Mercredi 12 juin 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 heures 35.

Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Philippe Diallo, président de la Fédération française de football

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français, en entendant M. Philippe Diallo, président de la Fédération française de football (FFF).

Monsieur le président, merci d'avoir accepté notre invitation.

Notre mission d'information s'intéresse à la financiarisation du football, qui s'est accélérée ces dernières années, avec la création d'une société commerciale, LFP Media, et l'apparition d'un partenaire privé, le fonds d'investissement CVC. En vertu de ce partenariat, CVC finance le football professionnel français à hauteur de 1,5 milliard d'euros répartis sur trois saisons ; le dernier versement doit avoir lieu cette année. En contrepartie, les clubs de football seront ensuite privés d'une partie substantielle de leurs revenus, puisqu'une part du chiffre d'affaires de la Ligue sera reversée chaque année à l'actionnaire.

La FFF a approuvé cette opération lors de son assemblée fédérale du 18 juin 2022. Conformément à une disposition introduite par le Sénat lors de l'examen de la loi du 2 mars 2022, vous siégez, monsieur le président, en tant que représentant de la FFF au sein du comité de supervision de la filiale commerciale, avec voix consultative. Ce comité est l'organe de décision de la société commerciale, vous reviendrez sûrement sur ce point.

Pour bien comprendre les enjeux de cette audition, je rappelle le cadre institutionnel dans lequel s'inscrit cette opération avec CVC : délégataire d'une mission de service public, la FFF subdélègue la gestion du football professionnel à la Ligue de football professionnel (LFP), qui assure notamment la commercialisation des droits de diffusion, dont la propriété a été cédée par la Fédération aux clubs depuis 2004.

Afin de garantir l'intérêt général et les principes d'unité et de solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur, les produits de la commercialisation des droits sont répartis entre les clubs, la LFP et la FFF. À ce titre, la LFP s'est engagée à verser à la FFF une contribution dont le montant est de 2,5 % de l'assiette des droits audiovisuels, nets de la taxe sur la cession des droits de diffusion, dite taxe « Buffet », qui est versée à l'Agence nationale du sport (ANS). Ce dispositif doit permettre de maintenir une cohérence et une synergie entre les différents niveaux de pratique sportive, c'est-à-dire entre le niveau professionnel et le niveau amateur.

Dans ce cadre, le partenariat avec CVC soulève de nombreuses questions.

L'investisseur bénéficie d'un droit prioritaire sur les revenus du championnat alors que l'évolution de ces revenus reste très incertaine. Nous ne sommes pas rassurés par les dernières informations publiées à ce sujet. Nous nous demandons où est la « valeur ajoutée stratégique » que CVC était supposé apporter à la Ligue de football professionnel pour la commercialisation de ces droits.

Par ailleurs, des accords du même type que celui conclu par la Ligue de football professionnel avec CVC ont été rejetés en Italie et en Allemagne, tandis qu'en Espagne les deux plus grands clubs de La Liga s'y sont opposés. En France, les clubs l'ont accepté à une quasi-unanimité ; en vertu de quoi, ils commenceront à subir les prélèvements de CVC dès la saison prochaine. Si les droits de télévision n'étaient pas à la hauteur de leurs espérances, les clubs pourraient commencer à s'interroger sur l'équilibre du partenariat qu'ils ont voté, notamment ceux qui en bénéficient le moins.

La répartition de l'apport de 1,5 milliard d'euros de CVC est aussi source d'interrogations. La FFF percevra en tout 20 millions d'euros, soit sensiblement moins que le taux de 2,5 % que je viens d'évoquer, concernant la répartition des droits audiovisuels.

Enfin nous nous intéressons, plus généralement, à la financiarisation des clubs et à ses conséquences possibles sur le lien entre football professionnel et football amateur, notamment si cette financiarisation devait conduire à terme à la promotion de ligues fermées.

Avant de vous donner la parole, monsieur le président, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Diallo prête serment.

M. Laurent Lafon, président. - Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

M. Philippe Diallo, président de la Fédération française de football (FFF). - À ma connaissance, je n'en ai pas, hormis ma qualité de président de la Fédération française de football, qui me conduit à être impliqué dans la gestion de la société commerciale.

M. Laurent Lafon, président. - Je rappelle à tous que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

M. Philippe Diallo. - Avant de répondre à vos questions, je dresserai un rapide état des lieux. La Fédération française de football se porte bien : nous avons battu le record du nombre de licenciés cette année, avec 2,4 millions de licences. Le taux des licenciées féminines a augmenté de 12 %.

Sur le plan sportif, nous avons aussi des motifs de satisfaction : l'ensemble des sélections nationales - garçons comme filles - pour toutes les catégories d'âge ont été qualifiées pour leur tournoi final. Pour les meilleurs, les A, l'Euro commencera dans quelques jours.

Sur le plan économique, la Fédération française de football avait anticipé le renouvellement de son principal contrat commercial, le contrat d'équipementier. Nous étions liés à Nike depuis de nombreuses années. À l'occasion de la mise en concurrence que nous avons opérée voilà quelques semaines, nous avons conclu un contrat extrêmement favorable qui couvre la période 2026-2034. Ce contrat liant une fédération sportive à un équipementier est le plus important au monde : cela nous assure une visibilité sur notre capacité à développer notre football durant la prochaine décennie.

J'en viens au sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, l'arrivée d'un fonds d'investissement dans le football et la création d'une société commerciale. Ce choix échoit à la LFP.

Au préalable, je souhaite rappeler le contexte singulier dans lequel se sont déroulées ces opérations. Le football, comme les autres sports, a dû faire face à une triple difficulté.

Premièrement, la crise sanitaire, qui a conduit la FFF à enregistrer une baisse très significative de ses revenus, de plus de 30 millions d'euros, et une chute d'environ 20 % du nombre de ses licenciés. La crise sanitaire a eu des conséquences majeures : le gouvernement de l'époque avait décidé dans un premier temps de suspendre les compétitions sportives, puis de les arrêter définitivement, entraînant la résiliation des contrats audiovisuels entre la Ligue et ses diffuseurs, avec une perte d'environ 200 millions d'euros. La France était dans une situation singulière, puisque les autres championnats européens ont pu, après une période de suspension, aller à leur terme.

Deuxièmement, nous avons tous observé des modifications dans le comportement de nos fans et de nos spectateurs : les modèles audiovisuels alors en place sont rapidement devenus obsolètes.

Troisièmement, nous avons subi la défaillance de Mediapro, qui avait répondu à l'appel d'offres de la Ligue de football professionnel en 2018. La somme offerte par Mediapro - 780 à 800 millions d'euros chaque année durant quatre ans - permettait au football français de retrouver une place dans le concert européen, car nombre de nos voisins disposaient alors des droits audiovisuels d'un montant de 1 milliard d'euros. Malheureusement, après le versement d'une première échéance, ce contrat n'a pu se poursuivre, d'où un manque à gagner d'environ 3 milliards d'euros la somme totale prévue au contrat.

La crise sanitaire, avec des répercussions immédiates en matière de revenus liés aux droits audiovisuels et à la billetterie, a privé les clubs d'une partie significative de leurs recettes. À cela s'est ajoutée la rupture du contrat avec Mediapro. Or les clubs avaient anticipé sur les recettes générées par le contrat et avaient engagé des joueurs sur la base de contrats à durée intangible : les charges pour les clubs étaient donc intangibles elles aussi.

