Mercredi 19 juin 2024
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 10 h 00.
Financement de la recherche spatiale - Contrôle budgétaire - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous débutons cette réunion, mes chers collègues, par une communication de M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur », sur le financement de la recherche spatiale, à l'heure du lancement de la fusée Ariane 6.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Depuis que j'ai engagé mon contrôle sur le financement de la politique spatiale au début du mois de février dernier, la société SpaceX a réussi le lancement de cinquante fusées. L'objectif principal de ces cinquante lancements était de poursuivre la mise en orbite des satellites de télécommunication de la constellation Starlink, qui compte déjà 6 000 satellites en activité et devrait en compter 12 000 à terme. Pour rappel, c'est sur cette infrastructure que les armées ukrainiennes s'appuient depuis 2022 pour préparer et conduire une partie de leurs manoeuvres sur le théâtre de guerre actuel à l'Est de notre continent.
Au même moment, en Europe, nous nous trouvons dans une situation de dépendance inédite depuis les années 1960. Le dernier exemplaire de la fusée Ariane 5 a été lancé avec succès en juillet 2023 à partir du port spatial européen de Kourou. Ses lignes de production ayant été arrêtées en vue d'une nouvelle génération de fusées, il n'existe actuellement plus de solution européenne pour les lanceurs lourds. Pendant un intervalle qui aura durée au moins un an, nous aurons été dépendants de capacités de lancement extra-européennes. Espérons que le premier lancement de la fusée Ariane 6 prévu au mois de juillet prochain soient de bon augure pour la suite.
La nouvelle fusée Ariane 6 viendra répondre à cette situation inconfortable, qui ne reflète pas le statut de puissance spatiale de pointe de notre pays et de notre continent. Les quatre ans de retard du programme Ariane 6 par rapport à son calendrier initial ne sauraient nous décourager de préserver notre filière de lanceurs. Mais nous devrons savoir être lucides, prendre les bonnes décisions et concilier nos intérêts souverains et de compétitivité au moment de trouver un successeur à cette fusée.
Ces quelques éléments de contexte nous rappellent que la politique spatiale est une politique essentielle, et pas toujours appréhendée à sa juste valeur par nos concitoyens, ainsi que par nos élus locaux ou nationaux.
En partant des financements du programme 193 « Recherche spatiale » intégré à la mission « Recherche et enseignement supérieur », le présent contrôle budgétaire m'a permis de m'intéresser aux différents aspects de notre politique spatiale. Depuis son origine et jusqu'à aujourd'hui, celle-ci est à la fois duale et transversale. Par conséquent, elle doit être examinée en gardant à l'esprit les intérêts complémentaires qui se rencontrent dans la nécessité pour les pouvoirs publics de maîtriser l'accès à l'espace extra-atmosphérique et d'en exploiter les potentialités techniques.
Plus particulièrement, la politique spatiale est à la fois une politique de recherche, une politique de défense et une politique industrielle.
Premièrement, la politique spatiale est une politique de recherche et c'est cette dimension qui justifie à la fois son rattachement à la mission « Recherche et enseignement supérieur » et son intégration à la trajectoire de la loi de programmation de la recherche (LPR) que nous avons votée en décembre 2020. L'observation de la terre depuis l'espace est une composante déterminante pour faire progresser notre connaissance des sciences de la terre, aussi bien pour l'étude de l'évolution des littoraux que pour celle des cycles de l'eau. Les technologies spatiales nous permettent également de faire progresser la connaissance en sciences de l'univers et la France est ici associée aux grandes missions scientifiques de ce début de siècle. Le satellite Juice, lancé par la fusée Ariane 5 l'année dernière, est parti étudier les lunes glacées de Jupiter et devrait arriver dans le système jovien en 2031, après avoir parcouru 600 millions de kilomètres.
Deuxièmement, la politique spatiale est une politique de défense. Notre souveraineté dans et en dehors du champ de bataille est subordonnée à notre capacité à avoir une appréciation autonome de la situation. Or une part croissante de nos communications et de notre renseignement militaire a une origine spatiale. Le maintien de notre accès souverain à l'espace et de notre capacité à répondre aux besoins opérationnels de nos armées est un objectif non négociable et qui demande une mobilisation constante face aux évolutions technologiques en cours.
Troisièmement, la politique spatiale est une politique industrielle. Présente depuis l'origine, cette dimension de la politique spatiale a pris une nouvelle ampleur au cours des dernières années. L'intégration au portefeuille du ministre de l'économie et des finances de la politique spatiale à compter de l'été 2020 est un des symptômes de cette évolution.
En effet, l'abaissement de la barrière technologique d'accès à l'espace et la diversification des acteurs a engagé une transformation du secteur qualifiée de New Space.
Sans entrer dans une opposition stérile entre des acteurs nouveaux et anciens, les pouvoirs publics doivent impérativement s'adapter à cette pression concurrentielle récente pour être en mesure de soutenir efficacement les acteurs économiques concernés.
Le secteur spatial représente plus de 70 000 emplois sur le territoire français, il concentre des entreprises industrielles innovantes qui créent des emplois à haute valeur ajoutée et investissent largement dans la recherche et développement. La préservation de ce tissu économique est un impératif de notre politique spatiale.
