- Mercredi 5 juin 2024
- Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
Mercredi 5 juin 2024
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 10 h 00.
Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons, ce matin, le rapport de notre collègue Marc Laménie sur la proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires. Je salue la présence parmi nous de notre collègue Philippe Folliot, auteur de ce texte.
M. Marc Laménie, rapporteur. - Il nous revient, en effet, d'examiner la proposition de loi de notre collègue Philippe Folliot. Ce texte vise à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires. Il a été déposé dans le cadre de l'ordre du jour réservé au groupe Union Centriste. Son examen en séance publique aura lieu la semaine prochaine, le mercredi 12 juin.
Cette proposition de loi, composée d'un article unique, vise à imposer à l'établissement de crédit qui résilie une convention de compte de dépôt - autrement dit qui ferme un compte bancaire - de justifier cette résiliation lorsque le client en fait la demande expresse.
Pour bien cerner les enjeux, je dresserai un bref aperçu de la situation actuelle, avant de vous exposer les raisons qui m'ont conduit à déposer un amendement qui, je le crois, consolidera le dispositif.
Dans la relation qui lie un client à sa banque dans le cadre d'une convention de compte de dépôt, le premier dépend de la seconde pour son accès aux moyens de paiement. Le législateur a donc souhaité corriger cette asymétrie de fait au profit de la banque par une asymétrie de droit au profit du client.
Ainsi, si le client peut mettre fin à tout moment, et sans délai, à cette convention - on dit plus couramment qu'il « ferme » son compte en banque -, la banque est, quant à elle, tenue de faire précéder la résiliation qu'elle décide d'un délai de deux mois. Ce préavis doit en effet permettre au client de trouver une autre banque auprès de laquelle ouvrir un nouveau compte. Cette recherche peut pourtant être difficile pour les clients, notamment ceux qui résident en milieu rural, où le réseau bancaire est peu dense.
Dans ce contexte, la protection du client est également assurée par la procédure du droit au compte, introduite en 1984. Lorsqu'une banque refuse l'ouverture d'un compte en banque à une personne, celle-ci peut demander à la Banque de France de lui désigner un établissement de crédit pour lui ouvrir un compte, situé à proximité de son domicile ou d'un autre lieu de son choix, permettant d'accéder aux services bancaires de base.
Cela constitue sans conteste un progrès et les conditions d'accès au droit au compte s'améliorent continuellement, avec des délais réduits. Il faut cependant souligner que les services bancaires de base auxquels donne accès le droit au compte constituent une sorte de service minimum, de sorte que, si une personne voit son compte en banque fermé et obtient l'ouverture d'un nouveau compte par la procédure du droit au compte, il s'agira d'une régression par rapport à sa situation antérieure.
Une fois dressé ce tableau, j'en viens au problème traité par la proposition de loi.
La fermeture d'un compte se fait à la discrétion de la banque. Elle peut résulter d'une évolution de sa politique de risques la conduisant, par exemple, à se séparer des clients fragiles du fait de ses propres difficultés, ou encore de sa stratégie commerciale, une banque pouvant souhaiter se spécialiser sur certaines catégories de clientèle.
Cette faculté de résiliation peut exposer le client à une forme d'arbitraire et susciter chez lui une légitime incompréhension. En effet, dans le régime de droit commun, la banque qui, en fermant un compte bancaire, exclut son client d'un service essentiel qu'elle lui fournissait jusque-là n'est pas tenue de justifier sa décision de résiliation. Il est loisible à celle-ci de clore du jour au lendemain son compte pour toute raison qu'elle estimerait valable, y compris au titre des engagements ou des activités de son client, sans jamais avoir à l'expliquer. Le client ne peut donc pas comprendre ni tirer de leçons de ce qui a conduit la banque à fermer son compte. Cette situation est peu satisfaisante pour le client.
Depuis 1998, il existe toutefois un régime protecteur propre aux bénéficiaires du droit au compte. Une fois que le client dispose d'un compte dans un établissement de crédit désigné par la Banque de France, la décision de clôture de ce compte prise à l'initiative de la banque doit ainsi être motivée. Ce régime fait l'objet d'une limitation, puisque la motivation ne doit pas être communiquée si elle porte atteinte à la sécurité nationale ou au maintien de l'ordre public. Force est de reconnaître que l'application de ce régime, qui ne vise que les bénéficiaires du droit au compte, ne concerne donc qu'une très faible minorité de clients.
Sans chercher à étendre ce régime protecteur, la proposition de loi vise néanmoins à imposer à l'établissement de crédit qui résilie une convention de compte de dépôt de fournir gratuitement au client les motifs de cette résiliation lorsqu'il en fait la demande. Il s'agit d'un dispositif qui, assurément, va dans le bon sens.
La situation de principe qui permet à une banque d'empêcher l'accès aux services de paiement qu'elle fournit sans avoir jamais à le justifier n'est en effet pas acceptable. Les associations de consommateurs constatent ainsi que les fermetures de compte sont souvent mal comprises par les clients et peuvent dans certains cas donner lieu à des abus. Que le problème ne fasse pas l'objet d'une contestation massive ne doit donc pas empêcher, ne serait-ce que préventivement, de légiférer. Un accord de place peut certes toujours intervenir, mais cet argument a été trop souvent avancé sans donner lieu aux évolutions escomptées pour qu'il puisse y être fait droit. Souvenons-nous qu'en matière de frais bancaires sur les successions le Gouvernement a longtemps défendu l'option de l'accord de place, mais qu'il a fallu compter sur l'activisme de certains collègues et attendre une proposition de loi récente sur le sujet pour que ces frais soient en passe de faire l'objet d'un encadrement satisfaisant.
