Mardi 5 novembre 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Projet de loi de finances pour 2025 - Audition de Mme Rachida Dati, ministre de la culture

M. Laurent Lafon, président. - Nous accueillons Mme Rachida Dati, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire de l'automne. Je dis traditionnelle, mais peut-être ne devrais-je pas, car il s'agit pour vous d'une première à ce ministère, dans la mesure où vous avez été nommée le 11 janvier dernier. Madame la ministre, votre vaste domaine de compétences recouvre un champ allant du patrimoine aux jeux vidéo, en passant par le spectacle vivant et le cinéma. Chacun de ces secteurs exprime des attentes fortes, et de nombreux défis d'ampleur sont à relever.

Les crédits de votre ministère s'élèvent à 4,7 milliards d'euros, soit environ 6 % des dépenses du budget général. En y adjoignant les crédits liés à l'audiovisuel public et aux grands opérateurs comme le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), près de 10 milliards d'euros sont consacrés à la culture sous ses différentes expressions. Je donne ces chiffres à titre illustratif, tant la situation peut encore évoluer.

Le ministre des comptes publics a ainsi annoncé que les 10 millions d'euros d'économie prévus sur les radios associatives ne seraient finalement pas prélevés, tandis que les projets d'amendements du Gouvernement font état de 100 millions d'euros d'économies supplémentaires sur les missions « Culture » et « Livre et industries culturelles ». L'audiovisuel public, quant à lui, subirait 50 millions d'euros d'économies, et des ajustements sont attendus sur le programme dédié au patrimoine.

Nous sommes conscients aussi bien de la situation budgétaire de notre pays que des conditions dans lesquelles ce projet de loi de finances (PLF) a été élaboré. Vous pourrez cependant nous aider à y voir plus clair sur les crédits que le Gouvernement souhaite affecter au domaine culturel.

En matière patrimoniale, vous avez fait récemment des propositions remarquées sur le financement du patrimoine religieux et des musées, en préconisant la mise en place d'un droit d'entrée touristique pour la cathédrale Notre-Dame de Paris, et d'une tarification différenciée pour les visiteurs non européens de certains monuments et musées. S'il est vrai que ces pratiques ont déjà cours chez plusieurs de nos proches voisins, leur mise en application au sein de nos frontières pourrait se heurter à plusieurs obstacles. Comment, madame la ministre, avez-vous l'intention de concrétiser ces annonces ?

La commission de la culture poursuit, par ailleurs, ses travaux relatifs aux restitutions d'oeuvres d'art, sujet sur lequel plusieurs de ses membres sont engagés de longue date. À l'occasion d'un récent déplacement en Côte d'Ivoire, nous avons constaté la forte attente des autorités ivoiriennes concernant la restitution du « tambour parleur » Djidji Ayôkwé, à laquelle la France s'est engagée en 2021. Nous avons observé l'investissement opérationnel et financier des autorités ivoiriennes, mais aussi des instances de coopération françaises, afin de préparer son retour dans le cadre d'un projet muséal très abouti. Pourriez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur votre approche de ce dossier ?

Le domaine des industries culturelles, entendu au sens large, appelle également toute votre attention. Vous nous informerez des contours du projet de loi annoncé dans le cadre des États généraux de l'information (EGI), qui devra assurer un subtil équilibre entre les exigences démocratiques liées à l'information et la situation économique des acteurs. Michel Laugier, qui connaît bien les sujets relatifs à la presse, vous interrogera sans doute sur le sujet de France Messagerie, toujours pas réglé après des années d'atermoiements.

En matière de démocratisation culturelle, l'actualité est dominée par votre annonce d'une réforme du pass Culture. Notre commission a toujours considéré que ce dispositif ne pouvait constituer l'alpha et l'oméga de la politique de l'État en la matière. Nous accueillons donc favorablement votre volonté de refonte. Cependant, nous sommes aussi conscients des obstacles opérationnels auxquels celle-ci peut se heurter. À quel stade se trouve aujourd'hui votre projet de réforme ? Comment comptez-vous procéder pour le mener à bien ? Le Parlement y sera-t-il associé ?

Enfin, nous venons d'adopter la proposition de loi organique (PPLO) sur le financement de l'audiovisuel public, qui sera examinée le 19 novembre prochain à l'Assemblée nationale. Nous espérons un vote conforme qui permettrait de réintroduire dans le PLF le compte de concours financier (CCF) « Avances à l'audiovisuel public », transformé dans le texte initial en mission ministérielle. 

Les moyens alloués pour l'audiovisuel public sont en deçà de la trajectoire financière prévue par les projets de contrats d'objectifs et de moyens (COM) des sociétés publiques. Nous nous interrogeons sur la crédibilité de ces contrats dans le contexte budgétaire actuel, et nous nous demandons si votre ministère travaille d'ores et déjà sur des COM révisés, plus réalistes, en fonction des dernières annonces financières ? Ou bien attendez-vous la réforme de la gouvernance que nous appelons de nos voeux ?

Voilà les nombreux sujets sur lesquels nous attendons des précisions. Mes collègues auront sans doute également des questions sur d'autres thèmes. Depuis votre prise de fonction, vous avez bien compris que notre commission était pour vous un allié précieux mais résolument exigeant, qui garde la mémoire tant de ses travaux que de vos annonces.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. - Il arrive parfois, comme je l'avais déclaré lors de ma nomination, que l'on considère le ministère de la culture comme un ministère du loisir. À mes yeux, il s'agit d'un ministère fondamental, pour ne pas dire régalien, qui incarne l'idéal républicain et joue un rôle essentiel pour réduire les inégalités et permettre à l'ensemble de nos concitoyens de prendre part à la vie en société.

Ce budget a été débattu dans un contexte difficile pour nos finances publiques. Une première réduction budgétaire avait été annoncée il y a quelques mois de cela, avant le changement de gouvernement. L'État se doit d'être exemplaire, et le ministère de la culture doit prendre sa part dans les efforts demandés. À ce titre, je me réjouis de défendre devant vous un texte proposant un budget stabilisé à un niveau historique pour le ministère de la culture : 4,45 milliards d'euros. Depuis l'élection du Président de la République en 2017, le budget de la culture a augmenté de plus d'un milliard d'euros. Cela nous permet aujourd'hui de préserver dans tous les secteurs les moyens et l'action du ministère.

Monsieur le président, je tiens à vous remercier. Comme vous l'avez précisé dans votre introduction, vous êtes pour moi un soutien précieux et vous avez la mémoire de tout ; en espérant que ce soit toujours le cas, afin que les engagements puissent être tenus.

Je commence mon tour d'horizon par la mission « Culture ». Dans le secteur de la création artistique, les crédits de paiement (CP) s'élèvent à 1,041 milliard d'euros, dont plus de la moitié - 550 millions d'euros environ - sera consacrée au secteur subventionné en région. Lors des annulations de crédits en février dernier, j'avais indiqué que pas un euro ne manquerait au spectacle vivant dans les territoires, et cela a été le cas. L'État a répondu présent pour soutenir ces structures avec des crédits consacrés au spectacle vivant, hors opérateurs nationaux, en hausse de 45 millions d'euros entre 2022 et 2024, dont près de 9 millions d'euros en 2024 dans le cadre du plan « Mieux produire, mieux diffuser ».

Après une première année, le bilan est très positif. Aux 9 millions d'euros du ministère de la culture s'est ajoutée la participation à hauteur de 12,5 millions d'euros des collectivités. Le partenariat entre l'État et les collectivités est donc encourageant. Ce plan a fait naître de nombreux projets créatifs, et nous allons poursuivre notre double effort collectif : mieux produire, avec des mutualisations à opérer afin de maîtriser les coûts de production ; et mieux diffuser, notamment avec des séries plus longues.

L'objectif de mieux travailler avec les élus et les collectivités s'incarne pleinement dans les contrats territoriaux d'éducation artistique et culturelle (CTEAC) dont je suis à l'initiative. Le premier contrat a été signé dans le département de la Charente-Maritime il y a quelques semaines. Je tiens à valoriser le travail remarquable effectué par les collectivités en leur donnant de la visibilité, mais aussi en les incitant à s'engager aux côtés de l'État et des acteurs culturels.

En toute transparence, l'État ne pourra pas améliorer seul la situation financière du spectacle vivant. Ces dernières années, la seule réponse est venue de l'État, qui n'a cessé d'augmenter le niveau de financement de son soutien. Dans un contexte difficile, je sauvegarde le budget dédié à la création artistique, mais cette mobilisation de l'État ne suffira pas.

Il s'agit à la fois de convaincre les collectivités de poursuivre leur engagement et d'inciter le secteur à réfléchir aux leviers à sa disposition ; je pense notamment à la politique tarifaire. Je reste attachée à des prix bas pour certains publics, mais nous devons mener une réflexion globale sur le modèle économique du spectacle vivant, sans quoi ce modèle sera menacé. Cet été, j'ai reçu l'ensemble des représentants du spectacle vivant afin de pouvoir avancer sur ces questions. Encore une fois, l'État va continuer de prendre toute sa part, mais il ne peut être le seul à assumer ses responsabilités. Je sais que le sujet est essentiel pour le Sénat, et je remercie Karine Daniel pour sa compétence et sa vigilance sur le sujet.

Enfin, les moyens dédiés aux festivals sont également reconduits à hauteur de 32 millions d'euros.

La démocratisation culturelle et l'accès aux métiers de la culture constituent une priorité de ma politique, avec un budget s'élevant à 807 millions d'euros. Nous ferons en sorte, dans la suite des discussions, de ne renoncer à aucun dispositif. Je souhaite évoquer ici la réforme du pass Culture. Comme je l'ai exprimé lors de ma première audition, ce pass Culture me semblait favoriser la reproduction sociale, notamment pour ce qui concerne la part individuelle. Les publics qui en avaient le plus besoin n'étaient pas touchés, comme cela m'a été confirmé par une mission de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et par un rapport de la Cour des comptes.

Le pass Culture doit être un instrument pour faire accéder à la culture ceux qui en sont les plus éloignés, notamment en milieu rural - c'est tout le sens du plan Culture et Ruralité - et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville où, trop souvent, ce dispositif est dévoyé en n'étant qu'un simple instrument de consommation culturelle.

La part individuelle du pass Culture sera réformée en profondeur. Florence Philbert, en sa qualité de directrice générale des médias et des industries culturelles (MIC), aura pour mission de suivre l'évolution de cette réforme à partir des cinq orientations suivantes : une prise en compte des conditions de ressources des jeunes éligibles au pass ; une part réservée au spectacle vivant, ce qui n'était pas le cas jusque-là ; une meilleure articulation entre la part collective, qui bénéficie à 90 % à des enfants accédant pour la première fois à la culture ou à un équipement culturel, et la part individuelle, qui intervient plus tard ; une meilleure éditorialisation et médiation pour davantage intéresser les publics, les spectacles proposés relevant trop du listing ; et enfin, de nouvelles fonctionnalités ouvertes à un large public - je pense notamment à la géolocalisation.

J'ai diligenté deux missions afin d'assurer ces nouveaux développements sans mettre en danger le secteur du livre. En effet, le pass Culture a été beaucoup utilisé dans les librairies, non seulement pour les mangas mais aussi pour l'achat de livres nécessaires aux études supérieures. Il convient donc de ne pas se priver d'un tel accès à la culture, qui apporte par ailleurs un soutien au réseau des librairies indépendantes.

J'ai fait évoluer l'application avec de nouvelles fonctionnalités comme la géolocalisation. Pour d'autres fonctionnalités, nous avons lancé une expérimentation dans la région Grand Est ; un retour d'expérience devrait intervenir rapidement.

Certains diront que cette réforme entérine des économies, mais je ne vois pas les choses ainsi. Elle vise une meilleure utilisation des deniers publics pour un plus large accès à la culture, notamment pour ceux qui en sont éloignés.

Le 11 juillet dernier, j'ai lancé le plan Culture et Ruralité. Financé pour les trois prochaines années, il dispose dès cette année d'une enveloppe de 34 millions d'euros. La ruralité concerne 22 millions d'habitants, soit un tiers de la population française, et je tiens à ce que celle-ci ne soit pas un impensé de nos politiques culturelles. On retrouve le financement de ce plan dans le budget 2025, avec 14 millions d'euros qui s'ajoutent aux 20 millions mobilisables dès maintenant, et sans doute un complément à venir que je vous détaillerai ultérieurement.

Comme je l'avais déjà exprimé lors de ma première audition devant votre commission, le patrimoine est une autre priorité très claire ; je sais que Sabine Drexler est très engagée sur ce sujet. Dans le texte initial, les crédits connaissaient une légère augmentation pour un total annuel de 1,2 milliard d'euros. Avec ce budget, nous nous donnons les moyens de poursuivre les grands chantiers déjà lancés. Il s'agit, le plus souvent, d'un enjeu de sécurité et de remise aux normes après un drame, comme pour la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes qui va bénéficier d'un financement de 6 millions d'euros. Nous financerons également l'extension du site des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, avec un investissement à hauteur de 17,7 millions d'euros.

Un sujet concerne le Centre Pompidou. Celui-ci n'avait fait l'objet d'aucune restauration d'ampleur depuis son ouverture en 1977, et les travaux représentent un coût de 29 millions d'euros pour le ministère l'année prochaine.

Parmi les autres projets importants pour la revitalisation de nos territoires, on peut évoquer la restauration de l'abbaye-prison de Clairvaux pour 14,3 millions d'euros, ou encore le programme de valorisation du château de Gaillon en Normandie pour 4,3 millions d'euros. La seule sécurisation du site de Clairvaux requiert 3 millions d'euros par an.

Le budget consacré à la restauration des monuments historiques connaît une baisse. Il s'agit d'un point d'inquiétude sur lequel je reviendrai à la fin de mon propos. Les besoins de notre patrimoine, déjà importants, sont aggravés par l'inflation et le « mur d'investissements » auquel nous faisons face avec un budget à son plus haut niveau historique. Mais nous ne sommes pas en mesure de répondre à une situation elle-même exceptionnelle.

Concernant la mission « Médias, livre et industries culturelles », je souhaite poursuivre l'accompagnement des acteurs d'un secteur en pleine mutation. Je sais que votre commission suit cela de près. Au coeur des grandes mutations numériques, les industries culturelles françaises ont plus que jamais besoin de notre soutien en faveur de la diversité, du renouvellement et de la création.

Je remercie Jérémy Bacchi pour son travail sur le cinéma. La pertinence de nos modalités de soutien au cinéma a été reconnue, puisque les taxes du CNC ne seront pas plafonnées ; cela a été notre crainte, et ce ne sera pas le cas. Notre opérateur disposera donc de la totalité de ses moyens opérationnels, soit environ 780 millions d'euros en 2025. Ce budget, alimenté par une surfiscalité prélevée sur les entreprises du secteur, notamment les plateformes américaines, permettra de financer des mesures en faveur de la diffusion, comme j'ai pu l'annoncer dernièrement à Lyon.

Je me réjouis également que ce texte préserve les différents crédits d'impôt pour le cinéma, l'audiovisuel, les tournages internationaux ou encore les jeux vidéo, dans un contexte de compétition fiscale internationale. Après évaluation, il s'avère que ces crédits rapportent 6 à 7 euros d'activité en France pour 1 euro de dépense fiscale.

Concernant le secteur du jeu vidéo, quelque 200 studios ont bénéficié du crédit d'impôt, ce qui a permis à notre industrie de retrouver sa croissance. En dix ans, le chiffre d'affaires a plus que doublé, et le nombre d'emplois est passé de 3 500 en 2010 à 14 000 aujourd'hui.

C'est un enjeu de cohérence de nos politiques ; on ne peut pas, dans le cadre du plan France 2030, investir 300 millions d'euros dans nos studios et nos écoles pour les vider ensuite en provoquant la délocalisation des tournages. Des studios et des lieux de tournage ont ainsi bénéficié de cet engagement. Pour exemple, le dernier film de Jacques Audiard, dont l'action se déroule en Amérique du Sud, a été tourné en studio en région parisienne.

Je salue le travail de Michel Laugier concernant la presse et les médias. L'État maintient son soutien de 365,7 millions d'euros et préserve les crédits de 26 millions d'euros alloués au pluralisme, ainsi que le fonds de soutien aux médias d'information sociale de proximité. Sur le sujet des radios associatives, j'ai reçu l'ensemble des représentants et je leur ai indiqué que l'on trouverait une solution ; c'est le cas, notamment concernant la baisse de 10 millions d'euros. Nous avons obtenu du ministre en charge des comptes publics qu'un amendement du Gouvernement puisse corriger cela dans le courant de la discussion de la loi de finances.

Sur le sujet de l'audiovisuel public, je sais pouvoir compter sur la vigilance de Cédric Vial. Comme vous le savez, avant la dissolution de la précédente Assemblée nationale, je soutenais une réforme ambitieuse, fondée sur votre proposition de loi, monsieur le président. Les raisons qui motivaient cette réforme n'ont pas disparu, et mon constat reste le même. En revanche, nous devons prendre en compte le nouveau contexte politique. Je reste à l'écoute de toutes les sensibilités pour avancer non seulement sur le mode de financement mais aussi sur la gouvernance.

Le financement de l'audiovisuel est prévu dans le cadre du budget général. Je souhaite toutefois que ce texte initial soit amendé avant la fin de l'année, afin d'éviter une budgétisation. L'objectif est d'assurer la pérennité et la prévisibilité du financement du secteur. Grâce au vote de la proposition de loi organique (PPLO) des sénateurs Vial, Morin-Desailly, Karoutchi, Lafon et Hugonet, une première partie du chemin a été effectuée. Cette réforme du financement, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, est liée à celle de la gouvernance.

Concernant le budget de l'audiovisuel public, une mesure d'économie par rapport à 2024, de l'ordre de 50 millions d'euros, va être mise en oeuvre. Cela ne manquera pas de susciter des passions. Mais après avoir étudié le sujet avec les acteurs du secteur, je suis convaincue que nous pouvons y arriver. Il convient pour cela de travailler ensemble et en toute transparence.

Avant de conclure, je souhaite revenir sur le sujet du patrimoine. Dans certains endroits du territoire, les monuments historiques constituent le premier accès à la culture, et c'est pourquoi nous avons fait en sorte dans ce budget, comme pour chacun des volets de notre politique culturelle, de préserver l'essentiel. Nous connaissons cependant actuellement une situation exceptionnelle. L'état de notre patrimoine est alarmant, et sa dégradation s'avère extrêmement rapide : notre pays compte 45 000 monuments historiques et, parmi eux, 20 % se trouvent en mauvais état et 5 % en état de péril. Cela signifie que plus de 2 000 monuments risquent de disparaître dans les prochains mois ; voilà la réalité.

Je suis particulièrement attachée au patrimoine religieux ; il ne s'agit pas d'une affaire cultuelle ou confessionnelle, mais d'un enjeu culturel, et davantage encore. À l'heure où l'on se demande comment intéresser notre jeunesse à ce qui fonde une Nation, nous devrions tous nous battre pour défendre un tel patrimoine. On a vu également la mobilisation pour Notre-Dame de Paris après l'incendie. Sur les 15 000 édifices religieux protégés au titre des monuments historiques, 4 000 sont actuellement en danger. Le plus souvent, ils sont localisés dans des zones rurales, loin de toute attention médiatique. Je le redis : cela n'est pas acceptable.

À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle, dans la continuité de l'effort porté par le Président de la République qui a notamment permis de reconstruire Notre-Dame de Paris en cinq ans et de lancer le loto du patrimoine : à mon initiative, le Gouvernement va présenter un amendement qui ajoutera 300 millions d'euros en autorisations d'engagement et 200 millions d'euros en crédits de paiement au budget du ministère de la culture en 2025, afin de répondre à cette urgence patrimoniale. Cela n'était pas encore acquis après mon audition à l'Assemblée nationale ; aujourd'hui, la décision est prise.

Le PLF pour 2025 prévoit un budget historique pour notre patrimoine, avec 7 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'an passé. Mais le chiffre s'avère en trompe-l'oeil, car le « mur d'investissements » est devant nous. Avec cet amendement, nous changeons la donne et faisons du patrimoine la grande priorité du Gouvernement. C'est un enjeu de cohésion nationale, et cela a beaucoup de sens que le ministère de la culture porte un tel projet. Dans un pays divisé, le patrimoine renvoie à l'essentiel, il est ce qui peut nous rassembler. Un pays qui ne s'engage pas pour son patrimoine ne se préoccupe pas de son avenir.

Pour le moment, nous n'avons effectué aucun fléchage précis de ces crédits supplémentaires ; nous prendrons le temps de réfléchir à leur répartition. Seront en tous cas concernés en premier lieu les monuments historiques dans tous nos territoires, et en particulier dans la ruralité. Les trois priorités de ma politique sont l'accès à la culture, le souci de la ruralité et le patrimoine. Cet amendement permettra notamment un effort supplémentaire de 55 millions d'euros pour les monuments historiques en région, en plus de ce que prévoyait déjà le budget 2025. À cela s'ajoute une enveloppe de 23 millions d'euros pour les musées dans les territoires, avec une attention spécifique - à hauteur de 8 millions d'euros - pour les petits musées qui fonctionnent souvent avec les moyens du bord et méritent beaucoup plus d'attention. Dans les communes rurales, ces petits musées s'avèrent souvent des lieux culturels beaucoup plus larges, de même que les librairies.

D'autres équipements en région, comme les centres de conservation et d'études archéologiques (CCEA), maillons essentiels de notre politique archéologique, vont recevoir des financements attendus depuis des années.

Depuis ma prise de fonction, je me suis efforcée de reconnaître le rôle primordial des collectivités. Rapidement, j'ai réuni le Conseil national des territoires pour la culture (CTC), qui porte les deux tiers de la dépense culturelle dans notre pays, tout en renforçant l'exemplarité du rôle de l'État. Aujourd'hui plus que jamais, l'État et les collectivités doivent avancer ensemble aux côtés des acteurs culturels.

Au-delà des investissements majeurs et nécessaires pour nos territoires, le Gouvernement aura une attention particulière pour les besoins les plus impérieux de nos grands établissements. Le Centre Pompidou s'avère, à ce titre, un exemple édifiant ; quand on entretient mal un monument emblématique pendant 40 ans, on en paye le prix à un moment donné. Alors que le budget pour 2025 intégrait la prise en charge des travaux du Centre Pompidou, plusieurs établissements majeurs se trouvaient confrontés à une année blanche en matière de financement de leurs investissements. La situation s'avérait problématique, notamment pour le château et domaine de Versailles qui a entamé il y a plusieurs années une démarche vertueuse de schéma directeur afin de planifier ses besoins de restauration et de remise aux normes. Aussi, pour le château et le domaine de Versailles, mais aussi pour ceux de Fontainebleau et Chambord, ainsi que pour le mobilier national, le palais de la Porte-Dorée et d'autres établissements encore - nous sommes en train d'établir la liste -, cet amendement permettra d'être à la hauteur de la situation.

Les besoins d'investissement concernent l'ensemble des champs du ministère. Un théâtre ou un conservatoire à moderniser constituent un patrimoine à l'adresse des générations futures. Cet amendement en tiendra compte. J'aurai une attention particulière pour la filière liée à la sauvegarde de notre patrimoine ; je pense à ces petites entreprises qui ont fait de la restauration des monuments un savoir-faire d'exception, que le monde entier nous envie. Au moment où s'achève le chantier de Notre-Dame de Paris, il était normal que nous offrions d'autres perspectives à cette filière, alors que les besoins sont criants.

Je voulais vous annoncer le principe de cet amendement en souhaitant que la représentation nationale soutienne le Gouvernement dans cet effort sans précédent. Là encore, l'État ne pourra subvenir seul aux besoins du patrimoine au cours des prochaines années. C'est la raison pour laquelle, en complément de cet effort, j'ai proposé plusieurs pistes : la tarification de l'entrée de Notre-Dame de Paris, qui pourrait dégager 75 millions d'euros afin de financer la restauration de l'ensemble du patrimoine religieux en région ; ou encore des tarifs différenciés au sein des grands opérateurs recevant plus de 60 % de publics étrangers.

Ces pratiques existent ailleurs, et nous devons les examiner avec lucidité pour faire face aux besoins de notre patrimoine. Pour récupérer ces fonds, nous n'avons notamment pas besoin, comme j'ai pu l'entendre, de remettre en cause la loi de 1905. Je suis à votre disposition pour les questions.

M. Laurent Lafon, président. - Madame la ministre, merci pour ces annonces et notamment pour ces 300 millions d'euros de crédits supplémentaires en faveur du patrimoine. Si vous faites des annonces de ce type chaque fois que vous venez au Sénat, nous vous réinviterons plus souvent !

M. Cédric Vial, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel public. - Ma première question porte sur l'effort supplémentaire demandé aux sociétés audiovisuelles publiques, qui représente environ 50 millions d'euros. Cette somme correspond à 1,5 % du budget des sociétés audiovisuelles publiques. L'effort peut être soutenable si la répartition s'établit correctement et si les discussions avec les organismes publics sont bien menées. Avez-vous aujourd'hui une idée de la répartition de cette somme entre les différents organismes ? Concernant France Télévisions, par exemple, l'effort portera-t-il sur les programmes, sachant qu'il faudrait alors revoir certains engagements pris par le groupe, ou bien sur les fonctions support ? Irez-vous jusqu'à ce degré de détail, ou indiquerez-vous seulement un montant d'économies à réaliser ?

Je souhaite également évoquer les COM. Nous devons rendre un avis la semaine prochaine sur le sujet. De ces COM il ne reste plus que le principe d'un contrat, car les objectifs ne sont plus atteignables, et les moyens ne sont plus disponibles. Je m'interroge donc sur l'avenir de ces COM. Madame la ministre, souhaitez-vous vraiment entendre notre avis la semaine prochaine ? Ou ces COM seront-ils prochainement modifiés ?

Les crédits de transformation sont, à ce stade, toujours prévus dans le budget. Selon la loi de 1986, le Parlement vote les montants et affecte les crédits aux sociétés publiques. Ces crédits, aujourd'hui, ne sont pas affectés à chaque société publique. Si la PPLO était votée par l'Assemblée nationale, il serait judicieux que les crédits de transformation soient réintégrés à la dotation de chaque organisme de l'audiovisuel public.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis sur les crédits de la presse. - Je vous remercie d'avoir trouvé une solution concernant les 10 millions d'euros pour les radios associatives. Allez-vous en profiter pour lancer une réforme des procédures d'attribution ? À mon sens, ce serait opportun.

Lors de votre précédente audition, vous vous étiez engagée à lancer le chantier des aides à la presse. Je comprends que la dissolution ait pu constituer un frein à cette réforme. Comptez-vous toutefois avancer dans le sens souhaité aussi bien par la commission que par les conclusions des EGI, demandant une plus grande conditionnalité de ces aides ?

