Jeudi 24 octobre 2024
- Présidence de M. Rémy Pointereau, vice-président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Élection du président
M. Rémy Pointereau, président. - Nommée au Gouvernement le 21 septembre dernier, notre présidente, Françoise Gatel, a cessé il y a deux jours d'appartenir à notre assemblée.
Mardi 15 octobre dernier, nombre d'entre vous étaient présents à l'hôtel de Roquelaure. Mme Gatel nous y avait conviés à un moment de convivialité en présence de Mme Canayer, qui, jusqu'au 21 octobre, était elle-même vice-présidente de notre délégation. Je tiens à les remercier du travail qu'elles ont accompli, en soulignant le dynamisme et le volontarisme dont notre présidente a su faire preuve.
L'ordre du jour appelle donc l'élection du nouveau président de notre délégation.
La candidature de M. Bernard Delcros, sénateur du Cantal, m'a été transmise par le groupe Union Centriste, dont il est membre.
Y a-t-il d'autres candidats ?
En l'absence d'une autre candidature et sauf objection de votre part, je vous propose de procéder à un vote par acclamation.
L'assemblée acclame à l'unanimité la candidature de M. Bernard Delcros.
M. Rémy Pointereau, président. - Je proclame M. Bernard Delcros président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je le félicite chaleureusement et lui cède sans plus tarder le fauteuil de la présidence.
- Présidence de M. Bernard Delcros, président -
M. Bernard Delcros, président. - Cher collègue, permettez-moi de vous remercier et de saluer votre engagement au sein de notre délégation.
Désignation de membres du Bureau
M. Bernard Delcros, président. - Je souhaite la bienvenue à nos collègues, Catherine Belrhiti, Sénatrice de Moselle, et Anne-Sophie Patru, Sénatrice d'Ille-et-Vilaine.
Nous devons maintenant procéder à la nomination de deux membres du Bureau de la délégation.
Il convient tout d'abord de nommer un vice-président en remplacement d'Agnès Canayer. Le groupe Les Républicains nous a informés de la candidature de Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny est désignée vice-président.
M. Bernard Delcros, président. - Il convient ensuite d'attribuer le poste de secrétaire que je laisse vacant. Le groupe Union Centriste nous a informés de la candidature de Mme Sonia de La Provôté.
Mme Sonia de La Provôté est désignée secrétaire.
M. Bernard Delcros, président. - Le Bureau de la délégation est ainsi constitué.
Mes chers collègues, je tiens à vous remercier de tout coeur, sans oublier l'équipe administrative de notre délégation, qui concourt, à nos côtés, à son activité intense.
J'ai été jusqu'en 2017 maire d'un petit village au pied des monts du Cantal, où j'habite toujours, au milieu des éleveurs. Pour moi, cette fonction sera toujours la plus belle, car elle permet d'être au plus près du terrain, au coeur de la vie de nos concitoyens.
J'ai également été président d'intercommunalité et membre du conseil général, puis départemental, du Cantal, dont j'ai longtemps été vice-président. J'ai parallèlement présidé le syndicat mixte du Lioran et celui du Puy Mary.
Vous le constatez, j'ai suivi un parcours classique d'élu local et, aujourd'hui plus encore qu'hier, j'entends mettre mon expérience au service de cette chambre des territoires qu'est le Sénat.
À mon tour, je salue l'action de Françoise Gatel, qui a imprimé une belle dynamique et donné une visibilité nouvelle à notre délégation. Je lui souhaite pleine réussite dans ses fonctions gouvernementales, en attendant sans doute de l'auditionner en sa qualité de ministre.
Au cours de la session 2023-2024, pas moins de onze rapports ont été publiés, sur des sujets aussi variés que le statut de l'élu local, la différenciation territoriale et la transition environnementale, pour n'en citer que quelques-uns.
L'activité de la Cellule d'Information et de Réponse sur les CollectivitÉs, mieux connue sous le nom de Circé, n'a pas faibli. Entre octobre 2023 et octobre 2024, quelque 224 questions ont été déposées et traitées.
La délégation a innové dans sa mission de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. À l'occasion du premier anniversaire de la charte de simplification, le 4 avril dernier, en présence du Premier ministre, la Cellule d'Alerte et de Surveillance au Service de l'Information des cOmmissions PErmanentEs (Cassiopée) a été lancée. Elle a pour mission d'informer les commissions compétentes des avis négatifs du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN).
J'insiste sur la traduction réglementaire et législative du travail de fond que nous menons : il s'agit évidemment d'un enjeu essentiel.
Je vous rappelle brièvement les travaux engagés ou sur le point d'être lancés.
Le rapport de long cours sur les premières applications de l'intelligence artificielle (IA) dans l'univers des collectivités territoriales, dont Pascale Gruny et Ghislaine Senée sont rapporteurs, devrait aboutir dans les prochaines semaines.
Le rapport d'information sur la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi), chantier dont le lancement est imminent, a été confié à trois de nos collègues : Rémy Pointereau, Hervé Gillé et Jean-Yves Roux.
Un nouveau rapport d'information sur l'ingénierie, qui complétera le cycle des travaux de la délégation, est piloté par nos collègues Daniel Gueret, Sonia de La Provôté, Céline Brulin et Jean-Jacques Lozach. Ce travail commencera très prochainement.
Enfin, le rapport relatif à la médecine scolaire, travail engagé par Françoise Gatel, a été repris par Rémy Pointereau, ce dont je le remercie. Il s'agit de vérifier s'il est bien nécessaire de procéder à une modification législative. Nous expérimenterons ainsi le devoir d'option que nous aimerions voir appliquer par le Gouvernement pour lutter contre l'inflation normative.
Je précise que je proposerai au Bureau de lancer une mission flash sur le pouvoir préfectoral de dérogation aux normes réglementaires.
Mme Muriel Jourda. - Le Premier ministre souhaite assurer prochainement, par voie d'arrêté, la mise en oeuvre concrète du pouvoir d'adaptation par les préfets : le sujet est donc tout à fait d'actualité.
M. Bernard Delcros, président. - Ce pouvoir existe, mais, en pratique, il est très peu appliqué, car il n'entre pas dans la culture de notre administration. J'espère que nous pourrons enfin assurer sa mise en oeuvre.
À l'issue de la prochaine réunion du Bureau, je communiquerai à chacun d'entre vous le calendrier prévisionnel des réunions de la délégation jusqu'au mois de mai 2025. Que vous apparteniez ou non au Bureau, n'hésitez pas à me faire part de vos propositions et suggestions quant à notre programme de travail.
Soyez assurés de tout mon engagement pour que notre délégation continue de jouer pleinement son rôle au sein de notre assemblée, au service des collectivités territoriales.
Table ronde portant sur l'état des finances locales
M. Bernard Delcros, président. - La table ronde sur l'état des finances locales que nous tenons ce matin est organisée avec la commission des finances, représentée par nos collègues Stéphane Sautarel et Isabelle Briquet, rapporteurs spéciaux de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Il était important que nous menions ce travail de concert.
Nous avons le plaisir de recevoir trois personnalités qui ne sont pas inconnues au Sénat : notre ancien collègue Jean-Léonce Dupont, désormais vice-président du comité des finances locales (CFL) ; Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières ; et notre collègue député, l'ancien ministre Éric Woerth.
Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation pour parler d'un sujet d'actualité. Nous pourrons notamment évoquer la manière dont les collectivités territoriales pourront contribuer au redressement des finances publiques. S'il n'est bien sûr pas question d'engager un débat budgétaire avant l'heure, il nous a paru nécessaire de procéder à une nouvelle mise en perspective.