Le caractère par nature interministériel de la politique spatiale se traduit par une grande complexité de son financement et par les interventions croisées de nombreux acteurs institutionnels.
En matière de mise en oeuvre de la politique spatiale, les autorités françaises peuvent s'appuyer sur le Centre national d'études spatiales (Cnes), établissement public créé en 1961, dont l'expertise est reconnue non seulement en Europe, mais dans le monde entier, comme en témoigne le choix de la Nasa de lui confier le développement de l'imageur du télescope James Webb, mis en orbite le 25 décembre 2021.
Acteur central de la coordination de la politique spatiale française, le Cnes incarne la vocation interministérielle et duale de cette politique. Son aptitude à s'impliquer directement dans des projets de technologies civiles aussi bien que de technologies militaires est un atout précieux, qui doit être maintenu dans un contexte où la porosité est de plus en plus forte entre les usages civiles et militaires de l'espace et des technologies spatiales.
Pour remonter le fil du soutien financier que les pouvoirs publics apportent à la politique spatiale chaque année, j'ai essayé d'établir dans mon rapport une cartographie synthétique du financement public de la politique spatiale, qui tienne compte d'un circuit de financement fragmenté et complexe.
Le programme 193, principal programme de financement de cette politique, représente à lui seul des dépenses annuelles de 1,8 milliard d'euros. En tenant compte des nombreux autres programmes finançant la politique spatiale et du budget de l'Union européenne, j'estime à plus de 3 milliards d'euros l'effort public au bénéfice de la politique spatiale.
Cet effort, qui est proportionné à l'importance vitale des enjeux du secteur spatial, est notamment réparti entre les différents pôles scientifique, stratégique et industriel que j'ai évoqués.
Sans développer l'intégralité des financements qui sont précisés en annexe du rapport, je tiens toutefois à rappeler deux aspects qui me semblent important d'avoir à l'esprit.
D'une part, l'importante contribution du budget des armées à la politique spatiale. Avec un budget spatial de 800 millions d'euros en 2023, le ministère des armées représente le principal vecteur de commande publique à nos industriels du spatial : sa contribution au secteur est à la fois économique et souveraine.
D'autre part, mon estimation intègre, à hauteur de 300 millions d'euros, une partie de notre contribution au budget de l'Union européenne. En effet, l'Union est devenue un acteur structurant de la politique spatiale et nous devons nous rappeler que notre participation annuelle à son budget est aussi un levier de soutien à nos acteurs du secteur spatial.
J'insisterai sur la première recommandation du rapport, qui est de rassembler dans un document unique notre stratégie spatiale nationale. Il s'agit à la fois d'un enjeu politique et d'un enjeu d'efficacité.
C'est d'abord un enjeu d'efficacité, parce que la politique spatiale est par nature interministérielle et qu'il existe un risque de dispersion de l'effort. Plutôt que de créer un acteur institutionnel supplémentaire comme cela a pu être proposé, je recommande de trancher les grandes orientations de la politique spatiale dans un document unique ayant vocation à orienter l'action des différents ministères impliqués.
C'est ensuite un enjeu politique, car il est selon moi urgent que les responsables politiques du secteur fassent naître un véritable récit de l'aventure spatiale. Il est incompréhensible que la conquête spatiale soit un rêve pour les jeunes ingénieurs indiens, américains ou brésiliens et qu'elle laisse indifférents les étudiants européens.
Les responsables politiques, tant ministériels que parlementaires, ont à ce titre un rôle déterminant à jouer pour se réapproprier la politique spatiale et construire un récit à la hauteur des enjeux nombreux et passionnants qu'elle recouvre.
Enfin, j'évoquerai la coopération européenne dans la politique spatiale et la montée en puissance progressive de la Commission européenne dans ce domaine.
Il faut ici commencer par rappeler l'importance d'une autre organisation internationale : l'Agence spatiale européenne (ESA, pour European Space Agency) est absolument indépendante de l'Union et compte parmi ses membres des pays tiers comme le Royaume-Uni ou la Suisse. Depuis sa création en 1975, elle a été un vecteur déterminant de la coopération européenne dans le domaine spatial et nous lui devons la coordination des générations successives de fusées Ariane.
Cependant, depuis les années 1990, l'Union européenne joue également un rôle direct dans la politique spatiale en pilotant des programmes spatiaux d'envergure, dont notamment le programme de radionavigation Galileo, que nous utilisons au quotidien, et le programme d'observation de la terre Copernicus.
Cette montée en puissance a été consacrée par le traité de Lisbonne de 2007 qui confie à l'Union européenne la compétence d'élaborer une politique spatiale européenne.
Ce renforcement de la Commission européenne en matière spatiale est à la fois une chance et un risque.
C'est un risque, car nous devons être attentifs à ce que l'Union européenne ne vienne pas dupliquer des compétences et une expertise qui existent déjà au sein de l'ESA. L'expertise de l'ESA est reconnue et rien ne justifie de disperser les compétences techniques permettant de mener à bien des programmes spatiaux.
C'est également une chance, en ce que le domaine spatial est une composante indispensable de notre souveraineté. À ce titre, le tournant géostratégique que l'Union européenne a engagé en 2022 dans le sillage du déclenchement de la guerre en Ukraine doit impérativement intégrer notre politique spatiale.