Les banques estiment que le dispositif sera de nature à alourdir les charges administratives qui pèsent sur elles. Mais c'est bien sûr excessif pour au moins deux raisons.
La première, c'est que la motivation de la fermeture du compte n'est pas systématique et ne doit se faire qu'à la demande du client. Je propose, dans mon amendement, de prévoir un délai de quinze jours pour répondre au client : tout en garantissant une réponse assez rapide pour le client, le temps laissé à l'établissement de crédit me paraît suffisamment long pour qu'il puisse très facilement encaisser cette charge.
La seconde, c'est qu'il y a tout lieu de croire que, si le client comprend, grâce à des explications orales détaillées, les raisons de la fermeture de son compte, il ne recourra pas à la possibilité offerte par la présente proposition de loi. Il ne tient ainsi qu'à l'établissement de crédit de faire en sorte que, de très faible, la charge administrative créée par le texte devienne infinitésimale.
Enfin, les banques revendiquent une certaine liberté contractuelle dans la relation qui les lie à leur client dans le cadre d'une convention de dépôt. Le banquier doit en effet avoir la liberté de rompre son contrat si celui-ci est à durée indéterminée - c'est le cas visé ici -, notamment en raison de la prohibition des engagements perpétuels reconnue par le code civil. Mais rien dans ce texte ne vise à limiter la possibilité pour les banquiers de rompre ces contrats, puisqu'il ne s'agit que d'une obligation de motivation lorsque le client en fait la demande. À titre de comparaison, la résiliation unilatérale de certains contrats d'assurance de particuliers fait obligatoirement l'objet d'une motivation, le Gouvernement souhaitant actuellement, dans le cadre de son projet de loi de simplification de la vie économique, étendre cette disposition aux professionnels.
Le législateur peut donc encadrer les conditions dans lesquelles se déploie la liberté contractuelle. Pour mémoire, le Conseil constitutionnel a bien précisé dans une décision de 1999 que, si la liberté contractuelle résultant de l'article IV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen justifie qu'un contrat à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement, l'information du cocontractant doit en revanche être garantie. C'est au législateur qu'il revient de déterminer dans quelles conditions.
Ces objections résolues, je souhaite vous expliquer les raisons qui m'ont poussé à déposer l'amendement que je vais vous présenter.
Lors des travaux que j'ai menés, mon attention a été attirée sur un risque réel dans la rédaction initiale du texte.
En effet, une relation contractuelle entre l'établissement et son client peut être rompue pour motifs de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Deux cas se présentent alors. D'une part, l'impossibilité d'actualisation des éléments de connaissance du client impose à l'établissement de crédit de mettre fin à la relation d'affaires et, dans ce cas, il peut faire une déclaration de soupçon à Tracfin. D'autre part, l'établissement de crédit peut mettre fin à la relation d'affaires à sa convenance s'il observe des opérations suspectes et, dans ce cas, il lui est imposé de procéder à cette déclaration de soupçon.
Or cette déclaration est confidentielle et l'établissement de crédit ne doit donc en faire état d'aucune manière.
Le risque de soumettre l'établissement de crédit à une injonction contradictoire, entre, d'un côté, une obligation de motiver la fermeture du compte à la demande du client et, de l'autre, une interdiction de divulguer toute déclaration de soupçon, n'est donc pas nul.
Pour résoudre cette difficulté, mon amendement prévoit que la demande de résiliation ne peut pas faire l'objet d'une motivation lorsque celle-ci contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public. Ce faisant, il reprend une rédaction éprouvée pour les personnes bénéficiaires du droit au compte, dont je vous ai déjà parlé. Celle-ci permet d'inclure le cas où la banque a procédé à une déclaration de soupçon sans pour autant s'y limiter, ce qui constituerait une divulgation en négatif.
Par ailleurs, ce même amendement vise à renforcer la portée opérationnelle du dispositif. Comme je l'ai dit, il prévoit que le délai de réponse de l'établissement de crédit est limité à quinze jours ouvrés à compter de la demande. Il précise aussi que la motivation est effectuée par écrit, sur support papier ou sur un autre support durable.
Je tiens à souligner que cet amendement a été soumis au préalable à Philippe Folliot, qui l'a accepté.
Je vous propose donc d'adopter mon amendement et la proposition de loi ainsi modifiée.
M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi. - Je vous remercie de me permettre de m'exprimer devant la commission des finances.
Je remercie le rapporteur de ses propos et j'approuve les positions qu'il vient de défendre. Nombre de nos concitoyens, victimes d'une fermeture abusive de compte bancaire, ressentent celle-ci comme une forme d'injustice, comme un abus de position de la part des établissements bancaires. En effet, la fermeture d'un compte bancaire est une forme de petite mort sociale : sans accès aux services bancaires, on ne peut pas vivre normalement. Le rapporteur a précisé à juste titre qu'il existait un préavis de deux mois, ainsi qu'une possibilité d'injonction de la Banque de France à une banque pour l'ouverture d'un nouveau compte. Toutefois, ce nouveau compte se caractérise par un mode de fonctionnement dégradé, sans carte bancaire et avec des services restreints.
En outre, les fermetures abusives de compte bancaire touchent en particulier les personnes politiquement exposées. L'obligation faite à la banque d'en justifier les raisons si le requérant en fait la demande est importante et je suis favorable à l'amendement du rapporteur.
