Mercredi 25 septembre 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes - Désignation d'un rapporteur

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux après une période politique et électorale chargée. J'espère que les jeux Olympiques vous ont donné des motifs de réjouissance cet été !

Nous reprenons le cours de nos travaux avec deux membres en moins à la suite de leur nomination comme ministre dans le nouveau gouvernement ; c'est une première, et nous nous en réjouissons pour eux, même si je note que leur portefeuille est sans rapport avec notre commission. J'en conclus qu'elle mène à tout... (Sourires.)

Je vous propose de débuter cette réunion par la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, dont nous débattrons en commission le mercredi 9 octobre et en séance publique le jeudi 17 octobre, dans le cadre de l'espace réservé à nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

La commission désigne Mme Sylvie Robert rapporteure sur la proposition de loi n° 741 (2023-2024) visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, présentée par elle-même et plusieurs de ses collègues.

Évaluation territoriale du dispositif « 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école » - Examen du rapport

M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport de nos collègues Laure Darcos et Béatrice Gosselin consacré aux 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école.

Mme Béatrice Gosselin, rapporteur. - Mes chers collègues, la lutte contre la sédentarité des jeunes est devenue un enjeu majeur de santé publique. Les chiffres sont en effet très alarmants : un enfant sur trois est en surpoids. Sans modification de la tendance actuelle, cette proportion devrait passer à un sur deux dans les dix années à venir. En l'espace de quarante ans, les enfants français ont perdu en moyenne 25 % de leurs capacités cardio-vasculaires.

C'est au regard de cette urgence sanitaire que Paris 2024 a annoncé, en février 2020, son programme « 30 minutes d'activité physique à l'école » les jours sans éducation physique et sportive (EPS). Ce programme était fondé sur la participation volontaire des écoles, celles-ci devant répondre à un appel à manifestation à intérêt, lancé à la rentrée 2020 par le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, en partenariat avec Paris 2024 et l'Agence nationale du sport (ANS).

Les modalités de sa mise en oeuvre ont été volontairement souples : les 30 minutes peuvent être organisées en une seule fois ou fractionnées au cours de la journée, y compris pendant les récréations ou les temps périscolaires. Elles peuvent se dérouler dans la salle de classe, la cour, le préau ou encore à proximité immédiate de l'école. En outre, aucune tenue sportive n'est nécessaire. Pour résumer, il s'agit de « bouger » au moins 30 minutes dans la journée à l'école.

Chaque école volontaire bénéficie d'un kit sportif, lequel contient du petit matériel facilement utilisable, y compris de manière autonome par les enfants : des ballons, des balles de tennis, des cônes, des chasubles, des cordes à sauter, des mini-haies, des cerceaux ou encore un sifflet, un chronomètre... Concrètement, cela représente un mètre cube de matériel, d'une valeur d'une centaine d'euros.

Un réseau de référents « 30 minutes d'activité physique quotidienne » (« 30' APQ »), animé par Paris 2024, a été déployé dans l'ensemble du territoire. Des fiches et des vidéos proposant des exercices ou des activités dynamiques ont également été créées. Les fédérations sportives sont invitées à proposer des activités simplifiées en lien avec leur sport ou encore à accompagner les enseignants par des formations ou du prêt de matériel.

Ce dispositif basé sur le volontariat a connu un certain succès : en juin 2021, 1 000 écoles volontaires y participaient. Un an plus tard, près de 11 000 écoles ont rejoint le dispositif, soit 22 % des écoles primaires.

L'année 2022 a constitué un tournant du fait de la reprise en main du dispositif par le ministère de l'éducation nationale et de sa généralisation. En janvier 2022, une circulaire du ministère de l'éducation nationale a posé le principe de la généralisation du dispositif pour la rentrée 2024, prévoyant la montée en puissance progressive du dispositif, qui devait passer de 11 000 écoles volontaires à plus de 48 000 écoles.

Or ce calendrier s'est accéléré brutalement, puisqu'en juin 2022 le Président de la République a annoncé la généralisation du dispositif dès la rentrée suivante. Concrètement, le dispositif a dû être déployé dans 37 000 écoles supplémentaires en deux mois à peine.

Il en est résulté nombre d'interrogations de la part des enseignants. Faute de toute précision, l'annonce a été perçue par certains comme la nécessité d'ajouter 30 minutes de sport par jour à l'école dans un temps scolaire déjà contraint. D'autres, dans un contexte où l'EPS est devenue un « enseignement strapontin », si j'ose dire, y ont vu la mise en place d'un enseignement au rabais de cette discipline, se limitant désormais à faire bouger l'élève.

Il a fallu attendre près de six semaines pour que soit publiée, au coeur de l'été, une note de service à ce sujet. Du reste, cette dernière n'a apporté aucune précision supplémentaire aux enseignants : elle s'est contentée de reprendre, dans les grandes lignes, les informations contenues dans l'appel à manifestation à intérêt de septembre 2020.

Mme Laure Darcos, rapporteur. - Deux ans après la généralisation de ce dispositif, quel bilan en tirer ?

Il nous semble tout d'abord important de revenir sur plusieurs affirmations présidentielles.

Première affirmation : en juin dernier, le Président de la République s'est félicité que « 90 % des enfants en primaire [...] ont cette demi-heure de sport. » Mme Belloubet, alors ministre de l'éducation nationale, a évoqué ce même chiffre à l'occasion de son audition devant notre commission au printemps dernier. Ce taux provient d'une enquête publiée en janvier 2024 et réalisée auprès des directeurs d'école.

Toutefois, deux éléments tempèrent l'enthousiasme présidentiel et ministériel. En premier lieu, le taux de réponse est faible : 40 % des directeurs d'école n'y ont pas répondu ; comme l'ont reconnu les services du ministère de l'éducation nationale, « il existe beaucoup de flou sur l'application de cette mesure dans ces écoles. » En second lieu, il suffit qu'une seule classe ait mis en place ce dispositif pour que l'école dans son intégralité soit comptabilisée. Or plus d'un directeur sur cinq indique que ce dispositif concerne moins de la moitié des classes de son école. Au total, seules 42 % des écoles primaires mettent en oeuvre de manière certaine ce dispositif pour plus de la moitié de leurs élèves, soit un taux bien éloigné des 90 % d'élèves du primaire sur lequel avait communiqué l'ancien gouvernement.

Deuxième affirmation présidentielle : la livraison d'un kit sportif par école. Là encore, nous avons pu constater, à tout le moins, d'importants retards de livraison. Au reste, certaines écoles n'ont jamais été livrées.

À l'automne 2023, les services du ministère de l'éducation nationale avait prévu de distribuer un kit dans chaque école d'ici à la fin de l'année civile 2023 ; ce délai a glissé à la fin de l'année scolaire 2024. Or ce nouveau calendrier n'a pas non plus été respecté. Ainsi, dans l'Essonne, les services académiques espèrent une distribution dans 90 % des écoles d'ici la fin de l'année scolaire ! Dans d'autres territoires, des kits pourraient manquer - je pense aux académies de Versailles et de Créteil.

Surtout, nous avons constaté une distribution de ces kits limitée aux seules écoles élémentaires, en excluant les écoles maternelles. Or, je tiens à le rappeler, le dispositif concerne tous les élèves du primaire. D'ailleurs, lorsque ce dispositif reposait sur la participation volontaire, les écoles maternelles engagées dans cette démarche recevaient le fameux kit.

Nous avons interrogé les services du ministère sur les raisons de cette exclusion des écoles maternelles. Selon ces derniers, les 30 minutes d'activité physique interviennent les jours où il n'y a pas EPS. Or, en maternelle, le développement de la motricité faisant partie des apprentissages fondamentaux qui doivent être pratiqués quotidiennement jour, il n'y a pas de jour sans EPS.

On ne peut que regretter cette interprétation administrative qui vient priver près de 4 000 écoles maternelles de petits matériels sportifs facilement utilisables.

N'oublions pas la situation des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), nombreux dans nos territoires ruraux. Les sites d'un RPI sont souvent éloignés les uns des autres, répartis sur plusieurs communes. Ils constituent toutefois, au sens juridique, une seule et même école ! Or un seul kit leur a été livré, ce qui ne facilite pas son utilisation...

Mme Béatrice Gosselin, rapporteur. - Troisième affirmation présidentielle : les 30 minutes d'activité physique pour tous les élèves de primaire doivent permettre de construire une nation sportive et d'inscrire pleinement le sport à l'école.

Ces propos mélangent les activités physiques et les activités sportives, comme si les deux termes étaient synonymes. À cela s'ajoute le lien fait par le Président de la République entre ce dispositif et la performance sportive dans le contexte des jeux Olympiques. Or ce programme a vocation à construire non pas une nation sportive, mais une nation en bonne santé ! Ce n'est pas tout à fait pareil. Il est urgent de rappeler l'objectif du dispositif : lutter contre la sédentarité des jeunes.

Enfin, ce dispositif devait être copiloté par le ministère de l'éducation nationale, celui des sports et Paris 2024. Comme nous avons pu l'entendre, la coordination entre ces trois instances est à tout le moins complexe. Très concrètement, il a fallu entre six mois et un an pour que les fiches d'activités et les vidéos préparées par le ministère des sports et Paris 2024 puissent être mises en ligne sur le site de l'éducation nationale ...

Le ministère des sports n'a pas été associé à l'enquête réalisée auprès des directeurs d'école. Il regrette ainsi qu'aucune question ne porte sur la participation des clubs sportifs ou sur la nature de l'activité proposée. Son rôle est relégué à celui de financeur du kit.

Comme vous pouvez le constater, nous sommes loin du satisfecit présidentiel sur le déploiement territorial du dispositif.

Nous nous sommes également intéressées au bilan de la mesure pour les élèves.

Je regrette qu'il n'existe à ce jour aucune étude de santé publique sur l'impact de ce programme sur la sédentarité des jeunes. Pour les premières écoles volontaires, nous disposons pourtant d'un recul de quatre ans.

À de rares exceptions, les agences régionales de santé (ARS) n'ont d'ailleurs pas été associées au déploiement de cette mesure. Aussi, notre première recommandation est de mesurer, en lien avec les ARS, l'impact du dispositif sur une cohorte d'élèves en matière de lutte contre la sédentarité.

Les avis sont très partagés à propos des effets du dispositif sur l'apprentissage : quelque 48 % des enseignants estiment qu'il a un effet direct ou indirect sur l'apprentissage, par exemple sur la concentration des élèves ou sur le climat scolaire. Les enseignants engagés dans le dispositif que nous avons rencontrés portent, de manière générale, un avis positif sur celui-ci.

Une fois ce bilan dressé, comment faire vivre ce dispositif au-delà des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), alors qu'il est encore trop perçu comme une mesure gadget par nombre d'enseignants et risque d'être progressivement abandonné ? L'un des directeurs d'école que nous avons rencontrés s'est ainsi exprimé en ces termes : « Dans notre école composée de douze classes, il y a eu en début d'année un engagement conséquent, mais très rapidement la pause active a été abandonnée pour plusieurs raisons : une pression en raison du temps, des effectifs nombreux - près de 28 élèves par classe - et un mobilier encombrant. La pause active n'est ainsi plus pratiquée, si ce n'est en cas de besoin ; une enseignante fait ponctuellement de la réflexologie. »

Un point a fait consensus lors de nos auditions : la nécessité de renommer ce dispositif pour éviter toute confusion avec l'EPS et pour réaffirmer son objectif de santé publique. C'est l'objet de notre recommandation n° 2.

Mme Laure Darcos, rapporteur. - Nous vous proposons ainsi de renommer le dispositif en « pause active et bien-être (Pabe) » pour le distinguer clairement de l'EPS, mais nous sommes ouvertes à vos propositions.

Par ailleurs, l'un des principaux freins à la mise en place du dispositif est le manque de temps. Les enseignants sont sous la pression des parents d'élèves, qui leur reprochent de ne jamais finir le programme ! Aussi, il nous semble important d'investir l'ensemble des temps de l'enfant. Pour cela, nous préconisons d'associer les intervenants du temps périscolaire. Ces derniers pourraient, conjointement avec les équipes pédagogiques, imaginer de nouvelles activités dynamiques mises ensuite en oeuvre en classe, pendant la récréation ou le temps périscolaire - je pense à l'apprentissage de danses, à de nouveaux jeux, à des activités sportives adaptées...

Cette recommandation nous permet de mettre en lumière un manque criant dans le déploiement du dispositif : l'absence d'association des communes, alors qu'elles sont incontournables, puisqu'elles sont chargées du bâti scolaire, de l'aménagement des cours d'école, de la fourniture du petit matériel et des temps périscolaires. Pourtant, nombre de maires n'ont jamais entendu parler des 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école. Là encore, cela renforce l'impression d'un dispositif lancé sans concertation ni même information de ceux qui sont censés le mettre en place.

Cette absence d'association est d'autant plus regrettable que l'aménagement des cours d'école, au travers d'un marquage dynamique, joue un rôle majeur pour faciliter la mise en oeuvre du dispositif.

Je souligne que nombre d'élus locaux connaissent mal les crédits dont dispose l'ANS pour soutenir leurs projets. Cette méconnaissance est accentuée, dans certains départements, par l'absence de coordination entre ces crédits et ceux de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).

Un deuxième axe d'action important est l'accompagnement des enseignants. À peine une école sur quatre indique avoir été accompagnée pour la mise en place du dispositif. À cet égard, je salue le travail de l'académie de Paris, qui a rédigé un guide proposant des activités faciles à mettre en place, avec peu de matériel - un jeu de cartes, par exemple.

Toutefois, pour que ce dispositif s'ancre durablement, il doit être intégré aux réflexions actuelles sur l'évolution des pratiques pédagogiques. Nous avons ainsi pu assister à des exemples d'exercices de français ou d'anglais en lien avec l'activité physique, dans la cour d'école. Pour l'enseignant, cela permet de revoir une notion de manière ludique.

C'est pourquoi nous préconisons d'inclure systématiquement dans les formations consacrées aux savoirs fondamentaux des exemples d'apprentissage dynamiques. Il nous semble également important de s'appuyer sur le savoir-faire des enseignants et de faciliter le partage des bonnes pratiques, par exemple via le site internet eduscol du ministère de l'éducation nationale.

Par ailleurs, afin de permettre au dispositif d'essaimer dans toutes les écoles, nous recommandons de former en trois ans au moins un enseignant par école aux 30 minutes d'activité physique.

Dans les deux cas, il nous semble nécessaire de prévoir la présentation d'exemples d'utilisation de ce dispositif au service de la pédagogie et de faire intervenir des enseignants qui mettent régulièrement en oeuvre ce dispositif dans leur classe. Ils seront les mieux placés pour répondre de manière très concrète aux questions portant sur les obstacles matériels que peuvent se poser leurs collègues. Cela rejoint l'importance de la formation entre pairs, sur laquelle notre commission insiste.

Toutefois, nous alertons sur les limites de la transversalité : à vouloir confier de plus en plus de missions à l'école, ces programmes ou sensibilisations risquent de rester au stade de gadgets de communication.

