolutions climatiques et alors qu'on demande aux collectivités de supporter près de la moitié des 25 milliards d'euros de l'effort attendu. Un double problème de financement et d'organisation tant humaine que matérielle des Sdis va se poser. Alors que le Beauvau de la sécurité civile est sur le point de s'ouvrir, comment renouvellera-t-on leurs équipements et investira-t-on dans les nouvelles technologies, en particulier l'intelligence artificielle (IA) ?

Si l'État baisse ses crédits, comment soutiendra-t-on l'effort supplémentaire ? Cela signifie-t-il qu'il faille augmenter ou revoir l'assiette de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) ?

M. Olivier Paccaud. - Je reviens sur la problématique des nouvelles brigades fixes et mobiles de gendarmerie. M. Paul a parlé à leur sujet d'une annonce à grand renfort de communication.

Des chiffres précis les concernent : 239 unités, 80 dès 2024, seize dans les Hauts-de-France, dont sept mobiles. Or il me semble que, dans cette région, une seule est actuellement en place. Dans l'Oise, il devait y en avoir trois, dont une mobile ; on ne l'y trouve pas. Confirmez-vous ce chiffre de 80 ?

M. Bruno Belin, rapporteur spécial. - 80 nouvelles brigades de gendarmerie seront opérationnelles à fin 2024. Ces brigades sont soit fixes, soit mobiles, c'est-à-dire itinérantes. Sur la feuille de route de 2025, 57 autres sont prévues, mais il y a le problème des effectifs dont je parlais précédemment.

La question des loyers nous est évidemment posée. Formellement, la réponse consiste à dire qu'elle devrait être réglée avec le PLFG, si l'ouverture de crédits est suffisante. Je viens d'apprendre qu'il a été présenté ce matin en conseil des ministres.

La difficulté de paiement touche tout de même 5 079 emprises. Le règlement des loyers restaurera la confiance, ce qui est indispensable, car on ne saurait maintenir pendant des mois une dette de la gendarmerie à l'égard des collectivités. La première y perdrait sa crédibilité.

Or, nous avons préconisé des recours aux partenariats public-privé sur de très grosses opérations. Évidemment, les investisseurs privés craindront eux-mêmes de n'être pas payés si on ne règle pas ce problème. Je pense à des opérations indispensables, reportées depuis des années, et qu'il est grand temps d'engager, si l'on veut aussi fidéliser les effectifs de la gendarmerie.

En définitive, c'est notre crédibilité collective qui est en jeu. Nécessaire à la réalisation de ces opérations, elle passe par un apurement des impayés de loyers.

S'agissant du moral des troupes, il s'accommode mal d'immeubles des années 1970 mal entretenus. Je l'ai constaté à Dijon, au cours d'un déplacement, où un code de bonne conduite très exigeant a dû être instauré dans ce type d'immeubles en raison de l'absence de toute isolation phonique qui y prévaut.

La notion de fidélisation des effectifs se situe bien notamment à ce niveau des logements. Rappelons que les gendarmes ont une obligation de vivre sur leur lieu de travail. On peut certes toujours leur dire que la résilience est la première vertu du gendarme, mais derrière se pose la question de la situation des conjoints et des familles.

Plus largement, sur le sujet de l'état psychologique des gendarmes, il faut savoir par exemple que les unités de gendarmerie mobile ont été engagées loin des familles pendant plus de 200 jours en 2024. Des cellules psychologiques les accompagnent lors de ces déplacements. En Nouvelle-Calédonie, les gendarmes ont été confrontés à des scènes de guerre. Plus de 500 gendarmes ont été blessés et deux sont morts.

Comme vous, j'ai entendu qu'un projet de texte de loi sur le narcotrafic, issu du travail de nos collègues, pourrait être mis à l'ordre du jour du Parlement en début d'année 2025. Nous verrons ce qu'il contiendra et nous y serons vigilants, car il s'agit d'un véritable sujet, et pas seulement à Marseille, qui nécessite des moyens humains.

Les collectivités ont désormais la possibilité d'installer des radars routiers. Cela se traduit par l'affectation de 13 millions d'euros supplémentaires en faveur de l'Antai, que le rapporteur général a évoquée, afin de couvrir les frais de gestion associés pour elle. Ce dispositif n'est pas temporaire. À ma connaissance, le déploiement de radars par les collectivités territoriales - hors radars pédagogiques - n'est pas encore effectif. Mais cela ne va plus tarder : elles vont commencer à les installer.

Certains équipements des forces de sécurité intérieure sont particulièrement onéreux. Un véhicule Centaure coûte ainsi environ 1 million d'euros. De même, les nouvelles technologies - drones, cybersécurité - nécessitent qu'on y consacre des moyens importants. Il faudra en évaluer, le moment venu, l'effectivité.

La prévision d'un rendement de 2,2 milliards d'euros des recettes des amendes ne tient pas aux seuls radars, dont le nombre reste stable. Elle inclut également les verbalisations hors radars. La plupart du temps, l'estimation est en réalité dépassée en cours d'année.

Enfin, la gendarmerie explique qu'il existe toujours un taux de vacance des postes de l'ordre de 2 %, par le jeu des rotations entre les départs et les arrivées à la sortie des écoles de formation. Dans tous les cas, il est nécessaire d'augmenter les effectifs.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Le problème du financement de la sécurité civile constitue un véritable sujet. Le financement de la sécurité civile repose essentiellement sur les dépenses locales. Le budget consolidé des services d'incendie et de secours s'élève en 2022 à 5,6 milliards d'euros. Il est donc près de 7 fois supérieur aux crédits de paiement inscrits sur le programme 161 dans le PLF pour 2025.

Le Beauvau de la sécurité devra apporter des réponses à ce problème, notamment sous l'angle de la TSCA. Nous avons interrogé les acteurs de la sécurité civile sur la possibilité de valoriser les actes de sauvegarde des biens. Une hausse des primes d'assurance pourrait ainsi prendre en compte une partie du financement des SDIS. La question du montant de la taxe de séjour se pose également dans des régions qui accueillent un nombre très élevé de touristes à certaines périodes de l'année et doivent consacrer des moyens importants pour garantir leur sécurité.

Aucune baisse significative n'intervient à proprement parler. Des crédits complémentaires avaient été mis en oeuvre en 2024 à l'occasion de l'organisation des jeux Olympiques, notamment en considération des risques nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) ; nous ne les retrouvons simplement pas dans le PLF pour 2025.

Néanmoins, si les pactes capacitaires ont permis d'acquérir des camions-citernes feux de forêt (CCF), on s'interroge à présent sur le financement de matériels de lutte contre les inondations, en l'occurrence des pompes à très grande capacité, qui coûtent extrêmement cher et qu'il faudrait déployer sur l'ensemble du territoire national. Leur coût suppose l'engagement de moyens nationaux.

Il ne peut en effet être supporté par les SDIS, dont le financement présente la particularité que l'évolution de la contribution communale ou intercommunale, pour les communautés de communes disposant de la compétence incendie, se limite à celle de l'inflation au cours de l'année précédente. Toutes les dépenses nouvelles reviennent donc à la charge des départements. Les contraintes budgétaires particulièrement sévères qui pèsent sur ces derniers les empêchent de faire face au développement des risques, spécialement du secours aux personnes, qui connaît une croissance régulière.

Il conviendrait d'imaginer des pactes capacitaires pour le risque d'inondation, tels qu'ils existent pour les feux de forêt.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Sécurités » et du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport spécial

M. Claude Raynal, président. - Nous allons à présent entendre le rapport de Mme Paoli-Gagin et de M. Jean-François Rapin sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - La mission « Recherche et enseignement supérieur » est dédiée à l'avenir de notre pays. Elle pèse d'un poids significatif - le quatrième en importance - dans les crédits du budget général, avec un montant de 31,2 milliards d'euros en 2025.

J'évoquerai le budget proposé pour la recherche.

La politique de recherche fait l'objet depuis 2020 d'une programmation pluriannuelle qui couvre la période 2021-2030. Nous avons été nombreux à saluer l'engagement de cette dynamique de réinvestissement. Les constats que nous avions dressés à l'époque sont encore d'actualité pour beaucoup d'entre eux et je n'ai aucun doute sur le fait que la politique de recherche demeure une politique stratégique, incontournable pour répondre aux quatre défis de la transition numérique, environnementale, énergétique et de santé. Les recommandations du rapport Draghi sur la compétitivité de l'Union européenne confirment la nécessité de ce réinvestissement.

Les acquis de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (LPR) doivent donc être conservés. C'est justement ce que permet le budget de la recherche proposé par le Gouvernement pour 2025.

Il faut cependant remarquer que la programmation ne pourra être tenue dans son intégralité. La cible fixée par le programme 172, qui est le principal financeur de la recherche publique, serait sous-exécutée à hauteur de 136 millions d'euros. Si cette sous-exécution doit appeler notre attention, elle doit aussi être mise en perspective dès lors qu'elle représente moins de 2 % des crédits du programme. Le budget 2025 permet de ce point de vue d'exécuter la LPR à hauteur de 98 % pour le programme 172 ; il ne remet pas en cause le mouvement de fond de réinvestissement dans la recherche publique.

Entre 2020 et 2025, l'enveloppe annuelle du programme 172 aura augmenté de 1,4 milliard d'euros. Il semble difficile dans ces conditions de parler « d'austérité budgétaire » dans le domaine de la recherche.

L'analyse détaillée du budget de la recherche proposé en 2025 fait apparaître un prolongement de la dynamique engagée depuis plusieurs années. La hausse des crédits dédiés à la recherche permettra de poursuivre en priorité les mesures de renforcement de l'attractivité des métiers de la recherche. À ce titre, les opérateurs de la recherche publique continueront de voir augmenter leur subvention annuelle versée par le programme 172, en dépit d'un contexte budgétaire contraint. Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) bénéficieront ainsi de hausses de plus de 10 millions d'euros.

Le réarmement budgétaire de l'Agence nationale de la recherche (ANR) opéré depuis 2020 n'est pas non plus remis en cause. Alors que le montant annuel dédié à la recherche sur projets financée par l'ANR a augmenté de près de 70 % entre 2019 et 2024, l'intention du Gouvernement consiste à poursuivre cette dynamique. Nous avions nous-mêmes, au sein de cette commission, plaidé en ce sens. Les niveaux de financement atteints s'avèrent même supérieurs à ceux que nous réclamions pour l'efficacité de l'ANR.

Dans le domaine de la recherche spatiale, marqué cette année par le succès remarquable du vol inaugural d'Ariane 6 le 9 juillet dernier, le projet de budget 2025 est conforme à la programmation pluriannuelle fixée dans la loi.

Le bilan global de ce projet de budget pour la recherche marque donc la volonté de préserver le financement d'une politique prioritaire. Dans un contexte de contrainte générale pesant sur les finances publiques, le fait significatif est bien que la trajectoire ambitieuse de la LPR ait été respectée à hauteur de 98 % pour le programme 172.

Je conclus en attirant votre attention sur l'existence dans les fonds européens d'une marge inexploitée de financement pour la recherche publique française. En effet, l'Union européenne appuie de nombreux projets de recherche au travers du programme-cadre Horizon Europe créé en 2021.

La France est certes, derrière l'Allemagne, le deuxième pays pour la captation des aides à la recherche du programme, avec plus de 1 milliard d'euros obtenus en 2023, soit un taux de retour de 11,8 %. Mais si ce taux peut paraître important, il doit être comparé à la contribution française au budget de l'Union européenne, qui se situe en 2023 à un niveau de 17,4 %. Il ne permet donc pas de capter un niveau de financement équivalent à la contribution de notre pays au budget européen de la recherche. Chaque année, la France contribue plus au budget de recherche de l'Union européenne qu'elle n'en bénéficie. En 2023, ce solde de contribution s'est élevé à 553 millions d'euros, soit un montant largement supérieur à la sous-exécution de la LPR que j'ai évoquée.

Il faut en conclure que, dans un contexte budgétaire contraint, notre priorité commune doit être de mobiliser cette marge de financement en renforçant la capacité des chercheurs français à obtenir des fonds auprès de la Commission européenne. La mobilisation de ce levier pourrait permettre de rehausser de plusieurs centaines de millions d'euros le financement public de la recherche sans peser sur notre budget national.

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Avant de vous présenter les deux programmes qui concernent l'enseignement supérieur, je veux saluer les propos de M. Rapin. L'investissement européen, tel que le préconise le rapport de Mario Draghi, est impératif si l'on veut éviter le décrochage de la recherche et de l'enseignement supérieur de notre pays.

Le PLF pour 2025 ne prévoit pas d'économies apparentes pour les établissements d'enseignement supérieur. Ceux-ci sont cependant mis à contribution. En effet, cela fait plusieurs années qu'ils sont appelés à mobiliser leurs réserves. Les mesures salariales de 2022 et 2023, en particulier les hausses du point d'indice, n'ont été que partiellement compensées. Le manque à gagner est estimé par le ministère à 150 millions d'euros. Les surcoûts énergétiques ont également largement pesé sur les établissements, dont le parc immobilier est encore trop souvent très énergivore. Je vous renvoie, à cet égard, à mon rapport d'information intitulé Optimisation de la gestion de l'immobilier universitaire à l'heure de la nécessaire transition écologique et du déploiement de l'enseignement à distance, qui soulignait que le coût le plus lourd, en la matière, est avant tout celui de l'inaction.

La hausse de 4 points en 2025 des cotisations employeur de l'État, destinée à équilibrer le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », aura un impact sur le programme 150 de près de 200 millions d'euros. Le coût pour les seules universités est estimé à 180 millions d'euros. Le ministère de l'enseignement supérieur évalue à 500 millions d'euros le total des surcoûts non compensés pour les établissements d'enseignement supérieur en 2025.

Il est légitime que les universités prennent leur part des efforts généraux d'économies. Il serait cependant difficile d'aller plus loin à court terme. Comme l'a indiqué Jean-François Rapin, la marche prévue en 2025 par la loi de programmation de la recherche ne sera pas atteinte. Les mesures financées en 2025 à hauteur de 95 millions d'euros concernent les mesures de revalorisation prévues par la LPR.

J'ai choisi, dans ce rapport, de prêter une attention particulière aux instituts d'études politiques (IEP). En effet, ces établissements ont pour particularité de moduler leurs droits d'inscription en fonction du revenu des étudiants ou de leur famille. Ce système me paraît in fine plus juste. Il permet d'adapter les frais de scolarité aux facultés de chacun, alors que les instituts d'études politiques accueillent en moyenne un tiers d'étudiants boursiers, qui sont exonérés de frais de scolarité. Nous ne pourrons pas longtemps échapper à une réflexion sur la modulation des droits d'inscription à l'université.

Je voudrais également dire quelques mots de l'apprentissage, qui ne relève pas à proprement parler de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». En effet, près d'un quart des étudiants dans l'enseignement supérieur sont aujourd'hui en apprentissage, dont une proportion toujours plus élevée d'étudiants issus des filières générales. Alors que l'apprentissage dans l'enseignement supérieur coûte 4 milliards d'euros par an à l'État, nous ne devons pas perdre de vue qu'il n'est pas pertinent dans toutes les formations et tous les secteurs.

Les moyens consacrés à la vie étudiante diminuent de 77 millions d'euros. On peut toutefois s'interroger sur la réalité de cette trajectoire. En effet, l'intégralité de la diminution serait supportée par la baisse des montants prévus pour 2025 au titre des bourses sur critères sociaux.

Or le ministère a d'ores et déjà annoncé qu'il aurait besoin d'ouvrir des crédits en fin de gestion 2024, dans la mesure où les annulations de février dernier ne laissent plus de marge de manoeuvre pour mobiliser la réserve de précaution. Il est probable que cette situation se représente l'an prochain et que les économies de ce PLF sur les bourses ne soient pas appelées à durer.

Par ailleurs, nous entrons dans la deuxième année du déploiement de la première étape de la réforme des bourses sur critères sociaux. La deuxième étape de cette réforme, qui devait consister en la linéarisation du mode de calcul de ces bourses, a été repoussée du fait de la situation budgétaire actuelle.

Le premier bilan de cette réforme est positif. Les modes de calcul antérieurs étaient obsolètes et, selon le ministère, les évolutions de 2023 ont permis d'accorder une bourse à 30 000 étudiants supplémentaires. Le montant moyen accordé a également cru de 50 euros par mois en moyenne, soit 500 euros en plus sur une année. Par conséquent, les montants consommés pour les bourses sur critères sociaux auront augmenté de 162 millions d'euros entre 2023 et 2024, soit une hausse de 7,2 %.

Par ailleurs, le nombre de boursiers est également en diminution du fait du développement de l'apprentissage. En effet, les apprentis ne peuvent être boursiers.

Au-delà de la question des bourses, les crédits au réseau des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) augmentent légèrement. Les Crous sont en effet sous grande tension, à la fois sur leur activité de restauration et sur celle d'hébergement.

Entre 2023 et 2024, ils ont servi 6 millions de repas à tarifs sociaux, dans un contexte de forte augmentation du prix des denrées alimentaires.

Concernant le logement, la priorité doit être la réhabilitation de résidences étudiantes. Les Crous disposent en moyenne, chaque année, de 2 000 nouveaux logements et de près de 3 000 logements réhabilités. Ce n'est pas suffisant, alors que près de 75 000 étudiants n'ont pas eu accès à un logement de Crous à la dernière rentrée.

Les ressources propres des Crous devraient cependant augmenter en 2025, du fait de la fin des cinq années de gel des loyers dans les résidences. La recette attendue en année pleine devrait être de 15 millions d'euros.

Je reviens enfin sur le recours aux résidences des Crous pendant les jeux Olympiques, qui a fait tant de bruit. Sur les douze résidences d'Île-de-France mobilisées, seuls 978 étudiants au total ont été relogés durant l'été. Environ 300 d'entre eux n'ont finalement pas souhaité revenir dans leur résidence initiale et tous ont reçu une compensation de 100 euros. L'ensemble de cette opération est un succès et donne à réfléchir sur l'optimisation de l'utilisation des logements tout au long de l'année.

Pour conclure, je vous propose d'adopter les crédits des programmes concernant l'enseignement supérieur.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -La mission « Recherche et enseignement supérieur » concentre 218 opérateurs. Vous le savez, la question de la trésorerie des opérateurs est un sujet d'attention particulier, ne serait-ce que pour garantir le bon usage de chaque euro de dépense publique.

Dans ce contexte, j'avais eu l'occasion de déposer un amendement au PLF pour 2024, visant à réduire l'excédent de trésorerie du CNRS, qui avait suscité un certain émoi. Les contradictions apparues entre les membres du Gouvernement m'avaient toutefois conduit à le retirer.

Dans la revue de dépenses qu'elle avait consacrée à ce sujet l'année dernière, l'inspection générale des finances (IGF) estimait qu'il existait un excédent de trésorerie de plus de deux milliards d'euros sur l'ensemble des opérateurs de l'État. Vous êtes-vous penchés sur cette question ?

Par ailleurs, vous avez évoqué le coût de l'apprentissage et rappelé que la pertinence de ce dispositif dépendait du niveau et de la filière de formation des élèves. Je partage votre point de vue.

M. Jean-Marie Mizzon. - La France est contributrice nette au budget de l'Union européenne, notamment en raison de la politique de cohésion.

Toutefois, le programme-cadre Horizon Europe ne relève pas de la politique de cohésion, mais d'une politique sectorielle. La France n'est pas obligée d'être systématiquement déficitaire ! Dans un pays qui souffre de problèmes d'ordre comptable, il est regrettable, voire fautif, de ne pas se servir de montants qui pourraient être utiles.

Le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) a d'ailleurs créé une cellule de mobilisation pour améliorer l'accès à ces programmes, ce que je salue.

M. Thomas Dossus. - Votre relativisme sur la LPR me laisse dubitatif. L'alarme a été sonnée à plusieurs reprises, que ce soit par France Universités ou par des députés, qui estimaient qu'à peine un tiers de la trajectoire prévue cette année - le total s'élevait à 288 millions d'euros - avait été respecté ! Il me paraît donc trompeur de dire que nous devrions atteindre 98 % de la LPR...

Mme Florence Blatrix Contat. - Je partage l'analyse de M. Dossus sur la trajectoire de la LPR. Cette mission est en baisse. C'est la première fois depuis dix ans. Si j'ai bien entendu vos remarques sur les réserves, la diminution des crédits reste regrettable.

Le rapport Draghi a souligné l'importance de l'investissement dans la recherche, ainsi que celle du capital humain, pour notre compétitivité.

Permettez-moi d'exprimer un point de désaccord. Augmenter les droits d'inscription dans les universités pourrait accroître les difficultés à poursuivre leurs études pour les jeunes des classes moyennes. Ces élèves, lorsqu'ils ne sont pas boursiers, sont généralement contraints à travailler, et ils ne bénéficient pas des mêmes avantages en matière de logement. Soyons donc vigilants.

Je suis favorable au développement de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur. Pour autant, il est essentiellement le fait de grands groupes privés. Avons-nous progressé sur le contrôle de la qualité des enseignements prodigués ? C'est un enjeu important, au regard des sommes mobilisées.

M. Michel Canévet. - Quelles évolutions pourrions-nous apporter au crédit d'impôt recherche (CIR) pour que ce dispositif cible les entreprises qui en ont réellement besoin - je pense notamment aux PME ?

Les universités, sur le territoire, ont le sentiment de faire face à une disproportion dans l'allocation des moyens de fonctionnement. Une pétition a ainsi été lancée à l'université de Bretagne occidentale, à Brest, pour protester contre les différences de financement entre les facultés sur le territoire, au détriment de celles qui sont le plus excentrées. Des évolutions sont-elles prévues pour garantir une cohérence dans les apports financiers ?

Mme Christine Lavarde. - La création du programme 235 « Sûreté nucléaire et radioprotection » au sein de la mission « Écologie » marque une évolution du périmètre. Aussi, la subvention pour charges de service public attribuée au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) comprend-elle bien les missions autrefois assurées par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ?

M. Claude Raynal, président. - Vous suggérez que les universités s'inspirent du modèle de frais d'inscription en vigueur dans les IEP. Mme Blatrix Contat a quant à elle rappelé la diversité des profils des étudiants non boursiers. Plus largement, je m'inquiète davantage de la nécessité de clarifier ce qui relève de l'impôt sur le revenu et du paiement des services publics. Cette distinction est de plus en plus délicate. Les Français qui paient l'impôt sur le revenu participent à l'effort national : il semble difficile de leur demander de contribuer à tous les services auxquels ils ont recours. Cela risque de mettre en difficulté l'acceptation du principe même de l'impôt sur le revenu. Cette réflexion vaut d'ailleurs aussi pour l'impôt local.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, je vous rappelle que lors de l'examen du PLF pour 2024, la ministre de l'époque s'était scandalisée de votre amendement visant à prélever 100 millions d'euros sur la trésorerie du CNRS, dont le total s'élevait à environ 1 milliard d'euros. Selon elle, vous auriez conduit le CNRS à l'effondrement. Et pourtant, cela n'a pas empêché le Gouvernement de procéder à ce prélèvement en février dernier...

L'exercice sur la trésorerie est difficile. Néanmoins, après avoir échangé avec le ministère, nous disposons de chiffres prévisionnels, qui sont désormais stabilisés, bien qu'ils n'aient pas été confirmés par un commissaire aux comptes.

En matière de trésorerie, l'estimation la plus importante est celle des jours de dépenses de fonctionnement décaissables - autrement dit, le temps que l'opérateur pourrait tenir avec sa trésorerie s'il n'encaissait plus un euro. La trésorerie libre d'emploi du CNRS représente environ trente-neuf jours de charges décaissables. Celle de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) environ quarante-neuf jours de charges décaissables. L'Agence nationale de la recherche dispose de vingt-cinq jours de charges décaissables. Enfin, la trésorerie disponible du CEA serait de moins de dix jours de charges décaissables.

En tout cas, malgré l'émoi suscité par votre amendement, le CNRS ne s'est pas écroulé lorsque l'excédent de trésorerie que vous proposiez de prélever a été ponctionné par le Gouvernement.

Monsieur Mizzon, le programme-cadre Horizon Europe est en effet une politique sectorielle. J'ai échangé avec le SGAE. Avec un peu d'ambition, la France pourrait rattraper, tous ministères confondus, près de 2 milliards d'euros sur les crédits européens.

Le CNRS a créé une cellule de captation des fonds européens. Les plus petits laboratoires doivent, eux aussi, chercher davantage de fonds. C'est l'une des faiblesses de la France, mais précisément parce que nous avons nous-mêmes encouragé l'augmentation des crédits de l'ANR. Nous avons ainsi procuré une forme de confort à nos chercheurs français, qui n'ont plus l'ambition de chercher à obtenir des crédits européens. Et pourtant, 600 millions d'euros sont disponibles. Je vous proposerai donc un amendement de nature à inciter les chercheurs français à solliciter des crédits européens.

Monsieur Dossus, il est vrai que la trajectoire de la LPR est en légère diminution, de 2 %. N'oublions pas que cette programmation s'étale sur une période de dix ans. Il est regrettable que nous n'ayons pas mis en oeuvre la clause de revoyure - ce qui nous met d'ailleurs hors-la-loi ! Il aurait fallu le faire en fin d'année 2023, ou au plus tard au début de cette année.

Les lois de programmation sont toujours délicates. Nous avons consacré d'importants efforts à la LPR les trois premières années. Alors que la situation budgétaire est critique, il ne me paraît pas illégitime d'envisager une diminution des crédits, sans pour autant trahir l'ambition de recherche française - quitte à la rattraper plus tard. La possibilité d'accéder à des financements européens, dans cette perspective, est particulièrement intéressante. Si nous n'allons pas chercher ces crédits, d'autres le feront : les parlementaires allemands, en particulier, l'ont fait savoir.

Monsieur Canévet, le CIR relève davantage de la fiscalité. Je sais seulement qu'une modification à la marge de l'assiette est envisagée. Son principe, en tout cas, n'est pas remis en question. Toutes les entreprises que je rencontre me disent, d'ailleurs, que ce dispositif est essentiel pour préserver la recherche française.

Madame Lavarde, sur le financement du CEA, je vous confirme que cet opérateur va bénéficier d'une hausse de ses moyens en matière de recherche par l'affectation d'une fraction des recettes de la taxe sur les installations nucléaires de base à hauteur de 240 millions d'euros.

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, la trésorerie des universités doit déjà être fortement mobilisée pour absorber le choc des réformes. Aujourd'hui, 87 % du fonds de roulement des universités est mobilisé pour des opérations d'ordre pluriannuel.

Concernant l'apprentissage, 61 % des apprentis sont en licence professionnelle, mais 32 % étudient dans des écoles de commerce, et 18 % dans des écoles d'ingénieur. Il est normal que l'effort public soit important pour une partie d'entre eux. Mais pour certains secteurs, et pour les plus hauts niveaux de diplôme, il est légitime de se demander si la contribution des grands groupes ne pourrait pas être plus forte. Par ailleurs, Parcoursup proposait 1 800 formations en apprentissage en 2014, 2 600 en 2018, 9 000 en 2023 et 10 000 en 2024. Cette croissance exponentielle rend difficiles les contrôles que vous appelez de vos voeux.

Monsieur le président, votre réflexion porte plus généralement sur le contrat social. L'effort fiscal décroît pour les étudiants les plus aisés, en raison d'un plafonnement pour les plus hauts revenus dans les IEP. Notre but n'est pas d'empêcher les étudiants des classes moyennes d'accéder à l'université mais de rendre les droits d'inscription à l'université plus progressifs. Si l'on prend un peu de recul, on voit bien qu'à l'échelle mondiale, les frais de scolarité universitaire en France restent très faibles.

Monsieur Canévet, votre question est légitime, et soulève un problème qu'a fait apparaître la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, à savoir la difficulté de disposer de chiffres consolidés à l'échelle nationale, ce qui crée une forme d'opacité. Il est donc impossible d'opérer la comparaison territoriale entre les universités que vous demandez. C'est précisément ce que nous soulignions dans notre rapport sur le bilan du financement de la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE. En outre, le tableau est encore troublé par les aides indirectes dont bénéficient certaines universités de la part des collectivités, via la mise à disposition de locaux, par exemple.

Article 42 (État B)

M. Claude Raynal, président. - J'invite M. le rapporteur spécial à présenter son amendement sur l'article 42.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Plusieurs éléments motivent cet amendement. D'abord, nous n'avons pas mis en oeuvre la clause de revoyure prévue dans la LPR. En outre, notre budget est contraint. Beaucoup d'économies conjoncturelles seront proposées. Pour ma part, je vous propose une économie structurelle. Puisque nous parvenons déjà à toucher 1 milliard d'aides européennes, pourquoi ne pas chercher à obtenir 1,5 milliard ? La masse de recherche française le permettrait.

L'ANR a bénéficié d'une augmentation de crédits considérable, à hauteur de 82 %, entre 2020 et 2024, soit près de 600 millions d'euros au total, avec un taux de succès de 25 % - ce qui correspond à notre ambition, même si nous pourrions atteindre 30 % au terme de la LPR. Nous étions bien entendu alors favorables à cette hausse.

Je propose de geler les crédits de l'ANR, et de flécher la moitié des 120 millions d'euros ainsi préservés vers la création d'un bonus européen de 5 % versé par le ministère de la recherche aux chercheurs qui réussissent à capter des financements européens.

Nous réduirions également les crédits de paiement, puisque l'ANR verse d'emblée 20 % d'avance initiale aux lauréats des appels à projets.

Il me semble que nous avons soutenu la recherche ces quatre dernières années. Aujourd'hui, nous défendons une trajectoire légèrement différente, mais qui nous permettra de rapporter plus de crédits.

M. Thomas Dossus. - Nous conditionnerions donc l'obtention de crédits à la recherche de financements européens. Au moment de l'examen de la LPR, nous avions constaté que la communauté scientifique se plaignait de passer beaucoup de temps à répondre à des appels à projets. Votre mesure ne ferait qu'amplifier cette recherche permanente de financements. Nous voterons donc contre cet amendement.

L'amendement est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », sous réserve de l'adoption de son amendement.

Proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à l'examen du rapport de M. Michel Canévet sur la proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces.

M. Michel Canévet, rapporteur. - La proposition de loi de notre collègue Christian Bilhac et de plusieurs de ses collègues sera examinée mercredi prochain en séance publique dans le cadre de l'espace réservé au groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Je tiens d'abord à souligner que je partage les objectifs des auteurs de cette proposition de loi en matière de lutte contre la criminalité financière. En effet, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme constituent deux fléaux majeurs que notre appareil législatif doit impérativement combattre, en s'adaptant en permanence à l'évolution des risques et des pratiques frauduleuses.