Le football professionnel a alors plongé dans une situation extrêmement périlleuse : les pertes des clubs s'élevaient à 1 milliard d'euros, notre endettement a doublé, passant de 500 millions d'euros à 1 milliard d'euros et nos fonds propres ont été divisés par deux.

Nous avons disposé d'aides de l'État pour faire face à cette situation, des allégements de charges sociales, notamment. Cela a représenté une bouffée d'oxygène pour de nombreux clubs. Néanmoins, ces aides étaient insuffisantes pour maintenir leur activité. Nous faisions donc face à une crise économique majeure et inédite.

J'en viens au contexte particulier de la Fédération française de football. Monsieur Lafon, vous avez rappelé que, depuis 2004, la FFF est la seule fédération à avoir cédé les droits audiovisuels aux clubs. Le législateur a bien prévu une commercialisation centralisée par le biais de la Ligue de football professionnel, mais cette dernière bénéficie d'une autonomie administrative, financière et sportive pour gérer les affaires du football professionnel. Je le répète : à la différence d'autres disciplines sportives, les droits audiovisuels appartiennent non plus à la Fédération française de football, mais aux clubs. Lors de l'opération avec CVC, la FFF, par le biais de l'assemblée fédérale, est intervenue uniquement pour valider les statuts de la société commerciale, qui ont eux-mêmes été validés par le Gouvernement. Comme vous l'avez rappelé, monsieur Lafon, la Fédération française de football dispose d'un siège consultatif au sein des organes de gouvernance de la société. Mais elle n'en est pas actionnaire.

Au-delà des appréciations sur l'opportunité de créer la société commerciale, il me semble que l'opération n'a porté préjudice ni aux intérêts de la Fédération française de football ni à ceux du football amateur. Conformément à la convention liant la LFP à la FFF, la Ligue de football professionnel s'engage à verser chaque saison à la Fédération française de football une contribution financière unique en faveur du football amateur, calculée à hauteur de 2,5 % de l'assiette constituée du montant des droits d'exploitation audiovisuelle, hors taxe Buffet. Cette contribution de 2,5 % matérialise la solidarité entre football professionnel et football amateur : la création de la société commerciale n'y a rien changé, la contribution est préservée.

Compte tenu du contexte économique, marqué par la crise sanitaire et la défaillance de Mediapro, de la place qu'occupe la FFF par rapport à cette opération et de la préservation des intérêts du football amateur, la Fédération française de football n'a, à l'époque, pas identifié de raisons objectives de s'y opposer ; l'assemblée fédérale l'a donc soutenue et a validé l'ensemble du dispositif, plus particulièrement les statuts de la société commerciale, dont la gestion interne échoit à la Ligue de football professionnel. Cette opération était vitale pour sauver nos clubs, compte tenu du contexte que j'ai évoqué.

M. Michel Savin, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous diviserons cette audition en trois chapitres : Mediapro, la société commerciale et le phénomène de multipropriété qui touche de plus en plus les clubs français.

Vous n'étiez pas président de la FFF lors de l'affaire Mediapro. À notre connaissance, ni la Fédération française de football ni le ministère des sports n'ont demandé un audit relatif aux conditions du départ de la société espagnole. Cela nous surprend, compte tenu du préjudice subi par le football français. Savez-vous si votre prédécesseur a tenté d'intervenir dans cette affaire pour trouver une solution ? Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu, à tout le moins, demander un audit a posteriori, pour tenter de comprendre les raisons de cet échec majeur ?

M. Philippe Diallo. - Je n'ai pas connaissance d'une demande d'audit sur cet échec. La défaillance de Mediapro s'est produite en plusieurs temps : d'abord une médiation, avec une tentative pour obtenir une ristourne sur les montants que devait payer Mediapro. Puis, très rapidement, une phase judiciaire qui a abouti à un accord, sous le couvert du tribunal de Nanterre. Cet accord était très important pour le football français, surtout pour la Ligue de football professionnel. Durant la crise sanitaire, les dispositifs de protection des entreprises aboutissaient à une situation paradoxale : bien qu'il estimait ne plus pouvoir payer ses échéances, le diffuseur conservait la capacité à diffuser les matchs. Mais les clubs n'étaient plus rémunérés. Dès lors, la priorité de la Ligue de football professionnel était de récupérer ces droits par tous les moyens pour les commercialiser de nouveau, assurant ainsi une rétribution aux clubs.

Cet accord a permis d'éteindre toutes les poursuites. Mediapro a versé une compensation, la Ligue de football professionnel a récupéré ses droits et a pu les recommercialiser très rapidement, recréant un flux de revenus pour ses clubs.

M. Michel Savin, rapporteur. - La Fédération française de football a-t-elle travaillé sur les raisons de cet échec afin d'en éviter un nouveau ? Lorsqu'on lit la presse et que l'on voit que la Ligue de football professionnel recherche des partenaires sur les droits télévisés, on se demande si l'échec de Mediapro a été bien intégré et si la Ligue en a tiré les leçons. La FFF, au vu de ces situations, s'est-elle interrogée ? Vous me répondez par la négative, ce que j'entends.

M. Philippe Diallo. - L'affaire Mediapro et les conditions de la rupture ont été analysées et détaillées. Ne confondons pas cette affaire avec la situation actuelle. Désormais, la Ligue de football professionnel a remis ses droits sur le marché, au travers d'un appel d'offres comme l'y oblige la loi. Or le marché ne répond pas à ses espérances. Cela n'a que peu à voir avec Mediapro : dans ce cas, l'appel d'offres avait réussi. Un acteur s'était engagé sur la durée, mais a été incapable d'honorer ses engagements à court terme. Actuellement, nous n'en sommes pas là. Nous sommes dans une phase amont : la Ligue de football professionnel recherche un diffuseur. Il y a bien un intérêt pour la Ligue 1, mais des divergences sur sa valorisation.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez précisé que la sortie de Mediapro a été conclue par un accord libérant Mediapro de ses droits en contrepartie d'une indemnité de 100 millions d'euros. La Ligue a terminé la saison 2020-2021 avec Canal+, avant de lancer un nouvel appel d'offres, remporté par Amazon, au détriment, une nouvelle fois, de Canal+. La Ligue a perdu environ 500 millions d'euros par an, soit 1,5 milliard d'euros sur les trois ans de contrat. Comment jugez-vous cette stratégie ? Quel fut l'impact financier sur la FFF du nouveau contrat avec Amazon ? Ses revenus ont été fortement réduits par rapport à ce qui était prévu dans le contrat avec Mediapro...

M. Philippe Diallo. - Le contrat avec Mediapro, via les 2,5 % de la convention financière, prévoyait des revenus de 30 à 31 millions d'euros pour la Fédération française de football. La défaillance de Mediapro a réduit ce chiffre autour de 16 millions d'euros. La FFF a subi cette perte, compte tenu de la différence de montants.

M. Michel Savin, rapporteur. - Cela représente environ 50 millions d'euros sur trois ans.

M. Philippe Diallo. - Absolument.

M. Michel Savin, rapporteur. - En tant que président de la FFF, que pensez-vous du fait que la présidence de la Ligue de football professionnel et celle de la société commerciale soient assurées par une seule et même personne ? Peut-on parler de conflit d'intérêts ?