Les finances de nos collectivités territoriales ont subi plusieurs chocs au cours des dernières années : le covid a ainsi affecté leurs recettes, puis le conflit en Ukraine a eu pour conséquence l'envolée des prix de l'énergie et des matières premières. L'inflation s'est ensuite généralisée et diverses décisions ont entraîné des transferts de charges aux dépens d'un certain nombre de collectivités.
Notre délégation a été l'une des premières instances à pointer du doigt les conséquences de la hausse des prix sur les dépenses des collectivités territoriales. Notre ancienne présidente, Françoise Gatel, a même dédié un rapport à cette question. Présenté en novembre 2023, ce travail posait notamment la question suivante : les difficultés rencontrées par nos collectivités territoriales sont-elles de nature conjoncturelle ou bien ces dernières affrontent-elles une crise structurelle ?
Depuis lors, le débat s'est de nouveau déplacé. Il porte désormais sur l'effort contributif des collectivités territoriales au redressement des comptes publics. Je fais référence à diverses propositions gouvernementales, au premier rang desquelles le prélèvement sur recettes de 3 milliards d'euros pour 450 collectivités territoriales ; le gel de la part de TVA versée à un certain nombre de collectivités territoriales, essentiellement pour compenser des suppressions de fiscalité locale ; et la baisse de deux points du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), qui n'est pas sans poser problème. Cette mesure, qui frappe toutes les collectivités territoriales de manière indifférenciée, affecte directement leurs capacités d'investissement dans les territoires.
Dans ce contexte, il nous paraît important d'avoir une idée précise de la situation financière des collectivités territoriales, des marges de manoeuvre dont elles disposent et des réformes leur permettant d'exercer au mieux leurs compétences. Il faut garder à l'esprit que des moyennes assez flatteuses peuvent camoufler de très grandes disparités.
Monsieur Ravignon, vous vous êtes penché sur les conséquences du « millefeuille » territorial et votre rapport a reçu un certain écho. Vous chiffrez à 7,5 milliards d'euros le coût de l'enchevêtrement des compétences entre niveaux de collectivités territoriales. Parmi les mesures que vous préconisez, je relève la restauration d'un levier fiscal en faveur des départements et des régions : nous pourrons revenir sur ce point.
Monsieur le ministre Woerth, dans votre récent rapport sur la décentralisation, vous présentez vous aussi un certain nombre de mesures. Vous vous penchez notamment sur la fiscalité. Vous proposez de concentrer les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) sur le bloc communal ; d'accorder aux départements une fraction de contribution sociale généralisée (CSG) ; ou encore d'orienter vers les régions une part du produit de l'impôt sur les sociétés et de la cotisation foncière des entreprises (CFE). Ainsi s'organise le volet « recettes » de vos propositions, dont nous pourrons également débattre.
L'évolution des dotations alarme tout particulièrement le comité des finances locales, cher Jean-Léonce Dupont. Au début de cette année, le Gouvernement vous a chargé de travailler à une réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), laquelle inspire un certain nombre d'interrogations. Dans l'ensemble, les motifs d'inquiétude ne manquent pas, étant donné le rôle moteur des dépenses des collectivités territoriales. Comme l'a rappelé André Laignel, ces dépenses sont essentielles à l'investissement comme au maintien des services publics ; elles contribuent, de même, à notre amortisseur social.
M. Jean-Léonce Dupont, vice-président du comité des finances locales. - C'est évidemment un plaisir d'être aujourd'hui parmi vous.
Étant donné la situation actuelle, je centrerai mon propos sur les difficultés de la strate départementale. En effet, pour employer des mots un peu durs, nous sommes probablement à la fin du processus d'assassinat financier des départements.
Vous avez mentionné l'épidémie de covid et la crise inflationniste. Mais, avant ces deux grands chocs, il y eut la disparition totale de l'autonomie fiscale des départements et des régions. Une part de la taxe professionnelle leur a été retirée sous Lionel Jospin ; puis, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, cette ressource a totalement disparu. Sous la présidence de François Hollande, la DGF n'a cessé de diminuer. Enfin, sous la présidence d'Emmanuel Macron, c'est la taxe foncière qui a disparu. Au terme de ce processus lent, les départements n'ont plus aucun pouvoir de taux.
En parallèle, le champ de la solidarité n'a cessé de s'étendre.
Dans le domaine de la solidarité aux personnes, on a observé un glissement lent, mais continu de l'État vers les départements, qu'il s'agisse du revenu de solidarité active (RSA), de la prestation de compensation du handicap (PCH) ou de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), qui relèvent pourtant de politiques nationales. Pour ces solidarités nationales, la part de financement de la strate départementale a augmenté et le pourcentage de prise en charge par l'État a diminué. Ainsi, au titre de la solidarité des personnes, le reste à charge des départements a doublé entre 2012 et 2023, passant de 6 à 12 milliards d'euros.
En outre, depuis la crise du covid, 3 milliards d'euros de dépenses supplémentaires ont été imposés aux départements sous différentes formes : hausse du point d'indice des fonctionnaires, revalorisation du RSA, extension de la PCH aux maladies mentales, primes Ségur, etc.
Les mineurs non accompagnés (MNA) coûtent aujourd'hui 2 milliards d'euros à la strate départementale, alors qu'ils relèvent plutôt de la politique migratoire de l'État. Quant à la réforme des contrats jeunes majeurs, elle a entraîné 1 milliard d'euros de dépenses supplémentaires, dans un champ de compétences qui n'est pas celui des départements.
À ces grandes évolutions s'ajoute une donnée nouvelle spécifique à la strate départementale : le grave recul des ressources constaté depuis deux ans.
Il s'agit de la conséquence d'une baisse très forte des DMTO. Leur produit a reculé de 3,5 milliards d'euros en 2023, puis de 2,5 milliards d'euros en 2024. Entre 2022 et 2024, la perte de recettes déplorée au titre des DMTO est donc de 6 milliards d'euros.
C'est dans ce contexte qu'arrive le projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
Pour les 450 plus grandes collectivités territoriales, ce budget instaure une contribution de l'ordre de 3 milliards d'euros. « Si vous êtes gros, vous pouvez payer » : tel est le raisonnement des technocrates de Bercy...
À ce titre, on demande 1,3 milliard d'euros aux départements, soit plus de 40 % de l'effort total. Or, on le sait, cette strate est aujourd'hui celle qui est la plus en difficulté. Nous vivons en Absurdie !
Suivant une logique assurantielle, ces 3 milliards d'euros sont censés être redistribués par tiers, au terme d'un process qui me semble à ce stade assez obscur. Or il existe déjà un fonds de sauvegarde et de péréquation départemental doté de 1,6 milliard d'euros : le fonds DMTO. Au nom de la solidarité, les départements disposant des plus grandes ressources au titre des DMTO reversent 1,6 milliard d'euros pour assurer le financement des départements n'ayant pas de telles ressources.
La strate départementale disposant déjà d'un mécanisme de solidarité, elle doit être exclue du nouveau fonds de précaution.
Vous avez évoqué le gel de la part de TVA allouée aux collectivités territoriales. Pour les départements, cette mesure représenterait une contribution de 612 millions d'euros.
Vous entendez ma colère, et un tel ton peut surprendre de la part d'un Normand, modéré par nature... Mais je me souviens des multiples discussions auxquelles avait donné lieu la fin de la taxe foncière. On nous expliquait alors que la dynamique de la TVA était supérieure à celle de la taxe foncière : avec son honnêteté intellectuelle habituelle, Bercy avait pris soin de nous le démontrer en choisissant pour référence une période de trois ans. Or, sur cinq ou dix ans, la taxe foncière était clairement plus dynamique.
