Mercredi 26 juin 2024

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Institutions européennes - Bilan de l'action de la délégation sénatoriale à l'Assemblée parlementaire de l'OSCE (AP-OSCE) et de sa mission à Chypre du 10 au 12 mars 2024, en amont de la 31e session annuelle de l'AP-OSCE à Bucarest - Communication de M. Pascal Allizard

M. Jean-François Rapin, président. - C'est devenu un usage - et je crois qu'il est bon - : nous allons entendre une communication de notre collègue Pascal Allizard sur l'activité de notre délégation à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE).

M. Pascal Allizard. - Le paradoxe que je soulignais en fin d'année dernière s'est malheureusement confirmé au cours du premier semestre de l'année 2024 : la branche exécutive de l'Organisation traverse la plus grave crise de sa jeune histoire - nous commémorerons l'an prochain le cinquantenaire de l'Acte final d'Helsinki - et elle est néanmoins condamnée sur le plan budgétaire et logistique à un court-termisme jamais vu. La présidence maltaise a fait de son mieux pour maintenir l'unité et la latitude d'action d'une organisation internationale qui présente la particularité d'être la seule, avec l'ONU, dont la Russie demeure membre à part entière. Dans cette nouvelle guerre froide, qui en fait est « chaude » actuellement, cela peut paraître, au choix, suranné ou, au contraire, très précieux pour le jour où il nous faudra reparler à la Russie.

Par optimisme béat ou non, mais plutôt par volonté de construire le jour venu, si possible au plus tôt, un nouvel ordre international de paix, je persiste à envisager cette option. Bien que, hélas, peu réaliste à court terme, elle préserve à moyen ou long terme les chances d'une sécurité durable ou, à tout le moins, d'un forum de négociation et d'échanges.

Dans quelques jours, l'AP-OSCE - je n'y serai pas compte tenu de la situation intérieure française - tiendra à Bucarest sa session d'été. Les Roumains, comme d'autres avant eux, notamment les Britanniques l'an passé, n'ont pas délivré de visa à la délégation russe, ce que nous souhaitions.

Le principal mérite, au moins théorique, de l'OSCE dans le monde actuel, de plus en plus conflictuel, est de continuer à incarner cette plateforme de discussion et de négociation.

Face aux tensions internationales que nous connaissons, sans précédent depuis la guerre froide, le volet parlementaire de l'OSCE fonctionne plutôt bien, avec une Assemblée qui fait entendre sa voix et peut témoigner d'actions qui ont une certaine influence.

Au cours de sa session d'hiver de Vienne, qui s'est tenue du 22 au 24 février dernier en l'absence des parlementaires russes, mais en présence d'une délégation biélorusse, la délégation française a été conduite, avec nos collègues députés, par Valérie Boyer, Ludovic Haye et moi-même.

À la veille de l'ouverture des travaux, nous avons fait connaissance avec la nouvelle représentante permanente de la France à l'OSCE, Mme Fatène Benhabylès-Foeth, qui a succédé à ce poste à Mme Christine Fages, nommée ambassadrice de France au Sénégal.

Les travaux ont commencé avec la première session plénière et les discours du président du Conseil national d'Autriche, Wolfgang Sobotka, de la présidente de l'AP-OSCE, Pia Kauma, du président en exercice de l'OSCE, le ministre des affaires étrangères et européennes de Malte, Ian Borg, et de la Secrétaire générale de l'OSCE, Helga Schmid. Le président et la secrétaire générale ont ensuite répondu aux questions des parlementaires, portant en particulier, et sans surprise, sur l'action de l'OSCE dans le Caucase du Sud et au Moyen-Orient.

La première commission générale, chargée des affaires politiques et de la sécurité, avait pour ordre du jour le travail de l'OSCE en Ukraine au cours de la guerre d'agression par la Russie. La délégation française y a pris toute sa part. Notre collègue Valérie Boyer a regretté, après la session d'automne qui s'était tenue à Erevan, de ne pas pouvoir se réjouir d'une avancée vers la paix dans le Sud Caucase. Elle a appelé l'Azerbaïdjan à cesser les provocations verbales et déploré qu'une rue de Stepanakert ait été renommée du nom d'un génocidaire de 1915 ; un membre de la délégation de l'Azerbaïdjan a alors indiqué que les parlementaires français manquaient de respect à son pays et que la France, en fournissant du matériel à l'Arménie, aggravait la situation... La tension entre nos deux pays est palpable à chacune de nos rencontres.

Puis ont eu lieu les réunions des deux autres commissions.

Ludovic Haye a participé à la réunion de la commission générale des affaires économiques, de la science, de la technologie et de l'environnement, dont le débat était intitulé « L'intelligence artificielle : une avancée technologique avec des implications en matière de sécurité ». De nouveau, quelques tensions étaient perceptibles, la présidente azerbaïdjanaise de la commission ayant tout fait pour ne pas donner la parole à notre collègue.

M. Jean-François Rapin, président. - Avez-vous interrogé les membres de la délégation de l'Azerbaïdjan sur l'ingérence de leur pays en Nouvelle-Calédonie ?

M. Pascal Allizard. - Oui. C'est justement l'un des sujets qui fâchent...

Parallèlement, la commission générale de la démocratie, des droits de l'homme et des questions humanitaires débattait des dissidents et prisonniers politiques.

Le 24 février, les parlementaires ont traité au cours d'une session plénière du sujet « La sécurité européenne aujourd'hui et demain : perspectives parlementaires ». Les inquiétudes du moment portaient sur les conséquences des élections européennes et américaines sur l'aide apportée à l'Ukraine. Toutes les réponses ne sont pas encore connues et, depuis les dernières élections européennes et la dissolution en France de l'Assemblée nationale, nous n'entendons plus guère parler de la vente d'armes...

La commission permanente, organe décisionnel de l'assemblée, s'est réunie le même jour. La présidente de l'AP-OSCE, le secrétaire général et le trésorier ont présenté leurs rapports. Les débats ont été nourris à l'annonce, par le trésorier, d'une augmentation à venir des contributions nationales en raison, notamment, du non-paiement de sa contribution par la Fédération de Russie et de l'inflation. Le président de la délégation française, qui est un député, et moi-même, en qualité de premier vice-président, sommes convenus de refuser ces augmentations budgétaires ; nous tenons cette ligne depuis plusieurs années, et je l'avais déjà défendue à Erevan.

Nous plaidons pour une répartition plus juste des contributions, plus en rapport avec les ressources actuelles des États membres. Il serait possible de compenser l'absence de contribution de la Russie et, éventuellement, de financer des actions nouvelles par la réévaluation des contributions de certains membres qui ne sont plus des pays en voie de développement. L'Azerbaïdjan paye par exemple moins de 2 000 euros par an, ce qui est tout à fait déraisonnable, d'autant que la fréquence de ses interventions est inversement proportionnelle à la faiblesse de sa contribution...

En marge de ces travaux, la délégation française s'est entretenue avec la délégation géorgienne, qui semblait soucieuse de passer pour une « bonne élève » au regard des principes de l'Acte final d'Helsinki, des droits de l'homme et de l'État de droit. Nous avons abordé le débat sur la loi d'inspiration russe relative aux ingérences étrangères, loi qui a depuis lors refait surface et a été adoptée par le Parlement géorgien. L'OSCE prévoit d'ailleurs d'observer les élections législatives dans ce pays à la fin du mois d'octobre prochain, les tensions y étant quasiment permanentes.

Nous nous sommes aussi attachés à travailler sur les sujets méditerranéens, à savoir plaider pour la paix et le respect des résolutions des Nations unies et du droit international humanitaire au Proche-Orient, à la faveur de rencontres bilatérales avec les délégations présentes des pays partenaires et leurs ambassadeurs.

En qualité de représentant spécial pour les affaires méditerranéennes, j'ai pu m'entretenir avec la présidente et le secrétaire général de l'AP-OSCE ainsi qu'avec une délégation de la Knesset, présidée par Ram Ben Barak, parlementaire de l'opposition à M. Netanyahou et par ailleurs ancien numéro deux du Mossad. Il a été possible de mesurer la volonté israélienne de réagir aux événements avec, chez certains, celle d'une pondération de la réponse.

Je me suis également entretenu avec l'ambassadeur d'Égypte à Vienne et représentant permanent auprès de l'OSCE, de même qu'avec une délégation de nos collègues parlementaires marocains. Une mission se prépare au Maroc pour septembre prochain. L'idée consiste à maintenir et à approfondir le dialogue avec les six pays partenaires de la rive sud de la Méditerranée, évidemment sur les problématiques de migrations, mais pas uniquement.

Le conflit israélo-palestinien prend bien entendu une place croissante dans ces débats.

Si les parlementaires israéliens et marocains répondent toujours présents - c'est d'ailleurs avec le Maroc que nous entretenons les liens les plus réguliers -, de son côté, l'ambassadeur d'Égypte se montre tout à fait ouvert et attentif à notre souci de renouer le contact avec son pays. En revanche, nos relations avec les représentants algériens demeurent très difficiles. Les Tunisiens se disent prêts à discuter à la condition que nous ne nous immiscions pas dans leurs affaires intérieures, ce qui, en fait, est une manière de nous opposer une fin de non-recevoir assez polie. Nous ne trouvons aucun interlocuteur jordanien. Nous n'en avons également plus auprès du Conseil national palestinien (CNP), qui n'a pas été renouvelé et qui ne siège plus.

Après nos échanges à Vienne, j'ai répondu à l'invitation d'Irene Charalambides, vice-présidente de l'AP-OSCE, de me rendre à Chypre, du 12 au 14 mars dernier, afin notamment de soutenir les efforts de ce pays, membre de l'Union européenne le plus proche géographiquement de la zone de conflit : il sert de tête de pont humanitaire de l'aide aux populations civiles de Gaza, acheminée par voie maritime depuis Larnaca, où j'ai visité le centre de commandement et de coordination de l'aide.

J'ai également eu un long entretien avec le Président de la République de Chypre, Nikos Christodoulides, qui s'est démené depuis plusieurs mois pour utiliser à meilleur escient la position avancée de son pays en vue d'ouvrir cette voie maritime de l'aide humanitaire. J'ai assisté aux préparatifs de la première mission d'un bateau d'une ONG pour acheminer des vivres et des médicaments, et échangé avec les autorités françaises sur le soutien que celles-ci seraient en mesure d'apporter au dispositif, baptisé Amalthea, pour que l'aide parvienne au port flottant de Gaza mis en place par les Américains.

Ces efforts louables ont, depuis lors, rencontré des obstacles d'ordre logistique, en raison notamment de conditions météorologiques particulièrement défavorables, mais aussi, voire surtout, de difficultés de prise en charge de l'aide sur le terrain. Face à la catastrophe humanitaire à Gaza, il convient de souligner, tout en reconnaissant l'importance des efforts déployés par Chypre, que l'acheminement de l'aide par voie terrestre, notamment depuis l'Égypte, demeure pour l'heure plus efficace.

J'ai ensuite reçu, ici même, deux semaines après ma visite à Nicosie et Larnaca, Irène Charalambides, qui a assisté à une séance de questions d'actualité au Gouvernement. Nous avons échangé avec l'ambassadeur de Chypre à Paris et avec nos collègues du groupe d'amitié, en particulier Pascale Gruny, qui en est la vice-présidente, et Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le sujet important de la parité qui mobilise, au sein de l'AP-OSCE, notre collègue chypriote.

C'est en effet sur sa suggestion que nous avions adopté un amendement au règlement de l'AP-OSCE tendant à faire progresser la parité au sein de ses instances comme au sein des délégations nationales. La question est loin d'être résolue dans plusieurs pays membres de l'OSCE. Je préside la sous-commission chargée du règlement de l'Assemblée et je puis à ce titre vous dire que des collègues parlementaires masculins d'un certain nombre de pays sont vent debout contre ce type d'initiative...

Je vous avais fait part lors d'une précédente communication des tentatives de notre collègue lituanien d'inscrire dans le règlement le principe non écrit selon lequel des objections peuvent être formulées par écrit par des délégations non présentes pour des raisons légitimes, telles que des élections, et prises en considération.

La règle actuelle de l'unanimité moins une voix paralyse l'organisation intergouvernementale. Il suffit que deux pays s'opposent à une résolution pour arrêter immédiatement le processus de son adoption. Dans ces conditions, nous nous interrogeons sur les modalités d'expression des pays membres. Faut-il exiger la présence de leurs représentants ? C'est un problème quand les délégations n'obtiennent pas les visas nécessaires à leur déplacement. L'usage veut que ces dernières puissent exprimer par écrit leurs observations.

Sur ma suggestion, l'amendement a été reformulé de manière un peu plus claire par son auteur. Cependant, celui-ci s'en est tenu à sa première proposition. J'ai indiqué, après réunions et consultations, que l'adoption de l'amendement permettrait de fixer la pratique actuelle dans le règlement, mais que son rejet n'invaliderait pas pour autant cette pratique, ce qui, semble-t-il, était l'objectif initial de l'auteur.

Je dois dire que je suis quand même choqué par le fait que, dans une situation internationale aussi compliquée que dangereuse, des collègues parlementaires s'emploient à définir des solutions subtiles qui visent, de fait, à empêcher le dialogue d'exister. Or la raison d'être de l'OSCE consiste avant tout à offrir une plateforme de dialogue, ce qui la distingue d'autres organisations internationales comme l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), l'Union européenne ou le Conseil de l'Europe.

Un autre amendement important a été examiné par la sous-commission du règlement, prévoyant de porter à deux ans non renouvelables la durée du mandat du président de l'AP-OSCE. La sous-commission l'a adopté et il devrait être entériné au cours de la prochaine assemblée d'automne à Dublin, de sorte qu'il s'applique non à la présidence en cours, mais à celle qui lui succédera. La présidente actuelle sollicitera le renouvellement de son mandat lors de l'assemblée plénière de Bucarest de la fin de cette semaine, et je souhaite qu'elle l'obtienne.

L'annonce de la dissolution en France de l'Assemblée nationale, au lendemain des élections européennes, a fait l'effet d'un coup de tonnerre sur nous tous, au sein de la délégation, et en particulier sur nos huit collègues députés. L'Assemblée nationale n'a à cette heure plus aucune délégation, que ce soit à l'OSCE ou ailleurs.

Quant à la délégation sénatoriale, elle ne comprendra finalement, à l'assemblée plénière de Bucarest, qu'un seul représentant, en la personne de Stéphane Demilly. Il représentera donc seul le Parlement français.

À propos des élections, je remercie mes collègues sénateurs Stéphane Demilly, Claude Kern et Alain Cadec qui ont accueilli la semaine dernière au Sénat une délégation de trois observatrices du bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH), chargées d'évaluer l'opportunité d'une mission d'observation électorale de cet organe de l'OSCE sur nos élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains. Compte tenu du délai d'organisation particulièrement court de ces élections, il a été question que seuls des experts du BIDDH soient présents, et non une mission d'observation composée de parlementaires. Je n'ai pas d'autre information à ce sujet, mais je vous rappelle que la France s'était opposée à toute mission d'observation sur ses élections présidentielle et législatives de 2022.

Outre la France, le calendrier des observations électorales est chargé cette année et nous ne pourrons nous rendre partout. Les membres de notre délégation se sont engagés à se déplacer en Moldavie ainsi qu'en Géorgie à la fin du mois d'octobre prochain, puis aux États-Unis au début de novembre. Nous verrons comment cet engagement pourra se concrétiser.

Dans un format paneuropéen très élargi, puisqu'il s'étend à la Turquie, au Caucase, à l'Asie centrale et à l'Amérique du Nord, l'OSCE constitue un forum de dialogue sur des questions qui intéressent non seulement sa zone géographique, mais l'ensemble de ses partenaires.

Le mois dernier, une importante conférence s'est ainsi tenue sur les problématiques de cybersécurité. Des scientifiques européens ont présenté ce qu'il est possible, en matière informatique, de créer, de modifier ou de falsifier. À l'évidence, nous évoluons vers un monde quelque peu virtuel et dangereux.

M. Jean-François Rapin, président. - La délégation sénatoriale à l'AP-OSCE permet d'enrichir les relations interparlementaires que nous entretenons au sein de la commission. Elle nous permet aussi de mettre le doigt sur certaines questions sensibles, par exemple en ce qui concerne l'Azerbaïdjan.