La fermeture unilatérale d'un compte bancaire n'a pas forcément le même impact partout. Ainsi, dans un territoire rural, où il n'y a qu'une seule agence bancaire, il peut être difficile de se rendre dans un autre établissement, situé à une dizaine de kilomètres de là, pour ouvrir un autre compte bancaire. D'autant que certains établissements bancaires ont tendance à « stigmatiser » certains comptes professionnels, selon le code APE (activité professionnelle exercée) de l'entreprise. Par exemple, un cafetier, hôtelier-restaurateur, peut subir la fermeture automatique de son compte professionnel, même s'il a toujours respecté ses obligations. Cela vaut aussi dans le cadre associatif. C'est d'ailleurs parce que l'on a fermé sans aucune justification le compte bancaire d'une association culturelle que je présidais, malgré le respect total des obligations liées à ce compte, que j'ai présenté ce texte.
Je remercie le rapporteur de la qualité de son travail et de m'y avoir associé.
M. Claude Raynal, président. - Le rapporteur vous a donc consulté afin que vous approuviez son amendement, et a motivé sa position !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie notre collègue Marc Laménie de l'examen minutieux qu'il a fait de ce texte. Parfois, le diable se cache dans les détails. L'obligation faite aux banques de motiver la fermeture de tel ou tel compte contribue au respect du droit des usagers et favorise le bon équilibre de la relation commerciale qui lie les banques à leurs clients. Nous pouvons nous étonner de découvrir ces méthodes aujourd'hui, alors qu'on les rencontre aussi dans le secteur des assurances. Le projet de loi de simplification de la vie économique reprend certaines recommandations de notre rapport d'information Garantir une solution d'assurance aux collectivités territoriales sur ce sujet. La proposition de loi que nous examinons devrait prospérer et obtenir un large soutien sénatorial.
M. Michel Canévet. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son rapport. Avez-vous identifié des établissements bancaires qui pratiquent couramment cette fermeture abusive de comptes ? Sans forcément faire de la délation, il peut être utile de distinguer ceux qui mettent en oeuvre de bonnes pratiques de ceux qui ne le font pas.
En outre, concernant les signalements à Tracfin, la réponse du service à la banque est-elle soumise à un délai ? En effet, le fait d'invoquer un impératif de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public ne contribuera-t-il pas à susciter le doute dans l'esprit de ceux qui n'obtiendraient pas de justification de la part de la banque pour motiver la fermeture de leur compte ?
Enfin, le périmètre de l'examen du texte permet-il d'englober la question des prélèvements Sepa (espace unique de paiement en euros, ou Single Euro Payments Area) qui demeurent en activité ? En effet, l'ex-Sfam a récemment déposé le bilan pour avoir opéré des prélèvements indus sur des comptes bancaires parce que le mandat Sepa accordé à une certaine époque n'avait pas été arrêté. Si la banque ne notifie pas à ses clients la liste des mandats actifs, n'importe quel opérateur peut effectuer un prélèvement sans l'accord du client. Ne faudrait-il pas prévoir un amendement visant à ce que la banque liste l'ensemble des mandats Sepa actifs ?
M. Arnaud Bazin. - J'ai deux questions. La première concerne les motivations justifiant la fermeture d'un compte. Les avez-vous examinées ? En effet, si les banques ne sont pas favorables à ce dispositif, c'est sans doute par crainte du contentieux, dans la mesure où en indiquant le motif de la fermeture d'un compte bancaire, elles risquent d'ouvrir la voie à une contestation possible.
La deuxième porte sur l'efficacité de l'amendement. En effet, si le seul cas où la banque sera dispensée de motiver la fermeture d'un compte est celui d'un signalement de soupçon de blanchiment, la suspicion sera évidente et les employés de la banque qui seront à l'oeuvre seront sous la pression de la personne ou de la société dont le compte aura été fermé.
L'intention du rapporteur me paraît excellente, mais il faudrait examiner toutes les conséquences qu'emporte cet amendement.
M. Claude Nougein. - Ce texte est une excellente initiative surtout en cette période où l'on tend vers une concentration des banques. La diminution du nombre d'opérateurs ne peut qu'accroître le problème.
Est-ce que les mesures prévues visent aussi les entreprises, au-delà des particuliers, y compris les autoentrepreneurs et les petites entreprises ?
En outre, il sera très facile de contourner cette loi en bloquant les comptes sans les fermer. Cela arrive très souvent pour des motifs qui peuvent être fallacieux. Ainsi, dans mon département, une banque a bloqué la carte bleue du maire d'une commune parce qu'il n'avait pas répondu à une demande de justificatif de domicile. Il était pourtant client de la banque depuis dix ans. Ce genre de contournement arrive très souvent. Est-il vraiment justifié de bloquer un compte parce que le client n'a pas répondu à une demande concernant son état civil, alors que cet état civil ne change pas forcément d'une année sur l'autre ?
M. Éric Bocquet. - Un client victime d'une fermeture de compte par décision unilatérale de la banque a-t-il des voies de recours et peut-il s'opposer ?
De plus, y a -t-il des critères de rentabilité qui pourraient justifier la fermeture d'un compte par la banque ? Si j'ai bien compris, même un compte toujours actif sans aucun découvert peut faire l'objet d'une fermeture par décision unilatérale, ce qui est pour le moins surprenant.
Enfin, est-ce que la fermeture d'un compte en banque peut entraîner pour le client des difficultés pour en ouvrir un autre dans une autre banque ?