L'objectif d'autonomie stratégique de l'Union, qui a été définitivement adopté à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union au premier semestre 2022, implique nécessairement un renforcement du rôle de la Commission dans le domaine spatial.
Cela m'amène à mettre en évidence deux recommandations du rapport.
En premier lieu, il est urgent, à la veille de la mise en service d'Ariane 6, que l'Union rende effectif un principe de préférence européenne en matière de lanceur. Nous ne pouvons plus tolérer que des États membres de l'Union choisissent des lanceurs non européens pour la mise en orbite de leur satellites institutionnels, alors même que nous finançons par notre effort collectif le maintien d'une capacité souveraine de lancement. La garantie effective de ce principe de préférence européenne pour les lanceurs devra être un des chantiers de la nouvelle Commission européenne.
En second lieu, nous devons envisager dès à présent une montée en puissance du financement par l'Union européenne de la politique spatiale. Sans négliger l'effort important qui a été fait dans le dernier cadre financier pluriannuel, je souligne que cette trajectoire a été négociée avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et avant le tournant géostratégique pris par l'Union. Il est donc nécessaire de prévoir un renforcement de l'Union européenne comme financeur du spatial à l'occasion du prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034, en cohérence avec l'objectif d'autonomie stratégique de l'Union.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie de nous permettre de prendre un peu de hauteur avec ce rapport, qui souligne des enjeux de financements publics, aux canaux divers qui mériteraient selon vous d'être clarifiés et consolidés, mais aussi le besoin de renforcer l'approche européenne en matière spatiale, afin de continuer à peser et d'assurer une forme de souveraineté tant européenne que nationale. Je partage cette préoccupation. La solution n'est certes pas évidente, si l'on considère le financement de l'ESA, qui obéit à des règles propres.
Le retard de quatre ans du lanceur Ariane 6 est-il essentiellement dû à un manque de moyens financiers ? Est-il le fait du consortium, ou d'autres explications interviennent-elles ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Merci pour ce rapport passionnant, dont je partage l'ensemble des recommandations. Si toutes sont importantes, la première d'entre elles, qui insiste sur la nécessité de renforcer la visibilité à long terme de l'engagement public, me semble fondamentale.
Pouvez-vous nous éclairer sur le financement de l'ESA ? Vous avez évoqué, parmi ses membres, des pays tiers à l'Union européenne, tels que la Suisse et le Royaume-Uni. Tous les pays européens contribuent-ils au budget de l'Agence ? Je crois que tel n'est pas le cas.
Quel type de relations l'ESA et le Cnes entretiennent-ils ? Ces relations sont-elles fluides ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je salue également le travail de notre rapporteur spécial. Le sujet, à la fois civil et militaire, est de la plus haute importance, ce que, peut-être, on ne mesure pas assez.
Vous êtes-vous intéressé aux problématiques de ressources humaines ? Dans notre pays, et en dehors du cluster toulousain, peu de formations supérieures concernent les techniciens et les ingénieurs du spatial. N'est-ce pas une difficulté à creuser ? Comme dans le secteur du nucléaire, des compétences spécifiques sont indispensables dans le domaine spatial. Si elles nous font défaut, nous ne rattraperons pas notre retard.
M. Vincent Capo-Canellas. - Merci à notre rapporteur spécial d'avoir souligné les nombreux enjeux liés à la politique spatiale - enjeux de souveraineté, enjeux militaires, industriels ou de recherche, notamment - et, en regard, la complexité des circuits de financement, sans doute inhérente à la dimension européenne de cette politique.
Quelles conclusions doit-on en tirer, en s'en tenant à l'approche pragmatique retenue dans le rapport ? Quels changements, en particulier, a induit le rattachement de la politique spatiale au ministère de l'économie et des finances ? Peut-on continuer à ainsi changer régulièrement les périmètres ministériels sur des sujets aussi sensibles ? Si j'entends que le ministère de l'économie et des finances apporte évidemment tout son poids, il n'en a pas moins bien d'autres questions à traiter, spécialement des problématiques d'ordre financier.
Quelles leçons tirons-nous des retards pris sur le lanceur Ariane 6 ? Un problème d'ordre industriel entre-t-il en cause ?
Quelles relations entretient-on avec le secteur privé dans le domaine de la recherche spatiale et sur les questions de rupture technologique qu'elle implique ? Au Sénat, au sein du groupe de suivi sur l'espace, nous avons en effet pu constater que nombre de start-up jouaient ici un rôle significatif, en tant qu'actrices de l'innovation. Aux États-Unis, se sont même elles qui, parfois, conduisent directement les projets. Comment cet écosystème complexe, où interviennent le Cnes et l'ESA, s'organise-t-il pour accueillir et promouvoir l'innovation ?
M. Laurent Somon. - Merci pour votre rapport. Je m'interroge sur l'appropriation de la recherche spatiale par le grand public et, en particulier, par les jeunes au sein de l'Union européenne. Le rapport signale que ces derniers ne semblent pas attirés par le rêve que la recherche et la conquête spatiales peuvent pourtant inspirer. Le retard que nous accusons renverrait-il à un problème de ressources humaines ?