Quoi qu'il en soit, la taxe foncière est remplacée par la TVA et, deux ans plus tard, on apprend qu'il n'y a plus de dynamique... Mauvaise intention, erreur ou mensonge ? Chacun se fera son opinion.
La baisse de deux points du FCTVA affecte toutes les collectivités territoriales, dont les départements. Je peux concevoir qu'ils participent par ce biais à l'effort national ; mais, à mes yeux, la rétroactivité de la mesure est tout à fait choquante.
Certaines collectivités territoriales ont engagé d'importants investissements au titre des deux années écoulées. Elles ont élaboré des plans de financement et des projections financières sur la base du taux en vigueur. On leur dit aujourd'hui : peu importe, vous allez vous débrouiller autrement.
En outre, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2024, le Gouvernement anticipait une hausse de 5,4 % du produit de la TVA. En définitive, l'augmentation n'est que de 0,8 %. Contrairement à ce que certains peuvent considérer, ce n'est pas l'épaisseur du trait. À mon sens - le Sénat l'avait d'ailleurs souligné -, le taux de croissance retenu était insincère. Par exemple, dans mon département du Calvados, je dois trouver 10 millions d'euros d'ici à la fin de l'année pour combler la différence entre les versements par douzièmes et les montants réellement encaissés.
Quelles seront les conséquences immédiates de cette situation ?
Premièrement, l'investissement de la strate départementale va s'effondrer. Or les départements comptent parmi les premiers financeurs du bloc communal : certains présidents de conseil départemental annoncent d'ores et déjà aux communes et intercommunalités de leur ressort la division par deux des crédits qui leur sont attribués, voire la suppression pure et simple de ces aides. La chute de l'investissement départemental aura un effet démultiplicateur dans les six mois à un an et demi. La baisse sera extrêmement sensible.
Deuxièmement, les départements financent divers organismes - établissements sociaux et médico-sociaux ou encore établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). L'impossibilité de revaloriser leurs participations financières va pousser un certain nombre de ces établissements à la cessation de paiement, à horizon d'un an à un an et demi.
On évoque à cet égard les difficultés budgétaires des collectivités territoriales ; mais, le vrai sujet, ce sont les difficultés financières de l'État central. Ce sont elles qui expliquent celles des collectivités.
La France va-t-elle enfin ouvrir le chantier de la réforme de l'État ? Pourquoi ne pas se fixer comme objectif de supprimer, dans les trois ans à venir, un tiers des agences externalisées de l'État ? On pourrait supprimer deux d'entre elles sans délai : l'Agence nationale du sport (ANS) et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
On demande un effort aux très grandes entreprises, aux très grandes collectivités territoriales, aux ménages disposant de très hauts revenus : eh bien, demandons un effort aux très hauts fonctionnaires ! Je propose de plafonner leur traitement à 15 000 euros net, que ce soit dans l'appareil d'État ou dans les agences externalisées.
Je préconise une pause normative de trois ans. Sans norme nouvelle pendant trois ans, tout n'ira que mieux, je vous l'assure.
Pour la énième fois, on va nous infliger la tarte à la crème de la réforme des collectivités territoriales. On va encore nous servir le millefeuille et le conseiller territorial : c'est un bon moyen d'éluder le vrai sujet, à savoir la réforme de l'appareil d'État. Je souhaite vivement que votre noble assemblée s'empare de ce dossier.
Si rien n'est fait, certains départements seront en cessation de paiement à la fin de l'année 2025. Il y a une trentaine d'années, la ville d'Angoulême avait été placée sous tutelle : on avait tranché dans quelques dépenses et augmenté quelques impôts. Mais si, demain, tel ou tel département subit le même sort, il n'y aura pas grand-chose à trancher dans les dépenses : ces dernières sont déjà très resserrées. Quant à la revalorisation fiscale, elle est absolument impossible.
Certains technocrates phosphorent ou fantasment sur la suppression des départements : ce serait une catastrophe, qu'il s'agisse de la solidarité aux personnes ou de la solidarité aux territoires.
Le coût de gestion des assemblées départementales représente 0,18 % des budgets départementaux : cessons de prétendre que les conseillers départementaux coûtent cher.
L'État se trouve dans une situation financière catastrophique : comment pourrait-on remonter à l'échelle nationale le champ de la solidarité aux personnes ? De même, comment pourrait-on le remonter à l'échelle régionale ? On l'a vu avec les transports collectifs : seul le principe de subsidiarité garantit l'efficacité collective. Comment confier aux intercommunalités, dans leur format actuel, le soin d'assurer cette solidarité ? Les seuls problèmes de ressources humaines seraient pour elles insurmontables.
En la matière, le seul niveau de péréquation et de gestion efficace, c'est le département ; et tout aussi vrai pour la solidarité aux territoires, que l'on ne saurait oublier. Quand un appartement se vend à Deauville, les droits de mutation dégagés me permettent d'aider la commune du Champ-du-Boult à s'équiper.
Le vrai niveau de péréquation territoriale, à même de garantir un équilibre entre le rural et l'urbain, c'est la strate départementale.
M. Bernard Delcros, président. - Merci de cette intervention à la fois très précise, énergique et argumentée. Ce plaidoyer pour l'échelon départemental ne nous surprend pas.
M. Éric Woerth, député. - Pour les collectivités territoriales, la version actuelle du projet de loi de finances est évidemment très difficile à accepter. On pourrait en dire autant du budget dans son ensemble : c'est un PLF d'effort, qui augmente les impôts et réduit les dépenses, mais insuffisamment, car on n'y est pas prêt.
M. Dupont appelle, non sans raison, l'attention sur les agences de l'État. Reste que ces dernières ont souvent été créées par la loi, au terme de débats qui se sont égrenés au fil du temps... Nous sommes tous responsables de la complexité actuelle, État et collectivités territoriales confondus. À présent, il faut tenter de remédier à cette situation. J'espère que le Gouvernement de Michel Barnier y parviendra et qu'il pourra procéder en bon ordre. Mais il est nécessairement compliqué de trouver 20 à 30 milliards d'euros de réductions de dépenses dès 2025 : c'est pourquoi le débat commence à déraper à l'Assemblée nationale.
Cela étant, on ne peut pas laisser croire que l'État, c'est l'enfer, et que les collectivités territoriales sont un paradis : ce n'est évidemment pas si simple.
Les relations entre l'État et les collectivités territoriales se dégradent depuis longtemps déjà ; mais, aujourd'hui, la tendance s'aggrave. Avant toute chose, il faut s'efforcer d'inverser ce phénomène.
Pour l'heure, chacun défend sa strate ; l'État ne comprend pas ce que sont les collectivités territoriales et, au fond, refuse de reconnaître la nécessité de leur action. Bon nombre de députés actuels ne connaissent qu'assez peu les élus locaux. Le non-cumul des mandats a fait beaucoup de mal.
Sur la base d'un diagnostic déjà établi maintes fois, le rapport que j'ai rédigé à la demande du président de la République avance un certain nombre de propositions dans différents domaines. Nous avons tenté de répondre aux questions posées avec honnêteté intellectuelle et rationalité, dans l'espoir d'ouvrir le débat.
On parle depuis longtemps du millefeuille territorial. En réalité, la France a peu ou prou le même nombre de strates d'intervention que les autres pays d'Europe. La principale différence, c'est l'existence des intercommunalités, tenant au fait historique que la France dénombre un très grand nombre de communes et que, pour fusionner ces dernières, l'on a opté pour le volontariat. Mais, entre le département et la commune, l'échelon intercommunal se justifie.
