Mardi 22 octobre 2024

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Les politiques d'exonérations de cotisations sociales - Audition de M. Antoine Bozio, co-auteur, sur les conclusions du rapport de MM. Antoine Bozio et Étienne Wasmer

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, dans le cadre de nos travaux préparatoires à l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous accueillons M. Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP) et chercheur associé à l'École d'économie de Paris.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site du Sénat.

Monsieur Bozio, avec votre collègue économiste Étienne Wasmer, vous avez été chargé fin 2023 par la Première ministre d'alors, Élisabeth Borne, d'une mission « relative à l'articulation entre les salaires, le coût du travail et la prime d'activité et à son effet sur l'emploi, le niveau des salaires et l'activité économique ». Après le changement de gouvernement, cette mission a été confirmée. Son objet principal, la « désmicardisation » des travailleurs, rejoint les travaux menés par nos rapporteurs Frédérique Puissat et Corinne Bourcier.

Après un point d'étape rendu public le 25 avril 2024, la restitution de vos travaux s'est trouvée contrainte par la dissolution de l'Assemblée nationale. Ce n'est donc que le 3 octobre dernier que votre rapport final, très attendu, a été publié.

Monsieur Bozio, je vais vous laisser présenter à la commission les principales conclusions de votre rapport et préciser, à la lumière de vos travaux, ce que vous inspire l'article 6 du PLFSS pour 2025, qui organise un reprofilage en deux temps, en 2025 puis en 2026, des allègements généraux de cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs.

M. Antoine Bozio, co-auteur du rapport Les politiques d'exonérations de cotisations sociales : une inflexion nécessaire. -Notre rapport s'est appuyé à la fois sur un travail de revue de l'existant, sur la consultation de la littérature consacrée au sujet, ainsi que sur l'impact connu des politiques d'exonérations de cotisations sociales en France et à l'étranger. Nous avons conduit une soixantaine d'auditions, couvrant le plus grand nombre possible de points de vue : universitaires, directions d'administrations centrales, organisations syndicales, patronales, etc. L'enjeu était de récolter l'ensemble des connaissances nécessaires, en pondérant les certitudes scientifiques par les zones d'ignorance.

Il en résulte un rapport copieux. Nous voulions en effet recueillir de nombreuses informations susceptibles d'être utilisées et reprises. Je vous en résumerai les grandes lignes. (M. Antoine Bozio projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.)

Observons tout d'abord l'évolution du taux de prélèvement effectif global, employeurs et salariés, en fonction du niveau de salaire depuis 1951. Le système de protection sociale reposait sur un financement alimenté par des cotisations sociales, sous le plafond de la sécurité sociale. Les cotisations ont ensuite été progressivement déplafonnées. À partir du milieu des années 1990, la mise en oeuvre de la politique d'exonérations de cotisations sociales employeurs au niveau du salaire minimum a réduit le taux de prélèvement effectif. On en arrive, au niveau du salaire minimum, à un taux considérablement plus faible que le taux normal associé au plafond de la sécurité sociale.

Ce barème a été modifié à de multiples reprises au fil des ans. En janvier 1993, il s'élevait à 45 % pour tous les niveaux de salaire. Il a ensuite diminué progressivement au niveau du salaire minimum, tout en étant rehaussé rapidement sur les tranches de rémunération supérieures. Puis, à partir de la mise en oeuvre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), les cotisations ont été réduites pour les salaires allant jusqu'à 2,5 Smic.

Actuellement, le taux d'exonération de cotisations sociales correspond à 40 % du salaire brut au niveau du salaire minimum, puis il se réduit fortement jusqu'aux salaires atteignant 1,6 Smic. Mais s'ajoutent à cela la baisse du taux de cotisations d'assurance maladie et celle du taux de cotisations de la branche famille. Cette situation résulte de la superposition de trois dispositifs : la réduction générale du taux de cotisations sociales, l'ex-CICE et la réduction du taux de cotisation relatif aux allocations familiales.

Ces exonérations ont entraîné des pertes pour la sécurité sociale, qu'il a fallu compenser. Au milieu des années 1990, leur coût pour les finances publiques s'élevait à 0,5 point de PIB. À l'issue de la réforme des 35 heures, qui a engendré des exonérations supplémentaires, ce coût s'établissait à 1 point de PIB. Puis, à la suite du CICE - confirmé sous la forme de baisses de charges en 2019 -, il a atteint 2,3 points de PIB.

Ce coût a en outre continué à augmenter ces dernières années. En effet, du fait de la crise inflationniste, le salaire minimum a augmenté plus vite que la majorité des salaires supérieurs. Les exonérations, calculées en fonction du salaire minimum, ont donc crû plus rapidement que le PIB, soit une augmentation du coût de ces politiques pour les finances publiques de 0,25 point de PIB depuis 2019.

Il est important de noter que ce chiffrage a été réalisé à partir d'une hypothèse statique, sans aucun impact sur l'emploi. En réalité, si l'on supprimait, du jour au lendemain, toutes les exonérations de cotisation, il en résulterait des destructions d'emplois et des faillites d'entreprises qui ne permettraient pas de récupérer cette somme. Cet élément est important, car il nous aide à évaluer, d'un côté, les gains potentiels pour les finances publiques des politiques menées, et, de l'autre, leurs apports éventuels en matière d'emploi.

Nous avons mené un travail important avec plusieurs directions des services de l'État ainsi qu'avec l'inspection générale des finances (IGF) pour construire un outil de modélisation visant à reproduire les impacts potentiels de différents scénarios de modifications des allègements de cotisations sociales. En effet, les modèles existants utilisés au sein de l'administration avaient été conçus dans un cadre très simple et ne suivaient pas les progrès récents de la recherche dans ce domaine.

Nous avons voulu simuler les modifications de barèmes sur des données exhaustives pour prendre en compte l'hétérogénéité des situations, en fonction de la composition exacte de la masse salariale dans chaque entreprise.

Nous avons tout d'abord étudié la possibilité de réviser les élasticités utilisées dans ces modèles pour voir dans quelle mesure la sensibilité de l'emploi à son coût pouvait avoir évolué par rapport à la situation que l'on connaissait il y a dix ou quinze ans. Les élasticités des outils existants à l'époque étaient relativement élevées. Or plusieurs éléments nous laissent penser qu'elles sont aujourd'hui trop élevées par rapport à ce que l'on sait de l'évolution du marché du travail et des effets mesurés du CICE et de sa bascule en baisses de charges.

Dans notre spécification centrale, nous retenons une élasticité au Smic de - 0,6, qui reste élevée par rapport à ce qui se pratique dans d'autres pays et aux exemples que l'on trouve dans la littérature, mais qui est plus faible que celle qui a été utilisée par le passé au moment des premiers allègements de cotisations sociales.

J'en viens aux scénarios que nous avons étudiés, qui l'ont tous été dans un cadre à budget constant. Nous n'avons pas essayé d'identifier les outils susceptibles de contribuer au redressement des finances publiques. Notre objectif était de voir s'il était possible, à budget constant, de concevoir un barème des allègements de cotisations employeurs visant l'objectif annoncé dans notre lettre de mission, sans effet négatif sur l'emploi, mais avec un effet sur la dynamique salariale, à un coût maîtrisé pour les finances publiques.

Dans notre scénario central, nous proposons de tracer une courbe qui coupe la courbe de l'actuel barème. Ce dernier chute fortement entre le niveau du salaire minimum (où l'exonération de cotisations s'établit à 40 points) et le salaire à 1,6 Smic, avant de former les deux « bandeaux », l'un pour l'assurance maladie (correspondant à une exonération de 8 points pour les salaires compris entre 1,6 Smic et 2,5 Smic) et l'autre pour les allocations familiales (correspondant à une exonération de 2 points pour les salaires jusqu'à 3,5 Smic). L'enjeu est de diminuer la pente de ce barème.

Pour 1 euro d'augmentation de salaire net, le coût pour l'employeur doit être plus faible, le retrait des exonérations se faisant plus lentement. Pour le faire à budget constant, en minimisant les effets sur l'emploi et en prenant en compte l'hétérogénéité des situations d'un secteur à l'autre et d'une entreprise à l'autre, nous avons proposé de diminuer le taux d'exonération de 4,05 points au niveau du Smic, puis de relever le niveau des exonérations pour les salaires compris entre 1,2 et 1,9 Smic. L'idée est de retirer plus lentement ces exonérations au fur et à mesure que les salaires augmentent. Ainsi, pour les salaires supérieurs à 1,9 Smic, le taux d'exonération se réduirait progressivement, jusqu'à devenir nul pour les salaires égaux et supérieurs à 2,5 Smic.

Ce scénario aurait des effets négatifs sur les emplois situés exactement au niveau du Smic, mais positifs sur les emplois aux salaires compris entre 1,2 et 1,9 Smic ainsi que sur la dynamique salariale. Diminuer en effet l'incitation marginale à l'augmentation de salaire déplacerait la distribution des emplois vers les emplois à plus haut niveau de rémunération. Ce scénario entraînerait une baisse des cotisations de 5,75 points pour les salaires situés au niveau du salaire médian, à 1,6 Smic.

Ce scénario a des effets positifs sur l'emploi, car l'on y retire des allègements de cotisations à des niveaux de salaires où la sensibilité à l'emploi est plus faible, pour les reconcentrer à des endroits où celle-ci est plus forte. Le taux d'exonération est par ailleurs diminué au niveau du Smic pour adoucir l'ensemble de la pente, à budget constant.

Nous avons esquissé d'autres scénarios, impliquant par exemple des exonérations plus fortes pour les moins de 26 ans, certaines études ayant montré une sensibilité particulière des jeunes à cet égard.

Les effets globaux sur l'emploi de notre scénario central, à coût constant, sont légèrement positifs. On dénombre ainsi davantage d'emplois, pour des salaires supérieurs à 1,2 Smic, notamment dans l'industrie. Même dans l'hypothèse où les élasticités seraient faibles pour la dynamique salariale, il en résulterait quelques milliards d'euros de marge de masse salariale supplémentaire, simplement en abaissant les taux marginaux appliqués aux salaires.

Nous avons discuté lors de la préparation du rapport de la façon dont il fallait exprimer le barème des allègements. Ces derniers sont actuellement exprimés en multiples du Smic, ce qui conduit à lier la variation du Smic au coût des exonérations pour les finances publiques, comme nous avons pu le voir durant l'inflation.

Comment sortir de ce lien ? Nous avons étudié deux options, la première consistant à exprimer le barème en euros. Le législateur pourrait décider chaque année du montant en euros à fixer au vu des conditions économiques et de la situation du marché du travail. Une autre option consisterait à définir le barème en fonction du salaire moyen, donc du plafond de la sécurité sociale, conformément à la logique des cotisations sociales. Les deux options ont des avantages et des inconvénients. La première a pour principal défaut le manque de lisibilité, le montant du barème en euros changeant chaque année. Quant à la seconde, si elle se démarque par une moindre sensibilité pour les finances publiques, elle prend la pente de la courbe pour variable d'ajustement.

Les deux derniers chapitres du rapport pourraient vous intéresser en ce qu'ils aident à prendre du recul sur l'architecture du financement de la protection sociale. Le premier chapitre est consacré à la réduction de la complexité de ce financement et le second à l'amélioration de sa lisibilité.

La situation actuelle est marquée par une complexité considérable. À titre d'exemple, lorsque j'ai échangé avec la direction de la sécurité sociale pour voir comment nous pourrions simplifier le barème, cette dernière m'a répondu que le barème était trop complexe et qu'il en existait des milliers. À ma demande, ce chiffre a été précisé : il existe 1,7 milliard de combinaisons de barèmes possibles ! Il existe en particulier 3 066 définitions différentes de l'assiette des cotisations sociales, et 18 barèmes d'allègements de cotisations sociales, dont la pente varie. Ainsi, dans certains cas, un salarié pourrait se trouver avantagé par le système des allègements généraux, mais il devrait passer au barème spécifique en cas d'augmentation de salaire. La complexité, parfois utile pour s'adapter à certaines situations, est donc ici difficile à défendre.

Par conséquent, nous proposons de nous en tenir à deux barèmes de réduction de cotisations sociales : un général et un renforcé - pour les publics sensibles, les industries sensibles, etc., où les besoins sont plus élevés.

Le fait que l'on puisse définir l'assiette des cotisations sociales de milliers de façons différentes est également difficile à défendre. Il est possible d'appliquer des taux réduits, mais l'assiette doit rester stable, car elle interagit avec la définition même des exonérations. Dans le cas contraire, les effets de la politique conduite seraient mal maîtrisés. L'enjeu est de parvenir à un résultat contrôlé, dans lequel le taux de cotisation général est connu et les réductions effectuées, lorsqu'elles le sont, à bon escient.

L'histoire longue du financement de la protection sociale montre qu'il s'est fait majoritairement, à 80 %, par les cotisations sociales, assises sur les salaires sous plafond. Progressivement, ce système a évolué : par les déplafonnements, visant à élargir la part de salariés contribuant au financement de la protection sociale, et par l'ajout de recettes fiscales. C'est pourquoi l'idée d'une fiscalisation partielle peut être étudiée. Quelque 54 % du financement de la protection sociale reposent aujourd'hui sur les cotisations sociales, contre 80 % dans les années 1950.

Or les cotisations sociales obéissent à une certaine logique : elles montrent aux salariés que la partie de la protection sociale qui correspond à des droits et à des transferts - transferts de remplacement, assurance chômage, indemnités journalières, retraites - est définie en fonction du salaire. Plus un salaire est élevé, plus les cotisations sont hautes, mais plus la retraite et l'allocation chômage associées sont importantes. Ce caractère contributif doit être maintenu.

Il est logique de conserver ce financement par les cotisations sociales et de le rendre visible dans les salaires.

En revanche, le financement par les cotisations sociales des allocations familiales ou des transports publics, qui relèvent d'un service universel, n'est pas forcément justifié. On pourrait au contraire défendre l'idée d'un financement plus large par la fiscalité. Le problème est que l'on a mélangé les instruments : on finance des parties contributives par la fiscalité et des parties non contributives et universelles par les cotisations. Le système dans son ensemble a perdu sa lisibilité, et l'assentiment des salariés aux prélèvements obligatoires qui financent la protection sociale s'en ressent.

M. Philippe Mouiller, président. - Merci pour cet important travail et ce rapport fourni, qui nous procure des bases de simulation intéressantes par rapport aux décisions politiques potentielles.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci pour votre rapport. L'historique que vous avez présenté est intéressant, tout comme les différents scénarios possibles.

À la commission des affaires sociales, nous nous préoccupons beaucoup de l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. Or, à la lecture du dernier rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de la Cour des comptes, nous avons été frappés par la montée en charge des compléments de salaire, qui prennent de plus en plus de place sans être assujettis à la participation au financement de la protection sociale. Votre rapport nous interpelle quant à lui fortement sur le montant des allègements généraux, qui augmente d'année en année, et ces trois dernières années particulièrement de façon étonnante.

Dans votre rapport, vous considérez qu'il ne faut pas chercher à diminuer les exonérations de plus de « quelques milliards », sous peine de ne pas pouvoir réduire les trappes à bas salaire tout en maintenant l'emploi. Selon les estimations du Gouvernement, la mesure proposée dans le PLFSS augmenterait les recettes de 5,1 milliards d'euros. Par ailleurs, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), elle détruirait 50 000 emplois. Vous semble-t-on rester dans le cadre des préconisations de votre rapport, ou le Gouvernement va-t-il trop loin dans sa recherche de recettes supplémentaires ?

Le scénario de votre rapport dit de « suppression des bandeaux » correspond à des recettes supplémentaires de 12,2 milliards d'euros et à la destruction nette de 61 870 emplois. Peut-on considérer, par analogie, que le scénario proposé par le PLFSS à partir de 2026, correspondant à des recettes supplémentaires estimées à 5,1 milliards d'euros par le Gouvernement, entraînerait la destruction nette d'environ 30 000 emplois ?

Le barème prévu pour 2025 implique une moindre réduction des allègements pour les plus bas salaires. Une destruction nette de l'ordre de 15 000 emplois vous semblerait-elle plausible, si ce barème devait être maintenu au-delà de 2025 ?

Votre rapport prévoit d'instaurer, en plus du régime de droit commun, « un second régime pour des catégories de travailleurs dont il convient de favoriser ou protéger l'emploi, telles que les jeunes de moins de 26 ans ou l'emploi de zones économiquement fragiles ». Il s'agirait concrètement de maintenir pour les jeunes de moins de 26 ans les allègements actuels jusqu'à 1,2 Smic, ce qui serait financé par l'extinction des allègements à 2,45 Smic. Quel est le nombre d'équivalents temps plein (ETP) correspondant aux personnes de moins de 26 ans percevant des salaires compris entre 1 et 1,1 Smic et entre 1,1 et 1,2 Smic ?

En l'absence de modification du point de sortie, quel serait le coût de la mesure ?

Une telle mesure vous semblerait-elle opportune dans le cadre de la réforme du PLFSS 2025 ?

Le dispositif proposé dans le PLFSS vous semble-t-il susceptible d'être adapté pour un objectif d'économies identique ? Le cas échéant, comment cela se ferait-il ?

Enfin, le fait de procéder en deux temps, avec une première réforme en 2025, puis la réforme en principe définitive en 2026, vous semble-t-il approprié ? Faudrait-il, selon vous, donner davantage de temps aux entreprises pour s'adapter ?

M. Antoine Bozio. - Dans notre introduction, nous avons précisé que nous avions raisonné à budget constant. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas conscients des enjeux auxquels font face nos finances publiques, bien au contraire. Mais les nouveaux prélèvements obligatoires porteront-ils sur les cotisations payées par les employeurs pour des salaires bas ou intermédiaires ou sur d'autres éléments ? Il ne faut pas considérer les exonérations de cotisations employeurs comme de la dépense publique : c'est juste un barème. Partant, l'augmentation prévue de 5,1 milliards d'euros se situe-t-elle dans l'étiage que nous avions prévu ?

Pour répondre à cette question, il faut avoir en tête le coût des exonérations de cotisations pour les finances publiques : 57 milliards d'euros en 2019 ; 75 milliards d'euros en 2022 ; 78 milliards d'euros prévus pour 2024. En cinq ans, cela représente donc une augmentation de 21 milliards d'euros, qui est issue non pas de modifications législatives, mais de l'inflation et de l'indexation du barème sur le Smic. Cette augmentation correspond à 0,26 point de PIB, soit en 2023 environ 7 milliards d'euros. Dès lors, la hausse des cotisations de 5,1 milliards d'euros ne me choque pas : elle permet de compenser la dérive du dispositif.

Mon jugement sur les propositions du PLFSS pour 2025 n'est pas le même. Le Gouvernement indique avoir retenu l'esprit de notre rapport. Mais nous plaidions plutôt pour renforcer la dynamique des salaires : il faut redonner à des millions de salariés la perspective d'une croissance salariale plus forte, actuellement amoindrie par des taux marginaux inférieurs à 1,6 Smic très élevés.

Or le Gouvernement a retenu uniquement une hausse des cotisations employeurs dans le PLFSS pour 2025. Il n'y aura donc pas d'effet positif, puisque nous préconisions cette hausse, mais celle-ci se doublait dans notre scénario d'une plus forte baisse des cotisations pour les salaires situés entre 1,2 et 1,9 Smic : les effets étaient négatifs pour les salaires situés au niveau du Smic, mais positifs au-delà de 1,2 Smic. La proposition du Gouvernement, telle que je la comprends, est la suivante : une hausse de deux points des cotisations au niveau du Smic, mais avec le barème qui sort à 1,6 Smic. Dès lors, les salaires situés entre 1 et 1,6 Smic subiront seulement une hausse des cotisations employeurs, sans contrepartie. Dans notre scénario, nous avons documenté les effets au niveau de la masse salariale globale des entreprises, avec des effets positifs sur l'emploi. Mais la seule hausse de cotisations employeurs, telle qu'elle est prévue dans le PLFSS pour 2025, entraînera des destructions d'emplois. Telle est la différence entre notre scénario et les propositions du Gouvernement.

La situation est légèrement différente pour 2026. Le Gouvernement rejoint l'esprit de notre proposition centrale, c'est-à-dire de partir avec une augmentation de 4 points au Smic, puis d'adopter une pente plus douce que dans le système actuel, pour sortir à 3 Smic. Mais comment le Gouvernement peut-il sortir à 3 Smic en faisant 5 milliards d'euros d'économies par an ? Il ajoute de la convexité dans la pente : partant, les effets positifs pour les salaires intermédiaires, en dessous du salaire médian, seront estompés. Il en ira de même pour l'effet sur l'emploi : les destructions d'emplois sont inévitables, sauf à penser que cette hausse des prélèvements obligatoires sera recyclée non pas dans la résorption du déficit, mais dans des politiques créatrices d'emplois. Pour 2026, il faudrait parvenir à modéliser la convexité définie par le Gouvernement. Cela dit, on peut s'attendre à une diminution des effets positifs en matière de dynamique salariale, par rapport au scénario central que nous avions privilégié.

Je n'ai pas d'éléments précis à vous fournir sur la situation des jeunes de moins de 26 ans ; je ne dispose pas du nombre d'ETP correspondants. Cela dit, nous sommes parvenus à cette conclusion à l'issue de notre simulation : ce scénario est intéressant si l'on considère que l'emploi des jeunes est plus sensible à son coût. Toutefois si l'on ne retient pas cette hypothèse, ce que l'on gagne d'un côté, on le perd de l'autre : à budget constant, il faut renoncer à d'autres mesures pour les salariés de plus de 26 ans.

Il me semble qu'il est possible d'adapter le dispositif prévu par le PLFSS pour minimiser les destructions d'emplois, car toutes nos estimations convergent : les exonérations de cotisations sont plus efficaces pour les bas salaires. Le Gouvernement veut agir en deux temps. Selon le PLFSS, en 2025, les effets négatifs de la hausse des cotisations au niveau du salaire minimum ne seraient pas compensés par leur baisse ailleurs. On pourrait par exemple décaler le point de sortie des allégements dégressifs, actuellement à 1,6 Smic, à 1,7 ou 1,8 Smic, ce qui permettrait de réduire le coût de salaires inférieurs au salaire médian. Pour de nombreuses entreprises, les hausses et les baisses de cotisations s'équilibreraient ; par ailleurs, cela permettrait de se rapprocher du scénario de 2026. Procéder en deux temps ne me semble pas une mauvaise idée, mais nous courons le risque en 2025 d'avoir des effets négatifs sur l'emploi, alors que l'objectif qui nous avait été assigné initialement était d'en créer davantage et d'augmenter les salaires.

La valeur actuelle de l'élasticité ne fait pas consensus chez les économistes. Stéphane Carcillo, président du groupe d'experts sur le Smic, estime qu'il faut conserver une forte élasticité. À l'inverse, certains économistes ont montré que le CICE avait eu des effets très faibles : ils estiment, quant à eux, que l'élasticité est trop forte. Lors de l'instauration des politiques d'exonérations de charges dans les années 1990 et 2000, les élasticités étaient très fortes, proches de - 1. Mais, à l'époque, le coût du travail était beaucoup plus élevé qu'aujourd'hui et le chômage était très élevé - celui des non-qualifiés l'était encore davantage ; la baisse des cotisations avait des effets importants. En revanche, les effets du CICE sont moins évidents : selon le rapport de France Stratégie, l'effet positif de 100 000 emplois du dispositif correspond à une élasticité de - 0,3, deux fois plus faible que celle que nous avons adoptée dans notre rapport.

Si l'on retient une élasticité de -0,8 ou -1 et que l'on applique notre scénario central, cela n'entraîne pas de destructions d'emplois : ce dernier ne repose pas sur une élasticité plus faible. Aujourd'hui, celle-ci ne joue pas un rôle aussi important qu'autrefois.

Mme Frédérique Puissat. - Lors de nos travaux pour la mission d'information sur les négociations salariales, Corinne Bourcier et moi-même avons constaté à quel point le sujet était complexe.

Depuis que l'on vous a demandé ce rapport, le gouvernement a changé, et donc la commande n'est plus la même. L'heure est désormais à la recherche d'économies alors que votre lettre de mission vous demandait de réfléchir au tassement des bas salaires à budget constant - ma collègue Corinne Bourcier et moi-même avions aussi pointé cette difficulté, dans notre rapport de juin dernier. L'article 6 du PLFSS pour 2025 aura des impacts sur 2024, 2025 et 2026. La question est de savoir combien d'emplois seront perdus à la suite des économies voulues par le Gouvernement. Or, la situation sera très différente d'un secteur d'activité à l'autre. Les branches du secteur social et médico-social sont contraintes puisque leur champ conventionnel est soumis à un agrément des pouvoirs publics. De même, la branche de la propreté regroupe des entreprises dont l'activité est soumise à des marchés publics. Dans ces conditions, peut-on envisager une approche différente selon les branches professionnelles ? Il faudrait isoler certaines d'entre elles, soumises à une contrainte particulière, pour que celles-ci aient un peu plus de perspectives qu'avec les propositions du Gouvernement.

Corinne Bourcier et moi-même avions identifié des effets de bord : des salariés ne souhaitent pas d'augmentation de salaire, car ils craignent de perdre la prime d'activité ou certains avantages sociaux. D'un point de vue économique, cette attitude n'est positive pour personne. Avez-vous étudié cette question ? La réforme des allègements de charges est-elle de nature à éviter de tels effets ?

Mme Corinne Bourcier. - Merci pour votre rapport et pour votre synthèse.

Vous abordez la question des trappes à pauvreté ; vous constatez que les périodes de rémunération au salaire minimum sont généralement transitoires. Lors de la mission d'information que nous avons consacrée aux négociations salariales avec ma collègue Frédérique Puissat en juin dernier, nous soulignions également le fait qu'il ne fallait pas envisager le Smic comme un simple outil de revalorisation salariale, puisque celui-ci devait plutôt constituer une étape temporaire dans une trajectoire professionnelle.

Nous comprenons que les baisses des allègements de cotisations patronales au niveau du Smic visent à encourager ces trajectoires ascendantes. Mais au niveau individuel, sans formation professionnelle, cet espoir de la montée en qualification est-il réaliste dans un laps de temps aussi court ?

M. Antoine Bozio. - Dans le rapport, nous essayons de calculer les effets des mesures au niveau de chaque entreprise et de chaque secteur : en effet, les modifications du barème ont des effets différents selon les personnes. Par exemple, le secteur de la propreté ou du gardiennage ont une proportion plus élevée de salariés touchant moins de 1,2 Smic : modifier les exonérations au niveau du Smic n'est pas sans conséquence sur ces entreprises. Il faut prévoir un temps d'adaptation différent pour ces secteurs, car ceux-ci sont dépendants de contrats pluriannuels qui ne leur permettent pas de modifier leurs prix rapidement.

Cela dit, d'un point de vue économique, instaurer des exonérations de cotisations plus fortes au niveau des salariés au Smic en vue de faire baisser les prix de services de ménage est-elle la politique la plus intelligente pour opérer une montée en gamme de notre tissu productif ? La réponse est non. Il vaut mieux que les donneurs d'ordre paient des prix plus élevés. Bien sûr, on pourrait aller plus loin et multiplier les exonérations, mais ce n'est pas le chemin vers des emplois de plus grande qualité.

Toutefois, il convient de ne pas nier la diversité des situations : le secteur industriel est bien différent de celui de la propreté ou du gardiennage. Adapter les contrats pluriannuels de ces secteurs est plus important qu'envisager une modification du barème.

J'en viens aux effets de bord, notamment ceux qui sont liés à la prime d'activité. Souvent, les organisations syndicales et patronales ne tiennent pas le même discours. Lors de nos auditions, nous avons cependant constaté qu'elles décrivaient la même réalité avec des mots différents. Les organisations syndicales regrettaient qu'une grande partie des augmentations de salaire soit avalée par des dispositifs sociaux ou fiscaux. Les employeurs disaient la même chose : certains salariés refusent les promotions et les augmentations afférentes.