La crise que traverse actuellement notre pays en matière de narcotrafic constitue l'un des aspects de cette problématique. Aussi, nous devons impérativement employer tous les moyens de nature à neutraliser les instruments de blanchiment de capitaux. Je rappelle, à cet égard, que les services répressifs ont procédé l'année dernière à plus de 24 000 saisies d'espèces pour un montant de près de 100 millions d'euros.

C'est à ce titre que l'usage des espèces est susceptible de constituer un risque de blanchiment de capitaux. En effet, la monnaie fiduciaire constitue un moyen de paiement anonyme, facile d'utilisation et instantané.

Pour répondre à ce risque, le droit actuel prévoit déjà un encadrement particulièrement strict des paiements en espèces.

Ce cadre se doit d'être strictement proportionné dès lors qu'il entre en conflit avec le droit de paiement en espèces. En effet, les pièces et billets de banque ont cours légal dans la zone euro et un commerçant ne saurait les refuser comme moyen de paiement sans motif légitime.

Dans sa rédaction actuelle, le code monétaire et financier a prévu, à son article L. 112-6, un seuil de droit commun de 1 000 euros pour les paiements en espèces effectués par les résidents. Au-delà de cette somme, les résidents français ont l'obligation de recourir à un autre moyen de paiement.

Pour les étrangers de passage en France, qui peuvent être amenés à transporter davantage d'espèces, un seuil aménagé à hauteur de 10 000 ou 15 000 euros est prévu dès lors que le paiement n'est pas effectué dans un cadre professionnel.

Il faut relever ici que le plafond applicable en France, qui a été ramené à 3 000 euros en 2010, puis à 1 000 euros en 2015, est l'un des plus robustes de la zone euro. En Belgique ou aux Pays-Bas, il est trois fois plus élevé, tandis que dans plusieurs pays de la zone euro, comme l'Allemagne ou la Finlande, aucun plafond n'est fixé pour les paiements en espèces.

Si l'entrée en application du règlement (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024 imposera aux pays de l'Union européenne d'appliquer un plafond d'au plus 10 000 euros à partir de 2027, le plafond français restera l'un des plus exigeants.

Enfin, le code monétaire et financier prévoit deux exceptions générales, dont l'objet est de limiter la restriction au droit de payer en espèces lorsque le risque de blanchiment n'est pas caractérisé.

Ces exceptions générales concernent, d'une part, les paiements entre particuliers pour des opérations non professionnelles, et, d'autre part, les paiements des personnes non bancarisées, c'est-à-dire n'ayant pas de compte bancaire ou ne pouvant s'acquitter d'un paiement par chèque ou par un autre moyen.

J'en viens aux mesures prévues par la proposition de loi, dont, j'y insiste, je partage l'objectif de lutte contre le blanchiment de l'argent issu des trafics.

Le texte, premièrement, prévoit de fixer un plafond spécifique pour le paiement des loyers. Deuxièmement, il tend à supprimer le déplafonnement des paiements pour les opérations non professionnelles entre particuliers, ainsi que, troisièmement, pour les personnes non bancarisées.

Sur les deux premiers points, je relève que les loyers sont déjà soumis, dans l'état actuel du droit, sous réserve des opérations non professionnelles entre particuliers, au plafond de droit commun de 1 000 euros. Quant aux paiements entre particuliers pour une opération non professionnelle, ils font partie des dépenses de la vie courante qu'il n'est pas souhaitable de réglementer dès lors qu'ils ne constituent pas une voie de blanchiment d'argent.

Sur le troisième point, il me semble que le caractère de la mesure proposée est disproportionné. Je comprends l'intention de l'auteur de la proposition, à savoir, empêcher tout contournement du droit en vigueur. Pour autant, les services chargés de la lutte contre la criminalité financière, que j'ai entendus, m'ont tous confirmé qu'ils n'avaient rencontré aucun cas documenté de contournement de la loi par un refus calculé d'ouvrir un compte bancaire. Les remontées de terrain qui m'ont été communiquées montrent bien qu'aucun trafiquant ne choisit d'être non bancarisé pour éviter l'application de la loi.

En revanche, plusieurs centaines de milliers d'hommes et de femmes ne sont pas bancarisées, car ils sont, le plus souvent, dans une situation précaire qui les empêche de bénéficier de la procédure de droit au compte. C'est en particulier le cas en outre-mer. En effet, cette procédure impose la production d'un justificatif de domicile, ce qui est impossible pour certains publics fragiles.

Par conséquent, bien que je sois entièrement favorable à l'adaptation permanente de notre droit aux risques identifiés de criminalité financière, les mesures proposées me semblent avoir un caractère disproportionné, dès lors qu'elles pourraient mettre en difficulté des personnes fragiles sans pour autant simplifier le travail des services répressifs.

Pour ces différentes raisons, je vous propose de rejeter ce texte. Si vous suivez mon avis, le débat en séance publique portera par conséquent sur le texte initial déposé par les auteurs de la proposition.

M. Christian Bilhac, auteur de la proposition de loi. - Je serai clair. On ne peut pas payer plus de 1 000 euros en espèces : c'est la loi. Un honnête homme qui achèterait, en espèces, une mobylette d'occasion à 1 500 euros serait ainsi dans l'illégalité totale. En revanche, un individu dépourvu de compte bancaire peut acheter une Mercedes en espèces, tout en étant protégé par la loi française !

J'ai peut-être l'esprit d'un autre temps, mais il me semble que, dans une République comme la France, les gens honnêtes ne devraient pas subir plus de contraintes que ceux qui ne le sont pas ! Or c'est le cas.

Les banquiers expliquent que 400 000 personnes en France n'ont pas de compte en banque en raison de la précarité de leur situation. Mais dans ce cas, pourquoi auraient-elles besoin de payer plus de 1 000 euros en espèces ?

Je ne parviens pas à comprendre votre refus de soumettre aux mêmes contraintes les honnêtes gens et les voyous.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Si un individu souhaite s'acheter une Mercedes et payer en liquide, la transaction fera certainement l'objet d'un signalement à Tracfin !

Mme Nathalie Goulet. - J'en profite pour rappeler les récentes mesures adoptées par l'Union européenne pour réguler la manipulation d'espèces à l'échelle européenne et remédier aux distorsions qui étaient observées. En revanche, des citoyens issus d'autres pays du monde, de Dubaï ou d'ailleurs, peuvent se rendre en France avec des mallettes remplies de billets sans être inquiétés. La solution résidera donc davantage, selon moi, dans un effort de coopération internationale, sachant que les moyens de contrôle, notamment de Tracfin, ont été fortement développés. Le rapporteur souligne d'ailleurs à juste titre que les risques sont moindres, en raison de la hausse des signalements.

M. Claude Raynal, président. - Je rappelle, pour ma part, que, dans les territoires ruraux, nous entendons de manière récurrente une demande d'implanter davantage de distributeurs automatiques de billets. Votre proposition de loi ne va pas dans ce sens !

Concernant le périmètre de ce projet de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, la commission des finances a arrêté, lors de sa réunion du 6 novembre 2024, le périmètre indicatif de la proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces. Ce périmètre comprend les dispositions relatives au régime d'interdiction du paiement en espèces de certaines créances.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

Désignation de membres du bureau

M. Claude Raynal, président. - Nous devons procéder à la désignation de trois membres du Bureau de notre commission, un vice-président à la suite de la démission de M. Bernard Delcros de son poste de vice-président, et deux secrétaires, dont l'un en raison de la nomination de Mme Marie-Claire Carrère-Gée comme membre du Gouvernement.

Compte tenu des propositions formulées par les groupes concernés, je vous propose de désigner comme vice-président M. Michel Canévet, pour le groupe Union Centriste, et comme secrétaires Mme Marie-Carole Ciuntu, au titre du groupe Les Républicains, et M. Hervé Maurey, au titre du groupe Union Centriste, en remplacement de M. Michel Canévet, jusqu'à présent secrétaire.

M. Michel Canévet est désigné vice-président.

Mme Marie-Carole Ciuntu et M. Hervé Maurey sont désignés secrétaires.

Jeudi 7 novembre 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 8 h 00.

Mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France - Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique du 17 mai 2017 au 21 septembre 2024 (sera publié

Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 20.

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport spécial

M. Claude Raynal, président. - Dans le cadre de nos travaux relatifs au projet de loi de finances (PLF) pour 2025, nous examinons le rapport spécial sur la mission « Outre-mer ».

M. Georges Patient, rapporteur spécial de la mission « Outre-mer ». - Le principal objectif de la mission « Outre-mer » consiste en un rattrapage des écarts entre les territoires d'outre-mer et la métropole. Il doit demeurer une priorité, alors qu'une crise de la vie chère frappe l'ensemble des outre-mer.

Selon l'Insee, en 2022, les prix ont été plus élevés de 15,8 % en Guadeloupe, de 13,7 % en Guyane et en Martinique et de 8,9 % à La Réunion par rapport à l'Hexagone. Pour les produits de première nécessité, notamment alimentaires, les écarts de prix atteignent même parfois plus de 40 %. Une convention signée en Martinique prévoit à ce titre une diminution de 20 % du prix de ces produits.

Cette situation n'est pas viable et génère des frustrations fortes parmi les populations. L'État peut contribuer à y apporter des remèdes, conjointement avec les collectivités, entre autres.

La crise institutionnelle que traverse la Nouvelle-Calédonie nécessite également une réponse affirmée de l'État, y compris budgétaire, pour réparer des dégâts chiffrés à plus de 2 milliards d'euros.

Au vu de ces conditions et des attentes des populations ultramarines, le budget proposé pour la mission « Outre-mer » s'avère décevant. Il s'élève à 2,56 milliards d'euros, soit une baisse de 9 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024. Il perd ainsi 250 millions d'euros.

En particulier, le programme 123, qui rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de l'amélioration des conditions de vie dans les outre-mer, est raboté de plus d'un tiers, à hauteur de 314 millions d'euros.

Ce sont les collectivités territoriales ultramarines qui sont les plus touchées par la diminution des crédits, et ce à plusieurs titres.

D'une part, les dotations consacrées aux collectivités baissent fortement, en particulier la dotation du conseil départemental de Mayotte et la dotation spéciale de construction et d'équipement des collèges et des lycées en Guyane.

D'autre part, la nouvelle génération de contrats de convergence et de transformation (CCT), en cours de signature dans les territoires ultramarins, ne sera abondée en 2025 qu'à hauteur de 7 % du montant contractualisé pour la période 2024-2029. Cette baisse est d'autant plus dommageable que ces contrats se sont révélés un outil pertinent pour les collectivités. Ne pas les abonder suffisamment présente un risque de sous-consommation. Il serait plus facile pour les collectivités d'être en mesure de lisser leurs engagements sur les cinq années de contractualisation, au lieu de devoir les concentrer sur trois années.

Enfin, les aides à l'investissement dans les collectivités, notamment celles du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), sont réduites de 19 %.

Le dispositif relatif aux contrats de redressement en outre-mer (Corom) est également affecté, dès lors qu'il perd 57 millions d'euros en autorisations d'engagements (AE) et 3,6 millions d'euros en crédits de paiement (CP).

Les collectivités ultramarines ont pourtant une situation financière structurellement fragile en raison de l'insularité qui génère des charges supplémentaires, ainsi que de l'importance des dépenses de personnel. Celles-ci représentent presque 65 % des dépenses de fonctionnement du bloc communal, contre 52,2 % pour les communes de l'Hexagone, en raison notamment de la majoration des primes de personnels.

Par ailleurs, les populations ultramarines sont directement touchées par les baisses de crédits budgétaires, la politique de continuité territoriale étant rabotée de 11 millions d'euros.

Il s'agit d'un choix étonnant, alors que la LFI pour 2024 avait renforcé de manière bienvenue la politique de continuité territoriale en créant trois nouveaux dispositifs de facilitation des déplacements professionnels entre les territoires d'outre-mer et la métropole.

Cette situation est d'autant plus mal comprise que la dotation de continuité territoriale (DCT) de la Corse s'élève à 187 millions d'euros, pour 300 000 habitants, soit un montant trois fois supérieur à celui dont bénéficient les 2,7 millions d'Ultramarins.

Enfin, la ligne budgétaire unique (LBU), qui finance le logement social en outre-mer, est réduite de près de 10 millions d'euros, revenant ainsi à son niveau de 2023.

Nous regrettons le rabotage d'un programme essentiel au bon fonctionnement des collectivités ultramarines et à l'amélioration des conditions de vie de ceux qui y vivent.

M. Stéphane Fouassin, rapporteur spécial de la mission « Outre-mer ». - Je parlerai du programme 138 qui rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de la compétitivité des entreprises, de l'amélioration de l'employabilité des jeunes et de la qualification des actifs ultramarins. Il enregistre une hausse de 3,4 % - soit 65 millions d'euros - bienvenue pour les entreprises d'outre-mer.

Cette augmentation résulte essentiellement de la hausse des crédits alloués à l'exonération des charges sociales, alors que la masse salariale en outre-mer augmente régulièrement depuis 2022 et la fin de la crise sanitaire.

Les variations constatées ces dernières années pour cette action témoignent cependant de la difficulté à établir des prévisions fiables, surtout pour les dépenses de guichet, qui sont tributaires de la conjoncture économique.

Au-delà de la hausse bienvenue de la budgétisation des compensations d'exonérations sociales, nous constatons que l'article 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) prévoit une révision de la réduction générale dégressive des cotisations sociales sur laquelle est assise le dispositif issu de la loi pour le développement économique des outre-mer (Lodéom), financé par le programme 138.

Dans ce cadre, une habilitation à légiférer par ordonnance est demandée au Parlement, afin de réviser plus en profondeur les exonérations spécifiques dont bénéficient les entreprises ultramarines.

Les conclusions d'une mission diligentée par l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'inspection générale des finances (IGF) sur ce dispositif sont attendues à court terme. Nous préférerions que les dispositifs d'exonérations de cotisations sociales propres aux populations ultramarines fassent l'objet d'un débat spécifique au Parlement, qui pourrait être décalé afin de tenir compte des conclusions de cette mission. Nous y serons particulièrement attentifs.

Enfin, on constate une diminution aux trois quarts des crédits alloués au financement de l'économie, c'est-à-dire le soutien au microcrédit, les subventions d'investissement et les prêts de développement outre-mer. C'est dommageable, vu la pertinence de ces outils dans les territoires ultramarins.

La diminution des crédits budgétaires de la mission « Outre-mer » nous semble d'autant plus regrettable que leur consommation a fortement augmenté ces dernières années. Les crédits programmés dans le cadre de la LFI pour 2023 ont même été surconsommés de 17,2 %, en raison de la sous-estimation des dépenses de compensations d'exonérations de cotisations sociales du programme 138.

Même si l'on ne tient compte que du programme 123, celui-ci a été surconsommé de 10 millions d'euros.

Si une surexécution n'est évidemment pas souhaitable en tant que telle, elle révèle tout de même que les crédits de la mission « Outre-mer » sont indispensables et utilisés à 100 %.

En sus des crédits budgétaires, les dépenses fiscales contribuent à la dynamisation de l'économie, à l'attractivité des territoires et à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et l'Hexagone. Sur les deux programmes évoqués, elles devraient s'établir à 5,5 milliards d'euros en 2025, soit presque deux fois plus que les crédits budgétaires de l'ensemble de la mission.

Entre 2024 et 2025, les dépenses fiscales connaîtront une hausse de 2,3 %, sensiblement identique à celle qui a été constatée entre 2023 et 2024.

Nous saluons cette évolution, les outils fiscaux étant indispensables pour permettre le développement économique des territoires ultramarins, ainsi que pour compenser les déséquilibres avec l'Hexagone, notamment en ce qui concerne les prix des biens.

Nous suivrons d'ailleurs avec attention les modifications qui pourraient être apportées en séance au régime d'exonérations fiscales dont bénéficient surtout les départements et régions d'outre-mer (Drom).

De surcroît, en complément des crédits de la mission et des dépenses fiscales, les territoires d'outre-mer bénéficient de crédits en provenance d'autres programmes du budget général. Le montant total des contributions budgétaires s'élève ainsi à 21,1 milliards d'euros. Si l'on exclut la diminution des crédits budgétaires du programme « Service public de l'économie », qui est compensée par une affectation de taxe, l'effort de l'État n'est réduit que de 3 % par rapport à 2024.

Cette baisse est essentiellement due à la diminution des crédits de la mission outre-mer et, dans une moindre mesure, à celle de la mission « Écologie, développement et mobilités durables ».

En particulier, les crédits du fonds vert dont bénéficient les territoires ultramarins soulèvent des interrogations. Il s'agit d'un financement sur projet, largement utilisé en outre-mer. Ainsi, en 2024, 531 dossiers ont été déposés et 55 % d'entre eux ont été sélectionnés, pour un montant total de plus de 115 millions d'euros.

À ce titre, la baisse annoncée des crédits du fonds vert est regrettable, à l'heure où les territoires ultramarins sont soumis à des contraintes d'adaptation au réchauffement climatique particulièrement fortes.

En conclusion, les évolutions annoncées sur les crédits de la mission ne nous paraissent pas satisfaisantes. Nous souhaiterions qu'elles puissent être revues dans le cadre du budget pour 2025 ou d'un projet de loi de finances ultérieur. Pour l'ensemble de ces raisons, nous émettons un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

M. Claude Raynal, président. - C'est bien la première fois que nous entendons parler de surconsommation des crédits pour l'outre-mer. C'est une bonne nouvelle, qui semble toutefois à contretemps par rapport à la période que nous connaissons.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Outre-mer ». - Je vous remercie de m'avoir invitée à m'exprimer en qualité de rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques.

La mission « Outre-mer », comme beaucoup d'autres, est cette année mise à contribution au titre du redressement des finances de la nation.

Je ne me réjouis pas de voir les crédits de la LBU et ceux de la continuité territoriale diminuer, mais il faut tout de même rappeler les fortes hausses qui ont été actées par le précédent budget.

Le ministre chargé des outre-mer nous a confirmé, ce matin, que des discussions étaient en cours avec Bercy sur certains points, ce qui laisse entrevoir quelques marges de manoeuvre.

Je le dis de façon responsable, j'ai décidé de soutenir les crédits de la présente mission. Aussi, je proposerai à la commission des affaires économiques d'émettre un avis favorable.

Plutôt que de s'engager sur la voie d'une augmentation des crédits, dont nous savons tous ce qu'il reste une fois le budget considéré comme adopté à l'Assemblée nationale, je lui suggérerai de s'intéresser à la montée en puissance de nouveaux acteurs du logement en outre-mer ces dernières années. Je pense en particulier à CDC Habitat qui, depuis le rachat des sociétés immobilières d'outre-mer (Sidom) et des sociétés d'économie mixte (SEM), est un acteur majeur de la dynamique du logement dans nos territoires. Cela explique en partie l'utilisation des crédits. Je pense également à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) : ces dernières années, elle intervient de plus en plus en outre-mer, avec un engagement financier multiplié par quatre entre 2017 et 2023.

Les crédits de la LBU sont en baisse, je le déplore. Aussi, je serai particulièrement attentive au budget qui nous sera soumis l'année prochaine. Toutefois, je pense qu'il convient aussi de souligner les dynamiques positives dans le secteur du logement en outre-mer.

Du reste, je souhaiterais mettre l'accent sur la question normative, que nous connaissons bien au sein de la délégation aux outre-mer.

Les acteurs du logement que nous interrogeons nous parlent certes de la LBU et des dispositifs fiscaux, mais ils évoquent aussi les normes d'urbanisme, de construction et d'environnement, entre autres, qu'elles soient européennes ou françaises. Oui, nous avons besoin de normes, mais celles-ci doivent s'adapter à l'environnement dans lequel elles s'appliquent et aux urgences des situations à traiter.

Dans un contexte budgétaire comme le nôtre, je pense qu'il est urgent d'agir, ou plutôt de continuer à agir. En effet, je n'oublie pas que la question du marquage régions ultrapériphériques (RUP) a connu de récentes avancées. Elle nécessite encore de trouver une concrétisation à des échelles plus locales, pour aboutir, le cas échéant, à une baisse des coûts de construction des logements.

Nous devons continuer à livrer bataille contre les normes inutiles ou mal adaptées. Une réflexion sur les normes ne coûte rien et peut, in fine, est bénéfique : plus de logements construits plus vite et à moindre coût, pour plus de bénéficiaires.

Vous l'aurez compris, si je ne me réjouis pas de ce budget, j'en assume les choix difficiles et préfère mettre l'accent à la fois sur ce qui fonctionne et sur ce qui pourrait être amélioré à moindres frais, dans l'intérêt de nos compatriotes ultramarins.

Je formule le voeu d'un changement en profondeur, qui nécessite de la volonté politique : cessons d'appliquer des rustines et agissons !

M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis de la commission des lois sur la mission « Outre-mer ». - Je veux tout d'abord saluer le travail des rapporteurs spéciaux et de la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. De son côté, la commission des lois a commencé ses travaux, mais n'a pas encore donné son avis sur les crédits de la mission « Outre-mer ».

Nous pouvons naturellement regretter la baisse de 9 % de ces crédits, même si cela s'inscrit dans un effort global demandé à l'ensemble de la Nation. Mais nous devons aller au-delà en regardant ce projet de budget ligne par ligne : on se rend alors compte que certains crédits chutent de 50 % ou de 70 %, ce qui pose un problème de continuité de l'action de l'État et peut être dommageable pour la pérennité d'actions déjà engagées.

Ce budget montre une nouvelle fois la fragilité des économies ultramarines et leur dépendance à l'égard des transferts de l'État. Nous devons développer nos territoires et nos propres richesses pour atténuer cette dépendance. Cela est particulièrement important dans une période de disette comme celle qui s'annonce. Nous devons donc redoubler d'efforts en la matière.

Enfin, je regrette la baisse annoncée des crédits du fonds vert : ce fonds est particulièrement important en outre-mer, puisque nos territoires sont très fortement soumis aux conséquences du changement climatique.

Pour conclure, je veux rester optimiste sur la capacité du Sénat à agir positivement sur cette mission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Un budget qui baisse fait rarement des heureux, sauf circonstances exceptionnelles...

Je veux noter qu'il reste des incertitudes sur cette mission du fait de la position du Gouvernement et des votes du Parlement, que ce soit sur le projet de loi de finances ou sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Les outre-mer sont exonérés de l'effort supplémentaire de 5 milliards proposé par le Gouvernement, ce qui me semblait de bon aloi. Il est vrai aussi que cette mission a longtemps souffert d'une sous-consommation de ses crédits et que ceux-ci avaient beaucoup augmenté ces dernières années.

De manière plus large et au-delà des seuls territoires ultramarins, je crois que nous devons mener une réflexion globale sur l'ensemble des moyens qui sont à la disposition des collectivités : nous travaillons trop en silo, ce qui aboutit à une sorte de course à l'échalote qui n'est pertinente pour personne. La réflexion sur le fonds vert doit intégrer cette question.

Nous avons une vraie difficulté, en France, sur l'enchevêtrement des normes : cela ralentit les projets et augmente les coûts. C'est contre-productif.

En tout cas, je propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer », tout en ayant l'espoir que le débat permettra de faire bouger certaines lignes. Je ne mésestime aucunement les difficultés profondes des territoires ultramarins d'autant que plusieurs d'entre eux sont confrontés, depuis quelque temps, à de graves crises et à un climat délétère. Chacun doit faire en sorte que les choses s'apaisent pour construire ensemble l'avenir de ces territoires au bénéfice de leur population.

M. Victorin Lurel. - Ce matin, la délégation aux outre-mer du Sénat a auditionné le ministre : il a présenté ses quatre priorités, mais nous lui avons clairement dit que nous aurions du mal à accepter la proposition du Gouvernement sur la mission « Outre-mer ».

Au vu des circonstances, c'est certainement la copie du Gouvernement qui sera transmise au Sénat ; il nous reviendra donc de proposer des évolutions et le ministre nous a dit que, sur certaines mesures, il était prêt à suivre les parlementaires.

Je crois d'ailleurs qu'il serait bon de faire comprendre au Gouvernement que le Sénat demande à ce que les efforts soient proportionnés. Or, si le programme 138 est en légère augmentation, le programme 123 chute de 471 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 314 millions en crédits de paiement ! Il faut ajouter à ce premier choc plusieurs mesures particulièrement pénalisantes pour les outre-mer : l'article 6 du PLFSS qui vise à réformer les dispositifs d'allègements de cotisations sociales ou encore l'augmentation de la cotisation des employeurs à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).

C'est donc un choc massif qui va frapper les collectivités ultramarines, alors même qu'elles jouent un rôle majeur dans l'investissement local.

On apprend, en outre, que 35 postes devraient être supprimés au ministère des outre-mer, alors que tout le monde dénonce le manque criant de soutien en ingénierie. On nous dit que c'est le rôle de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), mais c'est un prétexte.

Oui, l'état global des finances publiques est dégradé, mais les efforts doivent être proportionnés à la situation et il est vraiment difficile d'accepter la copie du Gouvernement pour les outre-mer. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a bien entendu les engagements du ministre, il espère que le Sénat fera évoluer les choses, mais en l'état, il votera contre les crédits de la mission « Outre-mer ».

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Outre-mer ».

Projet de loi de finances pour 2025 - Missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonction publiques », « Crédits non répartis » - Compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Claude Nougein, rapporteur spécial sur les missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonction publiques » et « Crédits non répartis » et sur le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». - Je commencerai par vous présenter les crédits d'un bloc de trois missions assez différentes et d'ampleur budgétaire inégale, mais que nous avons l'habitude d'examiner ensemble : les missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonction publiques » et « Crédits non répartis ». Je poursuivrai ensuite avec la présentation du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

Je commencerai par la mission « Gestion des finances publiques », dotée de 11,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et d'un peu moins de 11 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Elle porte les crédits des deux grandes administrations de réseau du ministère de l'économie et des finances, c'est-à-dire la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI). Elle porte également les crédits du secrétariat général du ministère.

Les AE de la mission augmentent d'environ 2,3 % et les CP sont en très légère hausse, presque stables, à + 0,66 %. Cette modeste augmentation des CP est surtout due au dynamisme naturel des dépenses de personnel, qui représentent 80 % des crédits de la mission, et plus particulièrement à l'augmentation de la contribution de la mission au CAS « Pensions ». En faisant abstraction de ce facteur, sur lequel les directeurs de programme n'ont pas de prise, les crédits de la mission seraient en réalité en baisse de près de 4,8 %.

La stabilisation des crédits de la mission intervient après deux années de hausse substantielle et s'inscrit dans le contexte de redressement des finances publiques. On constate, en se penchant sur le détail des évolutions de crédits par poste de dépenses, que la mission « Gestion des finances publiques » prend toute sa part dans cet effort budgétaire, sans pour autant remettre en cause les chantiers prioritaires identifiés ces dernières années, ce dont je me félicite.

La contribution de la mission au redressement des comptes publics est mise en lumière par la baisse de 0,8 % des dépenses de fonctionnement. La diminution des dépenses d'investissement est plus substantielle, à hauteur de 7,8 %, et se traduit essentiellement par la suspension du projet de rénovation immobilière du bâtiment Vincent-Auriol du secrétariat général de Bercy, dont la concrétisation a déjà été reportée plusieurs fois ces dernières années. La baisse des dépenses d'investissement ne remet toutefois pas en cause les projets structurants de modernisation des administrations de la mission. Je pense notamment aux dépenses informatiques, sur lesquelles je reviendrai.

J'en viens aux dépenses de personnel, dont l'augmentation d'un peu plus de 2 % doit être nuancée. Sur ce sujet, je tiens à saluer l'effort de rationalisation des effectifs de la mission, qui se poursuivra et s'intensifiera en 2025, avec 505 suppressions d'emplois prévues, contre seulement 44 en 2024. Cette diminution des effectifs est essentiellement portée par la DGFiP, pour laquelle une suppression de 550 équivalents temps plein (ETP) est prévue.

Je précise par ailleurs que le Gouvernement a déposé un amendement à l'Assemblée nationale visant à minorer les crédits de la mission de 104,2 millions d'euros dans le cadre des mesures d'économies transversales qu'il a annoncées devant notre commission lors de la présentation du projet de loi de finances (PLF).

Tels sont les grands équilibres de la mission. J'en viens maintenant aux trois axes sur lesquels je me suis plus particulièrement penché dans le cadre de mon rapport.

Premier axe, il s'agit de la rationalisation du réseau de la DGFiP, entamée de longue date. Vous le savez, il y a eu un changement de méthode en 2019 avec le lancement du « nouveau réseau de proximité », qui est aujourd'hui quasiment finalisé. Par ailleurs, la délocalisation de certains services de l'administration fiscale de Paris vers les villes moyennes et les territoires périurbains suit son cours : l'ensemble des services concernés seront relocalisés avant la fin 2024 et les derniers transferts de personnels interviendront en 2026.

À côté de cette évolution, qui touche surtout les contribuables, il y a aussi, pour les collectivités territoriales, le déploiement des conseillers aux décideurs locaux (CDL). Aujourd'hui, 913 conseillers sont en poste, alors que la cible initiale était fixée à 1 200. Celle-ci a été revue à la baisse et est désormais fixée à un peu moins de 1 000 conseillers. Comme je l'avais souligné lors de la remise du rapport de la Cour des comptes sur l'action territoriale de la DGFiP à notre commission en décembre dernier, il est regrettable que le Gouvernement soit revenu sur son engagement initial, alors même que la qualité du travail des conseillers aux décideurs locaux est saluée par les collectivités - j'en ai parlé avec des maires de mon département et ils tirent eux-mêmes ce bilan.

Deuxième axe, les dépenses informatiques. Ces dernières ont trop longtemps servi de variable d'ajustement et ne sont sanctuarisées que depuis quelques années. En 2025, le budget qui leur est réservé est proche de celui de 2024 et atteint 584 millions d'euros à l'échelle de la mission. Ces dépenses sont essentielles pour résorber la dette technique des administrations et développer de nouvelles applications, à même de générer des gains de productivité à moyen terme.