La dissolution de l'Assemblée nationale a également décalé le rendu des travaux confiés à Sébastien Soriano sur les suites à donner au rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) sur la distribution de la presse. Ce dossier, crucial pour le secteur, trouvera-t-il enfin sa conclusion en 2025 ? Le prélèvement de 9 millions d'euros sur les crédits dédiés à la modernisation de la presse devait s'achever en 2022, puis 2024, mais celui-ci figure toujours dans le PLF pour 2025...

Le débat sur la proposition de loi de Sylvie Robert a souligné la nécessité d'une réflexion autour de l'évolution de la loi du 24 juillet 2019 sur les droits voisins. Le texte annoncé lors des EGI sera-t-il l'occasion de revenir sur cette loi, notamment pour mieux définir les titres éligibles ?

Enfin, même si ces crédits ne figurent pas tout à fait dans le périmètre du programme, je constate que le projet de Maison du dessin de presse, annoncé par le Président de la République en janvier 2020, est au point mort. Aucune dotation n'est prévue. Ce projet est-il abandonné, retardé ou revu à la baisse ?

Mme Karine Daniel, rapporteur pour avis des crédits relatifs à la création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture. - Vous avez fait du renforcement des services publics culturels en milieu rural un des axes majeurs de votre politique. Parmi les 23 mesures annoncées, trois concernent plus particulièrement le secteur de la création : l'aide à l'embauche temporaire d'artistes par les mairies, les associations et les cafés ; le soutien aux festivals en ruralité ; et le développement du réseau des artothèques. Vous avez évoqué les crédits de manière globale. Pouvez-vous nous indiquer les modalités de mise en oeuvre pour chacune de ces mesures ?

Concernant le plan Culture et Ruralité, vous avez évoqué la question des tiers lieux, dont 34 % se situent en milieu rural. Où en sommes-nous sur ce sujet très attendu dans les communes rurales ?

Pour la mise en oeuvre de ce plan Culture et Ruralité, les directions régionales des affaires culturelles (Drac) sont en première ligne. Or, nous observons aujourd'hui une certaine dévitalisation des Drac. Se pose donc la question de la gestion déconcentrée de ces crédits. De façon prosaïque, cela peut consister à mettre de l'essence dans les voitures pour aller voir les opérateurs dans les territoires. De nombreux retours invitent à une meilleure décentralisation ; je pense, par exemple, à la gouvernance du plan « Mieux produire, mieux diffuser » et à son articulation avec les collectivités territoriales.

Dans ce PLF pour 2025, les collectivités subissent d'importantes coupes budgétaires ; annoncées à 5 milliards d'euros, nous les évaluons plutôt à 10 milliards. Elles ne seront pas sans conséquence sur les projets culturels, les investissements et le fonctionnement.

Je souhaite également revenir sur le sujet de la filière musicale. La semaine dernière, le président du Centre national de la musique (CNM) a dressé un tableau contrasté. Malgré de beaux succès, une partie de la filière connaît des difficultés, avec notamment un problème de viabilité économique des salles. On a évoqué les scènes de musiques actuelles (Smac), d'autres salles connaissent des difficultés ; j'ai une pensée particulière pour les personnels et les bénévoles de trois salles qui ont fermé : l'Entonnoir à Besançon, l'Arrosoir à Chalon-sur-Saône et la Péniche Cancale à Dijon. De son côté, le K'fé Quoi à Forcalquier a pu être repris, mais sur un format plus restreint.

Je laisse Sonia de La Provôté évoquer le sujet des festivals. Nous aurons également un point d'attention sur le sujet de l'enseignement supérieur artistique, notamment dans les écoles d'art territoriales.

Où en est le plan global de réforme que vous aviez annoncé en mars dernier, à la suite du diagnostic confié à l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et à la direction générale de la création artistique (DGCA) ?

Du reste, le pass Culture retiendra toute notre attention lors de l'examen du budget. Nous organiserons une table ronde consacrée à ce sujet avec l'ensemble des parties prenantes au dispositif.

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits des patrimoines. - Votre plan en faveur de la ruralité suscite de fortes attentes dans les territoires. Je me félicite que vous y associiez la mise en valeur du patrimoine de nos campagnes, y compris religieux. Ce patrimoine souvent modeste et parfois ignoré n'en demeure pas moins constitutif de nos paysages.

Comme chaque année, nos auditions budgétaires soulèvent des questions sur les critères d'éligibilité aux dispositifs fiscaux profitant au patrimoine, notamment le dispositif Malraux. Celui-ci semble créer des effets d'aubaine et, dans certains cas, il encourage la spéculation immobilière dans les centres anciens déjà très attractifs, où la valeur de revente des immeubles réhabilités couvre largement les frais engagés. Cette situation est d'autant plus préoccupante que le contexte budgétaire exige une rigueur accrue dans l'évaluation de l'efficacité des mesures financées par des fonds publics. Travaillez-vous actuellement à améliorer le ciblage de ce dispositif ?

Nous le savons, le diagnostic de performance énergétique (DPE) n'est pas adapté aux spécificités du bâti patrimonial ancien. L'ajustement de sa méthodologie serait nécessaire pour permettre une évaluation plus juste de la performance énergétique. Bien que la prise de conscience progresse sur ce point, le DPE continue d'inquiéter, car il a de lourdes conséquences sur les possibilités de mise en location, sur la valeur marchande des biens et, même aujourd'hui, sur la possibilité pour les propriétaires d'obtenir des prêts pour leurs travaux de rénovation. Le temps presse : les effets néfastes et non anticipés du DPE sont déjà visibles. Dans ce contexte, pourriez-vous préciser le contenu des annonces faites par le Premier ministre et votre ministère pour assurer l'adaptation du DPE au bâti patrimonial ancien ?

Il est aujourd'hui nécessaire de s'inquiéter du sort réservé au bâti vernaculaire, qui ne fait l'objet d'aucune protection alors qu'il participe à l'attractivité de nos régions, surtout les plus reculées. Ce patrimoine, parfois méconnu mais si riche, dit tant de choses sur notre pays. Pourtant - j'insiste -, il est menacé par des rénovations inadaptées et des destructions qui s'accélèrent. Pour faire obstacle à ce saccage patrimonial, il est urgent de réfléchir collectivement aux moyens d'assurer son identification, voire de réaliser son inventaire complet, afin qu'il figure dans les documents d'urbanisme. Il en va ainsi en matière de protection de la biodiversité : chaque particularité floristique ou faunistique est prise en compte pour favoriser une urbanisation durable et respectueuse. Envisagez-vous d'identifier et d'inventorier ce patrimoine ?

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma. - Je me réjouis que le budget du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ait été finalement épargné par les mesures d'économie, en dépit d'un prélèvement de 450 millions d'euros sur ses réserves, cette somme étant destinée à couvrir des engagements comptables.

Le 14 février dernier, le Sénat a adopté l'ambitieuse proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France. Savez-vous si elle pourra être inscrite rapidement à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale ? Je rappelle qu'elle contient des dispositions précieuses pour sanctionner les producteurs qui ne lutteraient pas efficacement contre les violences sexistes et sexuelles sur les plateaux de tournage.

Par ailleurs, la directive sur les médias audiovisuels (SMA) doit être réexaminée par la Commission européenne en 2025. Cela nécessitera un fort engagement de la part de la France. Dans ce contexte, il serait très utile qu'un président du CNC puisse être rapidement nommé ; la vacance de poste depuis juin dernier peut se révéler très pénalisante. Avez-vous des informations à nous communiquer sur ce sujet ?

Enfin, le 25 septembre dernier, l'Autorité de la concurrence s'est saisie « d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la télévision payante et de l'acquisition d'oeuvres cinématographiques ». De sa décision dépend, en réalité, tout l'équilibre de la chronologie des médias, pilier du financement de notre cinéma. Quelles options ont été mises sur la table et comptez-vous vous associer à cette procédure ?

Mme Sonia de La Provôté. - La programmation, le calendrier et l'attractivité des festivals de l'été dernier ont été parasités par les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris et la phase électorale qui a suivi la dissolution de l'Assemblée nationale.

Finalement, selon les syndicats et les professionnels du milieu, la fréquentation a été plutôt bonne. Pourtant, le bilan budgétaire de ces festivals est plutôt mauvais, voire moins bon que celui de l'année dernière, ce pour plusieurs raisons.

D'abord, l'inflation a affecté les frais de déplacement des artistes, entre autres. Ensuite, l'application des réglementations environnementales est complexe et coûteuse. Résultat : à la fin de l'été, 50 % des festivals étaient en situation déficitaire - le déficit moyen oscillant entre 75 000 et 100 000 euros - et 14 % d'entre eux annonçaient ne pas pouvoir se dérouler l'année prochaine.

Le modèle économique des festivals est un vrai sujet. À cet égard, nous avions alerté le Gouvernement sur la nécessité de maintenir et de faire évoluer le fonds festival, compte tenu des besoins nouveaux et de cette période particulière où les contraintes s'accumulent.

Le ministère envisage-t-il d'évaluer la situation actuelle ? Il conviendrait d'abonder le fonds festival, vu l'aggravation des besoins ces dernières années. Voir disparaître les festivals, c'est voir disparaître l'accès à la culture dans tous les territoires.

Mme Rachida Dati, ministre. - Nous souhaitons revoir les contrats d'objectifs et de moyens de l'audiovisuel public tout en maintenant trois priorités : la proximité, le numérique et la jeunesse, la qualité de l'information. D'ailleurs, ce sont elles qui motivent la réforme de la gouvernance. Pour rappel, lorsque le président Lafon et moi-même avions discuté de la création d'une holding, voire d'une fusion de l'audiovisuel public, c'était en maintenant ces trois priorités.

Nous aimerions trouver un créneau à l'Assemblée nationale pour discuter d'une réforme de la gouvernance, afin de mener en parallèle la réforme du financement et celle de la gouvernance, mais l'incertitude demeure.

Lors de l'examen de la proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public, j'ai indiqué que les crédits de transformation devaient être intégrés aux dotations de base des sociétés.

Vous m'avez interrogé sur la répartition des 50 millions d'euros d'économies demandées à l'audiovisuel public : France Télévisions en assumera la plus grande part, à hauteur de 10 millions d'euros de plus.

Le budget de la culture est compris entre 8 milliards et 9 milliards d'euros, la moitié étant réservée aux sociétés de l'audiovisuel public. Dès lors, les économies qui leur sont demandées sont inférieures à leur poids dans ce budget.

In fine, c'est bien au Parlement qu'il reviendra de décider des affectations de crédits et des mesures d'économie. Nous pourrons en discuter ensemble, ainsi qu'avec les sociétés concernées.

M. Cédric Vial. - Allez-vous indiquer aux sociétés de l'audiovisuel public les domaines dans lesquels elles doivent réaliser des coupes budgétaires ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Pour tout vous dire, nous en discutons toujours. Je ne veux pas imposer des mesures dont la mise en oeuvre serait difficile : je préfère la concertation. En effet, les économies doivent être les plus consensuelles possible, surtout qu'elles ont été annoncées tardivement.

Quelques mots sur les droits voisins, qui sont un sujet autant national qu'européen. Nous souhaitons traduire législativement les conclusions des États généraux de l'information, qui sont d'une très grande qualité, en identifiant les titres concernés.

Dans le même esprit, nous pourrions compléter ou renforcer la protection du secret des sources des journalistes, dans la continuité de la loi du 4 janvier 2010 que j'avais défendue en tant que garde des Sceaux.

Par ailleurs, la situation de France Messagerie demeure fragile. Aussi, j'ai demandé que la mission Soriano sur la distribution de la presse, interrompue par la dissolution de l'Assemblée nationale, soit relancée. En attendant qu'elle rende ses conclusions, nous avons maintenu l'aide à la distribution au même niveau qu'auparavant.

M. Laurent Lafon, président. - Quid du projet de création d'une Maison du dessin de presse ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Je suis en train de négocier les aspects budgétaires. Pour les journalistes, notamment, la maison du dessin de presse n'a de sens que si elle permet d'exposer des caricatures. Sur ce point, les discussions ont été vives.

En tant que ministre de la culture, je considère que l'engagement pris pour la création de cette institution doit être tenu. Encore faut-il trouver des financements. Il est par ailleurs nécessaire de tenir compte des enjeux de sécurité.

Je suis prête à discuter du contrôle sur les attributions de fréquences et à revoir les critères. Toutefois, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) accomplit déjà très bien ses missions.

Par ailleurs, ce serait une très bonne chose d'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France. Or, pour l'heure, il n'y a pas de fenêtre d'inscription. Ainsi, le Gouvernement prendra ses responsabilités : dans la mesure où cette proposition de loi contient des dispositions très intéressantes, nous pourrons les reprendre à notre compte dans un projet de loi.

La chronologie des médias est fixée non plus pour cinq ans, mais pour trois ans. Les acteurs se plaignent de devoir procéder à des renégociations en permanence, le nouveau délai impliquant de discuter de la chronologie seulement dix-huit mois après qu'elle a été fixée. En réalité, c'est un débat de nature législative. Doit-on maintenir ce délai ? La chronologie convient-elle bien à tout le monde aujourd'hui ? Certains acteurs apprécient de mener des renégociations sur un temps court, compte tenu de l'évolution du paysage cinématographique. D'autres préfèrent une chronologie plus longue, pour disposer de suffisamment de retours et de bilans.

Depuis mon entrée en fonction, j'ai découvert le sens de l'anticipation et l'énergie dont font preuve tous les agents du CNC. Cette institution accomplit un excellent travail, avec des résultats assez spectaculaires, ne serait-ce que sur la dernière année.

Je vous renvoie au bilan du cinéma sur l'attractivité de l'économie française : le CNC fonctionne très bien et doit fonctionner encore mieux. D'où la nécessité de procéder à la nomination de son président, ce qui ne saurait tarder.

Parlons des festivals. Aujourd'hui, il en existe partout en France, dans les communes de 600 habitants comme dans celles qui en comptent 1 million. Il existe des divergences quant aux financements, aux partenaires et aux thématiques, mais les festivals font tous l'objet du même engouement. Ils garantissent un véritable accès à la culture puisqu'ils sont souvent gratuits.

Notre plan en faveur de la ruralité, d'un montant de 100 millions d'euros sur trois ans, permettra de financer de façon pérenne les festivals. Plus de 200 événements festifs seront déclinés : festivals, « villages en fête », fanfares, etc. Chaque territoire utilisera les fonds alloués pour organiser ces événements comme il le souhaite.

En outre, 200 résidences d'artistes seront organisées. En ce domaine, il y a eu une forte demande, puisqu'il est question de la mobilité des artistes dans les zones rurales.

Quant au CNC, il soutiendra près de 150 circuits itinérants. Du reste, les artothèques seront comprises dans les financements.

Les tiers-lieux ont également été intégrés au plan en faveur de la ruralité, avec un développement d'ampleur. Ils sont essentiels en ce qu'ils permettent de transformer les bâtis patrimoniaux rénovés mais non utilisés en lieux d'exposition, de projection, de rencontres ou de débats.

J'ai mobilisé des moyens beaucoup plus importants pour les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), qui sont très utiles en zone rurale.

Bref, notre plan comporte des mesures pour chaque secteur de la culture : cinéma, festivals, patrimoine, événements festifs, résidences d'artistes, etc.

L'éducation artistique et culturelle (EAC) en fait aussi partie. Je serai honnête avec vous : même si nous finançons des associations, des artistes et des formations, il n'y a pas de ligne politique en ce domaine. Je serais donc bien en peine de dresser le bilan de l'EAC. Je peux vous indiquer les montants que nous y avons alloués, mais je ne saurais vous dire quels volets ont été développés, pour quels objectifs

L'EAC est désormais de plus en plus intégrée aux programmes pédagogiques. La part collective du pass Culture y participe. J'ai ainsi été particulièrement émue de voir des enfants découvrir des oeuvres alors qu'ils n'avaient jamais mis les pieds dans un musée, même si celui-ci est situé à 40 mètres de leur domicile. L'articulation de la part collective et de la part individuelle du pass Culture est donc essentielle pour accompagner le cheminement des jeunes vers la culture.

Par ailleurs, le ministère de l'éducation nationale considère que l'EAC relève davantage du ministère de la culture, si bien que nous n'avons pas la même ligne en la matière. Il conviendrait de définir une politique publique cohérente à destination des enfants.

En résumé, les crédits alloués par le ministère en faveur de l'EAC ne sont pas négligeables. Il reste à définir une politique cohérente, faute de quoi nous serons condamnés à faire du saupoudrage via la distribution de subventions. On ne peut pas parler d'accès à la culture sans indiquer, au préalable, à quoi sert la politique que nous conduisons. L'EAC est une noble mission : elle doit avoir un sens et c'est ensemble que nous devons la bâtir.

Autre sujet : nous sommes en train de revoir les dispositifs fiscaux applicables au patrimoine en raison d'effets d'aubaine, voire d'effets de rente. Nous souhaitons également faciliter la tâche des propriétaires privés qui possèdent un patrimoine historique : cela leur coûte très cher d'entretenir ou de rénover leur bien, alors même qu'ils permettent au public d'y accéder. Nous travaillons donc à réduire certains dispositifs fiscaux et à en amplifier d'autres. En ce qui concerne en particulier le dispositif Malraux, nous pouvons unifier le taux de réduction d'impôts, mais aussi rehausser le taux pour les immeubles en site patrimonial qui sont insalubres ou en ruines. Nous souhaitons le rehausser à 50 %, à la condition que des travaux de rénovation énergétique soient menés. Sur ce sujet, je n'ai pas gagné le combat vis-à-vis de Bercy, mais sachez que c'est la solution qui est défendue par le ministère de la culture.

Avant la dissolution de l'Assemblée nationale, nous nous étions engagés à la mise en place d'une disposition relative au DPE du bâti ancien avant le 31 décembre prochain, et cet engagement sera respecté.

Le Président de la République nous avait demandé de recenser l'ensemble de biens du patrimoine et d'inciter, via les directions régionales des affaires culturelles (Drac), à leur classement. L'État et les collectivités devraient y contribuer. Voilà qui permettra de sauvegarder le patrimoine, y compris privé.

Le fonds festival a été préservé, mais les zones rurales sont tout de même en fragilité.

Il faut que nous engagions une réflexion sur le modèle économique du spectacle vivant. À cet égard, j'ai demandé à la mission consacrée à ce sujet, lancée avant la dissolution, de reprendre ses travaux. Tous les représentants du spectacle vivant, quelle que soit leur tendance, s'accordent à dire que la pérennisation du financement est un problème majeur. On finance souvent des structures, mais on ne finance plus de projets.

Quant aux écoles d'art, il n'y a aucun désengagement de notre part, comme en matière de patrimoine. Le ministère ne possède toutefois ni direction de la formation ni direction de l'enseignement, ce qui rend difficile l'observation fine de ces écoles. Il en existe 99 à ce jour : 41 écoles nationales et 58 écoles territoriales, auxquelles s'ajoutent des préparatoires publiques. J'ai demandé qu'on procède au recensement de l'ensemble des écoles d'art et qu'on réalise une cartographie. Il n'y a pas de mystère : les écoles d'État sont souvent situées en milieu urbain, d'où le fait qu'elles ne soient pas forcément accessibles au plus grand nombre. Certaines écoles, telles que les Beaux-Arts ou l'École du Louvre, sont également fortement marquées par un phénomène de reproduction sociale. D'autres ne comptent pratiquement aucun élève boursier. Dans les écoles d'art payantes, les élèves n'ont pas accès aux bénéfices du centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), comme les repas dans les restaurants universitaires ou les bourses.

Soyez assurés que nous allons préserver et renforcer les écoles d'art, mais que nous mènerons aussi une évaluation, car nous n'avons pas de contrôle sur les résultats de certaines écoles qui bénéficient pourtant de financements très importants de la part de l'ÉtatJe précise que nous avons par ailleurs relancé l'apprentissage et l'alternance, qui étaient pratiquement inexistants dans les actions menées par le ministère.

M. Laurent Lafon, président. - Je vais maintenant donner successivement la parole aux rapporteurs spéciaux de la commission des finances qui ont souhaité s'exprimer dans le cadre de la présente audition.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». - Quel bonheur de vous entendre ainsi parler du pass Culture, madame la ministre ! Dès le départ, Sylvie Robert, Sonia de La Provôté, Pierre Ouzoulias et moi-même avions animé un groupe de travail sur ce sujet. Il aura fallu user quatre ministres pour entendre la cinquième nous dire, sans haine ni violence, et avec une certaine diplomatie, ce que nous affirmons depuis six ans déjà.

Par ailleurs, la condition sine qua non de la réussite de l'EAC se trouve dans les territoires, notamment les communes. À 35 kilomètres de Paris, je vous invite à visiter l'une des communes d'Île-de-France qui a été pionnière en ce domaine, dès lors qu'elle a été labellisée à 100 %.

Vous verrez à quel point le dispositif en place est performant. Il repose sur le travail des communes, comme la majorité de la culture dans notre pays.

Enfin, qui, à Bercy, en veut au fonds de soutien à l'expression radiophonique (FESR) ? Ce budget, monté en quinze jours, est un document martyr que le Sénat s'efforcera d'améliorer. Toutefois, l'amputer de 10 millions d'euros, sans même prendre attache avec le ministère de la culture, ne relève pas du hasard : c'est une décision insupportable, madame la ministre ! Avez-vous des informations sur ce sujet ?

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Au sein de la commission des finances, Vincent Éblé et moi-même avons coécrit un rapport d'information sur le pass Culture. D'ailleurs, je me félicite que vous ayez repris nos recommandations, madame la ministre.

Je prends acte de votre volonté de reformater ce dispositif. Vous n'avez pas manqué d'évoquer l'écueil de la reproduction sociale, à juste titre. Pour ma part, je souhaiterais insister sur un deuxième écueil, celui du manque d'offre culturelle pour les jeunes habitants des zones rurales ou périurbaines.

Je viens d'une bourgade rurale où, dans un rayon de 20 kilomètres, il n'y a ni salle de spectacle, ni cinéma, ni théâtre, ni librairie digne de ce nom. Quant aux musées, ils sont situés encore plus loin, à au moins 40 kilomètres.

Je crois beaucoup au pass Culture. Il conviendrait toutefois d'ajouter un volet transport et mobilités à destination des jeunes qui sont éloignés de l'offre culturelle.

Mme Anne Ventalon. - Dans la période de disette économique que nous connaissons, il faut saluer les crédits alloués à la culture pour l'année 2025 et la stabilité annoncée. Néanmoins, les chantiers qui vous attendent sont de taille.

Je me félicite de votre engagement de faire de 2025 l'année du patrimoine. Les 300 millions d'euros que vous avez annoncés permettront de répondre à l'impérieuse nécessité de sécuriser, de restaurer et de valoriser le patrimoine, cher à l'ensemble des Français.

Je m'interroge sur la collecte nationale en faveur du patrimoine religieux des petites communes, lancée en septembre 2023 à l'initiative du Président de la République. En un an, celle-ci totalise près de 12 millions d'euros de dons auprès de la Fondation du patrimoine : nous sommes très loin de l'objectif de collecter 200 millions d'euros d'ici à 2027.

Ce premier bilan décevant doit nous amener à élaborer, ensemble, une nouvelle politique patrimoniale. Comment pourrions-nous rassurer et accompagner les élus locaux - eux aussi soumis à de fortes contraintes budgétaires - dans l'entretien et la valorisation du patrimoine communal, notamment religieux, sans politique claire et de long terme ?

Les attentes des maires sont très fortes. Les conclusions des États généraux du patrimoine religieux seront rendues prochainement et contribueront à l'élaboration collective d'un plan adéquat.

Au demeurant, vous avez précisé vos annonces récentes concernant l'accès payant des visiteurs à la cathédrale Notre-Dame de Paris, une fois les travaux de rénovation achevés. Selon vous, la loi du 9 décembre 1905 n'est pas un obstacle à ce projet. Pouvez-vous nous en dire plus, madame la ministre ?

Quel que soit l'avis de chacun, la question du financement de notre patrimoine mérite d'être posée. Pensez-vous que l'entrée payante de Notre-Dame de Paris s'inscrit bien dans la mission de service public et d'ouverture culturelle de la cathédrale, ou privilégiez-vous une autre forme de financement pour préserver son accès libre, en tenant compte des valeurs historiques et symboliques qu'elle incarne pour notre patrimoine national ?

Enfin, j'ai un doute sur la possibilité de financer de façon significative et pérenne la restauration des édifices religieux en milieu rural. Comment pouvez-vous concrètement garantir que les recettes seront reversées dans les territoires qui en ont le plus besoin ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous saluons votre ténacité et tous les efforts que vous déployez pour défendre un budget de la culture solide, madame la ministre.

Je vous remercie d'avoir soutenu notre proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public. Nous espérons qu'elle puisse suivre son cours assez rapidement, dans le cadre de la navette parlementaire.

Par ailleurs, je me réjouis du maintien des crédits d'impôt pour le cinéma. Cela fera la grande satisfaction des régions, qui financent la production cinématographique. C'est un système donnant-donnant avec le CNC.

Vous avez affirmé qu'un pays qui ne s'occupe pas de son patrimoine ne s'occupe pas de son avenir. Or, ces dernières années, l'État et les collectivités ont fait le maximum pour investir dans le patrimoine, en particulier religieux. On peut se satisfaire d'une vraie prise de conscience et d'un effort réel, ce dont témoignent les colloques qui ont été organisés au Sénat et les rapports rédigés par plusieurs de nos collègues.

Cependant, nous devrions taper davantage à la porte de l'Union européenne. En 2023, Louis-Jean de Nicolaÿ et moi-même avons écrit un rapport d'information révélant que la compétence en matière de culture n'est pas revendiquée par l'Union européenne. Pourtant, les traités ne s'y opposent pas. Dans une logique de subsidiarité, mais surtout de complémentarité, l'Union européenne pourrait faire usage de cette compétence. À cet égard, nous avions formulé plusieurs propositions et même sollicité la commissaire Mariya Gabriel, dans l'espoir que l'Union européenne ouvre enfin la porte d'un financement direct affecté à la sauvegarde du patrimoine.

De même, les programmes Europe créative sont essentiels et pourraient être mis en oeuvre dans le domaine du patrimoine.

Par ailleurs, dans quelle mesure les collectivités seront-elles affectées par votre plan en faveur de la ruralité ? Pour rappel, elles verront leur budget amputé de 5 milliards d'euros, voire de 10 milliards.

Les collectivités ont déjà été privées de tout levier fiscal en raison de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la taxe d'habitation. Elles se trouvent prises dans un effet de ciseaux, alors qu'elles accompagnent 80 % des structures du spectacle vivant.

Les collectivités s'efforcent d'opérer les choix les moins douloureux possible, à l'heure où tout le maillage territorial est affaibli, au risque de se désagréger.