Vous avez évoqué Chypre, où une délégation devait se rendre le lendemain de l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale. Le président Gérard Larcher m'a alors suggéré de renoncer à ce déplacement. Il n'est néanmoins que remis, car il me semble important de prendre le pouls de ces îles méditerranéennes qui, les premières, reçoivent une immigration de différentes provenances. À cet égard, la question palestinienne s'agrège à bien d'autres.

M. Pascal Allizard. - C'est un sujet de plus.

M. Jean-François Rapin, président. - Je me souviens de la venue ici de la présidente du Parlement européen, Mme Roberta Metsola, qui nous avait prévenus que Chypre devenait la principale plateforme d'accueil de l'immigration à l'intérieur de l'Union européenne. Nous sommes désormais, sur cette île, à la croisée des chemins.

M. Ronan Le Gleut. - Je félicite Pascal Allizard pour sa présentation qui nous montre combien le travail est intense pour la délégation sénatoriale à l'AP-OSCE.

L'OSCE vise notamment la coopération de ses membres en matière de sécurité. Or la Fédération de Russie compte au nombre de ces États membres. J'estime que celle-ci n'y a plus sa place.

La semaine dernière, je m'entretenais au Sénat avec Petro Porochenko, ancien Président de l'Ukraine et actuel député à la Rada. Ce qu'il m'a dit, nous le savons tous, mais venant de quelqu'un qui a directement négocié avec Vladimir Poutine, ses propos prennent une tout autre valeur : le Président russe ne respecte que le rapport de force.

Nous parlons d'un État qui occupe 20 % du territoire de la Géorgie et qui a abandonné l'Arménie, dont elle garantissait auparavant la sécurité par un accord conclu avec d'autres anciennes républiques soviétiques, au profit de l'Azerbaïdjan, ce qui a conduit la Géorgie à quitter l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Le groupe Wagner a tendu à la France le piège invraisemblable d'un faux charnier à Gossi, au nord du Mali. Heureusement que nos militaires utilisaient des drones qui ont permis d'empêcher cette manipulation. Que nous faut-il de plus pour prendre position et demander à la Fédération de Russie de quitter l'OSCE ?

Mme Christine Lavarde. - Voilà qui est clair !

M. Pascal Allizard. - Nous constatons à notre tour ces événements malheureux et nous menons ce débat à l'AP-OSCE depuis le début du conflit en Ukraine. Un certain nombre de collègues parlementaires souhaitent l'« expulsion » de la Russie de l'OSCE et, donc, de son Assemblée parlementaire. Le problème reste que cela est en l'état statutairement impossible, à moins de torpiller l'OSCE, ce qui finira peut-être par arriver au vu du blocage institutionnel de son versant intergouvernemental.

En tant que président de la sous-commission du règlement, j'avais proposé il y a deux ans à Varsovie de mettre en oeuvre un processus de suspension de la Russie. Les parlementaires de ce pays n'auraient plus assisté aux réunions statutaires, ils n'auraient plus eu accès aux réunions d'information et d'échanges, ce qui les aurait empêchés d'utiliser l'Organisation comme une tribune. En parallèle, la présidente de l'OSCE aurait conservé un canal d'échange restreint avec le président de la délégation russe.

Ce dispositif n'a pas été retenu et il faut dire que, avec la règle de l'unanimité moins une voix, il avait peu de chances de l'être. Mais, en fait, ce sont seize pays, dont des États européens voisins de la Russie, qui s'y sont opposés. Certains soutenaient la logique d'une exclusion pure et simple, en dépit de nos explications tendant à leur montrer que nous n'en avions pas la possibilité. D'autres, plus petits, ont également refusé le dispositif, peut-être par crainte de mesures de rétorsion.

À ce jour, le seul outil dont nous disposons est celui qui consiste à obtenir que les pays d'accueil de nos réunions statutaires refusent la délivrance des visas d'entrée. C'est ce qui s'est passé l'an dernier à Birmingham et c'est ce qui se passe cette année à Bucarest. Lorsque nous nous réunissons à Vienne, la solution est plus difficile à mettre en oeuvre du fait de la vocation de cette ville à recevoir les organisations internationales. Toutefois, le Gouvernement autrichien, s'il autorise la présence de la délégation russe, parvient à en cantonner les membres à leur hôtel, à leur ambassade et au lieu de réunion, en leur interdisant tout autre déplacement à l'intérieur de la capitale ou du pays. Ils n'y sont d'ailleurs pas venus cette année.

La délégation russe a aussi choisi de ne plus payer sa cotisation. Cela va nous permettre d'appliquer la disposition du règlement qui empêche un membre de participer aux travaux de l'Assemblée parlementaire aussi longtemps qu'il n'est pas à jour de ses cotisations.

Sur le versant intergouvernemental, tantôt les Russes participent aux conférences, tantôt non.

Il reste qu'il faut se demander, pour aller au bout du raisonnement, si l'OSCE, avec l'histoire qui est la sienne, conserve un sens sans la Russie. J'ai tendance à répondre non. Faut-il alors garder l'OSCE, cette organisation si particulière, qui fonctionne sous convention avec l'ONU ? Dans l'affirmative, ses statuts actuels ne permettent pas d'exclure la Russie ; dans la négative, il convient de passer à autre chose.

Union économique et monétaire - Euro numérique : Examen du rapport d'information

M. Jean-François Rapin, président. - Nous examinons maintenant le rapport d'information sur le projet d'euro numérique.

Ce projet avance petit à petit : j'entends encore la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, nous en vanter les mérites dans notre hémicycle quand nous l'y avions invitée à intervenir à l'occasion de la réunion des présidents de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) en janvier 2022 durant la présidence française de l'Union européenne. La BCE venait de lancer trois mois plus tôt une « phase d'étude » sur le projet d'euro numérique. En juin 2023, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement établissant l'euro numérique et, en octobre 2023, la BCE a fait entrer le projet en « phase préparatoire ». Les choses avancent donc, même si les négociations patinent et que le règlement sur l'euro numérique tarde encore à voir le jour.

Néanmoins, au vu de l'importance du projet à l'échelle européenne et même mondiale, nous avons jugé utile que notre commission soit d'ores et déjà éclairée sur sa portée et sur ses enjeux. Nous en avons confié le soin à Pascal Allizard et Florence Blatrix Contat, que je remercie du travail qu'ils ont effectué pour aboutir au rapport d'information qu'ils nous présentent aujourd'hui.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Ce rapport sur le projet d'euro numérique est le fruit d'un travail d'environ six mois, alimenté par une quinzaine d'auditions et deux déplacements, l'un à Francfort, l'autre à Bruxelles.

Le règlement proposé par la Commission européenne en juin 2023 appartient à un « paquet monnaie unique », composé également d'une proposition visant à renforcer le cours légal des billets et des pièces en euros. Précisons-le d'emblée : la Commission européenne ne prévoit pas la disparition des espèces. L'euro numérique serait instauré en complément des espèces ; l'acceptation et l'accès des pièces et des billets doivent même être renforcés par cette proposition complémentaire.

Notre rapport s'est concentré sur la proposition relative à l'euro numérique. Ce texte législatif fait suite aux nombreux travaux menés depuis plusieurs années par la BCE. En octobre 2021, le Conseil des gouverneurs de la BCE avait lancé pour deux ans une « phase d'étude » sur le projet d'euro numérique ; elle s'est terminée l'an passé. En octobre 2023, ce même Conseil a engagé la « phase préparatoire » du projet. Se déroulent ainsi en parallèle l'examen législatif du texte et les expérimentations menées par la BCE. Une fois le processus législatif achevé, il reviendra au Conseil des gouverneurs de décider de l'opportunité d'émettre un euro numérique.

Qu'est-ce qu'un euro numérique ? En quoi différerait-il des solutions de paiement digitales existantes ? Pourquoi en aurait-on besoin ? En cas d'émission, quelles en seraient les caractéristiques principales ? Voilà les interrogations majeures qui nous ont animés pendant cette étude.

Pour répondre à ces questions, il convient au préalable de rappeler les caractéristiques de l'architecture monétaire. Celle-ci est fondée sur la complémentarité entre la monnaie commerciale et la monnaie de banque centrale. La convertibilité au pair de ces deux formes de monnaie est la clé de voûte du bon fonctionnement des paiements.

La monnaie commerciale désigne les dépôts des banques commerciales et circule via les moyens de paiement comme les paiements Sepa (Single Euro Payments Area, espace unique de paiement en euros), qu'il s'agisse de virements ou de règlements, et les cartes de paiement. Quand nous réglons avec des solutions numériques, nous payons par de la monnaie commerciale, c'est-à-dire de la monnaie privée et non pas publique.

La monnaie de banque centrale, qui seule a cours légal, est quant à elle émise et garantie, dans la zone euro, par la BCE. Les espèces, pièces et billets, sont aujourd'hui l'unique forme de monnaie de banque centrale directement accessible par les particuliers. Alors que de nombreuses mutations ont touché le domaine des paiements depuis l'adoption de l'euro il y a vingt-cinq ans, la monnaie de banque centrale ne reste ainsi accessible par les particuliers que sous la forme des billets et des pièces.

Le projet d'euro numérique viendrait compléter cette architecture, en permettant aux particuliers de disposer directement d'une forme digitale de monnaie de banque centrale. Il offrirait un moyen de régler de façon digitale sans pour autant passer par de la monnaie commerciale. L'euro numérique pourrait alors être considéré comme l'équivalent numérique du billet.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - À quoi cet euro numérique servirait-il ? Pourquoi serait-il nécessaire, voire indispensable, de le mettre en place ?

Sur ce sujet, les arguments de la BCE et de la Commission européenne ont souvent varié. Plusieurs finalités ont été régulièrement avancées : maintenir la place de la monnaie publique dans un monde de plus en plus digitalisé - argument d'ancrage monétaire -, améliorer l'inclusion financière ou encore renforcer l'autonomie stratégique européenne. Cette multitude de buts assignés au projet a rendu sa motivation peu claire. Cela a même conduit certains à estimer que l'euro numérique était « une solution qui se cherchait un problème ».

Au terme de nos travaux, nous considérons quant à nous que le seul objectif valable de l'euro numérique est celui de renforcer la souveraineté des paiements en Europe. Il s'agit d'un objectif politique et non pas économique. L'euro numérique est non une réponse à des défaillances de marché, mais à des dépendances.

Dans le domaine des paiements, la dépendance à l'égard d'acteurs extraeuropéens est en effet une réalité. Malgré les efforts accomplis, le marché européen des paiements est aujourd'hui fragmenté et aucune solution de paiement paneuropéenne n'existe.

Le paiement par carte est ainsi dominé par un duopole d'acteurs américains constitué de Visa et de Mastercard :70 % des paiements par carte passent par ces deux schémas internationaux en Europe. Certes, des solutions nationales existent, comme Cartes bancaires en France, Bancomat en Italie ou Girocard en Allemagne. Mais ces solutions ne sont pas interopérables entre elles, au sein même de l'Union européenne. Seules les cartes de paiement de Visa et de Mastercard peuvent être utilisées partout en point de vente dans l'ensemble de l'Union.

La dépendance à l'égard d'acteurs extraeuropéens se manifeste également en matière de paiement mobile. Les Big Tech ont fait irruption dans le secteur et ont multiplié les offres « X-Pay », avec ApplePay, SamsungPay, GooglePay, etc. Il s'agit des seules offres de paiement mobile identiques partout en Europe.

En outre, à l'avenir, ces situations de dépendance pourraient encore se renforcer. Le projet Libra/Diem de Meta, finalement abandonné, a sonné l'alarme sur les projets de monnaie privée. De tels projets conduisent à développer des offres de paiement autonomes des banques et des systèmes de paiement classiques. Ils font peser de nombreuses menaces sur la stabilité du système financier, sur la protection des données ou encore en matière de blanchiment d'argent. Dans le cas de Libra/Diem, l'inquiétude était d'autant plus grande que cette monnaie aurait pu être accessible aux 2,7 milliards d'utilisateurs du réseau social Facebook. Malgré l'abandon de ce projet, le risque, lui, n'est pas virtuel. Paypal développe ainsi son propre projet de stable coin, libellé en dollar, et d'autres projets pourraient suivre.

Outre les monnaies privées, le danger à l'avenir pourrait venir du développement des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) portées par des pays étrangers à l'Union européenne et qui excluent donc l'euro. Plus de 90 % des banques centrales dans le monde ont lancé des travaux sur le sujet. Les Bahamas, le Nigeria et la Jamaïque disposent d'ores et déjà d'une MNBC de détail.

Le projet pilote le plus abouti est celui du yuan numérique, développé en Chine depuis 2019. Il soulève de nombreuses questions en matière de contrôle de la population. L'e-yuan est aujourd'hui accepté dans vingt-six villes et dix-sept provinces chinoises. Les cas d'usage ont été progressivement étendus au paiement des transports publics, des impôts, des taxes ou des soins médicaux, ainsi qu'au versement de certaines aides publiques. Le yuan numérique, pour l'instant développé seulement au niveau domestique, pourrait également avoir pour objectif de s'internationaliser, dans le but de concurrencer le duopole de l'euro et du dollar et de devenir la devise de référence de l'économie numérique.

L'euro numérique permettrait de remédier à cette dépendance vis-à-vis de solutions extraeuropéennes dans le domaine des paiements et de proposer une alternative, en offrant aux particuliers une solution européenne de paiement numérique universellement acceptée dans la zone euro.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous en venons maintenant à la question des caractéristiques de l'euro numérique. Je voudrais d'abord présenter en quelques mots les dispositions clés de la proposition de juin 2023.

Tout d'abord, s'agissant du statut de cette monnaie, l'euro numérique aurait cours légal, ce qui signifie que son acceptation serait obligatoire. Des dérogations seront cependant prévues pour les commerçants n'acceptant déjà pas de moyens de paiements digitaux, pour les microentreprises ou encore pour les paiements à titre purement personnel.

Par ailleurs, l'euro numérique n'entraînerait pas la disparition des espèces. Il serait instauré en complément et non en remplacement. La BCE et les banques centrales seraient chargées de l'émission de l'euro numérique. Elles n'auraient accès qu'à des données dites pseudonymisées, strictement limitées aux tâches nécessaires aux opérations de règlement.

Ensuite, s'agissant du modèle de distribution, la distribution de l'euro numérique serait assurée par les prestataires de services de paiement (PSP), c'est-à-dire les banques et assimilés. Il s'agit donc d'une distribution décentralisée, via les intermédiaires financiers. Ceux-ci seraient ainsi responsables de toutes les interactions avec les utilisateurs, notamment l'ouverture de compte ou la relation client.

Les banques devraient fournir gratuitement aux particuliers les services de base de l'euro numérique. Pour les commerçants, un encadrement des frais payés aux PSP serait prévu.

Enfin, s'agissant des modalités principales et des limitations, l'euro numérique pourrait être utilisé en ligne ou hors ligne, c'est-à-dire sans recourir à internet.

Il ne devrait pas constituer une monnaie programmable. Cela signifie qu'il ne serait pas possible d'imposer des limitations concernant par exemple le lieu ou le moment d'utilisation, le produit ou le service payé, ou encore la personne qui l'utilise. Surtout, l'euro numérique ne serait pas rémunéré, ni positivement ni négativement.

Pour finir, un plafond de détention d'euros numériques pourrait être fixé, afin de limiter les impacts en termes de stabilité financière. Je pense ici au risque de fuite des dépôts, un sujet soulevé par les banques.

S'agissant des caractéristiques retenues, nos travaux nous conduisent, en l'état de la proposition, à formuler trois observations principales.

D'abord, les garanties de confidentialité doivent être renforcées, afin de rapprocher le plus possible l'euro numérique des espèces.

Ensuite, le modèle économique de l'euro numérique reste encore incertain mais son impact sur la stabilité financière devrait être limité.

Enfin, la répartition des rôles entre les colégislateurs - le Parlement européen et le Conseil -, la Commission européenne et la BCE doit être clarifiée au profit d'une implication renforcée des premiers.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Les garanties apportées quant à la protection des données et donc au respect de la vie privée sont un sujet de vigilance majeur. Lors d'une consultation publique réalisée par la BCE et publiée en 2021, 43 % des répondants ont estimé que la protection de la vie privée était l'aspect le plus important de l'euro numérique, loin devant d'autres considérations. La confidentialité serait une plus-value de l'euro numérique pour rendre cette solution attractive pour les citoyens européens par rapport aux solutions existantes.