Cette description correspond à la question des trappes à bas salaires, c'est-à-dire un système sociofiscal incitant fortement à rester dans des niveaux peu élevés de rémunération - la prime d'activité y contribue. Selon une estimation de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) réalisée lors de la conférence sociale sur les bas salaires et les carrières, au niveau du Smic, 100 euros de revenu disponible - c'est-à-dire après le versement des prestations sociales - correspondent à une augmentation de salaire de 483 euros. Ce chiffre a été réactualisé à 442 euros la semaine dernière. La moitié de cette somme provient de la baisse de l'exonération des cotisations employeurs, tandis que l'autre moitié correspond aux conséquences pour les salariés du retrait de certaines prestations sociales, telles les allocations logement ou la prime d'activité.

Depuis la réforme de 2019, la prime d'activité atteint son maximum pour les salariés touchant le Smic, mais elle leur est retirée dès que ceux-ci voient leur salaire augmenter. Voilà l'une des faiblesses de notre rapport : ne pas avoir réussi à proposer une réforme de la prime d'activité qui réduit ces conséquences. C'est toutefois loin d'être évident. Premièrement, les bénéficiaires sont salariés d'une entreprise à titre individuel, mais la prime d'activité dépend aussi de leur situation familiale. Deuxièmement, pour adoucir cet effet de bord, il faut que la prime d'activité soit étendue à des salaires plus élevés, afin que son retrait ne soit pas aussi abrupt qu'il ne l'est actuellement.

Toutefois, cela représente un coût supplémentaire pour les finances publiques. En outre, les organisations syndicales et patronales goûtent peu cette interaction entre la rémunération des employeurs et les sommes effectivement perçues par les salariés. Les organisations syndicales préféreraient des augmentations de salaire net. La prime d'activité n'est pas la panacée, mais nous ne disposons pas d'autres solutions pour le moment : envisager une réforme implique d'ouvrir une pelote complexe de fils entremêlés.

Pour étudier la question des trappes à pauvreté, nous nous sommes intéressés aux trajectoires professionnelles. Nombre de salariés, notamment les plus jeunes, ne restent pas au Smic parce qu'ils bénéficient d'une progression salariale rapide au début de leur carrière professionnelle. Cela dit, une partie non négligeable de salariés restent au Smic de façon durable ; il est difficile de ne pas remarquer que la plupart des créations d'emplois se concentrent en dessous de 1,6 Smic, exactement au niveau le plus désincitatif du barème. Des collègues sociologues ont interrogé des directeurs de ressources humaines (DRH) : le seuil de 1,6 Smic est connu comme un point de référence. Dès lors, redonner une dynamique salariale et des perspectives à des salariés qui n'en ont plus ne passera pas uniquement par une modification de la pente des exonérations sociales, même si cela y contribue. D'autres enjeux jouent aussi un grand rôle : je pense à la formation, par exemple.

Lorsque nous avons commencé ce travail, la plupart de nos collègues nous ont dit que notre travail n'aboutirait pas, car c'est la quadrature du cercle. Finalement, nous sommes parvenus à une solution qui, à budget constant, permet d'augmenter le nombre d'emplois et de renforcer la dynamique salariale. Je trouve que cela n'est pas si mal, mais vous êtes bien sûr libres d'avoir un avis différent.

Mme Céline Brulin. - Merci pour votre éclairage.

Vous avez évoqué de manière globalisante - sans jugement de valeur de ma part - l'effet emploi. Mais quel est l'effet levier des modulations d'exonération de cotisations sur les stratégies des entreprises ? Vous avez évoqué différentes branches, telles que l'industrie ou la propreté, mais, par exemple, pourrait-on préciser les choses en matière d'emplois délocalisables ou non ? En ce cas, le coût du travail joue un grand rôle. Il en va de même pour les emplois peu attractifs - notre pays en compte beaucoup. Avez-vous en votre possession des éléments relatifs au ratio entre la masse salariale et la valeur ajoutée ?

J'ai bien compris votre logique et la nature de votre commande - même si cette dernière a évolué. Pourrait-on toutefois imaginer une vision différente, qui nous permettrait d'agir sur l'emploi et les salaires, comme vous le suggérez, mais aussi sur les leviers que pourrait se donner la puissance publique en matière de stratégie d'entreprise et de valorisation des salariés, sans se cantonner aux seuls exemples que vous avez donnés ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Vous avez indiqué que la masse des allègements de charges avait crû de 21 milliards d'euros. Cette somme a donc bien été versée aux entreprises.

Lorsque le Smic augmente de 10 %, la mesure déploie son effet multiplicateur, non sans conséquences pour certains salariés qui sont alors concernés par les exonérations de cotisations, alors que ce n'était pas le cas auparavant : cela explique la hausse de 21 milliards d'euros.

Les entreprises ont donc vu leur situation s'améliorer - et pas uniquement les entreprises de nettoyage ; d'autres, à la structure salariale plus moyenne, en ont également profité. Mais avez-vous remarqué une amélioration de la dynamique des salaires, comme cela aurait dû être le cas ? Avez-vous noté un effet emploi ?

Malgré cette hausse des exonérations, le salaire moyen par tête reste peu dynamique. Votre proposition de redéploiement sur les salaires situés entre 1,2 et 1,6 Smic pour essayer d'amorcer une dynamique salariale est une bonne chose. Mais je constate que l'effet multiplicateur n'a pas joué en la matière.

M. Antoine Bozio. - Dans le rapport, nous avons tenté d'analyser la situation secteur d'activité par secteur d'activité, entreprise par entreprise. Il y a plusieurs façons d'aborder la grande hétérogénéité des entreprises - et donc des salariés - dans notre pays.

Vous avez raison, l'efficacité de la politique d'exonérations dépendra de la façon dont celle-ci touche les entreprises pour lesquelles elle est essentielle à leur développement.

Dans les années 1990 et 2000, lorsque de fortes exonérations ont été instaurées, cette politique a eu des effets pour les entreprises faisant face à des contraintes de liquidités : elle leur a permis de bénéficier d'une croissance rapide. En revanche, elle est beaucoup moins efficace pour celles qui vont bien et dégagent des bénéfices ; pour elles, la question du coût du travail est moins sensible.

Partant, nous avons réfléchi à des dispositifs ciblant mieux les entreprises fragiles. Ce n'est pas facile : nous ne sommes pas parvenus à trouver un dispositif totalement satisfaisant. Cette sensibilité à la création d'emplois dépend de la situation des entreprises. Pour le secteur de la propreté, non délocalisable, les exonérations sont susceptibles de se traduire dans les prix : les mesures perdent alors de leur efficacité.

Lors de sa mise en place, la politique d'exonérations a eu des effets très importants - c'est relativement rare pour être souligné. Voilà pourquoi ces mesures ont fait l'objet d'un consensus, puisqu'elles ont permis de créer 100 000, 200 000, voire 300 000 emplois. Leur suppression totale déboucherait sur une perte d'un million d'emplois : il serait difficile de formuler une telle proposition. La question est plutôt de savoir comment on pourrait faire aussi bien, à moindre coût pour les finances publiques.

Mme Céline Brulin. - Cela représente tout de même 78 milliards d'euros !

M. Antoine Bozio. - Certes, mais la suppression des allégements détruirait 1 million d'emplois.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Le CICE devait créer 1 million d'emplois ; or cela n'a pas été le cas.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - C'est vrai.

M. Antoine Bozio. - L'élasticité actuelle n'est plus la même que celle des années 1990 : nous ne sommes plus dans le même monde. Le monde économique est moins sensible à de telles mesures. De surcroît, les simulations montrent que si l'on décidait de supprimer totalement les exonérations de charges, non seulement 1 million d'emplois seraient détruits, mais, au bout de cinq ans, le résultat serait nul pour les recettes fiscales : on ne récupérerait rien.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Personne ne le demande.

M. Antoine Bozio. - On ne va donc pas détruire 1 million d'emplois, alors que l'on ne peut pas récupérer les cotisations sociales. Il faut donc réformer le système de la manière la plus intelligente possible, en vue d'avoir le plus de bénéfices sur l'emploi et de ne pas avoir d'effets désincitatifs sur la dynamique salariale. Mais il est difficile de placer le curseur au bon endroit.

L'effet inflation dérive du barème d'indexation : comme le Smic a augmenté plus vite que le reste des salaires...

Mme Raymonde Poncet Monge. - Ce sont les salaires qui n'ont pas suivi l'inflation.

M. Antoine Bozio. - C'est la même chose.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je préfère le dire dans ce sens-là.

M. Antoine Bozio. - Des salariés qui étaient au-delà du Smic sont rattrapés par les hausses du salaire minimum : le salaire médian n'a pas augmenté aussi vite que le Smic. Dès lors, des allègements ont été appliqués à des niveaux de salaires qui n'en bénéficiaient pas auparavant, d'où le coût supplémentaire pour les finances publiques. De fait, les exonérations ont augmenté, sans effet sur les salaires, à l'inverse de notre scénario, dans lequel nous essayons de renforcer la dynamique salariale. En revanche, nous pourrions attendre des effets sur l'emploi, mais nous ne disposons pas encore de données suffisantes pour répondre à cette question.

Pour finir, je suis complètement d'accord avec vous sur un point : on ne peut pas, d'un côté, instaurer des baisses de charges et attendre des effets sur l'emploi qui ne sont finalement pas à la hauteur et, d'un autre, regretter les destructions d'emplois si l'on décide de revenir sur les exonérations. Il faut être cohérent sur la façon dont on juge les effets positifs ou négatifs de cette politique.

Mme Monique Lubin. - Une diminution des exonérations de cotisations sociales risquerait d'entraîner la perte de nombreux emplois. Mais ces exonérations, pourtant aggravées de 21 milliards d'euros ces dernières années, ont-elles créé des emplois pour autant ? Je ne le crois pas.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Dans certaines branches, les bas salaires sont très nombreux. Ne faudrait-il pas prévoir un dispositif d'allègements ciblés pour créer des emplois dans les branches où ils sont particulièrement difficiles à financer ? Je pense notamment aux secteurs de l'autonomie, de l'aide à domicile, etc.

M. Antoine Bozio. - Il m'est difficile de répondre à la question relative aux effets sur l'emploi de l'augmentation du volume des exonérations de cotisations. Cependant, nous avons pu constater par le passé la sensibilité à l'emploi de ces dispositifs, qui s'avère plus forte que pour d'autres prélèvements obligatoires.

Le dispositif des exonérations a été considérablement renforcé ces dernières années. Or, mécaniquement, ce type d'outil perd son efficacité au-delà d'un certain seuil. La question est donc de savoir dans quelle mesure nous sommes arrivés au bout de cette logique. Cela ne signifie pas qu'il faille tout supprimer et revenir en arrière, mais il faut juger la situation de façon pragmatique.

Par ailleurs, il est tout à fait possible, en prévoyant un dispositif général moins généreux et un dispositif renforcé qui le serait davantage, de cibler les allègements sur les secteurs où les créations d'emplois sont les plus importantes. Je déconseillerais toutefois de prendre une mesure trop sectorielle. Chaque secteur aimerait évidemment que les exonérations de cotisations correspondent exactement à ses besoins, mais cela est impossible. En revanche, un renforcement des allègements dans les secteurs les plus sensibles serait tout à fait légitime.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Ces secteurs sensibles pourraient-ils inclure les outre-mer ?

M. Antoine Bozio. - Cela ne me choquerait pas. En revanche, l'existence de dix formes différentes de barèmes dans les territoires ultramarins à des niveaux de salaires élevés, sans effet avéré sur l'emploi, me semble poser problème.

M. Philippe Mouiller, président. - Merci beaucoup de votre participation.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 45.

Mercredi 23 octobre 2024

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de Mme Catherine Paugam-Burtz, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

M. Philippe Mouiller, président. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons ce matin Mme Catherine Paugam-Burtz, candidate proposée par le Président de la République pour exercer les fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Cette nomination ne peut intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. L'audition sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale.

En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Elle sera consultable en vidéo à la demande, conformément au principe de publicité prévu par la loi du 23 juillet 2010.

L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est un établissement public à caractère administratif (EPA), chargé d'évaluer, de surveiller et de contrôler les médicaments et les produits de santé. Elle délivre notamment les autorisations de mise sur le marché des produits de santé, réalise des inspections et peut, le cas échéant, prendre des mesures allant jusqu'au retrait d'un produit du marché.

Le directeur général est nommé pour une durée de trois ans. Son mandat est renouvelable.

Madame Paugam-Burtz, je vous propose de commencer par nous exposer votre parcours professionnel, qui vous a conduite, en dernier lieu, aux fonctions de directrice générale adjointe de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Vous pourrez également nous présenter, le cas échéant, votre projet pour l'ANSM.

Mme Catherine Paugam-Burtz, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. - C'est un grand honneur pour moi que de me présenter devant vous en tant que candidate aux fonctions de directrice générale de l'ANSM. Je commencerai par une brève présentation de mon parcours professionnel, avant de vous exposer ma vision des enjeux et des objectifs de l'Agence.

Médecin hospitalo-universitaire, je suis professeure d'anesthésie-réanimation depuis 2010. J'ai exercé comme cheffe de service, puis comme cheffe de pôle au sein de l'AP-HP. Je travaillais alors dans les hôpitaux du nord de Paris : Louis-Mourier, Beaujon, Bichat, Lariboisière, Robert-Debré. Cette expérience m'a permis de développer mes compétences managériales et d'acquérir également une connaissance approfondie de la recherche clinique - j'ai effectué plus de 200 publications - ainsi que des méthodes d'élaboration des référentiels scientifiques de bonnes pratiques.

J'ai été nommée directrice générale adjointe de l'AP-HP en juin 2020. Lorsque la crise du covid a éclaté, j'étais cheffe d'un service d'anesthésie et de réanimation et responsable de la collégiale des enseignants d'anesthésie et de réanimation d'Île-de-France. À cette occasion, j'ai été confrontée à la problématique des pénuries de médicaments. J'ai pu apprécier la qualité du travail des équipes de l'ANSM, avec lesquelles nous travaillions de façon extrêmement rapprochée sur la question des tests antigéniques, des essais cliniques, ou pour vérifier la sécurité des médicaments qui ont été proposés pendant cette période.

En tant que directrice générale adjointe de l'AP-HP, j'ai développé depuis quatre ans une vision transversale des enjeux relatifs à la gestion d'un établissement public de santé.

J'ai notamment supervisé l'Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps) et l'Établissement public pharmaceutique de l'AP-HP. À cette occasion, j'ai pu appréhender sous une autre facette les problématiques relatives aux médicaments : fabrication, exploitation, disponibilité, modalités d'approvisionnement, etc. J'ai également travaillé plus récemment sur la mise en place d'un réseau public-privé de sous-traitance pharmaceutique, dans le cadre de la stratégie nationale d'anticipation et de gestion des ruptures d'approvisionnement et des pénuries de médicaments.

J'ai aussi supervisé la direction des services numériques de l'AP-HP. J'ai ainsi acquis des compétences en matière d'élaboration d'une stratégie de développement de l'usage des données de santé au service du pilotage d'un établissement. J'ai travaillé en collaboration avec les acteurs de l'écosystème national compétents sur ce sujet : la plateforme Health Data Hub, le comité de pilotage stratégique de l'entrepôt des données de santé, les acteurs académiques. Cet élément me semble revêtir un intérêt particulier à l'heure où l'utilisation des données de santé en vie réelle constitue un enjeu majeur pour l'ANSM, notamment pour l'aider à apprécier la sécurité des produits de santé.

Mon parcours professionnel est donc inédit, mais il est cohérent. Il a toujours été éclairé par mon regard de clinicienne et de chercheuse. J'ai toujours été guidée par mon attachement viscéral au service public, aux valeurs du soin - soigner et prendre soin -, et plus largement à l'objectif de développer la santé pour tous. Ma candidature s'inscrit dans le prolongement de mon intérêt prononcé pour les missions de services publics que l'Agence exerce en ce qui concerne la sécurité sanitaire.

L'ANSM est un établissement public placé sous la tutelle du ministère de la santé. Elle assure, au nom de l'État, la sécurité des produits de santé et favorise l'accès à l'innovation thérapeutique. Elle agit au service des patients, en concertation avec les professionnels de santé, dont des représentants siègent dans toutes les instances de l'Agence. Ses missions s'exercent à tous les stades de la vie des produits, depuis les essais cliniques jusqu'à la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) ou de l'autorisation d'accès précoce.

Une fois la mise sur le marché réalisée, elle assure un suivi, pour veiller à ce que les produits soient sûrs, efficaces, accessibles et bien utilisés. L'Agence s'appuie sur une expertise interne très développée, mais elle a recours aussi à des experts externes, selon un cadre déontologique strictement défini et totalement transparent. C'est crucial pour garantir la sécurité de nos concitoyens et pour conserver leur confiance.

Elle dispose de pouvoirs de contrôle et de police sanitaire : elle peut, le cas échéant, modifier, suspendre, voire retirer des autorisations de commercialisation. Elle peut également prendre des sanctions financières en cas de non-respect de la réglementation.

Elle joue aussi un rôle au niveau européen. Elle participe de façon prépondérante au fonctionnement de l'Agence européenne des médicaments (EMA), notamment en ce qui concerne l'étude des dossiers de délivrance des autorisations de mise sur le marché. Elle travaille en réseau et de manière étroite avec les autorités réglementaires des autres États membres. Elle contribue ainsi à faire valoir la voix de la France et ses spécificités, tout en s'inscrivant dans une logique de mutualisation avec ses homologues européennes au service de la sécurité sanitaire.

Les enjeux pour l'ANSM à l'avenir sont multiples. L'environnement technique, numérique, économique ou social dans lequel elle intervient évolue très rapidement. Cela a des conséquences sur les produits de santé, et sur les comportements des professionnels et des patients. Nous devons en tenir compte.

L'Agence est confrontée à plusieurs défis : l'arrivée d'innovations d'ampleur liées au développement du numérique et des algorithmes, la transition écologique, l'anticipation et la gestion des crises sanitaires, le développement du bon usage des médicaments, la lutte contre l'antibiorésistance, les liens et la communication avec les patients et professionnels de santé.

J'évoquerai particulièrement la question des pénuries de médicaments et des ruptures de stocks. Ce phénomène est mondial et ses causes sont multifactorielles, comme l'a souligné la commission d'enquête sénatoriale sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, dans son rapport de l'an dernier. En 2023, l'ANSM a géré 5 000 signalements de rupture ou de risque de rupture - un nombre en progression d'un tiers par rapport à l'année 2022. Désormais les producteurs d'environ 750 médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, dont l'indisponibilité peut avoir un impact sur le pronostic vital des patients, doivent constituer un stock de sécurité de quatre mois. J'ai pu constater directement les inquiétudes majeures que ces pénuries engendrent chez les patients, mais aussi chez les prescripteurs et pour les pharmaciens qui doivent gérer ces situations.

La lutte contre les pénuries fait partie du quotidien des équipes de l'ANSM, qui sont pleinement engagées pour continuer à garantir l'accès à l'approvisionnement régulier en produits de santé. L'Agence s'efforce d'anticiper, de détecter et de gérer les problèmes le cas échéant. Ces actions ont été reprises dans la feuille de route interministérielle pour la période 2024-2027 visant à garantir la disponibilité des médicaments et à assurer, à plus long terme, notre souveraineté industrielle. Sur ce point, l'ANSM agit aux côtés des différents acteurs de la chaîne pharmaceutique : la direction générale de la santé (DGS) ou les équipes du ministère de l'industrie notamment. Elle travaille aussi en collaboration avec les autorités européennes et internationales pour renforcer le partage d'informations sur les tensions d'approvisionnement, activer si nécessaire des solutions complémentaires aux actions nationales, ou améliorer le cadre européen qui définit les obligations imparties aux industriels concernant les médicaments essentiels.

Un autre enjeu sur lequel je souhaitais insister concerne l'accès à l'innovation thérapeutique. L'ANSM a pour mission d'encadrer la mise à disposition des produits de santé innovants. Pour cela, elle est à l'écoute des patients et des professionnels de santé, afin d'identifier les besoins non couverts et de définir le cadre des prises en charge thérapeutiques innovantes. Elle a ainsi mis en place un guichet innovation et orientation (GIO). Par ailleurs, l'ANSM a développé, en collaboration avec la Haute Autorité de santé (HAS), des procédures d'accès précoce pour certains produits qu'il semble nécessaire de mettre à disposition des patients le plus tôt possible, mais aussi de manière sécurisée. C'est pertinent notamment dans les cas d'impasse thérapeutique ou pour les maladies rares, pour lesquelles il est plus difficile de réaliser des essais cliniques traditionnels. Il est donc important de pouvoir développer d'autres méthodes dans ces situations. Il est ainsi parfois intéressant d'employer dans une indication liée aux maladies rares certains médicaments initialement conçus pour une autre indication. L'ANSM travaille en collaboration avec les filières des maladies rares, notamment pour octroyer des cadres de prescription compassionnelle (CPC) qui permettent aux patients d'accéder à ces molécules.

J'en viens aux objectifs qui seront les miens si je suis nommée directrice générale de l'ANSM. Ma candidature s'inscrit dans un contexte particulier, puisque le contrat d'objectifs et de performance (COP) entre l'Agence et l'État vient d'être signé. Il définit une feuille de route reposant sur quatre axes : l'Agence a pour mission de garantir la sécurité des patients lorsqu'ils utilisent des produits de santé ; elle doit faire preuve d'agilité pour accompagner l'innovation ; elle est tenue d'être à l'écoute et au service des citoyens ; elle a pour objectif d'être performante et engagée.

Ces orientations stratégiques, auxquelles je souscris pleinement, sont tout à fait cohérentes avec ma sensibilité de clinicienne. Ainsi, garantir la sécurité des patients me semble constituer l'une des missions premières de l'Agence. Celle-ci l'exerce par le biais de la délivrance des autorisations de mise sur le marché, de ses prérogatives en matière de pharmacovigilance ou de ses pouvoirs de police sanitaire. Elle doit aussi veiller à la disponibilité des médicaments, car les pénuries deviennent un enjeu de sécurité sanitaire, et faciliter la mise à disposition de l'innovation pour les patients et les professionnels.

Je n'entrerai pas dans le détail du contenu du nouveau COP, je me bornerai à évoquer quelques points.

Le premier axe concerne la sécurité des patients. Un item est relatif à l'anticipation et à la gestion des pénuries. Parmi les actions prévues, il me semble intéressant de mentionner celles qui concernent la poursuite des analyses de vulnérabilité des chaînes industrielles et d'approvisionnement en médicaments et en dispositifs médicaux, que l'ANSM réalise conjointement avec la direction générale des entreprises et la direction générale de la santé.

Il s'agit aussi de créer un système d'information dédié à la gestion des ruptures d'approvisionnement, qui devrait idéalement être articulé avec les bases de données européennes. Cela passe par le développement de nouveaux outils numériques, qui permettraient de faciliter le pilotage de toute la chaîne de valeur, à toutes les étapes : production, distribution, prescription, consommation. Ces outils numériques sont en cours de développement. Leur réalisation fait partie de nos objectifs et est cruciale si l'on veut être en mesure d'anticiper et de réaliser un pilotage efficace du secteur.

Le COP prévoit aussi le partage des données avec tous les acteurs - industriels, agences régionales de santé (ARS), hôpitaux, officines, professionnels de santé et, bien sûr, patients. L'objectif est, là encore, de mieux anticiper les tensions d'approvisionnement et de mieux répondre aux besoins de façon adaptée aux différents interlocuteurs. Il convient de souligner à cet égard l'importance de l'échelon territorial, qui fait d'ailleurs l'objet d'un item dans le COP : il nous transmet des remontées du terrain, évalue sur place l'application des mesures prises au niveau national et s'assure de leur pertinence.

Je souhaite aussi attirer votre attention sur un point qui m'est cher, à savoir le renforcement du bon usage des médicaments et la lutte contre le mésusage. Cette mission concerne de nombreux acteurs publics, aux niveaux tant national que territorial. Cette démarche globale est aussi importante pour renforcer la sécurité des médicaments, car elle vise à réduire les risques d'iatrogénie médicamenteuse et à limiter la consommation. Là encore, afin de mener à bien ses actions dans ce domaine, l'Agence devra être en mesure d'organiser, de compléter et d'exploiter au mieux le grand nombre de données dont elle dispose. C'est indispensable pour développer une stratégie de surveillance continue, à toutes les étapes du cycle de vie des médicaments.

L'Agence a vocation à être à l'écoute et au service des citoyens. Cet objectif s'inscrit dans le prolongement de la dynamique observée depuis plusieurs années. L'ANSM devra continuer à être transparente dans son action, afin de renforcer encore la confiance dont elle jouit et sa crédibilité en tant qu'autorité de régulation indépendante et impartiale. Lorsque l'on noue des dialogues de qualité, on peut mener des actions plus efficaces, plus précises et mieux calibrées.

Le COP prévoit enfin que l'Agence doit être performante et engagée. Voilà qui me donne l'occasion de souligner l'importance de sa stratégie de responsabilité sociétale et environnementale. Celle-ci constitue un vecteur de sens pour les salariés, ce qui renforce l'attractivité des métiers et la qualité de vie au travail. Cette dimension est importante aussi pour la réalisation des missions de l'Agence : celle-ci peut et doit contribuer à accélérer la transition écologique des industriels de la santé.

Enfin, l'ANSM doit continuer à développer ses actions européennes. Celles-ci sont multiples, à l'image de la création de l'Alliance européenne pour les médicaments critiques, qui a pour objectif de remédier aux pénuries de médicaments critiques, dans le respect des enjeux de souveraineté, de relocalisation et de sécurité.

En conclusion, ma candidature au poste de directrice générale de l'ANSM s'inscrit dans le prolongement de mes expériences antérieures. Mon action, si je suis nommée, consistera à mettre en oeuvre le COP. Mon objectif sera de continuer à travailler avec l'ensemble des parties prenantes, pour garantir la sécurité des patients, soutenir l'innovation thérapeutique et renforcer la communication, la transparence et la confiance des citoyens.

M. Philippe Mouiller, président. - Vous avez évoqué la pandémie de covid, que vous avez vécue en tant que directrice générale adjointe de l'AP-HP. Pensez-vous pouvoir transposer au sein de l'ANSM l'expérience que vous avez acquise à cette occasion ? Vous avez évoqué aussi les enjeux européens. Comment, et sur quels points, l'Agence peut-elle peser au niveau européen ? Enfin, l'ANSM a-t-elle, selon vous, les moyens d'atteindre les objectifs qui lui sont fixés dans le COP ?

Mme Catherine Paugam-Burtz. - Je retiens de la crise du covid qu'il est primordial de veiller à la qualité du dialogue, de donner à tous la possibilité de s'exprimer et d'échanger. Pendant cette crise, chacun s'est remonté les manches, chacun a fait quelque chose dans son domaine, chacun a eu des idées pertinentes. Il faut profiter de l'intelligence collective. J'ai pu le constater lorsqu'il a fallu gérer les pénuries, de benzodiazépine par exemple. Nous avons réussi, avec l'Ageps, à mobiliser le réseau de sous-traitance pour produire du curare. Il est toujours efficace de faire travailler ensemble différents acteurs. J'en ai fait l'expérience lorsqu'il a fallu permettre à nos chercheurs et à nos cliniciens de tester certaines molécules. L'Agence a autorisé des essais en sept jours. Je me souviens de discussions à des heures tardives pour avancer ensemble sur les tests antigéniques. L'ANSM s'est d'ailleurs dotée d'un Centre d'appui aux situations d'urgence, aux alertes sanitaires et à la gestion des risques (Casar), directement relié à la direction générale. Un enjeu majeur est donc d'assurer un dialogue permanent avec les différents acteurs, afin de bénéficier de l'expérience de tout le monde pour gagner en efficacité.

L'ANSM figure dans le trio de tête des agences de santé des pays européens en ce qui concerne les AMM et la réalisation des analyses. L'Agence européenne des médicaments, en effet, ne réalise pas elle-même les analyses, elle confie les dossiers aux agences des États membres. L'ANSM est très présente dans ce domaine et l'enjeu pour elle est de maintenir sa position.