Au Sénat, nous défendons les collectivités territoriales. Vous avez raison, nous devons réfléchir au modèle économique du spectacle vivant. Toutefois, les collectivités vont se trouver dans une impasse budgétaire cette année.

Enfin, vous revendiquez l'ambition louable de faire du Centre national de la musique (CNM) l'équivalent du CNC. Cependant, comparaison ne vaut pas raison : le spectacle vivant, en particulier la musique, est hautement subventionné, à hauteur de 80 %, ce qui n'est pas le cas du secteur du cinéma. Cela suscite donc quelques inquiétudes.

Va-t-on complètement « agenciariser » le secteur de la musique ? Le cas échéant, le ministère de la culture ne jouerait plus son rôle de structuration avec les collectivités territoriales, à moins que vous ne conserviez la direction de la musique.

Mme Sylvie Robert. - Je me réjouis que les crédits de transformation soient intégrés aux crédits de base des sociétés d'audiovisuel public. Ces crédits étaient devenus une variable d'ajustement : en 2024, un certain nombre d'entre eux ont été annulés, voire non versés, dès lors qu'ils étaient suspendus à la réforme de la gouvernance. Ces crédits de transformation vont-ils être finalement versés aux sociétés ?

Vu les 50 millions d'euros d'économies qui pèseront essentiellement sur France Télévisions, l'équation va être très complexe ; nous aurons quelques difficultés à accepter les trajectoires annoncées. Les économies de 200 millions d'euros annoncées sur quatre ans sont-elles réelles ?

Au demeurant, je suis très intéressée par votre plan en faveur de la ruralité. Pour autant, de nombreuses questions posées par mes collègues démontrent qu'il n'y a pas forcément de transparence dans la façon dont il sera déployé dans les territoires.

Nous aimerions en savoir plus sur la manière dont ce plan sera déployé dans les territoires. S'agira-t-il de crédits déconcentrés aux Drac, en fonction de leurs besoins et de leurs demandes ? Elles n'ont pas toujours les moyens de procéder à des expertises notamment dans les communes très rurales, isolées, où il est difficile de se déplacer et d'accompagner les élus. Quelle sera la méthode pour définir les crédits octroyés : ceux-ci seront-ils définis de manière centralisée, en fonction des besoins du terrain ou selon d'autres critères, tels que le nombre d'habitants, etc. ?

Demain, avec Else Joseph et Monique de Marco, nous rendrons les conclusions de notre rapport sur la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi LCAP. Nos auditions ont révélé un nombre important d'atteintes à la liberté de la création. Cela pose la question de l'effectivité de la loi. Avez-vous été alertée sur ce sujet ? Envisagez-vous d'intervenir pour essayer de comprendre ce qui se passe ?

Mme Monique de Marco. - Une baisse des crédits de l'audiovisuel public de 50 millions est envisagée l'année prochaine. Dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public, une holding devrait être créée. Quel sera son financement ? Bénéficiera-t-elle de moyens spécifiques ? Des crédits supplémentaires sont-ils prévus ou bien la réforme se fera-t-elle à moyens constants ?

Le Centre national de la musique a été créé en 2020. Il a pour vocation d'être le centre de toutes les musiques et de garantir la diversité, le renouvellement et la liberté de la création musicale. Lors de son audition, M. Thielay, son président, nous a indiqué que la taxe streaming avait rapporté moins que prévu, en raison de diverses réticences ou de difficultés d'application. La taxe sur la billetterie constitue la principale source de financement du CNM. Son produit est amené à croître dans les prochaines années, comme l'indique le contrat pluriannuel d'objectifs et de performances du CNM. Le montant affecté au CNM est plafonné à 50 millions aujourd'hui, mais les recettes issues de cette taxe dépassent cette somme. Comptez-vous déplafonner cette taxe ?

Mme Laure Darcos. - Je me réjouis de vos propos sur le crédit d'impôt en faveur du cinéma et des sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (Sofica), mais chaque année Bercy et les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat cherchent à le réduire. Nous devrons donc être vigilants sur le sujet. L'an passé, avec Sylvie Robert, nous avons bataillé sur cette question et le vote s'est joué à deux voix !

Les grandes plateformes, comme Amazon, se masquent derrière le secret des affaires pour ne pas révéler leur chiffre d'affaires et donc se soustraire à leurs obligations de financement de la création cinématographique.

Amazon va contourner la loi qui l'oblige à facturer au minimum 3 euros chaque livraison de livres, puisque ses clients pourront bénéficier d'une livraison gratuite s'ils récupèrent leur commande dans un des 2 500 points de retrait situés dans un endroit qui vend également des livres. C'est très grave, car cela aggravera la situation des libraires. Il importe que les frais de port soient les mêmes pour Amazon et les libraires indépendants.

Mme Else Joseph. - Vous avez évoqué un recentrage du pass Culture. L'année dernière nous nous étions interrogés sur l'opportunité d'une ouverture du dispositif au patrimoine. Qu'en pensez-vous ?

Dans le cadre de notre mission d'évaluation des dispositions de la loi LCAP, nous avons pu constater que les Drac étaient dans une situation de grande fragilité. Leur mission d'expertise et de soutien en matière d'ingénierie est pourtant cruciale pour les collectivités.

L'année dernière, avec Catherine Morin-Desailly, nous avons rédigé un rapport intitulé : Expertise patrimoniale internationale française : des atouts à valoriser, une stratégie qui reste à affirmer et coordonner. La compétence de notre pays dans ce domaine est reconnue dans le monde. Comment comptez-vous développer ce volet de notre politique culturelle au niveau international ? Envisagez-vous d'accroître la collaboration avec le ministère des affaires étrangères sur ce sujet ?

M. Adel Ziane. - Je partage les inquiétudes de Catherine Morin-Desailly. Les villes sont en première ligne sur les questions culturelles. Elles constituent des leviers puissants pour faire rayonner la culture dans les territoires. Or il est question d'opérer une ponction sur leurs budgets.

Vous souhaitez que 2025 soit l'année du patrimoine. Nous nous en réjouissons. Marie-Pierre Monier et Pierre-Jean Verzelen présenteront demain le rapport de la mission d'information sénatoriale sur les architectes des bâtiments de France. Nos auditions ont confirmé l'importance de leur rôle. Vous avez évoqué une enveloppe de 300 millions d'euros pour le patrimoine. Il y a urgence. Les professionnels de la restauration et du secteur des monuments historiques ont besoin de savoir dès maintenant comment l'année 2025 se passera, comment ces crédits seront utilisés.

Vous avez mentionné les grands travaux dans les musées parisiens, en particulier au centre Pompidou. Vous avez aussi évoqué des pistes de financement, comme des tarifs différenciés pour les touristes étrangers. La France accorde la gratuité des collections permanentes des musées nationaux aux jeunes de moins de 26 ans ressortissants de l'Union européenne, mais certains pays européens, comme l'Italie ou l'Espagne, ne pratiquent pas cette gratuité. Comment comptez-vous avancer sur cette question pour trouver de nouveaux financements pour les musées ?

Les crédits d'acquisition et d'enrichissement des collections publiques restent stables, à 9,7 millions d'euros. Les grands musées parisiens ont la capacité de lever des fonds et de recourir au mécénat, mais pour les établissements en région, c'est plus difficile et ces crédits semblent bien faibles pour leur permettre d'enrichir leurs collections.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - J'avais alerté le Président de l'Arcom, lors de son audition le 16 octobre par notre commission, sur la coupe budgétaire de plus de 10 millions d'euros prévue par le projet de loi de finances 2025 des crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale. Consciente des conséquences dramatiques de cette baisse pour nos radios associatives, vous avez tenu à réagir rapidement, madame la ministre, à la suite à mon intervention et de celle des syndicats. Je tiens à vous remercier.

La semaine dernière vous avez ainsi annoncé lors de la séance des questions d'actualité au Gouvernement à l'Assemblée nationale que la baisse annoncée de 35 % des crédits de ce fonds n'aurait pas lieu. Je me réjouis donc sincèrement de cette bonne nouvelle qui a été perçue comme une véritable marque de reconnaissance par les radios associatives. Toutefois, le Gouvernement n'a pas précisé les modalités de l'annulation de cette baisse. Dans la mesure où le fonds de soutien à l'expression radiophonique est également financé par le plan Culture et Ruralité, qui est inclus dans la mission « Culture » du PLF, le Gouvernement pourrait-il envisager une augmentation du budget de ce plan ? Cette annulation sera-t-elle préservée en cas de recours à l'article 49.3 ?

Enfin, les radios associatives s'interrogent sur l'avenir. Pouvez-vous les rassurer en leur affirmant que la question ne se posera pas à nouveau l'année prochaine ? Ce fonds est au coeur de leur modèle économique. Il contribue à hauteur de 40 % à leur budget. On comprend leurs inquiétudes. Je ne doute pas une seule seconde, madame la ministre, de votre engagement à leur côté.

M. Jean-Gérard Paumier. - Je tiens à mon tour à vous remercier d'avoir convaincu vos collègues de Bercy de renoncer au projet de réduction de près d'un tiers des crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique, dont l'annonce avait mis en émoi les radios associatives. Cette subvention est en effet vitale pour leur équilibre financier et pour les emplois.

Je vous remercie aussi pour la priorité que vous accordez au patrimoine. Je voudrais insister sur la nécessaire sauvegarde du patrimoine religieux remarquable, qui n'est ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques, mais qui est très emblématique de nos territoires, notamment ruraux. Dans la situation que l'on connaît actuellement, cette sauvegarde ne peut pas être une priorité des collectivités : l'État doit venir à leur aide pour assurer les travaux les plus urgents. C'est pourquoi je soutiens votre proposition visant à instaurer un droit d'entrée pour les touristes. La recette escomptée de 75 millions sera-t-elle déconcentrée dans les Drac, afin que cet argent ruisselle un peu dans tous les territoires ? En flécherez-vous une partie vers ce patrimoine religieux qui n'est ni classé ni inscrit ?

2025 sera l'année du patrimoine. Ne pourriez-vous pas demander aux préfets, grâce à a la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de mettre un accent particulier sur les questions relatives au patrimoine pour aider les collectivités qui connaissent des difficultés financières ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Nous présenterons demain, avec Pierre-Jean Verzelen, les conclusions de notre rapport sur les architectes des bâtiments de France (ABF). Nous mettons en lumière le sous-effectif des ABF, ce qui fait qu'ils ne peuvent pas toujours exercer leurs missions de conseil et d'accompagnement auprès des élus locaux. Nous préconisons le recrutement d'un ABF supplémentaire par département, pour faire face à la hausse du nombre d'avis qu'ils doivent rendre, puisque ces derniers ont augmenté de 63 % entre 2013 et 2023. Nous plaiderons en ce sens lors de l'examen du projet de loi de finances. Qu'en pensez-vous ? Je soutiens à cet égard les propos d'Anne Ventalon, qui avait corédigé avec Pierre Ouzoulias un rapport sur l'état du patrimoine religieux.

Nous soulignons également le manque d'ingénierie juridique et technique des communes rurales pour entretenir et valoriser leur patrimoine. Comment comptez-vous renforcer l'accompagnement des collectivités dans ce domaine ?

Vous avez annoncé l'octroi de 300 millions supplémentaires pour le programme 175. L'Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements. L'un d'eux vise à augmenter de 2 millions les crédits du fonds incitatif et partenarial, qui joue un rôle précieux pour soutenir les petites communes, dotées de faibles ressources, dans leur politique de restauration du patrimoine. Un autre amendement prévoit la création d'un fonds de 6 millions d'euros pour soutenir les collectivités territoriales dans l'entretien et la valorisation du patrimoine local. Quel regard porterez-vous sur ces différents amendements ?

Nous avons été interpellés par le Groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques sur un autre amendement qui prévoit la suppression de l'affichage publicitaire sur les monuments pendant les travaux de restauration. Cela aurait un impact sur le financement des projets de restauration. Quel est votre avis sur cet amendement ?

Comment expliquer la baisse de 10 ETP pour l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ?

Enfin, je rejoins entièrement les propos de Sabine Drexler sur le DPE pour le bâti ancien.

Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Décloisonner la culture dans tous les territoires et pour tous les publics est l'un des axes majeurs de votre politique. Le 11 juillet dernier, vous avez ainsi annoncé le plan Culture et Ruralité.

Le fonds de soutien au développement des activités périscolaires a été supprimé par le dernier projet de loi de finances. Ce fonds, qui dépend du ministère de l'éducation nationale, finançait de nombreux projets culturels pour les scolaires. Faute de financement, de nombreuses communes n'auront plus d'autre choix que d'opter pour la semaine des quatre jours et d'abandonner de nombreux projets culturels. La ministre de l'éducation s'est engagée, sans autre précision, à mettre en place une aide spécifique aux communes rurales. Votre ministère est-il associé à ces travaux ? Les projets menés sur le temps périscolaire pourraient-ils bénéficier du plan Culture et Ruralité ou d'un autre dispositif de votre ministère ?

L'entretien du patrimoine de proximité est le point noir du budget de la culture. Les besoins de fonctionnement et d'investissement dépassent le montant de la dotation budgétaire. Ce domaine mériterait un plan Marshall. Le rapport sénatorial Patrimoine religieux en péril : la messe n'est pas dite paru en juillet 2023 indique qu'entre 2 500 et 5 000 édifices sont menacés d'être abandonnés, vendus ou détruits d'ici à 2030.

Vous nous invitez à bâtir une nouvelle politique patrimoniale. Mais la première mesure ne devrait-elle pas de réfléchir aux prescriptions des architectes des bâtiments de France, dont les exigences peuvent parfois conduire à l'abandon des projets de restauration ? On ne peut avoir en effet les mêmes exigences pour nos églises rurales que pour la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Par ailleurs, beaucoup de communes rurales ne connaissent pas le fonds incitatif et partenarial pour le patrimoine. Ne faudrait-il pas améliorer la communication à ce sujet ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Je salue, madame la ministre, votre effort budgétaire en faveur de l'archéologie préventive dans le projet de loi de finances pour 2025, puisque 47,6 millions d'euros sont prévus pour soutenir les opérations de terrain : 33,4 millions pour le fonds national d'archéologie préventive et 14,2 millions pour accompagner les collectivités dans les diagnostics. Néanmoins, certaines communes rurales rencontrent encore de grosses difficultés pour mener à bien des projets d'intérêt général, tels que la construction de maisons de santé, en raison du niveau du reste à charge des fouilles préventives qu'elles doivent acquitter. Dans ce contexte, ne serait-il pas possible de moduler les taux d'intervention du fonds d'archéologie préventive pour tenir compte à la fois de la fragilité financière des communes et de la nature des projets, notamment quand ils répondent à des enjeux de services publics ?

Mme Rachida Dati, ministre. - C'est à l'échelon local que l'on sait le mieux quelles sont les actions les plus pertinentes en matière d'éducation artistique et culturelle (EAC). Nous continuerons à attribuer des labels 100 % EAC, mais dans un souci de cohérence et en évitant le saupoudrage qui a pu être pratiqué parfois. Sinon, personne n'est content. Les élus locaux sont déçus et, finalement, la politique culturelle en pâtit. Ce label doit s'inscrire dans une collaboration avec les collectivités.

Nous sommes d'accord sur le pass Culture. Le dispositif était complexe : on ne savait pas comment y accéder. L'utilisateur devait déjà connaître l'activité culturelle qu'il recherchait. Rien n'était proposé spontanément. En somme, on pouvait aller voir un spectacle à la Comédie française avec ce pass, à la condition de connaître déjà l'existence du pass, le titre du spectacle et l'existence de la Comédie française ! Ce n'est pas le rôle que je souhaitais assigner à ce pass, notamment dans sa partie individuelle. Or l'articulation entre les parties collective et individuelle me semble capitale.

J'avoue que je n'ai pas essayé de comprendre pourquoi il était prévu de supprimer le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale. Mais chacun sait dans quelles conditions le budget a été élaboré. Ce n'est pas la seule erreur que j'ai pu rattraper in extremis : par exemple, il était prévu de supprimer des postes dans un établissement qui était en travaux, car celui-ci avait été considéré à tort comme étant fermé définitivement. La suppression du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale était un loupé, que j'ai corrigé : je l'avais indiqué avant même mon audition à l'Assemblée nationale, car je connais l'importance des radios associatives, qui sont très implantées dans les territoires et très imprégnées des problématiques locales.

Je me suis posée, comme vous, la question comme vous de savoir s'il fallait intégrer une part relative à la mobilité dans le pass Culture. J'y ai renoncé, car cela reviendrait à amputer à due proportion la part consacrée à l'accès à la culture. C'est pourquoi nous avons préféré travailler avec les collectivités, notamment avec les régions, qui ont la compétence transport. Dans des endroits où le transport est compliqué, des expérimentations de covoiturage culturel ont vu le jour, notamment durant la période des festivals. Il est donc intéressant de financer des associations qui réalisent un tel covoiturage. De même, on pourrait aussi utiliser le transport scolaire pour emmener les enfants à une activité culturelle. La question de la mobilité est sensible, car elle soulève un sujet de responsabilité pénale pour le transport, notamment pour le personnel de l'éducation nationale.

La collecte nationale en faveur du patrimoine religieux des petites communes a permis de récolter 12 millions d'euros. Les petites souscriptions sont très utiles pour financer l'entretien du patrimoine religieux qui n'est ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques, car ce patrimoine ne bénéficie pas de subventions. Cette collecte a eu du mal à démarrer. L'objectif était de récolter 200 millions d'euros en 4 ans. Nous en sommes loin. C'est pourquoi nous cherchons à revoir les modalités de cette souscription. Les Français veulent savoir ce qu'ils financent. C'est d'ailleurs pour cela que le loto du patrimoine marche bien, ou que les dons pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris ont été nombreux. Nous sommes donc en train de revoir les modalités de cette souscription afin de mieux identifier le patrimoine que l'on souhaite financer.

J'en viens à la politique de tarifs différenciés. Je voulais pratiquer des tarifs différenciés entre les Français et les étrangers, mais on doit traiter à l'identique les citoyens français et les ressortissants des pays de l'Union européenne, même s'il est vrai que tous les pays européens ne respectent pas cette exigence de réciprocité. Cette politique de tarifs différenciés visera donc les ressortissants de pays tiers à l'Union européenne. Les recettes permettront de financer évidemment les établissements visités, mais elles pourront aussi être redistribuées le cas échéant pour financer le patrimoine sur tout le territoire.

Les droits d'entrée à Notre-Dame de Pa ris pourraient être collectés par le Centre des monuments nationaux. Une partie des 75 millions perçus seraient reversés au diocèse de Paris et le reste serait redistribué sur les territoires pour financer la rénovation du patrimoine. On n'a pas besoin de toucher à la loi de 1905. C'est faire preuve de mauvaise foi que de prétendre le contraire !

Pour répondre à votre question sur le désengagement de l'État en matière culturelle et sur la baisse des dotations pour les collectivités, je trouve que l'État finance beaucoup en la matière et ne se désengage pas. Certaines collectivités ont fait le choix politique de réduire des subventions culturelles. L'État et le ministère de la culture ne se désengagent pas. Les crédits augmentent. Ce n'est pas un affichage ou un système de vases communicants entre les différentes dotations, c'est un choix politique que nous faisons. Ensuite, comme je l'ai dit lorsque j'ai annoncé la mise en oeuvre d'un tarif différencié à Notre-Dame, nous devons être innovants, sinon on sera obligé de multiplier les taxes, les impôts et finalement de fermer la boutique ! Il serait possible aussi d'imaginer, en lien avec la Banque des territoires l'octroi de prêts à taux zéro pour les petites communes. Les avances des Drac pourraient être plus importantes et être négociées plus en amont d'un projet. Le plan Culture et Ruralité renforce l'appui en maîtrise d'ouvrage des Drac.

Ce plan consiste, pour l'essentiel, en un financement déconcentré, mais celui-ci est décidé en proximité. Ce plan n'a pas été décidé au niveau central. Nous nous sommes appuyés sur les près de 50 000 contributions que nous avons reçues - 35 000 nous ont été adressées de manière très formalisée, les autres par mail - de la part de tous les acteurs : élus ruraux, associations, collectifs, acteurs culturels, etc.

La diversité de notre territoire national fait la richesse et la beauté de notre pays. Gap et Briançon, ce n'est pas la région parisienne. Les enjeux varient selon les lieux. Nous avons donc essayé de faire du sur-mesure. Les crédits déconcentrés varieront en fonction du plan qui a été élaboré : selon les endroits et les demandes des communes, on financera des résidences d'artistes, des festivals, des actions patrimoniales, etc.

Les unités départementales de l'architecture et du patrimoine sont en sous-effectif. Je considère que ces services sont sous-dimensionnés et c'est l'objet d'un combat que je mène avec Bercy. J'essaie d'y pallier avec le plan Culture et Ruralité. Si ce plan fonctionne et si l'on fait la preuve de sa pertinence pour les Udap, les ABF ou l'accompagnement en maîtrise d'ouvrage et en ingénierie, je ne vois pas comment il serait possible, au terme des trois ans, de revenir en arrière. Je me sers donc de ce plan pour obtenir à terme une pérennisation de ces dispositifs, qui, j'y insiste, n'ont pas été conçus uniquement de manière centralisée.

En ce qui concerne le CNM, je ne veux pas non plus affaiblir ce qui fonctionne aujourd'hui. La question du plafonnement des taxes est un sujet. Le rendement de la taxe streaming n'est pas encore très élevé, mais il faudra à terme que l'on parvienne à rehausser les plafonds. Nous pouvons y arriver, même si, vous avez raison, l'écosystème du cinéma n'est pas le même que celui de la musique. La musique est beaucoup plus subventionnée que le cinéma. J'aimerais toutefois que le Centre national de la musique devienne un genre de CNC à terme et qu'il fonctionne davantage en autonomie. On peut aussi réfléchir à l'articulation entre le CNM et la direction générale de la création artistique du ministère de la culture. Le CNM a été créé il y a quatre ans, ce qui est récent. Mais je vous rejoins et nous pourrons nous battre ensemble pour relever les plafonds des taxes affectées.

J'ai saisi le médiateur du livre à la suite des annonces d'Amazon.

En ce qui concerne les crédits de transformation de l'audiovisuel public, j'ai indiqué que je souhaitais, comme vous, qu'ils soient intégrés dans les dotations de base. La réforme a été décalée dans le temps : les crédits de 2024 seront versés en 2025 et ceux de 2025 le seront en 2026.

J'annoncerai un plan avant la fin du mois sur la liberté de création. L'enjeu dépasse la création artistique. Il s'agit d'une liberté fondamentale.

M. Laurent Lafon, président. - Vous avez indiqué que la billetterie de Notre-Dame de Paris serait gérée par le CMN. Cela signifie-t-il que les projets qui ne seraient pas gérés par cet organisme ne pourraient pas bénéficier de ces fonds ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Il s'agit de précisions que l'on doit encore apporter. On aurait pu confier la collecte au diocèse avant de redistribuer les crédits ensuite, mais il semble plus judicieux de charger le CMN de la collecte. Notre-Dame sera dotée d'une billetterie. Des billets gratuits pourront donc être délivrés. La billetterie peut ainsi être utilisée pour la contribution que vous évoquez. Il ne s'agit donc pas d'un dispositif nouveau à imaginer. Il serait possible de le mettre en oeuvre très rapidement si le diocèse est d'accord.

Enfin, j'indique que je souhaite avoir votre aide pour développer notre expertise culturelle à l'international. Vous avez raison : le ministère de la culture ne se vend pas très bien à l'international. Pourtant, à chaque fois que je me déplace à l'étranger, je suis sollicitée pour obtenir un soutien en matière d'expertise architecturale, archéologique, muséale ou patrimoniale. Je viens ainsi de signer avec le Kazakhstan un accord en la matière. D'autres pays sont intéressés par notre expertise : l'Inde, certains pays africains, etc. Nous sommes très sollicités sur cet aspect-là, qui constitue un élément majeur pour notre rayonnement. Or le ministère de la culture est assez en retrait sur cette question. Nous ne travaillons pas assez avec le ministère des Affaires étrangères, même si je ne sais pas si c'est le rôle du Quai d'Orsay de « vendre » notre expertise. Le ministère de la culture pourrait s'emparer de cette question pour mieux mettre en valeur notre expertise à l'international. Tous les accords que nous avons signés en ce domaine l'ont été parce que nous avons été sollicités par les autres pays. D'une manière générale, une demande existe sur les opérateurs de la culture, sur le mobilier national ou sur les céramiques de Sèvres, mais il nous appartient aussi de pousser ces sujets.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 45.

Mercredi 6 novembre 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Mission sur le périmètre d'intervention et les compétences des architectes des bâtiments de France (ABF) - Présentation du rapport d'information

M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle en premier lieu la présentation, devant notre commission, du rapport de la mission d'information consacrée aux architectes des bâtiments de France (ABF), lancée par nos collègues du groupe Les Indépendants - République et Territoires et dont les conclusions ont été adoptées à l'unanimité le 25 septembre dernier.

Je vous propose de donner immédiatement la parole à la présidente de cette mission, Marie-Pierre Monier, et à son rapporteur, Pierre-Jean Verzelen, pour nous présenter le résultat de leurs travaux et leurs recommandations.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente de la mission d'information. - C'est un grand plaisir pour moi que de vous présenter aujourd'hui, aux côtés du rapporteur Pierre-Jean Verzelen, les conclusions de la mission d'information sur les architectes des bâtiments de France. Notre commission de la culture était d'ailleurs très largement représentée au sein de cette instance temporaire, puisque 11 de ses 23 membres, dont notre président Laurent Lafon, étaient issus de nos rangs.

Avant de céder la parole au rapporteur, quelques observations sur le déroulé des travaux de la mission d'information et sur les débats qui l'ont traversée.

La mission d'information a été constituée en mars dernier, à l'initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires, et a choisi notre collègue Pierre-Jean Verzelen pour rapporteur. Au terme de six mois de travaux, elle a adopté ses conclusions à l'unanimité, le 25 septembre dernier. Cette mission s'est révélée passionnante ; le travail de fond qu'elle a effectué était très attendu par tous les acteurs du patrimoine.

Pour parvenir à ce vote, nous avons mené 20 auditions et entendu 49 personnes, ce qui nous a, je crois, permis d'aboutir à un constat précis. Nous avons également effectué 4 déplacements sur le terrain, à l'école de Chaillot, mais également dans le Lot - à Figeac et à Cahors -, dans le Rhône - à Lyon - et en Indre-et-Loire - à Richelieu et Loches.

Sur l'initiative du rapporteur, nous avons également lancé, sur le site internet du Sénat, une consultation des élus locaux qui a rencontré un très grand succès, puisqu'elle a recueilli plus de 1 500 réponses et de 600 contributions écrites. Ces témoignages nous ont bien évidemment été particulièrement utiles, et notre rapport en a fait un large usage.

