- Mardi 29 octobre 2024
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition des Ordres des professions de santé
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à poursuivre l'expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d'employabilité - Examen du rapport et du texte de la commission
- Programme de contrôle de l'année 2025 - Communication
- Mercredi 30
octobre 2024
- Proposition de loi visant à améliorer le repérage et l'accompagnement des personnes présentant des troubles du neuro-développement et à favoriser le répit des proches aidants - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission (deuxième lecture)
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de Mme Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam)
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de MM. Jean-René Lecerf, président, et Maëlig Le Bayon, directeur, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA)
- Proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie - Examen des amendements au texte de la commission
- Jeudi 31 octobre 2024
- Mission d'information sur le contrôle de l'application de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées - Désignation de rapporteurs
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam)
Mardi 29 octobre 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 14h40.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition des Ordres des professions de santé
M. Philippe Mouiller, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous recevons conjointement des représentants des sept Ordres des professions de santé.
Nous avons le plaisir d'accueillir : pour le Conseil national de l'Ordre des médecins, le Pr Stéphane Oustric ; pour le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, M. Alain Delgutte ; pour le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes, Mme Isabelle Derrendinger ; pour le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes, M. Luc Peyrat ; pour le Conseil national de l'Ordre des infirmiers, Mme Sylvaine Mazière Tauran ; pour le Conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, Mme Sophie Di Giorgio ; pour le Conseil national de l'Ordre des pédicures-podologues, M. Guillaume Brouard.
Je vous remercie, mesdames, messieurs, de votre présence à cette audition, qui, je vous le précise, est retransmise en direct.
Avec ma collègue Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie, nous avons souhaité prendre le temps d'échanger avec vous, à la fois, sur le PLFSS et sur les éléments de votre actualité - qui se retrouvent aussi dans ce texte, élaboré, comme nous le savons, dans un contexte budgétaire tendu.
Le format un peu exceptionnel de cette audition nous contraint à un effort de concision, afin de laisser un maximum de place aux échanges. Nous allons débuter par un propos liminaire de ceux d'entre vous qui le souhaiteront, pour une durée de cinq minutes. Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, à commencer par notre rapporteure.
Professeur Oustric, vous avez la parole.
Pr. Stéphane Oustric, pour le Conseil national de l'Ordre des médecins. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de notre président François Arnault.
En propos liminaire, je rappellerai que le Conseil national est extrêmement attentif à l'évolution des textes qui concernent l'exercice de la profession. Nous réaffirmons la place majeure et incontournable du coordonnateur du parcours de soins, qui doit garantir un accompagnement à ses patients sur la durée. La coordination ne signifie pas l'exclusion ni l'exclusif, au contraire ! Chaque professionnel de santé, appartenant ou non à un Ordre, a une place à ce titre.
En définitive, il faut coordonner, garantir la qualité et la sécurité des soins, par l'accueil et l'écoute des patients, la construction de la démarche diagnostique et thérapeutique, ainsi que par une décision médicale qui engage a minima une responsabilité médico-légale et aboutit à un diagnostic différentiel. C'est pourquoi les futurs médecins font dix à douze ans d'études.
Ont été imposés à juste titre l'analyse, la transcription et l'hébergement des données de santé, ainsi que l'utilisation partagée dans le dossier médical partagé (DMP) ou sur les messageries sécurisées. Ces données, issues de l'ensemble des professionnels de santé - y compris des psychologues -, favorisent la qualité des soins et sont une source d'économies non négligeable.
La coordination n'empêche nullement que chacun se recentre sur son référentiel métier. Nous sommes fortement engagés dans la formation initiale. Je salue à cet égard le soutien du Sénat, grâce auquel 4 000 docteurs juniors de médecine générale par an seront déployés en 2026 sur l'ensemble de notre territoire. Nous sommes aussi très engagés dans la certification périodique, qui existe pratiquement partout ailleurs - au Canada, la certification a lieu tous les ans. Il est important que les médecins puissent se prévaloir auprès de tous les citoyens d'une bonne formation, initiale et continue. Je remercie également le Sénat pour son rapport sur la financiarisation, qui pose d'énormes problèmes aux professionnels formés en France.
M. Alain Delgutte, pour le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens. - Tout en vous remerciant pour cette invitation, je vous prie également d'excuser l'absence de Mme Wolf-Thal, actuellement en déplacement.
L'Ordre des pharmaciens ne parle pas d'affaires économiques, mais je vous exposerai quelques sujets d'importance dans ce PLFSS. Celui-ci est effectivement un peu resserré, sans mesures structurantes en termes d'accès à la santé.
Je commencerai par la lutte contre les ruptures, qui passe par trois mesures importantes.
Premièrement, la substitution par le pharmacien des médicaments en rupture, élargie aux risques de rupture, sur recommandation de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Il conviendrait d'être un peu plus ambitieux et de se rapprocher du modèle québécois.
Deuxièmement, la dispensation à l'unité de certains médicaments. Cela existe déjà depuis la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « Agec », et la loi de financement de la sécurité sociale de 2024. Cette possibilité a été élargie aux antibiotiques. Des amendements prévoient même de la rendre obligatoire, ce qui ne nous semble pas très opportun. En effet, la majorité des pays européens pratiquent une dispensation à la boîte, à l'exception de l'Angleterre et de l'Irlande. Mais la première fait marche arrière pour des raisons de sécurité et de traçabilité.
Troisièmement, les systèmes d'information en cas de rupture. Un amendement a été déposé par Stéphanie Rist à l'Assemblée nationale, qui permettrait de suivre l'ensemble de la chaîne, du fabricant jusqu'au dispensateur. Le dossier pharmaceutique (DP) serait une possibilité, mais nous ne disposons pas de tous les éléments à ce sujet. Des discussions sont en cours avec la direction générale de la santé (DGS). Peut-être y aura-t-il des ajustements à faire au Sénat...
La lutte contre la financiarisation est, quant à elle, essentielle. Je rejoins les propos de Stéphane Oustric et je remercie la commission des affaires sociales du Sénat pour les travaux effectués sur cette question et les propositions d'évolutions législatives.
Enfin, nous soutenons certains amendements, notamment s'agissant de l'adaptation des médicaments pour un usage pédiatrique. Il faudrait également des mesures plus structurantes en termes d'accès aux soins et une simplification des protocoles de coopération, en rendant ces derniers automatiques au niveau des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Il conviendrait de permettre le développement du pharmacien correspondant, y compris hors d'un exercice coordonné tout en maintenant, bien sûr, l'information du médecin traitant. Il pourrait également être envisagé de donner au pharmacien la possibilité d'initier une contraception ou de renouveler une ancienne prescription et, pour les pharmaciens biologistes, d'adapter la posologie des antibiotiques à la suite d'un examen. Toutes ces mesures amélioreraient l'accès aux soins.
Mme Isabelle Derrendinger, pour le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes. - Nous nous trouvons face à un dilemme complexe : opérer des économies financières tout en maintenant et soutenant un système de santé actuellement à bout de souffle et dont l'offre se raréfie un peu plus chaque jour. Je rappelle à ce titre que, pour diminuer les dépenses de santé de demain, il faut sans délai investir dans la prévention.
Je souhaite me concentrer sur les enjeux relatifs à la santé et aux droits des femmes. De nombreuses études et rapports, notamment issus de vos travaux, convergent pour souligner l'urgence d'agir.
Le 10 septembre, le rapport de la mission sénatoriale d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale a appelé à une réponse rapide et organisée face à la crise, impliquant une transformation en profondeur de l'offre des lieux et des modes d'accouchement.
Le rapport identifie plusieurs facteurs expliquant la dégradation de la santé des femmes, telles l'augmentation de l'âge maternel ou l'incidence croissante de facteurs de comorbidités. Aujourd'hui, les indicateurs de santé périnatale et néonatale se détériorent en France plus rapidement que chez nos voisins européens. Nous nous plaçons désormais au 21e rang pour la mortinatalité et au 22e rang pour la mortalité infantile.
Pour autant, ces facteurs d'influence n'expliquent pas à eux seuls notre situation dégradée, car ils se retrouvent à l'identique partout en Europe. Et des leviers existent, comme la fiscalité sur le tabac, l'alcool ou les produits sucrés, dont vous aurez probablement à discuter dans le cadre du PLFSS ou du projet de loi de finances (PLF).
La France se distingue aussi par une triste singularité. La première cause de mortalité maternelle en période postpartum est le suicide lié à la dépression postnatale. Les experts soulignent que la moitié de ces décès maternels pourraient être évités. L'Ordre des sages-femmes propose d'étendre le régime maternité au suivi postnatal, mais également de renforcer l'accompagnement des femmes et des couples qui traversent un deuil périnatal. Notre responsabilité collective est engagée. Depuis de trop nombreuses années, la France ne mène plus une politique périnatale cohérente qui garantirait aux femmes la sécurité physique et psychique qu'elles sont en droit d'attendre.
Au-delà de la santé périnatale, c'est l'ensemble de la santé sexuelle et reproductive qui doit être repensée. Vous avez récemment produit un rapport sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). L'accès à cette liberté fondamentale, constitutionnelle, reste fragile. Cette situation découle des fermetures de maternités liées aux inégalités territoriales, ainsi que de l'absence de liberté du choix de la méthode, en totale contradiction avec la loi. Les femmes en situation de handicap sont les plus touchées. Elles sont trop souvent conduites à renoncer au suivi gynécologique et sont plus fréquemment victimes de violences, intrafamiliales ou institutionnelles.
Des solutions pragmatiques existent, qui sont portées notamment par le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes : généraliser le programme Handigynéco ; créer trois rendez-vous de prévention dédiés à la santé sexuelle ; lever les freins à l'exercice de la profession en supprimant la liste des médicaments que les sages-femmes peuvent prescrire et en leur permettant d'allonger le congé maternité sur le modèle du congé pathologique.
Bien entendu, sortir de la crise impose de résoudre le problème d'attractivité des professionnels de santé. Pour les sages-femmes, il s'agira d'un changement de statut, mesure qui ne peut être intégrée au PLFSS, mais qui devra obligatoirement être envisagée dans un proche avenir.
Certes, la situation financière de notre pays est préoccupante et impose des efforts collectifs. Mais n'oublions pas que la première préoccupation des Français, c'est leur santé. Investir aujourd'hui dans la prévention, c'est améliorer durablement la santé des citoyens et, à long terme, celle des finances publiques.
M. Luc Peyrat, pour le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes. - Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Durand, qui n'a pu se libérer aujourd'hui.
Le PLFSS ne comporte pas grand-chose de nouveau pour notre profession. Un amendement sur l'orthodontie, retiré pour l'instant, est étonnant dans la mesure où celle-ci fait partie de la formation initiale des chirurgiens-dentistes, qui ont donc compétence pour l'exercer en omnipratique.
Le projet de M. Thomas Fatôme, directeur de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), visant à supprimer le service médical est problématique. En effet, les chirurgiens-dentistes-conseils dépendraient, non plus de la Cnam, mais de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Quid de leur indépendance et du secret professionnel ? Par ailleurs, nous nous priverions d'une vision nationale et régionale de la gestion des chirurgiens-dentistes dans l'ensemble des départements.
Enfin, pour répondre à la multiplication des faux diplômes, nous avons décidé de produire des documents plus sécurisés, au moyen de filigranes ou autres QR codes. Nous espérons que les pays européens s'engageront dans cette voie.
Mme Sylvaine Mazière Tauran, pour le Conseil national de l'Ordre des infirmiers. - Ce débat s'inscrit dans un contexte de fragilité et de dysfonctionnement de notre système de santé - les difficultés d'accès aux soins et les crises à répétition dans les services d'urgences hospitalières en sont révélatrices -, mais aussi, nous en sommes conscients, de fortes contraintes sur les finances publiques, en particulier sur l'assurance maladie.
Les propositions de l'Ordre des infirmiers ont toutefois été renforcées par les annonces du Premier ministre, qui s'est prononcé, lors de sa déclaration de politique générale, en faveur d'une loi infirmières qui irait plus loin dans la reconnaissance de leur expertise et de leurs compétences et leur donnerait un rôle élargi dans la prise en charge des patients.
Il est préoccupant de constater que le PLFSS 2025 ne contient aucune disposition sur les infirmiers en dépit de leur rôle croissant dans le système de santé. De plus, la quasi-totalité des amendements que nous avons soutenus a été rejetée au motif qu'ils contrevenaient à l'article 40 de la Constitution. Or ces amendements, loin de créer une charge, sont porteurs d'économies pour l'assurance maladie et contribueraient à améliorer la santé de nos concitoyens.
Nous avons réussi le virage ambulatoire ; nous devons maintenant réussir le virage de la prévention, notamment en incluant les infirmiers, trop souvent oubliés, dans les dispositifs de santé préventive. Parallèlement, l'élargissement des actes accessibles aux infirmiers contribuerait, de fait, à alléger les dépenses de santé.
C'est pourquoi l'Ordre des infirmiers propose de nouveau les amendements qu'il juge de nature à répondre aux défis budgétaires tout en garantissant un accès durable et équitable aux soins.
Nous souhaitons tout d'abord que soit discutée une véritable loi de programmation en santé et qu'elle contienne un volet sur la formation des infirmiers. L'évolution démographique de la profession est alarmante : nous pourrions connaître, d'ici à quinze ans, des difficultés similaires à celles que nous avons connues avec les médecins. Ainsi, les infirmiers seraient insuffisamment nombreux pour faire face au vieillissement de la population et à la prise en charge des maladies chroniques.
Nous souhaitons ensuite l'instauration des ratios infirmiers qui, selon toutes les études, ont une influence directe sur le taux de mortalité et sur les complications. Si la période est peu propice à cette mesure, cette dernière est nécessaire si nous voulons significativement améliorer la qualité et la sécurité des soins.
Nous réclamons en outre un plus grand recours aux infirmières puéricultrices pour accompagner les familles - à l'hôpital, dans les services de protection maternelle et infantile (PMI), mais aussi en ville - face aux problèmes de santé qui perturbent la parentalité.
Le développement des compétences infirmières doit permettre de renforcer la prise en charge des patients. Ces dernières sont en particulier compétentes en matière de plaies et de cicatrisation. La prescription initiale, qu'elles ne peuvent à ce jour que renouveler, est souvent faite en dehors de leur expertise. Nous revendiquons la possibilité pour les infirmières de prescrire elles-mêmes les objets de pansement nécessaires. Cette mesure serait porteuse d'économies.
Il faut par ailleurs développer une politique de prévention accrue, en s'appuyant notamment sur les infirmières scolaires. Leur rôle est très important auprès des jeunes, par exemple en matière de prévention des problèmes psychologiques, des addictions ou encore du suicide.
Les infirmiers supportent une charge mentale importante. Ils fuient les hôpitaux et démissionnent, faute de soutien. Nous attendons donc une feuille de route sur la santé des soignants, ainsi que des dispositifs permettant d'améliorer leurs conditions d'exercice et de renforcer l'attractivité du métier.
Nous réclamons par ailleurs un accompagnement à la pertinence de la cotation des soins infirmiers. Les infirmiers libéraux appliquent en effet une nomenclature extrêmement complexe. Ils sont parfois suspectés de fraude, alors que bien souvent telle n'était pas leur intention. Nous souhaitons que l'honorabilité de nos confrères et consoeurs soit respectée par la mise à disposition de logiciels de cotation plus adaptés et plus fiables.
Vous savez qu'une expérimentation généralisée est en cours pour l'établissement des certificats de décès par les infirmiers. De nombreux infirmiers libéraux, mais également salariés des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) se sont portés volontaires pour y participer. Malheureusement, les dispositifs de formation déployés par les agences régionales de santé (ARS) n'ont pas été à la hauteur, moins de 50 % des infirmiers volontaires ayant pu être formés. Les certificats de décès rédigés par les infirmiers sont pourtant de bonne qualité et aucune difficulté de mise en oeuvre n'a été relevée. Nous attendons du PLFSS qu'il pérennise cette mesure. À défaut, l'expérimentation s'achèvera en avril 2025.
Enfin, l'Ordre des infirmiers comptabilise aujourd'hui 560 000 inscrits. Nul ne connaît le nombre des non-inscrits, que nous identifions comme étant des infirmiers plutôt âgés, qui exerçaient déjà dans des établissements publics au moment de la création de l'Ordre en 2008. Nous demandons donc que des sanctions pour défaut de transmission des listes à l'Ordre soient mises en oeuvre à l'égard des établissements qui, malgré nos relances, continuent de nous empêcher de remplir notre rôle, notamment de mesure démographique de la profession.
Mme Sophie Di Giorgio, pour le Conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes. - Au fil des années, les PLFSS successifs ont inclus toujours plus de dispositions relatives à l'accès aux soins, à la prévention et, parfois, aux compétences des soignants. Nous ne pouvons plus nous contenter de petits pas, de demi-mesures et d'expérimentations.
Il y a urgence. Les Français attendent en premier lieu de la représentation nationale des actions ambitieuses et déterminées. Ils attendent que nous dépassions les considérations passéistes et partisanes qui n'existent pas sur le terrain. Il faut maintenant matérialiser la déclaration commune pour l'accès aux soins sur le territoire que les ordres avaient rédigée il y a deux ans, et mettre en oeuvre rapidement des politiques publiques traduisant ces convictions sur le terrain.
Les 109 000 masseurs-kinésithérapeutes que nous représentons réalisent plus de deux millions d'actes par jour. Le kinésithérapeute se définit depuis 2016 par ses missions, et non par ses seuls actes. Compétent pour la prévention et le diagnostic de kinésithérapie, il est habilité à utiliser librement ses compétences pour le traitement de ses patients. Le masseur-kinésithérapeute a suivi cinq années d'études, qui lui confèrent à la sortie un grade de master. Il exerce son activité en toute indépendance et en responsabilité.
Pour lutter contre la désertification sanitaire, nous soutenons avec détermination l'élargissement de l'accès direct au kinésithérapeute. La loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé a été un premier pas timide, mais elle a laissé place à un flou artistique généralisé. Patients comme soignants se demandent qui a droit à l'accès direct, qui n'y a pas droit ou encore combien de séances sont autorisées à ce titre.
C'est pourquoi je me fais l'écho de toute la profession pour demander haut et fort un accès direct, plein et entier, au masseur-kinésithérapeute. Il faut supprimer la limite des huit séances, supprimer la condition de l'exercice coordonné et, enfin, élargir notre périmètre de prescription pour aller jusqu'au bout des bilans de kinésithérapie.
Il faut en outre élargir, toujours dans le respect de nos compétences, l'implication des kinésithérapeutes dans le système de soins et de prévention. Bien qu'étant le seul professionnel de santé à être également un professionnel du sport, le kinésithérapeute est seulement habilité à renouveler des prescriptions d'activités physiques adaptées (APA) déjà établies par des médecins. Il faut donc leur ouvrir l'accès à la primo-prescription d'APA, dans le cadre bien sûr d'une coordination de l'ensemble des acteurs de santé.
Nous souhaitons ensuite assurer la possibilité pour les Français de recourir à un kinésithérapeute dans le cadre des rendez-vous de prévention. Là encore, la prévention figure dans la définition de la profession de masseur-kinésithérapeute, mais ce dernier est toujours absent du dispositif, malgré les annonces du précédent ministre de la santé.
Pour les personnes de plus de 65 ans, nous voulons introduire des bilans de dépistage - ils seraient réalisés tous les deux ans par un kinésithérapeute - du risque de perte d'autonomie et de mobilité, ainsi que du risque de chute. L'Ordre a mis à disposition de ses membres un bilan codifié avec un score fonctionnel de dépistage pour mettre en place une rééducation auprès de ce public. Nous voulons par ailleurs impliquer davantage les kinésithérapeutes dans la santé au travail en créant un statut de masseur-kinésithérapeute de santé au travail.
Nous souhaitons aussi inciter les professionnels à exercer en groupe au sein des communautés professionnelles territoriales de santé et des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) grâce à des mesures facilitatrices, toujours en étroite collaboration avec les collectivités territoriales et les ARS. Les charges administratives qu'implique la participation à ces dispositifs sont en effet trop élevées.
Avec l'Ordre national des pédicures-podologues, nous souhaitons porter un amendement visant à permettre aux élus qui remplissent des missions ordinales de bénéficier, par la cotisation sur leurs indemnités, du régime général d'assurance retraite. Le mandat d'élu ordinal suppose un investissement important : si l'indemnisation des journées de travail vient partiellement compléter la perte de revenus, ce n'est pas le cas pour le régime de retraite.
Pour conclure, la profession et les patients ont de fortes attentes en matière de reconnaissance et de valorisation de la kinésithérapie dans les politiques publiques de santé. Nous devons aller vers un partage des actes et des compétences pour assurer une bonne prise en charge de nos patients. Chaque avancée législative se voit bloquée par des retards dans la publication des textes réglementaires, voire par leur absence, parfois délibérée. Il est temps d'améliorer les conditions d'exercice, tant pour l'exercice salarié que libéral. Si l'on en juge par les rémunérations et les perspectives de carrière, la profession n'est pas suffisamment reconnue. Pour que les patients continuent de bénéficier d'une offre de soins de qualité à la hauteur des défis, il est nécessaire de permettre à chaque profession de santé d'y participer pleinement. Nous ne pouvons plus être considérés comme de simples dérogations au monopole médical. Nous sommes 109 000 kinés ; je vous demande de nous faire confiance.
M. Guillaume Brouard, pour le Conseil national de l'Ordre des pédicures-podologues. - Force est de constater que le PLFSS 2025 se concentre exclusivement sur des orientations purement budgétaires et n'apporte pas, en l'état, de propositions structurantes, sources d'optimisation financière à court ou moyen terme.
Lors de son examen à l'Assemblée nationale, plusieurs amendements en faveur de la mise en place d'une loi pluriannuelle de santé ont été déposés. Dans une approche plus mesurée, un rapport a été demandé pour permettre au Parlement d'évaluer l'application des prévisions financières de la loi de financement de la sécurité sociale. L'adoption d'une loi pluriannuelle d'orientation en santé est attendue par les acteurs du secteur. Elle serait de nature à fédérer le monde de la santé, dans une période où les lois de financement de la sécurité sociale sont particulièrement contraintes. Un tel texte permettrait également d'aborder le sujet de la prévention en santé sur un espace-temps beaucoup plus cohérent et d'en évaluer les impacts financiers et les bienfaits de manière plus pertinente.
L'Ordre des pédicures-podologues s'inscrit dans cette logique de prévention face au vieillissement de la population, à l'augmentation des pathologies chroniques et à l'inflation galopante des dépenses de soins associées. Il se voit malheureusement contraint de ne porter aucune mesure structurante en matière de prévention, notamment pour la population grandissante des patients diabétiques.
Sur le volet recettes, nous proposons un amendement visant à créer un statut de l'élu ordinal, qui permettrait aux élus du Conseil national de l'Ordre des pédicures-podologues et du Conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes de cotiser au régime général de la sécurité sociale, au même titre que les élus locaux.
Enfin, l'universitarisation de la profession de pédicure-podologue nous tient particulièrement à coeur. Nos diplômés exercent au terme de trois années d'études, au niveau licence, quand leurs homologues espagnols, italiens, anglais, irlandais ou américains atteignent un niveau master, avec des compétences étendues, notamment sur la prise en charge des patients diabétiques en premier recours. Il serait souhaitable que les patients puissent bénéficier en France de ces extensions de compétences. Pour l'anecdote, l'un de mes confrères élus, installé à Paris et disposant d'un double diplôme, envoie ses patients se faire opérer en Espagne pour des ongles incarnés. Les patients se font ensuite rembourser par l'assurance maladie en France !
Un projet plaidant pour l'universitarisation à cinq ans a été présenté à la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Il a été qualifié de « remarquable », mais de « trop avancé ». Nous aurions fait preuve d'une trop grande anticipation des besoins ! Je tenais à vous faire part de ce travail ordinal : grâce à l'extension des compétences, nous souhaitons offrir qualité et sécurité des soins à une population dont les besoins sont en constante augmentation.
M. Philippe Mouiller, président. - Si j'ai fait référence dans mes propos introductifs à vos actualités, c'est effectivement parce que, comme plusieurs orateurs l'ont souligné, le PLFSS est extrêmement resserré cette année et offre peu d'opportunités en matière d'organisation ou de reconnaissance.
Vous avez évoqué l'application de l'article 40 de la Constitution et des dispositions organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale. Le Sénat a la même mécanique, et il est même souvent plus rigoureux en la matière. Ayez bien en tête, à l'occasion des démarches que vous ferez en direction de nos collègues, que l'article 40 est assez strict. Il sanctionne toute création de dépense, même indirecte. D'autres types d'irrecevabilités peuvent aussi être invoqués. Je pense en particulier à l'amendement visant une programmation pluriannuelle. En effet, la Constitution ne permet pas au Parlement d'enjoindre au Gouvernement de déposer un projet de loi. Ainsi, un retour négatif n'est pas forcément le signe d'un désaccord ou d'un désintérêt des sénateurs. Il est souvent le résultat de notre mécanique budgétaire, qui est habituellement contrainte et qui l'est beaucoup plus encore cette année.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser notre rapporteur générale, qui a dû nous quitter du fait d'un rendez-vous.
Vous avez souligné l'absence de mesures structurantes dans ce PLFSS resserré. Il est vrai que ce texte, que le Gouvernement a dû présenter en un temps record, peut engendrer des frustrations.
Ma première question porte sur la pertinence des prescriptions. L'article 16 étend le champ de la procédure d'accompagnement à la pertinence des prescriptions. Il implique le renseignement, par le prescripteur, d'un formulaire confirmant que sa prescription respecte les indications ouvrant droit au remboursement ou les recommandations de la Haute Autorité de santé. Le professionnel chargé d'exécuter la prescription devra donc vérifier l'existence du document et, en son absence, recueillir l'accord du patient. Une telle extension de procédure vous semble-t-elle souhaitable ? N'est-ce pas au contraire une lourdeur supplémentaire ? Cela me faisait penser au dispositif des ententes préalables, dont on sait bien qu'elles ne pourraient être traitées aujourd'hui par l'assurance maladie dans un périmètre élargi. Pensez-vous que le temps consacré à la prise en charge directe du patient s'en trouvera diminué ?
Ma seconde question porte sur le dossier médical partagé. Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de 2024, la Cour des comptes regrette la faible utilisation du dossier médical partagé par les patients et les professionnels de santé, en ville comme à l'hôpital. Le DMP nous semble être un outil essentiel de coordination des soins et d'organisation des parcours. Doit-on davantage contraindre à l'utiliser ? Les professionnels de santé qui ne le remplissent pas ne s'exposent à aucune sanction. Comment les inciter davantage à s'emparer de cet outil ?
Madame Mazière Tauran, nous serons particulièrement vigilants sur la généralisation de l'expérimentation de la signature des certificats de décès par les infirmiers. Les retours de terrain sont en effet très bons et cette mesure apporte une véritable plus-value aux établissements comme aux familles. J'approuve par ailleurs vos propos sur l'accompagnement à la pertinence des cotations. Je connais des infirmiers libéraux qui sont suspectés de fraude par l'assurance maladie. Ce malaise des professionnels de santé nous remonte également du terrain.
Pr. Stéphane Oustric. - Nous ne ferons pas machine arrière. Le dispositif des ententes préalables fait perdre un temps dément aux professionnels, ainsi qu'à l'assurance maladie, qui n'est plus du tout en capacité de répondre sur les éléments essentiels.
