Mercredi 6 novembre 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Le déploiement des réseaux de fibre optique - Audition de représentants de l'Arcep, de l'ANCT et de Avicca

M. Jean-François Longeot, président. - Je souhaite la bienvenue à Alexandre Basquin, qui siège pour la première fois au sein de notre commission, où il remplace Pierre Barros, lequel a rejoint la commission des finances en remplacement d'Éric Bocquet. J'espère que notre nouveau collègue s'intégrera aussi bien que son prédécesseur dans notre « collectif », avec l'état d'esprit constructif qui irrigue les travaux que nous conduisons et dans le respect des sensibilités politiques de chacun.

J'en viens à notre réunion d'aujourd'hui, consacrée au déploiement des réseaux de fibre optique. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable suit attentivement les enjeux de l'aménagement numérique du territoire qui fait l'objet, chaque année, d'un avis budgétaire dont Sébastien Fagnen est aujourd'hui le rapporteur.

Nous portons une attention toute particulière à l'avancée du plan France Très Haut Débit, qui a pour objet de généraliser l'accès à la fibre optique sur le territoire, depuis son lancement en 2013. À mesure que les réseaux se sont constitués, nous avons également exercé une vigilance renforcée sur la qualité du service offert à nos concitoyens, notamment en examinant la proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, en avril dernier. Je salue d'ailleurs son auteur, notre collègue Patrick Chaize, présent aujourd'hui en qualité que président du conseil d'administration de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca).

Notre commission est particulièrement attachée à la protection de l'égal accès de nos concitoyens aux réseaux de télécommunications. C'est la raison pour laquelle la fermeture du réseau « cuivre » historique d'Orange, par lequel nos concitoyens se connectent à l'internet haut débit (ADSL), me pose tout particulièrement problème. Il faut en effet que les réseaux de fibre optique soient installés sur l'ensemble du territoire et que le raccordement final soit mené sans malfaçon pour que cette fermeture ne se solde pas par une dégradation de la qualité de service.

J'appelle enfin l'attention de chacun d'entre vous sur les enjeux posés par la résilience des réseaux. Les inondations des dernières semaines nous l'ont rappelé, nous dépendons de plus en plus des réseaux, y compris pour apporter des réponses aux situations d'urgence, notamment aux événements météorologiques extrêmes : il faut s'assurer que les réseaux pourront toujours fonctionner contre vents et marées, si j'ose dire. Nous nous sommes récemment intéressés à ce sujet, dans le cadre d'une table ronde relative à la résilience des réseaux face aux aléas climatiques, organisée en mai 2024.

Pour aborder l'ensemble de ces questions, nous avons le plaisir de recevoir ce matin Mme Laure de La Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ; M. Zacharia Alahyane, directeur des programmes France Mobile et France Très Haut Débit, au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ; et, comme je l'ai déjà dit, notre collègue Patrick Chaize, président de l'Avicca.

Je souhaiterais avoir votre regard sur ces trois enjeux relatifs à l'aménagement numérique du territoire :

Quel bilan tirer du plan France Très Haut Débit, plus de dix ans après son lancement ? L'objectif de la généralisation en 2025 est-il toujours atteignable ?

Où en est-on de la fermeture du réseau de cuivre ? Le retard de déploiement de la fibre optique a-t-il été pris en compte dans le calendrier de fermeture ?

Quelles actions mettez-vous en oeuvre pour assurer une plus grande résilience des réseaux au changement climatique ?

Avant de vous céder la parole, en m'éloignant un peu du coeur de notre sujet, pour également évoquer la fin programmée de la 2G, prévue d'ici à la fin de l'année 2025 ou à la fin de l'année 2026, selon les opérateurs concernés. Quelques problèmes pourraient se faire jour, car des services y sont associés, comme les ascenseurs, les téléalarmes ou encore les dispositifs médicaux. Des incidents risquent d'en découler. Pourrez-vous aborder ce sujet ? Il ne faudrait pas que l'on se pose la question du fonctionnement de ces dispositifs le lendemain de cette transition...

M. Patrick Chaize, sénateur, président du conseil d'administration de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel. - Mon propos s'articulera autour de quatre axes.

Le premier est la complétude des réseaux. En 2010, l'État a misé sur le déploiement privé des réseaux, conformément à une condition imposée par la Commission européenne, et a attribué différents territoires aux opérateurs privés. Les opérateurs devaient choisir les leurs et, dix ans plus tard, en 2020, les réseaux devaient y être intégralement déployés.

Malheureusement, cet objectif n'a pas été atteint et, aujourd'hui encore, dans les zones couvertes par les opérateurs privés, les réseaux ne sont pas intégralement déployés. Ainsi, paradoxalement, dans certains territoires couverts par la puissance publique, le réseau est intégralement déployé, alors que les zones prises en charge par le privé ne le sont pas. D'où des déséquilibres incompris par nos concitoyens sur le terrain. Cette situation est d'autant plus incompréhensible que les zones couvertes par le public sont les plus difficiles à équiper.

J'ai donc du mal à comprendre que, pour choisir les communes dans lesquelles le réseau de cuivre sera fermé, on privilégie l'équilibre entre opérateurs d'infrastructure (OI) du point de vue du nombre de prises déployées plutôt que les opérateurs qui ont le plus oeuvré pour la complétude de leur réseau. C'est une manière de récompenser les mauvais élèves et de sanctionner les bons...

J'ajoute que le renoncement par l'État à cet objectif de complétude, pourtant fixé par le Président de la République pour 2025, s'est matérialisé par la renégociation de l'accord de 2018 avec Orange fondé sur l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques. Cette reculade généralisée, présentée pourtant comme une avancée, nous montre que les collectivités et le régulateur sont seuls pour défendre aujourd'hui cette exigence de complétude.

Il y a plusieurs exigences à défendre ; je me tourne vers le régulateur pour lui demander de tenir bon, dans la durée, pour empêcher la suppression du réseau de cuivre en l'absence du réseau de fibre ; on doit tenir, pour pousser l'opérateur historique à la complétude, notamment en zone très dense mais aussi en zone relevant d'un appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii). Il convient que l'Arcep fasse respecter l'obligation réglementaire de complétude des points de mutualisation en cinq ans au maximum. L'Arcep a bien adressé des mises en demeure, mais aucune pénalité n'a été prononcée dans ce domaine.

Cela dit, l'État doit également honorer sa signature pour financer les décaissements des collectivités dans le cadre du plan France Très Haut Débit ; je me tourne plutôt vers l'ANCT à cet égard. À ce jour, le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 ne permet pas de couvrir l'ensemble des besoins des collectivités. J'ai donc rappelé hier à Antoine Armand, en commission des finances, l'engagement de l'État envers les collectivités et le risque du transfert de dette de l'État vers ces dernières. Je rappelle en outre un engagement, confirmé par un courrier signé de trois ministres, pour ce qui concerne les crédits de Mayotte, dernier département français à se lancer dans un projet de déploiement de la fibre optique. La fibre optique pour tous doit être financée, réellement, pour tous. Si l'État s'arrête au milieu du gué, les collectivités ne pourront pas finir seules le travail...

L'État doit également honorer sa signature, sans quoi les réseaux d'initiative publique (RIP) cesseront tôt ou tard leurs travaux. Or rendre raccordables 100 % des locaux ne suffit pas, il faut les raccorder effectivement et, entre l'absence d'infrastructures mobilisables - si le fourreau est bouché, par exemple - et le fait que les logements neufs ne peuvent plus bénéficier depuis 2021 du service universel du cuivre, le raccordement ne va pas de soi.

En ce qui concerne le domaine public, la Banque des territoires propose de permettre l'utilisation des fourreaux d'Orange ; cela paraît être la meilleure solution, puisque cela ne requiert pas un euro d'argent public. Quant à la partie privative, elle nécessitera la mise en oeuvre d'un dispositif d'aide publique, éventuellement sous condition de ressources, liée à la fermeture du réseau de cuivre, qui est imposée à tous. Il faut donc aider ceux qui n'avaient pas prévu de passer à la fibre à le faire. L'État a prévu une expérimentation en ce sens dans le PLF 2025 ; c'est une bonne nouvelle. Toutefois, si cette expérimentation donne de bons résultats et si l'aide est pérennisée, tout en étant gérée par l'État afin de garantir l'égalité de traitement des clients quel que soit l'opérateur, cette aide devra être indirectement financée par les opérateurs privés.

Il ne faudrait pas céder à la facilité, de plus en plus promue par les opérateurs commerciaux (OC), qui consisterait à laisser tomber le raccordement à la fibre optique pour tous et à privilégier des technologies de substitution, comme la 4G fixe ou le raccordement par satellite. L'objectif de 100 % fibre doit demeurer l'ambition affirmée haut et fort par le Gouvernement. En effet, ces technologies, dont certaines ne sont pas souveraines, pourraient être plus présentes dans les zones Amii et les zones très denses, c'est-à-dire les zones les plus urbanisées du territoire, du fait de la moindre couverture de celles-ci par rapport aux zones bénéficiant d'un RIP.

Enfin, c'est la troisième exigence, il ne faut pas oublier l'enjeu de la « raccordabilité » de chaque Français, sans quoi nous laisserons entre 500 000 et 1 million de foyers sans solution de raccordement, alors que le réseau de cuivre va être bientôt fermé.

Le deuxième axe de mon intervention concerne la qualité des déploiements, promesse non tenue. Les indicateurs de suivi faussent la lecture et aggravent la situation.

La qualité des raccordements n'est en effet pas au rendez-vous. Les indicateurs de l'Arcep indiquent une amélioration, mais ils ne mesurent pas l'état des réseaux, donc les dégâts du mode Stoc (sous-traitance à l'opérateur commercial), non plus que les incidences sur ces réseaux. L'Arcep mesure les échecs au raccordement, c'est bien, mais ce n'est pas la mesure des conséquences du mode Stoc. Elle se demande si l'opérateur a pu faire démarrer la voiture, sans se demander s'il a dû défoncer la portière, casser le pare-brise ou arracher la moitié de la carrosserie ; tant que l'épave roule, tout va bien... Les opérateurs peuvent ainsi se féliciter que les choses aillent mieux, d'autant que, puisque les raccordements diminuent, leurs échecs diminuent aussi. Bref, cet indicateur ne témoigne véritablement pas de l'état du réseau.

L'Arcep mesure en outre l'évolution du nombre d'incidents, mais cette information n'est pas totalement partagée entre l'opérateur commercial et l'opérateur d'infrastructure. Un OC peut être intervenu à plusieurs reprises pour un problème d'accès à la fibre pour son client sans en avoir informé l'opérateur d'infrastructure (OI) via un ticket d'incident. Bien souvent, celui-ci n'apprend qu'incidemment l'existence de tels problèmes, quand il en est avisé par des élus, alertés eux-mêmes par les habitants. L'OC peut ouvrir un ticket d'incident mais, si le ticket a été ouvert à tort, ce n'est pas pris en compte dans les indicateurs. Bref, cet indicateur est laissé au bon vouloir des opérateurs commerciaux ; or ceux-ci souhaitent afficher que cela va mieux...

Quant aux mesures successives de la filière, plus personne n'y croit vraiment. La présidente de l'Arcep l'a formellement déclaré en septembre dernier, je l'en remercie. Toutefois, le nouveau ministre de l'industrie ne veut pas se saisir du sujet, si l'on en croit les propos qu'il a tenus au journal Les Échos la semaine dernière. La seule solution est donc de passer par la loi. Ma proposition de loi est peut-être perfectible, mais aucune autre proposition d'amélioration n'est venue d'où que ce soit, notamment des opérateurs, qui ont refusé de participer au débat. De fait, cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité par le Sénat. Un autre texte sur le même sujet a été déposé le 15 octobre à l'Assemblée nationale par M. Jean-Louis Thiérot, l'actuel ministre délégué chargé des anciens combattants, lorsqu'il était député ; c'est, à la virgule près, le texte adopté par le Sénat... J'en ai donc parlé au ministre et j'espère qu'il pourra peser de tout son poids au sein du Gouvernement pour que notre texte soit inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Troisième point de mon propos : la résilience des réseaux. Nous ne pouvons être que favorables à tout ce qui peut améliorer celle-ci, à commencer par l'arrêt des dégâts provoqués par les raccordements du mode Stoc, première cause de non-résilience. Le véritable sujet est toujours le même : comment payer les travaux nécessaires à une plus grande résilience ? Cette question est d'autant plus essentielle que l'équilibre financier de la plupart des RIP n'est pas assuré. En ce qui concerne la gestion de crise, en cas de catastrophe - tempête, inondation -, la préfecture a toujours le même réflexe : interroger Orange, sans considérer les autres OI ni les acteurs publics du déploiement de la fibre optique.

J'en arrive à mon quatrième et dernier axe : l'équilibre économique des RIP.

Les collectivités ont lancé leurs travaux de déploiement dans un contexte différent de celui d'aujourd'hui. Il n'était pas possible de tout anticiper ; citons ainsi le changement de tarification du réseau Fiber to the Home (FttH), imposé par l'Arcep, le peu de retour d'expérience sur le mode Stoc et le financement des réparations des dégâts, la hausse plus rapide que prévu du coût du génie civil d'Orange, le manque d'entretien des supports aériens, notamment d'élagage - les RIP concentrent 83 % des supports aériens utilisés pour le déploiement de la fibre optique -, l'arrêt par l'État du service universel en 2020, l'absence de péréquation pour l'exploitation, alors qu'il y en avait une pour le premier établissement - tous les réseaux publics, comme l'électricité, ont un fonds de péréquation -, ou encore l'effet de plus en plus fort du changement climatique, notamment sur les réseaux aériens.

Les réseaux d'initiative publique ne sont pas tous confrontés aux mêmes difficultés ; leur situation dépend de la topologie de l'habitat et des réseaux, de l'exposition aux aléas climatiques et de la capacité du RIP à construire un réseau souterrain plutôt qu'aérien.

Il convient donc, et c'est urgent, de remettre en place une péréquation, sur le modèle du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé), et de rétablir le service universel. Bref, il faut prolonger tout ce dont a bénéficié France Télécom, puis Orange par le passé.

Mme Laure de La Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. - Je suis heureuse d'intervenir devant vous ce matin pour faire le point sur ce chantier majeur d'infrastructure, essentiel pour nos concitoyens et les entreprises de nos territoires, qui a débuté voilà plus de dix ans.

Je rappellerai tout d'abord le rôle de l'Arcep dans le déploiement du plan France Très Haut Débit. L'Autorité a posé un cadre réglementaire visant à encourager les investissements efficaces et le co-investissement afin de couvrir tout le territoire en réseau fixe de fibre optique de qualité. Ce cadre réglementaire a été salué par une étude du cabinet Morgan Stanley, soulignant que la France est le pays dans lequel le cadre réglementaire de déploiement de la fibre s'appuie sur les investissements les plus efficaces, car il évite les doubles déploiements existant dans d'autres pays européens. Notre autre rôle est de contrôler les actions des opérateurs au regard des obligations de ce cadre réglementaire et d'informer les citoyens et collectivités sur la couverture fixe et mobile.

Le territoire est devisé en trois types de zones confiées à l'initiative privée :

Il y a d'abord les zones très denses - 106 communes -, où s'opère une concurrence par les infrastructures. Dans la majorité des cas, un seul opérateur déploie le réseau et il n'y a pas beaucoup de chevauchements. Nous n'avons pas conçu de cadre réglementaire au-delà du code européen des télécommunications, qui prévoit que, dans les zones pouvant présenter un intérêt pour l'ensemble des opérateurs, la concurrence s'applique.

Il y ensuite les zones Amii, que les opérateurs se sont réparties depuis 2010 et dans lesquelles ils se sont engagés à couvrir quelque 3 500 communes. À compter de 2018, ils se sont engagés, au titre de l'article L. 33-13, à couvrir 100 % des locaux en deux ans, avec 8 % au maximum des locaux raccordables à la demande.

Il y a enfin les zones relevant d'un appel à manifestation d'engagements locaux (Amel), qui sont des zones rurales dans lesquelles aucun projet RIP n'est lancé.

S'ajoutent à ces trois zones relevant de l'initiative privée les réseaux d'initiative publique, lesquels reposent sur un engagement fort des collectivités. En effet, dans certains territoires, ces zones sont en avance par rapport à la moyenne des zones très denses et Amii, ce qui peut occasionner une incompréhension des habitants des grandes villes. Via les RIP, les collectivités territoriales et les syndicats numériques, sont des acteurs régulés par l'Arcep.

Le fait que nous ayons désormais à réguler plus de 80 réseaux de fibre optique, contre un seul réseau de cuivre auparavant, a bien évidemment fait changer de nature le travail de l'Arcep.

Ainsi, à fin juin 2024, le réseau FttH couvre 89 % du territoire, après un rattrapage des zones RIP et des zones Amel au cours des dernières années.

J'en viens aux principales obligations issues du cadre réglementaire pour le déploiement du réseau FttH.

Première obligation : l'obligation de complétude des réseaux FttH. Les réseaux de raccordement des locaux doivent être déployés à l'arrière d'un point de mutualisation - l'armoire de rue - dans les cinq ans. Au printemps dernier, nous avons adressé à Orange et SFR une mise en demeure relative à 9 000 points de mutualisation concernant 600 000 locaux, pour lesquels ce délai n'a pas été respecté. Nous sommes très attentifs au respect de cette obligation de complétude. Quand nous mettons un opérateur en demeure de finaliser le déploiement, nous devons, aux termes du cadre réglementaire applicable, lui donner un délai lui permettant de le faire ; ce délai est calculé pour être ambitieux mais raisonnable. Nous serons également très attentifs au respect des engagements après mise en demeure.

Deuxième obligation : le déploiement du réseau de fibre comme préalable à la fermeture du réseau de cuivre. Nous sommes très vigilants sur ce point. La fermeture technique du réseau de cuivre du lot 1 est prévue pour la fin du mois de janvier 2025. L'autre étape importante dans la fermeture du réseau de cuivre est la fermeture nationale annoncée par Orange pour le 31 janvier 2026. Or, à cette date, le déploiement de certaines communes ne sera pas achevé, par exemple en Bretagne ou dans certaines zones Amii. Orange a donc révélé une liste de 350 communes qui ne seront pas concernées par cette fermeture nationale au 31 janvier 2026, au motif que les critères ne seront pas respectés. Nous sommes en pourparlers avec Orange pour que l'opérateur indique les autres communes qui feront l'objet d'un report, sachant que cela se détermine au fur et à mesure des déploiements. Nous serons en tout cas vigilants au respect des critères par Orange avant toute fermeture du réseau de cuivre.

Les engagements de déploiement du réseau FttH en zone Amii pris par Orange et SFR en 2018 au titre de l'article L. 33-13 font également l'objet d'une grande vigilance de notre part. Nous avons mis en demeure et sanctionné Orange pour non-respect du premier jalon de 2020 à hauteur de 26 millions d'euros ; ce n'est pas habituel pour un régulateur sectoriel, en tout cas pour l'Arcep, de prononcer des sanctions de ce niveau, car le processus de mise en demeure permet en général d'obtenir le résultat escompté. La sanction a été attaquée par Orange devant la juridiction administrative. Le Conseil d'État a validé vendredi dernier, non seulement son principe, mais encore son montant ! Cela montre l'importance que revêt le déploiement de la fibre optique pour les citoyens et pour la France.

La société Orange a renégocié sa deuxième échéance, celle de 2022, avec le Gouvernement. Les nouvelles obligations qui s'appliquent à elle ne conduisent pas à un raccordement à 100 % d'ici à 2025, mais elle s'est engagée à rendre les locaux raccordables à la demande et à créer une offre de détail de « raccordabilité » à la demande. Cette offre est maintenant disponible et nous veillerons à son déploiement et à la publicité qui en est faite ; elle doit permettre à une personne non raccordable de demander à l'être. Cela permettra de résoudre des demandes urgentes de clients, dans un délai maximal de six mois.

S'agissant de la qualité de service et d'exploitation des réseaux FttH, nous sommes très impliqués sur cette question. C'est un sujet de préoccupation personnelle depuis ma prise de fonction, car je n'imagine pas d'avoir un réseau neuf de fibre, technologie prometteuse, sans que la qualité soit à la hauteur. J'en ai donc fait une priorité.

En septembre 2022, la filière a pris, devant le Gouvernement et moi-même, un certain nombre d'engagements selon deux axes principaux.

Le premier axe est l'amélioration des actions au quotidien sur le réseau, qui passe par la formation des techniciens, la limitation à deux du nombre de rangs de sous-traitance, la mise en place de procédures de contrôle et d'échanges quotidiens d'informations entre OI et OC. Ce processus n'était pas en place auparavant, je ne suis donc pas étonnée des dysfonctionnements constatés. Aujourd'hui, dans l'immense majorité des cas, il n'y a pas plus de deux rangs de sous-traitance ; si vous constatez l'inverse dans vos territoires, faites-le-nous savoir. Les comptes rendus d'intervention avec photo ont été mis en place et sont, dans leur grande majorité, conformes. En outre, un outil de contrôle et d'échange d'informations - e-intervention - a été déployé par les opérateurs.

Le second axe concerne les actions de reprise de réseaux, lorsqu'ils sont trop accidentogènes. Les opérateurs nous ont notifié leurs plans de reprise et l'on constate de réelles améliorations. Nous avons mis en place un observatoire de la qualité des réseaux FttH ; nous en publierons la semaine prochaine la quatrième édition. Nous suivons le taux de panne sur les réseaux, calculé à partir des tickets d'incident transmis par les OC aux OI en cas de panne liée au réseau, et le taux d'échec au raccordement. L'analyse du taux de panne par réseau est intéressante, parce qu'elle permet de montrer que certains réseaux ont des taux de panne très élevés, quand d'autres ont des taux de panne faibles. Indépendamment des malfaçons sur le mode Stoc, que je ne nie nullement, certains réseaux posent spécifiquement problème. Je ne leur ferai pas l'affront de les citer, mais certains opérateurs ont des réseaux beaucoup plus accidentogènes que d'autres. Certains réseaux semblent donc, soit mieux construits, soit mieux exploités par les OI.

La prochaine édition de l'observatoire montrera une réelle amélioration du taux de pannes et du taux d'échecs au raccordement. Les plans de reprise produisent donc leurs effets, comme l'attestent les remontées de certains élus. Cela signifie également que la qualité quotidienne de service des opérateurs s'améliore, même si nous ne sommes pas encore au bout du chemin. Quoi qu'il en soit, c'est encourageant. À mon arrivée à l'Arcep, il existait un déni de la situation par les opérateurs commerciaux d'infrastructures et leurs sous-traitants. Certes, on enregistre au fil de l'eau un peu moins de raccordements, mais il en reste encore beaucoup. Il n'y a pas de saturation des réseaux en fibre, nous ne sommes pas au taux de pénétration maximal. Je serai vigilante jusqu'au bout pour continuer à améliorer la qualité de service.

Nous sommes en train de finaliser d'autres indicateurs qui refléteront mieux le mode Stoc, comme les taux de non-conformité des raccordements. C'est un travail très délicat de fiabilisation et d'échanges que nous menons avec les opérateurs. Nous exerçons une pression sur eux pour publier des indicateurs reflétant mieux les interventions elles-mêmes, conformément au souhait du président de l'Avicca.

Nous avons publié en juillet dernier le relevé géographique des déploiements actuels et à venir, qui donne une vision par départements et régions des prévisions de déploiement des opérateurs d'infrastructures. Certaines sont déjà à 100 %, d'autres sont à 95 %, mais prévoient de finir d'ici à 2025, d'autres sont encore plus en retard. Les données sont publiées en open data, et disponibles à échelle de la commune. Quoi qu'il en soit, en 2025, la couverture nationale atteindra 95 % des locaux.