Plusieurs dispositions prévues par la proposition permettent d'assurer un niveau renforcé de protection de la vie privée, à défaut d'un anonymat complet, qui est explicitement exclu par la proposition. Les données personnelles ne seraient pas visibles par la BCE, qui n'aurait accès qu'à des données pseudonymisées. En outre, un haut niveau de confidentialité serait apporté par la modalité hors ligne.

Nous recommandons des mesures complémentaires pour assurer une confidentialité sélective, qui rapproche le plus possible l'euro numérique d'une version digitale des espèces. Dans ce but, nous proposons d'instaurer un seuil de confidentialité pour les petites transactions. En l'état actuel de la proposition, pour les paiements en ligne, la proposition de règlement prévoit que toutes les opérations en euros numériques, quel que soit leur montant, soient tracées, notamment à des fins de lutte contre le blanchiment d'argent et de financement du terrorisme. Cette obligation, sans distinction de montant, ne semble pas conforme à l'objectif de la proposition visant à assurer un niveau renforcé de protection des données. Sur ce point, les propriétés du paiement en espèces ne seraient ainsi pas répliquées.

Nous recommandons également de ne pas permettre la détention multiple de comptes d'euros numériques, qui oblige à un partage accru d'informations et complexifie l'expérience de l'utilisateur. Le plafond de détention doit déjà être réparti entre les paiements hors ligne et en ligne. Inscrire la possibilité de détenir plusieurs comptes, comme c'est le cas dans la proposition, complexifierait encore le dispositif. Nous nous inquiétons également du flou entourant les modalités techniques de la fonctionnalité hors ligne, qui ne paraît pas encore au point.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - J'en viens au modèle économique, avec notamment l'enjeu des conséquences de l'euro numérique pour les banques et les commerçants.

L'introduction de l'euro numérique suscite des inquiétudes s'agissant de son impact sur l'intermédiation financière, avec des risques de fuite des dépôts. L'euro numérique peut être obtenu en convertissant soit des espèces, soit des dépôts. Les banques se montrent très réservées vis-à-vis de ce projet, craignant que la conversion des dépôts en euros numérique n'érode leurs sources de financement et conduise à alourdir leurs coûts de financement. Ce renchérissement pourrait se répercuter sur le canal du crédit, en diminuant la quantité des prêts accordés, alors que le recours au financement bancaire reste prépondérant pour les entreprises européennes.

Ce risque doit être pris au sérieux : l'euro numérique ne doit pas mettre en danger la stabilité financière ni la capacité à financer l'économie européenne. Néanmoins, les caractéristiques retenues - l'instauration d'un plafond de détention et la non-rémunération de l'euro numérique - devraient permettre de limiter l'usage de l'euro numérique comme réserve de valeur. Les premières études notent que l'impact macroéconomique de la fixation du plafond de détention à 3 000 euros serait modéré en termes de fuite de dépôts.

Nous demandons à la Commission européenne et à la BCE des analyses plus approfondies pour évaluer les impacts des plafonds de détention d'euros numériques envisagés, selon les types de banques et selon les États membres. La phase préparatoire du projet d'euro numérique doit être mise à profit pour mener des évaluations précises. En outre, la fixation du plafond de détention ne peut pas relever de la seule compétence de la BCE. Les colégislateurs doivent intervenir dans sa définition, soit en fixant le montant dans le texte de la proposition, soit en prévoyant une clause de révision sur le plafond retenu par la BCE.

De grandes incertitudes pèsent sur le modèle de tarification de l'euro numérique, notamment sur les coûts pour les commerçants. Les associations qui les représentent, comme Mercatel et EuroCommerce, nous ont confirmé leur soutien de principe au projet d'euro numérique. Pour les commerçants, l'euro numérique pourrait conduire à une réduction des coûts, alors que les frais payés à Mastercard et Visa ont augmenté de 75 % entre 2016 et 2021.

Pour autant, les commerçants s'interrogent sur la prise en charge des coûts ponctuels d'adaptation des infrastructures de paiement dans le cas d'une mise en service de l'euro numérique. Il s'agit notamment de savoir si les infrastructures existantes pourront ou non être réutilisées. En l'état actuel de la proposition, ces coûts ne sont pas objectivés. Par ailleurs, à plus long terme, il convient de déterminer le modèle économique et la méthode retenue pour l'encadrement des frais appliqués aux commerçants par les prestataires de services au paiement.

Nous demandons donc qu'il soit garanti que les frais de l'euro numérique pour les commerçants soient inférieurs à ceux des solutions de paiements digitaux existantes. Cet encadrement nous apparaît une indispensable contrepartie à l'obligation d'acceptation de cette monnaie. Par ailleurs, alors que la gratuité des services de base en euros numériques fait l'objet de critiques, nous recommandons de conserver ce principe et de revoir la liste des services concernés.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Il me revient de terminer cette présentation en abordant la question épineuse de la répartition des compétences entre les différents acteurs institutionnels concernés par le projet d'euro numérique et en vous détaillant l'avancée des négociations.

À la suite de la présentation en juin 2023 de la proposition de la Commission européenne sur l'euro numérique, les colégislateurs ont commencé l'examen du texte.

Du côté du Conseil, les discussions ont été nourries lors de la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne, au second semestre 2023. L'un des points majeurs a concerné la répartition des rôles entre la BCE, la Commission européenne et les colégislateurs s'agissant de la détermination des modalités de l'euro numérique. La BCE, faisant valoir son indépendance et sa compétence exclusive en matière de politique monétaire, tient à garder la main non seulement sur la décision d'émission, mais également sur la détermination de certains paramètres. Plusieurs États font valoir, à l'inverse, la nécessité de fonder démocratiquement ces décisions, via une intervention des colégislateurs.

La présidence belge du Conseil, au premier semestre 2024, n'a guère fait avancer le dossier, l'euro numérique ne faisant pas partie de ses priorités. Les prochaines présidences du Conseil devant être assurées par des pays qui ne sont pas membres de la zone euro - la Hongrie, la Pologne et le Danemark -, il est difficile de savoir s'ils avanceront sur le sujet. Certes, ils ne sont pas directement concernés, mais ils pourraient vouloir disposer d'un modèle pour leur propre monnaie numérique de banque centrale.

Du côté du Parlement européen, les discussions ont été lentes. La commission des affaires économiques et monétaires a entendu à plusieurs reprises les membres de la BCE chargés du projet. Le rapporteur du texte pour la commission s'est montré très réservé, pointant l'absence de plus-value pour le consommateur. Le Parlement européen n'a pas adopté de position sur la proposition relative à l'euro numérique avant les élections européennes de juin. Les travaux devraient donc redémarrer au sein du nouveau Parlement.

Nous n'en sommes ainsi encore qu'au début des négociations sur la proposition relative à l'euro numérique. Devront être arbitrés de nombreux choix, sur un grand nombre de paramètres, notamment le seuil de confidentialité, le plafond de détention, la multi-détention, la méthode d'encadrement des frais, la détermination des services de base ou encore les techniques retenues pour le paiement hors ligne.

C'est la raison pour laquelle nous envisageons un nouveau point sur ce projet d'euro numérique une fois la position du Parlement européen arrêtée. Une proposition de résolution européenne pourrait alors être présentée. Nous insistons cependant d'ores et déjà sur la nécessité d'une implication renforcée des colégislateurs et d'un contrôle politique accru sur la phase de conception technique de l'euro numérique, à la main de la BCE et encore entourée de nombreuses incertitudes.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie pour ce travail très complet sur un sujet aussi technique. Nous sommes heureux d'entendre vos recommandations, d'abord parce que la réflexion ne semble pas tout à fait mûre, alors que le Parlement devra se prononcer sur la question, mais aussi au regard du contexte actuel, qui nous permet difficilement d'aborder des sujets de long terme.

Mme Christine Lavarde. - Je comprends mal pourquoi l'euro numérique serait susceptible de devenir une valeur refuge. Si cette monnaie n'est pas rémunérée, pourquoi l'épargnant transfèrerait-il son argent sur un compte en euros numériques depuis un placement qui lui permet de toucher des intérêts ? En outre, l'euro numérique aura la même valeur fiduciaire que la monnaie scripturale.

Par ailleurs, vous n'êtes pas revenus sur l'union des marchés de capitaux. Vous soulignez que les acteurs bancaires craignent une fuite des capitaux, qui seraient plus facilement transférables d'un État membre à un autre. Dans l'esprit de la Commission, l'euro numérique est-il une première étape vers une union des marchés de capitaux ?

Mme Pascale Gruny. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail. Vous avez évoqué le fait que ce projet d'euro numérique visait les particuliers. Pour ma part, je pense, comme toujours, à nos concitoyens des zones rurales, auxquels le numérique pose déjà souvent bien des difficultés. Au fond, à quoi l'euro numérique servira-t-il véritablement ? Quelles leçons pouvons-nous tirer des pays où les monnaies numériques ont cours ?

M. Jacques Fernique. - Vous avez évoqué la position de la BCE, qui défend ses attributions et son indépendance. Pour autant, l'article 133 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne précise que le Parlement européen et le Conseil établissent les mesures nécessaires à l'usage de l'euro en tant que monnaie unique, lesquelles sont adoptées après consultation de la BCE. Ne pourrions-nous pas clarifier davantage la deuxième proposition du rapport, en précisant que la BCE rend un avis consultatif et que la décision finale revient aux colégislateurs ?

De la même façon, la troisième recommandation, qui vise à introduire des clauses de révision afin que le Conseil de l'Union puisse se prononcer sur les choix retenus, omet de mentionner le Parlement européen en tant que colégislateur.

Nous avons déjà débattu du bilan carbone du numérique. La BCE a réalisé une étude sur l'empreinte environnementale des paiements en espèces, qui concluait que celle-ci était très faible. En revanche, on sait que le numérique représente de 3 % à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Pourrions-nous ajouter une recommandation appelant au suivi de l'impact environnemental de l'euro numérique ?

M. Jean-François Rapin, président. - Le secrétaire général des affaires européennes m'a confirmé, lors d'un entretien hier, la volonté de la France de soutenir la remise en chantier de l'union des marchés de capitaux.

Concernant la possibilité que l'euro numérique devienne une valeur refuge, je saisi l'occasion pour rappeler un chiffre impressionnant : le montant d'épargne privée dans l'Union européenne est de 33 000 milliards d'euros !

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - L'euro numérique est avant tout pensé comme un moyen de paiement. Certaines banques craignent qu'il ne devienne une valeur refuge, ce qui pourrait arriver si le plafond de détention est trop élevé. Néanmoins, ce plafond, couplé à l'absence de rémunération, devrait limiter le risque de fuite des dépôts. Il est par ailleurs difficile d'évaluer le montant que représenterait un tel phénomène, car nous ignorons si nos concitoyens s'empareront de l'euro numérique et dans quelle mesure. Avec un plafond de détention d'euros numériques fixé à 3 000 euros, la Fédération bancaire française (FBF) estime à environ 13 % la part de fuite des dépôts des clients de détail de la zone euro. Ce point devra faire l'objet d'une analyse fine lors de la phase préparatoire. En outre, il s'agit là de financements bancaires ; le marché européen de financement des capitaux, destiné à financer les entreprises, pourra donc jouer un rôle complémentaire.

Madame Gruny, les banques centrales dans le monde ont commencé à travailler sur des projets de monnaie numérique de banque centrale, lorsque Facebook a annoncé sa volonté de lancer sa propre monnaie privée. Quelques pays, comme la Chine, ont déjà bien avancé. Pour autant, les expérimentations sont récentes et nous manquons de recul pour répondre à votre question. Dans tous les cas - je le rappelle - il n'y aura aucune obligation : les citoyens pourront très bien ne pas utiliser l'euro numérique.

Monsieur Fernique, vous suggérez de recommander que la BCE n'émette qu'un avis consultatif. Pour notre part, nous préférerions que la BCE fixe le plafond de détention conjointement avec les colégislateurs et la Commission européenne, car elle est compétente en matière de politique monétaire. Or la transmission de cette politique pourrait être mise en péril si un plafond trop élevé était fixé, par exemple. Il est donc difficile d'écarter la BCE de la sorte. En revanche, les colégislateurs non plus ne doivent pas être exclus, contrairement à ce que souhaitait initialement la BCE.

Concernant votre deuxième question, il s'agit en effet d'une omission. Nous pouvons tout à fait inscrire « ainsi qu'au Parlement européen » après « au Conseil ».

Enfin, l'empreinte environnementale d'un paiement en euros numériques ne sera pas très différente de celle représentée par un paiement par carte. Les études réalisées ont même montré que le traitement des espèces physiques aurait un bilan carbone un peu plus élevé, si l'on prend en compte le transport.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Pour l'heure, on ne parle d'euros numériques que pour les particuliers et les entreprises. Un prochain volet sera consacré à la monnaie numérique de banque centrale dite de gros, qui concerne les paiements interbancaires et qui recouvre des enjeux bien différents.

La différence entre l'euro numérique et la carte bancaire est que le premier permet de payer avec une monnaie publique, et non privée. Une carte de crédit est payante et les banques se réservent le droit de nous la fournir. La monnaie publique, au contraire, est universelle et gratuite pour le consommateur. C'est aussi l'objectif de l'euro numérique : mettre à disposition du citoyen une capacité de paiement dématérialisée gratuite.

Nous nous sommes intéressés à l'empreinte environnementale de ce projet, qui rejoint d'ailleurs la problématique du coût pour le commerçant. Actuellement, le paiement en espèces représente déjà un coût, que cette dématérialisation pourrait contribuer à réduire. De même, on peut raisonnablement penser que l'euro numérique permettra une diminution du bilan carbone.

Pour l'heure, il est envisagé que l'on puisse payer en euros numériques avec une carte ou un smartphone, grâce à un terminal de paiement qui serait, dans l'idéal, identique à celui utilisé aujourd'hui, afin de ne pas dupliquer les coûts.

Enfin, lorsque nous avons entamé nos travaux, j'avais des inquiétudes relatives aux risques de spéculation et aux éventuelles attaques. L'euro numérique est une question de souveraineté. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur la répartition des rôles entre les colégislateurs et la BCE. La situation est inédite : nous n'avons pas de précédent en la matière. La BCE revendique son indépendance, mais la création d'une monnaie reste avant tout un acte éminemment politique. À l'examen, les risques de spéculation sont pour l'heure très réduits, voire inexistants.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - J'ajoute que, si cette monnaie a cours légal, elle sera acceptée dans tous les pays de la zone euro. Ce n'est pas le cas de toutes les cartes bancaires actuelles.

Par ailleurs, le plafond de détention devra être défini en respectant un juste équilibre : il ne devra être ni trop faible, pour que les consommateurs puissent facilement utiliser cette monnaie sans multiplier les opérations, ni trop élevé, pour éviter les fuites de dépôts. Il devra être fixé lors de la phase préparatoire.

La proposition de modification de M. Jacques Fernique est adoptée.

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication. Le rapport est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Institutions européennes - Conseil européen des 27 et 28 juin 2024 : audition de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe

M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons une période politique mouvementée. À peine connus les résultats des élections européennes, le Président de la République a prononcé la dissolution de l'Assemblée nationale. De manière inédite, les élections européennes ont de fait occasionné un séisme politique national : j'y vois une preuve manifeste de l'intrication croissante entre les enjeux européens et nationaux. À juste titre, notre pays est à présent focalisé sur la campagne législative qui s'est aussitôt ouverte et les débats nationaux reprennent le dessus. N'oublions pas pourtant qu'à la source de cette campagne nationale se trouve l'Union européenne, trop vite reléguée à l'arrière-plan.

C'est pourquoi, à la veille du Conseil européen, nous avons jugé utile, malgré l'ajournement des travaux du Sénat occasionné par les élections législatives, de tenir notre débat usuel en amont avec le Gouvernement et je vous remercie, monsieur le ministre, d'y avoir consenti, malgré votre propre agenda du moment.