C'est pourquoi il est impératif de responsabiliser les parents pour rendre effectives les 60 minutes d'activité physique quotidienne nécessaires à l'enfant. En effet, les 30 minutes que nous évoquons ne constituent que la moitié du temps recommandé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Nous avons pris connaissance, lors de nos auditions, d'initiatives intéressantes pour associer et sensibiliser les parents, par exemple par des défis familiaux à réaliser dans le cadre de projets de classe.

Tel est le bilan que nous pouvons dresser de la mise en oeuvre de ce dispositif, deux ans après l'annonce de sa généralisation.

D'un côté, nous sommes loin d'un déploiement généralisé à l'ensemble des élèves du primaire, du fait d'une approche trop unilatérale du ministère de l'éducation nationale. D'un autre, le programme répond à un enjeu de santé publique ; pour les enseignants qui s'en sont emparés, il a également des effets positifs sur la classe.

Aujourd'hui, nous sommes au milieu du gué : il est impératif de donner au dispositif les moyens de perdurer. Cela passe principalement par un accompagnement des enseignants et par une mise en oeuvre concertée avec les collectivités locales et les équipes pédagogiques.

Je rappelle que ce dispositif a été mis en place en lien avec Paris 2024, dans le cadre des jeux Olympiques. Du reste, certaines écoles ont également organisé des olympiades ou accueilli des champions olympiques, qui ont témoigné devant les élèves. Mais le souffle des jeux Olympiques est vite retombé, comme en témoigne l'absence de ministre chargé du handicap dans le nouveau gouvernement, quinze jours à peine après les jeux Paralympiques. Je crains que l'on ne puisse s'appuyer durablement sur l'effet des JOP !

M. Jean-Jacques Lozach. - Un tel dispositif méritait bel et bien de faire l'objet d'une mission d'information, car sa mise en oeuvre a suscité beaucoup de malaises et de confusions. On a l'impression qu'il s'agit, insidieusement, de faire basculer ces 30 minutes d'activité physique quotidienne sur le temps de la récréation, dont la raison d'être serait, par là même, dénaturée.

L'objet de la mission d'information était de contrôler la mise en place de ce dispositif sur le terrain : vos chiffres montrent que ceux qui ont été avancés par le précédent gouvernement en juin dernier - seuls 10 à 15 % des écoles ne joueraient pas encore le jeu des 30 minutes d'activité physique quotidienne - ne sont pas vrais.

Avez-vous exploité les données de l'enquête du ministère des sports évoquée devant notre commission par Gabriel Attal, alors ministre de l'éducation nationale, le 8 novembre 2023 ?

En 2023, l'objectif était d'aménager 170 « cours d'école actives et sportives ». L'objectif est de 500 en 2024, et 1 300 sur 3 ans : on est loin d'un aménagement généralisé - il y a 22 000 écoles ! Et je n'évoque pas le problème du financement : l'ANS propose 2 000 euros - contre 5 000 euros initialement - pour un tel aménagement, ce qui ne permettra pas d'atteindre l'objectif fixé ni, d'ailleurs, celui de végétalisation des cours d'école, fixé par les dispositions relatives au zéro artificialisation nette (ZAN).

Le plus bel héritage des jeux Olympiques devrait être l'augmentation du nombre d'heures d'EPS dans nos écoles.

Mme Mathilde Ollivier. - La mise en place du dispositif nous laisse tous circonspects.

D'ailleurs, parler d'« activité physique », c'est inscrire le dispositif dans une dimension non pas ludique et plaisante, mais hygiéniste et datée. Or il faut associer le sport au plaisir et au jeu pour susciter l'engagement des jeunes.

S'il faut évaluer les effets du dispositif sur la sédentarité, comme vous le recommandez, il me semble également utile d'évaluer ses effets sur la pratique du sport. L'objectif du Premier ministre était bel et bien de construire une nation sportive.

Je suis d'accord avec vous pour modifier l'intitulé du dispositif, afin de le différencier de l'EPS et de ne plus l'associer à une dimension hygiéniste.

La recommandation n° 4 me paraît bonne, mais qu'en est-il de la formation et de la valorisation des personnels du périscolaire, lesquels sont très sollicités par ailleurs, alors même que leurs moyens et leurs salaires sont très limités ?

La sédentarité des enfants est révélatrice des inégalités sociales. Associer les parents, comme vous le proposez, permet de lutter contre ces dernières, mais les populations les plus concernées sont celles qui seront les moins touchées par une telle démarche. Comment réussir à les atteindre ?

Pour lutter efficacement contre la sédentarité, il faut démocratiser la pratique du sport, c'est-à-dire augmenter d'une heure les cours d'EPS dans les écoles élémentaires et soutenir les associations sportives, pour développer des activités lors des temps périscolaires ou le mercredi après-midi, par exemple.

M. Christian Bruyen. - Tout d'abord, je souhaite dire qu'Anne Ventalon, qui ne pouvait être présente ce matin, souscrit à l'essentiel du propos qui va suivre.

On ne peut pas être opposé au programme, mais il demeure insuffisant : avec ces 30 minutes d'activité physique quotidienne, nous sommes loin de l'objectif de 60 minutes de mobilité active pour les enfants fixé par l'OMS. Du reste, les trois heures d'EPS hebdomadaires prévues ne sont pas atteintes en pratique, puisque le temps effectif est d'environ 1 heure 45 minutes.

Il faut développer les partenariats pour prolonger la mise en oeuvre des 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école, multiplier les liens avec les collectivités territoriales et le mouvement sportif. Pour cela, ne faudrait-il pas que l'éducation nationale porte un regard différent - peut-être moins suffisant - sur le mouvement sportif fédéral, qui n'a pas pour seule ambition le résultat sportif et la compétition ?

Les 30 minutes d'activité physique quotidienne doivent être élargies aux temps périscolaires, ce qui soulève la question de la formation des intervenants. Mais le pivot central du dispositif doit rester l'enseignant.

Cela me permet d'évoquer la question de la formation des enseignants. Avec 30 à 40 heures de formation à l'EPS sur 2 ans lors de la formation initiale, qui incluent l'apprentissage de la natation, le compte n'y est pas.

Sans ouvrir le débat sur le contenu des référentiels et des programmes de formation actuels, il me semble que, à l'époque des écoles normales, l'appétence et la prise de conscience de l'importance des activités physiques étaient davantage perceptibles parmi le monde enseignant.

Certes il y a la formation continue - mais les 18 heures de formation par an sont principalement fléchées sur les mathématiques et le français.

Par ailleurs, c'est le référent départemental - un conseiller pédagogique sport souvent seul, placé auprès du directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) - qui est chargé de la formation. Or il est submergé par les sujets : l'EPS, la lutte contre le harcèlement, le respect de la laïcité, la mise en place du plan mercredi... Aussi, dans un grand nombre d'écoles, les 30 minutes d'activité physique quotidienne ne sont pas appliquées.

L'éducation nationale a trop de priorités ; les dispositifs se multiplient, ce qui nuit à leur bon déploiement !

Gabriel Attal avait salué l'appropriation de ce sujet par le Sénat, mais nous ne disposons toujours pas d'une évaluation nationale du dispositif. Cela doit donc être le premier chantier à ouvrir, et je vais ainsi dans le sens de la recommandation n° 1 formulée par les rapporteurs. Du reste, l'ensemble de vos recommandations me semble pertinent.

J'insiste sur l'obligation d'accélérer le déploiement des référents, encore trop peu nombreux aujourd'hui, et de renforcer leur formation pour assurer la vulgarisation du dispositif. Il faut également développer les partenariats extrascolaires et renforcer l'appropriation du dispositif par les familles.

M. Gérard Lahellec. - Mes chères collègues, bravo pour votre travail et merci de n'avoir rien édulcoré ! Vous le montrez, la mise en oeuvre du dispositif est précaire. Pourtant, l'intention initiale est louable. Les flous et les contresens - sport et éducation, sport et santé - ont nui au bon déploiement du dispositif.

Dans le contexte actuel, le dispositif dont nous débattons n'est pas considéré comme une priorité au regard des autres difficultés auxquelles se heurtent les acteurs de l'école.

Il est également difficile d'envisager que ce dispositif soit un vecteur de santé publique si les ARS, lesquelles sont également confrontées à de nombreux autres sujets, ne font pas partie de l'équation...

Deux autres acteurs sont également absents : les collectivités territoriales et le monde associatif. Sans chacun de ces acteurs, il me semble difficile de bâtir un dispositif solide.

Quid de l'enseignement, qui demeure une question centrale, au-delà des objectifs de santé publique ?

Comme vous l'avez dit, s'il demeure aussi précaire, le dispositif risque d'être vécu comme un gadget, ce qui en réduit d'autant la portée. Je souscris donc à vos propositions de clarification, qui me semblent fort opportunes.

Mme Annick Billon. - Mes chers collègues, votre rapport tombe à point nommé, à la suite des jeux Olympiques et Paralympiques, qui ont mis en valeur la pratique du sport.

Vous avez présenté une évaluation en demi-teinte du dispositif et vous proposez des mesures de bon sens, que le groupe Union Centriste approuve, notamment sur le développement des partenariats. Cela dit, la multiplication de ces derniers - notamment avec l'ARS - ne risque-t-elle pas d'être contreproductive ?

Avez-vous identifié les raisons - matérielles ou autres - qui expliquent le déploiement à géométrie variable des 30 minutes d'activité physique quotidienne dans les écoles ?

Le fait de rendre obligatoire un tel dispositif est-il susceptible de véritablement favoriser la pratique du sport ? Ne faudrait-il pas favoriser une telle pratique pour les déplacements entre l'école et le domicile, par exemple ? La pratique sportive ne devrait pas être mise dans une case ; c'est avant tout une façon d'être.

Je veux également insister sur le rôle des collectivités. Un lien précis a-t-il été établi entre l'investissement des collectivités et la réussite de la pratique sportive ?

Enfin, j'en viens à la formation des enseignants. J'ai pu constater, notamment au cours d'un travail que j'ai mené avec Max Brisson, que l'on demande beaucoup aux enseignants. Or il est difficile d'enseigner le goût de la pratique sportive si l'on en est soi-même dépourvu. Ne vaudrait-il pas mieux faire appel systématiquement à des intervenants extérieurs dont c'est le métier ?

M. Bernard Fialaire. - On relève une confusion entre l'activité physique quotidienne, l'éducation physique et sportive et l'activité physique et sportive (APS). La mission portait bien sur l'évaluation des 30 minutes d'activité physique à l'école. Si la réalisation de ces dernières n'est pas perçue comme une priorité, cela me paraît très grave.

Les recommandations nos 3, 4 et 6 sont pertinentes. En revanche, il ne me semble pas nécessaire de mesurer de nouveau l'impact du dispositif avec les ARS. De nombreuses études à l'étranger ont en effet d'ores et déjà démontré que la réalisation de 30 minutes de marche par jour entraînait une diminution des problèmes de santé et une amélioration des résultats scolaires.

Par ailleurs, former au moins un enseignant en trois ans pour apprendre à marcher me semble caricatural.

En outre, tous les élèves n'ayant pas les mêmes besoins, il est important de laisser une certaine liberté aux établissements. Revenons au bon sens, en étudiant notamment la possibilité de partager les 30 minutes d'activité physique quotidienne avec le périscolaire.

Ces 30 minutes sont en tout cas nécessaires, et l'enjeu est aussi de sensibiliser les parents, les besoins en la matière variant également selon les endroits.

Le sport est fait pour donner goût à une activité physique. Il existe sans doute des techniques d'enseignement pour donner cette appétence, mais il faut surtout revenir à l'essentiel : nous avons besoin d'une activité physique quotidienne, ce qui est autre chose qu'une activité sportive quotidienne.

M. Michel Savin. - Je remercie à mon tour nos collègues pour leur rapport.

L'objectif des 30 minutes d'activité physique et sportive à l'école était de répondre à un enjeu de santé publique en luttant contre les effets de la sédentarité. Le ministère de l'éducation nationale avait annoncé un déploiement du dispositif dans 90 % des écoles. Or les rapporteurs ont souligné qu'il n'était appliqué que dans 42 % d'entre elles. De plus, toutes les écoles n'ont pas reçu le matériel nécessaire, comme les directeurs d'école et les enseignants ont pu en témoigner.

Cette mesure devait être déployée en partenariat avec les collectivités locales. Cela n'a pas été fait, ou presque pas, ce qui est regrettable.

Le dispositif avait en outre été lancé dans le but de rapprocher par convention le mouvement sportif scolaire et les clubs sportifs affiliés à des fédérations agréées. Le monde associatif sportif aurait pu avoir la possibilité d'intervenir dans les écoles. Or cette coordination n'a pas été mise en oeuvre, ou l'a très peu été.

Certains établissements n'appliquent pas du tout le dispositif, faute de temps, d'accompagnement, voire d'espace pour certaines écoles rurales dénuées d'équipements sportifs.

La question qui se pose est aussi de savoir où ces 30 minutes sont placées dans l'emploi du temps.

Mme Laure Darcos, rapporteur. - Elles n'ont pas à figurer dans l'emploi du temps.

M. Michel Savin. - Elles sont donc prises sur les récréations ou le temps périscolaire. Les enseignants les organisent comme ils le peuvent.

Les élèves dont les parents sont éloignés du sport ou n'ont pas les moyens de pratiquer une activité sportive, en raison de son coût ou de l'absence d'équipements dans leurs quartiers, ne pratiquent pas ou peu d'activité physique ou sportive. La Haute Autorité de santé (HAS) suggère plutôt la réalisation d'une heure de sport par jour pour lutter contre les effets de la sédentarité.

L'activité physique et la mobilité sont prises en compte par les collectivités. Nombre d'entre elles font notamment des efforts d'aménagement sur les trajets domicile-école, pour faciliter les déplacements en mode doux : pistes piétonnes, circuits vélos, etc. Ce phénomène gagne de l'ampleur.

Il est assez alarmant de constater que le risque d'abandon du dispositif des 30 minutes d'activité physique à l'école est manifeste, quelques années seulement après son lancement.

Au total, trois heures d'EPS sont prévues normalement par semaine à l'école primaire, auxquelles s'ajoutent 30 minutes d'activité physique et sportive quotidienne, soit cinq heures hebdomadaires au total. Or cela ne se fait pas. Pourquoi ne pas inscrire une heure de sport quotidien dans les programmes de l'enseignement primaire ? Ainsi, nous renforcerions la formation des enseignants sur ce type d'activités, nous lutterions contre la sédentarité de façon positive, et nous donnerions aux enfants la possibilité de découvrir de nouvelles activités sportives - comme ils ont pu le faire à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques -, ce qui ouvrirait la voie à des inscriptions auprès des associations.

M. Stéphane Piednoir. - Je m'associe aux félicitations adressées aux rapporteurs pour leur travail.

Le dispositif 30 minutes d'activité physique quotidienne est l'exemple même d'une mesure uniforme que l'on veut appliquer dans tous les territoires, sans distinction, en mélangeant tous les élèves, toutes les écoles et toutes les situations. L'injonction présidentielle a été rappelée. Aucune concertation n'a été effectuée ni avec les élus, ni avec les enseignants, ni avec les ARS, ni même avec les parlementaires, qui travaillent pourtant sur ce sujet depuis de nombreuses années.