Toutefois, la gestion des chantiers informatiques souffre encore d'un problème majeur. Chaque année, lors de l'examen du projet de loi de finances, je constate que les coûts des projets ont été réévalués à la hausse et que leur période de mise en oeuvre a été étendue. Au fil du temps, certains budgets doublent, voire triplent. Il est grand temps que des indicateurs soient mis en place pour mieux suivre la mise en oeuvre de ces projets.

Troisième axe, la lutte contre la fraude et contre les flux illicites de toute nature. Concernant le contrôle fiscal, les montants encaissés sont stables depuis trois ans et ont à peu près retrouvé leur niveau de 2019. En matière de lutte contre les trafics de toute nature, l'augmentation du budget de la douane est à signaler. Cette hausse permettra notamment de poursuivre la modernisation des équipements et je pense notamment à l'acquisition de nouveaux scanners, utiles dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

De plus, les moyens du service de renseignement de la douane, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), sont renforcés. Ils bénéficient notamment du transfert de 23 ETP depuis la DGFiP, pour constituer une nouvelle unité de renseignement fiscal, dont la création a été annoncée dans le cadre du plan « Lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques », au printemps 2023.

Par ailleurs, lors de l'examen de la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces, nous avions approuvé la création d'une réserve opérationnelle douanière. Celle-ci n'est toujours pas en service, car les textes d'application n'ont pas été publiés, alors même que cette création était en partie justifiée par l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. On ne peut que le regretter. Cependant, d'après les informations recueillies lors de mes auditions, la réserve opérationnelle devrait être mise en service d'ici à l'été 2025.

Enfin, je présenterai deux amendements, déjà adoptés par le Sénat l'an dernier. Ils visent, d'une part, à augmenter le nombre de jours de carence appliqués aux arrêts maladie dans la fonction publique de l'État et, d'autre part, à réduire les emplois des opérateurs. Ces amendements sont imputés par convention sur la mission « Gestion des finances publiques ». Je proposerai d'adopter les crédits de la mission tels que modifiés par mes deux amendements.

J'en viens à la mission « Crédits non répartis », dont les dotations liées aux deux programmes, « Provision relative aux rémunérations publiques » et « Dépenses accidentelles et imprévisibles », sont prévues par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).

La provision relative aux rémunérations publiques fait de nouveau l'objet d'une ouverture de crédits, à hauteur de 70 millions d'euros. Cette dotation a vocation à financer la mise en place d'un référentiel d'emploi pour les agents contractuels de la fonction publique, ainsi que des mesures de convergence indiciaire et de revalorisation indemnitaire pour les administrateurs de l'État. Toutefois, j'attire votre attention sur le fait que le Gouvernement a déposé un amendement à l'Assemblée nationale, visant à supprimer l'ensemble de cette enveloppe, ce qui pose évidemment question quant au sort réservé à ces mesures.

La dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles s'élève à 125 millions d'euros. Depuis 2021, le Gouvernement propose des ouvertures de crédits excessives pour ce programme, en s'appuyant sur des justifications insuffisantes. Notre commission s'y est systématiquement opposée et la faiblesse des montants exécutés sur les différents exercices nous donne raison. L'an dernier, l'enveloppe demandée était plus raisonnable, mais notre commission avait proposé, sans succès, de restaurer le montant conventionnel fixé avant la crise sanitaire. Il semble que le Gouvernement ait enfin suivi notre position et je m'en félicite.

Je vous propose d'adopter les crédits de cette mission.

Concernant la mission « Transformation et fonction publiques », je développerai deux éléments principaux.

En premier lieu, il faut souligner la baisse marquée des moyens de la mission dans le cadre de l'effort de redressement des finances publiques. En effet, si l'enveloppe allouée avait connu une première diminution de 5,6 % en CP en loi de finances initiale (LFI) pour 2024, le projet de loi de finances pour 2025 acte une baisse significative de 26,9 % en CP, à périmètre courant, à 801 millions d'euros.

Certes, une partie de cette évolution résulte d'une mesure de périmètre : la suppression du programme 352 « Innovation et transformation numériques », dont l'enveloppe s'élevait à 74,1 millions d'euros en LFI pour 2024. Il a été intégré au programme 129 « Coordination du travail gouvernemental », dans la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». Je me félicite de cette centralisation des crédits relatifs à la coordination de la politique numérique, que je recommandais depuis plusieurs années.

À périmètre constant, les crédits de la mission baissent de 21,6 % en CP, soit une diminution de plus de 220 millions d'euros, et de 8,3 % en AE, avec une dotation en AE de 1,081 milliard d'euros. Cette dernière diminution, moins importante que la première, n'en demeure pas moins substantielle.

Cette baisse des moyens de la mission s'explique par la rationalisation des crédits des deux programmes fonctionnant par appels à projets, qui diminuent d'environ un tiers en CP. Il s'agit du programme 348 « Performance et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs », qui finance la rénovation des cités administratives, et du programme 349 « Transformation publique », constitué pour l'essentiel par le fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP). De fait, ces programmes connaissaient une sous-consommation chronique de leurs crédits et d'importants retards en matière de décaissement.

En second lieu, je souhaiterais mettre en avant la finalisation prochaine du programme de rénovation des cités administratives, qui couvre 36 sites et dont 15 projets ont déjà été réceptionnés au 30 août dernier. Je rappelle que le programme avait été créé en loi de finances initiale pour 2018, mais que les travaux n'avaient débuté qu'en 2022.

Alors que 39 sites avaient d'abord été sélectionnés, trois projets ont dû être abandonnés sur décision du préfet ou de la direction de l'immobilier de l'État : ceux de Melun, Brest et Tours. Les crédits ont été réalloués aux autres projets, dans un contexte de forte inflation des coûts de construction, qui a contraint les moyens du programme.

Je me félicite aussi de la mise en oeuvre du projet de foncière de l'État, annoncée par le ministre chargé du budget et des comptes publics en février dernier. Une expérimentation territoriale devrait être déployée en 2025, dans les régions Grand Est et Normandie. Ce projet de foncière interministérielle publique, qui prévoit le versement de loyers par les administrations occupantes, devrait se traduire par une « gestion immobilière responsable, durable et sobre ».

La foncière devrait prendre la forme d'un établissement public industriel et commercial (Épic), placé sous la tutelle de la direction de l'immobilier de l'État. Elle aurait vocation, à terme, à couvrir la majorité des immeubles de bureaux et des locaux d'activités de l'État, soit environ 20 millions de mètres carrés sur un patrimoine immobilier total de 96 millions de mètres carrés.

La réduction de 25 % des surfaces de bureaux devrait aboutir à des gains estimés à 1 milliard d'euros, résultant principalement de la diminution des investissements nécessaires pour la mise aux normes des bâtiments.

Dans ce cadre, je vous présenterai un troisième amendement, visant à tirer la conséquence budgétaire de la mise en oeuvre, dès 2025, de cette trajectoire de réduction des surfaces occupées.

Je vous proposerai d'adopter les crédits de la mission « Transformation et fonction publiques » ainsi modifiés.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je partage l'avis du rapporteur spécial quant à l'adoption des crédits des missions, modifiés par les amendements qu'il a proposés.

Concernant les cités administratives, celle de Nancy est ouverte. Il pourrait être intéressant de mener une mission sur les contraintes que peut rencontrer l'État dans la transformation de ses bâtiments, notamment en matière de normes et de surcoûts éventuels. Nous pourrions en tirer quelques enseignements. On se concentre souvent sur ce qui ne fonctionne pas. Cependant, quand certaines réformes produisent des satisfactions, il faut savoir s'en réjouir. Je pense aussi aux conseillers aux décideurs locaux, qui semblent très appréciés sur le territoire parce qu'ils répondent à des besoins réels et allègent les difficultés, surtout dans les petites communes.

Mme Nathalie Goulet. - D'abord, la fermeture du bureau de douane de l'aviation privée du Bourget ne me semble pas opportune dans cette période de lutte contre le narcotrafic et le blanchiment ; qu'en pensez-vous ?

Ensuite, compte tenu de l'excellence des résultats obtenus après la réforme du « verrou de Bercy », il semblerait possible de diminuer le nombre de membres de la commission des infractions fiscales.

Par ailleurs, la diminution du nombre d'agents me semble incompatible avec les mesures que souhaite prendre le ministre de l'intérieur en matière de lutte contre le narcotrafic. Il faudra ajuster.

Enfin, je voudrais évoquer la question de la formation des agents. Ceux de la DGFiP en ont notamment besoin, sur des questions comme celles du blanchiment et des cryptoactifs. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Marc Laménie. - Depuis plusieurs années, la mission « Gestion des finances publiques » est très impactée par une baisse des effectifs, notamment en raison de la rationalisation des moyens et des fermetures de trésoreries dans nos territoires. Que sait-on de la répartition de ces effectifs entre l'administration centrale et les directions des finances publiques dans les territoires ?

Connaissez-vous le nombre de centres d'appels mis en place ?

Je partage l'avis du rapporteur général : les CDL sont très importants, notamment pour les élus dans les villages. Prévoit-on d'en augmenter le nombre l'année prochaine ?

Enfin, qu'en est-il des effectifs de l'administration des douanes ? Sont-ils stables ou en baisse ?

M. Thierry Cozic. - En ce qui concerne la lutte contre la fraude, les montants encaissés ont été à peu près stables entre 2019 et 2023. Les moyens humains alloués au recouvrement sont-ils adéquats ? Ont-ils évolué ces dernières années ?

Notre groupe ne votera pas les crédits proposés, pour l'ensemble des missions.

La mission « Gestion des finances publiques » connaît une importante baisse d'effectifs ; quels sont les services impactés ?

J'en viens à l'amendement sur les trois jours de carence, qui reflète la volonté de la droite d'aligner les conditions de travail de la fonction publique sur celles du privé. Néanmoins, je voudrais citer un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), qui souligne que deux tiers des salariés du privé sont protégés contre la perte de revenu induite par le délai de carence, par le biais des conventions collectives. En fait, vous souhaitez aligner les conditions de travail des fonctionnaires, qui sont déjà de plus en plus difficiles, non pas sur celles de l'ensemble des salariés du privé, mais bien sur celles des salariés des entreprises les moins-disantes.

M. Michel Canévet. - La transformation des services des finances publiques sur les territoires s'est plutôt bien passée et les moyens ont été réduits et optimisés. À cet égard, le Gouvernement avait annoncé un mouvement de déconcentration des services ; avez-vous des informations sur ce qui a été fait en la matière ? Une nouvelle tranche de déconcentration pourrait-elle être envisagée, afin de mieux irriguer les territoires ?

En ce qui concerne les bâtiments, je partage l'opinion du rapporteur général : il nous faut savoir comment se passe la transformation du bâti de l'État. Ce dernier doit avoir des obligations en matière de transition écologique et adapter ses bâtiments en répondant à des exigences similaires à celles qui s'imposent dans le secteur privé. De plus, il faut maintenir l'objectif d'optimisation des mètres carrés.

Selon les annonces du Gouvernement, la baisse des dépenses liées aux arrêts maladie s'élève à 444 millions d'euros. Or, dans l'amendement que vous proposez, vous évaluez à 112 millions d'euros l'économie effectuée. Comment expliquer cet écart ? De plus, pourquoi se limiter aux fonctionnaires et ne pas inclure les opérateurs de l'État ?

M. Victorin Lurel. - Depuis 2020, les efforts demandés à la mission « Gestion des finances publiques » se sont traduits par la disparition d'environ 6 000 emplois. A-t-on un bilan global ?

En ce qui concerne la lutte contre la fraude, nous avons procédé à un arbitrage en faveur de l'intelligence artificielle et du data mining. Cependant, il est essentiel de maintenir une expertise humaine qui soit en nombre suffisant et de qualité. Pourrait-on avoir une idée de ce qui se passera en 2026 et en 2027 pour les crédits et le schéma d'emploi dans le projet annuel de performance ?

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Sur la question des CDL, la Cour des comptes a procédé à une évaluation dans les départements. Le ministre Gérald Darmanin avait fait un tour de France pour présenter son programme aux maires : la fermeture des trésoreries et le déploiement de 1 200 CDL. Aujourd'hui, ils sont 917. Lorsque j'ai entendu la directrice de la DGFiP dans le cadre de mes auditions, elle m'a fait comprendre qu'il n'était peut-être pas utile d'atteindre le chiffre de 1 200, même s'il s'agissait d'une promesse du ministre. Il est difficile de recruter des secrétaires de mairie et de trouver des maires, qui bien souvent ne savent pas faire un budget. Les CDL sont indispensables dans les petites communes.

Les maires sont très satisfaits de la qualité du travail des CDL, mais ceux-ci prennent parfois des congés, ou tombent malades, et certains besoins forts ne sont pas satisfaits. Est-ce que 1 000 CDL suffiront ? C'est un sujet à suivre en fonction des remontées dont nous serons destinataires.

Madame Goulet, je ne sais pas pourquoi le bureau des marchandises de l'aéroport du Bourget ferme, nous n'avons pas interrogé le directeur général à ce sujet, mais nous allons le faire.

La formation des agents de la DGFiP est assurée et fonctionne plutôt bien, comme je peux le constater dans mon département. Il s'agit d'une administration performante, ce dont nous nous réjouissons pour les recettes de l'État. Certains contribuables préféreraient sans doute que la santé soit plus performante, mais nous souhaitons que tout le monde soit efficace ! Les redressements sont à peu près stables, même si, dans un monde idéal, ceux-ci ne seraient pas nécessaires... Plus les contrôles sont efficaces, moins il y en a, d'ailleurs. Les grosses affaires viennent surtout de l'international, de la fraude à la TVA et des entreprises multinationales. Pour autant, ne confondons pas fraude fiscale et évasion fiscale. S'agissant de la première, certains chiffres circulent dont personne ne connaît vraiment la source.

Monsieur Laménie, en effet, les effectifs de la DGFiP baissent fortement depuis une dizaine d'années, malgré un épisode de stagnation puis deux années de progression en 2023 et 2024, durant lesquelles on a dépensé sans compter. Cette baisse est normale, pour deux raisons essentielles. La première est que le prélèvement à la source est très efficace et la fraude concernant les contribuables ayant des revenus fixes est ainsi mieux connue ; la seconde est que la majorité des contribuables ne bénéficiant que de leur salaire ou de leur retraite, le contrôle est rapide. Davantage de postes seront sans doute supprimés avec la facturation électronique qui arrive en 2026 : la fraude à la TVA deviendra pratiquement impossible, sauf via un schéma frauduleux, et les contrôles seront encore facilités. Il ne sera alors plus nécessaire de mobiliser des petites mains pour faire des contrôles sur des bouts de papier.

Concernant les douanes, le droit de visite rénové par la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces donne de bons résultats, à la satisfaction générale., La Douane devrait voir ses effectifs augmenter de 50 ETP en 2025 et continuera d'investir dans ses moyens matériels : scanners, hélicoptères aux Antilles, ou encore motos. Il s'agit également d'une administration qui fonctionne plutôt bien..

Monsieur Cozic, il est vrai que les redressements sont stables depuis plusieurs années, mais beaucoup de contrôles fiscaux sur pièces sont mis en oeuvre, ainsi que des processus de data mining qui semblent très efficaces. Il est logique que, au fur et à mesure que l'administration de la DGFiP s'informatise et se modernise, ses effectifs baissent. Ce n'est peut-être pas terminé.

S'agissant du délai de carence, vous avez raison, mais cette année, la différence est que le Gouvernement lui-même propose cette mesure, que nous soutenons, car nous l'avions déjà votée l'année dernière en commission des finances. Le nombre d'arrêts médicaux a en effet explosé depuis le covid. Le Gouvernement estime qu'une telle mesure est susceptible de faire diminuer le nombre d'arrêts de courte durée.

Monsieur Canévet, l'État possède clairement trop de bâtiments : les administrations publiques occupent environ 300 millions de mètres carrés, soit 100 millions pour l'État et 200 millions pour les collectivités. Un point stupéfiant : entre 8 heures et 18 heures, c'est-à-dire aux heures ouvrables, ces mètres carrés sont vides 60 % du temps. Avec trois jours de télétravail dans la fonction publique aujourd'hui, ce qui n'existait pas avant, un jour de RTT et un jour de formation, on ne voit pas le fonctionnaire de la semaine ! C'est un exemple caricatural, évidemment, mais c'est pourquoi nous avons déposé un amendement à ce sujet. Par ailleurs, cette foncière de l'État me semble être une bonne idée.

Article 42 (état B)

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. L'amendement II-16 (FINC.1) vise une diminution de 2,5 % des emplois des opérateurs de l'État, représentant 10 000 équivalents temps plein (ETP), sur un total d'environ 400 000 ETP, emportant une économie de 150 millions d'euros sur une demi-année, donc de 300 millions d'euros sur l'année. La cible de cet amendement est les agences de l'État.

L'amendement II-16 (FINC.1) est adopté.

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. L'amendement II-17 (FINC.2) tend à porter à trois jours le délai de carence dans la fonction publique d'État (couvrant l'État et ses opérateurs). L'administration estime que cette mesure permettra d'économiser 112 millions d'euros, mais selon moi, le chiffre sera encore plus important.

L'amendement II-17 (FINC.2) est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Gestion des finances publiques », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

M. Claude Raynal, président. Nous passons à l'examen des crédits de la mission « Crédits non répartis ».

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. Je suis favorable à l'adoption des crédits de cette mission sans modification.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Crédits non répartis ».

M. Claude Raynal, président. Nous examinons maintenant les crédits de la mission « Transformation et fonction publiques », sur lesquels un amendement a été déposé.

Article 42

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. L'amendement II-8 (FINC.1) vise à diminuer les crédits de la mission de 125 millions d'euros, correspondant à la mise en oeuvre du début de la trajectoire de réduction de 25 % des surfaces de bureau de l'État d'ici 2032.

Mme Christine Lavarde. Avez-vous des éléments sur la mise en oeuvre de la foncière de l'État ? Cela relève-t-il du projet de loi de finances ? Qu'en est-il, sinon, du calendrier du véhicule législatif ?

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. C'est prévu pour 2025. M. Cazenave hésitait entre une société anonyme (SA) à capitaux publics (avec une détention à 100 % par l'État) ou un Épic. Rien n'est encore décidé, à ce stade. Si l'option de la création d'un Épic devait être retenue par le Gouvernement, une telle option nécessiterait effectivement une disposition législative dédiée, car il s'agirait d'une nouvelle catégorie d'établissement public.

Mme Christine Lavarde. Soyons un aiguillon sur ce sujet, afin que le Gouvernement agisse rapidement.

L'amendement II-8 (FINC.1) est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Transformation et fonction publiques », sous réserve de l'adoption de son amendement.

M. Claude Raynal, président. Nous terminons par le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. Placé sous la responsabilité de la direction de l'immobilier de l'État, ce CAS vise à financer les opérations de valorisation et la modernisation du parc immobilier de l'État en recourant, prioritairement, à la cession d'actifs.

Pour 2025, les prévisions de recettes du CAS, d'un montant total de 340 millions d'euros, se décomposent, comme en LFI 2024, de la manière suivante : 210 millions d'euros au titre des produits des cessions de biens immobiliers de l'État ; 110 millions d'euros au titre du produit des redevances domaniales ou des loyers perçus par l'État ; 20 millions d'euros au titre des fonds de concours et des versements du budget général.

Dans le cadre du PLF 2025, les prévisions de dépenses d'entretien du propriétaire reposent, comme en 2024, sur la priorisation de l'entretien du propriétaire des immeubles de bureaux et sont reconduites à hauteur de 200 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

De toute évidence, les moyens du CAS sont très limités au regard de l'étendue du parc immobilier de l'État. Au 31 décembre 2023, l'État et ses établissements publics occupaient un patrimoine immobilier de 96 millions de mètres carrés de surface bâtie et de 31 000 terrains non bâtis, pour une valorisation comptable estimée à 73,7 milliards d'euros.

Rapporté à ce patrimoine très étendu, le CAS « Gestion du patrimoine de l'immobilier de l'État » constitue un instrument marginal pour la politique immobilière de l'État. De fait, l'effort d'investissement supporté par le CAS représente seulement en moyenne annuelle 12 % des dépenses d'investissement immobilier de l'État sur la décennie 2014 à 2023. Dans la période récente, le Gouvernement a ainsi mobilisé d'autres vecteurs budgétaires pour porter des grands projets structurels, notamment le programme 348 « Performance et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs » et l'action n° 01 « Rénovation énergétique » du programme 362 « Écologie ». Aussi, selon la direction de l'immobilier de l'État, la création de la foncière de l'État pourrait à terme aboutir à la suppression de ce compte d'affectation spéciale.

Je vous propose donc d'adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » sans modification.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

La réunion est close à 14 h 55.

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France - Audition de M. Thomas Cazenave, ministre délégué aux comptes publics du 20 juillet 2023 au 21 septembre 2024

M. Claude Raynal, président. - Nous avons organisé, au printemps dernier, une mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France. Celle-ci avait pour origine un écart significatif, de 0,6 point de PIB, soit 18 milliards d'euros, entre le déficit prévu pour 2023, 4,9 % du PIB, et le déficit réel, s'élevant à 5,5 %. Elle a été lancée après la fuite dans la presse du chiffre d'un déficit à 5,6 %, issu d'une note de la direction générale du Trésor, et du contrôle sur pièces et sur place mené le lendemain par notre rapporteur général.

Cette mission nous avait permis d'éclairer les raisons et la chronique de la dégradation des comptes publics en 2023, laquelle devait, selon les propos tenus par certains, n'être que passagère. Pourtant, l'année 2024 a suivi le même chemin que 2023, et la situation budgétaire est même bien plus difficile. Le déficit public pour 2024, prévu à 4,4 % en loi de finances initiale, devrait finalement s'élever à 6,1 % selon le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024, soit un écart d'environ 50 milliards d'euros.

Monsieur Cazenave, cette dégradation est intervenue alors même que vous avez annulé 10 milliards d'euros de crédits dès le mois de février et décidé de gels massifs, dont une partie devrait d'ailleurs être annulée en fin de gestion. Nous souhaitons vous entendre car vous étiez responsable des comptes publics pendant cette période, même si, pendant un temps, vous n'étiez que chargé des affaires courantes.

Avant de vous poser nos questions, nous vous laissons le temps d'un propos liminaire qui pourrait être l'occasion pour vous de livrer votre analyse de la situation connue depuis le début de l'année, ainsi que de nous indiquer quels commentaires vous inspirent les propos tenus par votre ministre de tutelle, M. Bruno Le Maire, ce matin même devant notre commission.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué aux comptes publics du 20 juillet 2023 au 21 septembre 2024. - Je partage une très grande partie des constats et des recommandations du rapport que vous avez rendu concernant 2023. Celui-ci a pour mérite d'expliquer clairement que l'écart de déficit public constaté en 2023 tient aux prévisions de recettes. C'est bien sur ce point que doivent se concentrer nos échanges, les investigations et le débat.

En effet, comme vous le soulignez, l'écart entre les prévisions et l'exécution des recettes, plus faibles que prévu, explique cette situation. Ce sont les 21 milliards d'euros de recettes en moins constatés qui ont conduit à faire passer le déficit public de 2023 de 4,9 % à 5,5 %, avec notamment une élasticité des recettes à la croissance plus faible que celle qui avait été anticipée, 0,4 contre 0,6, lors de la révision du projet de loi de fin de gestion.

Vous rappelez également que le changement de méthode de l'Insee dans le calcul du déficit public explique 0,14 point de PIB de déficit sur les 0,6 point constaté. Cela a été peu commenté, mais cet effet est très significatif. Vous soulignez par ailleurs que la dégradation du déficit public en 2023 n'est pas liée au dérapage des dépenses de l'État, celles-ci ayant été tenues.

Enfin, je partage une grande partie de vos recommandations, s'agissant notamment de l'amélioration des prévisions de recettes, de la question de l'information du Parlement ou même des propositions plus techniques sur le passage à des intervalles de confiance concernant les prévisions, qui améliorerait, à mon sens, la qualité du débat public.

J'ai malgré tout quelques points de désaccord avec le contenu du rapport.

Premièrement, selon vous, le Gouvernement n'aurait pas suffisamment écouté son administration. Nous nous sommes déjà largement expliqués sur ce point avec Bruno Le Maire, ici même ou à l'Assemblée nationale : nous avons, au contraire, scrupuleusement suivi les recommandations de notre administration et nous avons agi quand nous savions et quand nous pouvions agir.

Prenons pour exemple la désormais fameuse note du 7 décembre, laquelle constitue la véritable première alerte sur le déficit public de 2023. À l'époque, les administrations, de manière très explicite, avaient souligné que cette alerte était entourée de nombreux aléas : elles avaient recommandé de ne pas communiquer à ce sujet et avaient souligné leur impossibilité d'en tirer les conséquences pour l'année 2024. Le projet de loi de fin de gestion ayant déjà été adopté à ce moment-là, il n'était pas possible non plus d'en tirer les conséquences pour 2023.

S'agissant de 2024, la mission de l'Inspection générale des finances (IGF) écrit clairement dans son rapport que « les écarts signalés par l'administration [...] ne justifiaient pas le dépôt d'un amendement de révision du scénario des finances publiques pour 2023 et pour 2024 », au regard de l'aléa élevé et persistant qui entourait alors ces estimations.

Je regrette, par ailleurs, que votre rapport laisse parfois accroire un pilotage politique des prévisions de recettes. Je le dis encore très clairement : ces dernières sont le fruit d'un travail technique approfondi entre directions. Le rapport de l'IGF rappelle clairement comment sont fabriquées ces prévisions de recettes : il ne s'agit en aucune manière de prévisions arrêtées par les ministres eux-mêmes.

Au contraire, je me félicite que, malgré les quelques points de désaccord qui subsistent çà et là, ce rapport démontre, s'il le fallait, qu'il n'y a là ni « mensonges d'État », ni « scandale », comme j'ai pu le lire ou l'entendre au moment du débat, mais bien un problème important d'estimation des recettes dans la période concernée.

Je veux revenir sur l'enchaînement des décisions dans la période la plus récente de 2024, car j'ai bien compris que c'était là l'objet de votre mission d'information. Vous me posez, à juste titre, la question de savoir comment l'on peut passer d'une prévision de déficit à 4,4 % dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 à une nouvelle cible arrêtée à 6,1 % dans le PLF 2025, ce qui représente en effet une dégradation d'à peu près 50 milliards d'euros. Celle-ci s'explique pour trois quarts par des écarts de prévisions de recettes - comme en 2023 - et pour un quart par la dynamique exceptionnelle des dépenses des collectivités territoriales.

Pour la clarté de nos débats, il faut revenir sur l'enchaînement en trois temps qui a conduit aux écarts par rapport aux prévisions de recettes arrêtées par Bercy.

Premièrement, en février 2024, dans le cadre des budgets économiques d'hiver établis pour réévaluer la trajectoire des finances publiques, les services ont estimé la perte de recettes à 27 milliards d'euros pour 2024, dont près de 20 milliards d'euros dus à la perte de recettes de 2023 et 7 milliards d'euros à la révision de l'hypothèse de croissance de 1,4 % à 1 %, annoncée par Bruno Le Maire en début d'année. Nous avons intégré cette hypothèse dans le programme de stabilité présenté en avril et nous nous sommes appuyés dessus pour réajuster la trajectoire des finances publiques et diminuer les prévisions de recettes.

Deuxièmement, en juillet 2024, dans le cadre des budgets économiques d'été, les services ont corrigé une nouvelle fois les prévisions de recettes pour 2024 en les réduisant de 5,6 milliards d'euros. Cette nouvelle perte de recettes est donc venue s'additionner à celle de 27 milliards d'euros établie au mois de février précédent.

Troisièmement, fin août - début septembre, au moment des travaux de préparation du projet de loi de finances pour 2025, les services ont estimé une nouvelle perte de recettes de 9 milliards d'euros.

Tout cela soulève des interrogations légitimes sur les méthodes de prévision de recettes, puisque les services auront finalement constaté une perte de plus de 40 milliards d'euros de recettes pour l'année 2024, ce qui équivaut aux trois quarts de la dégradation de l'objectif de déficit public pour 2024, le dernier quart résultant de la hausse des dépenses des collectivités territoriales.

En effet, les dépenses des collectivités territoriales ont évolué en deux temps.

D'abord, dans le cadre des budgets économiques d'été, elles ont été réévaluées en hausse de plus de 5 milliards d'euros, ce qui indique que les budgets primitifs des collectivités territoriales étaient bien au-dessus de l'hypothèse initiale figurant dans le projet de loi de finances pour 2024, établie à partir de la loi de programmation des finances publiques. La dépense des collectivités devait augmenter au rythme de l'inflation diminué de 0,5 point.

Ensuite, au moment de la préparation du projet de loi de finances pour 2025, les services ont constaté que les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales étaient en progression de plus de 7 % et leurs dépenses d'investissement de plus de 15 %, soit un écart de plus de 12 milliards d'euros par rapport à la prévision. On retrouve d'ailleurs ces éléments dans le projet de loi de fin de gestion que le Gouvernement vient de présenter.

Quant aux dépenses de l'État, elles sont tenues en 2024 et devraient même baisser selon ce qui figure dans le projet de loi de finances de fin de gestion. Elles seront donc inférieures à ce qui était inscrit dans le projet de loi de finances pour 2024, dont les prévisions de dépenses étaient déjà inférieures à celles de 2023. L'État a donc fait un effort en matière de réduction de ses dépenses.

Face à ces nouvelles successives, nous avons réagi, dès que nous l'avons pu, comme le ministre Bruno Le Maire vous l'a amplement expliqué, ce matin.

Tout d'abord, avec Gabriel Attal et Bruno Le Maire, nous avons pris un décret d'annulation de 10 milliards d'euros sur les dépenses de l'État, au mois de février 2024, pour tenir compte de la baisse des prévisions de recettes. Il s'agissait d'une décision exceptionnelle par son ampleur pour répondre au caractère exceptionnel de la perte de recettes constatée.

Avec Bruno Le Maire, nous avons également lancé une mission de l'IGF pour comprendre la perte de recettes de plus de 20 milliards d'euros en 2023 dont l'impact s'est répercuté sur 2024. Cette mission a rendu ses conclusions en juillet dernier et le rapport met en évidence la mécanique du travail inter directionnel. Il indique que, pour 80 %, l'écart dans la prévision de recettes n'était pas anticipable et reprend ainsi, d'une certaine manière, l'analyse formulée par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), au moment de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion, selon lequel les hypothèses de recettes étaient plausibles. Il formule un certain nombre de recommandations pour améliorer les estimations de recettes dans la modélisation post-covid et post-crise, ce qui à mon sens est en effet indispensable. On constate, d'ailleurs, que d'autres pays, dont l'Allemagne, rencontrent les mêmes difficultés en matière d'estimation de recettes.