La répartition des compétences est elle aussi un vieux sujet, traité mille fois. Ne pourrait-on pas clarifier un tant soit peu les attributions des uns et des autres ? Il suffit d'examiner une demande de subvention pour constater qu'aucun échelon ne fait plus rien tout seul. Le risque, dès lors, est d'affaiblir le coeur de compétences de chaque niveau d'intervention.
C'est pourquoi nous proposons une répartition claire des compétences de chaque niveau des collectivités. En parallèle, il faut redonner du sens à la notion de chef de file, pour savoir qui décide de quoi et comment.
L'articulation des compétences a fait l'objet d'une attention particulière de notre part. Les procédures de contractualisation existent, mais elles sont encore très diverses. Pour organiser les relations entre une métropole et le département où elle se situe, la réponse lyonnaise a tout son intérêt, mais elle ne saurait s'appliquer partout. Il faut prendre garde à ne pas figer telle ou telle compétence ; le but, c'est de préserver la souplesse autant que faire se peut.
Ensuite, qui décide ? L'État ? Le Parlement ? De fait, le pouvoir réglementaire du Premier ministre s'impose souvent, par habitude, mais aussi en raison de la rédaction de l'article 72 de la Constitution. Nous proposons donc de le modifier pour permettre plus facilement aux exécutifs locaux de fixer la règle. Il n'est pas question de créer un État fédéral, mais il existe sans doute, dans le cadre de notre État unitaire, à l'exception des questions d'ordre public, une marge pour diversifier et expérimenter selon l'identité de chaque territoire.
J'en viens au sujet qui fâche, le financement. Impossible d'envisager une nouvelle étape de décentralisation sans traiter de ce thème, tant la situation actuelle est crispée et crispante. Le lien entre le contribuable local et sa collectivité, meilleur moyen d'asseoir le principe de responsabilité, a progressivement disparu, comme l'a souligné Jean-Léonce Dupont. Pour autant, je ne propose pas de créer une nouvelle forme de taxe d'habitation. Je n'étais pas favorable à titre personnel à sa suppression, mais il serait très compliqué d'expliquer aujourd'hui à nos concitoyens qu'il faut la rétablir. Par ailleurs, la taxe foncière ayant nettement progressé, ce serait encore plus délicat pour les propriétaires.
Je propose une idée assez simple : mieux répartir les impôts nationaux. Le plus souvent, la compensation s'opère par l'octroi de parts de TVA qui n'obéit à aucune logique et ne garantit aucune visibilité aux élus locaux. Ils ont le sentiment d'être dans une relation parents-enfants avec l'État et, surtout, d'être victimes d'un vaste hold-up.
L'autre impôt national partagé, la CSG, permet de financer une partie des charges départementales. Il serait possible juridiquement de confier aux départements un pouvoir de taux sur cette fraction. Ce ne serait pas illogique, mais Bercy voit cela d'un très mauvais oeil. Nous pourrions toutefois en discuter, même si l'état des finances publiques rend toute évolution très difficile.
Les régions, dont la grande taille est la raison d'être, pourraient bénéficier d'une part d'impôt sur les sociétés et, là encore, en moduler une fraction.
Je propose en effet de supprimer les DMTO des départements. J'entends les réserves, mais j'ai tellement entendu les présidents des exécutifs départementaux se plaindre de la baisse périodique de cette recette qu'il me semblerait plus logique de réserver la fiscalité foncière aux communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Une dotation de solidarité versée par l'État viendrait à la place compléter le financement des dépenses sociales des départements, ce qui contribuerait aussi à la juste harmonisation des politiques entre territoires.
Pour les politiques de protection de l'enfance, nous envisageons deux scenarii : recentraliser totalement cette politique - mais l'État n'a pas toujours brillé par son efficacité... - ou la laisser aux mains d'un établissement public départemental présidé par l'exécutif départemental, où le préfet siégerait également. Il est paradoxal de constater que le social représente une part très importante des dépenses départementales, mais reste le parent pauvre des campagnes électorales - je les ai rarement vues porter sur l'aide sociale à l'enfance ou le RSA...
Le schéma financier proposé prévoit en outre une refonte totale de la gouvernance, qui, actuellement, brille surtout par son absence. J'avance l'idée d'une loi de programmation et de simplification des finances locales et d'un dialogue institutionnalisé par la loi, un dialogue d'égal à égal, étant bien compris que l'impôt serait destiné à financer les dépenses tant nationales que locales. Les schémas sont décrits en détail, jusqu'aux schémas de péréquation, qui doivent bien entendu rester à la main des collectivités locales.
Je propose évidemment de modifier la DGF, que le CFL devait déjà modifier à la demande du président de la République. Une grande partie des critères de la DGF sont restés figés, parfois depuis les années 1970. C'est un processus mort... Tout le monde avance des chiffres, personne ne comprend rien et cela crée un climat détestable. Il faut « désancrer » la DGF du passé et trouver de nouvelles bases à cette grande dotation. De même, les dotations déconcentrées de l'État mériteraient d'être unifiées, avec une seule dotation d'investissement qui ferait l'objet d'un dialogue entre le préfet et les élus locaux.
S'agissant de la fonction publique, nous proposons d'en confier totalement la gestion aux élus locaux : gestion des carrières, fixation des indices... L'administration de l'État est très défavorable à une telle évolution, les élus locaux assez réticents aussi, pour des raisons que l'on peut comprendre. L'idée étant que les élus locaux aient plus d'autonomie sur leurs finances et la gestion de leurs moyens.
Sur le plan électoral, l'idée du conseiller territorial revient, pour assurer l'articulation entre régions et départements. Je sais qu'elle ne vous laisse pas indifférents, c'est la preuve qu'elle mérite un débat. Je suis aussi très favorable au retour du cumul des mandats.
Une longue liste de propositions vise à améliorer la déconcentration et le rôle du préfet, et je souscris aussi à ce qui a été dit sur le rôle des agences.
Notre rapport, qui s'intitule « Le temps de la confiance » - je vous l'accorde, il reste un peu de chemin... - a été remis au président de la République une dizaine de jours avant les élections européennes. Le sujet revient aujourd'hui sur la table, l'idée étant que ce rapport, comme celui de Boris Ravignon, qui aborde d'autres sujets, permette d'engager un dialogue approfondi sur l'évolution de la décentralisation et la possibilité d'aplanir les nombreux irritants qui dégradent la relation entre l'État et les collectivités locales.
Au bout du compte, il n'y a qu'un seul et même citoyen, qui doit pouvoir compter sur un service public local de qualité. L'accroissement des responsabilités locales lui permettrait de voter en connaissance de cause.
M. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières. - Le rapport que j'ai rédigé a été commandé, presque au même moment que celui d'Éric Woerth, par le ministre chargé des comptes publics de l'époque, Thomas Cazenave, et la ministre chargée des collectivités locales, Dominique Faure. Son objectif était d'éclairer la réflexion sur le coût de l'enchevêtrement des responsabilités et du foisonnement des normes, aussi bien pour les collectivités que pour l'État.
Plusieurs propositions, notamment du Sénat, ont été faites pour que le CNEN joue son rôle et évalue l'impact des mesures proposées.