Un autre enjeu concerne son positionnement dans les discussions relatives à la préparation d'un acte européen sur les médicaments critiques. Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, les échanges ont été nombreux sur ce sujet. Il s'agit de faciliter les mutualisations et de mieux gérer collectivement les pénuries. L'ANSM joue un rôle actif dans les différentes commissions. Si la santé reste une prérogative des États, sous l'effet de la crise du covid - je réponds ainsi indirectement à votre question sur mon expérience du covid -, une Europe de la santé commence à émerger, symbolisée par l'apparition de nouvelles structures, comme l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (Hera). L'Europe a évidemment un rôle majeur à jouer dans ce domaine, et il faut poursuivre dans la voie de la coopération si nous voulons être plus efficaces.

En ce qui concerne les moyens de l'Agence, je note, depuis ma position extérieure, qu'ils ont régulièrement augmenté. Mais peut-être que si je suis nommée, j'aurai des raisons d'estimer qu'ils ne sont pas tout à fait à la hauteur des besoins... En tout cas, une prise de conscience semble avoir eu lieu, depuis deux ans, sur la nécessité de prévenir les pénuries de médicaments, et donc de renforcer les effectifs de l'ANSM en la matière. Les derniers arbitrages vont, à ma connaissance, dans ce sens. Des recrutements supplémentaires ont déjà été actés l'année dernière et, si j'ai bien compris, d'autres sont prévus pour 2025.

M. Philippe Mouiller, président. - Je donne la parole à Mme Corinne Imbert, rapporteure de notre commission pour la branche assurance maladie, puis à Florence Lassarade, présidente du groupe d'études sénatorial sur le cancer.

Mme Corinne Imbert. - Permettez-moi tout d'abord de vous féliciter pour votre brillant parcours.

Ma première question concernera les ruptures d'approvisionnement des médicaments. L'ANSM a infligé des sanctions financières importantes, pour un montant total de 8 millions d'euros, à onze laboratoires qui n'ont pas respecté leurs engagements de constituer des stocks. Le nombre de ruptures d'approvisionnement a augmenté en dépit de la promulgation de deux feuilles de routes interministérielles sur le sujet, en 2019 et 2024. Qu'est-ce, selon vous, qu'un stock de sécurité et à quoi doit-il servir ? Comment comptez-vous mieux faire entendre la voix de la France en Europe sur ce sujet ? Envisagez-vous de prendre de nouvelles mesures de contingentement ? Les pouvoirs de sanction de l'ANSM vous semblent-ils suffisants pour être dissuasifs ?

Un recours accru aux sanctions à l'encontre des exploitants de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur qui ne respectent pas leurs obligations est-il, selon vous, souhaitable ?

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 visait à développer l'usage des médicaments biosimilaires. C'est un sujet sensible, tant pour les professionnels de santé que pour les patients. Comment l'ANSM entend-elle agir en la matière ? Souhaitez-vous faciliter le développement des médicaments biosimilaires ?

Ma dernière question concernera les essais cliniques sauvages. L'ANSM a saisi la justice en 2022, puis à l'automne 2023, sur les essais conduits par le professeur Raoult sur plus de 30 000 patients entre mars 2020 et décembre 2021. La réaction de l'ANSM avait été jugée tardive à l'époque, car l'Agence avait connaissance de ces essais. Celle-ci a récemment annoncé qu'elle allait à nouveau saisir la justice en raison de la réalisation d'une étude, qui a donné lieu à une nouvelle publication du professeur Raoult et qui aurait dû faire l'objet d'un avis favorable de sa part. Que pensez-vous des moyens dédiés au contrôle des essais cliniques ? Outre l'ANSM, les comités de protection des personnes sont aussi concernés. Peut-on sécuriser davantage la réalisation des recherches sur la personne humaine ?

Mme Florence Lassarade. - L'intelligence artificielle (IA) pourra-t-elle, selon vous, réduire le nombre d'accidents médicamenteux à l'hôpital ? Les différents hôpitaux de France utilisent effectivement des logiciels très hétérogènes pour la prise en charge des patients. Cela n'aide pas à ajuster les traitements, et certains accidents médicamenteux pourraient sans doute être évités...

Mme Catherine Paugam-Burtz. - Les stocks de sécurité s'inscrivent dans une gestion d'anticipation. Ils permettent d'abord de se laisser du temps pour réagir en cas de situation déclarée par un industriel et de menace de panne sèche. Leur deuxième intérêt est évident : on peut y puiser si besoin, de manière régulée, pour délivrer des médicaments.

Je rappelle tout de même que les laboratoires pharmaceutiques qui produisent et commercialisent les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur sont, à ce titre, tenus, d'assurer un approvisionnement approprié et continu suffisant pour couvrir les besoins des patients. Il leur revient de constituer les stocks de sécurité, d'élaborer et mettre en oeuvre les plans de gestion des pénuries, de prévenir et de pallier toute rupture de stock et, enfin, de déclarer les risques et les ruptures.

En la matière, le rôle de chacun est important et, en effet, les choses s'enlisent. Le sujet est complexe, personne ne détient isolément la solution et les mesures doivent s'articuler entre elles.

L'ANSM a tout de même identifié 750 médicaments dont le stock minimal de sécurité doit être de quatre mois. Elle a relancé le 10 octobre dernier le plan hivernal qu'elle avait mis en place en 2023, en lien avec les associations de patients et les représentants des professionnels de santé. Cette solution agile doit permettre d'anticiper et de limiter les tensions sur certains médicaments, comme ce fut le cas l'année dernière avec les antibiotiques nécessaires pour traiter l'épidémie de coqueluche.

La chaîne du médicament est particulièrement complexe, depuis la production de la matière première jusqu'à sa répartition sur le territoire par les grossistes répartiteurs et les pharmaciens d'officine. En novembre 2023, l'ANSM a coordonné avec l'Ordre national des pharmaciens la rédaction d'une charte, qui rappelait notamment que le médicament n'est pas un produit comme un autre et que travailler dans ce secteur suppose, de la part de tous, une certaine éthique professionnelle.

La feuille de route interministérielle agrège de nombreux acteurs. Elle témoigne de l'engagement politique en faveur d'une meilleure anticipation et d'une plus grande réactivité.

Les sanctions pour non-constitution de stocks ont concerné onze laboratoires pour 8 millions d'euros. Ce niveau inédit traduit le renforcement des contrôles auprès des industriels, qu'il s'agisse de la constitution des stocks ou de la qualité de leurs plans de gestion de la pénurie. Les sanctions sont donc un outil important pour l'ANSM. Il faut les faire vivre en leur allouant les moyens adéquats. Par ailleurs, à partir du 1er janvier 2025, l'ANSM exercera seule - et non plus avec les agences régionales de santé - le contrôle des grossistes répartiteurs, par exemple en matière de respect de leurs obligations de service public.

Si la combinaison de ces actions peut donner des résultats, l'ANSM n'est pas seule : les industriels, les logisticiens et les autres acteurs publics - notamment pour ce qui concerne les enjeux de relocalisation et réindustrialisation - ont aussi leur rôle à jouer.

Le contingentement fait partie des possibilités dont dispose l'ANSM en cas de pénurie. Il peut être quantitatif ou qualitatif, et s'inscrit dans le cadre d'un plan de gestion gradué. L'ANSM peut aussi faire importer des médicaments ou spécialités initialement destinés à l'étranger.

En matière d'information, il faut pouvoir accompagner les patients comme les prescripteurs, dans un contexte de renforcement du bon usage. L'utilisation raisonnée des molécules qui sont à notre disposition est en effet un enjeu majeur.

Vous m'interrogez sur les médicaments biosimilaires. C'est un point clé pour l'Agence que de favoriser la confiance dans l'usage de ces nouvelles molécules, qui ne sont pas strictement interchangeables et diffèrent des génériques. L'ANSM travaille actuellement sur les cas dans lesquels la substitution serait envisageable.

Les dossiers sur les essais réalisés à l'institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille sont pendants ; je n'ai donc pas d'informations à vous communiquer à leur sujet.

L'IA ne se substituera pas aux prescripteurs, mais elle apportera, au travers de logiciels d'aide à la prescription - ils existent déjà -, des connaissances augmentées qu'un cerveau humain n'est pas forcément capable de prendre en compte. L'IA pourra par exemple signaler que, selon les recommandations techniques, telle ou telle prescription n'est pas adaptée à l'âge du patient, ou alerter sur le fait que la fonction rénale n'a pas été vérifiée.

L'interopérabilité de nos systèmes de données de santé est un autre enjeu clé. Elle est, me semble-t-il, l'un des items de la concertation que mène actuellement la direction du numérique en santé sur la stratégie nationale en matière de données de santé. Les différents systèmes - ville et hôpital par exemple - doivent pouvoir communiquer entre eux. Il faut aussi déployer les logiciels d'aide à la prescription.

Je ne saurais chiffrer les bénéfices de tout cela. Mais il est certain qu'à partir des déclarations des événements indésirables graves et des déclarations en pharmacovigilance, nous pouvons nous donner les moyens de travailler à une réduction de coûts.

M. Khalifé Khalifé. - Je vous ai sentie quelque peu hésitante lorsque vous avez évoqué votre parcours inédit. Au contraire, je trouve cette évolution naturelle et je me réjouis de voir peut-être prochainement un clinicien à la tête de l'ANSM.

Concernant la réindustrialisation, il a beaucoup été question dernièrement du Doliprane et de Sanofi. Pensez-vous que nous avons eu à ce sujet suffisamment d'informations techniques sur le plan médical ? Cet épisode ne nous fait-il pas oublier que la France est très en retard dans la production de biotechnologies et de médicaments innovants ? Les prix de ces médicaments n'y sont d'ailleurs pas compétitifs, en particulier pour les maladies rares, pour lesquelles il est difficile d'avoir un service médical rendu suffisamment fort.

Comment peut-on allier les contraintes pesant sur les laboratoires et cet aspect tarifaire, sachant que certains produits, heureusement très rares, ne sont pas commercialisés en France, faute d'accord entre l'État et les laboratoires sur leur tarif ?

Enfin, comment voyez-vous la cohabitation entre la Haute Autorité de santé et l'ANSM ?

Mme Anne-Sophie Romagny. - Quelle est la place des usagers et des patients dans les actions et décisions de l'ANSM, et quelle serait-elle si vous étiez à sa tête ? Quelle est, en un mot, votre vision de la démocratie sanitaire ?

M. Alain Milon. - Certains considèrent que l'ANSM fait doublon avec l'Agence européenne des médicaments. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, votre retour d'expérience sur la crise covid m'a quelque peu déçu. Vous avez évoqué avant tout la nécessité de dialogue. J'espère tout de même que l'ANSM n'a pas attendu la crise covid pour identifier le dialogue comme une nécessité.

Enfin, quel est le budget de l'ANSM ? De combien d'emplois en équivalent temps plein (ETP) disposez-vous et est-il nécessaire de les augmenter ?

Mme Céline Brulin. - Les sanctions financières en cas de rupture vous semblent-elles suffisamment dissuasives pour les industriels ? On constate en effet que les sanctions ont augmenté fortement, mais les ruptures tout autant... Quels sont les leviers dont dispose l'Agence pour pallier ces ruptures ? On les constate, on les sanctionne, mais à un moment donné il faudra bien les pallier !

Par ailleurs, vous avez évoqué vos relations avec le ministère de l'industrie et de l'économie. La cession de la filiale de Sanofi, Opella, est au coeur de l'actualité. J'ai un autre exemple en tête dans mon département : la cessation des activités chimie du groupe ExxonMobil, qui aura des répercussions sur la fourniture de matières premières, notamment celles qui sont utilisées dans les dispositifs médicaux. En quoi l'Agence est-elle associée à l'analyse des effets indésirables de ces situations ?

Enfin, le réseau de sous-traitants sur lequel s'appuie l'Ageps vous paraît-il suffisamment dimensionné ? Faut-il le développer pour que l'Ageps prenne le relais, plus encore qu'elle ne le fait aujourd'hui, pour pallier les pénuries et les ruptures ?

Mme Catherine Paugam-Burtz. - Je n'ai pas été hésitante sur mon parcours, je soulignais simplement que j'étais à l'époque une des premières à passer du côté d'une direction d'hôpital.

Vous évoquez notre retard en matière d'innovation. L'ANSM a justement développé son guichet innovation et orientation pour répondre en amont aux besoins des acteurs de l'innovation : ces derniers peuvent y trouver de l'accompagnement réglementaire et scientifique, notamment sur la manière de mener des essais. C'est aussi un espace où l'on peut entendre les besoins non couverts et faciliter, par exemple, les repositionnements de produits. Son usage est plébiscité, à ma connaissance. Dans ce cadre, l'ANSM a vocation à renforcer ses liens avec le monde de la recherche, notamment avec l'Agence de l'innovation en santé (AIS), pour favoriser le passage de la recherche à la production et à la mise sur le marché de produits innovants.

Vous m'interrogez sur les tarifs. Ce sujet relève non pas de la compétence de l'ANSM, mais du Comité économique des produits de santé (CEPS). Il y a probablement un équilibre à trouver dans les négociations avec les industriels entre, d'une part, les tarifs parfois astronomiques des médicaments innovants et, d'autre part, les tarifs des médicaments matures.

La collaboration entre la HAS et l'ANSM est très étroite, en particulier lors de l'étape clé pendant laquelle la HAS rend son avis sur le service médical rendu et sur son amélioration. Elle l'est également dans le cadre des autorisations d'accès précoces (ex-ATU) : il s'agit alors de mettre à disposition de façon encadrée des médicaments pour lesquels la balance bénéfice-sécurité paraît acceptable.

De ma position extérieure, je constate que la démocratie sanitaire a beaucoup progressé ces dernières années au sein de l'Agence. Les représentants des usagers ou des patients sont désormais présents dans chaque instance ou comité scientifique. J'ai personnellement fait l'expérience de ce type d'échanges dans mon service et je suis intimement convaincue des bienfaits de cette participation. Elle renforce la confiance et la transparence, mais elle apporte aussi beaucoup sur le plan qualitatif : elle est le gage d'une communication adaptée, intelligible et qui correspond aux attentes.

Je ne pense pas que l'Agence européenne des médicaments et l'ANSM fassent doublon. Près de 90 % des autorisations de mise sur le marché se font à l'échelle européenne, mais les agences des États membres travaillent avec l'EMA de façon collaborative et synergique.

Le budget de l'ANSM a progressé ces dernières années pour atteindre un peu moins de 145 millions d'euros. L'Agence s'est vu attribuer des ETP supplémentaires dans le cadre de la gestion des pénuries. Un de ses enjeux est de disposer d'agents formés aux technologies numériques.

Je rappelle que le niveau des sanctions appliquées par l'ANSM est fixé par la loi. Cela étant, l'agence s'est emparée de cette question en multipliant les contrôles. Il faut trouver le bon équilibre et la bonne proportion par rapport aux enjeux financiers qui sont derrière chaque médicament. L'éventuelle augmentation des sanctions doit être discutée d'une façon globale.

Les plans de réponse graduée sont censés pallier les pénuries. Ils sont multiples et passent notamment par des actions de contingentement ou par la promotion du bon usage. Il s'agit par exemple de rappeler que, avant de traiter une angine, un test rapide est nécessaire pour s'assurer de son origine bactérienne. L'enjeu est collectif : en 2022, les chiffres sur l'amoxicilline montraient une surconsommation de 40 % des antibiotiques. Pour reprendre un vieux slogan efficace, « Les antibiotiques, c'est pas automatique !»

Il est également possible de proposer des substitutions de molécules, à condition de s'être assuré au préalable avec les sociétés savantes et les acteurs spécialisés que la proposition est à la fois sérieuse, efficace et sécurisée. L'adaptation des circuits de distribution est une autre piste : la rifampicine, par exemple, a pu être distribuée par le centre national de référence sur la tuberculose.

Enfin, parmi les actions prévues par la feuille de route figure la mise en oeuvre de préparations hospitalières spéciales, qui peuvent permettre d'accélérer la production. Le réseau des sous-traitants de l'Ageps doit être consolidé, et probablement s'inscrire dans le cadre d'une mission de service public.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - J'ai le sentiment que, sur la question des ruptures, on s'en remet à une gestion décentralisée dans les laboratoires. Nous attendons pourtant de votre part une action forte en matière de maîtrise des informations. Nous disposons désormais d'outils numériques efficaces pour élaborer des plans. Or je n'ai pas entendu parler de la possibilité de donner à l'ANSM les moyens d'avoir cette maîtrise. Il ne s'agit pas uniquement de s'en remettre aux sanctions contre des laboratoires qui n'auraient pas respecté les contingents.

Sur la question du prix du médicament, les décisions de l'ANSM doivent certes se fonder sur l'analyse du ratio bénéfice-risque, mais j'ai vraiment le sentiment que c'est à l'EMA que cela devrait se passer. Compte tenu de l'effet masse dont bénéficient les États-Unis - les écarts varient parfois de un à dix sur un même médicament innovant -, il est évident que les acteurs français sont pénalisés. Vous évoquez le CEPS ; je considère que l'ANSM et l'EMA devraient avoir, en la matière, un rôle beaucoup plus déterminant.

Mon dernier point porte sur les conflits d'intérêts parmi les experts. Nous avons bien vu, dans un passé récent - je pense notamment à l'affaire du Mediator -, où ces conflits d'intérêts pouvaient mener lorsqu'ils ne sont pas signalés.

Comment comptez-vous agir sur ces trois questions ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Les personnes rencontrant des problèmes d'obésité s'arrachent actuellement un nouveau médicament, le Wegovy. Si vous étiez directrice de l'ANSM, quelle serait votre feuille de route à ce sujet ? Je pense aux enjeux liés à son accès - certains l'achètent à l'étranger -, à la sécurité du patient - ses effets dans le temps sont encore méconnus - ou encore à son efficacité et au mésusage dont il fait l'objet.

En ce qui concerne les pénuries de médicaments, les ventes frontalières posent problème. Quelle serait votre action en la matière ?

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Pour rebondir sur la question des pénuries chroniques de médicaments, j'évoquerai plus particulièrement l'amélioration de l'information à destination des professionnels. Les médicaments génériques apparaissent comme un recours, mais ils font eux-mêmes parfois l'objet de pénuries caractérisées. Une solution serait celle des listes de concordance et des tableaux d'équivalence. Il arrive que les pharmaciens appellent le médecin prescripteur en présence du patient pour lui proposer une solution alternative, mais encore faut-il pouvoir joindre le médecin ! Nous pourrions imaginer que la prescription soit accompagnée, dès le départ, de l'indication d'une alternative. Cela permettrait également de répondre au problème des contre-indications, lorsque le pharmacien se trouve en présence d'un patient présentant des pathologies multiples sans avoir connaissance de son dossier médical.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Dans mon département, le Bas-Rhin, qui est frontalier avec l'Allemagne, une habitante ayant besoin de Fungizone 10 %, en rupture de stock en France, a dû traverser le Rhin pour en trouver. Mais, alors que le flacon de 40 millilitres est à 5,87 euros pris en charge par la sécurité sociale en France, elle a dû payer 22 euros en Allemagne. Voilà un exemple des difficultés que nous rencontrons dans nos territoires. Comment peut-on encourager les pharmacies situées en zone frontalière à avoir des stocks ?

Selon les données de l'Association Santé Environnement France, 3,1 milliards de boîtes de médicaments sont vendues en pharmacie chaque année. Cela représente environ quarante-huit boîtes de médicaments par personne et par an. C'est impressionnant. Il y a un gaspillage important, en raison, d'une part, de la surprescription et, d'autre part, du fait que certaines boîtes contiennent plus de comprimés que le nombre nécessaire au traitement. Quels sont, selon vous, les leviers de l'ANSM pour lutter contre ces problématiques ? Peut-on envisager la délivrance à l'unité, comme cela se pratique dans d'autres pays ?

Et quid du parcours Medisis, dont l'expérimentation a été prolongée jusqu'au mois d'avril 2024 ?

Mme Catherine Paugam-Burtz. - La maîtrise de l'information est évidemment une question essentielle. Les outils sont en cours de développement. Vous avez raison, les données sont disponibles, mais elles sont en silo, sans communication. Nous menons actuellement un travail destiné à nous permettre de disposer d'un tableau de bord. Vous le savez, un certain nombre d'acteurs alimentent directement le dossier pharmaceutique Ruptures. L'un des enjeux pour l'ANSM - je vous rejoins sur ce point - est bien d'avoir une vision globale, afin de pouvoir anticiper et réagir. Nous voulons élaborer un tableau de bord dans une certaine transparence vis-à-vis des différents acteurs. La mise à disposition au bénéfice des patients, probablement via le site, est mentionnée dans le nouveau COP.

À ce stade, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur les discussions européennes relatives au prix du médicament. J'entends bien qu'il puisse y en avoir, par exemple, sur certains accès à l'innovation ; peut-être est-ce d'ailleurs déjà le cas.

Ainsi que je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, l'Agence travaille avec des experts internes et des experts externes sur les conflits d'intérêts. Elle s'est dotée depuis plusieurs années d'un déontologue et de processus. Agir en parfaite transparence et dans le respect d'un cadre déontologique est clairement dans son ADN. C'est un point-clé pour la confiance. Les démarches pour s'assurer de l'absence de liens d'intérêts particuliers sont menées en toute transparence.

J'ai également été interrogée sur la prévention du mésusage du Wegovy. Vous le savez, ce médicament a été mis en accès précoce jusqu'en 2023. Il y a eu environ 7 000 patients traités. Une première étude de pharmacoépidémiologie a été réalisée grâce au groupement d'intérêt scientifique constitué par l'ANSM et la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), Epi-Phare ; vous pouvez en trouver les résultats sur le site de l'Agence. Voilà qui fait écho à ce que j'indiquais précédemment sur la mobilisation des données. Nous pouvons suivre en temps réel tous les signaux, y compris les signaux faibles potentiels, qui traduiraient des risques de sécurité liés à l'usage de ce médicament. Nous avons différents dispositifs : d'une part, les centres de pharmacovigilance, qui sont vraiment les « oreilles » de l'ANSM ; d'autre part, les mécanismes permettant d'utiliser les données en vie réelle pour pouvoir procéder à des analyses.

Derrière la question des ventes frontalières, il y a, me semble-t-il, plusieurs enjeux. Vous avez évoqué celui des différences tarifaires entre les États membres, sujet que nous avons un peu traité. Je souhaite pour ma part insister sur le rôle, la responsabilité et les missions de santé publique des grossistes répartiteurs, auxquels il appartient d'assurer la répartition équitable sur le territoire. Sans doute faudra-t-il envisager des contrôles spécifiques pour vérifier que ces professionnels se conforment bien à leurs obligations de service public dans les territoires frontaliers. Comme je l'ai indiqué, les contrôles, qui étaient auparavant réalisés par les ARS avec l'ANSM, passent au 1er janvier sous la responsabilité pleine et entière de l'Agence et, d'après ce que j'ai compris, nous aurons les effectifs supplémentaires demandés.

Il existe d'ores et déjà des logiciels équipés d'une fonctionnalité permettant de transmettre les informations relatives aux alternatives thérapeutiques, notamment pour des prescripteurs et des dispensateurs. Pour l'ANSM, l'enjeu est qu'ils soient mis à jour régulièrement, car les choses peuvent être assez évolutives. C'est un point essentiel. Les pénuries sont évidemment source d'inquiétudes non seulement pour les patients, du fait des risques pour leur santé, mais également pour les prescripteurs et les dispensateurs.

Je ne puis que souscrire à ce qui a été indiqué sur la sobriété. Celle-ci est au coeur du bon usage du médicament. Elle correspond à un cadre déontologique de pratique, donc à une qualité des soins, ainsi qu'à une réduction de l'iatrogénie. Il y a un certain nombre de médicaments dont la consommation n'est pas forcément toujours pertinente, avec parfois des effets indésirables graves. Voilà qui me permet d'évoquer la décarbonation du soin. Vous le savez, le secteur de la santé représente près de 8 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, dont près de la moitié sont liées aux médicaments et aux dispositifs médicaux. Raison de plus pour agir en faveur de la sobriété !

Pour réduire le gaspillage, l'ANSM étudie la possibilité de faire de la distribution en doses uniques, et elle travaille sur l'extension possible des durées de péremption, ce qui suppose d'analyser les stabilités des médicaments. D'autres actions, comme la réutilisation de certains dispositifs médicaux remis en état, sont actuellement menées.

L'expérimentation « article 51 » du parcours Medisis vient de se terminer. L'évaluation est en cours ; nous n'en avons pas les résultats à date. Néanmoins, si le dispositif « article 51 » a été accepté, c'est bien que la polymédicamentation, avec l'iatrogénie qui lui est associée, est un sujet majeur, en particulier chez les personnes âgées.

M. Philippe Mouiller, président. - Madame Paugam-Burtz, je vous remercie de votre présentation et des réponses que vous nous avez apportées.

Vote et dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République de Mme Catherine Paugam-Burtz aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

M. Philippe Mouiller, président. - L'audition de Mme Catherine Paugam-Burtz étant achevée, nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Catherine Paugam-Burtz aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, simultanément à celui de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Mouiller, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 40

Bulletins blancs : 1

Bulletins nuls : 0

Suffrages exprimés : 39

Pour : 39

Contre : 0

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Philippe Mouiller, président. - L'ordre du jour appelle l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie. Cette proposition de loi, déposée par l'ancien député Fabien Roussel, a été adoptée par l'Assemblée nationale le 30 mai 2024. Ce texte sera examiné en séance mercredi 30 octobre.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Je remercie tout d'abord les collègues qui m'ont accompagnée lors des auditions - je pense notamment à Corinne Féret.

Une femme sur huit aura dans sa vie un cancer du sein. Il s'agit du cancer féminin le plus répandu. En 2023, il représentait un tiers des nouveaux cas de cancer diagnostiqués. Son taux d'incidence a augmenté en moyenne de 0,9 % par an sur la période 1990-2023. Cela s'explique par différents facteurs : le vieillissement de la population - 80 % des cancers se développent après 50 ans -, l'augmentation des cas d'obésité, l'exposition accrue à des agents cancérogènes dans l'environnement ou l'alimentation. Citons aussi la transformation des habitudes de vie : alcool, tabac et recul de l'âge de la première grossesse constituent également des facteurs de risque.

La mise en place du dépistage généralisé depuis 2004 et l'évolution des traitements expliquent que 90 % des femmes traitées à temps d'un cancer du sein en survivent, même si certaines formes particulièrement agressives, comme les triples négatifs, sont associées à des pronostics bien plus défavorables. En 2023, plus de 700 000 femmes avaient ou avaient eu au cours de leur vie un diagnostic de cancer du sein. Il ne faut toutefois pas oublier que le cancer du sein demeure le plus meurtrier pour les femmes, en raison de sa forte incidence : 12 000 femmes en meurent chaque année. Enfin, rappelons que 1 % des malades des cancers du sein sont des hommes.

La proposition de loi que nous examinons ce matin a été déposée par l'ancien député Fabien Roussel et adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Les six articles qu'elle contient visent à renforcer la prise en charge des soins, traitements et frais en lien avec un cancer du sein, afin de soulager les personnes qui en sont atteintes du reste à charge qu'elles doivent supporter, celui-ci constituant, aux dires de certaines, une double peine face à la maladie.

À la maladie et à la charge émotionnelle, thérapeutique et sanitaire qu'elle provoque s'ajoutent en effet des restes à charge particulièrement élevés, malgré le dispositif des affections de longue durée (ALD).

Selon la Ligue contre le cancer, la charge financière moyenne consécutive à un cancer du sein serait comprise entre 1 300 euros et 2 500 euros, une somme qui peut être à l'origine de difficultés particulièrement malvenues dans le combat contre la maladie. La problématique du reste à charge affecte, il est vrai, toutes les pathologies lourdes, mais la situation est critique pour le cancer du sein, puisque plus des trois quarts des patientes sont exposées à un reste à charge, plus que pour tout autre type de cancer.

Ce reste à charge a des origines diverses. Il provient à la fois de frais spécifiques au cancer du sein et de postes budgétaires qu'ont à supporter tous les assurés, indépendamment de leur pathologie. Si le reste à charge thérapeutique est le plus important, des contraintes financières et familiales viennent s'y ajouter et contribuent à fragiliser la situation financière des assurés, particulièrement des moins bien protégées par notre système de sécurité sociale.