Dans le cadre du programme de stabilité, nous avons poursuivi la mise en oeuvre d'un plan de redressement pour maintenir notre objectif de réduction du déficit public réévalué à 5,1 %, en annonçant un effort supplémentaire de 10 milliards d'euros, dont 7 milliards ou 8 milliards d'euros sur les dépenses de l'État, et 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires issues de la taxation des rentes et du rachat d'actions, ainsi qu'une série de mesures dites réglementaires, essentiellement dans le champ de la sécurité sociale.

Ce plan de redressement des finances publiques a été interrompu par la tenue des élections, à la suite desquelles le gouvernement a basculé dans la gestion des affaires courantes avant d'être démissionnaire.

Puis, au mois de juillet dernier, les services ont constaté dans le cadre des budgets économiques d'été une nouvelle dégradation des prévisions de recettes de 5,6 milliards d'euros, comme je l'ai rappelé. Nous ne pouvions alors plus prendre de mesures structurelles ou de mesures d'économies compte tenu de la situation politique. Mais nous avons pris deux décisions avec Bruno Le Maire.

En premier lieu, nous avons fixé un objectif de cible d'atterrissage des dépenses des ministères, dès le mois de juillet, assorti d'un gel très important des dépenses de l'État, puisque nous avons porté la réserve de précaution à 16,5 milliards d'euros. Nous avons ainsi permis au nouveau gouvernement de prendre des décisions d'économies pour compenser les pertes de recettes et tenir les objectifs de déficit public.

En second lieu, nous avons continué le travail de préparation du projet de loi de finances pour 2025 jusqu'à ce que le nouveau gouvernement soit nommé : Gabriel Attal a notamment envoyé des lettres de plafond aux différents ministres en août 2024, prévoyant 15 milliards d'euros d'économies.

Le nouveau gouvernement a ensuite repris en main le projet de loi de finances et revu les prévisions de recettes à la baisse pour 9 milliards d'euros. Il a donc fallu prendre un certain nombre de mesures pour fixer la cible de réduction du déficit public à 6,1 % du PIB. Et, il faut le dire, certaines mesures de redressement que nous avions prévues n'ont pas été mises en oeuvre, notamment les mesures réglementaires et celles qui prévoyaient de nouvelles recettes, ce qui explique que la perte de recettes une nouvelle fois constatée fin août - début septembre n'a pas été complètement compensée.

M. Claude Raynal, président. - Bruno Le Maire a indiqué que, lors de la passation entre le gouvernement démissionnaire et le nouveau Gouvernement, tous les outils étaient à disposition pour tenir un déficit de 5,5 % du PIB. Souscrivez-vous à ces propos ?

M. Thomas Cazenave. - Avons-nous pris toutes les mesures pour compenser les pertes de recettes successives auxquelles nous avons été confrontés ? Je le crois. Est-ce que nous avons gelé massivement les crédits de l'État pour permettre au nouveau gouvernement de poursuivre les économies ? La réponse est oui. Est-ce que nous avons préparé des textes prévoyant des mesures rétroactives sur le plan de la fiscalité, afin de trouver 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires ? La réponse est oui. Est-ce que nous avons préparé des textes réglementaires dans le champ de la sécurité sociale ? La réponse est oui. L'objectif d'un déficit à 4,4 % n'était plus tenable compte tenu de l'ampleur de la perte des recettes. En revanche, est-ce que les mesures que nous avons prises permettaient de tenir un objectif de déficit public à 5,5 % ou 5,6 % du PIB ? Je crois que oui, grâce aux trois leviers que sont les annulations importantes de la réserve de précaution, les recettes supplémentaires prévues en 2024 et les mesures réglementaires mises en place.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue le parallélisme de votre position avec celle de Bruno Le Maire, notamment au sujet de l'étanchéité entre l'administration de Bercy et la décision politique. Cela me semble un peu facile et chacun pourra se faire une raison, à l'issue de cette mission d'information. En tout cas, je constate votre totale solidarité avec M. Le Maire dans vos explications.

Il faudrait que vous acceptiez d'entendre que le Sénat a plusieurs fois alerté le Gouvernement, en commission et dans l'hémicycle, sur l'optimisme des prévisions qui risquait de biaiser le choix dans les mesures à prendre. De même, la direction du Trésor a lancé par anticipation des alertes qui étaient assez justes. Ses estimations allaient dans le bon sens, que ce soit, s'agissant de 2023, en décembre, pour 2023 et 2024, en février, et pour 2024, en juillet ou en septembre. Il aurait été possible d'en tirer les conséquences.

À l'origine du débat que nous avons, il y a eu le contrôle que j'ai effectué à Bercy à l'issue duquel j'ai fait état d'une note de décembre 2023 alertant le Gouvernement sur le risque d'augmentation du déficit pour 2023. Vous dites qu'il ne fallait pas s'alarmer ; je crois qu'il aurait fallu réagir. L'examen du projet de loi de finances touchait alors à sa fin et le texte a été adopté, le 21 décembre 2023. Moins de soixante jours plus tard, pendant lesquels il n'y a eu ni drame ni tension particulière sur notre économie, le ministre de l'économie et des finances s'est invité sur une chaîne de télévision pour expliquer qu'il y avait urgence à réagir.

Au mois de février 2024, le risque de dérapage du déficit public était de 37 milliards d'euros, entre l'objectif de 4,4 % du PIB et une prévision de la direction du Trésor à 5,7 %. Or, le Gouvernement a pris un décret d'annulation de 10 milliards d'euros. Comment expliquer ce décalage ? Bercy nous a signalé que cela avait été décidé dans un temps record, car il fallait agir vite. En effet, des informations circulaient sur un risque de dégradation de la note de la France par les agences de notation. Cela a également certainement motivé une intervention si rapide. Le confirmez-vous ?

M. Thomas Cazenave. - En ce qui concerne l'étanchéité dont vous parlez, il faut rappeler que les prévisions de recettes sont établies au terme d'un long travail technique, coordonné par le Trésor, et qui mobilise de nombreux services de manière interdirectionnelle : la direction générale des finances publiques (DGFiP), la direction du budget, la direction des douanes et la direction de la sécurité sociale sont notamment impliquées. Encore une fois, ce ne sont pas les ministres de Bercy qui arrêtent les prévisions de recettes. En revanche, c'est en nous appuyant sur elles que nous devons prendre des mesures en dépenses et en recettes pour atteindre l'objectif de déficit public qui est retenu. C'est ainsi que l'on construit la trajectoire de finances publiques.

D'ailleurs, le rapport de l'IGF de juillet 2024 explique très bien comment sont fabriquées ces prévisions de recettes. Il rappelle notamment que ni les ministres ni leurs cabinets ne participent à la construction technique de ces prévisions. Nous en serions d'ailleurs bien incapables, car c'est un exercice très technique.

De plus, et au risque d'en faire un point de désaccord définitif entre nous, je le redis, dans la première note d'alerte du 7 décembre 2023, qui indique que, compte tenu de l'évolution d'un certain nombre de prélèvements obligatoires, l'objectif de déficit public de 5,2 % du PIB ne sera probablement pas atteint, il est recommandé de ne pas communiquer sur cette mise à jour encore entourée de nombreux aléas. L'IGF écrit alors, noir sur blanc, que ces écarts signalés ne justifient pas le dépôt d'amendements.

D'ailleurs, le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 a été adopté à la fin du mois de novembre 2023, de sorte que nous ne pouvions pas le corriger à cette occasion. En outre, comme les services de Bercy vous l'ont expliqué lors de leur audition dans le cadre de votre mission d'information, refaire une trajectoire des finances publiques est un exercice compliqué. D'autant qu'il n'y avait pas de prévision solide, de sorte qu'il a fallu mener tout un travail pour aboutir à la réévaluation du mois de février 2024.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il n'y avait donc aucune raison de s'alarmer à ce moment-là ?

M. Thomas Cazenave. - Il était trop tard pour modifier la trajectoire de 2023 et la note du 7 décembre 2023 portait sur l'année 2023, pas sur 2024. On ne pouvait pas fixer un objectif de déficit public au hasard. On agit lorsqu'on a des éléments solides d'estimation par les services. Ils nous ont expliqué que les prévisions et la trajectoire de finances publiques seraient établies dans les budgets économiques d'hiver, au mois de février. Nous n'avions donc aucun élément à intégrer dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Peut-être qu'il y a là un point d'amélioration possible, qui consisterait à faire tourner les modèles de Bercy tous les mois... Mais, en l'état actuel des choses, à la date du 7 décembre 2023, nous n'avions pas de nouvelles prévisions à intégrer pour 2024.

S'agissant de la note du 16 février 2024, elle fournit des éléments solides sur les prévisions de pertes de recettes, dont le montant s'éloigne terriblement de celui mentionné dans la note du 7 décembre 2023, l'objectif de déficit public n'étant plus de 5,2 %, mais de 5,5 % ou 5,6 % du PIB. Il est très important de rappeler, ici, que le déficit public n'est pas arrêté par l'administration de Bercy, mais par l'Insee, au mois de mars, selon une méthode qui a évolué, puisque l'on prévoit désormais 0,14 point de déficit public en plus.

Dès lors que le déficit public devient susceptible d'atteindre 5,6 % ou 5,7 %, il convient de reconstruire une trajectoire des finances publiques pour corriger la prévision qui était la nôtre. Nous l'avons fait dans le cadre du programme de stabilité, en avril 2024, en fixant un nouvel objectif de déficit public à 5,1 %, pour prendre acte de la perte de recettes et de la nouvelle prévision de croissance retenue par Bruno Le Maire, compte tenu du ralentissement observé dès la fin de 2023 de 1,4 % à 1 % de croissance.

Nous avons ensuite travaillé sur les mesures qui nous permettraient de tenir un objectif de déficit public à 5,1 % du PIB, en allant notamment au-delà des 10 milliards d'euros déjà annulés grâce à de nouvelles annulations, des mesures de recettes nouvelles, ainsi qu'un certain nombre de mesures réglementaires.

Vous avez dit que nous « procrastinions », monsieur le rapporteur général, mais je réfute catégoriquement ce terme. En effet, dès que nous avons eu la certitude qu'il y aurait de nouvelles pertes de recettes, nous avons pris collectivement ce décret d'annulation de 10 milliards d'euros pour compenser ces pertes grâce à un effort supplémentaire sur les dépenses de l'État.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous enjambez très rapidement la période des soixante jours. Je vous ai écouté avec attention. Selon vous, au mois de décembre, il n'y avait aucune raison de s'alarmer. J'ai quand même des doutes à ce sujet et je ne peux pas imaginer que le Gouvernement ne réagisse pas. Vous nous parlez ensuite de la note du 16 février 2024 qui signale un risque de dégradation du déficit public à 5,7 % du PIB. Entre décembre et février, il a dû se passer des choses ! D'autant que deux jours après la note, le ministre de l'économie et des finances a annoncé l'urgence de la situation.

Je suis un peu surpris que vous essayiez de passer sous silence les éléments qui ont pu conduire à cette situation. Certes, vous n'étiez pas entré en fonction depuis longtemps, mais vous deviez tout de même disposer de toutes les informations en tant que ministre des comptes publics.

M. Thomas Cazenave. - Je n'enjambe pas cette période, monsieur le rapporteur général. Nous avons reçu une première note d'alerte le 7 décembre 2023. En janvier 2024, je n'étais plus ministre chargé des comptes publics. À mon retour en fonction, au début du mois de février, à la suite d'une nouvelle réévaluation des prévisions de recettes, nous avons pris la décision, avec Bruno Le Maire, d'annuler 10 milliards d'euros de dépenses de l'État. Encore une fois, je n'étais pas en responsabilité au mois de janvier.

Dès que nous avons eu des éléments solides sur l'impact des pertes de recettes, nous avons immédiatement réagi. Et nous l'avons fait à chaque fois que de nouvelles prévisions de pertes de recettes sont intervenues, au travers du décret d'annulation de 10 milliards d'euros, de la préparation de nouvelles mesures d'économies dans le champ de l'État, de la préparation de recettes supplémentaires et de mesures réglementaires, ou bien encore du gel de la réserve de précaution à hauteur de 16,5 milliards d'euros. À chaque fois, nous avons réagi, malgré les contraintes qui étaient les nôtres à l'époque.

Toutefois, au sein d'un gouvernement démissionnaire ou bien gérant les affaires courantes, la latitude d'action n'était plus tout à fait la même qu'en février, ou en janvier, lorsque Bruno Le Maire annonçait une remontée de la taxe sur l'électricité permettant de récupérer 5 milliards d'euros de plus.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce qui reste surprenant, c'est que le projet de loi de finances pour 2024, que vous avez soutenu, prévoyait une augmentation du budget de toutes les missions, même avec un déficit préoccupant, compte tenu du niveau de la dette publique de la France. Nous vous avions proposé un budget prévoyant 7 milliards d'euros d'économies. Pourquoi ne pas avoir pris en compte ces propositions, alors que la dégradation des comptes publics avait déjà été signalée ?

M. Thomas Cazenave. - Encore une fois, le problème n'était pas celui des dépenses de l'État. Le projet de loi de fin de gestion montre d'ailleurs qu'elles diminuent en 2024 et que la dégradation du déficit public est due à des prévisions de recettes non tenues et à une augmentation très rapide des dépenses des collectivités territoriales.

Dans le cadre du PLF, vous avez certes proposé 7 milliards d'euros d'économies, mais aussi un nombre non négligeable de dépenses... En particulier, vous avez fait voter par le Sénat une augmentation de plus de 3 milliards d'euros des dépenses des collectivités territoriales.

Notre effort collectif doit se concentrer sur les prévisions de recettes : c'est sur ce plan que les objectifs n'ont pas du tout été atteints, ce qui explique les trois quarts de la dégradation du déficit - le reste est lié aux dépenses des collectivités. Les dépenses de l'État pour 2024, je le répète, sont inférieures à celles de 2023. Et les dépenses que vous constaterez dans le projet de loi de finances de fin de gestion seront inférieures à celles inscrites en loi de finances initiale.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous persistez dans votre analyse et nous avons un désaccord. Les prévisions de recettes ne sont qu'une composante parmi d'autres. Ainsi, votre majorité a choisi de se priver de certaines recettes - taxe d'habitation, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), redevance audiovisuelle -, sans cesser de créer des dépenses supplémentaires.

Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire : la nomination de Gabriel Attal à Matignon a été suivie d'annonces de dépenses nouvelles pour 5 milliards d'euros, en plus d'un budget qui, je le répète, ouvrait des dépenses en hausse pour la quasi-totalité des missions.

Ces faits sont indéniables. Or, vous remettez du vinaigre sur la plaie en expliquant avec insistance que la dégradation vient, pour l'essentiel, des collectivités territoriales.

M. Thomas Cazenave. - Je vous arrête : je n'ai pas dit « pour l'essentiel ». J'ai dit, précisément, que les trois quarts de la dégradation étaient liés à un problème de prévisions de recettes, le dernier quart à l'écart entre les dépenses des collectivités territoriales et l'objectif. Les dépenses de l'État pour 2024 sont tenues, et le problème n'est pas là. Il tient aux prévisions de recettes, et vous avez raison de vous y pencher. Comment est-il possible que, en trois étapes, nous ayons perdu 40 milliards d'euros ? C'est déjà arrivé, mais quand les dépenses ont augmenté en 2020 et 2021 on en a un peu moins débattu...

Faut-il examiner le contenu des modèles, la richesse en prélèvements obligatoires de la croissance ? En tout cas, j'insiste : je n'ai jamais dit que la principale cause de dégradation du déficit public était les collectivités territoriales. Leurs dépenses ont joué pour 25 %. Quant aux dépenses de l'État, elles n'ont pas dérivé. Elles seront même inférieures à ce que prévoyait la loi de finances pour 2024. Telle est la réalité des chiffres.

M. Claude Raynal, président. - Le budget de l'État étant sous votre contrôle direct, vous pouvez lever des recettes nouvelles, limiter la dépense, prendre des décrets d'annulation... Il n'en va pas de même pour les dépenses des collectivités territoriales : s'il y a un écart entre l'estimation de Bercy et la réalité, c'est, tout simplement, que l'estimation était fausse.

Il est curieux de mettre sur le même plan un enjeu piloté et un enjeu qui ne l'est pas. Quelque 40 000 collectivités territoriales prennent des décisions individuelles : la question est d'anticiper la répartition des dépenses dans le cadre du cycle électoral. Or on sait que, deux ans avant les élections municipales, les dépenses sont en haut de cycle. Dans la loi de programmation, vous avez fixé, par principe, un niveau de dépenses correspondant à l'inflation diminuée de 0,5 point, qui selon nous aurait du mal à tenir la route. Lorsque, ensuite, on constate un écart avec cet objectif, cela ne signifie pas que les collectivités territoriales seraient mal gérées.

Vous ne pouvez tout simplement pas mettre sur le même plan les trois quarts et le quart restant. Vous pouvez dire que cela n'est pas conforme à vos souhaits, aux souhaits de l'administration de Bercy, mais vous ne pouvez pas voir les choses autrement.

M. Thomas Cazenave. - Si je ne peux pas voir les choses d'une autre manière que la vôtre, il n'y a pas de débat possible...

Est-il légitime d'intégrer dans nos hypothèses l'objectif voté - adopté - dans la loi de programmation des finances publiques ?

M. Claude Raynal, président. - En effet, elle n'a pas été votée...

M. Thomas Cazenave. - Nous avons un cadre national : on peut dire que, la loi de programmation, on s'en fiche...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pas ici !

M. Claude Raynal, président. - Mais le Gouvernement, généralement, oui...

M. Thomas Cazenave. - Si on ne s'en fiche pas, il faut en tenir compte.

Faut-il traiter tout cela de la même manière ? Oui, parce que les finances publiques sont un pot commun. Nous sommes dans un État unitaire, et le déficit public est le résultat de l'ensemble des dépenses : État, collectivités territoriales, sécurité sociale.

M. Claude Raynal, président. - Nous sommes d'accord. Mais, dans la loi de programmation, adoptée par 49.3, vous avez inscrit une barre : l'inflation diminuée de 0,5 point. Vous auriez pu choisir l'inflation diminuée de 3 points, et l'écart avec la réalité serait supérieur de plusieurs milliards d'euros... Tout dépend du caractère réaliste de la base retenue. Nous vous avions dit, à l'époque, que la vôtre ne l'était pas, compte tenu du cycle électoral.

M. Thomas Cazenave. - Regardez le programme de stabilité : c'est pour les dépenses de fonctionnement que nous avons pris pour hypothèse l'inflation diminuée de 0,5 point ; pour les dépenses d'investissement, nous retenions près de 8 % de croissance, compte tenu, en effet, du cycle d'investissement.

M. Claude Raynal, président. - C'était votre estimation ; il s'avère que c'est une erreur supplémentaire.

M. Thomas Cazenave. - Je pense que ce n'est pas une erreur de retenir comme hypothèse, pour les dépenses de fonctionnement, l'objectif inscrit dans la loi de programmation des finances publiques.

Avons-nous caché à qui que ce soit que nous appelions tout le monde à contribuer au redressement des finances publiques ? Je me souviens de nos débats ici, au Sénat, mais aussi avec des associations d'élus dans le cadre du Haut conseil aux finances publiques locales. S'agissant des collectivités territoriales, nous demandions non pas que leurs dépenses baissent, simplement qu'elles augmentent un peu moins que l'inflation. Au reste, c'est ce que prévoit la loi de programmation. Pardon d'avoir repris celle-ci dans nos hypothèses... Quant au cycle d'investissement, nous l'avons intégré avec une croissance de 8 %.

En juillet et août, nous constatons une hausse de 7 % des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales et de 15 % de leurs dépenses d'investissement. Leur besoin de financement, c'est-à-dire leur déficit, passe de 5 milliards à 20 milliards d'euros. Dans l'histoire de la tenue des comptes par la DGFiP, cela n'était pas arrivé depuis au moins vingt-cinq ans.

Ce n'est pas un jugement de valeur : je n'ai jamais dit que les élus locaux étaient de mauvais gestionnaires. Le fait est que ces décisions ont pesé sur le déficit public de manière très supérieure à ce qui était attendu, à un niveau inédit - je le redis - depuis vingt-cinq ans. Je pense que, tout simplement, les élus locaux n'ont pas intégré ce que nous demandions collectivement, sans aucun mécanisme du genre des contrats de Cahors : une participation à l'effort commun de redressement. Il n'y a jamais eu de jugement de valeur sur la qualité de la gestion des élus locaux.

J'y insiste, le déficit public, ce n'est pas le déficit de l'État ; il agrège l'État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales.

M. Claude Raynal, président. - Nous le savons bien.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les élus locaux apprécieront vos propos.

M. Thomas Cazenave. - Je les connais bien. D'ailleurs, je suis l'un d'eux.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le 20 février, ayant reçu la note du Trésor, vous maintenez votre objectif de déficit de 4,4 %, alors qu'il y a un différentiel de l'ordre de 35 milliards d'euros à combler. Un décret d'annulation est pris pour 10 milliards d'euros. Il reste 25 milliards d'euros. Était-ce suffisant ?

M. Thomas Cazenave. - En février, nous décidons de ce décret d'annulation. En avril, au moment du programme de stabilité, nous présentons une nouvelle trajectoire de finances publiques, qui prévoit un déficit de 5,1 %, compte tenu des pertes de recettes colossales, de 27 milliards d'euros.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Étant entendu qu'une note du Trésor prévoyait 5,7 %, ce qui est plutôt en phase avec la trajectoire. Le politique a fait un choix différent.

M. Thomas Cazenave. - Pas du tout. En février, nous disposons d'une estimation des pertes de recettes pour 2024 et, à la différence de ce que nous avions en décembre, de l'impact sur 2024, qui nous invite à reconstruire une trajectoire. Nous savons qu'il faudra compenser cette baisse, en partie, par une baisse de dépenses : d'où le décret d'annulation. Les semaines suivantes sont consacrées à reconstruire notre trajectoire. Les notes du Trésor sont faites à politique inchangée : or nous avons pris des mesures - 10 milliards d'euros d'annulations, lancement d'un plan de redressement pour 10 milliards supplémentaires annoncé au moment du programme de stabilité - pour tenir le nouvel objectif de 5,1 %.

M. Claude Raynal, président. - Nous passons aux questions de nos collègues sur cette première période.

Mme Nathalie Goulet. - Contrairement à d'autres groupes du Sénat, l'Union Centriste était extrêmement hostile à la suppression de la CVAE et de la redevance audiovisuelle.

Vous avez toujours été très attentif à la lutte contre la fraude, sociale comme fiscale, et fait preuve d'une grande écoute à l'égard de moi-même et de Mme Doineau. Je vous en remercie et regrette que votre plan de lutte contre la fraude n'ait pu être complètement mis en place.

Plus précisément, la fraude à l'arbitrage des dividendes coûte 3 milliards d'euros. Or vous n'avez pas donné une suite favorable à nos amendements, ni proposé d'autres mesures. Pourquoi cela ?

M. Marc Laménie. - Sur quelles catégories de recettes porte cette perte de recettes, ou cette sous-estimation ? Concerne-t-elle plus particulièrement la TVA, l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés ? Comment une telle sous-estimation par les services a-t-elle été possible ? Pourquoi n'y a-t-il pas eu de loi de finances rectificative ? S'agissant des collectivités territoriales, la suppression de la taxe d'habitation en principe a été compensée à l'euro près : quelle en a été l'incidence finalement ?

M. Thierry Cozic. - Devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, en septembre dernier, vous avez mis en cause les collectivités territoriales de manière injuste. Cette sortie a été particulièrement mal vécue par les élus. Globalement, ils luttent - le mot n'est pas trop fort - au quotidien pour boucler leur budget et fournir à leurs administrés des politiques locales.

Le sentiment d'injustice des élus vient aussi du fait que la majorité à laquelle vous appartenez n'a eu de cesse, depuis sept ans, de leur supprimer toute marge de manoeuvre. Ils ont donc fort peu goûté que vous tentiez de leur faire payer l'incurie de vos politiques budgétaires - et nous de même.

En septembre, vous avez imputé aux collectivités territoriales un dérapage de 16 milliards ou 17 milliards d'euros. Le président de la commission des finances du Sénat et l'IGF avançaient, eux, 5 milliards et le rapporteur général de l'Assemblée nationale Charles de Courson, 3 milliards d'euros. Je ne m'explique pas l'écart entre ces chiffres et le vôtre. Malgré vos dénégations, il semble que vous cherchiez à faire porter aux élus locaux le poids de votre irresponsabilité.

M. Vincent Delahaye. - J'ai cru entendre tout à l'heure que les ministres ne validaient pas les prévisions de recettes... J'avoue que j'ai sursauté ! J'ai toujours eu du mal avec les prévisions de recettes, même quand il y a eu de bonnes surprises. Je suis de ceux qui ont toujours trouvé que la documentation fournie par Bercy - qui a beau être une administration très compétente et faire tourner toutes sortes de modèles - était très limitée. Je faisais mieux dans ma collectivité que ce que fournit l'État pour ses prévisions de recettes !

Quel était votre rôle dans ces prévisions en tant que ministre ? Je sais qu'il y a des modèles complexes dans lesquels il est difficile de se plonger. Validiez-vous au moins les hypothèses ? Cela me semble être un minimum... Dire que le ministre se contente de prendre ce qui sort des machines qui tournent à Bercy, cela me semble peu démocratique.

Mme Christine Lavarde. - Depuis ce matin, on parle beaucoup de la qualité des prévisions. Vous dites que, pour un quart, le problème vient de la dérive des dépenses des collectivités. Vous vous fondez sur les hypothèses de la loi de programmation, mais y a-t-il quelqu'un à Bercy qui s'intéresse aux décisions gouvernementales qui pèsent sur le budget des collectivités ? Je vais vous en citer quelques-unes : des revalorisations significatives du point d'indice en juillet 2022 et juillet 2023 qui ont porté effet en année pleine à compter de 2024 ; au cours des discussions budgétaires et dans le texte du PLF ont notamment été ajoutées des mesures comme l'attribution de 5 points d'indice à l'ensemble des agents, l'augmentation d'un point des cotisations à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), la revalorisation du passe Navigo en Île-de-France, la revalorisation du forfait mobilité durable... À peu près la moitié de leurs hausses de dépenses s'imposent à elles avant même qu'elles puissent réfléchir à leurs dépenses d'intervention !

M. Michel Canévet. - L'essentiel du déficit public relève de l'État : son déficit, depuis 2020, a été de 6,7 %, 5,8 %, 5,5 %, 5,4 %... En comparaison, la part des collectivités et des administrations de sécurité sociale est réduite. C'est l'État qui se trouve dans une situation préoccupante.

Vous avez évoqué l'exercice 2024 et le projet de loi de finances de fin de gestion ; ce que j'en vois, moi, c'est que les dépenses des administrations publiques centrales hors crédits d'impôt sont supérieures de 8 milliards d'euros à ce qui était prévu initialement et de 15 milliards à ce qui était inscrit dans le programme de stabilité.

Il est préoccupant de constater qu'on fait une loi de programmation pour les années 2023 à 2027, un programme de stabilité pour 2024 à 2027... mais que cela dérape à chaque fois. Cela pose un vrai problème de conduite de l'action publique.

Comment vous, à Bercy, pilotiez-vous les dépenses et les recettes en cours d'année ? Vous appuyiez-vous uniquement sur la note de la direction générale du budget, ou bien disposiez-vous de tableaux de bord ? Je n'imagine pas que cela soit vu une seule fois par mois, comme semblait le dire ce matin Bruno Le Maire.

M. Thomas Cazenave. - Madame Goulet, le plan de lutte contre la fraude n'a pas été interrompu : les dernières lois de finances et de financement de la sécurité sociale (LFSS) contiennent ainsi vingt dispositions, par exemple sur les prix de transfert ou le délit d'incitation à la fraude fiscale et sociale ; la DGFiP continue sa trajectoire de hausse des effectifs consacrés au contrôle fiscal.

Ce que je n'ai pas pu faire, c'est défendre mon projet de loi contre la fraude aux aides publiques, mais j'espère le transformer en proposition de loi.

En ce qui concerne la fraude à l'arbitrage des dividendes, je n'étais pas au clair, au moment de rédiger le PLF, sur les dispositions à prendre pour sécuriser les politiques de contrôle de l'administration s'agissant du CumCum, qu'il soit interne ou externe. Nous avons d'ailleurs eu un débat sur le sujet à l'initiative de la députée Christine Pirès Beaune. Il faut avancer sur cette question.

Vous étiez hostiles à la suppression de la CVAE et de la redevance audiovisuelle - je l'entends. Mais, je le répète, la perte de 40 milliards de recettes n'est pas due à la suppression d'un impôt ou à la baisse d'un taux, elle est constatée à cadre fiscal constant, et quand bien même la croissance correspondait quasiment à l'objectif : 0,9 % au lieu de 1 % en 2023 - même chose en 2024. D'où la nécessité de revoir nos modèles.

Monsieur Laménie, la surestimation des recettes est effectivement au coeur du sujet. C'est pour cela que nous avons immédiatement lancé une mission de l'IGF afin de comprendre ce qui s'était passé. Il y a eu des débuts d'explications, et je crois que le travail se poursuit à Bercy avec d'autres missions pour examiner plus finement les modèles. Mais on peut parler du ralentissement plus marqué de l'inflation, d'une masse salariale moins dynamique pour 2023-2024, d'une croissance plus tirée par les exportations et moins par la consommation intérieure. Je le dis avec beaucoup d'humilité, j'ai quitté mes fonctions à Bercy sans avoir d'explication définitive d'une telle perte de recettes pour un niveau de croissance donné.

Ce travail doit se poursuivre : est-ce l'effet de la perturbation des modèles liée aux sorties de crise ? Vous le disiez, monsieur Delahaye, il y a eu parfois des recettes très supérieures à ce qui était attendu. D'autres pays sont confrontés aux mêmes problèmes. Peut-être les sorties de crise éprouvent-elles des modèles très stables dans le temps, construits sur des données très longues ? Même chose pour l'élasticité unitaire. Les services nous l'ont confirmé, il n'y a aucune raison que l'élasticité sur longue période ne soit pas de 1 ; sauf qu'elle a été de 0,4 en 2023.