La conférence des présidents a bien voulu que ce débat, ne pouvant se tenir en séance plénière, prenne exceptionnellement la forme, aujourd'hui, d'une réunion de la commission des affaires européennes, et le président du Sénat a accepté qu'elle soit ouverte à l'ensemble des sénateurs. Mes chers collègues, permettez-moi donc de vous souhaiter la bienvenue, tout particulièrement à nos collègues Catherine Dumas et Christine Lavarde, qui représentent respectivement la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des finances, même si la dernière est aussi membre de notre commission.

Notre échange aujourd'hui revêt une importance spéciale, car ce sommet entre les Vingt-Sept se situe juste après les élections européennes. Il se situe donc à la charnière entre deux cycles institutionnels et doit permettre de paver la voie aux nominations aux plus hautes fonctions de l'Union européenne. Je rappelle que le Conseil européen élit son propre président à la majorité qualifiée. Pour la présidence de la Commission européenne, il propose un candidat en tenant compte des résultats des élections au Parlement européen. Enfin, il nomme le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à la majorité qualifiée, décision qui doit être approuvée par le président de la Commission européenne.

Cette réunion du Conseil européen doit aussi être l'occasion pour les Vingt-Sept de donner des orientations à l'Union européenne pour les cinq ans à venir, en convenant d'un agenda stratégique que la prochaine Commission européenne devra mettre en oeuvre. Enfin, le Conseil européen se penchera sur la situation de l'Ukraine, celle au Proche-Orient, sur les questions de sécurité et de défense, comme de compétitivité.

Monsieur le ministre, nous sommes inquiets qu'à ce sommet qui s'annonce donc particulièrement engageant, la voix de la France soit portée par un Président de la République très fragilisé par la situation politique explosive dans laquelle il a plongé le pays. Quel sera son crédit pour peser sur les décisions que doit prendre le Conseil européen ?

Sur le fond, nous souhaitons aussi vous faire part de plusieurs sujets de préoccupations.

Nous souhaitons savoir quel écho l'agenda stratégique donnera à la contribution franco-allemande qui appelait, fin mai, à stimuler la compétitivité et la croissance dans l'Union européenne. Il est en effet essentiel de consolider la sécurité économique de l'Union européenne, dans un contexte de repli américain et de surcapacité productive de la Chine qui la rend très offensive sur le marché européen. Pourtant, l'Allemagne, inquiète des surtaxes européennes envisagées à l'encontre des véhicules électriques importés de Chine où le gouvernement les subventionne abusivement, semble déjà prendre ses distances avec ce récent appel qu'elle a lancé avec la France à l'Union européenne (UE) pour utiliser ses instruments de défense commerciale... Dans ce contexte, l'agenda stratégique qu'arrêtera le Conseil européen sera-t-il aussi ambitieux qu'espéré pour la compétitivité européenne ?

En matière migratoire, l'adoption du nouveau pacte européen sur la migration et l'asile est un acquis certain, qu'il faut rapidement mettre en oeuvre, mais ce ne peut être qu'une étape. À cet égard, l'agenda stratégique fixera-t-il de nouveaux objectifs ? Nous avons noté que la France n'avait pas signé le courrier adressé il y a un mois par quinze États membres à la Commission, lui demandant d'aller plus loin pour prévenir l'immigration irrégulière vers l'Europe. Pouvez-vous nous expliquer, monsieur le ministre, pourquoi la France n'a pas soutenu cette démarche ?

Le temps m'oblige à ne vous poser qu'une dernière question : elle porte sur la Géorgie. Une délégation de notre commission s'y est rendue fin avril et nous avons bien senti que ce pays était à un point de bascule : sa population reste déterminée à rejoindre l'Union européenne, mais son gouvernement semble dériver dans l'autre sens, notamment avec l'adoption de la loi dite russe, qui menace d'asphyxie la société civile. La voie est étroite pour le Conseil européen : quel message compte-t-il adresser à la Géorgie ?

Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Monsieur le ministre, je vous remercie à mon tour d'avoir accepté, dans une période très compliquée, de participer à ces travaux et de répondre à nos questions. Je souhaite excuser Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, qui ne pouvait pas être présent parmi nous.

Monsieur le ministre, le président Rapin a largement évoqué le contexte européen et aussi les enjeux de ce Conseil européen des 27 et 28 juin. Je m'en tiendrai par conséquent à quelques points précis vus de la commission des affaires étrangères.

Tout d'abord, le premier point de l'ordre du jour du Conseil européen est relatif à la guerre d'Ukraine dans toutes ses dimensions : soutien militaire, financier, utilisation des actifs russes gelés ou encore perspectives d'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a déjà exprimé des doutes sur différents aspects de la stratégie du Gouvernement dans ce dossier : le soutien militaire qu'on pourrait dire en trompe-l'oeil, l'efficacité douteuse de certaines mesures prises, la promesse d'adhésion dont les conséquences concrètes, notamment pour le marché unique, ne sont pas encore définies.

Si le dernier scrutin européen rebat les cartes, on l'a vu, si le Parti populaire européen (PPE) a globalement confirmé son poids, les électeurs ont fait progresser les droites nationalistes des Conservateurs et réformistes européens (CRE). En France, le Rassemblement national a attiré à lui 2,5 millions d'électeurs de plus qu'en 2019. Comment analysez-vous ce vote ? Comment le comprenez-vous pour ce qui concerne vos dossiers, monsieur le ministre ? Surtout, quelles conséquences pour la position de la France au Conseil européen ?

L'aide militaire à l'Ukraine n'est toujours pas au niveau. Le Président de la République a salué l'initiative tchèque sur l'achat de munitions, lesquelles ont commencé à atteindre le front hier. C'est bien. Toutefois, ces munitions sont achetées hors d'Europe, ce qui est révélateur de l'état de nos capacités de production.

L'utilisation des actifs russes gelés ne pose pas seulement question parce qu'elle exige de contourner le veto du pays qui présidera bientôt le Conseil de l'Union, la Hongrie ; elle emporte aussi des risques juridiques et des contre-mesures qui ont d'ailleurs alerté jusqu'à Christine Lagarde récemment. Monsieur le ministre, ces risques sont-ils totalement écartés ? Quelle est votre analyse sur ce point ?

J'en viens à l'élargissement. Hier encore se tenait la première conférence d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie. Le Gouvernement n'a jamais vraiment répondu à l'analyse du Financial Times d'octobre 2023, qui évaluait le coût de l'adhésion de l'Ukraine à 186 milliards d'euros sur sept ans. Peut-être serez-vous en mesure de répondre aux calculs qui ont été réalisés en mars 2024 par l'Institut Bruegel, qu'on qualifierait difficilement d'eurosceptique, qui le chiffre entre 110 milliards et 136 milliards d'euros, hors coût de reconstruction du pays. Comment les pays européens fourniront-ils cet effort ?

Enfin, l'ordre du jour du Conseil européen annonce encore qu'au Proche-Orient, l'Union européenne est résolue à oeuvrer en vue de parvenir à une paix « durable, pérenne, reposant sur une solution fondée sur la coexistence des deux États ». Il y a eu différents changements de position de la part du Président de la République sur ce dossier. Pouvez-vous nous dire aujourd'hui quelle est la position du Gouvernement ? En effet, la tension dans les relations internationales ne diminue pas. La commission des affaires étrangères du Sénat souhaite que l'on puisse obtenir des réponses les plus claires possible.

Mme Christine Lavarde, au nom de la commission des finances. - La réunion du Conseil européen s'inscrit dans un contexte particulier d'un point de vue économique et financier, puisqu'il n'a échappé à personne que la Commission européenne a, le 19 juin dernier, constaté l'existence d'un déficit public excessif dans sept pays de l'Union européenne, notamment la France.

Dans son rapport, qui réalise un état des lieux de la situation économique et budgétaire des États membres, la Commission européenne dresse un constat sans appel. La France, avec un déficit public de 5,5 % du PIB et une dette publique s'élevant à 110,6 % du PIB, est largement en dehors des critères fixés par le pacte de stabilité et de croissance (PSC). Pour justifier ce dérapage, le Gouvernement ne peut se réfugier uniquement derrière la crise sanitaire ou énergétique, dont les conséquences sur les finances publiques étaient beaucoup moins perceptibles en 2023 que les années précédentes.

La Commission européenne souligne d'ailleurs dans son rapport que la situation des finances publiques de la France n'est ni exceptionnelle ni temporaire, puisque le déficit attendu en 2024 est de 5,3 % du PIB et de 5 % en 2025, soit très loin du critère de 3 % fixé par le pacte de stabilité. La dette publique devrait quant à elle atteindre 112,4 % du PIB en 2024 et 113,8 % en 2025, là aussi très largement au-delà de la limite de 60 % fixée par le traité.

Comme l'a mis en évidence le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson, dans un rapport d'information présenté le 12 juin dernier, la dégradation des finances publiques de la France en 2023 est avant tout le résultat de prévisions macroéconomiques imprudentes du Gouvernement et surtout d'un mauvais usage des informations dont il disposait. Pourtant, depuis plusieurs années, le Sénat n'a cessé d'alerter le Gouvernement sur l'état des finances publiques et a même proposé, notamment dans le cadre du dernier projet de loi de finances, de nombreuses pistes d'économie qui ont été balayées.

La France se trouve aujourd'hui dans une situation délicate et sa crédibilité pourrait être durablement entamée face à ses partenaires européens, puisque le conseil des ministres des finances de l'Union européenne devrait se réunir le 16 juillet prochain et se prononcer sur l'ouverture d'une procédure de déficit excessif à son encontre. Le cas échéant, le Conseil pourrait inviter la France à engager, dans un délai de six mois maximum, une action suivie d'effet visant à mettre en oeuvre une trajectoire de correction des dépenses et à ramener le déficit public sous les 3 % du PIB. Il est donc urgent d'identifier les réformes nécessaires au redressement de nos finances publiques.

Monsieur le ministre, dans le contexte actuel des élections législatives, comment la France compte-t-elle se mettre en conformité avec ses engagements européens ? Par ailleurs, compte tenu des incertitudes liées au contexte politique, la France sera-t-elle en mesure de transmettre son plan budgétaire et structurel national avant le 20 septembre 2024, comme cela est prévu dans le cadre du volet préventif du pacte de stabilité, sachant également qu'en application de l'article 1 K de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), ce rapport doit être transmis au Parlement ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir dans ce moment décisif du cycle institutionnel européen, puisqu'à la fin de cette semaine se tiendra sans doute le Conseil européen le plus important des cinq années qui viennent. En effet, il décidera des postes à haute responsabilité, il s'accordera sur l'agenda stratégique, ce document de quatre à cinq pages qui fixe la feuille de route des institutions européennes pour les cinq années qui viennent, et il abordera d'autres sujets. Évidemment, la France, par l'intermédiaire du Président de la République, entend bien peser de tout son poids pour faire entendre sa voix sur ces trois sujets.

J'indiquerai les éléments de préparation que nous avons mis en oeuvre pour aborder cette échéance et ce que nous en attendons.

Sur le premier point, qui est celui de l'attribution des postes à haute responsabilité, je rappelle que ces nominations doivent refléter les résultats de l'élection européenne qui ont conduit à une reconduction au sein du Parlement européen de la coalition centrale formée par les groupes PPE, Socialistes et Démocrates (S&D) et Renew, qui avoisine aujourd'hui les 400 sièges, la majorité étant fixée à 361. D'autres exigences que la seule exigence politique sont à prendre en compte : le haut niveau de compétences des personnalités appelées à occuper ces postes à haute responsabilité, le respect d'un équilibre géographique entre l'Europe du Sud, l'Europe centrale et orientale, l'Europe de l'Ouest, et l'égalité femmes-hommes.

Comme en 2019, c'est un sujet sur lequel le Président de la République s'est directement impliqué en recevant à l'Élysée les différents candidats aux fonctions en jeu. Ces rencontres lui ont permis de faire part à chacun d'entre eux des attentes de la France, telles qu'elles ont été exprimées et détaillées par le Président dans son discours de la Sorbonne, et d'échanger avec eux sur leur engagement programmatique ou leur sensibilité sur les priorités de la France. Dans ces conditions, la discussion s'est largement organisée autour du Président de la République, tout particulièrement lors du Conseil européen du 17 juin dernier, en amont duquel le Président a réuni les chefs d'État ou de gouvernement de la famille politique Renew, puis les différents blocs de négociateurs des partis de la majorité centrale, avant que les échanges ne se poursuivent au Conseil européen.

Hier, les discussions ont franchi un nouveau cap lors d'une visioconférence des six négociateurs - MM. Macron et Rutte pour la famille Renew, de France et Pays-Bas, MM. Mitsotakis et Tusk pour le PPE, de Grèce et Pologne, MM. Sanchez et Scholz pour les S&D, d'Espagne et Allemagne -, qui a permis de dégager une position commune autour de la reconduction d'Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission, et de la nomination d'Antonio Costa à la présidence du Conseil européen et de Kaja Kallas pour les fonctions de haute représentante. Cette position commune, que le Président de la République soutient, sera au centre du Conseil européen de demain et après-demain, en vue d'un accord rapide sur ce sujet crucial pour l'avenir de notre Union. J'insiste sur un point : dans le contexte international que nous traversons, il est dans l'intérêt de l'Europe de disposer au plus vite d'un leadership européen fonctionnel.

J'en viens à l'agenda stratégique, qui est un document clé, puisque, pendant ces cinq années, tout nous ramène à ces quatre à cinq pages d'orientation stratégique. Ce document est préparé par le président du Conseil européen sortant et son équipe, et a vocation à être adopté à la fin de la semaine par le Conseil européen. Il fait actuellement l'objet d'intenses négociations à Bruxelles entre nos représentants permanents, ainsi qu'au niveau des ministres des affaires européennes ; j'étais moi-même hier à Luxembourg pour faire valoir un certain nombre de points ou de formulations que nous voulons y voir figurer.

La version à partir de laquelle nous débattons est structurée autour de trois chapitres qui sont pleinement alignés avec les trois axes du discours de la Sorbonne du Président de la République du 25 avril dernier : la démocratie et les valeurs, l'État de droit, l'influence de l'Union européenne dans le monde, etc. ; la sécurité, la défense et la question des migrations ; l'Europe prospère et compétitive.

Sur la forme, nous sommes satisfaits. En termes de contenu, nous avons toutefois poussé pour renforcer les messages contenus dans ces chapitres, afin d'éviter des messages flous, à la fois sur les constats et sur les orientations, mais d'affirmer des engagements programmatiques précis, clairs et ambitieux. Nous allons donc insister jusqu'à la dernière minute, sans doute pendant la discussion entre les chefs d'État ou de gouvernement, sur le soutien à notre base industrielle de défense, avec une référence claire à la notion de préférence européenne - chacun d'entre vous sait qu'il n'est pas simple d'imposer la préférence européenne dans un document comme l'agenda stratégique -, la protection des frontières extérieures de l'Union européenne et la mise en oeuvre du pacte sur la migration et l'asile, la poursuite du pacte vert avec davantage d'appui à sa mise en oeuvre effective et à l'accompagnement des transitions, la prolongation et l'approfondissement de l'agenda de Versailles avec un effort renouvelé dans les secteurs technologiques et industriels critiques - nous voulons à tout prix que l'agenda de Versailles figure dans l'agenda stratégique, parce qu'il signifie que l'Europe se donne une politique industrielle ambitieuse pour réduire ses dépendances stratégiques passées et à venir, donc s'autorise à faire de la politique industrielle -, l'achèvement de l'union des marchés de capitaux et de l'union bancaire, la protection de l'État de droit et de la démocratie, et la lutte contre les menaces hybrides, autre sujet sur lequel la France est à l'avant-garde.

Suivra la discussion d'autres points qui figureront dans les conclusions de ce Conseil européen : l'Ukraine, le Proche-Orient, le financement de la défense, la question de la Moldavie, celle la Géorgie ou encore celle de la mer Noire. Nous voulons que ces conclusions réaffirment de la manière la plus nette et la plus concrète le soutien de l'Union européenne à l'Ukraine, notamment sur le volet du soutien militaire, et évoquent la traduction à l'échelon européen de l'accord trouvé lors du G7 sur l'utilisation des revenus issus des avoirs russes gelés.