Tel est le cas des frais de garde d'enfants induits par les traitements ou encore des assurés mal couverts par les indemnités journalières maladie, comme les micro-entrepreneurs : ces deux sujets importants ont fait l'objet de demandes de rapport aux articles 1er quater et 1er quinquies.

Avant de passer au coeur du dispositif, un point s'impose sur le régime de prise en charge par la sécurité sociale des frais de santé liés au cancer du sein. En tant que tumeur maligne, le cancer du sein fait partie des affections de longue durée (ALD), ces pathologies longues et à la thérapeutique particulièrement coûteuse qui bénéficient d'une prise en charge renforcée de la sécurité sociale. Ce régime ouvre droit à une exonération du ticket modérateur, c'est-à-dire à une prise en charge des frais de santé liés à l'ALD, à hauteur de 100 % des bases de remboursement, au lieu de 70 % chez le médecin ou 60 % chez l'infirmière, par exemple, dans le droit commun. Cela concerne notamment les chimiothérapies, radiothérapies et mastectomies, qui sont donc intégralement prises en charge dans la limite des bases de remboursement, tout comme la chirurgie reconstructrice, la pose d'implants et l'achat de la plupart des prothèses externes.

Pour autant, si les personnes atteintes d'un cancer du sein doivent subir une charge financière de 1 300 euros à 2 500 euros en moyenne, c'est bien que le dispositif des ALD, tout protecteur qu'il puisse être pour les assurés, n'écarte pas tout reste à charge. Les raisons en sont nombreuses.

Les dépassements d'honoraires et, plus globalement, l'inadéquation entre le coût réel facturé et les bases de remboursement de la sécurité sociale sont les premiers vecteurs du reste à charge. Les dépassements d'honoraires pratiqués lors d'une chirurgie reconstructrice représentent le poste de reste à charge le plus important : en moyenne de 1 391 euros, il peut dans certains cas atteindre jusqu'à 10 000 euros, dissuadant de fait certaines femmes qui n'en auraient pas les moyens d'y recourir. La situation de désert médical, que notre commission ne connaît - hélas ! - que trop bien, contraint ainsi certaines femmes à se tourner vers des établissements de santé à but lucratif, dans lesquels de tels dépassements sont fréquents. De l'aveu même de la direction de la sécurité sociale, toutes les patientes « n'ont pas accès à un centre de soins proposant une reconstruction sans reste à charge », l'offre étant « trop faible et inégalement répartie sur le territoire ».

La proposition de loi prévoyait initialement une prise en charge intégrale par l'assurance maladie de tous les dépassements d'honoraires en lien avec un cancer du sein. Jugeant que de telles dispositions conduiraient à solvabiliser la pratique de dépassements d'honoraires et, dans les faits, à les encourager, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a remplacé ces dispositions par un nouvel article 1er bis, prévoyant qu'une attention particulière soit portée, dans les négociations conventionnelles, aux dépassements d'honoraires pratiqués dans le cadre du traitement d'une ALD, notamment d'un cancer du sein.

Cet article 1er bis ayant une portée normative limitée, je vous soumettrai un amendement visant à permettre que les dépassements d'honoraires relatifs à des actes chirurgicaux de reconstruction mammaire consécutifs à un cancer du sein puissent être plafonnés dans le cadre des négociations conventionnelles. Mon intention est ainsi de laisser aux syndicats de médecins le choix du plafond à fixer pour limiter ces dépassements, dans ce cas très circonscrit de la reconstruction mammaire, qui peut être une étape importante sur la voie de la guérison.

L'Institut Curie et l'Institut Gustave Roussy, éminents centres de traitement du cancer du sein que nous avons entendus, ont plaidé devant nous pour cet amendement, dont l'adoption ferait oeuvre utile, en limitant considérablement le reste à charge des patientes atteintes d'un cancer du sein, sans surcoût pour l'assurance maladie.

Au-delà du cas des dépassements d'honoraires, le prix des dispositifs médicaux peut excéder la base de remboursement de l'assurance maladie. À cet égard, le cas des prothèses capillaires est particulièrement parlant. Seules les perruques de classe 1 sont intégralement remboursées, mais leur qualité est insuffisante pour produire une impression visuelle convaincante, si bien que, dans les faits, les patientes préfèrent bien souvent ne rien porter plutôt que de porter de telles prothèses.

Les malades préfèrent donc se tourner vers les perruques de classe 2, pour lesquelles la sécurité sociale rembourse au maximum 250 euros, mais dont le prix peut aller jusqu'à 700 euros, voire, pour les plus réalistes, dépasser 700 euros, auquel cas la sécurité sociale ne rembourse pas un centime. Dans les deux cas, un reste à charge conséquent est à déplorer.

S'ajoutent à cela les dispositifs de participation forfaitaire et de franchise médicale, dont le montant a récemment doublé. Conçus pour « responsabiliser » les assurés en laissant à leur charge un montant jugé, à tort, comme symbolique pour chaque recours au système de santé, ces dispositifs conduisent surtout à dérembourser jusqu'à 100 euros par an en frappant en premier lieu les personnes qui ont le plus besoin de soins, comme les assurées atteintes d'un cancer du sein.

Les forfaits dus en cas d'hospitalisation au titre des frais d'hébergement ou de passage aux urgences non suivis d'une hospitalisation - je pense au forfait journalier et au forfait patient urgences - sont également applicables aux patients en ALD, pour un montant respectif de 20 euros par jour d'hospitalisation et de 8,49 euros par passage aux urgences. Ces dépenses peuvent toutefois être prises en charge par les complémentaires santé.

Enfin, certaines dépenses provoquées par le cancer du sein ne sont pas remboursées par la sécurité sociale, de sorte que le régime des ALD ne s'y applique pas et qu'un reste à charge considérable peut survenir. On peut classer ces dépenses en trois catégories : les soins de support, les accessoires et les soins dits « de confort ».

Les soins de support désignent l'ensemble des soins et soutiens nécessaires aux personnes malades, parallèlement aux traitements spécifiques, lorsqu'il y en a, tout au long des maladies graves. Prise en charge de la douleur, diététique, psychologie, activité physique adaptée, autant de soins dont l'intérêt thérapeutique est confirmé. Bien que jugés indispensables tant par les associations de patientes que par les centres de lutte contre le cancer, ces soins font aujourd'hui l'objet d'une prise en charge très insuffisante.

Certes, les centres de lutte contre le cancer proposent fréquemment un accès gratuit à certains de ces soins, dont la structure est financée par le fonds d'intervention régional. Mais l'existence de soins de support dans les autres établissements de santé n'est pas systématique, loin s'en faut, ce qui se traduit par des inégalités territoriales particulièrement marquées. Pour les assurées qui n'y ont pas accès, un forfait de 180 euros à utiliser sur trois soins de support existe dans le cadre du « parcours de soins global après les traitements », créé en loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, mais le dispositif est méconnu, et le montant du forfait est très insuffisant par rapport aux besoins.

En définitive, comme le décrit le Collectif Triplettes Roses, « les patientes sont loin de leur centre et ne peuvent pas y retourner pour bénéficier de soins de support pris en charge. Elles doivent donc y renoncer ou financer tout ou partie de ces mêmes soins dans leur localité proche », et encore, quand ils existent !

S'ajoute la problématique des accessoires, coûteux, mais indispensables après une opération. Les mamelons en silicone pour les assurés qui ne souhaitent pas de reconstruction chirurgicale ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale, pas davantage que les soutiens-gorge compressifs post-mammectomie ou les sous-vêtements adaptés au port de prothèses externes transitoires ou définitives. Malgré un intérêt thérapeutique avéré, il faut donc compter, pour les femmes, 70 euros pour chaque soutien-gorge compressif post-opératoire, et à peu près la même somme pour des soutiens-gorge adaptés au port d'une prothèse mammaire amovible, à multiplier bien sûr par trois ou par quatre pour avoir le rechange nécessaire.

Au travers de l'article 1er ter, qui consiste en une demande de rapport au sujet de la prise en charge des sous-vêtements adaptés au port d'une prothèse amovible, on touche ainsi du doigt un sujet très important pour garantir la santé et le confort des patientes ayant subi une ablation mammaire.

Les soins de confort, fort mal nommés, recouvrent les crèmes et cosmétiques pour l'essentiel non pris en charge par la sécurité sociale. Crèmes relipidantes, indispensables pour combattre les effets secondaires de la chimiothérapie, patchs pour masser les cicatrices et strips pour les protéger, manchons en cas de lymphoedème, vernis pour prévenir la chute des ongles, autant de postes de dépenses supplémentaires qui n'ont rien de superflu ou de confortable. Croyez-moi, toutes les assurées concernées préféreraient s'en passer !

Dans ces conditions, l'article 1er de la proposition de loi vise à rendre inapplicables aux patients traités ou suivis pour un cancer du sein la plupart des postes de reste à charge : participation forfaitaire, franchise médicale, ticket modérateur, forfait hospitalier et forfait patients urgences. Il prévoit en outre une prise en charge intégrale sur l'ensemble des soins et dispositifs prescrits dans le cadre d'un cancer du sein, incluant notamment les soins de support, les prothèses capillaires et le renouvellement des prothèses mammaires.

Alors que le reste à charge des assurées traitées ou suivies pour un cancer du sein atteint aujourd'hui un niveau insoutenable pour une majorité d'entre elles, l'article 1er et la proposition de loi comportent des mesures aussi utiles que nécessaires pour les soutenir financièrement. Elles doivent être considérées comme un premier pas, portant sur une pathologie exposant à des restes à charge particulièrement fréquents et considérables, avant, le cas échéant, de pouvoir être étendues à d'autres pathologies tout aussi coûteuses, à commencer par certains autres cancers. Aucun patient ne devrait se retrouver dans la difficulté financière du fait de sa maladie ou, comme c'est trop souvent le cas pour les femmes atteintes d'un cancer du sein, renoncer à des modalités thérapeutiques pour des raisons financières. C'est là, me semble-t-il, l'essence même du droit constitutionnel à la santé, issu du Préambule de la Constitution de 1946.

En ce mois d'octobre rose, je vous invite donc à avancer par-delà les divergences partisanes et à accorder à ce texte une majorité, afin de renforcer la protection et la prise en charge des malades du cancer du sein.

Il me revient enfin en tant que rapporteur de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.

Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives au régime de prise en charge des affections de longue durée ; à la limitation du reste à charge pour les patients atteints d'une affection de longue durée ; aux frais subis par les patients atteints d'un cancer du sein ne correspondant pas à des frais liés à des activités de diagnostic ou de soins.

En revanche, je considère que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs au régime de prise en charge des frais de santé de droit commun ; aux modalités de prévention des cancers ; aux compétences des professionnels de santé ; à l'organisation des professions de santé et à leurs conditions d'installation ; à l'organisation des établissements de santé ou des structures d'exercice coordonné.

Je vous remercie.

Il en est ainsi décidé.

Mme Frédérique Puissat. - Je voudrais d'abord remercier l'ancien député Fabien Roussel et notre collègue Cathy Apourceau-Poly pour leur contribution sur ce sujet important, grave, sur lequel de nombreux sénateurs sont mobilisés.

Cette proposition de loi nous est néanmoins soumise juste en amont de l'examen des textes budgétaires, qui nous obligeront à faire des arbitrages importants et à privilégier des visions globales, plus que singulières et centrées sur un nombre restreint de sujets. Elle donnera aussi lieu à des discussions dans l'hémicycle, avec, au-delà, une navette parlementaire.

La position de mon groupe est donc plutôt de s'abstenir, tout en suivant avec attention l'évolution du texte.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Merci de votre rapport, madame Apourceau-Poly. Comme vous l'avez souligné, une femme sur huit est touchée par un cancer du sein dans sa vie. Cette cause nous concerne tous, de près ou de loin, et nous ne pouvons pas accepter cette double peine imposée quand, à la maladie, s'ajoute le reste à charge.

Mais je voudrais aborder la question de la rupture d'égalité avec les patients atteints d'autres cancers. Je serai attentive aux débats qui auront lieu dans l'hémicycle. Si j'entends le drame de toutes les personnes malades du cancer, comment expliquer à une jeune fille atteinte d'une leucémie que sa prothèse capillaire n'est pas remboursée, car elle ne souffre pas d'un cancer du sein ?...

Je m'abstiendrai donc aujourd'hui, dans l'attente des débats en séance plénière sur ce texte ô combien important.

Mme Patricia Demas. - À mon tour, je remercie la rapporteure pour son travail sur ce sujet, qui ne peut nous laisser insensibles.

Je voudrais porter à la connaissance des membres de la commission la réponse que la ministre m'a faite hier sur le reste à charge pour les prothèses capillaires. Il n'est pas simple de comprendre la tarification, qui compte trois classes de prothèses avec des forfaits totalement différents. J'interrogeais la ministre sur la possibilité d'une prise en charge forfaitaire, indépendamment du type de perruque. Celle-ci m'a parlé de travaux engagés en septembre, avec un passage prochainement prévu devant la Haute Autorité de santé (HAS), précisant que la question de la simplification du parcours et de l'accès à ces aides avait été prise en compte.

S'agissant des soutiens-gorge compressifs, je m'étais rapprochée avant la dissolution de l'Assemblée nationale du cabinet du ministre de la santé pour qu'une réunion avec les fabricants puisse être organisée. En effet, aucun dossier n'est déposé auprès de la HAS pour que ces soutiens-gorge soient inclus dans la nomenclature. Je viens de relancer le ministère sur la question.

Mme Émilienne Poumirol. - Merci aux auteurs de cette proposition de loi fondamentale. Dans les esprits, le fait d'être en ALD est souvent associé à une prise en charge complète, sans reste à charge. Même les médecins ont tendance à oublier tous les à-côtés.

Je reviens sur l'interrogation soulevée : pourquoi pas les autres cancers ? Notez, mes chers collègues, que nous examinons une proposition de loi, dont l'objet est forcément précis.

Mon groupe votera ce texte pour toutes les raisons qui ont été invoquées, notamment les fréquents dépassements d'honoraires dans le secteur privé lucratif. À ce titre, l'amendement visant à les plafonner me paraît intéressant.

Au-delà des prothèses capillaires, qui constituent un soin fondamental, je voudrais évoquer le remboursement des soins de support et, en particulier, de l'activité physique adaptée. Voilà trois ans environ, nous avions rencontré un directeur de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui nous avait dit l'importance de ces activités dans l'absence de récidive du cancer du sein. Pourquoi, alors que leur bénéfice est prouvé, ces soins ne sont-ils pas pris en charge à 100 % ?

Mme Corinne Féret. - Je tiens moi aussi à remercier notre rapporteure pour la qualité de son travail. Cette proposition de loi a, je le rappelle, été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale avant la dissolution. Il est effectivement difficile de s'opposer sur un sujet de cette nature, même si j'entends les réserves exprimées par certains collègues.

Pour moi, l'intérêt du texte n'est même pas à démontrer. Il a été rappelé que le cancer du sein est celui qui touche le plus de personnes. En France, 700 000 femmes vivent avec un cancer actif ou sous surveillance. C'est beaucoup ! Pourquoi seulement évoquer le cancer du sein ? Parce que le nombre de personnes concernées est très important, avec un cancer qui, en outre, progresse.

Les auditions nous ont permis de constater de nombreuses inégalités. C'est ce qui me motive pour soutenir la proposition de loi : ces inégalités constituent de véritables injustices !

Je pense notamment à l'accès aux soins. Certes, il n'y a pas de sujet ici, puisque cet accès relève de l'ALD. Pour autant, il n'est pas le même partout sur nos territoires : en milieu rural, de nombreuses femmes ont accès tardivement à la prévention et au dépistage, ou n'y ont pas accès. Or plus on dépiste tard, plus la maladie est difficile à soigner.

À cela s'ajoute une inégalité dans la prise en charge et le traitement quand les malades ne sont pas soignés dans un centre de lutte contre le cancer. Une femme, toute à la détresse que suscite l'annonce, fait confiance au médecin qui l'oriente dans un tel centre, dans un centre hospitalier ou dans une clinique privée, sans forcément penser aux questions de coût et de reste à charge à supporter. Les dépassements d'honoraires ont notamment été évoqués : il est injuste que les femmes soient confrontées à de telles pratiques dans certains établissements.

Enfin, il y a des inégalités dans l'accès aux soins de support. On trouve ces soins dans les centres de lutte contre le cancer, pas forcément ailleurs. Or, de nouveau, l'accès à de tels centres n'est pas forcément facile pour les femmes en zone rurale. D'où la proposition de délivrer les bonnes informations pour l'accès aux soins de support.

Quant aux soins de « confort » - je mets bien sûr des guillemets à cette expression - et aux accessoires, il est injuste qu'une femme ayant les moyens puisse avoir accès à une prothèse capillaire de qualité quand une autre ne pourra bénéficier que d'une prothèse ressemblant plus à un pompon de laine qu'à autre chose.

Voilà pourquoi cette proposition de loi est indispensable. Elle permet de répondre à des inégalités qui sont réelles et à l'injustice flagrante vécue au quotidien par des milliers de femmes.

Pour terminer, je voudrais indiquer que la Ligue contre le cancer nous a alertés sur certaines mesures d'économies prévues dans le prochain budget. Ces mesures seront aussi susceptibles d'engendrer des injustices pour certaines femmes atteintes de cette maladie. Je pense, par exemple, aux frais de déplacement et à la nécessité, désormais, de covoiturer pour se rendre dans certains établissements ; des patients subissant des traitements très lourds paieront les conséquences de telles décisions. N'en doutez pas, nous dénoncerons ces mesures lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). D'ailleurs, nous sommes certes à quelques jours de cet examen, mais nous ne sommes pas responsables de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin, qui nous a privés de pouvoir examiner cette proposition de loi plus tôt.

M. Alain Milon. - Ce texte est, certes, intéressant, mais il pose de nombreuses questions.

Premièrement, il y a le traitement de la maladie, pris en charge à 100 % par la sécurité sociale, et il y a le traitement des conséquences du traitement. Je rappelle que nous avons deux types de financeurs en France : l'assurance maladie obligatoire (AMO) et l'assurance maladie complémentaire (AMC). Je regrette que cette proposition de loi ne fasse pas plus de place à l'AMC.

Deuxièmement, la prévention est le vrai sujet. Nous disposons désormais, pour les radiographies des seins, de logiciels d'intelligence artificielle qui rendent possibles les diagnostics prédictifs. Dans une récente loi de bioéthique, nous avons également mis en place les tests ADN, notamment post mortem, qui permettent d'indiquer à certaines femmes que leur mère a eu un cancer et qu'elles doivent se faire soigner sans délai. Je regrette donc que l'on ne parle pas de la priorité, qui est la prévention.

Mme Véronique Guillotin. - Ce rapport, pour lequel je remercie la rapporteure, met effectivement en lumière des restes à charge importants dans le cas du cancer du sein, mais je crois qu'en approfondissant un peu cette question, on trouverait des restes à charge similaires pour de nombreuses pathologies chroniques et cancéreuses.

En revanche, ce texte soulève des interrogations - la première, qui m'a assez rapidement troublée, étant la rupture d'égalité. Ensuite, je rejoins Alain Milon, le sujet mériterait que l'on creuse la question du financement, sachant que nous connaissons tous les « faiblesses » actuelles de notre système de sécurité sociale. Les assurances complémentaires doivent trouver leur place et il y a aussi des budgets dans les fonds d'intervention régionaux (FIR) des agences régionales de santé (ARS).

Je ne prendrai pas la responsabilité d'exprimer une position au nom de mon groupe - nous verrons en fonction des éclairages qui seront donnés. Pour l'heure, j'en reste à une abstention.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Pourquoi ce cancer, et pas d'autres ? Ce texte est un moyen d'illustrer les inégalités sociales et territoriales qu'emporte une maladie. Il met aussi en lumière le désengagement de la sécurité sociale, avec un développement des forfaits et franchises qui, en réalité, sont un contournement de l'ALD.

En outre, c'est le propre des propositions de loi que d'aborder un sujet particulier. Dans ce cas, la proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et d'autres maladies évolutives graves emportait une rupture d'égalité...

Sur le sujet de la prévention, cher Alain Milon, et même si le diagnostic prédictif est indispensable, il va aussi falloir renforcer la prévention autour des vecteurs environnementaux si l'on veut s'occuper de l'incidence croissante du cancer. Dans les facteurs environnementaux, j'inclus tout ce qui a trait à l'environnement de travail avec, par exemple, le travail de nuit. Quant à l'activité physique adaptée, même si elle survient après, elle entre aussi dans ce cadre de la prévention puisqu'elle réduit le risque de rechute et devrait, à ce titre, être prise en charge.

Le groupe écologiste votera en faveur de la proposition de loi.

Mme Corinne Bourcier. - Merci, chère Cathy Apourceau-Poly, pour ce rapport si important. Nous avons tous autour de nous des femmes atteintes d'un cancer du sein ; nous connaissons leur situation en matière de reste à charge élevé, notamment sur les soins de support. Le bénéfice de ces soins étant reconnu, il faut aider à leur prise en charge. Par ailleurs, la prise en charge des accessoires doit également être renforcée : porter une perruque de qualité semble par exemple extrêmement important pour le regard sur soi et le regard des autres. Pourquoi ne pas prévoir un forfait pour ces accessoires ?

Mais se pose effectivement la question de la prise en charge des autres cancers, car il n'est pas souhaitable de créer des inégalités de traitement.

Mon groupe va donc s'abstenir sur cette proposition de loi, en attendant les débats en séance.

Je souhaite simplement insister sur la question de la prévention. Je vois que nous sommes beaucoup ici à porter le ruban rose... C'est extrêmement important !

Mme Silvana Silvani. - Je trouve cette proposition de loi tout à fait formidable, et ce pour deux raisons. D'une part, elle traite d'une situation que nous reconnaissons toutes et tous comme difficile et mal cernée. D'autre part, elle révèle, à partir d'un cas particulier, un grand nombre de sujets et de questions qui doivent être abordés pour d'autres pathologies. En cela, elle est intéressante.

Quelques remarques par rapport aux propos entendus.

Nous savons que les propositions de loi idéales n'existent pas et qu'on ne peut pas insérer tout un plan d'accès aux soins dans ce type de texte. Celui que nous examinons révèle au moins certains manques en matière de traitements du cancer et de soins faisant suite à ces traitements.

Je suis sensible à l'argument de rupture d'égalité. Reconnaissons néanmoins que l'égalité d'accès aux soins n'existe pas sur nos territoires. Nous nous agaçons suffisamment contre les déserts médicaux et les problèmes d'éloignement !

C'est donc une bonne idée de garantir au moins cette prise en charge. Il serait regrettable que l'agenda vienne pénaliser une telle décision et que le texte passe à la trappe du fait des échanges autour du PLFSS. A contrario, la proposition de loi pourrait être une opportunité pour élargir le regard sur d'autres prises en charge inexistantes, ce qui, pour le coup, est source d'inégalités.

Mme Florence Lassarade. - Je remercie à mon tour la rapporteure. Voilà quelques années, j'avais moi-même mené un travail sur la reconstruction mammaire et nous avions constaté, à cette occasion, des traitements différenciés, y compris entre centres de lutte contre le cancer prestigieux.

Ce qui m'affole en ce mois d'octobre 2024, c'est que le dépistage, malgré vingt ans de recul, ne suscite pas l'adhésion, étant précisé que le principal frein au dépistage du cancer du sein est la peur de la maladie. Nous n'arrivons pas à cibler certaines femmes, alors même que la guérison est bien meilleure et la question bien mieux réglée si la prévention est faite et la tumeur détectée précocement. Il faut donc mettre le paquet sur la prévention.

Dans le même ordre d'idée, je me désespère du peu d'adhérence au vaccin contre le papillomavirus, lequel a pourtant permis à l'Australie d'éradiquer totalement le cancer du col de l'utérus.

M. Dominique Théophile. - Je voudrais simplement rappeler que l'on enregistre aux Antilles une surmortalité liée au cancer du sein. Sous toutes réserves aujourd'hui, mais avec des études sur la question très avancées, cette surmortalité aurait un lien direct avec le chlordécone, lien déjà prouvé pour le cancer de la prostate. Je souhaite déposer une proposition de loi pour que ce phénomène du chlordécone soit reconnu par l'État et entièrement pris en charge, comme cela a été fait en Polynésie pour le nucléaire. S'agissant du présent texte, je le voterai.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Nous sommes d'accord pour dire que la situation doit progresser et qu'aucun d'entre nous n'est indifférent à ces situations, indépendamment des remarques qui ont pu être exprimées.

En matière de prothèses capillaires, j'ai moi-même découvert que la sécurité sociale remboursait 350 euros pour une prothèse de classe 1, dont le prix est plafonné au même montant, mais que la somme remboursable tombait à 250 euros pour une prothèse de classe 2, dont le prix peut être compris entre 350 et 700 euros, et qu'il était carrément nul pour une prothèse de plus de 700 euros. Or les représentantes des associations que nous avons auditionnées nous ont expliqué que la prothèse de première catégorie est non seulement peu réaliste du point de vue esthétique, mais aussi inconfortable et insupportable à porter. Pour la plupart, les femmes préfèrent mettre un foulard. Seule donnent satisfaction les perruques faites majoritairement de cheveux naturels, qui dépassent souvent les 700 euros et ne sont donc pas remboursées ! C'est réellement problématique.

Bien évidemment, si nous traitons ici du cancer du sein, il faudrait pouvoir garantir une prise en charge des prothèses capillaires pour tous les cancers, la perte de cheveux étant le premier effet secondaire visible des traitements de chimiothérapie. Nous pourrions porter cette question par amendement dans le présent texte ou dans le cadre de l'examen du PLFSS - mais veillons au couperet de l'article 40 -, ou bien encore envisager une proposition de loi spécifique.

En réponse aux différents points soulevés, je reviendrai sur quelques sujets.

S'agissant du calendrier, il y a fort à parier que des amendements seront adoptés dans le cadre de la séance publique. Dès lors, le vote ne sera pas conforme et nous procéderons à une navette parlementaire.

Par ailleurs, effectivement, plus on fait de la prévention, mieux c'est ! Je suis donc favorable au renforcement de la prévention, mais ce sujet n'entre pas dans le cadre de la proposition de loi, qui se concentre sur l'amélioration de la situation financière des malades.

J'appuie les propos de notre collègue Raymonde Poncet Monge : le texte sur la SLA ne provoque pas de rupture d'égalité, la SLA ayant la spécificité d'être l'une des seules maladies pour lesquelles, malheureusement, il n'y a pour l'heure aucune guérison possible. La présente proposition de loi ne me paraît pas non plus porteuse d'inégalités ; il faut la considérer comme un premier pas. Comme vous, mes chers collègues, je voudrais répondre à toutes les problématiques posées par les cancers et apporter du confort à toutes les personnes qui souffrent de ces maladies. Cela dit, il y a tout de même quelques spécificités dans le cancer du sein, notamment la reconstruction mammaire. Les femmes que nous avons auditionnées nous ont, par exemple, expliqué que, quand elles n'envisageaient pas de reconstruction, certaines souhaitaient qu'on leur enlève le deuxième sein pour des questions de symétrie.

M. Philippe Mouiller, président. - Je remercie la rapporteure pour la qualité de ses travaux. Je voudrais réaffirmer ce que l'on entend dans le débat de ce matin : tout le monde est conscient que les pouvoirs publics doivent agir rapidement et que se pose la question des autres cancers. Toute l'idée est de trouver un moyen pour que ce texte aille jusqu'au vote final. Nous discutons en parallèle avec le Gouvernement afin de trouver une voie qui respecte l'esprit du texte et soit susceptible de recueillir un accord transpartisan.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 1er bis (nouveau)

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - L'amendement COM-1 prévoit que les dépassements d'honoraires relatifs à des actes chirurgicaux de reconstruction mammaire consécutifs à un cancer du sein puissent être plafonnés dans le cadre des négociations conventionnelles entre les syndicats représentatifs des médecins et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. Le niveau du plafond serait donc défini avec l'accord des syndicats représentatifs des médecins.