Les parents d'élèves s'interrogent sur la possibilité de concilier la mise en oeuvre de ce dispositif avec la bonne application des programmes, dont les enseignants ne cessent de constater qu'ils s'alourdissent d'année en année. Les journées ne font que 24 heures ! Comment remplir tous les objectifs si l'on ne cesse d'ajouter des lignes supplémentaires dans les programmes - sur la sensibilisation au climat, le bien-être animal... ?

L'encouragement de l'activité physique n'en est pas moins un enjeu de santé publique évident, tout comme la nécessité d'éloigner les enfants des écrans dès l'école primaire. Il faut sensibiliser les parents en ce sens.

Donner goût à la pratique sportive ne se décrète pas. Il faut s'appuyer sur la réussite de nos sportifs nationaux ou internationaux et accompagner les clubs sportifs avec des intervenants locaux, pour que la pratique sportive soit mieux identifiée. Les enseignants ne sont pas forcément bien formés à cet égard. Poursuivons l'héritage de Paris 2024 pour entraîner tous les élèves, dès le plus jeune âge, vers la pratique sportive, et revoyons nos méthodes en conséquence.

Mme Pauline Martin. - De nombreuses communes n'ont obtenu aucun financement pour leurs projets de construction ou de rénovation d'école. La DSIL comme la DETR, sans parler de l'Agence nationale du sport, deviennent des outils de frustration pour les élus locaux.

Des efforts doivent être consentis dans ce domaine. Évitons toutefois, en encourageant la pratique des 30 minutes sur le temps périscolaire, de transférer des missions confiées à l'éducation nationale sur les collectivités, qui font déjà beaucoup à la place de l'État.

Concernant la recommandation n° 6, les défis sont rarement relevés par les familles qui en auraient besoin. Il faut trouver un moyen de motiver les troupes autrement.

Mme Sabine Drexler. - Vous abordez un sujet essentiel, qui contribue au développement harmonieux des élèves qui fréquentent nos écoles et des adultes qu'ils seront demain. Il faut redonner du souffle à ce dispositif.

L'activité physique améliore la santé, réduit le risque de développer des maladies liées à la sédentarité et prévient la survenance des infections chroniques. Le sport joue aussi un rôle dans le développement des compétences sociales et émotionnelles. Les élèves y intègrent l'esprit d'équipe, le respect des règles et apprennent à mieux gérer leurs émotions - qualités essentielles à l'école, mais aussi dans la vie quotidienne. La pratique régulière d'une activité physique améliore aussi les capacités cognitives, en favorisant la mémoire et la concentration et en réduisant le stress. Enfin, l'activité physique contribue à l'équilibre de la vie scolaire, en canalisant l'excès d'agitation et en permettant aux élèves de se défouler hors de la classe et, ainsi, d'être plus posés et davantage disponibles pour se concentrer sur leurs apprentissages.

La mise en oeuvre du dispositif peut toutefois soulever des inquiétudes, notamment au regard de la gestion du temps et de la coordination avec le programme scolaire, pour certains enseignants, déjà sous pression, comme pour les parents, les uns et les autres percevant cette initiative comme une menace pour les performances scolaires des élèves. Les enseignants s'interrogent également sur leur capacité à prendre en compte la diversité des besoins et des aptitudes physiques des élèves et sont demandeurs de formations aux pratiques permettant d'intégrer des pauses actives et de bien-être aux temps d'apprentissage.

En outre, les élus et les collectivités s'inquiètent du manque d'infrastructures, adaptées notamment à des conditions météorologiques de plus en plus compliquées, et du financement de ces équipements. On relève aussi des inquiétudes chez les enseignants sur la motivation et l'engagement des élèves, surtout si le sport ne fait pas partie de leur routine et si les écrans sont trop présents dans leur vie. Certains pourraient alors percevoir l'exercice physique comme une nouvelle contrainte.

Nous espérons que vos recommandations intéressantes aideront à lever ces freins pour assurer la continuité du dispositif.

M. Max Brisson. - Je fais miennes les excellentes préconisations et remarques de nos rapporteurs. Toutefois, je n'aurai pas la même modération dans mes propos.

Le clivage gauche-droite revient en première ligne quand on parle de sport à l'école. On observe, d'un côté, ceux qui pensent que l'école doit être un lieu de plaisir et de bien-être et, de l'autre, ceux qui pensent que l'école doit être un lieu d'apprentissage. J'ai été surpris de voir les cours d'EPS présentés précédemment sous un angle hygiéniste. Les professeurs d'EPS apprécieront...

Mme Mathilde Ollivier. - Je n'ai pas dit cela !

M. Max Brisson. - Heureusement que les professeurs appliquent les nombreuses directives qu'ils reçoivent avec discernement et bon sens, sinon l'école se serait effondrée depuis longtemps. En théorie, l'école doit s'appuyer sur de nombreuses actions transversales, déployées dans des usines à gaz exceptionnelles sur le papier. En réalité, l'école se compose d'une classe, d'un professeur, d'élèves et de programmes. Les heures d'EPS n'étant pas réalisées comme elles devraient l'être, on fabrique un grand machin, qui ne fonctionne pas et que l'on s'efforce ensuite d'évaluer.

Pourquoi les heures d'EPS servent-elles de variable d'ajustement dans la mise en oeuvre des programmes ? Ces derniers sont tellement prétentieux, tellement ambitieux - on prévoit des programmes de collège à l'école primaire, des programmes de lycée au collège et des programmes d'enseignement supérieur au lycée - que les professeurs n'arrivent pas à les mener à bien. L'EPS et l'éducation civique et morale servent donc de variables d'ajustement. C'est inacceptable ! La seule solution est de rééquilibrer les programmes. Les réformes doivent être mises en oeuvre dans les classes, pendant les heures de cours, avec les professeurs. Jusqu'à nouvel ordre, les parents et les éducateurs n'ont pas les titres requis pour assurer des heures d'enseignement. Le bon sens commande de s'en tenir à la classe et aux programmes. S'il faut un rééquilibrage en faveur de l'EPS, des choix devront être posés pour réduire ces derniers.

M. Patrick Kanner. - La foudre jupitérienne a fait « pschitt » une nouvelle fois. Le Président de la République a décidé, un jour, sur un coup de tête, que tout le monde devait faire 30 minutes d'activité physique par jour. Ce n'est pas sérieux. Cela revient, en outre, à considérer les enseignants comme des supplétifs d'une gadgétisation des politiques publiques, alors même que l'éducation physique est un élément majeur du bien-être des enfants.

Il n'existe pas de réponse unique pour la mise en oeuvre d'un tel dispositif. Une coconstruction est nécessaire, impliquant les parents, les enseignants et les collectivités territoriales. Ce serait un nouvel axe de décentralisation intéressant. Je regrette, à cet égard, qu'aucune collectivité n'ait été désignée chef de file pour le sport, comme cela a été fait pour la jeunesse, par exemple. Un projet global, mis en oeuvre dans les communes, pourrait constituer une piste intéressante, en lieu et place d'un deus ex machina qui ne remplit pas ses objectifs.

En outre, développer le sport ne saurait se faire sans un renforcement du service public de la médecine scolaire. Celui-ci est aujourd'hui défaillant, ce qui est un véritable drame pour les enseignants. Je fais le lien avec l'état désastreux dans lequel se trouve la pédopsychiatrie, comme l'a récemment mentionné le Premier ministre, qui envisage de faire de la santé mentale une grande cause nationale en 2025.

Les 30 minutes d'activité physique par jour ne sont pas une fausse bonne idée, mais c'est une bonne intention sans réalité objective et dont l'évaluation montre qu'il s'agit d'une gadgétisation des politiques publiques. Dans les projections budgétaires pour 2025, le sport devrait perdre 200 millions d'euros sur 700 millions, ce qui est considérable.

Mme Laure Darcos, rapporteur. - Nombre d'entre vous sont tombés dans le piège de la confusion entre le sport et les 30 minutes d'activité physique quotidienne.

Pourquoi n'avons-nous pas préconisé quatre heures d'EPS par semaine plutôt que trois ? Il faudrait déjà que les trois heures d'EPS hebdomadaires soient réalisées. Plusieurs enseignants nous ont dit que le dispositif des 30 minutes d'activité physique par jour entrait en concurrence avec d'autres programmes, comme le quart d'heure de lecture quotidien.

Les enfants arrivent à l'école avec leurs problèmes, pour certains avec leurs problèmes familiaux, parfois très excités parce qu'on les a couchés trop tard la veille. Le professeur des écoles les accueille avec ces problèmes et aménage le temps comme il le peut. Or la cour de récréation n'est pas adaptée pour les 30 minutes d'activité physique quotidienne, notamment compte tenu du temps nécessaire pour s'y rendre. La plupart du temps, ces activités se font donc dans la classe.

Nous recommandons de partager davantage les bonnes pratiques. Il ne s'agit pas de donner aux enseignants des heures de formation supplémentaires. Cependant, ils ont besoin de connaître les gestes à faire au cours de ces activités, pour l'échauffement ou la concentration : yoga, sophrologie, etc.

L'enjeu est de reconcentrer les enfants et d'essayer de les détendre, entre un cours de mathématiques, par exemple, et une séance de lecture. Si nous avions chacun 30 minutes d'activité physique par jour, nous nous sentirions beaucoup mieux. Les professeurs qui appliquent le dispositif ont d'ailleurs constaté un vrai apport pour eux-mêmes comme pour leurs élèves. Nous ne souhaitons donc pas l'abandon de ce dispositif. Il faut en revanche le remettre à sa place.

La question de l'opportunité d'organiser les 30 minutes d'activité physique quotidienne dans la cour de récréation s'inscrit dans les réflexions sur les différences d'occupation de cette cour entre les garçons et les filles. Elle soulève également le problème de l'inclusion des élèves en situation de handicap.

Les parents pourraient être sensibilisés aux problèmes liés à la sédentarité lors de la réunion de rentrée.

Il est vrai, par ailleurs, que les collectivités font beaucoup d'efforts pour aménager des liaisons douces. J'ai toutefois été surprise de constater que, dans ma circonscription, au sud de l'Essonne, où ils pourraient aisément partir faire des promenades en forêt, les enfants sont en réalité plus sédentaires que les autres, faute d'associations sportives en nombre suffisant.

L'idéal aurait été que les associations sportives agréées puissent être introduites dans l'école pour sensibiliser les élèves et les inciter à s'inscrire à des activités sportives en dehors de celles-ci, d'autant que les collectivités sont nombreuses à faire des efforts pour aider les familles à payer les frais d'inscription. Malheureusement, le ministère de l'éducation nationale demeure hermétique à toute intervention extérieure au monde de l'éducation. Cela vaut d'ailleurs aussi pour l'éducation artistique et culturelle (EAC).

Comme nous avons pu le constater au cours de nos auditions, le ministère des sports et le ministère de l'éducation nationale ne se parlent pas. Le premier, qui a pourtant versé 8 millions d'euros pour le déploiement des kits dans les écoles, n'a été associé en rien à l'organisation des 30 minutes d'activité physique par jour ni au lien avec les collectivités.

Il est important de bien différencier ce qui relève du sport - il faudrait, à cet égard, que les trois heures d'EPS hebdomadaires soient bien réalisées - de ce qui relève du bien-être et des automatismes que nous devrions tous avoir pour nous activer un peu tous les jours.

Mme Béatrice Gosselin, rapporteur. - L'activité physique et l'activité sportive ne doivent pas être confondues. Instaurer une heure supplémentaire de sport par semaine dans les écoles pourrait être une solution, mais il n'est pas certain qu'elle soit réalisée. De plus, sur quelles heures la prendrions-nous : une heure de mathématiques, de français ? Il faut avancer dans les programmes, et les enseignants sont sous pression.

Les trois heures d'EPS doivent être effectivement réalisées, mais il faut aussi aménager de petites soupapes entre les cours, quand les enfants n'en peuvent plus et quand leur concentration diminue. Sortir faire une petite marche ou quelques exercices physiques est propice à la concentration. Pour organiser cela, il faut des personnes-ressources. Nous avons rencontré de nombreuses personnes qui avaient de bonnes idées. Certaines proposaient de revoir une notion de français à des élèves de CP, l'après-midi, dans la cour, tout en faisant de l'activité physique.

Une certaine souplesse est nécessaire dans l'emploi du temps. Les activités doivent se faire au moment où les enseignants en ont besoin. On peut faire des mathématiques avec des bouliers ou des marelles, par exemple. Cela peut également inciter certains enseignants à faire davantage d'EPS en prenant comme point de départ les 30 minutes d'activité physique quotidienne.

Il faut aussi un lien avec les familles. Un directeur d'école a créé une mascotte qui se rend chaque fin de semaine dans les familles avec une liste d'activités à réaliser durant le week-end, photographies à l'appui. Des initiatives de ce genre peuvent inciter les familles, même les plus fragiles, à se mettre à l'activité physique. C'est en ce sens que nous devons travailler.

Certains enfants arrivent à l'école en début de journée après avoir passé deux heures devant un écran, ce qui nuit à leur concentration. Nous devons inciter les enseignants à agir. Le climat de la classe se trouvera amélioré si les enfants sont apaisés et détendus. C'est une autre façon de travailler et d'enseigner.

Mme Laure Darcos, rapporteur. - Les professeurs se sont sentis agressés par le dispositif des 30 minutes d'activité physique à l'école. C'est une faute originelle de le leur avoir imposé. Ils sont assez intelligents pour savoir aménager leur temps !

Toutes les bonnes pratiques doivent être intégrées aux ressources numériques de l'éducation nationale pour les aider, et pour permettre à chacun de s'en emparer.

Ne cassons pas le dispositif, mais remettons-le à sa place. Les professeurs doivent se sentir suffisamment impliqués dans sa mise en oeuvre pour percevoir qu'il est également bon pour eux-mêmes. Ils doivent pouvoir se dire qu'il ne leur est pas imposé comme une discipline de plus, mais proposé comme une pratique susceptible de les aider.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à toutes les deux. Le sujet n'était pas facile. Cela nous donnera des éléments de discussion avec les nouveaux ministres de l'éducation nationale et des sports, que nous auditionnerons prochainement.

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 10 h 25.

Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Cyril Linette, candidat à l'élection du président de la Ligue de football professionnel

La réunion est ouverte à 10 h 30.

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de la mission d'information sur la financiarisation du football professionnel français avec l'audition de M. Cyril Linette.

Monsieur Linette, merci de votre présence. Après avoir été journaliste sportif, vous avez dirigé le service des sports de Canal + de 2008 à 2015, avant de prendre la direction générale du groupe l'Équipe de 2015 à 2018. Vous avez ensuite exercé les fonctions de directeur général du PMU jusqu'en 2021. Si nous vous auditionnons ce matin, c'est parce que vous étiez candidat au poste de président de la Ligue de football professionnel (LFP), face au président sortant Vincent Labrune, le 10 septembre dernier.