La loi organique relative aux lois de finances (Lolf), révisée notamment sur l'initiative du président Woerth et du rapporteur général Saint-Martin, devenu ministre, prévoit la transformation du texte financier de fin d'année en projet de loi de fin de gestion, pour éviter les mesures fiscales nouvelles à ce moment-là. C'était aussi le souhait des parlementaires que d'éviter ces débats fiscaux en fin d'année. Sur la taxe d'habitation et les autres impôts, je le redis : c'est à cadre fiscal constant que nous avons perdu autant de recettes par rapport à l'estimation.

Monsieur Cozic, je crains que vous ne caricaturiez mes propos. Je vous mets au défi de trouver une citation de ma part selon laquelle les collectivités territoriales auraient mal géré leurs finances ! Ce que je dis, c'est qu'elles n'ont pas intégré les demandes de la loi de programmation de ralentir leurs dépenses de fonctionnement. On a le droit de le dire ! Moi aussi je suis un élu local. Est-ce que, dans un État unitaire, on peut demander à tous de contribuer au redressement des finances publiques ? Je pense que oui. Je n'ai jamais varié de cette expression...

M. Jean-Raymond Hugonet. - On ne peut pas accuser les collectivités !

M. Thomas Cazenave. - Je suis très attaché à l'État unitaire. Je considère que le pays n'est pas divisé en petits territoires autonomes. Il y a les valeurs de la République, mais aussi les finances publiques qui nous rassemblent. Quand l'État a beaucoup protégé, beaucoup dépensé, c'est normal qu'il demande aux collectivités territoriales de participer à la trajectoire de redressement des finances publiques.

Je suis très respectueux des élus locaux et de leur gestion. Je n'ai jamais eu un mot de travers pour eux. Mais quand les collectivités ont des dépenses très dynamiques, cela se traduit par plus de déficit public.

Cela a surpris tout le monde - vous y compris, je pense - que le besoin de financement soit de 20 milliards d'euros au lieu de 5 milliards ; plus 15 milliards, c'est 0,5 point de PIB de déficit public.

Vous me demandez pourquoi j'ai esquissé le chiffre de 16 milliards ? Je ne suis plus en responsabilité ; ce chiffre, ce n'est pas le mien, c'est celui du tableau du projet de loi de fin de gestion et le nouveau Gouvernement ne dit pas autre chose que ce que je disais, à quelques milliards près. Pour expliquer pourquoi l'on passe d'un déficit public de 4,4 % du PIB à 6,1 %, il dit notamment que les dépenses des collectivités sont supérieures de 13,4 milliards par rapport à ce qui était prévu. Lorsque nous nous sommes exprimés devant la commission à l'Assemblée nationale, nous n'avions pas les dernières informations ; nous avons dû intégrer le « réalisé » des collectivités, tel que remonté par la DGFiP : une hausse de 7 % de dépenses de fonctionnement, en dehors des allocations individuelles de solidarité (AIS) et des dépenses contraintes de cette nature, et de 15 % de dépenses d'investissement. Le PLFG évoque 13,4 milliards d'euros ; nous avions estimé les dépenses finales à 16 milliards d'euros. Les autres acteurs ont peut-être pris d'autres hypothèses ; peut-être faut-il y voir l'effet des annonces sur les décisions d'investissement des collectivités.

Le gouvernement actuel, pas le précédent auquel j'appartenais, partage sans doute d'une certaine manière l'idée qu'il faille mettre à contribution les collectivités territoriales, puisqu'il leur demande un effort de 5 milliards d'euros. Ou peut-être 11 milliards...

M. Claude Raynal, président. - Ou peut-être plus...

M. Thomas Cazenave. - Vous voyez bien que ce n'est pas une obsession de Thomas Cazenave ou de Bruno Le Maire. Je comprends que Michel Barnier ainsi que les ministres en poste à Bercy y sont sensibles. Peut-être y a-t-il un peu de vérité derrière la nécessité que tout le monde participe au redressement.

Monsieur Delahaye, le rapport de l'IGF explique comment sont établies les prévisions de recettes. C'est d'abord un travail entre directions - des réunions de consensus, sans la présence des cabinets. À l'issue du consensus inter-administrations, c'est la direction générale du Trésor qui compile l'ensemble des remontées par impôt, présente ce qu'on appelle le compte toutes APU (administrations publiques) et transmet ensuite les arbitrages intégrés dans le compte toutes APU.

Lors de nos réunions budgétaires, nous sont présentées la situation donnée et les estimations de recettes. Sur ce point, je vous le redis : je n'ai jamais pris de décision sur ce que serait le montant de la TVA ou de l'impôt sur le revenu ! Sur quelle base ? C'est le travail de l'administration.

En revanche, ce qui est soumis à arbitrage politique, c'est l'estimation de la croissance. Bruno Le Maire assume d'ailleurs que ce choix revête un caractère politique.

Ces réunions budgétaires permettent de voir les écarts et d'en tirer les conséquences : si nous voulons faire 5 % de déficit public, compte tenu de vos recettes et de vos dépenses, il faut prendre d'autres mesures. Et c'est là que nous décidons de proposer telle réforme, telle économie, telle recette.

Disposons-nous d'un tableau de bord ? Il n'y a pas de compteur affiché dans le bureau des ministres, mais des situations mensuelles, qui sont d'ailleurs publiques et adressées aux commissions des finances des deux assemblées.

L'IGF a fait des propositions concrètes : il faut que les directions se voient tous les mois pour réajuster les hypothèses et partager les remontées - des réunions qui ne se tenaient plus et que nous avons depuis remises à l'ordre du jour. Il faut tirer les leçons de cette situation. Il n'est pas satisfaisant d'avoir autant d'écart entre la prévision et le réalisé.

M. Vincent Delahaye. - Dans les deux sens !

M. Thomas Cazenave. - Il y avait eu un peu moins de débats lorsque c'était en excédent...

M. Vincent Delahaye. - C'est tout aussi grave.

M. Thomas Cazenave. - Madame Lavarde, j'ai sous les yeux les hypothèses des collectivités territoriales dans le programme de stabilité : pour les dépenses de fonctionnement, 1,8 % - nous avions pris l'inflation moins 0,5. Pour les dépenses d'investissement, j'ai arrondi tout à l'heure à 8 %, mais c'était 7,8 % pour être tout à fait précis. Nous avons fait une première révision dans les budgets économiques d'été, en passant de 1,8 % à 4,2 %. Pourquoi ? Parce que nous disposions des budgets primitifs votés, ce qui permet d'intégrer ce qui s'est réellement passé et oblige à corriger ; nous pouvions constater qu'ils ne respectaient pas la loi de programmation des finances publiques. Le travail d'actualisation fait à Bercy intègre alors de nouvelles hypothèses. Même chose pour les dépenses d'investissement.

Monsieur Canévet, les collectivités ne sont bien sûr pas les principales responsables du déficit public, qui remonte d'ailleurs maintenant à plus d'une quarantaine d'années. Mais leurs dépenses sont agrégées dans les dépenses publiques. Quand il y a 13 milliards ou 16 milliards d'euros de plus, ça compte en bas du tableau ! Un quart de l'écart entre le déficit public prévu et réalisé est lié au très grand dynamisme des dépenses des collectivités ; il faut bien le dire !

S'agissant des dépenses de l'État, je vous renvoie au tiré à part du PLF 2024, qui prévoyait bien des dépenses inférieures à l'année précédente. Et oui, nous avons une situation mensuelle des dépenses de l'État. Il existe des suivis sur l'état des recettes, mais, conformément aux recommandations de l'IGF, ont été remis en place des suivis mensuels plus précis des encaissements, et surtout de leur concordance avec les hypothèses sous-jacentes des modèles. Il reste encore du travail à faire.

M. Claude Raynal, président. - Nous espérons en effet qu'un travail reste à mener. Après deux années catastrophiques, nous ne pouvons en subir une troisième. Il faut sortir de ce cercle infernal.

L'élasticité a été très forte en 2021 et 2022. Il est clair qu'elle a été, d'une certaine façon, minorée en 2023. On a tenu compte du principe général qu'elle était égale à 1 à moyen terme, c'est-à-dire que le retour en termes de recettes fiscales équivaudrait à la croissance sur un moyen terme, soit des niveaux très inférieurs à ceux constatés ensuite.

La bonne surprise des recettes extrêmement importantes des années 2021 et 2022 n'aurait-elle pas dû vous alerter sur le fait qu'elles seraient sans doute compensées les années suivantes par des recettes nettement plus basses ? Du point de vue de la théorie économique, c'est assez simple. N'y a-t-il pas eu une forme d'oubli - je n'utilise pas ce terme de façon péjorative -, l'idée que nous étions sortis par le haut de la crise et que le niveau des recettes resterait élevé ?

Je me souviens de débats sur les questions liées à l'impôt sur les sociétés (IS) au cours desquels on m'expliquait que les recettes de cet impôt augmenteraient en raison des mesures prises. Une telle approche ne correspond cependant pas à la réalité et l'on peut avoir une vision de l'IS très différente d'une année à l'autre. Nous sommes finalement retombés sur des niveaux d'IS classiques avant même les mesures sur les entreprises.

Une confiance absolue sur le niveau des recettes, fondée sur les exercices antérieurs, n'a-t-elle pas conduit à accepter une multiplication des dépenses ? N'y a-t-il pas eu quelque légèreté à cet égard ?

M. Thomas Cazenave. - Là encore, reportons-nous au rapport de l'IGF. Il établit l'élasticité des prélèvements obligatoires en 2023 au niveau très bas de 0,4, après qu'elle avait atteint un niveau très élevé.

La règle veut que l'on ne puisse pas s'éloigner durablement de l'élasticité unitaire. Mais comme l'élasticité avait auparavant été supérieure à 1, les services, qui essayaient d'en tenir compte, avaient retenu pour l'année 2023, dans le PLF pour 2024, l'hypothèse d'une élasticité à 0,6, ce qui était très en dessous d'une élasticité unitaire et ce qui prenait acte d'une restabilisation à venir. La situation s'est finalement restabilisée à un niveau encore inférieur, à 0,4.

M. Claude Raynal, président. - Revenons maintenant sur l'un des aspects très délicats, celui de la tentative d'élaboration d'un projet de loi de finances rectificative (PLFR) puis de son refus. Pouvez-vous nous donner votre explication sur ce qui s'est exactement passé ?

Ce qui est certain, c'est que vous demandiez, avec Bruno Le Maire, la définition d'un PLFR. Vous aviez d'ailleurs, sur ce point, le soutien du Sénat, il convient de ne pas l'oublier...

M. Thomas Cazenave. - Je ne l'oublie pas...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous êtes plus sévère que votre ancien ministre de tutelle à l'endroit du Sénat.

M. Claude Raynal, président. - J'insiste sur une question qui nous inquiète beaucoup. Votre motivation pour obtenir un PLFR était claire : vous aviez pris un certain nombre de mesures, mais elles s'étaient avérées insuffisantes, et ce d'autant plus que des reports de crédits de 16 milliards d'euros étaient intervenus, contrebalançant largement les 10 milliards d'euros d'annulation de crédits budgétaires. Des efforts considérables restaient donc à réaliser, ce que vous aviez reconnu dans le programme de stabilité (PStab). Mais comment, alors, résoudre l'équation sans PLFR, puisque la décision n'a finalement pas été prise de le faire ? Comment interprétez-vous ce choix ?

M. Thomas Cazenave. - Avant même de choisir le vecteur, il importe de choisir l'objectif de déficit public.

M. Claude Raynal, président. - Bien sûr.

M. Thomas Cazenave. - Quel objectif nous fixions-nous pour 2024, compte tenu des très fortes baisses de recettes ? Il y a eu des débats sur la cible à retenir, sur la question de savoir s'il fallait aller très en dessous de 5 %. La cible de 5,1 % nous est apparue réaliste, exigeante mais atteignable.

Deux manières différentes permettaient de l'atteindre. Cela pouvait passer par un PLFR, mais je me suis surtout enquis de l'existence d'un autre moyen d'y parvenir, pour le cas où nous n'aurions pas de PLFR, afin que, même dans cette hypothèse, nous continuions d'agir dans le sens d'une économie de 10 milliards d'euros supplémentaires, quand notre capacité d'annulations, que nous avions quasiment épuisée, se résumait à 2 milliards d'euros. Je suis arrivé à la conclusion que c'était possible.

L'autre voie que nous avons identifiée consistait d'abord à élaborer un projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) en fin d'année, pour annuler de 7 milliards à 8 milliards d'euros de crédits sous-utilisés. Encore fallait-il s'assurer que ces crédits ne seraient pas consommés. Aussi, Bruno Le Maire et moi-même avons-nous défini des cibles d'exécution, puis gelé ces crédits dès le mois de juillet.

Il nous manquait encore 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Faute de PLFR, qui aurait pu contenir des mesures fiscales, un autre scénario consistait à inclure ensuite dans le PLF 2025 de telles mesures qui s'appliquent rétroactivement à l'année 2024, à condition de les annoncer suffisamment tôt. À l'Assemblée nationale, des députés avaient notamment travaillé sur la taxation des rentes. Nous avions réfléchi à une taxe sur les énergéticiens et à une taxe sur les rachats d'actions permettant de percevoir ces 3 milliards d'euros.

Le troisième levier à notre disposition, et qu'on sous-estime parfois, était le levier réglementaire. Il concerne par exemple les indemnités journalières, le ticket modérateur ou le remboursement des tests de dépistage du covid. Nous avions commencé à travailler sur une série de mesures.

Il était donc possible d'atteindre 5,1 % de déficit sans PLFR. Ce qui me semblait le plus important était que nous soyons tous d'accord sur la nécessité de poursuivre les efforts et de tenir cet objectif.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous exprimez en ce sens une opinion un peu différente de celle de Bruno Le Maire, qui nous a affirmé qu'il n'aurait pu aboutir au mieux qu'à un niveau de déficit de 5,5 %, soit une dégradation de plus de 30 milliards d'euros de nos finances publiques. L'assumez-vous ?

M. Thomas Cazenave. -Déjà dans le PStab, nous nous donnions un objectif de 5,1 %.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Au moment même où une note de la direction générale du Trésor signalait un risque de déficit à 5,7 %.

M. Thomas Cazenave. - C'est précisément la raison pour laquelle nous envisagions un plan de redressement. Nous avions déjà réalisé une économie de 10 milliards d'euros, et 10 milliards supplémentaires devaient être trouvés par de nouvelles recettes et des mesures réglementaires. Nous ne sommes pas restés sans agir. Nous n'allions pas, en l'absence de PLFR, demeurer les bras ballants pour atteindre l'objectif d'un déficit de 5,1 % du PIB. Le chemin que nous avions tracé a été interrompu par la dissolution et la situation politique, tout d'abord, de gestion des affaires courantes, puis d'un Gouvernement démissionnaire, qui nous empêchait de prendre d'autres mesures.

M. Claude Raynal, président. - Oui, mais si un PLFR avait été préalablement élaboré, vous en auriez alors disposé.

M. Thomas Cazenave. - S'il avait été adopté.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pour qu'il soit adopté, il fallait le présenter. Pensez-vous qu'il existe un lien entre le fait qu'il ne l'ait pas été et le scrutin du mois de juin dernier, dont il avait été dit officiellement qu'il revêtait un intérêt exclusivement européen ?

M. Thomas Cazenave. - Il y aurait matière à débat si nous avions visé un déficit public bien inférieur à 5,1 %, lequel aurait nécessité nombre de mesures fiscales.

Nous avons considéré que nous pouvions aller chercher de manière rétroactive 3 milliards d'euros en PLF 2025 pour l'année 2024. S'il avait fallu chercher un montant supérieur, cela aurait été probablement difficile par la voie que nous avions définie. J'ai examiné les scénarios qui s'offraient à nous avec un objectif de déficit à 5,1 %. Une autre solution qu'un PLFR, avec d'autres leviers tout aussi efficaces, permettait de l'atteindre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous vous fixiez en fait une trajectoire d'économies plus exigeante encore que celle que nous avions proposée au Sénat, mais en faisant abstraction du Parlement.

Un objectif de déficit de 4,4 % avait été adopté avec le PLF pour 2024. Deux mois plus tard, un décret d'annulation de crédits à hauteur de 10 milliards d'euros intervenait. Au mois de mars dernier, vous utilisiez les reports de 16 milliards d'euros des crédits non dépensés de l'année 2023, sous les radars de la représentation nationale. Ensuite, alors qu'on vous interpelle pour essayer de comprendre ce qui se passe - je l'ai personnellement fait à quatre reprises jusqu'au début du mois de juin 2024 -, vous avez continué à prendre un certain nombre de mesures, sans recourir d'aucune manière à l'information ou à l'action de la représentation nationale.

Dans le contexte que nous connaissons de dégradation très sérieuse des comptes publics, ce n'est guère raisonnable. Comme vous l'avez dit dans votre propos liminaire, nous avons plutôt intérêt, dans pareil contexte, à travailler de manière plus collégiale. Qu'il y ait des désaccords, c'est le jeu de la démocratie, avec des majorités et des minorités qui se forment et qui peuvent d'ailleurs alterner. Mais les sommes en jeu sont extrêmement importantes. Et pour rappel, le déficit public est passé entre 2017 et 2023 de 77 milliards d'euros à 154 milliards d'euros soit une hausse de 77 milliards d'euros, tandis que le déficit de l'État a crû exactement du même montant sur la période.

M. Thomas Cazenave. - Le déficit public s'est certes accru en raison des crises que nous avons connues et des dépenses qu'elles ont engendrées, mais nous étions sortis entre 2017 et 2019 de la procédure en déficit excessif instruite par la Commission européenne, après que nous avions réduit ce déficit. Nous avons ensuite beaucoup dépensé pour beaucoup protéger. Et, oui, le redressement s'avère difficile. Je ne conteste aucun de ces constats.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Mais la progression du déficit de l'État entre 2018 et 2023 est à l'euro près celle du déficit public.

M. Thomas Cazenave. - Évidemment, car l'État est l'assureur en dernier ressort, présent quand il n'y a plus personne derrière. Et il a aidé tout le monde : les collectivités territoriales, les commerçants, les salariés, les associations. Cela ne me choque pas, je pense que c'est son rôle.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La crise n'a pas duré quatre ans.

M. Thomas Cazenave. - Elle a eu des effets durables : dans le PLF défendu par le Gouvernement, nous sortons à peine des procédures du bouclier énergétique de protection du pouvoir d'achat des Français.

Je ne partage pas votre analyse lorsque vous dites qu'il s'agissait d'une manière de contourner le Parlement...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'était une observation.

M. Thomas Cazenave. - Je vous livre ma lecture des choses, monsieur le rapporteur général. Le décret d'annulation de crédits était permis, dans la limite de 1,5 %, par la Lolf, laquelle est issue d'une initiative parlementaire.

M. Claude Raynal, président. - La Lolf le prévoit en effet comme une possibilité.

M. Thomas Cazenave. - Les parlementaires ne peuvent s'émouvoir de l'utilisation d'une disposition qu'ils ont eux-mêmes prévue.

La suite de notre plan de redressement ne contournait pas le Parlement, et ce pour deux raisons principales. D'une part, les annulations de fin de gestion s'inscrivaient non dans un décret, mais dans le PLFG, qui est examiné par la représentation nationale. D'autre part, les mesures fiscales rétroactives prévues relevaient non d'une décision réglementaire, mais du PLF pour 2025. Les deux textes que je viens de citer, et qui portaient ces mesures de redressement, devaient naturellement être présentés au Parlement.

Nous avions retenu une méthode différente, pour l'atteinte d'un même objectif.

M. Claude Raynal, président. - Ce qu'il y a d'extraordinaire avec vous, monsieur Cazenave, c'est votre capacité à dire que nous avons un très mauvais résultat, mais pour de très bonnes raisons.

M. Thomas Cazenave. - Je vous les ai expliquées !

M. Claude Raynal, président. - Mais pourquoi un tel dérapage à la fin ?

Peut-être aviez-vous, avec l'intention de les faire passer en 2025, des textes prévoyant des mesures rétroactives ? Nous entendons ce que vous nous exposez sur ce point, mais, par définition, nous ne les avons jamais vus.

On aurait pu avoir un PLFR qui fixe les choses de manière claire, qui donne les orientations et qui permette d'avancer. Vous y avez substitué une série de mesures qui, cependant, avec la dissolution, n'ont pas été mises en place.

Et il n'y a aucun responsable nulle part !

Sur la question du PLFR, votre ministre de tutelle ne partage pas du tout votre avis. Si, globalement, dans vos deux réponses, vous avez non pas suivi des éléments de langage, mais tenu un discours cohérent entre vous, cela n'a pas été le cas sur cet aspect du PLFR. M. Le Maire, lui, y tenait beaucoup, et il n'était pas le seul, d'autres nous l'ont dit. Nous y tenions nous-mêmes, ici, beaucoup.

De fait, la position a été de ne pas choisir la voie d'un PLFR. Vous évoquez un choix d'ordre technique. Votre ministre de tutelle a reconnu, avec ses mots, un problème de nature politique.

Vous nous renvoyez à de la technicité, à des boulons et à des burettes...

M. Thomas Cazenave. - Sans boulons, rien ne tient...

M. Claude Raynal, président. - Cela ne s'est pas passé comme vous nous le dites...

M. Thomas Cazenave. - Je peux vous répondre, monsieur le président, sur deux points.

D'abord, je n'apprécie pas la mention d'éléments de langage, qui laisse entendre que nous sommes un peu toujours dans la même rhétorique. Je suis très respectueux de la représentation nationale et du Sénat ; j'essaie de vous dire ce que je sais et ce qui s'est passé...

M. Claude Raynal, président. - Bien...

M. Thomas Cazenave. - Je ne suis pas en train de débiter des éléments de langage. Et je suis plutôt rassuré que Bruno Le Maire et moi-même disions à peu près la même chose. Que n'aurions-nous pas entendu si nous vous avions exposé deux histoires complètement différentes ? Cela aurait quand même été très inquiétant...

M. Claude Raynal, président. - Sauf sur le PLFR...

M. Thomas Cazenave. - Non ! Depuis le début, vous ne m'écoutez pas sur le PLFR. J'aurais été très heureux qu'il y ait un PLFR. Ma responsabilité était cependant de m'assurer que les mesures d'économie seraient prises, même en l'absence de PLFR, laquelle ne devait pas nous empêcher d'agir.

Nous avons donc défini un autre chemin qui permette d'obtenir les mêmes résultats, à savoir rester à 5,1 % de déficit public. Je n'essaie pas de défendre l'idée qu'il ne fallait pas de PLFR. Nous avons vu que nous pouvions y arriver sans PLFR, avec deux textes, sans contourner la représentation nationale : le PLFG et le PLF 2025. Je m'efforçais d'être concret et pragmatique pour tenir l'objectif de 5,1 %.

Ensuite, sur la remarque « vos recettes, on en a entendu parler, on ne les a jamais vues », je vous renvoie aux amendements que j'ai déposés et défendus à l'Assemblée nationale, sur la taxation des énergéticiens et sur la taxation des rachats d'actions, le premier n'ayant d'ailleurs pas été voté. Ils correspondaient à ce que nous voulions faire, de manière rétroactive, pour 2024.

Je vous rassure, monsieur le président, ces textes existaient. Ils ont même été défendus.

M. Claude Raynal, président. - Pour 3,5 milliards d'euros, ce qui n'était pas tout à fait la maille de ce qu'il fallait trouver...

M. Thomas Cazenave. - Au contraire, sur les recettes, il fallait chercher à peu près 3 milliards d'euros. Rappelez-vous, il y avait par ailleurs environ 7 milliards à 8 milliards d'euros d'économies sur les dépenses de l'État.

Sur les recettes supplémentaires, en plus de la taxation des énergéticiens et de la taxation du rachat d'actions, s'ajoutaient des mesures réglementaires dans le champ de la sécurité sociale notamment, voire dans celui des collectivités territoriales, par exemple la remontée du taux de cotisation employeur à partir du 1er octobre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous finissons à un niveau de déficit public de 6,1 %, ce qui représente un écart de 30 milliards d'euros avec l'objectif de 5,1 % dont vous nous avez longuement, avec précision, parlé et sur lequel tout votre modèle reposait. Comment l'expliquez-vous ?

Vous ne m'avez pour l'instant pas convaincu. Quand on se trompe d'un point, quand on part de 4,4 % pour finir à 6,1 %... Pouvez-vous comprendre que les Français soient pour le moins tourneboulés, faute de disposer d'éléments accessibles et compréhensibles ?

Il y a eu en 2024 trois premiers ministres et trois mois de vacance du pouvoir, au cours desquels même le Parlement n'était pas dans la boucle des responsabilités. C'est assez déstabilisant et cela crée un climat de tension générale.

Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur le point supplémentaire de dérive du déficit ?

M. Thomas Cazenave. - Je m'efforce d'expliquer les baisses successives de recettes, sans faire de politique sur cette grave question. Expliquer qu'il y aurait un scandale d'État, qu'on cacherait la vérité, est très dangereux. La réalité, c'est que les modèles d'estimation des recettes se sont trompés et que nous avons perdu 40 milliards d'euros.

Vous me demandez comment nous passons d'un objectif de 5,1 % en juillet dernier à 6,1 % aujourd'hui. C'est très simple : nous avons perdu en juillet 5,6 milliards d'euros de recettes et 9 milliards d'euros début septembre ; vous constaterez ensuite, dans le PLFG, un écart de dépenses des collectivités territoriales pour 13 milliards d'euros. Afin d'éviter d'atteindre 6,1 %, il fallait continuer d'appliquer des mesures d'ajustement qui se sont interrompues.

Le gouvernement actuel n'a pas repris nos mesures de fiscalité rétroactive ni mis en oeuvre nos mesures réglementaires.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je ne crois pas que vos mesures fiscales rétroactives représentaient 30 milliards d'euros, ou je ne comprends plus...

M. Thomas Cazenave. - La grande difficulté de la période tient à ce que nous avons perdu à trois reprises des recettes. C'est ce qui doit focaliser notre attention et les travaux menés à Bercy. S'ajoute une très forte augmentation de la dépense des collectivités territoriales...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Décidément !

M. Thomas Cazenave. - Ce sont les chiffres ! Voyez le PLFG de l'actuel Gouvernement, que l'on ne saurait accuser de vouloir à tout prix défendre l'action de ses prédécesseurs.

Il fallait donc poursuivre l'action que nous avions engagée, car il y avait encore 10 milliards d'euros d'économies à trouver, d'abord sur le budget de l'État par des recettes supplémentaires à aller chercher, puis par des mesures réglementaires. Mais nous ne pouvions plus atteindre 5,1 %. À la question de M. Raynal, Bruno Le Maire a répondu que nous aurions pu atteindre 5,5 % ou 5,6 %. C'est probablement vrai, si nous avions pu mettre en oeuvre l'intégralité de nos mesures.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quel montant de recettes fiscales nouvelles attendiez-vous ?

M. Thomas Cazenave. - Avec des mesures rétroactives sur 2024, 3 milliards d'euros, dans notre plan initial.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Permettez-moi d'exprimer un doute sur les prévisions. Avec la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité (CRIM), vous attendiez d'abord 12 milliards d'euros, avant d'en annoncer successivement 8 milliards, puis 6 milliards, puis 3 milliards, pour finir à environ 600 millions d'euros.

M. Thomas Cazenave. - Personne n'a caché ces révisions successives...

M. Claude Raynal, président. - On ne peut pas les cacher...

M. Thomas Cazenave. - Le rapporteur général évoque les sujets de la qualité du débat public et de la confiance envers les institutions, auxquelles je suis très attaché. Arrêtons de semer le doute ou le trouble dans les esprits ! La CRIM avait été calculée à partir d'estimations de prix d'électricité, notamment ceux proposés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Que s'est-il ensuite passé ? Les prix de gros se sont effondrés.

Il y a même une surprise : on va finalement obtenir 1 milliard d'euros de recettes supplémentaires avec la CRIM : c'est pour cela qu'on voulait remettre une taxation sur les énergéticiens, pour récupérer la part qui nous avait d'abord échappé.

En ce qui concerne les autres impôts, ils sont connus et normalement d'une estimation plus facile. La réalité montre cependant que leurs recettes restent parfois difficiles à prévoir - vous l'avez vu avec l'impôt sur les sociétés.

M. Claude Raynal, président. - Ce que nous comprenons, c'est que des outils étaient disponibles. Les avis divergent sur la raison pour laquelle le PLFR n'a pas été mis en oeuvre. Vous ne souhaitez pas vous exprimer à ce sujet. Vous nous dites que vous aviez préparé deux solutions, une solution PLFR et une solution hors PLFR.

Une décision a été prise, dont Bruno Le Maire nous dit pour sa part qu'elle était politique. Nous verrons cela avec les prochaines personnes que nous entendrons au titre de la mission d'information et nous en rediscuterons. Cette décision n'a ensuite pas été appliquée du fait de la dissolution - une autre décision politique - et tout a été bloqué.

Finalement, vous nous déclarez que si vous étiez restés aux affaires, vous auriez pu maintenir le déficit public à environ 5,1 %.

M. Thomas Cazenave. - Non, avec les mesures que nous avions prévues et compte tenu de la nouvelle estimation d'août dernier sur une perte de recettes de 10 milliards d'euros au cours du mois précédent, nous aurions plutôt atteint 5,5 % ou 5,6 %.

M. Claude Raynal, président. - Le débat porte donc entre l'une ou l'autre de ces deux valeurs et celle de 6,1 % désormais annoncée par le Gouvernement.

M. Laurent Somon. - Le Sénat n'a pas été associé aux propositions d'économies formulées à l'occasion de l'élaboration du PLF 2024. Ne pas faire de PLFR excluait de même la discussion parlementaire sur les économies réalisables et même proposées préalablement. Vous aviez choisi de suivre une voie réglementaire ; nous verrons qui, politiquement, était responsable de ce choix de ne pas passer par le Parlement.

Vous évoquez une erreur d'évaluation des recettes comme cause essentielle du déficit actuel. Vous ne mentionnez en revanche jamais celle des dépenses. Accuser les collectivités territoriales d'être responsables de 20 % de la dégradation du déficit constatée ignore le fait que leurs dépenses sont d'abord des dépenses de fonctionnement sur lesquelles des décisions ont lourdement pesé.

