Mercredi 5 juin 2024

La réunion, suspendue à 18 h 10, est reprise à 18 h 15.

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, et de Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation -

Rapport sur la décentralisation - Audition de M. Éric Woerth, ancien ministre, premier questeur de l'Assemblée nationale

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous avons plaisir à accueillir aujourd'hui Éric Woerth, dans le cadre d'une audition commune à la commission des lois et à la délégation aux collectivités territoriales, pour parler d'un sujet très cher au Sénat : la décentralisation. Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

Il y a presque un an, le 6 juillet 2023, se concluaient les travaux du groupe de travail sur la décentralisation, présidé par Gérard Larcher et composé de représentants de tous les groupes politiques du Sénat ; son rapport formulait 15 propositions ambitieuses visant à rendre aux élus locaux leur pouvoir d'agir.

Dans un contexte caractérisé par une atrophie croissante des libertés locales, ainsi que par le désengagement de l'État et un système de financement des collectivités territoriales à bout de souffle, il apparaît urgent d'agir pour redonner des marges de manoeuvre concrètes aux élus locaux, qui font tous état de leur lassitude face à une recentralisation rampante.

Il est donc plus que jamais nécessaire de relancer rapidement le processus de décentralisation. Le Président de la République vous a confié une mission de réflexion en ce sens. Vous lui avez récemment remis votre rapport, où figurent tant des constats que des propositions. Nous sommes heureux que vous puissiez aujourd'hui nous présenter ce travail et répondre à nos questions.

Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - La délégation aux collectivités territoriales vous a auditionné le 8 février 2024, dans la première phase de vos travaux. Cet échange avait été extrêmement apprécié ; il avait permis d'exposer certaines priorités sénatoriales en matière de décentralisation, que Mathieu Darnaud et moi-même avons ensuite eu l'occasion d'approfondir avec vous. Nos nombreux échanges ont été marqués par leur qualité et leur liberté de ton. Nous sommes donc heureux de discuter à nouveau avec vous, cette fois autour de votre rapport, que vous avez intitulé « Décentralisation : le temps de la confiance », titre presque sénatorial... La une est prometteuse, mais nous voici réunis pour exercer notre droit de réponse, ou de question, sur le contenu de votre travail, en particulier vos 51 propositions.

Commençons par les bonnes nouvelles : je retrouve dans votre rapport plusieurs points qui retiennent depuis longtemps l'attention du Sénat. Nous partageons le constat de la nécessité d'un renforcement de l'État territorial : il faut rapprocher l'État des territoires, faire de lui un accompagnateur plutôt qu'un censeur ou un contrôleur des élus locaux, pour décupler la confiance et le pouvoir d'action. Vous avez aussi évoqué l'importance de doter les collectivités d'un réel pouvoir réglementaire autonome, pour pouvoir adapter les règles aux réalités locales dans un esprit de subsidiarité. Vous reconnaissez le rôle d'inventeurs de solutions - inventeurs de possibles, aimons-nous à dire - des élus locaux et recommandez de les doter d'un véritable statut pour faire vivre la démocratie locale. Une proposition de loi a été votée à cette fin par le Sénat, à l'unanimité. Le Sénat est également intéressé par la réforme des scrutins que vous évoquez.

D'autres éléments suscitent chez moi quelques interrogations. La différenciation territoriale, à laquelle nous sommes très attachés, se fait très discrète dans le rapport. Pourtant, nous pensons qu'elle est une solution adaptée à la variété des territoires, dans le cadre de la République une et indivisible.

Dans vos travaux, nous avons retrouvé des points de vue conformes à ceux du Sénat, qui - vous le savez - est souvent pionnier en la matière. François-Noël Buffet, Mathieu Darnaud, Jean-François Husson et moi-même avons déposé à la fin du mois de mars trois propositions de loi visant à rendre aux élus locaux leur pouvoir d'agir, dont une proposition de loi constitutionnelle tendant à modifier, entre autres, l'article 72 de notre loi fondamentale.

J'ai été attentive aux nombreuses réactions des associations d'élus à votre rapport. L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) ne semble pas partager votre avis sur le nouvel observatoire des finances publiques locales ; elle a réitéré son souhait que le Comité des finances locales (CFL) soit présidé par un élu local. L'Assemblée des départements de France (ADF) est opposée à la suppression des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Et le conseiller territorial, que vous proposez de ressusciter, inspire des inquiétudes aux régions ; à leurs yeux, et je trouve cette observation pertinente, le système électoral que vous envisagez peut affaiblir une majorité régionale, puisqu'il n'y aurait plus d'élection au scrutin de liste sur un projet politique fort.