D'une part, nous souhaitons revenir avec vous sur ce processus électoral un peu particulier. En effet, il s'en est fallu de peu que vous ne puissiez pas vous présenter à cette élection, faute d'avoir obtenu tous les parrainages nécessaires. Une intervention de la ministre Amélie Oudéa-Castéra a débloqué la situation, mais vous avez dû - vous nous le confirmerez - vous engager à laisser votre place au sein du nouveau conseil d'administration de la LFP, en cas de défaite.

Cette élection a été largement remportée par Vincent Labrune, malgré le soutien que le collège de la Ligue 2 vous a apporté. La large victoire du président sortant a été facilitée par la décision de deux présidents de club, qui ont préféré renoncer à présenter leur candidature au conseil d'administration de la LFP, plutôt que d'y tenir une position minoritaire. L'un d'entre eux, Joseph Oughourlian, président du Racing Club de Lens (RC Lens), a dénoncé un système de gouvernance « à bout de souffle ». Est-ce à dire qu'aucune opposition ne peut exister ni s'exprimer au sein des instances de gouvernance du football professionnel français ? Comment remédier à cette situation ?

D'autre part, votre candidature vous a donné l'opportunité de présenter un projet alternatif de développement pour le football français. Ce football est actuellement en grande difficulté, en raison de la baisse des droits TV. Son modèle de financement est probablement à revoir. Nous nous interrogeons en particulier sur le bien-fondé du partenariat de la LFP avec le fonds d'investissement CVC Capital partners et sur son intérêt, à long terme, pour les clubs. Le résultat des négociations récentes sur les droits TV n'est pas venu nous rassurer, bien au contraire. Les clubs devront payer à CVC un dividende sur des droits globalement en baisse.

Dans ce contexte, l'arrivée de fonds internationaux peut apporter des solutions, au niveau des clubs, mais certains y voient une menace pour l'identité du football français, notamment au travers de la multipropriété.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cyril Linette prête serment.

M. Laurent Lafon, président. - Par ailleurs, pouvez-vous nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de notre mission d'information ?

M. Cyril Linette, candidat à l'élection du président de la Ligue de football professionnel. - Je n'en ai aucun.

M. Laurent Lafon, président. - Je rappelle à tous que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Monsieur Linette, si cela vous convient, vous avez la parole pour une intervention liminaire. Puis vous pourrez compléter vos propos en répondant aux questions du rapporteur et de l'ensemble de nos collègues.

M. Cyril Linette. - Je viens d'avoir 54 ans. Je suis dirigeant d'entreprise après avoir été longtemps journaliste. Dans mon parcours de manager, j'ai eu à opérer ce que l'on appelle des retournements d'entreprise. Il s'agissait d'entreprises sujettes à des changements d'usages qu'il a fallu repositionner dans leur offre et leur organisation. J'ai donc une double casquette d'expert des médias et du business du sport et de manager spécialiste de la conduite des transformations d'entreprise. J'ajoute à cela ma connaissance des gouvernances politiques et plurielles, puisque j'ai dirigé le PMU, qui est en quelque sorte la LFP des courses hippiques. Le conseil d'administration du PMU, qui ressemble à celui de la LFP, m'a chargé de créer de la valeur et de monétiser le produit.

C'est à ce titre qu'observant la série de mauvais choix opérés par le football français depuis quelques années et le récent crash des droits de diffusion, j'ai décidé de me présenter à la présidence de la Ligue de football professionnel. Après avoir beaucoup bataillé - nous y reviendrons peut-être par le biais de vos questions - avec des statuts qui ne permettaient clairement pas, et avaient été, je pense, en partie conçus en ce sens, l'émergence d'une vision concurrente, j'ai finalement pu me présenter, être élu au conseil d'administration - comme vous le rappeliez, monsieur le président - mais également être battu au poste de président, largement puisque je n'ai obtenu que deux voix sur dix-sept : la mienne et celle du représentant du syndicat des entraîneurs. Les représentants des clubs, y compris de Ligue 2 - même si le collège de Ligue 2 avait voté en ma faveur -, des familles du football et de la Fédération française de football (FFF), qui a deux voix dans cette instance, n'ont donc pas souscrit à ma proposition de définir et de piloter un changement de modèle pour l'ensemble du football professionnel français. Cela signifie que ma vision n'est pas partagée pour l'instant par les acteurs du football.

Sans prétendre avoir la science infuse, je voudrais vous présenter cette vision dans le détail, sachant que nous reviendrons au cours de cette présentation sur ce que je considère pouvoir être le rôle d'un fonds d'investissement.

On parle de plus en plus d'argent dans le football français. C'est pour cela que nous sommes réunis ce matin. Or nous parlons toujours de revenus qui ne seraient pas suffisants, mais jamais de coûts qui seraient trop élevés. Ma vision est la suivante : le football français n'a pas le choix. D'ici quelques années, il devra avoir bâti un projet moins coûteux et surtout moins dépendant des droits TV et des transferts de joueurs, dont il dépend à 80 %, voire à 90 %. Il doit le faire le plus rapidement possible, sous peine de marginalisation - j'insiste sur ce point - face aux grandes ligues européennes, qui, contrairement aux idées répandues, ont déjà commencé ce travail d'assainissement, à l'image de la Liga, en Espagne, qui contrôle la masse salariale de ses clubs et flèche intelligemment l'argent versé par CVC. L'Allemagne et l'Angleterre ont, de même, commencé à modérer les montants des transferts.

Le football français s'expose aussi à un risque de marginalisation face aux ligues challengers que les Français regardent d'un peu haut, car leur zone de chalandise est plus petite, mais qui augmentent leurs revenus : le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas sont ainsi engagés dans des plans de transformation réalistes et pertinents. Enfin, le risque vaut aussi face aux mastodontes que sont les grandes compétitions internationales comme la Ligue des Champions, qui n'ont pas de problèmes d'argent, mais qui risquent d'être le seul objectif réel des rares clubs français qui pourront rester compétitifs, au détriment de notre football domestique, pourtant essentiel pour nos territoires. Ce n'est pas pour rien que nous sommes au Sénat pour parler de ces sujets.

Ce modèle à construire serait plus équilibré, pérenne et davantage tourné vers les fans. Il n'empêcherait pas le recours aux fonds, mais valoriserait la notion d'investissement, comme cela se pratique dans d'autres secteurs de l'économie. Toute l'énergie collective, toutes les décisions devraient être au service de cet objectif, ce qui n'est évidemment pas le cas.

Quel est mon constat ? Dressons d'abord un constat conjoncturel. Quand on évalue la santé d'un sport professionnel, on regarde ses finances et sa capacité à toucher le grand public. Les clubs français subissent cette année une double peine sans précédent : jamais ils n'auront touché si peu d'argent et jamais les clients que le football intéresse n'auront payé si cher. Sur le plan financier, les revenus de droits TV baissent de 32 %, les charges de la LFP augmentent de 75 %, soit un revenu net pour les clubs qui baisse de 60 % sur les droits, passant en moyenne, pour les clubs de Ligue 1, de 25 millions d'euros à 10 millions d'euros - sachant que, deux mois avant l'expiration des droits, on leur a demandé de bâtir des budgets anticipant leur maintien - et, pour les clubs de Ligue 2, de 3,8 millions d'euros à 1,9 million d'euros.

L'exposition TV est capitale pour que l'on continue à s'intéresser aux compétitions. Or les audiences ont été divisées par cinq après le passage de Canal+ à Amazon Prime Video, puis elles sont devenues marginales à la suite du passage d'Amazon Prime Video à DAZN.

Comment en est-on arrivé là ? Cela fait plusieurs années qu'il n'y a pas, sur ce sujet, d'autre réflexion que financière. En six ans, on a recensé quatre diffuseurs principaux : Canal+, puis Mediapro, puis Amazon, puis DAZN. Personne n'a fait pire, nulle part.

La conséquence de ces mauvais choix, dont on parle beaucoup dans les journaux, est que, le vendredi soir, un match de Ligue 2 est diffusé en même temps que la première mi-temps d'un match de Ligue 1, ce qui est absurde en matière d'exposition de produit. S'ajoute à cela l'explosion du piratage. Pour compenser tout cela, on autorise la diffusion des buts en quasi direct sur les réseaux sociaux, alors que le picorage des contenus est à la mode. Certes, cette diffusion répond à une demande d'accessibilité, mais elle s'est faite à mon sens de façon précipitée, sur une plateforme qui n'est pas celle de la LFP, donc sans récupérer de données sur les usagers. Nous voyons bien que cela manque de vision.

Fâcherie avec le diffuseur historique, changements incessants d'opérateur, audiences confidentielles, prix élevés, piratage et désormais gratuité : si l'on voulait détruire ce modèle bâti sur les droits TV, on ne s'y prendrait pas autrement.

Tel est le constat conjoncturel. Mais il y a aussi un constat structurel dont il faut avoir conscience : toutes les industries courent un risque considérable, celui de vivre dans une bulle et de ne pas s'adapter assez vite aux changements d'usages. L'exemple que l'on cite toujours à cet égard est celui de Kodak, ce géant de la photographie argentique qui a beaucoup trop tardé à embrasser la révolution numérique. Dans les années 1980 ou 1990, Kodak, c'était Apple ou Amazon. L'entreprise a fait faillite plusieurs fois. Elle subsiste aujourd'hui en vendant du matériel pour professionnels. Son chiffre d'affaires a été divisé par vingt.

Si le football français ne veut pas voir que ses deux sources principales de revenus - les droits de diffusion et les droits de mutation, qui ne l'empêchent pas d'ores et déjà de perdre plusieurs centaines de millions d'euros par an - sont en danger, il aura du mal à s'en relever.

Les droits de diffusion représentent en moyenne 50 % des revenus des clubs hors transferts et beaucoup plus pour certains. Des erreurs stratégiques ont été faites, dont je viens de parler, mais il existe aussi des tendances globales, qu'il faut que chacun ait en tête, et qui font que le plan annoncé au moment du deal avec CVC par la LFP - plan d'un montant de 1 milliard d'euros, puis de 1,5 milliard d'euros, puis de 1,8 milliard d'euros - m'a toujours semblé inexplicable.

Les tendances de fond sont : la multiplication des sources de divertissement parmi lesquelles le consommateur arbitre, sachant qu'il peut préférer des contenus plus familiaux que le football, ainsi que la très grande réticence des jeunes à mettre de l'argent dans un produit de télévision.

Les questions que la LFP doit se poser tous les jours sont les suivantes : qui nous regardera dans cinq ans ? Combien seront-ils à payer ? Les jeunes paieront-ils ? Les diffuseurs nous verront-ils encore comme un produit qui fait la différence dans leur offre ? La publicité et les sponsors estimeront-ils que notre audience présente encore un intérêt pour eux ?

Sauf pour les très grandes ligues, les diffuseurs paieront de moins en moins des montants élevés pour diffuser des sports, car les consommateurs ne suivront plus. C'est une certitude. La Série A n'arrive pas à vendre ses droits à l'étranger, la ligue féminine de football anglaise, pourtant considérée comme un modèle de développement, est loin d'avoir atteint ses objectifs sur ce plan. C'est une bascule qui est en train de s'opérer. De nouveaux modèles vont émerger, comme pour la musique, mixant du direct avec du quasi direct, du jeu, du pari, du merchandising. Ce n'est pas pour rien que le Chief Executive Officer (CEO) de DAZN Group vient de l'industrie du pari et que la moitié des clubs de Premier League anglaise ont un site de pari sur leurs maillots.

Les offres seront plus basses, les tarifs de plus en plus flexibles. La notion de minimum garanti va peu à peu disparaître. Comment résister à cela quand on a de tels coûts fixes ?

La conséquence inévitable est que l'autre ligne de revenus à laquelle les clubs se raccrochent régulièrement, les mutations de joueurs, va baisser aussi. D'ailleurs, cette ligne est contre-intuitive du point de vue de la réussite sportive : le fait de changer d'équipe tous les ans ne crée aucune valeur pour le club lui-même et pour ses supporters. Toutes les grandes ligues vont connaître des difficultés. Les Anglais et les Allemands ont déjà commencé à moins dépenser. Un jour, le marché saoudien finira lui aussi par compter son argent. Les joueurs français sont certes de grande qualité, mais ils seront considérés comme de plus en plus accessibles financièrement par les championnats étrangers, vu les difficultés auxquelles se prépare le championnat domestique. Et la formation, le plus bel atout du football français, coûte très cher. À mon avis, elle n'a pas bénéficié de la manne gigantesque de CVC.

Bref, le football français voit ses deux sources principales de revenus décliner et il n'en tire pour le moment aucune conséquence. Le système que j'ai bien connu du temps de Canal+, moitié charme, moitié menace, qui consistait à dire au diffuseur : « voici mes coûts fixes, il me faut tant », a longtemps fonctionné ; ce système a vécu, c'est terminé. Les mauvais choix conjoncturels, depuis cinq ou six ans, ne font qu'accélérer les tendances de fond.

Quelles sont les conséquences ? Que faire ? De mon point de vue, comme je l'ai dit durant la campagne, il n'y a guère d'autre choix que de rebâtir un modèle différent, comme l'ont fait beaucoup d'industries, avec trois chantiers, qui sont toujours les mêmes dans toutes les industries : la baisse des coûts, la sécurisation des revenus traditionnels le plus longtemps possible et le développement, sous forme d'investissement, de nouvelles sources de financement. C'est ce que fait la presse, avec la disparition des métiers traditionnels, la réorganisation des entreprises et la mutualisation des imprimeries, le soutien au papier, qui reste un étendard, et la conquête digitale, la diversification et l'arrivée de nouveaux actionnaires. C'est ce que fait la télévision classique : baisse des coûts de structure, soutien à la télévision linéaire, qui est encore prédominante dans le revenu publicitaire, et développement de l'offre de streaming. C'est ce qu'essaie de faire le retail : baisse des coûts, avec la rationalisation des stocks et du nombre de magasins, soutien du revenu traditionnel par une expérience client améliorée dans les boutiques et développement de nouveaux business avec le e-commerce.

Il faut réaliser un plan de retournement en trois temps, ce qui suppose des parties prenantes raisonnables et bien alignées, des investissements tournés vers la transformation et non pas - et c'est le problème des 1,5 milliard d'euros apportés par CVC - l'entretien d'un modèle obsolète et, bien sûr, des qualités d'exécution managériale. C'est, à mon avis, l'un des sujets importants de votre mission.

Comment appliquer ce triptyque - baisse des coûts, sécurisation des revenus classiques et innovation - au football français ?

La baisse des coûts, ou le contrôle des dépenses, est évidemment un chantier urgent. Pour rappel, les clubs français perdent 1 milliard d'euros par an avant transfert, entre 200 millions et 300 millions d'euros après. L'idée la plus évidente serait de faire en sorte que la masse salariale ne dépasse plus les revenus d'exploitation des clubs - ce qui est d'ailleurs aberrant - avant de ramener petit à petit le ratio à 80 %. C'est ce qui a été fait en Espagne.