M. Philippe Diallo. - Je l'ai rappelé en préambule : toutes les opérations relatives à la commercialisation des droits ou à la société commerciale relèvent d'abord de la gestion de la Ligue de football professionnel. La Fédération française de football a cédé ses droits à la Ligue, à elle de les gérer. La FFF n'a pas de capacité d'intervention. Si le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a souhaité confier à la même personne à la fois la présidence de la Ligue et celle de la société commerciale, cela relève de sa responsabilité. À mes yeux, et en l'état des informations dont je dispose, je n'y ai pas vu, non plus que les administrateurs de la LFP, de conflit d'intérêts.

M. Michel Savin, rapporteur. - Cela n'est-il pas contraire à l'intérêt supérieur du football ?

M. Philippe Diallo. - La FFF dispose de pouvoirs relatifs à l'intérêt supérieur du football. Elle ne les a actionnés qu'extrêmement rarement - de mémoire, qu'une seule fois, pour un sujet de montée et de descente dans le championnat. Le Conseil d'État s'était prononcé en la matière, estimant qu'il revenait à la Fédération française de football de définir ce qu'était l'intérêt général du football, à travers son comité exécutif. Ce droit est extrêmement encadré par la jurisprudence du Conseil d'État. Il n'appartient pas à la FFF, sauf si elle est saisie pour des procédures d'évocation, dans des délais contraints, de remettre en cause ces dispositifs-là. En l'espèce, les délais d'évocation sont déjà passés.

M. Michel Savin, rapporteur. - Lors de l'adoption de la loi du 2 mars 2022, le Sénat a veillé aux prérogatives de la FFF, en prévoyant la présence d'un représentant de la FFF dans les instances dirigeantes de la société commerciale. La Fédération française de football, à ce titre, est membre du comité de supervision avec voix consultative.

Lors d'une audition au Sénat, le président de la Ligue de football professionnel, Vincent Labrune, avait toutefois déclaré : « renforcer le poids de la Fédération n'a pas de sens. » La Fédération française de football aurait-elle dû avoir un droit de vote ? Au Sénat, initialement, nous envisagions de proposer un droit de veto pour la FFF. Celle-ci aurait-elle dû disposer d'un droit de vote, plutôt que d'une voix consultative en tant que censeur au sein du comité de supervision de la société commerciale ? Comment faites-vous pour être entendu au sein de cette société ?

M. Philippe Diallo. - Nous avons appliqué les dispositions votées. Au sein de la société commerciale, la FFF a la place qui lui est dévolue par le vote du Parlement. Nous ne sommes pas propriétaires des droits audiovisuels : nous n'avons donc pas de capacité d'intervention directe dessus.

La Fédération française de football concerne l'ensemble du football, professionnel comme amateur. Nous avons donné une subdélégation à la Ligue de football professionnel pour organiser de manière autonome le football professionnel. C'est dans ce cadre que nous pouvons intervenir, de manière parcimonieuse, lorsqu'il s'agit de l'intérêt général du football. La Ligue de football professionnel est autonome dans son administration, ainsi que dans sa gestion financière et sportive. On comprendrait mal que la FFF intervienne et vienne casser les décisions du conseil d'administration de la LFP, remettant en cause son autonomie de fonctionnement.

Ès qualités, je siège au sein des organes de gouvernance de la société commerciale. Je suis informé des décisions d'orientation de cette société sans peser au-delà, car ma voix n'est que consultative. Je suis juste informé et je peux prendre la parole dans ces instances.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez rappelé à juste titre que cette situation résultait d'un vote du Parlement, qui peut aussi modifier les dispositions adoptées. Au regard de votre expérience au sein de cette société commerciale qui prend des décisions ayant un impact sur le championnat de football professionnel, tant dans la Ligue 1 que dans la Ligue 2, et donc sur les équipes de France, pensez-vous que la FFF pourrait avoir un droit de vote et faire part de sa position plutôt que d'être une chambre d'enregistrement des décisions ?

M. Philippe Diallo. - J'ai rappelé le contexte très délicat de la création de cette société commerciale et de l'arrivée d'un fonds. La Ligue de football professionnel a procédé, à ce moment-là, à une consultation pour valoriser les parts qu'elle souhaitait céder à un fonds. Pour que l'opération se réalise à un niveau de valorisation de 13 % de la société, à hauteur de 1,5 milliard d'euros, le fonds devant prendre des risques, il était nécessaire d'avoir des conditions de montant de capital et d'identification des personnes décisionnaires au sein de cette société commerciale. C'est dans ce contexte que le législateur a adopté les dispositions qui s'appliquent désormais.

En tant que président de la FFF, tous les éléments de régulation permettant à la FFF d'exercer son pouvoir de contrôle et de définition de l'intérêt supérieur du football vont dans le bon sens. Cette capacité donnée aux organes régaliens, comme la Fédération française de football, d'intervention ou à tout le moins de contrôle accru, est la contrepartie à la financiarisation que vous évoquiez.

M. Michel Savin, rapporteur. - Quels sont les risques de CVC ? Quel est l'apport de CVC dans la négociation des droits audiovisuels et la valorisation du championnat ?

M. Philippe Diallo. - Lorsque vous êtes un fonds qui a mis 1,5 milliard d'euros à disposition des clubs professionnels sur la base d'un business plan s'étalant sur dix ans, et qui devrait faire passer les revenus du football professionnel de 800 millions d'euros à 2 milliards d'euros, votre rétribution est liée à votre capacité d'être en ligne avec ce business plan.

M. Michel Savin, rapporteur. - C'est une question de durée. Mais si ce n'est pas sur dix ans, ce sera sur quinze ou vingt ? Le risque est là...

M. Philippe Diallo. - Oui, mais il n'est pas uniquement là : la valeur du championnat tient aussi à sa composition, avec des équipes phares qui permettent de valoriser l'ensemble du championnat. Si demain on créait une Super Ligue avec des clubs majeurs qui quittent tout ou partie de notre championnat, la valeur même de notre championnat serait remise en cause.

Autre risque : la Ligue de football professionnel n'est qu'une « filiale » de la Fédération française de football à travers la convention de subdélégation. Si la Ligue n'existait plus, la société commerciale disparaîtrait aussi.

Telles sont les différentes hypothèses. Certaines sont peut-être excessives, mais lorsque vous investissez des sommes significatives, vous les prenez en compte comme des éléments risquant de vous empêcher d'avoir un retour sur investissement.

M. Michel Savin, rapporteur. - La CVC dispose de garanties dans le pacte d'associés. La Fédération française de football a adopté les statuts de la société commerciale en juin 2022. Avez-vous eu connaissance du pacte d'associés liant les différents partenaires au sein de la société commerciale, et l'avez-vous validé ? De nombreux éléments que vous avez mentionnés figurent dans le pacte d'associés qui protège CVC, notamment en cas de clubs adhérant à la Super Ligue.

M. Philippe Diallo. - Comme je l'ai indiqué, la Fédération française de football n'a validé que les statuts, seul élément sur lequel notre assemblée fédérale avait à se prononcer.

M. Laurent Lafon, président. - Avez-vous eu connaissance du pacte d'associés ?

M. Philippe Diallo. - Personnellement, je n'avais pas eu connaissance du pacte d'associés dans sa version finale puisque je n'étais pas en charge de ces éléments au moment où les opérations se sont déroulées.

