Mercredi 2 octobre 2024
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Institutions européennes - Nouvelles institutions européennes - Communication de M. Jean-François Rapin
M. Jean-François Rapin, président. - Je voudrais vous faire part de quelques observations au sujet de la composition de la nouvelle Commission européenne, notamment à la suite de la polémique suscitée par le retrait tardif de Thierry Breton et la désignation, par le Président de la République, de Stéphane Séjourné comme candidat au poste de Commissaire européen.
Selon l'article 17 du traité sur l'Union européenne, le Président de la Commission européenne est élu pour 5 ans par le Parlement européen, sur proposition du Conseil européen. Ce dernier désigne son candidat à la majorité qualifiée « en tenant compte du résultat aux élections au Parlement européen ». Dans les faits, cela signifie que le Président doit être d'une couleur politique conforme à celle du groupe ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au Parlement européen. Les chefs d'État ou de gouvernement disposent toutefois d'une certaine latitude dans le choix du candidat, qui n'est pas forcément celui désigné par les différents groupes politiques (système dit du Spitzenkandidat - chef de file). Ainsi, lors du précédent renouvellement de la Commission européenne, en mai 2019, le Conseil européen avait écarté le Président du groupe du Parti Populaire Européen (PPE) Manfred Weber, et retenu la candidature d'Ursula von der Leyen, issue du même groupe politique, qui n'avait pas participé à la campagne électorale, mais qui avait été finalement élue présidente de la Commission européenne.
Lors des récentes élections européennes de juin 2024, Ursula von der Leyen a été cette fois désignée comme Sptitzenkandidat par le PPE, qui est arrivé en tête. C'est elle qui a été proposée, à nouveau, par le Conseil européen comme présidente de la Commission. Elle a été élue par le Parlement le 18 juillet 2024 pour un second mandat. Avec 188 députés européens, le PPE demeure, en effet, le premier groupe au sein du Parlement européen. Le deuxième groupe est celui des sociaux-démocrates (136 sièges), suivi des Patriotes pour l'Europe (84), des Conservateurs et réformistes européens (78), du groupe Renew (77), des Verts (53) et de l'extrême-gauche (46). Les autres Commissaires européens sont proposés par le Conseil, en accord avec le président élu de la Commission, et soumis à l'approbation du Parlement (principe dit de la « double investiture »). Si le Parlement approuve la liste des commissaires, ceux-ci sont nommés par le Conseil européen à la majorité qualifiée. En pratique, chaque État membre dispose d'une grande liberté en ce qui concerne la désignation de « son » Commissaire, même si ce choix doit être approuvé par le Président de la Commission.
Même si les traités prévoient que le Parlement européen se prononce par un vote sur l'ensemble du collège et non sur tel ou tel candidat, le Parlement européen a pris l'initiative d'organiser des auditions des candidats devant les commissions parlementaires concernées. Cette étape de l'audition parlementaire n'est pas que formelle. De nombreux candidats commissaires ont été rejetés par le Parlement européen, pour divers motifs (ligne politique, manque de compétences, conflit d'intérêts, etc.) : le Parlement européen est donc capable de menacer d'utiliser son droit de véto à l'égard de l'ensemble du collège.
Enfin, il revient au Président de la Commission européenne de distribuer les « portefeuilles » entre les différents Commissaires.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
La Présidente Ursula von der Leyen a dévoilé, le 17 septembre, la liste des candidats aux postes de Commissaires ainsi que la répartition des portefeuilles envisagée au sein de la Commission européenne. La veille, le Commissaire européen français Thierry Breton avait annoncé dans un tweet qu'il ne ferait pas partie du nouveau collège, en dénonçant - je cite - « une gouvernance douteuse ». L'Élysée a annoncé peu après que le Président de la République avait proposé la candidature de Stéphane Séjourné, ancien ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Le nouvel organigramme comprend 26 Commissaires, outre la Présidente, dont six vice-Présidents exécutifs - il y en avait trois précédemment. Malgré le souhait de la Présidente, la parité n'est pas entièrement respectée puisque l'on trouve 11 femmes et 16 hommes. Plusieurs nouveaux portefeuilles sont créés, consacrés notamment à la défense, à la Méditerranée et au logement. Tous les candidats devront être auditionnés par les commissions du Parlement européen, sans doute après mi-octobre, avant un vote de confirmation sur l'ensemble du collège, qui devrait intervenir avant la fin de l'année.
Quels enseignements peut-on tirer de la nouvelle composition envisagée pour la nouvelle Commission européenne ?
Tout d'abord, la tendance à vouloir « politiser » la Commission européenne avec le mécanisme de la « double investiture » s'est révélée, à mes yeux, une profonde erreur. La Commission européenne n'est pas le « gouvernement de l'Europe » mais une institution indépendante chargée d'incarner l'intérêt général européen. C'est parce qu'elle est composée de personnalités de différentes sensibilités politiques et indépendantes des gouvernements, qu'elle dispose d'une légitimité pour disposer du monopole de l'initiative, exercer des pouvoirs importants en matière de concurrence ou encore contrôler l'application du droit européen, avec la procédure de recours en manquement devant la Cour de Justice. Or, la tendance à « politiser » la Commission européenne aboutit paradoxalement à fragiliser sa légitimité.