J'en viens au sujet en lui-même et aux débats qui nous ont occupés au cours des six derniers mois.

En tant qu'élus locaux, nous n'ignorons pas que la figure de l'architecte des bâtiments de France est parfois contestée. La forte mobilisation des élus locaux pour répondre à notre consultation en ligne, certains échanges vifs auxquels nous avons assisté au cours de nos déplacements, mais également la présentation régulière dans notre assemblée d'amendements visant à circonscrire le pouvoir d'avis conforme des ABF témoignent des tensions que l'exercice de leurs missions peut engendrer sur le terrain. Les polémiques suscitées par leurs missions ne datent d'ailleurs pas d'aujourd'hui, puisque nous en avons retrouvé trace dans un rapport de notre commission de la culture de 1982, en des termes que l'on pourrait sans peine reproduire en 2024.

Au travers des projets d'urbanisme qu'ils instruisent, les ABF interviennent en effet au carrefour de plusieurs exigences également impérieuses, et qu'il s'agit pourtant de concilier : celle de la préservation du patrimoine architectural et paysager, d'une part ; celle du développement économique des territoires et de la rénovation énergétique du bâti ancien, d'autre part.

La protection de notre patrimoine bâti ne vise évidemment pas à le figer ou le « muséifier ». S'il revient aux ABF de le préserver, c'est aussi en raison de son importance touristique et donc économique, ainsi que de son rôle de premier plan dans la construction de notre vie en commun dans nos territoires. C'est à regret que je me réfère ici une dernière fois aux mots de Victor Hugo dans son manifeste intitulé Guerre aux démolisseurs, sur une excellente idée soufflée par Sabine Drexler dans les rues de Cahors : « Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire c'est dépasser son droit. »

Lorsque cette exigence se heurte à la réalisation de travaux nécessaires pour des particuliers ou structurants pour un territoire, les ABF peuvent cependant devenir des « irritants » pour les élus et les porteurs de projets. Dotés d'un pouvoir de contrôle propre sur les aménagements menés en zone protégée, ils incarnent en effet la déclinaison locale d'une politique nationale de défense du patrimoine menée depuis plus d'un siècle, dont nous pouvons tous partager les objectifs.

Bien entendu, les membres de la mission d'information se sont lancés dans ces travaux avec, chacun, leur expérience et les convictions qu'ils en ont tirées. Je crois pouvoir dire, monsieur le rapporteur, que nous sommes partis de positions éloignées, mais avons su travailler en harmonie. Nous avons tous deux évolué pour parvenir à un constat partagé, ce qui est la marque de fabrique des travaux du Sénat. Je vous en remercie une nouvelle fois au nom de tous les membres de notre mission d'information.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci, monsieur le président, de nous avoir permis de participer à ces travaux et de venir présenter aujourd'hui notre rapport. Je remercie également la présidente de la mission d'information, ainsi que ses membres pour leur implication.

Quelle est la raison d'être de cette mission d'information ? Je suis parti de mon vécu en tant que maire d'une commune de l'Aisne, Crécy-sur-Serre, comptant mille habitants et un bâtiment classé, d'un intérêt patrimonial certain. Celle-ci n'avait pas accès directement aux ABF et a été confrontée à des « irritants » ou des incompréhensions. Ce sujet est complexe, car nous avons tous des expériences différentes avec les ABF et, donc, des avis assez tranchés. Avec Mme la présidente, les divergences se sont révélées d'emblée très importantes, mais nous avons réussi notre travail commun.

Nous avons tenté de rendre objectif un sujet éminemment subjectif, en essayant de comprendre le métier des ABF et en prenant en compte leurs contraintes. Ensuite, nous avons voulu trouver des pistes pour améliorer la situation.

Nous avons organisé des auditions, des déplacements et diverses rencontres. J'ai tenu à ce qu'un questionnaire soit envoyé aux maires, pour pallier une forme de « manque » constaté lors de nos auditions. En effet, si nous avons reçu des représentants de structures qui ont l'habitude de travailler avec les ABF, je ne retrouvais pas toujours les « irritants » entendus sur le terrain.

Les zones protégées représentent 8 % du territoire français et 32 % des logements. Donc, trois foyers sur dix sont soumis à l'avis conforme des ABF. Le nombre d'avis émis a augmenté de plus de 60 %. Chaque ABF rend en moyenne 13 décisions par jour, sachant que la moitié des départements n'en comptent qu'un seul. C'est dire si la masse de travail qui leur est confiée a considérablement explosé ces dix dernières années !

Quelles difficultés ont été signalées ?

Premièrement, la variabilité et le manque de prévisibilité des décisions rendues. Cette difficulté est particulièrement visible lors d'un changement de poste, quand ce qui était interdit par l'ABF précédemment en fonction devient possible, et vice-versa.

Deuxièmement, le coût des travaux pour les particuliers.

Troisièmement, le manque de pédagogie dans les avis rendus, d'autant plus mal perçu que l'ABF ne peut pas se déplacer systématiquement pour expertiser de visu la situation.

Quatrièmement, l'absence de prise en compte des impératifs de la transition énergétique, notamment pour l'implantation de panneaux photovoltaïques.

J'en viens aux recommandations.

Il n'est nullement question de remettre en cause l'avis conforme des ABF. Mais la question est de savoir comment il s'exerce. Le périmètre « arbitraire » est aujourd'hui de 500 mètres autour du monument classé. Voilà quelques années, la loi a permis l'adaptation du périmètre délimité des abords (PDA) ou « périmètre intelligent ». Cela fut un succès du point de vue tant des ABF que des élus locaux, en imposant un travail commun et en favorisant la sensibilisation des élus. Néanmoins, cette démarche requiert de l'ingénierie, du temps et de l'argent. C'est pourquoi les agglomérations ou les grandes villes sont les plus concernées. Nous proposons de simplifier davantage la redéfinition du périmètre, qui serait soumise à une délibération du conseil municipal.

Comment contester un avis négatif ? Il faut savoir que les recours sont extrêmement rares. Néanmoins, le délai de 7 jours étant trop bref, nous proposons de le proroger à 30 jours. En cas d'avis positif assorti de très nombreuses recommandations - 30 % à 50 % des cas -, l'intervention d'une commission départementale pourrait être prévue. Les services de la préfecture, ceux de l'ABF et les représentants des organisations d'élus se réuniraient une fois par mois pour étudier les dossiers remontés par les maires. Cela fonctionne très bien, d'autant qu'un ABF ne rend pas forcément la même décision s'il sait que son avis sera réexaminé périodiquement.

Nous proposons également que l'ensemble des avis des ABF deviennent publics, consultables sur un site et ventilés de manière territoriale, pour objectiver la situation et identifier les cas qui posent plus de difficultés sur le terrain.

S'agissant de la politique RH, le métier d'ABF n'est plus assez attractif. Je n'ignore pas le contexte budgétaire très tendu, mais la solitude de ces professionnels est un réel problème. Je propose donc de recruter au moins un ABF par département.

Quelles bonnes pratiques devons-nous développer ?

Une brève feuille de route concernant ses priorités et ses méthodes de travail - avec les services instructeurs et les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) - devrait être envoyée à tous les élus par l'ABF à son arrivée dans le département, et présentée à chaque intercommunalité du département.

En outre, il faudrait envisager une grande action de sensibilisation au patrimoine auprès des publics scolaires.

Enfin, il est essentiel que l'État se dote d'une stratégie et diffuse quelques lignes directrices en la matière, même si aucune décision n'a vocation à s'appliquer de manière uniforme partout en France. Dans l'Aisne, par exemple, les ABF sont réticents sur le photovoltaïque, contrairement à leurs voisins. Des indications nationales pourraient être données à ce sujet.

Quant au choix des matières, il faut aussi arrêter des axes par écrit, en tenant compte du coût et de l'origine. Prenons le bois, qui vient en grande majorité de Chine : on pourrait tout de même réfléchir à le remplacer par des matières produites dans des PME locales, comme l'aluminium simili-bois. L'État a un rôle à jouer à ce sujet.

Il faudrait également préciser la notion de covisibilité, car ce fut le fil rouge des auditions : nous avons demandé à nos interlocuteurs de la définir et nous n'avons jamais obtenu deux réponses identiques !

Enfin, il est temps d'adapter le diagnostic de performance énergétique (DPE) pour préserver le patrimoine bâti ancien.

Je conclurai sur notre souhait de voir ce rapport partagé le plus largement possible. Pour cela, nous nous sommes rapprochés des associations de maires, qui vont le diffuser. Certaines de nos recommandations nécessitent une traduction législative : nous utiliserons le véhicule le plus rapide et le plus efficace à notre disposition. D'autres relèvent du domaine réglementaire : nous remettrons le rapport à la ministre de la culture dans les prochaines semaines.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci au rapporteur et à la présidente de la mission d'information pour la qualité de leur travail. Il était important d'aborder la question des ABF sans tabou. Selon l'abbé Grégoire, à qui nous devons le mot vandalisme, les monuments doivent être protégés en vertu de l'idée que « les hommes ne sont que les dépositaires d'un bien dont la grande famille a le droit de vous demander des comptes ».

Ce qui ressort du rapport, c'est le manque de médiation : nous avons besoin d'interfaces humaines pour expliciter les décisions administratives. Deux professions sont honnies par les élus : les ABF et les archéologues - pour avoir fait partie de la seconde, je peux vous l'assurer !

Vous proposez la création d'une nouvelle commission, mais les CAUE ne pourraient-ils pas être le lieu de la concertation ? Les services de l'État ne parviennent plus à faire ce travail, et je ne crois pas que leurs moyens seront renforcés. En revanche, les CAUE sont une instance de proximité, qui permet le dialogue avec les élus, et je suis persuadé que le département est le bon échelon. Ils pourront, par ailleurs, apporter aux maires l'ingénierie qui leur fait défaut.

M. Jean-Gérard Paumier. - Cette mission arrive au bon moment : il n'y a pas un seul congrès des maires dans mon département au cours duquel on ne parle pas des gens du voyage et des ABF ! En effet, les ABF sont un sujet récurrent et irritant dans les territoires, notamment ruraux, car les maires ont le sentiment que les décisions qu'ils prennent sont arbitraires. Le rapport ne dépeint d'ailleurs pas suffisamment la véhémence des propos que tiennent les élus sur les ABF ; nous avons pu le constater lors de notre déplacement en Indre-et-Loire...

Je relève trois points positifs : la mise en place au niveau départemental d'une commission de médiation - il faudrait prévoir une réunion par trimestre plutôt qu'une par mois, car nous ne tiendrons pas le rythme - ; la mise en place d'un guide méthodologique par département, en déclinaison du guide national diffusé en 2023 ; et la reconnaissance de l'action des CAUE. Dans mon département, cette instance fait de la pédagogie du patrimoine auprès des maires, en amont et en appui des ABF.

J'aurai une réserve, d'ordre budgétaire : demander le recrutement d'au moins un ABF supplémentaire par département n'est pas envisageable dans la situation dans laquelle nous sommes. Il peut y avoir, dans tel ou tel endroit, un besoin particulier, mais le caractère systématique de la proposition me gêne quelque peu.

Mme Sonia de La Provôté. - Je félicite le rapporteur et la présidente de la mission d'information qui ont su trouver un point d'équilibre. Les auditions ont montré que les avis étaient souvent tranchés, même si une convergence se faisait sur la nécessité, d'une part, de porter un regard particulier et protecteur sur le patrimoine et, d'autre part, de disposer de lieux de dialogue. La situation des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), la diminution du nombre des ABF et l'explosion du nombre de dossiers laissent peu de temps à la concertation, ce qui concourt à la mauvaise réputation des ABF.

Il faut réinstaller les ABF dans leur véritable rôle. Certaines propositions du rapport ont trait à l'extension de leurs missions, mais elle sera difficile à mettre en place si le nombre d'ABF n'augmente pas. Ceux-ci doivent faire de la prévention auprès des acteurs de proximité, veiller à l'entretien du patrimoine - il faut éviter qu'un maire ne soit confronté à des difficultés de financement des travaux en raison de l'état de dégradation d'un bâtiment - et mener un travail d'inventaire. Ce travail demande beaucoup de temps et de nombreux échanges, mais il permet aux maires de prendre connaissance de l'importance du patrimoine de leur commune. Les ABF ne font plus d'assistance à maîtrise d'ouvrage : cela avait pourtant le mérite de permettre, certes de façon forcée, d'engager la discussion autour d'un projet.

Le périmètre délimité des abords est une zone de droit absolu, dans laquelle l'avis de l'ABF s'impose, mais pour laquelle un dialogue a eu lieu. Les exigences environnementales heurtent aujourd'hui les priorités patrimoniales : pour faire les arbitrages nécessaires, les parties prenantes devront de nouveau engager une discussion.

M. Adel Ziane. - Merci pour le travail effectué. Les auditions que nous avons menées dans ce cadre ont été très enrichissantes.

La mission d'information a suscité l'intérêt de nombre de nos collègues et des élus locaux, puisque la consultation en ligne a recueilli 1 500 contributions : le rapport doit donc être largement partagé. On ne nous a pas demandé de faire moins d'ABF, mais de faire mieux d'ABF !

Durant les dernières années, la hiérarchisation des missions des ABF est devenue aléatoire, et leur charge de travail a été multipliée. Les données chiffrées ont montré un effet de ciseau entre une progression de 6 % des effectifs et une augmentation de 63 % de leurs tâches sur la période 2013-2023 : un ABF doit rendre en moyenne 13 avis par jour travaillé ! Au vu de la complexité des dossiers à traiter, le travail ne peut pas être fait dans de bonnes conditions. Cette surcharge administrative a été bien mise en évidence dans le rapport.

L'objectif de la mission d'information était de recréer les conditions d'un dialogue apaisé entre les ABF et les interlocuteurs locaux, tout en veillant à concilier les enjeux administratifs et réglementaires avec la transition écologique.

Il me paraît nécessaire de rapprocher les pratiques, en généralisant la diffusion des guides de bonnes pratiques adaptés aux enjeux et aux réalités des territoires. Le rapport a d'ailleurs permis d'objectiver les modalités de travail des ABF. Je soutiens la proposition de création d'une commission départementale, car nous connaissons les relations difficiles entre les ABF, les CAUE, les services des villes et, parfois, des intercommunalités. Cette commission pourrait se réunir une fois par trimestre - une fois par mois, c'est peut-être beaucoup !

Il faut également souligner la dichotomie entre milieu rural et milieu urbain. Les villes disposent de services d'urbanisme et d'équipes dédiées pour créer des liens entre élus, ABF, pétitionnaires, porteurs de projet, ce qui n'est pas toujours le cas en milieu rural. D'où l'intérêt de mettre en place une commission départementale !

Mme Laure Darcos. - Je souhaite à mon tour féliciter la présidente et le rapporteur de la mission d'information. Il n'y a qu'au Sénat qu'on peut trouver un juste milieu entre deux positions qui étaient au départ différentes !

Lors de la discussion de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, des amendements de certains de nos collègues visant à supprimer l'avis conforme avaient suscité l'émoi : ils avaient permis de montrer aux ABF qu'il était nécessaire de changer leur façon de procéder. J'irai plus loin que ce qui est prévu dans le rapport : il faudrait que les élus aient un droit de regard car les comportements de certains ABF ont fait dégénérer des situations. D'autant qu'ils restent longtemps en poste et que nous n'avons aucun moyen de faire remonter les problèmes...

Les ABF devraient suivre des formations sur les nouveaux matériaux environnementaux, qui permettent de respecter la construction d'origine tout en étant vertueux d'un point de vue environnemental. Le ministère de l'écologie et le ministère de la culture vivent dans deux mondes différents, et ne se parlent pas : c'est atterrant !

M. Bernard Fialaire. - Je vous félicite également pour ce rapport. Comme tous les élus locaux, j'ai souffert de certains avis des ABF, mais je me suis aussi quelquefois réjoui de recevoir des conseils de leur part.

Ne faudrait-il pas renforcer les relations entre les ABF et les CAUE ? Il s'agirait d'inciter les élus à mener une réflexion d'ensemble avec le CAUE, à condition que les avis puissent être plus contraignants pour les ABF.

Se pose également le problème de la hiérarchie des avis : dans ma commune, un bâtiment classé, situé en zone inondable, devait être mis aux normes d'accessibilité pour personnes en situation de handicap. Il a été très difficile de hiérarchiser les contraintes liées à ces trois problématiques...

Mme Sabine Drexler. - Je félicite le rapporteur et la présidente pour leur présentation. J'ai participé avec plaisir aux travaux constructifs et éclairants de cette mission d'information : malgré des avis quelque peu divergents au départ, nous nous sommes mis d'accord sur la nécessité de défendre la richesse patrimoniale de nos territoires et de renforcer les moyens des Udap.

Il faut rappeler les enjeux de la préservation de notre héritage patrimonial, qui joue un rôle capital dans le dynamisme économique et l'attractivité de nos territoires.

Je vous remercie d'avoir consacré une partie du rapport aux périls portant sur le bâti protégé et sur celui qui ne fait l'objet d'aucune forme de protection. Il est essentiel, au vu de la méconnaissance quasi générale des spécificités du bâti ancien et du saccage patrimonial en cours, de promouvoir une réelle culture patrimoniale auprès des élus et du public scolaire, et de créer des CAUE dans les départements qui n'en sont pas encore dotés. Il est également important de mettre en place des formations dédiées à destination des agents travaillant dans les services instructeurs, car ils sont seuls à la manoeuvre quand il s'agit d'accorder, ou non, des permis en secteur non protégé.

Il est nécessaire d'adapter le DPE aux spécificités du bâti patrimonial ancien, et de refonder le dispositif d'aides publiques pour favoriser les opérations de réhabilitation énergétique respectueuses du patrimoine et décourager celles qui pourraient lui nuire.

Les ABF manquent aujourd'hui de temps pour prodiguer des conseils aux porteurs de projet, même lorsqu'il s'agit d'intervenir aux abords des monuments historiques, d'autant qu'il faut tenir compte des normes issues de la loi Climat et Résilience, qui tendent à complexifier encore leur mission. Je salue la proposition de désigner un référent pour la transition énergétique au sein de chaque direction régionale des affaires culturelles (Drac).

Les préconisations pour renforcer la transparence des décisions des ABF sont bienvenues : elles permettront aux maîtres d'ouvrage d'anticiper la faisabilité de leurs projets, ce qui permet finalement d'alléger la tâche des ABF.

Le rapport montre, si cela était encore nécessaire, l'importance du patrimoine et souligne la persévérance dont il faut faire preuve pour le protéger. C'est la raison pour laquelle les effectifs des ABF devraient être renforcés.

Mme Pauline Martin. - Merci pour le rapport. Je veux souligner la toute-puissance des ABF qui excellent parfois dans l'art de modifier ce que leurs prédécesseurs ont mis en place... Si les maires ne sont pas des experts, ils ont conscience de la nécessité de préserver le patrimoine de leur commune.

Vous souhaiteriez que soit mise en place une formation de haut niveau pour les ABF : peut-être pourriez-vous prévoir un module sur le dialogue avec les élus locaux ? (Sourires.)

Il faut encourager le développement des permanences régulières des ABF dans les communes, pour dialoguer non seulement avec les élus locaux mais aussi avec les habitants.

Enfin, je plaide pour que nous cessions de changer à tout bout de champ de politique ! On est passé des périmètres aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), aux aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap), et j'en passe et des meilleures... Plus personne n'y comprend rien !

Mme Catherine Morin-Desailly. - Les ZPPAUP et les Avap ont été revues dans la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), dans un souci de modernisation de la législation et de simplification. Notre commission a fait un bon travail pour réécrire un texte touffu et complexe. Il faudrait maintenant évaluer la législation.

Je félicite le rapporteur et la présidente qui ont fait un travail utile, avec des préconisations pertinentes. Vous n'avez pas évoqué le rôle de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture (CRPA) issue de la LCAP, notamment de sa section 2, qui s'occupe des recours. La CRPA est présidée par des élus, et non plus par la Drac ou le préfet. Avez-vous pu dresser un bilan du travail effectué ? Il semble que les possibilités de recours soient insuffisamment connues et utilisées. Peut-être faudrait-il faire vivre davantage la CRPA afin que les élus aient un espace aisé de dialogue ? C'est ce que le Sénat avait voulu à l'époque.

Mme Monique de Marco. - Cette mission d'information était nécessaire car les missions des ABF sont peu connues, et souvent critiquées. Ils ont pourtant un rôle clé en matière de protection du patrimoine, en permettant d'éviter que celui-ci soit dégradé. Je me félicite du succès de la consultation en ligne des élus locaux.

Un rapport de la Cour des comptes de juin 2022 souligne le manque de disponibilité des ABF qui conduit à une fragilisation de l'expertise architecturale et patrimoniale.

Les ABF sont au nombre de 189, et rendent en moyenne - cela a été dit - 13 décisions par jour. Certains départements n'ont qu'un seul ABF : celui-ci travaille dans une grande solitude. La profession a par ailleurs été touchée par de nombreux départs à la retraite anticipés, et souffre d'un manque d'attractivité. Il faudrait peut-être revoir le concours et intéresser les étudiants en écoles d'architecture à ce métier.

J'en viens au sujet de la transition énergétique. L'installation de panneaux photovoltaïques a suscité de nombreux mécontentements. J'aurais pu suggérer d'assouplir la procédure d'avis de l'ABF concernant les installations photovoltaïques d'une puissance inférieure à 6 kilowatts-crête. Je ne l'ai pas fait, mais il serait intéressant de réfléchir à cette proposition.

Quelles suites donner à ce rapport très instructif ? Il faudrait que notre commission porte certaines recommandations, notamment la dernière : « compléter l'article 1er de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture pour faire figurer la réhabilitation des constructions parmi les activités architecturales d'intérêt public ».

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - il est vrai que, souvent, face à un problème, on dit qu'il faut plus de moyens. Mais ce n'est pas le genre de la maison ! Si nous proposons d'augmenter le nombre d'ABF, c'est parce que la demande émane de toutes les parties prenantes.

J'en viens à nos méthodes de travail. Nous avons bien sûr pris en compte les édifices classés, mais nous avons aussi pensé aux cas des familles qui vivent dans une commune rurale à 450 mètres d'un édifice classé, dos au bâtiment, et qui ne comprennent pas les décisions arrêtées. Les maires n'ont souvent ni l'expérience pour gérer ce genre de situations ni l'ingénierie nécessaire ; ils n'ont pas non plus accès à l'ABF, alors que cela leur permettrait de trouver une solution.

En ce qui concerne la CRPA, nous avons constaté que le nombre de recours était faible : la décision paraît lointaine, et les gens préfèrent laisser tomber. Des médiateurs régionaux ont été désignés pour faire l'interface entre l'ABF et le pétitionnaire, mais personne ne les connaît ! L'échelon régional est satisfaisant pour les recours, en permettant d'éviter les intérêts croisés, mais, pour la gestion quotidienne, le bon échelon est celui du département. C'est pourquoi nous proposons la création d'une commission départementale. Le dialogue permet de trouver des solutions.

Les CAUE sont essentiels, mais certains départements n'en ont pas. Chaque CAUE a son propre mode de fonctionnement, et leurs rôles sont variés. Certains sont formidables, organisent des permanences et travaillent main dans la main avec les ABF : il faut s'appuyer sur ces expériences pour les guides des bonnes pratiques.

En ce qui concerne le rythme des commissions départementales, je crois pour ma part qu'il faudrait qu'elles se réunissent une fois tous les quinze jours !

Madame Darcos, vous avez évoqué les cas où la situation dégénère avec un ABF. Mais, pour l'instant, nous n'avons rien qui nous permette d'objectiver les choses auprès des services de l'État ou de la préfecture. Une interface nous permettrait de montrer, chiffres à l'appui, les différences entre départements.

Nous avons voulu, dans nos propositions, améliorer la simplicité des dispositifs, développer le dialogue et donner une place plus importante aux élus.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente de la mission d'information. - Le travail remarquable des CAUE a été noté, mais, cela vient d'être dit, il n'y en a pas dans chaque département.

Quand on se parle, les choses se dénouent : c'est l'objectif de la commission départementale que nous proposons. Nous l'avons constaté lors de notre déplacement à Figeac : la concertation en amont est bénéfique.

Il faut donc instaurer ce dialogue partout où c'est possible, mais nous nous heurtons au problème du nombre d'ABF, lesquels sont parfois seuls dans un département. Ces fonctionnaires ont une formation et une expertise en matière de patrimoine qu'aucun élu n'a. Ils défendent la protection du patrimoine et sont détachés des intérêts privés, mais ils doivent faire preuve de transparence pour que les pétitionnaires aient une vision claire de ce qu'ils peuvent faire.

Nous avons tout de suite eu l'idée des guides de bonnes pratiques, mais ceux-ci peuvent avoir des travers. Par exemple, dans mon département de la Drôme, les murs en galets de la Galaure n'ont rien à voir avec les pierres du château de Suze-la-Rousse. Les guides doivent donc être très précis pour coller à la réalité du patrimoine local : dès qu'on agrandit l'échelle, on perd en efficacité.

En ce qui concerne le périmètre délimité des abords, la loi LCAP a vraiment simplifié les choses : avant, la distance était obligatoirement de 500 mètres ; maintenant, le périmètre est adapté, même si des lourdeurs subsistent dans le dispositif. Nous avons prévu de l'alléger.

Il faut préserver le patrimoine, car le tourisme et l'activité économique qui en découlent sont essentiels pour nos territoires.

Enfin, j'indique que la formation des ABF assurée par l'école de Chaillot est fondamentale, mais qu'elle est très coûteuse.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour ce travail très utile. Nous aurons de nouveaux débats sur la question quand des textes législatifs concernant les ABF viendront en discussion au Sénat.

Mission d'information sur l'évaluation des dispositions de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) - Examen du rapport

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons à présent le rapport de Sylvie Robert, Monique de Marco et Else Joseph sur l'évaluation de la partie « création » de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi LCAP.

Mme Else Joseph, rapporteure. - La loi LCAP est le fruit de travaux parlementaires très approfondis et constructifs - le texte a fait l'objet de deux lectures dans chacune de nos assemblées, ce qui n'est plus arrivé depuis longtemps ! -, ainsi que l'aboutissement d'un long processus de concertation avec les professionnels de la culture. Son périmètre est très large puisqu'il va de la création et de la diffusion artistiques au patrimoine et à l'architecture, en passant par l'enseignement supérieur artistique.

Après huit années d'application, notre commission a souhaité évaluer la mise en oeuvre du volet consacré à la création artistique ; celui qui est relatif au patrimoine a été abordé dans le cadre de la mission d'information sur les architectes des bâtiments de France, dont les conclusions viennent de nous être présentées par Marie-Pierre Monier et Pierre-Jean Verzelen.