M. Laurent Lafon, président. - Alors que des dispositions vous concernent directement, et précisent le rôle du censeur que vous êtes selon ce pacte d'associés ?

M. Philippe Diallo. - Absolument. J'ai intégré la Fédération française de football en mars 2021. Les projets de statuts de la société commerciale ont fait l'objet d'allers et retours entre la Ligue de football professionnel et la FFF pour que l'assemblée fédérale puisse voter ces statuts.

Ensuite, la Fédération française de football n'a pas été directement associée à la partie relative au pacte d'associés.

M. Laurent Lafon, président. - Maintenant que vous êtes membre de la société commerciale qui fonctionne en vertu d'un pacte d'associés, quel regard portez-vous sur les dispositions de ce pacte, notamment sur les risques encourus, que ce soit par CVC ou par la Ligue de football professionnel ? Si des dispositifs protègent CVC en cas de risques majeurs, c'est la Ligue qui en supportera les conséquences. Que pensez-vous des droits de veto accordés à CVC ?

M. Philippe Diallo. - Des échanges ont eu lieu entre la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football, mais sans que ce soit porté à la connaissance de notre assemblée fédérale. Mon prédécesseur serait plus à même que moi de vous répondre.

Certaines dispositions du pacte d'associés constituent des garanties accordées à CVC. Quand vous investissez des sommes importantes, vous essayez de cocher toutes les cases des risques pouvant remettre en cause votre investissement.

Il faut rappeler le contexte des discussions : un certain nombre de clubs participant au Championnat de France risquaient le dépôt de bilan. Il y avait une nécessité quasi vitale de trouver auprès d'un investisseur de nouvelles sommes d'argent. La Ligue de football professionnel et la plupart des clubs avaient souscrit plusieurs prêts garantis par l'État (PGE) et n'avaient pas forcément une capacité de recours à l'emprunt auprès des banques. Les actionnaires avaient déjà réalisé de nombreux efforts pour assurer la pérennité des clubs. À ce moment-là, la solution d'un fonds, CVC, est apparue aux dirigeants de la Ligue de football professionnel comme la seule solution pour garantir l'avenir de nos clubs.

M. Laurent Lafon, président. - Aujourd'hui, l'avenir des clubs est-il garanti ?

M. Philippe Diallo. - Il faudra attendre l'issue de l'actuelle négociation sur les droits audiovisuels pour voir dans quelle situation se trouvent nos clubs. Pendant deux ou trois ans, les clubs ont bénéficié de l'apport de CVC. C'est désormais terminé. Un montant de droits qui ne correspondrait pas aux estimations de la Ligue de football professionnel plongerait un certain nombre de clubs dans de grandes difficultés financières, surtout les clubs de Ligue 1. Dans ce cas, certains pourraient même être amenés à déposer le bilan. Mais nous n'en sommes pas là, car les discussions se poursuivent. J'espère un bon atterrissage...

M. Michel Savin, rapporteur. - Nous espérons tous que ces négociations auront une issue positive - même si le président de la Ligue de football professionnel a déclaré il y a peu que la valeur des droits était de l'ordre de 500 millions d'euros, ce qui ne doit pas rassurer les clubs...

M. Philippe Diallo. - Il me semble que cette déclaration n'a pas été bien comprise ou bien relayée. Il a indiqué que ces 500 millions d'euros correspondaient à la valorisation faite par certains diffuseurs, dont Canal+, l'un des principaux, mais que la Ligue de football professionnel avait des objectifs plus élevés. Voilà déjà plusieurs mois, d'autres diffuseurs ont déjà proposé cette somme, et la Ligue de football professionnel l'a refusée. Il ne s'agit donc pas de l'objectif de la Ligue, mais de la valorisation actuelle du championnat par certains diffuseurs - bien inférieure aux valorisations de nombreux championnats voisins.

M. Michel Savin, rapporteur. - En effet : les prévisions qui nous ont été transmises font état d'un montant attendu de 1,1 milliard d'euros pour la saison 2024-2025, dont un peu plus de 800 millions pour les droits domestiques et 200 millions pour les droits internationaux.

M. Philippe Diallo. - D'après mon expérience, les droits sont faits d'abord par le marché : leur valeur est fonction de la concurrence. Il fut une époque où le football n'était même pas diffusé à la télé... La création de Canal+, en 1984, a changé complètement le modèle, parce que le modèle économique de la chaîne était différent. Ce n'est pas que les matchs étaient meilleurs ou qu'on marquait plus de buts ; c'est que le marché était plus concurrentiel.

Or, à plusieurs reprises, le marché français n'a pas été parmi les plus concurrentiels en Europe. La tension à la baisse que la Ligue de football professionnel subit aujourd'hui résulte non pas de la qualité intrinsèque du championnat ou de sa capacité à lancer un appel d'offres sur les plans du droit ou du marketing - elle dispose de personnes très compétentes pour le faire -, mais de la capacité actuelle du marché à proposer des montants de droits très élevés.

Pendant une très longue période, peut-être depuis 1984, il était communément admis que, sans football, une chaîne n'était pas viable. La construction du prix intégrait donc une valeur commerciale - fondée sur le rapport revenus/charges - et une valeur stratégique, car certains diffuseurs étaient prêts à payer plus pour acquérir des droits qu'ils estimaient vitaux pour eux dans leur stratégie commerciale. Souvenez-vous de l'appel d'offres ayant opposé Canal+ à TPS : Canal+ a enchéri très fortement pour acquérir une exclusivité. Le groupe payait-il simplement la valeur intrinsèque des droits ou en faisait-il un instrument de sa stratégie industrielle pour évincer un concurrent ?

La secousse provoquée par l'arrivée de Mediapro a entraîné pour les acteurs la nécessité d'adapter leur stratégie en acquérant d'autres produits - séries, autres sports -, sans peut-être subir la perte d'abonnés qui était imaginée en cas de non-diffusion de tel ou tel match. Résultat : un certain nombre de diffuseurs sont peut-être aujourd'hui moins prêts à souscrire la valeur stratégique dont j'ai parlé.

M. Laurent Lafon, président. - Vous avez tout à fait raison, mais cette perte de valeur stratégique, liée notamment au fait que le groupe Canal+ a choisi d'autres positionnements, était connue au moment où l'appel d'offres actuel a été lancé. Cette réalité nouvelle est connue depuis des mois et constitue, en effet, une des conséquences de l'attribution des droits à Mediapro - de 2018 à 2020. Pourquoi cette analyse n'a-t-elle pas été intégrée dans la procédure en cours ? Pourquoi le président de la Ligue de football professionnel a-t-il déclaré qu'il attendait 1 milliard d'euros de revenus ?

M. Philippe Diallo. - Le milliard d'euros, je n'en fais pas un totem ; ce chiffre résulte du regard porté sur nos concurrents. Le football français est ambitieux, et la Ligue souhaite être dans les meilleures européennes : il faut avoir des joueurs, donc des revenus, dont les droits audiovisuels sont l'une des principales sources. Par comparaison avec les championnats allemand, italien, espagnol ou anglais, le football français a le sentiment d'être sous-valorisé. La conséquence est que nous ne pouvons pas conserver nos meilleurs talents : sur les vingt-cinq joueurs emmenés à l'Euro par Didier Deschamps, huit seulement jouent en France. C'est lié à des revenus supérieurs et à des systèmes sociaux et fiscaux plus favorables ailleurs.