Ensuite, dans une Europe à vingt-sept États membres, le nombre pléthorique de Commissaires complique la coordination au sein de la Commission européenne. Le traité de Lisbonne permet de plafonner le nombre de membres de la Commission européenne à deux-tiers, soit dix-huit, avec un principe de rotation égalitaire entre les États. À la suite du referendum négatif irlandais lors de la ratification du traité de Lisbonne en 2008, les États membres ont toutefois décidé de revenir à la règle d'un Commissaire par État. La Commission européenne compte donc actuellement vingt-sept membres, ce qui menace la cohérence d'ensemble de son action.
Ainsi, le renforcement de la base industrielle et technologique de défense sera-t-il confié au Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Commissaire européen chargé de la défense et de l'Espace ou bien au Commissaire européen chargé de la stratégie industrielle ? La réponse n'est pas évidente... Cette question n'est pas dénuée d'importance compte tenu des différentes sensibilités qui existent entre les États membres au sujet de l'industrie de défense et du lien transatlantique, nous l'avons vu dans le mandat précédent. Il en va de même sur la question sensible de l'énergie nucléaire.
Certains portefeuilles de Commissaires dans la nouvelle Commission européenne peuvent soulever d'autres interrogations. Ainsi, le Commissaire chargé de l'énergie est également chargé du logement. Pourtant, l'UE n'a pas de compétence en matière de logement.
Pour renforcer la coordination, nous avons assisté ces dernières années à une tendance croissance à la hiérarchisation et au renforcement des pouvoirs du Président de la Commission européenne. Ainsi, c'est le Président de la Commission européenne qui choisit les « portefeuilles » des différents Commissaires et il peut même les modifier en cours de mandat. Ces dernières années, différents pôles ont été créés, avec des vice-présidents exécutifs à leur tête, afin de renforcer la coordination interne. Le passage de 3 à 6 vice-présidents dans cette deuxième Commission von der Leyen risque de diluer leur poids respectif et de les empêcher de contrebalancer le pouvoir de la Présidente qui s'en trouvera augmenté.
La Commission européenne reste pourtant, en théorie, un organe collégial où le Président n'est que le « primus inter pares ». Toutes les décisions doivent être examinées par le collège des Commissaires, qui se prononcent à la majorité simple, chaque Commissaire disposant d'une voix. Ainsi, chaque Commissaire européen n'est pas seulement chargé d'un secteur spécifique mais il a vocation à se prononcer sur l'ensemble des mesures prises par la Commission européenne. Au total, la tendance à la « présidentialisation » de la Commission européenne me paraît préjudiciable et de nature à remettre en cause le caractère collégial de cette instance. Cette tendance a été aggravée par le mode de gouvernance très centralisé d'Ursula von der Leyen, qui a été mis en lumière par plusieurs observateurs et qui a été dénoncé par Thierry Breton lors de sa fracassante démission.
On peut s'interroger sur le fait de savoir si le départ de Thierry Breton ne risque pas de se traduire par une diminution de l'influence française au sein de cette instance. En soi, ce retrait tardif du candidat présenté par la France, qui semble avoir été obtenu par la Présidente von der Leyen, est inédit s'agissant d'un grand pays comme le nôtre et traduit une faiblesse certaine de la France, empêtrée depuis trois mois dans ses difficultés politiques internes et placée sous « l'épée de Damoclès » d'une procédure pour déficit excessif.
En apparence, la place de la France a été préservée et même renforcée puisque Stéphane Séjourné serait nommé Vice-Président exécutif pour la Prospérité et la Stratégie industrielle, alors que Thierry Breton n'occupait pas de poste de vice-président. Toutefois, Thierry Breton disposait d'un très large portefeuille, et exerçait en pratique une grande influence au sein de la Commission européenne. Rappelons le rôle essentiel qu'il a joué pour imposer une régulation au niveau européen face aux géants du numérique, qui n'ont d'ailleurs pas manqué de saluer son départ...
La répartition des portefeuilles par la Présidente interroge, puisqu'un nouveau poste de Commissaire européen chargé de la défense et de l'espace est créé, alors que les aspects industriels de la défense relevaient auparavant du domaine de Thierry Breton. La nomination d'un commissaire dédié à la défense et à l'espace fera que notre commission devra s'intéresser davantage à ces questions.
Le nouveau Commissaire européen français ne sera à la tête que d'une seule direction générale de la Commission européenne, la direction générale chargée du marché intérieur, alors que deux autres directions générales étaient rattachées à Thierry Breton : la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies (DG CONNECT) et la Direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace (DG DEFIS). Stéphane Séjourné aura certes, en qualité de vice-président, un rôle de coordination de plusieurs Commissaires européens, mais ce rôle n'est pas très clair : dans le nouvel organigramme, certains commissaires européens sont en effet placés sous la tutelle de plusieurs vice-présidents, tandis que d'autres relèvent en même temps d'un vice-président et directement de la Présidente de la Commission européenne. En outre, la nouvelle composition du collège semble être la traduction des nouveaux équilibres en Europe, avec un affaiblissement du couple franco-allemand et un basculement vers l'Est.
On peut donc craindre, comme l'a regretté Thierry Breton, dans une interview récente au journal Le Monde, que « la voix de la France porte moins en Europe ». L'Allemagne voit sa place encore renforcée, alors que celle de la France apparaît en retrait. Comme le relève Thierry Breton, en 2023, on comptait parmi les 27 chefs de cabinet des Commissaires européens, trois Allemands et deux Français. Dans la prochaine Commission, on pourrait trouver in fine neuf ou dix Allemands et un seul Français...