Nous voulons que figurent dans ces conclusions la poursuite des travaux en vue d'identifier des sources de financement pour le développement des capacités de défense européennes et l'affirmation d'un principe de préférence européenne. La Commission européenne fera demain une présentation orale des pistes qu'elle envisage et nous souhaitons qu'elle aille aussi loin que possible dans l'exploration des différentes options que nous avons encouragées : nouvelles ressources propres, possibilité d'un emprunt, recours à la Banque européenne d'investissement (BEI), etc.

Nous insistons beaucoup pour aboutir à des conclusions ambitieuses sur l'approfondissement de l'union des marchés de capitaux. Là encore, nous souhaitons que la Commission européenne vienne avec des propositions concrètes pour la mise en oeuvre des éléments que l'on estime nécessaires à cet approfondissement : titrisation, droits des faillites, produit d'épargne européen, supervision.

J'en viens aux questions qui m'ont été posées.

Faut-il être inquiet de l'impact de la situation politique nationale sur la capacité de la France à peser sur les conclusions, l'agenda stratégique et les postes à haute responsabilité ? La réponse est non pour deux raisons principales.

En premier lieu, il s'agit d'un travail qui a été engagé de longue date par le Président de la République, à la fois dans la relation avec les personnalités appelées à occuper ces fonctions et dans le travail programmatique. En effet, le discours de la Sorbonne était à dessein très détaillé : il a ensuite été utilisé par la diplomatie française, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et moi-même pour faire évoluer certains de nos partenaires vers nos positions. La déclaration franco-allemande sur la compétitivité, qui est en quelque sorte une étape avant l'agenda stratégique, en est le meilleur exemple.

En second lieu, la France reste la France. Au Conseil européen, la France, du fait de sa population, de son rôle historique de pays fondateur, occupe une place centrale dans les débats.

Je me félicite du succès de la visite d'État du Président de la République en Allemagne. On sent bien que notre partenaire outre-Rhin rencontre aujourd'hui des difficultés après les grands paris stratégiques qu'il a faits, que ce soit en matière sécuritaire avec une dépendance très forte aux États-Unis, en matière industrielle avec une industrie automobile qui ne trouve comme débouché que la Chine, en matière énergétique avec la dépendance au gaz russe. C'est en douceur que nous avons amené nos partenaires allemands - sur certains sujets, grâce à l'appui de nos partenaires polonais avec lesquels nous avons réactivé le format du triangle de Weimar - à formuler a minima les mêmes constats que les nôtres, à savoir la nécessité pour l'Europe de résister aux menaces nouvelles qui émergent, notamment la violation par un certain nombre de régimes de toutes les règles qui se sont appliquées pendant de longues décennies : règles du commerce international, règles démocratiques...

C'est pourquoi, tout en soutenant les secteurs qui pouvaient en faire les frais de manière collatérale - la filière du cognac en particulier, nous avons approuvé sans aucune forme d'ambiguïté la décision qui a été prise par la Commission européenne, de se saisir des outils de sanction à l'encontre de régimes de subventions abusifs et des outils anti-coercition, qui ont été construits ces dernières années pour résister à la tentation de la Chine d'écouler ses surcapacités en Europe, face à des États-Unis d'Amérique qui se ferment de plus en plus. Dans le domaine du véhicule électrique, de l'éolien, du photovoltaïque, des enquêtes ont été lancées. C'est lorsqu'on dissuade un partenaire commercial d'adopter des pratiques commerciales déloyales, bien plus que lorsqu'on le sanctionne, que l'on a la preuve de l'efficacité de ces outils. Ainsi, en Bulgarie, si ma mémoire est bonne, deux réponses à un appel d'offres public ont été retirées par des entreprises chinoises, de peur de se trouver en contravention avec les règles européennes.

À la suite du durcissement de la position de la Commission européenne face à la Chine, nos voisins allemands ont nourri quelques inquiétudes et ont demandé toutes les précisions nécessaires pour soutenir ces décisions. En prenant connaissance des informations détaillées fondant les décisions prises par la Commission, l'Allemagne y a consenti.

L'agenda stratégique doit être l'occasion d'affirmer que l'ouverture de l'Union européenne, qui est une chance pour les entreprises qui exportent et pour l'agriculture européenne notamment, ne doit pas se faire au détriment de ceux qui subiraient une concurrence déloyale de la part d'entreprises subventionnées par leur pays d'origine.

Sur l'immigration, l'objectif est bien de mettre en oeuvre le pacte sur la migration et l'asile. Dans sa dimension intérieure, beaucoup reste à faire, notamment concernant les systèmes d'information nécessaires au filtrage, au contrôle et au suivi des personnes qui entrent sur le sol européen - une feuille de route notamment portée par l'agence de l'Union européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (EU-Lisa). Dans sa dimension extérieure, il s'agit de renforcer les liens avec les pays d'origine pour construire avec eux une politique migratoire raisonnée, sans exclure pour l'avenir de recourir à de nouveaux outils qui n'ont pas été inclus dans ce pacte. Je pense en particulier, pour ce qui concerne les réadmissions, à la politique commerciale de l'Union européenne. Et pour inciter certains pays à reprendre leurs ressortissants, nous avons activé des leviers comme la coopération, l'aide au développement ou la politique des visas. Nous n'avons pas encore utilisé le levier de la politique commerciale, mais nous pourrions l'envisager pour l'avenir.

Nous n'avons en effet pas soutenu le courrier des quinze États que vous évoquez. De fait, nous ne sommes pas favorables à l'externalisation du traitement de la demande d'asile dans le pays d'origine ou de transit, car nous considérons qu'une telle solution serait contraire à nos engagements internationaux, en particulier à la Convention de Genève, ainsi qu'à notre Constitution. Je rappelle néanmoins que le pacte sur la migration et l'asile prévoit que le traitement de la demande d'asile des personnes arrivant de pays d'origine sûre pourra se faire à la frontière extérieure de l'Union européenne.

Les conclusions du Conseil européen contiendront un appel au gouvernement géorgien à clarifier ses intentions et à inverser le cours de son action politique qui menace le chemin européen de la Géorgie et pourrait interrompre son processus d'adhésion. C'est très fort de dire qu'au regard de la situation dans ce pays, c'est désormais le processus d'adhésion lui-même qui est menacé.

Sur le soutien à l'Ukraine, madame Dumas, vous êtes sévère. Pour notre part, nous constatons que les Ukrainiens ont été très réceptifs à l'engagement de la France depuis le début de la guerre d'agression russe dans leur pays. Je rappelle que c'est sous présidence française que les premiers régimes de sanctions et les premiers instruments d'incitation au financement de l'effort de guerre ukrainien ont été votés, et que 50 milliards d'euros ont été débloqués cet hiver pour le soutien à la reconstruction et le soutien civil. En outre, à l'échelon bilatéral, nous ne sommes pas restés les bras ballants ; je pense aux annonces relatives aux avions ou à la formation des soldats ukrainiens, qui témoignent de la clarté du soutien français à l'Ukraine. Ce n'est pas toujours le cas, y compris de la part de pays qui peuvent avoir apporté un soutien un peu plus important. Le poste diplomatique que nous avons sur place relaie la reconnaissance des Ukrainiens face à cette clarté de la France et à l'intensité de son soutien.

Pour ce qui concerne le vote aux élections européennes et ses conséquences sur le Parlement européen, je rappelle que la majorité est reconduite. Le groupe qui progresse le plus est le PPE, la droite européenne. C'est donc sur ce socle qui va de la droite européenne aux Socialistes et Démocrates, en passant par Renew, que va se constituer la majorité. On observe donc une forme de continuité. Quant aux droites radicales ou à l'extrémité du spectre, elles sont à ce jour très divisées, ce qui limite très largement leur capacité d'influence.

A contrario, la France a conservé la présidence du groupe Renew, qui est un groupe pivot au Parlement européen. C'est un atout, malgré la réduction du nombre des parlementaires appartenant à ce groupe ; en effet, présider un groupe pivot dans une majorité permet de porter de manière plus efficace ses propositions. D'ailleurs, les idées françaises ne sont parfois ni de droite ni de gauche. Je regrette que, durant la campagne des élections européennes, certains sujets que nous voulons faire entrer dans l'agenda stratégique, et qui ne font pas l'unanimité en Europe, n'aient pas été soutenus par une grande partie des candidats.

Lorsque 100 % des Français rejettent un accord comme le Mercosur, mais que 90 % des pays européens veulent l'adopter, comment faire entendre au maximum la voix de la France au Parlement européen ? Qu'il y ait au coeur de la majorité européenne un groupe présidé par la France est donc une bonne nouvelle.

Vous m'avez interrogé sur le risque juridique associé à la mobilisation des revenus d'aubaine tirés des actifs russes gelés. Ce sont seulement les profits d'aubaine produits par les actifs que nous allons taxer et utiliser, et non pas les 200 milliards d'actifs en tant que tels. Il n'y a donc pas de confiscation et le risque juridique est fortement atténué. D'ailleurs, la Banque centrale européenne (BCE) est d'accord avec la solution que nous avons trouvée. Les profits d'aubaine nous permettront d'obtenir 1,4 milliard d'euros pour le soutien militaire à l'Ukraine dès le mois de juillet ; la Hongrie ne s'y est pas opposée.

J'étais présent, hier, à la conférence intergouvernementale d'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Ukraine. Nous parlons là d'une échéance lointaine. En effet, le travail à réaliser par l'Ukraine pour adhérer à l'Union européenne est extrêmement exigeant. Je rappelle que le plus difficile pour un tel pays n'est ni le rattrapage économique ni le rattrapage social : le premier chapitre qui est ouvert lorsqu'un pays prétend adhérer à l'Union européenne, et qui est aussi le dernier à être fermé, c'est celui de la protection de l'État de droit, de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance de la justice, du pluralisme et de l'indépendance des médias, de la protection des minorités, de la liberté académique. Il s'agit de l'article premier du contrat européen et les pays candidats doivent s'astreindre à le respecter, avant même que ne se pose la question de leur poids économique ou de leur impact sur les politiques de cohésion.

L'élargissement est fondé sur un équilibre entre l'intérêt géopolitique des adhésions futures et les réformes menées par les États candidats. La France a la réputation d'être un peu stricte sur ces questions, et elle est particulièrement attentive à ce que la logique des mérites propres soit respectée. En effet, on n'adhère pas à l'Union européenne pour des raisons politiques ; on y adhère parce qu'on a coché, une à une, toutes les cases. Hier, lors des conférences intergouvernementales, les pays candidats eux-mêmes ont demandé à être évalués sur le fondement des mérites propres.

M. Jean-François Rapin, président. - Pas tous !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - La Moldavie en tout cas.

L'élargissement futur peut avoir un coût, mais aussi de nombreux bénéfices : sécurité, stabilité du continent, marché intérieur plus grand, Europe plus forte dans le monde, etc. Les bénéfices sont difficilement chiffrables. Certes, la reconstruction de l'Ukraine aura un coût important ; nous y travaillons déjà, notamment au travers de conférences pour la reconstruction. Nous n'avons jamais de complète certitude sur les coûts et les bénéfices exacts. Nous savons, en revanche, que le pays qui a quitté l'Union européenne voilà quelques années a perdu 3 000 euros de PIB par habitant, même s'il a fait quelques économies budgétaires en récupérant sa contribution.

En d'autres termes, l'intérêt à adhérer à l'Union européenne ne peut pas se mesurer uniquement à l'aune du solde budgétaire de notre contribution et de notre taux de retour, mais à celle d'avantages dont certains sont mesurables - les avantages économiques - et d'autres non - la sécurité, la stabilité, la démocratie. Pour cette raison, la France indique à ses amis européens qui sont favorables au pacte vert, à l'élargissement et à la défense européenne qu'il faut, dans ces conditions, augmenter la capacité financière de l'Union. Sinon, comment financer tout cela ?

La position du Gouvernement sur le Proche-Orient reste la même, en tout cas dans le cadre de ce Conseil européen. Dans les conclusions de celui-ci figurera une reprise des positions constantes de l'Union européenne sur ce sujet, mais nous avons insisté pour qu'y figure aussi le soutien au Liban - c'est le cas dans la version que nous avons entre les mains, qui est encore évolutive.

Madame Lavarde, il est vrai que la Belgique, la France, l'Italie, la Hongrie, Malte, la Pologne et la Slovaquie font l'objet d'une procédure de déficit excessif (PDE). C'est, pour notre pays, l'une des conséquences des décisions prises par le Gouvernement et le Parlement de maintenir plus longtemps qu'ailleurs des niveaux de protection du pouvoir d'achat des Français pour éviter que la flambée des prix de l'énergie ou des coûts de l'alimentation ne pénalisent nos concitoyens, notamment les plus modestes.

Oui, le Sénat a proposé de nombreuses pistes d'économies, mais pas l'Assemblée nationale. Au contraire, lorsque le Gouvernement s'est risqué à faire des propositions en ce sens, entre autres pour sortir des dispositifs d'urgence, sa majorité parmi les députés n'était pas suffisamment assise pour que ces décisions puissent être adoptées, d'autant que, à droite comme à gauche, la poursuite de ces dépenses exceptionnelles était régulièrement réclamée.

Je note néanmoins qu'en même temps qu'elle soumettait la France et d'autres pays à la procédure de déficit excessif, la Commission européenne pointait les déséquilibres macro-économiques de douze États membres, considérant que notre pays, l'Espagne et le Portugal n'en connaissent plus , les vulnérabilités ayant globalement diminué.

Vous le savez, le Gouvernement a pour objectif constant de ramener le déficit sous la barre des 3 % de PIB en 2027. C'est notre responsabilité vis-à-vis de nos partenaires européens. Cela signifie-t-il que le niveau des déficits agrégés à l'échelon européen devrait être à 3 % ? J'ai la conviction - je n'engage pas la parole du Gouvernement - que la réponse est négative. Aux États-Unis, le niveau de déficit se situe aujourd'hui aux alentours de 8 % et le niveau de dette publique attendu par le Fonds monétaire international (FMI) à l'horizon 2027 se situe à 135 %, c'est-à-dire à 55 points de PIB au-dessus du déficit public agrégé attendu pour l'Union européenne à la même échéance. Si nous voulons résister à cet appel d'air considérable que les États-Unis sont en train de créer avec l'IRA (Inflation Reduction Act), il est nécessaire de mobiliser des financements. Pour autant, cela ne nous exonère en aucun cas de respecter nos obligations vis-à-vis de nos partenaires européens.

Enfin, je ne vois pas pour quelle raison la transmission au Parlement du plan budgétaire et structurel national ne pourrait pas avoir lieu dans les temps.

M. Jean-François Rapin, président. - Il est bon d'avoir rappelé que, pour l'Ukraine, le chemin de l'adhésion serait long. Dans ces périodes de débats politiques, on a tendance à penser que tout va se faire très rapidement. Ce processus d'intégration de nouveaux pays dans le cadre de l'élargissement doit être d'autant plus long, et probablement plus intense, que l'on se rend compte, dans la durée, que des pays déjà intégrés à l'Union européenne, peuvent, au regard de leur évolution politique nationale, diverger de ce que l'on appelle l'État de droit.

De ce point de vue, la vigilance de l'Union doit être forte. Certes, on ne peut pas présager de l'évolution politique nationale d'un pays, mais il faut des garde-fous pour préserver les grandes valeurs européennes.

Par ailleurs, j'observe avec inquiétude que l'UE a peu de garanties de retour sur les 50 milliards d'euros prêtés à l'Ukraine. Mme Kallas a proposé un nouvel emprunt européen de 100 milliards d'euros. Vous connaissez la position du Sénat sur cette question tant que l'Union européenne n'a pas créé de nouvelles ressources propres, ne serait-ce que pour rembourser le premier emprunt.

Mme Marta de Cidrac. - Le verdict des élections européennes est tombé, et pour nous, Français, le panorama qu'elles ont dessiné est particulièrement contrasté. Dans notre pays, en effet, la dissolution qui a suivi a ouvert une phase de polarisation et d'incertitude politique que nous n'avions pas connue depuis longtemps. Légitimement, la situation inquiète au-delà de nos frontières autant qu'elle abîme la crédibilité et l'influence européenne du Président de la République et, peut-être demain, celles de la France.