Restent les ententes préalables sur l'utilisation de médicaments d'exception qui ont un coût particulier pour la société. Sauf cas particulier et pour la plupart des affections de longue durée (ALD), la prescription se fait en ligne et le retour de l'assurance maladie est instantané pour le médecin traitant. Il en va de même pour les ententes préalables sur les transports. Cela devient problématique en revanche lorsqu'il s'agit de pathologies chroniques ou de pathologies beaucoup plus graves et complexes, ou quand le médecin ne peut pas faire la démarche directement sur son ordinateur, mais doit déléguer l'opération au système administratif de l'établissement. Bien souvent, on dit au patient « Allez voir votre médecin traitant, il vous donnera les bons de transport », plutôt que de coordonner chaque acteur via une messagerie sécurisée. Aujourd'hui, recourir aux ententes préalables revient à créer de la cacophonie. Ce qu'il faut, c'est favoriser une dématérialisation via des dispositifs sécurisés et améliorer la traçabilité dans le dossier médical.
La Cour des comptes émet des réserves au sujet du DMP. Évidemment, quand on n'est ni croyant ni pratiquant - et encore moins sachant -, c'est compliqué... Mais quand on utilise l'outil au quotidien, cela fonctionne très bien. Personnellement, quand j'ouvre mon logiciel, j'accède au DMP du patient en deux clics et l'importation de mes ordonnances ou de ma correspondance est instantanée.
La question est plutôt celle de l'accès des professionnels des autres Ordres au DMP via leurs logiciels. Nous avons d'ailleurs posé une question prioritaire de constitutionnalité sur un décret dressant la liste des professionnels habilités à accéder au DMP. Cela me pose un problème de savoir que certains de ceux qui sont assis à cette table n'y ont pas accès tandis que d'autres - personnel administratif de certains établissements médico-sociaux ou encore de structures d'exercice coordonné - le peuvent. Personnellement, j'ai tendance à accepter de partager le contenu de mon dossier médical avec des gens en qui j'ai confiance, c'est-à-dire les professionnels de santé intervenant dans mon parcours de soins.
N'allons pas trop vite. Le dispositif actuel est d'une puissance remarquable. Je n'ai pas été tendre depuis six ans avec l'Agence du numérique en santé (ANS) et ses partenaires, mais je dois dire que pour le patient et pour les professionnels de santé, le DMP est une sécurité. Il offre, par exemple, la possibilité de consulter le dernier bilan biologique et de ne pas represcrire. Nous attendons désormais la prescription dématérialisée, qui permettra au pharmacien référent d'obtenir immédiatement la prescription pharmaceutique. Revenir sur les ententes préalables, ce serait alourdir le processus et instaurer un flicage. Il faut faire confiance. La normalisation de la nomenclature me paraît cohérente et permettra l'évolution du référentiel métier.
Enfin, en ce qui concerne les certificats de décès, j'ai l'habitude de dire que le décès n'est pas un soin. La mesure répond à un besoin de proximité de la famille à un moment particulier et à une pression de l'état civil pour pouvoir enclencher ce qui est la fin d'un chemin. Je ne vois pas pourquoi les collègues infirmiers ne seraient pas au rendez-vous.
M. Alain Delgutte. - J'irai également dans ce sens. Si je comprends l'impact attendu sur les finances de l'assurance maladie, un nouveau formulaire entraînerait une lourdeur administrative supplémentaire inacceptable. Si seulement tout cela était chaîné dans les logiciels de prescription ! S'il s'agissait de cocher une simple case ! Mais que se passe-t-il en pratique ? On le voit très bien avec certains médicaments pour lesquels il faut l'accord du patient ou l'information du médecin : les patients oublient le formulaire ou les démarches n'ont pas été faites.
Le DMP ne sera utilisé que si les logiciels sont adaptés et si leur utilisation est fluide. Le DMP ne doit pas faire perdre de temps au prescripteur, au dispensateur ou à l'infirmier. Depuis la vague Ségur, les logiciels sont désormais certifiés. La prescription électronique obligatoire devrait en outre être mise en place d'ici à la fin de l'année. Dans ces conditions, nous y sommes favorables. Mais faire remplir par le médecin un nouveau formulaire, que le patient devra ramener au pharmacien, que le dispensateur - kiné ou infirmier - devra envoyer à l'assurance maladie, où se posera ensuite un problème de confidentialité... Tout cela n'est pas sérieux à notre époque !
Mme Sylvaine Mazière Tauran. - Je vous remercie, madame la rapporteure, pour votre intervention sur le rôle des infirmiers dans l'établissement des certificats de décès. Qu'ils soient salariés ou libéraux, ces derniers se sont en effet engagés pour exercer cette compétence. Néanmoins, nous sommes inquiets car les dispositifs de formation sont insuffisants. Actuellement, seuls 50 % des volontaires suivent un apprentissage et certains attendent depuis deux ou trois mois de pouvoir le faire. Par ailleurs, les conventions passées entre certaines ARS et les organismes de formation s'arrêtent à la fin du mois de décembre, alors même que l'expérimentation est prévue jusqu'en avril.
En matière d'appui à la cotation, nous ne sommes pas impliqués en tant qu'Ordre dans la négociation de la convention, même si notre profession est concernée sous l'angle de son honorabilité. Les répercussions sont déjà fortement négatives pour les infirmières, qui reçoivent des notifications d'indus alors qu'elles estiment faire leur travail correctement et honnêtement.
Nous avons engagé de premiers contacts avec l'ANS. Les travaux en matière d'interopérabilité des logiciels des infirmiers avec le DMP n'ont pas encore débuté, même si nous avons déjà identifié une dizaine de documents qu'un infirmier pourra produire pour tracer ses interventions au niveau du dossier médical. Tout cela devrait être développé dans le courant de l'année 2025.
M. Guillaume Brouard. - Les échanges entre l'ANS et les professions de santé concernant la mise en place de l'interopérabilité du DMP ont pris un retard important. Procéder en deux clics serait l'idéal, mais pour l'instant nous en sommes très loin. Puisque ce dispositif fonctionne bien pour les médecins, nous avons toutefois bon espoir.
En tout état de cause, l'idée de structurer les données de santé et de pouvoir à terme les compiler nous paraît pertinente. Dans le cadre d'une rencontre qui s'est tenue voilà dix jours, on nous a laissé entendre que donner trop de cases à remplir représenterait un frein pour les professionnels de santé et qu'une option de champ libre à compléter était envisagée. Pour le coup, cette option ne nous paraît pas complètement pertinente. Nous sommes donc dans l'attente, étant précisé que les derniers travaux d'initiation de ce couloir numérique datent de début 2023.
La prescription électronique de la part des pédicures-podologues, notamment en matière de pansements et d'antiseptiques, a été considérée comme non pertinente. Le secteur est là aussi dans l'attente, pleinement conscient de l'intérêt de pouvoir verser des données au DMP de chaque patient. Une demande en ce sens a d'ailleurs été formulée sur l'initiative de l'Ordre, par le biais d'une disposition relative à la prescription de soins aux diabétiques transcrite dans la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist.
Mme Isabelle Derrendinger. - Je souscris à ces propos sur le DMP. Le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes a attiré la vigilance de l'ANS sur le fait que les mineurs ayant une prescription de contraception ne peuvent pas la masquer à leurs parents. Malgré nos alertes formulées à plusieurs reprises, la faille demeure.
Mme Émilienne Poumirol. - Où en sommes-nous sur le plan pratique du stage à l'issue de la quatrième année de médecine générale, qui doit être effectué à partir de novembre 2026 pour environ quarante médecins par département ?
Puisque le rapport d'information sur la financiarisation de l'offre de soins a été évoqué, que pense l'Ordre des médecins de l'augmentation du ticket modérateur ? Pour mon groupe, faire porter le remboursement par les mutuelles, dont la cotisation dépend de l'âge et non des moyens, nous paraît un glissement vers cette financiarisation que nous ne souhaitons pas.
M. Khalifé Khalifé. - Quelle politique entendez-vous mener pour encourager les médecins généralistes à assurer la fonction de maître de stage, dans la perspective de l'arrivée de 4 000 nouveaux docteurs juniors d'ici à 2026 ? Quels sont les freins aux études pour devenir pharmacien ? Certaines facultés souffrent du peu d'attractivité du métier.
Il est plus facile pour un médecin généraliste que pour un chirurgien-dentiste ou une sage-femme de rendre visite aux personnes les plus démunies, comme les personnes handicapées ou les résidents d'Ehpad. Comment ces deux professions envisagent-elles cette politique visant à « aller vers », aussi bien pour le dépistage que pour les soins ?
Malgré les problèmes démographiques que rencontre le métier d'infirmière, les régions font le maximum pour conserver des instituts de formation et adapter le nombre d'étudiants. Quel est votre regard sur Parcoursup, qui a souvent été mis en avant pour proposer cette voie aux élèves ?
Mme Florence Lassarade. - Notre pays se trouve au 22e rang européen en matière de mortalité infantile et du nombre de pédiatres. Professeur Oustric, puisque beaucoup de pédiatres libéraux exercent également en hospitalier, qu'en est-il de l'exercice partagé ?
Monsieur Delgutte, j'ai connu en tant que pédiatre la pratique des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod), en particulier pour l'angine. Permet-elle d'éviter beaucoup de traitements antibiotiques ? L'assurance maladie a-t-elle fourni des chiffres au sujet des économies permises, ou pas, par ces tests ?
Le problème du DMP ne provient-il pas finalement de l'hétérogénéité des logiciels ? Ceux qui sont utilisés en libéral sont d'assez bonne qualité et permettent de limiter les prescriptions médicamenteuses, ainsi que les erreurs en la matière. Qu'en est-il des logiciels utilisés dans le secteur hospitalier, notamment du fait d'un manque d'interopérabilité ?
Mme Laurence Muller-Bronn. - Au mois de septembre 2024, la Société européenne de cardiologie a annoncé de nouvelles mesures de la tension artérielle, abaissant les seuils communément admis. Les sociétés savantes anglo-saxonnes, comme l'American Heart Association, sont à l'origine de ces nouvelles recommandations qui auront pour conséquence d'augmenter le nombre de malades, entraînant une croissance des prescriptions de traitements hypotenseurs. Professeur Oustric, connaissant les impératifs d'économies à réaliser, que pensez-vous de ce changement ?
Mme Anne Souyris. - Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a décrit la trajectoire de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) comme très optimiste. Qu'en pensez-vous ? Que pense en particulier l'Ordre des médecins de l'augmentation du ticket modérateur ?
Quel est votre avis, notamment celui des infirmières et du secteur paramédical, sur l'extension des dispositifs de passerelle entre les différentes études de santé et sur le moindre remboursement des ALD du point de vue des soins ?
En matière de prévention, au-delà de l'activité physique adaptée, que vous semble-t-il manquer ?
Pr. Stéphane Oustric. - Madame Poumirol, la quatrième année de médecine générale met fin à une discrimination.
La pénurie actuelle de la démographie médicale ayant été organisée par des choix politiques. Lorsque j'étais médecin, le numerus clausus se situait à 3 600, nous étions soixante reçus sur 1 200 étudiants dans l'amphithéâtre. Il fallait se battre ! Les 20 % de reçus actuels ne doivent pas faire oublier ce qu'ont connu certains d'entre nous.
Cet allongement du troisième cycle de médecine générale a été rendu possible en grande partie grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs. À l'origine, on voulait aller au bout de la formation des généralistes, faute d'en avoir besoin, ce qui aurait entraîné de la cacophonie et aurait privé les patients d'accès aux soins, induisant de la dérégulation et des dysfonctionnements.
Toutes les publications depuis le carré de White en 1961 et tous les grands acteurs de la santé publique, comme Barbara Starfield à l'université Johns Hopkins, ont admis que le premier recours, à savoir les soins de santé primaires (primary health care), était essentiel pour l'efficience du système. Je me félicite que nous ayons eu autant de ministres en aussi peu de temps. De cette manière, ils n'ont pas pu prendre de mauvaises décisions !
La première promotion à connaître totalement la nouvelle formation date de 2023 et finira ses études en 2026. Catherine Deroche m'avait fait venir ici - les sénateurs sont en prise avec la réalité, ce qui manque peut-être à l'Assemblée nationale de nos jours - pour rencontrer M. Retailleau, à qui j'avais expliqué les choses simplement en lui demandant combien de départements administratifs existaient dans sa région - cinq - puis quel était le nombre de facultés - deux - et d'internes chaque année - 110 dans chacune. Si je divise par cinq le nombre de 220 internes, quarante-quatre docteurs juniors se trouveront donc dans chaque département.
Qui bloque ? L'hospitalocentrisme date des ordonnances Debré de 1958. Sans centres hospitaliers régionaux et universitaires (CHRU), point d'activité, point de soins ! Même si les docteurs juniors arriveront à partir de 2026 - vous parlez, monsieur Khalifé, de 4 000, mais nous monterons jusqu'à 12 000 -, il faut faire très attention. En effet, la démographie terrible que nous connaissons actuellement entraînera dans cinq à six ans un effet boomerang, du fait du retour en force des médecins de premier recours. D'énormes problèmes se poseront, cas de figure que ne rencontreront pas tout à fait nos collègues spécialistes.
Il reste à régler la question du statut face à cette quatrième année professionnalisante. Nos préconisations sont très claires, mais nous affrontons, une fois de plus, l'hospitalocentrisme : rester médecin généraliste en secteur 1 n'est pas bien vu, les postes de docteurs juniors des autres spécialités leur permettant de pratiquer en secteur 2. Pour une fois, je tiens un discours un peu engagé, car je veux que l'accès aux soins soit garanti sur le territoire à toute personne, indépendamment de son état de santé, de son statut ou des problématiques qu'elle rencontre.
Nous avons fait valoir que la formation serait synonyme de professionnalisation. Le docteur junior percevrait des honoraires, comme tout autre médecin, grâce à un système de rétrocession. Il y a donc peu de changements financiers, mais cela permet de professionnaliser le futur confrère, lequel choisit ainsi le lieu où il veut aller et commence à participer financièrement au régime spécifique des professionnels médicaux, cotisant pour sa retraite. Une telle pratique nous paraît vertueuse. Je ne comprends pas que nous voulions amener tout le monde vers le secteur 2. La médecine générale est à 99 % de secteur 1 !
Concernant les maîtres de stage, clairement, aucune profession médicale ne peut revendiquer à ce jour d'équivalent. Environ 13 890 généralistes, sur les 52 000 recensés par l'assurance maladie, occupent cette fonction, soit 25 % de la totalité des médecins généralistes de famille. Je vous mets au défi de trouver autant de professionnels intégrés dans un compagnonnage de qualité pour former leurs futurs collègues ! Nous sommes donc prêts ; il ne manque plus que la mise en place du dispositif, prévue à l'origine pour novembre 2020, désormais pour novembre 2026. Avoir perdu six années me semble terrible pour la République.
M. Alain Delgutte. - Concernant les études de pharmacie, nous avons réussi à réduire le nombre de places vacantes de 1 000 places, voilà deux ans, à 250. Comment expliquer ce phénomène ? Le concours commun avec la médecine, la maïeutique et le dentaire a entraîné une baisse de visibilité pour notre secteur, et de nombreux jeunes déboutés dès le premier semestre sont orientés vers d'autres filières, abandonnant toute étude dans le secteur médical. L'Ordre a donc lancé une campagne de communication « Pharmacien, le moins connu des métiers connus », disponible sur l'ensemble des réseaux sociaux. L'objectif était d'interpeller les jeunes pour décrire la variété des métiers liés à la pharmacie : officine, hôpital, biologie médicale...
Je ne dispose pas des chiffres que détient l'assurance maladie concernant les Trod. Nous cotons différemment les tests négatifs et positifs, par exemple pour l'angine avec dispensation d'antibiotiques. Nous faisons gagner du temps aux médecins, même s'il existe des limitations aux prescriptions pour les jeunes enfants.
Que manque-t-il en matière de prévention ? La LFSS pour 2022 disposait dans son article 66 que les « substituts nicotiniques [...] sont dispensés sans ordonnance par les pharmaciens d'officine ». Nous sommes toujours en attente des décrets. D'autres dépistages que les tests rapides d'orientation diagnostique existent : cholestérol, insuffisance rénale... De nombreux tests pourraient être mis en place pour permettre à un patient de rentrer dans le système de soins et pour l'orienter vers le médecin, qui reste le coordinateur du social comme du médical.
Pourquoi ne pas permettre également aux pharmaciens d'instaurer une contraception progestative en première intention ou d'autoriser un renouvellement, à la suite d'une prescription d'une sage-femme ou d'un médecin ?
Mme Isabelle Derrendinger. - Concernant le ticket modérateur, tous les Français ne bénéficient pas d'une mutuelle. En outre, il est très frustrant de voir ces dernières rembourser de plus en plus de pratiques non conventionnelles, non fondées sur la science.
J'envie l'Ordre des médecins sur le statut de maître de stage universitaire. La loi du 25 janvier 2023 visant à faire évoluer la formation de sage-femme, dite loi Chapelier, a consacré cette fonction, mais elle n'a pas été suivie de décrets d'application. Par conséquent, le statut n'existe pas pour les sages-femmes, tout en figurant dans le dispositif législatif.
Certes, nous manquons de pédiatres, mais nous manquons aussi de gynécologues obstétriciens, d'anesthésistes et de sages-femmes ! La difficulté de l'exercice mixte entre libéral et hospitalier entraîne des problématiques liées aux dispositions statutaires des sages-femmes.
Pour les personnes en situation de handicap, notre modèle du « aller vers » est remarquable. Nous appelons ainsi à la généralisation d'Handigynéco, dispositif d'accompagnement des femmes qui se trouvent dans les établissements médico-sociaux et ne peuvent pas se déplacer vers une structure hospitalière ou vers un professionnel de santé exerçant en libéral. Handigynéco permet de les accompagner en matière d'éducation à la vie affective, de lutte contre les violences intrafamiliales et de gynécologie de prévention.
L'optimisation des passerelles aurait de la valeur si l'une de nos professions de santé comptait des effectifs pléthoriques. Or nous sommes tous en tension ! La passerelle ne peut que renforcer la pénurie actuelle.
En matière de prévention, il manque l'éducation. La lutte contre les violences intrafamiliales devrait être une cause nationale. Nous militons ainsi en faveur des trois séances non pas de prévention généraliste, mais de formation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, qui pourrait bénéficier grandement aux hommes et aux femmes de notre société.
M. Luc Peyrat. - Pour se rendre près des personnes démunies, les chirurgiens-dentistes disposent de bus de dépistage, par exemple le bus dentaire à Paris. Par ailleurs, un réseau de santé comme le réseau santé bucco-dentaire & handicap Rhône-Alpes réalise des dépistages et des soins en institutions ou Ehpad grâce à un camion-remorque équipé. Pour ce type d'activités, le plus compliqué est l'absence de contrat d'exercice pour les libéraux, contrat qui est attendu depuis des années. Il est presque au point, le seul blocage portant sur le financement d'une formation obligatoire annuelle pour les praticiens en question.
Mme Sylvaine Mazière Tauran. - Le système de formation complique considérablement l'évolution de la démographie infirmière. Certains jeunes sont obligés de traverser la France pour se rendre auprès d'un institut. De plus, il n'existe pas de système homogène de financement des études. En effet, les bourses sont différentes selon les régions et les étudiants en sciences infirmières, pour lesquels ce métier constitue souvent un ascenseur social, rencontrent des problèmes de pauvreté.
Concernant le choix de cette profession, les études sont difficiles et les abandons nombreux en deuxième et troisième années : nombre d'heures de cours, de stages à réaliser, difficultés financières et enjeux de santé mentale des étudiants... Je ne remets pas forcément en cause Parcoursup, lequel peut toutefois être amélioré dans sa programmation algorithmique, car notre profession est encore parmi les plus choisies par les étudiants.
La problématique actuelle est moins celle des passerelles que de l'universitarisation structurelle de notre profession, à l'image de ce qui se pratique depuis longtemps dans les autres pays européens : Irlande, Espagne, Italie... Certaines universités ne veulent pas signer avec les régions, certaines régions elles-mêmes ne veulent pas du contrat tripartite.
En dehors du niveau d'entrée dans le métier socle, il est nécessaire de disposer de véritables départements de recherche en sciences infirmières dans les universités de chaque région, qui offriraient la possibilité de réaliser des masters, ainsi que des doctorats. En effet, s'agissant des doctorats, les infirmières françaises qui souhaitent suivre une telle formation sont obligées de partir à l'étranger. Ce n'est pas à la hauteur de notre système de santé et de notre système universitaire !
La prise en compte des compétences des infirmières fait défaut pour que ces dernières puissent s'inscrire dans une démarche de prévention. Pour prendre l'exemple de la santé mentale des jeunes, les infirmières en santé de l'éducation nationale ont été purement et simplement oubliées des concertations menées par l'assurance maladie. En outre, il manque du temps aux professionnelles, notamment dans les établissements sanitaires.
Mme Sophie Di Giorgio. - En matière de prévention, j'insiste sur la primo-prescription d'activités physiques adaptées. Un amendement en ce sens a été rejeté à l'Assemblée nationale ; nous comptons sur vous pour le reprendre... Nous ne comprenons pas pourquoi nous avons été oubliés !
Le kinésithérapeute peut également jouer un rôle essentiel en matière de bilans de prévention aux âges clés de la vie, notamment par le statut de kinésithérapeute de santé au travail, qui permet la détection de tous les troubles liés aux postures, ou par l'engagement des syndicats dans le dispositif « M'ton dos », qui vise à réaliser des détections en établissements scolaires et à faire apprendre les gestes relatifs au port du cartable. Les kinésithérapeutes interviennent aussi sur les problèmes de constipation des très jeunes enfants en proposant des solutions par le biais des unions régionales des professionnels de santé (URPS). Du côté des personnes âgées, les bilans de motricité aident à détecter au plus tôt les risques de chute, d'ankylose et, plus généralement, de perte d'autonomie. Toutefois, ces différents dispositifs ne sont pas encore assez développés. Pour cette raison, toutes les organisations de la profession soutiennent une proposition de loi en ce sens.
La passerelle ne nous pose aucun problème irrémédiable, à condition qu'elle se fasse dans les deux sens. Même si le dispositif prendrait un peu à Pierre pour habiller Paul, il faut laisser la liberté aux étudiants de se tromper de parcours. En revanche, le fait que les étudiants en première année commune aux études de santé (Paces) ne puissent pas revenir vers des études de kinésithérapie est un irritant.
En 2023, au travers de la plate-forme Pro Santé Connect, le ministère de la santé avait permis aux kinésithérapeutes de mettre leurs prescriptions en ligne avant qu'elles ne soient incrémentées dans le DMP. Ce dispositif, censé faciliter la communication, n'est pas encore assez connu.
M. Guillaume Brouard. - L'universitarisation est encore loin d'être pérenne. Des instituts de formation sous statut privé rencontrent des difficultés pour contractualiser avec l'université, souvent pour des différences de traitement financier, qui peuvent d'ailleurs aussi exister entre l'université et l'hôpital. Une mission a été lancée - la mission Ammirati - afin de créer une boîte à outils qui faciliterait cette universitarisation. Nous n'en avons pas encore les résultats. En cette matière, nous expérimentons... Mais quand nous proposons quelque chose de pertinent et de novateur, on nous répond : « trop fort, trop vite, trop tôt » !
La passerelle dépendra des évolutions en matière d'universitarisation, mais c'est un dispositif intéressant pour créer de l'appétence. Passer 42 années dans le soin peut paraître long ; nous faisons aussi face à des abandons de carrière pour épuisement professionnel. La perspective de pouvoir évoluer ou changer de métier peut être un facteur d'attractivité, notamment auprès des jeunes.
Avec Parcoursup, les étudiants post-bac sont placés directement au contact de la souffrance et de la mort. C'est parfois un choc et certains abandonnent faute de maturité suffisante. C'est pourquoi l'ordre des pédicures-podologues propose une année commune en santé pour acquérir de la maturité et choisir sa carrière.
Pour la prévention, nous manquons de rééducateurs, masseurs-kinésithérapeutes et pédicures-podologues. À 65 ans, on n'est pas vieux, mais l'enjeu, c'est la mobilité, car la sédentarité, la perte d'autonomie, la rupture du lien social aggravent les pathologies chroniques liées au vieillissement. L'aménagement de l'habitat est crucial. Or les professionnels sont de moins en moins nombreux à avoir le temps de se projeter au domicile du patient.
Pr. Stéphane Oustric. - Sur le risque cardiovasculaire, les sociétés savantes sont déconnectées de certaines réalités, car elles utilisent les données de patients non européens - notamment nord-américains, avec un terrible problème de « malbouffe » - et elles sont soumises au lobbying de certains fournisseurs.
Mme Émilienne Poumirol. - Les laboratoires pharmaceutiques !
Pr. Stéphane Oustric. - La European Society of Cardiology a décidé que le taux critique de mauvais cholestérol était de 0,55 g/l pour les patients à risque - au lieu de 0,7 g/l. La prescription de statines anti-cholestérol ne suffit donc plus et il faut les coupler avec de l'ézétimibe, soit un surcoût de 500 euros par an. Comme cela concerne tous les diabétiques et tous ceux qui ont déjà eu un accident vasculaire, même s'ils vont bien, les coûts explosent. Mais si vous ne le faites pas, vous avez un risque statistique de mort du patient.
Regardez le top 10 des médicaments les plus prescrits et les plus coûteux...
Pour la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), si le médecin ou l'infirmier administre un biosimilaire préparé par le pharmacien - ce que les pharmaciens savent faire- plutôt que d'utiliser une seringue préremplie par le laboratoire, la Société française d'ophtalmologie pointe un risque d'infection nosocomiale. Pourtant, il y aurait là de quoi réaliser facilement 700 millions d'euros d'économies !
Je travaille depuis plus de dix-huit ans dans l'unité de recherche du Professeur Vellas qui dirige le fameux institut hospitalo-universitaire dédié au vieillissement. Nous considérons qu'une tension un peu plus élevée quand on prend de l'âge est parfaitement normale, en raison de la rigidification des artères. Il faut une pression de perfusion cérébrale suffisante, sinon c'est la perte d'équilibre, la chute, la fracture du col du fémur et éventuellement la mort.
L'enjeu d'importance pour nous, c'est la stratégie et nous avons des unités de recherche de dé-prescription. L'industrie pharmaceutique s'intéresse peu à la médecine générale, mais les médecins spécialistes sont sous pression, car on ne peut pas refuser l'innovation : nous devons proposer des solutions aux patients dont les pathologies sont complexes. Il ne s'agit pas d'être frileux, mais de placer le curseur au bon endroit.
Les logiciels fonctionnent très bien en médecine de ville, mais à l'hôpital la question de la cybersécurité est tellement prégnante que les processus se complexifient. Les logiciels ne sont finalement ni homogènes ni adaptés aux besoins.
Nous comptons quelque 1 600 pédiatres libéraux et 6 000 en établissement. Nous avons surtout besoin de pédiatres en établissement, pour le bon fonctionnement de maternités notamment. Nous sommes face à un véritable problème démographique.