Mme Nathalie Goulet. - Ces fermetures de compte figurent-elles au fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) ? En effet, il peut être utile de ficher, mais compliqué de « déficher ».
Par définition, Tracfin ne répond pas aux déclarations de soupçon. Mais je rejoins M. Arnaud Bazin sur le sujet, je ne pense pas que l'amendement sera très efficace.
M. Christian Bilhac. - Félicitations à l'auteur du texte et à son rapporteur.
Il est prévu que la banque fournisse, si le client en fait la demande, les motifs de la résiliation du compte, sauf dans le cas où la sécurité nationale est en jeu. Pourquoi faut-il que le client en fasse la demande ? Cela ne va pas dans le sens de la simplification. Il faudrait que la banque justifie automatiquement la fermeture d'un compte.
Mme Isabelle Briquet. - Ce texte n'appelle pas de contestation particulière. Il étend le dispositif prévu dans le cadre du droit au compte à l'ensemble des titulaires de compte. A-t-on des éléments quantitatifs sur le nombre de comptes concernés par ce problème ?
M. Bernard Delcros. - Ce texte me paraît tout à fait justifié.
Ferme-t-on de plus en plus de comptes sans justification ? Pour l'instant, le préavis pour une fermeture de compte est de deux mois. Est-ce suffisant, notamment pour effectuer les démarches permettant d'ouvrir un autre compte ?
Je souscris à ce qu'a dit Christian Bilhac sur le fait que la banque qui ferme un compte devrait en donner la raison sans qu'il y ait besoin d'en faire la demande.
M. Hervé Maurey. - Est-il envisageable de prévoir une procédure d'appel de la décision auprès d'une instance bancaire supérieure ? Y a-t-il un moyen de contrôler la raison invoquée pour la fermeture du compte ?
Quant aux règles qui s'appliquent aux personnalités politiquement exposées, ne pourrait-on pas envisager une déclaration centralisée auprès d'un organisme de contrôle pour éviter la multiplication des documents à remplir ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - L'absence de motivation signera le fait qu'il y a eu un signalement de soupçon de blanchiment. Certes, cela vaut aussi pour les bénéficiaires du droit au compte, mais ils ne sont que 30 000. Faut-il vraiment expliciter cette cause d'exonération de motivation dans la loi, d'autant que rien n'interdit de saisir le tribunal en cas de contestation ? Il est gênant que l'intéressé puisse être informé par la banque d'un signalement de soupçon à son encontre.
M. Emmanuel Capus. - Quel est le volume de comptes fermés abusivement ?
Le texte prévoit-il des dispositions sur les frais de clôture de compte ? Nous avons abordé le sujet en séance publique, hier, dans le cadre de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique.
M. Claude Raynal, président. - L'engorgement des tribunaux si les recours se multiplient peut devenir un sujet sensible. Quel lien établir entre un tel risque et cette proposition de loi de bon sens ? En outre, le droit au compte existe. Comment s'articule-t-il avec le texte ? Ne faudrait-il pas prévoir la possibilité d'un appel devant la Banque de France pour éviter une procédure devant les tribunaux, qui risque d'être longue ?
M. Marc Laménie, rapporteur. - Monsieur Canévet, nous avons entendu les représentants de la Fédération bancaire française. Elle ne nous a évidemment pas transmis le nom des banques qui ferment abusivement des comptes. Par ailleurs, Tracfin n'a en effet pas à répondre à la banque en cas de signalement de soupçon. Enfin, dans l'amendement que je propose, l'interdiction de motivation par la banque couvre un périmètre plus large que la seule déclaration de soupçon pour éviter une divulgation en négatif de ce signalement : elle mentionne en effet un problème de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public.
Monsieur Bazin, dans la rédaction actuelle du texte, le seul risque de contentieux intervient si la banque ne fournit pas la motivation demandée. Les motivations principales invoquées à l'appui de fermetures de comptes sont constituées par des raisons commerciales.
Monsieur Bocquet et madame Goulet, le client a une relation contractuelle avec la banque, ce qui l'expose en effet à une fermeture de son compte sans qu'il puisse la contester. Par ailleurs, à ma connaissance, la fermeture de son compte ne l'expose pas à une difficulté pour ouvrir un compte dans une autre banque.
Monsieur Bilhac, une motivation systématique par la banque ne me paraît pas pouvoir intervenir dans le cadre de la relation contractuelle qui lie le client à sa banque. C'est en revanche le cas pour les bénéficiaires du droit au compte. Dans ce cas, la banque ne se situe pas dans une relation contractuelle mais est alors soumise à une obligation légale, ce qui justifie le caractère automatique de la motivation de la décision de résiliation.
Madame Briquet et monsieur Delcros, il n'y a pas d'éléments quantitatifs sur l'étendue du problème et son évolution. La Fédération bancaire française et la direction générale du Trésor n'ont pas d'informations sur ce sujet.
Monsieur Maurey, une procédure d'appel paraît prématurée dans la mesure où le cadre est celui d'une relation contractuelle où la banque peut décider de maintenir ou de rompre le contrat. Les situations sont variables en fonction des interlocuteurs.
Madame Carrère-Gée, invoquer le maintien de l'ordre public et la sécurité nationale permet d'éviter l'écueil que vous mentionnez quant à la divulgation du signalement de soupçon.
Monsieur Capus, je vous ai déjà partiellement répondu sur les frais de clôture de compte.