Depuis 2009, si l'on additionne l'impact des normes examinées par le CNEN, le coût s'élève à plus de 14 milliards d'euros. Mes anciens collègues de Bercy récuseraient sans doute ce calcul, certaines normes ayant été modifiées dans l'intervalle. Néanmoins, à cette petite nuance près, le montant reste important, et l'on évalue à 2 ou 3 milliards d'euros chaque année le coût des nouvelles normes. Quand on parle de normes, il s'agit, dans 98 % des cas, de textes réglementaires d'application des lois. Il y a donc assurément un sujet de sobriété législative à explorer.
L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) évoque régulièrement 400 000 normes supportées par les collectivités territoriales. Je n'ai pas pu expertiser ce chiffre. Un double repérage a toutefois été effectué, par l'absurde, au fil des discussions. Il figure dans les annexes du rapport. Je me contenterai de citer ici deux exemples.
Pendant longtemps, les collectivités ont été contraintes de vidanger deux fois par an leurs piscines publiques, quelle que soit la qualité de l'eau. L'État a fini par admettre que cette obligation était excessive et ne l'exige plus désormais qu'une fois dans l'année, mais, là encore, dans tous les cas.
Dans le cas d'une police municipale armée, même si vous embauchez des gendarmes disposant d'une habilitation « moniteur de tir », ces derniers devront repasser la totalité des formations et habilitations au port d'arme.
Il existe incontestablement un stock de normes absurdes qu'il serait utile de modifier.
Nous avons également identifié, au sein de la « pâte » normative applicable aux collectivités locales, trois « grumeaux » de coûts extrêmement importants.
S'agissant tout d'abord de la commande publique, nous avons chiffré le coût de la passation des marchés à 1,5 milliard d'euros chaque année, en nette augmentation. Nous sommes certes sous contrainte européenne dans ce domaine, mais le génie français ajoute parfois une couche de complexité.
Sur la fonction publique, ensuite, je partage la proposition d'Éric Woerth d'autonomisation de la gestion du point d'indice. Par ailleurs, toutes les décisions individuelles doivent passer en commission administrative paritaire, malgré quelques simplifications opérées par la loi de transformation de la fonction publique de 2019. Le coût de la gestion des agents publics territoriaux, que nous avons chiffré à près de 3 milliards d'euros, pourrait sans doute être réduit.
S'agissant, enfin, de la comptabilité publique, nos services financiers pointent les factures, vérifient le service fait et la disponibilité des crédits, puis transmettent l'ensemble, pièces justificatives comprises, à la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui refait les mêmes calculs et appuie sur la touche virement. C'est finalement la principale différence entre l'ordonnateur et le comptable. Il y aurait sans doute quelques économies à réaliser sur l'intensité de ce contrôle. Le coût de la tenue des comptabilités est évalué à 1,5 milliard d'euros environ pour l'État, 300 à 400 millions d'euros pour les collectivités.
J'en viens à présent au coût de notre organisation administrative. Pour rester dans la métaphore pâtissière, je parlerai d'un « pudding » plutôt que d'un « millefeuille », ce qui est encore moins digeste. On a chiffré à 7,5 milliards d'euros les coûts de coordination, c'est-à-dire le temps passé par les fonctionnaires, le plus souvent de catégorie A, à discuter avec leurs collègues des services de l'État. Je pense aux discussions entre les services départementaux et ceux des agences régionales de santé (ARS) au sujet des Ehpad, mais aussi à celles des services instructeurs des collectivités avec les directions départementales des territoires (DDT) à propos des permis de construire et des autorisations d'urbanisme.
Nous avons chiffré aussi le coût de la gestion des financements croisés, puisque l'État verse près de 14 milliards d'euros de subventions aux collectivités : environ 5 milliards d'euros pour le fonctionnement, 9 milliards d'euros pour l'investissement. Rien que pour le bloc communal, l'État verse la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), le fonds vert et la dotation politique de la ville (DPV) pour certaines collectivités. Le temps passé par les collectivités à instruire ces dossiers est chiffré à plus de 970 millions d'euros, sans doute un peu plus, car je n'ai pas pu évaluer la partie, assez complexe, qui relève des agences comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ou l'ANCT.
Pour réduire ces coûts élevés de coordination, chiffrés à 6 milliards d'euros pour les collectivités, 1,5 milliard d'euros pour l'État, nous proposons une vraie clarification des responsabilités et des compétences. Nous avons sollicité un sondage pour demander à nos concitoyens qui, selon eux, était en charge de chaque politique publique. Résultat : ils pensent, et ils n'ont pas vraiment tort, que tout le monde s'occupe un peu de tout. Généralement, ils ont aussi le tiercé dans l'ordre, sachant identifier le niveau qui en est le principal responsable. On note toutefois aussi quelques erreurs, notamment sur la justice : 23 % des sondés pensent que le département est en charge de ces questions... Il serait donc vraiment important d'attribuer des responsabilités plus claires aux collectivités et de mettre en cohérence leurs compétences et leurs moyens financiers.
J'en viens à la partie financière. Nous avons repéré plusieurs dysfonctionnements qui appellent des modifications. Si l'autonomie financière, garantie par la Constitution, a été respectée ces dernières années, l'autonomie fiscale a quant à elle disparu. Cela pose particulièrement problème pour les départements et les régions. Or ces collectivités mènent des politiques volontaires et exercent des compétences partagées. Il est donc assez logique qu'elles disposent d'une capacité à lever des ressources fiscales, qui leur conférerait une responsabilité devant le citoyen contribuable.
Concernant le bloc communal, je partage la prudence d'Éric Woerth à l'égard de la recréation d'une taxe d'habitation ou de résidence. N'oublions pas que la taxe foncière est payée par les propriétaires et que le pays compte en moyenne 58 % de propriétaires. De plus, les locataires doivent s'acquitter de charges ou de réévaluations de loyers liées à la taxe foncière. Celle-ci ne concerne donc pas uniquement les détenteurs de biens. Son augmentation est souvent répercutée par les propriétaires sur ceux qu'ils logent.
Nous avons repéré par ailleurs certaines situations susceptibles de remettre en cause le bon exercice des compétences. Certains transferts, compensés à l'origine, ont connu des dynamiques de dépenses et de recettes totalement divergentes. Ainsi, le RSA est compensé à peine pour moitié, alors que cette dépense avoisine les 10 milliards d'euros pour l'ensemble du pays. De nombreux présidents de départements ont en outre exprimé un véritable sentiment d'injustice concernant la prise en charge des MNA.
Lorsqu'il existe une délégation de service public et qu'un événement extérieur vient modifier l'équilibre du contrat, on en assume généralement les conséquences. Dans le cas des MNA, la conséquence d'une politique de l'État vient bouleverser l'exercice d'une compétence par les départements. Notre avis est que l'État ne peut y être indifférent et doit trouver une forme de « détourage » de cette politique, pour que l'aide sociale à l'enfance puisse continuer à s'exercer.
Quelles conséquences pouvons-nous tirer de ces travaux dans la période actuelle ? Il ne faut pas remettre à demain les réformes structurelles. Il faut au contraire les accélérer, engager le travail de simplification des normes évoqué précédemment et réorganiser les compétences autour de responsabilités, avec des moyens financiers garantis.
La situation est difficile, mais ce qui peut être perçu comme une complication peut également apparaître comme une véritable opportunité pour agir. En effet, il n'y a jamais eu autant de bonnes raisons de donner aux collectivités la possibilité de faire des économies et de permettre à notre système de dépenser l'argent plus utilement.