La chirurgie reconstructrice consécutive à une mastectomie ou une tumorectomie constitue le premier poste de reste à charge pour les patientes atteintes d'un cancer du sein.

Selon la direction de la sécurité sociale, le reste à charge moyen pour les personnes qui ont fait l'objet d'une opération chirurgicale à la suite d'un cancer du sein s'élève à 1 391 euros. Les dépassements d'honoraires pratiqués dans le cadre d'une chirurgie reconstructrice peuvent atteindre des dizaines de milliers d'euros. La pénurie d'offre chirurgicale dans certains territoires en situation de désert médical ne laisse pas toujours aux patientes atteintes de cancer du sein le choix de l'établissement dans lequel elles procèdent à ces opérations, ni le montant du reste à charge qu'elles ont à supporter.

Or, les opérations d'ablation totale ou partielle du sein participent du traitement du cancer du sein, qui est de ce fait particulièrement mutilant. Elles portent atteinte à l'image de la féminité et peuvent avoir un lourd impact sur la vie sociale et sexuelle des femmes. Si les patientes ne choisissent pas toutes de recourir à la reconstruction mammaire, il n'est pas acceptable que certaines y renoncent au seul motif que le coût d'une telle opération leur est inaccessible.

Il apparaît donc nécessaire de faciliter l'accès à ces opérations pour toutes celles qui le désirent. Cela participe de la reprise d'une vie normale dans le cadre d'un traitement efficace, voire d'une rémission, le cancer du sein étant l'un des cancers au taux de survie le plus élevé.

Par ailleurs, les dépassements d'honoraires sont d'ores et déjà encadrés : ils sont par exemple proscrits dans le cadre des mammographies de dépistage du cancer du sein, ou encore du recours à l'interruption volontaire de grossesse.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er bis ainsi rédigé.

Articles 1er ter, 1er quater et 1er quinquies (nouveaux)

Les articles 1er ter, 1er quater et 1er quinquies sont successivement adoptés sans modification.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La réunion est close à 11 h 55.

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes

M. Philippe Mouiller, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous accueillons à présent M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous serons également amenés à aborder quelques points du projet de loi de finances (PLF), en particulier en ce qui concerne les personnes handicapées.

Monsieur le ministre, dans sa version initiale, le PLFSS contient peu de mesures relatives aux branches famille et autonomie, qui relèvent plus spécifiquement de votre compétence.

Pourtant, les enjeux sont lourds. Sans prétendre à l'exhaustivité, les représentants des collectivités territoriales que nous sommes ont notamment à l'esprit la situation financière des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) - ainsi que celle des services d'aide à domicile. Les modalités et le financement de la prise en charge des fauteuils roulants manuels et électriques, annoncée par le Président de la République, suscitent également de nombreuses interrogations.

Monsieur le ministre, je vais vous céder la parole pour un propos liminaire pour que vous nous fassiez part de votre vision de ce PLFSS, de ses évolutions et des quelques points du PLF qui concernent votre ministère. Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, en commençant bien sûr par nos rapporteurs des branches famille, autonomie, et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) et par la rapporteure générale.

M. Paul Christophe, ministre. - Dans le contexte budgétaire contraint, nous savons que les plus vulnérables d'entre nous seraient les premiers à souffrir si nous n'arrivions pas à conforter dans la durée notre modèle de solidarité. Mon ministère prend toute sa part à l'effort collectif pour le préserver. Comme mes collègues, j'ai travaillé pour vous faire une proposition tournée vers l'avenir.

Permettez-moi, pour commencer, de vous dire un mot sur notre méthode. Il nous faut renforcer l'efficience de nos moyens publics pour la branche famille et la branche autonomie, à la création de laquelle j'ai eu l'honneur de participer. Pour ce faire, nous cherchons à améliorer les pratiques d'achat des établissements pour personnes âgées ou en situation de handicap. Nous prévoyons également de mettre en commun des ressources au sein des nouveaux groupements territoriaux sociaux et médico-sociaux, dont nous devons intensifier le déploiement.

En outre, je le dis ici pour mettre fin à des craintes infondées, les petits Ehpad ont toute leur place dans l'offre actuelle et future, à condition de mettre en commun leurs ressources et de diversifier leurs activités pour répondre à l'évolution des besoins locaux.

Par ailleurs, nous devons lutter contre les pratiques de surmédicalisation, qui n'améliorent ni la santé ni la qualité de vie de nos concitoyens.

Enfin, ce PLFSS prévoit de limiter les dépenses d'intérim, qui grèvent les budgets des établissements médico-sociaux, comme ceux des établissements de santé.

Concernant les établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE), je n'ignore rien des révélations récentes de pratiques s'apparentant à un détournement des moyens publics de leur objet. L'article 18 de la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi élargit la possibilité d'effectuer des contrôles financiers directement au siège des groupes, à laquelle nous recourrons davantage dans les mois à venir. Agnès Canayer et moi-même prendrons également un décret d'application d'ici à la fin de l'année pour lutter contre les pratiques commerciales douteuses, par exemple la facturation de frais annexes à la charge des familles, en précisant très clairement le périmètre des dépenses publiques éligibles au complément de libre choix du mode de garde (CMG).

En lien avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, et les fédérations, j'aurai à coeur d'aller encore plus loin sur les sujets qui le méritent, l'objectif étant non pas de faire des économies au détriment des publics concernés, mais de faire toujours mieux avec les moyens que nous avons. Au-delà de l'efficience de la dépense publique, nous devons veiller à la qualité de l'accompagnement et lutter contre toute forme de maltraitance ; je serai intraitable à ce sujet.

Après ces nécessaires efforts, j'en viens à présent à notre budget d'investissement dans l'avenir - et je dis bien investissement -, dont les moyens en hausse doivent permettre d'accompagner toutes les familles, de la petite enfance au grand âge et favoriser la pleine participation des personnes en situation de handicap à notre société. Comme vous le savez, notre avenir sera marqué par une transition démographique inédite, qu'il nous incombe d'accompagner dès maintenant. Nous aurons besoin de tous les talents et de toutes les énergies pour soutenir notre économie, notre vie associative et l'implication citoyenne, sur laquelle repose notre système de solidarité.

Je commencerai par la politique familiale, que le Premier ministre a décrite comme une priorité du Gouvernement et dont je sais qu'elle vous tient particulièrement à coeur, madame la rapporteure générale. Les moyens et les objectifs du service public de la petite enfance sont confortés et sécurisés, le Fonds national d'action sociale (Fnas) augmentant de près de 10 % en 2025. Vous connaissez l'usage de ces dépenses supplémentaires : soutenir les familles en mettant fin aux tensions sur l'offre d'accueil et offrir une diversité de solutions adaptées au quotidien et aux besoins de tous.

Concrètement, nous maintenons notre objectif de créer 35 000 places en EAJE d'ici à 2027 et nous poursuivons notre politique de revalorisation des professionnels de la petite enfance. L'entrée en vigueur dès cette année du bonus attractivité permettra une augmentation de l'ordre de 150 euros net en moyenne pour les professionnels en début de carrière. De plus, nous porterons une attention particulière à rapprocher les différentes conventions existantes pour faciliter la mobilité professionnelle.

À partir du 1er janvier 2025, les communes deviendront autorités organisatrices (AO) de l'accueil du jeune enfant, ce qui donnera un nouvel élan au service public de la petite enfance. Elles seront chargées de recenser l'ensemble des besoins et l'offre actuellement disponible dans leur territoire, avant de planifier le développement de nouveaux modes d'accueil. La vision d'ensemble dont elles disposeront alors les confortera dans leur rôle d'information des familles. Surtout, elles pourront compter sur de nouveaux outils pour assurer la qualité de l'accueil et la sécurité au quotidien du jeune enfant. Malgré la situation budgétaire, nous avons dégagé 86 millions d'euros pour aider les communes à atteindre ces objectifs.

J'en profite pour rappeler l'attention particulière que porte le Gouvernement aux familles monoparentales, dont la charge incombe le plus souvent à des femmes. Comme prévu, à partir de 2025, la branche famille financera à hauteur de 600 millions d'euros en année pleine une réforme du CMG, qui pourra être perçu jusqu'aux 12 ans de l'enfant, contre 6 actuellement. Ainsi, les parents qui élèvent seuls leurs enfants pourront plus facilement concilier leurs différents temps de vie, accéder à l'emploi et s'y maintenir - vous savez que l'absence de mode de garde constitue le premier frein pour trouver du travail -, mais également s'accorder des moments de répit bénéfiques à toute la famille. En outre, pour lutter contre la pauvreté des enfants, les prestations familiales seront revalorisées au 1er avril pour tenir compte de l'inflation, comme il est d'usage.

Toutes ces mesures entraîneront une hausse des dépenses de près de 2 milliards d'euros pour la branche famille en 2025. Je sais que vous formulerez des propositions complémentaires, notamment sur le projet de congé de naissance, qui répond à des enjeux de développement de l'enfant durant ses mille premiers jours de vie et d'égalité entre les femmes et les hommes. Nous continuerons de travailler sur ce sujet avec Salima Saa et Agnès Canayer pour le rendre le plus pertinent possible.

L'ambition de fraternité affichée par le Premier ministre s'appliquera également aux personnes en situation de handicap - je sais, monsieur le président, que cette question vous tient particulièrement à coeur. Charlotte Parmentier-Lecocq et moi-même souhaitons conforter la dynamique lancée par les jeux Paralympiques en faveur d'une société plus inclusive. Aussi prévoyons-nous dans ce PLFSS une accélération du déploiement des 50 000 nouvelles solutions d'accompagnement en portant l'enveloppe à 270 millions d'euros au lieu des 200 millions annuels initialement prévus - le budget total de l'opération devant atteindre 1,5 milliard d'euros à l'horizon 2030.

En effet, les concertations menées avec les agences régionales de santé (ARS), les départements et les associations avançant rapidement et chacun jouant le jeu, nous avons souhaité conforter cette dynamique. L'effort supplémentaire doit rendre possible dès 2025 le déploiement effectif de 15 000 solutions davantage adaptées aux besoins spécifiques des personnes handicapées.

Nous porterons une attention particulière à l'école pour tous, à laquelle je crois. Un camarade de classe en situation de handicap peut devenir un ami, un collaborateur ou même un futur conjoint. Il est important que la société inclusive que nous appelons de nos voeux démarre dès le début de la vie pour lutter contre tous les préjugés. Le développement de l'école inclusive nécessite des moyens en matière d'accompagnement médico-social, que nous avons déjà déployés dans quatre départements. Nous irons plus loin en 2025, avant une généralisation.

Le fonds de transformation de l'offre de 250 millions d'euros pour déployer des instituts médico-éducatifs (IME) à l'école est confirmé dans le PLFSS pour 2025. Nous mettons tout en oeuvre pour que les personnes concernées bénéficient de l'accompagnement dont elles ont besoin pour mener la vie qu'elles souhaitent et exercer pleinement leur autonomie. Il y va de l'égalité des droits et des chances promise par la loi du 11 février 2005, dont nous fêterons bientôt les vingt ans. Nous serons à votre écoute sur les sujets liés au handicap.

J'en viens au défi majeur que représente le vieillissement de notre population. Le nombre de personnes de plus de 85 ans nécessitant un soutien à leur autonomie va fortement augmenter dans les années à venir. Il convient de s'y préparer en nous assurant que l'offre globale d'Ehpad, de services à domicile et de solutions intermédiaires et innovantes comme les colocations intergénérationnelles ou les résidences autonomie soit adaptée aux besoins. Dans l'intérêt des résidents comme des professionnels, nous devons mettre fin aux difficultés financières des Ehpad.

Quelque 90 % des Ehpad de demain sont déjà en place, et nous avons besoin d'eux. Les difficultés financières étant structurelles, comme l'a montré le rapport d'information sénatorial de Mmes Deseyne, Nadille et Souyris intitulé Ehpad : un modèle à reconstruire, nous devons apporter des solutions pérennes. Les taux d'occupation n'ont jamais retrouvé leur niveau antérieur à la crise sanitaire, ce qui prouve qu'une transformation des Ehpad est nécessaire pour répondre aux besoins et aux envies des personnes âgées.

Au-delà du bien vieillir, il nous faut des lieux de bien vivre. Notre pays regorge d'exemples de diversification à cet effet : étudiants logés en Ehpad, crèches conjointes, services publics adossés, lieux de convivialité pour un quartier entier... Des investissements immobiliers supplémentaires sont prévus dans le PLFSS et nous avons donné la consigne que les crédits devaient être consommés rapidement en 2025. Ce travail sur le modèle des Ehpad se poursuivra dans les années à venir.

J'ajoute que les Ehpad ne sont pas uniquement financés par la sécurité sociale : la majorité des financements proviennent des usagers, qui payent un tarif hébergement, et une part est assumée par les départements. Alors que les dotations annuelles des ARS ont augmenté d'environ 50 % depuis 2019, les tarifs hébergement et les financements de l'autonomie ont suivi des évolutions très variables en fonction des territoires, mais ont globalement diminué, malgré l'inflation, l'intensification des besoins et les nécessaires revalorisations des professionnels.

En complément d'une mesure sur les tarifs hébergement prévue par la loi, nous finançons de manière volontariste l'expérimentation du rattachement de la section « soin et entretien de l'autonomie » à la branche de la sécurité sociale du même nom. Cette démarche était souhaitée par le secteur et nous l'élargissons dans le PLFSS à vingt-trois départements qui se sont portés candidats. Cette mesure simplifiera le travail de gestion, ce qui permettra aux professionnels de passer plus de temps auprès des résidents. De plus, elle harmonisera vers le haut le niveau de financement de l'entretien de l'autonomie, pour un surcoût total d'environ 200 millions d'euros pour la sécurité sociale.

Les moyens de tous les Ehpad augmenteront pour recruter environ 6 500 professionnels supplémentaires dès l'année prochaine, afin d'accélérer la création de 50 000 équivalents temps plein (ETP) qui a été annoncée à l'horizon 2030. Ces évolutions entraîneront une hausse d'environ 6 % du sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) dédié aux personnes âgées par rapport à l'année dernière.

Accompagner le vieillissement implique également de soutenir nos aides à domicile. Grâce à elles, nous pourrons réaliser le souhait de nombreux Français de vieillir chez eux, que ce soit au sein du domicile historique ou d'une résidence autonomie. En accord avec la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, dite loi Bien vieillir, nous proposons une nouvelle aide financière de 100 millions d'euros à destination des départements, qui la reverseront aux aides à domicile pour soutenir une partie de leurs dépenses de mobilité. En effet, la plupart de ces professionnels - souvent des femmes - sont parfois obligés de piocher dans leur salaire pour financer leurs déplacements professionnels, ce qui n'est évidemment pas acceptable.

J'en terminerai en abordant un des sujets sur lesquels je travaille depuis plusieurs années : les 11 millions d'aidants de personnes en situation de handicap ou de personnes âgées en perte d'autonomie. Le PLFSS prévoit une augmentation des moyens afin de créer de nouvelles places de répit. Je souhaite également donner un nouveau souffle à la stratégie aidants, qui a été quelque peu freinée par les récents soubresauts démocratiques. Ainsi, un comité de suivi aura bien lieu avant la fin de l'année.

Les différents ajouts à la trajectoire initiale de la branche autonomie aboutissant à une hausse de dépenses de l'ordre de 2,4 milliards d'euros en 2025, celle-ci accusera un déficit dès l'année prochaine, pour plusieurs années. J'assume ces investissements nécessaires, mais il est désormais acté que l'affectation à la branche de 0,15 point de contribution sociale généralisée (CSG) ne garantira pas le rythme de déploiement de l'offre sur le long terme.

Sur ce sujet, je serai très clair : le Gouvernement ne fait pas un tabou du principe d'une hausse de recettes en vue de poursuivre l'adaptation de notre société au grand âge. Toutefois, nous devons veiller à ne pas détériorer l'équilibre financier dont nous dépendons tous collectivement. Nous devons garder à l'esprit l'impératif d'efficience que nous devons à l'ensemble des contribuables, qui implique une juste répartition entre solidarité et responsabilité individuelle.

Nous avons élaboré ce texte dans des délais très contraints. Il s'agit donc d'une proposition initiale, que je considère comme perfectible, dans la limite de ce qu'exige la situation actuelle de nos finances publiques.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - Je vous remercie de votre présentation, monsieur le ministre.

Tout d'abord, vous avez abordé l'expérimentation dans 23 départements d'une réforme très attendue. Est-il prévu, dans le cadre de cette expérimentation, que la tarification des établissements tienne davantage compte du volet prévention ?

Ensuite, la situation financière des Ehpad est préoccupante. Les Ehpad publics s'inquiètent particulièrement de la hausse de quatre points du taux de cotisation des employeurs territoriaux et hospitaliers à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), alors que la reconduction du fonds d'urgence ne semble pas prévue. Comment répondez-vous à ces préoccupations ?

Enfin, le dossier de presse du PLFSS mentionne le déploiement du fonds de transformation de l'offre dans le champ du handicap, qui représente 250 millions d'euros sur la période 2024-2027. Quel sera le montant de l'enveloppe pour l'année 2025 et quelles seront les mesures financées ?

Mme Marie-Pierre Richer, présidente du groupe d'études Handicap. - J'interviens en tant que présidente du groupe d'études Handicap.

Monsieur le ministre, le dossier de presse du PLFSS indique que la hausse de l'objectif global de dépenses (OGD) doit notamment permettre de renforcer l'offre de répit, en accord avec la stratégie de mobilisation et de soutien pour les aidants 2023-2027. Pouvez-vous détailler les mesures qui seront financées à ce titre en 2025 ?

Ensuite, comme l'a rappelé le président de notre commission, les acteurs du handicap sont dans l'attente de la réforme sur le remboursement intégral des fauteuils roulants, qui devait intervenir avant la fin de l'année. Pouvez-vous nous confirmer que cet engagement sera tenu ? Si ce n'est pas le cas, quels sont à ce jour les points bloquants ?

Enfin, cela fait déjà dix ans que la réforme tarifaire des établissements et services pour personnes handicapées, dite Serafin-PH, est à l'étude. Cette réforme doit simplifier le système de financement en le connectant davantage aux besoins et en soutenant la transformation de l'offre des établissements et services. Quelles orientations ont-elles finalement été retenues pour cette réforme ? Pouvez-vous nous confirmer son déploiement en 2025 ?

Par ailleurs, permettez-moi d'effectuer un pas de côté pour aborder la situation des Ehpad. Le président du conseil départemental du Cher, Jacques Fleury, a fait voter une motion lors d'une assemblée départementale pour faire reconnaître les difficultés en matière d'accompagnement des personnes âgées dans les territoires. Les élus départementaux du Cher ont également lancé une pétition pour réclamer une loi sur le grand âge qu'il est possible de signer jusqu'au 8 novembre, date à laquelle des assises départementales du grand âge seront organisées par la collectivité. Travaillez-vous sur cette loi tant attendue sur le grand âge ?

Mme Anne-Sophie Romagny, en remplacement de M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Le PLFSS pour 2025 ne comporte aucune mesure nouvelle concernant la branche famille. Toujours fortement affectée par des transferts au profit des autres branches ou par la prise en charge des indemnités journalières du congé postnatal, la branche famille devrait être à l'équilibre en 2025 et déficitaire en 2026.

Le cadre budgétaire du PLFSS semble assurer le financement de la réforme du CMG « emploi direct », qui a été adoptée dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2023 et a pour objectif de réduire le reste à charge pour les familles modestes choisissant une assistante maternelle ou une garde d'enfant à domicile. Toutefois, il est estimé dans l'étude d'impact de cette réforme que 43 % de familles seraient perdantes. Même si d'heureux ajustements ont été réalisés lors du PLFSS pour 2024, le chiffre définitif dépendra pour beaucoup des modalités d'application et de calcul qui doivent être définies par décrets. Or ces derniers ne sont pas encore publiés...

Quelles dispositions le Gouvernement prend-il pour limiter au maximum le nombre de familles perdantes ? Pouvez-vous nous préciser selon quel calendrier seront pris les décrets d'application ?

Comme nous avons souvent eu l'occasion de le dire, la précédente convention d'objectifs et de gestion (COG) n'a pas tenu toutes ses promesses quant au nombre de places créées en EAJE. D'après les premiers chiffres transmis au rapporteur, le premier bilan de la COG 2023-2027 est également en deçà de l'objectif affiché de créer 35 000 places d'ici à 2027. Quelles sont les voies envisagées par le Gouvernement pour - enfin ! - atteindre les objectifs annoncés ?

Enfin, si le service public de la petite enfance doit voir le jour au 1er janvier 2025, son application concrète suscite de nombreuses interrogations dans nos collectivités. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 prévoit une compensation à hauteur de 86 millions d'euros pour les collectivités organisatrices de l'accueil du jeune enfant. Est-ce suffisant pour que les communes fassent face à l'accroissement des charges induit par leurs nouvelles compétences ? Par ailleurs, comment cet accompagnement financier s'inscrira-t-il dans le temps ?

Comme Chantal Deseyne, je me permets d'effectuer un petit pas de côté pour aborder la question de l'expérimentation sur l'entretien de l'autonomie. Si cette mesure de simplification semble bien accueillie, les décrets d'application n'étaient toujours pas pris au mois d'août. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Monsieur le ministre, votre présentation est enthousiasmante, puisque le budget augmente dans un contexte pourtant difficile. Je trouve prometteur que vous évoquiez un budget d'investissement pour l'avenir. Toutefois, je m'interroge sur la concrétisation de ce PLFSS dans la mesure où la baisse des allègements généraux prévue par ailleurs frappera une partie des métiers liés à l'accompagnement des familles, des seniors et des personnes handicapées.

Je me réjouis de votre déclaration sur les petits Ehpad, qui ont en effet toute leur place dans l'offre de soins, à condition de mutualiser leurs moyens, de les faire travailler ensemble et de diversifier leur offre. Je suis très heureuse qu'on se départisse de l'idée qu'un Ehpad devrait compter au moins 100 places. Non seulement cette idée mettait en danger les établissements situés dans des zones rurales, mais elle allait à l'encontre d'un accueil familial et humaniste de nos aînés.

Les investissements d'avenir que vous évoquez porteront-ils en partie sur des innovations ? Je pense par exemple aux maisons de vie, qui ont vocation à accueillir des personnes en fin de vie ailleurs qu'à l'hôpital, où l'accompagnement tend à déshumaniser les patients.

Je m'interroge également sur l'application du Ségur de la santé. Chacun d'entre nous est sensible au fait que les métiers de l'accompagnement ne sont pas assez rémunérés. Le Ségur a en partie répondu à ce problème, mais certains départements n'appliquent pas encore les hausses de rémunération prévues. Par ailleurs, certaines associations comme les centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) n'ont pas la capacité financière d'assumer la rétroactivité de la prime Ségur, et sont menacées de fermeture. Comment comptez-vous répondre à ces attentes budgétaires ?

M. Paul Christophe, ministre. - Je vais essayer de répondre à cette série de questions très pertinentes, d'entrer dans la danse, même s'il y aura quelques pas de côté...

Ministre depuis seulement quatre semaines, j'ai dû prendre la mesure de plusieurs sujets. Pour autant, j'avais déjà eu l'occasion de rencontrer bon nombre d'entre vous au titre de mon ancien mandat de député.

La réforme relative au remboursement des fauteuils roulants est complexe, si complexe qu'elle a occupé plusieurs de mes prédécesseurs.

Je suis accompagné par Charlotte Parmentier-Lecocq sur cette question, impliquant fabricants, distributeurs et bénéficiaires. Nous travaillons également avec le député Sébastien Peytavie, qui se déplace en fauteuil roulant. Celui-ci a déposé une proposition de loi susceptible, si les négociations en cours n'aboutissent pas, d'être discutée en décembre. Mais j'ai bon espoir : nous avons obtenu un accord des constructeurs et d'une partie du monde associatif ; il manque les distributeurs.

La question du conseil est venue percuter cette réflexion. Je pense, par exemple, à la question des assises et des coussins : s'ils ne sont pas de bonne qualité, les dommages corporels peuvent être importants. Pour des raisons évidentes de conflit d'intérêts, le conseil ne peut être délivré par le vendeur.

J'ai donc la volonté d'aboutir d'ici à la fin de l'année, l'idée étant de fixer une prise en charge « au juste prix », sans subir d'effets de bord. Nous nous sommes notamment rendu compte qu'un fauteuil vendu aujourd'hui 500 euros et pris en charge à ce niveau pourrait, demain, être vendu 2 500 euros. Garants du bon usage de l'argent public, nous cherchons aussi à garantir l'effectivité de la prise en charge, puisqu'il existe aujourd'hui des effets de seuil. Par exemple, l'ajout d'une peinture spécifique sur un fauteuil roulant peut accroître son prix de 100 euros seulement, mais faire perdre un remboursement de plusieurs milliers d'euros. C'est ubuesque !

S'agissant de l'expérimentation menée sur les Ehpad, partis d'un champ restreint de 10 départements, nous sommes rapidement passés à 20 et essayons désormais de stabiliser ce nombre à 23. L'idée est de garantir une équité sur les tarifs proposés à l'échelle nationale et de tirer les prises en charge vers le haut, avec une dépense supplémentaire pour la sécurité sociale de l'ordre de 200 millions d'euros. Cela donnera un peu d'air à certains Ehpad.

Le volet prévention est l'une de nos préoccupations : plus on est efficace dans ce domaine, moins on a de risques de survenue de pathologies. Je travaille également sur la question du fonds d'urgence - ce n'est pas forcément ainsi que je vais le nommer -, cherchant plutôt, dans le contexte actuel, à réorienter les crédits. Il se peut que je fasse des annonces, vendredi prochain, à destination des Ehpad en difficulté.

Peut-être est-ce utile que je m'arrête un instant sur la question des Ehpad. Je voudrais, comme je le disais précédemment, que l'on fasse dans les Ehpad une place au « bien vieillir », mais aussi au « bien vivre ». Comment ces établissements - quel que soit le nom qu'on leur donne au final - peuvent prendre leur place dans la société, dans la ville ou le village ? Comme en faire des lieux supports, en repartant de l'expression des besoins du territoire ? En travaillant sur des réponses à différents besoins - nous avons même l'exemple d'une crèche qui, demain, sera hébergée dans un Ehpad -, nous pourrions envisager de mixer les crédits et sortir de la jauge de rentabilité. À cet égard, je le répète, je tiens à nos petits Ehpad : ils ont leur place dans le maillage territorial, l'enjeu étant de leur redonner une nouvelle vie.

Cela renvoie aussi - permettez-moi un nouveau pas de côté - à l'attractivité des métiers. Aujourd'hui, il est difficile d'attirer les jeunes dans les services autonomie à domicile (SAD) en leur expliquant qu'ils vont y travailler pendant quarante, voire quarante-trois ans. L'idée d'une potentielle évolution des Ehpad vers des lieux supports de vie vise aussi à travailler sur une perspective métier, avec une approche plus horizontale, une même personne pouvant envisager un passage du Sad à un Ehpad, puis à une crèche ou à une association du secteur du handicap. Cela impliquerait de construire des parcours et reconnaître certaines qualifications.

Ce travail sur, à la fois, la transformation de l'offre autour des Ehpad et la transformation de l'offre autour des métiers est envisagé comme un travail collaboratif, auquel je vous invite à participer.

Cela nous permettra aussi de répondre aux besoins. Comme je l'indiquais, nous finançons le recrutement de 6 500 ETP en Ehpad à l'horizon de 2025. Encore faudra-t-il trouver les candidats... Certes, nous allons prochainement lancer une campagne sur l'approche métier, mais il faut encourager les vocations, ce qui implique aussi parfois, comme je l'ai dit en réponse à une question d'actualité au Gouvernement, de dire du bien de ceux qui travaillent. Souvent, on entend parler des établissements au travers des scandales, alors que beaucoup d'entre eux fonctionnent correctement et emploient des salariés investis.