À l'échelon continental, en revanche, une stabilité relativement inattendue semble prédominer. Grâce à la victoire du PPE, la coalition pro-européenne sortante limite l'érosion de ses contingents et peut aspirer à former de nouveau le socle des futures majorités à Strasbourg. Il est également vrai que les formations souverainistes et nationalistes, parfois extrémistes, poursuivent leur progression. À l'est de l'Europe, elles conservent leurs positions ; à l'ouest, elles en acquièrent de nouvelles, notamment en France et en Allemagne. On est donc loin d'un satisfecit électoral adressé aux dirigeants européens.

Les grands équilibres structurant le Parlement européen n'étant pas pour l'heure battus en brèche, c'est bien une forme de continuité qui devrait prévaloir : continuité a priori à la tête des institutions, mais relative continuité également dans les politiques menées. C'est en tout cas ce qui ressort du projet d'agenda stratégique que le Conseil européen s'apprête à adopter. En effet, les lignes de force et les grandes thématiques de ce document, qui servira de fil d'Ariane à la prochaine Commission, diffèrent finalement assez peu de celles qui ont été définies en 2019.

Un certain nombre d'inflexions méritent cependant d'être relevées et saluées. Je pense en particulier à la prise en compte des grands bouleversements intervenus ces dernières années - pandémie de covid-19, guerre en Ukraine, montée des tensions géopolitiques -, qui amène le Conseil européen à insister plus fortement sur les éléments destinés à concrétiser les concepts de résilience et d'autonomie stratégique.

Je pense, ensuite, à l'approche en matière de transition écologique. En effet, si l'agenda de 2019 préfigurait assez clairement la démarche très normative poursuivie au travers du Green Deal, celui de 2024 laisse présager que l'Europe marquera une pause sur le terrain réglementaire et se concentrera désormais davantage sur les volets industriels et technologiques de la transition verte.

Je pense, enfin, à la salutaire prise de conscience du décrochage économique européen et à la volonté de restaurer une compétitivité en berne face à celle des concurrents américain et chinois.

Je souligne toutefois que les mesures mises en avant dans le programme sont présentées comme prioritaires depuis - au moins - la Commission Juncker. Aggiornamento de la politique commerciale, simplification réglementaire, achèvement du marché unique dans les domaines stratégiques, finalisation de l'union bancaire ou de l'union des marchés de capitaux : nous souscrivons naturellement à tous ces objectifs. Toutefois, monsieur le ministre, existe-t-il des éléments tangibles permettant de penser que ces projets aboutiront prochainement, alors que certains ont été mis sur la table il y a déjà près de dix ans ?

Par ailleurs, nous partageons pleinement l'accent mis sur le renforcement de la sécurité énergétique et de nos capacités de défense. Sur ces sujets si sensibles et stratégiques, l'Europe devra, bien mieux que par le passé, parvenir à atteindre et concilier deux impératifs : d'une part, elle devra réussir à dégager une vision et une dynamique véritablement autonomes et partagées par l'ensemble des États membres, d'autre part, elle devra articuler beaucoup plus harmonieusement ce cadre avec l'exercice des souverainetés nationales. Sur ce dernier point, la question de la réforme des institutions, qui fait avec l'élargissement son apparition dans le programme stratégique, aura un impact évident.

En novembre dernier, le précédent Parlement européen a ainsi formulé des propositions d'essence nettement fédéraliste pour l'avenir de l'Union européenne. Pour sa part, le Conseil européen adoptera une feuille de route pour les réformes internes. La perspective de ces réformes directement liées au tempo des futurs élargissements ne pourra s'inscrire que dans le moyen ou le long terme. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer si ces documents offrent à ce stade des pistes de réflexion sur la quadrature du cercle, qu'il faudra un jour résoudre, à savoir rendre l'ensemble européen, à la fois plus large, plus efficace, plus cohérent et plus respectueux de la subsidiarité ?

Enfin, la plupart des priorités formulées par les chefs d'État ou de gouvernement sont liées à la question des financements. À part convoquer la BEI et souligner l'importance des investissements publics et privés, le texte ne dit presque rien sur le sujet. Or nous savons qu'un mur budgétaire devra être franchi au cours de cette mandature. Alors que les modalités précises du remboursement de l'emprunt covid sont toujours dans les limbes, pouvez-vous nous éclairer sur toutes les réflexions en cours pour éviter l'ornière financière qui s'annonce ?

M. Michaël Weber. - La réussite de l'Europe, en particulier pour nos concitoyens, réside dans la force du couple franco-allemand et dans le poids de la France au sein de ce couple. Nous nous posons tous cette question : quel est le poids politique que la France peut avoir après les élections européennes ?

Il me semble que l'incertitude est aujourd'hui totale, à la suite de la décision - incompréhensible - de dissolution. À mon sens, celle-ci fragilise fortement la position française en Europe. Il n'est qu'à voir l'analyse qui en est faite dans le contexte international actuel, en particulier l'impact en Ukraine. Nos partenaires européens sont sans doute très surpris, mais aussi très inquiets.

Aujourd'hui, l'extrême droite est aux portes du pouvoir. L'euroscepticisme gagne du terrain. La coalition des partis nationalistes d'extrême droite est maintenant le troisième groupe au Parlement européen devant le parti soutenu par le Gouvernement, Renew. Même si le PPE a gagné beaucoup de sièges, Renew en a perdu un certain nombre.

Il me semble que ce gouvernement porte une responsabilité dans cette séquence électorale puisqu'il a, à mon sens, légitimé l'extrême droite comme alternative politique.

Aussi, la délégation française est maintenant dominée par une extrême droite qui n'a jamais caché ses accointances avec la Russie de Poutine. Sur les sujets les plus brûlants, comme le soutien à l'Ukraine, ne peut-on craindre le revirement isolationniste d'une Europe au sein de laquelle les nationalistes ont un poids fort, sans compter ce que supposerait le retour de Trump aux États-Unis ?

Sur l'Ukraine, le Président de la République a toujours eu une position forte qui faisait l'unanimité, y compris en France. Ce poids est aujourd'hui totalement amoindri.

À cela s'ajoute le déficit public excessif, pour lequel le Gouvernement a été interpellé. C'est à mon sens un élément supplémentaire de l'affaiblissement du poids de la France dans les négociations sur la mise en place des institutions européennes.

Ce Conseil européen annonce l'effacement de toute politique progressiste à l'échelon européen au travers de la complaisance affichée envers les plus conservateurs. Je pense notamment à l'agenda pour l'Europe, où toute ambition climatique et environnementale a été abandonnée : il n'en est question ni dans l'ordre du jour ni dans l'agenda stratégique 2024-2049. Les seules thématiques qui ont été abordées sont la guerre et la compétitivité, avec une minorité d'extrême droite ayant une capacité de blocage au sein du Conseil.

L'Union européenne risque de se dégrader en devenant simplement une entente des Nations, un intergouvernementalisme, une zone de libre-échange. Le projet politique européen, unique au monde, est mis à mal. Le soutien durable et crédible à l'Ukraine est déjà bousculé. L'espoir d'une prise de position ferme de l'Union européenne en faveur du peuple palestinien est, lui aussi, mis à mal. Le blocage orchestré par la Hongrie risque d'avoir de nouveaux appuis en France.

Se profile également le risque d'invisibilisation de l'urgence climatique, conséquence du relativisme des conservateurs. Certes, l'Europe ne représente que 20 % des émissions de gaz dans le monde, mais si les responsables historiques du réchauffement climatique ne sont pas exemplaires dans leur trajectoire de décarbonation, personne ne le sera ! De ce point de vue, les représentants polonais de Droit et justice, italiens de Fratelli d'Italia et hongrois de Viktor Orban au Parlement européen ont systématiquement voté contre les politiques climatiques et contre les lois de préservation de la nature. À cet égard, Ursula von der Leyen, dont vous soutenez la réélection à la tête de la Commission, a pris soin d'effacer toute allusion au pacte vert, au climat et à l'environnement, aux fins de séduire l'électorat le plus conservateur, notamment le groupe CRE.

Alors que le pacte vert a été le fil rouge du mandat précédent, la compétitivité serait élevée au titre d'objectif premier, à laquelle toutes les politiques seraient conditionnées. C'est véritablement un non-sens qui irait à rebours des défis de notre temps et mettrait en danger, notamment, la transition écologique et ses objectifs. La compétitivité ne peut tenir lieu de projet de société. La transition écologique doit être le moteur de ses transformations.

M. François Bonneau. - Le Conseil européen à venir aura pour objet de cadrer le prochain cycle institutionnel avec le renouvellement des différentes instances, notamment la désignation du président de la Commission européenne. Je ne peux que m'interroger, à mon tour, sur le poids de la France dans ce jeu institutionnel. Avec la dissolution de l'Assemblée nationale survenue au soir du résultat des élections européennes, notre pays se trouve plongé au coeur d'une campagne électorale qui semble susciter davantage l'intérêt de nos concitoyens que les précédents scrutins. Cette dissolution vient aussi détourner notre regard du renouvellement des instances européennes, qui passe au second plan. On peut également observer que la voix de notre pays n'est plus aussi écoutée qu'auparavant par nos partenaires ; elle est décrédibilisée.

Il convient aussi de s'interroger sur le soir du 7 juillet prochain. Que se passera-t-il si notre pays connaît une quatrième cohabitation ? Qui participera désormais au Conseil européen : le chef de l'État ou le chef du Gouvernement ? Qui désignera le futur commissaire européen français ? Autant de questions qui restent sans réponse aujourd'hui, mais qui ne seront pas sans conséquences sur le renouvellement des instances européennes et sur la crédibilité française. En effet, si nous devons déjà clarifier au sein de notre pays qui sera en mesure de conduire la politique de la Nation, il y aura certainement une lutte pour savoir qui incarnera la politique étrangère européenne de notre pays. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle est tout à fait différente de l'extrême gauche à l'extrême droite, en passant par le bloc central.

Les instances renouvelées auront aussi rapidement à débattre du cadre financier pluriannuel (CFP), qui va jusqu'en 2027. Sur ce sujet, la France, qui vient de subir un sérieux rappel à l'ordre pour cause de déficit budgétaire excessif, pourra-t-elle faire entendre sa voix lors du processus d'élaboration du prochain CFP de l'Union européenne ? Poser la question, c'est déjà donner un élément de réponse...

Le rappel à l'ordre budgétaire dont la France vient de faire l'objet de la part de la Commission européenne est classiquement assorti de sanctions financières fixées à 0,1 % du PIB par an. Notre pays doit donc opérer une correction financière de 2,5 milliards d'euros afin de se conformer de nouveau au pacte de stabilité et de croissance.

La lecture des programmes des différents blocs, en l'occurrence pour les élections législatives, me permet de douter de la réalisation de cet objectif pourtant majeur.

Sur le plan international, je ne peux que réaffirmer le soutien du groupe Union Centriste à l'Ukraine, soutien qui doit passer par la fourniture de davantage de munitions, comme nous le demandons très régulièrement. D'un point de vue institutionnel, les discussions pour l'élargissement de l'Union à l'Ukraine et à la Moldavie ont débuté hier avec la convocation des premières conférences intergouvernementales. Si cet élargissement va dans le bon sens, nous pouvons aussi nous interroger sur le sort de ce dernier au regard du résultat des élections législatives françaises.

Par ailleurs, n'oublions pas le conflit israélo-palestinien : comme notre groupe l'a déjà exprimé, nous ne sommes pas favorables à la suspension de l'accord d'association avec Israël, car cette mesure enverrait un très mauvais signal. Pouvez-vous nous indiquer la position du Gouvernement en la matière ?

Enfin, qu'en est-il du projet de loi relatif à la résilience des activités d'importance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier ? Vecteur de transposition de directives européennes, ce texte devait être examiné prochainement par notre assemblée : sera-t-il à nouveau inscrit à l'ordre du jour de nos travaux en cas de reconduction du Gouvernement ?

Mme Nadège Havet. - Monsieur le ministre, je voudrais connaître votre interprétation des résultats des élections européennes au regard de la feuille de route que s'est fixée la France : dans quelle mesure la continuité de notre action peut-elle être envisagée ?

Je pense notamment au domaine de l'environnement et à la transition écologique et énergétique : le 17 juin, le soutien in extremis de l'Autriche a permis l'adoption définitive du règlement sur la restauration de la nature, texte qu'a soutenu la France. Après quelques soubresauts, l'Union européenne s'est ainsi dotée d'un nouvel objectif inédit, à savoir restaurer au moins 30 % de ses terres et mers dégradées d'ici à la fin de la décennie et l'ensemble des écosystèmes d'ici à 2050.

Ce progrès intervient après de nombreuses avancées enregistrées ces dernières années, dont la taxe carbone aux frontières et la redéfinition de la taxonomie européenne au bénéfice de la relance de la production nucléaire. Rappelons que le gouvernement auquel vous appartenez a été à l'impulsion de cette politique, qui permet déjà et qui permettra encore de réduire les factures d'énergie.

Je tiens aussi à citer le pacte vert, ainsi que le plan massif de relance européen qui a fait suite à la crise du covid et dont un tiers des crédits doivent être fléchés vers l'action climatique. La France a ainsi pu atteindre en 2023 une baisse record de ses émissions de gaz à effet de serre de près de 6 %.

Mon groupe s'inquiète d'une rupture alors que le Haut conseil pour le climat (HCC) a souligné la semaine dernière que la France avait enregistré des avancées significatives, tout en appelant à maintenir le cap. Cette dynamique doit être à la fois soutenue et mieux accompagnée, afin de trouver un équilibre entre ceux qui jugent le processus trop lent et ceux qui rencontrent déjà des difficultés dans la mise en oeuvre de cette transition, que nous devons mener ensemble.

Le Conseil européen abordera des sujets majeurs, dont la guerre d'agression russe en Ukraine, la situation dramatique au Proche-Orient et le retour à la stabilité financière des États membres. Concernant la situation ukrainienne, tout d'abord, l'Union européenne a sanctionné une nouvelle fois la Russie, notamment sur l'approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL), alors que les attaques contre les civils et les infrastructures critiques s'intensifient.

Hier, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont délivré deux mandats d'arrêt contre deux dignitaires russes dans le cadre d'une nouvelle vague de sanctions, qui représente le quatorzième train de mesures vis-à-vis de la Russie. Quels progrès ont-ils été accomplis en ce qui concerne l'utilisation des avoirs russes gelés pour soutenir l'Ukraine et sa reconstruction ?

Parallèlement, l'inquiétude est forte face à la perspective de voir le Conseil de l'Union européenne présidé par Viktor Orban, à partir du 1er juillet. Rappelons que l'aide militaire à l'Ukraine de 6,6 milliards d'euros est toujours bloquée à cause du veto hongrois. De plus, le slogan retenu pour cette présidence, « Make Europe Great Again », peut apparaître comme une provocation alors qu'il trace un parallèle direct avec celui qui a été employé par Donald Trump. Comment la France envisage-t-elle cette présidence, notamment à l'égard du soutien à l'Ukraine ?

La France devra par ailleurs être fermement résolue à oeuvrer en vue de mettre fin à la crise à Gaza et de parvenir à une paix durable et pérenne, dans le cadre d'une solution fondée sur la coexistence de deux États. Nous confirmez-vous que le renforcement de l'aide humanitaire sera bien à l'agenda du prochain Conseil européen ?

S'agissant enfin de la position de la Commission européenne quant au déficit budgétaire de huit pays membres, dont la France, les ministres des finances des États concernés devront approuver en décembre les recommandations de la Commission visant à corriger leur déséquilibre. Pourriez-vous nous préciser le détail de cette procédure et les risques inhérents pour notre pays si le déficit venait à s'aggraver lourdement dans les mois qui viennent ?

Mme Silvana Silvani. - Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je souhaiterais m'interroger en préambule sur la pertinence, voire la légitimité, d'organiser un débat au Sénat sur le Conseil européen des 27 et 28 juin prochains. En effet, la tenue de ce débat semble ignorer notre contexte politique marqué par une dissolution expresse, inédite dans son empressement, inédite après un scrutin européen et inédite quant aux délais de convocation des électeurs.

Le Parlement est composé de deux chambres qui se répondent, dialoguent, communiquent et débattent. Sans la chambre basse, le Parlement n'est rien. Bien sûr, le Sénat peut assurer la continuité des travaux parlementaires dans l'intervalle, mais le Gouvernement actuel ne dispose désormais d'aucune légitimité populaire : pour paraphraser Édouard Philippe, la majorité présidentielle est morte. La ligne de l'exécutif a été sévèrement contestée lors des élections européennes et nous attendons d'ici au 7 juillet prochain la clarification nécessaire sur la ligne européenne attendue par nos concitoyennes et nos concitoyens.