J'en termine avec la rémunération des hauts fonctionnaires et des dirigeants d'agence. Alors à ce poste, je m'étais étonné que le président de l'Ademe perçoive une rémunération supérieure à celle de son ministre. J'ai d'ailleurs sollicité une diminution de cette rémunération, qui m'a été accordée. Une règle assez simple pourrait être appliquée dans chaque périmètre ministériel, selon laquelle celui qui prend le plus de risques et assume le plus de responsabilités politiques devrait être le plus rémunéré. Cette règle ferait passer les rémunérations bien en dessous des 15 000 euros...
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale de la commission des finances sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Le PLF 2025 est loin de faire des miracles, comme vous l'avez tous souligné. Jean-Léonce Dupont l'a rappelé : la situation des départements comme celle des communes est extrêmement grave. Le budget accordé par les départements au soutien à l'investissement des communes est important. La solidarité territoriale est à l'oeuvre. Sans leur aide, les investissements locaux disparaîtront, car la DETR ne suffira pas pour les financer.
Je ne suis pas sûre que le sujet, majeur, de la décentralisation, puisse être travaillé sereinement dans le cadre du PLF catastrophique qui nous est présenté. Or ce sujet recouvre celui des finances. Il est beaucoup question en ce moment d'un retour à l'impôt local. Les promoteurs de la disparition de la taxe d'habitation doutent désormais de sa pertinence. Ce n'est pas faute de les avoir prévenus ! Cependant, une remise en l'état de cette taxe serait difficile à assumer devant nos concitoyens. Il faudra donc trouver une autre solution. Il n'en reste pas moins que ce retour de la fiscalité est essentiel. Nous allons y travailler.
Les éléments que vous nous avez apportés constituent une excellente base de travail. Si je ne suis pas en accord avec toutes vos préconisations, elles n'en comportent pas moins des pistes intéressantes à suivre.
Il nous faut mobiliser tous les moyens possibles sur les départements, car nous ne pouvons pas nous en passer.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Je partage l'essentiel des conclusions qui nous ont été présentées. La question se pose d'ailleurs de savoir pourquoi l'on ne parvient pas à avancer sur ces questions, alors que les diagnostics et de nombreuses pistes de proposition sont partagés.
Je pense comme vous qu'il ne faut pas renoncer aux réformes structurelles, pour un retour à la confiance et à la responsabilité. Le sujet central est celui de la gouvernance. Il est évident que ces réformes structurelles n'interviendront pas dans le PLF 2025. Cependant, il ne faut pas y renoncer, si l'on veut qu'elles figurent dans le PLF 2026.
Chacun doit prendre part à l'effort général, la question étant de savoir comment cet effort se décline. J'en viens à ce propos sur la situation des départements. L'épargne constitue ici une clé majeure. Si on ne laisse pas aux collectivités en général, et aux départements en particulier, une capacité d'épargne, le moteur se trouvera bridé et les hypothèses macroéconomiques du PLF ne tiendront pas.
Le Gouvernement a pour objectif de répondre à la commande européenne de diminuer les besoins de financement. Or les mesures proposées ne nous semblent pas garantir la réalisation de cet objectif. La réduction des recettes de fonctionnement des collectivités ne réduira pas automatiquement leurs besoins de financement. Au contraire, elle risque même de les accroître. C'est pourquoi nous travaillons à des contre-propositions excluant les départements qui, à trois ou quatre exceptions près, sont en grande difficulté. L'enjeu est aussi de trouver des mécanismes qui ne mettent pas à mal nos territoires.
Il est vrai néanmoins que des revues de politiques publiques pourraient utilement être conduites sur la base des préconisations de vos rapports.
Enfin, les mesures d'exception que l'on a su mettre en oeuvre sur la commande publique pour la restauration de Notre-Dame de Paris et pendant les jeux Olympiques et Paralympiques pourraient s'appliquer à la situation actuelle, afin d'alléger certains dispositifs.
M. Hervé Reynaud. - L'effort proposé dans le PLF 2025 pour les collectivités locales ne me semble pas pertinent, d'autant moins au vu de l'effet cumulatif des mesures successives prises à leur égard. Les collectivités locales, notamment les départements, ont conduit les efforts nécessaires pour maintenir des finances de qualité. On arrive à présent au bout de ce processus.
Nous ne pouvons pas, en l'état, accepter les propositions faites par le Gouvernement. Le Premier ministre a proposé que le débat parlementaire ait lieu. Nous formulerons donc des propositions. Il a dit également qu'il fallait lever la ligne d'horizon.
Des facteurs structurels sont à étudier. Pour les départements comme pour les communes, on observe une inadéquation totale entre les dépenses - en hausse, particulièrement sur le volet social, et, pour certaines, rigides - et les recettes, volatiles et éphémères. Or il est difficile d'avoir une autonomie de gestion en l'absence d'autonomie financière et fiscale. À partir de ces principes fondamentaux, nous pourrons ensuite discuter.
La question de la départementalisation des agences de l'eau et des ARS peut se poser. Par ailleurs, j'ai bien aimé le propos de Boris Ravignon sur la question de savoir qui porte la responsabilité, au-delà de la compétence. Un travail est à mener sur ce sujet.
Enfin, les élus sont marqués par le découragement. Les démissions de maires sont nombreuses. Un président de département m'a dit qu'il serait peut-être le dernier président de cette structure. Cette situation est peu propice à susciter des vocations.
M. Bernard Delcros, président. - Monsieur Woerth, est-il possible de réformer la DGF à enveloppe constante ?
Monsieur Dupont, les DMTO sont-ils le bon support pour assurer le maintien d'un fonds de péréquation départemental ?
Il est normal que les collectivités participent au redressement des finances publiques. Quelles seraient les bonnes mesures à mettre en oeuvre pour y parvenir ?
M. Laurent Burgoa. - Il y a quelques années, les intercommunalités nous ont été vendues comme une strate indispensable pour faire des économies d'échelle. Permettez-moi d'en douter !
Le fonctionnement des strates administratives n'est-il pas dû principalement aux transferts de compétences obligatoires vers les intercommunalités ? Alors que les deux strates de proximité sont la commune et le département, les intercommunalités ont créé un fonctionnement qui nuit à la lisibilité de l'ensemble du système.
Il est regrettable par ailleurs que l'État ne sache pas distinguer les bons élèves des mauvais parmi les collectivités. Une collectivité qui gère bien son budget est moins bien vue par Bercy qu'une autre qui le gère mal ! Il faudrait y remédier.
Enfin, l'une des réformes à mener consisterait à donner à tous les préfets de département la possibilité d'être les patrons de tous les services de l'État. En effet, les préfets sont de bons gestionnaires et ils sont en lien avec les élus locaux.
M. Rémy Pointereau. - Je partage totalement les remarques de Jean-Léonce Dupont. Une réforme de l'appareil d'État est indispensable. En revanche, je conteste les propos de Bruno Le Maire à l'égard de la responsabilité des collectivités locales dans le déficit de l'État. Les collectivités ont l'obligation de présenter un budget en équilibre.
Je rejoins par ailleurs les propos de Laurent Burgoa sur les intercommunalités. Celles-ci entraînent certes des mutualisations de moyens, mais nombre de communautés de communes ont recruté à tour de bras pour les constituer, sans que les effectifs diminuent dans les communes. De même, aucun rapport n'est paru concernant les économies réalisées à l'occasion de la formation des grandes régions. Je n'ai pas l'impression qu'il y en a eu... Au contraire, il en a résulté des coûts supplémentaires : les anciens hémicycles sont restés à leur place, les frais sont toujours aussi importants, tandis qu'elles se sont éloignées de nos concitoyens.