Mme Christine Lavarde. - Sur le sujet de la commande publique, ce rapport recoupe des recommandations que nous avions formulées, avec Vanina Paoli-Gagin, à l'occasion de travaux conduits dans le cadre de la mission de la délégation sénatoriale à la prospective sur l'exploitation des ressources spatiales.
Nous avions constaté une divergence notable entre la politique des États-Unis et celle des États européens. Pour ce qui concerne la France, nous gardions une double impression de financements éclatés et d'incertitude, avec le choix d'une mise en concurrence. La politique européenne nous avait de plus paru s'orienter d'abord vers le New Space, peut-être au détriment de nos fleurons industriels, tels qu'Airbus. Nous nous demandions s'il s'agissait du meilleur moyen de faire émerger les nouveaux programmes spatiaux. Votre recommandation n° 4 vise certes à simplifier le circuit de financement de la politique spatiale, mais avez-vous, à l'occasion de votre contrôle, approfondi ces aspects ? Le rapport évoque le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), sans toutefois y rattacher la question des programmes d'investissements d'avenir, dont, pour notre part, nous avions beaucoup entendu parler et dont l'enveloppe atteint 1,5 milliard d'euros.
M. Claude Raynal, président. - Des évolutions concernent-elles le mode de fonctionnement de l'ESA, en particulier le principe du « retour géographique », qui implique que l'Agence investisse dans chaque État membre, sous forme de contrats attribués à son industrie pour la réalisation d'activités spatiales, en fonction de la contribution qu'il lui apporte ? Une difficulté surgit en effet, par exemple lors de la conception d'une fusée du type d'Ariane 6 : des pays ont ainsi droit au retour géographique quand ils ne comptent qu'une unique entreprise en mesure de prendre part au programme ; celle-ci se trouve alors entièrement libre de déterminer ses conditions, ce qui entraîne d'importants dépassements par rapport aux montants initialement fixés.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Le rapporteur général m'interroge sur les causes du retard du lancement d'Ariane 6. Ma réponse permettra également de répondre immédiatement aux interrogations du président sur l'application du principe de « retour géographique ». Les causes du retard sont principalement de deux ordres, si l'on excepte les aspects d'un financement toujours complexe à mettre en place pour un projet d'une telle envergure.
D'une part, la crise sanitaire du covid-19 a provoqué l'arrêt de l'activité de nombre d'entreprises, des interdictions de travailler en groupe et, en définitive, une perte de temps importante à un moment déterminant de ce programme.
D'autre part, il faut rattacher ce retard à la question du retour géographique, qui vient d'être évoquée. Un tel principe conduit à multiplier les échanges avec l'ensemble des pays participant au programme, dès lors qu'ils sont en mesure, sur un plan industriel, de produire des pièces du lanceur. Nous recommandons, dans le rapport, de prêter une certaine attention à ce sujet. La prochaine conférence interministérielle devrait aussi s'y employer. L'ESA continue, pour sa part, d'expliquer que ce principe ne lui pose aucun problème. À titre personnel, j'en doute, ce que je signale dans le rapport.
Madame Vermeillet, je vous accorde que la recommandation n° 1 du rapport revêt une importance particulière. Elle apporte d'ailleurs sans doute un premier élément de réponse au problème que monsieur Somon a soulevé, à savoir associer un récit à la politique spatiale. Cependant, celle-ci se révèle pour l'heure à ce point parcellisée, tant dans son financement que dans la définition de ses stratégies, que l'élaboration d'un tel récit demeure d'un exercice ardu.
Quant au financement de l'ESA, on pourrait presque le qualifier de financement « à la carte », selon des modes assez complexes. Je rappelle que la France est l'un des principaux financeurs de l'ESA et que, à ce titre, le Cnes peut parfois regretter que chaque financeur soit placé sur un pied d'égalité, indépendamment du niveau de sa participation, selon le principe « un État, une voix ». Qu'un État membre apporte 1 million ou 1 milliard d'euros, sa décision sur un nombre important de décisions de l'Agence pèse d'un même poids. Le Cnes souligne combien la situation est problématique et de moins en moins tenable.
De fait, les pays européens soutiennent des stratégies qui peuvent être fort différentes les unes des autres : la France s'appuie à la fois sur une grande agence spatiale nationale et sur l'ESA ; l'Italie, qui joue assurément aussi un rôle de premier plan dans le secteur spatial et qui comptait également une grande agence nationale, a décidé de tout faire financer, à présent, par l'ESA, à qui elle confie donc sa politique spatiale, politique qu'elle continue néanmoins d'orienter. Nous craignons que pareille situation ne nous fasse entrer dans un système de concurrence intra-européenne.
L'Agence comprend aujourd'hui 22 États, pour la plupart membres de l'Union européenne. Certains, comme la Slovénie, la Slovaquie, la Lettonie ou la Lituanie sont membres de l'Union européenne sans être membres de l'ESA. La gouvernance actuelle fonctionne depuis des années, mais non sans écueils, notamment sur les questions de financement.