M. Philippe Mouiller, président. - Un grand merci à vous tous. Comme vous l'avez vu, nous sommes très intéressés par l'évolution de vos professions. Nous évoquons ces questions dans le cadre du prochain débat du PLFSS, mais elles nous occupent également tout au long de l'année.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à poursuivre l'expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d'employabilité - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Nous en venons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à poursuivre l'expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d'employabilité.
Cette proposition de loi, déposée par le député Nicolas Turquois, a été adoptée par l'Assemblée nationale le 18 janvier 2024. Malgré le délai d'examen, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte, qui sera examiné en séance mercredi 6 novembre.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Nous examinons cet après-midi la proposition de loi du député Nicolas Turquois au terme de travaux d'instruction et d'auditions menés dans des délais très resserrés. Ce texte a été adopté par l'Assemblée nationale le 18 janvier 2024, mais la dissolution et la formation du Gouvernement ont retardé sa discussion au Sénat. Finalement, le Gouvernement a inscrit ce texte à l'ordre du jour de nos travaux le 6 novembre prochain.
Ce texte et l'expérimentation d'un contrat de travail à temps partagé aux fins d'employabilité (CDIE) qu'il porte sont au coeur d'une querelle assez vive, le secteur de l'intérim mettant en doute son utilité et dénonçant une situation inéquitable.
La loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises (PME) a créé le dispositif du travail à temps partagé : des entreprises de travail à temps partagé (ETTP) recrutent du personnel qualifié qu'elles mettent ensuite à disposition d'entreprises utilisatrices pour l'exécution d'une mission. Il s'agit de mutualiser une main d'oeuvre qualifiée que les PME ne peuvent recruter elles-mêmes en raison de leur taille ou de leurs moyens.
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel s'est adossée à ce régime pour créer, à titre expérimental, le CDIE, qui s'adresse à un public spécifique rencontrant « des difficultés particulières d'insertion professionnelle », appréciées selon des critères alternatifs relativement larges : perception d'un minimum social, inscription à Pôle emploi depuis au moins six mois, situation de handicap, âgé de plus de cinquante ans ou niveau de formation inférieur au bac.
L'expérimentation assouplit également les conditions de mise à disposition, puisque l'entreprise utilisatrice n'est plus nécessairement limitée dans son recrutement par sa taille ou ses moyens. De même, le CDIE est, à certains égards, plus flexible que le contrat de travail à durée indéterminée intérimaire (CDII). L'entreprise utilisatrice peut y avoir recours sans avoir à démontrer le caractère temporaire du besoin de main-d'oeuvre et sans que la durée de la mission ni les renouvellements soient limités dans le temps.
Le CDIE s'adresse toutefois à un public plus éloigné de l'emploi que la moyenne et l'ETTP est tenue de mettre en place les conditions d'une montée en qualification du salarié pour faciliter son insertion pérenne dans l'emploi - actions de formation conduisant à une certification professionnelle, abondement de son compte personnel de formation (CPF) à hauteur de 500 euros par salarié à temps complet et par an.
Initialement caduque au 1er janvier 2022, l'expérimentation a été reconduite jusqu'au 31 décembre 2023 par la loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée », pour tenir compte de la crise sanitaire. Cela fait donc maintenant dix mois que l'expérimentation est arrivée à échéance et qu'aucun nouveau CDIE ne peut être conclu.
Les données chiffrées relatives à cette expérimentation sont parcellaires. Selon les informations dont la direction générale du travail (DGT) a connaissance, quelque 5 000 CDIE auraient été conclus depuis 2018.
L'article 1er prévoit une relance de l'expérimentation pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation du texte. La rédaction initiale prévoyait une inscription pérenne du dispositif dans le code du travail, mais la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a jugé, à juste titre, qu'il convenait de mieux évaluer le dispositif avant d'envisager son inscription définitive dans notre droit.
Cet article prévoit également de mieux cibler les publics éloignés de l'emploi en resserrant les conditions d'éligibilité. Le bénéfice du CDIE pour les bénéficiaires des minima sociaux ou les personnes en situation de handicap est inchangé. En revanche, les demandeurs d'emploi doivent être inscrits sur les listes de France Travail depuis au moins douze mois, contre six mois auparavant. Le CDIE serait également ouvert aux personnes âgées de plus de 55 ans - et non 50 ans -, ainsi qu'aux jeunes de moins de 26 ans ayant une formation infra-baccalauréat, à condition que ces salariés aient été inscrits auprès de France Travail depuis au moins six mois.
Enfin, cet article sécurise juridiquement le régime applicable en prévoyant que les contrats conclus avant le 31 décembre 2023 resteront régis par la loi dans sa version antérieure.
L'article 1er ter renforce les droits des salariés mis à disposition dans le cadre d'un CDIE et finalement embauchés par l'entreprise utilisatrice : ces salariés pourront rompre leur CDI sans préavis si l'embauche dans l'entreprise se fait à l'issue d'une mission ; la durée des missions préalablement accomplies dans cette entreprise sera prise en compte, dans une limite de trois mois, pour le calcul de l'ancienneté du salarié et pour celle de la période d'essai prévue par le nouveau contrat de travail. Il s'agit d'aligner le régime du CDIE sur celui du CDII. C'est loin d'être une simple hypothèse juridique : selon les ETTP entendues, environ la moitié des salariés seraient embauchés par l'entreprise utilisatrice à l'issue de leur contrat de mission.
Enfin, l'article 1er bis est rédactionnel et l'article 2, qui prévoyait des sanctions au sein du code du travail en cas de non-respect des conditions, a été supprimé en commission à l'Assemblée nationale - la transformation d'un dispositif pérenne en poursuite d'expérimentation ne le rendait plus pertinent.
Les appréciations portées sur le CDIE par les ETTP, les entreprises du secteur de l'intérim et l'administration ont été divergentes, voire totalement opposées, sur la philosophie du CDIE comme sur le bilan de l'expérimentation. De surcroît, le rapport que l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a consacré au CDIE, pourtant rédigé en juillet 2023, n'a été publié que vendredi dernier - je ne l'ai pas obtenu avant, en dépit de mes multiples relances. Nous n'avons donc pas pu recueillir l'avis des personnes auditionnées sur ses conclusions.
Pour vous permettre de vous positionner en toute connaissance de cause, je vous livre ici l'ensemble des critiques suscitées par le CDIE.
Le premier reproche fait au CDIE concerne le public qu'il vise : est-il fondamentalement différent de celui des salariés de l'intérim ? Ce point est important parce qu'il justifie à la fois la souplesse offerte aux entreprises utilisatrices, et les obligations supplémentaires en matière de formation pour les ETTP. D'après les chiffres communiqués par la DGT - elle admet elle-même qu'ils ne sont que déclaratifs -, près de 80 % des salariés en CDIE y étaient éligibles au titre de leur inscription sur les listes de France Travail depuis plus de six mois ou de leur niveau de diplôme inférieur au baccalauréat. Bien que rencontrant de réelles difficultés d'insertion, ce public est relativement large. C'est pourquoi le resserrement des critères opéré par la proposition de loi me semble pertinent. L'éligibilité au CDIE serait désormais conditionnée à douze mois d'inscription sur les listes de France Travail, sauf pour les plus de 55 ans dont nous connaissons les difficultés spécifiques sur le marché de l'emploi ; et la condition de diplôme infra-baccalauréat ne vaudrait désormais que pour les moins de 26 ans.
Ensuite, la concurrence entre ETTP et entreprises du secteur de l'intérim serait déloyale, ces dernières devant consacrer au moins 10 % de leur masse salariale au financement de la rémunération mensuelle minimale garantie d'intermission, obligation qui n'existe pas pour les ETTP. Pour autant, il ne me semble pas que l'on puisse parler de concurrence déloyale puisque les ETTP sont tenues d'assurer lors des intermissions le salaire horaire de la dernière mission du salarié, soit dans la majorité des cas plus que le salaire minimum applicable en intérim.
En revanche, une réelle différence entre le secteur de l'intérim et les ETTP réside dans l'existence d'une convention collective en matière de travail temporaire. Cela ne signifie pas que les salariés en CDIE ne bénéficient pas d'actions en matière de prévoyance ou d'abondements supplémentaires pour la formation, mais ceux-ci passent par des accords d'entreprise et sont moins visibles. Pour cette raison, le rattachement des ETTP à une convention collective existante me semble souhaitable, et devrait faire l'objet d'un travail des services de l'État.
Enfin, on peut regretter l'absence de suivi statistique robuste, qui serait dû à une « négligence » des ETTP qui ne respectent pas leurs obligations de remontée du nombre de contrats signés aux services déconcentrés de l'État. Si je déplore l'absence de données fiables, je réfute le procès en négligence : plusieurs ETTP m'ont rapporté s'être vu répondre par les services des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) que leurs remontées statistiques ne les intéressaient pas. Il reste donc un circuit d'information à créer, car la déclaration sociale nominative (DSN) ne peut remplir cette fonction compte tenu du coût et de la charge administrative que cela représente.
Le CDIE me semble donc être un outil contractuel novateur pour les personnes les plus éloignées de l'emploi. Il demeure perfectible, mais modifier le dispositif, et refuser un vote conforme, le condamnerait à n'être jamais relancé après déjà un an d'interruption.
Je suis convaincue qu'il faut prendre le risque d'une expérimentation, tout en restant vigilants quant à son déploiement par les ETTP et à son accompagnement par les services de l'État. Oser simplifier et offrir plus de souplesse aux entreprises face à un environnement économique incertain, mais oser aussi sécuriser le parcours des personnes les plus éloignées de l'emploi, et leur éviter le risque de la permittence.
Ce choix me paraît d'autant plus simple que contrairement à d'autres expérimentations coûteuses pour les finances publiques - je pense aux territoires zéro chômeur de longue durée -, le CDIE ne coûte rien à la collectivité.
Je vous invite donc à adopter ce texte sans modification.
Enfin, il m'appartient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Cette proposition de loi comprend des dispositions relatives au CDIE, notamment les droits auxquels il ouvre et ses conditions d'éligibilité. En revanche, ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte, des amendements relatifs au travail temporaire, notamment au CDII, ainsi qu'à l'insertion par l'activité économique (IAE).
M. Philippe Mouiller, président. - Merci à notre rapporteur, pour ce travail réalisé dans des délais très courts.
Mme Jocelyne Guidez. - Le sujet est complexe... L'Igas préconise de ne pas pérenniser l'expérimentation du CDIE. Peut-on imaginer une évolution du dispositif évalué, qui offrirait un cadre plus protecteur aux salariés ? L'Igas pointe aussi un risque de substitution au CDII ainsi qu'un risque d'externalisation non maîtrisée de l'emploi, qui risqueraient de remettre en cause le CDI comme la forme normale et générale de la relation de travail. Merci pour ce rapport éclairant.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - À mon tour de remercier Frédérique Puissat pour cette présentation très claire. J'ai rencontré en début d'année l'association qui promeut le CDIE. Ce dispositif m'a paru intéressant, même s'il peut sembler concurrent du CDII. Son resserrement sur les publics les plus en difficultés dans leur insertion professionnelle est donc une bonne chose. De surcroît, cette expérimentation ne coûte rien à l'État, ce qui est rare. Elle ne concerne à ce stade que 5 000 personnes, mais elle peut se développer. Je suis favorable à la poursuite de l'expérimentation, que j'espère concluante, notamment pour les seniors.
Mme Monique Lubin. - Merci à Mme la rapporteure pour ses auditions très intéressantes, organisées dans un temps record.
Les ETTP, créées en 2005, devaient permettre de mettre du personnel qualifié à disposition d'entreprises qui ne pouvaient pas recruter en raison de leur taille ou de leurs moyens. Il ne s'agissait pas initialement de cibler les personnes les plus éloignées de l'emploi.
Hier matin, j'ai entendu des représentants du Syndicat des entreprises d'emploi durable (Seed), ils s'expriment clairement. L'un d'entre eux m'a confié : « Je suis gérant d'une ETTP. Avant, je gérais une entreprise de travail intérimaire, mais j'ai trouvé une bonne fenêtre de tir. » Tout est dit : on est dans l'opportunité. Un autre : « Les modifications apportées à l'Assemblée nationale ne nous arrangent pas. » Le rapport de l'Igas comme les propos de notre rapporteure font bien apparaître que le dispositif n'a absolument pas démontré son utilité : très peu de contrats ont été signés et la plupart ne concernent pas les personnes les plus éloignées de l'emploi.
Les deux entreprises citées en exemple sont Renault et La Poste. Or La Poste a déjà été condamnée à plusieurs reprises pour avoir usé et abusé des CDD. Et que dire de Renault ? Selon l'une des personnes entendues, l'intérêt du CDIE résiderait dans le fait que les entreprises utilisatrices ne peuvent pas être condamnées aux prud'hommes... Je ne remets pas en cause le principe des ETTP, mais le CDIE et l'utilisation qui en est faite par certaines entreprises pour contourner le droit du travail.
Bien sûr il s'agit de CDI, mais cela reste de l'emploi atypique, et donc précaire.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre.
Mme Silvana Silvani. - Bravo pour ce compte rendu d'une précision chirurgicale.
Nous ne disposons pas de données suffisantes pour évaluer l'expérimentation, pourtant en cours depuis 2018 ! Deux hypothèses peuvent expliquer le manque de données : soit cela n'a pas marché, car les entreprises n'ont pas joué le jeu ; soit les données ne sont pas remontées faute d'outil fiable - la DSN ne pouvait pas être modifiée pour une simple expérimentation. Nous avons donc expérimenté pendant six ans sans outil de mesure !
Nous avons reçu le rapport de l'Igas qui date de 2023... ce vendredi. C'est un document clair, qui analyse bien la situation, les données et les résultats. Il préconise l'arrêt de l'expérimentation et d'assouplir plutôt les contrats d'intérim en vigueur.
Certes, le dispositif ne coûte rien, financièrement parlant. Mais il a un coût en termes de conditions de travail : celles du CDIE ne sont pas à la hauteur de celles du CDI.
Faut-il prolonger cette expérimentation ? Qu'est-ce que ça changera ? En l'état, il ne me semble pas raisonnable d'envisager la généralisation.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous avons dû faire vite, ce qui pose la question du respect du travail parlementaire.
Le CDIE est un cas d'école. Tout est parti d'un amendement. Après un report d'un an, nous avons eu quatre ans d'expérimentation. Il n'y a pas eu de remontées d'informations, mais on sait que cela a touché peu de monde et que les informations sont de piètre qualité.
La communication du rapport de la mission de l'IGAS est bloquée depuis un an. Nous venons juste d'avoir le rapport et on nous demande de pérenniser le dispositif sans avoir eu le temps d'examiner son application dans le détail.
Certes, par rapport au texte initial, la version transmise au Sénat prévoit un léger retour en arrière avec une limitation de l'expérimentation à quatre ans, mais votre empressement à faire voter ce texte conforme montre que vous approuvez le Gouvernement dans sa précipitation. Nous aurions pu mener un travail un peu plus sérieux pour améliorer le dispositif par amendements, d'autant que vous ne pouvez ignorer que les syndicats sont montés au créneau.
Quel est l'avantage pour les employeurs ? Il n'y a aucun risque de requalification du contrat, c'est-à-dire qu'il peut maintenir un employé en CDIE pendant des années sans aucun motif à fournir, au contraire de ce qui est prévu pour le CDII. Ce dernier est ainsi totalement vampirisé. Dès lors, autant supprimer le code du travail !
Vous nous parlez de la protection des branches, mais celles-ci protègent les entreprises régulent la concurrence dans chaque secteur d'activité. C'est pour cette raison que Prism'emploi est monté au créneau, regrettant la mise en concurrence avec le CDII, et ce pour une valeur ajoutée très faible.
Le dispositif se réclame participer de l'insertion dans l'emploi de public éloigné mais le critère d'inscription sur les listes de France Travail est beaucoup plus large que la seule catégorie A des demandeurs d'emploi. D'ailleurs, le concept d'employabilité n'existe pas dans le code du travail, au contraire de l'insertion par l'activité économique qui va, elle aussi, être fragilisée, de même que l'expérimentation des territoires zéro chômeur. Ces deux dispositifs reposent sur des vrais critères permettant de cibler les personnes éloignées de l'emploi. C'est vraiment le stade ultime de la dérégulation.
Madame la rapporteure, il faut absolument resserrer les critères du dispositif.
Je vous rappelle que la CFDT y est opposée, faute d'avoir eu connaissance assez tôt du rapport de l'Igas. Enfin, si nous votons le texte conforme, songez que l'Assemblée nationale se sera exprimée à l'aveugle, en quelque sorte.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - J'ai mené ce travail avec beaucoup d'humilité. Au début de ma mission, j'avais quelques certitudes, qui ont laissé place à des doutes au fil des auditions. Cependant, il faut bien décider à un moment donné, d'autant que sont en jeu 5 000 emplois qui ne coûtent rien à l'État.
Je vous l'accorde, adosser cette proposition de loi au texte de 2005 est quelque peu baroque. En revanche, nous sommes totalement dans l'esprit de la loi de 2018, qui avait pérennisé le CDII, en ce que nous nous efforçons de lutter contre la permittence.
Il n'y a pas que La Poste et Renault qui recourent au CDIE. France Travail l'utilise aussi. Nous fixons un cadre légal et il y aura des contrôles des Dreets et de l'Urssaf. Tout ne sera pas permis.
Par ailleurs, il faut savoir que 50 % des CDIE se terminent par un CDI classique. C'est aussi un débouché pour l'insertion par l'activité économique.
Le Mouvement des entreprises de France (Medef), c'est vrai, est mitigé. En revanche, si la CFDT ne nous a pas répondu, Nicole Notat, figure historique de ce syndicat, est administratrice de l'entreprise qui emploie le plus de CDIE.
L'Igas indique seulement qu'il ne faut pas pérenniser l'expérimentation dans le cadre actuel, ce que nous ne proposons pas, puisque la durée d'application est réduite à quatre ans et le public resserré pour éviter la concurrence avec le CDII. Elle souligne également qu'il faut simplifier le CDII et mettre fin à la sédimentation des contrats. Aussi, pourquoi ne pas imaginer un futur texte visant à faire converger le CDIE et le CDII ?
Mme Pascale Gruny. - Je suis exactement sur la même longueur que Mme le rapporteur.
J'ai longtemps travaillé sur la flexisécurité au niveau européen. Force est de constater que, en France, nous avons la sécurité, mais nous manquons de flexibilité.
Avec ce texte, nous nous adressons à des publics très éloignés de l'emploi. Pour avoir été rapporteur de la loi sur le plein emploi, je suis bien placée pour vous dire qu'il nous faut faire tout notre possible en la matière. Insérer les personnes éloignées de l'emploi, c'est un vrai travail, long et difficile. Le CDIE permet un accompagnement efficace.
En ce qui concerne les statistiques et les données, il y a aussi un effort de simplification à mener. France Travail est par exemple submergée par ces tâches de collecte. Ce sont autant de ressources humaines dont ne bénéficient pas les personnes qui en ont le plus besoin.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - L'amendement COM-1 est un amendement de suppression. Comme cet article constitue l'essentiel de la proposition de loi, j'y suis défavorable.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je tiens à préciser que les 5 000 emplois qu'a évoqués Mme la rapporteure auraient pu être pourvus sous CDII.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté sans modification.
Article 1er bis (nouveau)
L'article 1er bis est adopté sans modification.
Article 1er ter (nouveau)
L'article 1er ter est adopté sans modification.
Articles 2 et 3 (supprimés)
Les articles 2 et 3 demeurent supprimés.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
Programme de contrôle de l'année 2025 - Communication
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, le Bureau de notre commission, réuni le 16 octobre dernier, a procédé à un échange de vues sur le programme de contrôle que nous pourrions mener en 2025.
Au vu de ces échanges et en tenant compte des ressources humaines dont nous disposons, je pense que nous pourrions envisager les contrôles suivants.
Tout d'abord, nous pourrions mener à son terme un contrôle de 2024 sur le suivi du rapport de notre commission de 2021 sur la psychiatrie après la crise du covid-19. Je souhaite que nos rapporteurs, Jean Sol et Céline Brulin, puissent reprendre ce travail et qu'ils l'enrichissent, la santé mentale ayant été déclarée grande cause nationale en 2025.
De même, je vous rappelle que nous avons lancé, voilà quelques semaines, un contrôle sur l'efficacité du contrôle des établissements d'accueil du jeune enfant et sur ses éventuelles défaillances, dont Olivier Henno, Laurence Muller-Bronn et Émilienne Poumirol sont les rapporteurs.
Je vous indique par ailleurs que la Cour des comptes doit nous rendre, avant la fin de l'année, une enquête que je lui ai demandée sur le 1er cycle des études de médecine. Je pense que cette enquête présentera un grand intérêt et méritera des auditions complémentaires en début d'année, afin de nous permettre de formuler des propositions fortes en la matière. Nous verrons prochainement qui pourra rapporter ces travaux à mes côtés, étant entendu que je suis traditionnellement le rapporteur des travaux demandés à la Cour.
Pour la suite, le 11 février prochain marquera le vingtième anniversaire de la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Le Président du Sénat souhaite à cette occasion organiser un grand colloque, au cours duquel un bilan de cette loi pourra être fait par chaque commission pour ce qui la concerne. Je souhaite donc que nous lancions dès aujourd'hui une mission d'information sur ce sujet.
Concrètement, c'est la commission des affaires sociales qui sera la plus sollicitée. En parallèle, le groupe d'études sur le handicap sera chargé de coordonner nos travaux avec ceux des autres commissions.
Je vous propose de désigner comme rapporteurs Marie-Pierre Richer, présidente du groupe d'études sur le handicap, Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFFS), ainsi qu'un représentant de l'opposition, dont le nom sera connu dans le courant de la semaine.
Par ailleurs, j'ai été sollicité pour que nous nous penchions sur les dangers du fentanyl et d'autres opiacés présents dans des médicaments, qui font des ravages dans plusieurs régions du monde. Je pense que ce sujet pourrait faire l'objet d'une « mission flash » sous un angle de santé publique, en dehors de la question de la lutte contre les trafics, qui relève de la compétence de la commission des lois.
Lors de la réunion de Bureau, plusieurs collègues ont également souhaité que nous lancions une mission d'information sur la question de l'aide sociale à l'enfance (ASE). J'y souscris et prendrai prochainement l'attache de la nouvelle présidente de la commission des lois afin de déterminer si nous pourrions lancer une mission commune à nos deux commissions sur ce sujet d'importance.
Enfin, je souhaite que nous constituions une mission d'information sur la question de la prévention en santé - recensement de tous les acteurs, pilotage -, ainsi qu'une mission d'information sur les aides à domicile.
Si nous sommes en mesure de le faire, nous pourrions également former une mission sur le sujet de l'aide à domicile des personnes dépendantes.
De plus, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) pourra lancer ses propres contrôles. Le président Milon communiquera ses propositions le moment venu.
Bien entendu, il s'agit là d'objectifs, d'ailleurs assez ambitieux, dont la réalisation en 2025 dépendra aussi de notre programme législatif et des droits de tirage des différents groupes politiques, qui sont aussi susceptibles de mobiliser les fonctionnaires affectés à la commission.
La réunion est close à 17 h 30.
Mercredi 30 octobre 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 08 h 35.
Proposition de loi visant à améliorer le repérage et l'accompagnement des personnes présentant des troubles du neuro-développement et à favoriser le répit des proches aidants - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission (deuxième lecture)
M. Philippe Mouiller, président. - Monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous débutons aujourd'hui nos travaux par l'examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à améliorer le repérage et l'accompagnement des personnes présentant des troubles du neuro-développement (TND) et à favoriser le répit des proches aidants.
Comme l'a décidé la Conférence des présidents, avec l'accord de tous les présidents de groupe, nous légiférons selon la procédure de législation en commission prévue aux articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat. Le droit d'amendement s'exerce donc uniquement en commission.
La réunion de la commission se tient en présence du Gouvernement ; elle est publique et retransmise sur le site du Sénat.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité des suffrages exprimés, le 2 mai dernier, cette proposition de loi déposée par nos collègues Jocelyne Guidez, Laurent Burgoa et Corinne Féret à la suite d'un rapport d'information de notre commission.
Plusieurs modifications ont été apportées au texte par les députés. L'Assemblée nationale a adopté conforme un article, confirmé la suppression d'un autre et modifié cinq articles du texte transmis par le Sénat en janvier dernier. Trois nouveaux articles complètent par ailleurs la proposition de loi. À ce stade de la navette, huit articles demeurent donc en discussion.
Ce texte, que nous avons adopté à l'unanimité en janvier dernier, permettra d'améliorer le repérage et le suivi des personnes présentant des TND, de favoriser leur inclusion scolaire et de simplifier leur parcours. D'après la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour les TND, ces troubles concerneraient 17 % de la population. La proposition de loi contribuera également à soutenir les proches qui les accompagnent. Elle répond ainsi à plusieurs des difficultés identifiées par le rapport d'information de 2023.
Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale ne bouleversent pas l'économie générale du texte et ne réduisent pas sa portée. C'est pourquoi je vous proposerai de l'adopter sans modification supplémentaire afin qu'il puisse rapidement entrer en vigueur.
Attardons-nous, d'abord, sur les modifications apportées par l'Assemblée nationale aux dispositions visant à améliorer les conditions de scolarisation des élèves présentant un TND. Celles-ci doivent permettre de garantir à tous les élèves présentant un TND, même complexe, l'accès à un parcours scolaire aussi ordinaire que possible, à proximité de leur domicile.
L'article 1er, qui vise la création de dispositifs dédiés à la scolarisation en milieu ordinaire de ces élèves dans chaque circonscription académique métropolitaine et dans chaque académie d'outre-mer d'ici à 2027 est, à cet égard, particulièrement important. Les députés ont largement soutenu ses dispositions et n'y ont apporté que des ajustements rédactionnels.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, introduit un nouvel article 1er bis faisant obligation à l'éducation nationale de s'assurer que, dans chaque établissement scolaire, un relais ou un référent pour l'accueil d'enfants présentant un TND soit désigné. Notre commission avait rejeté un amendement similaire, le jugeant insuffisamment précis et largement satisfait par les dispositions de l'article 1er. Je vous proposerai néanmoins d'entendre la volonté de l'Assemblée nationale et d'adopter, en conséquence, cet article.
Les députés ont adopté conforme l'article 2, qui vise à renforcer la formation des équipes pédagogiques à l'accueil et à l'accompagnement des élèves présentant un TND.
Enfin, l'Assemblée nationale n'a apporté que des modifications rédactionnelles à l'article 4. En prévoyant que les mesures d'inclusion scolaire prises par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) puissent être notifiées pour la durée d'un cycle pédagogique, soit trois ans, cet article permettra aux parents et aux professionnels, dont le temps est précieux, de ne pas se plonger trop régulièrement dans des procédures administratives.
L'Assemblée nationale a également adopté, avec modifications, les dispositions de la proposition de loi visant à favoriser un repérage et un diagnostic précoces des TND. Il s'agit là d'un enjeu essentiel : un enfant sur six serait atteint d'un TND, mais, en raison de carences dans le repérage, un sous-diagnostic important persiste en France. Ce dernier est à l'origine de retards, voire d'absences de prise en charge, qui se traduisent par des surhandicaps et, bien souvent, du mal-être pour les enfants concernés.