S'agissant du fonds de transformation visant à accompagner l'ingénierie, nous serons très attentifs à la consommation des crédits et aux effets dans nos territoires. On nous incite effectivement parfois à inscrire des crédits sans prêter beaucoup d'attention à leur consommation.

Par ailleurs, nous entendons accélérer le développement de l'offre de répit pour les aidants, avec 20 millions d'euros inscrits en décaissement pour 2025 et un travail sur les villages répit. Le sujet est très important, car il faut apporter aux 11 millions d'aidants - on n'ose imaginer à combien s'élève la valorisation de leur action - toute l'attention qu'ils méritent.

Vous entendrez également parler d'une relance de la formation : personne n'est préparé à être aidant et le fait d'être en permanence en accompagnement de la maladie peut être psychologiquement difficile, on peut vite être maltraitant sans le vouloir. Il faut donc aussi veiller à cette thématique d'accompagnement des aidants et, comme je l'indiquais, le comité stratégique sera relancé dans ce domaine.

Enfin, je souhaiterais travailler sur le congé de proche aidant. Embarquant initialement les groupes iso-ressources (GIR) 1 à 2, il a été étendu aux GIR 3 à 4. Il est établi à hauteur du Smic, et je ne sais pas s'il sera possible de le revaloriser. Mais nous pouvons examiner la question de la temporalité, puisque ce congé - limité à 66 jours - est pour l'heure plutôt vu comme un one shot, alors que l'on peut être plusieurs fois aidant dans sa vie. C'est un sujet sur lequel je serai heureux d'entendre vos réflexions de parlementaires.

S'agissant de la loi sur le grand âge, elle me semble réunir - je suis en fonction depuis quatre semaines - beaucoup d'idées, peu de financement et un caractère d'urgence. Quand j'ai porté l'amendement visant à créer la cinquième branche de la sécurité sociale au moment de l'examen du projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie, j'avais dit au ministre de l'époque : « Ne nous laissez pas au milieu du gué ! » ; sans doute faut-il que je me le répète aujourd'hui... Il va effectivement falloir se retrousser les manches pour construire une trajectoire financière et l'accompagner. On ne va pas se mentir, la loi sur le grand âge est une question de finances. C'est aussi une question de gouvernance et de stratégie. Quand j'interroge mes administrés sur la question, ils veulent tous vieillir à domicile, mais ils sont beaucoup moins nombreux à penser qu'ils vont pouvoir vieillir dans leur maison. Il y aussi des choses à faire sur ces questions.

Par ailleurs, nous examinons la question du CMG linéarisé et du risque que certains y soient perdants. Les concertations ne sont pas achevées, mais les décrets sont prévus pour l'été 2025, afin de garantir une mise en oeuvre de la réforme au mois de septembre 2025 comme le prévoit la loi.

Sur les créations de places de crèche, la trajectoire n'a pas été bonne en 2023. Nous avons prévu 86 millions d'euros - c'est un montant a minima - pour accompagner les mesures nouvelles et la mise en place du service public de la petite enfance. J'y crois beaucoup, car ce dispositif donne la main aux communes ou, le cas échéant, aux intercommunalités si elles en ont la compétence. Nous allons mettre en place un référentiel national d'ici à la fin de l'année, dans un souci de meilleur accompagnement des besoins et de contrôle de la qualité. Certains scandales montrent effectivement que nous avons été défaillants en matière de contrôle, et ce, peut-être, parce que nous n'avions pas les bons outils à disposition. L'enjeu est donc, à la fois, d'établir une grille de lecture pour améliorer la pertinence du contrôle et de mettre en place une organisation associant les services de l'État, les départements, les CAF et l'ensemble des acteurs permettant au minimum un contrôle annuel. L'objectif est d'avoir des lieux d'accueil de la petite enfance bienveillants dans lesquels les professionnels de la petite enfance peuvent travailler sereinement.

S'agissant de l'effet des exonérations employeurs, nous serons évidemment très attentifs au secteur médico-social. Dans celui-ci, la fourchette se situe principalement entre 1,2 et 1,9 Smic ; il devrait donc être relativement préservé des effets de la réforme. Mais le sujet est en discussion, notamment au sein des deux chambres, et je vous invite à être vigilants pour préserver ce secteur, qui m'est cher.

Pour la CNRACL, nous allons compenser intégralement la section soins. La section hébergement relève plutôt des départements, mais l'on peut voir, à ce niveau, l'intérêt des tarifs différenciés - autre évolution permise par la loi Bien vieillir.

Mme Corinne Bourcier. - La prévention permet des économies non négligeables pour notre système de santé. Elle permet d'éviter des soins coûteux grâce à une détection précoce de la maladie. Comment interpréter l'absence dans ce texte de dispositifs de soutien à la prévention, notamment pour le cancer ? Soutiendrez-vous des amendements remédiant à cette absence ?

Mme Pascale Gruny. - J'ai déjà eu l'occasion de faire un focus sur le faible recours à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), malgré sa revalorisation et le relèvement du seuil de récupération sur succession des sommes versées à ce titre. Envisagez-vous des mesures à ce sujet ?

Par ailleurs, je vous ai bien entendu sur l'école inclusive. Celle-ci est possible avec un accompagnement très solide. Or il me semble que certains enfants seraient mieux accompagnés dans des établissements ; comme il n'y en a pas, on fait autrement, mais avec peu de moyens. En définitive, je vois sur le terrain des enfants, des parents et des enseignements qui ne sont pas heureux. C'est une vraie question. J'étais parlementaire voilà vingt ans, la loi de 2005 est la première que j'ai votée à mon arrivée... Mais je pense qu'il faut veiller à ne pas créer de la souffrance.

M. Laurent Burgoa. - Vous avez été rapporteur pour avis de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du PLF. À ce titre, je souhaiterais vous interroger sur la réforme tant de fois annoncée de la solidarité à la source, laquelle prend enfin forme. Le préremplissage des déclarations trimestrielles de ressources pour les bénéficiaires est expérimenté dans cinq départements ; il est de nature à simplifier les démarches administratives et réduire le risque d'indus. Pouvez-vous confirmer la généralisation de cette expérimentation dès mars 2025 ? Quelles sont les prochaines étapes ?

Mme Monique Lubin. - Je souhaite d'abord vous interroger sur la protection de l'enfance et les enfants concernés par les vulnérabilités multiples. Dans les Landes, 350 enfants sur les 1 250 protégés sont en situation de handicap - une proportion très importante. Le département prend sa part de responsabilité, il a investi 2 millions d'euros supplémentaires en budget de fonctionnement sur les années 2023 et 2024 pour améliorer l'accueil. Les sommes engagées par l'État dans le cadre du plan 50 000 solutions sont bien inscrites dans le PLFSS, mais, dans la réalité, nous n'en voyons pas la couleur ! Quelles sont réellement les priorités en matière de protection de l'enfance ?

Les dispositions du Ségur de la santé ont été étendues à tous les salariés du secteur non lucratif de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale, sans aucune mesure de compensation. Pour mon département, cela représente 1,5 million d'euros. Il faut impérativement nous aider. Sans cela, le Ségur ne sera pas respecté.

S'agissant des Ehpad, nous constatons que l'État procrastine sur les mesures à engager pour la cinquième branche. Pardonnez-moi de citer encore mon département : nous avons consacré 8 millions d'euros en 2023 et 8 millions d'euros en 2024 au soutien des Ehpad et, dans le même temps, les crédits de l'État diminuent. Il est à craindre que nous ne puissions pas maintenir de tels efforts, compte tenu des coupes annoncées dans le budget des collectivités territoriales. Que nous proposez-vous ?

M. Daniel Chasseing. - En tant que député, vous avez travaillé sur le défi qui se présente à nous en matière de prise en charge de la dépendance. Dans le PLFSS, vous annoncez une augmentation du budget de la branche autonomie, pour rénover les Ehpad, mais aussi recruter 6 500 professionnels - environ un par établissement - et atteindre 50 000 salariés dans les années 2030. C'est effectivement ce que nous espérions avec la loi de 2021 et la création de la cinquième branche de l'assurance maladie.

Malgré les difficultés de la sécurité sociale, je vous remercie de veiller à cette trajectoire de 6 500 embauches par an pendant cinq ans, afin que nous puissions prendre en charge décemment nos aînés. Qu'en est-il de cette trajectoire ? Dans les 50 000 postes envisagés, pourra-t-on compter sur un certain nombre de postes en services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ?

Mme Corinne Féret. - Sans vous manquer de respect, monsieur le ministre, j'observerai qu'avant d'entrer au Gouvernement, vous avez été député et président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Je ne doute pas du temps qu'il faut pour s'approprier les dossiers, mais vous ne les découvrez pas, pas plus que nous après avoir auditionné à plusieurs reprises vos prédécesseurs et débattu chaque année des PLFSS et autres textes.

Le vieillissement de la population est inéluctable. Nous sommes donc face à un défi majeur pour la société. Quels moyens pour le relever ? Ce PLFSS fait apparaître une évolution de l'Ondam, notamment, et des créations d'emplois. Mais c'est insuffisant. Les Ehpad, vous l'avez rappelé à juste titre, sont en grande difficulté et ce n'est pas l'aide ponctuelle du Gouvernement qui a permis de les remettre à flot. Vous évoquez des créations de postes : elles sont aussi insuffisantes. L'objectif de 50 000 postes était initialement prévu pour 2027, on l'a repoussé à 2030 et la marche à franchir est encore très haute.

La création de la cinquième branche nous avait donné beaucoup d'espoir. Mais, PLFSS après PLFSS, nous voyons qu'il s'agit d'une coquille vide.

Nous avons voté, voilà quelques mois, une proposition de loi sur le bien vieillir. Nous attendons effectivement une grande loi sur le grand âge depuis six ans et, malgré tous les engagements pris, on ne voit toujours rien venir. Il était question de légiférer sur une programmation pluriannuelle... D'un côté, on nous a dit que la question ne pouvait être traitée dans le cadre d'un texte budgétaire comme le PLFSS ; de l'autre, on a refusé de le faire dans le cadre de la proposition de loi Bien vieillir. Permettez donc que nous ayons des interrogations sur les intentions affichées par le Gouvernement !

Ce PLFSS est malheureusement insuffisant, et ne pensez pas que, de ce côté de la salle, nous soyons irresponsables : nous sommes conscients de la situation financière du pays, mais nous n'avons pas manqué de vous alerter, vous, vos prédécesseurs et vos collègues de l'Assemblée nationale, sur une situation gravissime et dramatique.

M. Paul Christophe, ministre. - La prévention des maladies relève sans doute plus de ma collègue. Pour autant, nous sommes tous d'accord pour dire que faire preuve d'anticipation dans ce domaine nous permettra de limiter les pathologies lourdes dans les années à venir. Des programmes sont d'ores et déjà engagés pour différentes tranches d'âge - 20-25 ans, 40-45 ans - et des prises en charge gratuites sont très peu utilisées, ce qui souligne la nécessité de renforcer la communication à destination des potentiels bénéficiaires.

De manière générale, il faut renforcer la prévention à tous les âges, car un diagnostic précoce accroît les chances de guérison et limite la lourdeur des séquelles. Il s'agit d'un sujet transversal auquel j'accorde la plus grande attention, Mme Darrieussecq étant animée par la même volonté.

Par ailleurs, il faut accorder les moyens nécessaires à l'école inclusive. En matière de formation, j'observe que l'éducation nationale dispose d'un référentiel distinct pour les enseignants et pour les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), alors qu'il serait intéressant d'avoir le même support puisqu'ils interviennent en même temps, souvent auprès des mêmes élèves. En outre, certains cas relèvent plutôt du médico-social : à ce titre, je suis très sensible à l'expérimentation en cours dans quatre départements qui confie un rôle au secteur médico-social à l'école. Au moment où il faudra expertiser la belle loi de 2005, il sera intéressant de se pencher sur les résultats de ces expériences afin d'identifier des axes d'amélioration. Dans ce domaine, je pense que la mixité a du sens, mais sans porter préjudice à la qualité de l'enseignement prodigué, l'équilibre n'étant pas toujours aisé à trouver.

Concernant la réforme de la solidarité à la source, qui est expérimentée dans cinq départements et qui sera généralisée l'an prochain, nous avons pu mesurer son efficacité sur l'accès aux droits. De plus, elle facilite la tâche des agents qui accompagnent les demandeurs et limite fortement les indus, les déclarations requises pour certaines prestations n'étant pas toujours aisément lisibles. Un maquis organisationnel était à l'origine d'indus qu'il était excessivement compliqué de récupérer, sans oublier le fait qu'il s'agit d'un motif de non-certification de la branche. Je confirme donc que la généralisation à l'ensemble du territoire interviendra à l'horizon 2025.

J'en viens aux vulnérabilités multiples, en précisant que 50 millions d'euros sont prévus pour ce sujet. Je pense que nous devons à des enfants déjà victimes de la société au titre de la parentalité un meilleur accompagnement, et que nous avons de grands progrès à faire sur l'aide sociale à l'enfance (ASE), en privilégiant un accompagnement vers l'avenir et en intervenant plus tôt auprès des enfants pour les aider à se déterminer, soit par rapport à leur parcours scolaire, soit par rapport à un éventuel parcours professionnel. Je précise qu'il doit s'agir d'un accompagnement dans la durée, particulièrement nécessaire pour des enfants fragilisés par la vie. Je vérifierai les chiffres concernant votre département.

S'agissant du Ségur, on me dit que l'État n'a pas été au rendez-vous, mais je rappelle que concernant les Ehpad, son financement a progressé de 50 % sur la partie « soins » depuis 2019. Par ailleurs, concernant l'expérimentation du régime de financement des Ehpad, après une réticence initiale et une limitation à une dizaine de départements, je constate que les candidatures à l'expérimentation se sont multipliées. Puisque l'expérimentation est prévue pour durer quatre ans, je serai très sensible à l'initiative parlementaire qui viserait à réduire cette durée au regard des attentes des départements qui se montrent volontaires.

La situation financière des Ehpad, quant à elle, invite à repenser leur modèle économique, la diversification de l'offre étant sans doute une piste à explorer pour assurer d'autres équilibres financiers. Des mesures de mutualisation sur certains supports d'ingénierie pourraient également être examinées. Si je suis très ouvert sur cette question, je suis responsable du bon usage de l'argent public et souhaite m'assurer que nous fassions sortir ces établissements d'une spirale très négative sur le plan financier, mais également humain : pour les gestionnaires et les personnels, être sans arrêt à la recherche de petites économies a quelque chose de « traumatisant ».

Pour ce qui est des recrutements, 6 000 ETP ont été financés l'an passé et 6 500 ETP le sont cette année. Je le redis avec beaucoup d'humilité : ce n'est pas parce que j'inscris des crédits que je trouve des candidats. Il nous appartient collectivement de redonner leurs lettres de noblesse à ces beaux métiers et de susciter des vocations, une campagne de communication sera justement proposée pour la fin de l'année. Elle ne sera cependant pas suffisante et nous devrons agir dans les territoires pour faire en sorte que ces métiers soient pourvus. Là aussi, la diversification de l'offre des Ehpad doit permettre de rendre plus perceptibles l'intérêt de ces métiers et les évolutions proposées. Au reste, ces établissements doivent pouvoir évoluer pour proposer des solutions attractives et de proximité, d'où l'intérêt de disposer d'un maillage adéquat et de pouvoir s'appuyer sur de petits établissements.

Enfin, la problématique du grand âge ne se limite pas à la problématique du financement, mais englobe aussi la gouvernance et l'organisation. Je lancerai le plus vite possible une conférence nationale sur le sujet, avec l'idée de s'inspirer de ce qui a été fait en matière de handicap pour adapter l'offre et réfléchir à la place de l'usager, insuffisamment associé à ce stade.

Quant à la « coquille vide » que vous évoquez, cette dernière pèse déjà 42,4 milliards d'euros alors que nous prévoyions 40 milliards d'euros à l'horizon de 2027. Certes, ce n'est pas suffisant et nous devrons trouver d'autres financements, mais la formule me semble inappropriée.

Mme Laurence Rossignol. - Monsieur le ministre, comme vous pouvez vous en douter, je vais vous parler des droits des femmes et d'égalité. Je reste un peu sur ma faim, car je m'attendais à ce que vous décriviez, en évoquant le PLFSS, vos priorités et votre politique en matière d'égalité femmes-hommes, ce qui est tout à fait compris dans votre périmètre, y compris sur les questions de santé. Comment appréhendez-vous ce pan de votre portefeuille, même si vous êtes accompagné d'une secrétaire d'État déjà engagée sur le sujet ?

Que pensez-vous, d'ailleurs, de la défiscalisation des pensions alimentaires pour les femmes séparées ? Un amendement a été voté en ce sens à l'Assemblée nationale : pourrons-nous compter sur votre soutien pour maintenir cet amendement dans l'hypothèse funeste - que personne ne souhaite, bien entendu - d'un recours au 49.3 ?

Enfin, l'un de vos nombreux prédécesseurs, Jean-Christophe Combe, avait annoncé, en avril 2023, 200 000 places de crèches, des contrôles et un service public de la petite enfance. Vous avez eu l'honnêteté de reconnaître que l'année 2023 n'avait guère été bénéfique en termes de nombre de places de crèches, et je doute que 2024 soit meilleure. Plus globalement, je n'ai toujours pas compris ce qu'était le service public de la petite enfance : soit il s'agit d'une dépense obligatoire mise à la charge d'une collectivité d'un niveau quelconque, avec des moyens ; soit il s'agit d'un concept fourre-tout.

Dans une séquence où de lourdes menaces pèsent sur les finances des collectivités locales, comment envisager en même temps l'augmentation du nombre de places de crèches ? Depuis plusieurs années, le secteur privé à but lucratif est à l'origine de quasiment tous les nouveaux berceaux, mais il n'a pas sa place dans ce domaine : alors qu'une commune fixe un prix pour un berceau, un acteur privé agissant en délégation de service public (DSP) qui vous propose le même service pour moitié moins proposera forcément une prestation de moindre qualité pour les enfants, avec des personnels moins nombreux et moins bien payés. Pouvons-nous nous accorder sur le fait que le service public de la petite enfance vise à tourner le dos à la place prépondérante qu'a prise le secteur privé à but lucratif dans l'accueil des jeunes enfants ?

Mme Corinne Imbert. - Monsieur le ministre, j'apprécie votre position sur les petits Ehpad : au-delà du sujet de l'aménagement du territoire, la réponse de proximité est également une façon de protéger ces établissements d'une financiarisation excessive. Pour autant, la question de leur capacité à investir lorsque c'est nécessaire est posée, l'impact sur le tarif d'hébergement étant d'autant plus lourd quand le nombre de résidents est plus faible. Certes, il existe un fonds d'intervention régional, mais pensez-vous que nous réussirons à soutenir ces petits établissements tout en répondant à leurs besoins d'investissements ?

Vous avez également évoqué une transformation de l'offre des Ehpad. À cet égard, que pensez-vous de la perspective de voir des résidences autonomie - elles relèvent de la compétence des conseils départementaux - accueillir des personnes en situation de handicap vieillissantes ? La position des deux filières est-elle susceptible d'évoluer ? Comment comptez-vous l'encourager ?

S'agissant de la réforme des services autonomie, j'avais déposé un amendement à l'occasion de la loi pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, afin d'assouplir cette disposition introduite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. En effet, si la réforme est simple à comprendre en théorie, la réalité sur le terrain est bien plus complexe, à la fois pour des raisons liées à la cohérence des périmètres et aux statuts des salariés. Peuvent coexister, par exemple, un Ssiad relevant d'une convention de 1951 et un service d'aide à domicile porté par une collectivité territoriale.

La réforme doit continuer à se déployer là où elle ne pose pas de problème. Néanmoins, seriez-vous prêt à assouplir cette disposition qui, dans certains cas, met à mal des structures et des liens conventionnels noués depuis de nombreuses années ? Reconnaissez-vous, à l'instar de votre prédécesseur, que ces problèmes existent ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - À l'heure du virage domiciliaire, je m'étonne de la faible place des services d'aide et de soins dans nos débats et je pense, monsieur le président, qu'une mission d'information devrait leur être consacrée.

Vous avez évoqué, monsieur le ministre, l'expérimentation de la fusion entre les sections soins et dépendance des Ehpad. J'ai bien entendu que nous pourrions, par des initiatives, accélérer le calendrier, et je crois que c'est nécessaire.

Mon interrogation, cependant, porte sur l'expérimentation du changement urgent - et demandé - de la composante « aide » des SAD. L'appel à manifestations d'intérêt va être clôturé le 4 novembre : avons-nous, monsieur le ministre, dix départements engagés ? Si oui, combien de SAD se lancent-ils dans cette expérimentation qui vise, je le rappelle, à sortir de la tarification horaire et donc du seul critère d'activité, pour aller vers un financement au forfait global ou toute autre modalité compatible avec les Ssiad ? Avoir un forfait comparable paraît nécessaire quand une aide à domicile interviendra aux côtés d'une aide-soignante. Si nous ne disposons pas encore de dix départements volontaires, ne serait-il pas nécessaire de donner un délai supplémentaire comme vous venez de l'accorder pour les Ehpad ? Cette réforme est essentiellement pour lever l'un des obstacles aux services autonomie.

Où en sommes-nous, d'ailleurs, de la mise en place des SAD, au-delà des anciens services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad), et notamment des Spasad intégrés ? Prévoyez-vous de renforcer les moyens d'accompagnement des ARS afin d'aplanir les problèmes de statuts et de périmètres qui semblent enkystés ? Ne nous cachons pas le fait que certains services, notamment ceux qui sont liés à des hôpitaux, comptent sur ces obstacles pour espérer que la réforme ne se fasse pas.

Qu'en est-il de la trajectoire des Ssiad ? Je rappelle que vous devez créer 25 000 places à l'horizon 2030 ; une fois celles-ci créées, comment comptez-vous trouver le personnel requis ? Je rappelle que les personnels ne dépendent pas tous de la convention collective de 1951 : dans mon département, ils relèvent essentiellement de la convention collective de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services (BAD). Cette dernière avait, au bout de nombreuses années, rattrapé son retard sur la précédente, mais l'écart s'est rapidement creusé de nouveau en raison des primes accordées dans le cadre du Ségur aux personnels relevant du texte de 1951. Par conséquent, les services d'aide à domicile ne recrutent plus, les aides-soignants étant partis dans les Ehpad ou d'autres établissements concernés par les augmentations du Ségur.

En conclusion, je suppose que vous avez suivi la journée « Les Vieux méritent mieux », à l'occasion de laquelle la création de déserts médico-sociaux, dépourvus de services domiciliaires, a été dénoncée. Je suis donc dans l'attente d'éclairages sur les services domiciliaires, qui sont en train de mourir faute de personnel.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Monsieur le ministre, je rappelle, comme d'autres collègues l'ont fait avant moi, que vous n'êtes pas vraiment un novice dans la mesure où vous gouvernez le pays avec vos amis depuis sept ans.

Nous pourrions évoquer les problèmes du secteur médico-social pendant des heures tant ils sont nombreux. Dans mon département du Pas-de-Calais, 7 000 enfants sont placés et on ne trouve plus d'assistantes familiales. Vous avez dû entendre parler du récent scandale d'enfants placés dans des familles qui ne disposaient même pas d'un agrément.

J'estime cependant qu'il existe des points communs à tous ces problèmes, qu'il s'agisse de la protection de l'enfance, de l'aide à domicile ou des Ehpad. Vous l'avez fort bien dit : vous avez des places disponibles, mais il n'y a plus de vocations. Je partage ce constat, mais encore faut-il s'interroger sur les causes de cette désaffection. Ces métiers sont à la fois difficiles et peu reconnus, sans oublier le fait que les possibilités de mobilité vers un autre service sont rarement possibles. Il en résulte une fatigue physique, psychique et psychologique, qu'il faudrait compenser par une revalorisation des salaires ; il n'est pas possible que des métiers aussi pénibles soient aussi peu rémunérés.

Que comptez-vous faire dans ce domaine ? Entendez-vous prendre des mesures fortes pour recréer cette vocation, notamment dans les nouvelles générations ?

Quant à la possibilité pour les personnes de rester chez elles - ce qu'elles souhaitent souvent lorsqu'on les interroge -, encore faut-il en avoir les moyens : ce n'est pas une visite d'une heure par jour qui peut les faire se sentir bien chez elles, d'autant que des logements tels que ceux du bassin minier ne sont pas absolument adaptés au maintien à domicile.

Il nous faut trouver de nouveaux modes de fonctionnement pour nos Ehpad et je vous invite à venir à Barlin, dont le maire a décidé, à l'occasion de la fermeture d'une école maternelle, de placer deux classes dans l'Ehpad. C'est formidable, même si les personnes âgées ont pu avoir un peu peur au début ; désormais, elles mangent et vivent avec les enfants, qui redonnent de la confiance aux anciens tout en ayant un nouveau regard.

M. Khalifé Khalifé. - Je rejoins mes collègues au sujet des difficultés des départements à accueillir un nombre grandissant de mineurs non accompagnés (MNA), nombre d'entre eux souffrant d'un handicap.

Par ailleurs, le Sénat a voté l'an dernier, à l'unanimité, un amendement revenant sur l'amendement Creton afin d'expérimenter un dispositif de transition pour les jeunes adultes afin de les sortir des établissements pour enfants. En effet, l'amendement Creton a abouti au blocage de 10 000 places réservées aux jeunes adultes en institut médico-éducatif (IME), celles-ci n'étant pas attribuées à des plus jeunes. Malheureusement, le recours au 49.3 l'a fait disparaître. Envisagez-vous de le reprendre ?

Sur un autre sujet, le groupe Avec, qui compte 348 structures dans le champ de l'aide à domicile et du médico-social, a défrayé la chronique à Grenoble et ailleurs. J'ai transmis un travail à ce sujet à votre prédécesseur : accorderez-vous une attention particulière à ce dossier afin d'envisager des évolutions juridiques et financières ?

Enfin, je souhaitais savoir si vous seriez d'accord pour valider - à budget constant - des transferts d'autorisations de lits d'Ehpad des départements les mieux dotés vers ceux, qui, tels que le mien, souffrent d'un manque de lits.

Mme Annick Petrus. - Vous savez, monsieur le ministre, que l'accès aux Ehpad est encore plus difficile dans les territoires d'outre-mer. Saint-Martin ne compte par exemple qu'un seul établissement, qui, au-delà des personnes en grande perte d'autonomie, accueille des personnes en meilleure santé, mais qui ne peuvent pas rester chez elles pour diverses raisons.

Des solutions intermédiaires, telles que le placement en famille, existent : leur coût a-t-il été évalué ? Elles permettraient sans doute de libérer des places et d'alléger une liste d'attente de plus en plus longue.

Mme Marion Canalès. - Le taux d'accidents du travail a considérablement augmenté chez les femmes, enregistrant une hausse de 42 %, contre une diminution de 21 % chez les hommes. Je m'interroge, en outre, sur le siphonnage des ressources de la branche AT-MP, excédentaire. Les sous-déclarations de ces AT-MP et les sous-reconnaissances des problématiques de maladies ou de cancers féminins interpellent, le tableau des maladies professionnelles étant quelque peu ancien et ne les prenant pas nécessairement en considération, alors que le secteur médico-social est marqué par une forte sinistralité.

L'excédent de cette branche doit-il vraiment être affecté à d'autres branches plutôt qu'à la prévention ?

Pour faire moi aussi un pas de côté, la question du financement de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) est posée, puisque 80 postes sont menacés en dépit de la convention d'objectifs signée en juillet 2024. Cette situation inquiète alors que nous manquons de données statistiques sur les risques professionnels : on organise la cécité et l'inefficacité de nos politiques publiques dans ce domaine.

M. Paul Christophe, ministre. - Madame Rossignol, je n'ai certes pas évoqué l'enjeu de l'égalité femmes-hommes, qui relève du PLF et plus précisément du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », dont les crédits sont sanctuarisés.

Je crois dans le service public de la petite enfance, quatre compétences obligatoires devant être à la main des communes, à savoir le repérage de l'offre, la planification, le contrôle de la qualité et l'information des familles. Je rappelle que nous accordons une attention particulière aux familles monoparentales dans le cadre de la réforme du CMG, qui est un premier pas.