Madame Paoli-Gagin, vous évoquez d'éventuels problèmes de ressources humaines. Les différents opérateurs de la politique spatiale française n'en font pas cas, et ce indépendamment de leur niveau d'intervention : le New Space recrute les ingénieurs dont il a besoin et le Cnes ne mentionne pas de problème particulier de recrutement. Il semblerait que les formations actuelles suffisent à répondre aux demandes du secteur. Il est vrai que de nombreux échanges de compétences interviennent entre les pays, notamment entre la France et les États-Unis. Madame Lavarde mentionnait le programme d'investissements d'avenir : le plan France 2030 prévoit un financement destiné à la formation.
Oui, monsieur Somon, nous manquons d'un récit spatial à l'échelle européenne. Lors de la Conférence des présidents des parlements de l'Union européenne (CPPEU) qui s'est tenue au mois d'avril dernier, sur le thème de l'autonomie stratégique de l'Union, je fus le seul, tandis que je représentais le président Larcher, à aborder la question de la politique spatiale européenne. Aucun autre orateur n'y a fait allusion, bien que tous aient traité des espaces contestés. Lors de mon allocution, j'ai brandi mon téléphone mobile pour rappeler à l'assistance ce que ce type d'outil, qui nous avait permis de nous rencontrer, devait aux dispositifs mis en orbite dans l'espace.
Sur le mode de la plaisanterie, j'ai suggéré à mes interlocuteurs du Cnes de recruter quelques personnalités politiques capables de porter un récit politique sur l'espace... Ils n'y sont eux-mêmes guère accoutumés malgré leur longue expérience.
Qui sait par exemple, dans cette enceinte, que le premier satellite français mis en orbite en 1965 portait le nom d'Astérix ? Seuls nos spationautes - je pense notamment à Thomas Pesquet - jouissent d'une certaine exposition, mais, si nous voulons convaincre, en particulier sur les aspects de financement, nous devrions aller bien au-delà et présenter la vision d'avenir que les questions spatiales sous-tendent.
Madame Lavarde, je suis d'accord sur l'importance de la commande publique et sur le problème des financements fragmentés, que nous constatons avec vous et avec les opérateurs les plus anciens du secteur qui nous l'ont signalé. Une stratégie est néanmoins visible dans le choix du ministère de l'économie comme ministère de rattachement de la politique spatiale, et je réponds ici aussi à Monsieur Capo-Canellas. Au demeurant, un changement régulier du ministère chargé de cette compétence n'est peut-être pas idéal...
M. Vincent Capo-Canellas. - Il faut des équipes dédiées.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Les équipes en place ont un effectif certes restreint, mais elles font montre d'une indéniable compétence et d'une réelle expertise de la politique spatiale.
Cette politique se rattache aussi au plan France 2030, mais selon un mécanisme assez complexe. Nous nous interrogeons sur la question de savoir pourquoi les crédits du plan France 2030 abondent notre contribution à l'ESA. Pour autant, ces crédits doivent-ils bénéficier à l'ESA ou être directement dirigés vers les entreprises du secteur ? La question reste ouverte.
Telles sont les réponses que je peux apporter. L'élaboration de ce rapport a été passionnante et nous poursuivons notre travail au sein du groupe de suivi sur l'espace. Nous travaillons sur un modèle d'avenir, certes éloigné de nos préoccupations quotidiennes, mais essentiel dans nos vies. La prise de conscience est certaine, surtout depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, mais il manque encore un récit, qui serait de nature à passionner notre jeunesse. Nous verrons si le prochain lancement d'Ariane 6 suscitera de nouveaux espoirs.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je me permets de vous relancer sur la question de la relation avec le New Space ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Nous avons dédié d'importants moyens financiers à l'appui de leurs capacités de développement. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur l'efficacité des aides attribuées dans le cadre du plan France 2030.
J'ai également oublié de répondre à la question sur les relations entre le Cnes et l'ESA : elles sont fluides mais le Cnes est très attentif à l'efficacité du fonctionnement de l'ESA et à la nécessité de le réformer au regard du montant très important de notre contribution. J'ai déjà mentionné le financement de l'Agence, qui intéresse d'ailleurs directement notre commission : le décret d'annulation de crédit du 21 février a annulé environ 200 millions d'euros de crédits de la contribution française à l'ESA. Toutefois, comme il s'agit de crédits sur des engagements de programmes déjà pris, ces crédits font l'objet, non d'une suppression au sens strict, mais d'un simple report en raison de retards pris dans la réalisation de certains programmes.
M. Claude Raynal, président. - En ce qui concerne les start-up, nous retrouvons une difficulté, majeure, qui est toujours la même : en dépit de compétences élevées dans le domaine du spatial, qui nous permettent d'engager des projets, et d'un passé prestigieux, la France reste un petit pays et le marché est américain à 80 %. Nos start-up ne peuvent se contenter du marché français ni même du marché européen, elles n'ont d'autre choix que de prendre une part significative de ce marché américain. Le lanceur Ariane 6 ne sera ainsi pas rentable sans prendre des parts de marché aux États-Unis.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Malgré la compétitivité des États-Unis, l'Europe doit garder une politique de lanceurs, au risque de s'exposer au danger redoutable d'une perte d'autonomie stratégique. Notre visite sur un site industriel d'Airbus Defence and Space m'a convaincu. Il serait pour le moins dommage de recourir à des lanceurs américains pour l'envoi de satellites d'une grande qualité qui, pour la plupart, sont de construction européenne et tiennent souvent à des domaines d'emploi stratégiques : satellites militaires ou satellites d'observation de la terre par exemple.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Financement du volet « écoles » du plan « Marseille en grand » - Contrôle budgétaire - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons par une communication de Mme Isabelle Briquet et M. Stéphane Sautarel, rapporteurs spéciaux de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », sur le volet « écoles » du plan « Marseille en grand ».