Dans le cadre de notre rôle d'information des élus, des collectivités et des citoyens, nous disposons également d'outils de cartographie en matière de déploiement de la fibre optique. Grâce à « Ma connexion internet », on peut avoir accès aux débits à l'adresse, aux statistiques par strates administratives - communes, départements, régions -, ainsi qu'aux cartographies des déploiements FttH.

Je ne voudrais pas conclure sans répondre à la question concernant l'extinction des réseaux 2G et 3G par les opérateurs.

Cette annonce a été faite en premier par Orange en février 2022 pour une fermeture de la technologie 2G à la fin 2025. Le cadre européen des télécommunications nous oblige à délivrer et à attribuer les fréquences de façon neutre technologiquement. Les fréquences utilisées pour la 2G pourront l'être demain pour la 4G, sans intervention de l'Arcep. Bouygues et SFR éteindront la technologie à la fin 2026. Si Orange éteint ses réseaux, c'est pour réutiliser les bandes de fréquences de la 2G, mais aussi pour des raisons économiques et environnementales. En tout état de cause, l'Arcep n'a pas de levier pour enjoindre aux opérateurs de reporter cette extinction, mais nous leur avons demandé des informations sur les actions mises en oeuvre pour piloter l'extinction du parc des cartes SIM 2, qu'il s'agisse des téléphones, des systèmes d'alarme, des ascenseurs, des voitures, etc.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci de vos réponses sur la fermeture de la 2G. C'est un sujet sensible pour nos territoires ruraux.

M. Zacharia Alahyane, directeur des programmes France Mobile et France Très Haut Débit de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. - La dynamique de l'éligibilité des locaux au FttH a été excellente durant la dernière décennie, avec un pic lors de la crise sanitaire en 2020. Nous enregistrons depuis un ralentissement. Ces chiffres s'appuient sur l'observatoire de l'Arcep publié à la fin du mois de juin 2024. Pour le dernier semestre 2024 et pour l'année 2025 environ 4,5. millions de ne sont toujours pas éligibles.

La mécanique tourne très bien, nous en sommes tous fiers. L'objectif, ambitieux au départ, de généralisation de la fibre en 2025 apparaît à notre portée. Mais le plus dur reste à faire, comme l'ont souligné le sénateur Chaize et la présidente de l'Arcep, car ce sont aujourd'hui les lignes les plus complexes qu'il nous reste à déployer.

Je souhaite maintenant évoquer le niveau de couverture par département. Si on s'approche des 100 %, on ne l'atteint jamais en raison de la dynamique immobilière : un territoire bloqué à 100 % serait un territoire qui perdrait des habitants. Notre objectif est que cette la couverture de l'ensemble des départements approche 100 % d'ici à la fin de l'année 2025. Aujourd'hui 89 % des locaux du territoire national sont raccordables à la fibre, soit 39 millions de locaux, ce qui place la France en tête du classement européen. La dynamique que nous avons installée grâce à un cadre réglementaire et grâce à des choix politiques spécifiques a permis un niveau de déploiement assez exceptionnel.

Par ailleurs, l'appropriation de la fibre par nos concitoyens ne cesse de progresser. Les chiffres sont assez éloquents : 25,5 millions d'abonnements très haut débit (THD) en France, dont 23 millions d'abonnements fibre. Cela signifie que les nouveaux abonnements concernent la fibre. Nos concitoyens l'attendent, ce qui conforte les efforts que nous avons tous consentis ces dernières années, qu'il s'agisse de l'État, des collectivités ou des opérateurs.

Le déploiement en zone RIP est piloté par l'ANCT, en lien avec les collectivités, conformément au choix politique qui a été fait. Les zones d'initiative publique, ce sont celles où l'on fait un constat de carence de l'initiative privée. Comme l'a souligné le sénateur Chaize, il s'agit des zones les plus rurales et les plus complexes à raccorder.

Les collectivités se sont parfaitement saisies du problème, sans contrainte sur les porteurs de projets : il peut s'agir du département, du conseil régional, d'un syndicat mixte créé pour l'occasion, d'un syndicat d'énergie. Nous n'avons pas imposé de schéma ni de forme de contrat, mais il s'agit très souvent d'une concession de délégation de service public afin d'optimiser la dépense publique.

Au total, 14,6 millions de locaux en zones rurales sont raccordables au FttH sur les 17,3 millions de locaux que compte la zone d'initiative publique, en l'état actuel des bases de locaux à la fin du mois de juin 2024.

Les zones RIP sont caractérisées par davantage de dispersion dans le niveau de déploiement. Beaucoup plus de départements ont dépassé le taux de 95 %. Cela rejoint ce qu'a dit la présidente de l'Arcep : dans certains territoires, la zone d'initiative publique est plus avancée que la zone d'initiative privée. Les zones rurales sont donc plus déployées que les zones urbaines, ce qui est assez contre-intuitif.

Force est donc de reconnaître que les collectivités porteuses de projets se sont emparées du sujet avec volontarisme et ont créé une dynamique. L'ANCT les a accompagnées techniquement, mais aussi financièrement pour le compte de l'État à hauteur de 3,6 milliards d'euros versés en subvention aux territoires.

Certains territoires en zone RIP sont malgré tout en retard. Il s'agit des territoires qui rencontrent plus de difficultés que les autres en raison de complexités locales. Ils font l'objet d'une attention particulière de l'ANCT via des dispositifs d'accompagnement et d'audit afin de les aider à ancrer le plus vite possible un rythme industriel de production des lignes et d'aller atteindre la cible de 2025.

Nous savons d'ores et déjà que quelques territoires ne seront pas au rendez-vous à cette date. Ce sera le cas de la Bretagne, qui a fait le choix de viser dès le départ 2026. Ce sera également le cas de Mayotte, car le projet mahorais n'a pas encore démarré. Nous souhaitons que l'attribution de la délégation de service public ait lieu dans les toutes prochaines semaines. C'est essentiel pour que Mayotte dispose d'un réseau fibré au même titre que l'ensemble du territoire national. L'une des particularités de l'île est que l'entièreté de son territoire est une zone d'initiative publique. L'autre particularité est qu'étant un département depuis 2011, elle n'a pas bénéficié du plan téléphone des années 1970 et ne dispose pas d'un réseau téléphonique préexistant en fil de cuivre.

En bref, la dynamique en zone d'initiative publique est, elle aussi, excellente, et nous l'accompagnons, avec 2025 en ligne de mire. Quelques territoires sont en difficulté, mais nous travaillerons à leur côté pour la généralisation de la fibre.

Une dynamique de déploiements ne peut s'envisager sans qualité.

La qualité des déploiements détermine la performance des réseaux dans le futur. Un réseau qui fonctionne aujourd'hui peut ne plus fonctionner demain si la qualité de sa réalisation n'est pas à la hauteur : la fibre n'est pas destinée à être remplacée, elle est là pour plusieurs dizaines années ; ce qui va changer, en revanche, ce sont les équipements optiques des opérateurs commerciaux, qui évolueront pour aller vers la meilleure technologie afin d'offrir toujours plus de services à nos concitoyens. Aujourd'hui, on passe du flux vidéo par ADSL, c'est-à-dire sur du fil de cuivre : qui imaginait cet usage il y a cinquante ans, dans les années 1970 ? Il en ira de même pour la fibre que nous installons aujourd'hui. Quel usage en ferons-nous dans cinquante ans ? Personne ne peut l'anticiper. Il importe donc de très bien construire nos réseaux pour ne pas avoir à les reprendre plus tard : il serait inadmissible de devoir couper dans dix ans l'accès internet de milliers d'abonnés parce que nous aurions financé un réseau de mauvaise qualité.

La qualité des raccordements, quant à elle, détermine l'appréciation de nos concitoyens du plan France Très Haut Débit de l'ANCT. C'est la dernière étape du déploiement, celle où le réseau entre dans le logement de nos concitoyens. Il nous faut, là encore, préserver la qualité. Vous le savez mieux que moi sur vos territoires, des mauvais raccordements, cela revient aussi à abîmer les réseaux construits.

L'ANCT s'est donc dotée d'un outil de contrôle via des audits de qualité des projets. L'objectif est d'accompagner les collectivités dans le renforcement de leurs projets. On ne saurait imaginer qu'un territoire dispose d'un réseau de moins bonne qualité que son voisin, cela risquerait d'éloigner les investisseurs. Les audits donnent de la force aux territoires vis-à-vis des opérateurs d'infrastructures, qui essaient bien souvent d'optimiser la dépense.

Il s'agit également de diagnostiquer les éventuelles difficultés, et de proposer des solutions techniques et opérationnelles concrètes. L'ANCT ne lâche rien et agit en bonne intelligence avec les territoires. Je précise que nous ne réalisons ces audits que sur les réseaux d'initiative publique que nous finançons. Nous n'en faisons pas dans les zones privées.

Le président Longeot a évoqué la question de la résilience. L'Arcep en donne une excellente définition en indiquant qu'il s'agit de la : « capacité d'un opérateur à s'assurer le retour à un fonctionnement normal des infrastructures qu'il opère et des services qu'il fournit dans le délai le plus court possible, à la suite de défaillances majeures de son réseau causant des dégradations et interruptions de service ».

Un réseau résilient n'est donc pas un réseau résistant absolument à tout. C'est un réseau qui peut rencontrer des difficultés, mais qui est capable de retrouver très rapidement un fonctionnement normal. La fin du réseau en cuivre est prévue pour 2030 : la fibre deviendra alors le réseau de référence des communications électroniques. Si un événement majeur entraînait des difficultés pendant cinq ou six jours, cela ne manquerait pas d'avoir un impact important. Je pense aux catastrophes naturelles, mais aussi aux accidents industriels, aux atteintes involontaires lors de travaux sur la chaussée, aux pannes majeures d'équipements du réseau, aux actes de malveillance, etc.

Pour autant, les enjeux de résilience des réseaux s'étudient et se travaillent à « froid ». Ce n'est pas lorsque survient l'événement lui-même que l'on fait de la résilience. Lors de l'événement, on est dans l'urgence et on essaie de s'en sortir comme on peut. Voilà pourquoi il est déterminant de préparer cette résilience.

L'ANCT a travaillé avec la Banque des territoires à la publication d'un guide destiné à donner des clés de compréhension sur le contexte de la résilience aux porteurs de réseaux d'initiative publique, aux préfectures, mais aussi à l'ensemble des acteurs. Il s'agit d'une méthode d'élaboration d'un schéma local de résilience destiné à recenser les risques sur un territoire donné et les réponses à y apporter. C'est déterminant, mais ce n'est que la première étape. Certains acteurs industriels me disent que la résilience c'est l'enfouissement : c'est faux ! Il ne peut s'agir que d'une réponse ponctuelle, en aucun cas d'une réponse globale.

L'architecture d'un réseau est, selon moi, la première étape de la résilience. Si le réseau est doublé, s'il passe par deux endroits différents, le flux d'information ne sera pas interrompu si l'une des sections est coupée. Nous encourageons donc le plus possible ce bouclage. Les équipements ont aussi toute leur importance : avons-nous des pièces de rechange ? Quid également de la résilience des réseaux d'énergie ? Sans parler du sujet organisationnel. Jusqu'à présent, en cas d'événement majeur dans un département, la préfecture appelait l'opérateur historique Orange. Demain, ce ne sera plus possible, car il y aura plusieurs opérateurs sur un même territoire. La gestion des crises sera donc plus complexe. C'est la raison pour laquelle l'ANCT travaille avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) pour mettre à jour le guide des plans Orsec Retap'Réseaux.

Par ailleurs, nous avons organisé avec nos collègues de l'Arcep et du ministère de l'économie des retours d'expérience de tous les territoires de la façade Ouest qui ont subi des événements climatiques en 2023. On doit en tirer des conclusions et le plus d'enseignements possible, c'est important pour l'ensemble des territoires.

M. Sébastien Fagnen, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire. - Ces interventions viendront nourrir utilement l'avis budgétaire que je vous présenterai dans quelques semaines.

L'année 2024 est une année charnière pour le développement de la fibre optique en France, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, après une décennie de progrès rapides, la vitesse du déploiement des réseaux marque le pas. Le plus dur est effectivement devant nous, car nous devons achever la couverture dans un contexte particulier d'attrition budgétaire.

Par ailleurs, l'étendue des réseaux de fibre optique rend aujourd'hui plus que jamais cruciales les questions de qualité du raccordement final et de résilience.

Enfin, comme l'a mentionné le président Longeot, la fermeture du réseau « cuivre » est programmée à un horizon extrêmement proche.

Tout d'abord la question du déploiement de la fibre optique dans le contexte budgétaire que nous connaissons me semble cruciale. Après un coup de rabot de 25 % des crédits de paiement en plein exercice budgétaire en février dernier, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une nouvelle diminution de moitié des crédits. Cette situation menace le déploiement des RIP mené par les collectivités locales, alors que ces crédits ont vocation à financer des dépenses engagées depuis plusieurs années.

Comment l'ANCT, qui est chargée de la gestion des crédits du plan France Très Haut Débit, a-t-elle géré cette réduction inopinée de ses crédits ? Quel sera son impact sur le rythme du raccordement ?

Comment les collectivités territoriales accueillent-elles cette nouvelle donne budgétaire, qui vient s'ajouter à des efforts exigés ? Met-elle en péril les finances des plus volontaristes d'entre elles ?

Mon collègue Saïd Omar Oili vous posera tout à l'heure une question complémentaire relative au déploiement de la fibre à Mayotte. Un amendement avait été adopté lors du projet de loi de finances pour 2024 à l'initiative de notre commission, mais ces crédits ont été particulièrement malmenés, car il a fallu faire des économies au premier semestre de l'année 2024.

Par ailleurs, sur la qualité du raccordement final au réseau, nous espérons que la proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize adoptée à l'unanimité prospérera à l'Assemblée nationale. Quel bilan tirer des engagements des opérateurs depuis 2020 ? La qualité de service progresse-t-elle ? Faut-il que le législateur prenne des mesures afin de régler cette situation ?

Je m'inquiète également de la résilience des réseaux, mise à mal par des événements météorologiques extrêmes, ainsi que par des actes de malveillance et de sabotage, comme le 29 juillet dernier. Comment assurer une meilleure protection de nos réseaux de fibre optique ? Comment faire face aux coûts des investissements à venir, estimés entre 5 milliards et 15 milliards d'euros par la Banque des territoires ? Il ne faut jamais perdre de vue la matérialité des réseaux, et donc la nécessaire sécurisation de ces derniers contre les aléas climatiques, qui sont appelés à être de plus en plus récurrents et violents, mais aussi contre les actions de sabotage. Comment assurer une meilleure protection ? Vous avez apporté quelques éléments de réponse, mais ce débat n'a pas fini de nous agiter.

Cette question de la résilience est d'autant plus cruciale dans le contexte de fermeture du réseau de cuivre. Je partage pleinement les interrogations du président Longeot : comment envisager une telle fermeture alors que l'ensemble du territoire n'est pas encore raccordé ? Ne faudrait-il pas prendre d'abord des mesures fermes de garantie de qualité du raccordement au réseau de fibre optique afin d'éviter que certains de nos concitoyens ne soient captifs d'un réseau de faible qualité ? Quels enseignements peut-on d'ores et déjà tirer des premières expérimentations de fermeture ?

Je terminerai enfin par les perspectives budgétaires : quid du financement dans le projet de loi de finances pour 2025 des raccordements complexes, lesquels seront éminemment stratégiques ?

M. Zacharia Alahyane. - Malgré les annulations de crédits prévues en février dernier, nous serons en mesure d'assurer l'ensemble des versements du programme France Très Haut Débit pour l'année 2024, donc de répondre favorablement à l'ensemble des demandes.

Les raisons en sont multiples. Tout d'abord, les crédits de paiement versés jusqu'à présent ont été supérieurs aux besoins. Tout se passera donc bien pour 2024. En 2025, nous allons effectivement enregistrer des baisses de crédits de paiement, mais cela n'est pas anormal. Un certain nombre de territoires en zone RIP ont fini ou quasiment fini leur réseau : fatalement, il y aura moins de demandes. En revanche, force est de constater que, selon les prévisions, cette demande pour l'année 2025 sera supérieure aux 200 millions d'euros aujourd'hui prévus par le programme France Très Haut Débit.

Comme vous l'avez rappelé, le cadre budgétaire est très contraint. Nous nous attachons donc à actualiser les besoins. Cet exercice subtil que nous menons avec l'ensemble des porteurs de projets sera terminé au tout début du mois de décembre. Nous disposerons alors de chiffres plus robustes. Quoi qu'il en soit, il n'y a absolument pas de remise en cause des engagements de l'État. Les conventions signées par l'ANCT resteront valides. L'impact est donc plutôt sur la trésorerie. Reste à savoir qui absorbera les éventuels surcoûts de 2025. Si d'aventure nous devions manquer de crédits, nous essaierions de trouver la solution la plus intelligente pour préserver l'ensemble des projets.

Mme Laure de La Raudière. - Vous m'avez interrogée sur les résultats et le bilan des actions des opérateurs sur la qualité des réseaux. Je le redis, l'Arcep constate aujourd'hui des améliorations, mais nous ne sommes pas au bout du chemin - cela figurera dans le prochain observatoire de la qualité des réseaux en fibre optique.

Vous m'avez aussi interrogée sur d'éventuelles mesures législatives, notamment au regard de la proposition de loi de Patrick Chaize en instance d'examen par l'Assemblée nationale. Je soutiens les articles 4 et 5 de ce texte. L'article 4 vise à donner de nouveaux pouvoirs à l'Arcep pour réaliser des audits de qualité à la charge des opérateurs. Notre budget aujourd'hui ne nous permet pas de faire des audits de terrain comme nous le faisons dans les enquêtes de qualité des services mobiles, qui sont à la charge des opérateurs. Avec un dispositif similaire, l'Arcep pourrait réaliser des audits de qualité et neutres. L'article 5, quant à lui, porte sur le droit de la consommation. Il ne s'agit pas de réguler le marché de détail, mais cet article, qui donne des obligations aux opérateurs, permettrait d'améliorer la qualité.

Quant à notre retour d'expérience sur les premières fermetures du réseau de cuivre, elles se sont globalement bien passées, mais il s'agissait de tous petits lots. Fin janvier prochain, nous serons sur 200 000 lots : c'est un peu plus volumineux, mais ça reste encore gérable. Nous passerons à l'échelle industrielle lorsque nous nous attaquerons au lot 2. Pour information, Orange est actuellement en concertation avec les collectivités sur le lot 4 de fermeture du réseau de cuivre, qui interviendra fin 2027.

M. Patrick Chaize. - Sans surprise, les collectivités locales perçoivent ce nouveau budget avec beaucoup d'inquiétudes. La diminution des crédits est une mauvaise idée : ce ne sera qu'un report de charges ! Cela pourrait avoir des conséquences sur les budgets des collectivités locales, lesquelles devront peut-être avoir recours à l'emprunt. Il ne s'agit donc pas d'une non-dépense. Il importe de le faire comprendre aux services de Bercy. Nous avons d'ailleurs commencé à discuter avec eux afin que cet élément soit pris en compte.

M. Saïd Omar Oili. - Comme l'a souligné mon collègue Sébastien Fagnen, les moyens du plan France Très Haut Débit ont subi des coupes budgétaires sévères ces dernières années.

Je tiens, en particulier, à mentionner la diminution des autorisations d'engagement pour 2024 du plan France Très Haut Débit, qui ont vocation à financer de nouveaux investissements. Ces dernières ont été réduites de 39 % en février dernier. Le projet de loi de finances prévoit également un niveau particulièrement faible d'autorisations d'engagement pour 2025.

Or, notre commission avait adopté un amendement conservé dans le texte définitif de la loi de finances, tendant à augmenter de 50,5 millions d'euros les autorisations d'engagement du plan.

L'objectif de cet amendement était de soutenir le déploiement des réseaux d'initiative publique à Mayotte, seul territoire ne disposant pas de moyens financiers permettant le déploiement de la fibre. Je rappelle, par ailleurs, que seuls 40 % des locaux ont un accès internet à très haut débit à Mayotte, contre environ 90 % au niveau national.

Dans un courrier adressé au président du conseil départemental de Mayotte daté du 20 juin 2024, l'ancien ministre aux outre-mer, Mme Guévenoux, l'ancien ministre délégué aux comptes publics, M. Cazeneuve, et l'ancien secrétaire d'État chargé du numérique, Mme Ferrari, avaient réitéré l'engagement du Gouvernement dans l'investissement de 50,5 millions d'euros pour le développement de la fibre optique à Mayotte.

Je vous informe également que le délégataire a été choisi par le conseil départemental de Mayotte. Une délibération sera prise dans ce sens en assemblée. Bien entendu, les élus de Mayotte s'attendent à ce que l'État respecte ses engagements.

Ma question s'adresse donc à M. Zacharia Alahyane. Le déploiement de la fibre optique à Mayotte est-il mis à mal par cette diminution des moyens du plan France Très Haut Débit ?

M. Damien Michallet. - Madame de La Raudière, vous avez dit que le déploiement du mode Stoc allait dans le bon sens, mais qu'il fallait des tableaux de bord différents pour s'assurer que cela correspondait bien à une réalité industrielle. À l'avenir, ce mode fonctionnera-t-il toujours dans le cadre du churn ou faudra-t-il opter pour un opérateur d'infrastructure ?

Monsieur Alahyane, j'ai bien entendu que le budget n'était pas remis en cause dans sa globalité. Le ministre Antoine Armand a insisté sur la nécessité de ne pas changer nos ambitions en matière de fibre optique. Cependant, si un décalage survient, qui paiera ? Qui assurera la trésorerie ? Cette alerte concerne particulièrement les territoires en retard comme la Bretagne ou Mayotte.

Par ailleurs, une enveloppe particulière a-t-elle été fléchée vers les raccordements complexes, dont le coût est estimé entre 600 millions d'euros et 1 milliard d'euros ?

Enfin, monsieur Chaize, nous croyez-vous réellement capables de procéder à 100 % du décuivrage des réseaux et de tenir le calendrier du plan de décommissionnement, pour atteindre le 100 % fibre à l'horizon de 2030 ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Merci d'avoir rappelé le rôle de l'ANCT dans le déploiement de la fibre et le soutien aux territoires. Le taux d'éligibilité au raccordement est compris entre 90 % et 95 %, mais qu'en est-il du taux d'abonnement ? Certains territoires sont-ils plus en retard que d'autres dans ce domaine ?

Faut-il s'attendre à l'avenir à une disparité tarifaire entre les territoires ruraux et urbains, ou les mêmes tarifs seront-ils maintenus sur l'ensemble du territoire français ?

Par ailleurs, le développement des data centers est un enjeu de sécurité majeur.

Je remercie Patrick Chaize de son engagement en faveur du développement du très haut débit dans tous les territoires.

M. Guillaume Chevrollier. - Merci d'avoir rappelé que l'État doit honorer sa signature dans le cadre du déploiement du plan France Très Haut Débit. Madame de La Raudière, quelles mesures envisagez-vous pour accélérer ce déploiement et tenir les objectifs du plan ? Dans votre rapport, publié en juillet dernier, vous avez indiqué que la fourniture d'informations trompeuses, erronées ou incomplètes constituait un manquement susceptible d'être sanctionné. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Je reviens enfin à l'amende, confirmée par le Conseil d'État, imposée à Orange pour non-respect de ses engagements. Quelles mesures concrètes pourraient être envisagées pour éviter de futures sanctions ?