Enfin, monsieur le président Raynal, cette proposition de loi se limite à ouvrir un droit à la motivation de la fermeture de compte, ce qui devrait éviter la multiplication des contentieux. Par ailleurs, il ne serait pas inintéressant d'inclure la Banque de France dans le dispositif. Cela mérite d'être envisagé.
M. Philippe Folliot. - Aujourd'hui, il n'existe pas de procédure en appel, en cas de fermeture abusive d'un compte bancaire. La seule possibilité est de s'adresser à la Banque de France pour faire valoir le droit au compte et obtenir l'ouverture d'un compte dégradé.
Pour ce qui est de la difficulté d'ouvrir un compte dans une autre banque, une entreprise, en fonction de son domaine d'activité, peut rencontrer certains problèmes. C'est particulièrement le cas pour les restaurateurs-cafetiers.
La fermeture d'un compte peut concerner une personne physique comme morale.
Le texte vise la fermeture abusive des comptes bancaires. Quand un client ne respecte pas les obligations liées à son compte, la banque le ferme et cela ne pose pas de difficultés. En revanche, quand la banque ferme un compte alors que le client a parfaitement respecté les obligations de son contrat, elle doit se justifier. Le risque de contentieux restera limité, car les banques s'« auto-réguleront » dès qu'elles auront l'obligation de justifier la fermeture d'un compte.
Quant aux frais bancaires, ils sont pour l'instant à la charge du client, ce qui crée une forme de double peine.
M. Claude Raynal, président. - En ce qui concerne le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer qu'il comporte toutes dispositions relatives aux conditions de résiliation d'une convention de compte de dépôt à l'initiative d'un établissement de crédit.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Marc Laménie, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à ce que la demande de résiliation ne puisse faire l'objet d'une motivation lorsque celle-ci contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public. L'amendement prévoit aussi que cette motivation sera effectuée par écrit, sur support papier ou sur un autre support durable, d'une part, et qu'elle sera adressée au client dans un délai de quinze jours ouvrés à compter de la réception de la demande, d'autre part.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à présent à l'examen du rapport sur la proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique.
M. Bruno Belin, rapporteur. - La commission a été saisie d'une proposition de loi portant réforme de la fiscalité des entreprises, déposée par notre collègue Rémi Féraud et d'autres membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Cette proposition de loi sera examinée en séance publique jeudi en huit, dans le cadre de l'espace réservé au groupe SER dans l'ordre du jour.
Avant d'entrer dans le détail de la proposition de loi et de vous présenter plus précisément chacun de ses articles, je souhaite vous présenter en un mot la logique d'ensemble de ce texte et les raisons pour lesquelles nous n'adhérons pas à la réforme fiscale proposée, qui risquerait d'affaiblir nos entreprises dans un contexte déjà marqué par le ralentissement de la croissance.
Premièrement, sur le principe, nous estimons qu'un alourdissement de la fiscalité des entreprises en France serait contreproductif, dès lors qu'il nuirait à la compétitivité des entreprises et par conséquent sur leur capacité d'investissement dans la transition.
Je souligne à cet égard que nous comprenons naturellement l'objectif de cette proposition de loi, qui est d'accélérer l'engagement des acteurs privés en faveur de la transition écologique. Cependant, dans un contexte international où la France se démarque par le poids de ses prélèvements obligatoires, qui représentent 46 % du PIB, des hausses générales de fiscalité ne peuvent constituer une réponse satisfaisante : elles risquent d'affaiblir notre économie et de restreindre l'adhésion des entreprises à nos objectifs climatiques.
Deuxièmement, sur la méthode, nous estimons que, malgré la volonté de l'auteur de la proposition de loi de cibler certaines entreprises, la hausse de la fiscalité concernerait un très grand nombre d'acteurs économiques.
Par conséquent, sans rejeter le principe d'une adaptation de la fiscalité à nos objectifs fiscaux et sociaux, je relève que l'adoption de ce texte aboutirait à une complexification de notre droit fiscal, à rebours de la volonté de simplification partagée par tous les groupes du Sénat, et à un alourdissement de la fiscalité qui serait préjudiciable aux acteurs économiques de nos territoires.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit une augmentation du taux de l'impôt sur les sociétés (IS) de 25 % à 30 %, en fonction de différents critères sur lesquels je vais revenir. D'après notre analyse, ces critères conduiraient en réalité à faire basculer un très grand nombre d'entreprises sur un taux de 30 %. L'article vise en effet :
- les entreprises dont l'activité directe ou indirecte constitue ou contribue à une activité polluante ;
- celles qui ne respectent pas l'obligation de publication annuelle des écarts de représentation des hommes et des femmes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes ;
- celles qui ne respectent pas l'obligation d'emploi de personnes handicapées à hauteur de 6 % de leur effectif total, dès lors qu'elles emploient plus de 20 salariés ;
- les entreprises dans lesquelles ont lieu des cas d'actes de gestion contraires à l'intérêt de la société ;
- et celles enfin dans lesquelles sont constatés des écarts salariaux de plus de trente fois la rémunération moyenne du décile de salariés disposant de la rémunération la plus faible.
Le périmètre me semble très large et est surtout mal défini, notamment au regard de la notion de « contribution indirecte à une activité polluante ». Toutes les activités économiques, et je dirais même toutes les activités humaines, contribuent indirectement à des activités polluantes...
De plus, l'article emprunte une logique d'écologie punitive, qui sanctionne les entreprises sans apporter aucune solution favorisant la transition écologique du tissu productif.