Le Commissaire européen polonais obtient le portefeuille stratégique du budget, à la veille du lancement des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel. La place des pays baltes est également remarquable, avec l'octroi du poste de Haut représentant pour les affaires politiques et de sécurité attribué à la candidate estonienne et celui de Commissaire européen chargé de la défense et de l'espace au candidat lituanien. Le Sud n'est pas pour autant oublié avec la candidate socialiste espagnole qui hérite d'un large portefeuille consacré à la transition verte et le candidat Italien du parti de Georgia Meloni qui sera chargé de la cohésion et des réformes, deux sujets majeurs.
Sans vouloir porter de jugement sur la personnalité de Stéphane Séjourné, il me semble que la polémique suscitée par sa désignation en urgence par le seul Président de la République pose opportunément la question de la procédure de désignation du candidat au poste de Commissaire. Ce choix revient actuellement au Président de la République, sans que le Parlement ne soit associé ni même consulté : ne faudrait-il pas prévoir, à l'instar de ce qui se passe chez plusieurs de nos voisins européens, un droit de regard du Parlement sur cette désignation ? Le Parlement européen, lui, aura à se prononcer par un vote sur le choix du Commissaire européen français... Il serait légitime de prévoir un droit de regard du Parlement français dans le choix du candidat au poste de Commissaire européen, comme on le fait pour les nominations relevant de l'article 13 de la Constitution. Sur Public Sénat la semaine dernière, j'ai défendu publiquement cette proposition que j'avais déjà faite avant l'été au Président du Sénat. Il n'est pas normal que seul le Parlement européen ait son mot à dire sur la nomination du Commissaire français, mais pas le Parlement français.
M. André Reichardt. - Merci pour cet exposé intéressant et complet. Je m'interroge sur les critères de choix des Commissaires européens : ne devrait-on pas tenir compte en particulier de la compétence des candidats ? Je ne suis pas sûr que ce soit le cas actuellement... Ensuite, je m'interroge sur l'efficacité qu'aura cette Commission, ce qui m'inquiète pour l'avenir de l'Union européenne dans son ensemble, à un moment où les citoyens européens s'interrogent sur la consistance et le rôle de l'UE. Les candidats doivent encore être auditionnés, certains pourraient être écartés - il ne va pas de soi par exemple de confier les affaires étrangères et la politique de sécurité à Kaja Kallas -, mais ce qui se trame me parait particulièrement inquiétant dans la période actuelle.
M. Jean-François Rapin, président. - La candidate que vous mentionnez a démontré sa force de caractère, mais c'est aussi celle qui aura la première proposé un nouvel d'emprunt européen de 100 milliards d'euros - nous pourrons interroger le Gouvernement sur cette nomination.
Le poste du commissaire français Stéphane Séjourné est très politique. Il ne vous aura pas échappé non plus que le ministre délégué à l'Europe se trouve dorénavant rattaché au Premier ministre, en plus de l'être au ministère des affaires étrangères...
On peut toutefois espérer que cette nouvelle Commission travaille avec plus de pragmatisme et davantage en lien avec les États membres.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le fait que Michel Barnier ait été Commissaire européen constitue peut-être un atout pour notre pays avec cette nouvelle Commission européenne.
Je me demande, ensuite, comment on pourrait donner suite à cette communication que notre commission vient d'entendre : pensez-vous, Monsieur le Président, adresser par exemple un courrier au Gouvernement ? C'est peu dire que le Président de la République n'a pas tenu compte des résultats des élections législatives dans la désignation de Stéphane Séjourné, et je m'étonne comme vous du fait que le Parlement national n'ait pas son mot à dire dans ce processus...
M. Jean-François Rapin, président. - A ce stade, j'ai sollicité l'audition du candidat française au poste de Commissaire européen, comme nous pourrions le faire un jour au titre de l'article 13 de la Constitution ; j'ai aussi eu un échange plus large avec le Président Larcher sur différents changements institutionnels que nous pourrions proposer, sur les relations entre les échelons européen et national, et j'ai fait connaître ces propositions à la vice-Présidente du Sénat, Sylvie Vermeillet, en charge d'une mission destinée à améliorer le travail parlementaire. Nous devons avoir un débat avec la présidence de la République ; des changements sont possibles par la voie d'une loi organique, il faut y travailler - et je m'y emploie en relayant ces pistes d'évolutions.
Mme Florence Blatrix Contat. - On peut regretter l'éviction de Thierry Breton, qui a obtenu des avancées sur le numérique - on en a eu confirmation en voyant les Gafam se féliciter de cette éviction... Nous n'avons pas à juger de la compétence des candidats, mais cet épisode démontre la baisse d'influence de la France, alors que des sujets essentiels sont devant nous, sur l'environnement, la transition énergétique, la compétitivité - nous avons besoin d'être offensifs, ou bien nous prendrons du retard.
Mme Marta de Cidrac. - Je souscris pleinement à vos propositions, Monsieur le Président, elles sont de bon sens. En attendant qu'elles prospèrent, il serait intéressant en effet de recevoir Stéphane Séjourné quand il sera installé - et nous devons le soutenir, car la voix de la France doit porter et à ce titre il faut se garder d'affaiblir le Commissaire européen français, en présentant nos divisions, ce qui ne doit pas cependant nous empêcher de faire passer quelques messages...
M. Jean-François Rapin, président. - Je suis sur cette ligne, tout en vous rappelant - et je reprends là une remarque que nous avait faite Thierry Breton - que le Commissaire européen français ne représente pas la France, mais l'Union, c'est aussi pourquoi la nationalité n'est pas toujours mentionnée dans les organigrammes...
Mme Catherine Morin-Desailly. - Une remarque : la lettre de mission à la Commissaire chargée de la culture et des sports est exclusivement rédigée en anglais - voilà un sujet pour le sommet de la Francophonie...
M. Jean-François Rapin, président. - Une fois la nouvelle Commission européenne installée, je proposerai à mon homologue de l'Assemblée nationale un déplacement à Bruxelles de nos deux commissions parlementaires pour rencontrer les différents Commissaires européens, comme nous l'avions fait avec la précédente Commission.
M. Pascal Allizard. - Je regrette le départ de Thierry Breton, il a fait du bon travail, c'est une erreur de le congédier. Je souhaite une pleine réussite à Stéphane Séjourné, mais je ne peux m'empêcher d'être inquiet face à l'ampleur de la tâche...
M. Jean-François Rapin, président. - Reconnaissons que déjà, il avait eu peu de temps pour s'installer comme ministre...
Compte rendu de la rencontre franco-allemande avec le Bundesrat les 19 et 20 septembre 2024 à Stuttgart et Strasbourg : communication de MM. Jean-François Rapin et Claude Kern
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous présente brièvement le compte-rendu de la réunion commune organisée avec nos homologues de la commission des affaires européennes du Bundesrat, les 19 et 20 septembre dernier, à Stuttgart et à Strasbourg. Cette réunion commune s'inscrit dans le cadre de la relation franco-allemande, et plus précisément dans le cadre de la coopération étroite entre le Sénat et le Bundesrat, qui se fonde sur une déclaration commune des présidents des deux chambres en mars 2019.
La France et l'Allemagne ont une responsabilité particulière pour faire avancer la construction européenne et, comme le Président Larcher, je suis profondément convaincu que la coopération entre les Parlements, et les chambres hautes en particulier, peut jouer un rôle utile pour dissiper les malentendus et rapprocher les points de vue. Cette réunion s'est d'ailleurs tenue quelques jours après la visite à Bonn du Président Larcher, accompagné d'une délégation du Sénat dont je faisais partie, à l'occasion du 75e anniversaire de la création du Bundesrat allemand, à l'invitation de la présidente du Bundesrat, Manuela Schwesig.
Notre rencontre s'est déroulée sur deux journées, d'abord à Stuttgart, la capitale du Land de Bade Wurtemberg, dont mon homologue, Winfried Kretschmann, est Ministre-Président. La deuxième partie de la réunion s'est tenue à Strasbourg, capitale européenne d'ailleurs jumelée à Stuttgart et symbole de l'amitié franco-allemande, dans l'enceinte du Parlement européen.
Notre commission était représentée par une délégation de son Bureau : j'étais accompagné de Claude Kern, Ahmed Laouedj, Didier Marie, Georges Patient et André Reichardt, vice-présidents de la commission, ainsi que Florence Blatrix Contat, secrétaire de la commission. En outre, notre collègue Michaël Weber nous a rejoints pour le dîner à Strasbourg.
La Commission des affaires européennes du Bundesrat était représentée par son président, Winfried Kretschmann, et Mmes Wiebke Osigus, Ministre du Land de Basse-Saxe, Bettina Martin, Ministre du Land de Mecklembourg-Poméranie, Heike Raab, Secrétaire d'État du Land de Rhénanie-Palatinat, ainsi que MM. Florian Hassler, Secrétaire d'État du Land de Bade-Wurtemberg, Florian Hauer, Secrétaire d'État du Land de Berlin, et Mathias Weilandt, Secrétaire d'État de l'État libre de Saxe.
En marge de la réunion, nous avons aussi échangé, lors du déjeuner à Stuttgart, avec nos collègues allemands et avec le Consul Général de France, Gaël de Maisonneuve, et le directeur de l'institut franco-allemand, Marc Ringel, sur l'état de la relation franco-allemande et sur la situation politique particulièrement inquiétante en France, en Allemagne et en Europe. Nous avons aussi visité une exposition sur la relation franco-allemande, à la Maison de l'Histoire de Stuttgart, en présence d'un témoin âgé et émouvant du discours à la jeunesse allemande, prononcé par le Général de Gaulle en 1962 près de Stuttgart, discours qui a préfiguré le traité de l'Élysée. Un dîner a aussi été organisé à Strasbourg, qui a réuni différentes personnalités alsaciennes et européennes, notamment Frédéric Bierry, président de la collectivité européenne d'Alsace, Fabienne Keller et François-Xavier Bellamy, députés européens, ainsi que Heike Thiele, Consule Générale d'Allemagne. Nous avons notamment échangé sur le rôle des collectivités locales et régionales dans les relations franco-allemandes et sur le renforcement de la coopération décentralisée. À Strasbourg, nous avons aussi visité les locaux de la chaîne de télévision franco-allemande ARTE, qui joue un rôle important pour la coopération culturelle et linguistique et nous avons eu des présentations intéressantes sur ses programmes et leur traduction dans différentes langues européennes.
Quatre thèmes figuraient à l'ordre du jour de nos échanges avec la commission homologue du Bundesrat : les perspectives du budget européen et l'avenir de la politique de cohésion ; l'élargissement de l'Union européenne et de ses conséquences sur le fonctionnement institutionnel et les politiques communes ; la place des parlements nationaux et le contrôle du principe de subsidiarité ; les principaux défis européens actuels, tels que le réchauffement climatique, les migrations, la compétitivité et la guerre en Ukraine.