Avez-vous par exemple mesuré les conséquences sur les collectivités du décret pour l'extension d'un Ségur de la santé, pris avant que ne survienne la dissolution en mai 2024, puis en août 2024 ? Il a forcément entraîné une augmentation de leurs dépenses de fonctionnement.

En 2022 déjà, l'épargne brute des collectivités locales avait chuté de plus de 30 %. Nous savons aussi que les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ont connu à partir de la même année une chute comparable.

Ainsi, bénéficiant de moins de recettes, n'ayant pour la plupart d'entre elles plus ou peu d'autonomie fiscale, supportant un surcroît de dépenses de fonctionnement du fait de décisions gouvernementales, tenues par leurs programmes d'investissement dont l'application avait été décalée en raison de la crise sanitaire, enfin touchées par l'inflation, les collectivités territoriales ne pouvaient à l'évidence échapper à une forte progression de leurs dépenses de fonctionnement. Ces différents facteurs expliquent la part dont vous les accusez d'être responsables dans le déficit public.

M. Thomas Cazenave. - Monsieur Somon, je n'accuse personne !

M. Laurent Somon. - Le terme était mal choisi...

M. Thomas Cazenave. - Je tiens les comptes publics et j'indique que ces dépenses pèsent tant, c'est une différence fondamentale ! Après, il est normal qu'il y ait un débat sur la raison de leur dynamisme, sur leur caractère ou non contraint, sur leur nature exacte et sur leur utilité. Mais ce n'est pas mon sujet ! Vous me demandez pourquoi le déficit public a augmenté et je m'efforce de vous répondre de manière pédagogique. Je n'émets aucun jugement de valeur.

M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le ministre, de votre venue et de votre participation à cette mission.

La réunion est close à 17 h 30.

Vendredi 8 novembre 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France - Audition de M. Gabriel Attal, Premier ministre du 9 janvier au 5 septembre 2024

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous avons organisé, au printemps, une mission sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France. Celle-ci avait pour origine un écart significatif, de 0,6 point de PIB - environ 18 milliards d'euros -, entre le déficit prévu pour 2023 (4,9 %) et le déficit réel (5,5 %). Elle a été lancée à la suite de la fuite dans la presse d'un déficit à 5,6 %, chiffre issu d'une note de la direction du Trésor et du contrôle sur pièces et sur place mené le lendemain par le rapporteur général.

À la suite de nos investigations et d'un certain nombre d'auditions, nous avons rendu un premier rapport au mois de juin dans lequel nous établissions les raisons et la chronique de la dégradation des comptes publics en 2023. Selon certains, il devait s'agir d'une situation exceptionnelle...

Malheureusement, l'année 2024 n'est pas meilleure ; elle est pire encore ! Le déficit public pour 2024, initialement prévu à 4,4 % en loi de finances, s'élèverait finalement à 6,1 %, soit un écart de 50 milliards d'euros environ. Cette dégradation est intervenue alors même que votre gouvernement a annulé 10 milliards d'euros de crédits dès le mois de février, moins de deux mois après le vote de la loi de finances initiale, puis décidé de gels massifs complémentaires - ces crédits devraient pour la plupart être annulés en fin de gestion.

Nous avons entendu les principales administrations de Bercy et quelques hauts fonctionnaires qui ont accompagné ces décisions. Nous avons reçu ici même, hier, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave.

Il nous a semblé indispensable de vous entendre également, monsieur le Premier ministre, ainsi que votre prédécesseure, Élisabeth Borne. Vous ne pouviez ignorer la gravité de la situation des finances publiques, et les décisions ne pouvaient être prises qu'au plus haut niveau de responsabilité du Gouvernement et de l'État. Cela nous a été confirmé, hier, par l'ancien ministre de l'économie et des finances : selon ses propos, certaines décisions ont été arbitrées dans un sens qui ne lui semblait pas souhaitable, en particulier celle de ne pas présenter un projet de loi de finances rectificative (PLFR).

Avant une série de questions, nous vous laissons le temps d'un propos liminaire, qui pourrait être l'occasion de nous livrer votre analyse de la situation depuis votre prise de fonctions au début de l'année 2024 et de nous indiquer quels commentaires vous inspirent les propos tenus par vos ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, hier à cette place.

Nous connaissons certes vos compétences techniques en matière de finances publiques - vous avez été ministre chargé des comptes publics -, mais c'est avant tout la parole plus politique du Premier ministre que nous attendons ce matin.

M. Gabriel Attal, Premier ministre du 9 janvier au 5 septembre 2024. - Mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, je suis heureux d'avoir l'occasion de revenir devant vous sur ce sujet majeur pour notre pays.

J'attache, comme vous le savez, beaucoup d'importance au travail parlementaire et, singulièrement, sénatorial d'évaluation et de contrôle, de l'action publique en général, de l'exécutif en particulier, sur le sujet des finances publiques françaises.

Je ne reprendrai pas dans mon intervention liminaire les éléments techniques qui vous ont été communiqués par le directeur général du Trésor, l'ancien ministre délégué aux comptes publics ou l'ancien ministre de l'économie et des finances, mais je tiens évidemment à votre disposition tous ces éléments pour d'éventuelles questions.

J'ai été nommé Premier ministre le 9 janvier 2024 et, dès le 11 janvier 2024, lors d'un passage au journal télévisé, j'ai dit aux Français que nous étions dans une situation difficile du point de vue des finances publiques et qu'il n'y avait pas d'argent magique. J'ai ensuite réuni mes ministres le 18 janvier, puis les ministres délégués et secrétaires d'État en février. Je leur ai demandé notamment, au cours de ces réunions et lors du séminaire gouvernemental, de ne pas faire d'annonces budgétaires sans concertation ni validation préalable auprès de Matignon au regard de la situation dégradée de nos finances publiques. L'une des phrases que j'ai prononcée à cette occasion a d'ailleurs fuité dans la presse : « Je vous le dis franchement, toute annonce avec des conséquences budgétaires qui sera faite sans avoir été validée par Matignon sera immédiatement contredite. »

Dès le début de mon mandat, j'ai donc insisté sur la nécessaire rigueur qui devait présider à nos décisions. Ensuite, tout au long de celui-ci, j'ai annoncé des mesures difficiles, tant sur les dépenses que sur les recettes. Je veux revenir sur ces décisions pour regarder les décisions prises pendant les six mois précédant les élections européennes et la dissolution, puis l'acceptation par le Président de la République de ma démission.

En janvier, nous avons commencé à mettre fin au bouclier tarifaire sur l'électricité avec la décision courageusement portée par Bruno Le Maire de relever la taxe sur l'électricité. En février, nous avons pris un décret pour annuler 10 milliards d'euros de crédits. En mars, nous avons doublé les franchises médicales. En avril, nous avons lancé une mission pour identifier plus de 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires, notamment sur les superprofits des énergéticiens et les opérations de rachat d'actions. En mai, nous avons annoncé la réforme de l'assurance chômage. En juin, nous avons travaillé sur des mesures d'économies supplémentaires, notamment dans la sphère sociale. En juillet, nous avons « surgelé » 16 milliards d'euros de crédits, pour pouvoir en annuler un grand nombre en fin d'exercice 2024. En août, nous avons préparé un budget « réversible » - mon gouvernement était démissionnaire à l'époque - qui a permis d'identifier 15 milliards d'euros d'économies pour 2025. Ces mesures, me semble-t-il, ont pour l'essentiel été reprises par l'actuel gouvernement.

Je vous propose à présent de revenir un peu plus en détail sur la chronologie de ces événements et sur chacune des décisions que nous avons prises. Dès mon arrivée, le 9 janvier, mon directeur de cabinet m'informe des difficultés auxquelles nous allons probablement devoir faire face, de la situation très dégradée de nos comptes publics et de l'ampleur du travail que nous aurons à conduire pour les redresser.

Évidemment, j'avais déjà une haute conscience des tensions qui pesaient sur nos comptes. Vous l'avez rappelé, j'ai été ministre délégué de Bruno Le Maire au début du second quinquennat du Président de la République. Avant ma nomination à Matignon, j'étais depuis six mois ministre de l'éducation nationale, et donc nécessairement un peu plus éloigné de la construction du projet de loi de finances pour 2024, des prévisions et des débats parlementaires de l'époque. Mais, dès ma nomination, je le répète, mon directeur de cabinet à Matignon, ancien directeur général du Trésor, m'informe des risques pesant sur nos recettes. Nous n'avons pas tardé à nous mettre au travail. Dès le 21 janvier, Bruno Le Maire - je le disais à l'instant - annonce courageusement la décision difficile de mettre fin au bouclier sur le prix de l'électricité.

Alors que, dans le cadre de la crise énergétique, vous le savez, la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) avait été abaissée à 1 euro, nous l'avons relevée à 21 euros, permettant d'engranger 6 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Je note que la majorité sénatoriale, dans sa sagesse, avait voté un rétablissement de cette taxe à hauteur de 32 euros dès cette année, mais je me souviens aussi, hors du Sénat, de quelques critiques virulentes émanant de membres des mêmes familles politiques...

Dès le 22 janvier, Catherine Vautrin et Bruno Le Maire annoncent le doublement des franchises médicales, soit une économie pour la sécurité sociale de 800 millions d'euros en année pleine. En février 2024, je reçois une première alerte formelle sur le fait que la cible de déficit pour 2024 ne serait sans doute pas respectée, en raison d'un dérapage du déficit 2023 dû à une brutale chute de nos recettes par rapport aux prévisions, et en raison de moindres recettes en 2024 par rapport à ce qui était prévu, avec une croissance inférieure aux prévisions. La note de conjoncture de l'Insee fait alors état d'un acquis de croissance de 0,5 point, rendant difficile l'atteinte d'une croissance de 1,4 % pour 2024.

Nous révisons alors à la baisse notre prévision de croissance, poursuivons nos efforts de réduction des dépenses et rehaussons notre cible de déficit pour 2024. Rien n'a été ignoré de la situation ou des informations qui nous sont parvenues.

Le 13 février, au cours d'une réunion avec le Président de la République, nous décidons de réagir sans tarder. Après plusieurs échanges avec le ministre, nous décidons de réviser la prévision de croissance à 1 % pour 2024, une optique finalement prudente, puisque l'acquis de croissance à la fin du troisième trimestre 2024 est d'ores et déjà de 1,1 %. Nous décidons également d'actionner un frein d'urgence sur nos dépenses de l'ordre de 20 milliards d'euros. Dans le cadre du programme de stabilité (PStab), nous publions une cible révisée de déficit pour 2024 à 5,1 %, contre 4,4 %, un rehaussement déjà très important qui témoigne, je le crois, de la prise en compte par mon gouvernement de la réalité budgétaire dès mon arrivée à Matignon.

Les économies de 20 milliards d'euros que nous avons engagées, toutes administrations publiques confondues, en cours d'année 2024, étaient construites selon un mécanisme à deux étages. Dès février, nous avons annulé 10,2 milliards de crédits, rien que pour l'État, puis, en cours d'année, 10 milliards d'euros supplémentaires sur l'État, la sphère sociale et les collectivités.

S'agissant du « premier étage », vous avez vous-même qualifié cette mesure d'inédite par sa rapidité. Le 21 février 2024, soit dix jours après mon arrivée, nous prenons un décret qui prévoit 10 milliards d'euros d'économies : 1,5 milliard d'euros sur les contrats de professionnalisation, notamment la politique de l'apprentissage ; 1 milliard d'euros sur les chèques aux ménages comme MaPrimeRénov', l'aide aux véhicules ou le chèque énergie ; 800 millions d'euros sur la masse salariale de l'État ; 700 millions d'euros sur l'aide publique au développement. Il ne s'agissait pas de décisions faciles.

S'agissant du « deuxième étage », nous portons en juillet à 16,5 milliards d'euros le montant des crédits gelés pour 2024, afin qu'une majorité d'entre eux puissent être annulés en fin de gestion. Par ailleurs, un paquet de mesures réglementaires sur la sphère sociale est préparé pour économiser entre 1 milliard et 2 milliards d'euros. Il s'agissait de ralentir la progression de nos dépenses, notamment dans la sphère sociale.

Mais, à cet instant, il ne s'agit pas seulement de freiner les dépenses, il faut aussi revoir notre modèle pour générer davantage de recettes et plus de croissance. Nous lançons donc une mission sur les rentes inframarginales des énergéticiens, les opérations de rachat d'actions, et plus globalement sur la révision de notre modèle pour identifier des recettes supplémentaires de l'ordre de 3 milliards d'euros pour l'année 2024.

Je veux souligner qu'une politique de soutenabilité des finances publiques s'inscrit aussi dans une politique économique d'ensemble. Très clairement, l'écart de 10 points entre les dépenses publiques de la France et celles de la moyenne des pays de la zone euro s'explique pour environ 60 % par nos dépenses sociales, en premier lieu nos dépenses de retraite - 14 % du PIB en France, contre une moyenne de 12,9 % dans la zone euro. Nous avons également un système social plus généreux que la plupart de nos voisins. Ce système social, je le défends, c'est notre trésor. Nous avons la chance d'avoir une sécurité sociale qui protège les Français dans les moments difficiles. Mais elle doit aussi être réformée en permanence pour assurer sa soutenabilité. Ma prédécesseure avait courageusement mené la réforme des retraites avec l'appui de la majorité sénatoriale. C'est aussi le cas pour notre système d'assurance chômage, même si l'écart a été réduit avec nos voisins grâce aux deux réformes successives intervenues dans le premier mandat du Président de la République.

Pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques, nous devons donc prévoir des mesures d'économies dans chaque budget, réagir le cas échéant en cours d'année à une situation qui se dégrade, mais aussi, et peut-être surtout, engager des réformes permettant d'augmenter le taux d'activité de la population.

C'est le sens des réformes menées depuis 2017. qui ont permis, je le crois, de réduire le chômage, de créer plus de 2 millions d'emplois et d'avoir un taux d'activité parmi les plus élevés dans notre pays depuis qu'il est mesuré. Il s'agit de la réforme des retraites, de l'assurance chômage, de l'apprentissage ou encore du RSA - j'en avais annoncé la généralisation dans ma déclaration de politique générale, et elle me semble aujourd'hui largement saluée.. Cela a permis de réduire l'écart de taux d'activité entre la France et l'Allemagne, même s'il reste encore d'environ 5 points.

Je suis convaincu que la poursuite de ces réformes est indispensable pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques, tout en augmentant notre potentiel de croissance. C'est sans doute là que se situent les gisements dont nos finances publiques ont besoin, plus que dans l'instauration massive de taxes et d'impôts supplémentaires, dont je crains qu'ils ne puissent produire, sur le long terme, davantage de recettes.

Qu'était-il possible d'anticiper dès la fin 2023 ? Je ne suis pas la personne la mieux armée pour répondre à cette question, puisque j'ai pris mes fonctions à Matignon le 9 janvier.

Pour autant, comme je l'ai indiqué, la situation difficile dans laquelle se trouvaient nos finances publiques n'a pas été une découverte. En revanche, nous ne nous attendions pas à un tel écart de prévision entre la croissance projetée et l'élasticité des recettes, qui s'est aggravé entre la fin de l'année 2023 et l'été 2024. Ce sont des difficultés que l'Allemagne a également rencontrées ces derniers mois.

Vous avez auditionné le directeur général du Trésor. Vous savez, également, qu'une mission a été conduite par l'inspection générale des finances (IGF) pour identifier les causes de ces écarts de prévision. Vous avez vous-mêmes lancé une mission « flash » sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, et je rappelle, à cet égard, qu'une partie importante de l'écart en 2024 s'explique par la reprise en base de la diminution et de la perte de recettes constatées en 2023.

J'en viens au projet de loi de finances rectificative. Nous en avons débattu avec le ministre de l'économie et des finances, le ministre délégué chargé des comptes publics et le Président de la République. En réalité, la question portait non pas tant sur la nécessité d'un PLFR, que sur le véhicule législatif le plus pertinent pour réussir à atteindre notre cible, après avoir signé le décret d'annulation.

Comme chacun le sait, la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) nous autorisait à annuler une part des crédits en cours d'année par voie réglementaire. Et nous avons, quasiment, fait le maximum de ce que la voie règlementaire seule nous permettait en signant le décret d'annulation en février. Pour le reste, il fallait dans tous les cas passer par le Parlement - jamais il n'a été question de faire autrement ! Pour autant, nous avions plusieurs options pour agir sur le volet législatif : le PLFR était une possibilité ; nous avons choisi de passer par d'autres textes, et ce pour plusieurs raisons.

La première, c'est que ces véhicules législatifs nous permettaient bien de réaliser l'effort nécessaire pour tendre vers la cible de déficit, que nous avions alors fixée à 5,1 %.

Ces textes étaient au nombre de deux.

Le premier est le projet de loi de finances pour 2025, dans lequel nous avions prévu d'inscrire les mesures issues de la mission sur les rentes, la taxation des superprofits des énergéticiens et des rachats d'actions. Vous le savez, dans un projet de loi de finances pour l'année n+1, il est possible de prendre des mesures fiscales rétroactives sur l'année n. C'est ce qui avait été prévu. J'en profite pour ajouter que lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, les députés du groupe Ensemble pour la République (EPR) ont défendu des amendements visant à instaurer les mesures que nous aurions mises en oeuvre si nous étions restés au gouvernement.

Le deuxième texte que nous souhaitions soumettre au Parlement afin de réaliser des économies en dépenses supplémentaires est le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG), qui permet d'annuler des crédits gelés en cours d'année. Nous avons donc gelé près de 17 milliards d'euros de crédits, en plusieurs étapes. Cela a notamment été le cas avec le surgel de juillet, avec l'objectif d'annuler une part massive de ces crédits à l'occasion du PLFG, à condition, bien entendu, d'informer suffisamment tôt les ministères de la cible d'exécution.

Il n'était donc pas nécessaire de passer par un PLFR pour prendre ces mesures.

La deuxième raison pour laquelle nous n'avons pas retenu cette option, c'est que cela nous laissait davantage de temps, au printemps et à l'été, pour examiner d'autres textes. J'avais affirmé, dans ma déclaration de politique générale, plusieurs priorités, notamment le projet de loi d'orientation agricole et celui sur la fin de vie. Je pourrais citer d'autres textes sur lesquels nous avons pu travailler avec le Parlement durant cette période, en réservant le débat sur les mesures d'économies ou les recettes supplémentaires dans le cadre du PLF pour 2025 et du PLFG.

Concernant le budget pour 2025, j'ai voulu préparer un PLF et un PLFSS pour donner une base de travail au prochain gouvernement. En effet, quand j'ai compris que mon successeur ne serait pas nommé rapidement, et qu'il devrait finaliser le budget dans un temps très réduit, j'ai travaillé avec les ministres démissionnaires dans le courant de l'été pour préparer le budget et les lettres plafonds, en vue de réaliser 15 milliards d'euros d'économies.

Sur le PLFSS, les revues de dépenses nous ont permis d'organiser de nombreuses économies qui ont été reprises, en grande partie, par le Gouvernement actuel. Je pense notamment aux mesures relatives aux indemnités journalières et aux arrêts maladie. Sur les collectivités locales, nous avons aussi préparé et proposé un certain nombre de mesures.

Telle est l'action que j'ai menée au cours des huit mois que j'ai passés à Matignon, dont deux mois à la tête d'un gouvernement d'affaires courantes. Nous avons reçu des alertes auxquelles nous avons répondu par des décisions fortes, qui nous ont d'ailleurs valu, à l'époque, de fortes critiques au sein de l'espace politique. Nous avons révisé la prévision de croissance, rehaussé la cible de déficit, décidé de faire 20 milliards d'euros d'économies en cours d'année et, finalement, préparé un budget pour 2025 prévoyant 15 milliards d'euros d'économies.

Je ne crois pas que, par le passé, un gouvernement ait identifié, proposé et réalisé autant d'économies sur une période aussi brève. Vous me répondrez qu'il n'est pas certain que, par le passé, un gouvernement ait été confronté à une telle dégradation et un tel écart entre les recettes prévues et réalisées, et que c'est donc bien normal. Mais en réaction aux alertes et informations que nous avons reçues sur la dégradation des recettes par rapport à la prévision technique réalisée par les services, nous avons pris des mesures pour tenir au maximum les finances de la République française et contenir le déficit à 5,1 %, en préparant des mesures pour le futur gouvernement.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous avons laissé vous exprimer longuement, car il nous paraissait important de vous entendre sur la période durant laquelle vous avez occupé la fonction de Premier ministre.

Dans votre propos, vous avez anticipé certaines de nos remarques. En effet, vous avez pris des mesures dans un délai très court, mais la situation était inédite. En réalité, vous étiez bien obligé de réagir !

Comme le ministre de l'économie et des finances et le ministre des comptes publics de votre gouvernement, vous avez cité l'exemple de l'Allemagne. Cette comparaison fréquente est en effet parfois pertinente, notamment sur les taux de croissance.

Vous soulignez ainsi que l'Allemagne a connu une importante chute de ses recettes. Mais la situation des comptes publics est tellement saine dans ce pays qu'une dégradation, sur une année, ne représente pas un véritable problème. En revanche, en France, l'état de nos finances, dès la fin 2023, ne pouvait nous autoriser un tel décalage. D'ailleurs, la réaction des marchés, des autorités et de tous les acteurs s'intéressant aux finances publiques a été immédiate et forte. La grande différence entre la France et l'Allemagne, c'est que la France ne pouvait pas se permettre ce dérapage. On le voit d'ailleurs aujourd'hui, puisque nous sommes menacés par une dégradation de la note des agences de notation, ce qui nous place dans une situation alarmante, avec des taux d'intérêt en augmentation. Le coût de cette période est redoutable pour la France.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Lors de son audition, hier, Bruno Le Maire nous a dit que l'endettement public a été son obsession permanente au cours des sept années durant lesquelles il a exercé ses responsabilités au ministère de l'économie et des finances. Heureusement ! La dette s'est dégradée de plus de 1 000 milliards d'euros : s'il avait eu d'autres préoccupations, quel aurait été le résultat ? Les faits sont malheureusement têtus, et les chiffres ont une vérité qui n'est pas contestable.

Vous avez rappelé vos anciennes responsabilités. J'ai un souvenir très précis de la communication bien rodée qui a accompagné le PLF pour 2023, ce fameux budget « à l'euro près ». Présentant déjà une dégradation du déficit par rapport à 2022, il se termine finalement par un exercice plus déficitaire encore que vos prévisions... Ce n'était pas un budget « à l'euro près » ; c'était un budget à des milliards d'euros de moins !

Dans le PLFG pour 2023, le déficit était annoncé à 4,9 %. En réalité, lors d'une réunion tenue à l'Élysée, il aurait été annoncé, selon des fuites organisées, qu'il pourrait s'élever à 5,6 %. C'est le résultat de la gestion qu'a assurée le gouvernement et vous avez votre part de responsabilité dans cette situation.

Nos concitoyens, comme la représentation nationale, ont besoin de clarifier l'ensemble de la chaîne de décisions et de responsabilités. Derrière l'avalanche de chiffres, que, selon les accusations de certains, nous nous renverrions à la figure, il y a mille et une réalités humaines. Le pays est grandement fracturé, et l'on peine à trouver des alliances politiques pour redresser la situation. Mais cela est aussi le fait de ces mauvais résultats en cascade, qu'il faut assumer. Nous avons tous une part de responsabilité.

En décembre 2023, lors de l'examen du PLF pour 2024, le Sénat a voté 7 milliards d'économies. On nous a expliqué que cet effort était inutile. Or moins de soixante jours plus tard, votre gouvernement a commencé à sonner l'alarme. Permettez-moi de m'en étonner !

Vous dites avoir pris des décisions courageuses. Mais les gouvernements successifs - auxquels vous avez appartenu - auraient dû écouter davantage le Parlement, en particulier le Sénat. Il est vrai que les deux assemblées avaient des avis divergents. Mais le rôle du Gouvernement est précisément d'arbitrer ces désaccords. Or la dégradation du déficit montre bien que beaucoup de décisions malheureuses ont été prises.

Il me paraissait importer de le rappeler. La situation n'est pas le résultat d'une affaire de quelques mois, ou de recettes qui n'ont pas été tout à fait au rendez-vous. Le problème remonte à plus loin. Et c'est pour cela que les Français ont besoin d'explications. J'espère que cela leur permettra d'avoir une plus grande confiance dans les perspectives de redressement.

Notez bien que je ne préjuge de rien, parce que la situation, je le redis, est bien trop importante. Le président Raynal a évoqué la situation de l'Allemagne, dont nombre d'indicateurs économiques sont bien plus favorables que ceux de la France. Mais quand les membres fondateurs de l'Europe, l'Allemagne et la France, sont dans une situation délicate, c'est toute l'Union européenne qui en souffre.

Entrons dans le vif du sujet. Vous avez évoqué les prévisions de recettes. J'ai le sentiment que l'administration a toujours été en avance sur la réalité budgétaire et sur les annonces gouvernementales. Ainsi, alors que les notes du Trésor ont toujours alerté l'exécutif sur la dégradation du déficit de nos comptes publics, les décisions semblent toujours avoir été prises avec retard et en deçà des prévisions. Je pense notamment aux notes du Trésor de décembre 2023, puis de février 2024, cette dernière signalant déjà un risque de déficit à 5,7 % pour 2024. Nous sommes assez loin du déficit de 4,4 % qui a pourtant été annoncé pendant très longtemps. Comment expliquez-vous ce décalage systématique, par rapport aux alertes et prévisions des services, des décisions gouvernementales, y compris quand vous étiez Premier ministre ? Au moment du programme de stabilité en particulier, pourquoi avoir dégradé la prévision de déficit à 5,1 %, alors que votre administration annonçait qu'il s'élèverait 5,7 % ?

M. Gabriel Attal. - Vous dites que le problème des finances publiques remonte à loin. Je vous rejoins sur ce sujet : cela fait cinquante ans que la France n'a pas voté un budget à l'équilibre.

Il est vrai que le décalage de nos finances publiques avec celles de l'Allemagne est important. Depuis 2008, l'écart n'a cessé de se creuser entre nos deux pays de ce point de vue.

Vous avez ensuite évoqué l'obsession de Bruno Le Maire à désendetter la France. Je la confirme. Je profite de cette audition pour le dire publiquement : je trouve assez scandaleux le procès médiatique et politique qui lui est fait dans beaucoup de cercles. Pour ma part, j'ai été très fier d'être ministre délégué auprès de Bruno Le Maire, puis son collègue et, enfin, de le compter dans mon gouvernement. Je n'ai toujours vu en lui qu'un ministre de l'économie et des finances très soucieux de tenir les comptes publics et l'économie de la France, et d'apporter son soutien à nos entreprises, dans des moments de crise gravissimes - je pense en particulier à l'épidémie de covid et à l'inflation.

S'agissant des prévisions et de la présentation du budget pour 2023, je me souviens très bien des annonces de Bruno Le Maire sur le budget « à l'euro près ». L'exécution fait effectivement apparaître un déficit supérieur aux prévisions. Mais les dépenses de l'État ont-elles dérapé par rapport aux prévisions ? Non ! Or l'annonce d'un budget « à l'euro près » concernait évidemment les dépenses de l'État. Je note que dans l'exécution du budget 2023, les dépenses de l'État ne sont pas en écart avec ce qui avait prévu dans sa construction et dans son adoption par le Parlement. C'est bien la chute brutale dans les recettes, singulièrement en fin d'année, qui explique une partie importante du décalage du solde. Une mission de l'IGF a été conduite sur le sujet ; vous avez vous-mêmes mené des travaux et des économistes ont produit des études montrant que 80 % de cet écart de prévision de recettes découle de facteurs exogènes.

J'ai évoqué l'exemple de l'Allemagne, qui ne part effectivement pas du même point que nous, car ce pays aussi a été confronté à une mauvaise surprise dans la prévision et l'élasticité des recettes par rapport à la croissance. Cette situation n'est donc pas propre à la France.

Vous m'avez interrogé sur la fin de l'année 2023. Il me semble que ces questions devraient être adressées à ma prédécesseure, car en tant que ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, je n'étais pas destinataire de la note du Trésor du 7 décembre 2023.

Selon vous, les administrations ont toujours été en avance dans leurs alertes. Je vous remercie de saluer la qualité du travail des personnels des services de Bercy. Jamais je ne remettrai en cause leur travail ni ne les tiendrai responsables de la situation. D'ailleurs, dans ces notes, eux-mêmes recommandent assez régulièrement d'attendre que leurs alertes soient confirmées avant de communiquer publiquement sur le sujet ou de prendre des décisions. Vous le savez, l'économie est une matière fluctuante, qui dépend d'un grand nombre de paramètres, dont beaucoup sont, dans le contexte actuel, de nature géopolitique.

Même si, je le rappelle, je n'étais pas Premier ministre au moment de l'envoi de cette note, j'insiste sur cet aspect : il arrive que l'on reçoive une note de la direction générale du Trésor faisant part d'un risque de diminution de recettes par rapport aux prévisions et que cette même note, au motif qu'il s'agit d'un premier signal, incite à la prudence en matière de communication. Dans ce cas, il me semble préférable de suivre les recommandations des services. Ce qui compte, c'est que des décisions soient prises par la suite. Or dès le 9 janvier, date à laquelle j'ai pris mes fonctions, de nombreuses décisions, que je vous ai rappelées, ont été prises.

La modification de la cible de déficit est intervenue au moment de la révision du programme de stabilité, après arrêt des comptes pour l'année 2023 - de mémoire, l'Insee les a publiés le 26 mars. Bien entendu, c'est une base indispensable pour construire une nouvelle cible de déficit. Cela étant, nous n'avons pas attendu la présentation du PStab pour prendre des décisions : la hausse de la taxe sur l'électricité, le décret d'annulation de 10 milliards ou encore diverses mesures d'économies dans la sphère sociale, notamment sur les franchises, avaient déjà été annoncés par mon gouvernement.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Un sujet demeure flou pour moi. Le 21 février, vous avez pris un décret d'annulation de 10 milliards d'euros de crédits. Une note du Trésor établit le risque de déficit à 5,7 %, ce qui aurait justifié un effort de 35 milliards d'euros pour atteindre l'objectif de 4,4 %. Pourquoi avoir fait si peu ? Pourquoi - indépendamment de la question du PLFR qui se pose après le décret d'annulation - ne pas avoir voulu opérer un ajustement correct ? Cela me paraît d'autant plus difficile à comprendre que, deux mois plus tôt, le PLF pour 2024 était adopté avec une trajectoire ne tenant pas compte de l'ampleur des difficultés réelles.