Je ne m'attarderai pas sur l'article 2. Alors qu'il prétend mettre en place une contribution sur les revenus exceptionnels, il prévoit en réalité uniquement une contribution sur la croissance des entreprises. Ainsi, dès lors que le bénéfice est supérieur de plus de 25 % par rapport à la moyenne des trois exercices précédant la promulgation du texte, les entreprises seront redevables de la contribution. Si dans dix, quinze, ou même vingt ans, une entreprise a augmenté de 50 % son bénéfice, ce qu'on ne peut que lui souhaiter, elle sera imposable à la contribution additionnelle sur les revenus exceptionnels !
Par ailleurs, le taux marginal d'imposition des bénéfices atteindrait des niveaux stratosphériques : le cumul des deux premiers articles conduirait à une imposition marginale des bénéfices à 63 %... Nous sommes très proches de ce que le Conseil constitutionnel qualifie de « confiscatoire ».
En ce qui concerne l'article 3, il a pour objectif de réformer le crédit d'impôt recherche (CIR), qui constitue la première dépense fiscale du budget général pour un montant estimé à 7,7 milliards d'euros en 2024.
J'insiste ici sur le fait que les dépenses de recherche qui sont éligibles à ce crédit d'impôt le sont indépendamment du domaine de recherche concerné. Toute dépense qui constitue une dépense de recherche au sens d'un référentiel technique adopté à l'échelle de l'OCDE est éligible au CIR, ce qui implique des dépenses dans tous les domaines, aussi bien dans l'aéronautique que dans la chimie, dans la santé ou dans le domaine environnemental. En l'état actuel du droit, les dépenses de recherche et développement ouvrent droit à un crédit d'impôt à hauteur de 30 % des dépenses jusqu'à un seuil de 100 millions d'euros, au-delà duquel le taux est de 5 %.
La proposition de loi prévoit deux réformes du CIR. La première est une réforme du barème qui consiste à plafonner les dépenses éligibles à un montant de 100 millions d'euros et à porter le taux du CIR à 40 % pour les PME. Si nous comprenons l'intention de l'auteur du texte, nous ne pouvons que nous opposer à cette mesure qui conduirait à renchérir le coût de cette dépense de 630 millions d'euros par an. Dans l'état de dégradation de nos finances publiques, cette dépense fiscale supplémentaire ne nous semble pas justifiée.
La seconde réforme proposée consiste à créer un « CIR vert » pour les dépenses de recherche relatives à l'environnement. Or, comme je l'ai indiqué, les dépenses de recherche environnementale sont déjà, dans l'état actuel du droit, couvertes par le CIR. Il n'est dès lors pas nécessaire de prévoir la création d'un CIR vert, puisqu'il est déjà inclus dans le CIR actuel.
L'article 4 prévoit de réduire le périmètre d'un dispositif de suramortissement, que la commission a pourtant soutenu, en faveur de l'acquisition de poids lourds utilisant des carburants alternatifs. En l'espèce, la proposition de loi exclut de ce dispositif les poids lourds roulant au gaz naturel véhicule (GNV), ce qui pose des problèmes pratiques et de principe : sur le principe, rien ne justifie d'exclure le GNV de ce suramortissement, alors que ce carburant constitue une énergie de transition dont les émissions sont réduites par rapport au pétrole et au charbon ; en pratique, le dispositif ne semble pas opératoire dès lors que les moteurs fonctionnant au gaz naturel peuvent également fonctionner au biométhane carburant. La volonté de l'auteur d'exclure les poids lourds roulant au gaz naturel risquerait par conséquent de fragiliser l'inclusion dans ce dispositif fiscal du biométhane carburant. Par conséquent, il ne nous semble pas opportun de réduire le périmètre de ce suramortissement en faveur de l'acquisition de poids lourds peu polluants, qui est un levier de décarbonation du secteur des transports.
Enfin, l'article 5 a pour objet de créer une écoconditionnalité relative à l'avantage fiscal associé à la création d'une activité économique dans les zones franches urbaines - territoires entrepreneurs (ZFU-TE). Ce régime de soutien aux quartiers défavorisés a été créé dans les années 1990 pour y stimuler la création d'entreprises. Il permet notamment de bénéficier d'une exonération d'impôt sur les sociétés pendant les cinq années suivant la création de l'activité. Je relève que, dans l'état actuel du droit, ce dispositif représente un coût d'environ 120 millions d'euros sur l'ensemble du territoire et se caractérise par un nombre très important de critères à respecter relatifs à l'activité de l'entreprise créée et au lieu de résidence des salariés de l'entreprise. La proposition faite par notre collègue d'ajouter un critère environnemental relatif à l'activité ne nous semble pas adaptée, dès lors qu'elle pourrait avoir pour effet non seulement de complexifier ce dispositif mais également d'en limiter la portée sociale, en restreignant sensiblement l'incitation à créer une activité dans un quartier défavorisé.
À l'issue de cette présentation rapide des mesures contenues dans chacun des articles de la proposition de loi, je propose à la commission de rejeter chacun des articles, ce qui conduira le Sénat à débattre en séance publique sur le texte de la proposition déposé par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi. - Je remercie le rapporteur de son travail sur notre proposition de loi et de nos échanges. Je ne suis pas surpris de son avis défavorable, mais il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre. Notre proposition de loi permet de contribuer au débat républicain entre la droite et la gauche sur la crise des finances publiques, sur le financement de la transition écologique, et il est intéressant de pouvoir débattre sur ces sujets en séance publique.