La deuxième étape pourrait être de flécher un montant minimum, et de plus en plus important, sur les investissements. La direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) devrait voir ses prérogatives étendues, avoir le pouvoir de valider non pas un vague budget, mais chaque contrat, au moment de la signature par les joueurs. Enfin, elle devrait avoir un contrôle sur les repreneurs - je pense bien sûr à la situation des Chamois niortais ou des Girondins de Bordeaux. Cette démarche rationnelle doit aussi être celle de la LFP, dont les coûts ont explosé ces dernières années, passant de 35 millions à 140 millions d'euros. Je ne vous ferai pas l'injure de parler du train de vie, que vous avez certainement remarqué... Cette institution, qui se transforme, comme toutes les institutions, doit être managée au quotidien pour plus d'efficacité.

C'est pour cela que j'ai essayé de faire prévaloir mon profil de manager : dans de tels moments, c'est un manager au quotidien qui peut être très utile au changement de modèle. On lit ce matin dans L'Équipe que les présidents de club ont décidé de s'occuper du plan d'économies. Mais ce n'est pas au board de faire cela. Celui-ci doit fixer des objectifs. C'est au management de travailler ligne à ligne sur le plan d'économie. Sinon, cela ne peut pas fonctionner. Un board qui se substitue au dirigeant payé et mandaté par lui-même, cela ne peut pas marcher. Et il sera de toute façon difficile de faire des miracles et de compenser la baisse des revenus pour les clubs.

Je pose donc la question : l'argent de CVC a-t-il permis de créer un fonds d'urgence afin de surmonter la crise ? Je n'en ai pas l'impression. Or, vu ce qui s'est passé il y a quatre ans, durant la covid, il me semble que c'était une priorité. Plus généralement, puisque le choix a été fait de créer une vraie entité business, LFP Media, il faut professionnaliser l'ensemble. Le volet visible consiste à devenir une plateforme média pour les fans : c'est ce que peut faire LFP Media. Un autre volet, moins clinquant, mais très utile, est de devenir une plateforme de services pour les clubs, fournissant une centrale d'achat, des conseils juridiques, une aide administrative, et constituant un hub d'innovation. Les clubs sont souvent très démunis en ce qui concerne le hors sportif, car ils ont très peu investi sur ces sujets. Ils le seront encore plus à présent que leurs revenus vont baisser. La LFP doit pouvoir se substituer à eux ; CVC a investi dans une institution dans le but, j'imagine, qu'elle devienne une entreprise, en tout cas sa société commerciale.

Après les coûts, le second sujet est la sécurisation du revenu principal, celui des diffuseurs. Ces diffuseurs, il faut les protéger. Il faut donc stopper le bashing. Celui-ci ne vient pas que des supporters ou des observateurs, il vient parfois du monde du football lui-même.

Il y a dix jours, trois entraîneurs de Ligue 1 ont, dans des conférences de presse, critiqué les prix pratiqués par DAZN. S'il y a bien quelque chose qu'on doit faire dans un moment comme celui-là, c'est tenir ses troupes. Je ne suis pas en train de dire que DAZN n'a pas fait d'erreur, ni que ses prix sont complètement adaptés au marché français - je ne le pense pas -, mais rien ne serait pire que de se dire que, de toute façon, ils ne sont là que pour deux ans, et qu'après on aura mieux. Il faut aider DAZN, d'une manière ou d'une autre, à développer sa base d'abonnés.

Le président de DAZN a d'ailleurs déclaré que « le consommateur doit comprendre qu'il ne paye pas DAZN, mais la Ligue et les clubs ». Il a intériorisé l'inversion fondamentale dans laquelle le football français est plongé depuis des années et qui est à la base de beaucoup d'erreurs, consistant à exiger une somme donnée, charge à la LFP, aux diffuseurs, aux abonnés, de la réunir. L'idée qu'il y a un prix pour être compétitif sportivement, que le prix fait le produit, ne peut plus tenir seule, car en face il y a un client, pour qui c'est le produit qui fait le prix. Le client arbitre entre Spotify, Netflix, etc. Du point de vue du client, le football français n'est pas seulement en concurrence avec le football italien, mais avec toutes les sources de divertissement auxquelles il a accès pour sa famille. Ce n'est pas le train de vie des clubs ou de la LFP qui fixe le prix, c'est le marché.

Pour sécuriser le revenu principal, il faut donc avoir une position réaliste sur ce sujet et travailler avec DAZN. Il faut aussi travailler avec beIN : on comprend que la situation est compliquée...

D'un côté, on voit que beIN est très raisonnable dans ses investissements, car ses équipes ont intégré les dernières tendances des consommateurs et ne dépensent plus sans compter. Parallèlement, au sein de la même entité de management, le PSG, mû par ses volontés européennes, est le chantre d'un modèle entièrement libéral, sans régulation. Notamment, l'idée de plafonner les salaires est inacceptable pour le PSG. Ce modèle libéral a un impact sur les autres clubs qui disputent le même championnat et qui veulent faire bonne figure. Il y a donc une vraie tenaille, entre beIN et le PSG, avec deux discours qui sont complètement discordants. Comme ce sont des acteurs sérieux, qui ont beaucoup apporté au football français, avec lesquels on peut discuter, je pense qu'ils ne pourront pas rester sourds à cet argument. Ils ne seront pas forcément ravis, mais il faut développer cet argument courageux avec eux.

Sécuriser le revenu principal, c'est aussi reprendre langue avec Canal+, qui a bénéficié en son temps d'une situation de monopole sur le football, le cinéma... Canal+ est incontournable sur le marché de la télévision payante. Et les fans de football, le fameux 1,5 million dont on parle tout le temps, Canal+ les a déjà et les garde. Les conquérir contre lui ou sans lui est quasiment impossible : Mediapro, Amazon n'y sont pas arrivés.

Une fois que l'on a baissé les charges et sécurisé une part du revenu historique avec ses diffuseurs, il convient en troisième lieu de développer de nouvelles lignes de revenus. Ces revenus peuvent venir de plusieurs sources : les consommateurs, les partenaires et les investisseurs. Du côté des consommateurs, il y a un revenu complémentaire à aller chercher via les images. Cette idée est à manier avec précaution par rapport aux diffuseurs, mais les grandes ligues américaines, par exemple, réussissent peu à peu à additionner les revenus des broadcasters avec ceux du streaming. Côté football français, on peut démarrer quelque chose - non pas une chaîne, on ne crée pas de chaîne en 2024 -, mais une plateforme mondiale qu'on appelle Direct to Customer, qui permet de développer l'engagement des fans, mais aussi des ventes de droits. Aujourd'hui, l'exclusivité étant moins rémunérée par les broadcasters traditionnels, il est légitime d'essayer de compenser en vendant des droits plusieurs fois, pour sortir peu à peu de ce système verrouillé.

Il est évident que l'argent de CVC aurait dû servir en priorité à cet investissement. Cela permettrait à la LFP non pas de s'affranchir de ses partenaires de diffusion, ce qui serait une folie, mais au moins de leur faire accepter qu'une offre complémentaire puisse être créée. Cette offre, dans l'immédiat, rapporterait très peu d'argent, parce qu'il faut d'abord conquérir une base d'abonnés, ce qui coûte cher, notamment en marketing, mais elle pourrait être une solution d'avenir. Il aurait fallu réserver quelques centaines de millions d'euros pour créer ainsi ce qui demain serait pour la LFP une solution d'avenir et de prise en main.

Il y a aussi des revenus à aller chercher en améliorant l'expérience au stade et la connaissance et la monétisation de sa communauté de fans : il n'y a pas plus captif qu'une communauté de fans de football ! Or, pour l'identification, la monétisation, le merchandising, les clubs ont des ressources extrêmement faibles. C'est là qu'il aurait fallu faire des investissements. Il y a des revenus à développer en imaginant les nouveaux formats de compétition. Mais là encore, si vous créez une Ligue 3, par exemple, ou si vous créez de nouvelles compétitions pour les clubs non européens, il n'y aura pas immédiatement de l'argent en face. C'est là où vous pouvez investir sur des compétitions.

Au-delà des consommateurs, ces nouveaux revenus doivent aussi venir des partenaires et, globalement, des grandes forces économiques du pays. Or, à de rares exceptions près, elles ne sont pas dans le football, comme cela ne vous a pas échappé. La relation distendue avec les collectivités locales, les incidents dans les tribunes, le fait de ne parler que d'argent, une politique environnementale qui n'est pas très résolue, tous ces éléments sont des freins aux investissements dans le football. Dans le social, le sociétal, l'environnemental, le football français est très en retard. La Ligue mène des actions RSE, mais il faut y aller beaucoup plus fort, en améliorant l'accueil des personnes en situation de handicap dans les stades, en organisant une compétition de cécifoot, en privilégiant les déplacements des équipes en train, en multipliant les panneaux solaires... Avec une politique résolue sur ces sujets, on construit un système de valeurs positives. Toutes les entreprises ont dû s'y mettre et c'est avec ce système de valeurs positives qu'on accueille des partenaires. Demain, nous n'en aurons plus si nous n'avons pas résolu la question de la RSE et de l'image du football. Le rugby l'a très bien fait, il compte dix fois moins de licenciés que le football, il ne dépasse le football dans aucun département français, et pourtant on y investit - y compris les entreprises du CAC 40.

Enfin, les nouveaux revenus peuvent venir de l'extérieur, et d'abord des fonds. Je me pose aussi des questions sur les conditions associées au deal avec CVC, qui privatise à vie une partie d'une délégation de service public. Un jour, les revenus de CVC couvriront l'investissement initial, mais le fonds continuera à percevoir des dividendes. Cet argent aurait pu rester dans le sport. Autre élément d'inquiétude, une disposition contractuelle protège les investisseurs en leur donnant une part accrue du capital si les objectifs financiers ne sont pas atteints. Et comme nous n'atteignons pas les objectifs, on peut imaginer ce qui pourrait arriver aux revenus de la LFP à l'avenir. Vendre un business plan trop avantageux entraîne la mise en place de clauses qui protègent les fonds - ils sont experts dans ce domaine -, ce qui conduit à des situations défavorables.

Mais les fonds sont partout en Europe, dans les ligues et dans les clubs. Même la NFL, le championnat de football américain, qui est la ligue la plus puissante du monde, vient d'autoriser leur prise de participation. Ce qui m'a le plus choqué, mais pas surpris malheureusement, c'est le non-fléchage du 1,5 milliard d'euros apporté par CVC. Dans fonds d'investissement, il y a investissement. Or, à ma connaissance, l'argent a servi à éponger les dettes et à engager de nouveaux joueurs. Pour les présidents, la seule compétition est d'ordre sportif. Les infrastructures pourtant essentielles pour pérenniser l'activité, la connaissance des clients, n'ont pas bénéficié de cette manne inespérée.

L'autre élément qui m'inquiète, c'est le mécontentement que CVC a manifesté sur le résultat de l'appel d'offres, ou en tout cas de la négociation, sur la méthode de négociation et sur le fait d'avoir été tenus à l'écart lors de certaines refacturations salariales. C'est pourtant partout comme cela que ça se passe ; le fond amène du cash, il entre au capital et il entend jouer un rôle en étant pleinement associé à la stratégie. Le football a besoin d'un plan d'économies, mais aussi d'un plan d'investissement, sauf que ce plan d'investissement doit être bien ciblé et ne pas se limiter aux joueurs.

CVC a donc obtenu une prise de participation à vie sur une délégation de service public, dans un contrat assez peu protecteur pour le football français. Surtout, il a offert un apport de cash et de savoir-faire non créateur de valeur. D'autres fonds interviennent pour le rachat de clubs. Il semble important que la DNCG soit dotée d'un pouvoir d'agrément. Quant à la multipropriété, elle est politiquement discutable, mais dans un monde où les modèles sont structurellement déficitaires, il semble difficile d'y échapper. Le plus important est de maintenir dans ces cas-là l'ancrage territorial de nos clubs.

Les revenus majeurs du football vont baisser et affecter un modèle qui est déjà déséquilibré. Il sera difficile dans un système ouvert de trouver un équilibre parfait, il ne faut pas rêver. Il y aura toujours besoin de mécènes, de passionnés pour perdre de l'argent dans le football. Et la financiarisation du football ne me semble une donnée ni complètement nouvelle ni véritablement évitable. Mais ce qui est certain, c'est que le football français est de nouveau en crise, quatre ans après la covid, alors qu'il a bénéficié d'une manne inespérée de 1,5 milliard d'euros. Il va se retrouver dans une situation compliquée, avec des clubs en grosse difficulté, alors qu'ils représentent des communautés et des territoires.

Le football français ne peut plus à chaque fois invoquer la malchance ou la distorsion de concurrence. Il doit revoir son modèle, un modèle où l'argent frais doit être un outil de développement et de pérennité, pas de fuite en avant ; un modèle où le football français comprend qu'il n'est pas seulement en concurrence avec le football italien, mais avec les autres sports et toute l'industrie du divertissement. Malheureusement, à ce stade, ni les clubs, ni les familles du football, ni la Fédération française de football ne souscrivent à ce constat.

M. Michel Savin, rapporteur. - Merci de cette présentation de votre programme ! M. Linette, la presse a affirmé ce matin que nous vous aurions demandé de ne pas quitter votre poste d'administrateur de la LFP avant cette audition. C'est faux.

M. Cyril Linette. - En effet.

M. Michel Savin, rapporteur. - Nous n'avons eu aucun échange avant cette audition.

M. Cyril Linette. - Je le confirme.

M. Michel Savin, rapporteur. - Le processus électoral au sein de la LFP paraît dysfonctionnel, à tout le moins particulièrement verrouillé. Comment expliquez-vous que le ministère des sports et la Fédération française de football aient pu valider une telle réforme en 2022 ?

M. Cyril Linette. - Je pense que cette réforme a été présentée comme une diminution du nombre d'administrateurs pour une meilleure efficacité du conseil. Le nombre d'administrateurs de la LFP est passé de 25 à 17. C'est ce qui a convaincu les pouvoirs publics de valider ce changement de composition du board. Mais le nombre d'administrateurs indépendants est passé de cinq à trois. Comme le président vient du collège des administrateurs indépendants, cela a rendu quasiment impossible l'émergence d'un concurrent. Les trois administrateurs indépendants comportaient le président sortant, un représentant de la Fédération française de football, qui n'a pas pour vocation de candidater à la présidence, et un membre des familles du football, représentant des joueurs, des syndicats, des arbitres. On est donc passé à trois administrateurs, dont un président réélu de fait par acclamation, et je pense que cela faisait partie en effet des objectifs. Le sujet avait été plus ou moins discuté par la LFP, l'idée étant qu'on n'avait pas le temps de s'embarrasser d'une élection en plein milieu d'un processus, à l'issue des négociations des droits de diffusion.