M. Gabriel Attal. - Concernant l'adoption du PLF 2024 et la fin d'année 2023, je vous renvoie encore une fois à l'audition de ma prédécesseure.

Vous me demandez pourquoi avoir annulé « si peu » de crédits... Je vous rappelle que le décret, à l'époque, a été attaqué, y compris par des membres de la majorité sénatoriale. Je crois d'ailleurs que le recours est toujours pendant - il serait assez baroque que ce décret soit annulé dans la situation actuelle, mais je suis confiant sur l'issue de l'affaire. Outre ce recours juridique, le décret a été attaqué politiquement. Quand, à peine nommé à Matignon, j'ai annoncé l'annulation de 10 milliards d'euros de crédits en cours d'année. On m'a dit que cela ne s'était jamais fait - c'est vrai, c'était inédit - et on en a conclu que j'étais obsédé par une forme de rigueur ou d'austérité. Je ne crois pas que, à l'époque, certains de mes ministres aient considéré que c'était « peu ». Certaines réactions avaient été vives, y compris au sein du gouvernement !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je comparais simplement aux 35 milliards d'euros...

M. Gabriel Attal. - Ce montant correspondait à l'effort nécessaire, selon la note du Trésor à laquelle vous faites référence, pour maintenir la cible à 4,4 % sur l'année 2024. La première question que l'on se pose, alors, c'est de savoir si cette cible de 4,4 % est toujours tenable.

M. Claude Raynal, président. - C'est ce que les ministres en charge ont dit.

M. Gabriel Attal. - Ce n'est pas nécessairement une question que l'on tranche d'un coup, surtout avec une note d'alerte, qui n'est pas un arrêt définitif des comptes pour l'année 2023. C'est uniquement avec cet arrêt des comptes que l'on a connaissance des pertes définitives de recettes, de l'ampleur des tâches à accomplir en 2024 et des travaux interministériels à lancer pour un arbitrage, par le Président de la République et le Premier ministre, d'une nouvelle cible. Voilà pourquoi la cible de 5,1 % est arrêtée au moment de la présentation du nouveau PStab.

Pour atteindre l'objectif, nous avions déjà publié le décret d'annulation pour 10,2 milliards d'euros d'économies. Il restait encore 10 milliards d'euros à économiser. Nous avons alors décidé de geler des crédits supplémentaires en vue d'une annulation ; missionné des parlementaires pour identifier 3 milliards d'euros de recettes de plus sur l'année 2024 ; prévu des mesures d'économies supplémentaires dans la sphère sociale - qui sont prêtes et pourraient être adoptées par le Gouvernement - et cherché le moyen de freiner la progression des dépenses des collectivités locales en cours d'année.

M. Claude Raynal, président. - Vous oubliez une mesure : le report des crédits de 16 milliards d'euros, qui ont compensé le décret d'annulation et en ont réduit très sensiblement le résultat.

M. Gabriel Attal. - C'est, hélas ! le cas chaque année. Depuis le covid et le plan de relance, le niveau de report est très élevé ; il faut le réduire.

Dans le PLFG présenté par le gouvernement qui m'a succédé, il est écrit noir sur blanc que les dépenses de l'État sur l'année 2024 - année durant laquelle, en majorité, j'ai été Premier ministre - seront inférieures aux prévisions, grâce à nos efforts.

Nous avions prévu de faire plus d'économies encore. Mais il y a eu la dissolution. Mon gouvernement est resté démissionnaire pendant plusieurs mois, ce qui nous a empêchés de publier les textes réglementaires sur les économies dans la sphère sociale. Je serai d'ailleurs auditionné dans quelques jours à l'Assemblée nationale par une mission « flash » sur l'action de mon gouvernement durant la période de gestion des affaires courantes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je veux rester factuel car il me semble - c'est mon point de vue - que vous jouez avec une certaine habileté de la succession des fonctions, en renvoyant certains points à votre prédécesseure. En trois mois, il se passe tout de même beaucoup de choses, dans une grande incohérence : on adopte un PLFG pour 2023 ; en l'absence de crise inflationniste ou de l'énergie, moins de soixante jours après, vous signez un décret d'annulation de 10 milliards d'euros ; puis survient la présentation du PStab.

Sous les radars, quoique légalement, votre gouvernement autorise le report de 16 milliards d'euros de crédits restants de 2023, qui constituent donc, en mars, des rentrées supplémentaires. Autrement dit, vous économisez 10 milliards d'euros et vous ajoutez 16 milliards d'euros : le budget compte à ce moment-là 6 milliards d'euros de dépenses supplémentaires par rapport à ce qui avait été adopté.

Quelques jours plus tard, parallèlement au PStab, il y a l'annonce par un communiqué de l'Élysée - annonce qui déclenche chez moi une certaine colère - d'un déficit pour 2023 potentiellement revu à 5,6 % du PIB, en augmentation de 0,7 point, soit une dégradation supplémentaire de plus de 20 milliards d'euros. C'est pour ça que je parle d'une dégradation continue depuis 2017. À ce moment-là, la trajectoire et le déficit sont révisés - et c'est normal.

Comment faire admettre, sans sourciller, une telle dégradation sur un seul trimestre, à la suite de ce qui nous avait été vendu comme une « tempête parfaite », à savoir des recettes moins élevées que prévu pour certains impôts en 2023 - or la dégringolade continue tout au long de l'année 2024 ? Comment expliquer qu'au court de ce trimestre, vous avez pris toutes les bonnes décisions, et que la détérioration est survenue malgré vous ? C'est un peu court ; je doute de cette justification.

M. Gabriel Attal. - Monsieur le rapporteur général, nommé Premier ministre le 9 janvier 2024, je ne peux pas vous répondre sur une note de fin 2023 qui ne m'a pas été adressée.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce n'est pas le sujet.

M. Gabriel Attal. - Je crois comprendre du début de votre intervention que vous me reprocheriez...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous demande de réagir sur mes analyses concernant certains sujets alimentant le débat public.

M. Gabriel Attal. - Je vous l'ai dit : en tant que Premier ministre, je peux être destinataire d'une note faisant état d'une alerte ou d'un risque et, comme cette note le mentionne elle-même, ne pas en tenir compte immédiatement pour prendre des décisions, puisque la situation est encore fluctuante.

Dès le 9 janvier 2024, date de ma nomination, j'ai échangé avec mon directeur de cabinet, ancien directeur du Trésor, sur la situation des finances publiques. Il m'a prévenu d'une alerte en décembre 2023 sur les recettes. Mais nous n'avions pas encore toutes les informations, et pas encore d'alerte sur la dégradation du rendement de certains impôts par rapport aux prévisions.

Certains arbitrages étaient encore en cours lors de ma nomination à Matignon, notamment sur la hausse du prix de l'électricité. C'est d'ailleurs la première question que m'ont posé les journalistes du « 20 heures » de TF1 lorsqu'ils m'ont interviewé le 11 janvier, deux jours après ma nomination. L'arbitrage n'avait pas encore été rendu sur le rétablissement de la taxe sur le prix de l'électricité ; je l'ai rétablie sans délai.

En février, j'ai signé un décret de 10 milliards d'euros d'économies, du jamais vu ! Il n'était pas possible de faire plus par décret, j'étais au maximum.

Fin février, nous avons fait des annonces sur les franchises médicales, sur la sphère sociale, auxquelles d'autres mesures se sont ajoutées en mars.

En avril, nous avons procédé à la révision de la cible de déficit, dans le cadre du PStab, parce que, je le répète, nous avions besoin pour cela de la note de l'Insee sur l'exécution budgétaire 2023, que nous avons reçue le 26 mars.

À mon arrivée à Matignon, plus de 20 milliards d'euros de reports m'ont été demandés par les différents ministères. J'en ai contre-arbitré plusieurs milliards, dans tous les ministères, en janvier et en février. Je cherchais déjà à faire baisser la note.

Depuis la crise du covid, il est vrai que nous avons une pratique des reports plus importante qu'auparavant, et je la déplore aussi pour des raisons de maîtrise des finances publiques, mais aussi d'information et de contrôle du Parlement.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas une pratique des reports plus importante qu'auparavant ; ce sont des reports sans commune mesure !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Du jamais vu, et pas assumé...

M. Claude Raynal, président. - On passe de reports représentant 1 à 2 milliards d'euros à - trois ans après le pic de la crise, où, c'est normal, ils atteignaient 28 milliards d'euros - un montant d'encore 16 milliards d'euros. Aucun arbitrage n'a été pris pour limiter ces reports.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Hier, ici même, Bruno Le Maire a évoqué une note qu'il a adressée le 6 février 2024 au Président de la République, et dont vous étiez en copie. Il proposait une série de mesures « nécessaires pour tenir l'objectif de déficit de 4,4 % en 2024 », parmi lesquelles l'annonce d'un PLFR en 2024. Qu'avez-vous pensé à la réception de la note ? Quel était votre avis sur la suggestion d'un PLFR, jugé nécessaire pour tenir l'objectif de déficit ? J'ai compris qu'il y aurait eu un cercle restreint de décideurs autour de vous, à l'Élysée. Quand la décision a-t-elle été prise ? Vous n'avez pas choisi de donner la possibilité au Gouvernement et au Parlement de se prononcer par des arbitrages lors de l'examen d'un PLFR, annonçant des recettes fiscales rétroactives sur l'énergie - mais chat échaudé craint l'eau froide ; les gains possibles de 12 milliards d'euros que vous annonciez à tue-tête pour la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité (CRIM) n'ont cessé d'être révisés à la baisse, pour un gain effectif de 600 millions d'euros... Pourquoi, donc, avoir refusé l'examen d'un PLFR ? Qui a pris la décision définitive, et comment ?

M. Gabriel Attal. - La décision est prise par le gouvernement de la France et le Président de la République, et non pas par un « club restreint de décideurs ». Mais, évidemment, comme Premier ministre, vous échangez avec vos conseillers et des parlementaires de la majorité avant de prendre ce type d'arbitrages.

Encore une fois, le débat du recours ou non à un PLFR ne s'est pas posé en ces termes. Il y a eu la note du 6 février que vous avez citée, une réunion le 13 février autour du Président de la République, puis d'autres échanges avec les ministres. Notre objectif était, d'abord, de définir les cibles d'économies à réaliser pour tenir un objectif de déficit qui serait nécessairement révisé. Ensuite, nous devions choisir un vecteur législatif : soit un PLFR, soit le PLF et le PLFG. Hier, durant son audition, Bruno Le Maire a d'ailleurs indiqué qu'il y avait aussi de bonnes raisons de passer par le PLFG et le PLF 2025, plutôt que par un PLFR ; que ce choix était « parfaitement entendable », pour reprendre ses propos.

Il n'y avait donc pas deux camps se livrant bataille sur le recours au PLFR. Nous devions décider comment faire face à une dégradation imprévue des recettes par rapport aux prévisions, afin de tenir au maximum les finances de la France.

Nous avons choisi de passer par le PLFG et le PLF 2025, je le redis, car les mesures proposées pour tenir la cible de déficit pouvaient être traitées par ces vecteurs. Comme ceux-ci existaient, qu'ils étaient prévus, cela laissait du temps parlementaire supplémentaire libre pour traiter un certain nombre de dossiers. Lors de ma déclaration de politique générale, j'avais annoncé plusieurs chantiers : projet de loi sur le logement, mesures de désmicardisation et de débureaucratisation, projet de loi sur la fin de vie... Autant de textes qu'il nous semblait important d'examiner. Plutôt que d'ajouter à l'ordre du jour un texte qui n'était pas nécessaire, nous avons gardé du temps parlementaire pour examiner d'autres réformes, mais il était bien prévu d'examiner les mesures qui auraient donné lieu à ce PLFR dans le PLFG et le PLF 2025.

Effectivement, la CRIM n'a rapporté que 600 millions d'euros alors que, à sa mise en place, en 2023, nous espérions un rendement de 12 milliards d'euros. Nous avions d'ailleurs eu de longs débats avec Mme Lavarde, lors de l'examen, de nuit, du PLF...

M.  Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous avons voté cette mesure en vous faisant confiance, et avons souvent eu l'occasion de le regretter !

M. Gabriel Attal. - Les recettes étaient prévues selon des prix de marché qui ont évolué après le vote. En tant que député Ensemble pour la République, Thomas Cazenave a proposé une mesure que nous avions prévue, sous la forme d'un amendement déposé sur le PLF 2025, avec effet rétroactif sur 2024, afin de revoir l'assiette par rapport aux prévisions. La mission parlementaire sur la taxation des rentes, qui portait aussi sur les rachats d'action, prévoyait un calcul de la taxe, non pas sur les bénéfices réalisés par les entreprises, mais sur leurs capacités de production.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous y reviendrons. Restons sur le PLFR...

M. Gabriel Attal. - Si l'amendement de Thomas Cazenave est retenu, le rendement de la CRIM pour 2024 pourrait être de 2,5 milliards d'euros. Le Sénat sera bientôt saisi du PLF ; en tant que « collègue » député, je vous invite à voter cet amendement.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous évoquons un moment clef. En février, la note de Bruno Le Maire indique que les décisions de 10 milliards d'euros de gel de crédits et un PLFR en 2024 sont « les seules susceptibles de nous éviter la dégradation de la note française par Standard & Poor's le 31 mai 2024, à quelques semaines des élections européennes ». Il semble donc, à la lecture de cette note, que la dégradation ne fasse aucun doute à ce moment-là et que cela ait éventuellement une influence. Il est également sous-entendu que la période est difficile et qu'approchent les élections européennes. Je crois donc comprendre - vous me direz si je me trompe - que, craignant que la situation dégradée ne vous revienne en boomerang, vous décidez d'enjamber l'obstacle des élections européennes, de reporter les décisions à la fin de l'année pour vous refaire une santé, pensant que les Français vous suivront. La réalité a fracassé ces éventuelles intentions, mais je me trompe peut-être...

M. Gabriel Attal. - Je vois bien la conclusion à laquelle vous voulez aboutir dans le cadre de cette mission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Non, je m'interroge. Je vous accorde le droit au doute...

M. Gabriel Attal. - Disons alors : je crois voir cette conclusion... Mais ce n'est pas le cas ! Si la boussole des décisions de mon gouvernement était les élections européennes et le fait de préserver la majorité avant ces élections, nous n'aurions pas décidé d'augmenter la taxe sur l'électricité en janvier, annulé 10 milliards d'euros de crédit en février, doublé les franchises médicales en mars, annoncé une réforme de l'assurance chômage en avril et en mai ! Si nous voulions « enjamber l'obstacle », nous n'aurions pas pris ces décisions avant les élections européennes. C'est bien parce qu'elles étaient nécessaires que nous les avons prises, sans nous soucier du scrutin européen, dont, je le précise, le Président de la République avait rappelé qu'il était avant tout européen, et non national.

Le 26 mars, en réponse à une question d'actualité au Gouvernement d'Olivier Marleix sur la situation des finances publiques, je réponds qu'il faut de la rigueur. J'emploie ce terme, que je sais connoté. Cela déclenche une alerte AFP, reprise partout : « le tournant de la rigueur », « Attal veut de l'austérité »... C'était avant les élections européennes !

Encore une fois, le choix du véhicule ne consiste pas dans le fait de passer - ou non - par le Parlement ou de dire - ou non - qu'il faut faire des efforts. Je crois que nous l'avons dit, que nous avons pris des mesures montrant que nous demandions des efforts aux Français et à l'État.

Vous avez fait référence aux agences de notation. En tant que responsable politique français, je décide pour les Français, pas pour les agences de notation ! Ma seule préoccupation, quelles qu'aient été mes fonctions, c'est de savoir si mes décisions sont utiles à mes concitoyens. Oui, nous avons pris, avec mon gouvernement, des décisions difficiles, car nous les estimions utiles pour le pays et pour les Français - pas pour d'autres acteurs ni pour des considérations électorales.

M. Claude Raynal, président. - Quand on est Premier ministre ou à n'importe quel poste politique, il est normal et souhaitable de prendre des décisions pour les Français ; nous partageons cette position.

Cela étant, sans prétendre, évidemment, que vous obéissiez aux agences de notation, on ne peut pas faire fi du contexte général et du débat public à ce moment-là. Dans la presse, on parlait de futures dégradations de la notation, de possibles conséquences sur les taux d'intérêt ... En tant que Premier ministre, on tient forcément compte de ces débats dans la société et du climat ambiant. Si vous n'obéissez pas aux agences de notation - je l'espère bien - vous devez pour autant tenir compte de ce climat, qui a un effet sur les Français - si les taux d'intérêt augmentent, c'est grave pour le budget, mais aussi pour les Français et les entreprises. C'était votre responsabilité d'en tenir compte, nous ne le contestons pas. Vous nous avez répondu sur un éventuel effet d'accélération, n'insistons pas ; admettons simplement que les agences font partie du contexte global de gestion des finances publiques, surtout avec un niveau considérable de dette.

Les élections européennes, selon vous, n'auraient pas été le sujet. Mais - hormis dans le cas particulier actuel - celui ou celle qui occupe la fonction de Premier ministre est par nature le patron de la majorité politique à l'Assemblée nationale, et je ne pense pas que vous ayez démissionné de cette responsabilité. Vous deviez aussi tenir compte du climat politique pour prendre des décisions.

Vous avez rappelé les mesures difficiles que vous avez prises avant ces élections. Cela n'a rien à voir avec la question du dépôt d'un PLFR. La demande de débattre d'un PLFR date, non pas d'avril, mais de février, c'est-à-dire du moment où vous annulez 10 milliards d'euros de crédit. Le sujet, ensuite, vient percuter les élections européennes.

Vous avez pris connaissance de l'audition de Bruno Le Maire ; il a été très précis et direct dans ses réponses, ne contournant pas le sujet. Le seul moment où nous n'avons pas obtenu de réponse, c'est sur l'existence, ou non, d'un arbitrage politique sur le PLFR. Quand je lui ai demandé si les élections européennes avaient pesé sur le choix d'un éventuel recours à un PLFR, il a, pour la première fois, refusé de répondre, renvoyant à ceux que nous entendrions après lui... Nous avons tendance à considérer que ce silence vaut acceptation. Nous ne sommes pas une commission d'enquête sous serment, mais nous souhaitons obtenir une réponse. Ce sujet a-t-il fait partie du débat, oui ou non ?

M. Gabriel Attal. - C'est à moi qu'il revenait de prendre la décision de recourir - ou non - à un PLFR, au titre de l'article 39 de la Constitution, et nous en avons débattu avec le Président de la République, les ministres et des membres de la majorité.

Quand vous devez prendre des décisions, politiques et techniques, vous le faites en fonction du contexte, en pesant le pour et le contre. La première question est de savoir s'il est plus utile, plus efficace de passer par tel ou tel vecteur. Ensuite, vous vous interrogez sur l'impact que la mesure aura, dans le contexte politique et international, sur une autre décision ou d'autres chantiers - à cet égard, le temps parlementaire vaut cher pour faire voter des réformes et certains voulaient aussi un PLFR le plus tôt possible pour éviter que les oppositions ne dénoncent un éventuel plan caché via d'autres textes... Certains considéraient même que c'était dans notre intérêt, vis-à-vis des échéances électorales, de présenter un texte avant.

Dans vos réflexions, vous tenez donc compte d'une pluralité de sujets. Mais je le redis : non, la décision de passer par un PLFG et le PLF ne relève pas des élections européennes.

Bruno Le Maire a dit, hier, que sa proposition de faire un PLFR au printemps était motivée par des raisons principalement politiques, pour mettre « au centre du débat public » le sujet des finances publiques. Il a aussi indiqué que les propositions qu'il faisait alors pour tenir nos comptes ne nécessitaient pas techniquement un PLFR, qu'elles pouvaient passer par un PLFG et un PLF.

M. Claude Raynal, président. - Vous l'avez déjà dit, et nous l'avons entendu. Vous ne répondez cependant pas à ma question.

M. Gabriel Attal. - C'est moi qui prends l'arbitrage avec le Président de la République.

M. Claude Raynal, président. - Donc, M. Le Maire ne doit pas en parler ?...

M. Gabriel Attal. - Non, mais de même que je ne vous réponds pas sur des arbitrages que je n'ai pas été amené à prendre...

M. Claude Raynal, président. - L'arbitrage se faisait en sa présence : il y avait le Président de la République, les ministres et vous...

M. Gabriel Attal. - Les réunions préparatoires se tenaient évidemment en présence des ministres, mais la plupart des arbitrages étaient arrêtés notamment dans les échanges hebdomadaires entre le Premier ministre et le Président de la République. Il est normal que, sur les raisons d'un arbitrage, Bruno Le Maire vous suggère d'interroger ceux qui l'ont rendu.

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons votre réponse.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est tout de même un arbitrage lourd de conséquences : en accord avec le Président de la République, vous décidez de remettre en cause ce qui avait été voté et piloté par votre prédécesseure, Élisabeth Borne, à savoir l'objectif de déficit de 4,4 % pour 2024 et la feuille de route, laquelle a été maintenue jusqu'à fin février dans les prises de parole des ministres compétents avant d'être abandonnée.

M. Gabriel Attal. - Il n'y a pas d'abandon ; les mesures prévues pouvaient être prises sans recourir à un PLFR.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En deux mois et demi, vous abandonnez la trajectoire de 4,4%, c'est clair.

Vous réalisez des arbitrages mais dès votre nomination et en quelques mois, vous annoncez de nombreuses dépenses nouvelles : aides d'urgence à la filière bio, chèque énergie, mesures pour l'agriculture et la santé, revalorisation salariale dans le secteur de la petite enfance, aide à l'Ukraine... Très rapidement, il y en a pour 5 milliards d'euros !

Votre discours est donc assez ambivalent, au moment même où commence une dégradation qui perdurera toute l'année 2024 - durant laquelle, pardonnez-moi, cela part complètement en sucette... Un écart de 50 milliards d'euros en neuf mois, cela reflète une forme d'indigence et montre tout de même un manque de rigueur dans la tenue de nos comptes !

M. Gabriel Attal. - Faites-moi la liste des dépenses, montant par montant, que vous reprochez à mon gouvernement, et prouvez-moi qu'elles dégradent la trajectoire et le solde en 2024.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les annonces que j'ai mentionnées s'ajoutent à des annonces passées, qui continuent de produire des effets.

M. Gabriel Attal. - Vous affirmez que, certes, nous avons fait beaucoup d'économies avec l'annulation de 10 milliards d'euros, mais que d'un autre côté nous avons empilé les dépenses. Cela pourrait laisser penser aux Français qui nous regardent que je raconte n'importe quoi...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai cité un certain nombre de domaines, comme, par exemple, l'agriculture.

M. Gabriel Attal. - Arrêtons-nous thème par thème.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous ne sommes pas dans une bataille de chiffonniers.

M. Gabriel Attal. - C'est pour éclairer les Français et le Parlement.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Tout ceci est parfaitement vérifiable.

M. Gabriel Attal. - Si c'est vérifiable, je vais vous répondre. Sur le sujet agricole : je suis nommé Premier ministre alors qu'une crise agricole est en cours partout en Europe ; immédiatement, je me rends au contact de nos agriculteurs pour trouver des solutions ; je les réunis et j'annonce un certain nombre de mesures. Les concernant, avez-vous un chiffre de dépenses à me reprocher ? Le coût de ces mesures s'élève à 400 millions d'euros ; ayant été financé sur la provision pour crise du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, il n'a pas dégradé les dépenses prévues en 2024.

La seule mesure venue s'ajouter aux dépenses - et c'est l'épaisseur du trait - est l'abandon de la trajectoire d'augmentation de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR), un des éléments déclencheurs de la crise agricole : 70 millions d'euros en 2024, à mettre en regard des 35 milliards d'euros de besoins que vous évoquiez !

Il n'est donc pas vrai de dire que nous avons annoncé 400 millions d'euros de dépenses supplémentaires pendant que nous cherchions à faire des économies. Voilà pour le sujet agricole. Quelles autres dépenses reprochez-vous à mon Gouvernement ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai évoqué plusieurs dépenses, mais l'idée n'est pas d'entrer dans les détails.

M. Gabriel Attal. - Je pensais que c'était l'objet de votre commission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quand vous créez de nouvelles dépenses...

M. Gabriel Attal. - Ces dépenses étaient déjà prévues dans le budget.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le budget n'est pas tenu.

M. Gabriel Attal. - Le budget n'est pas tenu ? Le budget 2024 sera-t-il plus important que celui qui a été voté ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur le Premier ministre, le budget n'est pas tenu et la trajectoire se dégrade en un trimestre.

M. Gabriel Attal. - Les dépenses de l'État en 2024 ont-elles dérapé ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - À ce stade, assumez-vous la dégradation de nos comptes publics durant l'année 2024 ? On parle de 50 milliards d'euros...

M. Gabriel Attal. - J'assume la dégradation des recettes et je vous pose la question, monsieur le rapporteur général : les dépenses de l'État ont-elles dérapé en 2024 ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En sept ans...

M. Gabriel Attal. - Vous m'interrogez sur 2024 et évoquez les dépenses de l'État !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En 2024, le déficit public s'est aggravé de plus de 50 milliards d'euros.

M. Gabriel Attal. - Parce que les recettes ont chuté !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pas uniquement. Vous avez expliqué, à l'envi, que tout était assez simple : la baisse des impôts devait apporter beaucoup de recettes nouvelles.

M. Gabriel Attal. - Est-ce que le PLFG pour 2024 estime qu'il y aura plus de dépenses que celles prévues par le PLF pour 2024 ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les comptes publics, qui auraient dû s'améliorer, en réalité se dégradent.

M. Gabriel Attal. - Vous l'avez dit dès le début de cette audition, et vous avez raison de le dire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Soit vous êtes dans le déni...

M. Gabriel Attal. - Pas du tout. Vous cherchez à éluder ce que je dis sur la chute brutale des recettes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Non.

M. Gabriel Attal. - Vous dites que nous avions prévu des dépenses publiques supplémentaires en 2024. Lesquelles ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le déficit public se dégrade gravement et de manière continue durant l'année 2024.

M. Gabriel Attal. - En raison d'une chute brutale des recettes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pas exclusivement. Vous avez moins de recettes, et vous n'arbitrez aucune dépense.

M. Gabriel Attal. - Nous avons annulé 10 milliards d'euros de crédits.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ces 10 milliards d'euros sont largement insuffisants.

M. Gabriel Attal. - Oui. Je vous ai dit comment 10 autres milliards étaient prévus.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous ne vouliez pas présenter de PLFR.

M. Gabriel Attal. - Vous repassez au sujet du PLFR. Vous évoquiez plusieurs milliards d'euros de dépenses non prévues. Donnez-moi les détails ! Vous n'avez évoqué qu'un sujet, qui porte sur des dépenses de 400 millions d'euros, déjà prévues dans le budget.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous ai cité des postes de dépenses nouvelles, ouvertes par vos annonces, comme des aides d'urgence ou le chèque énergie.

M. Gabriel Attal. - Le chèque énergie est prévu, chaque année, dans le budget.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il y a des annonces nouvelles, comme sur la guerre en Ukraine...

M. Gabriel Attal. - Évoquons le sujet !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - De toute façon, le déficit public se dégrade, et vous êtes responsable de la gestion du budget de la France.

M. Gabriel Attal. - J'assume toutes mes responsabilités. Je suis venu pour répondre à toutes vos questions. Simplement, comprenez que lorsque vous me dites qu'à mon arrivée à Matignon, je fais des économies d'un côté, et annonce des dépenses non prévues ni financées dans le budget de l'autre, et que vous ne me répondez pas sur ces dépenses, cela sème le trouble chez ceux qui nous regardent.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai évoqué vos annonces ; je n'ai pas prétendu qu'il s'agissait de dépenses non prévues au budget.

M. Gabriel Attal. - C'était un peu sous-entendu...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Si, en plus, vous interprétez la totalité de mes propos...

M. Gabriel Attal. - Je note que vous revenez sur le propos ; je l'entends.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je le redis : quand vous passez sous silence, depuis des mois et années, les reports...

M. Gabriel Attal. - On revient sur les reports ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - On se dit les choses durant ce débat, un peu à fleurets mouchetés.

M. Gabriel Attal. - Il est mieux de pouvoir se parler ainsi, c'est moins ennuyeux pour ceux qui nous regardent et c'est plus vivant.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Oui, et il faut assumer.

M. Gabriel Attal. - Nous avons parlé longuement des reports, vous voulez y revenir car vous ne voulez pas me dire quelles sont ces fameuses dépenses qu'il ne fallait pas faire...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comme il y a une dégradation continue des comptes publics et donc du déficit public, nous devons la vérité aux Français. Il ne faut pas se réfugier, trop facilement, derrière des prévisions de recettes.

M. Gabriel Attal. - C'est la réalité !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Parmi les facteurs explicatifs, je vous le redis, avoir laissé filer certaines dépenses publiques pose problème. Nous en reparlerons lors de l'examen du PLF 2025. Pour l'instant, nous constatons une dégradation inédite, jamais vue hors temps de crise, qui a continué en 2024.

M. Gabriel Attal. - Je suis là pour répondre à toutes vos questions et réagir à tous vos propos tenus en ma présence. Je vous le demande une nouvelle fois : citez-moi une dépense de l'État qui a dérapé en 2024 ; citez-moi une de mes décisions - ou de mon gouvernement - qui a abouti à des dépenses supplémentaires en 2024 et qui n'était pas financée.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les reports de crédits, pour 16 milliards d'euros...

M. Gabriel Attal. - Nous en avons déjà parlé. Pardonnez-moi, mais ce sujet me tient à coeur. Vous me dites que nous avons réalisé 10 milliards d'euros d'économies par décret mais que nous avons annoncé 5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Quels sont ces 5 milliards d'euros ? L'agriculture, c'était 400 millions d'euros, déjà financés. Qu'y a-t-il d'autre dans ces 5 milliards d'euros ?

M. Claude Raynal, président. - Ceux qui nous écoutent prennent en compte vos propos à tous les deux. Certaines mesures nouvelles font l'objet de propositions de financement dans le PLFG ; il me semble qu'elles ont été prises avant l'actuel gouvernement. Je n'en connais pas le montant ni la précision. Nous en resterons donc là, et y reviendrons dans notre rapport.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La guerre en Ukraine, c'est 3 milliards d'euros de dépenses.