Par conséquent, de quel mandat de négociation dispose aujourd'hui le Président de la République pour représenter la France au Conseil européen ? Sur quelle ligne ? En cas de cohabitation, ce dernier devra laisser le soin au Premier ministre de siéger dans cet organe, peut-être à ses côtés. Souvenons-nous que dans cette circonstance constitutionnelle particulière, il s'agit de revenir à la lettre de la Constitution, la France étant alors représentée par les deux têtes de l'exécutif lors des rencontres importantes. Ainsi, lors de la première cohabitation de la Ve République, le président François Mitterrand et le Premier ministre Jacques Chirac ont participé ensemble aux sessions du Conseil européen, en défendant des points de vue différents du fait de leur affiliation politique opposée. Nous contestons donc, tout en nous prêtant à l'exercice, la tenue de cette réunion avec un Parlement amputé d'une chambre, et un Gouvernement sans réel mandat.

La recomposition du Parlement européen marque un tournant important qu'a résumé la Première ministre italienne Giorgia Meloni en déclarant que « les élections ont clairement déplacé le centre de gravité de l'Europe vers la droite ». Le groupe Renew a dégringolé à la quatrième place et montre là encore que le macronisme n'est pas un rempart, mais un marchepied pour l'extrême droite. D'ailleurs, l'exclusion du parti néerlandais VVD - membre d'une coalition avec l'extrême droite -, promise pendant la campagne des européennes par la tête de liste Valérie Hayer, ne semble plus être à l'ordre du jour.

Par ailleurs, je tiens à exprimer les réticences de mon groupe quant au fait de voir Mme Ursula von der Leyen briguer un nouveau mandat. Si tout n'est pas à jeter dans son bilan, elle reste la garante de l'opacité sur les contrats vaccinaux plutôt que la représentante de la transparence qu'elle souhaitait incarner au début de son mandat. En outre, elle est comptable de la réforme de la politique agricole commune (PAC) qui a laissé les petites exploitations de côté ; elle est celle qui, en prétendant desserrer l'étau des règles du pacte de stabilité, a simplement modifié le laçage du corset. La réforme dudit pacte a en effet remplacé des règles caduques par des règles inapplicables et plus dures, en imposant de réduire la dette à hauteur de 1 % par an si celle-ci est supérieure à 90 % du PIB et de ramener le déficit à 1,5 % du PIB en cas de croissance économique. La réforme est donc encore plus sévère que la règle des 3 % du PIB qui s'appliquait jusqu'alors.

Ces règles, qui s'appliqueront dès janvier 2025, n'ont pas empêché la France d'être rappelée à l'ordre la semaine dernière pour déficit excessif. Certes, la gestion budgétaire du Gouvernement, faite de mensonges au Parlement et d'imprévisions manifestes, a porté un coup à la crédibilité budgétaire de notre pays. Mais - faut-il le rappeler - la Commission européenne non élue et le Conseil sont prescripteurs de politiques publiques libérales, et il s'agit d'une forme de chantage à la casse des services publics et de la protection sociale. Au reste, ces règles ne fonctionnent pas et ne sont pas appliquées, mais planent sur les gouvernements des États membres, à commencer par ceux qui acceptent d'y croire et de s'y conformer. Plutôt que de créer de la convergence économique et sociale, ces règles éloignent les États membres avec une faible protection sociale de ceux qui soignent, éduquent et forment gratuitement ou presque.

Enfin, l'impérieuse transition écologique fait voler en éclats toute forme de règles comptables à courte vue : sur les 100 milliards d'euros supplémentaires que doivent investir les acteurs publics et privés pour financer le changement de modèle - tel que préconisé par le rapport Pisani-Mahfouz -, 34 milliards d'euros d'argent public supplémentaires devront être engagés tous les ans d'ici à 2030.

La dissolution de l'Assemblée nationale ne peut représenter la seule réponse à la montée des extrêmes droites en Europe. Il est impératif de réorienter la boussole libérale de l'Union européenne, sauf à souhaiter que d'élections européennes en élections européennes, l'extrême droite prenne le contrôle des institutions du continent. Nous nous y refusons et invitons à un changement de doctrine au sein de l'Union qui permettrait de répondre réellement aux priorités des Européens et de nos concitoyens.

M. Jean-François Rapin, président. - Je tiens à préciser que la tenue de cette réunion n'est pas du fait du Gouvernement mais du Sénat, puisqu'elle a été approuvée à l'unanimité lors de la conférence des présidents : tous les présidents de groupe ont estimé qu'elle était utile compte tenu de l'importance de l'agenda stratégique. L'Union européenne n'attend pas la résolution des problèmes politiques intérieurs de la France pour avancer.

Mme Laure Darcos. - Monsieur le ministre, nous sommes au début d'un nouveau chapitre décisif pour l'avenir de l'Union européenne, les élections du 9 juin ayant démontré que le projet européen était fragile face aux populismes qui gagnent du terrain. Bien qu'attendue, la progression des partis nationalistes au Parlement européen ne doit pas être relativisée. En France, l'extrême droite a obtenu un score historique avec près de 40 % des suffrages exprimés, toutes listes confondues. Si des enjeux nationaux ont évidemment interféré durant la campagne, ne soyons pas dupes : ces résultats sont aussi et surtout l'expression d'une colère qu'il faut entendre.

Cependant, la Pologne et la Suède ont fait un autre choix et prouvé que l'extrême droite pouvait reculer, que sa montée en puissance n'était pas inéluctable. Rappelons que les forces républicaines et proeuropéennes sont toujours largement majoritaires au Parlement européen. Nous devons donc poursuivre nos efforts et être à la hauteur des enjeux actuels, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre.

Les Français ont exprimé leurs inquiétudes dans les urnes et ont aussi des attentes fortes, l'Europe étant un levier d'action essentiel pour apporter des solutions. L'adoption d'un programme stratégique clair et ambitieux lors de ce Conseil est donc primordiale, avec plusieurs enjeux majeurs : la sécurité en Europe, avec une industrie et une souveraineté militaire fortes ; la lutte contre le dérèglement climatique, avec l'alliance de la sobriété et des solutions innovantes ; le numérique, avec un cadre efficace et des outils européens ; l'agriculture, avec des productions alimentaires consolidées. Afin de relever tous ces défis, il nous faut multiplier les initiatives et privilégier l'unité face à des adversaires déterminés à nous diviser.

Par ailleurs, le premier ministre hongrois Viktor Orban prendra à partir du 1er juillet la tête de la présidence du Conseil de l'Union européenne avec le slogan évocateur « Make Europe Great Again » : si nous avions encore des doutes sur ses intentions, ils sont désormais dissipés. Viktor Orban ne fait en effet pas mystère du peu d'attachement qu'il porte à nos valeurs communes, tandis que le programme de sa présidence, trop peu ambitieux, ne doit pas ralentir la transformation de l'Europe. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, les dossiers que vous entendez privilégier au cours de cette présidence ?

Deux visions de l'Union européenne s'offrent à nous : nous pouvons faire le choix d'une Europe repliée sur elle-même, complaisante avec les autocrates et proposant des solutions dangereuses qui entraîneront notre déclassement, ou alors nous battre pour une Europe souveraine, plus indépendante, maîtresse de son destin et fermement attachée à la liberté. La guerre en Ukraine a mis en lumière de façon flagrante les soutiens de Vladimir Poutine. Piégés par celui qu'ils idolâtraient, les populistes de droite et de gauche ont dû se résoudre à condamner à demi-mot la Russie et ont alors pu constater la formidable cohésion des Européens, désireux de soutenir l'Ukraine.

Pour les cinq années à venir, notre groupe défend une transformation du mode de fonctionnement de l'Union européenne, la réforme de l'adhésion à l'UE, mais aussi l'élargissement du vote à la majorité qualifiée pour aller plus loin et plus vite dans divers domaines, dont la fiscalité ou la défense. Le droit de la concurrence en Europe doit aussi être revu. Quelle est la position de la France sur ces sujets ?

Notre souveraineté alimentaire est quant à elle indispensable. Alors que nous allons négocier de nouveau la PAC, quelles sont les leçons tirées des récents événements ? Comment cela orientera-t-il notre position durant ces négociations ?

Le budget de l'Union européenne sera aussi en discussion en 2028, alors que l'adoption du dernier cadre financier pluriannuel a été assez périlleuse. Si nous voulons nous donner les moyens de nos ambitions, nous devrons renforcer notre budget et être capables de doter l'UE de nouvelles ressources propres. Nous avons emprunté collectivement plus de 750 milliards d'euros pour relancer les économies après la pandémie, et, malgré les affirmations de certains, il faudra rembourser cette dette. Si nous ne créons pas de nouvelles ressources propres, les États membres devront augmenter leur contribution financière à l'UE, ce que personne ne souhaite. Je sais que la France est engagée sur ce sujet, monsieur le ministre, mais pouvons-nous encore accepter les rabais insensés accordés à certains États membres ? Pouvez-vous nous assurer que votre position n'a pas changé dans ce domaine ?

J'en termine par un autre point inscrit à l'agenda du Conseil européen, à savoir les top jobs. Si la fumée blanche semble proche, existe-t-il encore des obstacles ? Si oui, de quelle nature sont-ils ? Enfin, la nomination du commissaire européen par la France est une prérogative présidentielle. Quand interviendra-t-elle ? Sera-t-elle liée aux résultats des élections législatives ?

L'Union européenne est un espoir et ne peut pas agir sans ses citoyens. Faisons en sorte que les cinq prochaines années permettent aux Européens de croire à nouveau en l'Europe et de vouloir continuer à vivre ensemble.

M. Jacques Fernique. - Malgré son caractère décisif, ce Conseil européen des 27 et 28 juin ne passionne guère nos concitoyens, focalisés sur les échéances nationales des 30 juin et 7 juillet prochains. La situation paraît particulièrement décalée et déconcertante : en proie à une terrible incertitude, notre Nation est occupée, dans sa bulle, à choisir ses représentants et donc sa ligne gouvernementale, dans ce moment précis où les vingt-sept États membres ont la charge de traduire la nouvelle donne politique issue de l'élection du Parlement européen en propositions pour l'agenda stratégique 2024-2029, sans oublier le renouvellement des principales têtes de l'Union européenne - présidence de la Commission, haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et présidence du Conseil européen.

Comme mes collègues l'ont déjà souligné, monsieur le ministre, la faculté de votre exécutif à peser dans ces choix décisifs du Conseil européen est pour le moins passablement affaiblie. Vous affirmez que notre pays entend peser de tout son poids, mais celui-ci s'est amoindri avec le score médiocre de la liste soutenue par le Président de la République et une extrême droite antieuropéenne qui a obtenu plus de 35 % des suffrages dans notre pays. D'ailleurs, si le scénario du pire se réalise, des ministres d'extrême droite pourraient siéger au nom de la France dans quelques semaines au Conseil des ministres de l'Union européenne et pourraient disposer, aux côtés de leurs homologues italiens, néerlandais, hongrois, slovaques et suédois, d'une minorité de blocage.

Il y a quelque temps, Ursula von der Leyen nous mettait en garde contre « les mandataires de Poutine qui tentent de détruire l'Union européenne de l'intérieur » : il appartient aux citoyennes et aux citoyens français de ne pas renforcer les capacités de ces derniers à nuire à notre pays et à l'Europe. Les dés étant jetés, seule une alternative majoritaire européenne, écologique et sociale serait susceptible à mon sens de redonner durablement du crédit à notre pays dans le cadre du débat engagé autour du renforcement du projet européen.

Cela étant, les dés rouleront encore pendant la réunion du Conseil européen, ce qui est fort regrettable : il s'agit de l'un des graves dégâts collatéraux de ces élections si précipitées. De surcroît, le scrutin européen qui vient de se tenir, même s'il n'a pas significativement changé les rapports de forces pour une coalition majoritaire, a notablement renforcé les rangs des adversaires du projet européen et de ceux - souvent les mêmes - qui mettent en cause le pacte vert, c'est-à-dire le principal acquis de l'agenda stratégique sur lequel s'était engagée l'Union pour le mandat précédent.

Avec une future coalition marquée par un poids accru des conservateurs, l'inclinaison à freiner la transition verte devrait se voir renforcée, tout comme les tergiversations face aux efforts majeurs à fournir pour notre sécurité européenne commune - à commencer par l'aide à apporter à l'Ukraine - et les hésitations en matière d'élargissement. Ce Conseil européen a donc plus que jamais besoin d'Européens déterminés à agir et à bâtir un agenda stratégique qui maintienne le cap et qui débloque, par exemple, les freins à la réduction des pesticides, sapant une bonne part des ambitions environnementales de la PAC, ainsi que les freins qui reportent la révision du règlement Reach et peut-être la sortie des polluants éternels, alors que le Sénat a exprimé clairement sa volonté à ce sujet. De la même manière, des freins entravent le développement des énergies renouvelables, la transition vers des transports durables et l'abandon des moteurs thermiques.

L'un de ces obstacles a cependant été levé avec le règlement de restauration de la nature : cette législation clé pour les écosystèmes a abouti grâce à la ministre autrichienne de l'environnement et il faut poursuivre sur cet élan. L'agenda stratégique européen ne peut pas continuer à faire l'impasse sur l'enjeu capital du financement des investissements verts, et encore moins les empêcher par un carcan budgétaire et des procédures de sanctions. Parallèlement, l'agenda stratégique ne saurait passer sous silence l'accompagnement social indispensable de ces transitions, afin qu'elles ne se traduisent pas par davantage de souffrances et d'inégalités : l'extension du système des quotas carbone au transport et au chauffage des bâtiments nous y oblige.

Voilà, monsieur le ministre, la préoccupation principale de mon groupe à la veille de ce Conseil européen fondateur pour la mandature qui commence. Même si la France n'y disposera pas de la crédibilité que confère une détermination politique durable, il faudra faire en sorte que l'agenda stratégique et les choix des principaux responsables européens ne marquent pas un désastreux recul du pacte vert et du renforcement européen.

Mme Annick Girardin. - Je tiens à remercier le président Rapin et le ministre pour cet échange validé par la conférence des présidents, bien qu'il intervienne dans ce contexte un peu particulier d'élections européennes qui ont déplacé le centre de gravité du Parlement européen vers la droite. Ironie de l'Histoire, l'Europe de l'Ouest est submergée par une vague illibérale alors que l'Europe centrale en est préservée, au moment où la Hongrie s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne.

Par ailleurs, l'affaire Pfizer rattrape Ursula von der Leyen, candidate à sa propre succession à la tête de l'Union européenne, alors que la course aux top jobs est lancée. Dans cette période quelque peu troublée, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) s'inquiète des contours de l'agenda stratégique pour les cinq prochaines années.

Parmi les sujets essentiels, le soutien à l'Ukraine reste en suspens. Au Parlement européen, les droites conservatrices ne sont pas toutes sur la même ligne, ce qui est sans doute une chance ; néanmoins, la présidence hongroise prorusse risque de jouer sa partition bloquante. Nous saluons la décision d'ouvrir les négociations formelles d'adhésion pour l'Ukraine et pour la Moldavie, même si le chemin est encore long, et nous réjouissons également du récent accord permettant d'allouer au soutien militaire à l'Ukraine la plus grande partie des profits générés en 2024 par les avoirs russes gelés. Toujours sur ce terrain, nous saluons la décision du Président de la République de mettre à la disposition des forces ukrainiennes plusieurs Mirages 2000 : il s'agit non seulement d'une nouvelle étape vitale pour Kiev, mais aussi d'un pas important pour préserver la paix sur le continent européen.

Le Kremlin profite largement de l'absence d'une véritable stratégie commune européenne en matière de défense, comme en témoignent ses nombreuses ingérences aux formes hybrides dans certains États membres, dont la France, ce qui doit nous conduire à rester très vigilants quant à la cohésion de l'Union européenne. Qu'en est-il, d'ailleurs, de l'idée défendue par la France, la Belgique, l'Estonie ou encore l'Espagne d'un grand emprunt européen pour financer les investissements dans la sécurité et la défense de l'Europe ? Monsieur le ministre, la diplomatie d'influence à Bruxelles devra être encore plus volontaire auprès des pays réticents à cette idée - l'Allemagne, pour n'en citer qu'un - afin qu'ils mesurent les implications de la mise en place d'une véritable politique de défense mutualisée.