Des économies pourraient en revanche être réalisées sur les agences, mais cela doit se faire sur le temps long. Elles ne pourront être effectives dès 2025, mais il faut s'y attaquer dès à présent pour ne pas retrouver les mêmes problèmes l'année prochaine.
De plus, pour redonner de la souplesse aux communes dans la mise en application des normes, le pouvoir de dérogation du préfet doit être actif dès maintenant pour qu'il nous facilite la tâche tout en évitant des coûts supplémentaires, pour les départements comme pour les communes. Ce pouvoir de dérogation pourrait-il nous faire faire des économies ?
En 2015, sous le Gouvernement de Manuel Valls, 17,5 milliards d'euros avaient déjà été ponctionnés sur les collectivités - 10,5 milliards en fonctionnement et 7 milliards en investissement. Il est important de s'en souvenir.
Le travail de simplification des normes représente 2 à 3 milliards d'euros par an. Serait-il possible de le mener dès à présent pour éviter une ponction trop forte sur les collectivités ?
M. Grégory
Blanc. - La part des collectivités dans les
dépenses du PIB reste constante sur vingt ans, alors qu'elles ont
absorbé davantage de compétences. Elles ont donc conduit des
efforts de rationalisation considérables sur les vingt dernières
années pour assumer des compétences préalablement
supportées par l'État, qui représentent environ
6 milliards d'euros.
La diminution de 160 millions d'euros des sommes dévolues aux missions locales aura forcément des conséquences et il ne s'agit là que d'un exemple parmi d'autres.
La question de la suppression des doublons, assez peu abordée - semble-t-il - dans les rapports, est aussi importante.
Il faudrait également s'interroger sur la distinction entre protection sociale et compétences sociales. Les compétences sont toujours étudiées en lien avec l'État, non avec les gestionnaires de la protection sociale. En 1945, les régimes assurantiels ont été unifiés et un système universel puissant a été mis en oeuvre. Or, à partir des années 1980, on s'est aperçu que l'on créait des allocations pour accompagner les personnes sorties du système assurantiel, par exemple le revenu minimum d'insertion (RMI). Une distinction aussi nette n'a plus de sens. Pourquoi ne pas tisser un lien entre ce qui finance la protection sociale et ce qui pourrait financer les compétences sociales ? Pourquoi aucune proposition ne nous est-elle formulée à cet égard ?
M. Éric Woerth. - Il existe la CSG.
M. Grégory Blanc. - Certes, mais je pense surtout à la branche famille, notamment au financement de la protection de l'enfance, sujet critique pour les départements.
M. Jean-Claude Anglars. - La confiance de nos concitoyens à l'égard des élus suscite des inquiétudes. Nos concitoyens ressentent une forme de déconnexion totale, en particulier dans le milieu rural. Songez que nous sommes en train, dans le cadre de l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN), de compter les brins d'herbe et les arbres pour savoir ce qu'est la renaturation ! Qu'en pensez-vous ?
L'idée de créer des conseillers territoriaux pour recréer du lien entre les élus et les territoires me semblait par ailleurs intéressante. Où les réflexions en sont-elles à cet égard ?
M. Pierre Jean Rochette. - Nous nous trouvons face à une véritable salade niçoise : tout le monde s'occupe de tout, les départements s'occupent de sujets nationaux, comme les MNA, et en définitive le système fonctionne mal et s'avère extrêmement coûteux. Or, il est toujours difficile de faire des économies, car tout le monde s'y refuse.
L'idée de supprimer des agences me semble excellente. Elles sont en effet trop nombreuses.
Je souhaite par ailleurs évoquer un sujet dont on
n'entend jamais parler, à savoir les primes versées à
certains agents dans les collectivités territoriales. Pour avoir
assisté en la matière à des situations assez surprenantes,
je m'étais dit qu'elles révolteraient nos administrés
s'ils en avaient connaissance. Des primes de plusieurs dizaines de milliers
d'euros étaient en effet versées en fin d'année, ce qui
m'a choqué. Cet élément pourrait-il être davantage
encadré ?
M. Éric Woerth. - Les doublons sont nombreux au sein des collectivités elles-mêmes. Ainsi, l'office de tourisme, l'agence départementale et l'agence régionale du tourisme sont trois agences oeuvrant dans le même domaine. Les métropoles disposent également d'un service sur ce sujet.
En réalité, nous produisons de la complexité, mais nous ne le faisons pas sous l'effet d'une volonté malveillante. Aucun élu, aucun président de la République n'a jamais dit que son programme était de compliquer la vie des gens ! Cependant, l'accumulation du nombre de décideurs entraîne une juxtaposition des dispositifs, chacun voulant faire mieux que son voisin. Il existe aussi des luttes de pouvoir.
La réforme de la DGF est indispensable, mais elle ne peut se faire à enveloppe constante, car cela ferait des perdants. La DGF rassemble une dizaine de sous-dotations. Toutes celles qui se raccrochent à un passé très lointain ne fonctionnent pas. Il faut donc les lier à d'autres éléments. Nous avons fixé des objectifs à ce sujet, mais sans entrer dans le détail, cette dernière tâche ayant été initialement confiée au CFL.
Nous avons beaucoup travaillé avec le Sénat sur ce point. Le président du Sénat avait en effet nommé Françoise Gatel et Mathieu Darnaud comme correspondants de la mission. Nous avons également consulté les nombreux rapports sénatoriaux existants.
Nous avons aussi proposé de rendre possible la révision des bases foncières à la demande des intercommunalités, avec la participation de la DGFiP.
Le sujet des intercommunalités est complexe. Elles se substituent de plus en plus aux communes. Nous nous sommes efforcés de simplifier leur régime juridique et de dresser la liste des différentes compétences qu'elles assument. L'idée est, à partir de là, de laisser l'intercommunalité choisir ce qu'elle prend ou non, par la mutualisation. Nous accordons par ailleurs un droit d'alerte assez puissant aux maires dans le cas où un projet serait jugé non compatible avec l'intercommunalité ou dans le cas où un problème de gouvernance se présenterait au sein de celle-ci.
Nous proposons également de supprimer la métropole de Paris. Elle réunit de très nombreux financements. Or il s'agit souvent d'un simple lieu de passage, avant leur rebascule vers des établissements publics territoriaux qui ne sont même pas des intercommunalités. Nous nous sommes efforcés de remettre de l'ordre dans ce système.
Le pouvoir de dérogation du préfet est par ailleurs fondamental. Très encadré par les administrations centrales, il mériterait d'être libéré. Mais cela impliquerait d'alléger également la responsabilité pénale des élus et des grands cadres de l'État. M. Christian Vigouroux, conseiller d'État, s'est d'ailleurs vu confier une mission sur la responsabilité pénale des décideurs publics. Nous lui avons fourni quelques éléments, relatifs notamment aux situations dans lesquelles un conseiller municipal serait, par exemple, président de la société d'économie mixte au titre du conseil municipal - situation qui génère un double conflit d'intérêts.
Je n'ai jamais entendu parler de primes d'un montant équivalent à celui qu'a évoqué M. Rochette dans la fonction publique territoriale, mais il serait intéressant de se pencher sur cette question. Nous souhaitons que, pour la gestion des carrières, donc la fixation des régimes indemnitaires, la fonction publique territoriale fonctionne comme une branche, avec une représentativité syndicale et une représentativité des employeurs et une coordination avec la fonction publique nationale, notamment sur les voies de passage. Si des divergences se présentent, elles ne devraient pas avoir de trop graves conséquences.
Notre schéma financier redonne en outre un pouvoir de taux aux collectivités, notamment aux départements pour la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) et la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa), dans un contexte qui n'est pas favorable à la recréation d'un grand impôt local.