M. Jean Bacci. - Dans la communauté de communes Lacs et Gorges du Verdon, sise dans le Haut-Var, le taux de couverture du réseau fibre s'élève à 30 %. Il y a quatre ans, comprenant que nous serions les derniers servis, la communauté de communes et le département s'étaient engagés à faire venir la fibre optique dans chaque village, au niveau des centrales téléphoniques. Les travaux nécessaires ont été menés durant les deux années suivantes. Toutefois, il a fallu des mois pour que l'appareillage nécessaire à l'alimentation de la fibre et à son fonctionnement soit installé par Orange. Cet appareillage est en outre sous-dimensionné. Compte tenu de la nature fortement touristique de notre communauté de communes, sa population est multipliée par quatre ou cinq, voire par dix dans certains villages pendant les vacances scolaires. En ces moments-là, le réseau ne fonctionne plus.

Nous avons par ailleurs mené d'importants efforts pour enfouir les lignes dans nos villages ou à tout le moins mettre les fils sous génoise aux endroits où la fibre était raccordée. Or nous voyons désormais fleurir des câbles sur toutes les façades, voire à travers les rues. N'étant jamais avertis des opérations de raccordement des sous-traitants des opérateurs, nous ne pouvons pas intervenir pour les empêcher de faire n'importe quoi.

M. Zacharia Alahyane. - Un courrier du Gouvernement a bien été transmis au territoire de Mayotte, le 8 juin dernier, annonçant un souhait d'accompagnement de ce territoire pour un montant maximum de 55 millions d'euros de subventions.

Le projet de délégation de service public va démarrer. Mayotte fait l'objet d'une attention toute particulière de notre part. Nous sommes à son entière disposition. Je salue le dynamisme et le courage de l'équipe chargée de ce projet.

À la suite de l'annulation des crédits survenue en février dernier, l'ANCT n'a pas retrouvé les autorisations d'engagement nécessaires pour pouvoir contractualiser. Or la contractualisation conditionne le dépôt, par les territoires, des dossiers de demande de subventions, que nous pouvons instruire ensuite. Sans autorisations d'engagement, nous ne pouvons rien faire.

Si le PLF devait évoluer, nous nous adapterions pour accompagner le territoire mahorais le mieux possible. Vous pouvez compter sur moi pour lui apporter un soutien technique permanent.

M. Patrick Chaize. - Le retrait des crédits de Mayotte dans le PLF est incompréhensible, d'autant qu'il n'engendrera aucune économie. C'est une erreur technique manifeste, dont j'ai déjà discuté avec le ministre. Pour que la collectivité soit rassurée et pour que le dossier soit traité dans de bonnes conditions, nous devons revenir à ce qui avait voté dans le PLF 2024. Je suis sûr que nous parviendrons à corriger ce point durant nos débats dans l'hémicycle.

Mme Laure de La Raudière. - Concernant l'expérimentation de migration d'un opérateur à l'autre désigné comme mode churn, notre observatoire de la qualité des réseaux en fibre optique a constaté une amélioration. J'ai néanmoins demandé aux opérateurs de conduire une expérimentation en mode « opérateur d'infrastructure » pour le churn, en cas de fermeture technique du réseau de cuivre. Orange, en tant qu'opérateur d'infrastructure, a sollicité les opérateurs commerciaux pour y travailler.

Il existe deux types de raccordements complexes : en domaine public et en domaine privatif. L'Arcep a publié une recommandation l'année dernière précisant la responsabilité de l'opérateur d'infrastructure de réaliser ces raccordements complexes en domaine public, à des tarifs potentiellement différents de ceux de raccordements classiques. Pour ce qui concerne la partie privative, une expérimentation a été annoncée par le Gouvernement la semaine dernière pour aider les ménages les plus modestes.

Les abonnements à la fibre représentent 70 % des abonnements d'accès à internet, et un taux de pénétration moyen sur les réseaux de fibre optique de 50 %. Le taux de pénétration des accès à internet par rapport au nombre de locaux en France avoisine quant à lui les 85 %.

Pour ce qui est des prix, le marché de détail n'est pas régulé. Les opérateurs commerciaux ont pour politique d'assurer une péréquation tarifaire, mais la question de l'équilibre financier des RIP se pose. Le tarif d'exploitation des RIP est proche de celui des zones Amii, mais devrait lui être légèrement supérieur. Nous avons entrepris un travail de fond sur ce sujet. Nous avons besoin de données des collectivités et des opérateurs en délégation de service public pour alimenter cette réflexion.

Par ailleurs, il n'existe pas de lien direct entre le déploiement des centres de données et celui des réseaux de fibre optique.

L'affirmation, contenue dans notre rapport de juillet, selon laquelle la fourniture d'informations erronées est passible de poursuites, est une expression classique pour les régulateurs. Les acteurs régulés sont responsables des informations qu'ils nous transmettent. Nous souhaitons des informations fiables. Si cette règle n'est pas respectée par un acteur de façon récurrente ou intentionnelle, une sanction doit s'appliquer. En cas de doute sur le respect de cette obligation par un opérateur, nous ouvrons une procédure. La formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction, dite formation RDPI, de l'Arcep examine le dossier. Si les faits sont caractérisés, nous mettons l'opérateur en demeure de respecter ses obligations. En cas de non-respect du contenu de la mise en demeure, nous décidons, selon les cas de figure, de notifier des griefs et d'imposer, ou non, une sanction. Nous assurons une forme de pilotage au moyen de questionnaires envoyés aux acteurs, comme dans une procédure de contentieux. Nos décisions peuvent être attaquées devant le Conseil d'État.

Enfin, tant que la fibre n'est pas déployée, les montées en débit installées par Orange dans la communauté de communes Lacs et Gorges du Verdon demeureront insuffisantes pour écouler le trafic. Des difficultés se présentent effectivement pour l'écoulement du trafic du réseau mobile compte tenu de la nature fortement touristique de la zone. Nous sommes attentifs à ce sujet. Nous nous efforcerons d'étudier ce phénomène dans notre prochaine enquête sur la qualité de service des réseaux mobiles.

M. Jean Bacci. - Dans les gorges du Verdon, nous n'avons pas de réseau mobile. Pas moins de 600 000 personnes visitent les gorges chaque année et ne peuvent même pas se servir de leurs téléphones portables en cas de problème. Pour assurer leur sécurité, le parc du Verdon et les pompiers ont instauré une radio pour l'été. Il est impensable que l'on n'ait pas de pylônes qui fonctionnent !

M. Patrick Chaize. - Monsieur Michallet, le churn a été abordé dans l'article 3 de la proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique. Cet article défend également un mode de raccordement par l'opérateur d'infrastructure.

Nous nous battrons par ailleurs pour que tous les endroits raccordés en cuivre soient raccordés à la fibre. Partout où il y a du cuivre, il faut de la fibre optique.

Certains opérateurs développent une tarification intéressante pour les offres de téléphonie. Dans le cadre du décommissionnement, certaines personnes n'ont en effet pas besoin d'une offre complète. Il existe des propositions tarifaires en fibre optique à des coûts équivalents à celui de l'accès téléphonique. Je remercie Louis-Jean de Nicolaÿ d'avoir rappelé notre combat de l'époque pour le choix de la fibre. Je remercie également Mme de La Raudière qui a beaucoup oeuvré dans ce sens en tant que députée.

Le déploiement désordonné, mentionné par Jean Bacci, de la fibre optique par les entreprises dans les villages, sans que les autorités locales en soient prévenues, est absolument anormal. Les entreprises doivent respecter le cadre réglementaire, notamment l'obligation de dépôt des déclarations d'intention de commencement de travaux (DICT). La collectivité a les moyens de s'assurer que ces travaux sont réalisés dans de bonnes conditions.

En 2018, a été instauré le New Deal mobile, qui, dans le cadre de la « couverture ciblée », a compté les collectivités territoriales parmi ses acteurs. Il serait intéressant de voir pourquoi le département pilote n'a pas identifié les gorges du Verdon comme une priorité de déploiement.

Il faut enfin que l'on trouve la bonne définition des raccordements complexes. Ce ne sont sûrement pas les raccordements qui coûtent cher. Il s'agit de deux sujets différents. Malheureusement, les opérateurs ont tendance à ne pas les réaliser en raison de leur coût.

M. Zacharia Alahyane. - L'ANCT pilote, au niveau national, l'ensemble du travail consistant à imposer aux opérateurs d'aller couvrir des zones, dans le cadre du New Deal mobile. Soit la couverture de certaines zones des gorges du Verdon est déjà prévue par la « couverture ciblée », auquel cas nous regarderons comment accélérer ce processus ; soit il n'en est rien et je peux vous garantir que ces zones pourront être couvertes par le dispositif. Nous sommes en effet à la fin du processus de décision. Le Gouvernement n'a pas fait état de sa volonté de prolonger le dispositif. N'hésitez pas à contacter l'équipe projet de votre département, la préfecture ou le conseil départemental pour davantage d'informations.

L'ANCT pilote par ailleurs un dispositif de subventionnement des raccordements complexes en domaine public. Plusieurs territoires nous ont fait des demandes de subvention, que nous instruisons. Nous nous apprêtons à contractualiser. Chaque convention établie avec les territoires en question couvre dix ans. Pendant dix ans, ces derniers pourront percevoir une subvention de l'État pour réaliser des raccordements. Ce dispositif est évidemment affecté par l'indisponibilité des crédits de paiement dans le PLF 2025. Tout cela sera géré le plus intelligemment possible en fonction des ressources dont nous disposerons.

M. Bernard Pillefer. - J'ai présidé il y a quelque temps le syndicat mixte ouvert Val de Loire Numérique qui a soutenu le déploiement de la fibre dans le Loir-et-Cher et en Indre-et-Loire. Le niveau de déploiement dépasse désormais les 98 %, et l'on relève un taux de pénétration, un peu décevant, de 50 %. Le décommissionnement du cuivre facilitera cependant cette montée en puissance.

J'en viens à la pérennisation des supports Orange après le décommissionnement du cuivre, sujet que j'avais évoqué déjà dans le groupe d'études Numérique présidé par M. Chaize. Ces supports seront à l'avenir uniquement des supports de la fibre tout en restant propriétés d'Orange. L'Arcep pourrait-elle engager des démarches pour le maintien de ces supports, qui sont vitaux ? Orange, qui n'assume déjà pas la maintenance nécessaire pour son propre réseau, reconnaît qu'il faudrait une offre de service pour remplacer le génie civil défectueux. Mais cette offre n'existe pas, et Orange ne respecte pas ses obligations. C'est un sujet important.

Les territoires se sont approprié le déploiement de la fibre, notamment dans le monde rural, et cela donne de bons résultats. Je remercie l'Arcep et l'ANCT pour nos échanges fructueux de l'époque. Il reste néanmoins le problème des branchements complexes. Nous avions oeuvré sur ce point pour un accompagnement spécifique de l'État auprès des opérateurs. J'ai cru comprendre qu'une contractualisation était envisagée. Ce serait bien de le préciser. J'espère que vous avez porté ce système à la connaissance des structures qui déploient la fibre. Je le vérifierai auprès du syndicat mixte ouvert Val de Loire Numérique.

La fermeture du 100 % cuivre est annoncée au 31 janvier 2026. Je rejoins les préoccupations de mes collègues Jean-François Longeot et Patrick Chaize à cet égard. Il faudra notamment faire preuve de vigilance quant à la prise en compte des réalités de terrain. Nous souhaitons qu'Orange entende ces messages. La qualité de maintenance des réseaux est par ailleurs essentielle. Déployer la fibre de façon qualitative est une chose, en assurer la maintenance en est une autre. Nous savons sur ce point quelles difficultés les collectivités territoriales rencontrent avec Orange.

Enfin, on peut se réjouir de l'importance du programme New Deal mobile, mis en oeuvre par l'État. Les collectivités locales, en partenariat avec les préfectures, ont conduit des opérations pour définir les zones à couverture ciblée, ce qui réduit considérablement le nombre de zones blanches. Je voudrais également vous alerter sur le sujet des zones grises, où l'on ne compte qu'un seul opérateur. Il faut forcer à la mutualisation des supports pour ménager la concurrence entre les opérateurs.

Mme Jocelyne Antoine. - La société Starlink, fournisseur d'accès à internet par satellites de SpaceX, a demandé à l'Arcep l'autorisation d'étendre ses fréquences pour ses satellites de seconde génération. L'Arcep ayant lancé une consultation publique sur le sujet en juin dernier, la société a fait tout un battage auprès de ses clients, en leur envoyant de multiples mails pour influencer leurs réponses. Comment la France pourrait-elle utiliser Starlink pour réduire la fracture numérique et garantir à tous l'accès à internet en haut débit ? Près de 6 300 satellites Starlink gravitent au-dessus de nos têtes. Le résultat de l'élection présidentielle américaine laisse présager un déploiement massif par Elon Musk de ces satellites, avec tout ce que cela implique en matière de manipulation de l'opinion.

Avez-vous déjà des pistes quant aux résultats de la consultation ? Comment gérez-vous les réponses de clients ayant subi un fort lobbying de la part de Starlink ? Répondrons-nous favorablement à la demande d'extension des fréquences de cette société et, le cas échéant, à quel niveau ?

M. Pierre Jean Rochette. - Comment peut-on, en lien avec l'Arcep, lutter contre les écrasements, véritable fléau pour les entreprises et les utilisateurs individuels ? Une entreprise peut être mise en difficulté pendant plusieurs jours avant que la source du problème soit identifiée. L'absence de possibilité de poursuite à l'encontre des entreprises responsables des écrasements est véritablement problématique.

M. Hervé Gillé. - Madame de La Raudière, quelle sera la destination de l'amende de 26 millions d'euros imposée à Orange si cet opérateur s'en acquitte ?

Par ailleurs, comment les audits de l'ANCT sont-ils communiqués ? Quelles sont vos interactions avec les parties prenantes du déploiement ?

Enfin, je souhaiterais évoquer la résilience. Il faudra mettre de l'ordre entre les responsabilités de l'État pour la sécurité civile et l'organisation de la planification de la résilience par les différents acteurs concernés, jusqu'aux communautés de communes et aux communes. Je serais favorable à un renforcement des instructions contenues dans les documents d'urbanismes, par exemple les schémas de cohérence territoriale (Scot). Les réseaux ont en effet une importance primordiale, et il serait pertinent de penser la résilience à l'échelle des Scot pour pouvoir l'organiser en subsidiarité.

M. Jean-Yves Roux. - Dans les Alpes-de-Haute-Provence le réseau de fibre optique est largement aérien et il a été déployé par SFR sur des pylônes d'Orange. Par conséquent, quand un pylône est à terre, Orange le remet en position puis, six mois plus tard, SFR vient raccrocher la fibre. Pourrait-on prévoir une intervention unique, par un seul des deux opérateurs ?

Le schéma de déploiement de la fibre dans le sud de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur n'a pas pris en compte toutes les habitations ; celles qui sont éloignées des répartiteurs ne sont pas couvertes. Ainsi, le réseau de cuivre doit être fermé prochainement alors que ces habitations ne sont pas raccordées à la fibre. Il s'agit souvent de fermes éloignées de 500 mètres des répartiteurs et les habitants concernés doivent payer le raccordement. Comment résoudre ce problème ?

M. Jean-Claude Anglars. - Dans l'Aveyron, le Lot et la Lozère, le taux de couverture est bon, mais le réseau n'est toujours pas déployé sur 3 % du territoire ; pour ces zones, c'est le raccordement à la demande qui s'applique. L'accompagnement financier des locaux concernés s'appliquera-t-il jusqu'au bout ?

Je signale d'ailleurs que le département de l'Aveyron a interdit à Orange de fermer le réseau de cuivre tant que la fibre ne serait pas déployée jusqu'au bout.

M. Zacharia Alahyane. - Monsieur Pillefer, le dispositif que j'évoquais précédemment est aujourd'hui mis en oeuvre : c'est l'appel à projets « raccordement complexe », qui dispose de 150 millions d'euros de subventions de l'État aux territoires, destinées aux RIP uniquement, afin de réaliser ces raccordements complexes. Il y a un jeu de négociation entre les territoires et les OI, surtout en délégation de service public concessive, pour répartir la charge.

Val de Loire numérique a en effet déposé un dossier ; nous en sommes ravis. Nous avons réservé des crédits pour ce syndicat ; c'est en cours d'instruction, mais dès que le dossier sera validé, nous contractualiserons. Ensuite, pendant dix ans, quand il y aura des raccordements complexes, nous verserons notre subvention pour que tous les locaux raccordables soient raccordés.

Vous avez également évoqué la maintenance, c'est ce que nous appelons la vie du réseau. L'ANCT n'accompagne et ne subventionne que le premier établissement du réseau, elle ne va pas au-delà. Cela ne signifie pas que l'on n'accorde pas d'intérêt à la vie du réseau, loin de là, le maintien en conditions opérationnelles d'un réseau est déterminant, mais nous nous attachons particulièrement au fait que les réseaux soient bien construits pour minimiser les efforts de maintenance. La vie du réseau exige de la ressource ; il faut donc s'assurer que le RIP prévoie un équilibre global afin que le financement de l'exploitation permette l'entretien. Ce sujet est essentiel, mais il relève plutôt de l'Arcep.

Le New Deal mobile est une politique publique stratégique. On n'a jamais fait autant dans les territoires que depuis la mise en oeuvre de cette politique. Nous avançons bien, mais nous en sommes à la fin de la phase d'identification. Nous publions les derniers arrêtés et les choses en resteront là si le dispositif n'est pas prolongé.

Monsieur Gillé, les audits sont un outil essentiel pour nous. Nous n'en menons cependant que pour les RIP que nous subventionnons, au titre d'une convention. Nous n'avons donc pas le droit d'auditer un réseau privé ; si un opérateur insistait pour que nous auditions son réseau, je le ferais volontiers, mais ils ne le font pas... L'audit est conduit en bonne intelligence avec les territoires ; cela leur demande du temps, cela bouscule un peu les collectivités, car un audit pointe des sujets sensibles. L'information est partagée seulement entre l'ANCT, le porteur de projet et l'opérateur concerné, ainsi qu'avec le comité de concertation présidé par le préfet Emmanuel Berthier, dont est membre l'Avicca, et avec le comité d'investissement. Par conséquent, l'ANCT ne rend pas publics les rapports d'audit ni les territoires audités. Bien sûr, si on nous pose la question dans un cadre particulier, je serai ravi de partager l'information, mais, spontanément, nous ne le faisons pas, car nous ne voulons pas que certains opérateurs prétendent que l'ANCT mène des actions ciblées contre eux. Notre seul souhait est de garantir que tous les réseaux déployés dans les RIP soient de qualité.

Sur la résilience, il y a encore beaucoup à faire, tout n'est pas parfaitement structuré. La résilience doit faire l'objet d'une réflexion à l'échelon local, elle ne peut pas être assurée uniquement à l'échelon national. Nous réfléchissons actuellement à des pistes, nous n'en sommes qu'au début, mais vous avez raison, c'est un sujet déterminant, qui crée d'ailleurs des obligations à la charge de tous les exploitants de réseau. En vertu de l'article 249 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et Résilience, les exploitants de réseau sont responsables et le préfet peut les solliciter pour qu'ils exposent leur plan de résilience. C'est un levier fort, dont les préfectures peuvent se saisir.

Monsieur Anglars, le territoire de l'Aveyron est couvert à 97 %, c'est un excellent ratio. Je félicite tous les acteurs ayant contribué à ce résultat, qui dépasse la moyenne nationale. Toutefois, il y a une situation particulière avec Orange, pour laquelle nous cherchons une solution. L'ANCT a une convention avec chacun des trois territoires que vous avez cités ; cette convention prévoit un déploiement à 100 % et nous subventionnerons jusqu'à ce que ce ratio soit atteint.

Mme Laure de la Raudière. - Au sujet des pylônes d'Orange et de la pérennisation du support de cet opérateur au-delà du démantèlement du réseau de cuivre, des obligations réglementaires contraignent Orange à donner accès à ses infrastructures de génie civil, pylônes et fourreaux. Cela fait l'objet d'une analyse de marché séparée de celle du réseau de cuivre, afin que ces obligations perdurent au-delà de la fermeture du réseau. Ce marché continuera d'être régulé, selon moi, car ces infrastructures sont essentielles pour les réseaux de fibre optique. Orange doit donc les maintenir en bon état. Pour être également élue d'un territoire rural, je sais que ce n'est pas le cas partout et que les réparations ne sont pas toujours faites rapidement. Nous leur demandons des comptes à cet égard.

J'ignore ce que les représentants d'Orange avaient en tête lorsqu'ils ont évoqué, l'idée de mettre en place une offre de services. Je les questionnerai prochainement pour savoir de quoi il retourne...

S'agissant de Starlink, la procédure d'attribution des fréquences à visée d'aménagement numérique nécessite une consultation publique. Nous ne sommes pas dupes : quand il y a 4 000 répondants à une consultation publique, c'est que cela a été orchestré par quelqu'un, en l'occurrence Starlink. L'Arcep dispose de peu de moyens d'action sur ce type de dossier. Le cadre juridique et réglementaire est très précis : nous n'avons que peu de motifs de refuser cette attribution. La décision n'a peut-être pas encore été prise, mais nous sommes de toute façon assez contraints.

Il n'y a pas que Starlink qui propose une offre satellite. Les collectivités doivent réaliser des tests, car d'autres offres sont de très bonne qualité. Certes, Starlink dispose de 6 300 satellites. À terme, l'entreprise prévoit de construire une constellation de quelque 12 000 satellites, mais c'est parce qu'ils sont placés à basse altitude : cela nécessite donc une flotte plus importante.

Monsieur Roux, sur les obligations de la zone Amel, notamment pour les fermes isolées, je rappelle qu'il existe une obligation de complétude de nature réglementaire. S'il y a de l'appétence pour un accès fibre dans les locaux isolés, il faudra les couvrir. S'il n'y en a pas, ces locaux pourront être raccordables à la demande. Le dispositif de raccordement à la demande vise à régler ces problèmes.

Monsieur Gillé, les 26 millions d'euros d'amende payés par Orange vont au budget de l'État, non de l'Arcep.

Monsieur Rochette, je reviendrai vers vous pour l'écrasement des lignes.

M. Patrick Chaize. - Il existe beaucoup d'incertitudes et de flou. Il conviendrait donc de se pencher sur le secteur de la fibre optique, mais aussi de la téléphonie mobile et du numérique afin de construire un vrai projet d'ensemble. C'est notamment le cas de la propriété des pylônes et des fourreaux de génie civil. La réponse à cette question a des conséquences importantes sur les tarifs. Il importerait de la clarifier une bonne fois pour toutes.

Les zones grises de téléphonie mobile, selon moi, ne devraient plus exister. Chaque habitation devrait être couverte par les quatre opérateurs. Tel est l'objectif du New Deal.

M. Bernard Pillefer. - Je me suis peut-être mal exprimé. Sur les nouveaux pylônes implantés, l'obligation est satisfaite. Mais il y a des territoires qui ne sont pas déclarés zones blanches aujourd'hui.

M. Patrick Chaize. - Non, la définition de la zone blanche a beaucoup changé. Avant le New Deal, il s'agissait d'un secteur non couvert et ce, par aucun opérateur. À présent, les quatre opérateurs doivent assurer une couverture, quel que soit le territoire. Ce n'est pas réglementaire, mais c'est l'objectif politiquement assumé et déclaré. A priori, on est en droit de s'attendre à ce qu'il soit atteint. Un bilan du New Deal mobile doit être fait à l'aune de cet objectif.

La loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France a constitué un premier pas en direction des territoires ruraux. Le Sénat a voté des amendements pour aller plus loin lors de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique. Résisteront-ils à l'examen du texte par l'Assemblée nationale ? Je l'ignore, mais c'est une mesure de bon sens qu'il faudrait défendre.

La question de la résilience est aussi d'ordre politique. La décision de déposer le réseau de cuivre est effectivement une décision d'entreprise qui a des conséquences politiques. Je regrette donc que le Gouvernement ne prenne pas cette question à bras-le-corps, pour que le réseau de fibre optique devienne véritablement le réseau de communication des Français, avec toutes les garanties que cela implique.