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale. - La loi de finances initiale pour 2022 a ouvert 254 millions d'euros de subvention exceptionnelle pour la rénovation des écoles de Marseille. Avec mon collègue Stéphane Sautarel, nous avons décidé de contrôler l'utilisation de ces crédits, ce qui nous a amenés, de manière plus large, à contrôler le financement du volet « écoles » du plan « Marseille en grand ».
Pour bien comprendre les enjeux, il paraît nécessaire de contextualiser l'origine de ce plan.
Le 2 septembre 2021, le Président de la République a annoncé le lancement du plan Marseille en grand, avec pour objectif principal le rattrapage des retards accumulés par la commune dans le développement de services majeurs pour la population. En effet, estimant que la deuxième ville de France cumulait de nombreuses difficultés économiques, sociales, scolaires, sécuritaires, financières et un déficit d'infrastructures publiques, et était traversée par des inégalités fortes, le Président a jugé qu'il était du rôle de l'État de soutenir, d'appuyer et d'accompagner la ville dans une profonde restructuration d'ensemble.
L'objet du présent propos et de notre rapport n'est pas de porter une appréciation sur l'opportunité d'une telle démarche, mais plutôt d'évaluer l'utilisation des crédits dédiés au financement du volet « écoles » du plan .
Ce plan inédit d'un montant annoncé de 5 milliards d'euros s'articule autour de sept axes : les écoles et l'éducation, la sécurité, les mobilités, le logement, l'emploi et l'insertion, la santé et la culture.
Malgré ces montants colossaux, le plan n'a fait l'objet d'aucune contractualisation entre la ville et l'État et n'est matérialisé par aucune feuille de route, déclinée par domaines, par objectifs et par actions, et définissant un calendrier de réalisation précis pour chacun des volets. Il est donc difficile, voire impossible, de dresser un état exhaustif des actions à mener et à suivre.
Plus problématique encore, les crédits alloués par l'État au plan « Marseille en grand » ne sont pas suivis de manière consolidée, de sorte que le montant total de l'effort financier de l'État est non seulement très peu fiable, mais également évolutif dans le temps.
Alors que le montant fréquemment évoqué s'élève à 5 milliards d'euros, l'analyse des réponses reçues durant notre contrôle ne nous a pas permis de reconstituer cette somme ni d'identifier clairement l'origine des crédits.
J'en viens maintenant plus précisément au sujet de notre contrôle : le financement du volet « écoles » de ce plan.
Ce volet vise la rénovation de 188 écoles marseillaises. Il provient d'un constat ancien et largement partagé : le parc scolaire marseillais a accumulé dans le temps une dette d'entretien et de maintenance de plus en plus importante, qui rend le bâti des écoles vétuste, parfois dangereux pour ses usagers, peu adapté au changement climatique, sensible aux variations de température, ne résistant plus aux intempéries et n'ayant pas été adapté à l'évolution urbaine de la ville.
En 2016, le journal Libération titrait : « Écoles à Marseille, la honte de la République ». C'est dire si l'état de dégradation des établissements marseillais était avancé, allant même jusqu'à rendre difficile, voire impossible, l'enseignement dans certains cas.
Consciente de cette situation catastrophique, la nouvelle majorité municipale a décidé de lancer un plan « écoles » ambitieux, visant à rénover l'ensemble des 470 établissements de la ville.
Pour autant, le maire a rapidement été confronté à un principe de réalité et à l'impossibilité de mener seul, dans des délais raisonnables, un projet d'une telle ampleur. Il a donc sollicité le Président de la République. Les annonces de ce dernier sont une réponse positive à cet appel à l'aide, afin de permettre l'aboutissement d'un travail engagé par la ville elle-même.
Il en découle que le plan de la ville a été scindé en deux parties : d'une part, 188 écoles bénéficient de l'aide de l'État pour les travaux de rénovation ou de restructuration les plus lourds, voire pour des constructions nouvelles ; d'autre part, 304 écoles sont rénovées directement par la ville elle-même pour les opérations « plus légères ».
M. Stéphane Sautarel, rapporteur spécial. - Pour rénover et réhabiliter les 188 écoles retenues dans le volet « écoles » du plan Marseille en grand, une enveloppe de 254 millions d'euros en autorisations d'engagement a été ouverte sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » via la loi de finances initiale pour 2022. Par ailleurs, trois mois après le lancement du plan, le Premier ministre a validé une augmentation de 150 millions d'euros, portant ainsi le montant total de l'enveloppe à 400 millions d'euros.
Ces 150 millions d'euros supplémentaires proviennent de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), à hauteur de 11,7 millions d'euros, de la dotation politique de la ville (DPV), pour 3,15 millions d'euros , et de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), pour 66 millions d'euros.