L'appel d'offres est préparé par la Ligue de football professionnel, avec ses services et ses experts. Une des dimensions de l'arrivée de CVC, outre l'apport de revenus pour secourir certains clubs, était de fournir une expertise commerciale, notamment en matière audiovisuelle, démontrée par ce groupe dans la F1, et qu'il essaie de développer dans le rugby et d'autres disciplines. La Ligue s'appuie sur son expertise reconnue.

Il ne faut pas laisser penser que la Ligue 1 n'intéresserait pas les diffuseurs. Nombre d'acteurs sont intéressés par l'acquisition des droits, y compris des acteurs nouveaux qui pourraient entrer sur le marché français. Mais deux questions fondamentales se posent : la valorisation des droits et leur distribution. Sans conjugaison de ces deux éléments, on se trouve dans la difficulté que nous connaissons aujourd'hui.

M. Michel Savin, rapporteur. - Et depuis longtemps.

M. Jean-Jacques Lozach. - Covid, Mediapro, société commerciale, difficultés actuelles : il y a une sorte de continuum. En 2019-2020, les services et conseils de la FFF sont-ils intervenus, dans le cadre de la convention de subdélégation, pour accompagner la Ligue de football professionnel dans la résolution de son conflit avec Mediapro ?

M. Philippe Diallo. - Je n'étais pas à la FFF à ce moment-là, mais je ne le crois pas. La Ligue de football professionnel a une grande expérience de ces appels d'offres et elle est entourée de multiples conseils juridiques, financiers et marketing. Je pense qu'elle s'est appuyée sur ses propres forces.

M. Jean-Jacques Lozach. - Le contexte que vous avez rappelé était aussi celui de nos débats parlementaires au moment de la loi du 2 mars 2022. Rétrospectivement, aurions-nous dû encadrer davantage la mise en place de cette société commerciale et renforcer les prérogatives de la Fédération française de football ? De fait, comme vous l'avez rappelé, votre seule liberté de manoeuvre tient à l'intervention sur les statuts.

M. Philippe Diallo. - Ne tirons pas de conclusions définitives sur la société commerciale, dont le business plan s'étire sur dix ans et peut-être plus.

Ce qui est clair, c'est que nous ne sommes pas sortis des difficultés, alors que nous pouvions penser, avec l'apport à la fois technique et financier de CVC, que le football français allait pouvoir rebondir. Les négociations en cours durent, et le temps ne joue pas forcément en notre faveur. Les questions de solidité financière et de compétitivité se posent donc à nouveau.

Je ne suis pas président du football amateur, mais de l'ensemble que constitue la FFF. J'ai proposé à la Ligue que nous intervenions, si elle le juge nécessaire, en soutien dans cette discussion. Si nos clubs étaient confrontés à une difficulté majeure, c'est tout le football français qui en pâtirait - même si la FFF se porte bien et dépend moins de l'évolution des droits aujourd'hui qu'avant la signature de notre partenariat avec un équipementier. Nous sommes en mesure d'absorber une perte, mais je ne la souhaite pas et nous déploierons le maximum d'actions pour soutenir la Ligue de football professionnel. Il est de notre devoir de préserver les clubs des difficultés.

À l'heure actuelle, il n'y a pas de solution évidente pour le montant des droits, compte tenu de la rétribution de CVC après les deux premières années, qui pèsera comme pèsent un certain nombre de taxes. Entre cette rétribution, les frais d'organisation du championnat, la taxe sur les droits et la rétribution de la Fédération française de football, entre 200 et 250 millions d'euros seront à retrancher du montant des droits issu de la négociation. Il est de l'intérêt de tous que le montant final soit suffisant pour couvrir ces charges.

M. Michel Savin, rapporteur. - Cette année, CVC versera pour la dernière fois son augmentation de capital réservée, à hauteur de 440 millions d'euros. Au vu de la situation, craignez-vous qu'une tentation se fasse jour d'augmenter la part du fonds au sein de la société commerciale ?

M. Philippe Diallo. - Il me semble que ces questions sont réglées dans le pacte d'actionnaires, dont je n'ai pas tous les éléments à l'esprit. Si les résultats ne sont pas conformes au business plan, une augmentation de la part du fonds dans le capital est possible. Le législateur a eu la sagesse de fixer un plafond à 20 %. Cet élément fait partie de l'équation que nous avons à résoudre. Nos forces sont mobilisées vers le meilleur atterrissage possible ; à deux mois de l'ouverture du championnat et alors que le contrat actuel prend fin le 31 juin, on a bien compris qu'il y a urgence.

M. Michel Laugier. - Après le fiasco Mediapro, tout le monde pensait que les leçons en avaient été tirées. Or les clubs ne connaissent toujours pas leur budget alors qu'ils préparent la future saison et que le mercato est ouvert, parce que les négociations durent. Je m'interroge sur le rôle du président de la Ligue : du fait de sa double casquette, sommes-nous les mieux armés dans la négociation ?

On nous promet des revenus assez importants - c'est du moins ce qu'on lit dans la presse. Vous-même semblez considérer que le football français n'est pas assez payé. Mais l'ancien président de Mediapro pensait, lui, qu'il était plutôt surestimé. On a attendu que les meilleurs joueurs partent pour essayer de valoriser notre football : ça va être un peu compliqué...

Je me mets aussi dans la peau du téléspectateur : il ne sait pas à quelle sauce il sera mangé à la rentrée. Combien d'abonnements lui faudra-t-il souscrire ? Il y a les clubs, certes, mais ne perdons pas de vue les téléspectateurs, qui font aussi vivre le football.

M. Philippe Diallo. - Compte tenu de ce qui s'est passé, je ne suis pas sûr que ce soit aux dirigeants de Mediapro de nous donner des leçons sur la situation et la valorisation de notre championnat. Ils feraient mieux de s'abstenir en la matière.

La Ligue de football professionnel est soucieuse de répondre à votre préoccupation au sujet du téléspectateur. Aujourd'hui, il faut au moins trois abonnements pour suivre toute la Ligue 1. La stratégie de la LFP consiste à regrouper l'ensemble des droits dans une seule chaîne. Soit celle-ci sera distribuée en exclusivité sur Canal+, soit elle sera diffusée sur l'ensemble des fournisseurs d'accès à internet. Dans les deux cas, cette problématique sera résolue. Il reste à trouver un accord pour aller au bout de cette volonté.

S'agissant des clubs, je ne puis que partager votre constat : les passages à la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) ont lieu sur la base d'une valorisation des droits identique à celle de la saison passée, mais, à cette heure, personne ne peut garantir que cet engagement pourra être tenu. S'il y a assez peu de mouvements sur le marché des transferts, c'est que les clubs ne savent pas de quel budget ils disposeront. Ces difficultés ne peuvent être résolues que par la conclusion d'un accord, qui permettra de savoir où nous en sommes. Le temps de la négociation n'est pas terminé, mais il y a un intérêt partagé : que des clubs soient dans une extrême difficulté, voire déposent le bilan, ne serait pas bon pour les diffuseurs eux-mêmes. Il faut trouver un point d'équilibre entre les prétentions de la Ligue de football professionnel et ce que les diffuseurs sont capables et désireux de proposer, afin que le spectacle sportif offert reste de qualité - acheter un championnat n'a plus d'intérêt si les acteurs qui en font le sel sont partis. Force études le montrent : de nombreux téléspectateurs sont prêts à s'abonner pour voir la Ligue 1, cela a une valeur.