Par ailleurs, comme je l'ai déjà indiqué, il ne faut pas que les opérateurs confondent les raccordements complexes et ceux qui coûtent cher. Ils ont à couvrir l'ensemble du territoire et des zones à risque. Nous devons nous montrer vigilants sur ce point.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie de la qualité de vos réponses et salue l'engagement de mes collègues sur le déploiement des réseaux de fibre optique. Beaucoup reste à faire, et de nombreux problèmes à régler. Nous savons pouvoir compter sur vous pour nous accompagner. Il faudra ajuster certaines procédures pour que chacun de nos concitoyens puisse accéder à la fibre et ainsi à des moyens de communication correspondant aux besoins de notre siècle.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 00.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques

M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons le plaisir d'entendre ce matin Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, du climat et de la prévention des risques. Madame la ministre, il s'agit de votre première audition devant notre commission depuis votre prise de fonction le 21 septembre dernier. Pour les amateurs de statistiques, c'est la quatrième fois que vous intervenez devant nous, les fois précédentes en votre qualité de ministre de la transition énergétique.

Nous partageons un constat commun, comme vous me l'avez écrit pas plus tard que la semaine dernière : la lutte contre le dérèglement climatique et la protection de la biodiversité sont les défis de notre siècle. C'est donc pour nous l'occasion de faire un point sur l'état d'avancement des négociations internationales relatives à l'environnement et les dynamiques géopolitiques en matière de diplomatie climatique à la veille de la COP29, mais également sur la feuille de route que s'est fixée le Gouvernement en matière de priorités environnementales alors que vient d'être rendu public le troisième Plan national d'adaptation au changement climatique et, bien entendu, sur les enjeux budgétaires et fiscaux en amont de l'examen du projet de loi de finances pour 2025.

Premier sujet : les négociations internationales en matière environnementale. L'actualité est particulièrement riche en la matière : la COP16 Biodiversité à Cali s'est achevée le week-end dernier et la COP29 Climat à Bakou débutera le 11 novembre prochain, sans oublier la COP16 Désertification à Riyad, qui débutera le 2 décembre, et la session de négociation de l'Assemblée des Nations Unies pour l'Environnement de Busan (Corée du Sud), qui débutera le 25 novembre et visera à négocier un traité mondial de lutte contre la pollution plastique qui soit juridiquement contraignant. Notre commission a bien entendu suivi attentivement ces rendez-vous majeurs, en organisant des tables rondes faisant intervenir des experts - sur la COP16 et la COP29 - ainsi que des réunions du groupe de suivi des négociations et des enjeux internationaux en matière de développement durable, présidé par Ronan Dantec.

Nous aimerions recueillir votre analyse de l'issue de la COP16 Biodiversité, à laquelle vous étiez présente. De nombreux intervenants parlent d'un succès mitigé, voire d'un accord en demi-teinte, notamment parce qu'il laisse en suspens la question du mécanisme des financements entre pays du Nord et du Sud, mais également celle du cadre mondial permettant le suivi et l'évaluation des progrès. Malgré tout, des avancées sont à signaler, qu'il s'agisse de l'institution d'un fonds multilatéral pour assurer le partage des bénéfices issus du séquençage des ressources génétiques (le « fonds Cali ») ou de la représentation des peuples autochtones et des communautés locales à la Convention pour la diversité biologique. L'accord obtenu en Colombie vous satisfait-il ? Prévoyez-vous des évolutions de la Stratégie nationale biodiversité à la lumière des évolutions auxquelles ont abouti les négociations en Colombie ?

Pourriez-vous également évoquer les enjeux propres aux trois autres rendez-vous internationaux en matière d'environnement, qui débuteront dans les prochaines semaines ? Quel mandat se sont fixé le Gouvernement et l'Union européenne et quels sont les enjeux et défis majeurs de ces différents rendez-vous ?

Au niveau national, l'actualité en matière environnementale est également chargée. Le Premier ministre a dévoilé à vos côtés le 25 octobre dernier le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), qui faisait l'objet de fortes attentes, alors que les événements dramatiques des derniers jours en Espagne ont de nouveau démontré l'urgence et l'impérieuse nécessité de l'adaptation au changement climatique. D'autres documents programmatiques - je pense à la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et à la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) - sont également attendus. Sans préempter ces différents documents pouvez-vous, madame la ministre, nous présenter les grands axes de la feuille de route du Gouvernement en matière de transition écologique ?

Je souhaiterais enfin évoquer le projet de loi de finances pour 2025. Le 18 octobre dernier, vous avez déclaré qu'en l'état, le budget alloué à l'adaptation et à la lutte contre le changement climatique « n'est pas à la hauteur ». Pourriez-vous revenir sur cette déclaration et détailler les moyens supplémentaires qui seraient selon vous nécessaires ? Les débats en cours à l'Assemblée nationale vous semblent-ils de nature à rehausser l'ambition des crédits budgétaires ? Quels sont vos priorités et vos combats pour favoriser un budget qui réponde aux défis de notre temps ?

Madame la ministre, je vous cède la parole pour répondre à ces questions liminaires.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques- Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui au sein de votre commission en qualité de ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. Je vais vous présenter la feuille de route et les grandes priorités de l'action du Gouvernement pour mon portefeuille ministériel.

L'urgence écologique est là, et tout d'abord, évidemment, sur le plan climatique. Il suffit de voir la répétition et l'ampleur des catastrophes naturelles qui ont notamment frappé mon département du Pas-de-Calais, celui de l'Ardèche, de l'Eure-et-Loir, de la Seine-et-Marne, du Nord, des Alpes-Maritimes et de la Gironde. J'égrène le nom de ces territoires pour montrer comment, en trois semaines, tous ces départements ont été touchés, chacun aura probablement en tête d'autres exemples. Je mentionne également le nombre de victimes impressionnant chez nos voisins espagnols, où une grande ville a été frappée.

L'urgence concerne ensuite la biodiversité. Selon le Fonds mondial pour la nature, au cours des 50 dernières années, la population d'animaux sauvages a diminué d'environ 70 %, avec, par conséquent, une disparition de même ampleur de la biomasse animale. Le monde vivant est donc en danger et si nous restons inactifs, c'est la survie de notre propre espèce qui est en cause.

Nous devons mener de front ces deux combats : climat et biodiversité sont ainsi les deux priorités de mon action et les deux faces d'une même pièce. Pour agir, nous avons une méthode, la planification écologique engagée en 2022, qui porte ses fruits : en 2023, nos émissions ont ainsi diminué de 5,8 %. Pour autant, face à l'urgence, nos efforts doivent se poursuivre. C'est pourquoi, comme l'a souligné le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, nous allons amplifier cette planification écologique. Je soumets actuellement à la consultation du public trois textes importants que vous avez, monsieur le président, mentionnés. Tout d'abord, le Plan national d'adaptation au changement climatique a été présenté par le Premier ministre dans le Rhône. Ce texte prévoit 51 mesures pour renforcer la protection de la population face aux effets déjà perceptibles dans nos vies du changement climatique. Il s'agit d'anticiper les difficultés, par exemple dans nos modes ainsi que nos horaires de travail ou dans la manière de fréquenter l'école avec, en particulier, la question des examens en période de canicule. Ces sujets sont très concrets, auxquels il faut ajouter celui des assurances : comment s'assurer dans un monde où le risque augmente ? Cette question de l'adaptation soulève également le problème du perfectionnement des aménagements pour nous protéger des risques supplémentaires. À ce titre, en matière d'inondations, on doit évoquer les sujets de digues, de pièges à embâcles ou d'entretien des cours d'eau. S'agissant de la canicule, il faut mettre en avant le traitement des îlots de chaleur. Tout est abordé dans ce plan national d'adaptation qui concerne tous les portefeuilles et quasiment tous les ministres autour de la table, y compris le secteur ultramarin qui appelle un plan d'adaptation climatique propre à chaque territoire en tenant compte de chaque spécificité. Plus fondamentalement, l'enjeu est de déterminer comment on développe une culture du risque face au dérèglement climatique. Je tiens à cette occasion à saluer le travail mené lors de l'examen de la proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles déposée par Christine Lavarde et rapportée par Jean-François Rapin ainsi que par Pascal Martin, pour votre commission : ce travail a été évoqué en séminaire gouvernemental dans la perspective d'essayer de lui faire suivre son cours à l'Assemblée nationale.

Parmi les mesures de ce PNACC 3, 75 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour le fonds Barnier qui est porté à 300 millions d'euros en 2025, pour multiplier et accélérer les projets de prévention : c'est une première réponse à la question que vous avez posée sur le budget. S'y ajoute la priorisation des mesures d'adaptation dans l'utilisation du Fonds vert pour les communes et les collectivités conformément à l'objectif d'adaptation au changement climatique. Je mentionne également le déploiement d'une offre commune en expertise et en ingénierie par les opérateurs de l'État - au premier chef le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) et l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) : du point de vue des collectivités locales, il s'agit d'un guichet unique, qui doit permettre à une centaine de territoires de s'adapter en faisant leur diagnostic climatique et en prévoyant leur feuille de route. Ces cent premiers diagnostics permettront ensuite de travailler de manière plus transversale sur l'ensemble des territoires, l'objectif étant de généraliser le dispositif en 2025. La consultation sur ce plan est lancée pour une durée de deux mois : je vous invite évidemment à vous en saisir et à mobiliser vos concitoyens pour qu'ils y participent. En effet, l'adaptation au changement climatique est aussi l'affaire des citoyens, il est très important que cela devienne concret pour eux.

Lundi dernier j'ai lancé, avec mes collègues François Durovray et Olga Givernet, la consultation sur la stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l'énergie. Ces deux textes correspondent au deuxième trépied de notre action écologique. D'un côté, nous devons nous adapter parce que le réchauffement climatique est là et qu'il nécessite de changer nos modes d'aménagement de la ruralité, de la périphérie, de la ville et également de changer nos habitudes. De l'autre côté, il ne faut pas baisser la garde dans le combat contre le dérèglement climatique et il est impératif de continuer à baisser nos émissions de gaz à effet de serre. C'est ce que fait la stratégie nationale bas carbone, secteur par secteur - l'industrie, le logement, les transports, l'énergie, l'agriculture - tandis que la programmation pluriannuelle de l'énergie en donne une traduction purement énergétique. En effet, c'est en tenant compte de tous ces éléments programmatiques qu'on peut déterminer nos perspectives à 10 ans en termes de baisse de la consommation d'énergie et de développement des énergies renouvelables ou nucléaires.

Ces deux textes ont pour spécificité d'introduire de nouvelles ambitions. Nous visons 50 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030, ce qui traduit purement et simplement l'objectif européen. Vous savez que ce dernier a été réparti de manière plus ou moins importante par pays en fonction de leur point de départ. La programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit également qu'en 2030, la part des énergies fossiles dans le mix énergétique soit abaissée à 42 %, alors que la précédente programmation prévoyait encore une part de 60 %. Cela suppose que les énergies renouvelables et le nucléaire représentent plus de la majorité de notre mix énergétique. À ce titre, je salue le travail du Sénat, avec l'adoption de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie du sénateur Daniel Gremillet, rapportée par Alain Cadec, Patrick Chauvet et Didier Mandelli. Ayant déjà beaucoup parlé de la stratégie qui gouverne la programmation pluriannuelle de l'énergie - je vous l'ai même présentée l'année dernière ici même -, je me contenterai de citer ses quatre piliers. S'agissant du premier, je précise que la sobriété est la juste utilisation des ressources et non pas la décroissance : il s'agit de se passer du superflu. On constate d'ailleurs que les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 37 % en Europe depuis 1990 alors que le PIB a augmenté de 68 % : il y a donc une décorrélation entre croissance et énergie, il faut se méfier de tous les oracles de la décroissance. En revanche, c'est la nature de cette croissance sur laquelle il faut s'interroger. L'efficacité énergétique est le deuxième pilier : il s'agit de continuer à accompagner les Français en matière de rénovation de leur logement et de transports décarbonés. Le troisième pilier est celui des énergies renouvelables et la relance du nucléaire, entamée il y a plusieurs mois, en est le quatrième.

J'aurai également d'autres priorités au cours des prochaines semaines et des prochains mois. En ce qui concerne la protection de la biodiversité et de l'eau, nous allons d'abord assurer le déploiement de la stratégie nationale biodiversité. On ne va pas revenir sur cette dernière, qui date d'un an, mais on va s'assurer qu'elle est correctement mise en oeuvre et vous savez que l'échéance importante est de placer 10 % de notre territoire sous protection renforcée. Le deuxième axe est le lancement de la grande conférence nationale sur l'eau annoncée par le Premier ministre et qui a vocation à se décliner au niveau territorial, bassin par bassin. À cet égard, les 60 ans en décembre prochain de la loi sur l'eau seront un moment clé pour revisiter le dispositif et se demander quelle action mener dans le contexte de dérèglement climatique. Le troisième élément, plus spécifique mais important, est le plan eau pour Mayotte, pour aider cette île à faire face à la grave crise de l'eau qu'elle connaît depuis des mois. Je mentionne enfin le plan de sécurisation des captages pour garantir la qualité de l'eau. J'avais élaboré ce plan au ministère de l'agriculture et je l'emporte avec moi au ministère de la transition écologique parce que la question de la qualité de l'eau est essentielle. En particulier, vous savez qu'aujourd'hui certaines agglomérations de plusieurs centaines de milliers d'habitants ne dépendent plus que d'un captage, ce qui, en termes de gestion des risques, est problématique.

En second lieu, je serai évidemment très mobilisée au niveau international et d'abord au niveau européen. Vous pouvez compter sur moi pour continuer la mise en oeuvre du plan vert, mais - et je l'ai indiqué lors de mon premier conseil de l'environnement - avec l'absolue nécessité de le coupler avec une ambition industrielle et une politique commerciale adaptées. Pour ce faire - et cela a été évoqué à plusieurs reprises sur ces bancs ainsi qu'à l'Assemblée nationale -, nous avons besoin de « clauses miroirs » ou, encore mieux, de dispositifs miroirs, avec un système permettant aux entreprises européennes qui font des efforts de transition énergétique de ne pas se retrouver en situation de concurrence déloyale par rapport à d'autres pays.

Sur la scène internationale, plusieurs événements marquants nécessiteront un rôle actif de la France d'ici la fin de l'année. Vous m'interrogez sur mon diagnostic à l'égard de la COP16 mais je crois que vous avez dit l'essentiel, monsieur le président, en qualifiant ses résultats de mitigés. Un accord important pour la protection des océans a été conclu ainsi qu'un accord sur le lien entre climat et biodiversité : ce dernier peut donner un sentiment de déjà vu mais il est important de rapprocher la COP Biodiversité de la COP Climat. En revanche, au-delà même du défaut d'accord sur le mécanisme de financement, j'estime encore plus problématique le cadre de suivi et de rapportage des objectifs très ambitieux que s'est donnés la COP de Montréal : en particulier, je trouve préoccupant, par exemple, que certains pays ne souhaitent même pas faire oeuvre de transparence sur l'utilisation de produits phytosanitaires, ce qui est très révélateur. Dans ces conditions, l'ambition que je partage avec les pays les plus avancés en matière de lutte pour la protection de la biodiversité, c'est de ne pas mettre à la poubelle ces trois semaines de négociations : en effet, il se trouve qu'au moment d'adopter le texte sur le rapportage, un pays a levé la main pour demander si le quorum était réuni, en sachant pertinemment qu'en fin de COP et après une nuit blanche de discussions, le quorum est rarement atteint. Cette initiative a eu pour effet juridique immédiat d'arrêter la COP. C'est évidemment une forme de manoeuvre mais il faut retenir de cet épisode que le dialogue multilatéral se déroule dans un moment un peu délicat et qu'il impose d'être extraordinairement actif, assertif et présent en tant que ministre pour pouvoir porter les positions. À cet égard, je peux vous dire qu'on a énormément échangé, y compris dans la nuit : je n'étais pas présente physiquement car ce n'était pas un segment de discussion pour les ministres mais nous nous sommes mobilisés, par exemple pour appeler le commissaire européen ou la ministre suédoise pour solliciter du renfort sur tel ou tel point des accords. Je ne peux pas ici vous préciser l'origine de la demande de quorum : ce n'est pas un grand pays auquel on pense naturellement mais sa démarche est révélatrice.

Sur la scène internationale, la COP29 sur le climat à Bakou se tiendra également dans les prochains jours et nous tiendrons vigoureusement la chaise dans l'enceinte onusienne. Personne n'étant naïf, je vais ici être très claire : nous avons, avec l'Azerbaïdjan, des relations complexes - ou « compliquées » en langage diplomatique - et il n'y aura aucun événement auquel participeront des officiels français qui mettrait en valeur d'une quelconque façon tel ou tel élément de la politique azérie. Il n'y aura non plus aucun contact sans lien avec la COP avec les autorités azéries. En revanche, compte tenu, d'une part, des tensions enregistrées pendant la COP27, avec l'obtention difficile d'un accord et, d'autre part, du très bon accord issu de la COP28 mais qui a été le fruit de la très forte mobilisation d'une dizaine de ministres européens l'année dernière, il nous paraît impossible de ne pas tenir la chaise dans les salles de négociation. C'est très exactement ce que nous ferons, en rappelant probablement - dans les espaces de négociation consacrés aux droits de l'homme ou à la place de la société civile - nos valeurs et en les portant haut et fort.

S'agissant ensuite des négociations de Busan sur la réduction de la pollution plastique, nous préconisons un texte ambitieux qui ne se contente pas d'augmenter l'effort de collecte et de recyclage mais qui prenne le problème à la racine en fixant des objectifs de baisse de production des plastiques. En effet, dans un monde où les experts prévoient, d'ici 2060, un triplement de la production de plastiques, améliorer la collecte et le recyclage est trop anecdotique. Je ne peux pas vous dire que je suis très confiante à ce sujet puisque, pour le moment, il n'est pas question d'organiser un segment ministériel à Busan, ce qui témoigne d'une hésitation dans la volonté de conclure un traité de haute ambition.

Enfin, la COP16 sur la désertification ainsi que le One Water Summit à Riyad
- qui s'inscrit dans la séquence des sommets dont l'initiative revient au Président de la République - laissent quant à eux entrevoir des perspectives positives. Il s'agit de mettre sur la table la désertification et la ressource rare en eau avec des pays qui sont engagés sur ces sujets. Le sommet sera co-présidé par la France et l'Arabie Saoudite, en lien avec le Kazakhstan. C'est une façon d'aborder le climat et la biodiversité sous l'angle des problèmes rencontrés par un certain nombre de pays en rendant ceux-ci acteurs sur ces thématiques. Ce levier nous paraît tout à fait efficace pour le soft power de la France mais aussi pour le combat climatique que nous portons : l'ancienne ministre Barbara Pompili est à la manoeuvre pour en faire une réussite.

En matière d'économie circulaire, nous avons également un agenda chargé et je sais pouvoir compter sur le soutien du Sénat, et notamment celui de la sénatrice Marta de Cidrac, sur ces sujets. Je pense notamment à la mise en place de l'affichage environnemental des produits textiles, au travail que nous menons sur l'affichage environnemental en matière d'alimentation, à la réforme de la régulation des filières REP (responsabilité élargie du producteur) en réponse au rapport des inspections publié en juillet 2024 et au travail que nous devons mener pour inciter à l'incorporation de plastiques recyclés. Sur ce dernier point, vous connaissez nos très faibles performances en recyclage des emballages plastiques : nous sommes en 26e position européenne et nous payons 1,5 milliard d'euros de contribution à l'Europe car nous ne sommes pas au rendez-vous dans ce domaine. Au moment où nous recherchons des ressources et des économies budgétaires, il y a peut-être là une bonne piste de progrès.

J'en viens aux crédits pour 2025 de mon ministère : je ne vais pas vous rappeler le contexte de contrainte budgétaire et le fait qu'un ministère dépensier a toujours à coeur d'augmenter ses enveloppes pour avoir plus de moyens d'intervention. Factuellement, c'est un budget de 16,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement qui se situe dans la lignée de ceux de 2019 à 2021, avant le plan de relance et la crise Covid. En matière de financement, ce budget vise une meilleure efficience et une sélectivité accrue des deniers publics. Il devra être complété par davantage de mobilisation de ressources privées pour maximiser nos investissements écologiques. Ce budget comporte un certain nombre d'éléments cruciaux : je pense en particulier au chèque énergie dont je souligne qu'il est sanctuarisé et sur lequel nous devons passer d'une situation où il était automatique à la construction d'un nouveau système automatisé puisque nous ne disposons plus des bases de la taxe d'habitation postérieures à 2021. À l'évidence, les bases de cette époque ont beaucoup vieilli, puisqu'elles sont elles-mêmes fondées sur des revenus de référence encore plus anciens. Les gens ont déménagé, eu des enfants ou sont décédés ; des divorces et des mariages sont intervenus et tous ces événements rendent impossible l'utilisation des anciennes bases ; il nous faut donc reconstruire des données solides permettant à nouveau d'automatiser ce chèque énergie. Nous sommes aujourd'hui dans une phase d'entre-deux où une partie de la distribution de chèques énergie sera automatique tandis que l'autre sera quérable et, là aussi, nous aurons besoin de votre soutien pour que vos administrés soient parfaitement au courant de ce droit qu'ils peuvent solliciter.

Ce budget vise également à réduire un certain nombre de « dépenses brunes ». Je pense notamment à l'augmentation du malus automobile, à la suppression du taux de TVA à 5,5 % sur l'installation de chaudières à énergie fossile et à l'augmentation de la fiscalité sur les billets d'avion. Ce budget, comme vous le savez, impacte aussi la fiscalité de l'électricité et, à cet égard, la proposition du Gouvernement repose sur deux niveaux. Le premier niveau, de nature législative, vise à revenir à une situation d'avant crise, conformément à ce qui avait été annoncé par les gouvernements précédents : c'est la fin du bouclier énergétique, soit plus de 50 milliards d'euros d'aides qui ont été apportées aux ménages et aux entreprises ces trois dernières années. Le deuxième niveau de nature réglementaire ouvre la possibilité d'aller au-delà de ce niveau - la fourchette étant bien sûr cadrée par le législateur - pour permettre de piloter finement le point d'atterrissage, ce qui permet de dire que le tarif réglementé baisserait de 9 % au 1er février 2025.

Je vous précise qu'en matière de fiscalité énergétique, il faut être attentif à quatre points. Le premier est évidemment l'impératif de transition écologique : les énergies fossiles ne doivent pas devenir moins chères ou plus compétitives que les énergies décarbonées du seul fait de mesures publiques. Le second est la compétitivité de nos industries et le coût de l'énergie : je précise qu'environ 300 entreprises électro-intensives continueraient à bénéficier d'un tarif réduit de TICFE (taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité) tandis que les autres seraient, en revanche, concernées par la réforme. Le troisième élément à prendre en compte est le pouvoir d'achat de ceux qui ne bénéficient pas de tarifs réglementés et, en quatrième lieu, il ne faudrait pas que notre pays devienne un des pays d'Europe avec les tarifs les moins compétitifs alors qu'historiquement c'était l'inverse. Tous ces éléments méritent des éclaircissements sur lesquels nous allons travailler.

Je ne vais pas ici prolonger mon exposé et, pour conclure, je tenais à vous dire que je me tiens à votre service pour éclairer vos débats et évaluer toutes les implications des amendements qui pourraient être proposés. S'agissant du volet dépenses, j'indique que des efforts assez considérables sont consentis. Pour s'en rendre compte, j'invite chacun, plutôt que de comparer les lois de finances initiales des dernières années, à examiner les crédits consommés en 2023 ainsi qu'en 2024 au regard de la loi de finances initiale pour 2025 car cela permet de remettre les évolutions en perspective plus objectivement. Ainsi, MaPrimeRénov' fait l'objet d'une enveloppe en augmentation entre 2024 et 2025 ; en revanche, on observe une baisse importante sur l'aide à l'électrification des véhicules. Ces évolutions ne sont pas visibles en analysant les seules lois de finances initiales et il est donc important de se baser sur les bons fondamentaux pour évaluer la dynamique. Bien entendu, certains crédits ont un très fort impact : c'est le cas du Fonds chaleur qui, avec 10 millions d'euros de crédit de paiement, permet de soutenir environ 300 millions d'euros de projets. Telles sont les métriques qu'il faut également conserver en mémoire dans les choix que vous serez amenés à faire, tout en se rappelant la règle du jeu que vous connaissez : un euro ajouté à telle enveloppe budgétaire, c'est un euro qu'il faut économiser ailleurs et c'est là que l'exercice devient difficile.

M. Jean-François Longeot, président. - C'est même parfois un exercice d'équilibriste...

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la prévention des risques. - En ma qualité de rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits relatifs à la prévention des risques, j'évoquerai trois points qui ont trait au projet de loi de finances pour 2025 et au Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC 3).

Tout d'abord, la documentation budgétaire fait état de la création pour 2025 de deux actions budgétaires spécifiquement dédiées au risque inondation et au retrait-gonflement des argiles (RGA). Or, on a beau tourner les pages du projet annuel de performance, ces deux lignes budgétaires sont manquantes. Je regrette vivement cet acte manqué qui aurait pu permettre d'accroître la lisibilité des financements à destination de ces risques, alors que les tragiques récents événements ibériques dans la région de Valence nous obligent à renforcer notre politique de prévention.

Deuxièmement, je regrette à nouveau que les crédits à destination du fonds Barnier, dont le Premier ministre a annoncé le rehaussement de 75 millions d'euros - ce dont nous nous félicitons -, portant le fonds à 300 millions d'euros pour ce budget, soient encore inférieurs aux recettes du prélèvement sous la garantie « CatNat » abondant le budget général. Ce prélèvement, dont le montant est estimé pour l'an prochain à 450 millions d'euros, avait pourtant pour finalité exclusive le financement de mesures de prévention des risques. Comment expliquez et justifiez-vous, madame la ministre, ce décalage de 150 millions d'euros ?

S'agissant enfin du PNACC 3, vous actez la trajectoire de référence pour l'adaptation au changement climatique (Tracc) de la France à + 4 degrés à l'horizon 2100 ; cependant, certains commentateurs craignent que ce nouvel ancrage conduise à délaisser l'« atténuation », au seul profit de l'« adaptation » : que répondez-vous à ces inquiétudes ?

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux paysages, à l'eau et à la biodiversité et à l'expertise, l'information géographique et à la météorologie. - En qualité de rapporteur pour avis des crédits inscrits aux programmes 113 « Paysages, eau et biodiversité » et 159 « Expertise, information géographique et météorologie », j'ai rencontré, dans ce cadre, le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), l'IGN (Institut national de l'information géographique et forestière), les agences de l'eau, l'Office national des forêts (ONF), l'Office français de la biodiversité (OFB), Météo France et également les parcs nationaux.

Ma première interrogation porte sur vos ambitions en faveur d'une résilience hydrique accrue et d'une gestion durable et concertée de l'eau à travers la mission « Écologie » de ce projet de loi de finances. Les 53 mesures du « plan eau » présenté en mars 2023 visaient notamment à organiser la sobriété des usages de l'eau, optimiser la disponibilité de la ressource et préserver la qualité de l'eau potable alors que les pressions sur les milieux aquatiques s'intensifient. Ces ambitions, que nous partageons, ne se déduisent cependant pas de façon évidente de l'analyse des crédits inscrits au budget pour 2025. En premier lieu, contrairement à la trajectoire budgétaire qui avait été décidée en leur faveur pour accompagner le déploiement du plan eau, le plafond de recettes des agences de l'eau stagne tandis que leur contribution à l'Office français de la biodiversité progresse, ce qui signifie concrètement une réduction des moyens d'intervention des agences en soutien au petit cycle et à l'accompagnement de nos communes. En second lieu, le Gouvernement a déposé un amendement afin de prélever 130 millions d'euros dans la trésorerie des agences de l'eau pour abonder le budget général de l'État. On savait déjà que l'eau paie l'eau et aussi la biodiversité : ce projet de budget propose à présent que l'eau paie la dette de l'État. Qualifiée d'exceptionnelle, une telle pratique n'est pas sans précédent et c'est une facilité à laquelle des gouvernements antérieurs ont eu recours. Si l'on comprend naturellement la logique de rigueur budgétaire dans un contexte de dégradation marquée de nos comptes publics, la conjonction de ces phénomènes interroge, d'autant que la France vient d'être condamnée par la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne), le 4 octobre dernier, pour manquement dans la mise en oeuvre de la directive relative au traitement des eaux usées urbaines. Quelle feuille de route vous fixez-vous pour garantir une qualité de l'eau dans laquelle les Français puissent avoir confiance et un partage de la ressource à l'heure où la résilience hydrique ne va plus de soi ?

Je souhaite également vous interroger, dans le prolongement des propos du président Longeot, sur le bilan que vous tirez de la COP16 Biodiversité qui vient de s'achever. Vous avez déjà évoqué les difficultés de quorum, mais peut-être pouvez-vous développer les raisons de l'échec relatif de cette COP, malgré la volonté politique de la France de transcrire des engagements qui avaient été pris à Montréal il y a deux ans.

J'en terminerai avec une question relative au Fonds vert, dispositif particulièrement apprécié dans nos territoires. C'est une enveloppe budgétaire de la transition concrète au niveau local, facilement mobilisable du fait de sa gestion déconcentrée et à forte visibilité pour les élus locaux. Fortement raboté, le fonds d'accélération de la transformation de la transition écologique dans les territoires est doté de 1 milliard d'euros d'autorisations d'engagement pour 2025. Notons également l'extinction probable du dispositif l'an prochain puisqu'aucun crédit nouveau n'est inscrit en prévision pour 2026 et 2027. Quelles sont les priorités portées par le Gouvernement pour favoriser les économies d'énergie, les objectifs en matière de recyclage de friches et, de manière plus transversale, les mesures qui visent à accompagner les collectivités dans leurs projets d'adaptation au changement climatique ? Cette enveloppe budgétaire continuera-t-elle à se contracter, victime du « refroidissement budgétaire », ou sera-t-elle au contraire pérennisée dans le temps comme le gage du soutien de l'État à la mobilisation des territoires en faveur de l'écologie du quotidien mise en oeuvre par nos élus locaux ?

M. Fabien Genet, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la transition énergétique et au climat. - Je voudrais tout d'abord saluer l'action de la délégation française, mais également votre investissement personnel lors des négociations de la COP16 Biodiversité à Cali en Colombie. J'ai pu observer ces efforts sur place avec notre collègue Ronan Dantec et sur les conseils avisés de notre spécialiste de la biodiversité au Sénat, Guillaume Chevrollier.

J'interviens en ma qualité de rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits relatifs à la transition énergétique et au climat, sur trois enjeux majeurs de ce projet de loi de finances pour 2025.

Vous avez rapidement fait allusion au premier enjeu : le budget accordé au Fonds chaleur. Après plusieurs années d'augmentation, ce Fonds chaleur, qui contribue au développement de la chaleur renouvelable, connaît une baisse sans précédent, passant de 820 millions d'euros en 2024 à 540 millions d'euros en 2025. Ce fonds est pourtant un exemple de dépense publique efficiente : les projets candidats sont nombreux et le coût des émissions de gaz à effet serre évitées est faible. Je souhaite vous alerter - tout en vous sachant déjà sensibilisée - sur les conséquences de cette baisse qui remet en cause de nombreux projets de réseaux de chaleur portés par les collectivités territoriales, au moment où nous arrivons en fin de mandat pour les communautés de communes et où il est donc important que ces projets ne soient pas freinés sans quoi nous perdrions plusieurs années dans leur réalisation.

Le deuxième enjeu est celui du soutien à la rénovation énergétique des logements. Le Premier ministre a indiqué que le logement était une priorité ; or les crédits de MaPrimeRénov' diminuent considérablement, passant de 4 milliards d'euros en 2024 à 2,5 milliards d'euros en 2025. Cette diminution, qui s'explique en partie par une sous-consommation chronique des crédits, ne risque-t-elle pas de remettre en cause l'atteinte par l'État des objectifs de rénovation énergétique des bâtiments, alors même que la réforme récente de MaPrimeRénov' n'a pas encore déployé tous ses effets ? Les choses étant en train de se mettre en place, n'y a-t-il pas un risque d'arrêter cette dynamique qui est réelle sur le terrain ?

Enfin, je souhaite évoquer l'enjeu de la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique. La loi de programmation pour les finances publiques prévoyait le dépôt d'une telle stratégie à partir de 2024, alors que les besoins de financement de la transition écologique sont colossaux. La première stratégie déposée insiste sur la nécessité d'une mobilisation du secteur privé, pour augmenter les investissements bas carbone et vous venez d'y faire allusion. Quels leviers le Gouvernement identifie-t-il pour mobiliser l'investissement privé en faveur de la transition écologique ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le rapporteur Pascal Martin, je réponds tout d'abord à ce qui apparaît comme une remarque - plus encore qu'une question - relative à deux actions qui ne correspondent pas à des moyens budgétaires identifiés dans la nomenclature. Cela me permet de souligner que le risque d'inondation ainsi que le retrait-gonflement d'argile sont pour nous des priorités : c'est sans doute comme cela qu'il faut interpréter la maquette budgétaire, même si ces actions ne sont pas « substantifiées » - si l'on peut dire - par des montants de crédits sur des lignes correspondantes.

S'agissant des crédits du fonds Barnier, vous savez que la déconnexion entre recettes et prélèvement « CatNat » ne date pas de ce budget mais de 2021. Nous sommes effectivement dans la continuation du choix effectué à cette époque et cette affirmation peut s'étendre à l'enveloppe globale que nous examinons et qui est le reflet d'efforts budgétaires. Par conséquent, en examinant les crédits ligne à ligne, nous pouvons tous trouver des choses à redire, et moi la première, car tout ministre animé d'un certain nombre d'ambitions a envie d'avoir les moyens de les porter jusqu'au bout, on peut imaginer de nombreuses autres initiatives. Aujourd'hui, le défi est de parvenir à resserrer les moyens financiers et de les allouer là où ils auront le plus d'impact sur l'année 2025. Il faut également se demander quelles actions peuvent être prolongées jusqu'en 2026 ou en 2027 pour ne pas freiner la dynamique que nous avons entamée de transition écologique et énergétique. La question est aussi de savoir comment on mobilise le secteur privé, sachant que certains sujets sont devenus plus matures qu'ils ne l'étaient il y a deux, trois, quatre ou cinq ans. Tel est le réglage fin qu'il nous appartient de réaliser.

Je reviens sur le retrait-gonflement de l'argile : l'un des enjeux majeurs pour moi, en tout cas à ce stade, est d'accélérer la capacité à trouver une solution technologique de prévention. Des pistes se dessinent, notamment au Cerema, et ne généreraient pas de dépenses considérables : on évoque le chiffre de 15 000 euros par maison, ce qui est bien inférieur à un coût de reconstruction de plusieurs centaines de milliers d'euros. Nous cherchons donc les moyens d'activer la prévention en essayant de discuter de ce sujet avec les assureurs. La Caisse centrale de réassurance nous a communiqué un chiffre intéressant, calculé sur le passé et donc probablement appelé à augmenter : pour un euro investi en prévention, on économise 8 euros en coût évité de réparation ou « coût du sauvé », comme vous le mentionnez. Cela doit nous faire collectivement réfléchir, je n'ai pas de solution définitive dans l'immédiat.

S'agissant des 4 degrés d'augmentation de la température, vous faites ici allusion à un débat vif au moment où mon prédécesseur Christophe Béchu avait annoncé ce chiffre et plusieurs précisions sont nécessaires. Avant tout, je vous rassure, l'augmentation de 4°C ne concerne pas l'ensemble de la planète mais particulièrement la France qui se réchauffe plus vite que le reste du monde. En réalité, derrière ce + 4°C, c'est plutôt une trajectoire à + 2,7°C qui correspond à la dérivée que nous donne aujourd'hui le Giec. Pourquoi, dès lors, nous basons-nous sur + 4°C ? D'abord parce que quand on construit des équipements pour 50 ans, on se dit qu'il serait embêtant de les abandonner au bout de 20 ans parce qu'ils ne résisteraient pas à un vent extrême, une inondation, une submersion marine ou à des variations de température majeures. Il faut donc placer la barre à un niveau suffisamment élevé pour investir de façon efficace et sécurisée. Je rappelle que le sénateur Ronan Dantec a présidé la commission spécialisée du conseil national de la transition écologique (CNTE) qui a rendu un avis unanime en faveur de la cible de + 4°C. Au final, lorsqu'on tire le fil de la discussion, on conclut que s'adapter au réchauffement ne signifie pas renoncer à le combattre et telle est la position de ceux qui sont au coeur de cette lutte ainsi que des experts de ces sujets. Comme vous le savez, siègent au CNTE à la fois des ONG environnementales, des représentants de toutes les strates de collectivités locales, des parlementaires, des représentants du monde de l'entreprise et des citoyens. En fin de compte, ils se sont accordés pour affirmer que pour lutter contre la mal-adaptation, il faut se donner cette trajectoire responsable de + 4°C. Mais, dans le même temps, on ne lâche pas le combat qui consiste à maintenir un rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre de l'ordre de 5 % par an ; et la première bonne nouvelle, c'est qu'on a réussi à le faire l'année dernière, et même au-delà de 5 %. La deuxième bonne nouvelle, c'est que contrairement à ce qui m'avait été prédit, les émissions de gaz à effet de serre n'ont pas rebondi après la crise énergétique. Tel n'a pas été le cas et, à la différence d'autres pays européens, on a constaté une baisse des émissions en 2021, 2022, 2024 et celle-ci se poursuit. Certes, les émissions baissent plus facilement au début qu'à la fin de la courbe, la difficulté a donc tendance à augmenter chaque année. Il faut cependant prendre en compte le fait qu'en raison du réchauffement climatique, les hivers sont plus doux, mais ce facteur fait partie de l'équation et le réchauffement ne peut pas avoir que des désavantages. Dans l'ensemble, et conformément à mon souhait, on a bien, de façon concomitante, le Plan national d'adaptation au changement climatique d'un côté, la stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l'énergie de l'autre.

Monsieur le rapporteur Chevrollier, s'agissant du plan eau, je vous indique d'abord que le Président de la République lui-même me réclame un point d'étape pour savoir où on en est et comment on le déploie. C'est donc une priorité essentielle au plus haut niveau de l'État et je veux rendre hommage au travail réalisé par mon prédécesseur sur ce sujet. Vous avez raison de mentionner le plafond de recette des agences de l'eau. Le rehaussement de ce plafond ne m'inquiète pas outre mesure, car la cadence des projets que nous observons et la consommation des crédits nous permettent de faire face aux besoins jusqu'en 2026. Vous avez également mentionné le prélèvement de moyens sur l'OFB (office français de la biodiversité) et je vous précise que cette ponction permettrait de financer le plan eau de Mayotte : certes, il s'agit d'un recyclage financier mais qui serait mis au service du rehaussement de notre résilience en matière d'eau.

Vous avez ensuite évoqué le prélèvement de 130 millions d'euros de trésorerie sur les agences de l'eau. Cette mesure est assez délicate à mettre en oeuvre et nous y travaillons pour essayer de trouver les équilibres adéquats. Elle a été introduite par amendement gouvernemental dans le train de mesures de 5 milliards d'euros d'efforts supplémentaires.

S'agissant de ma feuille de route en matière de captage, vous avez raison de mentionner la condamnation de la France par la CJUE et la nécessité d'accélérer les progrès dans ce domaine. Pour y parvenir, nous allons réunir tous les acteurs autour de la table lors d'une grande conférence nationale sur l'eau, courant 2025 ; celle-ci sera déclinée par territoire et devra se poser un certain nombre de questions : quel est le prix de l'eau, qui la paie et qui doit financer les investissements sous-jacents ? Vous avez à juste titre fait allusion aux nécessaires investissements de grande ampleur pour lutter contre les fuites, rehausser la qualité de l'eau, dépolluer et installer - le cas échéant - de nouveaux captages auxquels s'ajoutent d'autres investissements de protection. Il y a énormément de besoins et nous ne sommes qu'au début de la trajectoire. Je mentionne ici une difficulté supplémentaire : le dérèglement climatique entraîne aussi le bouleversement du cycle de l'eau et va donc créer des phénomènes problématiques avec des sécheresses, des difficultés à s'approvisionner en eau potable et même des concentrations plus élevées de polluants en raison de la diminution du volume d'eau. Ce sont tous ces sujets qu'il va falloir aborder.

S'agissant de la COP16, je souligne d'abord que la France joue un rôle moteur dans les COP Biodiversité. Nous sommes un des premiers pays à avoir publié notre stratégie nationale biodiversité en ligne avec le référentiel de Montréal. Nous sommes également un des seuls pays à avoir atteint l'objectif de protection de 30 % de notre territoire terrestre et marin. Nous avons étendu à l'espace atmosphérique cette idée de zone de protection renforcée et nous y travaillons sur le territoire français. J'ajoute que Sylvie Goulard et Dame Amelia Fawcett ont produit un travail très intéressant sur les crédits de biodiversité de haute intégrité : il s'agit d'un moyen d'attirer les financements privés, non pas pour se procurer des droits à polluer mais pour mesurer de façon intègre les actions sur la biodiversité. Cette initiative vise notamment à répondre à deux catégories d'usages qui traduisent un engagement en faveur de la biodiversité. Il en va ainsi des crédits ou des fonds privés philanthropiques alloués par des agents qui veulent disposer de mesures et de paramètres scientifiques adossés aux actions qualitatives qu'ils mènent. Par ailleurs, certaines entreprises commencent à travailler sur la résilience de leurs chaînes d'approvisionnement. Sachant que 44 % de notre PIB dépend de ressources naturelles, ces entreprises ont intérêt à sécuriser ces ressources si elles veulent poursuivre leur activité à un horizon de dix, vingt ou trente ans. Tout ceci doit déboucher sur des demandes d'investissement de qualité et non pas sur de nouvelles opérations sans impact.

En ce qui concerne les raisons de l'échec relatif de la COP16, l'une des principales est imputable aux tensions entre, d'un côté, les pays les plus vulnérables ainsi que les pays émergents qui appartiennent au groupe des 77 et, de l'autre, les pays développés. Le groupe des 77 considère que les pays développés ne financent pas suffisamment la transition écologique. Les pays émergents jouent ici un rôle un peu intermédiaire puisque d'une certaine manière - je rappelle que la Chine, les Émirats arabes unis, l'Arabie Saoudite et le Brésil font partie de ces pays émergents -, ceux-ci peuvent avoir les moyens d'accompagner leur transition écologique, ou en tout cas un peu plus que les pays les plus vulnérables. En même temps, les pays émergents captent une assez grosse partie des crédits consentis par le Nord pour accompagner les transitions : telle est la difficulté à résoudre. Dans les discussions, les pays n'ont pas les mêmes intérêts ; or les décisions doivent être prises par consensus, c'est-à-dire qu'il suffit qu'un pays s'oppose à l'accord pour y faire échec. Comme il est, au regard de l'opinion publique, difficile de s'opposer à un accord, on peut, par exemple, demander une vérification de quorum. Vous l'avez compris, tout ceci reflète les difficultés inhérentes au multilatéralisme mais, pour ma part, je conserve beaucoup d'espoir : ainsi, la COP28 était loin d'être gagnée d'avance, on a pourtant réussi à conclure un très bel accord. Il faut donc maintenir ce dialogue au niveau multilatéral car c'est le seul endroit où on arrive à aligner les positions de quasiment tous les pays. Je rappelle - c'est important - que les États-Unis ne participent pas à la COP Biodiversité, et qu'ils ne sont donc pas venus à Cali.

S'agissant du Fonds vert, je ne vais pas m'exprimer à la place de ma collègue Catherine Vautrin ; j'indique cependant qu'elle a mentionné devant le Parlement la réflexion qui est envisagée sur la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et le Fonds vert. Un travail est donc engagé sur la façon de verdir l'ensemble de ces enveloppes et peut-être de réaménager ces instruments.

Par ailleurs, pour financer les collectivités locales, il y a, dans mon budget, un gisement important de 6 milliards d'euros qui se rattache aux certificats d'économie d'énergie (CEE). Mon travail va consister à utiliser ces certificats d'énergie au mieux pour accompagner notamment la rénovation thermique des bâtiments publics qui, au passage, fonctionne assez bien.

S'agissant des friches, qui relèvent du Fonds vert, je vous invite ici encore à comparer l'évolution budgétaire sur la base des crédits consommés. Pour MaPrimeRénov' les crédits consommés en 2024 se situent entre 1,7 et 1,8 milliard d'euros et donc l'enveloppe pour 2025 est en augmentation assez sensible. De plus, si vous regardez la consommation de 2023, qui était une période assez faste en termes budgétaires, on se situe à peu près dans le même étiage, à peine au-dessus. Ce n'est donc pas un budget qui a été écorné, et on peut même - en prenant une vue d'ensemble - se poser la question de savoir si ce n'est pas l'inverse au regard des enveloppes allouées au secteur du logement social pour la rénovation.

Sur le fonds chaleur, vous avez bien rappelé les enjeux. Le coût d'abattement de la tonne de carbone est de 40 euros et, effectivement, il y a un vivier de projets très important dans les collectivités locales : elles sont prêtes à agir et donc tout crédit supplémentaire sera immédiatement consommé.

S'agissant des leviers pour mobiliser les fonds privés, je viens d'évoquer les certificats d'économie d'énergie. S'y ajoute le tiers financement qui, pour le moment, a le mérite d'exister mais n'a pas été suffisamment sollicité. Je mentionne également, outre les crédits consacrés à la biodiversité, les crédits carbone sur lesquels on doit aujourd'hui monter en niveau avec des labels carbone. Plus généralement, il nous est demandé de stabiliser le cadre juridique pour que les entreprises puissent construire leur modèle économique. Effectivement, l'instabilité normative au cours des dernières années est un des grands reproches qui nous a été fait car les entreprises ne savaient plus très bien comment positionner leurs offres. Il nous faut donc peut-être apporter une réponse simplifiée ou clarifier le cadre normatif. Les entreprises ne peuvent pas construire leurs offres en deux mois ; il leur faut parfois y consacrer 18 mois à 2 ans, ce qui est plus difficile dans un contexte d'instabilité normative.

Tels sont les principaux éléments que je peux partager avec vous. J'ai aussi d'autres pistes sur les assureurs et la mobilisation des investisseurs ou des financeurs. Beaucoup d'inquiétudes s'expriment sur la quantité de données à fournir en matière de reporting extrafinancier, en application de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), mais il y a là aussi une opportunité très importante de développement des modèles d'affaires et des financements de transition écologique. Pour les grandes entreprises, c'est un fil à tirer et j'ai un certain nombre de propositions dans ce sens : attention, donc, à ne pas casser les outils qu'on est en train de mettre en place.