À cet égard, moyennant quelques modifications rédactionnelles, l'Assemblée nationale a adopté l'article 5 du texte, qui vise à inscrire dans la loi l'existence d'une stratégie de repérage adaptée au niveau de risque identifié chez l'enfant, fondée sur l'organisation d'examens complémentaires le cas échéant.
Si cette stratégie de repérage graduée en fonction du risque a permis d'importants progrès, elle doit toutefois être complétée par une politique de repérage en population générale. C'est l'objectif de l'article 6, plus substantiellement modifié par les députés, qui prévoit la réalisation de deux examens médicaux obligatoires de repérage des TND, intégralement pris en charge par la sécurité sociale. Contre l'avis du Gouvernement et de la commission des affaires sociales, les députés ont adopté deux amendements identiques fixant à 9 mois plutôt qu'à 18 mois l'âge du premier examen de repérage obligatoire.
Je regrette, naturellement, que l'Assemblée nationale n'ait pas suivi les préconisations de la Haute Autorité de santé (HAS), pourtant fondées sur une expertise scientifique reconnue. L'âge retenu ne semble pas le plus opportun en population générale. Toutefois, réaliser un premier examen à 9 mois est recommandé chez les enfants à risque et pourrait accélérer la prise en charge de certains troubles observables précocement. Afin de permettre l'adoption rapide de la proposition de loi, il ne me semble pas opportun d'amender le texte pour rétablir à 18 mois l'âge cible du premier examen de repérage. Je ne peux toutefois qu'encourager le Gouvernement à sensibiliser, dans le cadre de la réforme du carnet de santé, les parents et les professionnels de santé sur l'opportunité de réaliser également des tests de repérage des TND aux alentours de 18 mois.
Les députés ont, par ailleurs, confirmé la suppression de l'article 3, qui visait à renforcer la formation continue des professionnels de santé aux situations de handicap et de TND. Nous avions jugé, en première lecture, que ses dispositions étaient déjà entièrement satisfaites en droit.
L'Assemblée nationale a inséré dans le texte deux articles additionnels destinés à favoriser l'implication des professionnels de l'accueil du jeune enfant et de l'accueil collectif des mineurs, en milieu extrascolaire, dans le repérage et le suivi des TND.
L'article 3 bis, d'une part, vise à rendre obligatoire la formation à l'accueil et au suivi des mineurs présentant un TND pour les personnels des établissements et services d'accueil du jeune enfant ou d'accueil collectif des mineurs (crèches, assistants maternels, centres de loisirs, etc.)
L'article 6 bis, d'autre part, confie à ces professionnels une mission de participation au repérage précoce des TND, au suivi et à l'accompagnement des enfants concernés.
Il me semble que ces dispositions complètent utilement le texte. Les professionnels qui côtoient les enfants au quotidien sont probablement les mieux placés pour observer certains écarts de développement ou identifier des comportements inhabituels. Sans se substituer à l'intervention du médecin de première ligne, dont l'expertise scientifique demeure indispensable pour permettre le repérage, les professionnels de l'accueil du jeune enfant ont un rôle important à jouer en réalisant, en quelque sorte, un « pré-repérage » permettant d'anticiper la consultation d'un médecin de première ligne. Des guides à l'attention de ces professionnels, contenant des grilles d'observation à différents stades du développement, ont ainsi été publiés par la délégation interministérielle en 2021. La stratégie nationale mise en place par le Gouvernement pour la période 2023-2027 souligne par ailleurs la nécessité de renforcer la formation des professionnels interagissant avec l'enfant dans sa vie quotidienne, afin qu'ils puissent agir favorablement sur son développement. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter sans modification ces deux articles.
Enfin, l'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications aux dispositions du texte visant à soutenir les aidants.
À l'article 7, qui pérennise l'expérimentation permettant des dérogations au droit du travail dans le cadre de prestations de « relayage » ou de séjours de répit, les députés ont supprimé, d'une part, la possibilité de mobiliser des salariés du particulier employeur pour effectuer ce type de prestations, et, d'autre part, la possibilité pour le conjoint survivant de prolonger le contrat de travail avec le salarié embauché comme aide à domicile en cas de décès du conjoint employeur.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a introduit l'obligation, pour les établissements et services souhaitant fournir des prestations de relayage dans ce cadre dérogatoire, d'obtenir l'accord préalable du président du conseil départemental ou du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS). Elle a également prévu la définition, par décret, des critères auxquels les personnes aidées doivent répondre pour avoir accès aux prestations de relayage de longue durée.
Les députés ont finalement différé l'entrée en vigueur de ce dispositif au 1er janvier 2025.
Ces modifications, substantielles, permettront de mieux encadrer le dispositif prévu et de maîtriser son champ d'application. Pour ne pas retarder davantage l'entrée en vigueur de ces dispositions attendues, je vous proposerai d'adopter cet article dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, si certaines modifications apportées par l'Assemblée nationale apparaissent discutables, la grande majorité d'entre elles complètent utilement la proposition de loi et maintiennent son ambition.
Ces dispositions sont attendues des familles et des associations. Nécessaires pour améliorer le parcours scolaire et médical des enfants présentant un TND, et pour développer l'offre de répit des proches aidants, elles doivent désormais rapidement entrer en application.
Dans l'intérêt des enfants concernés et en accord avec son auteure, Jocelyne Guidez, je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sans modification.
M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes. - Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit ce matin me tient particulièrement à coeur, comme vous le savez. Je veux tout d'abord remercier Jocelyne Guidez, l'auteure de ce texte et Anne-Sophie Romagny, sa rapporteure pour le Sénat. Je salue les travaux menés par la Haute Assemblée dès janvier dernier ainsi que le choix de recourir à la procédure de législation en commission.
Adopté à l'unanimité au Sénat en janvier 2024, puis à l'Assemblée le 2 mai dernier, ce texte nous rassemble et dépasse les clivages politiques. Je suis à présent membre du Gouvernement, mais je n'oublie pas, bien entendu, mon travail de rapporteur sur ce texte.
La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a travaillé rigoureusement à l'élaboration d'amendements constructifs, confirmés ensuite en séance, sans pour autant modifier l'essentiel du texte que vous aviez adopté, démontrant ainsi, je le crois, notre harmonie de vues, d'objectifs et de méthode.
Les députés ont notamment adopté un article qui oblige l'éducation nationale à s'assurer de la présence dans chaque établissement d'un référent au moins pour l'accueil des enfants présentant un trouble du neuro-développement, à savoir l'autisme, les troubles dys, le trouble de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et les troubles du développement intellectuel. Tout comme les parents, les enseignants souhaitent voir se réaliser l'école pour tous, mais ils nous font part de leurs difficultés à accompagner certains élèves. Ils doivent être rassurés et savoir qu'ils ne sont pas seuls. Cette mesure vient compléter efficacement l'article 2, que les députés avaient adopté conforme en première lecture, ce dernier étant à son tour complété par un nouvel article qui vise à élargir la formation aux personnels des centres de loisirs et des crèches. La vie des enfants ne s'arrêtant pas au portail de l'école, nous devons partout nous soucier de leur bien-être.
Cet article rejoint notre objectif commun d'oeuvrer pour les droits des enfants en situation de handicap. La conférence nationale du handicap a acté en 2023 une réforme du cadre d'emploi des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) pour faciliter leur travail, leur permettre d'accompagner aussi les élèves sur les temps périscolaires et généraliser le bonus périscolaire pour les centres qui accueillent des enfants en situation de handicap. Ensemble, Parlement et Gouvernement agissent pour que les droits des personnes soient mieux respectés.
Cette union des forces s'observe également dans l'élaboration de la stratégie nationale pour les troubles du neuro-développement, en particulier leur repérage précoce, dont il est question dans la deuxième partie de ce texte. Le code de la santé publique prévoit vingt examens médicaux obligatoires entre la naissance et la majorité, mais aucun n'est dédié spécifiquement au repérage des TND. Des grilles seront bientôt incluses dans le carnet de santé, mais nous devons aussi prévoir des examens dédiés pour repérer au plus vite ces troubles et éviter les risques de surhandicap. Nous savons également que la formation des professionnels de santé sur les TND doit être améliorée ; je travaille avec le délégué interministériel en ce sens.
Un repérage plus efficace est aussi la garantie pour nos politiques publiques de fournir par la suite un meilleur accompagnement aux enfants, aux adultes et aux familles. Je renouvelle donc devant vous mon attachement à l'article 6 et à la création de deux examens médicaux, aux 9 mois de l'enfant pour repérer les troubles les plus sévères, notamment l'autisme, et à ses 6 ans, avant l'entrée au cours préparatoire, pour repérer les troubles d'apparition plus tardive comme le TDAH et les troubles dys. J'ai toutefois entendu votre invitation, madame la rapporteure, et je m'engage, dans le cadre du déploiement du nouveau carnet de santé, à ce qu'une attention particulière soit portée au repérage autour des 18 mois de l'enfant.
La complémentarité dont je parlais s'observe enfin avec la stratégie pour les aidants. Le dispositif de relayage de longue durée, expérimenté depuis 2019 et prolongé à plusieurs reprises, a démontré son impact positif auprès des personnes concernées, de leurs proches aidants et des salariés des établissements mobilisés. Nous avions statué à l'Assemblée nationale sur le report de son entrée en vigueur en raison d'un risque d'insécurité juridique liée au droit du travail. Notre priorité doit être de garantir la continuité des parcours d'accompagnement et d'éviter une rupture délétère pour les personnes, leur sécurité et l'organisation des services. Un travail devra être accompli à ce titre au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour permettre la bonne continuité des dispositifs entre le prolongement de l'expérimentation et sa pérennisation, toujours au profit des personnes concernées et de leur famille, dans l'optique d'une mise en oeuvre de l'article 7 au 1er janvier 2025.
Je suis très heureux de voir ce texte aboutir prochainement et je vous renouvelle mes remerciements.
M. Philippe Mouiller, président. - Je remercie l'auteure de la proposition de loi, Jocelyne Guidez, de son implication constante, depuis des années, sur la cause des aidants et sur la prise en charge des TND.
Mme Jocelyne Guidez, auteure de la proposition de loi. - Je commencerai par adresser des remerciements à Annick Jacquemet, Laurent Burgoa, Corinne Féret, notre président Philippe Mouiller, le ministre Paul Christophe et Anne-Sophie Romagny, enfin, pour sa prise de relais.
Il y a beaucoup d'émotion quand on en arrive à ce stade d'une proposition de loi traitant d'un handicap, a fortiori d'un handicap invisible. Ce genre de sujets, très pointus, exigent de l'humilité : on ne peut avancer qu'à plusieurs ! Je suis donc heureuse d'être là aujourd'hui et, monsieur le ministre, je tiens tout particulièrement à vous remercier pour votre écoute, car c'est ensemble que nous avons pris les décisions.
Voilà quinze jours, j'ai reçu M. Étienne Pot, délégué interministériel, lui-même médecin, qui m'a rassurée sur la question des neuf mois, m'indiquant que cet examen neurosensoriel était important et qu'il permettrait de mieux détecter un souci en cas d'autisme et, pourquoi pas, de TDAH.
Je vous remercie tous d'avoir travaillé à mes côtés et d'avoir permis les avancées réalisées. Cela étant, prenons le cas des professeurs d'écoles : ils peuvent bénéficier de stages à condition de les financer eux-mêmes. Ce n'est pas normal ! Prenons les dossiers MDPH : tous les ans, pour un enfant atteint d'autisme depuis ses 9 ou 18 mois, pour un enfant détecté TDAH à 3 ans, les parents doivent retourner un dossier extrêmement compliqué à remplir et, quand on parle de le simplifier, on ajoute quatorze pages... C'est honteux ! Prenons, enfin, la question des adultes : l'âge actuel de repérage est 37 ans. Il faut trouver des solutions pour les jeunes de 25 ans qui n'ont pas encore été repérés et qui se retrouvent sans travail, parfois avec une addiction. Autrement dit, le travail ne s'arrête pas là !
Mme Florence Lassarade. - Merci, chère Jocelyne Guidez, d'avoir mis l'accent sur une pathologie que je connais ; ayant exercé le métier de pédiatre pendant quarante ans, j'ai souvent été confrontée à la détresse des parents.
Les pédiatres savent établir le repérage. En revanche, on semble parfaitement accepter l'idée qu'il n'y en ait plus, au motif que les médecins généralistes peuvent faire leur métier. Or, ces derniers bénéficient de trois mois de formation en pédiatrie et refusent d'en avoir plus. Il y a plusieurs âges de repérage, l'examen à 9 mois n'étant que l'examen obligatoire - il est d'ailleurs censé revenir à la protection maternelle et infantile (PMI), dont nous n'avons pas parlé. Va-t-on laisser le médecin généraliste faire ce repérage ou va-t-on réellement former des internes en pédiatrie, et ce pas uniquement pour faire de la réanimation au sein des maternités ?
J'y insiste, la difficulté dans le parcours tient plus à l'accueil et à l'accès aux consultations spécialisées qu'à l'établissement du repérage et du diagnostic. Sur l'autisme, il y a un réel malentendu : on ne recourt pas assez aux spécialistes capables de détecter et on n'en forme pas assez.
Ce refus de recourir aux spécialistes et cette délégation permanente des tâches entraînent une perte de compétences, et je déplore que l'on se contente de cet état de fait.
Mme Corinne Féret. - Cette proposition de loi tire son origine des conclusions de la mission d'information sur les troubles du neurodéveloppement que nous avions menée, Jocelyne Guidez, Laurent Burgoa et moi-même. Depuis, nous avons progressé sur ce sujet concernant de très nombreuses familles, des enfants comme des adultes.
Avec ce texte, nous répondons à une attente ancienne de ces familles. C'est pourquoi nous le soutiendrons.
Toutefois, je me permettrai de rappeler, en votre présence, monsieur le ministre, que les moyens font défaut. La proposition de loi apporte des solutions visant à améliorer le dépistage, la prise en charge, l'accompagnement, tant des personnes atteintes que des aidants. Mais il faut aussi des professionnels aux côtés de ces enfants ! Il faut des moyens ! Or les pénuries sont réelles dans certaines professions. S'y ajoute la problématique de l'accès aux soins pour les familles éloignées des structures d'accueil.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Je remercie à mon tour les collègues ayant travaillé sur ce texte. Je voudrais saluer tout particulièrement l'article concernant les aidants et la pérennisation d'une expérimentation en cours depuis 2018, à laquelle le département du Bas-Rhin a participé.
Ayant eu l'occasion de rencontrer les acteurs qui effectuaient ce « relayage » ou « baluchonnage », je peux confirmer que, tout comme les familles, ils n'ont que des éloges à formuler sur un programme permettant aussi de retarder l'entrée en établissement. Le maintien à domicile présente beaucoup d'intérêts, et cet assouplissement du droit du travail est très positif.
Mme Laurence Rossignol. - Je voudrais, moi aussi, saluer le travail réalisé par nos collègues et pour autant, à titre personnel, me démarquer un peu de la position de notre chef de file sur le sujet, Corinne Féret. Mon intervention est cohérente avec ce que j'avais déjà exprimé au moment de l'examen du rapport d'information précédemment cité.
Favoriser le repérage pour accélérer le dépistage, aider les parents en travaillant sur le répit, introduire les neurosciences dans les diagnostics des enfants atteints de TND, tout cela est positif. Mais quelques sujets me posent problème, à commencer par le monde réel dans lequel on s'inscrit...
Je veux bien que l'on parle d'un repérage à 9 mois, mais c'est le temps qu'il faut pour avoir un premier rendez-vous dans un centre de dépistage TDAH !
Et que va-t-il se passer dès lors que cet examen devient obligatoire ? On risque de devoir faire appel à des médecins non formés.
Et que fera-t-on face à des enfants dont les troubles du développement sont, non pas liés au neurodéveloppement, mais par exemple à une situation d'inceste ?
Autant les neurosciences sont un apport, autant la conversion totale et exclusive à ces neurosciences est dangereuse. Je me méfie donc de ce qui pourrait devenir une nouvelle religion, au même titre que je me méfie de n'importe quelle mode en matière de diagnostic sur les troubles du développement. Il y a dix ans de cela, tout le monde était bipolaire. Maintenant les enfants sont TDAH, sauf les enfants de bonne famille qui sont à haut potentiel intellectuel (HPI)... Soyons vigilants sur ces questions !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Quel combat, chère Jocelyne Guidez, quelle constance, quelle force dans la détermination ! Je vous ai sentie parfois proche d'abandonner - sentiment que doivent aussi connaître les familles - et, chaque fois, vous êtes repartie. Je suis donc heureuse que nous aboutissions aujourd'hui, et je vous en félicite.
Ce que vient de dire Laurence Rossignol est intéressant. Je ne doute pas que viendra ensuite le temps de l'évaluation. Cette évaluation devra-t-elle être annuelle ou pas ? Je ne saurais le dire, mais il faudra la réaliser, et je ne doute pas que vous prêterez attention aux évolutions et progrès. C'est le sens même de ce texte !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je sais combien Jocelyne Guidez est attachée à cette cause et combien elle a travaillé pour faire aboutir ce texte, qui traite d'un sujet important, et nous l'en remercions.
Cela a été souligné, il faut vraiment travailler à la simplification administrative pour les enfants et les familles.
Malheureusement, se pose aussi la question des centres médico-psychologiques (CMP) et des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP). Les temps d'attente y sont longs : il faut plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous. J'espère que nous pourrons avancer sur cette question dans le cadre du PLFSS, même si celui-ci est, je le sais, très encadré.
Veillons aussi aux bonnes volontés qui s'expriment dans nos départements. Je viens d'inaugurer La Maison d'Antoine à Lens, une structure ouverte par les parents d'un jeune atteint de TND et accueillant aujourd'hui plusieurs jeunes adultes en situation de handicap. Pour quelques milliers d'euros manquants, elle va peut-être devoir fermer. Il faut aider ces petites structures, utiles pour le répit des proches aidants.
Mme Anne Souyris. - Je dirai un mot sur le continuum de la prise en charge. Ayant été professeur des écoles dans une autre vie, je voudrais évoquer une difficulté d'ordre administratif importante. Peut-être n'existe-t-elle pas partout, mais elle est éprouvante pour les parents et les accompagnateurs que sont les enseignants. Il s'agit du fait qu'au passage d'un établissement à l'autre - crèche, école maternelle, école élémentaire et au-delà - tous les suivis s'arrêtent. Se pose donc une question d'amélioration de la transmission d'informations, qui ne coûterait d'ailleurs pas forcément plus d'argent, pour ne pas imposer aux familles de tout recommencer à chaque étape.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Le fait que la plupart des articles du texte aient été évoqués montre bien l'appétence qu'il suscite, et je vous en remercie, mes chers collègues. Il s'agit évidemment d'une première étape, qui appellera un suivi. À ce titre, j'entends les remarques et les inquiétudes concernant les délais. L'examen à 9 mois permet un repérage par un médecin de première ligne ; il faut ensuite poser le diagnostic et enclencher le suivi. Non seulement il existe aujourd'hui des difficultés en termes de délais de diagnostic et de prise en charge, mais ceux-ci risquent de s'allonger si l'on repère plus d'enfants. Il faudra y être attentifs.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous rappelle que les articles 2 et 3 ne sont plus en navette.
EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
Articles 1er bis et 3 bis (nouveaux)
Les articles 1er bis et 3 bis sont successivement adoptés sans modification.
Articles 4, 5 et 6
Les articles 4, 5 et 6 sont successivement adoptés sans modification.
Article 6 bis (nouveau)
L'article 6 bis est adopté sans modification.
Article 7
L'article 7 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de Mme Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam)
M. Philippe Mouiller, président. - Nous auditionnons Mme Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025.
Celui-ci fait encore apparaître, pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), une prévision d'excédent pour 2025 - ramené à seulement 0,2 milliard d'euros -, assortie d'une prévision de retour à des déficits modérés pour les années suivantes. S'agissant des mesures relatives à la branche, outre le traditionnel reversement à la branche maladie, qui est porté à 1,6 milliard d'euros, on relève principalement la réforme de l'indemnisation en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, figurant à l'article 24.
Madame Thiebeauld, je vous laisse entamer cet échange par un propos liminaire, dans lequel vous nous donnerez la vision de votre caisse sur le PLFSS, plus particulièrement sur la branche AT-MP, puis nous passerons aux questions.
Mme Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). - Selon les projections de ce PLFSS, la branche AT-MP, qui était excédentaire depuis une dizaine d'années, devrait revenir à l'équilibre, voire avoir un solde négatif, à compter de 2026.
Cela est dû, notamment, à l'impact de la baisse du taux de cotisation dans le cadre de la réforme des retraites et à la réévaluation à la hausse du coût de la sous-déclaration : conformément aux préconisations du rapport de la commission d'évaluation de la sous-déclaration des AT-MP, qui a été remis au Parlement cet été, le transfert a été porté de 1,2 milliard d'euros en 2024 à 2 milliards d'euros en 2027.
La projection du PLFSS prend aussi en compte les nouvelles dépenses et les nouveaux investissements de la branche en matière de lutte contre l'usure professionnelle : je pense notamment à la création du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu), doté de 1 milliard d'euros.
De même, les dépenses relatives aux indemnités journalières sont dynamiques. L'article 24 prévoit une amélioration de l'indemnisation de l'incapacité permanente ; les dépenses devraient augmenter en conséquence.
En ce qui concerne la sinistralité, on observe en 2023, comme en 2022, un retour à la tendance qui prévalait avant la crise sanitaire : le nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles baisse, avec une diminution de 13 % par rapport à 2019. La fréquence des accidents de travail atteint un plancher. Cela traduit sans doute les évolutions des modes de travail. On avait observé le même mouvement après la crise financière de 2008. En revanche, les accidents de trajet et les maladies professionnelles voient leur nombre augmenter respectivement de 5 % et 7 %.
L'actualité de la branche est aussi marquée par la signature de la convention d'objectifs et de gestion (COG) en juillet 2024.
M. Philippe Mouiller, président. - Enfin !
Mme Anne Thiebeauld. - On peut mettre en exergue la hausse des moyens consacrés à la prévention, la volonté d'améliorer l'indemnisation des victimes, des dispositions relatives à la tarification ou encore à la gestion du compte professionnel de prévention - l'ancien compte personnel de prévention de la pénibilité, repris en gestion par la branche, pour mieux prendre en charge les facteurs de pénibilité.
Je dirai enfin un mot sur l'article 24, relatif à l'amélioration de l'indemnisation de l'incapacité permanente. À l'issue d'une concertation intense entre les partenaires sociaux, l'État et la Cnam, le texte proposé comporte une évolution législative importante. Il vise à tenir compte des attentes de la Cour de cassation, avec une amélioration de l'indemnisation - tous les nouveaux bénéficiaires de rentes seront concernés à partir de l'entrée en vigueur de cet article -, et des attentes des partenaires sociaux, par la consécration de la nature duale de la rente. Celle-ci doit indemniser tant les préjudices d'ordre professionnel que la perte fonctionnelle, les deux facteurs étant intégrés dans les modalités de calcul.
Le nouveau dispositif sera un gage d'équilibre : il permettra d'améliorer le financement des séquelles des accidents de travail et des maladies professionnelles, sans modifier le calcul de la part professionnelle. Les barèmes seront définis par voie réglementaire.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche AT-MP. - La branche pourrait se retrouver, un peu contre toute attente, dans une situation déficitaire dès 2026, avec un solde prévisionnel négatif de 400 millions d'euros. Cette évolution est principalement due à l'augmentation perpétuelle des montants des transferts à la charge de la branche : est-ce à dire que la branche AT-MP, financée par les seuls employeurs, a été utilisée comme une variable d'ajustement pour soutenir d'autres entités déficitaires, notamment la branche maladie ?
Voilà deux ans que les besoins du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) sont en nette hausse. Cela reflète, d'une part, la dynamique des dépenses et, d'autre part, l'épuisement du fonds de roulement de l'établissement, qui rendait à lui seul nécessaire de rebaser la dotation. Les besoins financiers du fonds étant incontestables et avérés, le renforcement des moyens alloués était indispensable. Toutefois, je m'interroge sur la répartition de l'effort entre la branche AT-MP et l'État. Alors que la branche a plus que doublé sa dotation en deux ans, l'État n'a pas augmenté la sienne d'un centime, si bien qu'il n'apporte aujourd'hui plus que 1,5 % des recettes publiques du fonds. Cette situation a de quoi interpeller quand on sait que près d'un cinquième des victimes indemnisées par le Fiva sont des victimes environnementales, qui ne relèvent pas de la responsabilité de la branche AT-MP. Alors que la hausse vertigineuse des transferts plongera la branche dans le déficit dès 2026, des discussions ont-elles lieu pour que l'État prenne enfin sa juste part dans le financement du Fiva ?
L'article 24 du PLFSS comporte des modifications majeures concernant les modalités de calcul des prestations d'incapacité permanente versées par la branche AT-MP. Je me félicite que la proposition des partenaires sociaux ait, cette fois, pu faire l'objet d'une retranscription fidèle : cela permettra d'augmenter l'indemnisation versée par la branche à toutes les victimes de sinistres professionnels.
Annie Le Houerou et moi-même avions proposé, dans notre rapport Branche AT-MP : vers un juste équilibre entre réparation et prévention des risques professionnels, quelques pistes complémentaires afin de mieux répondre aux enjeux concernant les victimes de faute inexcusable de l'employeur, notamment en leur ouvrant le droit de convertir une partie de leur rente fonctionnelle en capital, indépendamment de leur taux d'incapacité. On pourrait par exemple imaginer que la majoration de la part fonctionnelle de leur prestation, versée par l'employeur fautif à la caisse sous forme de capital, puisse leur être directement reversée sous forme de capital. Une telle solution vous semblerait-elle réalisable techniquement ? D'autres solutions vous semblent-elles envisageables pour renforcer l'indemnisation des victimes de faute inexcusable de l'employeur ?
Alors que le PLFSS pour 2025 prévoit une baisse réglementaire du plafond des indemnités journalières pour la branche maladie, afin d'endiguer la forte dynamique des dépenses associées, aucune évolution n'est prévue pour la branche AT-MP. Comment les indemnités journalières versées par la branche AT-MP ont-elles évolué en 2024, et de combien estimez-vous qu'elles pourraient augmenter en 2025 ? Des mesures de modération, sur le modèle des mesures présentées pour la branche maladie, sont-elles envisagées et vous semblent-elles nécessaires pour l'équilibre de la branche AT-MP ?
Mme Anne Thiebeauld. - En ce qui concerne la situation financière de la branche, on note une augmentation des montants de transferts liés à la sous-estimation des déclarations. L'estimation repose sur un travail technique qui a été réalisé par la commission instituée par l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale. La hausse prévue vise à compenser des dépenses indûment prises en charge par l'assurance maladie. Toutefois, si les sous-déclarations baissent, les dépenses de prestation augmenteront mécaniquement. Ce transfert n'est donc pas déterminant dans l'évolution financière de la branche : ces sommes figureraient en dépenses de risques si elles n'étaient pas forfaitisées dans cette compensation de la sous-déclaration.
La situation financière de la branche est aussi liée à des dépenses supplémentaires, telles que les dépenses de prévention - le Fipu, je le rappelle, est doté de 1 milliard d'euros -, ou les dépenses d'indemnisation de l'incapacité permanente.
Votre question sur le Fiva concerne plutôt les services de l'État, car le financement par celui-ci au travers de la taxe sur le tabac n'existe plus. Je n'ai pas connaissance de discussions visant à réintroduire un financement de l'État supplémentaire.
Votre question sur l'article 24 fait écho à des discussions que nous devons avoir sur la capitalisation des rentes. Je pense que cette question devrait être traitée par la voie réglementaire. Selon sa situation et son taux d'incapacité, l'assuré peut avoir besoin d'investir immédiatement pour compenser son handicap, par exemple pour acheter un moyen de locomotion adapté ou procéder à différents aménagements dans sa vie quotidienne. Il peut donc être judicieux que la réparation puisse être assurée sous la forme d'une capitalisation, plutôt que sous la forme d'une réparation à long terme et viagère.
J'ai pris connaissance du rapport sénatorial mentionné. Il serait logique, en effet, de capitaliser une part de la rente fonctionnelle en cas de faute inexcusable de l'employeur. Les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) récupèrent le versement de ce dernier en capital. Il serait donc possible de le reverser de la même manière aux assurés.
Vous évoquez la baisse du plafond des indemnités journalières pour la branche maladie. Cette mesure aura, de fait, des répercussions sur les indemnités des accidents du travail en ce qui concerne la prévention. Les actions menées par l'assurance maladie sur les dépenses et sur la gestion du risque en matière d'incapacité temporaire ont des effets sur la branche AT-MP. En effet, les actions vis-à-vis des assurés, les contrôles menés par le service médical de l'assurance maladie sur les indemnités journalières concernent aussi les indemnités journalières AT-MP, qui sont versées selon les mêmes critères. Les contrôles des professionnels de santé visent aussi les prescriptions relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, puisque le traitement des demandes d'indemnités journalières au titre de l'assurance maladie est adossé à celui qui concerne les dossiers AT-MP.
Nous cherchons aussi à sensibiliser les entreprises aux enjeux de l'absentéisme. La Cnam, en lien avec le réseau des organismes de sécurité sociale, a mis en place des campagnes annuelles au cours desquelles les directeurs de caisse vont à la rencontre des chefs d'entreprise lorsque l'absentéisme est « atypique » par rapport aux entreprises de leur secteur.
Si les indemnités journalières sont trois ou quatre fois supérieures à la moyenne du secteur d'activité dans lequel l'entreprise évolue, nous rencontrons les dirigeants, dans une démarche de sensibilisation et d'accompagnement, non pas de coercition, pour leur donner des éléments de comparaison qu'ils ne connaissent pas forcément, évoquer avec eux les impacts sur l'organisation de l'entreprise, les traduire financièrement en coûts pour l'entreprise et pour la collectivité, et leur proposer un accompagnement par les préventeurs de la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) en vue de la mise en place de programmes destinés à prévenir la survenue des troubles musculo-squelettiques (TMS) ou des risques psychosociaux (RPS). Nous élaborons un diagnostic et essayons de proposer une solution adaptée à chaque entreprise.
Cette action fonctionne très bien. C'est la troisième campagne que nous menons et nous constatons une tendance à la baisse des indemnités journalières dans les entreprises visées. Nous devrons néanmoins vérifier que ce mouvement est durable, car personne n'a la martingale sur ces sujets. Cette campagne concerne les grandes entreprises de plus de 150 salariés, pour des raisons de secret statistique. Je précise que notre ciblage n'est fondé sur aucune donnée médicale.
Mme Annie Le Houerou. - La baisse de 13 % du nombre d'accidents du travail cache des disparités en fonction des secteurs d'activité et, malheureusement, les maladies professionnelles augmentent de 7 %. Ce n'est pas acceptable ! Avec Marie-Pierre Richer, nous avons fait le constat d'un sous-investissement chronique de la branche dans la prévention et préconisé un choc d'investissement dans ce domaine. Quelle sera la part de ces dépenses en 2025 ? Quelles sont les mesures envisagées pour que la branche AT-MP prenne enfin le virage préventif ? Au-delà des actions de communication précitées, un plan structuré de grande ampleur est-il prévu ?
Ma seconde question porte sur la procédure complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles. Dans l'accord national interprofessionnel (ANI) du 15 mai 2023, les partenaires sociaux ont exprimé le souhait de diminuer de 25 % à 20 % le taux d'incapacité permanente minimal donnant droit à la reconnaissance de la maladie professionnelle hors tableau. Nous soutenons cette évolution, préconisant même d'aller plus loin lorsque ce sera possible. Toutefois, les mesures de transposition de cette mesure ne semblent pas avoir encore été prises. Quand cela sera-t-il fait ? Pourquoi cette évolution n'a-t-elle toujours pas été mise en oeuvre, plus d'un an et demi après la signature de l'ANI ?
Mme Pascale Gruny. - Je m'oppose personnellement aux transferts, tant les besoins en prévention sont immenses. Dans ce domaine, il faut de la transparence et je doute également de la fiabilité des calculs statistiques qui les fondent. On connaît tous le problème des accidents du lundi matin, qui, étant en fait des accidents de vie privée, ne sont pas déduits des transferts...
Un exemple très concret, dans l'Aisne, du besoin d'investissement en prévention. Un boucher souhaitant investir dans la prévention des TMS s'est vu rétorquer par la Carsat des Hauts-de-France qu'elle n'avait plus de fonds. Plutôt que de transférer des fonds, accompagnons donc les entreprises attentives à la prévention des maladies professionnelles !
Mme Raymonde Poncet Monge. - On ne peut pas dire que les chiffres de la commission chargée d'évaluer le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail sont infondés...
S'il n'y avait pas de sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, les dépenses risques et prestations de la branche AT-MP dépasseraient le montant du transfert, soit 1,6 milliard d'euros. Je le rappelle, le transfert n'atteint même pas, en 2025, la fourchette basse du transfert, en l'espèce 2 milliards d'euros ! Or elle est elle-même sous-estimée, car les experts ne prennent pas en compte l'ensemble des pathologies - ils viennent à peine d'inscrire sur leur liste les risques psycho-sociaux en cas de dépression sévère !
De plus, l'estimation du transfert se fait au coût du tarif de prise en charge fixé par la branche maladie, et non par la branche AT-MP.
Un transfert de 1,6 milliard d'euros, alors que la fourchette haute s'élève à 3,8 milliards d'euros, revient également à minorer la responsabilité des employeurs au sujet de la sous-déclaration des AT-MP. Certaines entreprises, je le rappelle, encouragent la sous-déclaration individuelle d'accidents, en offrant des primes collectives en cas d'absence de déclaration d'accidents du travail.
La commission propose d'établir annuellement un rapport d'étape sur le suivi des recommandations. Ce serait plus utile que des transferts budgétaires insuffisants !
Un mot sur la gouvernance. Ce sont les associations de victimes qui nous ont alertés sur les difficultés soulevées par l'article 39 du PLFSS pour 2024, nous conduisant à la rédaction de l'article 24 du PLFSS pour 2025. Aussi, elles ont toute leur place au sein de la commission des AT-MP, même s'il ne faut pas, bien sûr, revenir sur le paritarisme.
Lorsque j'ai proposé que la part fonctionnelle des indemnisations soit versée en capital, on m'a rétorqué qu'il y aurait un effet de trésorerie, et que mon amendement tomberait sous le coup de l'article 40 de la Constitution. Pourtant, la victime doit pouvoir choisir entre un versement en capital ou en rente.
Mme Frédérique Puissat. - La sous-déclaration est soit trop haute, soit trop basse, mais dans tous les cas, elle reste insupportable. Établis dans l'urgence, les budgets de la sécurité sociale ou de l'État n'en restent pas moins marqués par le souci de réduire la dépense publique. Aussi, pour que cette réduction soit comprise et acceptée, ne faudrait-il pas adopter la comptabilité analytique, qui est plus transparente ? Cela permettrait d'éviter des transferts budgétaires contestables et de se concentrer sur des priorités comme la prévention.
Mme Marion Canalès. - L'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) ne s'est pas vu allouer les crédits escomptés ; qu'en pensez-vous ?
Quelle est votre vision du rôle des services de contrôle médical du régime général, qui vont être dissous dans les CPAM à partir d'avril 2025 ? Peut-on revenir sur cette décision ?
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Il faut développer la culture de la prévention, notamment via le document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp). Pour autant les petites entreprises - très petites entreprises (TPE) ou petites et moyennes entreprises (PME) - semblent rencontrer des difficultés pour le remplir. Quelles mesures sont prévues pour mieux les accompagner et les aider à mettre en oeuvre cette obligation ?
L'approche populationnelle est tout aussi importante que les approches territoriale et sectorielle. On constate une recrudescence des accidents mortels du travail chez les intérimaires ou chez les jeunes en insertion ; les femmes sont particulièrement vulnérables à certaines maladies professionnelles, comme les TMS. Quelles sont vos prévisions pour l'année 2025, selon l'approche populationnelle ?
M. Khalifé Khalifé. - De quelle manière les risques psychosociaux sont-ils pris en compte comme maladies professionnelles ? Quelles sont les actions de prévention mises en place ? De nombreuses fondations privées soutiennent les entreprises dans la promotion du bien-être au travail. Comment percevez-vous ce type de soutien privé, et comment le situez-vous au regard des limites parfois floues entre accidents du travail et maladies professionnelles et pathologies non professionnelles ?
Mme Anne Thiebeauld. - Certains souhaitent que l'objectif de volume des moyens consacrés à la prévention passe de 3,5 % à 7 % : cela me semble arbitraire, d'autant plus que l'environnement économique et financier est contraint. Aussi, je partage modérément leur proposition.
Au reste, la COG de la branche AT-MP rehausse les moyens consacrés à la prévention : le nombre d'ingénieurs-conseils et de contrôleurs augmente de 12 % à 13 % d'ici à 2028 ; les aides financières aux entreprises pour la prévention sont passées de 50 millions en 2014 à 120 millions aujourd'hui, les montants du Fipu consacrés aux risques ergonomiques s'élèvent désormais à plus de 100 millions d'euros.
Il est vrai que l'INRS n'a pas obtenu les moyens escomptés, mais son budget a augmenté de 15 %, passant de 79 millions d'euros par an jusqu'en 2022 à 90,9 millions d'euros par an d'ici à 2028. Cet investissement substantiel témoigne de l'engagement de la branche en faveur de la prévention des risques professionnels.
La prévention suppose un travail de long terme - il ne suffit pas de contribuer à l'achat d'un équipement individuel pour progresser à ce sujet. Un tel travail est d'autant plus complexe lorsque l'on s'adresse aux TPE et PME, car la tarification collective, qui déconnecte leur cotisation de leur sinistralité réelle, rend difficile la prise de conscience de l'impact financier des accidents du travail. De plus, pour les petites entreprises, où les accidents sont peu fréquents, le message de prévention est plus difficile à transmettre ; en moyenne, une entreprise de quatre salariés subit un accident du travail tous les dix ans. L'exercice de sensibilisation n'est donc pas simple.
Pour compenser cela, nous avons mis en place des outils en ligne, accessibles à tout moment, adaptés aux petites entreprises, à l'instar de boîtes à outils disponibles sur le portail Ameli-Entreprises. Nous avons aussi développé un outil d'évaluation simplifié, déployé dans toute l'Union européenne, permettant aux petites entreprises de produire elles-mêmes leur document unique, sans recourir à des consultants externes. Environ 30 000 évaluations sont réalisées chaque année par ce biais. Il reste des progrès à faire, mais nous travaillons donc à mieux atteindre les petites entreprises, y compris par la communication sur les réseaux sociaux.
Nous déployons de la même manière une approche sectorielle. Pour les secteurs très sinistrogènes du BTP, de l'intérim et du médico-social, nous avons développé des programmes de prévention particuliers. Notre démarche passe aussi par une tarification incitative à la prévention. Celle de l'intérim a ainsi été réformée en avril dernier.
Nous avons également mené des études genrées sur la sinistralité chez les femmes, publiées dans le rapport annuel de la branche, qui sortira dans les prochaines semaines.
La prévention des risques psychosociaux est effectivement délicate, ces risques étant plus difficiles à appréhender que les risques mécaniques ou physiques. Les entreprises peuvent investir de plusieurs façons. Dans certaines régions, les Carsat ont référencé des consultants labellisés qui les aident à déployer des actions de prévention des RPS. Je vous renvoie également au site de l'INRS, proposant plusieurs méthodes sur le sujet. Cela peut commencer par le bien-être au travail et le sport en entreprise. Il existe aussi une littérature sur les critères organisationnels à partir desquels les entreprises peuvent s'interroger sur le niveau de RPS en leur sein - le rapporteur Gollac, par exemple, définit six critères - ; ce sont autant d'aides pour les entreprises.
Celles-ci peuvent ensuite s'adresser aux caisses régionales pour obtenir des aides financières. Je ne connais pas la situation précise du boucher que vous avez mentionné, madame Gruny...
Mme Pascale Gruny. - C'était une façon d'aborder la répartition des moyens sur le territoire. Les Hauts-de-France semblent en avoir moins que d'autres régions.
Mme Anne Thiebeauld. - Les fonds sont répartis selon la sinistralité régionale. Les clés de répartition sont assez simples. Il peut toutefois arriver que, dans certaines régions, des relais particulièrement dynamiques incitent les entreprises à demander davantage qu'ailleurs. En outre, en juillet, nous étions soumis à des dispositions budgétaires transitoires dans l'attente de la COG et ne fonctionnions qu'avec 80 % de notre budget.
Nous nous emparons aussi des rapports de la commission de sous-déclaration, surtout de ses préconisations, et déployons des plans d'action en conséquence. Sur la précédente période triennale, nous avons été très bouleversés par la crise sanitaire, qui a empêché la mise en place d'actions prévues entre 2020 et 2022.
Nous devons fournir des efforts sur la formation des médecins. La sensibilisation aux risques professionnels est réalisée lors du troisième cycle des études de médecine, ce qui est trop tôt. Nous devons être bien plus présents dans la formation continue plutôt que dans la formation initiale. Nous nous engageons sur ce point sur nos canaux tels qu'Ameli professionnels de santé, qui est une source d'informations pour les médecins.
La formation des assurés est difficile. La déclaration de maladie professionnelle est souvent vécue comme un parcours du combattant, que nous travaillons, avec les partenaires sociaux, à simplifier. Actuellement, il faut une déclaration administrative, un certificat médical initial et parfois des examens complémentaires. Il peut être compliqué, pour des assurés âgés ou malades depuis longtemps, de rassembler tous ces éléments. Des actions sur ce point démarrent. Parfois, on peut s'interroger sur l'origine professionnelle de certaines affections de longue durée. Le diagnostic est un sujet de long terme. Nous souhaitons améliorer la détection et l'accompagnement des assurés.
On m'a interrogée sur la réparation, et plus particulièrement sur une mesure de l'accord national interprofessionnel de 2023 de baisse du seuil d'incapacité permanente pour accéder aux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP) pour la reconnaissance par voie complémentaire d'une maladie professionnelle. Cette mesure est bien dans notre programme de travail : elle a été réinscrite dans la COG qui vient d'être signée. À nous, Cnam, mais aussi partenaires sociaux et direction de la sécurité sociale (DSS) d'y oeuvrer d'ici à 2028, même si ce n'est pas encore planifié dans notre programme de transcription. Une baisse de 25 % à 20 %, soit ce qui est prévu aujourd'hui, est relativement faible. Il s'agit d'une évaluation médicale de l'incapacité, par définition liée à la situation individuelle de l'assuré victime, qui ne relève pas d'un algorithme précis.
L'effet de trésorerie induit par le versement en capital de tout ou partie de l'indemnisation de l'incapacité permanente est effectivement un élément à prendre en compte. Aucune décision n'a été arrêtée sur ce point. Cet effet peut jouer dans les deux sens, le temps que la CPAM verse le capital, ou le récupère. Laisser le juge décider de cette capitalisation ne nous convient pas forcément non plus, et peut prendre du temps. Les règles doivent être objectives et transposables au plus grand nombre, en équité.
La mise en place d'une comptabilité analytique en matière de prévention permettrait de prendre un autre chemin. Mais il faudrait veiller à embarquer l'ensemble des acteurs de ce champ, qui ne se limite pas à la branche AT-MP.
La présence des associations de victimes à la commission des garanties est en débat, mais cela ne relève pas d'une décision de la Cnam.
- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -
M. Dominique Théophile. - Sur le champ très vaste concerné par des taux d'accidents du travail élevés - travaux publics, établissements de santé, etc. -, quelle stratégie allez-vous adopter, notamment en matière de tarification AT-MP, pour éviter que certaines entreprises ne subissent une nouvelle fois de double peine ?
Mme Anne Thiebeauld. - Les secteurs les plus sinistrogènes sont les mêmes dans les collectivités d'outre-mer et en métropole. Dans le médico-social, les accidents du travail sont très fréquents ; dans le BTP, ils sont souvent très graves. Ces deux secteurs à la très forte sinistralité jouissent de dérogations réglementaires. La répercussion sur leur taux de cotisation des dépenses de santé engendrées par les sinistres n'est pas totale. Ainsi, les entreprises peuvent absorber le coût de la tarification, mais l'incitation à la prévention s'en trouve affaiblie, puisque le taux de cotisation ne reflète pas le nombre de sinistres.
Nous développons des programmes très adaptés aux entreprises du BTP comme du médico-social, en accompagnant humainement et financièrement les préventeurs sur le terrain. Les entreprises qui suivent notre programme contre les troubles musculosquelettiques, TMS Pro, font baisser leur sinistralité : on sait objectiver l'impact de cet investissement, et il vaut le coup !
L'indemnisation et la réparation AT-MP reposent beaucoup sur l'évaluation de l'incapacité permanente par le service médical de l'assurance maladie. Actuellement rattaché à la Cnam, ce service sera demain intégré aux CPAM. Mais son indépendance reste préservée dans l'organisation proposée, et sera garantie par une commission. Ce sujet ne nous inquiète pas. La réforme de la rente prévue à l'article 24 du PLFSS s'appuiera largement sur les compétences des médecins-conseils de l'assurance maladie.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de MM. Jean-René Lecerf, président, et Maëlig Le Bayon, directeur, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA)
M. Jean Sol, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous accueillons à présent MM. Jean-René Lecerf, président, et Maëlig Le Bayon, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
Comme nous l'avons relevé avec le ministre Paul Christophe la semaine dernière, dans la version initiale du PLFSS pour 2025, peu de mesures concernent la branche autonomie. Pourtant, nous le savons, les enjeux sont lourds. En tant que représentants des collectivités territoriales, nous avons notamment à l'esprit la situation financière des Ehpad, ainsi que celle des services d'aide à domicile. Les modalités de la prise en charge des fauteuils roulants manuels et électriques, annoncée par le Président de la République, ainsi que son financement, sont également très attendus.
Je vous laisse sans attendre la parole, messieurs, pour un propos liminaire. Puis les membres de la commission, en premier lieu notre rapporteur pour la branche autonomie Chantal Deseyne, vous interrogeront.
M. Jean-René Lecerf, président de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. - Permettez-moi d'abord de préciser que je suis président du conseil de la CNSA, la caisse étant en réalité une hydre à deux têtes avec le directeur général et les services, d'un côté ; le conseil réunissant l'ensemble des parties prenantes du secteur de l'autonomie et son président, de l'autre.
Mercredi dernier, le conseil de la CNSA avait à l'ordre du jour le PLFSS pour 2025. Notre premier constat, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, est celui d'une trajectoire de dépenses assez préservée par rapport à d'autres branches. L'objectif de dépenses pour les établissements et services pour personnes âgées et en situation de handicap est en augmentation de 4,7 % contre 2,8 % pour l'ensemble de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).
Dans le champ du handicap, l'objectif général de dépenses (OGD) est de 15,7 milliards d'euros, soit 3,3 % de plus qu'en 2024. Parmi les mesures nouvelles, 270 millions d'euros - au lieu des 200 millions d'euros prévus en loi de programmation des finances publiques - sont alloués au déploiement des 50 000 solutions issues de la dernière Conférence nationale du handicap.
Dans le champ de l'âge, l'OGD atteint 17,7 milliards d'euros, soit 6 % de plus qu'en 2024. Cette croissance dynamique s'explique en partie par l'intégration des conséquences de la fusion des sections soins et dépendance des Ehpad dans 23 départements volontaires, réforme importante, dont je signale que le conseil de la CNSA avait regretté l'extrême prudence lors du précédent PLFSS. Nous avions émis des doutes sur l'engagement des départements, mais un peu plus d'un quart d'entre eux ont été candidats. Tout le monde peut se tromper ! Est également prévue la poursuite du renforcement du taux d'encadrement en Ehpad pour atteindre 50 000 soignants supplémentaires d'ici à 2030 et, en tout cas, le financement de 6 500 postes en 2025.
Ajoutons à cela la présence du nouveau ministre en charge de l'autonomie, Paul Christophe, à l'ouverture du conseil de la CNSA, lequel - fait rarissime - s'est fait applaudir à son départ par les membres du conseil, après un dialogue de près de trois heures.
Paradoxalement, le conseil a, après délibération, émis un avis largement défavorable sur ce PLFSS, à 29 voix contre, 2 voix pour et 2 prises d'acte.
Le conseil est conscient des efforts, mais estime qu'ils ne sont pas de nature à lever ses inquiétudes sur l'ambition de la politique à l'égard de ceux d'entre nous qui sont les plus vulnérables. Selon lui, la trajectoire pour la branche ne permettra pas à notre pays de relever le défi démographique. Nous menons une politique responsable, mais nous agissons au fil de l'eau, comme si la tempête du vieillissement incomparable de notre population ne grondait pas. L'urgence d'agir n'est pas compatible avec les impératifs d'un budget contraint.
Plus que jamais, une loi relative au grand âge et à l'autonomie - au moins une loi de programmation financière - s'avère indispensable, et nous avons du mal à accepter que ce ne soit jamais le moment de s'y atteler.
La réponse aux difficultés des établissements et services de soins vis-à-vis des personnes âgées et des personnes en situation de handicap a fait l'objet d'une attention particulière du conseil. À court terme, ses membres considèrent qu'il faut prolonger le fonds d'urgence décidé en 2023, mais aussi repenser leur modèle économique et tarifaire en lien avec les départements et les usagers. Nous rejoignons le rapport d'information sénatorial intitulé « Ehpad : un modèle à reconstruire » sur ce point. Des aides ponctuelles ne suffiront pas à surmonter les difficultés des établissements. L'organisation en trois sections est source de complexité et de coûts. En outre, il conviendrait d'associer le plus grand nombre de conseils départementaux à l'expérimentation de la fusion des sections.
Nous souhaitons aussi assumer notre volonté très ancienne de développer l'approche domiciliaire. Le développement d'alternatives à l'Ehpad et au domicile est indispensable, qu'il s'agisse de résidences autonomie, de résidences services, d'habitat inclusif intergénérationnel, ou d'accueil familial, solution peu évoquée et pourtant extrêmement intéressante et financièrement possible. Cette question est certes intégrée au plan d'investissement de 140 millions d'euros, mais ces crédits semblent insuffisants, pour ne pas dire dérisoires, face à l'importance des besoins et à l'absolue nécessité de développer un habitat intermédiaire où les personnes âgées comme les personnes en situation de handicap se rendront bien plus facilement que dans les Ehpad, lesquels seront encore plus médicalisés demain.
Il faut enfin engager la réforme des concours de la CNSA aux départements, qui s'avère indispensable pour plus de simplicité et de justice sociale. Il s'agit selon moi, non pas de traiter tous les départements de la même manière, mais d'avoir une appréhension très concrète du principe d'égalité, c'est-à-dire d'appliquer un même traitement à ceux qui se trouvent dans des situations de même nature, et un traitement différencié à ceux qui se trouvent dans des situations différentes. J'ai été président du conseil départemental du Nord. Je sais qu'entre les Alpes-Maritimes et la Creuse, le Pas-de-Calais et les Hauts-de-Seine, l'étiquette de « département » ne recouvre pas la même réalité. La péréquation est un sujet brûlant - ce qui explique que l'on n'avance pas beaucoup dans la réforme des concours depuis quelque temps.
La réforme importante et utile du tarif plancher des services à domicile s'accompagne d'une certaine perversité financière. Après avoir compensé le passage aux 22 euros de l'heure, l'État se rend effectivement compte qu'il n'est pas tout à fait normal que tel ou tel département particulièrement favorisé soit mieux traité qu'un autre beaucoup plus pauvre, ayant, lui, fait un effort conséquent.
Pour ce PLFSS, le conseil émet le souhait que le fonds de mobilité prenant en charge tout ou partie des dépenses d'aide à domicile tienne compte de l'inégalité entre les départements. Certains, comme la Mayenne, ont beaucoup travaillé. Il ne serait pas sain que ceux qui ont bien avancé soient lésés par rapport à ceux qui n'ont pas commencé.
Enfin, nous souhaitons un accroissement des efforts à l'égard des aidants et des bénévoles. Il n'est pas question de les opposer aux professionnels. Il serait temps de cesser la politique de l'autruche. Le rapport El Khomri de 2019 évaluait les besoins à 350 000 embauches d'ici à 2025 ; aujourd'hui on parle de 350 000 embauches d'ici à 2030 ! Vu le nombre de personnes qui auront plus de 85 ans à partir de 2030, il sera extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de recruter d'ici là un nombre suffisant de professionnels de l'accompagnement et du soin. Raison de plus pour que l'on n'oublie pas les 9 à 10 millions d'aidants, et que l'on n'oublie pas non plus les bénévoles.
Je me rends souvent aux assemblées générales de fédérations de retraités. Chaque fois, j'y vois la volonté de jeunes retraités de s'engager auprès des plus âgés, mais il n'y a aucune prise en charge des frais de déplacement, aucune formation, aucune compensation. On pourrait envisager un abondement de retraite pour ces personnes. L'aide au bénévolat ne ruinerait pas la République.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - J'ai participé au dernier conseil de la CNSA, la semaine dernière, et j'ai attentivement écouté le ministre.
On se réjouit que les crédits aient largement progressé, de 30 % depuis 2021. Pour 2025, ils devraient s'établir à 42,4 milliards d'euros. Pour autant, même si nous avons bien conscience de cet effort, les besoins sont immenses. Quels sont, selon vous, les scénarios envisageables pour garantir l'équilibre financier de la branche autonomie ? Rapidement, le solde devrait se dégrader. L'excédent de 0,9 milliard d'euros en 2024 devrait passer à 0,4 milliard d'euros en 2025, puis le solde continuerait de se dégrader pour atteindre un déficit de 2,5 milliards d'euros en 2028. Êtes-vous inquiet de la dégradation des prévisions ?
Les services à domicile ont bénéficié d'un certain nombre de réformes ces dernières années. Leur fusion, prévue par la LFSS pour 2022, connaît des difficultés persistantes malgré les assouplissements de la loi relative au bien vieillir votée récemment. Certains services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) souhaitent notamment pouvoir conventionner avec des services d'aide sans avoir, à terme, l'obligation de constituer une entité juridique unique, puisque les statuts diffèrent entre les Ssiad et les services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad). La fusion est extrêmement compliquée à mettre en oeuvre et l'on risque de priver des territoires de leurs services. Quel est l'état de vos discussions avec le secteur et pensez-vous que de nouveaux assouplissements soient envisageables, voire souhaitables ?
La LFSS pour 2022 a mis en place une dotation complémentaire pour améliorer la qualité des services à domicile. Pouvez-vous nous informer sur son déploiement et ses éventuels résultats ?