Nous n'avons pas la même analyse sur le fond. Nous avons essayé de renouveler les propositions, sans pour autant supprimer purement et simplement les réformes introduites par les gouvernements successifs, en faisant évoluer l'IS sans en augmenter le taux de manière uniforme. Nous n'avons donc pas remis en cause la trajectoire de baisse générale de ce prélèvement obligatoire.
Dans l'idéal, avec cette proposition de loi, il n'y aurait pas d'augmentation du poids des prélèvements obligatoires ; il y aurait une participation plus active des entreprises au changement de modèle écologique et social, et le financement de la transition écologique pèserait non plus uniquement sur les finances publiques, mais aussi sur l'investissement privé, tout en luttant contre les inégalités et en promouvant les pratiques plus inclusives. Les critères que nous avons proposés, s'ils sont intéressants, ne sont sans doute pas parfaits, mais ils peuvent être discutés. Nous voulons montrer qu'il est possible de concevoir l'IS autrement et d'avoir une fiscalité comportementale pour les entreprises, de sorte que l'écologie ne soit pas punitive ; simplement, nous voulons qu'elle ne repose pas exclusivement sur l'État, les collectivités territoriales et les individus, mais également sur les entreprises privées.
C'est pourquoi nous avons aussi intégré dans notre texte la notion de superprofits et l'idée d'une taxation de ceux-ci, parce que cette notion est devenue plus forte et que les superprofits sont souvent liés à une rente et à une évolution brutale de la conjoncture ; or il n'y a pas de raison que l'ensemble de la société n'en bénéficie pas aussi. Nous ne voyons pas d'obstacle, si le cumul de l'IS et de cette taxation des superprofits atteignaient un niveau confiscatoire, à prévoir un plafonnement du total par voie d'amendement.
Enfin, sur les niches fiscales, aucun dispositif n'est parfait. Nous avons formulé trois propositions pour conditionner, dans une perspective écologique, trois niches fiscales existantes, en particulier le CIR. Je suis un peu surpris par votre calcul de l'évolution du coût du CIR, monsieur le rapporteur, mais cela montre au moins que vous estimez qu'il n'y a pas d'augmentation des prélèvements obligatoires au travers de notre proposition de modification du CIR. Nous voulons le centrer sur les PME, en tenant compte des études menées sur ce dispositif, de même, d'ailleurs, que pour les ZFU-TE et le GNV. Il y a sans doute des effets pervers, pour chaque niche fiscale, mais nous proposons de les faire évoluer dans le sens d'une fiscalité comportementale.
Nous poursuivrons ce débat en séance publique de manière constructive.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Le dialogue entre le rapporteur et l'auteur de la proposition de loi semble s'être bien passé. Au Sénat, les débats sont restés classiques, avec un rapport habituel entre droite et gauche.
Par cette proposition de loi, vous faites en quelque sorte acte de contrition, mes chers collègues du groupe socialiste, car nous avions dénoncé l'écologie trop punitive de certaines de vos politiques. Je pense par exemple aux projets de loi défendus par Ségolène Royal. Nous savons comment cela s'est fini : par les « bonnets rouges » et la suppression de l'écotaxe ! Et la majorité suivante a ensuite connu le mouvement des « gilets jaunes » et la suppression de la taxe carbone.
Il y a quelques années, j'étais sorti déçu des propos des orateurs tenus lors d'une table ronde de la commission des finances sur la finance verte. Le financement des enjeux écologiques nécessite, selon moi, une mobilisation collective. Nous ne proposons pas tous le même chemin, mais nous reconnaissons tous la nécessité de s'y atteler. Il y a le retrait-gonflement des argiles, les catastrophes naturelles, les inondations, etc. Il faut être plus ouvert dans le dialogue avec le monde de l'entreprise, qui ne nous attend pas, et, pour le financement de l'économie, avec le monde du crédit et de la finance.
Nous pourrons débattre en séance publique sur cette proposition de loi pour que chacun expose ses positions.
M. Grégory Blanc. - Cette proposition de loi vise à encourager les comportements vertueux et à décourager les comportements vicieux. Nous croyons qu'il est nécessaire de faire évoluer la fiscalité des entreprises pour mieux prendre en compte les défis climatiques qui sont devant nous. Refuser d'ouvrir le débat sur l'adaptation de la fiscalité alors que le monde va bouger nous conduira dans une impasse. On peut discuter de la technique, des manières d'adapter notre fiscalité, mais refuser de la faire évoluer est un problème. Cela sclérose nos fonctionnements.
Le débat sur cette proposition de loi n'est pas qu'un débat économique, c'est aussi un débat éthique, moral. Il ne s'agit pas d'augmenter la fiscalité, Rémi Féraud l'a dit, il s'agit de sanctionner ceux qui ne sont pas dans les clous. La sanction n'est pas un gros mot ; elle existe pour les individus, elle doit exister aussi pour les entreprises. Nous ne devons pas rejeter d'emblée l'idée d'instituer des « amendes ».
Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires soutiendra, en lien avec l'auteur de la proposition de loi, des amendements pour éclairer les positions de chacun.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je salue le travail du rapporteur et de l'auteur.
Nous ne croyons pas plus à la fiscalité punitive qu'à l'écologie punitive ; selon nous, il faut modifier le système dans son ensemble. Du reste, le marché est en train de le faire, donc tous les ajustements que nous essayons d'introduire par la voie législative se feront, de façon brutale, qu'on le veuille ou non.