M. Michel Savin, rapporteur. - Lorsque vous vous êtes porté candidat, vous aviez conscience de cette situation...

M. Cyril Linette. - Oui, mais je n'avais pas forcément compris à quel point ces trois postes étaient figés et avaient fait l'objet d'une coordination, ou plutôt d'un manque de coordination, entre les uns et les autres.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous parlez de coordination !

M. Cyril Linette. - Oui, entre les familles du football et les présidents. Lorsque j'ai annoncé que je voulais être candidat, j'ai eu un échange avec Philippe Piat, le président de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP). Celui-ci m'a indiqué qu'il ne pourrait pas parrainer plus de trois candidats, dont un membre des familles. En effet, s'il en parrainait quatre, comme il ne vote pas à l'Assemblée générale, le membre des familles ne serait pas représenté au conseil d'administration. Et comme il voulait un représentant supplémentaire au conseil d'administration... Il me l'a dit de manière très claire. Pour autant, j'ai continué à me battre. Un travail sur les parrainages a été conduit du côté des présidents, avec des règles qui étaient un peu plus lâches, et j'ai obtenu un score très bon, pratiquement identique à celui du président sortant. J'ai donc pensé que la raison allait l'emporter, puisqu'une vraie demande était exprimée de la part des présidents du football professionnel, et qu'un accord serait trouvé avec les familles du football pour parrainer au minimum quatre candidats. Cela n'a pas été possible. C'est pourquoi je parle de coordination : entre eux, ils n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur une manière de faire protégeant les familles tout en permettant une alternative pour le poste de président.

Lorsque j'ai compris qu'en dépit de mon bon résultat je ne serais pas candidat parce que je n'avais pas le parrainage des familles, ce n'est pas la ministre qui est intervenue pour me sortir de cette situation, je voudrais rétablir les faits. Elle m'a appelé pour me prévenir, parce qu'elle était visiblement informée avant moi que je ne serais pas parrainé en raison d'un blocage non pas personnel, mais dû au fait que les familles s'en tenaient à leur parrainage de trois candidats. Elle m'a dit qu'elle en était désolée. Et je dois dire que j'ai vigoureusement protesté, car j'étais très sincèrement furieux. Je considérais que j'avais un bon programme, qui avait fait l'objet d'un intérêt assez nourri de la part des présidents lors de mon audition. C'est moi qui ai demandé qu'on trouve une solution, de manière assez véhémente. J'ai dit qu'il fallait respecter le jeu démocratique.

La ministre a cherché une issue et m'a proposé cette solution imparfaite, selon laquelle, si je n'étais pas élu président, comme il fallait une place pour les familles, je devrais partir. Comme je visais la présidence et non le conseil d'administration, j'ai accepté cette contrepartie. C'est donc moi qui ai sollicité l'intervention de la ministre et j'ai accepté assez volontiers la solution trouvée. J'aurais mauvaise grâce à dire qu'on me l'a totalement imposée, mais je n'avais pas le choix. C'était tout de même sous une contrainte, puisque c'était le seul moyen d'être candidat. Plusieurs présidents, d'ailleurs, m'ont désapprouvé de l'avoir acceptée, car ils souhaitaient que je siège au conseil.

M. Michel Savin, rapporteur. - Cette médiation a permis de présenter deux candidats à cette élection. Avec un seul candidat, aurait-elle pu se tenir ?

M. Cyril Linette. - Oui, je pense qu'elle se serait tenue. Vincent Labrune aurait été le seul candidat et il aurait été élu avec 17 voix contre 0, au lieu de 14 contre 2.

M. Michel Savin, rapporteur. - On a vu une montée en puissance des interrogations sur ce système d'élection.

M. Cyril Linette. - Je comprends ce que vous voulez dire : on peut considérer que ma candidature a légitimé le caractère démocratique des élections à la LFP. Je peux le comprendre, mais je suis un homme de conviction. Ces convictions, j'ai préféré vous les exposer ce matin, car elles constituent mon programme et, même si je n'ai pas été élu, celui-ci est toujours valable. Il n'y avait donc pas de raison que je ne participe pas sous prétexte que les statuts ne le permettaient pas. Je comprends votre point. Quelques personnes m'en ont parlé, mais j'ai considéré qu'il fallait que je tente ma chance tout de même parce que c'est dans ma nature. Je ne fais pas de politique. Je voulais proposer une nouvelle vision et surtout un profil de manager qui me semblait pertinent, et je pensais, honnêtement, que ces objectifs étaient accessibles, malgré tout.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous êtes toujours membre du conseil d'administration. Allez-vous le rester ?

M. Cyril Linette. - Une première réunion est prévue la semaine prochaine. Je n'ai pas fait l'objet de pressions particulières à ce sujet, ni de la part de Philippe Piat ni de qui que ce soit. L'ordre du jour, la semaine prochaine, comporte la question de l'évolution des statuts, pour recréer la possibilité pour un membre supplémentaire des familles de siéger au conseil d'administration.

Nous verrons ce que seront les relations dans le conseil et, à titre personnel, quelle sera ma capacité d'agir. Plusieurs présidents m'ont demandé très clairement de rester en me disant qu'on avait besoin de moi. Mais je dois être sûr de pouvoir servir à quelque chose... C'est au cours des premières réunions que je pourrais me rendre compte de la situation.

M. Laurent Lafon, président. - Des présidents vous ont donc demandé de rester.

M. Cyril Linette. - Oui, plusieurs me l'ont demandé.

M. Michel Savin, rapporteur. - Cela signifie qu'ils ont besoin d'un porte-voix au sein du conseil d'administration...

M. Cyril Linette. - Cela signifie que ce que j'ai raconté les a intéressés et qu'ils sont conscients de mon apport. Dans un conseil d'administration, vous pouvez jouer un rôle d'alternative en apportant une vision un peu différente. Encore faut-il que cette vision présente un intérêt dans le conseil. Si tout le monde fait bloc, vous ne faites que regarder passer les trains. Mais plusieurs présidents importants et proches de la présidence actuelle m'ont dit qu'ils avaient besoin de moi, et que ce serait une bonne chose si je pouvais rester. Ils me l'ont dit avant l'élection et le jour de l'élection.

M. Michel Savin, rapporteur. - Comment expliquez-vous, dès lors, la quasi-unanimité qui prévaut au sein de la LFP autour du président sortant ? Surtout après le constat que vous venez de dresser sur la situation de la LFP...

M. Cyril Linette. - Le constat que je fais sur la situation de la LFP n'est pas partagé par les votants, sans doute, même si un certain nombre d'arguments, notamment sur le management, ont peut-être porté. La vision que j'ai développée sur la nécessité de revoir le modèle économique n'est pas partagée aujourd'hui par les membres du conseil d'administration, tout simplement. Je parle des clubs, je parle des familles, et je parle de la Fédération française de football. Philippe Diallo a très bien expliqué la situation dans L'Équipe. Il a dit qu'il y a eu une vraie élection démocratique, avec deux visions qui se sont affrontées. Et une vision l'a emporté très largement, y compris avec les voix de la Fédération française de football, qui a deux représentants au conseil d'administration. Donc ma vision n'est partagée ni par les clubs, ni par les familles, ni par la Fédération française de football. D'où mon questionnement sur l'intérêt de ma présence au conseil.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez parlé tout à l'heure du positionnement des représentants de la Ligue 2. C'est un peu surprenant vu de l'extérieur. Le collège s'est réuni la veille de l'élection, avec un vote démocratique des clubs de Ligue 2, pour choisir le candidat qui serait soutenu par les deux représentants de la Ligue 2. C'est vous qui avez été retenu par ce vote et, en fin de compte, les deux représentants n'ont pas voté pour vous. Quelle est votre réaction par rapport à ce positionnement ? Un des représentants annonce qu'il va obtenir dans les deux ou trois mois 1,5 million d'euros par club de Ligue 2...

M. Cyril Linette. - Dans la gouvernance du sport français, quand vous n'êtes pas au pouvoir, il est très difficile de faire prévaloir ses arguments parce que vous n'avez pas à votre main un certain nombre de leviers qui sont aux mains des gens qui dirigent. Je crois que c'est assez classique, donc je n'ai pas d'interprétation particulière sur ce point.

M. Michel Savin, rapporteur. - Est-ce à dire que cette annonce faite par le représentant de la Ligue 2 résulte d'un accord avec les représentants de la Ligue ?

M. Cyril Linette. - Quand on est président de la Ligue, on a la main sur un certain nombre de sujets, y compris financiers, qui sont très utiles dans un contexte électoral. On l'a vu d'ailleurs au moment des discussions sur le deal avec CVC, qui sont intervenues pendant les élections. C'est un sujet classique. Moi, je viens avec mes idées. Je n'ai pas de levier. Je ne peux pas agir sur l'ensemble des clubs.

M. Michel Savin, rapporteur. - Pour moi, ce n'est pas un sujet classique. Si, la veille d'une élection, une proposition est faite de verser 1,5 million d'euros par club, cela peut interroger !

M. Cyril Linette. - Je ne peux pas le confirmer et dois donc m'en tenir à des propos généraux. Mais lorsque vous êtes en responsabilité, vous avez la possibilité de discuter avec vos électeurs beaucoup plus que lorsque vous êtes un candidat d'alternance. Ces faits ont-ils pesé sur le choix des électeurs au conseil d'administration ? Je ne peux pas le démontrer.

M. Michel Savin, rapporteur. - Faut-il supprimer le système de parrainages ?

M. Cyril Linette. - Non, mais il faut le clarifier. Je comprends la position des familles du football, qui souhaitent avoir un représentant supplémentaire au conseil d'administration, en tout cas ne pas être privées de la possibilité d'en choisir un à chacune des élections. Je pense que la meilleure solution est probablement d'augmenter d'un ou deux le nombre d'administrateurs pour permettre à la fois que les familles aient clairement un représentant autodésigné à chaque élection, et qu'il y ait à chaque fois la possibilité d'avoir au moins un candidat alternatif par rapport au président sortant.

De toute façon, dans la vie des entreprises, on a plutôt tendance à augmenter le nombre d'administrateurs indépendants qu'à le réduire. C'est une tendance de fond, car il est bon d'avoir des personnalités qui viennent de l'extérieur. C'est vrai qu'il ne faut pas être 25 si l'on veut bien travailler, mais, de mon point de vue, la meilleure solution est de revenir à un système qui permette aux familles de parrainer leurs candidats sans avoir d'impact sur le choix que les présidents de clubs peuvent faire au sujet du patron opérationnel.

M. Laurent Lafon, président. - Il y a eu aussi des interrogations sur le calendrier de l'élection, qui intervient début septembre, dans une période forcément chargée, avec un délai de campagne très court. Qu'en pensez-vous ?

M. Cyril Linette. - Pour le coup, c'est un choix délibéré. La LFP s'est abritée derrière les statuts : puisque le président avait été élu le 10 septembre, il a organisé l'élection un 10 septembre. Compte tenu de l'été très agité que nous avons eu, avec une négociation des droits qui s'est terminée au 31 juillet, il aurait été probablement de bonne politique de tenir cette élection en octobre ou en novembre. Je regrette, comme beaucoup, que nous n'ayons pas eu un peu plus de temps. La Ligue 2 s'est prononcée pour le report de l'élection, elle n'a pas été entendue. La Ligue 1 ne l'a pas fait. Si la Ligue 1 l'avait fait, je pense que les choses auraient pu se dérouler différemment. Son choix a été confirmé par son vote au conseil.

M. Michel Savin, rapporteur. - Passons aux droits de diffusion. Avant que DAZN ne signe le contrat, la presse avait rapporté que le président de la ligue espérait un accord avec beIN, à hauteur de 700 millions d'euros pour l'ensemble des droits domestiques. Avez-vous eu connaissance de ces discussions entre le président et beIN ?

M. Cyril Linette. - Non.

M. Michel Savin, rapporteur. - Même pendant votre campagne ?

M. Cyril Linette. - Quand je suis entré dans la campagne, fin juillet, c'était terminé. Sur la négociation des droits, je n'en sais pas plus que ce que j'ai lu dans la presse, comme vous. Mais c'est toujours facile de refaire l'histoire après coup. Ce sont des sujets compliqués, on se dit toujours qu'on aura mieux ensuite, etc. D'ailleurs, dans la campagne, j'ai très peu évoqué ce sujet, j'ai plutôt parlé des tendances de fond, sur le fait que le football français changeait trop souvent de diffuseur et sur la baisse des droits. Pour moi, il y a une contradiction entre le caractère rationnel des investissements de beIN et la position très libérale du PSG, alors que c'est le même management ! Aujourd'hui, beIN compte son argent et n'est plus prêt à mettre 700 millions d'euros. Cette position n'est pas complètement en ligne avec la position très volontariste consistant à vouloir avoir de gros moyens et être très puissant en Europe, qui est à la base de la construction de ce grand club qu'est le PSG.

M. Michel Savin, rapporteur. - Un nouveau contrat de 100 millions d'euros avec beIN vient compléter l'offre de DAZN. À l'heure où nous parlons, il n'est toujours pas signé. Il y aurait 80 millions d'euros pour les droits TV et 20 millions d'euros de sponsoring. Vous qui avez travaillé dans la télévision, pensez-vous que cette offre de beIN peut fragiliser l'offre de DAZN ?

M. Cyril Linette. - Oui, mais je ne veux pas donner l'impression de juger des décisions après coup. Une offre exclusive pour DAZN aurait été une bien meilleure histoire à raconter pour eux. J'ai le sentiment que DAZN aurait eu une offre plus puissante s'ils avaient obtenu l'exclusivité de la Ligue 1. C'est ce que Canal+ a souvent su faire, c'est ce que Canal+ fait aujourd'hui avec la Ligue des Champions. L'exclusivité est un élément concurrentiel très important.

M. Michel Savin, rapporteur. - Tout à l'heure, vous avez évoqué le positionnement très différent entre beIN et le PSG. Sur cet accord, y a-t-il eu des interventions politiques ou du président du PSG ?

M. Cyril Linette. - Non. Si j'ai bien compris ce que j'ai lu dans la presse, l'offre de DAZN avait baissé par rapport aux toutes premières discussions. La première offre était à 500 millions d'euros pour l'exclusivité, mais elle a été vivement rejetée par le président de la LFP, qui espérait obtenir beaucoup plus. DAZN est revenu beaucoup plus tard dans le processus, avec une offre, logiquement, beaucoup plus basse. Du coup, la LFP a refusé l'exclusivité et a cherché un complément avec beIN. C'est une solution assez logique qui, de mon point de vue, n'est pas celle qui construit le plus de valeur, ni pour DAZN ni pour le championnat, mais qui permettait de revenir au montant initialement proposé par DAZN pour l'exclusivité.

M. Laurent Lafon, président. - Dans l'accord avec beIN, il y a 20 millions d'euros de sponsoring ; c'est une nouveauté, en tout cas dans le cadre d'une relation avec un diffuseur. Nous croyons savoir qu'il s'agit d'une contractualisation avec Qatar Tourism. Est-ce que cela fait partie des instruments que vous évoquiez tout à l'heure et que le président de la ligue pouvait utiliser avant la campagne pour nouer des relations particulières avec certains clubs ?