Pouvez-vous, enfin, nous renseigner sur l'avancement des concertations sur la réforme des concours de la CNSA aux départements ?
M. Jean-René Lecerf. - Le président du conseil de la CNSA s'interdit de prendre des décisions à la place des seuls compétents pour le faire. Dans le rapport sur la fin de vie, nous nous permettions de donner quelques conseils au législateur, mais sans lui dire ce qu'il devait voter. Ce n'est pas au conseil de la CNSA de préconiser un deuxième jour férié travaillé ou la modification de la contribution sociale généralisée (CSG). Ce qui est évident, en revanche, c'est que le compte n'y est pas. Nous sommes inquiets de la dégradation extrêmement rapide des finances. Elle est due, non pas à une mauvaise gestion, mais à des hausses de salaire dont chacun se réjouit - il reste d'ailleurs des manques après le Ségur -, mais qui n'ont donné lieu à aucun big bang du recrutement dans l'accompagnement et le soin. Or la pénurie de professionnels est chaque année plus forte.
Les pouvoirs publics doivent faire des choix. Le contexte est difficile, mais s'il est un thème consensuel, c'est bien celui de l'aide aux plus vulnérables.
L'avis de la CNSA sur le différé de la prise en compte de l'inflation sur les retraites est extrêmement nuancé. Il faut combattre activement l'âgisme, mais tous les retraités ne sont pas dans la même situation. Pour les plus modestes, il faut immédiatement prendre en compte l'inflation, mais pour l'immense majorité des retraités, on peut attendre six mois, voire un an pour certains.
Nous sommes très volontaristes pour casser le mur entre l'accompagnement et le soin. Les aides à domicile le ressentent comme extrêmement pénalisant et il peut gêner la volonté de faire carrière dans des métiers particulièrement nobles auprès des personnes âgées ou des personnes en situation de handicap. Des délais supplémentaires ont été accordés aux Ssiad et aux Saad. L'essentiel est de ne pas reconstruire les murs du passé.
La réforme des concours est indispensable, mais il n'y a pas de consensus entre la CNSA et Départements de France. Je connais bien cette organisation : j'ai présidé sa commission des finances pendant six ans. Nous étions parvenus à créer une péréquation horizontale entre les départements riches et les départements pauvres sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), avec l'aide du président Bussereau. Mais l'existence de la péréquation horizontale justifie-t-elle d'abandonner la péréquation verticale ?
Les présidents de départements font face à l'augmentation des dotations sur l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Passer à 40 % puis à 50 % pour tout le monde est-il juste ? Non. Mais si je le dis à Départements de France, on cherchera à débarquer le président du conseil de la CNSA - ce qui n'est pas très grave ; le bénévolat permet de dire ce que l'on pense ! La réforme des concours achoppe sur la prise en compte des disparités entre départements.
M. Maëlig Le Bayon, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. - La dégradation de la branche est assez inquiétante en projection. Elle se traduit par un solde négatif de 2,5 milliards d'euros en 2028. Je rappelle que la LFSS de l'an dernier entraînait un solde à l'équilibre jusqu'en 2027 - ce n'est qu'une prévision. Toutefois, certaines recettes fléchissent tandis que certaines dépenses augmentent fortement. Ainsi, les dépenses de prestations individuelles augmentent de plus de 44 %. La trajectoire de dépenses restera dynamique et il nous faudra réfléchir aux moyens d'équilibrer la branche. Les 400 millions d'euros de déficit pour 2025 sont une première alerte, mais ne menacent pas l'équilibre global pour le PLFSS pour 2025.
Actuellement, la coordination entre les services d'aide à domicile repose sur les personnes accompagnées. Notre ambition première est de changer la donne et de faire peser le coût de la coordination sur les services accompagnateurs. Les Saad ont jusqu'au 30 juin 2025 pour se transformer en services autonomie à domicile (SAD), les Ssiad et Saad souhaitant devenir des SAD mixtes ayant, eux, une date butoir au 31 décembre 2025. La plupart des départements ont créé des comités de pilotage avec l'agence régionale de santé (ARS) dont ils relèvent. À date, très peu de structures ont débuté la fusion. La CNSA accompagne les porteurs de projet dans la réforme.
Le sujet fondamental est celui de la fusion entre des statuts différents, notamment public et privé. Nous cherchons à alléger les contraintes, mais pour l'instant nous ne souhaitons pas renoncer à cette réforme. Vous venez de voter la loi relative au bien vieillir. Laissons-nous encore quelques mois pour trouver les voies et moyens de l'appliquer.
La caisse verse, en prévisionnel, 433 millions d'euros de dotation complémentaire en 2024, contre 322 millions d'euros en 2023, ce qui signifie que les départements commencent à s'emparer du dispositif. Il demeure beaucoup de disparités entre les territoires. La dotation n'est pas versée dans son intégralité dans tous les départements. Elle représente une complexité administrative pour les services concernés. Aussi, nous menons un dialogue étroit avec les présidents de département pour la rendre la plus opérationnelle possible et assurer une couverture satisfaisante du territoire et des horaires. Avec 2 254 services d'aide à domicile concernés, cette dotation commence toutefois à connaître le succès, quelques années après sa création.
Le ministre Christophe a dit son ambition de simplifier les concours. Pour la CNSA, c'est un sujet extrêmement important de meilleure gestion et d'adéquation de son soutien. Quand 12 à 13 concours différents coexistent, il est très compliqué de les piloter et de s'assurer de la qualité offerte, le contrôle étant dispersé sur autant de canaux.
Mme Jocelyne Guidez. - Vous avez raison, monsieur le président Lecerf, on travaille au fil de l'eau sur le grand âge... et, dans ce cadre, peut-être faudrait-il réfléchir à d'autres financements que celui de l'État, qui ne peut pas tout faire !
Dans son avis relatif au PLFSS pour 2025, le conseil de la CNSA appelle de ses voeux des réponses concrètes pour améliorer le quotidien des proches aidants. La CNSA soutient d'ores et déjà 68 départements qui épaulent les aidants de personnes handicapées. Un nouvel appel à manifestation d'intérêt (AMI), à hauteur de 5 millions d'euros, doit renforcer l'accompagnement des départements n'ayant pas encore bénéficié de ce soutien. Quel bilan tirez-vous des actions mises en oeuvre lors du premier appel à manifestation d'intérêt ? Avez-vous une première estimation des candidatures des conseils départementaux pour le second AMI, qui sera clos demain ? Quelle évolution souhaitable pour une plus grande équité territoriale dans ce cadre ?
M. Daniel Chasseing. - Je suis d'accord : la trajectoire du Gouvernement est améliorée, la fusion des sections soins et dépendance est une réforme très importante, le Gouvernement propose dans le PLFSS un taux d'encadrement légèrement augmenté, mais tout cela ne suffira pas pour relever le défi démographique. Nous sommes toujours en deçà des besoins. Nous attendons toujours une loi d'ampleur relative au grand âge.
En France, on travaille 630 heures par habitant contre plus de 720 heures en Allemagne. Pourquoi ne pas avoir l'ambition collective de travailler plus ? On montrerait ainsi le dynamisme de notre population, que nous avons vu à l'oeuvre lors des jeux Olympiques. Alors que l'objectif des 50 000 soignants supplémentaires a été repoussé à 2030, une journée de solidarité supplémentaire permettrait de dégager 2,5 milliards d'euros, soit 50 000 emplois. Pourquoi pas cette ambition collective ? Ce serait formidable.
Monsieur le président Lecerf, êtes-vous d'accord avec ma proposition ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Pour ce qui me concerne, je ne suis pas d'accord avec cette proposition, qui serait intégralement financée par les travailleurs. Je le rappelle, la cotisation de l'employeur ne fait que compenser les sept heures non payées aux salariés.
Il a été question du virage domiciliaire et de l'habitat intermédiaire entre Ehpad et domicile. Or le maintien à domicile est un angle mort des différentes mesures. À ce propos, où en est la réflexion sur la modification du modèle de financement des services d'aide à domicile ? Il nous a été dit que l'appel à manifestation d'intérêt pourrait être prolongé, compte tenu du faible nombre de réponses reçues. Il est vrai qu'il est difficile de susciter de l'intérêt lorsqu'on ne parle pas de l'aide à domicile... Cette réforme du modèle de financement n'en est pas moins essentielle. Les seuls SAD existants à ce jour sont les anciens services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad), qui connaissaient des problèmes de financement de la coordination souvent compensés par les ARS. Pour bien connaître le secteur, pour pouvoir réaliser des tournées mixtes impliquant des aides à domicile et des aides-soignants, il faut un fonctionnement au forfait.
Les réticences à l'égard de la fusion et de la transformation en SAD proviennent majoritairement des Ssiad. Ces derniers relevant du secteur médico-social, on y perçoit une forme de complexe de supériorité par rapport au secteur social. Pour avoir dirigé un service polyvalent, j'ai pu noter qu'un changement culturel était nécessaire pour que certains ne se croient pas, à qualification équivalente, supérieurs aux autres sous prétexte qu'ils sont plus près de la blouse blanche.
Au-delà de la coordination, une véritable intégration est nécessaire, impliquant des plannings et formations en commun. C'est impossible si l'on conserve deux entités différentes. J'ai entendu votre volonté de maintenir un délai d'un an avant la fusion. Il ne faudrait pas que les structures concernées attendent son expiration sans rien faire, espérant ainsi échapper à la réforme.
Par ailleurs, avez-vous des indicateurs sur la situation financière des services d'aide à domicile ? Près de 80 % d'entre eux seraient en déficit. Les plans d'aide ne sont pas réalisés par manque de personnel. Or le nombre de postes vacants n'est pas connu. La CNSA peut-elle fournir une évaluation à ce sujet, à partir des taux d'effectivité des plans d'aide ?
Enfin, les services qui dépendent de la convention collective nationale de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile, n'ayant pas bénéficié de la prime Ségur, ont perdu des personnels partis travailler dans les Ehpad et peinent désormais à recruter. Or, sans renforcement du maintien à domicile, il n'y aura pas de virage domiciliaire.
M. Jean-René Lecerf. - Le manque de personnel est une réalité ancienne. Des plans d'aide associés à l'APA ne sont effectivement pas exécutés intégralement faute d'effectifs suffisants.
M. Maëlig Le Bayon. - Le premier appel à manifestation d'intérêt que nous avons lancé sur les aidants avait concerné 68 départements. Le nouvel appel couvrira les autres. Un peu plus de 5 millions d'euros lui seront consacrés, et cinq candidatures seront annoncées dans les prochains jours. Dès que nous les aurons, nous vous les signalerons. La dynamique de la stratégie relative aux proches aidants s'en trouvera amplifiée.
La situation des Ehpad est connue. Une réflexion sur la section hébergement, largement responsable du déficit cumulé des établissements, est effectivement nécessaire. Malgré l'augmentation de la dotation soins, la forte hausse du point « groupe iso-ressources » (point GIR) dans certains départements, et son rehaussement à hauteur de 75 % de la moyenne versée nationalement dans les départements concernés par la fusion des sections soins et dépendance, nous ne couvrirons que les parties « soins » et « dépendance », et non cette section hébergement responsable principalement du déficit. Les questions de la différenciation tarifaire et du montant de l'aide sociale à l'hébergement devront être posées.
Pas moins de 25 000 créations de places de Ssiad ont été prévues, soit un montant de 400 millions d'euros notifié à l'été 2023, en lien avec le nécessaire virage domiciliaire.
Nous avons par ailleurs réformé la tarification de ces structures. Une expérimentation de tarification au forfait a été lancée pour les futurs SAD. Nous attendons les réponses des départements, mais pour l'instant cette expérimentation ne déchaîne pas l'enthousiasme. Il est vrai que les réformes ont été nombreuses dernièrement, une pause est peut-être nécessaire.
M. Jean-René Lecerf. - La CNSA travaille également sur la prise en compte de la qualité d'aidant par l'employeur. J'ai participé récemment à un colloque sur les aidants organisé par le Mouvement des entreprises de France (Medef). L'idée centrale était de mettre fin à la réticence que les employés peuvent avoir à se déclarer aidants, par crainte de répercussions potentielles sur leurs carrières, et de concevoir des organisations de travail compatibles avec cette activité. La fonction publique pourrait aussi donner l'exemple sur ce point, comme les grandes entreprises, afin que les plus petites structures et les artisans suivent le mouvement. Le sujet des aidants concerne la société toute entière.
La question a été posée de savoir si l'État devait tout payer. Au moins 40 % du coût des Ehpad sont déjà payés directement par les résidents. Ce coût devient d'ailleurs prohibitif pour certaines catégories de populations moins aisées que d'autres. Pour ma part, je suis assez favorable à la différenciation. Un tarif minimum pourrait ainsi être pratiqué dans les Ehpad, pris en charge par l'aide sociale à l'hébergement en Ehpad départementale, assorti de tarifs différents en fonction des revenus, sans qu'il soit question pour autant de prévoir des régimes privilégiés. Ce type de financement existe d'ailleurs d'ores et déjà dans les crèches, sans choquer personne. Pourquoi l'interdire dans les Ehpad ? Je l'avais instauré dans le département du Nord lorsque j'en étais le président. Il n'avait pas fait scandale, et avait constitué une bouffée d'oxygène pour les directeurs d'Ehpad.
La loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie a apporté des réponses utiles. Il reste désormais à les mettre en application. En faculté de droit, on m'a appris qu'il y avait une obligation à exécuter les lois, et qu'il ne s'agissait pas d'un pouvoir discrétionnaire laissé au Gouvernement.
L'habitat intermédiaire est très important. Il peut très bien devenir définitif. Ces formes d'habitat, très nombreuses, sont liées par l'envie de vivre ensemble d'un certain nombre de personnes âgées et de personnes en situation de handicap et par la volonté de rédiger une sorte de charte de la vie partagée. Résidences autonomie, résidences services, accueil familial, habitat partagé, habitat inclusif : il existe des formules très variées. L'habitat partagé compte ainsi parmi les formules les plus acceptables, par exemple, pour les jeunes malades d'Alzheimer. Le Village landais Henri Emmanuelli de Dax n'est à cet égard qu'un exemple parmi d'autres. De nombreuses autres initiatives promeuvent ainsi la vie partagée, avec des résultats intéressants.
Ces initiatives peuvent provenir de structures associatives, de structures portées par des collectivités territoriales ou de structures privées. Je me suis montré particulièrement véhément lors de l'affaire Orpea, en conseillant au Gouvernement de ne rien négocier en matière de sanction. En effet, de l'argent avait été détourné, qui devait être intégralement restitué, sans arrangements. Je pense néanmoins qu'Orpea constituait seulement la partie émergée de l'iceberg.
En revanche, les accueils familiaux mis en place par des entreprises privées fonctionnent bien. Des maisons neuves sont créées spécifiquement pour accueillir des personnes âgées, au nombre de trois au maximum, et de quatre en cas de couple. Les accueillants familiaux qui y résident également avec leurs familles disposent d'équipes de remplacement qualifiées pour pouvoir souffler lorsqu'ils le souhaitent. Ce système convient à tous : les accueillants familiaux sont convenablement rémunérés, et les résidents sont satisfaits tout comme les maires. Ces structures s'installent en effet majoritairement en secteur rural ou semi-rural, où le foncier est moins onéreux qu'en secteur urbain. Les enfants des assistants familiaux sont inscrits à l'école du village. La vie sociale s'en trouve dynamisée. Ces structures comprennent trois maisons au minimum ainsi qu'une grande salle commune, pouvant servir pour les réunions familiales et les animations de village ou de quartier.
Les représentants de l'État, notamment les préfets délégués à l'égalité des chances, souhaiteraient pouvoir consacrer une partie des moyens de la politique de la ville au financement d'habitats partagés pour personnes âgées ou en situation de handicap en agglomération. Il y a là une hypothèse à creuser.
L'aide à la vie partagée (AVP) se développe considérablement, ce dont nous sommes fiers. Malheureusement, certains présidents de départements s'avèrent réticents. Dans certains endroits, une partie seulement du département en bénéficie. L'équité territoriale n'est donc pas respectée. Or l'idée est bien de réaliser les mêmes efforts, dans tous les territoires, pour répondre aux besoins des personnes fragiles, pour que l'on ne choisisse pas son domicile en fonction des politiques départementales. Pour l'instant, nous n'y sommes pas.
Mme Corinne Imbert. - L'accueil familial est assez développé en Charente-Maritime. Seriez-vous favorable à une modification des textes visant à élargir l'agrément des accueillants familiaux, de trois à quatre personnes ? Ce changement faciliterait la mise en oeuvre des maisons d'accueil familial regroupées en renforçant leur modèle économique. En l'état actuel des choses, le prix de ces structures est seulement légèrement inférieur à celui des Ehpad.
Par ailleurs, j'avais déposé un amendement, lors de l'examen de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, qui suggérait de ne pas pousser à l'extrême la réforme prévoyant la fusion des Saad et des Ssiad, pour ne pas casser certains fonctionnements locaux à l'efficacité prouvée. Pensez-vous réellement pouvoir lever les freins juridiques qui subsistent avant le mois de juin 2025 ? Une souplesse serait ici bienvenue, pour ne pas perdre des dispositifs utiles et efficaces sur le terrain.
Monsieur Lecerf, si vous étiez encore président de conseil départemental et si une présidente et un directeur de Ssiad venaient vous demander de leur accorder une autorisation de SAD, seulement pour correspondre à la réforme, que feriez-vous, compte tenu de la situation financière des départements ? La réforme prévoit en effet la fusion complexe de deux entités, qui impliquera notamment un rehaussement des salaires, soit des complications en matière de ressources humaines difficiles à résoudre sans moyens suffisants.
M. Alain Milon. - L'obligation de débattre du PLFSS dans l'instant nous empêche parfois de travailler sur l'avenir. Cette remarque rejoint vos propos sur la nécessité de différencier l'accompagnement des soins ou de prendre en compte la diversité territoriale.
Durant l'examen de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur, nous avions demandé la mise en oeuvre d'une diversification territoriale. Le Gouvernement nous avait alors répondu que la République était une et indivisible. Mais l'État doit accepter de décentraliser ses services. Si des lois de programmation devaient être mises en oeuvre, ne devraient-elles pas être d'abord structurelles, et non seulement financières, pour la santé comme pour le secteur de l'autonomie ?
Mme Corinne Féret. - Je partage l'avis rendu par le conseil de la CNSA sur ce PLFSS. Une fois de plus, les programmations budgétaires sont insuffisantes pour tenir les objectifs que nous partageons tous en matière d'autonomie. Nous pouvons aussi nous inquiéter de la dégradation à venir de l'état financier de la branche, qui sera déficitaire en 2028.
Laurent Burgoa et moi avons remis un rapport, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, relatif à l'engagement des collectivités, notamment des communes et intercommunalités, pour se préparer au vieillissement de la population. Nous avons conduit plusieurs auditions, dont celle de la CNSA, et formulé des préconisations.
Or nous avons constaté à cette occasion que le fonds d'appui pour les territoires innovants seniors avait été doté, pour l'année 2022-2023, d'un montant tout à fait insuffisant pour accompagner les nombreux projets des collectivités territoriales et les initiatives de bon sens des élus locaux, visant à garantir le maintien des populations âgées dans les territoires, que ce soit à domicile ou dans des structures adaptées. Nous préconisons que ce fonds soit maintenu, voire développé à l'occasion du PLFSS. Ce sujet a-t-il été évoqué au sein du conseil de la CNSA ?
M. Jean-René Lecerf. - Si le fait d'élargir l'agrément des accueillants familiaux de trois à quatre personnes assure l'équilibre économique des structures concernées, il est tout à fait possible de l'envisager. Cependant, des modalités de construction différentes seront nécessaires, une chambre supplémentaire pouvant être requise. Néanmoins, sur le principe, je n'y vois aucune objection. Mettons l'intelligence au service de l'évolution de la réglementation.
Concernant les SAD, je crains que la volonté d'un travail en commun soit remise en cause. Je vois beaucoup de services d'aide à domicile exemplaires. Pourtant, de nombreuses personnes compétentes pour le ménage ou l'habillage des personnes aidées se croient incapables du moindre geste en relation avec le soin. Ce n'est pas la meilleure façon de susciter des vocations pour cette profession, dont nous aurons pourtant de plus en plus besoin.
Comme le disait Alain Milon, nous manquons d'une réflexion structurelle. C'est pourquoi je reste très favorable à une grande loi sur l'autonomie, qui nous donnerait l'occasion d'aller au bout de questions cruciales que l'on aborde toujours par détours : par exemple, celle de l'avenir des Ehpad. Nombre des experts que j'ai consultés m'ont dit que, dans les années, voire les mois à venir, les Ehpad n'accueilleraient probablement plus que des personnes en fin de vie ou en situation d'extrême dépendance. La question se pose donc de savoir comment faire vivre le virage domiciliaire dans sa plénitude : animaux de compagnie, visites, vie culturelle et sociale, vie citoyenne, etc.
J'en viens aux difficultés relatives à la fusion des sections soins et dépendance. Certains présidents de département disent de leurs homologues concernés qu'ils se sont portés volontaires pour des raisons financières. Mais beaucoup disent l'avoir fait car cette compétence, de plus en plus médicalisée, devrait relever de l'État et des ARS. Cela n'empêche pas que les départements soient représentés dans les conseils d'administration et que les élus départementaux jouent un rôle de lanceur d'alerte en cas de problème. Il faudra néanmoins que la question soit posée. L'évolution du statut de l'Ehpad ne correspond-elle pas à sa médicalisation croissante ? Dans un tel contexte, la compétence départementale ne peut-elle pas s'exercer plus largement sur le domicile et l'habitat intermédiaire ?
Je rappelle souvent un propos du président Larcher : il n'y a pas de citoyenneté en suspension. Elle vaut jusqu'au dernier moment de la vie. Or, dans de nombreux Ehpad, ce n'est pas le cas.
Par ailleurs, nous dénoncerons toujours l'insuffisance des moyens, d'autant que les problèmes vont croissants, compte tenu notamment du papy-boom. En 2030, les premiers enfants du baby-boom atteindront l'âge de 85 ans. Les problèmes de dépendance à gérer seront de plus en plus nombreux. C'est pourquoi il faut mettre fin à la politique de l'autruche concernant les bénévoles et les aidants.
Je suis assez surpris à la lecture des comptes rendus des travaux de l'Assemblée nationale. Il faudrait tout faire pour que les retraités n'aient pas un centime supplémentaire à débourser, quel que soit leur niveau de vie. Or la génération qui a eu la chance d'être active pendant les Trente Glorieuses est plus fortunée que les générations suivantes. L'âgisme se nourrit de ce genre d'incohérence.
Lors de l'élection présidentielle et des élections législatives de 2022, plusieurs personnes très sérieuses se sont demandé sur les réseaux sociaux s'il fallait maintenir le droit de vote à partir d'un certain âge, sous prétexte qu'il n'y aurait guère de sens à faire voter quelqu'un qui ne serait pas attaché au destin de la planète pour les trente ou quarante années à venir. Mais dans ce cas, la question pourrait aussi se poser pour un jeune touché par une grave maladie ! Certains régimes l'ont fait d'ailleurs au XXe siècle, et sont même allés plus loin.
Le simple fait que ces propos aient été tenus prouve qu'il faut rester vigilant.
Les associations de retraités se sont dites prêtes à assumer des responsabilités bénévoles, à condition que le bénévolat soit reconnu et que les frais de déplacement, par exemple, soient pris en charge.
Mme Raymonde Poncet Monge. - J'avais déposé un amendement à ce sujet.
M. Jean-René Lecerf. - Nous aurons besoin de tout le monde. Nous aurons besoin de professionnels de l'accompagnement et du soin mieux rémunérés. Des passerelles devront en outre être ménagées dans leurs fonctions, pour que les aides à domicile bénéficient d'un accompagnement afin de devenir aides-soignants, puis infirmiers. Toutefois, ces mesures ne suffiront pas, vu le nombre de personnes qu'il faudra aider - d'où l'importance des 10 millions d'aidants et du bénévolat, meilleure ressource contre l'âgisme, devenu la discrimination la plus lourde de notre pays.
M. Maëlig Le Bayon. - Concernant notre capacité à lever les freins juridiques relatifs à la création des SAD d'ici six mois ou un an, je souhaite à tout le moins que l'on fasse mieux qu'aujourd'hui. Le Parlement pourra toujours réviser la loi. Pour l'instant, je ne fais qu'appliquer le texte qui a été voté. Les équipes de la CNSA essaient de trouver des solutions, en lien avec les départements.
Au total, 40 des 87 départements ayant répondu à notre enquête de cet été ont déclaré avoir des situations complexes à gérer. Un tiers des difficultés exprimées porte sur les conséquences du rapprochement de structures juridiques différentes en matière de ressources humaines ; un autre tiers porte sur la trajectoire économique des rapprochements ; et le dernier tiers a trait à des difficultés de zonage, notamment concernant le lien avec les infirmières libérales. Ce problème est bien identifié, et nous essaierons d'y trouver des solutions. En attendant, nous devons avoir l'ambition de lever les autres freins. Des solutions existent pour y parvenir.
M. Jean-René Lecerf. - Certains freins dépendant du pouvoir réglementaire pourront être facilement levés. À titre d'exemple, la volonté de plusieurs services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) d'imposer aux structures d'habitat partagé et d'habitat intermédiaire la réglementation applicable aux établissements recevant du public est destructrice. Sans faire aucune concession sur la sécurité, on peut discuter de la pertinence de l'application des critères réglementaires en fonction des situations.
Par ailleurs, la volonté des bailleurs sociaux de s'impliquer davantage dans l'habitat partagé est une bonne nouvelle. En revanche, certains modes de fonctionnement sont à revoir. Ainsi, lorsqu'une place se libère dans un habitat partagé géré par un bailleur social, plusieurs candidatures doivent obligatoirement être présentées - trois au minimum - parmi lesquelles on choisit la meilleure, sans que l'avis des résidents de l'habitat partagé à son sujet soit pris en compte. Cette situation prêterait à rire si elle n'avait pas des conséquences aussi graves sur la qualité de vie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap !
M. Maëlig Le Bayon. - Le fonds d'appui prend fin en 2024. Nous avons accompagné 274 collectivités, pour 380 projets et un montant de 7,6 millions d'euros. Sa prolongation, assortie de nouvelles modalités, fait partie des arbitrages proposés à nos tutelles dans le cadre de la construction du budget de la CNSA pour 2025 et 2026.
M. Laurent Burgoa. - Communiquez mieux sur ce fonds d'appui, car nombre de communes ne le connaissent pas.
M. Jean-René Lecerf. - Entendu.
M. Khalifé Khalifé. - Il faut travailler pour répondre aux besoins de chaque département, car tous ne sont pas égaux, dans le secteur social comme dans celui de la santé.
Les résidents en Ehpad nécessitant de plus en plus de soins infirmiers, ne faudrait-il pas rattacher les Ehpad à des centres hospitaliers, privés ou publics ? Il faut un vrai projet médical de territoire, sachant que ces structures sont souvent sous-médicalisées.
Pas moins de 85 % des personnes âgées souhaitent rester à domicile. Or les services d'aide à domicile ne sont pas uniquement associatifs. À titre d'exemple, le groupe Avec est une nébuleuse de 380 associations et sociétés aux statuts juridiques variés, où certaines facturations de charges passent d'une structure à l'autre. Êtes-vous au courant de ce système ? La financiarisation dans ce domaine vous inquiète-t-elle ?