De nombreux sujets doivent être abordés au prisme de ces familles monoparentales, qui comptent souvent parmi les allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Souvent, on ne donne pas les moyens à ces femmes - majoritaires dans ce type de famille - de trouver leur plein épanouissement. Il s'agit d'un axe de progrès fort sur lequel j'entends travailler avec Salima Saa. Je me pencherai, par ailleurs, sur la question de la défiscalisation des pensions alimentaires, mais il va falloir que je trouve un financement.

Mme Laurence Rossignol. - Il faut refiscaliser les pères !

M. Paul Christophe, ministre. - Je vous laisse la main sur ce point en tant que parlementaire : vous ne semblez pas manquer de solutions.

Sur un autre point, il s'agit non pas de 200 000 places de crèches, mais de 200 000 solutions d'accueil, chiffre qui intégrait donc les assistantes maternelles auxquelles je suis très attaché ; d'où ma volonté de porter la réforme du CMG, qui permettait de conserver le même reste à charge, quel que soit le choix des parents. Je pense que nous devons partir des besoins pour imaginer des solutions adaptées.

Pour ce qui est du grand âge, les résidences autonomie représentent selon moi une solution. Une fois encore, évitons une approche qui se limiterait aux Ehpad ou aux services domiciliaires : il nous faut construire un ensemble d'outils, avec une approche territoriale. Vous avez cité l'exemple de cet Ehpad dans le Pas-de-Calais et j'accepterai votre invitation avec plaisir, car j'adore ces initiatives. De la même manière, un établissement des Deux-Sèvres qui ne parvenait plus à remplir ses places a décidé d'accueillir des mineurs non accompagnés, avec un succès de même type puisqu'il en résulte un lien intergénérationnel très stimulant et un échange culturel remarquable. Ce type d'expérience et de lien permet de lutter contre les maladies cognitives et les dégénérescences, et doit être encouragé. J'espère rester en poste assez longtemps pour recenser toutes ces initiatives remarquables, qui ont un véritable sens et permettent d'apporter une réponse circonstanciée dans un territoire donné, grâce à une approche innovante.

À cet égard, je suis favorable à l'accueil des personnes en situation de handicap vieillissantes dans des résidences autonomie. Des parcours restent à créer et à construire, en s'appuyant sur des crédits déjà disponibles.

Concernant les métiers, madame Apourceau-Poly, il est bien question de développer une reconnaissance qui ne passe pas uniquement par les rémunérations - des revalorisations sont intervenues, accompagnées par l'État - et recouvre des enjeux d'évolution de carrière. L'un des problèmes majeurs tient au fait qu'il n'existe parfois pas de portabilité et d'ancienneté entre les structures, ce qui oblige des salariés expérimentés à repartir du salaire de départ. Ce sujet devra être abordé avec les fédérations, afin de développer la possibilité de changer de métier à partir d'un diplôme unique et de bénéficier de la portabilité des droits.

Madame Poncet Monge, je ne dispose pas du nombre exact de départements intéressés par l'expérimentation et vous le communiquerai. Pour ce qui concerne les moyens d'accompagnement, je rappelle que nous y avons consacré 8 millions d'euros à partir des ARS et 11 millions d'euros à partir des départements.

Quant à la fusion des services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad) et des Ssiad, nous devons impérativement accélérer le processus, sans quoi elle n'aura pas lieu. Peut-être faudra-t-il revoir l'approche pour rassurer et mieux accompagner.

Pour en revenir aux résidences autonomie, elles représentent une solution d'avenir aux côtés de l'habitat intermédiaire et des résidences intergénérationnelles.

Les assistantes familiales ont quant à elles bénéficié d'une revalorisation pendant le Ségur. Susciter des vocations passe aussi par une présentation positive de ces métiers, constat qui vaut aussi pour l'ASE. Ce secteur n'est évoqué qu'au travers des scandales et nous avons un important travail d'introspection à effectuer, en s'inspirant des réussites qui peuvent exister. Des outils vont être mis en oeuvre, même si j'ai pris rendez-vous avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), qui s'oppose à la constitution d'un fichier recensant les personnes condamnées, peu recommandables ou qui se sont vues retirer leur habilitation.

Mme Laurence Rossignol. - Il faut harmoniser les critères des départements !

M. Paul Christophe, ministre. - Tout à fait. L'actualité nous a montré, même si le scandale porte sur les années 2010-2017, que les transferts d'enfants de département à départements sont délicats.

Monsieur Khalifé Khalifé, vous avez évoqué l'amendement Creton : un dispositif est envisagé dans le cadre des discussions budgétaires actuelles pour régulariser des situations insatisfaisantes. Je suis en outre preneur du travail que vous aviez transmis à mon prédécesseur.

Pour ce qui concerne les accidents du travail en Ehpad, les taux doivent en effet nous interpeller. Si la branche AT-MP n'est pas sous ma responsabilité, le phénomène de la sous-déclaration doit nous inquiéter, car elle peut masquer des accidents du travail non reconnus, avec les conséquences que l'on connaît pour les personnes concernées. Une mission d'information pourrait sans doute nous éclairer à ce sujet.

Enfin, faire évoluer le tableau des maladies est ardu, comme j'ai pu le constater en accompagnant les victimes du chlordécone dans les Antilles, mais des avancées restent possibles.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles. - Annie Le Houerou et moi-même avons produit un travail sur les enjeux de la branche AT-MP. J'ai également travaillé avec Laurence Rossignol, Laurence Cohen et Annick Jacquemet sur le rapport d'information Santé des femmes au travail : des maux invisibles, dans lequel les troubles musculo-squelettiques ont été mis en avant.

M. Paul Christophe, ministre. - Je suis sensible à vos travaux en tant qu'ancien rapporteur de la branche AT-MP.

Je termine en répondant sur les placements en famille : deux départements - le Nord et La Réunion - sont plutôt allants sur le sujet et la démarche paraît bénéfique, mais la question du statut reste à trancher.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie pour toutes ces précisions. Nous serons force de proposition sur les types de prise en charge et sur les financements, afin de faire en sorte que cette branche puisse répondre à court terme aux problématiques posées, mais aussi afin de participer à une réforme de fond qui permettrait de bâtir une véritable vision pluriannuelle.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 25.

Jeudi 24 octobre 2024

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins

M. Philippe Mouiller, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous accueillons à présent Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins.

Madame la ministre, la situation financière de la branche maladie est préoccupante. Les forts déficits conjoncturels du début de la décennie liés à la gestion de la crise épidémique du covid-19 semblent être devenus des déficits structurels, de plus de 10 milliards d'euros par an, notamment du fait des revalorisations salariales décidées lors du Ségur de la santé. De plus, la nouvelle convention entre l'assurance maladie et les médecins se traduira par des revalorisations pour les professionnels libéraux, certes attendues, mais qui ne seront pas sans conséquences financières pour la branche.

Le Gouvernement a donc annoncé diverses mesures d'économies concernant les dépenses de la branche, dont certaines figurent dans ce PLFSS, tandis que d'autres revêtent un caractère réglementaire. Ces mesures suscitent naturellement des réactions et devraient donner lieu à de riches débats politiques au cours des prochaines semaines.

Sans plus attendre, je vous laisse la parole pour un propos liminaire, avant une séance de questions et réponses.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. -Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravie de pouvoir débattre avec vous du PLFSS pour 2025. Je vous le dis d'emblée, loin du triomphalisme, c'est un discours de vérité que je vais vous tenir, et j'espère que nous pourrons avancer ensemble dans cet exercice qui appelle à la responsabilité.

Le secrétariat général de la commission des comptes de la sécurité sociale présentait le 14 octobre dernier la situation pour 2025 : si rien n'était fait, sans mesure nouvelle, le déficit de la sécurité sociale s'élèverait à 28 milliards d'euros. Ce PLFSS est une étape importante dans le retour progressif à l'équilibre de nos comptes sociaux. Il y va de la soutenabilité et de la pérennité de notre système de protection sociale.

Le déficit de la sécurité sociale sera de 16 milliards d'euros en 2025. Nous mettrons en oeuvre des mesures telles que le report de l'indexation des pensions ou la refonte des allégements généraux. Cependant, ce niveau de déficit n'empêchera pas une augmentation de la dépense des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), pour plus de 18 milliards d'euros cette année. Les besoins croissent et nous les finançons. Notre modèle social et l'héritage du Conseil national de la Résistance doivent être préservés. Ce budget ouvre de nouveaux droits, tout en veillant à l'amélioration de la trajectoire de nos comptes sociaux, vers un retour progressif à l'équilibre.

La santé des Français demeure une priorité. Ce budget le prouve. Il répond aux préoccupations de nos concitoyens pour la santé et l'accès aux soins.

Ce budget est un budget de progrès, comme en témoigne la trajectoire des dépenses. C'est un budget d'action, qui agit en faveur de l'hôpital et de l'accès aux médicaments et aux produits de santé. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) progressera de 2,8 % en 2025, soit un point de plus que l'inflation, pour atteindre 264 milliards d'euros. Il représente une hausse de 9 milliards d'euros par rapport à 2024, et de 63 milliards d'euros par rapport à 2019. Cette progression régulière et permanente traduit la poursuite des investissements et le financement de mesures nouvelles, et vient répondre aux besoins de nos concitoyens.

Nous finançons de grandes priorités : améliorer l'organisation du système de santé ; en assurer le financement ; renforcer nos politiques en matière de psychiatrie et de santé mentale, un domaine dont le Premier ministre a fait une grande cause nationale pour 2025 ; rendre les métiers plus attractifs ; accompagner les innovations.

Concrètement, nous renforçons l'accès aux soins dans tous les territoires. Les maisons de santé pluriprofessionnelles continueront à se développer. Nous accompagnerons toutes les solutions innovantes dans les territoires ; les agences régionales de santé (ARS) financent déjà certaines d'entre elles. La convention nationale avec les médecins généralistes sera respectée, instaurant une consultation à 30 euros. Pour favoriser l'accès aux soins dans tous les territoires, y compris ruraux, nous mènerons un travail fin avec les élus locaux.

Nous agissons aussi résolument en faveur des soins palliatifs. La stratégie décennale décidée l'an dernier débute, avec un budget de 1 milliard d'euros prévu sur dix ans et 100 millions d'euros mis en oeuvre cette année.

La santé mentale a été déclarée grande cause nationale en 2025, et presque 100 millions d'euros supplémentaires sont mobilisés. Nous renforçons par exemple le dispositif « Mon soutien psy », accompagnons la prévention du suicide et renforçons l'offre de soins en pédopsychiatrie dans tous les territoires.

L'axe prévention est toujours aussi important. Le dispositif « Mon bilan prévention » sera généralisé cette année, et j'entends le promouvoir. Il permettra, à certains âges clés de la vie, d'avoir accès à un bilan de prévention réalisé par un médecin, une infirmière ou un pharmacien.

Nous garantirons l'accès aux médicaments, avec une attention particulière portée aux stocks à constituer et à notre action au niveau européen pour éviter toute rupture d'approvisionnement.

J'en viens à l'hôpital, qui présente un sous-objectif de l'Ondam en augmentation de 3,1 %. Le Ségur de la santé, représentant 14 milliards d'euros pour les rémunérations et 19 milliards d'euros pour les investissements, continue de se déployer. Ce PLFSS inclut aussi l'encadrement de la rémunération des intérimaires, qu'ils soient médecins ou paramédicaux, ainsi que l'amélioration des soins critiques.

Ce budget est aussi un budget de responsabilité. Nous travaillons à la pertinence des dépenses et à la responsabilisation de tous les acteurs, face à la croissance des dépenses de santé. J'appelle de mes voeux une coconstruction des grilles tarifaires entre l'assurance maladie et les représentants des professionnels de santé, notamment en matière d'imagerie et de biologie. Nous devons aussi améliorer l'efficience des transports ; les dépenses sont en augmentation vertigineuse. Nous allons élargir le dispositif d'accompagnement des prescripteurs créé dans le précédent PLFSS pour nous assurer de la pertinence des prescriptions. Je pense, enfin, à la simplification du mode de calcul de la clause de sauvegarde pour les médicaments.

Par ailleurs, un effort de 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires est à envisager pour 2025. Il devra être partagé. Nous allons poursuivre le dialogue, notamment avec vous, les parlementaires. Sont envisagés des mesures de transfert vers les complémentaires santé, à hauteur d'un milliard d'euros, la baisse du plafond de prise en charge des indemnités journalières (IJ) financées par l'assurance maladie, un plan de baisse des prix sur les produits de santé, à hauteur d'un ou 1,2 milliard d'euros environ, et des mesures d'efficience à l'hôpital et dans la médecine de ville. Je souhaite laisser toute leur place à la concertation et au débat parlementaire pour identifier les meilleures solutions. Cela étant dit, nos objectifs d'économies devront être atteints : il y va de la crédibilité de nos comptes sociaux.

Notre impératif est d'assurer la soutenabilité de notre système de santé. Ce discours n'est pas nouveau. Il faut associer tous les acteurs et professionnels de santé pour devenir plus efficient. Nous avons une ligne de crête à trouver. Si le budget proposé cette année est un peu paramétrique, à nous d'en faire un enjeu d'avenir.

On parle beaucoup d'une loi d'orientation dans le domaine des dépenses sociales et de santé. Nous devons mener un important travail de restructuration de notre système de santé et de son financement, ce qui implique d'engager une réflexion de moyen et long termes, en tentant de dépasser le seul court terme de l'année budgétaire.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - J'appelle de mes voeux une forme de continuité des politiques de santé et une plus grande stabilité des ministres de la santé. Il nous faut en effet une réforme systémique. Je rêve d'un « Vauban de la santé », qui mette en perspective, sur le long terme, sa vision dans la santé. Sans cela, nous rencontrerons toujours des difficultés !

Le fait que l'accès aux soins ait été ajouté à la dénomination de votre poste est très important, mais il manque la prévention. La réduction des risques est la priorité essentielle pour réduire les frais de santé. J'espère que l'intitulé de votre ministère pourra être modifié en conséquence.

Que pensez-vous du rapport de la Cour des comptes sur les indemnités journalières ? Vous envisagez un abaissement du plafond, mais la Cour propose d'autres solutions. Les avez-vous étudiées ?

Encore un tiers des médecins n'utilisent pas le dossier médical partagé (DMP). Devons-nous les obliger à le faire ? Sinon, nous n'y arriverons jamais, et nous pâtirons de la redondance des soins et examens.

De la même manière, les hôpitaux ne disposent pas d'outils numériques harmonisés. Une personne auditionnée ce matin parmi les conférences de présidents de commissions médicales d'établissements (CME) nous demandait si nous pouvions envisager que toutes les gares de France n'aient pas le même logiciel... Malheureusement, pour l'hôpital, c'est le cas. Il s'agit pourtant d'une question essentielle ! C'est nécessaire pour la protection des données et l'information, et cela permettrait de construire un véritable observatoire sur les médicaments et les parcours de soin, avec, derrière, une amélioration de la pertinence des soins.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - Nous partageons le souhait d'une réforme structurelle. Nous n'avons jamais mis autant d'argent sur la table, mais la population a le sentiment que rien ne va. Pour autant, certaines choses vont bien, comme l'accès aux médicaments innovants, le fait de pouvoir être pris en charge par l'hôpital public et des services performants.

Le PLFSS pour 2025 entérine un nouveau dépassement de 1,2 milliard d'euros pour l'année 2024. La progression de l'Ondam est très importante depuis 2019, alors que les prévisions ne sont plus respectées depuis cette même date.

Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a jugé les prévisions pour l'Ondam 2025 très optimistes. Dans un contexte de déficit durable de la branche assurance maladie, quelles marges de manoeuvre peut-on trouver pour financer notre système de santé et améliorer l'accès aux soins pour tous ?

Vous parlez beaucoup de disponibilité des médicaments, mais, concrètement, le nombre de ruptures de médicaments ne cesse d'augmenter. Comment expliquer des ruptures d'antibiotiques en plein été ? Qu'en sera-t-il en hiver ? Au-delà des bonnes intentions, les constats sur le terrain sont unanimes, et la situation semble même s'aggraver.

Quelles réformes structurelles vous semblent pouvoir contribuer à dégager des marges de manoeuvre ?

La hausse du ticket modérateur sur les actes et consultations des médecins et sages-femmes permettrait d'aligner le taux de prise en charge des actes de toutes les professions de santé, mais ne serait-il pas plus opportun, quitte à effectuer un transfert de charges vers les complémentaires santé, d'étudier la possibilité de décroiser les périmètres d'intervention des assurances maladie obligatoire et complémentaire ? En laissant les complémentaires agir seules là où l'assurance maladie joue déjà un rôle limité, comme dans la prise en charge des audioprothèses ou de l'optique, ne pourrait-on pas améliorer l'efficience du système en évitant la superposition de frais de gestion ?

J'en viens aux baisses de tarifs unilatérales, notamment pour la radiologie et la biologie. Le texte donne la possibilité au ministre et au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) de décider unilatéralement de baisses de tarifs lorsqu'aucune mesure de maîtrise des dépenses n'aura pu être négociée avec les syndicats, ou lorsque les mesures s'avéreront insuffisantes. Vous avez pourtant dit qu'il fallait coconstruire avec les professionnels de santé.

Cette partie du texte permet de contourner l'exercice conventionnel, pour maîtriser les dépenses très dynamiques constatées dans ces deux secteurs. Ne risque-t-on par d'affaiblir durablement l'exercice conventionnel ? Si des décisions de baisses de tarifs peuvent être prises sans les professionnels de santé, pourra-t-on encore espérer la coopération des syndicats de professionnels afin de maîtriser les dépenses ?

Je ne reviendrai pas sur l'absence de mesures de prévention dans ce PLFSS. Cela doit rester une priorité. Il faudrait sans doute travailler avec votre homologue de l'éducation nationale, car la prévention commence aussi à l'école. Des actions existent déjà en lien avec le ministère de l'éducation nationale.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - La prévention doit effectivement être un axe majeur de développement. Or cet axe n'est pas bien identifié, alors que nous dépensons 2,5 milliards d'euros par an pour l'ensemble des actions de prévention. Cette dépense se fait de manière très interministérielle, et concerne de nombreux acteurs - santé, travail, éducation nationale, associations, complémentaires, collectivités, etc. Il faut une politique charpentée, pour que les personnes vieillissent en meilleure santé et que des maladies chroniques comme le diabète cessent de se développer. Jusqu'à présent, nous avons concentré nos politiques de santé sur le seul soin, non sur la prévention. Nous devons donc réaliser ce travail de structuration. La prévention doit irriguer notre société, et les consultations de prévention aux quatre âges clés de la vie sont un premier pas.

Les indemnités journalières sont payées par l'assurance maladie, à hauteur de 17 milliards d'euros en 2024, contre 8 milliards d'euros en 2017. L'augmentation est considérable. Si je ne remets pas en cause les arrêts maladie - nous devrions travailler sur la prévention et le bien-être au travail -, nous devons maîtriser cette dépense. La ministre du travail envisage donc de baisser le plafond de 1,8 Smic à 1,4 Smic ; 45 % des salariés ne seraient pas affectés par cette mesure. Nous devons aussi simplifier l'indemnité journalière.

Le DMP, j'en entends parler depuis trente ans ! C'est une nécessité absolue pour éviter toute redondance des examens. Il y a eu de nombreux freins, comme la potentielle remise en cause du secret médical. Ne pas avancer me semble déraisonnable. « Mon espace santé » doit être développé et alimenté par les professionnels. Le déploiement est beaucoup trop long et sans doute, effectivement, faudrait-il contraindre...

En matière numérique, la fragilité des hôpitaux et des professionnels libéraux tient dans le fait que chacun a son propre logiciel, développé souvent de manière empirique, empêchant l'interopérabilité. Cela crée une grande vulnérabilité face aux cyberattaques. Nous devrions être bien mieux équipés.

Concernant les ruptures de médicaments, les problèmes perdurent. Nous avons pris des mesures : nous avons listé 450 médicaments essentiels depuis 2023 ; nous avons signé une charte d'engagement avec tous les acteurs de la chaîne du médicament, notamment pour constituer des stocks ; nous avons agi contre les tensions d'approvisionnement, avec des amendes en cas de non-respect de constitution de stocks par les industriels ; nous avons une feuille de route réaliste, élaborée en février 2024, pour les trois ans à venir.

Dans ce PLFSS, nous rendons possible le recours à la distribution à l'unité, et l'obligation d'ordonnance de dispensation conditionnelle pour certains médicaments soumis à une forte saisonnalité. Le pharmacien pourra aussi remplacer un médicament par un autre en cas de risque de rupture. Nous prévoyons la possibilité de recourir à un financement dérogatoire pour des dispositifs médicaux utilisés comme solution alternative à un dispositif en rupture d'approvisionnement. Nous facilitons aussi le recours aux procédures d'achat public à l'échelle française et européenne.

Je soutiens totalement l'exercice conventionnel dans le domaine de l'imagerie et de la radiologie, mais les partenaires doivent jouer le jeu de la négociation. L'an dernier, une négociation a eu lieu avec les biologistes. Des décisions ont ensuite été prises qui les ont mis quelque peu en colère. Pourtant, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) n'avait fait qu'appliquer les mesures négociées. C'est en tout cas une direction qu'il faut encourager, notamment parce qu'elle offre des perspectives intéressantes.

L'évolution du ticket modérateur relève du domaine réglementaire. Le transfert d'un milliard d'euros de dépenses de l'assurance maladie vers les complémentaires santé représente effectivement une hausse de 10 points du ticket modérateur qui s'applique pour les consultations chez les médecins et sages-femmes, et une baisse équivalente du pourcentage de prise en charge par la sécurité sociale. Pour l'heure, rien n'est décidé. Je continue à travailler sur une réduction la plus faible possible de la prise en charge, même si appliquer pour tous un taux de 60 % serait facteur de cohérence. En outre, quoi qu'on en dise, la part du reste à charge est plus faible en France que chez nos voisins, avec un taux très élevé de prise en charge par l'assurance maladie obligatoire, et ce sans compter les près de 400 000 personnes supplémentaires atteintes, chaque année, par une affection de longue durée (ALD), qui, elles, ne seraient pas concernées par une évolution du ticket modérateur.

J'ai lu avec attention le rapport sénatorial Hausse des tarifs des complémentaires santé : l'impact sur le pouvoir d'achat des Français, qui montrait, d'une part, que le remboursement des médecines alternatives représentait près d'un milliard d'euros de dépenses pour les complémentaires santé et, d'autre part, que l'évolution des cotisations avait dépassé les besoins attendus.

Ma principale préoccupation est la garantie de l'accès aux soins pour tous. À ceux qui s'inquiéteraient de la situation de certains de nos concitoyens, je rappelle que 96 % des Français ont adhéré à une mutuelle, et que les plus fragiles bénéficient de la complémentaire santé solidaire (C2S). En revanche, nous devrions travailler sur le périmètre de cette dernière, car certains, notamment des retraités, n'y ont pas droit.

Mme Florence Lassarade. - Les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC) de France, en particulier celui de la Nouvelle-Aquitaine, m'ont fait part de leurs inquiétudes vis-à-vis de la forte diminution de leur dotation. Il est vrai que la Cnam a pris en charge l'envoi des convocations au dépistage, tandis que ces centres ont développé une politique volontariste d'« aller vers », pour dépister au plus tôt les tumeurs. Mais une telle démarche sollicite fortement le personnel, et la contribution de la Cnam à cet égard apparaît marginale.

Par ailleurs, comment l'ARS arbitre-t-elle les dotations ? D'une région à l'autre, il semble y avoir des variations.

Le taux de vaccination contre le papillomavirus en France - environ 40 % chez les filles - est catastrophique. Nous devons redoubler d'efforts si nous voulons faire disparaître ce cancer, et les coûts qu'il induit.

Enfin, nous pourrions réaliser des économies, en particulier à l'hôpital, en évitant davantage les accidents médicamenteux, notamment grâce à certains logiciels ayant fait leurs preuves.

M. Daniel Chasseing. - Je partage vos propos sur la nécessité de conserver la sécurité sociale, d'assurer une complémentaire aux plus fragiles, ainsi que ce que vous avez dit sur le DMP et les ruptures de médicaments.

Pour autant, les principaux postes d'économies dans ce PLFSS sont le décalage de l'indexation des retraites et la diminution des allègements de cotisations. L'Ondam augmente de 2,8 %, soit 9 milliards d'euros par rapport à la LFSS pour 2024. Le ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes a également évoqué, lors de son audition d'hier, la création de 6 500 places en Ehpad.

Vous souhaitez renforcer les soins palliatifs. Il me semble indispensable de développer une équipe mobile par département pour intervenir au domicile et en Ehpad. D'ailleurs, avant d'adopter une loi sur la fin de vie, commençons par améliorer la qualité des soins palliatifs !

Vous avez fait de la santé mentale une grande cause nationale, et vous souhaitez un accès direct aux psychologues. Il faudrait également travailler sur la psychiatrie, la pédiatrie et la pédopsychiatrie pour mieux prendre en charge des individus psychotiques insuffisamment accompagnés, qui peuvent devenir dangereux. Des adolescents admis en centre départemental de l'enfance (CDE) ou en maison d'enfants à caractère social (Mecs) souffrent parfois de troubles mentaux. Là encore, la création d'équipes mobiles et l'augmentation du nombre de pédopsychiatres seraient nécessaires.

M. Bernard Jomier. - Le projet de hausse du ticket modérateur sur les consultations médicales aurait pour conséquence que l'assurance maladie ne rembourserait finalement que 50 % du prix de l'acte médical - puisque 16 euros seulement seraient pris en charge, sur un total de 30 euros.

Vous semblez pourtant dire que vous souhaiteriez maintenir le système actuel. En réalité, avec une telle évolution financière, on peut se demander si ce sera bien l'assurance maladie qui mènera, par la suite, les négociations conventionnelles avec les professionnels de santé. Nous entrerions dans un système différent, où il faudrait accorder une place plus importante aux assureurs complémentaires.

Le PLFSS proposé par le Gouvernement ne comporte pas une seule ligne sur le tabac, pas plus que sur l'alcool, le sucre, l'activité physique ou la santé environnementale. Depuis que je suis parlementaire, c'est la première fois que je vois cela !

Concernant l'hôpital, l'Ondam proposé progresse de 3,1 %. Une fois que les transferts à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) auront été déduits, il ne restera plus que 1,8 % d'augmentation, soit le niveau de l'inflation. Ce serait la première fois que nous arriverions à faire respecter un Ondam hospitalier dont le montant fixé correspondrait à celui de l'inflation ! Puisque vous pensez tenir ce budget, vous engagez-vous à ne pas activer le mécanisme de réserve prudentielle des hôpitaux au printemps prochain ?

Le Sénat a adopté une proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, qui a été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour le mois de décembre. Quelle sera votre position sur ce sujet ?

Vous parlez beaucoup d'efficience. Pourtant, dans le rapport sur la financiarisation de l'offre de soins que j'ai signé avec Corinne Imbert et Olivier Henno, nous faisions part de lourdes interrogations sur la capacité à garantir l'efficience des soins quand les investisseurs financiers prennent la main sur certains secteurs. Soutiendriez-vous l'adoption de certaines de nos recommandations pour enrayer ce phénomène lors de l'examen du PLFSS ?

Enfin, vous appelez à une discussion sur le DMP. Tous les logiciels utilisés par des professionnels de santé doivent être agréés par l'assurance maladie. Désormais, la transmission est automatique. Les données sont donc massivement aspirées dans le DMP. Le problème est l'organisation de ce dossier, qui n'est pas hiérarchisé. Il y a du conservatisme partout, chez les professionnels de santé comme dans les gouvernements. Mais ce n'est pas la question : le problème, c'est celui de l'utilisation et du contrôle des données.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Je vous remercie pour votre préoccupation quant à l'intérim, qui, s'il répond dans un premier à un manque de personnels formés, désorganise tout de même fortement les hôpitaux et leur coûte cher. Ce système pervertit et épuise les titulaires, qui assurent de plus en plus de gardes, notamment le week-end.