Mme Marta de Cidrac. - J'interviens en ma qualité de présidente du groupe d'études « économie circulaire ». J'appelle tout d'abord à votre attention un sujet d'inquiétude pour nos élus locaux : la consigne pour réemploi et recyclage des emballages. En juillet 2023, dans un rapport d'information pour lequel j'étais rapporteure, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable avait démontré que la consigne constituait un dispositif peu performant et porteur de nombreux effets pervers environnementaux, tout en étant économiquement irrationnelle ainsi que socialement et territorialement injuste. En septembre 2023, votre prédécesseur Christophe Béchu avait choisi d'enterrer le dispositif et nous avions salué sa décision. Vous avez rappelé, madame la ministre, le montant que paie la France à l'Union européenne en raison de nos faibles taux de recyclage. Le 17 octobre dernier, dans le cadre de la convention des intercommunalités de France, vous avez pourtant déclaré que « la consigne fait partie des solutions. Si vous en avez une autre, apportez-la moi ». Permettez-moi ici de vous indiquer que nous avons de nombreuses autres propositions de solutions pour améliorer les performances de la France en matière de collecte tirée pour recyclage : elles sont détaillées dans le rapport d'information précité. Je souhaite ainsi vous alerter, madame la ministre, sur les risques associés à la mise en place de la consigne à laquelle le Sénat reste opposé.

J'aimerais également évoquer le rapport interinspections relatif à la performance et à la gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur que vous avez également mentionné dans votre propos introductif, demandé par la Première ministre Élisabeth Borne. Publié en juin dernier, ce rapport dresse un bilan mitigé des filières REP. Ces dernières ont permis de réaliser des progrès en matière de collecte et de recyclage tout en présentant, selon le rapport, d'importantes marges de progrès dans un contexte de trajectoire d'objectifs très ambitieux. Partagez-vous le constat de ce rapport interinspections et quelle suite allez-vous y apporter madame la ministre ?

M. Didier Mandelli. - Je voudrais, juste avant d'accompagner le président Longeot à la Conférence des présidents, vous poser deux questions qui, globalement, se rejoignent et n'appellent que des réponses par oui ou par non, peut-être pourrez-vous y répondre instantanément.

Votre ministère avait précédemment mis en place deux groupes de travail. L'un sur l'érosion du trait de côte, le Conseil national du trait de côte (CNTC) - qui est une émanation du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML) - et l'autre sur la fiscalité des énergies renouvelables, dans le prolongement de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. C'est un engagement que vous aviez pris et tenu ; j'ai participé à ces deux groupes de travail pendant plusieurs mois et ma question est simple : entendez-vous poursuivre, recréer, reconstituer ces groupes de travail pour apporter des solutions sur ces deux sujets ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je vous réponds oui sur le groupe de travail relatif au trait de côte. S'agissant du groupe consacré à la fiscalité des énergies renouvelables, il revient à ma ministre déléguée en charge de l'énergie de le porter ; je m'y étais engagée et c'est un sujet dont il faut nous saisir, d'autant, comme vous l'avez suggéré, qu'il existe des connexions entre les deux sujets et vous savez que vos collègues députés ont déposé des amendements qui font le lien entre les deux.

M. Sébastien Fagnen. - Initialement je souhaitais vous interroger sur le recul du trait de côte, mais nous aurons le plaisir de vous accueillir demain dans le département de la Manche sur ce sujet en particulier et pourrons en discuterons avec les élus locaux ainsi que les services de l'État.

Ma question porte sur l'hydrolien et le soutien de l'État à cette filière puisque comme vous l'avez rappelé, nous avons récemment débattu au Sénat de la proposition de loi de notre collègue Daniel Gremillet sur la programmation et la simplification dans le secteur économique de l'énergie. Il était prévu, dans la rédaction initiale de l'article 5 de ce texte, l'ouverture d'appels d'offres à un horizon extrêmement proche pour une puissance installée d'un gigawatt à l'horizon 2030. Ce dispositif a cependant fait l'objet d'un amendement de la part du Gouvernement : la ministre déléguée en charge de l'énergie, qui était alors présente dans l'hémicycle, a proposé une réécriture visant simplement à examiner et à explorer le potentiel de l'hydrolien en supprimant tout objectif chiffré et en renvoyant ce débat à la programmation pluriannuelle de l'énergie. Comme vous l'avez indiqué, le texte de cette programmation a été formalisé par le Gouvernement et envisage, pour l'hydrolien, une puissance installée de 250 mégawatts à l'horizon 2030. Autant dire que vos ambitions sont bien moindres que le consensus qui semblait se dessiner au Sénat sur le soutien au développement de l'hydrolien. On constate également, dans l'écriture de la programmation pluriannuelle de l'énergie, une certaine incohérence, avec un écart entre la valeur cible portée à 120 euros par mégawattheure contre 150 euros par mégawattheure quelques lignes plus loin, la valeur plafond étant fixée à 180 euros. Tout cela explique que les industriels soient aujourd'hui relativement inquiets. J'étais d'ailleurs à leur côté hier au salon Euronaval, notamment avec HydroQuest et CMN (Constructions Mécaniques de Normandie) qui sont prêts à s'engager pleinement mais sur des volumes plus conséquents que ceux prévus par la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Madame la ministre, ma question, qui rejoint une démarche transpartisane initiée par ma collègue députée de la Manche Anne Pic, est la suivante : quelles sont les réticences aujourd'hui, de la part de l'État, à s'engager fermement et sur des volumes plus importants pour qu'enfin la filière de l'hydrolien en France puisse prendre son envol, à l'instar de ce que nos voisins britanniques ont pu accomplir ?

Mme Sylvie Valente le Hir. - Je souhaite vous interroger en ma qualité de rapporteure sur la proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile. Ce texte, adopté à l'Assemblée nationale à l'unanimité le 30 janvier dernier, vise à lutter contre « l'ultra fast-fashion », un nouveau modèle économique de l'industrie textile particulièrement polluant, développé notamment par les entreprises asiatiques Shein et Temu et basé sur un nombre très élevé de références à prix très bas. La proposition de loi prévoit notamment l'interdiction de la publicité pour cette pratique commerciale et une plus grande modulation des écocontributions en fonction de la performance environnementale de la fabrication de vêtements. Le 30 octobre dernier, le président Longeot, que je remercie, a demandé au président du Sénat, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de cette proposition de loi consensuelle et fortement attendue par les acteurs du secteur.

Durant la cérémonie de passation de pouvoirs du 23 septembre 2024, le ministre Christophe Béchu a évoqué la lutte contre la fast-fashion parmi les travaux en cours. Je souhaiterais connaître le regard que vous portez sur cette proposition de loi. Souhaitez-vous poursuivre l'action de votre prédécesseur visant à diminuer l'impact environnemental de l'industrie textile ? La proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale permet-elle selon vous d'atteindre sa cible et de lutter efficacement contre l'« ultra fast-fashion » ? Certaines dispositions du texte s'appuient sur l'affichage environnemental de l'industrie textile, en cours de finalisation. Pouvez-vous détailler l'état d'avancées de cet affichage environnemental ?

- Présidence de Mme Marta de Cidrac, vice-présidente -

Mme Nicole Bonnefoy. - D'ici à 2050, les inondations seront le principal risque qui pèsera sur notre pays. Tous les rapports d'experts le démontrent, le changement climatique entraîne des catastrophes extrêmes à répétition que nous constatons dès à présent en France et plus largement en Europe : inondations de plaine ou par remontée de nappes, crues torrentielles, inondations par ruissellement ou encore submersions marines. En effet, comme vous l'avez évoqué hier matin lors de votre interview sur France Inter, le dérèglement climatique n'est pas une chose abstraite. Cela nous concerne toutes et tous. Si nous désinvestissons dans la prévention et dans le rétablissement des écosystèmes, nous serons en décalage avec le niveau de risque.

L'un des points de fragilité de notre territoire réside dans l'artificialisation et donc l'imperméabilité des sols. Vous connaissez la sensibilité du Sénat sur cette question. Je crois, pour ma part, qu'il faut veiller à une application très attentive du principe du ZAN (Zéro artificialisation nette) qui doit permettre de conserver la fonction d'éponge naturelle des sols. Certains territoires ont d'ailleurs fait la preuve de leur adaptation à ce principe, je pense notamment à la Loire-Atlantique. Aussi, madame la ministre, je souhaitais connaître votre avis sur les assouplissements de l'objectif ZAN envisagés par le Premier ministre et le Gouvernement, qui auraient pour contrepartie inévitable de renforcer notre exposition aux phénomènes climatiques. N'est-il pas contre-productif de toujours reculer face aux difficultés d'adaptation ?

M. Joshua Hochart. - Le débat sur la transition énergétique est central pour la vie de notre pays ; pour autant, certaines questions continuent de diviser et tel est notamment le cas des éoliennes. Comme vous le savez, beaucoup de Français, en particulier dans les territoires les plus ruraux, s'opposent à leur prolifération que nous considérons au sein du Rassemblement national comme une solution inefficace, coûteuse et qui défigure nos paysages. Cependant, des éoliennes existent et ma question porte sur la fiscalité des éoliennes déjà installées, tant elle est désastreuse. J'aimerais revenir sur l'impôt forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer). La répartition des recettes issues de cette fiscalité n'est pas favorable aux communes qui possèdent des éoliennes. En effet, elle est insuffisamment perçue par de nombreuses communes depuis la loi de finances de 2019. Je rappelle que l'Ifer est réparti comme suit : la commune en perçoit 20 %, contre 50 % pour l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ; c'était encore pire avant 2019 puisque 70 % des recettes étaient allouées à l'établissement public et les 30 % restants au département. Ne pensez-vous pas qu'il serait légitime de revoir la clé de répartition de cette fiscalité pour la rendre plus équitable avec, par exemple, 35 % à la commune et 35 % à l'EPCI. Le moment n'est-il pas venu de repenser ce modèle en tenant compte du fait que l'éolien, loin de constituer une solution durable et rentable, suscite une opposition grandissante sur notre territoire ?

En second lieu, je voudrais aborder avec vous le projet d'usine de recyclage de batteries à Dunkerque qui, comme vous le savez, a récemment été suspendu. Ce projet est censé s'inscrire dans votre stratégie nationale de développement des filières industrielles vertes et, pour autant, cruciales, notamment en termes d'emploi dans un bassin géographique déjà durement touché par la désindustrialisation. La France, qui ambitionne de devenir un leader dans le domaine de l'économie circulaire et de la production de technologies vertes, ne peut pas se permettre de voir des projets aussi stratégiques retardés ou bloqués, alors même que nos concurrents étrangers, y compris européens, avancent à grands pas. Pouvez-vous nous expliquer les raisons exactes de cette suspension ? Quelles garanties pouvez-vous apporter quant à la reprise rapide de ce projet ? Comment comptez-vous rassurer les acteurs économiques et les industriels face à cette incertitude et éviter que ces projets cruciaux en termes d'emploi ne subissent des retards qui pourraient nuire à notre compétitivité sur la scène internationale ?

M. Saïd Omar Oili. - Les événements survenus en Espagne dans l'agglomération de Valence soulignent l'importance de deux volets de la politique publique face aux conséquences de réchauffement climatique : d'une part, la nécessité de la prévention ainsi que de l'information des populations et, d'autre part, l'impératif d'une bonne préparation de gestion des risques avec les citoyens. Ces deux éléments ont une acuité accrue dans les territoires d'outre-mer, en raison des moyens limités sur place, de l'éloignement géographique et de leur caractère insulaire - à l'exception de la Guyane. Toutes les études et les observations démontrent aujourd'hui que nos territoires sont fortement percutés par le changement climatique : en témoignent les cyclones plus intenses, comme aux Antilles et dans l'océan Indien, et la crise de l'eau à Mayotte. S'y ajoutent les surcrises en cas d'événements sismovolcaniques. L'éruption de la Soufrière en Guadeloupe en 1976 a duré près de deux années, pendant lesquelles l'île a en plus subi un cyclone. À la suite de cet événement majeur, Haroun Tazieff avait été nommé secrétaire d'État chargé de la prévention des risques naturels et technologiques majeurs en 1984. Aujourd'hui, dans nos territoires ultramarins qui subissent de très forts changements climatiques, l'administration de l'État doit, comme dans les années 1980, s'adapter et intégrer cette augmentation des risques et des crises. Or je reste interrogatif quand je regarde l'organigramme de la direction générale des risques : seule une petite mission est dédiée aux risques dans les outre-mer. Madame la ministre, ma question est très simple : votre administration est-elle préparée face aux enjeux majeurs liés au changement climatique dans les territoires ultramarins ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. -Madame la sénatrice Bonnefoy, je rejoins votre propos : il faut être très précautionneux sur le ZAN. La raison est assez simple et je l'observe concrètement, par exemple, dans le Pas-de-Calais : lorsque vous prenez de la hauteur sur ce territoire, vous voyez à quel point les inondations sont aussi liées à des phénomènes de ruissellement, à la fois sur des zones qui sont artificialisées et sur certaines terres où le ruissellement est particulièrement intense, ce qui soulève également la question de la conservation et de l'entretien des sols.

Il y a donc vraiment une nécessité de retravailler sur l'aménagement. À cet égard le Premier ministre, dans une très jolie formule, a indiqué qu'il fallait se demander comment « ménager » la nature de façon à ce qu'elle ne reprenne pas ses droits. Ce qui est très frappant dans un certain nombre de cas d'inondations - et tel est le cas à Valence - c'est que les fleuves retrouvent leur cours historique, ce qui peut entraîner des événements tout à fait effrayants. Je ne vous apprends rien en soulignant que c'est donc un travail qu'il faut reprendre car ce n'est pas la même chose quand un drame arrive une fois tous les 100 ans ou tous les 5 ans. Il faut avoir en tête que le Pas-de-Calais, d'après le rapport d'inspection, a été frappé par l'équivalent de 1,5 fois la crue centennale. Nos référentiels de crues centennales, cinquantennales ou décennales ont donc explosé : l'Ardèche a subi une année de précipitations en 48 heures et Valence six mois de précipitations en quatre heures. La science nous apprend également que les solutions fondées sur la nature sont les plus efficaces. Nous allons recalibrer notre action et je pense qu'il faut tirer très froidement et très cliniquement les enseignements de ces différents épisodes ainsi que des retours d'expérience pour pouvoir agir dans l'aménagement futur et accompagner l'existant. Le président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) m'a par exemple indiqué, en substance, qu'un quartier de Cannes est situé dans un endroit surveillé au titre du risque inondation depuis 200 ans, les décisions prises ne datent donc pas de la semaine dernière. J'entends parfaitement ses propos : il faut à la fois gérer les risques historiques et accompagner l'évolution des risques. Vous connaissez, à cet égard, le rôle du fonds Barnier : par exemple, dans le Pas-de-Calais, à un certain moment, on reconnaît qu'à certains endroits il n'est plus légitime d'habiter car on s'expose à un rythme tellement resserré d'inondations que cela devient invivable. On propose alors aux habitants de prendre en charge leur maison - dont la valeur s'effondre - et de les reloger ailleurs. Il y a eu une soixantaine de cas de cette nature suite aux inondations du Pas-de-Calais, c'est une des actions du fonds Barnier.

Il faut donc, comme vous l'indiquez, faire attention à l'artificialisation, ce qui ne veut pas dire, dans le même temps, qu'il faut adopter un comportement normatif, standard, descendant et vertical. Une telle attitude est contestée sur le terrain et beaucoup d'élus me disent qu'ils souhaitent qu'on tienne compte des efforts qu'ils ont consentis. Ceux qui ont des projets voudraient qu'on les examine sur une maille un peu plus large que certaines parties de leurs communes. Je pense donc qu'il faut trouver un juste équilibre en maintenant l'objectif global de diminution de l'artificialisation, tout en aménageant des souplesses pour agir intelligemment. Je sais que mon prédécesseur y a travaillé et j'ai beaucoup de remontées de terrain à ce sujet : on m'expose des situations où je comprends la colère des maires et, inversement, on me présente des cas où je n'ai pas du tout envie d'artificialiser, pour des raisons objectives de protection des populations et de prévention des risques.

J'ajoute qu'il faut également renaturer : c'est un autre levier de prévention des inondations. La renaturation donne des résultats assez intéressants : on n'arrive pas à chiffrer le retour sur investissement parce que les bénéfices sont extra-financiers et sans lien direct avec des activités économiques. Cependant, en termes de risques évités, de capacité d'absorption ou de résilience d'un territoire, de qualité du cadre de vie ou encore de santé, les retombées de la renaturation sont assez évidentes. Il faut donc s'équiper et s'outiller pour renaturer de la manière la plus scientifique, rationnelle, professionnelle et sérieuse possible, si je peux utiliser ce terme.

Madame la sénatrice de Cidrac, s'agissant du plastique, je rappelle que deux solutions ont été évoquées ces dernières années. La première - historiquement - c'est la consigne plastique et la deuxième serait de mettre en place un bonus-malus. Je rappelle que nous sommes le vingt-sixième pays européen sur 27 en termes de collecte et de recyclage : c'est inacceptable. Je note que les performances sont très différentes d'une région à l'autre : de mémoire, le taux de recyclage est supérieur à 70 % en Bretagne et aux alentours de 30 % en Île-de-France ainsi qu'en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca). La question posée est de savoir comment atteindre notre objectif de 80 % en 2026. Pour ce faire, on va se nourrir de tous les travaux récents sur le sujet qui révèlent clairement une préférence exprimée par les territoires en faveur du système du bonus-malus et une inquiétude sur les conséquences d'un éventuel échec si on n'atteint pas l'objectif fixé. Je rappelle que notre performance insuffisante en matière de recyclage nous coûte 1,5 milliard d'euros, ce qui est problématique au plan budgétaire.

Mme Marta de Cidrac. - Permettez-moi de rebondir sur votre réponse. Je sais que vous regardez ce sujet de près et je vous en remercie. Toutefois, je me permets d'insister puisque les objectifs que vous évoquez portent sur les plastiques en général. Or, la consigne dont nous parlons concerne les PET (polyéthylène téréphtalate), à savoir un type de plastique un peu particulier. Il faut conserver en mémoire cette précision et n'hésitez pas à vous inspirer des solutions que nous vous proposons dans le rapport d'information qui a été fait en 2023 : je ne prétends pas que nos préconisations vont apporter une solution simple et immédiate mais elles nous permettraient, en tout cas, de nous inscrire dans une trajectoire qui, je pense, portera ses fruits. Nous sommes un petit peu insistants, au Sénat, sur ce point, mais comprenez aussi que la gestion des déchets est une tâche ardue.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - S'agissant du rapport des inspections sur la responsabilité élargie des producteurs (REP), nous sommes assez en ligne avec une partie du diagnostic qu'il établit, notamment sur les moyens et l'insatisfaction relative qu'on peut avoir sur l'efficacité de ces systèmes. Je suis en revanche plus réservée sur le fait de mettre en place une autorité administrative indépendante, l'objectif final est de créer des moyens ainsi que des compétences supplémentaires, auquel cas rien n'empêche de le faire dans l'administration. À mon avis, il faut interpréter cet aspect du rapport comme une façon d'exprimer un besoin de compétences et de ressources en les mobilisant à un seul endroit. Telle est la piste qu'il convient de privilégier car je ne pense pas - et le rapport ne dit pas l'inverse - que ce soit le statut des personnes qui explique le défaut de résultat satisfaisant. Ce n'est pas la nature administrative de leur rattachement mais bien le manque de compétences et de moyens qui est en cause.

S'agissant, monsieur le sénateur Fagnen, de l'hydrolien, je rappelle que j'avais soutenu une des premières initiatives dans ce domaine : il s'agit du projet FloWatt de ferme hydrolienne d'une puissance de 17,5 mégawatts dans le Raz Blanchard, au large de la Normandie, porté par le chantier naval des Constructions mécaniques de Normandie (CMN) à Cherbourg. Cette installation doit être mise en service en 2026 et j'ai pris la décision de la soutenir financièrement en 2022-2023. Au regard de ces 17,5 mégawatts, vous voyez que l'objectif de 250 mégawatts à l'horizon 2030 n'est pas complètement absurde. Nous avons inscrit cette cible car aujourd'hui on n'a pas encore, dans l'hydrolien, de technologie qui soit établie à un prix totalement robuste. Je ne préciserai pas les conditions de financement négociées par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), mais disons qu'on se situe encore dans une technologie en recherche de maturité et d'industrialisation. Elle est cependant prometteuse et c'est ce qui nous a conduits à la financer : il y a, en général, une courbe d'apprentissage et de convergence industrielle qui nous amène à penser que cette filière pourra atteindre un niveau de prix de production de l'électricité conforme à nos objectifs de décarbonation et de compétitivité-prix. C'est pourquoi nous avons pris le risque d'accompagner cette installation et nous financerons au cas par cas les projets de cette nature dans les années qui viennent, comme on l'a fait il y a quelques années pour d'autres technologies. Il y a 20 ans, les éoliennes ont été développées avec des prix d'accompagnement assez élevés avant de progresser énormément dans la réduction des coûts. C'est aujourd'hui une trajectoire similaire que nous envisageons pour l'hydrolien et Olga Givernet est à votre disposition pour en discuter ; la vision que nous portons toutes deux de la transition énergétique est de coupler industrie et décarbonation : derrière chaque technologie, on cherche à avoir la filière la plus solide possible dès son lancement. Ensuite, on doit faire preuve de continuité, de consistance et de cohérence dans la durée, ce qui n'est pas toujours évident.

La sénatrice Valente Le Hir m'a interrogé sur la fast-fashion. Nous lançons la consultation sur l'étiquetage environnemental dans le textile avec des propositions : par exemple, faut-il indiquer le nombre de tonnes de CO2 émises pour fabriquer un vêtement ? Nous nous demandons s'il est préférable de rapporter les émissions au kilogramme de vêtements ou d'établir des comparaisons entre des vêtements de même nature, si tant est que la production d'un manteau diffère de celle d'un t-shirt. Le choix est également proposé entre l'affichage d'une performance brute ou d'une performance relative matérialisée par un visuel vert, orange ou rouge : nous sommes plutôt favorables à la première solution qui préciserait la quantité de CO2 générée par tel ou tel vêtement car vous composez votre garde-robe avec certains vêtements que vous allez garder 10 ans et d'autres moins longtemps ; il est donc opportun de pouvoir comparer des vêtements fast-fashion avec ceux qui sont plus durables. L'idée est d'introduire de la pédagogie dans le choix des consommateurs et surtout de faciliter leur accès à l'information. La proposition de loi sénatoriale s'appuie sur un tel affichage : c'est une première étape importante et nous soutenons plutôt le principe qui sous-tend ce texte mais il comporte un problème d'articulation avec le droit européen, ce qui ne vous a sans doute pas échappé.

S'agissant de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), le groupe de travail qui a été mentionné précédemment a abordé la question des installations d'énergies renouvelables terrestres et de l'Ifer : c'est donc l'instance adéquate pour prolonger la discussion. Je pense que vous pouvez assez aisément déduire les propositions qui avaient été faites en vous référant à la composition du groupe de travail, qui a réuni des parlementaires ainsi que des élus locaux. La région est a priori plutôt en charge des sujets énergétiques et de développement économique et pourrait à ce titre percevoir l'Ifer. Cependant, selon les remontées des discussions au sein de ce groupe de travail, le lien entre région et Ifer n'est pas suffisant. En revanche, il a été suggéré que le bloc communal pouvait être plus légitime pour percevoir l'Ifer, tandis que le lien entre Ifer et département apparaît plus ténu. Les travaux en sont restés là, l'État s'étant limité à un rôle d'observateur et de facilitateur dans ce groupe de travail réunissant des collectivités locales et traitant de sujets portés par les parlementaires. En conséquence, je vous invite à solliciter ma ministre déléguée pour reprendre ces travaux parce que d'une manière ou d'une autre, les sujets traités vont revenir et il est préférable de les anticiper. En effet, la production d'énergie renouvelable va augmenter et donc le potentiel fiscal lié à ces énergies renouvelables devrait susciter beaucoup d'intérêt, notamment au niveau des collectivités locales.