M. Jean-René Lecerf. - J'ai évoqué la partie émergée de l'iceberg avec Orpea ; ce que vous mentionnez fait partie du reste. Je rencontre toutefois des structures privées performantes, qui pratiquent des prix raisonnables. Au vu de l'importance du travail à mener, on ne peut pas, sous prétexte qu'il existe des dérives, se passer de la compétence des acteurs privés.
M. Khalifé Khalifé. - Quand on parle de financiarisation au Sénat, on ne parle pas de structures privées, mais de structures financières privées.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Sénatrice du Bas-Rhin et conseillère départementale, j'ai voté le tarif différencié dans mon département, qui contribuera à l'équilibre budgétaire des petits établissements.
La fusion des Ehpad avec des établissements hospitaliers est pratiquée dans mon canton, où certains établissements sont rattachés à des hôpitaux, par exemple de santé mentale.
Je voudrais également mentionner l'engagement des familles, au-delà du seul aspect financier. La solidarité intergénérationnelle existe. Or elle est souvent trop peu encouragée. Les actifs de ma génération voudraient pouvoir s'occuper de leurs parents à leur domicile, mais ils doivent conjuguer cette activité avec leur carrière professionnelle. L'allongement de l'âge du départ à la retraite n'aura-t-il pas des conséquences sur la proximité avec les personnes âgées ? De nombreuses femmes risquent notamment de rencontrer des difficultés pour s'arrêter, car elles doivent déjà travailler plus longtemps pour pouvoir bénéficier de leur retraite, compte tenu des interruptions de carrière liées aux enfants.
En milieu rural la solidarité familiale existe encore. Il faudrait l'encourager davantage et mieux soutenir les aidants, qui sont dans de nombreux cas des femmes. Or, celles-ci travaillant souvent plus longtemps que les hommes, elles n'ont pas d'autre solution que de placer leurs proches âgés en établissement lorsqu'ils tombent malades. Il faudrait mobiliser des leviers pour libérer du temps pour des générations comme les nôtres, pour la prise en charge du grand âge, du handicap ou des maladies cognitives.
M. Jean-René Lecerf. - La profession d'assistant familial se masculinise, ce qui est une bonne chose. Il en va de même dans le secteur de l'aide à la personne. Nous devrions étudier la possibilité de comptabiliser certains trimestres d'accompagnement, pour éviter que la seule solution retenue soit celle, coûteuse pour la société, du placement, qui n'offre pas en outre une qualité de vie correspondant aux souhaits de la personne concernée. Il est vrai que la vie moderne éloigne les enfants de leurs parents, mais ce n'en est pas moins une voie à étudier pour ceux qui peuvent se rapprocher.
La CNSA est très impliquée dans les politiques de prévention. Or le rythme de la prévention n'est pas celui des échéances électorales. Les économies qui seront faites grâce à ces politiques auront des effets d'ici dix ou quinze ans.
M. Maëlig Le Bayon. - L'assurance vieillesse des aidants constitue un nouveau droit intéressant, susceptible de fournir une base de réflexion utile.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Elle est insuffisante.
M. Maëlig Le Bayon. - C'est un début, néanmoins.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie - Examen des amendements au texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons à présent les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie. Ce texte sera examiné en séance aujourd'hui, après les questions d'actualité au Gouvernement.
Neuf amendements ont été déposés sur ce texte, mais, comme deux d'entre eux ont été déclarés irrecevables en application de l'article 40 de la Constitution, seuls sept amendements demeurent en discussion.
Lors de l'examen du texte, la semaine dernière, notre commission avait adopté le texte, mais certains d'entre nous s'étaient abstenus. Avec la rapporteure, nous avons donc travaillé avec le Gouvernement pour trouver un accord : il s'engage à mettre en oeuvre une prise en charge des soins spécifiques liés au cancer du sein.
J'ai déposé trois amendements. Ils visent à traduire dans le texte cet engagement. Il s'agit notamment de recentrer le dispositif sur les seuls frais spécifiques à la prise en charge du cancer du sein, car la question d'un risque de rupture d'égalité à l'égard de la prise en charge des autres cancers avait été posée. La prise en charge se fera dans la limite des bases de remboursement de la sécurité sociale.
Le Gouvernement a aussi pris l'engagement de garantir la recevabilité financière de la proposition de loi : il étendra le dispositif existant du « parcours de soins global » aux personnes en cours de traitement d'un cancer. L'utilisation d'un dispositif existant devrait rendre cette avancée opérationnelle rapidement.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - M. le président Mouiller a bien expliqué l'objet de son amendement n° 4. J'aurais aimé que la proposition de loi soit adoptée conforme par le Sénat. Néanmoins, la rédaction qui nous était soumise présentait un risque d'inconstitutionnalité. Il était donc nécessaire de recentrer le dispositif sur la prise en charge des soins spécifiques au cancer du sein. J'émets donc un avis favorable sur l'amendement n° 4.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Les amendements identiques nos 5 et 8 visent à étendre aux patients en traitement actif le bénéfice du forfait de 180 euros qui permet aux patients de bénéficier de soins de support après leur cancer. C'est une avancée. Je note que l'amendement n° 8 du Gouvernement garantit la recevabilité financière du dispositif. J'émets un avis favorable.
La commission émet un avis favorable aux amendements identiques nos 5 et 8.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - L'amendement n° 9 consiste en une demande de rapport au Gouvernement sur la prise en charge intégrale par l'assurance maladie des prothèses capillaires, quel que soit leur prix de vente au public. Si je connais la position de rejet traditionnelle de notre commission sur les demandes de rapport, il me semble que ce rapport est nécessaire. J'émets donc un avis favorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - L'amendement n° 3 consiste en une demande de rapport au Gouvernement sur l'encadrement de la pratique et de la prise en charge du tatouage tridimensionnel définitif de l'aréole et du mamelon pour les femmes ayant subi une mastectomie. Avis défavorable, car cet amendement me semble déjà satisfait par l'amendement n° 4 déposé par le président Mouiller.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - L'auteur de l'amendement n° 2 propose de demander au Gouvernement un rapport sur l'impact financier de la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein, ainsi que sur les conditions, les modalités et le calendrier de l'extension de ce dispositif aux autres cancers et aux autres affections de longue durée.
La prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein est un objectif louable ; c'était celui de l'ancien député Fabien Roussel lors du dépôt de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale. Cette prise en charge intégrale ne peut se faire au détriment d'une rupture d'égalité avec les patients atteints d'autres types de cancer et d'autres affections de longue durée.
Ce rapport me semble donc indispensable, car il nous permettrait de chiffrer le coût d'une prise en charge intégrale des soins liés non seulement aux cancers du sein, mais également à tous les cancers et affections de longue durée. C'est pourquoi j'émets un avis favorable sur cet amendement.
M. Philippe Mouiller, président. - Cette question constituerait un bon sujet d'étude pour une mission d'information.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
Intitulé de la proposition de loi
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Avis favorable à l'amendement n° 6, qui vise à tirer les conséquences de l'amendement n° 4.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 6.
TABLEAU DES AVIS
Jeudi 31 octobre 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 11 h 05.
Mission d'information sur le contrôle de l'application de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées - Désignation de rapporteurs
La commission désigne Mmes Marie-Pierre Richer, Chantal Deseyne et Corinne Féret rapporteurs de la mission d'information sur le contrôle de l'application de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam)
M. Philippe Mouiller, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous accueillons M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).
M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie. - La situation financière de l'assurance maladie est difficile en 2024, avec un déficit qui augmente alors que nous avions enfin surmonté, en 2023, les difficultés dues au covid. Cette situation traduit l'ampleur des impacts des deux chocs successifs ayant percuté notre système de santé : le covid et l'inflation.
Ce PLFSS porte certaines mesures difficiles en matière d'économies et d'apport de recettes supplémentaires pour l'assurance maladie ; pour autant, la réduction du déficit en 2025 sera d'une portée limitée, avec des perspectives pluriannuelles qui restent notoirement dégradées. Cela justifie la pleine mobilisation de l'assurance maladie quant à la bonne utilisation de ses ressources et la mise en oeuvre d'actions renforcées sur la qualité, la pertinence, le contrôle, la lutte contre la fraude, au-delà même des actions structurelles en matière de prévention et d'organisation du système de santé.
Concernant le cadre financier du PLFSS, notamment l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour 2024, nous avons identifié cet été une dynamique de dépenses plus importante qu'anticipée, avec des risques de dépassement pointés par le comité d'alerte dès la fin du mois de juillet. Nous avons engagé un certain nombre d'actions, concernant en particulier les arrêts de travail, nous avons tenu bon lors de difficiles négociations avec le secteur de la biologie médicale et nous avons renforcé nos actions sur les transports. Le Gouvernement a prévu un dépassement de l'Ondam à hauteur de 1,2 milliard d'euros, dont environ 800 millions d'euros sur les soins de ville. Nos équipes restent mobilisées sur tous les sujets et dans tous les domaines.
L'Ondam pour 2025 est exigeant, avec une progression de 2,8 %, inférieure aux chroniques pluriannuelles antérieures. Cependant, le ralentissement significatif de l'inflation, autour de 2 %, tempère structurellement la hausse des dépenses. Pour autant, 4,9 milliards d'euros d'économies représentent une somme significative, avec des mesures paramétriques et des objectifs élevés en matière d'efficience, de sobriété et de bon usage du système de santé.
Parmi nos priorités, relevons le déploiement de la convention médicale et des quinze programmes d'actions autour de la qualité et de la pertinence des soins, qui sous-tendent une série d'objectifs de maîtrise médicalisée et de permanence des soins concernant les médicaments, le transport, la biologie, la radiologie et les produits de santé.
Trois séries de propositions formulées par l'assurance maladie dans son Rapport sur l'évolution des charges et des produits de l'assurance maladie au titre de 2025, dit Charges et produits, ont été reprises par le Gouvernement dans ce PLFSS : premièrement, la perspective de reconstruire un protocole pluriannuel sur la radiologie est inscrite à l'article 15 ; deuxièmement, s'agissant des transports sanitaires, un article fixe un nouveau cadre de discussion avec les taxis et nous avons commencé à y travailler pour gagner en efficience dans la gestion des conventionnements ; troisièmement, l'article 16 étend le dispositif de prescription renforcée afin d'accompagner les médecins sur certains items en leur proposant des mécanismes simples, mais indispensables.
Au-delà de ces éléments législatifs, l'assurance maladie est engagée dans diverses démarches issues de notre rapport Charges et produits sur la qualité et la pertinence des soins, telles que la lutte contre le gaspillage des pansements, mais aussi contre la fraude, avec la mise en oeuvre du formulaire Cerfa sécurisé concernant les arrêts de travail sur papier. Nous déployons également des mesures d'innovation au service de la qualité, avec un dispositif d'intelligence artificielle en matière d'utilisation d'électrocardiogrammes chez les médecins généralistes, ainsi qu'un dispositif d'accompagnement des médecins pour les arrêts de travail, une sorte de « SOS-IJ », IJ pour indemnités journalières.
Concernant la lutte contre la fraude, les six pôles de cyber-enquêteurs sont recrutés et en cours de formation. Pour ce qui est du numérique en santé, nous avons dépassé les 15 millions d'assurés ayant opté pour « Mon espace santé ». Enfin, certains amendements au PLFSS qui n'ont pas encore été examinés, notamment sur la prévention et les examens bucco-dentaires, traduisent des accords conventionnels signés avec les dentistes. Ces accords sont importants en matière de prévention comme de soutenabilité des dépenses à moyen et à long terme.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Cette audition est très importante, car le déficit de la sécurité sociale est en grande partie celui de l'assurance maladie. Nous avons donc besoin de comprendre, d'échanger et d'étudier ensemble les actions nécessaires pour répondre aux besoins et aux attentes de la population.
Une première question est liée à votre annonce concernant les cyber-enquêteurs. Mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe s'intéresse de près aux efforts réalisés chaque année par la Cnam pour lutter contre la fraude sociale. Selon le rapport d'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, la Cnam avait « pour objectif d'estimer en 2024 l'ensemble des fraudes aux prestations versées par les caisses d'assurance maladie ». Où en est-on de cette estimation, alors que les chiffres varient ? L'ordre de grandeur avancé par la Cour des comptes sur la base d'une extrapolation, entre 3,8 milliards d'euros et 4,5 milliards d'euros, est-il confirmé aujourd'hui ?
Ma deuxième question concerne la branche maladie, dont les recettes sont particulièrement affectées par la modération de la progression de la TVA. Quelle analyse en faites-vous ? Faut-il considérer que l'année 2024 présentera un écart momentané, qui sera compensé par des recettes plus dynamiques les années suivantes ?
Enfin, troisième question, un an après la hausse du ticket modérateur sur les soins dentaires, le Gouvernement envisage de le porter de 30 % à 40 % sur les consultations médicales et de sages-femmes, une mesure qui pourrait conduire à transférer 1,1 milliard d'euros de dépenses de l'assurance maladie vers les complémentaires santé. Notons également l'augmentation régulière du nombre de patients en affection de longue durée (ALD), dont le ticket modérateur est intégralement pris en charge par la sécurité sociale plutôt que par les complémentaires. Je regrette toutefois que ces transferts soient effectués au coup par coup, sans approche globale. Ne serait-il pas possible de mener une réflexion plus approfondie sur les périmètres de prise en charge respectifs de l'assurance maladie obligatoire (AMO) et de l'assurance maladie complémentaire (AMC), afin d'aboutir à un système plus clair pour les assurés et plus vertueux en matière de frais de gestion ?
M. Thomas Fatôme. - Sur la fraude, je confirme la mobilisation de l'assurance maladie, qui se traduit en résultats : en 2023, nous avons détecté et stoppé des fraudes pour un montant record de 466 millions d'euros, contre 315 millions d'euros en 2022. L'accélération est très nette en la matière. L'objectif pour 2024 est fixé à 500 millions d'euros et j'ai de bonnes raisons de penser qu'il sera atteint, grâce à la mobilisation de la Cnam et du réseau de l'assurance maladie. Ces résultats sont également le fruit de travaux ciblés sur des champs tels que la fraude dans certains centres de santé, la fraude aux audioprothèses ou aux arrêts de travail. Ces pratiques gagnent en sophistication et évoluent, ce qui nécessite de nouvelles compétences, donc des recrutements et de la formation.
Le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) a fait un point d'étape précis et documenté en reprenant nos propres travaux d'évaluation de la lutte contre la fraude, lesquels couvrent aujourd'hui une bonne part de l'offre de soins et du comportement des assurés. Nous avons analysé la fraude dans de très nombreux domaines, elle atteint des taux entre 2 % et 8 %, ce qui représente des montants importants. Par exemple, pour la seule complémentaire santé solidaire (C2S), nous l'estimons à 180 millions d'euros.
Il n'y a donc pas une fraude à l'assurance maladie, mais des fraudes, relevant de logiques et de problématiques différentes. Il nous reste encore des champs à explorer en la matière, notamment les arrêts de travail et l'hôpital, qui sont particulièrement complexes, mais nous avons l'ambition de terminer ce panorama, déjà très fourni, d'ici à la fin de l'année.
Concernant les recettes, l'assurance maladie subit en effet la baisse de dynamique de la TVA. Cependant, la diversification de ses financements, construite depuis une dizaine d'années, avec des cotisations, de la contribution sociale généralisée (CSG), de la TVA et d'autres impôts et taxes affectés, reste une démarche pertinente. Pour autant, il est nécessaire que l'assurance maladie continue de bénéficier sur le long terme d'une fraction importante de la TVA, qui reste dynamique.
Concernant la hausse du ticket modérateur, la ministre de la santé et de l'accès aux soins a rappelé que la proposition du Gouvernement était soumise à discussion et que la concertation s'engageait. Cette hausse ne concerne ni les bénéficiaires de la C2S ni les patients en ALD. Nous faisons face, si je puis dire, à une déformation de la prise en charge, avec toujours plus de patients en ALD et, en parallèle, des innovations importantes, qui produisent une croissance mécanique des taux de remboursement de l'assurance maladie, notamment en matière de médicaments. La question du partage du financement semble inéluctable au regard des logiques fortes d'augmentation de la dépense.
Il est pour autant nécessaire d'inscrire ces évolutions dans un cadre partagé, y compris avec les organismes complémentaires. Cette démarche avait été lancée à plusieurs reprises par le biais de comités d'interface entre ministres de la santé et complémentaires, on peut imaginer qu'elle redémarre. Le cas échéant, l'assurance maladie y jouera son rôle, pour partager les contraintes de financement et les perspectives pluriannuelles. Cette année, nous avons montré dans notre rapport Charges et produits combien les moteurs d'augmentation des dépenses à l'oeuvre sur les pathologies chroniques, le vieillissement ou l'innovation sont puissants. Plusieurs centaines de milliers de personnes souffrant de pathologies chroniques sont ainsi prises en charge à 100 %. Il paraît indispensable de mettre ces éléments en perspective avec les complémentaires santé et les autres parties prenantes.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche maladie assurance maladie. - Vous avez qualifié la TVA de « relativement dynamique », monsieur le directeur général. Cette année, les recettes de TVA ont été moins élevées qu'escompté, ce qui a eu un impact sur les compensations perçues par les départements au titre de la suppression de la taxe foncière. Si je ne remets pas en cause le fait qu'une fraction de TVA finance l'assurance maladie, restons prudents quant à ces prévisions.
Je ne reviens pas sur le dérapage de 1,2 milliard d'euros de l'Ondam en 2024. Pour 2025, le PLFSS doit permettre une légère et temporaire amélioration du solde de la branche maladie, grâce à un Ondam contenu à 2,8 %. Cette prévision repose sur des projections d'économies exceptionnelles, d'un montant de 4,9 milliards d'euros, dont 2,9 milliards d'euros relèvent de mesures d'efficience et de régulation, principalement sur les produits de santé et les soins de ville.
Cet effort significatif sur les dépenses ne sera pas suffisant, puisque le déficit de la branche maladie se dégrade à nouveau à partir de 2026, et continûment jusqu'en 2028. Cette trajectoire engage néanmoins la crédibilité du PLFSS et celle des prévisions pour les années à venir, alors que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a jugé que les économies projetées étaient pour le moins incertaines.
Comment pouvez-vous vous avancer sur un tel niveau d'économies ? Quelles sont les conditions de réussite de cette projection et les facteurs de risque que vous identifiez ? Une stratégie fondée prioritairement sur des mesures d'efficience et de pertinence vous paraît-elle suffisante pour retrouver une situation financière soutenable de la branche maladie ?
Je ferai deux observations avant de passer à mes questions suivantes.
Si je partage votre souci d'améliorer la pertinence des soins, je note que l'urgence budgétaire semble infliger une sorte de double peine à un certain nombre d'acteurs qui se verront appliquer des baisses tarifaires, alors qu'ils ne sont pas les prescripteurs et qu'ils ne font que répondre à une prescription. Ils ne tiennent pas le crayon !
Par ailleurs, vous vous étiez déclaré défavorable à une financiarisation excessive de notre système de santé. Or la régulation renforcée prévue par le PLFSS pour 2025 conduira à une concentration et à une financiarisation accentuées, voire à un accès aux soins plus difficile dans les territoires.
J'en viens aux baisses de tarifs unilatérales. Les professionnels de santé ont récemment dénoncé les mesures du PLFSS qui permettront au ministre ou à vous-même, monsieur le directeur général, de décider unilatéralement de baisses de tarifs, dans les champs de la biologie et de l'imagerie, lorsqu'aucune mesure de maîtrise des dépenses n'aura pu être négociée avec les syndicats, ou lorsque celles-ci se révéleront insuffisantes. Ne craignez-vous pas que cette mesure affaiblisse durablement l'exercice conventionnel ? Pourra-t-on encore espérer la coopération des syndicats dans la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, lorsque la loi prévoira la possibilité de réduire sans leur accord les tarifs applicables ? Un certain nombre d'acteurs sont pourtant aujourd'hui force de proposition.
Les dépenses de transport sanitaire ont atteint 6,3 milliards d'euros en 2023, et restent sur une trajectoire dynamique, avec une hausse de 9 % en un an. Le rapport Charges et produits fait état de différences de remboursements significatives dans ce secteur entre les pays de l'OCDE, la France étant caractérisée par un niveau de prise en charge particulièrement élevé. À cet égard, l'article 17 du PLFSS pour 2025 vise à réformer les relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les taxis - qui, réglementairement, ne sont pas des transporteurs sanitaires - en renforçant les prérogatives de la convention nationale, notamment en matière de régulation tarifaire et de conventionnement. Quelles nouvelles marges de manoeuvre cet article offrira-t-il concrètement à l'assurance maladie pour rationaliser les dépenses de transport sanitaire ? Ces mesures vous semblent-elles suffisantes afin d'endiguer la dynamique particulièrement forte des dépenses de transport sanitaire, notamment de taxis ? À défaut, quelles mesures complémentaires pourriez-vous proposer ?
Le risque est que les taxis soient de moins en moins nombreux et les difficultés pour accéder aux soins plus grandes, avec des coûts de transport sanitaire en hausse.
Enfin, vous avez évoqué à la fin de vos propos la question des fraudes, et non de la fraude. Quelle différence faites-vous, enfin, entre les indus et les fraudes ?
M. Thomas Fatôme. - Les progrès réalisés dans la qualité et la pertinence des soins reposent sur des partenariats fondés sur la confiance et la transparence avec les professionnels de santé, mais aussi sur des leviers tels que l'article 16 du PLFSS pour 2025. Changer les comportements et les organisations suppose une mobilisation territoriale partagée entre les professionnels, l'assurance maladie et l'ensemble des acteurs concernés. Pourquoi nos médecins prescrivent-ils encore 25 % d'antibiotiques de plus que dans les autres pays ? Pourquoi prescrivent-ils moins de médicaments biosimilaires ? Pourquoi les analgésiques de niveau 2 et de niveau 3 sont-ils trop souvent prescrits par rapport aux analgésiques de niveau 1 ?
La convention médicale permet de construire un partenariat avec les professionnels en faisant en sorte que les revalorisations soient la contrepartie d'un certain nombre d'actions. Tel est du reste l'esprit de l'article 16. Il s'agit, par exemple, de vérifier en trois clics que le patient qui se voit prescrire un médicament contre le diabète est bien en ALD, qu'il a l'âge requis et qu'il entre dans le champ du remboursement.
Le protocole pluriannuel signé avec les biologistes comprend en particulier un volet autour de la qualité et de la pertinence des soins. Nous nous efforçons par exemple de ralentir la prescription de vitamine D, qui était parfois prescrite au-delà du bon sens. De même, dans l'immense majorité des cas, le calcul de la vitesse de sédimentation n'a pas grand intérêt. Nous nous efforçons donc d'en diminuer la prescription.
Parallèlement aux baisses de tarifs, nous déployons un certain nombre d'actions, d'une part parce que, contrairement à ce que j'entends parfois, la pertinence et la qualité des soins nous importent grandement, et d'autre part parce que, les arbres ne montant pas au ciel, la régulation des tarifs a des limites. Les avons-nous atteintes ? Je ne sais pas.
En 2023, les laboratoires, y compris les plus petits, ont dégagé un excédent brut d'exploitation de 17 % en moyenne. Peu de secteurs d'activité ont un tel niveau de rentabilité. Nous dialoguons donc avec la profession, dans le cadre d'un protocole signé l'année dernière avec les biologistes sur des bases parfaitement transparentes. Je ne peux donc pas laisser dire, comme je l'entends parfois, que nous aurions manipulé les chiffres. Les effets de la reprise de la biologie post-covid sont en train de s'estomper, et il est bien évident que les volumes d'actes de biologie n'augmenteront pas de 6 % par an au cours des dix prochaines années. En tout état de cause, il me paraît normal qu'un secteur qui fait des gains de productivité baisse ses tarifs.
Le lien entre financiarisation et régulation mérite d'être discuté. La concentration d'un secteur d'activité permet de faire des gains de productivité et partant, des économies pour la puissance publique. De hauts niveaux de rentabilité emportent toutefois des rachats successifs, la valorisation des groupes ainsi créés justifiant leur financiarisation. Cela doit-il nous empêcher de renforcer une régulation qui permet de faire des gains de productivité ? Ce serait pour le moins paradoxal, d'autant que je ne suis pas certain que l'on puisse dire que la régulation crée la financiarisation.
Avec le ministère de la santé et les agences régionales de santé (ARS), nous activons un certain nombre de leviers afin de réduire les coûts du transport sanitaire : le transport partagé, des plateformes de commande dans les hôpitaux, la rationalisation des flux de transport, etc. En Allemagne, en Espagne ou au Québec, la commande de transport est organisée selon des flux logistiques, si bien qu'aucun taxi ne repart à vide et qu'aucun transport itératif ne se fait de manière isolée.
Dans l'attente du décret d'application de la loi de finances pour 2024 sur le lien entre tiers payant et transport partagé, nous avons instauré un bonus-malus sur les transports sanitaires et nous discutons avec les taxis de la mise en oeuvre du transport partagé.
Les taxis sont un acteur du transport assis depuis maintenant de longues années, et leur part de marché ne fait que grossir. Notre objectif est de construire avec eux un mode de gestion de leur tarification qui leur permette d'avoir de la visibilité et qui soit soutenable pour l'assurance maladie. C'est par ailleurs une bizarrerie que les taxis ne fassent pas de transport partagé aujourd'hui.
La fraude suppose une intention. Les nomenclatures étant complexes, il y a parfois des indus. Les professionnels de santé ont droit à l'erreur. En revanche, des indus répétés sur des actes évidents, traduisant une volonté de s'écarter des règles, sont caractéristiques d'une fraude. Notre cadre de gestion et de lutte contre la fraude vise à bien différencier la fraude de l'indu.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Le PLFSS pour 2025 prévoit d'étendre le champ des procédures d'accompagnement à la pertinence des prescriptions. Si chacun s'accorde sur la nécessité de veiller à cette pertinence des prescriptions, l'effort doit-il nécessairement passer par de nouveaux formulaires à remplir pour les médecins ? Ce type de mesure ne risque-t-il pas de réduire encore le temps médical disponible dont nous manquons cruellement ?
Je souhaite également évoquer le cas des infirmières libérales au regard des indus. Une parenthèse, tout d'abord : alors que la Cnam mentionne une hausse de 9,8 % de ces professionnelles, l'Ordre national des infirmiers me faisait part d'une diminution drastique de leur nombre, qui est passé de 130 000 à 99 000 depuis 2017.
Les erreurs sur les ordonnances sont répercutées sur les salaires des infirmières, qui doivent les rembourser. Ces indus peuvent leur être réclamés jusqu'à cinq ans après, ce qui est très difficile à gérer et peu sécurisant. Cette durée ne pourrait-elle pas être réduite ?
Je souhaite également vous alerter sur l'existence de sites internet délivrant des arrêts de travail frauduleux comportant l'identifiant d'un médecin traitant qui existe bel et bien. Il faudra en tenir compte dans le suivi qui sera fait de l'activité des médecins, car ce phénomène est exponentiel.