M. Cyril Linette. - Non, car je pense que ce contrat de sponsoring de 20 millions d'euros n'est pas très confortable pour les clubs. Certains n'ont pas forcément envie de faire la promotion de Qatar Tourism, car il y a des rivalités de supporters et autres donc ce n'est pas toujours simple. Et quand vous devez mettre à disposition 20 millions d'euros d'espaces publicitaires, ce sont autant d'espaces que vous ne pouvez pas vendre à d'autres partenaires. Donc je ne vois pas tellement d'avantages pour les clubs. Je pense que la plupart des clubs auraient préféré 100 millions d'euros fermes de droits. C'était beaucoup moins compliqué opérationnellement et cela offrait des revenus supplémentaires en termes de marketing, de sponsoring.

À mon avis, cela correspond à une conclusion en urgence des négociations par la LFP ; beIN étant très comptable de ses investissements, elle a imposé une contrepartie pour arriver aux 100 millions d'euros souhaités, qui était de mettre 20 millions d'euros au service de la visibilité de sa marque.

M. Laurent Lafon, président. - Savez-vous pourquoi ce contrat n'est pas signé à ce jour ?

M. Cyril Linette. - Peut-être parce qu'il pose quelques problèmes opérationnels pour les uns ou les autres. Certains clubs n'ont pas d'espace à proposer ou n'ont pas envie d'en proposer.

M. Laurent Lafon, président. - Cela n'a pas été débattu en conseil d'administration...

M. Michel Savin, rapporteur. - Peut-être ce contrat pose-t-il aussi un problème avec DAZN. Pensez-vous qu'il risque de fragiliser le contrat avec DAZN ? DAZN a-t-il son mot à dire ?

M. Cyril Linette. - Non, DAZN n'a pas son mot à dire. Bien sûr, DAZN aurait été plus confortable avec une exclusivité. Cela n'a pas été le choix de la LFP, qui a préféré avoir deux diffuseurs. Cela permet à Canal+ de garder du football, de garder de la Ligue 1, parce que les abonnés de Canal+ ont accès à beIN. Cela offre donc à Canal+ sur un plateau un match de Ligue 1. Il faudra voir si c'est constitutif d'une relation qui peut se recréer ou si au contraire l'objectif de priver Canal+ de la Ligue 1 n'a pas été manqué dans cette opération....

Mais je suis toujours gêné de juger après coup le résultat d'un appel d'offres ou de négociations de gré à gré. Qu'est-ce qui a été promis à un moment ? Qu'est-ce qui a été dit ? Qu'est-ce qui s'est passé dans les réunions ? En tous cas, le montant obtenu est faible et DAZN aurait été plus puissant avec l'exclusivité. Mais peut-être était-il intelligent de garder beIN, donc Canal+, dans la boucle.

M. Michel Savin, rapporteur. - Comprenez-vous la demande des clubs de pouvoir renégocier au bout de deux ans le partenariat avec DAZN ? Cela ne fragilise-t-il pas le contrat ?

M. Cyril Linette. - Si, c'est un peu risqué. C'est toujours l'idée qu'on aura mieux dans deux ans - ce qui n'est jamais garanti.

Je n'étais pas dans les discussions, je n'ai pas vu les garanties, je ne sais pas exactement comment tout cela s'est joué. Vincent Labrune s'est battu pour que les contrats durent cinq ans, ce qui est une très bonne bataille, car il est essentiel pour les ligues de trouver un moyen d'avoir des partenariats plus longs. Mais il a dû mettre en place une clause de sortie, sans doute sous la pression des présidents qui n'étaient pas satisfaits du montant. Cette clause est risquée. Pour le moment, le football français ne doit pas se poser d'autres questions que de faire le meilleur accueil possible à DAZN, de faire en sorte qu'il se développe le mieux possible. Je partage les points de vue sur les prix, sur le dispositif éditorial, car il y a des choses qui peuvent être améliorées. Mais à ce stade, il faut travailler de manière pragmatique avec les gens qu'on a avec soi et, aujourd'hui, DAZN est un partenaire majeur du football français.

M. Laurent Lafon, président. - Dans votre propos liminaire, vous avez indiqué que l'audience avait été divisée par cinq lors du passage de Canal+ à Amazon Prime Video. Avez-vous les chiffres d'audience ?

M. Cyril Linette. - Non, j'ai subodoré.

À mon époque, les grands matchs sur Canal+ pouvaient réunir entre 2,5 millions à 3 millions de téléspectateurs. Je n'imagine pas Amazon Prime Video avoir pu réunir plus de 600 000 ou 700 000 spectateurs à l'occasion d'un match important.

M. Laurent Lafon, président. - Dans ces conditions, l'objectif de DAZN de 1,5 million d'abonnés d'ici à deux ans est-il réaliste ?

M. Cyril Linette. - Il ne faut pas confondre abonnement et audience. Avoir 1,5 million d'abonnés ne signifie pas que tous regarderont le même match.

M. Laurent Lafon, président. - Il y a tout de même une corrélation...

M. Cyril Linette. - Les abonnés ne regardent pas tous les matchs : quand 50 % ou 60 % du bassin d'abonnés regardent le match qui est diffusé, c'est déjà beaucoup.

Sur Canal+, lors des grands matchs, on arrivait à 45 % ou 50 % de taux d'audience. Certes, cette chaîne proposait une offre plus large. Avec une population plus captive, ce taux pourra monter - 60 % à 70 % -, mais n'atteindra jamais 100 %,

M. Michel Savin, rapporteur. - L'objectif, c'est le nombre d'abonnés : 1,5 million, est-ce réaliste ?

M. Cyril Linette. - Dans les conditions actuelles, ce sera très difficile. Amazon Prime Video y est parvenu avec un prix beaucoup plus bas et une offre sans commune mesure.

En France, on dénombre à peu près 1,5 million de fans éperdus de La Ligue 1. Quand le dispositif de Pay per view était proposé par Canal+, le nombre d'abonnés n'a jamais dépassé le million. Aujourd'hui, ces abonnés ne sont pas partis. En effet, Canal+ s'est toujours débrouillé pour conserver un bout de Ligue 1, notamment avec beIN, et a fait d'autres investissements, avec notamment la Ligue des Champions pour laquelle la chaîne a investi des montants comparables à ceux autrefois consacrés à la Ligue 1.

Aujourd'hui, les 1,5 million de fans de football payent 30 euros par mois pour avoir Canal+ et beIN. Leur demander de mettre 30 euros supplémentaires pour avoir la Ligue 1, je pense que ce n'est pas possible. Ils peuvent accepter de payer une dizaine d'euros supplémentaires, comme ce fut le caspour accéder à l'offre complémentaire d'Amazon Prime Video et voir d'autres matchs de ligue 1 ; en revanche, on ne peut pas leur demander de payer 30 euros de plus.

Un tel objectif me semble impossible à atteindre sans un accord permettant à DAZN d'être distribué par Canal+ à un prix négocié entre les deux parties, pour avoir la totalité de l'offre de football.

M. Michel Savin, rapporteur. - Croyez-vous à un projet de chaîne 100 % Ligue 1 ?

M. Cyril Linette. - En 2024, il faut proposer non plus une chaîne avec une grille des programmes, mais plutôt une plateforme digitale. C'est un beau projet, qui présente un intérêt, mais il faut le concevoir en complémentarité.

Les grandes ligues américaines ont réussi à mixer les deux : elles ont des accords très puissants avec des broadcasters classiques qui diffusent une partie des matchs et, grâce au NBA Pass, elles proposent la totalité des matchs via une offre de streaming, à des prix réduits, avec des offres inventives qui permettent aux gens de choisir les matchs qui les intéressent, par exemple uniquement les matchs de l'équipe qu'ils soutiennent. Il s'agit ainsi à la fois d'un business très traditionnel de diffuseur, exclusif et puissant, pour lequel il faut payer beaucoup d'argent, souvent avec des offres plus généralistes, et d'une offre de streaming avec des prix plus attractifs pour des clients plus jeunes.

La Ligue française de football doit travailler en ce sens. Pour autant, cela ne pourra pas se substituer, comme je l'ai entendu au moment de la négociation, à 100 % aux diffuseurs classiques. C'est impossible. Il faudra des années pour parvenir à retrouver le bassin d'abonnés des diffuseurs classiques comme Canal+, qui ont des abonnés captifs présents depuis très longtemps.

Par ailleurs, la montée en puissance pour avoir un grand nombre d'abonnés va être très lente. On oublie toujours que, dans la télé payante, les produits ne sont pas autoporteurs : il faut négocier des contrats de distribution. Surtout, il faut du marketing pour faire connaître la marque et faire connaître la chaîne. Tout cela prend beaucoup de temps.

Pour ce projet, le football français doit réserver des montants d'investissement de l'ordre de plusieurs dizaines de millions d'euros, non seulement pour investir dans le produit, mais aussi pour compenser le manque à gagner inévitable pour les broadcasters. Il faut un plan d'investissement.

M. Jean-Jacques Lozach. - Il faut mettre à votre actif d'avoir introduit le débat entre deux conceptions différentes de l'avenir du football français. Pour autant, nous n'avons pas l'impression qu'il y ait eu véritablement une campagne électorale : les délais ont été raccourcis et le corps électoral s'est lui-même rétréci. Que seules quatorze personnes votent pour le président sortant, qui détermine l'avenir du football professionnel, est tout de même contraire à l'esprit de la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, et notamment à démocratiser la gouvernance du sport.

Nous avons l'impression que, dans ce microcosme des dirigeants, prédomine une sorte de pensée unique, voire de suivisme, à savoir l'ultralibéralisme économique et une mondialisation à marche forcée. On considère de plus en plus un club professionnel comme un simple objet spéculatif.

Vous tenez un discours différent. Vous parlez en particulier d'identité territoriale ; en tant que sénateurs, nous sommes très attachés au lien territorial. Vous parlez d'émotion ; le sport doit en effet être un promoteur d'émotion et nous l'avons notamment vu au moment des jeux Olympiques. Vous évoquez également la traçabilité des fonds d'investissement plus ou moins exotiques qui investissent dans les clubs ; or aujourd'hui la moitié des clubs français appartiennent à des fonds d'investissement étrangers, alors que l'on parle de souveraineté économique.

Comment expliquez-vous une telle inertie, alors même que des erreurs ont été commises ? Ainsi, les droits TV de la Ligue de football professionnel ont été estimés à 1 milliard d'euros, alors que l'accord qui a été signé porte sur 500 millions d'euros. Il y a là une erreur d'appréciation importante.

On a l'impression que le football professionnel, c'est un peu l'État dans l'État, qu'il y a des zones de non-droit et des conflits d'intérêts permanents, puisque ce sont les mêmes qui fixent les règles, qui les financent, qui les évaluent et qui se les appliquent à eux-mêmes, sans parler de la multipropriété. Quel est votre sentiment à ce propos ?

Par ailleurs, dans votre programme, qui était pourtant détaillé, vous n'avez pas évoqué les agents sportifs. Pourtant, leur rôle me paraît clef dans le déroulement des championnats.

Que peut-on faire par la loi ? Certes, il y a un principe d'autonomie - et non d'indépendance - du mouvement sportif par rapport à l'État, mais il y a également l'omnipotence de la FIFA et de l'UEFA. À vos yeux, quelle est notre marge de manoeuvre ? Nous sommes prêts à légiférer pour aller vers plus de régulation, plus de transparence, plus de démocratie, mais cela nous semble assez contraint.

Je souhaite vous interroger également sur l'aspect structurel des clubs. Certains clubs professionnels ont-ils amorcé une réflexion pour faire évoluer les statuts actuels vers des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC), qui ont été créées dans la loi de 2022 ? En matière de structure de l'actionnariat, que pensez-vous de la règle allemande du « 50 plus 1 » ?

Enfin, dernière question plus corrosive : allez-vous jouer un rôle dans LFP Media ?

M. Cyril Linette. - Je ne souhaite pas accabler les présidents. Ce sont des gens passionnés, qui ont bien souvent d'autres activités et qui, selon moi, ne voient le contexte concurrentiel que du point de vue sportif. C'est leur seul sujet. Ils ne voient pas qu'ils sont en concurrence avec d'autres sports ou avec l'industrie du divertissement et qu'il leur faut travailler l'image de leur club et la relation avec leurs clients. Ils ont le sentiment que leurs supporters ne leur demandent que des résultats et des meilleurs joueurs. Or ce n'est pas si vrai. Les supporters demandent de l'engagement au stade, de l'émotion, des équipes qui leur ressemblent, un bon accueil dans les stades, une diffusion télévisuelle accessible.

Aujourd'hui, les présidents sont dans une fuite en avant sportive qui peut se comprendre. Ils ne voient que le match d'après ou les droits supplémentaires qu'ils engrangeront, parce que leur club gagne une place au classement ou passe un tour en Coupe d'Europe.

Je n'ai pas suffisamment réfléchi aux questions de régulation ou au rôle de la loi. Il ne serait donc pas sérieux que je les évoque devant vous.

Vous avez parlé du système à l'allemande. Culturellement, les associations continuent d'avoir un vrai pouvoir et de peser ; les propriétaires des clubs français s'arrogent surtout les droits commerciaux des clubs. Reste que le système peut encore être équilibré.

Pour ma part, je ne tire pas à boulets rouges sur les investisseurs. Malheureusement, pour plein de raisons, les forces économiques françaises sont très peu dans le football. Il s'agit d'un sport qui requiert de l'argent. Les Américains s'intéressent au football français parce que l'actif n'est pas très cher et surtout parce qu'ils sont persuadés qu'ils seront capables de faire de l'argent. Ils découvrent ensuite que les ligues ne sont pas fermées et que le risque de relégation existe, que l'écart type des droits est très large entre les meilleurs et les moins bons.

Comment les Américains, qui ont connu cette même crise dans les années 1970, s'y sont-ils pris pour changer cette situation et développer les ligues au point de les rendre extrêmement puissantes ? La NBA, c'est une fois et demie le chiffre d'affaires de la Premier League ! Ils ont fait des ligues fermées, ce qui n'est pas forcément dans l'air du temps, et créé un système de répartition des droits extrêmement égalitaire, incluant la possibilité pour les équipes les moins bonnes de récupérer les meilleurs joueurs pour recréer systématiquement les conditions d'une compétition. Ils ont sécurisé les investisseurs, qui payent très cher pour avoir le droit de participer à leurs compétitions, mais qui sont sûrs d'avoir des actifs qui seront toujours valorisés par l'entertainment, par les spectateurs, et qui sont moins dépendants des aléas sportifs. C'est donc un système complètement à rebours du nôtre.

Comment préserver notre système tout en permettant à des investisseurs étrangers d'y trouver du plaisir et de l'intérêt, sans se contenter de perdre des fortunes et de revendre au mieux ? Je ne sais pas. Aujourd'hui, quasiment tous les clubs de Ligue 1 sont à vendre et quasiment tous les acheteurs sont étrangers, tout comme les fonds d'investissement.

Pour répondre à votre dernière question, j'étais candidat à la présidence de la Ligue de football professionnel. Je n'avais pas d'autre objectif.