Il manque donc 65 millions d'euros par rapport aux 400 millions annoncés. À ce stade, personne n'a été en mesure de nous indiquer leur provenance, ce qui est problématique puisque l'équilibre général du financement du projet est basé sur ce montant.
Cette enveloppe budgétaire a été complétée par une garantie de 650 millions d'euros d'emprunts apportée par l'État.
Au-delà du financement, vu l'ampleur et les caractéristiques du volet « écoles » du plan Marseille en grand, la ville et l'État ont décidé de créer une structure spécifique, sous la forme d'une société publique locale d'aménagement d'intérêt national. Cette société, dénommée société publique des écoles marseillaises (Spem), a vocation à assurer la maîtrise d'ouvrage des opérations du plan « écoles », pour construire, réhabiliter et remettre à niveau 188 écoles.
Le système élaboré prend ainsi la forme d'un partenariat public-public, dans lequel la ville confie à la Spem la réalisation des opérations de rénovation et de construction des écoles au moyen de plusieurs contrats, via des marchés subséquents, dans une relation de quasi-régie. La Spem passe ensuite l'ensemble des marchés nécessaires à la réalisation des travaux.
Le recours à une société publique locale d'aménagement d'intérêt national vise en premier lieu un objectif financier puisqu'il permet de faire porter la dette des investissements à une structure autre que la ville de Marseille. Il a également vocation à répondre à un besoin d'ingénierie.
J'en viens au financement. Nos travaux nous ont permis de constater que le coût total du projet serait de 1,8 milliard d'euros alors que les travaux sont estimés à 850 millions d'euros. Le delta se compose des dépenses annexes, notamment celles qui sont relatives aux intérêts d'emprunts, à la maintenance et à l'indexation.
La ville versera donc à la Spem une redevance estimée à 50 millions d'euros annuels pendant vingt-cinq ans, à laquelle s'ajouteront les dépenses de maintenance et les dépenses de la ville pour les 304 écoles dont elle garde la maîtrise d'ouvrage. Cela représente environ 40 millions d'euros d'investissements annuels pendant dix ans.
Au total, nous avons calculé que le coût annuel moyen de la rénovation des écoles marseillaises avoisinerait les 110 millions d'euros, soit 30 % des dépenses d'investissement prévues par la ville dans son plan pluriannuel d'investissement (PPI). Dans ce contexte, il nous semble légitime de poser la question de la soutenabilité d'un tel investissement, alors que la ville présente d'autres ambitions importantes en matière de verdissement et d'accès au logement, à la santé et à la culture.
De surcroît, le plan de financement présente des incohérences qui, à ce stade, ne nous permettent pas d'affirmer que le montant total ne sera pas plus élevé.
Nous avons également des doutes sur le respect du calendrier annoncé. En effet, la Spem n'a pas encore atteint son rythme de croisière et doit encore procéder à des recrutements. Si la première vague de travaux tient les délais, il est important de préciser que de nombreux marchés avaient déjà été passés, avant la création de la société, par la ville qui les lui a transférés, ce qui a contribué à un avancement rapide. Les prochaines vagues de travaux seront encore plus importantes, avec un nombre croissant d'écoles à rénover et à construire.
Toutefois, ne soyons pas trop pessimistes : une dizaine d'écoles sera livrée dès la rentrée de 2024. Nous avons d'ailleurs visité deux d'entre elles, qui présentent des qualités de conception indéniables et prennent en compte le changement climatique.
Ce projet colossal et inédit à l'échelle d'une ville fait l'objet d'un portage politique fort et d'un investissement de l'ensemble des acteurs. Il bénéficie également d'une structure juridique et opérationnelle ad hoc, la Spem, qui montre pour l'instant son efficacité.
Si l'État tient ses engagements financiers, si la ville parvient à se coordonner avec la métropole, alors même que les relations entre ces deux entités sont pour le moins complexes, et si le suivi de l'avancement des travaux est renforcé et formalisé, gageons que ce pari un peu fou pourra devenir une réalité. C'est une nécessité pour les élèves et les enseignants de la ville.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le travail conduit par les rapporteurs spéciaux nous plonge dans la réalité de la politique de rénovation des bâtiments scolaires et montre qu'il s'agit là d'un vrai sujet. Toutefois, nous avons besoin de davantage de clarification. Qui fait quoi ? Quel est le coût exact du projet ? Ce dispositif est-il duplicable ?
Par ailleurs, je souhaiterais savoir si l'État, dont les fonctions régaliennes sont en tuyaux d'orgue - je pense au financement du ministère de l'intérieur via la DSIL et à l'appui de l'éducation nationale -, a travaillé avec la ville de Marseille.
Quelle stratégie a été employée ? Un travail collégial permettant de déterminer l'évolution démographique selon les quartiers de la ville a-t-il été mené ? La rénovation devrait aussi tenir compte du périmètre de la carte scolaire.
Les questions de fonctionnalité, d'environnement immédiat, d'habitat, de structures associatives et de parcours éducatifs hors temps scolaires ont-elles été intégrées ?