M. Éric Woerth, ancien ministre, premier questeur de l'Assemblée nationale. - Je vous remercie de votre invitation.

Je commencerai en évoquant le contexte. J'ai procédé à de nombreux entretiens - vous en avez la liste - ; pour autant, le rapport n'a pas été consacré aux diagnostics. J'ai essayé de me concentrer sur les propositions, en allant au-delà des simples injonctions à « soutenir », « renforcer », « améliorer », « apporter de la stabilité », « donner de la visibilité » ; en travaillant à des conclusions réalistes et en cherchant à ne pas trop personnaliser ni politiser.

Il n'était pas question, non plus, d'inventer de nouveaux impôts. J'ai considéré que le débat sur le sujet était clos avec la décision du Président de la République de supprimer la taxe d'habitation.

Je n'ai pas souhaité proposer la suppression d'une strate. D'abord, ce serait quasiment irréaliste. Ensuite, il faudrait préciser laquelle ; or la création des grandes régions a changé la donne. Enfin, dans la plupart des pays européens, il y a bien trois strates. Nous pouvons considérer que la France en a une quatrième si l'on inclut les intercommunalités, mais cette spécificité est due à notre grand nombre de communes, même si nous poussons à la création de communes nouvelles.

Enfin, il n'y a pas eu d'entrée par les coûts. Certes, aucune collectivité n'est hors-sol : si la France va mal, il est logique que les recettes locales fléchissent ; chacun doit prendre sa part du fardeau. Mais l'État étant unitaire, il vient au secours des collectivités, comme il l'a fait lors de la crise sanitaire.

Le rapport est marqué par une ambition puissante. Lorsque je considère qu'un diagnostic n'est pas bon, je n'hésite pas à le dire. Par exemple, aujourd'hui, les DMTO ne financent plus les politiques sociales ; j'ai rencontré beaucoup de présidents de département extrêmement inquiets de la volatilité de cette ressource. Il y a besoin de réponses fortes.

Le rapport est également empreint d'un grand réalisme. L'objectif était de savoir s'il est possible d'avoir des débats raisonnables, des confrontations d'opinions sur ce que pourrait être une vision plus pacifiée de la décentralisation vis-à-vis de l'État. Aujourd'hui, chacun se renvoie la balle, parfois sur de fausses polémiques.

Quel est le statut du rapport ? C'est un document que l'exécutif met sur la table, comme le Premier ministre l'a rappelé tout à l'heure lors des questions d'actualité au gouvernement. Il vient constituer le socle d'une concertation menée par le Premier ministre avec les associations d'élus, les parlementaires et les partis politiques. Une fois la concertation lancée, les ministres chargés des différents dossiers prendront la suite pour essayer d'aboutir à des textes législatifs.

J'ai tenté de procéder à une clarification des compétences. D'une manière générale, je n'ai pas cherché à reproduire des travaux qui avaient déjà été réalisés. Nous avons regardé les différents rapports remis ces dernières années par des associations d'élus, des universitaires, etc. Il existe déjà une documentation extrêmement fournie.

La différenciation est présente un peu partout dans le rapport. Les collectivités doivent remplir les missions qui leur sont confiées par l'État - c'est le principe d'un État unitaire -, mais celui-ci doit leur donner les moyens d'assumer leurs compétences déléguées : financements, gestion des ressources humaines, pouvoir réglementaire réel, etc. Chaque strate de collectivité a ses propres compétences, et il n'appartient pas à une autre de venir les exercer à sa place : il faut de la clarté pour l'électeur.

L'objectif est donc non pas de supprimer une strate, mais de mieux organiser les différentes strates.

La compétence du département en matière sociale est probablement celle qui est la plus lourde en termes financiers. Les représentants des départements m'ont dit qu'ils étaient à bout de souffle ; ils n'ont plus d'argent, et ils doivent tout investir dans le domaine social. C'est l'État qui décide des règles en matière sociale, des prestations ou encore de l'organisation. Or il n'y a plus de financement.

Pour répondre à ces difficultés, nous avons laissé les choses ouvertes, en proposant deux options. La première - certes, c'est un peu technique - consiste à créer un établissement public dont le département conserverait la présidence, tout en prévoyant le versement par l'État d'une dotation de solidarité, dans le cadre d'un dialogue avec le préfet, ce dernier pouvant fixer un certain nombre d'objectifs dans les politiques sociales ; cela fonctionnerait de manière totalement différenciée, département par département. La seconde est de prendre acte de la difficulté d'exercer certaines compétences, par exemple dans le domaine de l'enfance, et d'envisager une recentralisation. Il y aura un débat sur le sujet, et des décisions seront prises.

La notion de chef de file existe, mais elle est presque dépourvue de toute substance. Nous avons essayé de lui donner un contenu, avec, d'une part, l'exercice du pouvoir réglementaire par le chef de file et, d'autre part, la capacité d'organiser les tours de table. Il y a parfois besoin de financements croisés, par exemple pour réaliser de grandes infrastructures ; c'est au chef de file de le déterminer.