M. Michel Savin, rapporteur. - CVC n'a pas perçu son dividende la première ni la deuxième année. Quel est le montant de la régularisation correspondante - qui, logiquement, devrait lui être versée cette année ?

Si les montants de droits ne sont pas à la hauteur du business plan, la part de CVC au capital peut être revue. En dessous de quel montant faut-il entrer en négociation avec le fonds en vue d'une augmentation de sa participation, qui ne peut dépasser 20 % ? Des discussions en ce sens ont-elles lieu actuellement entre la Ligue de football professionnel et CVC ? Une telle augmentation peut aussi inquiéter pour l'avenir des clubs puisque la part des droits perçue par CVC augmenterait.

M. Philippe Diallo. - À ma connaissance, il n'y a pas de discussion en ce sens entre la Ligue de football professionnel et CVC, mais je vous renvoie à la première, car c'est son affaire.

S'agissant du rattrapage des deux premières années, je n'ai pas à l'esprit son montant brut, mais le pourcentage qui devrait normalement être appliqué se situe un peu au-dessus de 19 %.

M. Laurent Lafon, président. - Vous siégez au comité de supervision de la société commerciale comme censeur, chargé de défendre l'intérêt supérieur du football. Cette éventuelle augmentation est-elle actuellement un élément de discussion entre CVC et la Ligue de football professionnel, si le chiffre d'affaires est inférieur aux prévisions et qu'il faut partager l'effort ?

M. Philippe Diallo. - À ma connaissance, ces discussions n'ont pas eu lieu ; en tout cas, je n'en ai pas été informé. Les discussions en cours portent sur les droits audiovisuels. Une augmentation de la participation de CVC ne pourrait être discutée que sur la base du montant des droits, qui n'est pas connu à ce jour.

M. Laurent Lafon, président. - Le plan d'affaires prévoit 864 millions d'euros de droits domestiques pour la saison 2024-2025. On n'y sera pas : la question se pose donc d'ores et déjà.

M. Philippe Diallo. - S'agissant des droits internationaux, les revenus devraient au moins doubler et atteindre 160 millions d'euros.

M. Laurent Lafon, président. - Ils sont prévus à 200 millions dans le plan d'affaires.

M. Philippe Diallo. - Une inconnue demeure sur les droits domestiques. La Ligue de football professionnel a évoqué 700 millions d'euros : on verra si on y est ou pas. En gros, la fourchette va de 500 à 700 millions.

En dehors des droits audiovisuels, la Ligue a commercialisé de bons contrats en matière de paris ou de naming - ce sont des revenus supplémentaires.

Il m'est difficile de tirer des conclusions définitives, l'atterrissage sur les droits domestiques n'ayant pas encore été réalisé. Si la Ligue de football professionnel atteint son objectif de 700 millions d'euros pour les droits domestiques, les revenus seront en phase avec ce qui pouvait être attendu. En cas d'accord dans le bas de la fourchette, on en sera assez loin.

Je ne pense pas qu'on puisse dire grand-chose de plus aujourd'hui.

M. Adel Ziane. - En effet, une forme d'inquiétude s'exprime devant les difficultés des clubs, dont l'atonie du marché des transferts est révélatrice, face aux incertitudes entourant les droits télé.

Vous avez dit être le président de l'ensemble du football français. Nous sommes particulièrement soucieux du football amateur. Or les liens financiers entre la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football incluent la somme, de l'ordre de 14 millions d'euros, qui doit être versée par la première. Vous nous avez rassurés sur l'état actuel des finances de la FFF, mais ce lien entre les deux instances pour le soutien au football amateur est un enjeu important.

S'agissant des droits, le contrat signé avec CVC s'accompagne d'une concentration plus forte des droits audiovisuels en direction d'un certain nombre de clubs, notamment européens. Ne craignez-vous pas de voir le football français, qui est déjà à plusieurs vitesses, traversé par des inégalités de plus en plus importantes entre les clubs les plus dotés et les clubs très dépendants des droits télé, parfois jusqu'à 70 % - je pense à l'interview du président de Montpellier parue hier dans L'Équipe ?

Par ailleurs, le président de la Ligue de football professionnel, qui représente les clubs professionnels, préside aussi la société commerciale. Cette double casquette vous inquiète-t-elle du point de vue de la préservation des intérêts de tout le football français ?

M. Philippe Diallo. - Les 2,5 % auxquels vous faites référence matérialisent la solidarité entre le football professionnel et le football amateur. Notre convention prévoit une somme plancher, un peu au-dessus de 14 millions d'euros, quel que soit le montant des droits - c'est une forme de garantie. La croissance des revenus de la Fédération française de football fait que, si nous devions tomber à ce plancher, nous serions en mesure d'absorber le choc pour garantir le financement du football amateur. Celui-ci n'en subirait donc pas les conséquences.

La définition de la clé de répartition des droits appartient aux clubs. La croissance des droits internationaux ne bénéficiera pas à l'ensemble des clubs : elle sera répartie entre les clubs ayant un indice européen, ce qui accroîtra les écarts budgétaires entre clubs. Il ne m'appartient pas de me substituer aux clubs, mais, dans l'hypothèse d'un atterrissage des droits à un niveau bas, la question de l'évolution de cette clé serait posée compte tenu de l'évolution globale des revenus. Il reviendra alors aux clubs de trouver les bons équilibres, mais des efforts devront être faits pour que le faible niveau des droits n'ait pas de conséquences majeures.

La question de la double casquette a été plusieurs fois soulevée depuis le début de cette audition. Cette situation résulte de la décision des instances de la Ligue de football professionnel. Pour, non pas vous rassurer, mais expliquer une forme de logique, je rappellerai que la société commerciale est une filiale de la Ligue de football professionnel à hauteur de 87 %. Il faudra tirer les conséquences du fonctionnement de cette société à moyen terme et examiner si des correctifs doivent lui être apportés, mais, au moment de sa création, le choix fait avait sa cohérence.

M. Patrick Kanner. - Je relisais plusieurs articles de presse dans lesquels vous avez pris position dans ce moment que vous qualifiez de difficile. Le 8 juin dernier, RMC Sport titrait : « Diallo et la FFF volent au secours de la LFP dans le dossier brûlant des droits TV ». Oui, ça brûle, à deux mois de l'ouverture du championnat.

Vous êtes le patron de la plus grande fédération sportive - plus de 2 millions de licenciés, le sport national. Vous devenez un peu le sauveur dans le contexte des difficultés que connaît M. Labrune dans un montage que je ne qualifierai pas d'exotique, mais qui, pour l'instant, n'a pas fait ses preuves du point de vue des clubs français professionnels.

Nous avons interrogé des ministres, et la situation ne paraît pas totalement maîtrisée. Vous avez une délégation de service public : la ministre des sports suit-elle particulièrement cette situation, susceptible d'être très grave pour les clubs ? Avez-vous dans ce cadre un lien direct qui pourrait intéresser notre commission d'enquête ?