Enfin, si le service d'accès aux soins (SAS) a des vertus, il reste des trous dans la raquette. Or le point bloquant, nous le savons, c'est la rémunération des médecins. Il faut remédier à cette difficulté au plus vite pour qu'à l'heure du bilan, on ne fasse pas le constat amer que des sommes folles ont été dépensées dans ce dispositif pour un résultat insatisfaisant.
Mme Céline Brulin. - Voilà plusieurs années que nous voyons passer dans le PLFSS des mesures relevant du déremboursement, notamment des hausses du ticket modérateur. Chaque fois l'argument est le même : les patients en ALD seront préservés. Or un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des finances (IGF), publié l'été dernier, montre que le reste à charge de ces patients est en réalité trois fois plus élevé que pour les autres.
J'entends bien que le volume - si je puis le dire ainsi - des patients en ALD ne cesse d'augmenter, ce qui pèse sur les finances de l'assurance maladie. Toutefois, n'y a-t-il pas là une impasse qu'il faudrait reconnaître comme telle ?
L'avenir du service du contrôle médical suscite de nombreuses inquiétudes. Un rapport a été commandé, qui semble conclure à la nécessité de démanteler ce service. La décision est-elle actée ?
Les professionnels de santé considèrent qu'il est un peu contradictoire de leur imposer un dispositif de prescription renforcée, qui alourdira encore leur travail administratif, alors que l'urgence est de dégager davantage de temps médical. La question se pose également pour la Cnam : sera-t-elle en mesure d'absorber ce travail administratif supplémentaire ?
Mme Jocelyne Guidez. - Un des volets d'augmentation des dépenses de l'assurance maladie concerne le remboursement des équipements de santé. La mise en place du « 100 % santé » a représenté un tournant dans l'accès aux soins, dont nous pouvons tous nous réjouir. Néanmoins, elle a favorisé une logique consumériste, puisque les dépenses d'équipement augmentent désormais en moyenne de 4 % chaque année, en particulier dans le secteur de l'optique. Faut-il vraiment changer de lunettes tous les deux ans ? Et cela représenterait-il une économie importante si on en changeait plutôt tous les trois ans ?
Certains adolescents et adultes porteurs de handicap ont besoin d'un transport pour rejoindre leur domicile familial depuis leur maison d'accueil, tous les week-ends. Si le domicile familial est situé dans le même département, le transport est remboursé, mais ce n'est pas le cas s'il se trouve dans un autre département, même voisin, de sorte que ces personnes doivent trouver une solution par elles-mêmes, et cela leur coûte très souvent fatigue et épuisement. Un travail approfondi devait être mené sur le sujet, mais je l'attends depuis sept ans. Où en sommes-nous ?
M. Bernard Jomier. - L'ampleur des économies prévues dans le PLFSS pour 2025 - soit 4,9 milliards d'euros - est inédite, notamment dans le secteur pharmaceutique. Cela donne une impression de fragilité, si bien que dans l'avis qu'il a rendu, hier, le comité d'alerte mentionne un « risque élevé de dépassement ». Nous ne pouvons qu'être sceptiques sur ce texte.
Le déficit croissant de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) est problématique. Pour y remédier, le projet de loi prévoit une ponction de 1 milliard d'euros sur le budget des hôpitaux. Comment, dans de telles conditions, envisager que celui-ci tienne dans l'enveloppe affectée ?
Vous avez en partie répondu à la question sur la baisse de la prise en charge par l'assurance maladie des actes pivots que sont les consultations des sages-femmes et des médecins. Toutefois, pour l'instant, vous êtes les seuls à négocier la convention avec les organisations professionnelles, car vous êtes les plus gros payeurs. Si le projet du Gouvernement s'applique, vous ne prendrez plus en charge que 50 % du total : sera-t-il alors toujours légitime que vous soyez les seuls à négocier ?
Durant les années précédentes, la prévention apparaissait comme un sujet important. Or il n'y a rien sur la question dans le présent PLFSS. Le tabac et l'alcool sont deux substances qui, en financement direct, engendrent pour l'assurance maladie un déficit de plusieurs milliards d'euros. Pourquoi ne pas défendre l'idée d'une contribution fiscale directe égale au coût ? Seuls les consommateurs paieraient.
M. Laurent Burgoa. - Et les viticulteurs ?
M. Bernard Jomier. - La commission des affaires sociales n'est pas là pour régler le problème de la filière viticole ! Pour 300 milliards d'euros de recettes, on compte 450 milliards d'euros de dépenses, soit un déficit de 150 milliards d'euros. En comparaison, le déficit des finances sociales n'est que de 17 ou 18 milliards d'euros. Que l'État garde donc ses leçons pour lui et nous laisse examiner tranquillement le budget social !
Enfin, quelles initiatives comptez-vous prendre en matière de financiarisation ? Vous avez été précurseur dans ce domaine, en proposant notamment de créer un observatoire, mais vous ne l'avez jamais fait. Il y a quinze jours, la Cour des comptes a décidé de le créer avec la chaire santé de Sciences Po et vous avez immédiatement manifesté votre volonté d'y participer. Pourquoi donc a-t-il fallu attendre que la Cour des comptes prenne cette initiative ? Introduirez-vous dans les négociations conventionnelles des dispositifs qui permettront de lutter contre la financiarisation, conformément à l'une de nos recommandations ? Que ferez-vous pour faciliter l'identification des praticiens des centres de santé ? La question sera-t-elle résolue à brève échéance ? Quid du partage d'informations avec les ordres professionnels ?
M. Thomas Fatôme. - Nous sommes convaincus que le temps médical est un sujet majeur. C'est pourquoi l'assurance maladie finance le programme des assistants médicaux, qui favorisent massivement le gain de temps pour les médecins. En effet, un médecin disposant d'un assistant médical peut prendre jusqu'à 5 % à 10 % de patients en plus, du fait de l'allégement de son temps de travail administratif. Il s'agit d'une aide pérenne, dont le coût est estimé à 20 000 euros par an et par assistant. L'investissement de l'assurance maladie pour aider les médecins à dégager du temps médical est donc substantiel.
Nous soutenons aussi des initiatives telles que le dispositif Mon espace santé ou le dossier médical partagé (DMP). Nous travaillons également en collaboration étroite avec les ministères sur le problème des certificats inutiles. Nous avons ainsi développé avec la direction de l'information légale et administrative (Dila) un simulateur permettant de déterminer si tel ou tel certificat est utile ou pas. Nous restons donc très attentifs au sujet du temps médical.
Pour développer la logique de la prescription renforcée, il faut des dispositifs très simples. Les médecins sont parfois amenés à faire des prescriptions coûteuses qui ne sont pas forcément nécessaires, et cela de manière répétée. Quand il s'agit, par exemple, d'un transport en ambulance, il faut pouvoir être certain que la situation du patient le justifie. Nous devons donc nous donner les moyens de trouver collectivement des outils simples pour accompagner les médecins en ce sens. En Belgique, la moitié des prescriptions de médicaments sont sous accord préalable du service médical. Nous en sommes loin, en France. Or il ne sera pas possible d'effectuer a posteriori des contrôles pour 50 000 médecins recevant en consultation près d'un million de patients chaque jour. Mieux vaut trouver quelques leviers très simples pour accompagner les professionnels.
D'autant que certains médicaments problématiques arrivent sur le marché, comme ceux pour lutter contre l'obésité. Si nous ne contrôlons pas les conditions dans lesquelles ils sont prescrits, cela représentera très rapidement des centaines de millions d'euros de dépenses supplémentaires.
Le médecin généraliste est comme la tour de contrôle du système. Il génère chaque année 750 000 euros de dépenses. Nous devons nous assurer que cette dépense sera toujours pertinente, en travaillant sur un certain nombre d'incitations, de leviers et de mécanismes d'accompagnement. Et vous avez raison de dire que les outils que nous fournirons aux médecins doivent être simples et faciles d'emploi. Nous savons le faire - un dispositif comme AmeliPro en est la preuve - et le retour sur investissement sera massif.
En ce qui concerne les infirmiers libéraux, nous avons défini une feuille de route sur le sujet des indus avec les trois syndicats représentatifs d'infirmiers libéraux. Il existe en effet des zones grises dans la nomenclature et des pratiques non homogènes. Dans les prochaines semaines, une circulaire devrait permettre d'apporter des clarifications. Nous menons aussi toute une série d'actions, notamment pour développer des outils d'accompagnement des prescripteurs comme le service Omniprat, que nous souhaitons étendre aux infirmiers libéraux.
Leur nombre est passé de 70 000 en 2011 à 99 000 en 2023.
Mme Anne-Sophie Romagny. - En 2023, il y en avait 130 000 !
M. Thomas Fatôme. - Nous ne devons pas parler de la même chose, madame la sénatrice : les chiffres sont publiés en open data sur notre site, ainsi que les courbes d'évolution.
Nous sommes très vigilants sur les arrêts de travail frauduleux. À l'horizon de juin 2025, nous n'accepterons plus aucun arrêt de travail de format papier sans formulaire Cerfa sécurisé. Cette évolution prend du temps car nous devons adapter tous les logiciels des professionnels de santé en ville et à l'hôpital. Désormais, nous ne donnons plus aux médecins que des formulaires sécurisés.
Nous nous sommes également mobilisés pour lutter contre les sites internet qui délivrent de faux arrêts de travail. Nous demandons des fermetures quasiment toutes les semaines, mais les sites parviennent à rouvrir. En tout état de cause, dès lors que nous ne procéderons plus que par formulaires Cerfa sécurisés, le phénomène s'arrêtera.
Nous ne sommes pas opérateurs du SAS, qui dépend de l'agence régionale de santé et du ministère. En revanche, nous finançons une régulation à 100 euros de l'heure, ainsi qu'une majoration de 15 euros, de sorte que les conditions tarifaires sont relativement attractives.
Les études montrent en effet que le reste à charge peut être plus élevé pour les personnes en ALD que pour d'autres patients. Cela s'explique par le fait que leur consommation de soins est souvent plus élevée dans des champs comme le dentaire ou l'optique, où s'exercent des dépassements d'honoraires qui ne sont pas couverts par la prise en charge des ALD. Toutefois, il faut mettre cela en balance avec ce que serait le reste à charge si le système des ALD n'existait pas. Même si elle ne couvre pas tout, il s'agit d'une protection très puissante et efficace.
Cela m'amène au sujet du service du contrôle médical. Une des chances de l'assurance maladie est d'avoir des médecins-conseils, des chirurgiens-conseils, des pharmaciens-conseils. Il n'y a pas de qualité ni de pertinence des soins sans praticien-conseil. Loin de moi, donc, l'idée de remettre en cause cette capacité à faire. En revanche, l'Igas a montré que notre organisation actuelle est trop cloisonnée, ce qui nuit à l'efficacité du système.
Nous avons donc élaboré un certain nombre de scénarios de transformation. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'indépendance des médecins-conseils, qui, de toute façon, est protégée par les textes. Néanmoins, s'il a une indépendance technique, le médecin-conseil exerce son activité dans une structure placée sous mon autorité.
L'objectif est de rapprocher cette force de frappe des caisses. Aujourd'hui, ce sont elles qui portent des sujets comme la lutte contre la fraude, les projets de maisons de santé ou de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ou même la prévention. Aussi, je souhaite que l'on réunisse ces équipes, avec un comité chargé de veiller à l'indépendance des médecins-conseils.
Les caisses savent gérer les informations médicales : arrêts de travail, prescriptions, pilotage de plateformes de professionnels. Si un directeur de caisse se mettait à gérer de l'information médicale à mauvais escient, il aurait de graves problèmes. Nous souhaitons donner aux praticiens-conseils davantage l'occasion de s'occuper de santé, de sujets à forte plus-value, en déléguant des tâches administratives à d'autres. Cette nouvelle organisation interne nous permettra de mettre plusieurs centaines d'agents sur des politiques publiques de santé, plutôt qu'en gestion de back office. Nous resterons extrêmement attentifs à la préservation de l'indépendance et du secret médical.
Madame la sénatrice Guidez, je suis tout à fait d'accord avec vous sur les lunettes : ce ne serait pas un drame si l'on passait de 2 ans à 3 ans pour le renouvellement. C'est une demande légitime des organismes complémentaires dans le cadre du contrat responsable et je n'y suis pas hostile.
Sur le transport des personnes handicapées, je crains de devoir vous faire la même réponse que celle que vous recevez depuis quelques années. Objectivement, c'est un sujet compliqué qui concerne la réglementation et les rapports entre institutions. Mais je confirme qu'il y a des trous dans la raquette. Nous sommes prêts à engager un travail avec la branche autonomie et d'autres acteurs.
Monsieur Jomier, l'Union nationale des complémentaires santé (Unocam) est bien autour de la table lors des négociations avec les différents professionnels de santé. Mais c'est vrai, je vous rejoins, elle se fait plus entendre sur le dentaire que sur d'autres champs où le remboursement est moindre.
Je pense également que, pour maintenir un système assis sur un niveau de couverture élevé, c'est bien l'assurance maladie qui doit garder la main lors de la négociation conventionnelle avec les professionnels libéraux.
Je tiens à préciser que nous investissons beaucoup sur la prévention opérationnelle. Nous avons ainsi monté 6 plateaux d'appels sortants sur le dépistage organisé du cancer. Nous avons déjà appelé depuis le début de l'année 2 millions de personnes pour les encourager, voire pour prendre rendez-vous pour des dépistages de cancers colorectaux ou de l'utérus.
Sur la fiscalité, je suis pour ma part extrêmement favorable à une évolution dynamique de la fiscalité comportementale, afin de compenser les coûts supportés par l'assurance maladie du fait de la consommation de tabac ou d'alcool, par exemple.
En ce qui concerne la financiarisation, je vous remercie de rappeler le rôle que nous avons joué avec l'observatoire, mais tout cela n'aura de sens que si la puissance publique s'empare du sujet. Nous y sommes presque. Le rapport sénatorial préconise d'introduire la question dans la négociation. Il faut y réfléchir.
Pour les laboratoires de biologie médicale ou les plateaux techniques, la concentration peut tout à fait s'envisager si elle s'accompagne d'un cahier des charges comprenant des obligations en matière de maillage territorial, d'accessibilité et d'offre de services performante. Je reste disponible pour aller plus loin avec vous sur ces sujets.
Mme Nadia Sollogoub. - Nous avons évoqué les dépenses qui ne devraient pas avoir lieu.
Il y a d'abord la fraude, qui est simple à rechercher avec les contrôles. Vous nous en adressez d'ailleurs les bilans chaque année. Tout le monde est d'accord, la fraude ne devrait pas exister.
Ensuite, il y a la catégorie des indus, qui est un peu plus délicate, en particulier pour les infirmiers libéraux. En effet, leur cotation est très complexe et les prescripteurs ne sont pas toujours attentifs. Résultat, ils « prennent cher », si vous me passez l'expression. Il y a toujours moyen de trouver quelque chose qui cloche dans ce maquis administratif. C'est donc la double peine pour une profession déjà en souffrance et qui le vit très mal.
Enfin, il y a les dépenses qui ne devraient pas avoir lieu, avec les surprescriptions ou les prescriptions mal adaptées. Le gaspillage sur les pansements est à cet égard emblématique des mauvaises pratiques. Une petite remarque à ce sujet : présidant une association humanitaire qui oeuvre pour l'Ukraine, je constate que nous récupérons des quantités incroyables de pansements ; j'en suis très contente pour les Ukrainiens, mais est-ce bien normal que les Français paient pour cela ?
Vous l'avez dit, on peut effectivement sensibiliser les prescripteurs, mais ils sont déjà débordés. Ne faudrait-il pas programmer une campagne de sensibilisation grand public pour dire aux gens qu'ils n'ont pas besoin d'avoir 40 boîtes de Doliprane chez eux ? En tout cas, c'est un gros chantier.
Sur les praticiens-conseils, les élus locaux que nous sommes presque tous sont toujours méfiants quand on leur parle de redéploiement et d'optimisation des services publics.
Enfin, je tiens à évoquer devant vous un rapport sénatorial sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Nos collègues ont relevé un besoin de confidentialité dans les bons de transport, notamment en milieu rural et pour les mineurs. Pouvez-vous envisager d'anonymiser ces bons ?
Mme Anne Souyris. - Je vais commencer par une note positive, en me réjouissant que l'assurance maladie soit sur le point de généraliser d'ici à la fin 2024 une campagne d'information et de sensibilisation des assurés professionnels de santé pour limiter l'exposition aux perturbateurs endocriniens. Je salue également la généralisation de l'expérimentation zéro phtalate menée par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) de l'Indre et de l'Aisne, qui a été une réussite.
Le rapport Charges et produits a introduit des enjeux de décarbonation du secteur de la santé et de la santé environnementale. Je rappelle que le coût de la seule pollution de l'air pour les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale a été estimé à 3 milliards d'euros par an. Prévenir les maladies liées aux pollutions est une source d'économies majeure. Depuis le second semestre 2024, les CPAM peuvent élaborer des appels à projets pour prévenir les risques de santé environnementale. Pouvez-vous nous faire un premier point d'étape de cette campagne ?
Par ailleurs, je m'interroge sur l'inadéquation entre les objectifs de l'assurance maladie présentés dans le rapport Charges et produits et les mesures prévues au PLFSS. L'assurance maladie prend un virage manifeste vers la prévention en santé environnementale, mais le PLFSS ne propose aucune mesure de cette nature. Pouvez-vous m'expliquer ce décalage ?
Mme Véronique Guillotin. - La France dépense pour la santé un pourcentage important de son PIB. Le reste à charge, comparé à celui de nos voisins européens, n'est pas si mauvais. Pour autant, l'accès aux soins est de plus en plus compliqué. À mon avis, aucune piste ne doit être négligée pour améliorer cette situation. Il n'y a qu'à voir le problème des pansements, qui pourrait paraître anecdotique, mais qui ne l'est pas. Certains médecins ont aussi tendance à faire des ordonnances à deux niveaux, un second traitement étant prévu si le premier ne marche pas. Il y aurait des masses d'économies à faire sans dégrader les soins.
Il importe aussi de mettre l'accent sur la prévention et l'éducation dès le plus jeune âge. Il s'agit d'apprendre à prendre soin de sa santé et de s'adresser à la bonne personne, qui n'est pas forcément un médecin généraliste, au bon moment. Cela passe aussi par l'accélération du déploiement des infirmiers en pratique avancée (IPA).
Sur les bons de transport, les périmètres ne sont aujourd'hui pas adaptés aux besoins véritables des assurés. Les règles ne sont pas toujours cohérentes et mériteraient à mon sens d'être revues. Est-ce une piste que vous envisagez ?
Enfin, les maisons de santé et les CPTS se sont multipliées ces dernières années, notamment grâce à de l'argent public. Y a-t-il des objectifs précis assignés à ces structures, des évaluations et des pistes d'amélioration à moyen ou long terme ?
Mme Pascale Gruny. - Je me fais ici la porte-parole de médecins, qui m'ont chargée de faire remonter un certain nombre d'éléments.
De plus en plus de médecins ne prennent leur patient que pour un problème, faute de temps. Il leur est donc impossible de faire de la prévention.
Par ailleurs, les médecins libéraux ont de plus en plus de missions auprès d'organismes extérieurs, délaissant ainsi leurs activités de soins. C'est du temps médical perdu !
Par ailleurs, les rémunérations sur objectifs de santé publique (ROSP) n'incitent pas forcément aux bonnes pratiques médicales. Ainsi, un médecin pourra être tenté de traiter comme asthmatique chronique un patient touché par de l'asthme saisonnier. Il semblerait que les indicateurs ne soient pas très pertinents.
Enfin, nombre de médecins vivent assez mal le climat de suspicion et d'agressivité qui accompagne souvent les contrôles de l'assurance maladie.
Mme Annie Le Houerou. - Les infirmières libérales ont vu leur rôle nettement évoluer. Elles sont vraiment devenues des piliers de la santé publique, surtout à un moment où les médecins ont déserté certains territoires. Où en sont leurs demandes de revalorisation des actes ?
Par ailleurs, la Cnam réalise-t-elle des évaluations des cabines de téléconsultation, qui ont fleuri sur de nombreux territoires, tant du point de vue des arrêts maladie que de la délivrance des médicaments ? Elles sont principalement installées aujourd'hui en pharmacie ou à proximité de centres de santé, ce qui est plutôt une bonne chose, un contrôle médical étant possible, mais on entend encore parler d'installation dans les gares ou dans d'autres lieux. Que pouvez-vous nous en dire ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - On remarque souvent que trop de médicaments sont délivrés à certains patients, ce qui renvoie aussi à la responsabilité du prescripteur. Une piste d'économies pourrait être de limiter la prescription de sortie d'hôpital à 7 jours, à charge pour les infirmières qui se rendent au domicile des patients par la suite d'adapter la prescription de certains produits en fonction de l'évolution de la pathologie.
Il importe aussi de mener un travail d'éducation des patients. En tout cas, tous les professionnels sont motivés, car ils sont de plus en plus conscients de la nécessité de faire attention au gaspillage.
M. Thomas Fatôme. - Madame la rapporteure, je suis tout à fait d'accord avec vous. D'ailleurs, dans le rapport Charges et produits, nous avons proposé de limiter la première délivrance de pansements à sept jours pour que l'infirmière - en réalité, c'est souvent celle qui connaît le mieux ces sujets - prenne le relais. Cette mesure est en train d'être travaillée opérationnellement et nous souhaitons la mettre en place le plus rapidement possible. Sur la réutilisation d'un certain nombre de matériels médicaux, il faut être attentif à la traçabilité et à la sécurité sanitaire, mais c'est également une source potentielle d'économies.
Madame Sollogoub, un travail de clarification est en cours avec les syndicats infirmiers, ce qui devrait nous permettre de faire diminuer le nombre d'indus. Il y en aura toujours, car ce sujet est complexe, mais je suis optimiste.
Sur la réorganisation du service du contrôle médical, je vous rassure, l'objectif est de renforcer le niveau départemental, tout simplement parce qu'au travers des CPAM, c'est l'échelon principal d'organisation de l'assurance maladie. Nous maintiendrons un niveau régional, mais il s'agit d'un échelon de coordination, ayant une fonction stratégique.
En ce qui concerne l'IVG et la contraception des mineurs, nous sommes attentifs aux questions de confidentialité. Je ne peux vous répondre précisément sur le transport aujourd'hui, mais je m'engage à regarder le problème de plus près.
Madame Souyris, je vous remercie d'avoir souligné le virage préventif de l'assurance maladie autour des problématiques santé environnement. La feuille de route est bien d'avancer sur la France entière sur les perturbateurs endocriniens. Par ailleurs, pour ce qui est de la décarbonation, nous avons introduit dans la convention médicale un indicateur sur la sobriété des prescriptions d'un certain nombre de classes de médicaments chez les généralistes. Nous travaillons bien sûr avec les transporteurs sanitaires et les hôpitaux sur les transports partagés.
Je ne suis pas en mesure de vous donner un état, à date, sur les appels à projets santé environnement, parce qu'ils sont encore un peu récents, mais je vous en reparlerai dès que nous aurons un peu de visibilité. Le réseau est extrêmement mobilisé autour de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et de Santé publique France.
Nous sommes par ailleurs en train de travailler sur le système national des données de santé (SNDS) pour aller plus loin dans notre champ d'études.
Je pense enfin que le PLFSS 2025 va s'enrichir de mesures de prévention, comme je l'ai dit tout à l'heure.
Madame Guillotin, nous sommes en mesure de faire des vérifications sur les bons de transport, en cas d'ALD ou d'impossibilité de se déplacer. Nous souhaitons améliorer ces contrôles.
Les maisons de santé sont des effecteurs de soins, raison pour laquelle nous allons continuer à les soutenir. Le ministre vient de nous donner pour mission d'améliorer les dispositifs conventionnels. Les CPTS, quant à eux, commencent à assurer un véritable maillage territorial et gagnent en maturité, en actions et en résultats. Je crois beaucoup à cet échelon territorial d'organisation qui n'existait pas jusque-là. Nous allons continuer à les soutenir, mais en étant plus exigeants sur leurs obligations de gestion.
Madame Gruny, je suis d'accord avec vous, le découpage des consultations médicales par motifs me paraît contraire à toute déontologie médicale. Je m'engage à vérifier si ce phénomène a tendance à se développer.
Nous sommes extrêmement attentifs aux conditions dans lesquelles nous exerçons nos compétences de contrôle vis-à-vis des médecins, comme d'autres professions de santé, dans le respect du contradictoire et de l'échange. Dans l'immense majorité des cas, je crois que ces contrôles se passent dans de bonnes conditions. Maintenant, il y a des cas plus délicats qui, touchant aux pratiques de prescription, peuvent entraîner de la tension. Gérer ces situations entre dans le cadre de nos missions.
Enfin, sachez que la ROSP sera supprimée à l'horizon de 2026 et remplacée par un mécanisme plus simple de financement de la prévention individuelle par patient qui sera construit avec les syndicats de médecins.
Madame Le Houerou, dès lors que le cadre d'exercice des compétences des infirmiers et infirmières va s'élargir en application de textes sur le point d'être votés, nous aurons l'occasion de rediscuter avec eux des conséquences en matière de rémunération. Je rappelle que nous avons tout de même proposé, l'an dernier, une amélioration notable de leurs indemnités de déplacement.
Sur les cabines de téléconsultation, je ne suis pas en mesure de porter à votre connaissance une évaluation spécifique, parce que nos systèmes d'information ne nous permettent pas, à date, de le faire. En revanche, je vous confirme que l'assurance maladie reste très défavorable à l'installation de cabines de téléconsultation dans des lieux qui ne sont pas des lieux de soins, comme les supermarchés ou les gares. Il importe d'avoir des professionnels de santé à proximité. C'est une position constante de notre côté.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Le « 100 % santé » a été mis en place depuis maintenant quelques années. Avez-vous mené des évaluations ? Les cibles, à savoir la baisse du reste à charge notamment pour les personnes les plus défavorisées, ont-elles été atteintes ? Surveillez-vous certains sujets en particulier ? Nous avons des remontées de terrain selon lesquelles les prothésistes dentaires voient passer des prothèses venant de Chine ou de Turquie... C'est la même chose pour les lunettes et les audioprothèses... Comment protéger nos professionnels de cette concurrence ?
M. Thomas Fatôme. - Je n'ai pas de chiffres immédiatement disponibles, mais les résultats du « 100 % santé » ont tout de même été très positifs sur l'audioprothèse et le dentaire, avec une augmentation très significative des assurés ayant recours à ces dispositifs médicaux et une diminution des restes à charge. Sur le dentaire, il y a même une augmentation très importante de la part des prothèses sans reste à charge. Je m'engage à vous fournir des chiffres plus précis prochainement. Les résultats sont moins marquants sur l'optique, où le panier 100 % a plus de mal à s'imposer.
Nous restons naturellement vigilants sur les risques de fraude - actes fictifs, fausses ordonnances ou faux praticiens, notamment pour ce qui concerne les audioprothèses. Le réseau de l'assurance maladie est très mobilisé pour assurer des contrôles. Nous ferons un bilan d'ici à la fin de l'année. Je viens par ailleurs de signer avec les audioprothésistes un nouvel avenant technique, qui nous permettra de sécuriser un certain nombre de flux de facturation et de limiter les risques d'actes fictifs. La question de la qualité, en particulier des prothèses venant de l'étranger, relève moins de notre champ de compétences. En l'espèce, la réglementation et les normes CE doivent être respectées.
La réunion est close à 12 heures 40.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.