Notre mission, transpartisane, avait donc pour objectif de dresser un état des lieux approfondi des avancées, mais aussi des limites de la loi LCAP pour la création, qui - rappelons-le - a subi de plein fouet les crises successives de ces dernières années. Ce secteur est confronté à des enjeux majeurs comme la transformation des pratiques culturelles à l'ère du numérique ou la transition écologique, et son modèle économique est fragilisé par la dégradation des finances publiques.

À l'issue de notre trentaine d'auditions, nous avons choisi de structurer notre rapport autour de quatre axes principaux : l'effectivité des principes de liberté et de diffusion artistiques, la gouvernance et le financement des politiques publiques de la création, le cadre de la labellisation et du conventionnement, et l'organisation de l'enseignement supérieur artistique. Nous avons ajouté, à la fin du rapport, plusieurs remarques sur des dispositions diverses nécessitant, selon nous, une évolution législative ou réglementaire.

Commençons par un constat global positif : la loi LCAP a incontestablement permis des avancées pour un secteur qui souffrait jusqu'alors d'un certain flou normatif. Avec ses cinquante-quatre articles, le volet relatif à la création a créé un cadre juridique protecteur pour les libertés de création et de diffusion, précisé la gouvernance des politiques publiques de soutien à la création, formalisé la politique de labellisation et de conventionnement, structuré le paysage de la création et organisé l'enseignement supérieur artistique.

Sur certains de ces sujets, la loi LCAP a fait évoluer le droit existant, sur d'autres, elle a posé un socle juridique qui n'existait pas encore. Elle est ainsi considérée par nombre de professionnels comme un texte structurant, une « boussole », pour reprendre l'expression de l'un d'entre eux.

Mme Sylvie Robert, rapporteure. - Venons-en à notre premier grand axe d'étude, à savoir les principes des libertés de création et de diffusion artistiques.

Les deux premiers articles de la loi LCAP consacrent, pour la première fois dans notre législation, les libertés de création et de diffusion, jusqu'alors considérées comme des applications particulières de la liberté d'expression. Désormais, la possibilité de créer des oeuvres et de les diffuser sans être soumis à des contingences politiques, économiques ou sociales, est garantie par la loi. En outre, un délit spécifique est créé pour punir les cas d'entrave à l'exercice des libertés de création et de diffusion. Ces dispositions constituent un acquis symbolique et juridique majeur, unanimement salué par les professionnels.

Qu'en est-il cependant dans la pratique ?

Les remontées de terrain nous permettent de dresser un constat paradoxal et inquiétant : alors que les libertés de création et de diffusion artistiques sont reconnues et protégées par la loi depuis 2016, les atteintes qui leur sont portées sont de plus en plus fréquentes et diverses.

Auparavant limitées à quelques affaires emblématiques d'audience nationale, dans des lieux souvent symboliques ou susceptibles d'une importante médiatisation, les entraves constatées ces dernières années sont plus nombreuses. Elles ont une portée plus locale et sont motivées par des intérêts plus diversifiés. Dirigées contre les artistes, leurs oeuvres ou leurs programmateurs, elles prennent la forme d'annulations de représentations, de manifestations sur les lieux d'exposition ou de représentation, voire même d'actions d'intimidation parfois violentes.

Que révèlent ces entraves aux libertés de création et de diffusion ?

D'abord, que les censeurs, aux profils plus hétérogènes que par le passé, cherchent non seulement la plus grande audience médiatique possible, mais veulent aussi se rendre visibles dans la vie locale et exercer une pression directe sur les artistes et les diffuseurs.

Ensuite, que les mutations sociétales récentes élargissent le périmètre des sujets pouvant donner lieu à contestation, tandis que la transformation des moyens collectifs d'action, en particulier l'usage croissant des réseaux sociaux, joue un rôle organisateur et amplificateur majeur.

Enfin, que la culture, dans une société fortement polarisée, a un retentissement symbolique et médiatique très fort.

Nous pointons une autre évolution récente, tout aussi inquiétante : le développement, dans nos territoires, d'une nouvelle forme de censure, moins visible et plus insidieuse, pouvant être qualifiée de censure préventive. Elle est le fait de programmateurs, d'élus locaux qui, de leur propre chef ou sous certaines pressions, préfèrent éviter de mettre à l'affiche certaines oeuvres par crainte qu'elles ne heurtent une partie de la population. Des créations abordant des sujets sociétaux jugés a priori clivants peuvent ainsi être écartées. Nous ont également été rapportés des cas de censure préventive impliquant des préfets, qui ont pu faire valoir un risque manifeste de trouble à l'ordre public pour justifier la non-diffusion d'un spectacle.

Ces dérives sont extrêmement préoccupantes, tant pour la diversité des points de vue artistiques, la qualité de l'offre culturelle que la vigueur du débat public. Aussi, nous rappelons avec force que les libertés de création et de diffusion artistiques sont essentielles au bon fonctionnement d'une société démocratique et qu'en conséquence, elles doivent absolument être protégées des décisions de pure opportunité politique ou économique.

Nous regrettons d'ailleurs que les entraves aux libertés de création et de diffusion ne fassent pas l'objet d'un travail d'observation de la part du ministère de la culture : nous manquons de données nationales consolidées pour quantifier et caractériser un phénomène largement constaté par les acteurs de terrain.

Nous dressons enfin un dernier constat : malgré la multiplication des atteintes aux libertés de création et de diffusion, le dépôt de plainte prévu par la loi LCAP est insuffisamment utilisé, tant par méconnaissance du dispositif que par difficulté à caractériser le délit. Qui plus est, lorsqu'une situation d'entrave est portée en justice, le juge argue généralement d'une atteinte à la liberté d'expression et non à la liberté de création ou de diffusion.

Au regard de cet état des lieux assez sombre, il nous semble indispensable d'aller plus loin dans la protection effective des libertés de création et de diffusion. Pour ce faire, nous formulons deux séries de recommandations.

En amont, il faut reconnaître la spécificité des principes de liberté de création et de diffusion artistiques et mieux prévenir les atteintes qui leur sont portées.

Pour ce faire, nous recommandons de modifier l'article 2 de la loi LCAP pour renforcer la portée normative des libertés de création et de diffusion ; d'élaborer et de diffuser, en lien et pour les professionnels de la création, un guide juridique et pratique relatif à ces libertés ; d'inciter les associations d'élus à davantage sensibiliser et former les élus locaux aux libertés de création et de diffusion artistiques ; de rappeler aux préfets l'intérêt de garantir l'effectivité de ces principes ; de mettre en place, au niveau de chaque DRAC, d'une cellule d'observation et d'alerte recensant les différentes formes d'atteinte aux libertés de création et de diffusion artistiques ;d'étudier la possibilité de la création d'une instance de médiation indépendante, qui pourrait être un Défenseur des libertés de création et de diffusion artistiques, sur le modèle du Défenseur des droits.

En aval, il faut actionner davantage le délit d'entrave aux libertés de création et de diffusion artistiques. Les professionnels de la création et les élus locaux doivent être mieux informés sur la possibilité de recours devant les tribunaux. De plus, un travail d'expertise juridique doit être mené pour faciliter le dépôt de plainte sur le fondement de l'article 431-1 du code pénal. Enfin, le contentieux relatif aux libertés de création et de diffusion artistiques doit être confié à des chambres spécialisées.

Pour terminer ce chapitre, la ministre nous a rassurés hier, lors de son audition par notre commission, en annonçant qu'elle allait se saisir de cette question et qu'elle présentera prochainement un plan qui, nous l'espérons, sera largement inspiré par nos recommandations.

Mme Monique de Marco, rapporteure. - Poursuivons avec notre deuxième axe d'étude : la gouvernance et le financement des politiques publiques de soutien à la création.

Vous le savez, les politiques culturelles constituent, en application des lois de décentralisation successives, une compétence partagée entre l'État et les collectivités territoriales, comme le confirment la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, puis la loi LCAP de 2016.

Parfois remise en question au profit d'une organisation qui reposerait sur un « chef de filât », comme l'a récemment proposé le rapport Woerth sur la décentralisation, la compétence partagée en matière culturelle est un principe qui, à nos yeux, continue de faire sens, mais qui nécessite une coopération exigeante entre les collectivités publiques.

L'article 4 de la loi LCAP prévoit que cette coopération se déroule au sein d'une nouvelle enceinte, les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) dédiées à la culture. Or, dans la plupart des régions, ces CTAP « culture » sont aujourd'hui inopérantes, si tant est qu'elles existent. Elles n'ont jamais réellement trouvé leur place, excepté en Normandie et en Bretagne. Quand elles se réunissent, elles s'apparentent à des grands-messes composées d'une centaine de membres, où les prises de parole se succèdent de manière uniquement formelle.

Prenant acte de leur échec, et dans la continuité du rapport d'information sur les nouveaux territoires de la culture déposé par Sonia de La Provôté et Antoine Karam, nous estimons que de nouvelles perspectives doivent être tracées en matière de gouvernance des politiques culturelles à l'échelle des territoires. Aux organes de dialogue pléthoriques et formels doivent succéder d'autres types d'instances permettant de fédérer les différents acteurs publics autour d'une démarche véritablement stratégique et opérationnelle.

C'est pourquoi nous appelons à faire émerger, au niveau des territoires, des alliances culturelles stratégiques. Ces alliances réuniraient les collectivités territoriales volontaires et l'État autour de quelques grands objectifs communs pour répondre aux besoins culturels locaux.

Ce renouvellement de la gouvernance suppose, en parallèle, de mettre fin à l'affaiblissement de l'État culturel déconcentré. Au cours de nos auditions, nous avons été alertées à de nombreuses reprises sur la grande fragilité dans laquelle se trouvent les directions régionales des affaires culturelles (Drac). Alors que 80 % de l'action et des crédits du ministère de la culture en soutien à la création sont déconcentrés et que les Drac disposent historiquement d'une expertise dans ce secteur, leurs conseillers chargés de la création sont peu nombreux et extrêmement mobilisés, car la fusion des régions a considérablement développé leur périmètre d'intervention sans que leur répartition globale soit toujours harmonisée.

Il nous apparaît donc indispensable de revitaliser les Drac en renforçant leurs moyens humains et en leur donnant davantage de latitude pour répartir les crédits déconcentrés, car ce sont elles, et non l'administration centrale du ministère, qui connaissent les besoins du terrain.

Analyser le sujet de la gouvernance nous a inévitablement amenées à aborder celui du financement de la création artistique. Vous n'êtes pas sans le savoir, de nombreuses structures culturelles dans nos territoires sont confrontées à la réduction de leurs marges artistiques, en raison des surcoûts causés par les crises énergétiques et inflationnistes. Cette situation menace leur capacité à mener à bien leurs missions de soutien à la création, de promotion de la diversité artistique et d'animation culturelle des territoires.

Alors que le secteur de la création a fait l'objet d'une coupe budgétaire de 96 millions d'euros en début d'année, nous rappelons que lorsqu'on assèche la création, toutes les politiques publiques culturelles sont menacées. À l'heure du plan « Mieux produire, mieux diffuser » porté par le ministère de la culture, comment, dans le contexte budgétaire très contraint que nous connaissons, penser et financer la création artistique ?

Sans vouloir préempter le débat que nous aurons dans quelques semaines lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, nous pensons qu'une piste consisterait à réaffecter au secteur de la création une partie des financements consacrés au pass Culture. Ce dispositif concentre depuis plusieurs années l'essentiel des augmentations de crédits du ministère, alors qu'il ne peut constituer l'alpha et l'oméga de la politique culturelle de l'État.

Il se trouve qu'avant de le confirmer hier lors de son audition, la ministre de la culture a annoncé, le 11 octobre dernier, dans une tribune au journal Le Monde, une réforme en profondeur du pass Culture, en esquissant plusieurs voies d'évolution - modulation de la somme offerte aux jeunes en fonction de leur milieu social, fin de l'utilisation libre des crédits individuels, dont une part serait obligatoirement réservée au spectacle vivant, meilleure association des collectivités territoriales au dispositif. Cependant, en l'absence de précisions sur les modalités, le calendrier et le financement d'un tel projet de réforme, nous maintenons notre recommandation.

Parmi les autres leviers de financement envisageables, nous proposons d'examiner la possibilité pour l'État et les collectivités territoriales de consacrer un pourcentage du coût des travaux publics au soutien des projets artistiques dans l'espace public. Un tel dispositif avait déjà été envisagé par la loi LCAP via la remise d'un rapport au Parlement ; celui-ci a bien été rendu, mais aucune suite n'y a été donnée. Remettons ce sujet sur le métier !

Mme Else Joseph, rapporteure. - Nous arrivons à notre troisième axe de réflexion, qui concerne la politique de labellisation et de conventionnement des structures culturelles.

L'article 5 de loi LCAP et ses textes d'application ont permis la formalisation d'un cadre national de référence très largement plébiscité. En effet, l'obtention d'un label ou d'un conventionnement est gage de reconnaissance de la crédibilité artistique à l'échelle territoriale, voire nationale.

Les acteurs de terrain ont cependant fait remonter plusieurs difficultés dans le déploiement de ce référentiel national, qui peuvent s'avérer particulièrement bloquantes pour certaines structures culturelles. Les procédures sont souvent très chronophages, complexes et rigides. En outre, les cahiers des missions et des charges, sous-tendus par une logique quantitative et la définition à l'échelon national d'un nombre très important d'indicateurs, sont souvent inadaptés aux besoins culturels locaux et aux problématiques sociétales actuelles comme la transition écologique ou l'intelligence artificielle.

Compte tenu de ce bilan en demi-teinte, nous estimons que le dispositif réglementaire issu de la loi LCAP mérite d'être maintenu dans ses grandes lignes, mais qu'il est nécessaire de l'adapter.

D'abord, nous recommandons d'introduire une logique davantage qualitative aux cahiers des missions et des charges, en réduisant leur nombre d'indicateurs et en actualisant ceux-ci au regard des problématiques sociétales actuelles. Ensuite, il faut permettre une meilleure déclinaison territoriale de ces cahiers, afin qu'ils puissent être adaptés aux caractéristiques culturelles locales.

Mme Sylvie Robert, rapporteure. - Venons-en au quatrième et dernier sujet d'analyse, l'organisation de l'enseignement supérieur artistique.

La loi LCAP a juridiquement clarifié les modalités de cet enseignement, mais, huit ans plus tard, les écoles supérieures d'art sont toujours confrontées à d'importants problèmes structurels.

Elles peinent à s'inscrire pleinement dans le troisième cycle doctoral, les universités disposant d'un monopole en la matière. En outre, le statut de leurs enseignants titulaires continue d'être un sujet bloquant, le recours aux personnels contractuels est de plus en plus fréquent et la concurrence des formations privées en art se fait de plus en plus offensive.

Vous le savez, les écoles de dimension territoriale sont en grande difficulté financière, ce qui a poussé le ministère de la culture à enfin diligenter une mission de diagnostic. Ses conclusions devraient être rendues d'ici à la fin du mois.

Enfin, les régions se sont globalement peu emparées de leur compétence en matière d'organisation de l'enseignement supérieur artistique. Celles qui ont voulu s'impliquer, comme la région Normandie, se sont vu refuser le transfert des crédits correspondants par l'État.

Au vu de cet état des lieux décevant, nous appelons à un réengagement public en faveur de l'enseignement supérieur artistique et recommandons d'inciter les universités et les écoles publiques d'art à nouer des partenariats en matière de troisième cycle doctoral, comme cela se fait dans certains territoires avec de bons résultats.

Nous demandons également une revalorisation du statut de professeur d'enseignement artistique, condition indispensable à une meilleure attractivité de ce métier.

En outre, il faut réaffirmer la compétence et la responsabilité des régions en matière de développement de l'enseignement supérieur artistique, moyennant le transfert concomitant et intégral des crédits correspondants.

De plus, nous pointons le manque d'intégration des écoles d'architecture dans l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche et, plus globalement, l'insuffisante mise à profit de la tutelle exercée par le ministère en charge de ce secteur. C'est pourquoi nous pensons qu'un rééquilibrage de la double tutelle ministérielle exercée sur ces écoles devient nécessaire.

Enfin, nous dénonçons la non-amélioration de la situation des conservatoires, en dépit des espoirs suscités par la loi LCAP. Notre collègue Catherine Morin-Desailly nous a régulièrement alertés sur ce sujet. Mettre fin à la dualité des interlocuteurs au sein du ministère de la culture, ceux-ci se renvoyant la balle, permettrait sans doute de faciliter le déblocage de ce dossier.

Mme Monique de Marco, rapporteure. - Un dernier mot pour vous signaler plusieurs problématiques spécifiques, que notre rapport développe plus en détail. Certaines sont abordées par la loi LCAP, mais nécessitent d'être retravaillées, d'autres n'ont pas été traitées par le législateur en 2016 et méritent aujourd'hui d'être étudiées.

Le dossier de la pratique artistique en amateur nous semble devoir être rouvert, les failles du cadre réglementaire actuel devant être comblées.

Il faut également faciliter l'accès, aujourd'hui trop limité, du Centre national de la musique (CNM) aux données nécessaires à l'exercice de sa mission d'observation économique du secteur de la musique.

De plus, nous recommandons de reconsidérer l'évolution du périmètre d'intervention du médiateur de la musique, dans le cadre d'une concertation avec les professionnels de la filière musicale.

Il faut en outre une clarification du régime des quotas radiophoniques francophones, à laquelle doit s'atteler l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en lien avec les professionnels concernés.

Nous recommandons également de lancer une réflexion sur la protection juridique des producteurs de spectacles, qui ne sont actuellement pas couverts par la législation.

Il faut enfin réaffirmer la position de la France, notamment sur la scène européenne, en faveur de la protection du droit d'auteur, dans le contexte d'essor de l'intelligence artificielle.

Voilà, mes chers collègues, les différents constats et recommandations que nous souhaitions vous présenter au terme de nos travaux. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour en débattre et répondre à l'ensemble de vos interrogations.

Mme Colombe Brossel. - Je remercie les rapporteures des nombreuses auditions passionnantes qu'elles ont organisées, et de la qualité des échanges qui nous ont permis de travailler en profondeur plusieurs sujets, ainsi que la liste des nombreuses recommandations l'illustre.

J'ai été très frappée et surprise par le fait que, malgré leur extrême diversité, tous les acteurs et professionnels que nous avons auditionnés ont débuté leurs interventions en abordant les questions de la liberté de création et de diffusion, de censure, d'autocensure et de freins à la création. Il ne s'agit pas que d'une question de principe : chacun apportait des exemples étayés, relativement récents, de censures, d'autocensures, de freins ou d'interdictions, formalisés ou non.

Ce diagnostic partagé doit collectivement nous interroger, ce que permettent les recommandations formulées par les rapporteures.

Nous serons attentifs au plan annoncé hier par la ministre à la suite de l'interpellation de Sylvie Robert, pour que les libertés de création et de diffusion soient au coeur de notre engagement collectif.

Ce travail, d'une extrême qualité, dessine un paysage sombre. Il faut prendre les sujets un par un pour avancer. Vos recommandations nous y aident.

Mme Sonia de La Provôté. - Je remercie les rapporteures de leur bilan exhaustif de l'application du volet création de la loi LCAP. Les auditions qu'elles ont organisées, dont le ton était assez libre, ont permis de faire émerger des sujets qui n'étaient pas forcément attendus.

Tous les points de vue, qu'ils proviennent d'acteurs publics, d'associations de collectivités, de producteurs, de directions de structure ou de syndicats, ont convergé vers les mêmes sujets. Le bilan que dresse ce rapport est le fruit des remarques d'un écosystème tout entier.

La partie du rapport qui concerne la co-construction au niveau territorial me semble essentielle. Le dernier Atlas régional de la culture date de 2019, mais à l'époque déjà l'État n'assurait que 40 % des financements, le reste incombant aux collectivités, notamment au bloc communal qui y participait à hauteur de 60 %. La co-construction est donc financièrement indispensable. En période de disette budgétaire, nous ne pourrons pas nous contenter d'entendre que celui qui paye décide. L'État doit retrouver son rôle, fixer les grands objectifs de l'accès à la culture et défendre les droits culturels définis par la loi LCAP. Le rapport illustre l'importance de disposer d'une co-construction active et agile, afin que les réunions ne se réduisent pas à des grands-messes.

Je ne reviendrai pas sur la question de la labellisation, mais le sujet est abordé chaque année lors des discussions budgétaires. Les cahiers des charges et des missions doivent évoluer !

Le réengagement public pour les écoles supérieures d'art constitue également un marronnier budgétaire. Les questions essentielles telles que le statut des enseignants ou le troisième cycle doctoral ne sont toujours pas traitées, alors que le sujet n'est pas subsidiaire, puisque l'émergence créative vient pour beaucoup de ces écoles.

Un autre marronnier budgétaire est le plan relatif aux conservatoires, dont on peine à concevoir la réalisation.

La recommandation relative aux missions du CNM, notamment celle qui concerne l'observation du secteur de la musique, est également essentielle : il faut voir comment sont répartis les financements en fonction des esthétiques et des disciplines, tout en conférant davantage d'agilité aux structures et en veillant à l'équité territoriale. Ces sujets doivent être traités, car les collectivités, dont les budgets vont être réduits, ne pourront pallier toutes les carences de l'État.

Je terminerai avec la question de la censure et de l'autocensure préventive. Il n'était pas prévu que ce rapport aborde en priorité ce sujet, qui est très spontanément arrivé en premier lors des auditions. Cela résulte probablement de l'émergence de pressions venant des réseaux sociaux, qui font que chaque contradiction peut donner lieu à des manifestations ou à des pressions, voire à des violences. Mettre en avant ce sujet ne peut être évité, d'autant que les libertés de création et de diffusion sont définies par les deux premiers articles de la loi LCAP.

Même si cette question encore émergente n'est pas totalement objectivée, elle doit être traitée. J'ajouterai peut-être à la recommandation n° 6 le terme « opportunité » à propos d'une réflexion sur la création d'une instance de médiation. Cette création pourrait en effet être conditionnée au contenu du plan annoncé par la ministre, pour voir comment mieux observer ce phénomène qui, compte tenu du nombre des témoignages, n'est pas un simple ressenti, mais bien une réalité.

M. Pierre Ouzoulias. - Votre travail est courageux, et le sujet, grave, est difficile à appréhender et encore plus complexe à restituer.

Comme vous, et l'élection outre-Atlantique de cette nuit ne me porte pas à l'optimisme, je suis effrayé par la montée d'une forme d'intolérance qui touche toutes les libertés, qu'il s'agisse des libertés académiques, des attaques sur le discours historique, ou des attaques sur la liberté de la création et le statut de l'artiste. Il s'agit de symptômes d'une société qui va mal, qui trouve un sens dans l'exclusion de l'autre, tant de la part de la gauche que de celle de la droite. J'ai le triste sentiment que les peuples sont en train d'éteindre les Lumières. Il y a parfois la volonté de retrouver une forme de réalisme socialiste, lorsque l'État organisait ce que devait être la création. « Il n'existe pas, dans la réalité, d'art pour l'art, d'art au-dessus des classes, ni d'art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d'elle » : cette citation est de Mao Zedong.

Les solutions sont extrêmement complexes. Vous en proposez quelques-unes, mais nous sommes un peu désarmés.

Je dépose tous les ans un amendement de suppression du pass Culture, et j'irai dans le sens de votre recommandation. Il faut revenir sur ces gadgets macroniens, tels que le service national universel (SNU) ou le pass Culture, qui ont montré leurs limites. Il faut réaliser un travail structurel qui s'appuie sur ce qui existe déjà, et arrêter d'imaginer que l'on peut trouver des solutions en créant des structures idoines ad hoc en dehors de tout contrôle parlementaire et ministériel. Le pass Culture doit devenir une politique au service du ministère de la culture. Sans même regarder son intérêt en pratique, il y a là une forme d'exigence démocratique.

En ce qui concerne la réforme des écoles d'art, vous avez tout à fait raison. Le ministère de tutelle ne fait rien, car le sujet est dans l'angle mort de ses politiques. Je crains que lorsque l'État est défaillant, il ne renvoie la compétence aux collectivités, alors que ce n'est plus aujourd'hui la solution.

M. Max Brisson. - Comme Colombe Brossel et Pierre Ouzoulias, je parlerai essentiellement des menaces contre la liberté de création et de diffusion artistiques, en ayant le sentiment de me trouver un peu à contre-courant de leurs positions, tout comme de celles de la ministre.

Auparavant toutefois, je souhaite préciser que je crois profondément que les élus de la République sont capables de défendre l'intérêt général, de résister aux pressions et de s'opposer aux influences. Dans notre histoire, il est aussi arrivé à des fonctionnaires de céder aux pressions et de subir des influences. Ce que j'ai entendu au sujet des élus m'a posé problème, surtout de la part de notre Assemblée.

Je remercie nos trois collègues pour l'exhaustivité et la qualité de leur travail, en particulier au sujet de la co-construction des politiques culturelles de territoire ou du rôle et des faiblesses de l'État déconcentré en matière de culture, ainsi que pour leurs recommandations en faveur des écoles supérieures d'art. Les axes deux à cinq du rapport me semblent intéressants, même si l'on peut s'interroger sur l'effet que peuvent avoir vingt-huit recommandations.

Je suis en revanche bien plus réservé sur le premier axe du rapport. Bien entendu, je ne nie pas l'existence d'atteintes à la liberté de création et de diffusion artistiques, mais j'aimerais que celles-ci soient replacées dans le temps.

Avant même 2016, moment où elle a été érigée au rang de liberté fondamentale, accompagnant le renforcement des fondements de notre démocratie et de notre République, la liberté de création était une liberté fondamentale au travers de la liberté d'expression. Dans ce cadre, elle a toujours été menacée, entravée, censurée par des forces obscurantistes ou totalitaires, partisanes par essence d'une conservation absolue ou de l'imposition forcée d'une culture unique répondant à un schéma totalitaire.

Dans les années 1930 ou pendant la guerre froide, certains rêvaient d'appliquer les canons d'un art officiel face à ceux qui voulaient protéger la diversité, qui étaient parfois accusés de céder aux sirènes de la domination d'Hollywood. Cela n'est pas nouveau, et cela n'a pas empêché de préserver et d'approfondir les libertés de création et de diffusion.

Si l'on s'inscrit dans le temps long, ces menaces ne me paraissent donc pas plus prégnantes aujourd'hui que par le passé. Comme toujours, elles proviennent de groupes de l'ultradroite ou de l'ultragauche, qui sont aussi ultraminoritaires. Elles sont toujours menées au nom de grands principes absolutistes, politiques, moraux ou religieux, cherchant à éradiquer toute forme de diversité.

C'est ainsi qu'on peut souiller nos plus grandes oeuvres, détériorer nos musées, déceler nos statues, bannir nos publications, harceler les artistes ou censurer les expressions artistiques.