Je salue également vos remarques sur les actes redondants et sur « Mon espace santé ».

Les services d'accès aux soins (SAS) ne sont pas l'alpha et l'oméga de l'accès aux soins, mais j'ai bien compris qu'il importait fortement au gouvernement précédent d'agiter la baguette magique. Le problème de recrutement persiste, car en raison des tarifs actuels, les médecins installés ne peuvent pas quitter leur cabinet pour travailler moins cher, tout en payant les charges qui leur incombent. Et c'est donc grâce à des médecins à la retraite que les plannings sont partiellement comblés ! Cela fait longtemps que j'alerte sur ce sujet, et la réponse se fait urgemment attendre.

Les infirmières libérales sont les oubliées du Ségur de la santé. Elles souffrent grandement de l'absence de revalorisation de leurs actes. Certaines perdent même de l'argent lorsqu'elles font des prises de sang. J'entends les contraintes pesant sur le budget, mais si la consultation des médecins généralistes est revalorisée, envisageons de faire de même pour les actes réalisés par les infirmières libérales, qui, dans les territoires ruraux en particulier, jouent un rôle crucial.

C'est à regret, enfin, que je vous invite à consulter le site stop-travail.com, qui propose à l'utilisateur de choisir une maladie pour bénéficier d'un arrêt maladie, en trois minutes chrono et pour neuf euros, depuis son canapé. Cerise sur le gâteau, pour quatre euros de plus, on peut demander un arrêt antidaté ! Ce site compterait 1 million d'utilisateurs. Alors que nous demandons à tout le monde des efforts, il faut apporter une réponse urgente à ces dérives frauduleuses.

Mme Raymonde Poncet Monge. - On nous avait annoncé un objectif « zéro patient sans médecin traitant » d'ici à fin 2023. Où en sommes-nous ? S'il en est de même que l'objectif de ne plus voir de sans-abri dans la rue, j'ai des raisons de m'inquiéter.

Si l'on tient compte de l'inflation, la progression de l'Ondam pour les établissements de santé passe de 3,1 % à 1,3 %, et si l'on y soustrait la revalorisation du taux de cotisation à la CNRACL, on ne serait plus qu'à 0,2 %. Autrement dit, il n'y a pas de croissance en volume. Selon vous, à combien s'élèverait l'augmentation mécanique de l'Ondam, si l'on ne prenait aucune mesure nouvelle ?

Le postulat, c'est donc que toute mesure nouvelle doit être compensée par des économies. Et cela va durer plusieurs années... Vous parlez de mesures d'efficience. Mais jusqu'à quand ?

La santé mentale, dites-vous, est la grande cause de l'année. Avez-vous chiffré l'effort budgétaire qui y sera consacré ?

De multiples facteurs sont avancés pour expliquer l'évolution des indemnités journalières (IJ). Ce que l'on entend moins, et que les médecins constatent pourtant, c'est que l'embolie du système et l'allongement considérable de l'accès aux soins contribuent largement à ce phénomène. Il faudrait mesurer précisément l'ampleur de ce facteur, car l'explosion des IJ est moins liée au site frauduleux mentionné par Mme Romagny qu'à des raisons structurelles !

Vous avez raison de vous inquiéter pour les petites retraites. Il sera difficile, pour les concernés, de faire face à l'augmentation du prix des mutuelles, qui pourrait atteindre 8 %. Quand on passe de la mutuelle d'un grand groupe dans lequel on était employé à une mutuelle de retraite, la différence s'élève parfois à 150 euros... Il aurait pourtant été possible d'épargner ces personnes, qui vont finalement subir la double peine.

Seulement 4 % des Français, d'après vous, n'auraient pas de mutuelle sans avoir droit à la C2S. Le pourcentage semble faible. En réalité, il s'agit de 2 millions de personnes !

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - L'accès précoce aux médicaments devait être une réforme importante et positive de l'ancienne autorisation temporaire d'utilisation (ATU) - une promesse de sauver des vies en accélérant l'accès à des traitements innovants pour des maladies graves, rares ou invalidantes.

C'est notamment, mais pas uniquement, le cas pour les cancers. Plusieurs accès précoces ont été autorisés à titre dérogatoire et exceptionnel pour répondre à l'absence de traitement approprié. Pourtant, c'est un échec partiel, voire un fiasco pour certains patients. Alors que des médicaments innovants sont rendus accessibles par ce dispositif, leur passage dans le droit commun n'est pas garanti, car ils ne peuvent pas systématiquement être inscrits sur la fameuse liste en sus qui permet leur prise en charge à l'hôpital.

C'est un grand paradoxe : pour être inscrits, ces traitements innovants devraient disposer par exemple de comparateurs selon le niveau d'évaluation défini par la Haute Autorité de santé (HAS). Or l'un des critères de l'accès précoce est bien l'absence de traitement approprié - c'est la définition même de l'innovation et du progrès thérapeutique ! Résultat : des traitements qui fonctionnent en accès précoce, pour lesquels nous disposons de données en vie réelle, sont parfois brutalement arrêtés. Des vies sont mises en péril pour des raisons purement administratives.

Comment justifiez-vous ces situations ? Des hôpitaux déjà en difficulté financière doivent parfois renoncer à soigner les patients, car ils ne peuvent pas supporter ce fardeau budgétaire. Allez-vous permettre l'inscription systématique sur la liste en sus des médicaments à usage hospitalier bénéficiant d'un accès précoce et d'un service médical rendu important ?

M. Philippe Mouiller, président. - Certaines de vos questions sont très techniques, et ne pourront obtenir qu'une réponse écrite ultérieure. Je vous invite plutôt à interroger Mme la ministre sur son approche politique globale.

Mme Céline Brulin. - Chaque année, l'Ondam est jugé insuffisant par l'ensemble des professionnels de santé. Si vous en avez décrit les aspects positifs, il fait toutefois l'objet d'un nouveau coup de frein important. D'un point de vue budgétaire, cela n'a aucun sens, car il risque d'être à la fois intenable et démobilisateur.

L'Ondam hospitalier devra être mis en parallèle avec le taux de cotisation à la CNRACL des hôpitaux, lesquels traversent déjà une crise profonde.

Concernant l'augmentation du ticket modérateur, sur la forme, vous semblez ne pas complètement adhérer à la mesure. Très bien : mais on nous a déjà fait le coup lors du PLFSS pour 2024 sur les franchises et les forfaits médicaux... Je trouve cela regrettable pour la clarté de nos débats. Même si certaines mesures sont d'ordre réglementaire, il est sain d'en discuter.

Sur le fond, vous dites qu'il s'agit d'un transfert vers les complémentaires santé. Comment éviter que celles-ci ne procèdent, pour compenser, à une augmentation tarifaire ? En réalité, le transfert sera assumé par les patients, qui devront adhérer à des contrats moins protecteurs ou renoncer à des soins.

Vous avez évoqué les solutions innovantes qui pouvaient être développées sur certains territoires. Je pense aux médicobus, qui sont organisés par la mobilisation de professionnels de santé, souvent retraités, pour aller au-devant de patients n'ayant plus de médecin traitant. Vous savez à quel régime seront soumises les collectivités territoriales. Or, ce sont elles qui financent l'ensemble de ces dispositifs, même si l'ARS y contribue minoritairement. Elles risquent de ne plus pouvoir soutenir de telles mesures innovantes.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Je suis consciente du travail réalisé par le centre régional de coordination des dépistages des cancers de Nouvelle-Aquitaine, que je connais bien. Pour autant, certaines missions ont été reprises par l'assurance maladie et retirées, par conséquent, du budget des CRCDC. Nous allons étudier le sujet pour mieux comprendre les difficultés rencontrées par ces centres.

Le taux de vaccination contre le papillomavirus progresse depuis deux années consécutives, bien qu'il reste insuffisant. Nous devons continuer à l'encourager, et je vous invite à participer à cet effort sur le territoire.

Les accidents médicamenteux entraînent, au-delà des coûts, de graves problèmes de santé pour les patients. Nous devons y prêter une attention particulière. Cette question, je suppose, relève surtout de difficultés de fonctionnement et de structuration des alertes dans les établissements.

Une nouvelle stratégie décennale des soins d'accompagnement a été lancée pour amplifier la réponse. Dans les départements ne disposant pas d'une offre en soins palliatifs, nous voudrions au moins déployer des équipes mobiles afin d'intervenir à domicile ou en Ehpad. C'est un premier pas avant de disposer d'unités hospitalières spécialisées sur l'ensemble du territoire. La reconnaissance de leur importance est un véritable enjeu. Nous devons également veiller à améliorer la formation, car nous manquons d'enseignants dans ce domaine. Bien entendu, la volonté politique seule ne suffit pas - il faudra des soignants pour constituer ces équipes -, mais elle envoie un signal encourageant aux établissements.

Le Premier ministre a déclaré faire de la santé mentale une grande cause nationale pour 2025. Pour autant, nous ne partons pas de rien. Plusieurs stratégies ont été mises en oeuvre dans la continuité du travail du délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. Nous devons néanmoins multiplier les efforts dans plusieurs domaines, comme la prévention, le repérage et la prise en charge précoces - en particulier, donc, chez les plus jeunes. Nous manquons de psychiatres et de pédopsychiatres ; sans personnel, la seule ouverture de lits ne suffira pas !

Le Premier ministre s'est rendu dans la Vienne pour s'inspirer de ce qui y a été mis en oeuvre. Je pense, notamment, aux maisons des adolescents, dont il souhaite doubler le nombre à l'échelle nationale, tout en développant des parcours de soins adaptés à chaque département pour tous les âges. Le PLFSS 2025 marque des avancées pour la psychiatrie, mais ce plan interministériel sera développé dans les semaines à venir.

Le tabac, l'alcool et la nutrition sont en effet des pistes essentielles de la prévention. Il faut les taxer. Cela fait partie du débat parlementaire. En commission, les députés se sont emparés de ce sujet. Je suis favorable à l'instauration d'une taxe sur le sucre, qui est un véritable poison, sous toutes ses formes. Je souhaite trouver l'équilibre entre le travail de prévention à réaliser auprès de la population et le niveau de taxation qui incitera les industriels agroalimentaires à faire évoluer leurs pratiques.

Concernant l'Ondam hospitalier, j'ai du mal à entendre que la progression serait nulle, quand nous proposons une hausse de 9 milliards d'euros. On augmente chaque année les montants, et on a l'impression qu'il en faut toujours plus ! C'est vrai, mais ne dites pas qu'il n'y a pas de moyens. Les soignants ont été soutenus, au travers des 14 milliards d'euros de revalorisations salariales du Ségur de la santé. En complément, l'Ondam prévoit 500 millions d'euros pour les établissements sanitaires et médico-sociaux. Et n'oubliez pas que ces revalorisations sont pérennisées chaque année.

Il est vrai que les hôpitaux, en 2024, sont en déficit. Toutefois, on constate aussi que l'activité hospitalière repart, avec un regain de recrutements. Nous serons aux côtés de tous nos établissements pour les soutenir.

Monsieur Jomier, la réserve prudentielle est une obligation prévue par la loi.

J'ai conscience de ce que représente le ticket modérateur. Le transfert prévu est d'un milliard d'euros. Mon directeur de cabinet continue à rencontrer les assureurs complémentaires. Nous devons nous mettre d'accord sur les chiffres. Le rapport sénatorial sur le sujet est très intéressant. Je rappelle que les dépenses de santé des 14 millions de personnes en ALD sont entièrement prises en charge par l'assurance maladie. Cela représente environ 400 millions d'euros qui ne sont pas assumés par les assurances complémentaires.

En fin de compte, nous sommes tous dans le même bateau : l'objectif est de soigner nos patients dans de bonnes conditions et d'éviter les maladies grâce à la prévention. La prise en charge doit suivre l'esprit de solidarité qui a donné naissance à la sécurité sociale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Tous les acteurs doivent y contribuer. L'exemple de fraude cité par Mme Romagny est justement un coup de boutoir contre cette solidarité.

La financiarisation de certains secteurs de la santé m'inquiète également. Nous entendons poursuivre notre travail d'état des lieux sur la question.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous invite à consulter le rapport du Sénat : il est excellent !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Je le lirai avec attention. Il est certain qu'outre des mesures réglementaires, un travail législatif sera nécessaire.

J'entends vos remarques sur le DMP. Sa restructuration relève davantage d'un travail numérique que d'une décision politique.

Un projet de loi « infirmières, infirmiers » est en préparation. J'espère qu'il vous sera rapidement présenté. Il devra redéfinir les missions de ces soignants. Par ailleurs, je travaille sur un décret sur les infirmiers en pratique avancée (IPA), que je souhaite faire paraître avant la fin de l'année. Enfin, des négociations conventionnelles seront engagées avec la profession en 2025, afin de tirer les leçons de la future loi.

Nous devons sans doute mieux organiser les SAS. Cette solution d'accès aux soins présente néanmoins une vertu indéniable. La restructuration du système de santé se fait à bas bruit, par ce type de dispositifs. Les SAS permettent à des professionnels libéraux de travailler avec l'hôpital, de manière coordonnée, alors qu'il leur était souvent difficile de communiquer. Nous devons continuer à développer ces structures, en y intégrant un accès aux soins psychiatriques. N'oublions pas que le dispositif est récent : évaluons-le avant de chercher à le transformer.

Madame Poncet Monge, nous avons trouvé un médecin traitant à près de 270 000 patients - en ALD, j'insiste - sur les 700 000 malades qui n'en avaient pas.

Madame Deseyne, entre 2021 et 2023, plus de 100 000 patients en situation d'impasse thérapeutique ont eu accès à de nouveaux produits. Quelque 182 décisions ont été prises en deux ans. J'entends votre alerte, et le dispositif doit être renforcé, mais il importe que le service médical rendu soit important.

Les médicobus et les maisons médicales sont en effet des solutions innovantes mises en oeuvre par les collectivités. Je connais la préoccupation des élus territoriaux quant à l'accès aux soins de leur population. Dans la Creuse, par exemple, l'association Médecins solidaires organise un relais hebdomadaire de médecins généralistes, qui a permis la prise en charge de 4 000 personnes, pour un total de 17 000 consultations en un an et demi. Certaines solutions se construisent en effet à l'échelle du territoire - dans cet exemple précis, grâce à la mise à disposition d'un local par le maire. L'accès aux soins relève de l'aménagement du territoire. Nous devons donc travailler avec les élus locaux pour l'organiser. Cela étant, j'entends votre inquiétude quant au financement des collectivités territoriales.

Mme Véronique Guillotin. - C'est un budget de rigueur, mais c'est grâce aux transformations de fond que nous pourrons réinvestir dans la santé. À la prévention, que vous avez évoquée, j'ajouterai comme priorités la santé environnementale et le plan des 1000 premiers jours de la vie de l'enfant - je vous invite à ce titre à consulter le rapport sénatorial Transformation de l'offre de soins périnatals dans les territoires : le travail doit commencer.

Je soutiens le rapport sur la financiarisation du système de santé. Réduire de 70 % à 60 % la part prise en charge par la sécurité sociale pour la transférer vers les mutuelles revient finalement à renforcer la privatisation du financement du système de soins. Ne balayons donc pas trop rapidement les conclusions de ce rapport.

Comme l'a souligné Corinne Imbert, les baisses unilatérales de tarifs contribueront également à accentuer cette financiarisation.

Concernant les réformes structurelles que nous appelons tous de nos voeux pour l'hôpital, nous pourrions nous inspirer de certains exemples, comme celui de Valenciennes. Il est en tout cas certain que la décentralisation des décisions nous aidera à gagner en efficacité et en efficience.

Enfin, pour renforcer l'accès aux soins, il est impératif de réconcilier les médecins et les IPA.

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - S'agissant de l'abaissement du plafond pour les indemnités journalières, vous avez dit que 45 % des salariés ne seraient pas affectés par la mesure en raison de la faiblesse de leurs revenus, en semblant minorer l'impact du changement envisagé. Mais là, nous parlons d'arrêts courts. Or, les personnes au-dessus du plafond sont en général des cadres, qui, lorsqu'ils sont malades, le sont souvent gravement. Le message envoyé est donc terrible ! L'argument d'un transfert vers les contrats de prévoyance n'est pas convaincant en dehors des grandes entreprises et je vous appelle donc à être vigilante sur ce point.

En outre, vous prévoyez de prendre 1,6 milliard d'euros sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), alors que la prévention dans les entreprises et le renforcement de la médecine du travail pourraient permettre de réduire le nombre d'arrêts maladie.

Je note également que les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) se chargent désormais du secours à la personne.

Serait-il possible, par ailleurs, de connaître le coût informatique total du dossier médical partagé, devenu dossier médical personnel, puis « Mon espace santé » ? J'ai remis deux rapports sur le sujet en tant que députée, l'État n'est pas du tout compétent pour choisir les éditeurs et logiciels numériques.

Un mot, enfin, sur les soins ambulatoires : les infirmières libérales m'indiquent qu'elles reçoivent des patients en grande difficulté, car ils se retrouvent seuls à la maison après avoir été renvoyés de l'hôpital.

Mme Émilienne Poumirol. - Les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) de proximité sont une solution convaincante, mais il va falloir des IPA pour les faire fonctionner et donc avancer sur leur formation - 14 000 euros pour deux ans à titre de salaire, ce n'est pas possible -, tout en reconnaissant le fait qu'elles détiennent un bac+5, et non un bac+3, avec une progression de rémunération correspondante.

Sur un autre sujet, il est question de plafonner les salaires des personnels paramédicaux en intérim, mesure qui peut s'apparenter à un échec pour les médecins dans la mesure où il existe un contournement de l'intérim par des contrats de type 2. Les intérimaires ont ainsi été remplacés par des contractuels, qui, paradoxalement, sont mieux payés que les titulaires. Seriez-vous favorable à une limitation dans la durée - de trois ou quatre ans - de l'intérim, tant sur le plan médical que paramédical ?

Mme Annick Petrus. - J'ai été ravie de vous entendre dire que l'offre de soins fait partie de vos préoccupations. Le dynamisme de l'augmentation de l'Ondam est louable, mais l'accès aux soins reste problématique dans les territoires d'outre-mer et ruraux. Qu'allez-vous mettre en place pour y remédier, notamment pour les populations vulnérables ?

Vous êtes le troisième ministre que j'interroge sur la situation de l'hôpital de Saint-Martin, en rappelant que j'ai transmis à votre cabinet une note sur les dysfonctionnements de cet établissement, dans lequel l'offre de soins et la prise en charge des patients deviennent problématiques. Le silence de l'État ne fait que renforcer notre inquiétude : allez-vous enfin lancer une mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), attendue par la population ?

Mme Annie Le Houerou. - Vous avez indiqué vouloir améliorer la rémunération des médecins, y compris dans les territoires ruraux. Envisagez-vous la mise en place d'un différentiel de rémunération entre les zones sous-denses et les zones mieux pourvues, de manière à favoriser l'installation des médecins dans les premières ? Vous avez beaucoup parlé de prévention, mais la première prévention consiste en un accès aux soins de premier recours le plus rapidement possible. Or tous les médecins nous disent qu'il existe aujourd'hui un retard de prise en charge qui entraîne des coûts supplémentaires pour l'assurance maladie.

Cette dernière pointe d'ailleurs la difficulté, pour les pouvoirs publics, de définir un juste prix des médicaments. La transparence des coûts devrait permettre de mieux maîtriser les dépenses de santé : comment envisagez-vous d'agir sur ce poste ?

Enfin, vous avez indiqué que de nombreuses aides à l'installation sont mises en place dans nos territoires. Une évaluation de l'efficacité et de l'efficience de ces dépenses, au regard du bénéfice pour l'accès aux soins des patients, est-elle envisagée ?

Mme Marion Canalès. - L'affectation de l'excédent de la branche AT-MP à une autre utilisation que la prévention est tout à fait regrettable, tandis que le tableau des maladies professionnelles repose encore sur une vision très masculine de l'activité. Pourrons-nous nous pencher sur ce sujet à l'avenir ? On constate aussi une augmentation très significative des accidents du travail dans le secteur médico-social, qui concernent en particulier les femmes.

Si un passage du PLFSS est consacré aux engagements en faveur des agriculteurs, on peut regretter que les maladies professionnelles liées aux risques psychosociaux chez les agriculteurs soient mal appréhendées, alors que cette profession est en proie à un mal-être avéré.

Annoncée pour avril prochain, la suppression du service de contrôle médical de l'assurance maladie est, elle aussi, regrettable : une suspension de cette décision pourrait-elle être envisagée ?

S'agissant des enfants protégés, qui étaient censés devenir une grande cause avant d'être supplantés par la santé mentale, j'aimerais évoquer le coût de l'absence de prise en charge ou d'une prise en charge très tardive des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), aujourd'hui évalué à 38 milliards d'euros. L'ancien ministre avait fait plusieurs annonces aux assises de la pédiatrie le 24 mai, tandis que le programme Pégase (protocole de santé standardisé appliqué aux enfants bénéficiant avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance) était censé être généralisé, mais les moyens nécessaires seront-ils dégagés ? Dans un reportage de France 2 consacré aux pouponnières, les professionnels indiquent qu'il faut accompagner dès leurs premiers jours et mois ces enfants qui sont en permanence dans l'« ultra-collectif », et qui déclarent ensuite des maladies ou des troubles cognitifs.

Enfin, le PLFSS pour 2024 prévoyait une expérimentation dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) dans le cadre de la planification écologique du système de santé. Celle-ci devait démarrer début novembre, mais le décret est toujours en attente de publication, j'imagine donc que vos services s'y emploient.

Mme Marie-Do Aeschlimann. - On ne dit pas assez que notre pays consacre des sommes considérables à ses dépenses de santé, sans que les résultats soient toujours au rendez-vous. Pour autant, une série de choses fonctionnent, il faut le dire également. Vous avez fait part de votre souhait de réformer le système en profondeur, les sénateurs sont prêts à vous accompagner dans cette démarche. Cependant, le cadre annuel de la loi de financement de la sécurité sociale n'est-il pas trop étriqué pour porter toutes les réformes structurelles que nous devons envisager, ainsi que pour programmer les politiques de recherche et de formation ?

J'ai observé avec satisfaction que vous souhaitiez davantage mettre l'accent sur la prévention. Ne faut-il pas donner davantage de cohérence à cette politique dispersée ? La médecine scolaire, en particulier, est très lacunaire.

Vous avez indiqué vouloir travailler avec les élus locaux, qui sont effectivement les meilleurs connaisseurs de leurs territoires en matière d'accès aux soins, car ils sont en première ligne, à l'écoute des attentes de leurs concitoyens. Avez-vous l'intention de vous inspirer de l'Allemagne, du Danemark ou de la Finlande, pays dans lesquels les communes et les régions sont mieux associées à la politique de santé ? La région Île-de-France, dont je suis l'une des élues, a demandé instamment à être mieux associée au pilotage de la politique de santé : quelle est votre position sur ce sujet ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - La santé environnementale est un véritable sujet. Comment parviendrons-nous à anticiper les évolutions du climat et ses incidences sur la santé humaine, notamment avec l'apparition de nouvelles maladies et d'épidémies ? Nous devrons adapter notre système de santé à ces enjeux majeurs.

En ce qui concerne la décentralisation, souhaitant aller vers davantage de simplification, j'ai demandé aux directeurs d'ARS de réfléchir, en lien avec les directions centrales, à des améliorations. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT), qui me semblent être l'échelon adéquat pour agir dans ce domaine, pourraient se voir confier davantage de responsabilités.

S'agissant des IPA, nous allons publier les décrets correspondants et faire en sorte de faciliter leur exercice.

En outre, je n'ai pas dit qu'il n'y avait rien de grave en matière d'IJ. J'ai simplement indiqué que les salariés gagnant moins de 1,4 Smic ne seraient pas pénalisés. Je rappelle que nous avons besoin de trouver des économies, et cet effort en fait partie. Je suis par ailleurs très attachée à la médecine du travail et à la prévention.

Au sujet des Sdis, je sais qu'ils se chargent de nombreux transports, ce qui déstabilise leur activité, car il ne s'agit pas de leur coeur de métier. Nous avons un problème plus général en matière de transports, avec des dépenses d'environ 6,5 milliards d'euros, des tarifs différents entre ambulanciers, véhicules sanitaires légers et taxis...tout cela est bien compliqué et nous devrons y apporter de la rationalité.

Quant aux infirmières libérales, le projet de loi « infirmières, infirmiers » a vocation à définir leurs missions et à leur donner la capacité d'agir, par exemple en leur permettant de prescrire certains matériels.

L'intérim est pour moi un vrai sujet : je vais valider des décrets qui limiteront les rémunérations des contrats de type 2, tandis que l'intérim sera exclu pendant les deux premières années après l'obtention du diplôme. Au-delà de ces textes, je n'envisage pas davantage de coercition, mais vous conservez toute la latitude de porter des propositions dans ce domaine.

Madame Petrus, je n'ignore pas les difficultés de l'hôpital de Saint-Martin, vers lequel 12 millions d'euros de crédits ont été fléchés par le Ségur afin de moderniser les infrastructures, mais les conditions ne semblent pas réunies pour une mise en oeuvre efficace. L'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) se verra probablement confier une mission à ce sujet, afin de remettre un rapport en vue d'un accompagnement spécifique.

Pour les autres sujets d'accès aux soins dans les départements d'outre-mer, nous devrons poursuivre le dialogue avec les collectivités locales et avec les ARS. Je serai très attentive au suivi de ces enjeux, aux côtés de mon collègue en charge des outre-mer.

Madame Le Houerou, des exonérations fiscales d'une durée de cinq ans existent déjà dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), ainsi que des aides à l'installation. Il faudrait effectivement faire le point sur ces dispositifs, car il faudrait éviter de voir émerger des effets d'aubaine, voire des abus, qui m'ont été signalés et que j'ai moi-même pu constater.

Une majoration de 10 % a été mise en place pour le forfait médecin traitant dans les zones sous-denses et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), les difficultés n'existant pas que dans la ruralité.

Enfin, je partage, madame Canalès, votre préoccupation relative à la protection de la santé de nos agriculteurs. Je travaillerai sur ce sujet avec Olivier Damaisin, qui se penche sur les risques psychosociaux et la santé des agriculteurs. Pour ce qui concerne la santé mentale, j'ai indiqué que je travaillerai avec l'ensemble des ministères, en particulier avec le ministère de l'agriculture.

L'ASE est pour moi un sujet majeur. Près de 45 % des enfants pris en charge dans ce cadre présentent des troubles du neuro-développement ou des troubles psychiques. La prise en charge doit être la plus précoce et la plus efficace possible, sans quoi le coût humain sera très élevé pour la société. Je recevrai prochainement Céline Gréco pour évoquer ce sujet.

Enfin, je vous remercie, madame Aeschlimann, pour avoir souligné ce qui fonctionne bien dans notre pays. Malgré les difficultés actuelles de notre système de santé, j'éprouve une certaine fierté lorsque je vois que nos concitoyens malades parviennent à se faire soigner sans débourser des sommes trop importantes, voire gratuitement. Nous avons à la fois de grands services hospitaliers et des points de difficultés majeures tels que les urgences. N'oublions pas nos acquis et saluons l'ensemble des professionnels.

Je partage votre avis selon lequel le cadre annuel d'un budget est trop limité. Je ne veux pas travailler uniquement à une loi d'orientation financière, qui n'a guère de sens si elle n'est pas adossée à une évaluation très précise des besoins et à une évolution majeure de notre système de santé. J'ai l'ambition de lancer des chantiers de long terme.

Les élus locaux seront associés, les contrats locaux de santé (CLS) étant d'ailleurs très utiles pour mener des actions ciblées et mobiliser les associations, par exemple dans la lutte contre la solitude. Vous évoquiez aussi les cas allemand et espagnol, très différents puisque la santé y relève de la compétence des régions. Nos voisins allemands rencontrent des difficultés similaires aux nôtres et procèdent à une restructuration totale de leur système de santé, en particulier de leurs hôpitaux.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous invite à lire le rapport du Sénat consacré aux systèmes allemand et danois, qui devrait être édité au mois de décembre. Je vous remercie.

La réunion est close à 12 h 40.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat