Mercredi 25 septembre 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de M. Claude Raynal, président de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024 - Examen du rapport d'information

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Mes chers collègues, j'ai le plaisir de vous retrouver, après cette longue interruption, pour la présentation et l'examen du rapport d'information de la mission de contrôle conjointe relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024.

Je me réjouis du format retenu pour cette mission. Il permet en effet de croiser les regards et l'expertise de nos deux commissions, et s'inscrit dans la droite ligne du groupe de travail de Pascale Gruny de 2021, qui préconisait de renforcer la coordination entre les différentes instances du Sénat.

La gestion des inondations constitue désormais un sujet marquant le quotidien des Français. Il était donc légitime que le Sénat, dont la principale mission est d'être à l'écoute des territoires et des difficultés de nos concitoyens, se penche sur cette question.

Un mot de rappel sur le contexte ayant présidé à la création de cette mission d'information. À la suite des inondations survenues en novembre 2023, le président Gérard Larcher s'était rendu dans le Pas-de-Calais le 4 décembre 2023, pour exprimer la solidarité du Sénat envers les territoires sinistrés et pour constater les dégâts. À cette occasion, il avait impulsé le lancement d'une mission sénatoriale sur le sujet, dont l'objet serait de faire toute la lumière sur ces événements dramatiques et de tirer des leçons pour améliorer à la fois la prévention des inondations, la gestion de crise et l'indemnisation des sinistrés. Nos deux commissions ont donc créé une mission conjointe en janvier 2024.

Je souhaite d'emblée remercier les deux rapporteurs, M. Jean-Yves Roux pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et M. Jean-François Rapin pour la commission des finances, pour le travail d'ampleur réalisé. Depuis le début du mois de février dernier, ils ont conduit trente-sept auditions, qui leur ont donné l'opportunité d'entendre plus d'une centaine de personnes de divers horizons - experts, chercheurs, opérateurs, élus locaux, associations et acteurs de la gestion de crise.

Ils ont également pris le temps de se rendre sur le terrain, en effectuant trois déplacements, dans le Pas-de-Calais en mars puis en mai 2024, et dans les Alpes du Sud en mai 2024. Ils ont enfin lancé une consultation en ligne sur la plateforme du Sénat qui a rencontré un franc succès : 1 135 élus locaux du bloc communal ont ainsi apporté leur témoignage.

Le résultat est à la hauteur de leur investissement : un rapport riche de vingt recommandations, qui permettront de simplifier les démarches administratives, de renforcer la solidarité entre les territoires et d'adapter la prévention des inondations au changement climatique.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Avant de donner la parole aux rapporteurs, je rappellerai simplement quelques-uns des enjeux financiers relatifs à la prévention et à l'indemnisation des inondations.

Historiquement, les inondations sont le premier risque pris en charge par le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. De 1982 à 2021, elles ont représenté 53 % du montant total de la sinistralité, pour une moyenne de près de 1 milliard d'euros par an. À elle seule, la sinistralité occasionnée par les inondations dans les Hauts-de-France de l'automne 2023 est estimée à 625 millions d'euros.

Les inondations et submersions marines représentent également, de très loin, le premier poste de dépense de la politique de prévention des risques de l'État, avec en particulier 72 % des 4,5 milliards d'euros d'engagement totaux du fonds Barnier entre 2009 et 2020.

Par ailleurs, l'essentiel des dépenses relatives à la prévention des inondations est engagé par les collectivités territoriales. Le coût de la remise en état des systèmes d'endiguement transférés par l'État aux intercommunalités est ainsi estimé à 15 milliards d'euros.

Cette mission conjointe de nos deux commissions est donc particulièrement importante. Elle complète utilement les travaux réalisés par ailleurs par le rapporteur général, Jean-François Husson, concernant les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, notamment en cas d'événements naturels, et par Christine Lavarde, qui a rendu au printemps un rapport sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dont est issue une proposition de loi.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Mes chers collègues, Jean-Yves Roux et moi-même sommes très heureux de vous présenter le fruit de notre travail sur les inondations survenues en France en 2023 et au début de l'année 2024.

Le président Jean-François Longeot l'a rappelé, cette mission a été lancée sous l'impulsion du président Larcher, qui avait été impressionné par l'étendue des dégâts dans le Pas-de-Calais lors de son déplacement au début du mois de décembre 2023. Si cette visite de terrain a constitué un fait générateur, précisons d'emblée qu'elle n'a en aucun cas limité le périmètre de nos travaux. À travers nos auditions et nos déplacements, nous avons cherché à dresser un état des lieux à l'échelle nationale en prenant en compte la diversité des territoires, de la montagne au littoral et à la plaine, et des villes à la ruralité. Cela était d'autant plus essentiel que les derniers travaux d'ampleur du Sénat sur le sujet remontaient à 2015, avec le rapport d'information « Xynthia, 5 ans après : pour une véritable culture du risque dans les territoires » réalisé par la délégation aux collectivités territoriales, qui faisait lui-même suite au rapport de la mission commune d'information de 2010 sur les conséquences de cette tempête. Une remise à plat de nos politiques de prévention et de gestion des inondations s'imposait donc, alors que nous constatons une intensification de ces phénomènes dans nos territoires.

S'agissant de la méthode, compte tenu de la forte sensibilité locale du sujet, nous avons souhaité nous appuyer sur l'expérience et les remontées de terrain de nos collègues issus des départements les plus sinistrés, y compris au-delà de nos deux commissions. Nous les avons ainsi invités à un échange de vues la semaine dernière, pour recueillir leurs observations et interrogations et partager avec eux la philosophie de notre rapport. C'est aussi dans cet esprit que nous avons organisé des tables rondes « retour d'expérience » avec les élus de certains départements sinistrés dans lesquels nous n'avons malheureusement pas pu nous rendre - je pense à la Charente, à la Charente-Maritime et au Gard - ainsi qu'avec ceux de Vendée et des Alpes-Maritimes, pour faire le point sur les suites des tempêtes Xynthia de 2010 et Alex de 2020. Chaque semaine apportant son lot de nouveaux sinistres, nous aurions pu nous rendre, au total, dans cinquante-quatre départements touchés par des inondations.

Ces éléments liminaires étant posés, je vous propose d'entrer dès à présent dans le vif du sujet en revenant sur les inondations qui ont frappé le territoire, en 2023 et 2024, avec une très grande ampleur.

À partir de mi-octobre 2023, une succession continue et inédite de passages pluvieux a entraîné des inondations dans de nombreux territoires. De mi-octobre à mi-novembre 2023, le record de cumul mensuel de pluie national, atteint en 1988, a ainsi été battu. Ces précipitations intenses et prolongées ont engendré des crues exceptionnelles, d'abord en Bretagne, puis en Nouvelle-Aquitaine, en Corse, dans les Hauts-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes et, en décembre 2023, dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Après ce premier épisode intense, de nouvelles vagues de précipitations sur des sols encore gorgés d'eau ont causé d'autres inondations durant la première moitié de l'année 2024. Autant que l'intensité, c'est la temporalité de ces inondations à répétition qui a marqué la population, tout particulièrement dans le Nord et le Pas-de-Calais.

Le bilan de ces inondations est considérable. Entre octobre 2023 et avril 2024, elles ont causé la mort de treize personnes, dont neuf en France métropolitaine et huit rien qu'en zone de montagne.

Le bilan matériel apparaît tout particulièrement élevé dans le Nord et le Pas-de-Calais, où 370 communes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle. Au total, plus de 33 000 sinistres de particuliers y ont été recensés et les dommages sur les biens assurables sont aujourd'hui évalués à 640 millions d'euros.

Au-delà de ces montants, un bilan sanitaire global des inondations doit être dressé, bien qu'il reste difficile à évaluer. En effet, les inondations peuvent induire des séquelles pour la santé psychosociale, mentale et physique de la population - nous le voyons déjà dans le département du Pas-de-Calais. Une surveillance sanitaire a été mise en place. Il convient de la poursuivre, afin de disposer d'une évaluation plus complète des conséquences sanitaires des inondations.

Je cède à présent la parole à Jean-Yves Roux, qui rappellera que ces événements, aussi exceptionnels soient-ils, s'inscrivent en réalité dans une tendance de long terme.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Premier risque naturel en France, les inondations recouvrent une pluralité de phénomènes selon les territoires.

Le débordement de cours d'eau constitue l'aléa le plus fréquent. Il peut prendre la forme d'une crue de plaine, souvent lente, mais aussi durable dans ses effets - comme dans le Pas-de-Calais - ou d'une crue torrentielle caractéristique des zones de montagne. La violence et le potentiel destructeur de ce dernier phénomène ont été tristement rappelés lors de la tempête Alex, qui avait occasionné un lourd bilan humain et matériel dans les vallées de la Roya et de la Vésubie en 2020, faisant dix-huit morts et plus de 1 milliard d'euros de dommages.

Notre littoral est en outre très exposé au risque de submersion marine. Rappelons que cet aléa avait violemment touché la Vendée lors de la tempête Xynthia en 2010 et causé la mort de quarante-sept personnes.

Le territoire français est également concerné par deux autres types d'inondations plus diffus et, en conséquence, moins aisés à appréhender : les inondations par ruissellement, essentiellement liées à la topographie et à l'imperméabilité des sols, qui touchent la quasi-totalité du territoire, et les remontées de nappes phréatiques, qui concerneraient un tiers du territoire national.

Au total, un Français sur quatre est aujourd'hui exposé aux inondations par débordement de cours d'eau ou par submersion marine et 85 % des communes ont au moins un concitoyen résidant en zone inondable. Ce risque naturel est également le premier en termes de dommages occasionnés, puisqu'il représente à lui seul 50 % de la sinistralité liée aux catastrophes naturelles hors automobile entre 1982 et 2023 dans notre pays.

Pour l'avenir, il est bien établi que le changement climatique conduira à une hausse de la fréquence des inondations et des submersions marines. Sur l'ensemble du territoire français, la sinistralité relative aux inondations pourrait connaître une progression située entre 6 % et 19 % à l'horizon de 2050. L'évolution de la sinistralité relative aux submersions marines est encore plus marquée : la hausse atteindrait 75 % à 91 % par rapport au climat actuel.

Les principales conclusions et recommandations de notre rapport s'articulent autour de quatre axes d'actions prioritaires.

Le premier consiste à simplifier la gestion des cours d'eau et garantir une véritable solidarité entre l'amont et l'aval dans le financement de la compétence Gemapi, relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations.

D'abord, le manque de lisibilité des règles applicables à l'entretien des cours d'eau est flagrant. Les élus locaux nous ont fait part de leurs difficultés à appréhender les différents régimes applicables, qui varient selon les catégories de travaux en cause ou encore selon que l'on soit en période de crue ou en période normale. Face à cette incertitude, certains élus ont admis qu'ils préféraient s'abstenir d'intervenir dans un cours d'eau par crainte de commettre une infraction à la police de l'eau et de faire l'objet de poursuites judiciaires. Ce constat, qui vaut sans doute également pour d'autres acteurs comme les propriétaires riverains et les agriculteurs, est très inquiétant : le maintien du bon état d'un cours d'eau est en effet un levier à ne pas négliger pour prévenir ou, en tout cas, réduire en amont la gravité des crues. Il faut donc que l'État redouble d'efforts en matière de pédagogie sur ce sujet.

Par ailleurs, si une procédure dérogatoire permet de réaliser des travaux d'urgence en période de crue sans démarche préalable - à condition, bien sûr, d'en connaître l'existence - , en période normale les procédures administratives ne permettent pas toujours une intervention suffisamment rapide dans les cours d'eau. Or mieux vaut ne pas attendre une crue pour aller retirer des embâcles qui gênent le libre écoulement d'une rivière ou d'un torrent...

Pour répondre à ces préoccupations, nous proposons au travers de la recommandation n° 1, d'une part, une clarification par les services de l'État de la distinction entre les différents régimes applicables aux interventions dans les cours d'eau et, d'autre part, l'instauration d'une procédure d'instruction accélérée de ces demandes d'intervention, qui serait actionnée par les maires et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), avec l'accord du préfet. Cette procédure permettrait de déroger à certaines procédures administratives préalables ou, a minima, de bénéficier de délais réduits pour leur mise en oeuvre. Les modalités de cette procédure d'instruction accélérée seraient précisées par voie réglementaire, de même que les opérations éligibles.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Toutes ces questions supposent de repenser le financement de la compétence Gemapi, qui est aujourd'hui exercée par les intercommunalités. La taxe Gemapi souffre de deux défauts, qui sont liés : ses recettes ne sont pas suffisantes pour financer la prévention des inondations et elle ne permet pas une véritable solidarité entre les territoires.

Le transfert des digues domaniales de l'État aux EPCI, mis en oeuvre depuis 2024, n'a pas fait l'objet d'un accompagnement suffisant de la part de l'État, et le coût des travaux à réaliser, estimé au total à 15 milliards d'euros par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), est trop élevé pour de nombreux EPCI par rapport aux recettes permises par la taxe.

En outre, l'acquittement de la taxe soulève une question sérieuse de solidarité entre les territoires. Les intercommunalités qui doivent réaliser les travaux les plus importants ne sont pas nécessairement celles qui perçoivent le plus de recettes de la taxe Gemapi. Or ces travaux peuvent bénéficier à des communes qui se situent en aval. Cette problématique est cruciale dans les zones de montagne, où la taille et le potentiel fiscal des communes tendent à diminuer à mesure que l'on progresse en altitude.

À l'inverse, des métropoles situées en aval peuvent toucher des recettes importantes de taxe Gemapi, même à un taux très faible, alors qu'elles n'ont pas de travaux majeurs à réaliser. Les petites communes exposées aux inondations ont donc le sentiment, justifié, de subir une double peine.

Face à ce constat, plusieurs solutions sont envisageables, mais nous avons souhaité respecter une exigence : l'intercommunalité reste le niveau le plus pertinent pour la maîtrise d'ouvrage. Nous n'avons donc pas préconisé un transfert de la compétence Gemapi à la région. Nous estimons en revanche, et il s'agit du sens de notre recommandation n° 3, qu'un fonds de péréquation de la taxe Gemapi, qui fonctionnerait à l'échelle du bassin versant, permettrait une véritable solidarité entre l'amont et l'aval.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Nous en arrivons au deuxième axe de notre rapport : renforcer l'efficacité de la prévention des inondations et mieux l'adapter aux besoins des territoires face au changement climatique.

Premièrement, les actions de prévention des inondations des collectivités territoriales doivent être facilitées. Les programmes d'actions de prévention des inondations (Papi) peinent toujours à convaincre en raison de leur complexité et des lourdeurs administratives. Nous avons constaté, au cours de nos auditions, de nos déplacements, et au travers de la consultation en ligne des élus locaux, que les délais prévus sont rarement respectés. Nous préconisons, à travers la recommandation n° 5, de simplifier les Papi et d'accélérer leur élaboration, en réduisant les délais administratifs, en accompagnant mieux les collectivités territoriales et en créant un guichet unique pour fluidifier leurs démarches.

Deuxièmement, la maîtrise de l'urbanisme en zone inondable revêt une forte importance. La couverture du territoire par les plans de prévention des risques d'inondation (PPRi) et les plans de prévention des risques littoraux (PPRL) s'est améliorée au cours des dix dernières années : seuls 11,5 % des communes dans lesquelles un PPRi a été prescrit ne disposent pas encore d'un plan approuvé. Ce taux s'élève à 13 % environ pour les PPRL. Nous appelons à parachever cette couverture dans les meilleurs délais et à tenir compte dans ces outils des effets du changement climatique : c'est le sens de la recommandation n° 6.

Troisièmement, en dépit de nos politiques de prévention, le changement climatique conduira vraisemblablement à une intensification des phénomènes d'inondation dans notre pays. C'est pourquoi il nous paraît indispensable de passer d'une logique de « lutte contre le risque » à une approche visant à « mieux vivre avec le risque ». Cela invite à repenser nos modes de construction. Des architectes travaillent depuis de nombreuses années sur des projets d'aménagement résilients en zone inondable : je pense par exemple à la cité fluviale de Matra à Romorantin, qui comporte un bassin de rétention des eaux, des habitations sur pilotis et des routes surélevées. Dans notre recommandation n° 8, nous invitons à privilégier ces méthodes d'aménagement résilientes pour réduire la vulnérabilité du bâti en cas d'inondation.

Enfin, nos travaux ne seraient pas complets sans évoquer l'importance de la culture du risque pour mieux protéger nos populations face aux inondations.

Selon une étude publiée par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires en 2023, 66 % des Français résidant dans une zone exposée aux risques d'inondations ne se sentent pas concernés par ce risque. Par ailleurs, selon un sondage de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) réalisé pour l'Association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques (AFPCNT) en mars 2023, 80 % des habitants de métropole considèrent que les Français ne sont pas assez sensibilisés à la prévention et à la gestion des catastrophes. En outre, même lorsque l'information sur les risques naturels est disponible, son appropriation par la société n'est pas toujours aisée. 

Dans ce contexte, nous préconisons, à travers la recommandation n° 10, de favoriser les actions visant à commémorer les inondations passées, les partages d'expérience, les campagnes d'information nationales et locales intégrant la diversité des aléas inondation, les comportements à adopter face à eux et les exercices de mise en situation. Les élus locaux doivent être au coeur de cette stratégie, en tant que maillons de proximité du continuum de la prévention des risques.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - J'en viens au troisième axe de notre rapport : mieux gérer les inondations en renforçant les moyens des pouvoirs publics pour faire face à la crise.

Nous constatons tout d'abord que la prévision des inondations en France, assurée par les services Vigicrues et Météo France, a prouvé son efficacité lors des inondations de 2023 et de 2024. Pour mieux anticiper les crises futures dans un contexte de changement climatique, il est toutefois nécessaire d'étendre la couverture de Vigicrues à l'ensemble du territoire d'ici à 2030, tout en renforçant la notoriété de Vigicrues Flash auprès des élus et en adaptant les moyens de Météo France. C'est le sens de la recommandation n° 11.

Par ailleurs, les services de secours, qui ont été particulièrement sollicités dans le Nord et le Pas-de-Calais, ont été confrontés à leurs limites durant cette crise, nécessitant l'intervention de renforts nationaux, puis européens. Le manque d'équipements de pompage lourds et de capacités héliportées a été déploré par de nombreux acteurs. Un renforcement capacitaire et un redéploiement des effectifs de sapeurs-pompiers vers les territoires les plus vulnérables au risque d'inondation nous paraissent ainsi nécessaires - c'est ce que nous proposons dans la recommandation n° 12.

Ensuite, les élus locaux ont joué un rôle de première ligne dans la gestion de crise, en répondant efficacement aux besoins de la population. Nous avons constaté, lors de nos déplacements comme de nos auditions, que la qualité et la notoriété du plan communal de sauvegarde (PCS) ont eu un impact considérable sur la qualité de la réponse communale dans de nombreux cas. De même, le plan intercommunal de sauvegarde (Pics), lorsqu'il existe, a facilité la mutualisation des moyens de gestion de crise au niveau intercommunal. Nous préconisons donc, au travers des recommandations nos 13 et 14, de renforcer l'accompagnement des communes dans l'élaboration à la fois des PCS et des Pics, dans les territoires où une telle démarche est adaptée.

Nous devons également adopter une vision élargie de la gestion de crise : les collectivités doivent être accompagnées, non pas uniquement au moment de l'inondation, mais également dans les semaines et les mois qui suivent.

En effet, les communes ne disposent souvent pas d'un personnel formé en nombre suffisant pour accomplir toutes les démarches administratives et entamer rapidement la reconstruction. Nous proposons ainsi, dans notre recommandation n° 15, l'instauration d'un mécanisme de solidarité entre EPCI permettant d'apporter un appui aux collectivités sinistrées, surtout en zone rurale, ainsi que la mise en place d'un guichet unique au niveau préfectoral.

La question financière est cruciale. Bien entendu, des aides existent, mais il faut parfois du temps pour les débloquer. Une avance de trésorerie au profit des collectivités territoriales ayant subi des inondations doit donc être instituée : c'est la recommandation n° 16.

Enfin, nous appelons à inscrire les travaux de réparation menés par les collectivités territoriales dans une logique de résilience, pour mieux prévenir les inondations futures et réduire leurs impacts.

S'agissant des travaux de réparation dans les cours d'eau, les élus locaux critiquent une dichotomie administrative trop marquée entre, d'une part, les travaux d'urgence temporaires - qui ne sont pas soumis à une procédure administrative préalable - et, d'autre part, les travaux structurants de reconstruction, qui sont soumis aux procédures de droit commun parfois longues. Certaines communes doivent ainsi laisser subsister des installations provisoires et peu résistantes pendant des mois, voire plus, avant de réaliser des travaux définitifs, et cela alors même que de nouvelles crues pourraient survenir.

Pour y remédier, nous préconisons, par la recommandation n° 17, d'instaurer une procédure d'instruction accélérée pour les travaux de réparation des ouvrages dans les cours d'eau à la suite d'une crue, qui serait actionnée par les maires et les EPCI avec l'accord du préfet. Elle serait adossée à la procédure d'instruction simplifiée que nous proposons dans la recommandation n° 1, laquelle concerne les interventions préventives dans les cours d'eau.

Nous en arrivons au quatrième et dernier axe de notre rapport : adapter les procédures d'indemnisation des personnes sinistrées et les méthodes de reconstruction.

Au cours de nos déplacements, nous avons très souvent constaté que les délais d'indemnisation sont trop longs, ce qui conduit à de nombreuses difficultés pour les habitants sinistrés et les chefs d'entreprises. Certains dossiers relatifs aux inondations de novembre 2023 dans le Pas-de-Calais ne sont pas encore réglés. En effet, le processus indemnitaire peut prendre des mois, voire des années pour les cas les plus complexes.

Ces délais proviennent pour l'essentiel de la durée des expertises. La forte mobilisation des experts durant les épisodes de crise est l'un des facteurs explicatifs, mais la complexité des procédures est également en cause.

Des réflexions sont en cours entre l'administration et les représentants des experts sur cette question. Comme le sujet dépasse le champ des inondations, nous n'avons pas formulé de recommandations spécifiques dans le rapport, mais nous resterons attentifs à l'évolution de la situation.

Les sinistrés ont également exprimé la vive crainte qu'à terme, ils ne parviennent plus à s'assurer face aux inondations. Le phénomène de non-assurance reste marginal en dehors des outre-mer, mais le risque qu'il se développe doit être pris au sérieux. En particulier, des assurés ne parviennent pas à renégocier leurs contrats d'assurance, car le sinistre les a placés dans une position de faiblesse face à leur assureur. Nous proposons donc, dans notre recommandation n° 18, d'étendre la compétence du bureau central de tarification (BCT), aujourd'hui limitée à l'absence d'assurance, à la renégociation des contrats d'assurance.

Trop souvent, la prime d'assurance sert à des reconstructions à l'identique, alors que des améliorations pourraient être apportées au bâtiment, tant au niveau de la prévention des risques que de l'efficacité énergétique. Contrairement à une idée reçue, l'utilisation de la prime d'assurance pour une reconstruction à l'identique n'est pas une obligation légale au sens strict, mais il s'agit presque systématiquement de la solution la plus simple. Nous proposons donc dans notre recommandation n° 19 de favoriser l'usage de la prime d'assurance pour mieux reconstruire.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - J'en viens à la dernière recommandation de notre rapport. Dans le même objectif de mieux reconstruire, l'expérimentation « Mieux reconstruire après inondation », dite Mirapi, a été lancée à la suite de la tempête Alex de 2020. Le dispositif, appliqué aux communes sinistrées du Nord et du Pas-de-Calais, permet aux bénéficiaires de reconstruire de manière plus résiliente, en cumulant indemnités d'assurance et subventions du fonds Barnier.

Nous saluons ce dispositif et nous préconisons, dans la recommandation n° 20, de l'étendre aux communes sinistrées des autres territoires puis, au terme de son expérimentation en 2026, de le généraliser et le pérenniser.

Pour conclure, nous formons le voeu que ce rapport d'information contribue à un changement de paradigme dans les politiques de prévention et de gestion des inondations, qui doivent concilier adaptation au changement climatique, simplification de l'action et solidarité entre les territoires.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Ce sujet demeure sensible - j'ai le souvenir qu'il avait animé nos débats sur la mobilisation de moyens supplémentaires pour la prévention des risques, et mon propre avis sur la question avait d'ailleurs évolué...

Mieux vivre avec le risque, comme l'a évoqué Jean-Yves Roux, suppose de développer une culture du risque, encore insuffisante en France. À cet égard, ce rapport me paraît utile.

Aux trois termes par lesquels vous concluez votre présentation - adaptation, simplification et solidarité entre les territoires -, il faut ajouter celui de mutualisation, et en appeler à l'ensemble de la profession de l'assurance, ainsi qu'à la réassurance publique. Je pense notamment à la proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles déposée par Christine Lavarde. Nous devons rester vigilants face au risque de retrait du marché de certains acteurs.

À ce titre, et au regard de la recommandation n° 18, le médiateur de l'assurance a-t-il été interrogé ? Celui-ci m'apparaît comme une alternative possible pour la recherche de solutions assurantielles, comme je l'avais préconisé dans le rapport de la mission d'information relative aux problèmes assurantiels des collectivités territoriales.

Le changement climatique appelle une adaptation collective, dont nous devrons tenir compte dans nos arbitrages. Mais dans l'optique de retrouver une trajectoire de redressement de nos comptes publics, gardons en tête que toute augmentation des crédits dans cet objectif devra s'accompagner d'une diminution dans un autre domaine.

M. Pascal Martin. - Je félicite à mon tour les rapporteurs pour leur travail et la qualité des apports de cette mission conjointe de contrôle.

En tant que rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur les crédits relatifs à la prévention des risques dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), je m'intéresse particulièrement à la dimension financière de la prévention des inondations.

Dans mon dernier avis relatif à la prévention des risques, examiné dans le contexte des inondations du Nord et du Pas-de-Calais, j'insistais sur la nécessité de donner une priorité aux mesures de prévention du risque inondation au regard du dérèglement climatique.

Comment les préconisations de votre rapport pourraient-elles être intégrées au PLF 2025 ? Quelles recommandations pourraient faire l'objet d'amendements ? Est-il nécessaire de redéployer des crédits en faveur de la prévention des inondations ?

La culture du risque, mentionnée dans votre recommandation n° 10, est pour le moins hétérogène en France. En matière de risques industriels, par exemple, cette culture est bien plus développée dans certains territoires que dans d'autres. En est-il de même pour les risques inondation ?

Dans le domaine des risques technologiques, les exercices de préparation auprès des populations contribuent très largement à diffuser cette culture. L'organisation d'exercices de prévention des inondations vous paraît-elle pertinente ?

La création de la journée nationale « Tous résilients face aux risques », organisée chaque année le 13 octobre, illustre une forme de prise de conscience de notre vulnérabilité. Selon vous, cette journée prend-elle suffisamment en compte le risque inondation ?

Le déploiement d'effectifs de sapeurs-pompiers dans les territoires exposés au risque inondation - il s'agit de votre recommandation n° 12 -, serait-il permanent ou occasionnel ? Il existe déjà une solidarité entre les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), par convention, pour faire face à des situations ponctuelles de crises majeures.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Monsieur le rapporteur général, nous n'avons pas rencontré le médiateur des assurances. L'ampleur des inondations a été telle que la gestion des assurances et des permanences mises en place pour les assurés a été organisée par la préfecture. Certains particuliers ont en effet eu recours à la médiation. Néanmoins, la principale difficulté que nous avons identifiée concernant les assurances relève des délais de paiement et, surtout au début de la crise, d'expertise. Il a fallu la venue du Président de la République et du Premier ministre, ainsi que l'insistance du président de région, pour faire bouger les choses...

Monsieur Martin, notre rapport n'émet que des recommandations. La commission des finances devra ensuite travailler sur le redéploiement des crédits. Sur France Inter, ce matin, on m'a interrogé sur la baisse du fonds vert. Certes, ce fonds est destiné aux collectivités, mais son but premier n'est pas la lutte contre les inondations. Ces redéploiements seront discutés à l'occasion de la préparation du budget. Nous sommes cependant dans une situation de guerre où il faut trier les blessés : nous devrons choisir dans quels domaines précis investir financièrement.

Le redéploiement des effectifs évoqué se traduirait, non pas nécessairement par un renforcement permanent, mais par une organisation beaucoup plus rapide, même si les Sdis sont très bien organisés. Les pompiers ont insisté sur le manque de moyens de pompage de haute capacité. Des pompes venant de Slovaquie ont dû être mobilisées dans le Nord et le Pas-de-Calais, mais elles n'ont été rendues disponibles que pour une semaine. Les Sdis ont également mis en avant le besoin d'une expertise renforcée au moment des crises, notamment d'hydrologues, pour savoir précisément où pomper l'eau.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Lors de nos auditions, il est apparu que les élus locaux sont insuffisamment formés à la culture du risque, malgré les PCS et les Pics, particulièrement en zone montagne et en milieu rural. Une sensibilisation de la population sur certains territoires serait nécessaire. Nous pourrions diffuser des informations ou organiser des réunions au sein des départements.

M. Pascal Martin. - En allant jusqu'à organiser des exercices ?

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Oui, même si, on le sait, mobiliser la population peut être plus difficile dans certains territoires, notamment dans les territoires urbains.

Concernant l'adaptation au changement climatique, nous avons constaté que les maires sont souvent très frileux, car ils ne savent pas quels travaux doivent être réalisés dans les cours d'eau. L'État doit donc former et accompagner les collectivités, afin de permettre une adaptation cohérente de chacun des territoires.

M. Hervé Maurey. - Je félicite les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux et la richesse de leurs propositions.

Tirons-nous suffisamment les conséquences des inondations des dernières décennies, et des préconisations successives qui en ont découlé, notamment dans cette maison ?

En 2015, le sud de la France a été frappé par de fortes inondations. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'était rendue sur place. Or les images que nous avions vues à l'époque sont quasiment les mêmes que celles qui ont été diffusées, voilà quelques jours, à la télévision. À l'époque, nous avions notamment souligné l'insuffisance et l'inadaptation des systèmes d'alarme. Nous avions également évoqué la question de la culture du risque. Enfin, nous regrettions déjà que le rapport « Se donner les moyens de ses ambitions : les leçons des inondations du Var et du sud-est de la France » de Louis Nègre et Pierre-Yves Collombat de 2012 soit resté au fond des tiroirs...

Je me réjouis de l'amélioration relevée quant aux PPRi. En revanche, la diffusion de la culture du risque ne semble pas avoir évolué. Non seulement les citoyens n'ont pas conscience qu'ils courent un risque, mais ils n'ont pas les bons réflexes quand l'inondation arrive. Avant d'organiser des exercices, rappeler quels sont les bons gestes permettrait d'éviter bien des décès. Nous avions ainsi évoqué l'exemple du Japon dans le rapport relatif à l'évaluation de la mise en oeuvre des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale chargée d'évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen.

M. Stéphane Demilly. - Je salue également les travaux de cette mission de contrôle.

Le 17 mai dernier, votre mission s'est rendue dans le village solidaire de Longuenesse, dans le Pas-de-Calais, qui accueille de manière temporaire les sinistrés. La conjugaison de l'occupation humaine en zone inondable, de la régression des prairies permanentes et de l'augmentation de la quantité de pluie font en effet des Hauts-de-France une région particulièrement exposée au risque d'inondation.

Selon les chiffres communiqués par Enedis, à la suite des dernières inondations, plus de 10 000 foyers de cette région ont été privés d'électricité, dont certaines salles communales où devaient être accueillis les sinistrés. Or les inondations devraient augmenter tant en nombre qu'en intensité, si l'on se fie au sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec).

Vos travaux ont-ils fait émerger une réflexion interne pour que, d'une part, les réseaux électriques résistent mieux à ces phénomènes et que, d'autre part, les solutions de dépannage soient plus rapides ?

Mme Christine Lavarde. - Je me satisfais d'entendre que les remarques des rapporteurs sur les inondations corroborent le diagnostic que la commission des finances, lors de l'adoption des conclusions de mon rapport sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, avait émis, à une échelle plus large, sur les catastrophes naturelles.

Comme le soulignait Pascal Martin, le financement reste le nerf de la guerre. Or les crédits de prévention des risques font partie des sacrifiés. La diminution des crédits du fonds vert est bel et bien un enjeu. En effet, sa création dans la loi de finances initiale pour 2023 découlait d'un regroupement de crédits portés par d'autres politiques du ministère - je pense par exemple à l'action n° 02 « Adaptation des territoires au changement climatique », qui finançait notamment la prévention du risque inondation. Et pourtant, l'un des programmes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » a fait l'objet d'un grand coup de rabot cette année, qui s'accentuera d'ailleurs en 2025 : le fonds vert !

Au travers de nos contrats d'habitation, nous faisons tous l'objet d'un prélèvement sur la prime payée au titre de la garantie contre les catastrophes naturelles, destiné à alimenter le fonds Barnier. J'en profite pour vous informer qu'en 2025, le taux de surprime passera de 12 % à 20 % ! Ainsi, les recettes qui, avant la budgétisation décidée en 2021, finançaient le fonds Barnier continuent à progresser, sans que les crédits de l'action n° 14 du programme 181, qui porte ce fonds, n'augmentent dans la même mesure... Il est scandaleux qu'une partie du financement par les citoyens pour la prévention des risques soit finalement dévoyée, d'autant plus que tous les rapports montrent que nous pourrions financer des actions, que ce soit au plus proche du citoyen ou à l'échelle des territoires.

Cette réflexion est largement partagée. Le dernier rapport annuel de la Croix-Rouge insiste ainsi sur notre impréparation collective, en soulignant la très faible part de foyers ayant un sac d'urgence à disposition. Or, comme nous l'avons vu ces dernières heures à Cannes, les évacuations en cas d'inondation sont parfois très rapides.

M. Jean-Pierre Corbisez. - Je tiens tout d'abord à remercier le président du Sénat de s'être déplacé dans mon département. Après la surmédiatisation liée aux visites ministérielles ou présidentielles qui se sont parfois superposées, la visite de Gérard Larcher a mis du baume au coeur de nombreux maires ruraux, qui étaient excédés d'être filmés comme des animaux de zoo et exténués d'avoir passé des jours et des nuits sur le pont pour sauver des vies. Je rappelle effectivement que, si l'on ne déplore aucun mort alors même que l'eau est montée par endroits de plus d'un mètre en moins de vingt minutes, c'est parce que ces inondations ont eu lieu en journée, mais aussi parce que de nombreux élus sont allés, avec les moyens du bord, secourir certains habitants.

Je remercie également nos rapporteurs d'avoir présenté leurs recommandations. Ces travaux doivent être mis en parallèle avec la mission d'information de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ayant fait suite à l'effondrement d'un pont en Italie en 2018, qui s'est conclue par la publication du rapport d'information intitulé « Sécurité des ponts : éviter un drame ». À l'époque, nous avions cherché à ne pas mettre au pied du mur, au plan juridique, judiciaire et financier, de nombreuses communes pour lesquelles la question de la réparation d'ouvrages d'art ne s'était jamais posée.

La semaine dernière, nos deux rapporteurs nous ont rassurés sur le bon usage de la taxe Gemapi par les collectivités, tout en rappelant qu'il existe des disparités énormes sur la perception de celle-ci entre les EPCI ruraux, qui ne récupèrent que quelques centaines de milliers d'euros par an, et les EPCI urbains, qui captent plusieurs dizaines de millions d'euros par an - un chiffre excédant le coût réel des travaux à réaliser.

Votre recommandation n° 3 évoque l'instauration d'un fonds de péréquation à l'échelle des bassins versants, qui serait attribué aux EPCI. Pourquoi ne pas rendre cette compétence aux conseils départementaux, qui avaient déjà la compétence de l'entretien des ruisseaux et des cours d'eau voilà quelques années et assumaient les travaux, afin de favoriser une meilleure organisation entre les EPCI ?

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Plusieurs rapports ont été réalisés depuis 2015 sur la culture du risque et l'information mise à disposition sur les risques naturels s'est développée. Nous sommes confrontés à des précipitations de plus en plus violentes. Pour y faire face, la prévention s'est améliorée et des outils ont été créés, notamment des cartographies des risques.

Toutefois, nous devons désormais adopter les bons réflexes et sensibiliser la population, en organisant des exercices de mise en situation et en mobilisant les écoles. À cet égard, nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait aux Pays-Bas pour trouver des solutions.

On peut, certes, juger que les recommandations se suivent et se ressemblent, mais il est impératif de simplifier les démarches administratives. Nous ne pouvons plus nous permettre d'attendre les sept ans nécessaires à l'élaboration d'un Papi. S'agissant de la gestion des cours d'eau, les maires n'osent plus intervenir, car ils ne sont pas assez accompagnés par les services de l'État et ont peur d'être verbalisés. Si nous voulons réellement couvrir le risque, le maire et le président de l'EPCI doivent pouvoir obtenir une réponse rapide de la part du préfet.

Dans mon territoire, à Uvernet-Fours, dans la vallée de l'Ubaye, après qu'une station d'épuration a été détruite par une crue, l'État a obligé les élus à la reconstruire à l'identique. Sans amélioration, il était évident qu'elle serait de nouveau emportée à la crue suivante, ce qui n'a pas manqué d'advenir six mois plus tard. Nous devons réfléchir à une simplification à l'échelle des territoires.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Permettez-moi d'ajouter un mot sur la culture du risque. J'ai été très touché par le témoignage d'un maire en zone de montagne que nous avons auditionné en visioconférence. Il déplorait le décès d'un de ses administrés pendant un épisode de fortes pluies. Voyant l'évolution de la situation, il lui avait conseillé de ne surtout pas traverser un pont, mais celui-ci l'avait tout de même fait et en était mort. La culture du risque doit également permettre aux populations de faire confiance aux autorités.

Nous n'avons pas mené d'audition spécifique sur la capacité d'Enedis à éviter les coupures de courant. Nous avons abordé avec eux le problème d'assurance qui se pose lorsqu'un compteur électrique doit être déplacé pour éviter de nouveaux dommages lors d'épisodes pluviaux futurs. Il est difficile dans ce cas de déterminer qui peut financer le coût supplémentaire d'une reconstruction améliorée. Le particulier n'a souvent pas les moyens de payer les près de 900 euros que coûtent les travaux et les assurances ne veulent financer que la pose d'un compteur à la même place que celui qui a été endommagé.

Permettez-moi d'élargir votre question aux réseaux en général. Lorsque des réseaux d'adduction d'eau ont été pollués, il a fallu déployer des moyens considérables pour alimenter certains villages en eau potable. Il en va de même pour les réseaux de communication. Comment les maires peuvent-ils communiquer avec les Sdis ou avec leurs administrés lorsque tous les réseaux sont coupés ?

Nos recommandations doivent irriguer d'autres travaux, que ce soit des propositions de loi ou des rapports d'information complémentaires. Après la tempête Irma, j'ai été chargé, dans le cadre de la délégation sénatoriale aux outre-mer, de produire le deuxième rapport d'une série de trois. En effet, nous avions d'abord traité l'urgence, puis la résilience un an après, et enfin la reconstruction et l'état des lieux. Nous sommes dans le temps du constat de l'urgence, qui appelle des travaux futurs.

Par ailleurs, nous nous sommes longtemps posé la question du transfert de la compétence Gemapi à la région - Xavier Bertrand a notamment demandé à ce que sa région hérite de la compétence pour pouvoir mettre en oeuvre une péréquation ; toutefois, cette volonté n'est pas partagée dans toutes les régions. À mon sens, l'échelon régional est plus à même de prendre ce dossier en charge que l'échelon départemental. Mais nous avons tranché : considérant que l'échelle locale est la plus pertinente pour la réalisation des travaux, il nous a semblé que la péréquation devait se faire entre des intercommunalités. La région pourrait être un échelon approprié, mais nous ressentons de la part des élus une volonté de gérer les choses de manière plus locale. C'est pourquoi nous prônons une péréquation entre des EPCI à l'échelle des bassins versants.

Dans les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence, nous avons constaté des dégâts considérables. Toute l'eau de ce bassin versant alimente le lac de Serre-Ponçon. Lorsque celui-ci a débordé, des villages entiers ont été détruits. Or l'eau de ce lac alimente l'agglomération de Marseille, dont la population est considérablement plus élevée que ces deux départements de 140 000 et 150 000 habitants. Ces derniers, dont la taxe Gemapi est fixée à 40 euros par habitant, doivent assumer l'essentiel des travaux en s'appuyant sur une assiette fiscale très faible, tandis que Marseille, où la taxe est fixée à 3 euros par habitant, capte 25 millions d'euros sans avoir à réaliser de travaux. Cette situation ne peut pas durer !

De même, dans le Pas-de-Calais, un maire dont le budget d'investissement est de 10 000 euros doit réaliser des travaux de voirie coûtant plus de 1,5 million d'euros. Comment voulez-vous qu'il s'en sorte ? Les écoulements ayant causé la destruction proviennent de communes situées en amont, qui ne font pas partie de la même intercommunalité, et les intercommunalités concernées refusent de payer pour celles qui se trouvent en aval. La question de la solidarité doit être posée - et c'est un homme de droite qui vous le dit !

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Les gorges du Verdon dépendent d'une communauté de communes de 10 000 habitants. La taxe Gemapi a été fixée à 40 euros par habitant, soit le maximum, ce qui représente 900 000 euros de recette par an. Or, selon une étude, la communauté de commune doit assumer des travaux de plus de 15 millions d'euros. Une solidarité doit absolument se mettre en place, notamment entre l'amont et l'aval.

Mme Frédérique Espagnac. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail remarquable. Ayant subi les dernières inondations dans les Pyrénées-Atlantiques, j'y suis particulièrement sensible.

Dans la petite commune de Lourios-Ichère, chère à Jean Lassalle, quinze enfants ont été sauvés parce que leur instituteur leur avait fait faire la veille des exercices sur l'attitude à adopter en cas d'inondation. Paradoxalement, la commune n'était pas en zone inondable, mais la rupture d'un embâcle de pont a causé une inondation de plus de deux mètres de hauteur. Les exercices sont donc fondamentaux.

En ce qui concerne la solidarité, une route départementale menant à la frontière espagnole a été coupée en deux, voilà quinze jours, et il faudra au moins un an pour la reconstruire. Or cette route touche quatre communes de 100 habitants au maximum, aux ressources proches de zéro. Comme vous le préconisez dans votre recommandation n° 16, il est essentiel d'instituer une avance de trésorerie pour débloquer la situation. Mais pour ces petites communes, il est impossible de régler le reste à charge ! Au-delà de la réalisation des travaux, il faudra les aider à mettre en place des actions préventives.

J'insiste sur les propos de Christine Lavarde : dès lors que nos cotisations augmentent, cela doit se retrouver dans nos investissements. Si le fonds vert n'est pas la seule source de financement, il convient de s'interroger sur la baisse de 65 % qui le frappe. Il s'agit d'une alerte majeure.

Par ailleurs, de nombreuses communes ont demandé à être classées en état de catastrophe naturelle pour que leurs habitants soient assurés, mais se trouvent elles-mêmes sans assurance à cause des refus qu'elles essuient de la part des assureurs. Un maire m'a confié qu'il n'était plus assuré depuis six mois, ce qui met en danger toutes ses infrastructures communales. Je vous alerte sur la situation de ces communes.

Enfin, en zone de montagne, si le préfet peut se montrer compréhensif, les services de l'État enclenchent parfois des procédures menant à des pénalités financières, voire des condamnations. Aussi les élus n'osent-ils plus assumer de risques financiers. Nous devons sécuriser nos maires.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je remercie à mon tour les rapporteurs pour ce nouveau rapport sur un thème qui a déjà été largement abordé par notre commission. Michel Vaspart et moi-même avons produit en 2019 un rapport d'information intitulé « Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux reconstruire », dont les nombreuses recommandations ont été adoptées à l'unanimité.

Je partage bon nombre de vos recommandations, dont la n° 3, dans laquelle vous préconisez d'instaurer un fonds de péréquation de la taxe Gemapi à l'échelle du bassin versant, ce qui permettra aux communes chargées de cette compétence d'assurer correctement leur mission et, ce faisant, de concilier gouvernance locale et gestion à l'échelle globale.

Je souligne également la recommandation n° 6 sur la prise en compte des effets climatiques sur le risque inondation dans les PPRi et dans les PPRL, ainsi que la recommandation n° 7 encourageant le développement de solutions de prévention fondées sur la nature.

Nous avions abordé ce dernier point, qui me paraît essentiel, lors de l'examen de la proposition de loi visant à préserver des sols vivants. En effet, des sols érodés n'absorbent plus les eaux de pluie, ce qui entraîne, notamment dans le Pas-de-Calais, des glissements de terrain et des coulées de boue qui s'ajoutent aux inondations. Il est donc crucial d'intégrer à nos documents d'urbanismes les fonctions écologiques du sol, qui représentent des alliées puissantes pour limiter l'impact des catastrophes naturelles.

Pour le développement d'une véritable culture du risque, nous ne pouvons plus faire l'économie d'une réelle surveillance de l'érosion des sols et d'une transformation de nos pratiques agricoles.

Votre rapport aborde-t-il la question de la renaturation des espaces favorisant l'adaptation aux aléas climatiques ?

M. Ronan Dantec. - Je salue également le travail des rapporteurs et souligne le fait que nous avons été nombreux à participer aux auditions.

Tout d'abord, il convient de faire vivre ce rapport dans le cadre du troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), qui devrait, si j'en crois les récentes déclarations d'Agnès Pannier-Runacher, faire rapidement l'objet d'un débat, auquel le Sénat devra prendre toute sa part.

Ces recommandations sont intéressantes, notamment la n° 7. Toutefois, j'éprouve une certaine frustration. Comme l'a dit Jean-François Rapin, certaines recommandations auraient dû être formulées plus explicitement dans le rapport.

Tout d'abord, alors qu'elles concernent l'eau, vos recommandations portent peu sur la gouvernance de l'eau. Au-delà des collectivités, l'eau dépend des commissions locales, de l'agence de l'eau, des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage), des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage)... La gestion de l'eau est émiettée, et mérite de faire l'objet d'une stratégie globale.

J'estime que la région doit être un acteur de mutualisation financière, en passant par une péréquation des recettes issues de la taxe Gemapi, mais aussi un acteur clé sur la gestion des sols. Des inondations catastrophiques sont inévitables, et la culture du risque est la seule réponse que nous pouvons y apporter. Mais certaines inondations sont évitables, dans la mesure où elles sont provoquées à moyen terme par un ruissellement.

À cet égard, vous n'avez que peu intégré les enseignements du rapport de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable sur les inondations dans le Nord-Pas-de-Calais, qui met en cause le ruissellement, l'imperméabilisation des sols par l'urbanisme et l'évolution des pratiques agricoles. Les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) devront être de plus en plus précis et intégrer des stratégies préventives.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas en rester là sur la question des assurances. Notre régime CatNat est en difficulté : des prélèvements ont été réalisés sur la caisse de réassurance. Christine Lavarde et moi-même avons participé à plusieurs réunions sur le sujet. Il faut mettre sur la table un plan d'ensemble. Le fonds Barnier doit financer tant l'urgence que la prévention. Tout le système assurantiel doit être remis à plat rapidement.

Le rapport ne dessine pas les contours d'une telle remise à plat, non plus que le Pnacc, qui préconise la création d'un observatoire pour vérifier que les assureurs jouent bien leur rôle en matière de solidarité nationale. Il convient de trouver une solution claire, car le système est à bout de souffle.

M. Hervé Gillé. - Je souligne également la qualité de vos travaux et le pragmatisme de vos propositions.

Si la recommandation n° 1 sur la gestion des cours d'eau me paraît équilibrée, le curage des fossés reste un sujet important pour la qualité des ressuyages des sols, qui déterminent la façon dont les eaux se libéreront dans les territoires.

Comme Ronan Dantec, je plaide pour une inscription dans les plans locaux d'urbanisme (PLU) et dans les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) des schémas stratégiques de gestion du fil de l'eau et du ressuyage. Qu'en pensez-vous ?

Concernant les difficultés de financement, nous devons pouvoir nous appuyer sur les enjeux majeurs pour déterminer la taxation à l'échelle des bassins versants, mais cela suppose de les caractériser. La gestion de l'eau doit s'articuler entre les politiques territoriales et les politiques de gouvernance de l'eau au travers des agences, notamment les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB). Pourquoi ne pas s'appuyer sur les EPTB pour assurer la péréquation des recettes de la taxe Gemapi et l'animation territoriale ?

Je suis d'accord avec vos recommandations relatives aux PCS, mais pourquoi ne pas appliquer la même logique aux Pics ? Il serait souhaitable de favoriser une approche intercommunale.

En ce qui concerne la culture du risque, nous nous apercevons que la mémoire collective, c'est-à-dire la transmission du savoir entre les anciens et les nouveaux, est essentielle. Pourquoi ne pas nous appuyer sur les archives départementales, dans une logique d'échanges et d'animation à l'échelle des territoires, pour partager l'histoire de ceux-ci ? Cela favoriserait les relations entre les anciens et les nouveaux habitants.

M. Philippe Tabarot. - Je remercie nos rapporteurs de leur travail et de s'être intéressés à notre département. Je me réjouis du travail entre nos deux commissions, et ce rapport montre que nous avons beaucoup de choses à faire ensemble.

Lundi matin à sept heures, j'étais sous l'eau. Les épisodes de dérèglement climatique se multiplient et s'intensifient. Encore une fois, nous avons constaté une faille du système d'alerte. Nous avons eu officiellement connaissance du phénomène une heure vingt après qu'il ait débuté, sous la forme d'une alerte jaune, alors que l'orange ou le rouge semblait plus approprié. Dans ces conditions, comment voulez-vous prévenir les administrés des risques qu'ils encourent pour aller au travail ou emmener leurs enfants à l'école ?

Contrairement à ce qui s'est passé en 2015, nous avons apporté des réponses : nous avons instauré la taxe Gemapi, et des bassins de rétention ont été creusés. Toutefois, celles-ci se sont révélées inopérantes face à des précipitations plus fortes sur un temps plus court. Pouvez-vous développer vos propositions à cet égard ?

Sans vouloir polémiquer, Ronan Dantec et d'autres ont laissé entendre que les catastrophes naturelles sur la Côte d'Azur étaient dues à une artificialisation excessive des sols et à des problèmes de ruissellement. Or ceux qui déplorent ce problème sont les mêmes qui poussent les maires à construire plus au travers de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU... N'est-ce pas contradictoire ?

M. Rémy Pointereau. - Permettez-moi de revenir sur la question de la gouvernance et du financement. Le choix de l'échelle intercommunale pour gérer la Gemapi, notamment la prévention des inondations, n'est pas adapté car cela crée des inégalités territoriales très importantes.

Lors de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit projet de loi 3DS, j'avais fait adopter un amendement pour expérimenter une délégation de cette compétence aux EPTB. Malheureusement, cette mesure est très difficile à mettre en oeuvre.

Pour prendre l'exemple de la Loire, le fleuve traverse quatre régions. L'établissement public Loire (EPL) gère uniquement les grandes villes - Tours, Orléans, Angers -, laissant de côté toutes les communautés de communes se trouvant le long de la Loire, qui doivent gérer les digues alors qu'elles n'ont pas les moyens de financer les travaux.

Nous essayons de mettre en oeuvre une délégation entre communautés de communes, mais cela semble impossible. À mon sens, nous allons devoir adopter une démarche coercitive pour que les EPTB gèrent les problèmes liés aux inondations, car même l'échelle régionale est insatisfaisante, comme on le voit pour le cas de la Loire.

Mme Marta de Cidrac. - Je remercie les rapporteurs pour ce rapport d'information fort intéressant.

Messieurs les rapporteurs, lors de vos travaux, la question de l'aménagement territorial - eaux de surface, ruissellement, etc. - est-elle remontée ? Lorsque l'on bâtit, ou que l'on artificialise, pour reprendre un terme utilisé précédemment, cela n'est pas neutre sur les voies que prennent les eaux souterraines. Les aménagements territoriaux liés à une grande opération dans un territoire ont des répercussions sur des territoires voisins.

Avez-vous recueilli des recommandations à ce sujet ? Allons-nous vers encore plus de réglementation et d'obligations ? Les maires sont parfois confrontés à des injonctions contradictoires : d'un côté il ne faut pas trop artificialiser ; de l'autre, il faut construire des logements... Comment conjuguer tout cela ?

Mme Kristina Pluchet. - Je souhaite vous alerter sur un point important en matière de prévention des risques dont on ne parle pas : la destruction des seuils de moulins. Au nom de la continuité écologique, les agences de l'eau financent la destruction de ces ouvrages. Ainsi, pas moins de 10 000 seuils ont été détruits. Il est temps de demander une étude d'impact sur ce sujet.

Par ailleurs, les agriculteurs, qui ont longtemps curé gratuitement les cours d'eau et les fossés, ne le font plus à cause des contraintes administratives et des contrôles, notamment de l'Office français de la biodiversité (OFB). Le besoin de simplification concerne donc non seulement les collectivités, mais aussi les agriculteurs.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Nous avons réfléchi au rôle des EPTB dans la gouvernance de l'eau, mais ils ne sont pas tous sur la même ligne. Certains s'y disent prêts à condition de récupérer la compétence Gemapi. Idem pour les régions : Renaud Muselier et Xavier Bertrand ne tiennent pas le même discours sur un potentiel transfert de la compétence Gemapi. Peut-être devrons-nous mener une réflexion d'ordre législatif sur la question.

Sur le fait que l'alerte soit arrivée trop tard, monsieur Tabarot, Météo France nous a alertés sur un manque de personnel rendant difficile de couvrir l'ensemble du territoire. Une réflexion sur Météo France s'impose pour mieux organiser les choses et réaliser des prévisions de manière plus locale et directe. L'organisme, qui avait des antennes locales, est désormais géré à l'échelle nationale, ce qui peut affecter la qualité des prévisions météorologiques.

Les problèmes de trésorerie des communes sont une réalité. L'avance de trésorerie que nous proposons est donc très importante, et servira lorsque des travaux de reconstruction doivent être conduits. Nous l'avons vu à Risoul, dans les Hautes-Alpes, où une route a été complètement détruite et un pont arraché : sans l'aide du département, la commune n'aurait pas pu reconstruire.

Une mission d'information a été conduite en janvier par le ministère de l'intérieur et le ministère de la transition écologique sur les inondations dans les Alpes-de-Haute-Provence ; nous sommes à la fin du mois de septembre et nous ne savons toujours pas quelle subvention accordera l'État, alors que les collectivités ont avancé les frais. Or les entreprises refusent d'intervenir si elles ne sont pas payées dans le mois qui suit. Voilà pourquoi j'appelle à une simplification.

Notre rapport formule avant tout un constat. Il nous appartiendra, en tant que législateur, de traduire nos réflexions par des mesures législatives pour aller plus vite et pour simplifier les démarches des collectivités territoriales. Les maires sont prêts à agir à condition d'être sécurisés par le droit et accompagnés d'un point de vue technique.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - En ce qui concerne le reste à charge, j'ajoute qu'il existe dans la loi une dérogation pour bénéficier d'une prise en charge subventionnée à 100 %. Un problème existe dans les cas qui dépendent de la compétence communale propre, par exemple pour un chemin ou une route communale, pour lesquels une avance de trésorerie est nécessaire. Dans ces cas, nous pourrions envisager de faire appel à la Caisse des dépôts et consignations, car il s'agit après tout de l'argent des Français.

Vous n'imaginez pas le nombre de communes qui nous ont fait part de leurs besoins en trésorerie, qui ont une conséquence directe : une entreprise sollicitée par une commune de 200 habitants pour réaliser des travaux de 300 000 euros y réfléchira à deux fois avant d'accepter, par peur de ne pas être payée. Il s'agit non pas de haute technocratie, mais de vécu, de concret !

Par ailleurs, le bureau central de tarification (BCT) a pour rôle de nommer un assureur en cas de défaut d'assurance. Voilà la règle !

M. Ronan Dantec. - Il y a la question du niveau de prime...

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Certes, mais le BCT doit pouvoir leur trouver un assureur, même si ce qui est vrai dans les textes est plus compliqué sur le terrain.

Nous nous sommes posé la question de la gouvernance des sols au fil des auditions. Les EPTB sont un acteur intéressant, mais les visions divergent selon les territoires et la manière dont ils s'organisent. Il viendra un temps où nous devrons repenser le mode de gouvernance, mais ce n'était pas l'objet de notre mission d'information que de le faire. Pour cela, il aurait fallu entrer en négociation avec tous les territoires pour connaître leur volonté. Saisissez-vous de cette question !

Dans mon département du Pas-de-Calais, le préfet a proposé trois EPTB, ce qui a fait tiquer les intercommunalités. Un processus de discussion et de négociation doit se dérouler à froid.

Nous allons en effet devoir entrer en discussion avec les agriculteurs, notamment pour que ces derniers se mettent d'accord avec leur collectivité pour placer des zones d'expansion de crue, y compris sur des terrains agricoles. Sur ce sujet également, une réflexion doit être conduite à froid. Nous devons nous poser les bonnes questions pour éviter de nouveaux sinistres. La première chose que nous demandent les sinistrés est : « Ce que vous avez fait évitera-t-il de nouveaux épisodes similaires ? » Et nous n'avons pas la réponse, car nous ne savons pas si ces épisodes, très violents et durables, doivent être pris comme référence ou si de pires phénomènes nous attendent.

Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas à nous immiscer dans les PLU des collectivités. Nous devons nous interroger sur la loi SRU, sur la loi sur l'eau, qui est en quelque sorte la loi mère, mais aussi sur le « zéro artificialisation nette » (ZAN).

Je regrette de ne pas pouvoir répondre plus en détail à vos nombreuses questions qui montrent à quel point ce sujet est riche et intéressant. En témoigne également l'intérêt de la presse qui nous contacte pour connaître les conclusions de nos travaux. Nous avons formulé un constat sur l'urgence, et il sera intéressant de produire d'autres rapports sur la résilience. Je ne vais pas faire plaisir à nos collègues écologistes en disant cela, mais si, depuis vingt ou trente ans, notre politique de gestion des sols a porté essentiellement sur la biodiversité, nous devons actuellement être dans l'urgence et dans la résilience.

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Pour conclure, je remercie les rapporteurs. Je tiens à saluer le travail que nous avons mené en commun avec la commission des finances sur cette question importante. Comme l'ont dit les rapporteurs, d'autres préconisations suivront certainement celles qu'ils ont formulées, car nous continuerons de travailler sur ce sujet qui nous tient à coeur.

La réunion est close à 10 h 45.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 11 h 00.

Évaluation de la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité (OFB), modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement - Examen du rapport d'information

M. Jean-François Longeot, président. - Nous voici réunis pour l'examen de notre second point à l'ordre du jour : la présentation des conclusions et des recommandations de la mission d'information relative à la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité (OFB).

Je remercie son rapporteur, notre collègue Jean Bacci, pour la qualité de son travail, le caractère équilibré de son bilan, près de cinq ans après la création de cet opérateur généraliste de la biodiversité, et pour son implication sans faille au cours d'une mission qui a duré six mois. Ces travaux lui ont permis d'être à l'écoute de l'ensemble des publics en interaction avec l'établissement et, ainsi, d'appréhender l'OFB dans son écosystème.

Pour les commissaires arrivés l'an dernier, je rappellerai brièvement la genèse de l'OFB et sa raison d'être aux yeux du législateur.

Nous avions entrepris, en 2019, le rapprochement des établissements publics compétents en matière d'eau, de biodiversité et de chasse, afin de fédérer des expertises distinctes mais complémentaires, au sein d'un opérateur unique, de manière à surmonter les insuffisances résultant d'une approche fragmentée de la biodiversité.

Le rapprochement des domaines de la chasse, de la nature et de l'eau ne relevait pas de l'évidence. Je me souviens de nos débats parfois vifs en séance publique sur le champ des missions à confier à ce nouvel opérateur de l'État, sur les modalités de sa gouvernance, sur l'extension des prérogatives de police de ses agents, sur son appellation même. Cet établissement public, dernier-né des opérateurs de l'environnement, suscite toujours certaines tensions à propos de la manière dont il accomplit ses missions, comme le mouvement de colère des agriculteurs de ce début d'année l'a montré avec force.

La mission d'information, souhaitée en novembre 2023 par le président Gérard Larcher, ne constitue pas une réaction à ce mouvement de contestation qui a étrillé l'OFB. Il s'agissait, plus de quatre ans après la fusion de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), de faire un bilan de la manière dont l'établissement s'acquitte des missions que lui a confiées le législateur, afin de s'assurer que l'esprit de ce qui a été voté a bien été respecté, conformément à la vocation du Sénat de contrôler l'application des lois.

Pour entamer nos travaux, nous avions entendu, en mars dernier, Olivier Thibault, directeur général de l'OFB, et Sylvie Gustave dit Duflo, présidente du conseil d'administration de l'établissement. Nous les achevons aujourd'hui par la présentation des conclusions et des recommandations du rapporteur, au terme d'une longue séquence d'auditions et de déplacements sur le terrain.

Je cède sans plus tarder la parole à notre rapporteur pour qu'il vous présente les fruits de son travail.

M. Jean Bacci, rapporteur. - J'ai l'honneur de vous présenter, ce matin, les conclusions des travaux que j'ai réalisés dans le cadre de la mission d'information sur la loi de 2019 portant création de l'OFB, ainsi que les recommandations qui me paraissent découler des constats que je tire. Mon propos se nourrit de plus de 50 heures d'échanges avec 43 organismes et de l'audition de plus de 140 personnes, mais aussi de déplacements sur le terrain, dans le Var et dans l'Eure, à la rencontre des acteurs en interaction avec cet établissement public.

J'ai souhaité entendre l'ensemble des parties prenantes, des acteurs qui prennent part à sa gouvernance et siègent au conseil d'administration aux publics faisant l'objet de contrôles au titre de la police de l'environnement, en passant par les élus locaux, les autorités de tutelle, les syndicats des représentants du personnel, les associations de protection de l'environnement, des magistrats et des procureurs, mais aussi la Cour des comptes, qui a publié un rapport sur l'OFB en juillet dernier.

Ce tour d'horizon, à 360 degrés, de l'écosystème administratif de l'OFB a fait apparaître comme une évidence l'utilité de cet opérateur, qui fédère sous sa bannière l'ensemble des milieux et des expertises environnementales, pour atteindre collectivement nos objectifs de préservation de la biodiversité. Son expertise et sa capacité à mobiliser des acteurs pour répondre aux menaces qui pèsent sur la biodiversité sont largement reconnues. La majorité des intervenants que j'ai entendus portent un jugement positif sur son action. Je partage cette opinion, qui, d'ailleurs, a guidé mes travaux et mes recommandations.

Cela étant, l'OFB est un établissement public récent : il a moins de cinq ans d'existence. Assez logiquement, il n'a pas encore trouvé son positionnement optimal dans le paysage administratif et n'est toujours pas parvenu à créer une culture d'établissement commune à l'ensemble des personnels issus des anciennes entités ayant fusionné en son sein. Certaines modalités de ses interventions sont perfectibles. Ainsi, la mise en oeuvre de la police de l'environnement, notamment, suscite des tensions. L'OFB n'est pas encore en mesure de répondre à toutes les attentes que le législateur a placées en lui lors de sa création.

Ma volonté, dans le cadre de cette mission d'information, a été de relever les marges d'amélioration, les points de perfectionnement et les évolutions souhaitables, afin d'accroître l'identification de l'OFB par les acteurs, sa légitimité et son efficacité au service des territoires et au bénéfice de la préservation de la biodiversité. J'ai voulu dessiner un chemin pour renforcer l'efficience de son action, sans parti pris ni dogmatisme.

En 2019, les assemblées ont souhaité parachever le processus de rapprochement des opérateurs de l'eau, de la chasse et de la nature qui avait conduit, en 2016, lors de l'examen de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, à la création de l'AFB. L'OFB est le produit de la fusion de cet établissement, qui a vu le jour en 2017, et de l'opérateur de la chasse, l'ONCFS. Plusieurs objectifs ont à l'époque animé le législateur : la simplification administrative, la lisibilité et l'efficacité de l'action publique environnementale par le jeu de la mutualisation de compétences auparavant dispersées, dont la coordination pouvait être complexe.

La création d'un établissement transversal et fédérateur a suscité de fortes attentes en 2020. Les premiers temps de l'OFB ont cependant été entravés par la crise sanitaire. En outre, la fusion des établissements a été insuffisamment préparée avec les personnels par la mission de préfiguration, ce qui a provoqué des situations de mal-être au travail et contribué à des suicides d'agents. Au reste, la création de l'OFB a entraîné des évolutions notables des métiers. Elle a suscité d'importants besoins de formation et nécessité l'acquisition de nouvelles compétences, qui ont éloigné certains agents du socle de leurs savoir-faire. Ces facteurs n'ont pas permis à l'établissement d'être, dès sa création, l'outil espéré par le législateur, ce qui n'a pas manqué de causer des déceptions, à proportion de la visibilité des nouvelles missions de l'OFB et du renforcement de ses prérogatives de police.

La direction générale a pris la mesure de ces défis administratifs et managériaux. Elle a instauré un ambitieux programme de formation « OFB+ » pour accompagner la montée en compétences des personnels sur les six grandes missions de l'établissement, à savoir : la contribution à la police de l'environnement ; le développement de la connaissance, de la recherche et de l'expertise ; l'évaluation de l'état de la faune sauvage et la gestion adaptative des espèces ; la participation à la conception, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des politiques de l'eau et de la biodiversité ; la gestion, la restauration et l'appui à la gestion d'espaces naturels ; la sensibilisation du public et l'accompagnement de la mobilisation.

Pour mener à bien ses missions, l'OFB a agrégé les moyens humains, budgétaires et immobiliers des entités fusionnées et a bénéficié d'une trajectoire budgétaire bien plus favorable que d'autres opérateurs. Ainsi, son budget, en autorisations d'engagement, a progressé de 53 % depuis sa création. L'établissement dispose de plus de 3 000 agents, dont 2 000 sur le terrain, et de quelque 1 700 inspecteurs de l'environnement. La Cour des comptes a estimé qu'il disposait des moyens de ses ambitions et qu'il devait désormais renforcer la cohérence de son maillage territorial et ses capacités de projection dans les départements.

En raison de la mission de police administrative et judiciaire de l'environnement que lui a attribuée le législateur, l'établissement fait face à des réticences et à des contestations. Les normes environnementales visent, en effet, l'atteinte d'un « ordre écologique », différent de la sécurité recherchée par les autres formes de police. Avec 25 polices qui s'articulent imparfaitement et 70 catégories d'agents chargés de près de 3 000 infractions environnementales disséminées dans plusieurs codes et se caractérisant par leur instabilité et leur variabilité dans le temps, on conçoit que la police de l'environnement puisse être contestée, dans son principe comme dans ses modalités. Les auditions m'ont intimement convaincu que l'OFB doit accentuer ses missions d'accompagnement des acteurs et favoriser la prévention avant toute démarche répressive. C'est de cette façon que l'établissement résorbera son déficit de légitimité et apaisera les tensions que suscitent ses missions de police.

Le législateur a lui aussi un rôle à jouer, en dépénalisant certaines infractions environnementales afin de favoriser un meilleur équilibre entre police judiciaire et police administrative. Il s'agit d'être moins inquisitorial et traumatisant, et d'établir une panoplie de sanctions administratives mieux proportionnées aux atteintes à l'environnement, en fonction de leur gravité.

Afin de favoriser la cohérence de l'action publique environnementale, l'OFB doit également parfaire sa coordination avec les services déconcentrés de l'État, sous l'autorité du préfet, garant de la lisibilité et de la cohérence des priorités environnementales définies à l'échelle locale. Il existe, pour ce faire, des outils de mise en cohérence : les Misen (missions interservices de l'eau et de la nature) et les Colden (comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale), placés respectivement sous l'autorité des préfets et des procureurs de la République. Ces outils ont vocation à définir des plans de contrôle et les priorités pénales et à favoriser leur anticipation par les acteurs. Ils gagneraient à être déployés dans tous les territoires. Les maîtres-mots en la matière sont : pédagogie, prévention, lisibilité, anticipation et sensibilisation à la complexité réglementaire. L'OFB doit être un acteur de cette logique d'accompagnement, ce qui contribuera à réduire la dimension répressive de son action dans les territoires. L'Office ne sera ainsi plus vu uniquement comme un censeur ou comme le « gendarme de la biodiversité ».

À cet égard, le mouvement de colère agricole de ce début d'année a mis l'accent sur la question névralgique du port de l'arme de service par les inspecteurs de l'environnement. Il convient, en premier lieu, de rappeler que l'OFB est amené à contrôler des publics armés, notamment des braconniers, et à intervenir dans des situations hostiles ou conflictuelles. Les représentants du personnel que j'ai entendus estiment que le port de l'arme constitue un moyen de défense et de protection pour les agents au quotidien, ainsi qu'une manière, avec l'uniforme et l'insigne, de les désigner comme titulaires de prérogatives de police. Leurs arguments me semblent de bon sens. Je suis en revanche convaincu qu'il est nécessaire de proportionner la visibilité du port de l'arme à la conflictualité potentielle des situations de contrôle : le port ostensible de l'arme pouvant déboucher sur des tensions préjudiciables au bon déroulement des contrôles, il faut que les inspecteurs adoptent un port discret pour les interactions avec des publics non armés. De même, il me semble essentiel d'accentuer la formation des agents aux gestes et postures et de renforcer leur capacité à anticiper et gérer des situations de conflit.

Afin de mieux encadrer les prérogatives et les devoirs des contrôleurs à l'égard des contrôlés, deux évolutions me paraissent opportunes. Il convient tout d'abord d'élaborer une charte de déontologie, afin d'objectiver le déroulement des contrôles et de réduire la variabilité des comportements et des postures, laquelle alimente parfois des critiques de militantisme ou de dogmatisme de la part des agents et affecte la crédibilité et la légitimité de l'OFB. Il me paraît également utile de créer une « direction métiers », faisant également fonction d'inspection générale de l'OFB : elle permettrait de maîtriser les risques liés à l'exercice de l'activité de police de l'environnement, de superviser et d'évaluer les actions des agents de l'OFB sur le terrain et de diligenter des enquêtes administratives lorsque des contrôles font l'objet de contestations. Il me semble également nécessaire de rééquilibrer les missions de l'OFB au profit de la prévention, de l'appui aux territoires et de l'accompagnement des acteurs, afin d'atténuer l'image répressive attachée à l'établissement, qui nuit à la capacité de l'Office à instaurer l'indispensable confiance avec les élus locaux, les entrepreneurs et les agriculteurs.

La confiance, voilà, à mes yeux, la clef d'un OFB mieux accepté, renforcé, légitimé et ancré dans les territoires. Du fait de la pluralité de ses missions et de sa relative jeunesse, l'établissement n'a pas encore trouvé son point d'équilibre dans le paysage administratif ni le positionnement fédérateur souhaité par les parlementaires en 2019, lors de l'examen de la loi à l'origine de la fusion. L'OFB doit aujourd'hui relever le défi de la confiance, forger sa légitimité en orientant les acteurs sur le terrain face à la complexité et à l'instabilité du cadre réglementaire et faire usage de ses prérogatives de police avec discernement.

Créé dans un contexte de changements rapides et de déclin de la biodiversité à un rythme sans précédent, l'OFB gagnerait à renforcer la dimension préventive de son action, à optimiser sa présence dans les territoires, à se mettre à l'écoute des élus locaux et à accompagner de façon plus régulière les acteurs, pour capitaliser les gains de proximité qui nourriront sa légitimité et l'acceptation de son rôle en matière de police de l'environnement.

C'est dans cet esprit que l'OFB doit mieux investir ses missions de police de la chasse, qu'il a partiellement abandonnées. Les chasseurs estiment que l'établissement a insuffisamment pris le relais de l'ONCFS et déplorent une perte de compétence, d'expertise et d'appétence concernant les enjeux relatifs aux espèces chassables et le suivi des plans de chasse. De même, on constate des délais excessifs d'examen du permis de chasser dans certains territoires. L'OFB doit donc renouer le lien avec les acteurs cynégétiques et consacrer au moins 15 % de son activité sur le terrain à ces enjeux, faute de quoi son expertise ne serait plus assurée. Cela lui permettra également de s'acquitter de la délicate mission de suivi de la population de loups sur le territoire national, sujette à contestation sur le plan méthodologique.

Soucieux d'accroître l'efficacité des interventions de l'OFB et de renforcer sa capacité à répondre aux défis de la préservation de la biodiversité, j'ai identifié les évolutions qui permettront à l'établissement de bénéficier d'un meilleur ancrage institutionnel, d'une légitimité plus affirmée et de relations plus apaisées avec les acteurs économiques et agricoles. Nous avons tous collectivement à gagner d'une police de l'environnement mieux comprise et plus cohérente, mise en oeuvre par des agents correctement formés à la complexité des prescriptions environnementales, aux postures et aux contextes d'intervention, dont l'action au service des territoires serait mieux coordonnée avec celle des services de l'État.

L'établissement doit, pour ce faire, poser les fondements d'un nouveau pacte de confiance avec le monde agricole, à travers des mesures simples et lisibles, pour accompagner les agriculteurs face aux défis sans précédent qui bouleversent les méthodes et pratiques culturales et d'élevage. Avec des normes et des prescriptions mieux expliquées et comprises, un accompagnement bienveillant et quotidien des acteurs, la police de l'environnement pourra dégager du temps d'intervention pour lutter contre la délinquance environnementale et les infractions intentionnelles aux milieux.

À cet égard, je préconise : la mise en oeuvre, de façon ponctuelle et annoncée à l'avance, de contrôles pédagogiques, sans verbalisation, en partenariat avec les chambres d'agriculture ; l'instauration d'un droit à l'erreur pour les acteurs de bonne foi et une meilleure prise en compte du caractère non intentionnel des infractions environnementales ; le développement de mesures alternatives aux poursuites et de stages de sensibilisation aux enjeux de la préservation de l'environnement ; le développement d'un outil numérique synthétisant l'ensemble des réglementations environnementales et des procédures administratives à respecter à l'échelle de la parcelle agricole pour mieux s'orienter dans le « maquis foisonnant » de la réglementation environnementale.

J'ai, au cours de mes auditions, identifié une autre catégorie d'acteurs délaissés par l'OFB, qu'il doit impérativement mieux prendre en compte : les élus locaux. Les élus des associations représentatives, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et l'Association des maires ruraux de France (AMRF) m'ont fait part du souhait des maires, notamment ruraux, d'être mieux identifiés et accompagnés par l'établissement. Il est fondamental que l'OFB accompagne mieux les collectivités territoriales dans leur action quotidienne de préservation de la biodiversité et de gestion des milieux et des espèces, dans une logique de « guichet unique de la biodiversité ». Il doit également instaurer des modalités d'échanges institutionnalisés avec les élus locaux et des rencontres régulières avec les directeurs régionaux et les chefs de services départementaux, pour qu'un canal d'information et des liens de confiance puissent être instaurés avec les élus locaux. Un audit pourrait être réalisé afin d'optimiser l'organisation territoriale et de renforcer les capacités d'intervention des services de l'OFB à tous les échelons - national, régional ou départemental.

Face à la complexité de la norme environnementale, dont nous sommes également responsables, il me semble utile d'envisager la mise en oeuvre d'un « rescrit environnemental », afin de solliciter l'administration sur l'interprétation officielle et opposable d'une norme environnementale, de manière à éviter les divergences d'appréciation entre territoires, délétères pour l'autorité de la norme.

J'évoquais, il y a un instant, un outil numérique. J'ai rencontré les responsables d'un service accessible en ligne, EnvErgo, qui permet de simplifier la prise en compte de la réglementation environnementale dans les projets d'aménagement et de construction. Il apporte une réponse circonstanciée sur la réglementation applicable et les procédures à suivre pour un projet, à un moment et à un emplacement donnés, et détermine si un projet est soumis ou non à une réglementation environnementale. Cet outil, encore en phase de développement, me paraît intéressant et pourrait très opportunément être élargi aux réglementations environnementales applicables aux activités agricoles.

Pour promouvoir un OFB qui sache répondre aux attentes qu'il suscite, l'effort de formation mis en oeuvre doit se poursuivre : il me semble essentiel de promouvoir une approche systémique et interdisciplinaire de la formation initiale des agents de l'OFB et d'accentuer la formation continue sur les enjeux socio-économiques, afin de mieux appréhender la complexité des interventions agricoles et économiques.

Quant aux moyens de l'établissement, ils dépendent encore aujourd'hui majoritairement - à hauteur des deux tiers - de la contribution des agences de l'eau, qui versent plus de 401 millions d'euros par an au budget de l'établissement. Ce sont autant de moyens qui ne servent pas à financer la politique de l'eau ni à accompagner les collectivités dans l'entretien de leurs réseaux. Dès lors, il me semble nécessaire de diversifier les modalités de financement de l'OFB afin qu'elles ne reposent plus majoritairement sur les redevances de l'eau et qu'elles présentent un lien avec la dégradation de la biodiversité. Une mission d'inspection générale pourrait identifier de nouvelles pistes de financement pour réduire la dépendance de l'OFB aux ressources des agences de l'eau.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, j'ai cherché à identifier les voies et moyens pour que l'OFB poursuive sa consolidation administrative, pour qu'il prenne mieux en compte les irritants et les ressentis que suscitent certaines de ses interventions et pour qu'il coordonne son action avec les services de l'État et les collectivités territoriales. Je pense que, en mettant en oeuvre les pistes identifiées dans mon rapport, l'OFB sera en mesure de devenir, en l'espace de deux à trois ans, conformément au souhait du législateur, le « couteau suisse de la biodiversité » et un opérateur tout terrain, à l'expertise affirmée, au service des territoires et de l'environnement.

Mais l'OFB ne doit être ni mis au pied du mur ni laissé seul face à ces défis, qui nous concernent tous. Le rôle de l'État, du législateur, des préfets et des organismes consulaires est de l'accompagner dans ses évolutions. J'imagine l'OFB de demain comme un opérateur central, puissant, fédérateur, à l'écoute des territoires et des élus, pédagogique, soucieux de la déontologie de ses agents et capable d'orienter avec bienveillance et sans dogmatisme les acteurs assujettis aux prescriptions environnementales. Un beau défi pour achever sa mue administrative et répondre pleinement aux attentes du législateur...

M. Jacques Fernique. - Je relève l'écart entre, d'un côté, la tonalité du rapport et de ses recommandations concernant des agents de police administrative et judiciaire et, de l'autre, la ligne rigoureuse qui vient d'être affichée par le nouveau ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau : « soutien sans faille des agents », « ne rien céder », « ne tolérer aucune offense physique et verbale », appel au « courage de la fermeté », dénonciation de « l'indignité » qu'il y aurait à mettre en cause les agents... Cette ligne ne transparaît pas dans les recommandations qui nous sont proposées aujourd'hui ! Je rappelle pourtant que l'OFB a fait face à de multiples mises en cause brutales et que nombre de ses bâtiments ou implantations ont subi des dégradations, dans une quarantaine de départements.

Cependant, le rapport, on vient de l'entendre, préconise d'atténuer l'image répressive de l'OFB. Il y est question de privilégier la prévention et la pédagogie plutôt que la répression, de mesures alternatives aux poursuites, de droit à l'erreur, d'un nécessaire rappel de la déontologie aux agents. Cerise sur le gâteau : ses recommandations relatives au port d'arme, alors que l'on serait bien en peine de relever la moindre action violente de la part d'un agent de l'OFB et qu'aucun citoyen contrôlé par la police de l'environnement n'a été blessé, violenté ou tué.

Si nous ne sommes pas pour une transposition stricte de la ligne Retailleau dans le domaine de la police de l'environnement, nous constatons un net déséquilibre des recommandations du rapport, qui traduisent les contestations excessives d'organisations professionnelles. Ce rapport est en phase avec le contexte regrettable de régression des normes environnementales que nous observons depuis des mois.

Les remarques et l'expérience des agents publics de l'OFB m'y semblent peu prises en compte. La contestation des missions de l'Office résulte bien plus d'un certain déni des enjeux de biodiversité et de la dégradation des milieux que des conséquences de son action. On dénombre en moyenne un contrôle par siècle par exploitation agricole ! En outre, près de 90 % des interventions relèvent de l'accompagnement pédagogique et ne donnent pas lieu à des sanctions.

Même si le rapport préconise l'amélioration des liens avec les élus locaux et un financement budgétaire affecté, propositions qui vont dans le bon sens, il y manque, à notre sens, l'affirmation de la nécessité, face au large périmètre des missions dévolues à l'OFB, de rompre avec l'insuffisance avérée de ses moyens et la modestie de son budget d'intervention pour la mise en oeuvre des politiques de biodiversité.

Nous nous opposerons donc à ce rapport et à ses recommandations.

Mme Kristina Pluchet. - Je veux commencer par féliciter la mission d'information et le rapporteur pour la qualité des travaux. Je remercie en particulier la mission d'être venus dans l'Eure. Ces travaux de contrôle répondent à une très forte attente du monde agricole.

Je souhaite aujourd'hui décrire le quotidien des agriculteurs, soumis à des pressions de toutes parts, aux normes européennes, nationales et à leur traduction locale, mais aussi, depuis 2019, à la surveillance constante et quotidienne de la police de l'environnement. Les agriculteurs sont photographiés par satellite jusqu'à trois fois par semaine et, désormais, par des agents armés au volant de leur 4X4 Duster. On comprend qu'ils se sentent harcelés ! C'est ainsi qu'un agriculteur de l'Oise s'est suicidé le matin de son audition par l'OFB...

Les postures idéologiques de l'OFB et les leçons données par des personnes qui n'ont parfois jamais eu de contact quotidien avec la nature suscitent l'incompréhension du monde agricole. Il est sain, dans ce contexte, que le Sénat préconise des garde-fous salutaires.

Je précise que j'ai moi-même subi, cet été, un contrôle de l'OFB, qui a constitué un véritable cas d'école. J'ai donc scruté avec attention les propositions de la commission.

Je suis satisfaite de la recommandation de la commission visant à encadrer l'action de l'OFB par une inspection générale et par une charte de déontologie. J'espère que ces dispositions donneront à l'OFB le cadre nécessaire pour une action uniforme sur le territoire et permettront d'éviter les excès de zèle.

Je salue les préconisations tendant à la dépénalisation et à l'accompagnement des agriculteurs de bonne foi. C'est une nécessité. Je valide les recommandations sur le port d'arme ; j'espère qu'elles seront mises en oeuvre très rapidement. Le port d'arme est justifié uniquement dans les situations de braconnage.

La pratique des amendes proportionnées au patrimoine et aux revenus du prévenu pose problème. J'espère que les diagnostics de la commission permettront prochainement de revenir à des amendes forfaitaires.

Pour terminer, j'évoquerai la plateforme de dénonciation anonyme, curiosité de notre droit. Je rappelle que 57 % des interventions font suite à des dénonciations. Il est important que l'anonymat ne constitue pas un canal d'intervention de l'OFB.

M. Michaël Weber. - Je remercie à mon tour le rapporteur pour son travail.

Je regrette néanmoins que l'ensemble des auditions de la mission n'aient pas été ouvertes aux sénateurs intéressés par ce travail d'évaluation. Un certain nombre d'entre nous auraient aimé y participer afin de permettre un débat contradictoire.

Comme Jacques Fernique, je ne vois pas la cohérence entre les orientations du nouveau ministre de l'intérieur - « de l'ordre, de l'ordre, de l'ordre ! » - et les recommandations du rapport. Considère-t-on que le droit de l'environnement est un droit différent des autres ? Les nombreux écocides régulièrement constatés doivent être traités de la même manière que les infractions sur le fondement des autres codes.

Certaines propositions vont dans le bon sens : la formation des agents, la concertation avec les élus locaux, le pacte de confiance, qui doit valoir pour tous. La majorité des recommandations concernent les agents de l'OFB, dont le travail sur le terrain est remis en cause.

Ce rapport est à charge et vise à ôter à l'OFB tout moyen d'agir efficacement. Le droit à l'erreur pour les acteurs de bonne foi est un non-sens juridique. Il ne constitue rien d'autre qu'une forme d'impunité ou un droit au manquement. La distinction entre atteinte intentionnelle et acte de bonne foi est impossible à faire dans la réalité. Tous pourront plaider la bonne foi et éviter les poursuites.

Ce rapport n'est pas objectif : il cache mal l'ambition de détruire méthodiquement le droit de l'environnement, en commençant, sans mauvais jeu de mots, par son bras armé, l'OFB. L'image d'un OFB répressif et traumatisant est gonflée politiquement. Dans la grande majorité des cas, l'OFB est un interlocuteur fiable. Son pouvoir de contrôle est une demande forte de la société civile. Il s'agit d'une police de proximité, qui soutient l'action des maires ruraux.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'oppose à la dépénalisation de certaines infractions environnementales et à la volonté de minorer les sanctions en cas de manquement avéré. Nous fustigeons la volonté à peine voilée de réorienter les missions de l'OFB vers de la simple prévention, au détriment de son pouvoir de police. On veut purement et simplement rendre le droit de l'environnement non contraignant.

Si d'aucuns visaient la suppression de l'OFB - c'était l'objectif initial, il ne faut pas le cacher -, c'est une stratégie plus subtile qui est ici proposée : elle consiste à rendre l'OFB inopérant, à en faire un énième organe consultatif, sans réel pouvoir, alors qu'il est plus que jamais nécessaire de protéger efficacement les milieux naturels.

Les élus de notre groupe ne voteront donc pas les conclusions et les recommandations de ce rapport.

M. Jean-François Longeot, président. - L'objectif de départ de la mission d'information n'a jamais été de supprimer l'OFB. Nous, parlementaires, en faisons assez souvent le constat : nous ne vérifions pas suffisamment ce que font les organismes dont nous votons la création. Le rapport de notre collègue Jean Bacci n'a pas d'autre vocation que de soutenir et renforcer la légitimité, l'action et l'efficacité des interventions de l'OFB. Je ne peux pas laisser sous-entendre que le rapporteur a été guidé par la volonté de supprimer cet établissement public, ce n'est absolument pas la démarche qui l'a animé...

M. Guillaume Chevrollier. - Rentrée très politique ! Pour ma part, je salue le travail de notre rapporteur. L'OFB a fait l'objet d'un rapport de la Cour des comptes qui formule des recommandations. Le travail ouvert et pondéré du rapporteur contribuera à améliorer la gouvernance de l'Office, qui est important pour la politique environnementale et la préservation de la biodiversité.

Cet établissement récent ayant fait l'objet de critiques souvent justifiées, il était légitime que nous nous en fassions l'écho. Il est nécessaire de faire plus de pédagogie, plus de prévention, sans pour autant éluder les sanctions, tout en faisant preuve de nuance. Je pense que l'OFB a la volonté d'évoluer et d'être davantage à l'écoute de l'ensemble des acteurs de la biodiversité, qu'il s'agisse des agriculteurs, des chasseurs ou des élus locaux.

Nous suivrons avec intérêt les évolutions de cet établissement, sans esprit politicien.

M. Ronan Dantec. - Je remercie le rapporteur pour son travail, même si nous aurions bien aimé participer à certaines auditions. Cela aurait probablement été éclairant.

Nous allons utiliser son rapport, en particulier les propositions visant à « proportionner la visibilité du port de l'arme à la conflictualité potentielle des situations de contrôle » et à mieux former les agents à la prévention et à la gestion des conflits. C'est le coeur des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui, notamment lors des manifestations. Ce rapport va nous permettre de dire sur tous les plateaux de télévision que le Sénat veut remettre en cause la manière dont l'ordre public est souvent géré en France, et c'est une bonne chose ! On voit même poindre dans certaines propositions une police de proximité plus en lien avec les collectivités territoriales, ce qui va aussi dans le bon sens.

Le rôle de l'État est d'éviter que les conflits ne s'enveniment. Si l'on réduit le rôle de l'OFB, il y aura de plus en plus de tensions. Et si l'OFB ne fait pas de contrôles, les plaintes vont se multiplier et les affaires seront judiciarisées. Il faut donc renforcer les moyens de régulation de l'OFB. Discutons ensemble de leur augmentation.

Discutons également de contractualisation avec le monde agricole et prévoyons une obligation de résultat. Il faut replanter massivement des haies, disposer de zones humides plus importantes, restaurer la biodiversité. Pour ce faire, contractualisons avec les agriculteurs ! Pourquoi ne pas prévoir, dans ce cadre, des assouplissements de normes et de contrôles, au profit d'une vérification des résultats a posteriori ? Ce serait une approche intéressante.

M. Didier Mandelli. - Je félicite Jean Bacci pour son rapport. Il me paraît sain que le législateur s'interroge sur ce qu'il a voté et vérifie si des ajustements doivent être prévus, sachant que la création de l'OFB est assez récente. Je n'ai, pour ma part, pas senti de volonté de supprimer l'OFB.

Chers collègues, je comprends que la rentrée soit très politique, un nouveau gouvernement venant d'être nommé, mais vous utilisez aujourd'hui de façon douteuse les propos du ministre de l'intérieur, notre ancien collègue Bruno Retailleau, pour servir votre dessein. J'espère que nous retrouverons dans les semaines qui viennent le climat que nous connaissons habituellement au sein de notre commission, où les amalgames et la caricature n'ont pas leur place, et que nous pourrons travailler sereinement.

M. Jean-Claude Anglars. - Je félicite Jean Bacci pour le travail qu'il a réalisé. Je rappelle que c'est mon prédécesseur, Jean-Claude Luche, ancien sénateur de l'Aveyron, qui a porté le rapprochement entre l'AFB et l'ONCFS. Il sera très attentif à l'évaluation que nous venons de faire.

Je ne reviendrai pas sur les propos des tenants de l'écologie punitive. Je poserai une question sur le rôle des Misen et des Colden, placés respectivement sous l'autorité des préfets et des procureurs de la République : cette organisation est-elle généralisée à tous les départements ou est-elle embryonnaire ? C'est à mon avis un élément d'acceptabilité de l'OFB.

M. Daniel Gueret. - Je félicite le rapporteur pour son rapport. Notre mission est bien de contrôler l'Office, qui est récent. Nous ne devons pas nous interdire de faire des propositions afin d'améliorer son action sur le terrain et son acceptabilité par nos concitoyens.

En faisant un lien entre ce rapport et la nomination du nouveau ministre de l'intérieur, vous avez mené une opération à charge, chers collègues. Je rappelle que les auditions ont été effectuées et le rapport rédigé bien avant la nomination de Bruno Retailleau. Étant très présents dans vos territoires, vous ne pouvez pas ignorer ce que vous disent vos maires : ils ont le sentiment d'être traités comme des délinquants par un certain nombre d'agents. Le directeur général de l'OFB s'est d'ailleurs lui-même engagé à faire un effort de formation des agents. De même, il faut former les policiers municipaux au port de l'arme. J'ajoute que je suis contre les actes de violence contre les agents de l'OFB. Le respect doit être mutuel, l'acceptabilité réciproque.

Ce rapport est une contribution utile à nos travaux et à notre réflexion, pour que l'OFB puisse, demain, être plus efficiente sur le terrain. Conservons, mes chers collègues, le sens de la mesure et de l'objectivité.

M. Philippe Tabarot. - Je félicite Jean Bacci pour son travail. Ce rapport peut susciter quelques interrogations ou critiques de la part de sénateurs aux positions très affirmées, ce que nous respectons, et il ne rencontrera peut-être pas l'unanimité, mais son caractère équilibré témoigne de ce que les interrogations et les inquiétudes des uns et des autres ont été prises en compte. Il n'est pas facile de conserver cet équilibre souhaité par la commission.

Les recommandations vont dans le sens souhaité par le président Longeot, celui de répondre aux inquiétudes exprimées sur le terrain, tant par des personnes ayant subi des contrôles similaires à celui dont Kristina Pluchet a fait l'expérience que par les agents qui font leur travail de bonne foi et préservent notre biodiversité en remplissant une mission environnementale de service public.

Au sein de notre groupe, nous serons une majorité à voter en faveur de ce rapport équilibré, qui a pris en compte les remontées du terrain. Les recommandations qu'il formule, qui touchent à la réforme de l'institution, relèvent à la fois du domaine réglementaire et du domaine législatif, et pourraient être mises en oeuvre par le biais d'un véhicule que certains membres de cette commission pourraient conduire. Les choses ne peuvent que s'améliorer. Les recommandations et le ton du rapport vont dans ce sens.

M. Jean Bacci, rapporteur. - Rappelons qu'il a fallu dix ans pour que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) atteigne son rythme de croisière et produise pleinement les synergies espérées par la fusion des établissements antérieurs, alors que la création de l'OFB date de moins de cinq ans ! Le droit de l'environnement n'est pas un droit différent, mais c'est un droit nouveau, foisonnant et complexe à appréhender. Ainsi que le législateur le souhaitait au moment de la création de l'OFB, il faut améliorer l'information à son propos, qui semble déficiente, du moins à certains endroits. Souvent, c'est le manque d'information et de formation qui explique les problèmes. Je recommande donc, pour améliorer la formation et les explications, qu'il y ait davantage de liens entre l'OFB et les personnes contrôlées, pour instaurer, à travers la pédagogie, des relations de confiance.

M. Jacques Fernique. - Il y a aussi les chambres consulaires.

M. Jean Bacci, rapporteur. - Monsieur Fernique, vous avez pointé du doigt la prise en compte du caractère non intentionnel des infractions environnementales. Mais pas moins de cinq codes régissent les normes environnementales : le code de l'urbanisme, le code rural, le code forestier, le code minier et le code de l'environnement. Sur une même question, les différents codes n'ont pas toujours la même approche ni les mêmes prescriptions. Comment justifier qu'un acteur qui n'a pas reçu l'information suffisante et qui s'est conformé à un code plutôt qu'un autre peut être mis en cause ? C'est pour cela que je recommande l'instauration d'un droit à l'erreur.

Un exemple m'a particulièrement choqué. Un syndicat d'agriculteurs m'a présenté le cas d'un agriculteur qui, ayant mis de côté des pierres qui avaient fait surface pendant qu'il labourait un champ, puis déplacé ce tas de pierres qui le gênait, s'était fait verbaliser pour destruction d'habitat d'espèces protégées. Une telle situation est impensable ! J'ai voulu dénoncer les cas de ce genre pour qu'ils ne se reproduisent plus.

Kristina Pluchet a évoqué le régime d'anonymat de la plateforme de dénonciation. Vous avez raison, ma chère collègue, il faut avoir le courage de ses opinions, et l'anonymat me paraît anormal. Vous déplorez, chère collègue, que le prononcé de certaines sanctions pécuniaires pour non-respect du droit de l'environnement dépende du chiffre d'affaires de la personne morale ou physique concernée, c'est-à-dire de ses facultés contributives. Je comprends qu'on puisse le déplorer, mais il s'agit d'un principe qui irrigue profondément notre droit et qui mérite un débat plus large que celui qui nous occupe ce matin.

Ronan Dantec a parlé de résultats. Le contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'OFB est analysé uniquement en fonction des moyens. Mais ce qui compte, indépendamment des moyens, ce sont les résultats. L'analyse conduite dans ce COP doit se fonder sur ces derniers.

Jean-Claude Anglars a mentionné les Misen et les Colden. Ces instances ont vocation à être opérationnelles dans tous les départements, mais elles ne sont pas encore systématiquement déployées. Nous préconisons leur généralisation dans tous les territoires, en invitant les préfets et les procureurs de la République à jouer l'indispensable rôle de coordination de l'action publique locale en matière environnementale, pour améliorer l'articulation entre le pouvoir de police du préfet et le pouvoir judiciaire du procureur.

Pour terminer, toute intervention, tout travail dans la nature entraîne un impact sur la biodiversité. Il faut analyser celui-ci en corrélation avec l'activité économique. On ne peut pas dissocier ces deux éléments : autrement, on ne pourrait même plus couper du bois ! Le problème sous-jacent, c'est que la norme évolue constamment, en fonction de l'évolution des connaissances ou des changements climatiques.

Par exemple, on s'aperçoit qu'enlever les seuils de moulins - idée qui est défendue de longue date par le ministère de l'environnement et l'OFB - pourrait entraîner des inondations en aval. En outre, lorsque les précipitations sont importantes, avec davantage de gros orages et moins de pluies fines, les nappes phréatiques n'ont pas le temps de se recharger, l'eau circule très vite vers l'aval et retourne vers la mer. N'aurait-on pas, dans le futur, intérêt à recréer des seuils pour ralentir l'écoulement des eaux de pluie et permettre l'infiltration des sols ? Je l'ignore, mais la norme d'aujourd'hui ne sera peut-être pas celle de demain.

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

M. Jean-François Longeot, président. - Je remercie à nouveau Jean Bacci de son travail : son seul - et louable - objectif était d'identifier des pistes pour améliorer le fonctionnement de l'OFB, après moins de cinq ans d'existence, et de permettre à chacune des parties de comprendre les erreurs qui ont pu être commises.

Proposition de nomination de M. Jean Castex, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) - Désignation d'un rapporteur

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous devons désigner, en application de l'article 19 bis du Règlement du Sénat, un rapporteur sur la proposition du Président de la République de renouveler M. Jean Castex aux fonctions de président-directeur général de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), en application de la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Nous entendrons M. Jean Castex mercredi 2 octobre prochain, à 10 heures.

Comme vous le savez, cette nomination ne peut intervenir qu'après l'audition de la personne pressentie devant les commissions compétentes en matière de transports de l'Assemblée nationale et du Sénat, ces auditions publiques devant être suivies d'un vote à bulletin secret.

Pour mémoire, nous avons déjà eu l'occasion d'entendre M. Jean Castex à deux reprises dans le cadre de cette procédure : en juillet 2022 d'abord, pour accéder aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), puis en novembre 2022, pour celles de président-directeur général de la RATP. Nous avions alors donné notre aval à sa candidature.

Son mandat de président-directeur général est arrivé à échéance le 23 juillet dernier. En effet, c'est le 24 juillet 2019 qu'il avait remplacé, pour la durée de son mandat restant à courir, Mme Catherine Guillouard, laquelle avait été nommée pour cinq ans.

Par un décret en date du 2 juillet dernier, le mandat de M. Castex au conseil d'administration de la RATP a été renouvelé pour cinq ans, et un arrêté de la même date l'a chargé de l'intérim des fonctions de président-directeur général à compter du 23 juillet dernier.

Pour assurer les fonctions de rapporteur pour cette audition, j'ai reçu la candidature de M. Daniel Gueret.

La commission désigne M. Daniel Gueret rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Castex aux fonctions de président-directeur général de la RATP, en application de l'article 13 de la Constitution.

Questions diverses

M. Jean-François Longeot, président. - Par un courrier en date du 10 septembre dernier, le nouveau Premier ministre, M. Michel Barnier, nous a indiqué que le Président de la République confirmait son souhait de nommer M. Pierre-Marie Abadie à la présidence de l'Autorité de sûreté nucléaire. La date de l'audition de ce dernier n'est pas encore fixée ; néanmoins, je vous rappelle que M. Pascal Martin avait été désigné rapporteur lors de notre réunion du 5 juin dernier, mais que l'audition initialement prévue le 19 juin n'avait pu se tenir en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale survenue le 9 juin.

La réunion est close à 12 h 10.