Pour ce qui est de la situation au Proche-Orient, le RDSE soutient toutes les initiatives allant dans le sens d'un cessez-le-feu immédiat. La solution fondée sur la coexistence de deux États nous paraît également la seule issue possible pour engager une paix durable : là aussi, la diplomatie européenne doit montrer un visage uni. Pouvez-vous repréciser la position de la France sur ce sujet ?

Un autre sujet inscrit à l'ordre du jour du Conseil européen est celui de la compétitivité. L'Union européenne doit muscler ses stratégies et ses actions face aux géants américains d'un côté et aux acteurs chinois de l'autre, sous peine d'être prise en tenaille. J'espère que Bruxelles disposera des moyens politiques de concrétiser le chantier de la compétitivité, chantier aussi nécessaire que coûteux qui doit en outre respecter le pacte vert. Le rapport de Mario Draghi pose clairement les conditions de la survie économique de l'Union européenne, confrontée à un défi financier et à un mur d'investissements estimé à 500 milliards d'euros. Dans cette perspective, le RDSE soutient la position de la France en faveur d'un nouvel emprunt commun, à l'instar du plan de relance. Toutefois, le résultat des dernières élections européennes pourrait être défavorable à ce type de nouvelles avancées budgétaires.

Même si vous avez tenté de nous rassurer, monsieur le ministre, la voix de la France ressort affaiblie du scrutin du 9 juin et pourrait l'être encore davantage au soir du 7 juillet : si les europhiles ne se mobilisent pas en nombre suffisant, nous risquons en effet de subir la vision antieuropéenne du Rassemblement national, qui ne cache pas sa volonté d'amoindrir la participation française au budget européen.

Le RDSE, Rassemblement Démocratique et Social Européen, sera toujours aux côtés de l'esprit des pères fondateurs, celui d'une Union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe, et s'opposera de manière déterminée aux tentatives de destruction du projet européen. Revenons tous ensemble à l'essence de la construction européenne, c'est-à-dire un destin collectif forgé dans un principe d'ouverture et désormais porté par vingt-sept pays : la synergie est la force de l'Europe, elle peut nous permettre de faire face aux idées populistes, aux replis nationaux, à la concurrence extérieure et au retour de l'impérialisme.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Je salue tout d'abord la volonté du Sénat d'exercer son rôle de contrôle de l'action de l'exécutif en demandant des comptes au ministre chargé de l'Europe à la veille du Conseil européen. J'ai d'ailleurs suggéré à l'Assemblée nationale d'adopter la même pratique et j'ai proposé au président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) d'auditionner systématiquement le ministre chargé des affaires européennes en amont des réunions du Conseil européen, exercice auquel je me suis livré le 11 juin dernier. Si ces auditions n'avaient pas lieu, nous risquerions de voir se creuser le fossé entre l'action menée par l'exécutif à Bruxelles et le peuple français que vous représentez ici.

Quant à l'affaiblissement de la voix de la France, j'estime que nous ne devons pas nous flageller : le poids de notre pays en Europe ne dépend pas uniquement de la couleur politique de son Assemblée nationale, mais également de sa démographie, de son histoire et de sa vision. Loin de se frotter les mains en espérant tirer profit d'une France qui serait affaiblie à l'occasion de ce Conseil européen, nos partenaires s'inquiètent et s'interrogent, au contraire, sur le fait de savoir si la France restera une force d'impulsion et d'entraînement en Europe : si tel n'est plus le cas, ils ne savent pas très bien comment l'Union, qui les protège, fonctionnera demain.

Madame de Cidrac, certaines des propositions qui seront inscrites à l'agenda stratégique figuraient en effet dans certains documents programmatiques précédents - je pense en particulier à l'union des marchés de capitaux -, mais je suis assez confiant dans les chances d'obtenir des avancées, car la France et l'Allemagne en ont fait une priorité commune : dès lors que nos deux pays décident de se fixer un objectif partagé, leur capacité d'entraînement est assez forte. Par conséquent, les dossiers de la titrisation et de la supervision devraient déboucher sur des accords au cours de cette mandature.

En matière de réforme des institutions, la feuille de route sera de nouveau précisée dans les conclusions du Conseil européen et est conforme à la vision de la France et à la déclaration de Grenade selon laquelle la réforme de l'Europe doit progresser parallèlement à son élargissement, afin que l'Union soit prête à affronter les défis à venir. Ladite réforme suppose d'abord un accord et un consensus sur les politiques, puis sur les ressources budgétaires permettant d'atteindre les objectifs fixés, et enfin sur les évolutions de la gouvernance qui s'imposeraient une fois les deux premiers « chapitres » traités. En anticipation de ces évolutions, la France s'est dite ouverte à des changements des règles de majorité qualifiée, par exemple en matière de politique extérieure et de sanctions, ainsi qu'en matière fiscale au titre de la lutte contre la fraude. Cependant, elle reste attachée à ce que l'unanimité reste la règle habituelle pour des questions relatives à l'élargissement, là où une proposition allemande suggérait de faire passer certains chapitres du processus d'adhésion à la majorité qualifiée.

Quant au mur budgétaire, le Président de la République a dit que nous devrions viser un doublement de la capacité d'investissement de l'Union européenne, les ressources propres n'étant pas encore suffisantes pour couvrir le remboursement du grand emprunt et procéder à d'autres investissements futurs. Parmi ces nouvelles ressources propres, la France examine en particulier la taxe sur les transactions financières et des ressources qui pourraient être obtenues grâce au système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (Etias), c'est-à-dire l'équivalent de l'Electronic System for Travel Authorization (Esta) américain, ressources qui viendraient s'ajouter au produit du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) et aux ressources issues des marchés de quotas carbone, sans oublier le premier pilier de l'OCDE portant sur la fiscalité des entreprises, lorsque ce dernier aura abouti. La mise en place de ces ressources propres doit être une priorité afin de donner de la crédibilité aux grandes orientations qui seront fixées dans l'agenda stratégique.

Par ailleurs, la crainte exprimée par M. Weber de voir le soutien à l'Ukraine affaibli par l'arrivée au pouvoir des nationalistes - en France et ailleurs - est sans doute fondée, mais permettez-moi d'abord de rappeler ce qui s'est produit dans les pays européens dans lesquels les partis nationalistes ont conquis le pouvoir.

En Pologne, le peuple a fini par chasser les nationalistes en place de 2015 à 2023, période pendant laquelle nous avons observé la mise à l'écart des juges défavorables au pouvoir par le biais de procédures disciplinaires, des entraves à la séparation des pouvoirs et notamment la nomination de nouveaux juges par le pouvoir exécutif, l'instauration de zones libres de l'idéologie LGBT+ à la discrétion des collectivités locales ou encore la multiplication des intimidations des journalistes, notamment au moyen de procès à répétition. Voilà le projet caché des nationalistes, jamais affiché dans des programmes électoraux qui font figurer en bonne place l'immigration et le pouvoir d'achat, mais quasiment jamais les questions relatives à l'État de droit, alors que des atteintes brutales aux libertés sont constatées dans les pays concernés.

S'agissant de la procédure pour déficit excessif engagée à l'égard de la France et du risque d'affaiblissement soulevé par François Bonneau, je rappelle qu'elle est liée aux mesures de soutien en faveur du pouvoir d'achat des Français - bien plus importantes qu'ailleurs - qui ont été mises en oeuvre, et que la majorité sortante avait fait sortir le pays de cette procédure en 2018, non pas par plaisir mais parce que cela lui semblait être un gage de crédibilité de la France au niveau européen. Si ladite majorité venait à être reconduite dans les élections législatives à venir, les forces politiques qui la composent s'astreindraient à l'en faire sortir de nouveau.

Concernant le pacte vert, l'hésitation est palpable à l'échelle européenne : c'est pourquoi la France milite, dans le cadre des négociations actuelles, pour que la « mise en oeuvre du pacte vert » soit explicitement mentionnée dans l'agenda stratégique, ce qui n'est pas encore acquis. Ce n'est pas qu'aucun sujet environnemental ne sera évoqué dans l'agenda stratégique, puisque l'objectif consistant à atteindre la neutralité carbone en 2050 est réaffirmé, mais nous continuons à nous battre pour y inclure cette mise en oeuvre du pacte.

François Bonneau a aussi relevé, à raison, que des textes importants étaient attendus en matière de cybersécurité : il s'agit des textes NIS 2 (Network and Information Security), REC (Résilience des entités critiques) et DORA (Digital Operational Resilience Act), les deux premiers devant être examinés avant la fin de l'automne 2024 afin de s'assurer de la conformité du droit français au droit européen. Le Sénat a déjà commencé ses travaux en constituant une commission spéciale, tandis que la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale permettra de lancer ce chantier.

Quant à l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël, nous sommes d'accord pour réunir un conseil d'association qui permettrait d'exprimer directement nos préoccupations, cette solution étant sans doute préférable, pour l'instant, à une suspension de l'accord qui divise les États membres.

Par ailleurs, madame Havet, la continuité de notre action est possible, notamment du fait de la permanence de la représentation de la France dans les groupes de la majorité au Parlement européen, notamment au sein du groupe Renew, dont nous avons conservé la présidence. En outre, nous faisons partie des pays qui insistent pour que l'agenda stratégique précise bien les moyens d'atteindre les objectifs climatiques.

Vous avez également rappelé l'importance du quatorzième paquet de sanctions visant la Russie : les ingérences et les menaces hybrides évoquées par Mme Girardin nous conduisent à militer en faveur d'un nouveau paquet de sanctions qui viserait en particulier ces tentatives de déstabilisation de la démocratie.

Pour ce qui est des ingérences et des menaces hybrides, notre pays se place à l'avant-garde car il a été l'un des premiers à identifier les risques et les vulnérabilités de nos démocraties face à de nouvelles formes d'ingérences qui empruntent des circuits numériques et qui exigent de nouvelles réponses.

Pour ce qui concerne la présidence hongroise de l'Union européenne, qui inquiète plusieurs d'entre vous, je rappelle que cette fonction ne consiste pas à imposer ses idées ou à tenter de peser sur les orientations politiques de l'Union : bien au contraire, une présidence réussie implique de se placer dans la position d'un négociateur qui fait converger les points de vue, sans laisser transparaître ses propres priorités. Je n'ai donc pas véritablement d'inquiétudes sur ce front, la Hongrie ayant insisté sur le fait qu'elle entendait être un intermédiaire honnête des échanges.

En revanche, la présidence hongroise peut choisir les sujets sur lesquels elle invitera les États membres à débattre. De ce point de vue, nous sommes plutôt rassurés et même satisfaits des sujets que la Hongrie souhaite inscrire à l'ordre du jour ; je pense en particulier à la défense, à la compétitivité, à l'élargissement et à la démographie. De surcroît, j'ai eu l'occasion de rappeler à mon homologue hongrois la position de la France sur chacun des sujets, afin qu'elle puisse être intégrée à la préparation des travaux.

Pour ce qui concerne l'aide humanitaire aux Palestiniens, elle est réaffirmée dans les conclusions du Conseil européen - dans sa version de travail -, qui évoquent l'urgence d'un accès complet, rapide, sûr et sans entraves à cette aide, ainsi que la facilitation du travail des organisations humanitaires.

Madame Darcos, nous souhaiterions voir évoluer le droit de la concurrence en visant une amélioration assez radicale des projets importants d'intérêt européen commun (Piiec) : s'il s'agit de très bons outils pour favoriser l'émergence de consortiums européens, ils sont actuellement très complexes, bureaucratiques et lents, ce qui a même conduit certains acteurs à quitter les consortiums.

Plus généralement, si la politique de la concurrence - souvent critiquée comme un obstacle à l'émergence de champions nationaux - doit bien sûr évoluer, elle est aussi une manière de briser les monopoles que peuvent s'octroyer les acteurs américains ou chinois sur certains marchés : le droit de la concurrence représente ainsi notre meilleure protection contre les oligopoles numériques.

Jacques Fernique a pour sa part évoqué la possible émergence d'une minorité de blocage au lendemain des élections législatives. Une fois encore, ne nous flagellons pas à l'excès, la France ayant toujours été considérée comme une force motrice et une source d'idées nouvelles. Il est effectivement possible que cette dynamique retombe avec la participation de forces eurosceptiques au Conseil européen et qu'une minorité de blocage apparaisse, mais l'Union a déjà connu ces minorités par le passé : nous avons pu nous-mêmes en constituer pour nous opposer à des textes qui allaient à l'encontre des intérêts de la France.

Enfin, je connais les réserves légitimes du Sénat à l'égard du grand emprunt, mais je pense qu'il est temps de se doter de ressources nouvelles compte tenu des ambitions que nous fixons pour notre Union.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - La politique de cohésion étant d'une importance stratégique pour l'Union européenne, sera-t-elle donc inscrite en tant que telle à l'agenda stratégique du nouveau cycle des institutions européennes ? Il s'agit en effet d'un instrument essentiel pour assurer la convergence et promouvoir le développement et l'attractivité de nos territoires. Pourrait-elle figurer, à ce titre, dans le volet de l'agenda stratégique dédié à la compétitivité ?

Dans ce cadre, la France peut-elle compter sur l'appui de l'Espagne et du Portugal pour veiller à l'inclusion des régions ultrapériphériques ? Aux côtés de mes collègues Michaël Weber et Georges Patient, nous serons particulièrement vigilants afin d'apporter une contribution à cette politique si importante pour le développement de nos territoires, qui ne doivent pas faire les frais du prochain élargissement.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Nous défendons évidemment une mention explicite qui consacre la cohésion dans l'agenda stratégique. Nous allons même un peu plus loin en poussant à ce que cette cohésion prenne en compte la spécificité des territoires ultramarins. Nous sommes soutenus dans notre effort par la Roumanie, l'Italie, la Pologne, la Bulgarie, le Portugal, la Hongrie, la Lettonie, la Slovaquie et Malte. Nous en verrons le résultat, mais nous avons de bons espoirs que la mention trouve sa place dans le texte final.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci, monsieur le ministre, de vous êtes prêté, malgré les circonstances, à l'exercice de cet échange avec la précision qui vous est habituelle.

En dernier lieu, je me permettrai un petit commentaire politique. On peut certes vouloir la rigueur budgétaire et envisager de diminuer la contribution de la France à certains programmes de l'Union européenne ; mais on sait aussi que les 9 milliards d'euros distribués à notre pays au titre de la PAC nous sont très enviés et, souvent, contestés par les autres États membres. Je pense que si l'on baissait de 2 milliards d'euros la contribution de la France à l'Union, les premiers à en souffrir seraient les agriculteurs.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - J'ai aussi entendu qu'on pouvait demander un peu quand on le voulait des rabais et que d'autres l'avaient fait, en particulier l'Allemagne.

Le solde budgétaire de la France, je le disais, est d'environ 10 milliards d'euros : nous donnons 25 milliards, nous récupérons 15 milliards, dont, effectivement, 9 milliards au titre de la PAC. Une contribution nette de 10 milliards d'euros, cela peut sembler beaucoup. Pourtant, l'Allemagne, même après le rabais qu'elle a obtenu, est contributrice nette à proportion de 20 milliards d'euros, deux fois plus ! En part de PIB, les Pays-Bas sont également contributeurs nets à hauteur du double de la France.

Des rabais n'ont pas été consentis par hasard ou pour faire plaisir aux uns et aux autres. C'est souvent pour faire avaler la pilule de politiques auxquelles la France tient tout particulièrement ; je pense à la PAC.

J'ai été frappé de mesurer à quel point, dans certains grands pays de l'Union européenne, l'agriculture était perçue comme une variable d'ajustement. C'est véritablement grâce à la résolution de la France, toutes couleurs confondues, que tient cette politique agricole qui est peut-être la clé de notre souveraineté alimentaire pour l'avenir. Si nous avions écouté plusieurs de nos principaux partenaires, nous n'aurions aujourd'hui plus beaucoup d'agriculture en Europe.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci. Je tenais à le dire parce que cela n'apparaît pas assez dans le débat, selon moi.

La réunion est close à 16 h 50.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.