M. Gabriel Attal. - C'est jusqu'à 3 milliards d'euros, et selon les besoins. Ce n'est pas un virement du compte de l'État français sur le compte de l'État ukrainien ; c'est une valorisation de cessions d'équipements, lissées sur plusieurs années. Vous voyez comme vous balancez des chiffres...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - À vous écouter, cela ne coûte jamais rien...

M. Gabriel Attal. - Ce n'est pas ce que je dis.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les Français sont parfaitement lucides. Les forces armées, c'est comme la gendarmerie : lorsqu'il y a des dépenses à un endroit, cela en fait moins ailleurs.

M. Gabriel Attal. - Vous lancez un chiffre, je vous demande des exemples et ceux que vous me citez ne correspondent pas au chiffre donné de 5 milliards d'euros. Voilà tout !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Si, et je n'ai aucun problème avec cela.

M. Gabriel Attal. - Vous m'avez cité l'agriculture, et j'ai montré que ce n'étaient pas des dépenses supplémentaires. Sur l'Ukraine, je viens de vous le démontrer.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'assume mes chiffres sur l'agriculture et l'Ukraine. Nous ne sommes pas d'accord sur ces sujets, tenons-nous-en là.

M. Gabriel Attal. - C'est factuel.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Tout à fait.

M. Claude Raynal, président. - Passons au sujet suivant. Une décision a été prise. Chacun se fera une opinion sur la façon dont elle a été prise, avant les élections européennes. Dans cette période préalable, certaines mesures pour freiner la dépense concerneraient le futur PLFG, d'autres mesures seraient de nature réglementaire.

Ensuite, vous avez perdu les élections européennes, et il y a eu la dissolution - nous savons ce que vous en pensez, vous l'avez clairement dit. Nous avons perdu deux mois pour agir avant les élections - où des choses sont certes préparées ; également après. Certes, vous avez travaillé durant cette période, mais en comptant large, ce sont entre quatre et cinq mois perdus.

Vous connaissez l'histoire. Au final, rien de ce qui pouvait être fait n'a pu être fait : aucune mesure de freinage avant les élections européennes n'a été mise en oeuvre, et rien ne pouvait l'être après la dissolution par votre gouvernement démissionnaire. Si vous aviez su ce qui allait se passer, ne regrettez-vous pas de n'avoir pas proposé de PLFR ? Tant qu'à faire, autant régler la chose complètement.

M. Gabriel Attal. - Non. Thomas Cazenave vous l'a indiqué hier : il y a eu des pertes de recettes supplémentaires en juillet et en août, qui rendaient encore plus difficile la tenue du solde corrigé à 5,1 %. Toutes les mesures qui ont été prévues pouvaient être prises. Je crois qu'il n'y a eu aucun mois de perdu. Certes, mon gouvernement a été démissionnaire durant plusieurs mois. Mais nous avons travaillé. En juin, nous avons préparé un paquet réglementaire de mesures concernant la sécurité sociale, qui était prêt pour le futur Premier ministre à son arrivée le 5 septembre. En juillet, mon gouvernement a gelé et surgelé des crédits supplémentaires pour atteindre le montant massif de 16,5 milliards d'euros de crédits. Début août, nous avons, avec Bruno Le Maire, Catherine Vautrin et Thomas Cazenave, préparé un budget pour mon successeur, avec 15 milliards d'euros d'économies qui ont été quasiment toutes reprises par lui.

À sa nomination, le nouveau gouvernement avait la possibilité d'annuler jusqu'à 7 ou 8 milliards d'euros de crédits en fin de gestion. Cela relève de son choix de ne pas notifier aux ministères au mois de septembre ce volume d'annulation de crédits - le montant figurant dans le PLFG avoisinant seulement 4 à 5 milliards d'euros.

Par ailleurs, nous avons laissé à la disposition de nos successeurs le paquet de mesures sur la sécurité sociale afin de réaliser des économies en cours d'année 2024. C'est un choix du Gouvernement de ne pas signer les décrets correspondants. Dans le paquet prévu, nous proposions notamment de ne rembourser les tests covid que sur prescription médicale, pour des économies de plusieurs centaines de millions d'euros. Nous avons à nouveau soumis cette proposition par le biais d'un amendement dans les débats récents ; le Gouvernement nous a répondu qu'il s'agissait d'une mesure réglementaire. Pourquoi, dès lors, ne pas la prendre ? Encore une fois, cela relève d'un choix.

Nous avons aussi proposé la mise en place d'une mesure fiscale rétroactive sur les énergéticiens et les rachats d'actions. Les textes étaient prêts, nous les avons transmis au Gouvernement, qui pouvaient les inscrire au PLF 2025. Encore une fois, ne pas prendre ces mesures de recettes supplémentaires relève de son choix.

Je rejoins donc l'analyse de Bruno Le Maire quand il indique que le déficit 2024 pourrait s'établir, non pas à 6,1 %, mais à 5,5 %. Quand vous ajoutez l'annulation plus importante de crédits de l'État, les mesures réglementaires sur la sphère sociale et les mesures de recettes rétroactives sur 2024 - toutes ces mesures étant prêtes au moment où le nouveau gouvernement a été nommé -, vous obtenez un déficit nettement inférieur à 6 % en 2024.

M. Claude Raynal, président. - Personne ici ne se permettrait de dire qu'un gouvernement démissionnaire ne travaille pas, nous sommes respectueux du travail réalisé. Mais je suis gêné d'entendre que vous avez préparé un certain nombre de mesures qui auraient pu être mises en oeuvre par le nouveau gouvernement. Si le PLFR avait été voté, ces mesures auraient été applicables !

Aujourd'hui, vous établissez une liste de mesures en expliquant au Gouvernement ce qu'il pourrait faire alors que, si vous étiez encore en place, nous n'avons aucune garantie sur le fait que vous les auriez mises en oeuvre - on pourrait faire une liste à la Prévert des mesures étudiées dans les ministères et jamais mises en oeuvre. En outre, tout au long de l'année et en particulier en juillet, avec le rapporteur général, nous avons demandé des documents sur les propositions d'économies possibles ; nous les avons reçus dans un carton quelque temps seulement avant le départ de votre gouvernement, sous forme de propositions à soumettre au prochain gouvernement. Les propositions des services nous ont été transmises sans avoir été traitées. Nous aurions préféré qu'on nous explique ce qui avait été fait de ces propositions...

Puisque le débat n'est pas seulement technique, mais aussi politique, permettez-moi de vous dire que, quand vous déclarez que votre successeur n'avait qu'à suivre vos propositions et que le déficit ne serait plus aujourd'hui que de 5,5 %, je trouve cela très inélégant.

M. Gabriel Attal. - Ce n'est pas ce que j'ai dit, monsieur le président.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je ne suis qu'un Français parmi d'autres et je pense la même chose que notre président : cette stratégie de la défausse est particulièrement inélégante.

M. Gabriel Attal. - Ni Bruno Le Maire, ni Thomas Cazenave, ni moi-même n'avons fait cela dans nos auditions. Nous avons assumé un certain nombre de responsabilités. Je ne prétends pas dire au gouvernement actuel ce qu'il aurait dû faire. Je dis ce que mon gouvernement aurait fait s'il n'y avait pas eu la dissolution et si nous n'avions pas dû démissionner.

Contrairement à ce que vous dites, monsieur le président, il ne s'agit pas simples propositions ; nous avons pris des décisions. Si nous avons gelé 17 milliards d'euros de crédits budgétaires - un montant massif -, c'est bien pour en annuler une partie importante. Concernant la mesure sur la fiscalité rétroactive, la décision était prise. Une mission a été conduite et des mesures ont été annoncées sur le rachat d'actions et les énergéticiens.

Nous avions annoncé les annulations de crédits et la fiscalité rétroactive. Il n'y a que pour le paquet réglementaire sur la sécurité sociale que les annonces n'ont pas été faites, mais tout était prêt. Maintenant, chacun prend ses décisions. Je note que vous choisissez les phrases à relever dans ce que je dis. J'ai salué le fait que le gouvernement actuel avait bien repris nos propositions d'économies pour 2025, dont le montant s'élevait à 15 milliards d'euros. J'ai été Premier ministre, je sais à quel point la fonction est difficile, singulièrement dans la période actuelle. Mon successeur doit composer avec une situation politiquement plus difficile encore...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec des finances plus dégradées !

M. Gabriel Attal. - Je pouvais compter sur une majorité relative, alors que lui ne dispose d'aucune majorité. Jamais je ne ferai la leçon, jamais je ne chargerai mes prédécesseurs, ni mes successeurs. Quand on a occupé cette fonction, on est conscient de la responsabilité qu'elle constitue et des difficultés qu'elle recèle.

De mon côté, je vous réponds sur ce qu'a fait le gouvernement depuis janvier 2024. Je ne peux pas vous répondre sur la période antérieure, ni sur celle qui a suivi. Votre question était : qu'auriez-vous fait s'il n'y avait pas eu la dissolution ? Je vous ai répondu. Maintenant, chaque gouvernement est responsable et prend ses décisions en pensant faire au mieux.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En ayant refusé de déposer un PLFR, assumez-vous d'avoir renoncé à la trajectoire de 4,4 % inscrite dans le PLF pour 2024 ?

M. Gabriel Attal. - Ce n'est pas en refusant le PLFR que l'on a renoncé à la trajectoire de 4,4 %. Nous avons d'abord choisi la trajectoire et, ensuite, nous nous sommes posés la question du vecteur ; cela fonctionne ainsi. Quand on nous confirme les informations sur l'écart des recettes obtenues par rapport aux prévisions, quand, le 26 mars, l'Insee nous informe que le déficit 2023 a gravement dérapé car les recettes se sont effondrées, que cet effondrement aura des conséquences sur 2024 et que, par ailleurs, les recettes s'annoncent encore en baisse en 2024, on doit d'abord s'interroger sur la soutenabilité du déficit envisagé. Nous retenons un objectif à 5,1 % ; ensuite, on s'interroge sur les moyens de l'atteindre ; et puis, on choisit le vecteur.

Je pense voir la conclusion à laquelle vous souhaitez arriver. Je suis désolé de ne pas vous encourager en ce sens.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comprenez que cela fait du mal au corps social et à la démocratie. On adopte une trajectoire dans le budget pour 2024, celle-ci se dégrade rapidement et il n'y a aucune discussion sur le sujet au Parlement. Par malchance, la dégradation s'est poursuivie tout au long de l'année. Comment voulez-vous que nos concitoyens et les élus du Parlement ne souffrent pas d'entendre que tout cela puisse se régler de manière mécanique à la fin de l'année ? Dans un tel état de crise, il convient de débattre ; le Parlement est un lieu de débats, il aurait fallu grandement en profiter. En déposant un PLFR, au moins on organisait le débat, et peut-être on limitait les risques.

M. Gabriel Attal. - Sur ce sujet, je reprends les propositions de Bruno Le Maire qui souhaitait davantage associer le Parlement au moment des budgets économiques d'hiver ou d'été, avec une transmission d'informations plus importante au moment des prévisions. Cela dit, j'ai le sentiment que nous avons beaucoup parlé au Parlement de ces questions de finances publiques entre janvier et juin 2024, notamment dans le cadre des questions d'actualité au gouvernement. Monsieur le rapporteur général, on se souvient de vos questions toujours très percutantes et pertinentes...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec peu de réponses concrètes, hélas !

M. Gabriel Attal. - Je pense également aux auditions en commission, ainsi qu'à votre mission d'information sur le sujet. Il y a donc eu des débats au Parlement, par d'autres biais que celui d'un texte. Sans doute peut-on imaginer, à l'avenir, des transmissions de prévision plus fréquentes. Je le redis : l'enjeu concernant le PLFR n'était pas de savoir si l'on souhaitait ou non un débat au Parlement ; il était de choisir un véhicule législatif.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le Parlement est incontournable et vous avez, à mon avis, commis une faute majeure. Un député a indiqué aujourd'hui qu'il aurait fallu engager un PLFR, mais que la crainte de la censure était trop forte, ce qui peut s'entendre.

M. Gabriel Attal. - Chacun peut avoir un avis sur le sujet. La question n'était pas de savoir s'il fallait passer par un texte législatif ou pas. De toute façon, il n'était pas possible, pour prendre les mesures que nous souhaitions, de ne pas passer par un texte législatif. La question était : quel texte ? Nous avons choisi de passer par le PLF et le PLFG car ils sont inscrits à l'ordre du jour. En ajoutant un nouveau texte, nous nous privions de la possibilité de parler de la loi agricole, de la loi sur le logement ou encore de la loi sur la fin de vie, autant de textes qu'il était important pour nous de pouvoir examiner au Parlement et qui étaient réclamés par de nombreux parlementaires.

M. Claude Raynal, président. - Je souhaite vous faire part d'une impression générale. Après la crise du covid, les nouvelles étaient bonnes, la reprise avait été plus forte que ce que le gouvernement d'alors avait prévu, avec des niveaux de croissance et de recettes publiques élevés. Cela a permis de développer un certain nombre de projets, notamment de mettre en place des lois de programmation dans beaucoup de domaines. Celles-ci ont pour vertu de proposer une visibilité à moyen terme, et pour défaut d'engager des dépenses quasi-certaines dans le temps, ce qui limite les sujets d'arbitrage. Ne pensez-vous pas que cette période d'après-covid, en 2021 et 2022 donc, n'a pas déclenché une espèce d'euphorie, les années suivantes, dans l'appréhension des budgets ?

Vous étiez alors ministre du budget et j'ai le souvenir d'une discussion sur les recettes de l'impôt sur les sociétés ; vous vous réjouissiez que celles-ci remontent et, à l'époque, je vous avais alerté sur le fait qu'elles risquaient de redescendre. Je connaissais la vulnérabilité et le caractère aléatoire de ces recettes, et cela m'a été confirmé ces deux dernières années et de manière très forte s'agissant de 2023.

Les dépenses ont donc augmenté significativement, avec des arbitrages arrêtés dès le départ mais qui créent un sentiment déplaisant. La faute originelle n'est-elle pas liée à une vision trop optimiste de la situation ? En tout cas, cela donne cette impression.

Mme Christine Lavarde. - On constate dans le PLF pour 2025 une forte sous-consommation de crédits sur un certain nombre de politiques publiques, notamment celles qui devaient faire l'objet d'appels à projets ou à manifestation d'intérêt. Au-delà du gel des crédits, avez-vous passé des consignes pour retarder les décisions qui pouvaient donner lieu ensuite à un versement de subventions ?

Hier, nous avons appris que les ministres en charge des finances ne remettaient pas en cause les prévisions de recettes transmises par les administrations ; ils les prennent pour argent comptant. Nous avons également appris que, concernant les dépenses des collectivités locales, la règle était de se fier à la loi de programmation des finances publiques (LPFP) sans prendre en compte les décisions figurant dans les PLF successifs, sachant que celles-ci peuvent peser lourdement sur le rythme de dépenses de fonctionnement des collectivités. Avez-vous agi ainsi lorsque vous étiez ministre des comptes publics ? Sur les dépenses des collectivités, un simple regard d'élu local permet de savoir que la trajectoire de la LPFP était difficilement applicable.

Vous vous êtes concentré sur le budget de l'État, en indiquant qu'il n'y avait pas eu de dépassement par rapport à ce qui était prévu dans le PLF 2024, à l'exception des mesures d'urgence. Mais le gouvernement est aussi responsable des dépenses de la sécurité sociale. J'ai entendu qu'un paquet social était prêt pour corriger la dérive. Pourtant, à la fin de l'année 2024, le déficit de la sécurité sociale devrait atteindre 18 milliards d'euros, contre 10,5 milliards prévus dans le PLFSS. Certaines mesures structurelles ont été proposées par la Cour des comptes ou l'IGF, comme la régulation de l'offre de soins. Pourquoi n'ont-elles pas été prises plus tôt ?

M. Pascal Savoldelli. - Les échanges de ce matin m'apportent une confirmation sur l'arbitrage du Président de la République. Selon l'article 39 de la Constitution, le gouvernement initie les lois, mais on constate, au fil de nos auditions, l'arbitrage régulier et omniprésent du Président de la République. Vous déclarez être attaché au Parlement. Cela étant, en ayant recours à l'article 49.3, vous avez choisi d'endosser toutes les responsabilités, y compris ce qui se passe ensuite. En février, il y a eu ce décret d'annulation de 10 milliards d'euros, puis encore 10 milliards d'euros que vous avez retirés, notamment des mains des collectivités territoriales, et ce sans passer par le Parlement. Certes, vous évoquez des contraintes de temps. En 2022, alors que vous étiez ministre des comptes publics, un PLFR a été déposé à l'Assemblée nationale le 2 novembre et promulgué le 1er décembre : il n'y avait pas d'obstacle de temps !

M. Gabriel Attal. - C'était un PLFR de fin d'année, comme il y en avait chaque année avant les PLFG.

M. Pascal Savoldelli. - Un mois de navette entre l'Assemblée nationale et le Sénat ne peut pas être superflu quand, auparavant, on a annulé 10 milliards d'euros et que l'on prévoit d'en annuler 10 milliards supplémentaires. Il était possible, dans ce cadre, d'aller chercher des recettes importantes pour l'État. Au moment des élections législatives, vous avez évoqué cette idée de taxe sur le rachat d'actions. Avec le PLFR, nous avions la possibilité de gagner déjà 0,1 point de PIB. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? Des interrogations demeurent aujourd'hui, avec la possibilité d'un arbitrage ayant privilégié le récit politique aux questions financières. « Allions-nous rester au Gouvernement ? », ce n'est pas moi qui le dis ! Les préoccupations électoralistes, qui ont leur bien fondé, sont difficilement conciliables avec la gestion des équilibres financiers de notre pays !

Je suis également surpris de certains échanges, qui révèlent des paradoxes. Ainsi nous avons une mission d'information avec un rapporteur général, des sénatrices et sénateurs membres d'une majorité à laquelle vous appartenez encore aujourd'hui, et certains, alors donc que vous êtes dans la même majorité, vous demandent des comptes. À cet égard, notons que vos propositions d'économies de 15 milliards d'euros sur lesquelles vous avez travaillé cet été ont quasiment toutes été reprises par la majorité actuelle. Je ne vais pas m'absenter car je prends beaucoup d'intérêt à cet entretien, mais j'ai envie de laisser Les Républicains et vous ensemble !

M. Jean-Baptiste Olivier. - Cher Pascal Savoldelli, il n'y a pas de confusion, nous examinons aujourd'hui les responsabilités du passé. J'aurai pour ma part deux questions.

Faute avouée à moitié pardonnée, dit-on. Or, depuis le début de ces auditions, on a plutôt le sentiment que tout a été fait comme cela devait l'être ; aucune faute de votre gouvernement, ni de celui qui vous a précédé, le décrochage serait entièrement dû à des phénomènes exogènes. Ces explications sont dérangeantes.

On peut en réalité dresser deux constats. Premièrement, la loi de finances pour 2024 a été mal ficelée, à partir d'éléments trop ambitieux, comme s'en étonnait déjà à l'époque le Haut Conseil des finances publiques. Deuxièmement, vous avez décidé, ensuite, de ne pas déposer une loi de finances rectificative.

Il n'est pas question de vous jeter la pierre. Vous êtes arrivé en janvier et votre mission s'est achevée au moment des élections européennes, seul phénomène exogène de votre période. D'où ma question : le véritable responsable fait-il partie de la liste des personnes entendues ? Et, pour l'avenir - je m'adresse au président du groupe Ensemble pour la République - : vous engagez-vous à soutenir les efforts courageux du Gouvernement pour réparer les dégâts ?

Mme Nathalie Goulet. - Vous avez mentionné le recours contre le décret d'annulation, cela rejoint notre débat du jour. Nous avons considéré - à tort ou à raison, le tribunal le dira - qu'il y avait dol, que nous manquions d'informations, et que l'arrivée de ce décret dans des délais aussi courts laissait à penser que les mauvais chiffres étaient connus au préalable.

Je salue le travail que vous avez engagé dans la lutte contre les fraudes fiscale, sociale et douanière. Notre groupe était très hostile à la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et à celle de la contribution à l'audiovisuel public. En revanche, il était favorable à une taxe sur les superprofits qui n'a pas vu le jour, ainsi qu'à l'idée de mettre un terme à la fraude à l'arbitrage des dividendes. Pourquoi n'a-t-on toujours pas mis en place cet observatoire de la fraude et de l'évasion fiscale ?

M. Gabriel Attal. - Monsieur le président, vous avez évoqué la période de croissance qui a suivi le covid. En effet, nous avons retrouvé assez tôt notre niveau d'activité. Si votre question, quand vous parlez d'euphorie, est de savoir si, parmi les arbitrages rendus à l'époque, j'en désapprouve certains, ma réponse est : oui. Bruno Le Maire vous a dit la même chose, car c'est ainsi que les choses fonctionnent dans tout collectif politique.

Il y a certaines mesures que je n'aurais pas prises si j'avais été Premier ministre, et contre lesquelles je m'étais d'ailleurs positionné dans le cadre de mes fonctions de l'époque, notamment quand j'étais ministre du budget. Est-ce que je considère pour autant qu'il est illégitime de les avoir prises et que ceux qui avaient la responsabilité de ces arbitrages ont commis une faute ? Non ! Ils ont jugé, à leur niveau de responsabilité, qu'il fallait les prendre. Parmi ces mesures, je pourrais citer le point d'indice, de l'abandon d'une mesure à laquelle je tenais, les contrats de confiance avec les collectivités locales ou encore le fonds vert.

Je ne partage pas votre sentiment sur le fait d'avoir cédé à une forme d'euphorie. Quand j'ai défendu, avec Olivier Dussopt à l'époque, la réforme des retraites, l'ambiance n'était pas à l'euphorie, de même quand nous avons pris des mesures sur l'assurance chômage.

Sur les lois de programmation, je suis attaché à ce que l'on renforce nos budgets en matière de défense - aussi bien la défense nationale, la police, la gendarmerie, tout ce qui permet de protéger nos concitoyens. Je suis favorable à ce que l'on suive les lois de programmation telles qu'elles ont été construites. Il est vrai néanmoins qu'à force de multiplier ces lois, on a rigidifié la dépense publique. Aujourd'hui, plus de 40 % des dépenses de l'État s'inscrivent dans le cadre des lois de programmation, dans les domaines de la défense, de l'intérieur, de la justice et de la recherche. Dans la mesure où les financements sont prévus sur plusieurs années, les arbitrages pour réaliser des économies portent sur un périmètre plus restreint.

Ce qui me conduit à rappeler ma conviction : pour rétablir nos finances publiques, il faut agir sur nos dépenses sociales. Plus d'un euro sur deux d'argent public concernent les dépenses sociales. La sécurité sociale est notre trésor, mais ce modèle doit faire l'objet de réformes pour maintenir sa soutenabilité dans le temps. C'est pourquoi nous avons agi sur les retraites et l'assurance chômage. Dans ce dernier domaine, la réforme est prête, mais on a été obligé de la suspendre en raison de la dissolution : il suffit de signer le décret. Par ailleurs, il faut favoriser le travail car, plus les Français sont nombreux à travailler, plus les comptes s'équilibrent.

Sur les collectivités locales, l'objectif fixé par la LPFP était, en effet, de les voir dépenser 0,5 point de moins que l'inflation en 2024. Un dispositif devait aider à la réalisation de cet objectif : les contrats de confiance. Avec Bruno Le Maire, nous avions travaillé avec les associations d'élus locaux, mais ma prédécesseure Élisabeth Borne a retiré le dispositif lors du Congrès des maires. Les associations d'élus étaient conscientes du contexte lié aux finances publiques, et le fait de fixer un objectif dans la LPFP, même sans l'outil des contrats de confiance, permettait d'avoir une boussole. Il ne me semble pas illégitime, en tout cas, de se fonder sur cet indicateur.

Par ailleurs, les sous-consommations des crédits sont aussi l'effet produit par le décret d'annulation de 10 milliards d'euros en février 2024 et du surgel décidé en juillet 2024. Ces deux décisions ont permis de freiner la dépense publique, ce qui est passé par l'annulation de certains projets jugés moins prioritaires par les ministères. Après ma nomination, j'ai signé ce décret annulant 10 milliards d'euros et j'ai demandé aux ministères de faire des efforts. Ensuite, nous avons gelé 17 milliards d'euros et j'ai indiqué aux ministères que nous annulerions une partie importante de ces crédits et qu'il convenait, sans attendre, d'identifier les possibilités de ne pas dépenser afin de ne pas se trouver au dépourvu en fin d'année. C'est la raison des sous-consommations.

Sur la sécurité sociale, on ne déplore aucun dérapage majeur de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024, l'objectif de dépense était fixé à 255 milliards d'euros, et la prévision du gouvernement actuel table sur 256 milliards d'euros. J'avais mis en réserve 700 millions d'euros de manière à parer aux aléas de gestion.

Par ailleurs, mon gouvernement a pris des mesures concernant la sphère sociale, comme le doublement des franchises médicales acté en février et mis en oeuvre le 31 mars dernier, critiqué à l'époque par certains. Concernant le paquet de mesures sur la sécurité sociale, j'observe que le gouvernement de mon successeur a repris une partie de ces mesures en LFSS 2025, notamment sur les indemnités journalières. Nous avions prévu de les adopter par voie réglementaire pour l'année 2024, tandis que le Gouvernement les a reprises par voie législative pour l'année 2025 : c'est leur choix. Ce travail a été fait. À ce stade, le Gouvernement actuel ne considère pas qu'il y a un dérapage sur l'Ondam par rapport à la LFSS 2024.

Monsieur Savoldelli, je vois assez bien les conclusions auxquelles vous souhaitez arriver dans cette mission.

M. Claude Raynal, président. - Vous n'avez pas le droit de prétendre que l'on arrive avec des idées préconçues ; ce n'est pas vrai.

M. Gabriel Attal. - J'ai le droit de dire que, sur certains points, vous souhaitez arriver à des conclusions précises, de la même manière que vous pouvez considérer que nous avons d'autres intentions.

Il y aurait notamment l'ombre du Président de la République qui, au choix, selon les camps qui s'expriment, prendrait des arbitrages qu'il ne devrait pas prendre ou refuserait de prendre des mesures nécessaires. Mon vécu de Premier ministre est différent : tous les arbitrages qui devaient être rendus par moi l'ont été. Naturellement, j'échangeais avec le Président de la République avant de décider. Mais je ne peux pas dire qu'il tranchait lui-même les arbitrages, ce serait me défausser de mes responsabilités. Par ailleurs, durant la période où j'ai occupé le poste de Premier ministre, je n'ai jamais senti de manque de soutien de la part du Président de la République envers mon gouvernement dès lors qu'il était question de prendre des décisions liées à l'économie et aux finances publiques.

Le PLFR évoqué par M. Savoldelli, avec ce délai, était en fait ce qu'est devenu le PLFG, soit précisément le véhicule législatif que j'avais retenu. Nous sommes donc d'accord.

Enfin, concernant la dimension politique de cette audition, il est vrai que la situation est un peu baroque. Pour ma part, je réponds à vos questions, sans remettre en doute votre intention de travailler sur le fond du problème, en prenant les décisions avec pragmatisme.

Monsieur Olivier, vous dites que mes propos, comme ceux de Bruno Le Maire ou de Thomas Cazenave, laissent entendre que la dégradation des finances publiques est seulement liée à un phénomène exogène. L'IGF indique que la dégradation des recettes par rapport aux prévisions est à 80 % due à un facteur exogène.

Dans votre mission flash sur la dégradation des finances publiques en 2023, vous reconnaissiez vous-mêmes que l'écart par rapport à la prévision s'expliquait aussi par une forme de déstructuration de l'élasticité entre la croissance et les recettes anticipées depuis le covid et la crise de l'inflation, en Allemagne comme en France.

Voilà ce que j'ai dit. Pour autant, nous n'avons pas tout fait parfaitement. Certaines de nos décisions n'étaient pas forcément les bonnes, et, à l'inverse, il y a de bonnes décisions que nous aurions dû prendre. C'est possible. Nous avons fait de notre mieux.

J'espère que ceux qui nous regardent, à l'instar de la représentation nationale, sauront reconnaître que nous avons aussi fait de bonnes choses. En tout cas, nous avons fait ce que nous avons pu. Je le répète : je ne connais aucun Premier ministre qui a annulé 10 milliards d'euros en cours d'année juste après sa nomination. Or je l'ai fait immédiatement. Cela ne m'a pas rendu populaire, y compris auprès de mes propres ministres.

J'ai assumé d'augmenter une taxe sur l'électricité. Le doublement des franchises médicales ne m'a pas rendu populaire non plus, et ce n'était pas une décision agréable à prendre. J'ai lancé une mission sur les rentes pour augmenter les recettes pour l'année 2024, j'ai préparé des mesures sur la sécurité sociale, j'ai gelé 17 milliards de crédits supplémentaires. Vous pouvez considérer que ce n'était pas assez, qu'il aurait fallu passer par un PLFR plutôt que par un PLFG et un PLF, qu'il aurait fallu faire plus - mais dans ce cas, qu'aurait-il fallu faire de plus ?

En revanche, vous ne pouvez pas dire que mon gouvernement n'a pas pris la mesure de la situation ou qu'il n'a pas engagé les mesures qui s'imposaient.

Madame Goulet, je profite de ma réponse à votre question pour saluer votre travail sur la fraude. Nous avions travaillé conjointement lorsque j'avais présenté mon plan de lutte contre les fraudes. Certaines mesures s'appliquent, notamment sur la fraude sociale. D'autres sont en cours d'instauration. J'avais annoncé la mise en place d'un observatoire de la fraude fiscale, qui a été créé en octobre 2023, sous la forme d'un conseil d'évaluation des fraudes, par Thomas Cazenave, lorsqu'il a pris ma succession. Je n'en sais pas davantage sur sa composition. J'étais alors son collègue, et non son Premier ministre. Je me renseignerai sur ce point.

Chaque année, nous revenons sur la fraude à l'arbitrage des dividendes à l'occasion du PLF. Thomas Cazenave s'est exprimé sur le sujet hier avec une grande technicité. Je ne reviendrai pas sur ses propos. Nous devons avancer sur ce sujet. Nous en avons débattu à l'occasion du PLF la semaine dernière à l'Assemblée nationale. Mon groupe a d'ailleurs fait le choix de ne pas s'opposer à certains amendements déposés par la députée socialiste Christine Pirès Beaune à cet égard.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le Premier ministre, je vous remercie pour vos réponses.

La réunion est close à 11 h 20.