M. Adel Ziane. - Dans les années 1980 et 1990, les forces économiques françaises étaient présentes dans le football français - Lagardère, Tapie... Elles se sont progressivement retirées et ce sont aujourd'hui des partenaires étrangers qui les remplacent.

Où en est la Ligue 1 aujourd'hui ? Nos auditions ont montré que le football français était beaucoup tourné vers la vente de jeunes joueurs pour équilibrer son modèle économique.

Comment voyez-vous les choses dans les prochaines années ? Est-on dans une phase de déclin avec un championnat à trois vitesses, avec des équipes qui peuvent accéder aux championnats européens et d'autres qui n'arrivent pas à émerger ? La France est entre les cinq plus gros championnats et les championnats que vous avez qualifiés de challengers.

La Ligue et la Fédération française de football sont aujourd'hui liées par une convention, qui porte une sous-délégation de service public. Cette convention contient beaucoup d'éléments financiers, mais peu sur les questions de gouvernance. Sans parler de légiférer pour le moment, comment renforcer cette relation en termes de droits et de devoirs ?

M. Cyril Linette. - On pourrait imaginer un système à l'anglaise : la Fédération serait en charge du régalien, y compris l'organisation des compétitions, et la Ligue serait entièrement tournée vers le business et l'aspect commercial et se chargerait de monétiser le produit. Cela simplifie les choses et évite d'avoir des présidents dans tous les sens : le patron business est à la tête de la LFP et la Fédération règle les autres aspects, notamment ce qui relève de l'arbitrage.

Cette grande réforme permettrait d'avoir une fédération régalienne en charge de l'ensemble de l'organisation des compétitions - le football féminin, les différents footballs, le football masculin, y compris le football professionnel - et une Ligue dont le métier est de faire du business. Cela pourrait être une solution de clarification et éviterait de multiplier les instances. J'ignore si ce débat s'engagera à l'occasion de l'élection à la Fédération française de football.

Sur le sujet précédent, la France est au milieu et son objectif est d'y rester. Comment se comparer à l'Italie qui a gagné 32 coupes d'Europe quand on en a gagné 2 ? Avec une zone de chalandise de 68 millions d'habitants, on est a priori mécaniquement plus fort que les Pays-Bas, le Portugal et la Belgique, mais le palmarès est inférieur à l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre et l'Espagne. Il faut veiller à ne pas faire moins pour éviter cette fuite en avant et éviter de complètement décrocher. Aujourd'hui, le football français doit surtout maintenir son niveau de revenus, mais travailler sur ses charges et sur son produit pour éviter d'avoir des déficits absolument gigantesques et une relation client de plus en plus détériorée.

Si les droits TV se maintiennent aux alentours de 600 millions d'euros, c'est une bonne chose, mais il faut préserver l'aspect territorial et faire vivre 38 ou 40 clubs professionnels de bonne qualité. Il faut mettre en place un système de protection pour les plus faibles, qui sont dans une situation de crise et qui sont ceux qui souffriront le plus.

M. Stéphane Piednoir. - Je reviens sur la perte substantielle de droits TV. Ce sont évidemment les petits clubs qui vont payer le plus lourd tribut. Pour eux, c'est dramatique En tant que sénateur de Maine-et-Loire, je pense au club d'Angers, qui revient en Ligue 1 et qui est touché de plein fouet par cette perte de revenus.

Il y a une dépréciation de la valeur marchande de la Ligue 1. Ce n'est pas qu'une question de palmarès : on n'a pas de locomotives, on n'a qu'un club phare dans la capitale. Il n'en est pas du tout de même dans les autres pays européens que vous avez cités. On a parlé de Lagardère, qui avait créé le Matra Racing, il y a le Paris FC. Avoir un second club costaud dans la capitale serait un premier objectif.

Je me place du point de vue des 1,5 million d'abonnés qui suivent attentivement le football national et international - j'en suis. Il faut se mettre à la place des consommateurs : pour vivre leur passion par écran interposé, ils sont obligés d'avoir deux, trois, quatre abonnements. Ce n'est plus possible !

Et que dire du lien cassé avec Canal+ ? J'ai subi cela comme un vrai traumatisme ! Que pensez-vous de la revanche de Canal+, avec l'exclusivité des droits sur les Coupes d'Europe ? Ne craignez-vous pas qu'en France on détourne complètement le public d'une ligue peu attractive au profit d'un championnat européen qui est en train de naître ? Il n'est qu'à voir les matchs : il y a de la vitesse et du spectacle. Et c'est bien cela dont ont envie le spectateur ou l'abonné.

M. Cyril Linette. - Je ferai une réponse globale.

Il y a de la place pour le football domestique : une rencontre entre Nice et Monaco ou entre Lille et Lens aura toujours un intérêt. C'est une affaire locale, une affaire de territoire, c'est créateur d'emploi et de lien social. C'est cela qu'il faut protéger.

À mon sens, ces deux footballs peuvent parfaitement cohabiter et la mission de la LFP, c'est aussi de faire en sorte que ce football survive. Les matchs anglais sur Canal+ sont toujours moins regardés que les matchs de Ligue 1, même si le spectacle est souvent bien supérieur. La Ligue des Champions va intéresser et passionner les spectateurs français, mais, quand les clubs français seront éliminés, ce sera complètement différent.

Le sport reste une affaire d'ancrage, de local, de transmission. Il ne faut pas y renoncer, d'autant qu'on n'a pas beaucoup de liens sociaux dans la société. Notre mission à tous consiste à les maintenir. Le sport en fait partie.

Il y a tout de même le Paris Football Club ! Il finira un jour par monter en Ligue 1. Pierre Ferracci a des ambitions. C'est dur, le sport à Paris. Beaucoup de clubs ont du mal à remplir les stades. Le PSG a réussi, mais l'engouement est moindre, hors coeur de cible, depuis qu'il n'y a plus les grandes stars. À Paris, les gens sont plus volatils, ils ont accès à pas mal de sources de divertissement.

Oui, avoir cassé ce lien avec Canal+ a été catastrophique. Il y a certainement des torts des deux côtés, mais Canal+ plaçait le foot à un niveau différent. Vous pouvez toujours faire autant de chaînes de sport que vous voulez, ce n'est pas la même chose qu'une marque aussi emblématique qui embarque depuis longtemps une offre généraliste. Quand le foot est sur Canal+, il est dans un écrin. Le Top 14 l'a très bien compris.

Quand j'ai démarré il y a trente ans, le basket français et le rugby français étaient au même niveau, en nombre de licences et en volume d'audience. Le rugby est resté trente ans fidèle à Canal+, alors que le basket a changé de diffuseur tous les trois ans, un peu comme le fait le foot actuellement. Il n'est qu'à comparer la situation actuelle des deux. Le rugby a compris qu'en étant sur Canal+ il était logé dans un écrin qui, mécaniquement, le valorise. Si une chaîne 100 % rugby était créée, le rugby serait-il aussi visible qu'aujourd'hui ? Je suis sûr que non. Certains regardent le rugby, parce qu'il est sur Canal+. C'est la puissance des marques.

Casser ce lien a été une énorme erreur. Pourra-t-il être recréé ? C'est possible, mais pas dans l'état actuel.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez abordé la baisse des coûts, le soutien des revenus principaux et le développement de nouvelles sources de financement. Pensez-vous qu'il est possible de revoir la masse salariale globale et de limiter le nombre de contrats professionnels par club ? Dans certains clubs professionnels de la Ligue 1, une quarantaine de contrats par club ont été signés, alors même qu'une dizaine de joueurs ne jouent pas, ou très peu. Une telle piste pourrait-elle être suivie ?

M. Cyril Linette. - Limiter la masse salariale dans les clubs me semble non seulement possible, mais indispensable, et cela n'aura pas un impact énorme sur les résultats sportifs. Il n'est pas possible de continuer à avoir des masses salariales supérieures aux revenus d'exploitation, en considérant que les transferts seront l'occasion de se refaire. L'Espagne le fait. La Liga a accompli un travail remarquable : sur la captation des images, en se créant une identité très spécifique, sur sa politique commerciale, avec des locaux extrêmement modestes dans la banlieue de Madrid, mais avec des gens partout dans le monde pour vendre le championnat, sur le contrôle des coûts et le fléchage des investissements. Elle a petit à petit fait baisser le ratio entre la masse salariale et les revenus.

Non seulement c'est possible, mais je pense que ce sera indispensable. Les présidents de clubs sont soumis à de nombreuses contraintes, au fait que le sportif dans un club est archi dominant, que les joueurs constituent l'actif d'un club, en termes de résultat, de droits et de vente.

M. Michel Savin, rapporteur. - Quel est votre avis sur l'achat d'un nouveau siège par la Ligue ?

M. Cyril Linette. - Il y avait d'autres priorités...

M. Michel Savin, rapporteur. - Supposons que vous avez été élu président : quel montant de salaire demanderiez-vous ?

M. Cyril Linette. - Si l'on garde le mode de gouvernance actuel, il faut diminuer le salaire de moitié par rapport à celui d'aujourd'hui. Le salaire d'un CEO de la LFP et de LFP Media peut tout à fait atteindre 600 000 euros annuels, mais il ne peut s'agir d'un salaire fixe. Il faut qu'au moins 50 % soient variables et conditionnés à des résultats, comme c'est le cas pour tout CEO. Les bonnes années, il peut atteindre cette rémunération ; les autres, la rémunération est égale à la moitié, soit 300 000 euros. En outre, cela permet d'instaurer au sein du conseil d'administration des sous-groupes comme un comité des rémunérations ou un comité d'audit et des risques, avec des objectifs chiffrés. Un tel montage ne me choquerait pas.

M. Laurent Lafon, président. - Vous semble-t-il normal que le président de la LFP soit également le président de LFP Media ?

M. Cyril Linette. - Je sais qu'il y a des discussions à ce propos. Beaucoup pensent qu'il faut séparer les deux fonctions, notamment CVC, parce qu'il y a, d'un côté, l'organisation, de l'autre, le business.

Pour ma part, je pense qu'il pourrait y avoir transfert du régalien à la Fédération. Aujourd'hui, l'essentiel du travail du président de la LFP s'articule autour de LFP Média. Un président qui ne s'occuperait que de la LFP exercerait un pur travail de représentation. L'organisation des compétitions étant aux mains du DG, ce serait presque un travail non exécutif. Si l'on met un exécutif à la tête de la LFP, il paraît logique qu'il s'occupe aussi du volet business qui représente aujourd'hui 90 % des coûts, du chiffre d'affaires et des effectifs de LFP Media.

Pour ce qui me concerne, je séparerais le régalien du business, mais pas forcément de cette manière. Cela revient à la même chose, à savoir une entité business et une entité régalienne, que cette dernière relève de la LFP ou directement de la FFF.

M. Michel Savin, rapporteur. - Le piratage est une crainte qui est souvent revenue dans nos auditions. Quel est votre sentiment à ce propos ?

M. Cyril Linette. - Le piratage est évidemment un fléau qu'il faut combattre. Des actions ont été menées à l'échelon européen et le sont aujourd'hui à l'échelon français.

Mon point de vue, c'est que le piratage est la conséquence de mauvais choix plus que la cause. La musique et la presse se sont retrouvées du jour au lendemain totalement gratuites. Ces modèles ont réussi à recréer de la valeur en remonétisant leur offre avec des fonctionnalités, de l'expérience client et des prix accessibles. Il faut combattre de manière discrète et résolue le piratage et trouver le moyen de construire des offres accessibles pour ceux qui ne sont pas abonnés à Canal+, c'est-à-dire, pour le dire vite, des jeunes qui ne s'abonnent pas à Canal+ parce que seul le foot les intéresse. C'est par des offres accessibles qu'on les fera se détourner du piratage et qu'on luttera par le positif et pas par le négatif contre celui-ci.

M. Laurent Lafon, président. - Dernière question, peut-être un peu personnelle. À l'issue de l'élection, vous aviez l'air déçu, mais surtout un peu surpris. Pourquoi ?

M. Cyril Linette. - Je pensais tout de même recueillir quelques voix ! J'ai eu de bonnes discussions avec eux et je ne peux pas dire qu'ils aient été hermétiques à mon discours. Reste qu'ils ont voté pour un seul homme et comme un seul homme. C'est un système : il ne faut pas qu'une voix manque pour reconduire le dirigeant. Tous se sont mis d'accord : les présidents de Ligue 1, de Ligue 2 en dépit du collège, les familles et la Fédération.

M. Michel Savin, rapporteur. - Ceux qui se sont mis d'accord sont ceux qui sont restés.

M. Cyril Linette. - Ceux qui ne sont pas restés savaient qu'ils n'allaient pas être élus !

M. Michel Savin, rapporteur. - On peut donc s'interroger sur le mode d'élection.

M. Cyril Linette. - Il n'y a pas de trucage !

M. Michel Savin, rapporteur. - Alors qu'elle compte dix-huit clubs, la Ligue 1 n'a que sept représentants au conseil d'administration. Par conséquent, les présidents qui étaient peut-être plutôt enclins à voter pour vous ont préféré se retirer puisqu'ils savaient qu'ils n'allaient pas être retenus dans le collège des sept. On se rend donc bien compte qu'il faut revoir l'organisation de cette élection en vue d'une plus grande pluralité et d'une plus grande transparence.

M. Cyril Linette. - Peut-être faudrait-il un conseil d'administration pluriel dans lequel des courants différents seraient mieux représentés qu'aujourd'hui. Pour autant, ce ne serait peut-être pas très efficace.

Les opposants potentiels ne se sont pas fait élire au conseil, c'est pourquoi il m'était difficile d'obtenir plus de voix. Néanmoins, je le maintiens, les discussions que j'ai eues avec les représentants élus au conseil, dont je savais qu'ils seraient élus puisque finalement les non-élus ou les non-éligibles ne s'étaient pas présentés, ont plutôt été bonnes. Voilà ce qui explique ma surprise.

M. Michel Savin, rapporteur. - Lors des auditions, nous avons été surpris d'apprendre qu'au moment de la création de la nouvelle société commerciale et de l'entrée de CVC, les présidents n'avaient pas tous pris connaissance du pacte financier et avaient fait confiance à une seule personne, alors que l'on parle de 1,5 milliard d'euros ! Il est tout de même un peu surprenant de voir qu'on laisse toutes ces prérogatives et toutes ces décisions aux mains d'une seule personne.

M. Cyril Linette. - Oui, je suis d'accord. Je pense que le travail du conseil d'administration doit être professionnalisé. C'était un de mes points. C'est pour cela que j'ai parlé de comités d'audit ou des rémunérations. Dans un conseil d'administration, les documents doivent être envoyés aux administrateurs, non pas la veille pour le lendemain, mais quinze jours avant, avec des synthèses... Je ne dis pas que cela a été fait sciemment, mais il y a bien là un enjeu d'organisation, afin que des décisions aussi structurantes puissent être prises en connaissance de cause.

C'est ce que j'appelle professionnaliser la LFP et sa gouvernance.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 10.