Bien entendu, devant ces provocations et ces atteintes, la République ne doit pas reculer. Le sujet devait donc être posé, même s'il ne fallait pas l'exagérer ou le présenter comme totalement nouveau, au vu de l'histoire démocratique et républicaine.

Notre pays protège la liberté artistique, la liberté de création, la liberté d'expression. Ce qui me pose problème, à la lecture de ce rapport, c'est l'idée que l'appareil d'État et les élus de la République seraient en quelque sorte défaillants, manqueraient de volonté, méconnaîtraient le droit ou pire, feraient preuve de lâcheté face aux pressions qu'ils rencontrent.

Si cela peut se produire, ce n'est pas la règle, ou alors il faudrait désespérer de notre République. Dans certains territoires, on constate que la liberté artistique est menacée, mais ce n'est pas alors la seule liberté qui le soit. Ce recul n'est-il pas alors celui d'une République vacillante, qui ne donne pas toujours et partout à ses serviteurs, préfets et élus locaux, les moyens de la faire effectivement respecter ?

Je peux ainsi faire miennes la recommandation qui vise à conforter le délit d'entrave aux libertés de création et de diffusion, celle qui préconise de renforcer la sensibilisation et la formation des élus locaux, ou celle qui propose l'élaboration d'un guide juridique à destination des artistes.

En revanche, je doute que le sujet soit à ce point prégnant pour qu'il soit nécessaire de créer des chambres spécialisées. Je n'ai pas davantage d'appétence pour faire des rappels à l'ordre aux préfets, garants des libertés publiques et de l'ordre constitutionnel dans notre République. Surtout, je n'ai aucune appétence pour la création d'une instance indépendante qui générerait toujours son propre droit et finirait par échapper au pouvoir politique, pourtant seul détenteur de la souveraineté populaire.

À titre personnel, je précise qu'en trente-cinq ans de vie publique, je n'ai jamais rencontré de censeurs parmi les élus locaux, et je n'ai pas envie de leur faire passer le message que vous voulez leur adresser.

À titre collectif, après avoir indiqué les réserves que nous inspirent certaines des neuf premières recommandations, nous approuverons huit d'entre elles, mais nous demanderons, monsieur le président, de voter séparément sur la recommandation n° 6.

Mme Laure Darcos. - Je pourrais faire mienne l'intervention de Colombe Brossel, même si nous n'appartenons pas au même groupe politique. Tant mieux si ce problème ne s'est jamais posé dans les Pyrénées-Atlantiques, mais toutes les personnes auditionnées ont fait part de pressions provenant d'un bord ou de l'autre, qu'il s'agisse de wokisme, d'extrémisme religieux ou d'aspects moraux.

Il me semble que les propos de l'orateur précédent ont été excessifs. Les rapporteures, à la suite d'un dialogue, ont assoupli leurs recommandations et fait preuve d'ouverture. Nous ne voulons pas créer des instances de censure ou de discipline.

Mme Laure Darcos. - Pour ma part, je suivrai donc entièrement les recommandations de nos rapporteures. J'ai été confortée par les annonces de la ministre, qui a été alertée sur ces problèmes relatifs à la liberté de création. Il nous faut rester toujours le pays des Lumières, comme le dit Pierre Ouzoulias, et faire de la liberté de création artistique un fer de lance.

M. Jean-Gérard Paumier. - Cette mission d'évaluation revêt pour moi une importance particulière alors que partout dans le monde un nombre croissant de régimes autoritaires ou de groupes extrémistes s'en prennent à la liberté de création artistique. Notre pays n'est d'ailleurs pas exempt de tensions en ce domaine. Dans mon département, des lectures de textes contre l'homophobie ont été organisées à l'initiative de deux communes rurales, mais les élus ont dû résister à de fortes pressions.

Ce rapport rappelle avec force que la liberté de création artistique est une liberté fondamentale dans une démocratie. C'était nécessaire.

J'ai une réserve toutefois, d'ordre budgétaire, sur la recommandation n°11 : il ne faut pas plus de Drac, mais mieux de Drac, de telle sorte qu'elles soient dotées de davantage de crédits déconcentrés du ministère, pour leur permettre de gérer les projets locaux au plus près des territoires.

Mme Catherine Morin-Desailly. - La loi LCAP avait été adoptée après deux lectures dans chaque chambre au Parlement : c'est très rare. Cet examen approfondi nous avait permis d'améliorer sensiblement le texte et de lui donner du sens : l'Assemblée nationale avait mis l'accent sur l'architecture, le Sénat sur le patrimoine. Ce bilan, huit ans après, me semble utile. Nous avions fait de notre mieux sur les labels, la décentralisation des enseignements artistiques, ou sur d'autres sujets, mais nous avions le sentiment qu'il était possible d'aller plus loin. Il est donc intéressant de reprendre la réflexion aujourd'hui.

Lorsque l'on est élu, on est confronté en permanence à d'autres élus qui ne respectent pas la liberté de création. Combien de fois ai-je été attaquée, en Normandie, par des élus du Rassemblement national sur les oeuvres qu'achetait le Fonds régional d'art contemporain, sur les films et les documentaires que la région aidait à produire, sur la programmation de certains festivals, etc. Les élus sont souvent dépourvus pour répondre à ces attaques qui prennent à témoin l'opinion publique à travers les réseaux sociaux notamment. Il est si facile de faire de la démagogie sur ces sujets.

Je rejoins Pierre Ouzoulias : les atteintes à la liberté de création ou aux oeuvres elles-mêmes proviennent de tous les bords, de la droite comme de la gauche : certains portent atteinte à des tableaux du Louvre pour des motifs écologistes, certains veulent déboulonner des statues sans prendre en compte le contexte dans lequel elles ont été créées. Il faut donc réaffirmer nos valeurs et nos principes.

Les collectivités ont joué un rôle moteur dans l'élaboration de politiques culturelles partagées depuis les lois de décentralisation. La loi NOTRe de 2015 a confirmé que ce domaine relevait d'une compétence partagée. Les collectivités ont su construire un maillage territorial précieux.

Je suis toutefois dubitative sur l'axe 2 relatif à la co-construction des politiques culturelles à l'échelle des territoires. Je ne mets pas en cause vos propositions qui me paraissent de bon sens, mais aura-t-on la capacité de les mettre en oeuvre ? La situation budgétaire des collectivités territoriales est tendue. Leurs dotations sont réduites, les transferts de compétences n'ont pas été assortis de moyens supplémentaires. Les collectivités sont souvent dans une impasse budgétaire et elles doivent faire des économies qui affecteront aussi la culture et le patrimoine. Ne faut-il pas s'interroger sur les modèles économiques et d'intervention de toutes les parties prenantes de ce secteur ? Les acteurs de la culture posent cette question avec lucidité.

La proposition de consacrer une partie des crédits du pass Culture au financement de la création est excellente. Le pass Culture est une politique de la demande, et non pas de l'offre : on ne se demande jamais si les opérateurs ont les moyens de développer une offre culturelle adaptée. Or les marges dans le domaine artistique se sont réduites comme peau de chagrin. Il y a donc un effet ciseau. Les collectivités n'auront bientôt plus les moyens de financer leurs services d'éducation artistique et culturelle. La ministre s'interrogeait hier dans son audition sur l'offre d'éducation artistique et culturelle. Il suffit de regarder ce qui se fait dans chaque territoire. C'est inscrit dans les contrats d'objectifs et de moyens (COM) de toutes les structures du secteur cofinancées par les collectivités.

Il est temps de lancer un nouvel acte de décentralisation en ce qui concerne l'enseignement artistique. La ministre n'a pas répondu hier sur les écoles d'art, sur les conservatoires, etc. On se contente de poser des rustines. Il faut tout remettre à plat dans un nouvel acte de décentralisation, assorti d'un transfert de moyens. Nos rapporteures ont rappelé ce qui s'était passé lorsque la région Normandie a voulu définir un vrai schéma régional des enseignements artistiques. Celui-ci avait été élaboré à l'issue d'une CTAP constructive. Tous les acteurs avaient travaillé ensemble pendant deux ans sur le sujet. Mais Roselyne Bachelot a refusé le transfert financier correspondant : celui-ci était pourtant prévu par la loi. Cela a marqué un coup d'arrêt aux initiatives des autres régions pour élaborer ces schémas. De tels outils auraient pourtant permis de clarifier l'avenir des écoles d'art ou des conservatoires. Il faut reprendre le dossier.

Enfin, vos propositions sur les labels sont très pertinentes : imposer des indicateurs chiffrés ou strictement quantitatifs n'est plus possible vu la situation budgétaire des communes et des établissements. Les labels n'ont pas pris en compte les exigences, pourtant inscrites dans la loi, sur la territorialisation de l'offre culturelle. Les critères des labels doivent donc être revus en ce sens. On se demande d'ailleurs parfois comment les labels sont octroyés. L'orchestre des Pays de Savoie n'a pas obtenu le label qu'il réclamait, alors qu'il avait fait un travail remarquable pour répondre à toutes les demandes. Il n'a toutefois pas été soutenu par le ministère et les collectivités se sont désengagées du projet. Un effort de transparence s'impose.

Mme Else Joseph, rapporteure. - Certains d'entre vous ont évoqué la censure et l'autocensure. Il ne s'agissait pas pour nous, dans notre recommandation n° 4, d'adresser un rappel à l'ordre aux préfets ou aux élus. Néanmoins, afin de tenir compte de vos remarques, peut-être pourrions-nous modifier la rédaction de cette recommandation en remplaçant « Rappeler aux préfets l'intérêt de garantir l'effectivité... », par : « Inviter les préfets à garantir l'effectivité ». J'insiste sur le fait que la plupart des constats que nous formulons proviennent des acteurs de terrain, qu'il s'agisse des professionnels de la création ou des élus, que nous avons auditionnés. L'idée était de faire remonter leurs observations, de rappeler le contexte d'atteintes à la liberté de création qui prévaut bel et bien dans certains territoires, et de formuler des recommandations.

Je souscris à la proposition de Sonia de La Provôté visant à compléter la rédaction de la recommandation n° 6.

Mme Sylvie Robert, rapporteure. - J'ai vécu, comme Catherine Morin-Desailly, l'élaboration de cette loi. Il était important de l'évaluer huit ans après, d'identifier les manquements et de tracer des pistes pour l'avenir.

Les faits que nous mentionnons dans notre rapport nous ont été relatés lors des auditions. Ils illustrent un mouvement réel dans notre société, comme Pierre Ouzoulias l'a souligné, qui consiste à affecter, sinon à entraver, l'exercice des libertés. Or la liberté de création a été consacrée par la loi comme une liberté fondamentale spécifique.

Certains élus s'opposent à l'exercice de cette liberté dans certains territoires, tandis que d'autres, qui s'efforcent de la promouvoir, sont parfois totalement désemparés face aux pressions qu'ils subissent. Nous devons les aider à résister et les protéger lorsqu'ils sont attaqués sur les réseaux sociaux. C'est tout à l'honneur du Sénat de chercher à remédier à ce problème.

Enfin, nous proposons non pas de créer de nouvelles chambres spécialisées, mais de confier le contentieux relatif aux libertés de création et de diffusion artistiques à des chambres spécialisées qui existent déjà, telles que les chambres compétentes en matière de liberté de la presse

Enfin, mes chers collègues, je vous rappelle que nous n'en sommes qu'au stade de l'adoption du rapport. Il ne s'agit pas d'une proposition de loi. Le risque, si les recommandations ne sont pas adoptées, c'est de créer une jurisprudence. Je vote souvent des rapports et les recommandations qui en découlent, car les recommandations s'inscrivent dans un travail de réflexion cohérent qu'il faut respecter. Je ne conditionne jamais mon vote sur un rapport à la présence ou à la suppression de telle ou telle recommandation. Une telle démarche me semblerait étonnante. Encore une fois, j'y insiste, l'objet des recommandations est simplement de susciter la réflexion.

Il nous semble intéressant de proposer une réflexion sur la création d'une instance indépendante. La ministre aura peut-être une autre idée. Nous ouvrons le débat.

Mme Monique de Marco, rapporteure. - Mes collègues l'ont dit : il ne s'agit que d'un rapport, assorti de propositions de recommandations, que nous soumettons à la discussion.

Nous ne pensons pas que les élus fassent preuve de lâcheté en matière de liberté de création, mais ils appliquent le principe de précaution et préfèrent éviter les polémiques sur leurs territoires. C'est compréhensible. Ceux qui ont participé aux auditions ont bien pu constater qu'il y avait là un sujet. Je suis ouverte à une reformulation des recommandations n°4 et 6.

Monsieur Paumier, les Drac ont une grande expertise et connaissent bien les besoins locaux. Il faut les renforcer en leur octroyant davantage de moyens, mais aussi en leur donnant davantage de latitude pour agir. C'est l'objet de notre recommandation n° 11.

Pour le reste, mes chers collègues, vos remarques me semblent aller dans le sens de nos recommandations. Nous verrons ce que la ministre de la culture fera de notre rapport et quelles seront ses propositions.

M. Laurent Lafon, président. - À l'issue de ces échanges, nos rapporteures proposent de rédiger ainsi la recommandation n°4 : « Inviter les préfets à garantir l'effectivité des principes de liberté de création et de diffusion artistiques. »

La proposition de modification est adoptée.

M. Laurent Lafon, président. - De même, nous pourrions rédiger ainsi la recommandation n° 6 : « Étudier l'opportunité et les conditions de création d'une instance de médiation indépendante, qui pourraient être un Défenseur des libertés de création et de diffusion artistiques, sur le modèle du Défenseur des droits. »

La proposition de modification est adoptée.

M. Max Brisson. - Nous ne donnons pas, mes chers collègues, le même sens au terme « recommandation » du Sénat. Les recommandations sont le fruit d'un travail de réflexion mûri et d'un vote. Si nous les adoptons, elles deviennent la position du Sénat ! Il ne s'agit pas d'un simple élément apporté au débat. Certes, le Gouvernement est libre de s'en saisir ou pas, et les parlementaires peuvent aussi déposer des propositions de loi, mais les recommandations du Sénat ont une importance aussi forte que celle de nos rapports. Le président du Sénat n'a-t-il pas dit au Premier ministre qu'il y avait sur les étagères du Sénat beaucoup de rapports qui pourraient inspirer l'action publique ?

Je suis heureux que le débat que j'ai enclenché ait conduit à parler de la protection des élus. Si le but est de protéger les élus, je vous rejoins, mais je n'ai pas lu votre rapport ainsi.

Nous sommes réticents à créer des autorités qui échappent au Parlement : celles-ci créent leur propre jurisprudence qui enserre la capacité d'action du peuple souverain. C'est le rôle du Parlement et du Sénat de défendre la liberté de création. C'est donc pour des raisons de principe que je m'opposerai, avec certains de mes collègues, à la recommandation n° 6. Nous voterons les autres recommandations.

M. Laurent Lafon, président. - Je vais à présent mettre aux voix successivement les recommandations présentées par nos rapporteures.

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 11 h 55.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi de finances pour 2025 - Audition de M. Patrick Hetzel, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

M. Laurent Lafon, président. - Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous accueillir pour votre première audition devant notre commission dans vos nouvelles fonctions de ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Au nom de tous mes collègues, je tiens à vous féliciter pour cette nomination et à vous souhaiter une belle réussite dans l'exercice de vos fonctions.

Vous trouverez, au sein de cette commission, des interlocuteurs attentifs, exigeants et passionnés, au premier rang desquels notre rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur, Stéphane Piednoir, fin connaisseur de ce secteur depuis plusieurs années, et notre rapporteure pour avis des crédits de la recherche, Alexandra Borchio Fontimp. D'autres collègues sont aussi très impliqués dans les questions relatives à l'enseignement supérieur et de la recherche : je pense en particulier à Laure Darcos, qui exerçait les fonctions de rapporteure il y a quelque temps.

Votre première intervention devant nous coïncidant avec la traditionnelle audition budgétaire de l'automne, nous sommes désireux de vous entendre à la fois sur votre feuille de route ministérielle et sur le projet de loi de finances pour 2025, même si nous savons que vous avez récupéré ce dernier dans un délai particulièrement restreint.

Ce budget est marqué, pour la quatrième année consécutive, par la mise en oeuvre de la loi de programmation de la recherche (LPR) du 24 décembre 2020, qui concerne aussi bien le champ de la recherche que celui de l'enseignement supérieur, et qui a enclenché un réinvestissement public attendu.

Je rappelle que le Sénat, sous l'impulsion de notre commission et de notre rapporteure Laure Darcos, avait vigoureusement défendu, au nom de la sincérité budgétaire, une durée de programmation réduite, compte tenu des aléas conjoncturels pouvant survenir en dix ans. Force est de constater que les faits lui donnent malheureusement raison. Le contexte budgétaire actuel ne permettra pas, en effet, d'honorer entièrement la cinquième marche de la LPR. Il semble ainsi que seules les mesures de revalorisation des rémunérations et des carrières auxquelles l'État s'est engagé en 2020, aussi bien pour les personnels de l'enseignement supérieur que pour ceux de la recherche, soient budgétées à ce jour.

Vous nous direz précisément, monsieur le ministre, quelles mesures de la loi vous avez décidé de préserver et quelles sont celles pour lesquelles vous avez dû revoir les ambitions à la baisse.

Pour ce qui concerne le reste des crédits de l'enseignement supérieur, j'observe que les projections budgétaires sont bâties sur une hypothèse de baisse de la démographie étudiante, qui n'est pas partagée par tous les professionnels du secteur. Ce point appelle donc quelques précisions.

L'année 2024 a par ailleurs été marquée par la mise en oeuvre de la loi du 13 avril 2023 visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré, issue d'une initiative sénatoriale de notre collègue Pierre-Antoine Levi. Peut-être pourrez-vous nous dresser un bilan de sa première année d'application, qui a, me semble-t-il, été largement saluée aussi bien par les étudiants que par les établissements.

Enfin, notre commission a récemment travaillé sur l'inquiétante progression des manifestations d'antisémitisme au sein des établissements. Suivant nos rapporteurs Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi, nous avons fait plusieurs recommandations ciblées visant à endiguer le problème. La plupart relèvent du niveau réglementaire ou des bonnes pratiques des établissements. Sans doute pourrez-vous nous dire quelques mots, monsieur le ministre, des mesures prises en ce domaine à l'occasion de la rentrée universitaire.

Au-delà des enjeux budgétaires, le secteur de la recherche est confronté aux défis de la gouvernance et de la simplification, deux chantiers lancés par votre prédécesseure.

Les premières agences de programmes, pilotées par les grands organismes nationaux de recherche (ONR), se sont déployées tout au long de cette année et ont fait remonter à votre ministère leurs projets de programmes de recherche. L'expérimentation de mesures de simplification de la gestion de la recherche est quant à elle en cours dans 17 universités pilotes. Sur ces deux grands dossiers, quelles sont vos intentions ? Souhaitez-vous en particulier aller plus loin dans la clarification des rôles entre ONR et universités ?

Monsieur le ministre, je vous laisse à présent la parole, non sans avoir préalablement rappelé que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Je salue par ailleurs Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la commission des finances, qui est présent parmi nous cet après-midi.

M. Patrick Hetzel, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous. Je suis très heureux de pouvoir échanger avec vous et répondre à vos questions.

Pour commencer, je souhaite vous présenter les priorités qui guideront mon action. Il s'agira tout d'abord d'adapter l'offre de formation supérieure pour mieux garantir les débouchés vers le monde professionnel. Près de 3 millions de jeunes gens sont inscrits dans l'enseignement supérieur. L'offre de formation doit proposer un parcours favorisant l'insertion, en intégrant les transitions écologique, numérique, sociétale et industrielle. Cela suppose d'informer de manière plus efficace et transparente les étudiants et les lycéens, de déployer une démarche de pilotage de l'offre de formation et d'inciter les établissements à transformer leur offre lorsque cela est nécessaire pour en garantir l'inscription territoriale.

Il s'agira ensuite d'enclencher une nouvelle phase d'autonomie des universités, en contrepartie d'un effort de simplification, de transparence et d'évaluation. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, a déjà dix-sept ans. Elle a produit plusieurs évolutions dans l'enseignement supérieur, que, je pense, personne ne souhaite remettre en cause. Nous pouvons d'ores et déjà lancer une réflexion sur cette nouvelle phase d'autonomie. Je souhaite associer les sénatrices et les sénateurs à ce travail. Les modalités d'inclusion de vos contributions vous seront prochainement précisées.

L'offre de formation est abondante. Pas moins de 130 000 places restent ainsi disponibles sur la plateforme Parcoursup. La question de savoir si ces formations répondent aux aspirations des jeunes et aux besoins des milieux économiques ne doit pas être un sujet tabou.

Nous souhaitons enfin renforcer l'investissement national dans la recherche, public comme privé, pour préserver la compétitivité de la France. La France et ses entreprises doivent investir dans la recherche. À cet effet, je proposerai un pacte pour la recherche. Toutes les découvertes scientifiques produites par la recherche académique française nourrissent un flot régulier de transferts de connaissances vers le monde socio-économique et sont à l'origine d'innovations majeures dans les domaines de la physique quantique, de l'hydrogène, des énergies vertes ou des biothérapies. Tout cela contribue à la richesse et au dynamisme de la France. Comme cela se fait dans la plupart des autres pays, nous devons considérer que l'enseignement supérieur et la recherche peuvent apporter leur part dans la création de richesses comme dans la croissance du pays.

Le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche a effectivement été finalisé dans un contexte très particulier, compte tenu du peu de temps disponible, et financièrement contraint. Il préserve néanmoins le financement de nos priorités, et s'inscrit pleinement dans la feuille de route du Premier ministre pour ramener le déficit public à 5 % du PIB en 2025, puis sous le seuil de 3 % à l'horizon 2029.

Ce budget s'élèvera en 2025 à 26,8 milliards d'euros, répartis entre les trois programmes de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) : le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », à hauteur de 15,3 milliards d'euros ; le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », à hauteur de 8,3 milliards d'euros ; et le programme 231 « Vie étudiante », à hauteur de 3,2 milliards d'euros. Ce budget progresse par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024, à hauteur de 89 millions d'euros. Au total, le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche aura augmenté de 4,3 milliards d'euros sur la période 2017-2025, et de 2,7 milliards d'euros depuis le démarrage de la LPR en 2021. Cela traduit l'engagement important consenti par la Nation pour cette politique publique en général et ce ministère en particulier.

En 2025, ce budget se consacre à quatre priorités : renforcer l'attractivité des carrières scientifiques et l'investissement dans la recherche ; améliorer la réussite des étudiants à travers une politique sociale s'exprimant par l'amélioration de l'offre de logement, une restauration à tarif modéré et les bourses sur critères sociaux ; accroître la performance des établissements d'enseignement supérieur à travers les contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) ; poursuivre la transformation du parc immobilier des établissements. Le budget fléché sur ce dernier point est de 1,2 milliard d'euros.

Le premier axe a été sanctuarisé dans le budget 2025. Votre propos liminaire, monsieur le président, y faisait référence. Le projet de loi de finances (PLF), tel que présenté au Parlement par le Gouvernement, ouvre ainsi 91 millions d'euros supplémentaires sur le programme 150 et 67 millions d'euros sur le programme 172. Ces moyens préserveront la mise en oeuvre du protocole d'accord relatif à l'amélioration des carrières et des rémunérations d'octobre 2020. Il était important de tenir ces engagements pris par l'État il y a quatre ans.

Le budget de l'Agence nationale de la recherche (ANR) est maintenu en 2025, pour que celle-ci puisse continuer à financer des projets de recherche sur des domaines stratégiques en lien avec les grands défis contemporains, tout en assurant la revalorisation de l'abondement financier revenant aux établissements pour soutenir les laboratoires et unités de recherche.

Je rappelle par ailleurs les moyens importants investis dans la recherche via des financements extrabudgétaires, par exemple France 2030. Pas moins de 13 milliards d'euros, sur les 54 milliards d'euros de ce plan, sont en effet investis au bénéfice des acteurs de la recherche, de l'enseignement supérieur et de l'innovation de 2020 à 2027. De nouvelles actions sont d'ailleurs en cours de lancement, pour un montant de 650 millions d'euros, autour d'un programme « recherche à risque ».

Il s'agit aussi de travailler à l'amélioration des conditions de vie des étudiants. Le PLF renforce le soutien financier au réseau des oeuvres universitaires, bras armé de cette politique, moyennant une progression de la subvention de 30 millions d'euros. Par cet effort, nous pourrons faire face à la hausse de la fréquentation des restaurants universitaires. Près de 2 613 places supplémentaires seront créées d'ici à l'année prochaine.

Le PLF maintient également la subvention en faveur du logement du réseau des oeuvres universitaires. Depuis 2018, cette dynamique a entraîné la création de 13 000 logements sociaux étudiants, dont 12 000 gérés directement par les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous). Je travaille avec ma collègue Valérie Létard, ministre déléguée chargée du logement, pour trouver des solutions dans la politique gouvernementale consacrée à ce volet.

Le PLF réaffirme par ailleurs notre engagement en faveur des étudiants les plus fragiles, en maintenant le repas à 1 euro pour les étudiants boursiers et ceux qui sont en situation difficile. Entre 2022 et 2024, le nombre de repas servis à tarif social a augmenté de 17 %. Ce sont 42,5 millions de repas qui ont été servis sur la période 2023-2024, d'où une enveloppe supplémentaire de 13 millions d'euros prévue pour 2025 pour le dispositif introduit par la loi Levi. Cette initiative assure à des milliers d'étudiants l'accès à des repas équilibrés à un tarif avantageux, participant ainsi à leur réussite académique. Je salue cette contribution significative, qui répond à un angle mort et engage une véritable politique publique autour de ces questions.

Nous poursuivons également le déploiement des dispositifs en faveur de l'égalité des chances. Cet élément doit nous réunir, car il relève des valeurs de la République. Le budget 2025 maintient ainsi une politique de bourses sur critères sociaux donnant aux étudiants les plus défavorisés un accès à l'enseignement supérieur dans des conditions facilitées. Le ministère continuera à financer des dispositifs qui contribuent à la réussite et à l'insertion des étudiants : cordées de la réussite, prêts étudiants garantis par l'État, diplômes d'université dits « passerelles », etc.

Les efforts pour une université plus inclusive sont aussi poursuivis, notamment en matière de handicap, pour les étudiants comme pour les personnels. Il ne faut aucune discrimination.

Le troisième axe consiste à renforcer la performance de nos établissements d'enseignement supérieur. En 2025, la troisième vague des contrats d'objectifs, de moyens et de performance de 55 établissements commencera. Le ministère pérennisera une enveloppe de 35 millions d'euros dans le budget 2025. Ces contrats offriront aux établissements concernés davantage de latitude pour innover et répondre aux grands défis de demain. Cette troisième vague sera aussi l'occasion de mettre en avant la démarche de simplification rappelée par le Premier ministre il y a quelques semaines.