Vous avez mentionné les oppositions aux éoliennes : elles sont bien réelles mais, lorsque j'avais en charge ce portefeuille en tant que ministre de l'énergie, j'ai été frappée de recevoir beaucoup plus de courriers qui revendiquaient une accélération de l'instruction des dossiers d'éoliennes par mes services que de courriers qui demandaient l'arrêt de projets d'éoliennes : statistiquement, je pense le ratio était de cinq contre un. N'oublions donc pas les projets d'éoliennes qui sont les bienvenus mais dont on n'entend pas parler parce qu'ils sont bien montés avec le soutien des collectivités locales et une concertation avec les citoyens. Comme dans tous les domaines, il y a projet et projet...

S'agissant du projet de recyclage des batteries à Dunkerque, j'ai un peu sursauté en entendant vos propos, et j'espère qu'il en va de même pour le sénateur Dhersin : en effet, il me semble qu'on est tout de même dans une logique de réindustrialisation à Dunkerque. Notre problème est de savoir comment accueillir les futurs emplois que nous sommes en train de créer et nous avons des sueurs froides sur l'aménagement du territoire, le logement, les parkings et les mobilités. Nous sommes donc bien loin d'être dans un moment de désindustrialisation massive et je parle sous le contrôle des experts ainsi que des territoriaux.

Deuxièmement, on observe, dans l'ensemble de l'Europe, un moment de temporisation sur les projets de batteries électriques : il en va ainsi en Allemagne ainsi qu'en Suède où Northvolt a très clairement annoncé des arrêts de construction d'usines. Ce phénomène est lié, d'une part, à la montée en charge de la production de voitures électriques et, d'autre part, à des politiques globales, notamment en Allemagne qui est un grand pays producteur mais aussi consommateur de voitures : c'est le pays le plus peuplé de l'Union européenne et il a revu drastiquement à la baisse ses aides à l'achat de voitures électriques, ce qui, au niveau du marché allemand, a créé un gros trou d'air. Ce n'est pas du tout un reproche mais un constat car tous les pays ont des problèmes budgétaires et effectuent des choix.

S'ajoute l'incidence de la concurrence étrangère sur la production, puisque les chaînes de fabrication intègrent batterie et montage : c'est d'ailleurs ce qui a amené la Commission européenne à rehausser son niveau d'exigence sur la concurrence déloyale. Ma conviction est donc qu'il est absolument nécessaire de resserrer les rangs et d'avoir le plus de cohérence possible, à la fois sur l'offre et la demande. Peut-être faudra-t-il revoir légèrement à la baisse le calendrier et le déploiement de la production mais l'essentiel est de s'assurer qu'on protège nos industries de façon logique et justifiée car la France produit des batteries électriques en utilisant une électricité à 90 % décarbonée : seuls trois pays peuvent réaliser une telle performance - la Finlande, la Suède et la France - et cet atout doit être valorisé. Il me paraît très important de pouvoir à l'échelle européenne, revendiquer cette performance environnementale, ce qui suppose qu'un certain nombre de contraintes environnementales soient imposées à nos entreprises. Celles-ci ne doivent pas être confrontées à une concurrence qui n'est pas soumise aux mêmes exigences, sans quoi cela soulève un problème de cohérence collective, je pense que ce sujet est maintenant bien compris au niveau européen. Encore faut-il mettre en oeuvre les outils avec la rapidité d'exécution adéquate sur ce sujet de commerce international, où il est normal de constater des rapports de force entre les pays.

En ce qui concerne les outre-mer, je vous rassure : ce n'est pas parce que mon ministère abrite un bureau ou une cellule spécifiquement dédiée aux outre-mer que tous les autres services ne s'occupent pas de ces territoires. Par principe, il est tenu compte des spécificités ultramarines mais l'outre-mer est en soi un territoire qui doit bénéficier des prestations de l'ensemble de l'administration ; ainsi toute la direction générale de la prévention des risques (DGPR) a vocation à travailler aussi bien pour l'Hexagone que pour les outre-mer. Parmi les principaux risques ultramarins qui sont aujourd'hui couverts et sur lesquels on travaille, je citerai d'abord le risque sismique via le plan séisme Antilles (PSA), qui occupe la deuxième place en termes de mobilisation du fonds Barnier, derrière le risque inondation. Nous approfondissons ce sujet sismique pour nous adapter aux conséquences du dérèglement climatique et faire le lien avec le risque de submersion marine. Nous travaillons également sur les risques cycloniques. Je souligne d'ailleurs qu'en termes de culture du risque, les outre-mer ont des choses à apprendre à l'Hexagone, car les ultramarins sont extrêmement bien formés à la gestion d'un épisode cyclonique : les habitants ainsi que les enfants savent comment se comporter et les réflexes de base sont en place. Nous devons ainsi adapter ce schéma à l'Hexagone.

Avec mon collègue, le ministre chargé des outre-mer François-Noël Buffet, nous souhaitons également élaborer un plan spécifique couvrant tous les enjeux. Pour ma part, je gère des compartiments d'un tel plan sur des sujets absolument majeurs puisque les outre-mer connaissent des problèmes d'eau, d'assainissement, de déchets et de fourniture d'électricité à des niveaux de gravité inacceptables pour la France. Ces quatre difficultés doivent être prises en compte en plus de la gestion des risques : cela fait partie de la feuille de route portée conjointement avec mon collègue et je l'ai assuré de toute ma disponibilité pour réexaminer systématiquement ces points dans chacun des territoires ultramarins. J'ai mentionné le plan eau à Mayotte et je souligne que la Guyane subit des difficultés de salinisation de l'eau avec des biseaux salins qui remontent à certains moments de l'année. S'ajoutent aux problèmes de qualité de l'eau les difficultés portant sur les déchets avec des maladies imputables à des décharges sauvages mal traitées. Nous considérons que tous ces sujets ultramarins sont des priorités au même titre que les défis qui sont, sous nos yeux, à relever dans l'Hexagone.

M. Jacques Fernique-Vous avez parlé de la réduction des dépenses brunes, ce PLF pour 2025 s'apprête ainsi à actionner un peu plus le malus automobile pour favoriser les véhicules sobres, peu émetteurs et plus légers. On connaît, à ce sujet -, et on l'a vu en allant au salon international de l'automobile - l'opposition et l'intense pression, un peu à courte vue, de certains acteurs. On retrouve d'ailleurs les mêmes réflexes de refus vis-à-vis d'autres dispositifs de ce PLF qui accentuent un peu la sortie des fossiles. Le Gouvernement est-il déterminé à maintenir cette mesure - d'autant qu'à mon sens il faudra être plus impactant - ou se prépare-t-il à reculer ?

S'agissant du dégonflement des aides à l'électromobilité, comme vous l'avez indiqué, l'enveloppe consacrée à l'électrification des véhicules perd de la consistance. Si j'ai bien compris, c'est la prime à la conversion qui paraît la plus compromise. Pourtant, le bilan environnemental positif de cette prime est avéré, avec 45 000 bénéficiaires auxquels elle a apporté des solutions de mobilité en 2023. Je voulais vous rendre attentive au fait que si cette prime devait s'étioler, le dégât collatéral serait l'impossibilité de mettre en oeuvre la loi n° 2024-310 du 5 avril 2024 visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires. C'est une raison de plus pour maintenir la prime à la conversion.

Vous avez déjà fait allusion aux négociations en Corée du Sud sur le plastique et vous avez de nouveau évoqué ce sujet en répondant à une question de notre vice-présidente Marta de Cidrac. Vous avez également rappelé la pénalité fondée sur notre part insuffisante d'emballages plastiques non recyclés, qui ajoute 1,5 milliard d'euros à notre contribution européenne. Nous sommes les tristes champions européens en la matière, il faut noter que la situation s'aggrave depuis 2021 : la part des plastiques non recyclés dans notre pays augmente de façon continue. Plutôt que de faire peser la charge de cette défaillance sur les contribuables et aussi, tout particulièrement, sur les collectivités qui paient lourdement la gestion des déchets de ces plastiques, n'est-il pas temps de mettre en place une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) amont, notamment sur les plastiques qui n'entrent dans aucune filière REP ? En effet, comme vous l'avez indiqué, sur le plastique, c'est d'abord à la racine et en amont qu'il faut agir.

Enfin, en ce qui concerne le site souterrain de déchets toxiques Stocamine en Alsace, le Sénat a envoyé l'an passé un message très clair lors de l'examen du PLF pour 2024 en adoptant deux amendements de ma collègue Sabine Drexler en faveur d'un déstockage des déchets toxiques. La semaine dernière, la commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté un amendement transpartisan porté par quatre députés alsaciens qui prévoient d'allouer 31 millions d'euros pour financer ce déstockage. Votre Gouvernement va-t-il évoluer sur ce point ou va-t-il maintenir avec obstination la position qui date du ministère Barbara Pompili ? Allez-vous intégrer au budget pour 2025 les amendements favorables au déstockage, conformément à la volonté exprimée par les deux chambres ?

M. Hervé Gillé.- Il faut faire attention aujourd'hui à ne pas cultiver un paradoxe ou une ambiguïté dans ce projet de loi de finances. Vous avez précisé les enjeux financiers en indiquant que la prévention présente une forte efficacité budgétaire. Or le fonds Barnier finance principalement la prévention et cette dernière est donc, en définitive, un peu sacrifiée, malgré tout, dans ce budget. Vous voyez donc là qu'il y a une forme de paradoxe. Certes, vous répondez que le budget augmente de 75 millions d'euros mais, comme cela a été dit, le prélèvement sur la surprime catastrophes naturelles devrait dégager 450 millions d'euros de recettes. On voit bien que ce n'est pas une bonne politique - de supprimer ces fonds qui interviennent dans la prévention et bien sûr dans l'investissement de protection, notamment à travers les programmes d'actions de prévention des inondations (Papi) ainsi que dans le cadre de l'exercice de la compétence gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi). Or, madame la ministre, vous constatez qu'il y a beaucoup de retard dans ce domaine car il est très complexe, par exemple, aujourd'hui, pour les collectivités compétentes, de mettre en place des systèmes d'endiguement. Je rappelle qu'un kilomètre de digue coûte un million d'euros, le fonds Barnier ne suffit pas pour mobiliser les sommes nécessaires. De plus, il faut revoir le modèle économique de la Gemapi sur ce qu'on appelle les enjeux majeurs. Telle est aujourd'hui la situation, avec des cabinets d'études qui sont le dos au mur et n'arrivent plus à répondre à la demande, des délais qui sont en train de s'étirer et des élus qui sont en train de s'épuiser sur le sujet. Il faut donc s'activer et cela nous ramène encore à la mobilisation du fonds Barnier.

Par ailleurs, vous avez mentionné une diminution de 5,8 % de nos émissions de gaz à effet de serre : très bien, mais, là aussi, attention à l'ambiguïté car nous sortons d'une année particulièrement douce avec peu de consommation d'énergie et c'est donc bien la trajectoire pluriannuelle qu'il faut examiner - au demeurant cette dernière n'est pas si mauvaise que ça.

Je terminerai sur l'ambiguïté budgétaire à propos de MaPrimeRénov'. Vous l'avez expliqué, et j'ai bien écouté votre interview sur France Inter dans laquelle vous avez repris l'argument selon lequel on n'a pas besoin de maximiser l'inscription budgétaire initiale parce qu'on a sous-consommé les crédits de l'année précédente. Mais il faut s'interroger sur les raisons de cette sous-consommation : c'est peut-être parce que la demande n'était pas au rendez-vous mais c'est surtout parce qu'il y a une complexité dénoncée par tous les acteurs, avec des normes qui évoluent en permanence. J'espère que cette forme de sous-consommation n'est pas cultivée au niveau du Gouvernement, mais tout le monde constate aujourd'hui la complexité de l'accès aux différentes aides et du système dans son ensemble qui alimente une sous-consommation des crédits. J'aimerais bien avoir votre avis sur ce sujet.

M. Franck Dhersin. - Les entreprises, notamment industrielles, ont vraiment besoin de visibilité sur les prix de l'énergie. Je parle évidemment en connaissance de cause depuis mon territoire dunkerquois où le prix de l'électricité est absolument déterminant pour les industries électro-intensives. La fin de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) est donc un facteur d'incertitude pour nos entreprises. Le Gouvernement et EDF avaient passé un accord en novembre 2023 au sujet de la régulation du nucléaire post-Arenh. Cet accord portait sur 100 % de la capacité nucléaire et prévoyait un prix de 70 euros par mégawattheure. Le Gouvernement a tenté d'introduire ce mécanisme, si j'ai bien compris, à l'article 4 du projet de loi de finances, ce qui me semble un peu baroque tant ce sujet mérite, à mon sens, un véhicule législatif à part entière, avec un débat plus long et plus structuré. Nous entendons certains bruits laissant penser qu'à la faveur de la baisse des prix de l'électricité, le Gouvernement souhaiterait réviser certaines modalités de cet accord, à commencer par le fameux prix de 70 euros le mégawattheure. Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer les intentions du Gouvernement sur ce sujet et revenir sur les grandes lignes de cet accord, notamment les mécanismes de taxation par l'État en cas de prix de vente élevé ?

Mme Audrey Bélim. - La stratégie nationale pour la biodiversité, qui prévoit que 10 % du territoire national soit sous protection forte d'ici 2030 et que 100 % des récifs coralliens ultramarins soient protégés d'ici l'an prochain, voit ses crédits divisés par deux. Comment allons-nous faire plus avec moins ? On entend souvent dire que les outre-mer concentrent 80 % de la biodiversité de la France mais nous sommes loin de concentrer 80 % des financements publics ! Que pensez-vous d'une réallocation des dépenses en se basant sur le nombre gigantesque d'essences d'arbres et d'espèces animales ou végétales qu'abritent nos territoires ? Je tiens à rappeler que lorsque nous protégeons le Pétrel de Barau - qui fait partie des espèces menacées - c'est parce que les Réunionnaises et les Réunionnais ont conscience que si cet oiseau marin disparaît de La Réunion, il disparaîtra de la planète toute entière.

Madame la ministre, il est vrai que des financements européens existent et peuvent être alloués à nos projets. Cependant, les fonds nationaux sont trop faibles pour le fonctionnement habituel des structures comme le parc national, l'office national des forêts (ONF) ou encore la réserve marine. Nous avons besoin de pérenniser les dotations de ces grands établissements publics ou encore de ces associations de protection de la biodiversité. Leur action participe à limiter les effets des changements climatiques, et je rappelle que moins de biodiversité, c'est moins d'air et moins d'eau de bonne qualité. J'ajoute que la moitié du patrimoine végétal de La Réunion est aujourd'hui valorisé dans la médecine ou les cosmétiques. Que pouvez-vous nous proposer pour faire face à ces réalités et lutter contre les menaces qui pèsent sur cette biodiversité ?

Par ailleurs, le Gouvernement avait oublié les outre-mer lors de la mise en oeuvre du leasing social sur les véhicules électriques et il s'était engagé à y remédier pour 2025. Pouvez-vous nous confirmer cet engagement ? Ne faudrait-il pas finalement prévoir un quota particulier pour les outre-mer afin de compenser l'oubli en 2024 ? Je vous rappelle que les acteurs s'étaient déjà mobilisés sur place avant que l'on stoppe ce dispositif pour les outre-mer. Encore une fois, la transition du parc automobile vers l'électrique suppose également de nous confronter urgemment au problème des déchets de batterie électrique et je m'inquiète des conditions actuelles de leur stockage sur nos territoires.

Je souligne également que nous nous félicitons d'avoir réussi la transformation de nos usines de production d'énergie mais le sujet de la souveraineté énergétique reste tout de même posé et il est important qu'on nous accompagne dans ce domaine. Il est vrai que notre production ne se concentre plus que sur de l'énergie fossile, mais, pour fabriquer des biocarburants, la graine de colza ne pousse pas à La Réunion et les pellets de bois viennent du Canada. Il faut donc réellement soutenir nos efforts et pousser la réflexion pour aller vers la souveraineté énergétique. Je rappelle à ce sujet le récent conflit social intervenu dans les centrales électriques alimentées par de biomasse d'Albioma et qui a impacté la production d'énergie sur différents territoires ultramarins.

M. Michaël Weber. - Madame la ministre, nous vous écoutons attentivement depuis le début de cette intervention et avant d'aborder des sujets budgétaires très précis, j'indique qu'on a un peu le sentiment qu'il y a vraiment un décalage entre l'ambition que vous affichez - qui semble sincère - et les moyens à votre disposition pour relever ces défis immenses.

Je voudrais, tout d'abord, rebondir sur deux sujets que vous avez évoqués. Le premier est celui de l'objectif de 30 % d'aires protégées, dont 10 % de zones de protection forte. Outre le fait qu'on n'atteint pas ces 10 %, je souligne le déséquilibre territorial existant. Vous savez très bien que sur les aires marines ou les territoires d'outre-mer, on atteint des taux de protection forte importants mais, en France métropolitaine, il y a des secteurs avec très peu de protection forte. De surcroît, tout cela est inefficace s'il n'y a pas de lien entre les zones de protection forte car si l'on veut aider les espèces et les essences à survivre au changement climatique, il faut absolument aménager des corridors entre ces différentes zones de protection. De ce point de vue, non seulement vous n'atteignez pas le niveau qui était indiqué ou espéré, même si on peut discuter des chiffres, mais, de surcroît, il subsiste un vrai déséquilibre.

Mon second sujet prolonge les propos tenus par Hervé Gillé et qui me semblent importants. Vous avez parlé des 6 milliards d'euros liés aux certificats d'économie d'énergie (CEE) : ce ne sont pas des fonds publics et il s'agit effectivement d'un dispositif extrêmement intéressant. Mais aujourd'hui, dans l'ensemble, les acteurs sont très insatisfaits de l'utilisation de ces fonds - c'est ce que l'on entend sur le terrain - pour les raisons suivantes : la modification des règles du jeu de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), le fait qu'on n'utilise pas totalement la prime rénovation, la question du ratio entre le coût d'investissement et le coût de l'énergie économisée et, enfin, la fraude qui met à mal ces dispositifs.

Je souhaitais enfin rebondir sur deux propos que vous avez eus tout à l'heure en apportant des précisions importantes.

Sur le fond, je vous ai entendue lors de votre passation de pouvoir, insister sur la question de l'adaptation au changement climatique et vous avez parlé du réchauffement de 4°. Vous venez d'essayer de nous convaincre en expliquant que le chiffre à retenir n'est pas exactement celui de 4° mais, pour ma part, je m'interroge. Tout d'abord, quel sens cela a-t-il que l'État continue à subventionner ou à laisser faire tout ce qui engendre des atteintes au climat ? L'an dernier, lors des travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur Total, on a vu le nombre de cas où des subventions sont allouées à des investissements dans les énergies fossiles et on a constaté le défaut de sanction des banques qui financent les énergies fossiles : ce sont des sujets essentiels et je pense qu'il y a aussi des moyens peut-être financiers à mettre en oeuvre pour remédier à cette situation.

Je reviens sur le chiffre de 4° : c'est quand même un signe négatif qui est donné, y compris à nos concitoyens, qui laisse penser que finalement on n'a pas les moyens ou que les pouvoirs publics, en quelque sorte, ont renoncé à atténuer effectivement le réchauffement climatique et qu'on se limite à des mesures d'adaptation. L'adaptation pour qui ? Pas pour la biodiversité mais pour les humains. Et si on accepte cette adaptation - et peut-être même trouverait-on des solutions pour une planète qui deviendrait invivable à 4° - au final, la biodiversité, pour sa part, ne serait absolument pas protégée et, de ce point de vue, je pense qu'il y a un vrai décalage.

Pour finir, le 29 août 2023, vous étiez sur le plateau du Medef, dans le cadre de vos fonctions précédentes, et il y avait avec vous, sur ce plateau, Patrick Pouyanné et Jean Jouzel, le premier interpellant le second en mettant en avant le principe de réalité. Or je considère que la réalité c'est plutôt qu'il est assez hypocrite de prétendre s'adapter à un monde devenu invivable parce qu'on n'aura rien fait pour atténuer drastiquement le réchauffement et qu'on aura laissé la catastrophe se produire. En définitive, j'aurais tendance à vous demander si vous êtes plutôt Jean Jouzel ou Patrick Pouyanné ?

M. Alain Duffourg. - Ma question concerne la politique de l'eau. Le Premier ministre a annoncé dans son discours de politique générale une conférence nationale sur l'eau. La question de l'eau est effectivement un pilier de votre ministère et l'organisation d'une telle conférence est aujourd'hui très importante et urgente. Avez-vous madame la ministre un calendrier sur ce sujet et, notamment en matière d'irrigation agricole, pensez-vous que nous puissions améliorer et faciliter les dispositifs de mise en oeuvre des retenues collinaires ?

Ma deuxième question porte sur l'électrification rurale. Les syndicats d'énergie départementaux s'alarment de la réforme du compte d'affectation spéciale dédié au financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (CAS-Facé). En effet, le PLF pour 2025 prévoit de supprimer la contribution des gestionnaires de réseaux de distribution d'électricité au CAS-Facé pour la remplacer par une fraction de l'accise sur l'électricité. Or cette réforme risque de mettre en cause le financement des syndicats d'électrification. Je souhaite connaître votre position sur ce point car ces syndicats sont aujourd'hui assez interrogatifs.

M. Pierre Jean Rochette. - J'ai deux questions sur l'article 8 du projet de loi de finances, relatif au durcissement du malus poids et du malus CO2. Je voudrais avoir votre avis sur ce point car je crains que cette mesure desserve un peu le secteur automobile français. S'agissant du malus CO2, je pense qu'il y avait, sur les émissions de grammes de CO2 par kilomètre, une anticipation faite par les industriels français d'une norme de diminution de 5 grammes de CO2 par kilomètres, nous demandons maintenant une accélération pour atteindre 7 grammes de CO2 par kilomètres. Je redoute que cela handicape un peu nos constructeurs français et il en va de même pour le durcissement du malus poids - avec un abaissement de son seuil de déclenchement. Quel est votre avis à ce sujet ?

De plus, l'enveloppe allouée au verdissement du parc est en baisse : elle passerait de 1,5 milliard d'euros à un milliard d'euros avec des changements ainsi que des suppressions d'éligibilité. Je voudrais en connaître les raisons et je me demande plus généralement si on ne devrait peut-être pas se concerter avec les constructeurs automobiles sur ces deux points.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le sénateur Fernique, sur le malus automobile, deux points de vue différents se sont parmi vous exprimés, ce qui permet d'alimenter le débat. Je rappelle que le malus automobile concerne les véhicules neufs, c'est-à-dire une partie assez modeste de notre parc et de l'acquisition de véhicules puisque les Français achètent plutôt des véhicules d'occasion. De plus, le dispositif ne concerne pas les flottes automobiles, sachant que pour ces dernières, on travaille sur des avantages fiscaux incitatifs à leur électrification. Par ailleurs, le malus s'applique à tous les véhicules immatriculés en France, quel que soit leur producteur : ainsi, les véhicules produits en Chine, en Allemagne, en Espagne ou en France sont concernés. Le fait qu'aucun biais ne favorise tel ou tel site de production ou nationalité du siège social du producteur garantit la totale neutralité du dispositif selon les fabricants. Le deuxième élément est que la mesure proposée a, comme vous l'indiquez, un effet de pentification : effectivement, le malus s'accélère, mais on donne de la visibilité à trois ans, ce qui est inédit, avec l'affichage du barème pour 2025, 2026 et 2027. Je fais observer que l'enjeu, c'est bien entendu de ne pas payer le malus et plutôt d'utiliser le bonus pour acheter un véhicule électrique. Tel est bien le sens de la manoeuvre : moins l'enveloppe du malus sera mobilisée et plus nous aurons réorienté l'achat des Français vers des véhicules ayant une empreinte carbone plus faible : c'est, au fond, la bonne nouvelle. Ainsi, en accompagnement du malus il y a un bonus : c'est l'enveloppe d'électrification sur laquelle mon collègue Marc Ferracci est évidemment en contact avec les constructeurs pour en définir les éléments avec une vision industrielle. Pour avoir été ministre en charge de l'industrie et de l'énergie, je connais parfaitement ce processus qui repose sur des méthodes de concertation éprouvées. Certes nos moyens budgétaires contraints amènent à resserrer les dotations, sachant que les choses se passent en deux temps avec, d'abord, la définition de l'enveloppe et ensuite l'élaboration des critères entre le bonus, la prime à la conversion et le leasing.