M. Philippe Diallo. - Je ne m'attribuerai pas le qualificatif de « sauveur » : je n'ai pas de solution aujourd'hui, mais j'essaie de m'impliquer, avec beaucoup d'humilité, pour jouer un rôle de facilitateur entre les acteurs décisionnaires.

Le montage auquel vous avez fait référence est issu de la loi. La loi a autorisé la création de sociétés, et, dans le contexte que la Ligue de football professionnel connaissait à l'époque, elle a estimé que c'était la bonne solution pour pérenniser nos clubs.

L'ancien ministre des sports que vous êtes sait qu'aucun gouvernement ne se désintéresse de l'évolution des droits audiovisuels : non seulement le football est un sport populaire - nous sommes la première fédération et la Ligue 1 est le championnat le plus populaire -, mais il alimente des solidarités avec l'ensemble du sport français à travers la taxe Buffet, qui représente 5 % des droits audiovisuels du football. Il est donc assez légitime que les responsables publics suivent de près ces dossiers.

M. Patrick Kanner. - Votre relation avec la ministre est-elle à un niveau tel que, à quelques semaines de l'ouverture du championnat et à quelques jours de l'Euro, le Gouvernement a pris la pleine mesure de la gravité de la situation ?

M. Philippe Diallo. - Je le crois. Des informations sont données permettant le suivi de ce dossier par les autorités publiques. Le président de la Ligue de football professionnel a tous les contacts nécessaires pour informer les pouvoirs publics de l'état des négociations.

M. Michel Savin, rapporteur. - La répartition des droits a été votée par l'ensemble des clubs. Vous évoquez une discussion au vu de la situation : elle impliquerait la Fédération française de football et surtout la Ligue de football professionnel, mais aussi CVC qui, comme fonds d'investissement, cherche non à financer le foot, mais à gagner de l'argent. Si les droits sont inférieurs aux prévisions du business plan et que CVC, en accord avec la Ligue de football professionnel, accroît sa participation au capital, en sorte que la part revenant aux clubs serait encore plus faible et que certains pourraient faire faillite, la FFF utiliserait-elle son droit d'évocation au titre de l'intérêt supérieur du football ?

M. Philippe Diallo. - C'est un outil à notre disposition : nous ne voulons rien écarter, mais n'anticipons pas une situation qui ne se présente pas aujourd'hui. Au reste, d'autres solutions pourraient être apportées, comme un décalage de la période de remboursement. Le cas échéant, les discussions s'ouvriront le moment venu. Si la FFF estime que l'intérêt supérieur du football est en jeu, elle sera en mesure de jouer son rôle.

M. Laurent Lafon, président. - Concrètement, souhaitez-vous que CVC fasse un effort financier en cas d'atterrissage éloigné des prévisions ?

M. Philippe Diallo. - Je ne veux pas me substituer aux deux premiers interlocuteurs. Simplement, en cas de mauvais scénario, la protection de l'investissement d'un partenaire de long terme passe peut-être aussi par une discussion intelligente permettant de ne pas plonger le « produit foot » et les clubs dans une difficulté extrême. C'est aussi une façon de protéger l'investissement du fonds, sans mettre en péril ses intérêts.

M. Michel Savin, rapporteur. - L'augmentation des droits internationaux bénéficierait en grande partie - tout ce qui dépasse 6,5 millions d'euros - aux seuls clubs internationaux et européens, soit une toute petite partie des clubs de Ligues 1 et 2. Les clubs sont donc inquiets. Je vous ai demandé si la Fédération française de football a dressé le bilan de Mediapro : il s'agit de mener une réflexion sur les droits télé, leur valeur et leur organisation pour éviter que la situation que nous avons connue se reproduise - ce qui semble être le cas.

Alors que la Ligue de football professionnel pourrait être confrontée à des difficultés financières, la rémunération de son président est passée de 420 000 euros en 2021 à 1,2 million d'euros en 2024, avec une prime variable annuelle de 1,5 million d'euros. Quel est votre sentiment sur ces montants ? Le salaire du président de la Ligue de football professionnel, qui a une subdélégation de service public, devrait-il être plafonné ?

M. Philippe Diallo. - C'est très subjectif. En tout cas, ces émoluments ont été décidés par le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel, à l'unanimité me semble-t-il. S'ils l'ont fait, c'est que, à ce moment-là, ils ont estimé que c'était bien.

Je ne pense pas qu'il faille plafonner ces rémunérations. C'est presque l'inverse : c'est le cas dans les fédérations, et je ne crois pas que ce soit une bonne orientation... Il faut faire confiance aux administrateurs, dès lors que les processus sont transparents et les décisions démocratiques, pour déterminer les rémunérations des dirigeants dans le cadre des budgets disponibles.

M. Laurent Lafon, président. - Dans une société, quand le chiffre d'affaires baisse, les salaires baissent souvent, notamment celui du président. Les revenus de la Ligue de football professionnel vont probablement baisser : sur le principe, pensez-vous qu'il faille demander un effort ?

M. Philippe Diallo. - Un précédent directeur général de la Ligue de football professionnel a fait le geste de renoncer à une partie de ses primes : cela arrive aussi. Quand les résultats seront connus, il appartiendra aux administrateurs d'examiner si un processus doit être engagé. Il ne m'appartient pas de demander tel ou tel effort avant que nous ne connaissions l'état exact de notre économie. C'est aux administrateurs, en liaison avec le président de la Ligue de football professionnel, de déterminer l'évolution de sa rémunération, compte tenu de l'adéquation des revenus de la LFP avec les prévisions.

M. Michel Savin, rapporteur. - Ma question n'était pas innocente... Un décret existe relatif au contrôle de l'État sur les rémunérations des dirigeants d'entreprise publique. La Ligue de football professionnel ayant une subdélégation de service public, pourrait-elle entrer dans le champ du plafonnement à 450 000 euros - ce qui n'est tout de même pas un salaire misérable ?

M. Philippe Diallo. - Je constate que, dans notre secteur d'activité, de telles dispositions n'existent dans aucune ligue européenne : les dirigeants sont rémunérés librement par leurs administrateurs. Il en va de même dans les grandes instances internationales - UEFA, FIFA -, où les rémunérations des dirigeants sont assez libres.

M. Michel Savin, rapporteur. - Je ne vous pose pas la question de votre sentiment sur le prix du nouveau siège de la Ligue de football professionnel- 131 millions d'euros... Mais cela peut interroger au regard de la situation de cette instance.

M. Philippe Diallo. - Il faut se garder de l'anachronisme. Dans la situation actuelle, ces éléments ressortent - j'aurais du mal à dire le contraire. Mais au moment du partenariat avec CVC, avec la perspective de croissance de l'époque et au vu des exemples étrangers - La Liga a près de 1 000 collaborateurs -, la Ligue de football professionnel a souhaité se donner des moyens cohérents avec le développement attendu. Aujourd'hui, la question peut se poser des émoluments ou des locaux ; mais ne jugeons pas hier à l'aune d'aujourd'hui. Les décisions prises sont potentiellement discutables, mais peut-être que, sur la durée, elles apparaîtront différemment, avec le développement que nous espérons pour le foot français. Si la Ligue de football professionnel avait aujourd'hui un résultat de droits en phase avec ses espérances premières, personne ne poserait ces questions.