Quant aux grandes régions, nous ne les avons pas redécoupées. Elles ont été créées il y a dix ans.
M. Jean-Léonce Dupont. - Le contexte général est marqué par la montée en puissance de la dépendance dans les dix ans à venir, du fait du papy-boom. Or, la loi sur l'autonomie se faisant attendre depuis plus de vingt ans, ce sont les départements qui la prendront en charge.
Je partage plusieurs des propos qui ont été tenus sur la fascination de la technocratie pour le XXL : des communes nouvelles XXL, des cantons XXL, des intercommunalités XXL, des régions XXL...
Aucune étude n'a effectivement été menée sur l'évaluation du coût des grandes régions. On nous a dit qu'elles entraîneraient des économies, quand nous annoncions pour notre part des dépenses supplémentaires. L'alignement des rémunérations sur les rémunérations les plus hautes en cas de fusion a d'ailleurs entraîné un coût immédiat, sans parler des coûts de déplacement : des élus du Limousin prennent ainsi le train pour une heure de réunion avec des élus des Pyrénées-Atlantiques...
Pour ce qui concerne le ZAN, on passe d'une absence totale de contrôle à un blocage généralisé. Il est certes pertinent de s'interroger sur les processus objectifs à mettre en oeuvre pour limiter l'artificialisation des sols. Mais si l'on se fixe en même temps un objectif de réindustrialisation et si l'on considère les problèmes de logement que les collectivités ont à gérer, on se retrouve, là aussi, en Absurdie !
J'aimerais avoir une illustration des primes aux agents mentionnées précédemment, car je n'ai pas eu connaissance de telles pratiques.
L'idée d'Éric Woerth de travailler sur la CSG, avec un pouvoir de taux, est intéressante. Bercy ne peut plus décider de tout, sans tolérer la moindre liberté de la part des collectivités.
Quant aux droits de mutation, ils constituent un trend, une tendance, exposée parfois à des fluctuations conjoncturelles. À titre d'exemple, dans le Calvados, cette tendance s'établit à 140 millions d'euros. Elle peut aller jusqu'à 180 millions d'euros et descendre à 100 millions d'euros. Je me suis battu avec Bercy pendant cinq ans pour obtenir un pouvoir de mise en réserve. L'idée était de mettre en réserve les sommes engrangées les années hautes et de puiser dans ces réserves les années basses pour pouvoir assurer la continuité de l'investissement de la strate territoriale et, par voie de démultiplication, du bloc local.
La création d'une CSG est donc bienvenue. En revanche, celle d'une dotation de solidarité soulève des interrogations. La non-indexation de la DGF sur l'inflation représente en effet une perte de 1,3 milliard d'euros pour les départements pour la période 2022-2023. De plus, les dotations peuvent être diminuées soudainement. Le président François Hollande a ainsi diminué la dotation de mon département, le Calvados, de 35 millions d'euros. Dans ce contexte, comment pourrions-nous nous engager dans un système de dotation, sous prétexte que l'on nous dit que l'on travaillera en toute confiance ? Il n'y a aucune confiance sur ce point chez les élus.
Élu depuis quarante-sept ans, je me suis battu pendant trente ans pour une plus grande confiance entre l'État central et les collectivités. Or, depuis dix-sept ans, je n'y crois plus. C'est un rapport de forces qui s'exerce entre les collectivités locales et l'État central, en particulier Bercy. Si l'on n'a pas cette réalité en tête, on ne peut trouver de solutions pour l'avenir.
La Charte européenne de l'autonomie locale, signée en 1985, n'a été ratifiée par la France qu'en 2007, soit vingt-deux ans plus tard. Pourquoi un tel délai ? Il tient sans doute au fait que la Charte mentionne l'autonomie locale, qui est un gros mot... L'article 9, alinéa 3, stipule : « Une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi ».
L'État français, pour les régions et les départements, ne respecte donc pas la Charte qu'il a pourtant signée et ratifiée. Cette situation illustre parfaitement la réalité de l'exercice du pouvoir des uns et des autres et la volonté, ou plutôt l'absence de volonté, de travailler ensemble. La confiance n'est pas encore retrouvée.
M. Boris Ravignon. - Concernant la temporalité des économies structurelles, de nombreuses mesures peuvent être réalisées rapidement. Ainsi, il serait possible de relever les seuils de passation ou de formalisation des marchés publics. Les collectivités sont prêtes à s'adapter, comme elles le faisaient déjà précédemment.
M. Rémy Pointereau. - Un texte a été voté en ce sens au Sénat mardi dernier.
M. Boris Ravignon. - Des modifications peuvent également être décidées par voie réglementaire concernant la fonction publique territoriale.
Il existe effectivement des doublons, qui figurent bel et bien dans notre rapport, mais que nous avons omis d'inclure dans notre présentation. À titre d'exemple, dans le domaine de la politique de la ville, il existe des contrats de ville, passés entre l'État et les agglomérations. Mais aucune liberté n'est laissée aux collectivités pour conduire la politique associée. Au lieu de les laisser faire, tout en prévoyant un examen à intervalles réguliers des résultats obtenus, un micromanagement est mis en oeuvre, impliquant du personnel de la préfecture, sous l'autorité d'un sous-préfet délégué, pour l'attribution des fonds. Pas moins de 150 à 200 postes, en équivalent temps plein (ETP), y sont affectés dans les préfectures ; ils seraient plus utilement employés ailleurs.
Ces différentes modifications pourraient être mises en oeuvre assez rapidement et produire des résultats financiers dès à présent.
Si l'on aborde à présent la question de l'autonomie comptable et financière des collectivités, cela prendra du temps, par exemple, de réorganiser la gouvernance et obtenir des responsabilités claires sur le handicap ou la fin de vie - sujets sur lesquels le département et l'ARS se gênent mutuellement, souvent au détriment des familles de personnes âgées et de personnes handicapées. De tels sujets requièrent parfois un vecteur législatif. Or il est difficile à mobiliser en ce moment.
Personne n'est dupe du fait que l'ajustement qui nous est demandé en 2025 devra se reproduire en 2026 et 2027. Nous avons donc plus de temps en réalité que la polarisation sur le débat budgétaire pour 2025 nous laisse à penser. Ce n'en est pas moins maintenant que tout se décide.
Concernant le ZAN, j'ai entendu assez peu d'élus ruraux dire que l'on pourrait s'en dispenser. Tout le monde est plutôt convaincu de l'importance de garder nos terres agricoles, en particulier pour préparer l'avenir. La délibération locale pourrait aider à trouver des arrangements locaux sur ce point. Si l'on avait davantage fait confiance aux territoires plutôt que d'édicter des règles par la voie nationale, législative et réglementaire, par nature longue et complexe, on serait parvenu à une gestion décentralisée efficace.
Les besoins des uns pourraient être satisfaits de la sorte par les opportunités qui se présentent à d'autres. Dans le Grand Est, il existe ainsi à certains endroits des friches à renaturer et à remettre en état, et à d'autres endroits des secteurs soumis à une forte tension pour leur développement économique. Si nous parvenions à faire se rencontrer ces besoins et ces offres, à plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres, nous pourrions satisfaire plus facilement à cette obligation dont personne ne discute la nécessité.
M. Bernard Delcros, président. - Merci pour ces échanges éclairants. À l'occasion du Congrès des maires, nous lancerons une consultation des élus locaux sur le poids des normes pesant sur les collectivités territoriales et les pouvoirs de dérogation du préfet.
La réunion est close à 10 h 45.