Sur le CIR, je rappelle que les conclusions du rapport de la mission d'information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels » ont été adoptées par la mission d'information du Sénat. Cette mission a émis des recommandations, dont celle qui consistait à reventiler, à enveloppe constante, le CIR au-delà du plafond de 100 millions d'euros en faveur des PME. En effet, 1 euro de CIR versé aux PME entraîne une dépense supplémentaire de recherche et développement de 1,4 euro, contre 0,4 euro pour les grands groupes. Il sera peut-être intéressant de reprendre cette disposition en séance publique.
M. Pascal Savoldelli. - Le rapporteur a évoqué le poids des prélèvements obligatoires - certains parlent même d'« enfer fiscal » -, mais, à côté des prélèvements obligatoires, il y a aussi les aides publiques aux entreprises, qui représentent 150 milliards d'euros. Pour que le débat soit plus équilibré, plus responsable, il ne faut pas omettre cette partie...
En outre, il convient de préciser le volume de 80 niches fiscales en direction des entreprises. Si certaines peuvent être vertueuses, d'autres peuvent susciter quelques doutes.
Enfin, il y a quelque chose qui devrait faire l'unanimité : nous voulions tous examiner un projet de loi de finances rectificative.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Oui !
M. Pascal Savoldelli. - Eh bien, en quelque sorte, on nous en propose un ici ! Ses auteurs se placent du point de vue des recettes et de leur redistribution, sous l'angle : comment travailler à une société plus écologique ? Néanmoins, selon Éric Bocquet et moi, il ne faut pas scinder l'écologie et la justice sociale ; il faut à la fois l'un et l'autre.
L'examen de cette proposition de loi sera donc l'occasion d'avoir le débat politique dont l'exécutif nous a privés. En tout état de cause, nous aurons en séance publique un échange intéressant non sur la décroissance mais sur la croissance et la compétitivité.
M. Claude Raynal, président. - Il me semble que l'on peut faire un lien entre les deux textes que nous avons examinés ce matin. Philippe Folliot nous a expliqué que son texte aurait un impact faible sur l'encombrement des tribunaux, puisque les banques adapteraient leur comportement pour expliquer en amont les fermetures de compte, et ce texte s'inscrit un peu dans le même esprit : l'idée est non pas de taxer à 30 % les bénéfices des entreprises, mais d'inciter celles-ci à s'autoréguler. Ce texte n'a pas vocation à dégager des recettes, il vise à susciter des comportements nous permettant de nous mettre en cohérence avec nos objectifs nationaux. En effet, on ne peut pas avoir de grands objectifs d'un côté et de petits moyens de l'autre. Il faut que tous les acteurs agissent, de l'État, qui prend des décisions importantes pour l'industrie, à l'ensemble des entreprises et PME françaises, qui doivent s'approprier ces sujets. C'est plus un texte incitatif qu'un texte visant à produire de nouvelles recettes.
Nous en revenons donc à des débats traditionnels.
M. Bruno Belin, rapporteur. - La prise de conscience des acteurs économiques existe aujourd'hui. Ils auraient donc un double ressenti de punition : écologie punitive et fiscalité punitive, puisqu'il y a une sanction. Quand on passe le taux de l'IS de 25 % à 30 %, on augmente bien la fiscalité.
M. Thomas Dossus. - Mais pas pour toutes les entreprises !
M. Bruno Belin, rapporteur. - C'est pourtant le président Hollande qui avait sacralisé la baisse du taux de l'IS. À 63 % d'imposition, on est dans une « zone grise » ; au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on encourt le carton rouge !
Rémi Féraud et moi-même avons échangé à ce sujet. Pour moi, l'IS ne peut pas être un outil de sanction, d'autant qu'une entreprise déficitaire mais très polluante ne serait pas assujettie au dispositif. Il y a donc une incohérence entre l'objectif et le moyen de l'atteindre.
Monsieur Blanc, vous avez parlé de « vice ». La croissance des entreprises ne peut pas être qualifiée de vice ! Ceux qui sont chefs d'entreprises le savent, on cherche tous les ans à faire mieux. En outre, lorsque les entreprises ne respectent pas loi, des amendes existent déjà.
Monsieur Savoldelli, la question des 150 milliards d'euros d'aides aux entreprises relève d'un autre débat, mais nous pourrons l'avoir jeudi prochain avec plaisir. Je m'y préparerai. J'ai d'ailleurs lu le travail d'Éric Bocquet sur les niches fiscales.
Enfin, il y a 13 700 PME qui bénéficient du CIR et le passage à 40 % du taux pour les PME aurait bien un coût de 700 millions d'euros.
M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer comme relevant du périmètre de cette proposition de loi : les dispositions relatives aux modalités de détermination de l'impôt sur les sociétés ; les dispositions visant à instituer une contribution additionnelle sur les bénéfices des entreprises ; les dispositions relatives au taux applicable ou aux dépenses éligibles au crédit d'impôt en faveur de la recherche ; les dispositions relatives à la déduction exceptionnelle en faveur des acquisitions de poids lourds moins polluants ; les dispositions relatives aux activités éligibles à l'exonération d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés pour les bénéfices réalisés par les entreprises qui exercent une activité dans une zone franche urbaine - territoires entrepreneurs (ZFU-TE).
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 2
L'article 2 n'est pas adopté.
Article 3
L'article 3 n'est pas adopté.
Article 4
L'article 4 n'est pas adopté.
Article 5
L'article 5 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 2714 (A.N., XVIe lég.) d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023, sous réserve de sa transmission, et désigne M. Vincent Delahaye rapporteur pour avis.
La réunion est close à 11 h 30.