Selon la Caisse des dépôts et consignations, les rénovations de bâtiments scolaires nécessiteraient de contracter des emprunts sur quarante ans : c'est de la folie. Avez-vous davantage d'éléments sur les conditions de financement ?
Enfin, je formulerai une remarque plus personnelle. Ce dispositif a au moins le mérite d'être original et d'exister, mais il conviendrait sans doute de réfléchir, à l'échelle des départements, à une structure ou une coordination portant sur le devenir des écoles partout en France.
L'effondrement démographique est très rapide : au lieu de verser dans le populisme en maintenant les écoles là où il n'y a presque plus d'élèves, tirons la sonnette d'alarme ! Il y va de la réussite des enfants.
M. Thierry Cozic. - Je tiens à saluer la qualité du travail des rapporteurs spéciaux sur ce sujet peu connu. Nous avons attendu d'être au fond du trou pour enfin sortir la tête de l'eau : c'est effarant ! Cela pose la question d'un contrôle sur le territoire.
Le modèle retenu via la Spem a-t-il vocation à être appliqué à d'autres villes ? Existe-t-il une taille critique des villes pouvant être éligibles à ce dispositif ? Par ailleurs, serait-il possible de l'élargir aux autres strates locales que sont les départements et les régions ? Il me semble que ce modèle novateur mérite d'être poursuivi.
M. Bernard Delcros. - Parmi les engagements financiers de l'État, quelle part relève de crédits de droit commun et quelle part relève de crédits exceptionnels ? Le modèle retenu à Marseille est-il spécifique ou peut-il s'étendre à d'autres villes ?
M. Stéphane Sautarel, rapporteur spécial. - Avant le renouvellement de la municipalité, l'initiative d'un contrat de partenariat public-privé (PPP) avait été lancée afin de répondre au délabrement du parc scolaire marseillais. Or il n'a jamais abouti.
Le rapporteur général demande des clarifications concernant le rôle de chacun et les conditions de financement. Aujourd'hui, seuls 254 millions d'euros relèvent d'une subvention exceptionnelle. Les autres crédits sont des crédits de droit commun. Je le rappelle, il existe un gap de 65 millions d'euros qui n'est, à ce jour, pas couvert.
La gestion de la TVA, plus particulièrement l'éligibilité à la TVA ou au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), reste une grande inconnue. Ni la ville de Marseille, ni l'administration fiscale, saisie par rescrit, ni la Spem, ni la préfecture des Bouches-du-Rhône, ni les services centraux de l'État n'ont été capables de répondre à nos interrogations.
La direction générale des collectivités locales (DGCL) suit uniquement les engagements financiers mais pas l'avancement des travaux
Il n'existe aucun document contractualisé concernant le pilotage des opérations. Sur le sujet, seul le discours du Président de la République fait foi et nous n'avons pas pu entendre le cabinet du Président. Ainsi, l'opacité demeure.
Sur le volet scolaire, je vous rassure : les échanges que nous avons eus sur place avec le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) ont confirmé que les effectifs de la carte scolaire sont bien pris en compte. Il n'est donc pas question de rénover des écoles là où il n'y a pas d'élèves.
La population scolaire marseillaise est stable, mais elle n'est pas répartie de la même manière que par le passé. Il est donc nécessaire de rééquilibrer l'offre d'accueil entre les quartiers.
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale. - Nous avons pour seule feuille de route le discours du Président de la République ; les choses se construisent donc de façon progressive.
Indéniablement, la préfecture des Bouches-du-Rhône et la ville de Marseille ont conduit un travail en profondeur sur le terrain, en concertation avec l'ensemble des acteurs impliqués. Bien entendu, le scolaire, le périscolaire, l'environnement et le nombre d'élèves ont été pris en compte. En revanche, le suivi réalisé par le ministère est extrêmement perfectible. D'où les recommandations que nous avons formulées.
Il est difficile d'évaluer si ce dispositif peut être appliqué à d'autres villes. Marseille se trouve dans une situation spécifique, car les bâtiments scolaires sont très dégradés, mais le reste du territoire est parsemé d'écoles qui ont de quoi faire aussi pitié.
Nous devons d'abord faire le bilan du modèle propre à Marseille avant de l'étendre à d'autres villes.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur spécial. - Il serait intéressant d'étendre ce dispositif, à l'image de l'élargissement de la Société du Grand Paris (SGP) au RER métropolitain. La Spem est amenée à travailler dans l'immédiateté. Aussi, elle n'a pas envisagé la transposition du modèle à d'autres villes. D'où la nécessité d'avoir un retour d'expérience.
Au-delà du portage financier se pose la question de l'ingénierie. En l'occurrence, il nous a été confirmé que la Spem ne travaille pas avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ce qui est un peu ennuyeux.
Enfin, concernant les conditions de financement, notez que les prêts consentis, soit auprès de la Banque des territoires, soit auprès d'une banque locale, s'étalent sur vingt-cinq ans. Parallèlement, un dossier a été monté pour obtenir un financement plus large via la Banque européenne d'investissement (BEI). C'est pourquoi la garantie de l'État est essentielle.
Nous n'en sommes qu'au début des opérations, sachant que nous attendons une dizaine de livraisons d'ici à la fin de l'année sur les 188 écoles concernées.
La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 11 h 40.