J'en profite pour indiquer au passage que le leasing était parfaitement ouvert à l'outre-mer : rien n'empêchait d'en bénéficier mais vu le succès qu'a eu le leasing, au moment où des Ultramarins étaient prêts à conclure, ça ne s'est pas fait.

Mme Audrey Bélim. - En réalité, les Ultramarins n'ont pas pu bénéficier de ce dispositif auprès des concessionnaires en raison de procédures administratives impossibles dans les délais requis.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous avons eu des cas où nous aurions pu financer le leasing mais on avait épuisé l'enveloppe prévue. Je comprends que certains acteurs sont probablement partis avec un temps de retard et ont dû se structurer de façon différente en cours d'opération. Je souligne qu'il n'y a évidemment aucune différence de traitement prévue par la loi : votre formulation aurait pu être interprétée comme une exclusion des outre-mer mais ce n'est pas le cas ; c'est plutôt la mise en oeuvre pratique qui n'a pas emprunté les mêmes circuits et retardé les possibilités d'accéder au dispositif pour les Ultramarins.

Sur la prime à la conversion, je rappelle que le coût d'abattement de la tonne de CO2 est assez élevé dans ce dispositif. La prime à la conversion permet surtout de réduire les émissions de particules fines : c'est une mesure destinée à réduire la pollution de l'air plutôt que de décarbonation. En tout cas, c'est une mesure bien moins efficace en décarbonation que le bonus écologique ou le leasing pour l'achat de véhicules électriques. Dans le registre de la pollution de l'air, avec les zones à faibles émissions - mobilités (ZFE-m), vous savez comme moi qu'un certain nombre de villes ont pu améliorer la qualité de l'air et sont donc aujourd'hui hors situation de devoir exclure les véhicules classés Crit'Air 3. Aujourd'hui ce sujet concerne essentiellement les deux métropoles de Paris et Lyon qui mènent d'ailleurs une politique d'accompagnement assez importante en matière d'électrification et d'amélioration de la qualité de l'air. Vous avez par ailleurs raison d'indiquer qu'opérationnellement, la réduction de l'enveloppe consacrée à la prime à la conversion pose un problème quant à l'application de la loi sur les garages solidaires.

S'agissant du recyclage des plastiques, je prends bonne note de votre proposition d'élargissement de la TGAP.

En ce qui concerne Stocamine, la position constante - mais pas obsessionnelle - qu'a prise le Gouvernement ne se rattache pas à une question financière mais de gestion des risques. Toutes les études que nous avons pu faire réaliser sur ce sujet montrent qu'il est plus risqué de vouloir déstocker que de vouloir consolider le stockage en le protégeant. C'est un pur sujet de gestion des risques. Je sais qu'intellectuellement ça a été beaucoup discuté mais sincèrement, et vous le savez comme moi, il y a eu plusieurs analyses sur ce sujet-là qui ont montré à quel point un déstockage était dangereux. Pour ma part, je prends le dossier tel qu'il a été abondamment documenté par toute une série d'analyses qui ne sont pas politiques mais qui portent uniquement sur la gestion des risques.

S'agissant du fonds Barnier, je veux tout de même souligner que la ligne budgétaire augmente factuellement en 2025 par rapport à 2024, que vous preniez la loi finance initiale ou les crédits consommés. Cette augmentation va au-delà de l'épaisseur du trait puisqu'on passe de 225 millions d'euros à 300 millions d'euros. Si j'avais des enveloppes qui augmentent de 30 % sur toutes mes lignes budgétaires, je serais très satisfaite et j'aurais l'impression d'être en 2023. L'effort consenti en faveur du fonds Barnier est donc important et, par ailleurs, il n'épuise pas tous les crédits orientés vers l'adaptation au changement climatique puisque le Premier ministre a indiqué que le Fonds vert devait consacrer une partie importante de ses moyens à l'adaptation au changement climatique. Ce sont donc bien ces deux éléments qui sont mobilisés pour la gestion des risques.

Sur la question des Papi, des délais et du Gemapi, l'analyse que vous faites est exacte : je le constate aussi dans mon département du Pas-de-Calais qui, en quelque sorte, a un peu fait l'objet d'une expérimentation pour le compte de tous, puisqu'on a subi quatre, cinq ou six inondations successives, suivant les territoires. On a, dans ce département, des wateringues, des dispositifs mis en oeuvre au titre de la compétence Gemapi ou inscrits dans des Papi, des allocations du fonds Barnier et on a recherché comment accélérer les travaux. Il y a donc vraiment un retour d'expérience à faire et nous allons notamment nous appuyer sur le rapport de vos collègues Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux consacré aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024. S'y ajoutent le rapport d'inspection qui a été remis, le rapport du maire de Saint-Omer, François Decoster, de parangonnage qui décrit notamment les actions menées aux Pays-Bas et le retour d'expérience de 15 mois durant lesquels nous avons dû réaliser des travaux d'urgence, des travaux structurants et définir des plans tout en recherchant des financements. Tout ceci fournit des éléments très précieux pour améliorer notre stratégie sur d'autres territoires et c'est un des enjeux de l'adaptation de changement climatique. Les mêmes questions se posent pour les inondations en Seine-et-Marne et en Eure-et-Loir. Une des principales difficultés porte sur l'activation de la solidarité nationale ainsi que sur la mise en oeuvre d'une péréquation entre les territoires, car ils sont tous vulnérables et je n'en vois aucun qui n'aurait pas besoin d'utiliser ses ressources pour ses besoins propres. Telle est la limite des idées qui ont été exprimées dans le Pas-de-Calais de récupération de financement en provenance d'autres territoires.

S'agissant de la diminution de 5,8 % de nos émissions de CO2, j'ai assorti mon propos d'une mise en garde en indiquant que ce chiffre - certes satisfaisant - s'inscrit néanmoins dans une trajectoire qui doit être répétée chaque année et qui devient de plus en plus difficile à respecter. J'observe cependant que, depuis 2018, les gouvernements successifs tiennent leur trajectoire carbone. Nous avons formalisé la stratégie nationale bas carbone et nous sommes en ligne avec ses exigences ; il me semble me souvenir que le Gouvernement précédent ne l'avait pas fait. Vous voyez donc qu'il y a du progrès et c'est plutôt une bonne nouvelle dont on peut se réjouir.

Sur MaPrimeRénov', cela fait plusieurs années qu'on travaille à améliorer le dispositif en changeant ses paramètres, en particulier pour faire plus de rénovations globales et pas seulement du monogeste. Ce sujet revient régulièrement dans les débats parlementaires et, en réalité, on navigue entre deux pôles : d'un côté, on cherche à aller vers la rénovation globale mais c'est compliqué et on souhaite lutter contre la fraude, ce qui implique plus de contrôles. De l'autre côté, on s'efforce de simplifier en proposant aux personnes de réaliser des travaux qu'ils comprennent bien et pour lesquels ils disposent de la trésorerie disponible : dans ce cas de figure, il ne s'agit pas de réaliser d'un seul coup une rénovation à 30 000 euros mais d'égrener des travaux successifs monogeste très simples et sans modification. Depuis 2020, nous sommes tiraillés entre ces deux pôles avec des modifications qui naviguent d'un bord à l'autre.

Le choix que nous faisons en 2025 est de ne rien changer, dans un souci de stabilisation. On reste donc dans une prédominance du monogeste mais cela rassure et nous donne le temps de retravailler le sujet. Ma collègue Valérie Létard tient beaucoup à cette démarche de stabilisation et de réexamen des offres, en temps masqué, avec la Capeb (confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) et la FFB (fédération française du bâtiment). Je précise ici que l'idée qui revient régulièrement est de mettre au point des offres couplées d'isolation et d'installation de nouveaux moyens de chauffage. Sur ces nouvelles bases, on pourrait alors modifier le dispositif, mais pas immédiatement.

Cependant, je ne peux pas vous laisser dire que notre action débouche sur un manque de projets : en effet, on a enregistré pendant certaines années 400 000 à 500 000 demandes avec des budgets à peu près au même niveau que celui qui est proposé pour 2025. L'Anah a ainsi accompli un travail gigantesque.

M. Hervé Gillé. - Je rappelle que vous avez justifié le montant inscrit dans votre budget pour 2025 en indiquant qu'on avait sous-consommé les crédits de l'année précédente.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Certes, mais j'examine les chiffres sur plusieurs années : en 2022 on en était à 1,9 milliards d'euros de crédits, 2,4 milliards en 2023 et je présente un budget qui s'établit à 2,3 milliards d'euros pour 2025. Vous voyez donc bien qu'il y a eu des moments de freinage et d'accélération mais on est plutôt en augmentation significative par rapport à 2022, sachant que ce dispositif date de 2020 et qu'antérieurement les crédits de même nature étaient bien moindres. Nous nous situons donc tendanciellement à un niveau élevé d'intervention. Cela dit, il revient à chacun de se demander quelles sont les priorités au moment où on doit recentrer nos enveloppes budgétaires et c'est une des questions qui vous sera posée au moment du budget : faut-il redéployer certaines allocations ou peut-on considérer que la copie budgétaire du Gouvernement est parfaite et mérite d'être adoptée comme telle ? C'est tout à fait possible aussi...

Monsieur le sénateur Dhersin, il est important de préciser que nous parlons non pas de toutes les entreprises industrielles mais d'environ 300 groupes français électro-intensifs : ce sont les plus gros consommateurs d'électricité et je précise qu'ils ne sont pas totalement exposés au marché car ils ont la possibilité de se sourcer à moyen terme. Parmi ces 300 entreprises je comprends que certaines, assez emblématiques sur votre territoire, ont réussi à conclure des accords qui leur convient ; d'autres en cherchent encore parce qu'à ce stade elles n'ont pas trouvé un terrain d'entente satisfaisant. En tout état de cause, ce que permet aujourd'hui l'accord conclu entre l'État et EDF, c'est d'abord un mécanisme de « refroidissement » lorsque le prix d'électricité franchit le cap de 78 euros par mégawattheure en se basant sur les prix de 2022. L'accord comporte un deuxième mécanisme de plafonnement : au-delà du seuil de 110 euros par mégawattheure - en base 2022 et en prix moyen - 90 % des sommes excédentaires seront reversées aux consommateurs. Par la suite, ces variables feront l'objet d'un travail de mise à jour en fonction des coûts de production ainsi que de l'inflation. Vous savez que la CRE est associée à ces travaux et ce n'est donc pas le Gouvernement qui improvise un accord dont je précise qu'il découle du contrat initial. L'intérêt de cet accord est de prévoir un refroidissement des prix si ces derniers s'envolent, tout en permettant à un marché de moyen terme de s'installer. L'accord prévoyait une clause de revoyure à six mois qui a été reportée à un an et nous nous préparons à cette échéance. Très factuellement, ce qui nous intéresse est de savoir combien de térawattheures ont été contractés, si les conditions satisfont ou pas les intéressés, quels secteurs industriels s'y retrouvent et quels sont ceux qui pourraient ne pas s'y retrouver. Sur ces bases, et avec mes collègues Olga Givernet et Marc Ferracci qui sont à la manoeuvre en première ligne, nous allons vérifier si le mécanisme convient ou s'il faut éventuellement l'ajuster. Pour le moment, nous disposons d'un reporting assez régulier qui nous montre l'avancée des discussions en fonction des nouvelles installations et des nouveaux accords ou prises de contact : nous pourrons ainsi juger de la bonne mise en oeuvre ou pas du dispositif global. Tout le monde aura compris que l'objectif n'est pas d'enclencher une négociation de marchands de tapis où, dans une conjoncture industrielle difficile, les uns ou les autres chercheraient à tirer les marrons du feu. Il faut fonder ce mécanisme sur une réalité industrielle à base de coûts, de situation du marché et d'impératifs de compétitivité. J'invite également chacun à penser aux autres, c'est-à-dire à ceux qui ne sont pas électro-intensifs mais tout de même électro-sensibles. En effet, au-delà d'éventuelles discussions dans lesquelles on se chamaille sur 5 euros du mégawattheure, on peut, par ailleurs, réfléchir sur la fiscalité de l'électricité avec des sommes beaucoup plus importantes en jeu. Ainsi, lorsqu'on taxe les installations nucléaires de base (INB), on taxe l'électricité et cela entraîne une différence de 1 à 3 euros par mégawattheure. Je mentionne aussi le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe) : tous les acteurs ne paient pas le tarif le plus élevé du Turpe, mais cela a également un impact. Il faut donc bien prendre en compte tout l'empilement des coûts et analyser ce qui dépend à 100 % de l'État, d'EDF - notamment à travers sa performance industrielle - et ce qui dépend enfin d'une logique de marché. Sur ces trois paramètres, ma première préoccupation, en tant que ministre en charge avec Olga Givernet des sujets énergétiques - et encore une fois c'est elle qui est à la manoeuvre - c'est d'abord la performance d'EDF qui est déterminante pour faire baisser les coûts. Il en va de même de la performance des réseaux qui est également un facteur de baisse des coûts si on l'optimise. Telles sont les deux priorités de notre pilotage. Par ailleurs, la fiscalité est un sujet qui relève à la fois de la problématique budgétaire et de la décision collective : quels signaux doit-on, par exemple, envoyer pour arbitrer entre les prix de telle ou telle l'énergie, ou entre tel ou tel pays ? Enfin, s'agissant des conditions de marché, la bonne nouvelle est que, par rapport au moment où on a passé l'accord, les prix sont revenus dans une zone beaucoup plus acceptable. Encore une fois, je ne parle pas ici des particuliers qui bénéficient de tarifs réglementés, mais des prix de marché et ces derniers sont, pour les électro-intensifs, aujourd'hui plus compétitifs que dans d'autres pays, grâce à une taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) qui est tirée vers le bas. Ces prix sont également compétitifs, du point de vue de la fourniture d'électricité, avec les pays qui sont les plus compétitifs, à savoir l'Espagne et les pays du Nord. Le point essentiel que nous allons examiner est ici le suivant : est-on en capacité aujourd'hui en France d'acheter de l'électricité à l'horizon 2027, 2028, 2029, et donc à moyen long terme ? Y a-t-il, pour ce faire, suffisamment de volume, est-ce que ce marché commence à être animé et peut-on, sur ces bases, renforcer la compétitivité des industriels qui ont besoin de sécuriser leur approvisionnement - à deux, trois ou quatre ans - grâce à une profondeur de marché suffisante ? C'est ce défi que nous allons travailler à relever.

Madame la sénatrice Bélim, j'ai répondu rapidement à l'une de vos questions et je vous remercie d'avoir évoqué le point très précis des concessions automobiles. Ensuite, et en écho avec les interrogations du sénateur Weber, je rappelle que nous dépassons l'objectif de 30 % d'aires protégées et je précise que les aires à protection forte font l'objet d'une « ambition » et non pas d'un objectif. Autrement dit, la stratégie nationale biodiversité 2030 ne programme pas 10 % d'aires à protection forte ici et maintenant ; elle invite à un travail de mise en place d'aires à protection forte dans un calendrier établi. Cela ne peut donc pas se faire du jour au lendemain et c'est assumé. Vous savez qu'un texte en cours d'élaboration vise à définir les aires à protection forte et qu'aujourd'hui nous nous situons aux alentours d'un taux de protection de 4 %, avec pour objectif d'atteindre progressivement 10 %.

Je rejoins votre affirmation selon laquelle on a beaucoup d'aires protégées dans les outre-mer, précisément pour la raison que vous mentionnez, à savoir que les outre-mer abritent 80 % de notre biodiversité. L'enjeu est bien de protéger les réserves là où elles se trouvent : on pourrait protéger fortement un carré de Dunkerque mais j'ai peur que ce soit moins intéressant du point de vue de la biodiversité... On choisit aussi les aires de protection forte et c'est un des enjeux de la cartographie maritime que nous établissons en fonction des différents usages : certaines zones sont propices à installer des éoliennes marines et dans d'autres la biodiversité doit être protégée. Je veux vous rassurer sur les crédits alloués à ces actions : ils sont finalement plutôt stables, alors que nous espérions une hausse que nous n'avons pas obtenue. Par rapport à d'autres enveloppes, ces budgets enregistrent globalement une diminution plus réduite.

Par ailleurs, on ne mobilise pas suffisamment le programme européen de financement Life. Je suis preneuse de vos recommandations en fonction des remontées de terrain qui vous parviennent en termes de besoins d'accompagnement. Monter un dossier pour accéder aux allocations de ce programme n'est pas si simple et nous sommes prêts à vous aider ainsi qu'à mettre au point des stratégies pour prendre notre part, voire au-delà, dans ces programmes.

Sur le leasing social relatif aux véhicules électriques, j'ai bien entendu votre demande de rattrapage pour les outre-mer. De plus, s'agissant du volet énergie de votre intervention, je rappelle qu'il y a une PPE (programmation pluriannuelle de l'énergie) par zone non interconnectée, et donc pour chaque outre-mer ainsi que pour la Corse : là encore, c'est un travail que nous devons poursuivre avec le ministre des outre-mer. Je note d'ailleurs qu'un certain nombre de PPE ultramarins ont pris de l'avance par rapport à la PPE hexagonale au cours des deux dernières années.

Monsieur Weber, à propos des certificats d'économie d'énergie, vous mentionnez les cas de fraude et les insatisfactions liés à certaines complexités mais il y a aussi beaucoup de gens qui sont très contents, tout de même, de ce dispositif. Un très intéressant rapport qui vient d'être remis montre justement les secteurs où cela fonctionne très bien et ceux où il y a un peu plus d'interrogations. Là aussi, la contrainte budgétaire nous oblige à mieux travailler sur la fraude, sur les fiches et peut-être faudra-t-il resserrer le type d'intervention sur certains points en l'élargissant sur d'autres. Le transport ne représente qu'un pour cent de l'utilisation des CEE alors que ce secteur génère beaucoup d'émissions de CO2 et il y a donc une forte marge de progression dans ce domaine ; c'est aujourd'hui le bâtiment qui mobilise la plus grande part de ce dispositif.

S'agissant du thème de l'adaptation à un réchauffement de 4°, je serais presque tentée de vous suggérer de faire un séminaire avec votre collègue Ronan Dantec qui est le premier à revendiquer les + 4° et qui est le premier à dire que notre décision d'adaptation à + 4° est enfin une décision digne d'un Gouvernement qui prend ses responsabilités et regarde les yeux grands ouverts la question du dérèglement climatique. Je souligne que ce réchauffement de 4° n'est pas celui de la planète ; Jean-Jouzel, que vous citez, raisonne au niveau du Giec dont le sixième rapport prévoit + 2,7° de réchauffement planétaire. La trajectoire de + 4° que nous utilisons au titre de l'adaptation en France dérive de ce + 2,7° global, compte tenu des trajectoires qui sont annoncées par le Giec. C'est donc la réalité de l'action mondiale, à date, sachant que l'Europe prévoit d'atteindre la neutralité climatique en 2050. Ainsi, vous ne pouvez pas mettre sur le même plan + 4° à l'échelle de la planète, ce qui serait effectivement un scénario épouvantable, et + 4° à l'échelle de la France qui se réchauffe plus vite que la moyenne mondiale au risque de nourrir la confusion et le climatoscepticisme d'un certain nombre de personnes. Il faut donc faire attention au discours que l'on tient, d'autant que notre choix de prendre comme hypothèse + 4° a donné lieu - de mémoire de ministre depuis six ans - à un des seuls avis unanimes de la part du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Nous avons donc mené un travail sérieux, scientifique, et j'aimerais qu'on le salue en rendant hommage à ceux qui y ont contribué. Par ailleurs, la stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l'énergie ont été élaborées conformément à une trajectoire de baisse des émissions de 50 % à l'horizon 2030, conformément au Pacte vert européen qui est un des plus ambitieux au monde, à présent que le Royaume-Uni a baissé sa trajectoire pour la ramener au niveau européen. Vous me dites que cette trajectoire a du plomb dans l'aile mais j'affirme que nous la respectons : l'Europe baisse ses émissions de gaz à effet de serre de 8,6 %. Je suis désolée de vous dire que je ne fais pas partie des oiseaux de mauvais augure mais, au contraire, de ceux qui se battent pour progresser. Les premiers ne font pas avancer le « schmilblick » : leur attitude nourrit l'anxiété dans la population et cela conduit à 'une forme de découragement, que nous constatons constamment sur le terrain. Je pense qu'il ne faut pas tenir ce discours pessimiste car la transition écologique doit être désirable et populaire. Dire qu'on va tout rater et que l'on n'est pas sur la bonne trajectoire, c'est catastrophique et ce n'est pas une façon de mobiliser les gens.

Vous me demandez si je suis plutôt Jean Jouzel ou Patrick Pouyané : dans ce débat, j'avais pris parti pour Jean Jouzel car ce dernier porte la voix du Giec, c'est-à-dire la vision scientifique. Qui plus est, ce n'est pas la vision d'un scientifique isolé puisque le rapport du Giec fait la méta-analyse de toutes les analyses disponibles dans le monde, reprend les plus sérieuses, les consolide et les met à la disposition des décideurs pour faire en sorte que chacun nous puisse nous en servir sans avoir à relire toute la documentation scientifique produite sur la planète. C'est donc un travail de consolidation qui ne prend pas parti, contrairement à ce qu'on peut entendre : c'est un travail de photographie de ce qu'on sait scientifiquement le mieux, avec un risque d'évoluer dans deux, trois ou quatre ans, parce qu'on aura des faits scientifiques complémentaires qui nous permettront d'évoluer. On ne peut donc pas être contre Jean Jouzel et on doit constater qu'il pose le problème.

Ensuite, dans l'action, je suis la ministre qui a obtenu, à la COP28, la rédaction du « transitioning away from fossil fuels » : je peux vous dire que j'ai fortement pesé dans cette rédaction qui a nécessité le rejet préalable du texte initial proposé un fameux lundi par les Émirats arabes unis. L'initiative de l'introduction de ce passage sur la transition hors des énergies fossiles dans l'accord revient peut-être à cinq ministres européens et autant de ministres extra-européens. Sans cette dizaine de personnes, cette rédaction ne figurerait pas dans le texte final. Je le dis de manière très simple mais, à titre professionnel, c'est un des sujets dont je suis assez fière.

Monsieur le sénateur Duffourg, la conférence sur l'eau sera lancée au moment de l'anniversaire de la loi sur l'eau, autour du 16 décembre prochain, avec une déclinaison territoriale qui a vocation à travailler bassin par bassin dans les mois qui suivront, plutôt au premier semestre 2025 ou jusqu'en septembre - octobre de la même année.

Ensuite, le sujet des retenues collinaires est bien sur la table, en lien avec le plan eau ainsi qu'avec tout le travail de simplification que nous avons mené face à la crise agricole : il s'agit de parvenir à être plus efficace dans les dispositifs de protection, de mise à disposition et de régulation de l'eau.

Mme Marta de Cidrac, présidente. - Madame la ministre, merci beaucoup pour ces deux heures et demie d'échanges pour une première audition dans vos nouvelles fonctions au sein du Gouvernement. On vous connaissait par le passé sur les questions d'énergie et nous sommes ravis de pouvoir continuer à travailler avec vous sur les sujets environnementaux ainsi que sur la transition écologique. Un certain nombre des questions sont restées en suspens, nous ne manquerons pas de revenir vers vous pour continuer nos discussions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 57.