Enfin, il s'agit d'accompagner les établissements dans leurs projets immobiliers de rénovation ou de transformation. Un accent particulier sera mis sur la rénovation énergétique du parc universitaire et du réseau des oeuvres universitaires.

Ce PLF répond donc à une double exigence : préparer l'avenir tout en contribuant à la maîtrise des finances publiques. Certains points pourront faire l'objet d'ajustements lors des débats, mais nos politiques publiques sont d'ores et déjà sécurisées. Même si la marche essentielle de la LPR pour 2025 ne sera pas totalement atteinte, ses orientations sont maintenues.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - La situation de nos universités, dont les deux tiers présenteront un budget en déficit cette année - tendance déjà amorcée l'année dernière - est inquiétante. Plusieurs d'entre elles atteignent peut-être un point de non-retour. En outre, je suis frappé par une succession de non-compensations de plusieurs mesures : revalorisation du point d'indice, mesures Guerini...

Je suis très attaché aux conditions de vie étudiante, car elles contribuent à l'attractivité de nos établissements publics ainsi qu'à la réussite de nos étudiants. Or on peut craindre un report des rénovations du parc immobilier.

Rachida Dati nous a annoncé un chèque de 300 millions d'euros lors de son audition hier. Avez-vous une annonce du même ordre à faire pour l'enseignement supérieur ?

Par ailleurs, certains réclament régulièrement une mise à plat des critères de dotation des universités.

Les établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général (Eespig), qui assurent une mission de service public, subissent quant à eux de fortes contraintes liées à leur statut. Or les dotations ne sont pas à la hauteur de celles-ci : à moins de 5 %, en moyenne, de leur budget, nous sommes très loin du financement à 1 000 ou 1 200 euros par étudiant pratiqué dans les années 2007-2012. Quelle est votre position sur cette lente érosion de la dotation pour charge de service public des Eespig ?

Pouvez-vous également nous dire un mot des jurys rectoraux ?

Je soulignerai, dans mon rapport, la nécessité de réguler la qualité de l'enseignement supérieur privé à but lucratif, qui n'est pas à la hauteur de nos standards - de nombreux établissements attirent les étudiants par des stratégies marketing trompeuses et détournent les fonds publics consacrés à l'apprentissage. Quelles pistes envisagez-vous pour le faire ?

Enfin, le gel du barème des bourses sur critères sociaux conduirait à faire sortir plusieurs étudiants de ces aides. Quel sera l'arbitrage de Bercy sur ce point ? Envisagez-vous de reprendre la réforme des bourses d'enseignement supérieur entamée par votre prédécesseure ?

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis des crédits de la recherche. - Monsieur le ministre, ayant pris la suite de Laurence Garnier comme rapporteure pour avis de notre commission sur les crédits de la recherche, il me revient l'honneur de vous poser les premières questions sur vos priorités pour ce secteur en 2025.

L'une d'elles me paraît fondamentale : l'amélioration des rémunérations et des carrières des professionnels de la recherche. Il n'y a en effet pas de recherche sans chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs, techniciens, ni personnels administratifs. Or nous n'ignorons pas le déficit d'attractivité dont souffrent ces métiers. Je souscris donc totalement au choix que vous avez fait de préserver la mise en oeuvre du protocole « ressources humaines (RH) » du 12 octobre 2020. La masse salariale de nos opérateurs publics de recherche ne peut servir de variable d'ajustement budgétaire.

Parce que le contexte budgétaire actuel oblige néanmoins à procéder à des arbitrages, vous avez décidé de geler la montée en charge du dispositif des chaires de professeur junior (CPJ). Cette nouvelle voie de recrutement des jeunes chercheurs, qui avait fait couler beaucoup d'encre au moment de l'examen de la LPR, a fini par se faire accepter. Pourriez-vous nous rassurer quant à l'avenir de ce dispositif, que plusieurs opérateurs de recherche m'ont dit vouloir préserver ?

Lors de la présentation de votre feuille de route aux recteurs début octobre, vous avez exprimé votre souhait d'aller vers « un pacte pour la recherche » avec les acteurs socio-économiques. Je me réjouis que vous fassiez de la relation public-privé un axe majeur de votre politique. Comment augmenter la contribution du secteur privé au financement de la recherche ? Comment, dans nos territoires, renforcer les liens entre les acteurs de la recherche et le tissu économique local et créer des synergies entre le monde académique et celui de l'entreprise, notamment en matière de formation ? C'est un travail passionnant et nécessaire qu'il nous faut mener, en concertation avec l'ensemble des parties prenantes. Pourriez-vous nous préciser vos objectifs, votre méthode et votre calendrier ?

Cette problématique public-privé m'amène à vous interroger sur les sociétés d'accélération du transfert de technologies (Satt), qui sont des acteurs essentiels pour la valorisation économique et industrielle des travaux de la recherche publique. Il semblerait que le PLF 2025 réduise leur budget, alors que près de 80 millions d'euros étaient initialement prévus. Pourriez-vous nous rassurer à ce sujet ?

Enfin, le président de l'université Côte d'Azur m'a alertée il y a quelques semaines sur le traitement différencié, préjudiciable aux conditions d'études des étudiants, dont son établissement, pourtant reconnu comme un pôle d'excellence, faisait l'objet en matière de dotation par rapport aux autres universités françaises. Les craintes restent fortes à cet égard. Quels moyens envisagez-vous de mettre en oeuvre pour soutenir cette université ? Une majoration de sa dotation serait-elle envisageable, et ce dès cette année ?

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial sur les crédits de la recherche. - Le budget a été présenté et adopté ce matin en commission des finances. La trajectoire de la LPR sera réalisée à 98 % cette année, ce dont nous nous félicitons. Bravo pour cette réussite, monsieur le ministre !

On annonce un maintien des crédits pour presque tous nos opérateurs, mais des doutes subsistent sur le Centre national d'études spatiales (Cnes). Pourriez-vous clarifier sa situation ?

La LPR est une belle réussite. Laure Darcos, Stéphane Piednoir et moi-même avions participé à la fameuse commission mixte paritaire (CMP) qui a permis de sortir le projet de loi de l'ornière. Au fil de nos rapports, nous plaidions pour une dotation à 1 milliard d'euros de crédits pour l'ANR. Cette somme a été atteinte et même dépassée, et l'ANR affiche un taux de succès de 25 %. On comptabilise 600 millions d'euros de crédits supplémentaires entre 2020 et 2024, soit une augmentation budgétaire de 82 %.

Par ailleurs, en tant que président de la commission des affaires européennes, j'ai des échanges réguliers avec le secrétaire général des affaires européennes (SGAE). La France devrait avoir un taux de retour important sur les crédits européens : près de 2 milliards d'euros, tous ministères confondus, dont 550 millions d'euros pour la recherche. Notre taux de retour pour la recherche est le deuxième en Europe, après celui de l'Allemagne : il est à 11,8 %, alors que notre contribution européenne est à 17 %. Pourquoi ne pas chercher là des crédits supplémentaires ? C'est l'objet de l'amendement que j'ai déposé ce matin. Nous verrons quel sera son chemin.

Nos chercheurs français ont été choyés durant ces quatre dernières années. Il y a lieu de s'en réjouir, mais nous avons une marge de manoeuvre à chercher auprès de l'Union européenne. Monsieur le ministre, j'ai transmis un courrier à vos services sur ce sujet : si nous ne le faisons pas, les Allemands le feront à notre place.

Par ailleurs, nous sommes un peu hors la loi. Dans la LPR, nous avions fait inscrire une clause de revoyure, qui n'a pas été activée. Ce n'est pas faute de l'avoir demandée à votre prédécesseure ! Certes, le renouvellement de l'Assemblée nationale a pris du temps, mais nous n'avons plus d'excuse à présent. Il est plus que temps d'engager cette clause de revoyure, véritable tournant pour la France et pour la recherche selon les conclusions du rapport Draghi.

M. Patrick Hetzel, ministre. - Le budget des établissements est évidemment une question importante. L'information qui circule est que deux tiers des établissements sont en déficit. Je reste très prudent sur ce point. Nous attendons, pour début décembre au plus tard, les conclusions d'un rapport confié aux inspections générales sur le modèle économique des universités. Nous pourrons alors objectiver le niveau de ressources des établissements et leur capacité à mobiliser des ressources propres.

L'observation de la structuration des finances des établissements fait apparaître, à cet égard, des réalités très contrastées. Pour prendre un exemple un peu atypique, les finances de l'université Paris-Dauphine - Paris Sciences & Lettres (PSL) se composent à 50 % de la dotation de l'État et à 50 % de ressources propres. A contrario, plusieurs établissements ont moins de 10 % de ressources propres. La question se pose donc de savoir comment engager une dynamique collective autour de l'enjeu des ressources propres. Il ne s'agit pas de se dédouaner ni de faire en sorte que l'État n'assume pas ses missions, mais d'exploiter le champ des possibles dans ce domaine. Certains financements publics relatifs à l'apprentissage peuvent d'ailleurs parfois compter parmi les ressources propres.

La mise en oeuvre de la LPR a conduit à une hausse des taux de satisfaction associés aux appels à projets : 25 %, contre 10 % au sein de l'ANR. Mais, en raison de ces financements nationaux, nos établissements ont moins sollicité la ressource européenne que nos voisins européens, allemands, italiens et espagnols. On constate donc des marges de progression aussi de ce côté.

Pour ce qui concerne la nouvelle phase d'autonomie des établissements, nous avons un débat avec Bercy. Selon le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, la trésorerie disponible - non fléchée, donc - des établissements d'enseignement supérieur excédant 1 milliard d'euros, il n'est pas nécessaire d'augmenter les dotations. Un travail assez fin est en réalité nécessaire, car il existe des situations très contrastées. Nous étudierons ce point de près. Il ne faut pas superposer un déficit temporaire et une situation de difficulté budgétaire structurelle.

Le financement des Eespig est un sujet important. Plusieurs parlementaires ont soutenu ce dispositif lors de l'examen de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dite loi Fioraso, notamment pour défendre l'idée d'intérêt général. La dotation par étudiant, de 1 200 euros jusqu'en 2012, a baissé à 600 euros entre 2012 et 2017, alors que le nombre d'étudiants a augmenté. Or nous nous retrouvons avec un financement stable de 95 millions d'euros, et une dotation maintenue à 600 euros malgré une nouvelle augmentation du nombre d'étudiants. Idéalement, il faudrait pouvoir augmenter ces montants, ces établissements concourant, comme leur intitulé l'indique, à l'intérêt général.

J'ai été informé de la situation des jurys rectoraux dans les jours qui ont suivi ma nomination. Je regarderai ce point attentivement pour que la situation soit réglée avant l'ouverture de Parcoursup, au minimum pour les Eespig, qui font l'objet d'un contrôle par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres).

Par ailleurs, il faudra effectivement travailler sur la régulation des établissements privés à but lucratif. L'attribution d'un label résout 80 % du problème, mais des questions juridiques restent à régler, une partie d'entre eux n'ayant pas le niveau qualitatif suffisant, ce qui inquiète de nombreuses familles. J'espère que nous arriverons à trouver des points de convergence sur ce sujet.

Pour ce qui est des bourses sur critères sociaux, nous maintenons le cap, pour aider les étudiants. Le système actuel reste lisible, mais il est injuste, en raison des effets de seuil, et complexe dans sa gestion, pour les services comme pour les bénéficiaires. Nous veillerons, comme le prévoyait la réforme envisagée par ma prédécesseure, à ce qu'une plus grande équité soit respectée. Il faudra voir ce qu'il sera possible de faire dans l'équation budgétaire. Plusieurs arbitrages ont été proposés, dont une augmentation de la ligne des bourses étudiantes.

Madame Borchio Fontimp, le développement de l'attractivité est évidemment un enjeu essentiel. Toutefois, je vous invite à regarder les campagnes de recrutement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Vous noterez avec intérêt qu'un tiers des recrutés ne sont pas de nationalité française, signe que notre système dispose encore d'une attractivité pour les chercheurs étrangers souhaitant travailler en France. Les engagements du protocole RH d'octobre 2020 apportent, à cet égard, une consolidation bienvenue.

Concernant le pacte pour la recherche, le raisonnement est très simple : bien qu'un peu plus de 8 milliards d'euros soient consacrés à la recherche dans le programme 172, nous avons un vrai problème de niveau global d'investissement. Un autre levier existe également en France, source potentielle de débats et de divergences de points de vue : la consolidation du crédit d'impôt recherche (CIR), qui représente plus de 7 milliards d'euros. L'idée serait de voir comment le secteur public, qui bénéficie fortement de ce crédit d'impôt, pourrait contribuer à rehausser l'investissement consacré à la recherche, au-delà de 2,2 % du PIB. Des concertations s'engageront à ce sujet au premier semestre 2025. La chambre haute y sera impliquée.

L'année 2025 est une année charnière pour les Satt, qui passeront d'un mode de financement assuré par France 2030 à un mode de financement budgétaire intégrant le programme 172. Près de 45 millions d'euros ont été fléchés pour les Satt dans le PLF 2025 pour assurer une continuité par rapport à France 2030.

Je ne peux répondre précisément pour l'instant à la question relative à la situation de l'université Côte d'Azur, mais je m'engage à la regarder de près avec les services du ministère. D'autres parlementaires m'ont sollicité, car cette question se pose pour de nombreux établissements. De manière générale, la question de l'évolution du modèle d'allocation de moyens se pose. Le Sénat avait effectué des travaux en ce sens ; il faut qu'ils soient opérationnalisés par l'exécutif. Je reviendrai devant vous à ce sujet dans le courant de l'année.

La question de la LPR est évidemment centrale. C'est tout de même une belle réussite, comme vous l'indiquiez, monsieur Rapin. On ne peut que s'en réjouir. La consolidation des budgets de l'ANR et le taux de réussite de 25 % pour les appels à projets sont à saluer. Les chercheurs indiquent que ce taux constitue une épure comparable à celle que l'on trouve dans les pays voisins.

Le cas du Cnes fait débat au sein du Gouvernement. Je ne suis pas le seul ministre décisionnaire sur les questions spatiales, car celles-ci relèvent également du ministère des armées et des anciens combattants et du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous sommes cependant d'accord pour dire qu'il ne faut pas pénaliser notre politique spatiale, en raison des enjeux de souveraineté associés.

Enfin, je vous remercie, monsieur Rapin, d'avoir mis l'accent sur les questions européennes. J'espère que votre propos sera diffusé largement.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Il faudra voter mon amendement...

M. Patrick Hetzel, ministre. - Vous avez par ailleurs insisté sur un point clé, la clause de revoyure. Celle-ci doit évidemment être activée, dans le cadre d'un échange avec le Parlement.

M. Max Brisson. - Vous avez adressé aux chefs d'établissement d'enseignement supérieur une note importante avant le 7 octobre. Au nom des sénatrices et des sénateurs du groupe Les Républicains, je vous signale tout notre soutien à votre position. Contrairement à ce que j'ai pu lire, ce n'est pas vous qui menacez les libertés académiques : ce sont ceux qui, par intimidation, veulent imposer leur dogme aux dépens de ces libertés. Nous serons à vos côtés pour les protéger.

La part cible de la dépense intérieure en recherche et développement s'élève à 2,5 % du PIB, contre plus de 3 % en Allemagne et 3,5 % en Suède. Il y a là un vrai risque de décrochage, sur lequel nous aimerions vous entendre.

La France compte 20 000 brevets, contre 25 000 pour l'Allemagne. Pourriez-vous vous exprimer sur cet écart ?

Je voudrais également évoquer avec vous la formation des professeurs du second degré, qui dépend aussi de votre ministère. Cette formation s'effectue sous le sceau universitaire dans le cadre d'instituts liés aux universités. Quelle est la position du Gouvernement sur le niveau universitaire des concours, les modalités de pré-recrutement des professeurs via des licences dédiées et l'équilibre entre formation académique et formation pratique ?

Annick Billon et moi-même avons rédigé un rapport, publié en juin dernier et passé relativement inaperçu compte tenu des péripéties de l'été, qui contient des recommandations susceptibles de compléter vos réflexions et celles d'Anne Genetet, notamment sur le lien entre le pré-recrutement, la formation initiale et la formation continue. Pourriez-vous nous donner des précisions sur le calendrier de mise en oeuvre de la réforme, nécessaire pour revaloriser le métier de professeur ?

M. Yan Chantrel. - Votre premier acte de ministre a été de vous rendre à l'assemblée générale d'un syndicat minoritaire d'extrême droite, événement qui a suscité un certain émoi chez les enseignants et les étudiants. Je rappelle que vous êtes issu d'un gouvernement élu grâce au front républicain. Ce n'est pas en lui déroulant le tapis rouge qu'on lutte contre l'extrême droite !

Le coût de la vie étudiante a augmenté de 28 % depuis 2017, et la précarité étudiante s'aggrave. Ainsi, 40 % de jeunes ne vivant plus avec leurs parents sont en dessous du seuil de pauvreté. D'après le baromètre de l'Institut français d'opinion publique (Ifop), 36 % des étudiants ont déjà régulièrement sauté un repas par manque d'argent, un étudiant sur cinq a déjà eu recours à l'aide alimentaire, 39 % ont déjà été à découvert, 30 % ne parviennent pas à payer à l'heure les charges liées à leur logement, et 63 % ont déjà renoncé à le chauffer. Il est urgent de répondre à cette précarité, via les aides directes à la vie étudiante.

Les effets de la première étape de la réforme des bourses sur critères sociaux sont-ils connus et chiffrés ? On nous avait annoncé 35 000 étudiants boursiers supplémentaires et 140 000 étudiants passant à l'échelon supérieur. Où en est-on en réalité ?

Par ailleurs, le budget du programme 231 est en baisse de 77 millions d'euros. Les aides directes sont les principales victimes des coupes budgétaires prévues. Nous pouvons donc nous inquiéter de la deuxième étape de la réforme des bourses, prévue initialement en septembre 2024. Où en est-on ? La réforme paramétrique issue du rapport Jolion est-elle toujours d'actualité ?

Depuis trente ans, le nombre d'étudiants suivant un cursus dans l'enseignement supérieur privé a triplé. L'essor du privé est dû à la paupérisation de nos universités, qui n'ont pas eu les moyens d'accueillir un nombre croissant d'étudiants depuis 2010. Or l'attractivité du secteur privé à but lucratif repose souvent sur des abus et des pratiques commerciales trompeuses. Un récent rapport de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en témoigne, tout comme celui de la médiatrice de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, qui fait état de 653 saisines concernant le privé à but lucratif, soit une hausse de 40 %.

Devant le grand flou entourant ces formations, votre prédécesseure avait annoncé la mise en place d'un label visant à réguler la formation supérieure privée à but lucratif. Reprendrez-vous ce projet, laissé en suspens à cause de la dissolution ? N'est-il pas temps d'exiger que soient rendues publiques les données concernant les performances de ces établissements en matière d'insertion professionnelle, dont ils font souvent un argument de vente sans aucune preuve ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Je salue la mise en oeuvre de la loi du 13 avril 2023 sur l'accès à une offre de restauration à tarif modéré pour tous les étudiants. Le PLF 2025 traduit une réelle ambition en la matière, en portant l'enveloppe globale à 38 millions d'euros. La contractualisation avec des partenaires pour offrir des repas équilibrés à un tarif social sera ainsi renforcée, et une aide financière individuelle pourra être proposée aux étudiants ne pouvant accéder directement à cette offre, notamment ceux qui sont situés en zone blanche. Je vous en remercie.

Le passage de 8 à 12 séances gratuites au sein du dispositif Santé psy étudiant intervient dans un contexte alarmant. Une étude récente de l'université de Bordeaux révèle que 41 % des étudiants présentaient des symptômes dépressifs en 2023, contre 26 % avant la crise sanitaire. La proportion de jeunes de 18 à 24 ans ayant des idées suicidaires est passée de 21 % à 29 % sur la même période. Le Premier ministre a d'ailleurs souhaité faire de la santé mentale la grande cause nationale pour 2025, soulignant l'urgence d'agir.

L'augmentation du nombre de séances s'appuie-t-elle sur une évaluation précise du dispositif ? Les services de santé étudiante ont-ils fait remonter des besoins spécifiques justifiant ce renforcement ? Disposons-nous des moyens humains nécessaires pour l'absorber ? Plus de 70 000 étudiants ont déjà bénéficié du dispositif. Un chef de service psychiatrique parisien a dit qu'il fallait mobiliser beaucoup de moyens pour éviter une génération sacrifiée.

Quelles mesures complémentaires sont envisagées pour répondre aux causes profondes de cette détresse, notamment les difficultés économiques et l'anxiété face à l'avenir, citées par les étudiants comme facteurs majeurs de leur mal-être ?

M. Pierre Ouzoulias. - Dans une Europe déclassée, où le nombre de diplômés de l'enseignement supérieur diminue, comme le montre le rapport Draghi, la France est elle-même en déclassement. Or il nous faut des ingénieurs pour réindustrialiser le pays. Le Royaume-Uni, dont la situation budgétaire est comparable à la nôtre, vient de voter un budget de 24 milliards d'euros pour la seule recherche en 2025. Un investissement massif dans la recherche lui semble la seule voie à suivre. La France est en perte de vitesse par rapport à ses concurrents britanniques et allemands. Stabiliser le budget ne suffira pas pour combler ce retard.

J'ai compris qu'il serait difficile d'ouvrir plus de carrières dans le budget 2025. Cependant, vous pouvez, monsieur le ministre, trouver des solutions pour accroître le temps consacré à la recherche par les chercheurs. Ces derniers meurent des contraintes bureaucratiques ! Les universités qui réussissent à obtenir des crédits européens ont mis en place des structures administratives. De fait, on ne peut demander aux chercheurs de monter des dossiers de demande de subventions européennes, car il s'agit de démarches très lourdes.

Le chapitre de la simplification des évaluations est également fondamental. Les chercheurs sont surévalués, et passent un temps considérable à évaluer leurs collègues. Or une partie des dossiers d'évaluation est rédigée et parfois même évaluée par l'intelligence artificielle ! Il faut rationaliser tout cela. En outre, nombre d'activités de la recherche sont évaluées plusieurs fois : par l'ANR, le CNRS, etc. Les chercheurs n'en peuvent plus. Pour paraphraser Georges Pompidou, je dirais qu'il faut arrêter d'embêter les chercheurs.

Pour ce qui concerne la science ouverte et la politique des publications « diamant », le coût des abonnements pour la recherche française a augmenté de 48 % entre 2018 et 2020, soit un montant de 120 millions d'euros destiné à des revues détenues par quatre grands groupes européens. On observe également une explosion des données de publication. Or un tiers des articles publiés ne seront probablement jamais lus. Il faut mettre un terme à cet emballement, et passer d'une évaluation quantitative à une évaluation qualitative.

Mme Laure Darcos. - Je m'inquiète de voir que la réalisation de la LPR continue à prendre du retard.

Monsieur le ministre, je vous remercie de ce que vous avez dit sur le pacte pour la recherche et la continuité du financement des Satt. En revanche, il serait préférable d'orienter le CIR vers les entreprises les plus fragiles. En effet, nombre de grandes entreprises privées qui en bénéficient investissent à l'étranger.

Quelle est votre vision concernant les agences de moyens, qui, selon le Président de la République, se substitueraient aux organismes ? Ce changement adviendra-t-il vraiment et, le cas échéant, selon quel calendrier ?

Pierre Ouzoulias et moi avons rédigé un rapport sur la science ouverte et la lutte contre la désinformation scientifique. Face à la masse de fausses informations diffusées par des revues prédatrices, quelle action budgétaire le Gouvernement pourrait-il engager pour protéger notre recherche et garantir aux citoyens une information scientifique fiable ? Comment compte-t-il collaborer avec les éditeurs de confiance pour renforcer la crédibilité de notre production scientifique à l'ère de l'intelligence artificielle et du risque de désinformation associé ?

M. Bernard Fialaire. - Le doyen de l'une des facultés de médecine de Lyon a observé que l'interdiction de redoubler la première année de médecine excluait de la réussite toute une partie d'étudiants issus d'une population privée d'un environnement favorable. Il faut analyser ce point. On ne peut continuer à entretenir une telle injustice sociale.

Je ne parle même pas des officines d'accompagnement destinées aux étudiants en médecine, dont le chiffre d'affaires a été estimé à 2 millions d'euros à Lyon, soit une forme de privatisation de l'enseignement public pour pouvoir réussir. Des fonds d'investissement veulent même s'impliquer dans ces formations !

La contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) demeure mal connue des étudiants, en raison de nombreux freins sociaux et culturels, alors qu'elle est faite pour améliorer leur bien-être. Les informations à ce sujet sont insuffisantes. Il faudrait y remédier.

Enfin, la recherche représentait 2,2 % du PIB auparavant - nous visions même 3 %. Votre prédécesseure nous a dit que, si les fonds publics étaient presque à la hauteur des attentes, les fonds privés manquaient. Or les entreprises américaines, bien plus compétitives que les nôtres, consacrent deux fois plus de financements à la recherche et distribuent deux fois moins de dividendes à leurs actionnaires. Quelle société voulons-nous : une société tournée vers l'avenir, la recherche et la réussite, ou une société de rentiers déclinante ?

Mme Mathilde Ollivier. - Avec un budget en baisse de 553 millions d'euros par rapport à la LFI 2024, le respect de la trajectoire de la LPR est compromis, en contradiction avec la déclaration du Président de la République du 7 décembre 2023 sur la relance de la dynamique de financement de la recherche. Sylvie Retailleau avait parlé, en son temps, d'un budget irréaliste, voire dangereux. Qu'en pensez-vous ?

En outre, ce budget enterre l'ambition d'une réforme structurelle des aides sociales aux étudiants que la ministre avait annoncée à la rentrée 2023. Pour votre part, vous n'envisagez pas de revalorisation des montants des bourses ni des barèmes de calcul malgré l'inflation. Cela risque d'aggraver la crise sociale. Un étudiant sur deux affirme avoir déjà sauté un repas par manque d'argent, et cette proportion augmente à deux sur trois dans certains territoires ultramarins. Le système de bourses est insuffisant. L'échelon maximum ne dépasse pas 56 % du seuil de pauvreté, soit des montants trop faibles pour éradiquer la pauvreté étudiante, et seuls 37,7 % des étudiants sont couverts par le système.

Comment comptez-vous tenir l'objectif de création de 35 000 logements sociaux étudiants d'ici à 2027, annoncée fin 2023, sans aucun crédit supplémentaire ?

Enfin, lors de la visite de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport au Bénin et en Côte d'Ivoire, nous avons pu rencontrer les représentants de Campus France, qui nous ont signalé que des écoles privées opportunistes venaient souvent chercher des étudiants étrangers qui connaissent mal notre système universitaire et paient parfois des frais de scolarité avant même d'arriver en France, ce qui nuit à l'attractivité de notre système universitaire et à notre crédibilité à l'étranger.