La première session était consacrée à l'avenir du budget européen et aux perspectives de la politique de cohésion.
Dans mon intervention liminaire, j'ai souligné les enjeux des négociations sur le futur cadre financier pluriannuel. J'ai rappelé les quatre défis majeurs pour le budget européen que constituent le financement de la double transition écologique et technologique, la sécurité de l'Europe et le renforcement de nos capacités de défense, le remboursement du plan de relance NextGenerationEU et l'impact de l'élargissement. Étant donné qu'une hausse des contributions nationales semble peu réaliste dans le contexte budgétaire actuel et que lever un nouvel emprunt européen suscite de nombreuses réticences, j'ai évoqué la création de nouvelles ressources propres, sur laquelle les États membres se sont engagés. J'ai également souligné l'enjeu d'une plus grande flexibilité budgétaire, afin de tirer les enseignements des nombreuses crises qui ont secoué l'Europe ces dernières années.
En conclusion, j'ai appelé à mobiliser l'épargne privée des Européens, qui se chiffre aujourd'hui à 35 000 milliards d'euros, ce qui suppose d'avancer vers la mise en place d'une véritable « Union des marchés de capitaux », sur laquelle l'Allemagne n'est pas allante.
Le Président de la commission des affaires européennes du Bundesrat, Winfried Kretschmann, a, pour sa part, insisté sur l'importance de la politique de cohésion pour les collectivités territoriales, et plus généralement, pour les citoyens européens. Il a souligné le risque que cette politique devienne la « variable d'ajustement » lors des négociations sur les prochaines perspectives financières de l'Union européenne, en plaidant pour le maintien d'une politique de cohésion ambitieuse. Tout en se déclarant favorable à une simplification de la gestion des fonds européens, il a également souligné les risques d'une « centralisation » de la gestion des fonds, sur le modèle du plan NextGenerationEU. Cette « centralisation » présenterait le risque, d'après lui, d'éloigner l'Europe des réalités concrètes du terrain et des citoyens. Il a rappelé qu'en novembre dernier, les Länder s'étaient prononcés pour le maintien d'une approche territorialisée de la distribution des fonds de cohésion qui doit se faire « pour et avec les régions », car les collectivités territoriales, et notamment en Allemagne les Länder, sont les mieux placées pour définir les priorités et gérer ces fonds.
Au cours du débat, nos collègues allemands ont - sans surprise - exprimé, avec des nuances, de fortes réticences à l'égard d'un nouveau recours à l'endettement alors que le rapport de Mario Draghi propose de de lancer un grand emprunt à l'échelle de l'Union afin de financer les investissements pour la transition verte et numérique. Bettina Martin, ministre du Land de Mecklembourg-Poméranie, s'est prononcée pour le maintien d'une politique de cohésion ambitieuse, et pour une simplification des règles de gestion. Elle a estimé que l'élargissement ne devrait pas se faire au détriment de la politique de cohésion. Elle a mis en exergue le programme « Erasmus plus », qui vise à encourager les échanges d'élèves et d'étudiants. Notre collègue Didier Marie a plaidé pour le maintien de la politique de cohésion pour les régions européennes. Il s'est déclaré favorable à l'idée d'un nouvel emprunt européen et s'est interrogé au sujet de la création d'une taxe européenne sur les hauts revenus ou les géants du numérique, afin de financer toutes les nouvelles priorités. Notre collègue Ahmed Laouedj a rappelé le rôle majeur de la politique de cohésion pour le développement des territoires en difficulté, notamment en matière de création d'emploi. Il s'est également déclaré favorable à une simplification et à une gestion décentralisée au niveau des régions, en y associant la société civile. Notre collègue Georges Patient a rappelé le rôle fondamental de la politique de cohésion pour les collectivités d'outre-mer, qui représentent des atouts pour l'Europe en termes géopolitiques, tout en plaidant pour une simplification des règles de gestion de ces fonds. Mathias Weilandt a, pour sa part, souligné l'importance de la politique de cohésion pour les régions d'Allemagne de l'Est et le rattrapage économique en mentionnant l'exemple de la Saxe. Il a regretté le manque de visibilité de cette politique, alors qu'elle pourrait être davantage mise en valeur face aux populistes et extrémistes. Florian Hassler a, quant à lui, fait valoir l'intérêt de la politique de cohésion en matière de recherche et développement, pour le renforcement indispensable de la compétitivité des entreprises européennes, et comme outil d'encouragement à la coopération transfrontalière, en citant l'exemple de la coopération entre la région Grand Est et le Bade-Wurtemberg, notamment en matière de mobilité, de formation et de santé.
Pour conclure, je dirais que, malgré les différences de points de vue, notamment sur l'idée d'un emprunt européen, un consensus s'est dégagé sur le maintien d'une politique de cohésion ambitieuse au service des territoires. Nos deux commissions pourraient prendre des initiatives communes au niveau européen à ce sujet.
Je laisse maintenant la parole à Claude Kern, qui va évoquer d'autres sessions de travail que nous avons eues avec le Bundesrat, à commencer par celle consacrée à l'élargissement.
M. Claude Kern. - Didier Marie n'ayant pu se joindre à nous aujourd'hui, je voudrais en effet rendre compte des discussions qu'il a engagées avec nos homologues allemands lors de la session consacrée à l'élargissement de l'Union européenne et ses conséquences sur le fonctionnement institutionnel et les politiques communes.