M. Michel Savin, rapporteur. - Lorsque la décision a été prise, la Ligue de football professionnel avait le contrat avec Amazon, en deçà de l'estimation actuelle. Elle n'avait donc aucune garantie d'avoir la recette espérée dans son business plan. L'épisode Mediapro a été une catastrophe économique pour le football français, puis un contrat a été conclu avec Amazon qui n'était pas à la hauteur de celui de Canal+. Et, au moment où le football professionnel perd 1,5 milliard d'euros sur trois ans, cette décision est prise, sans garantie aucune sur les nouveaux droits télé. Voilà pourquoi elle nous interroge. N'aurait-il pas été plus sécurisant d'attendre de connaître les recettes de droits pour se lancer dans un tel investissement ?

M. Philippe Diallo. - Je vous rassure, en tout cas, pour la Fédération française de football : vous n'aurez pas à nous poser ce type de questions. Nos locaux sont amortis et nous ne comptons pas les quitter à court terme.

M. Laurent Lafon, président. - J'espère que vous avez donné des conseils de bonne gestion au président de la Ligue de football professionnel, qui manifestement dépense l'argent avant de l'avoir...

M. Michel Savin, rapporteur. - La question de la multipropriété des clubs a été souvent soulevée lors de nos auditions. Vous avez récemment expliqué que la Fédération française de football vient en soutien des stratégies de la Ligue de football professionnel. Nous essayons de comprendre quelles sont les stratégies de la Ligue. D'après l'Équipe du 6 juin dernier, Vincent Labrune aurait déclaré : « mon modèle foot, c'est la NBA ». La NBA vient de conclure un contrat de droits télé à 6,9 milliards de dollars par saison... Mais c'est une ligue fermée. Que vous inspire ce type de déclarations ? En investissant massivement en Europe, les fonds n'ont-ils pas pour arrière-pensée de créer des ligues fermées ultrarentables ?

M. Philippe Diallo. - Quand je dis que je viens en soutien des stratégies de la Ligue de football professionnel, c'est parce que, dans cette période compliquée, il faut soutenir un acteur important qui est en difficulté, pour aller au bout des discussions en cours. Ensuite, chacun tirera les conclusions de la situation. J'ai demandé à tous les clubs professionnels unité, sang-froid et solidarité.

La NBA n'est pas le modèle que je défends. Je me suis battu au comité exécutif de l'UEFA contre les projets de Super Ligue. Non pas que je n'y voie pas un intérêt économique - on parle de 76 milliards de dollars sur onze ans pour la NBA -, mais parce que je défends au sein des instances internationales le modèle sportif européen, qui concilie l'excellence sportive et une solidarité, donc une unité. J'aime beaucoup les États-Unis, mais je ne suis pas pour une américanisation de notre sport.

Nos fédérations ont besoin des outils juridiques de régulation et de sécurisation nécessaires à l'exercice de leurs missions face à des phénomènes nouveaux : fonds d'investissement, financiarisation, multipropriété, nouveaux investisseurs pour lesquels nous n'avons pas toujours les moyens de décider s'il est bon ou non qu'ils entrent en jeu. Si nous voulons être une autorité de régulation et de contrôle qui incarne une forme de pouvoir régalien dans le sport, nous devons avoir les instruments nécessaires à une intervention juridiquement sécurisée - ce qui n'est pas le cas.

En ce qui concerne la multipropriété, le législateur français est intervenu de manière très stricte : elle n'est pas possible dans la même discipline. Mais on voit bien que le débat est européen. C'est pourquoi j'ai sollicité nos pouvoirs publics au moment des élections européennes : il y a une dimension sportive aux enjeux européens de régulation. Ces questions ne se régleront pas uniquement en France. La règle française est très claire, mais, si on n'est pas en mesure de la promouvoir au niveau au moins européen, on perd en efficacité.

Les fédérations nationales et internationales doivent donc être dotées des instruments nécessaires, à charge pour elles d'agir dans la transparence, avec des processus de décision et une forme de démocratie clairs. Il est important de trouver ce bon équilibre, car la tendance naturelle du marché nous conduira à une américanisation du sport. Si vous êtes investisseur, toutes les questions que vous m'avez posées ne se posent plus : votre premier sujet, c'est de gommer le risque.

M. Michel Savin, rapporteur. - Êtes-vous inquiet de voir le même fonds d'investissement présent dans plusieurs ligues européennes, avec le risque qu'une pression forte s'exerce sur elles pour aller vers une Super Ligue européenne ?

Y a-t-il un risque de voir les clubs français contourner les règles de la DNCG ? Des clubs étrangers peuvent acheter un joueur très cher qui ne rentre pas dans les comptes français, puis le prêter. Cela pose-t-il un problème d'équité dans le football français ?

M. Philippe Diallo. - Absolument. J'ai en tête un exemple dans lequel des décisions de la DNCG ont pu être contournées via une multipropriété qui permet des valorisations de joueurs ou des prises en charge de rémunérations différentes. On voit bien là la limite de dispositions purement franco-françaises. Je suis évidemment assez favorable à imposer à ces pratiques les barrières nécessaires.

M. Michel Savin, rapporteur. - Cela doit-il passer par la loi ?

M. Philippe Diallo. - C'est possible, la question mérite d'être étudiée. Les documents de subdélégation vers les ligues doivent contenir les moyens d'intervention nécessaires. Les moyens actuels sont très insécurisés : on l'a vu au moment de la Super Ligue et on le voit à travers les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui challengent beaucoup les autorités sportives. Les capacités d'intervention des fédérations sont très limitées. C'est particulièrement vrai pour la FFF, qui a cédé ses droits audiovisuels aux clubs.

M. Jean-Jacques Lozach. - On parle enfin de la multipropriété, qui existe depuis des années, mais on devrait parler davantage, me semble-t-il, de la fameuse tierce propriété dans le football - Third-party ownership (TPO) en anglais -, qui constitue un sommet en matière de financiarisation, voire de déshumanisation, car les joueurs eux-mêmes se voient privés de leurs droits. On atteint les limites du supportable !

M. Philippe Diallo. - Ces questions sont avant tout politiques : il s'agit de savoir quel sport nous voulons. La logique du marché entraînera inéluctablement une financiarisation à l'américaine du sport, car c'est le système qui permet le mieux de protéger les intérêts des investisseurs. Si l'on veut défendre le sport à l'européenne, il importe de réguler et de renforcer les pouvoirs des fédérations. C'est une question politique, car cela suppose d'instaurer des dérogations au droit commun. Il faut reconnaître que l'activité sportive a des spécificités. Je pense, par exemple, aux difficultés que l'on rencontre pour sélectionner certains joueurs en équipe nationale pour participer aux jeux Olympiques. Les clubs, qui sont les employeurs, ne veulent pas les laisser jouer ; c'est compréhensible. On peut ainsi s'interroger sur la place des sélections nationales dans le sport. Il faut admettre qu'elles ont une valeur qui n'est pas que financière, car elles représentent leur pays. Si l'on ne donne pas aux fédérations les moyens de jouer leur rôle, la tendance naturelle sera à leur effacement progressif.

M. Michel Savin, rapporteur. - C'est un appel à augmenter le pourcentage reversé à la FFF ?

M. Philippe Diallo. - Je n'irai pas jusque-là, monsieur le rapporteur, car ce serait provocateur pour mes collègues de la Ligue de football professionnel... Mais une révision du cadre existant ne serait pas malvenue !

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 25.