M. David Ros. - Je tenais tout d'abord à vous féliciter pour votre nomination, monsieur le ministre. L'enseignement supérieur est un secteur que vous connaissez bien, tant professionnellement que politiquement. Je ne doute pas que, comme votre prédécesseure, vous saurez nous associer aux orientations qui seront décidées. L'enseignement supérieur et la jeunesse, qui représente l'avenir de notre pays, nécessitent une politique transpartisane.

Je me réjouis du budget de 26,8 milliards d'euros alloué à la Mires. Il est en légère augmentation par rapport à l'année précédente.

Toutefois, si l'on additionne le coût non compensé des mesures Guerini et celui de l'énergie, mais aussi le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » et l'inflation, ce sont 500 millions d'euros qui seront retirés au budget pour 2025. En outre, la LPR n'atteindra que le tiers des objectifs initialement fixés.

L'année dernière, votre prédécesseure demandait aux organismes de recherche et aux universités de fournir un effort. Cette année, c'est un effort collectif qui est exigé pour faire face à la situation financière. En conséquence, les organismes de recherche et les universités présenteront des budgets déficitaires.

C'est davantage un bras de fer qu'un débat qui s'engage avec Bercy, lequel fixe lui-même les règles sur les fonds de roulement. Un certain nombre de mesures en soutien d'opérations de recherche et d'entretien du patrimoine sont d'ailleurs gagées.

Ajoutons à cela les 30 000 étudiants supplémentaires qui seront inscrits cette année dans l'enseignement supérieur public.

Je partage votre vision sur les trois chantiers que vous avez évoqués, à savoir l'acte II de l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur, le pacte pour la recherche, et l'attractivité de la recherche. Comme vous êtes un spécialiste des questions de gestion, pouvez-vous nous indiquer les moyens qui seront mis au service de cette ambition ?

Confirmez-vous les coups de rabot qui seront effectués en 2025 sur le budget, une fois qu'il sera voté ?

Par ailleurs, quelles mesures peuvent être mises en place pour rénover le patrimoine vieillissant ?

Derrière la question de l'attractivité se pose celle du recrutement. Les universités ayant des problèmes financiers, elles ont davantage recours aux vacataires. Quel regard portez-vous sur la possibilité d'y recourir à l'avenir ?

La valorisation des doctorats dans le secteur public et leur reconnaissance dans le secteur privé est un sujet tout aussi essentiel.

Vous avez parlé de la place de l'ANR dans le cadre du plan France 2030. Quelle est votre vision sur les axes prioritaires de recherche ?

On met dix ans à reconstruire ce qui a été construit en un an. Ainsi, ne conviendrait-il pas de renverser la table en ajoutant, en faveur de technologies de rupture qui assureront les recettes de demain, quelques milliards d'euros à la dette déjà constituée ? Ce message est une « douceur » pour les oreilles des fonctionnaires de Bercy...

M. Jean Hingray. - Je serai un peu plus sage que mon collègue Ros sur la question des dépenses...

Je vous félicite, monsieur le ministre, pour ce budget sérieux, d'autant qu'il conserve un certain équilibre.

Vous avez dénoncé la convergence entre le militantisme révolutionnaire de l'extrême gauche et l'islamisme à la suite d'un blocage de Sciences Po Paris. Vous avez également réclamé, cette année, la création d'une commission d'enquête relative à l'entrisme idéologique et aux dérives islamo-gauchistes dans l'enseignement supérieur. Comptez-vous de nouveau solliciter sa mise en place, maintenant que vous êtes devenu ministre ?

Autant la présence d'un ministre de gauche à une réunion de l'Union nationale des étudiants de France (Unef) est considérée comme normale, autant celle d'un ministre de droite à une réunion de l'UNI suscite l'indignation, crée la polémique et rappelle les heures les plus sombres de notre histoire - j'espère que vous ne vous vexerez pas de cette boutade, monsieur le ministre ; elle est une manière de rappeler les outrances de Donald Trump, réélu hier président des États-Unis.

Sylvie Retailleau avait porté les budgets alloués à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles à plus de 3,5 millions d'euros. Comptez-vous les maintenir ?

Enfin, quelles actions comptez-vous prendre concernant Parcoursup ?

Mme Monique de Marco. - Dans une récente note, l'association Nos Services Publics estime que le nombre de vacataires représenterait deux tiers de l'effectif total d'enseignants à l'université.

En licence, certains cours magistraux seraient assurés par des vacataires, leur coût de recrutement étant cinq fois moins élevé que celui des titulaires. Le recours aux vacataires permet notamment aux universités de ne pas prendre en compte l'ancienneté.

Sur le terrain, beaucoup constatent que l'article de la LPR imposant la mensualisation de la rémunération des vacataires n'est pas respecté. Ils sont ainsi des milliers à patienter entre trois et six mois, voire un an pour être payés.

Avez-vous connaissance de ces dysfonctionnements majeurs dans l'exécution de la loi de finances ? L'État s'est-il donné les moyens et les instruments financiers pour aider les universités à respecter leurs obligations de mensualisation ?

Par ailleurs, je souhaite aborder la question de la contribution de vie étudiante et de campus. Le décret du 8 juillet 2024 a aligné le montant versé aux établissements d'enseignement supérieur, tant publics que privés, à hauteur de 46 euros. Précédemment, la répartition de la contribution s'opérait en faveur des établissements publics à hauteur de 41 euros, contre 20 euros pour les établissements privés. Comment justifiez-vous cette augmentation déguisée du financement de l'enseignement supérieur privé ?

M. Adel Ziane. - Les défis qui vous attendent sont énormes, monsieur le ministre : en 2024, 60 % des soixante-quinze universités françaises présentent un budget déficitaire, contre seulement quinze en 2022.

La situation budgétaire et structurelle des établissements se dégrade très rapidement. Les présidents d'université que j'ai rencontrés dans mon département de la Seine-Saint-Denis m'ont fait part de leurs inquiétudes quant à la soutenabilité de leur budget, vu l'explosion des coûts énergétiques, l'insuffisance des revalorisations salariales, la non-compensation des mesures Guerini et la pression exercée sur les fonds de roulement.

Ces derniers sont d'ailleurs, la plupart du temps, fléchés : on les encourage et on les épuise. Cette solution n'est pas durable, surtout que ces fonds sont essentiels pour des projets structurants tels que la rénovation énergétique ou l'amélioration des infrastructures pédagogiques.

La LPR est-elle bien soutenable à l'horizon 2030 à hauteur de 3 % du budget de l'État, dont 1 % est lié au service public ?

Je souhaite aussi vous interroger sur la préservation de la liberté académique. Le désengagement financier de l'État contraint souvent les universités à nouer des partenariats privés, parfois à des conditions inquiétantes. J'en donnerai un exemple très concret : l'École des mines de Nancy a conclu un contrat de mécénat avec TotalEnergies imposant une clause de non-dénigrement qui vient limiter la liberté académique des chercheurs. Dans certains cas, l'entreprise est impliquée dans le choix des doctorants et des intervenants. De telles pratiques mettent en péril l'indépendance de nos établissements. Êtes-vous favorable à une mesure rendant obligatoire la publicité de ces contrats ? Cela permettrait de garantir la liberté économique et le contrôle démocratique sur les orientations de l'enseignement supérieur.

Je vous sais gré d'avoir évoqué l'importance d'assurer le rayonnement de la France à l'international et de créer des passerelles entre les universités étrangères et nos établissements.

Sur mon initiative, plusieurs de mes collègues socialistes ont signé un courrier à l'intention du ministre de l'intérieur afin de l'alerter sur la difficulté pour les étudiants étrangers d'obtenir le renouvellement de leur titre de séjour. Le problème ne réside pas seulement dans le traitement des dossiers : le système informatique pour les prises de rendez-vous est aussi défaillant. En conséquence, des enseignants-chercheurs et des étudiants étrangers se retrouvent en situation irrégulière.

Mme Karine Daniel. - Les seules variables du CAS « Pensions » et les mesures « Guerini » entraînent pour l'université de Nantes un delta de 4 millions d'euros.

Les déficits conjoncturels s'ajoutent aux déficits structurels. Ils se creusent d'année en année, ce qui a pour effet de mettre les universités en grande difficulté. Celles-ci se voient contraintes d'opérer des choix difficiles, tels que la fermeture d'antennes dans les villes moyennes ou la réduction du nombre de personnels.

Les universités ont déjà fourni des efforts, notamment via leurs fondations. Elles ont multiplié les appels à projets, mais cela nécessite des forces et des ressources de la part des enseignants-chercheurs, qui ne sont plus mobilisés sur leurs propres projets de recherche. Répondre à davantage d'appels à projets est sans doute louable, mais cela ne saurait compenser les engagements qui permettraient de réaliser des investissements structurels.

Les tensions qui sont survenues à l'université de Nantes lors des élections étudiantes ont été suivies de sanctions disciplinaires et de poursuites judiciaires. Dans ce contexte, nous aurions tout intérêt à chercher l'apaisement et à fluidifier les relations au sein des établissements plutôt qu'à mettre en oeuvre des dispositifs de sécurité.

Mme Colombe Brossel. - Je me permets de vous poser une question d'actualité qui n'est pas d'ordre budgétaire. Nous avons appris par la presse que Victor Dupont, doctorant à l'université d'Aix-Marseille, était détenu depuis le 19 octobre en Tunisie, où il s'était rendu pour mener ses recherches. Il a été arrêté sur ordre de la justice militaire et traduit devant un tribunal. L'information avait manifestement été gardée confidentielle par l'ensemble des services ; c'est seulement le week-end dernier que des révélations ont été faites.

Cette détention est un cas de violation des libertés académiques, et même des libertés tout court. Quelle est l'action menée par la France pour obtenir la libération de Victor Dupont ? Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation y est-il associé ?

Mme Sonia de La Provôté. - La réforme de l'accès aux études de santé manque d'un véritable pilotage de la part du ministère. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

Vous augmentez l'autonomie, ce qui peut s'entendre en matière de gestion. Il n'empêche qu'il faut séparer la gestion de l'établissement lui-même de celle de l'enseignement, qui, pour une grande part, relève de la responsabilité nationale et de votre ministère.

Les deux missions flash que la commission de la culture a menées sur la réforme de l'accès aux études de santé n'ont été qu'un pavé dans la mare. À grands coups d'arrêts du Conseil d'État et de rapports, les choses ont un peu bougé, mais cela ne suffit pas. Il y a un problème général de relations entre l'autonomie et le pilotage des politiques publiques.

Par ailleurs, un travail avait été entamé sur les officines d'enseignement supérieur privées délivrant des diplômes invérifiables et non reconnus par l'État. Le ministère du travail et de l'emploi avait pris des mesures de labellisation : qu'en est-il advenu ?

Les officines privées échappent à Parcoursup et peuvent parfois fermer leurs portes, laissant ainsi sans diplôme les étudiants qui y ont suivi plusieurs années de formation. Ce phénomène prend des proportions considérables dans notre pays : il est temps de mettre de l'ordre dans la boutique.

Dans ce contexte, nous avons proposé à une école privée de prendre en charge la formation vétérinaire. Allez-vous poursuivre cette voie pour d'autres diplômes, notamment dans le cadre de la formation médicale ? Ce sujet concerne-t-il vraiment votre ministère ?

M. Patrick Hetzel, ministre. - M. Brisson évoquait le risque de décrochage en France, compte tenu de la part de PIB consacrée à la recherche, dont le niveau est inférieur à la moyenne européenne. Cela fait plusieurs années que nous nous fixons pour objectif d'affecter 2,5 %, voire 3 % du PIB à la recherche. Force est de constater que nous n'y sommes pas. Les évolutions en la matière ne peuvent intervenir qu'à la condition que le Gouvernement et le Parlement mènent un travail collectif. Il s'agit de créer des dispositifs permettant de développer des effets de levier.

Comment expliquer notre écart avec l'Allemagne concernant le développement des brevets ? Ce décalage est lié à la structuration même de l'économie allemande, où l'industrie demeure supérieure. Le secteur privé est très actif en matière de dépôt de brevets, en relation avec les organismes publics de recherche tels que le Fraunhofer-Gesellschaft. En France, la situation est assez difficile. Comme notre structure économique est différente, développer des brevets prend du temps. Il faudrait, en outre, engager des processus de réindustrialisation.

Pour autant, tout n'est pas négatif. Des opportunités vont apparaître, notamment avec la révolution de l'intelligence artificielle. Dans ce domaine, la France ne doit surtout pas renoncer à son niveau d'investissements.

En amont de la constitution du Gouvernement, j'avais insisté auprès du Premier ministre pour rattacher l'intelligence artificielle au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, alors qu'elle relevait jusqu'à présent de Bercy. L'idée est de remonter la chaîne, pour assurer que la recherche fondamentale sur le développement de l'intelligence artificielle soit la plus intense possible.

J'en viens à la formation des professeurs, en particulier ceux du second degré. Un travail a été engagé sur ce sujet par les directions générales du ministère de l'éducation nationale et du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Le Sénat a aussi produit un rapport. Pour l'heure, aucun arbitrage n'a été fait. Il reste à régler un certain nombre de questions, en particulier s'agissant du concours et du statut.

Monsieur Chantrel, sans susciter de polémiques, je vous rappellerai que c'est en vertu de la loi d'orientation sur l'éducation, dite loi Jospin, que quatre organisations étudiantes sont considérées comme représentatives. L'UNI en fait partie ! J'ai tenu à recevoir toutes les organisations, sans exclusion. Qu'auriez-vous dit si j'avais ostracisé certaines d'entre elles ? Devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), j'avais annoncé que le dialogue devait être tenu avec l'ensemble des organisations. Le ministre n'a pas vocation à sélectionner ses interlocuteurs. En bon socialiste, vous ne pouvez pas dénigrer un texte aussi honorable que la loi Jospin, qui définit des règles !

J'en viens à la question des aides aux étudiants. Aujourd'hui, 690 000 boursiers sur critères sociaux sont comptabilisés par le ministère ; 150 000 d'entre eux bénéficient d'un accompagnement renforcé. L'enveloppe d'aide afférente s'élève à 144 millions d'euros pour 2025. Elle doit permettre à 30 000 étudiants de suivre la formation de leur choix, dans le cadre d'une mobilité en licence, en master ou à l'étranger. Il s'agit aussi de reconnaître les efforts et la réussite de 50 000 étudiants boursiers ayant obtenu la mention très bien au baccalauréat. Ce sont tout de même 40 % des étudiants qui, d'une manière ou d'une autre, bénéficient d'une bourse à différents niveaux.

En outre, les repas à 1 euro ont été mis en place, de même que des aides ciblées pour les étudiants les plus fragiles. Encore une fois, il s'agit de concrétiser la promesse républicaine d'égalité des chances.

Vous êtes plusieurs à avoir mentionné l'enseignement privé lucratif, à juste titre. Je n'ai rien contre le secteur privé ; ce n'est pas le sujet. Toutefois, je suis conscient qu'il existe des dérives, faute de régulation suffisante. Pour l'heure, nous travaillons encore à affiner le dispositif de labellisation, mais cela ne suffira pas.

Je le dis en toute transparence, nous ne disposons pas de l'outil juridique permettant d'exclure de Parcoursup un certain nombre de formations qui, selon nous, ne sont pas de bonne qualité. C'est bien la conjugaison entre la liberté d'entreprendre et la liberté d'enseignement qui nous contraint à les maintenir. Ce problème doit être traité de manière plus approfondie. Sachez que la direction des affaires juridiques du ministère y travaille.

Je le disais, la question de la régulation peut rassembler. Je suis plutôt libéral, mais je pense que l'État doit ici jouer son rôle de régulateur, notamment via le financement de l'apprentissage.

Autre sujet : il conviendrait de renforcer le programme Santé psy étudiant, vu la demande qui est formulée sur le terrain, notamment de la part des oeuvres universitaires. Je serai attentif à vos propositions sur ce sujet.

Le sénateur Ouzoulias a posé la question du temps consacré à la recherche. Je le dis sans tabou, il existe aujourd'hui des contraintes bureaucratiques importantes. Maintenant, il faut que nous puissions agir. Je peux commencer par donner des indications à l'ANR pour qu'il y ait moins de lourdeurs. Toutefois, cet opérateur de l'État dispose d'une certaine autonomie.

Conformément aux souhaits du Hcéres, l'évaluation doit être moins tatillonne qu'elle ne l'est aujourd'hui. En effet, nous sommes en train de dévier de l'objectif initial, qui consistait à faire évoluer le système.

Le coût des abonnements pour la recherche française évolue de manière considérable. C'est un point auquel nous sommes particulièrement attentifs.

Nous devons aussi nous poser la question de la simplification. La sénatrice Darcos a raison : il y a un risque de retard important en la matière.

Les agences de moyens - ou agences de programmes - ont été créées pour répondre aux grandes transitions qui s'imposent dans les domaines de l'écologie, de l'énergie, du numérique et de la santé. Sur une thématique donnée, ces agences ont pour mission de coordonner l'action des différents acteurs impliqués, mais aussi de conduire un travail prospectif. L'année 2024 a permis de tester le fonctionnement de ce nouveau dispositif. J'ai demandé qu'un premier bilan soit dressé au début de l'année 2025. Encore une fois, je serai à l'écoute de vos avis - l'éclairage apporté par la chambre haute est toujours précieux.

J'appelle votre attention sur un point particulier : les agences de programmes dont sont chargés les organismes de recherches risquent de considérer qu'elles ont le monopole sur le programme. Or ce n'est pas l'état d'esprit du dispositif que nous souhaitons mettre en oeuvre.

En matière de santé, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) est tout à fait fondé à intervenir, mais ce n'est pas pour autant que le CNRS doit être écarté. Les universités, elles aussi, doivent être impliquées, de même que l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), avec sa division scientifique vivante. Bref, veillons à ce que les agences de programmes assurent une meilleure coordination, sans exclure les acteurs ou se substituer à eux.

Parlons maintenant de la lutte contre la désinformation scientifique. Nous recevons de plus en plus d'alertes, car de nombreux acteurs, y compris étatiques, interviennent dans les processus de désinformation visant les pays occidentaux. Mes prédécesseurs avaient commencé à travailler sur ce sujet, notamment en lien avec les organismes de recherche. Je vous renvoie aux conclusions de l'Inserm, entre autres.

Je profite de la présence de M. Piednoir, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), pour vous indiquer qu'un important travail parlementaire est effectué pour sensibiliser le public à la rigueur et à la culture scientifiques. Les désinformations se propagent très rapidement et, lorsque des experts plus ou moins autorisés s'expriment, il peut être difficile de démêler le vrai du faux.

La formation dans le secteur médical, évoquée par M. Fialaire, est un enjeu majeur. La semaine dernière, j'ai rencontré les membres de la Conférence des doyens de médecine, et j'échangerai bientôt avec la Conférence des doyens de pharmacie. Il est nécessaire de remettre l'ouvrage sur le métier, afin d'assurer le plus possible la lisibilité du dispositif de formation.

En lien avec le ministère de la santé et de la prévention, nous devons engager un travail sur la montée en compétences de l'ensemble des professionnels du secteur de la santé. Le développement des masters pour les infirmiers en pratique avancée (IPA) ne résoudra pas tout, mais il permettra de soulager les médecins, dont la formation s'étale sur dix ans. Il convient également de structurer les passerelles : certains infirmiers doivent pouvoir rejoindre les cursus de médecine, comme c'est le cas dans d'autres pays. C'est un enjeu de justice sociale, d'équité et de mérite républicain.

La CVEC permet de dynamiser la vie étudiante. Reste à la faire connaître.

Pour ce qui concerne le rapport entre les dividendes distribués par les entreprises et les investissements réalisés en matière de recherche, beaucoup de choses vertueuses sont à valoriser.

Madame Ollivier, si je n'ai pas utilisé les mêmes mots que ma prédécesseure concernant les enjeux financiers, c'est parce que le Gouvernement, à l'époque, n'avait pas les mêmes contraintes budgétaires. Aujourd'hui, l'objectif de limiter le déficit public à 5 % du PIB nous oblige à tirer un certain nombre de conséquences. Je serais heureux de bénéficier d'un budget encore plus significatif, mais nous devons collectivement maîtriser les finances publiques dans ce moment si particulier. Comment, dans ces conditions, maintenir un rythme de croissance ?

Non, nous ne sommes pas en train d'enterrer la réforme des bourses sur critères sociaux. Il s'agit plutôt d'examiner la façon dont nous pouvons en conserver les principes, dans la mesure des éléments dont nous disposons. Du reste, je ne reviens pas sur le diagnostic qui a été posé.

En matière de logement étudiant, Valérie Létard et moi-même avons commencé à mener un travail sur la conversion de l'immobilier de bureaux. Nous examinons toutes les pistes, dans l'espoir d'atteindre les objectifs fixés.

Les alertes sur les écoles privées qui abandonnent les étudiants étrangers en cours de route sont parfaitement légitimes. Il est nécessaire de renforcer l'information locale. À cette fin, on m'a demandé, en liaison avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de relayer, dans les postes diplomatiques, les informations dont nous disposons. Nous avons, par ailleurs, développé des partenariats entre universités françaises et étrangères afin d'éviter une mauvaise connaissance de la situation.

Sachez que nous avons fléché 1,2 milliard d'euros en faveur de la rénovation du patrimoine. Il faudrait plutôt 7 milliards d'euros, mais nous inscrivons notre action dans une démarche pluriannuelle, en tenant compte des futurs appels à projets. Si les chantiers n'avancent pas, cela n'arrangera pas les collectivités territoriales.

La question sur l'emploi d'enseignants vacataires est essentielle. Selon la doctrine établie, les vacations doivent permettre aux établissements d'enseignement supérieur de faire appel à des professionnels et des experts destinés à apporter des éclairages complémentaires dans le cadre des formations. Il peut s'agit de professeurs agrégés (Prag), de professeurs certifiés (PRCE), ou de personnes titulaires d'un doctorat.

La loi doit être appliquée dans son intégralité. Si vous avez identifié des lieux où les paiements ne sont pas encore mensualisés, je vous invite à prendre attache avec ma conseillère parlementaire, madame de Marco.

Nous sommes le 6 novembre, journée nationale du doctorat. Il reste encore beaucoup à faire pour valoriser ce diplôme en France, surtout par rapport à l'Allemagne.

Il est vrai, monsieur Hingray, que Michèle Tabarot et moi-même avions souhaité la création d'une commission d'enquête relative à l'entrisme idéologique et aux dérives islamo-gauchistes dans l'enseignement supérieur. Entretemps, je suis devenu ministre, et c'est bien au Parlement que revient cette décision aujourd'hui. Une chose est sûre, il faut développer davantage le réseau des référents racisme et antisémitisme de l'enseignement supérieur et de la recherche. La liberté d'expression et la liberté académique sont totales, mais nous veillerons, de façon intransigeante, à ce que la loi de la République soit respectée. Nous n'admettrons ni atteinte aux personnes ni dégradation de biens - voilà la ligne rouge de notre action.

Soyez rassurés, le budget alloué à la lutte contre les violences faites aux femmes sera maintenu. Sur ce sujet prioritaire, il ne saurait y avoir de tergiversations.

Du reste, nous partons du principe que la CVEC est la même dans les établissements reconnus, mais cela peut faire l'objet d'un débat. Quoi qu'il en soit, je ne reviens pas sur les éléments qui ont été mis en place.

La question de la soutenabilité se pose dans certains établissements, étant donné la pression exercée sur les fonds de roulement. Sur les 2,5 milliards d'euros de fonds de roulement global des établissements, 1,5 milliard est fléché et 1 milliard est disponible. Il faut examiner la situation des établissements au cas par cas.

Aujourd'hui, les fonds propres ont tendance à varier, entre 5 % au minimum et 50 % au maximum, la moyenne s'établissant à 20 %. Les leviers dont nous disposons, qu'il s'agisse du plan France 2030, des fonds européens, des fondations ou des fonds de coopération, permettent de faire un certain nombre de choses.

Le sénateur Ziane évoquait le sujet sensible du partenariat entre les établissements d'enseignement supérieur et le secteur privé. En droit des affaires, il existe des contrats qui sont parfois soumis à une obligation de confidentialité. Une mesure de publicité se révèle donc difficile. En ce domaine, il est délicat de laisser cours à l'autonomie stratégique et d'imposer en même temps une doctrine unique. Les établissements sont libres de débattre, en interne, des contrats qui doivent être acceptés ou non. C'est un sujet sensible, surtout que nous devons être vigilants au rayonnement de la France.

Madame Daniel, j'entends votre observation concernant l'université de Nantes. Nous demandons parfois aux établissements d'opérer certains choix. Tout établissement public le fait en fonction d'un contexte budgétaire donné. Toutefois, les engagements pour le financement de la masse salariale sont largement assurés. L'objectif est de maintenir le protocole d'accord de 2020 pour apaiser la situation et ne pas créer de tensions auprès des personnels.

Madame Brossel, la situation particulière que vous avez évoquée est clairement identifiée par mon ministère comme par le ministère des affaires étrangères et les plus hautes instances de l'État. Nous essayons de faire le maximum pour que cette situation difficile se résolve de manière satisfaisante. L'organisme de recherche qui est l'employeur du doctorant Victor Dupont a manifesté un soutien total, comme l'ensemble du corps consulaire présent en Tunisie. Nous sommes en contact avec eux. Nous avons aussi contacté les parents de l'intéressé, qui ont pu voir leur fils sur place. Les autorités consulaires ont pu également le rencontrer, après quelques difficultés. Nous faisons donc le maximum pour traiter cette situation.

Je ne souhaite pas en dire davantage à ce stade, pour éviter que la médiatisation de son cas ne desserve notre concitoyen. Cependant, j'ai aussi conscience de l'émoi de toute la collectivité des chercheurs. À l'occasion du voyage du Président de la République au Maroc, auquel j'ai participé, j'ai rencontré plusieurs collègues de Victor Dupont, qui m'ont fait part de leur inquiétude. Cette situation soulève la question de la possibilité, pour nos chercheurs, de mener sereinement des travaux de recherche. Elle est pleinement prise en considération par tous les services de l'État. J'espère, comme tout le monde dans cette salle, que l'issue en sera heureuse.

Madame de La Provôté, la question de savoir quelle part réserver à l'autonomie et quelle autre au pilotage national de l'enseignement est fondamentale. Quelles lignes directrices pouvons-nous fixer au niveau national, et quelles parties doivent relever de l'autonomie locale ? La question se pose pour l'ensemble de l'enseignement supérieur. Je demanderai à la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip) de s'intéresser à votre rapport.

Merci, monsieur le président, de m'avoir permis de répondre à l'ensemble des questions qui m'avaient été posées.

M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur le ministre, de vos réponses très précises.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 45.