Dans son propos introductif, il a rappelé l'importance de la coopération franco-allemande dans la construction d'une Europe élargie et le rôle crucial des parlementaires dans la ratification des traités d'adhésion des nouveaux États membres. Il a également souligné que la nécessité stratégique de l'élargissement était désormais largement acceptée : plutôt que de se demander si l'Union européenne doit s'élargir, la question se pose sur la manière de le faire efficacement. Il a plaidé pour une approche graduelle, par étapes successives, en fonction de la conformité aux critères de Copenhague, notamment celui - fondamental - du respect de l'État de droit. Il a également évoqué la nécessité d'une réforme institutionnelle pour accueillir de nouveaux membres, si possible sans rouvrir les traités. Il a enfin insisté sur la politique de cohésion comme pilier de l'intégration, indispensable pour le développement équilibré des territoires européens. Les défis posés par l'élargissement devraient ainsi conduire à repenser la politique de cohésion afin de tenir compte des effets de bord de l'aide de pré-adhésion, qui risquent d'être très importants pour les régions européennes limitrophes des pays candidats.
Mme Bettina Martin, ministre en charge des affaires européennes du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale et présidente de la Chambre de l'Europe, a salué les négociations d'adhésion récemment ouvertes avec l'Ukraine et la Moldavie et a souligné l'importance stratégique de cet élargissement dans le contexte géopolitique actuel. Elle a estimé que l'Union devait concentrer ses efforts sur le soutien au processus d'adhésion des neuf pays candidats, qui constituerait le mouvement d'élargissement le plus vaste de l'histoire de l'Union et qui pourrait apporter à ces pays des bénéfices similaires à ceux observés dans les Länder de l'Est de l'Allemagne. Elle a également évoqué la nécessité de simplifier les structures bureaucratiques de l'Union et de s'interroger sur les conséquences de l'élargissement sur le budget européen, notamment celui de la politique de cohésion.
Notre collègue Ahmed Laouedj a ensuite rappelé que l'appartenance à l'Union imposait des responsabilités aux nouveaux États membres et a insisté sur le courage nécessaire pour mener à bien les réformes institutionnelles requises pour élargir encore l'Union.
Plusieurs de nos collègues allemands ont rappelé le soutien consensuel du Bundesrat à l'adhésion des États des Balkans occidentaux et ont mis l'accent sur la nécessité de réformer le processus décisionnel européen, en renforçant le rôle du Parlement européen et en remplaçant le principe de l'unanimité par celui de la majorité qualifiée dans certains domaines, tels que la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Les membres de nos deux assemblées ont semblé s'accorder sur la difficulté de prises de décisions unanimes à 35 ; on sait pourtant combien il peut être difficile pour certains pays de renoncer à leur droit de veto sur de telles questions régaliennes. M. Hauer, Secrétaire d'État du Land de Berlin, a avancé l'idée de réduire le nombre de commissaires européens, indiquant que l'Allemagne y était prête. Il a mis en lumière un autre défi que posait l'abandon du principe de l'unanimité, puisque la décision de renoncer à ce principe nécessiterait elle-même un vote à l'unanimité... Winfried Kretschmann, président de la commission des affaires européennes du Bundesrat, a conclu en indiquant que le Bundesrat avait demandé à la Commission européenne de réaliser une étude d'impact sur l'élargissement et aussi d'engager les réformes institutionnelles indispensables.
M. Jean-François Rapin, président. - Je poursuivrai en évoquant la troisième session de notre échange avec la commission homologue du Bundesrat, qui était consacrée au rôle des Parlements nationaux et au respect du principe de subsidiarité.
Dans mon intervention liminaire, j'ai souligné que les Parlements nationaux avaient un rôle fondamental à jouer pour rapprocher l'Union européenne des citoyens et porter la voix des territoires et devaient donc veiller soigneusement au respect du principe de subsidiarité. Et j'ai relevé que le Bundesrat avait en matière de subsidiarité une expérience de longue date du fait de la structure fédérale de l'Allemagne.
J'ai rappelé qu'il existait entre le Sénat et le Bundesrat un mécanisme d'alerte précoce, permettant de s'informer mutuellement et le plus en amont possible quand une proposition législative européenne leur semble contredire le principe de subsidiarité.
Dans l'échange qui a suivi, nos collègues du Bundesrat ont souligné leur attachement au principe de subsidiarité, qu'ils ont présenté comme une prérogative des plus petites entités contre les plus grandes afin de faire respecter une forme de justice entre ces différents échelons décisionnels ; pour reprendre les mots de mon alter ego allemand, Mme Wiebke Osigus, vice-présidente de la commission des affaires européennes, « les problèmes doivent être résolus là où ils naissent ».
Celle-ci s'est félicitée de la coopération entre nos deux chambres à ce sujet, citant notamment notre action concertée sur le projet d'acte européen pour la liberté des médias, que nos deux commissions ont jugé contraire au principe de subsidiarité.
Nos interlocuteurs allemands ont aussi souligné que ce principe était en réalité double : à la fois négatif puisqu'il vise à empêcher l'UE d'agir quand les États membres sont plus efficaces pour atteindre l'objectif recherché ; mais aussi positif, puisqu'il légitime une action de l'UE quand elle apporte une réelle plus-value.
M. Mathias Weilandt, secrétaire d'État au ministère de la justice du land de Saxe, a fait part de sa préoccupation particulière en matière de droit pénal, jugeant que l'UE tendait à étendre sa compétence en la matière en violation du principe de subsidiarité. C'est un point que notre commission a déjà identifié et qui pourrait donner lieu à de futures initiatives communes à mon sens, si nos rapporteurs sur ces sujets relatifs à la Justice en sont d'accord, naturellement.
La lutte contre l'immigration illégale est apparue comme un autre domaine exigeant notre vigilance en matière de subsidiarité : les élus des régions situées à la frontière franco-allemande, tant français que allemands, se sont accordés pour déplorer les difficultés concrètes découlant du rétablissement par les autorités allemandes des contrôles aux frontières intérieures, estimant qu'en cette matière notamment, négliger les réalités de terrain dans l'application des textes européens était suicidaire à terme pour l'Europe.
Enfin, nous avons constaté nos différences dans la façon d'organiser le contrôle du principe de subsidiarité : en Allemagne, ce contrôle repose d'abord sur les Länder dans leurs domaines de compétences. Il leur revient de s'accorder déjà chacun au sein de la coalition qui les gouverne puis ensuite de s'accorder entre eux pour obtenir une prise de position formelle du Bundesrat, quand, du côté du Parlement français, le contrôle repose au Sénat sur la commission des affaires européennes, laquelle n'est pas en mesure de consulter les collectivités territoriales au vu des délais impartis. En outre, le Bundesrat consulte, de manière informelle, la Chancellerie avant d'adopter un avis motivé ; notre assemblée, pour sa part, assume volontiers de jouer le rôle de « lanceur d'alerte » auprès du Gouvernement pour faire respecter les compétences des États membres, quand le Gouvernement n'invite pas lui-même notre assemblée à adopter un avis motivé pour appuyer au Conseil sa demande d'un meilleur respect du principe de subsidiarité par un projet de législation européenne en cours de négociation.
Notre collègue André Reichardt a ensuite souligné la nécessité de repenser la mise en oeuvre du principe de subsidiarité dans la perspective de l'élargissement qui accentuera encore plus les divergences entre les systèmes juridiques nationaux, tant les modèles juridiques des futurs pays nouveaux entrants sont éloignés de ceux des plus anciens Etats membres comme l'Allemagne et la France.
Enfin, j'ai rappelé que nous avions fait des propositions dans le groupe de travail de la Cosac, sous présidence française de l'Union européenne, pour améliorer la mise en oeuvre du principe de subsidiarité et les ai portées à la connaissance de nos collègues du Bundesrat qui n'y avaient pas participé : abaisser à un quart des voix des Parlements nationaux le seuil de déclenchement du "carton jaune", porter de huit à dix semaines le délai accordé aux Parlements nationaux pour qu'ils procèdent au contrôle de subsidiarité, et, sans même qu'une révision des traités soit nécessaire, inviter les parlements nationaux à porter en commun des initiatives normatives au niveau européen, mieux les associer au processus décisionnel dès la phase pré-législative, et renforcer leur rôle de contrôle vis-à-vis du Conseil comme de la Commission, par exemple en ouvrant aux parlements nationaux un droit de questionner par écrit ces institutions.
Je laisse maintenant la parole à Claude Kern, pour nous présenter le compte-rendu de la dernière session de travail que nous avons eue avec le Bundesrat, consacrée aux grands défis européens actuels.
M. Claude Kern. - Je souligne que les deux dernières sessions de notre réunion commune se sont tenues à Strasbourg, dans mon département. La dernière était en effet consacrée aux principaux défis européens actuels, tels que le réchauffement climatique, les migrations, la compétitivité et la guerre en Ukraine.
Dans mon intervention liminaire, j'ai indiqué que l'Union européenne se trouvait aujourd'hui devant des défis existentiels, en reprenant la formule utilisée par Mario Draghi dans son rapport. Celui-ci pointe à raison le changement de paradigme auquel nous devons faire face collectivement.
J'ai en particulier évoqué trois défis. Face au décrochage économique de l'Union notamment par rapport aux Etats-Unis, la restauration de la compétitivité européenne constitue la priorité pour les institutions européennes. Mais si tout le monde s'accorde sur ce constat, il existe de fortes divergences concernant les modalités pour décliner cette priorité. Je pense en particulier à la mise en oeuvre du Pacte vert aux contraintes pesant sur les industries européennes, par exemple sur l'industrie automobile.
Le deuxième défi concerne la guerre en Ukraine et la nécessité de renforcer la base industrielle et technologique de défense. Sur ce sujet, au-delà des différences de sensibilités, notamment à l'égard de l'Otan et du lien transatlantique, j'ai souligné que la France et l'Allemagne avaient une responsabilité particulière, compte tenu du poids de leur industrie de défense et de leur rôle moteur au sein de l'Union européenne.
Enfin, le dernier défi est celui des migrations. À cet égard, la décision récente prise par les autorités allemandes de rétablir temporairement les contrôles aux frontières intérieures illustre un tournant dans l'attitude de l'Allemagne en matière migratoire. Face au défi migratoire et à la montée des populismes et des extrémistes, des deux côtés du Rhin, il sera indispensable d'avancer vers une véritable politique européenne commune en matière migratoire, ce qui suppose un renforcement de la coopération franco-allemande sur ce sujet.
Mme Heike Raab, représentante du Land de Rhénanie-Palatinat, s'est également référée aux récents rapports d'Enrico Letta et de Mario Draghi, pour souligner la nécessité de renforcer la compétitivité de l'Union européenne.
Elle a mis en avant l'augmentation du coût de l'énergie, notamment à la suite de la guerre en Ukraine, qui pèse lourdement sur l'industrie européenne (comme la chimie, l'acier ou l'automobile) et la concurrence des produits chinois, comme les panneaux solaires ou les batteries électriques.
Elle a également souligné les enjeux de la transition écologique et numérique, avec des investissements estimés à 850 milliards d'euros par an par Mario Draghi dans son rapport.
Elle a plaidé pour l'approfondissement du marché intérieur, l'Union des marchés de capitaux, le renforcement de l'autonomie stratégique, par exemple en matière de médicaments et dans le domaine de l'énergie, et pour une réduction des charges et de la bureaucratie qui pèse sur les entreprises européennes, notamment les PME.
Tout en se prononçant en faveur de la transition verte, Mme Wiebke Osigus, ministre du Land de Basse Saxe, a estimé que l'adhésion des citoyens était essentielle pour réussir cette transition et trouver des solutions qui puissent être acceptées par les populations.
Elle a été appuyée par sa collègue Mme Bettina Martin, ministre du Mecklembourg-Poméranie occidentale, et par M. Mathias Weilandt, représentant du Land de Saxe, qui ont apporté leur soutien au Pacte Vert de la Commission européenne.
Notre collègue Florence Blatrix Contat a estimé que le renforcement de la compétitivité européenne passait nécessairement par une véritable politique européenne de l'énergie, par une politique industrielle et une réforme de la politique de concurrence pour encourager l'émergence de « champions européens » et par une politique fiscale européenne. Elle a fait part de ses craintes sur d'éventuels reculs, par exemple sur la transition verte ou sur le devoir de vigilance des entreprises, en estimant que l'Union européenne devait promouvoir des normes environnementales et sociales au niveau mondial, afin que les mêmes contraintes pèsent sur les entreprises américaines ou chinoises.
Notre collègue Didier Marie est revenu, pour sa part, sur l'enjeu migratoire en estimant que l'adoption du Pacte sur l'asile et l'immigration ne réglait pas la question. Il a plaidé pour une autre approche de l'Union européenne face aux drames humains en Méditerranée ou dans la Manche, pour sauver des vies et ouvrir la voie à une immigration légale de travail répondant aux enjeux démographiques.
Mme Wiebke Osigus a souhaité, pour sa part, davantage de solidarité au niveau européen, avec une meilleure répartition entre les Etats membres en matière d'accueil des réfugiés.
M. Florian Hauer a souligné que le Pacte Vert de la Commission pourrait être trop ambitieux en matière temporelle et financière, tout en partageant les défis qui y sont soulevés.
En conclusion, notre collègue André Reichardt a estimé que, face à ces nombreux défis et aux contraintes budgétaires, la France et l'Allemagne avaient un rôle essentiel à jouer pour établir des priorités et lancer des initiatives communes au niveau européen.
Dans une Europe à vingt-sept aujourd'hui, trente demain voire plus, il a estimé qu'il fallait accepter une Europe à plusieurs vitesses, en plaidant pour des groupes pionniers, autour du couple franco-allemand, sur le modèle de Schengen ou de l'euro.
Nos collègues allemands ont accueilli favorablement cette idée et émis le voeu de poursuivre à l'avenir ces échanges entre nos deux commissions, et aussi avec le Sénat polonais, dans le cadre du « Triangle de Weimar ».
A ce sujet, la reconstitution attendue de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale devrait enfin permettre de reprogrammer une prochaine rencontre en format Weimar, celle prévue en septembre ayant dû être reportée à cause de la dissolution.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci, cette réunion en format Weimar pourrait avoir lieu le 25 novembre à Berlin. Nous avons donc, pour résumer, beaucoup en commun sur les sujets d'attention, et un peu moins sur les modes de fonctionnement, en particulier sur la subsidiarité, qui n'est pas contrôlée de la même façon des deux côtés du Rhin. En tout état de cause, nous avons tous conclu sur l'utilité de cette rencontre et la volonté de continuer à travailler ensemble.
M. Pascal Allizard. - La Cour constitutionnelle allemande avait émis un avis défavorable aux emprunts européens : où en est-on aujourd'hui ?
M. Jean-François Rapin, président. - Effectivement, la position de la Cour de Karlsruhe a obligé le gouvernement allemand à une révision budgétaire pour honorer ses engagements européens, au prix d'économies sur des postes comme le développement durable. S'il a trouvé une solution comptable, le problème reste entier puisque la Cour constitutionnelle n'a pas changé sa position. Du reste, j'ai souligné que l'idée d'un nouvel emprunt était prématurée tant que le premier n'avait pas même commencé à être remboursé - et le rapport Draghi parle déjà d'un report de la première échéance de remboursement de cet emprunt prévue à partir de 2028.
Questions diverses
Mes chers collègues, je voudrais vous soumettre quelques nominations de rapporteurs.
D'abord, notre commission doit bientôt examiner la proposition de résolution européenne n° 762 déposée le 17 septembre par notre collègue Pascal Allizard et cosignée depuis par de nombreux collègues sur tous les bancs, visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans. Je vous propose de confier à nos collègues Elsa Schalck et Audrey Linkenheld le soin de nous présenter un rapport sur cette PPRE. Avez-vous une objection ?
Par ailleurs, nous sommes saisis par plusieurs entreprises européennes dénonçant une concurrence déloyale en matière de commerce international de biocarburants. Je propose de demander d`approfondir le dossier à notre collègue Pierre Cuypers, grand expert du sujet, qui avait déjà présenté à notre commission un rapport sur les biocarburants en 2019 : pas d'objection non plus ?
Il en est ainsi décidé
La réunion est close à 15 heures.