Tout cela nécessite des modifications constitutionnelles, qu'il s'agisse de l'attribution d'un pouvoir réglementaire réel ou de la possibilité d'avoir un chef de file chargé de jouer un rôle de coordination, sachant qu'il ne peut évidemment pas y avoir - le Conseil constitutionnel l'a rappelé - de tutelle entre les différentes collectivités.

Il y a besoin d'outils de coordination. La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) en a créé beaucoup. Dans le rapport, nous incitons les collectivités à les utiliser.

La répartition des compétences me semble assez rationnelle. Nous avons essayé d'identifier l'objet de chaque strate. La commune se justifie à l'évidence pour des raisons d'ultra-proximité. L'intercommunalité tient au grand nombre de communes ; il faut se rassembler pour mutualiser les moyens et avoir une vision à l'échelle d'un territoire de vie. Le département, qui a retrouvé toute son efficacité avec la création des grandes régions, est évidemment la collectivité des solidarités, mais également celle de la résilience territoriale, c'est-à-dire de la capacité à créer de la convergence sur un certain nombre de sujets, par exemple les réseaux, l'eau et l'assainissement ou les risques : feux, inondations, réfractions des terres, etc. Il y a une administration solide dans les départements ; il faut en profiter pour donner des compétences supplémentaires très sérieuses à cette collectivité. Enfin, s'il y a des grandes régions, ce n'est pas pour faire de la proximité ; c'est précisément pour utiliser cet effet de taille au maximum, afin, par exemple, de faire de la planification. Mais il faut se donner les moyens de suivre les politiques qui ont été planifiées, d'où l'idée de chef de file. Les grandes infrastructures structurantes de territoires, par exemple un certain nombre de ports ou d'aéroports, doivent dépendre des régions.

Nous avons essayé d'avoir une vision un peu différente des schémas financiers. Aujourd'hui, l'État doit disposer de moins de 50 % des recettes de TVA ; cela s'est fait progressivement, avec, entre autres, la suppression de la taxe d'habitation. Ne faudrait-il pas procéder autrement ? Nous suggérons tout simplement de lier la ressource à la nature prépondérante de la charge.

Pour les départements, le social représente plus de 60 % des budgets. Le financement pourrait donc reposer, d'une part, sur des dotations, puisqu'il y a coresponsabilité avec l'État et, d'autre part, sur la contribution sociale généralisée (CSG), qui est un impôt très large et stable. Il ne doit plus reposer sur les DMTO, dont les départements ont suffisamment expliqué qu'il s'agit d'une mauvaise ressource.

D'ailleurs, du point de vue fiscal, les DMTO sont contestables en soi. Mais tant qu'ils existent, il paraît logique de les rebasculer vers le bloc communal, échelon de proximité, puisqu'ils concernent le foncier.

Et nous proposons d'attribuer la moitié de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et une part d'impôt sur les sociétés (IS) aux régions, afin de leur donner des ressources liées à leur capacité de renforcer le dynamisme économique et financier d'un territoire.

Nous avons également énoncé quelques grands principes qui pourraient présider à une réforme approfondie de la dotation globale de fonctionnement (DGF), notamment en faisant une croix sur certaines références au passé : dans la DGF actuelle, il y a encore des références aux années 1970 ! Il est normal que les maires n'y comprennent pas grand-chose.

Sur le statut de l'élu, nous reprenons beaucoup de propositions du Sénat et de l'Assemblée nationale : établissement d'une grille indemnitaire précise des élus locaux, suppression de l'interdiction de cumul entre un mandat de parlementaire et un mandat de maire, prise en compte de la présidence d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) parmi les mandats de chef d'un exécutif local dont le cumul est interdit ou limité, etc.

Nous ne proposons pas de « ressusciter » le conseiller territorial, puisqu'il n'a jamais vraiment été enterré ; il est toujours resté dans le débat politique. Plus il y a de strates, plus il y a besoin de coordination. Le conseiller territorial fait le lien : il permet au département et à la région d'avoir un élu en commun. Quand le conseiller territorial siège au conseil régional, il est bien conseiller régional et dépend bien d'une majorité régionale. Le fait qu'il y ait un fléchage sur les binômes départementaux n'empêche nullement la tenue d'une campagne électorale à l'échelle de la région. Ce n'était pas possible dans le cadre de la réforme souhaitée par Nicolas Sarkozy en raison de la taille des régions, mais cela l'est aujourd'hui depuis la création des grandes régions. Le conseil régional resterait une collectivité territoriale et aurait même, avec notre rapport, plus de pouvoirs qu'aujourd'hui.

Nous avons également abordé les cas de Lyon, Marseille et Paris, qui, bien que distincts, sont liés dans le cadre de la loi du 31 décembre 1982 portant modification de certaines dispositions du code électoral relatives à l'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille (PLM). Nous proposons la suppression de la métropole du Grand Paris, cette cinquième strate n'ayant pas, me semble-t-il, parfaitement rempli ses missions ; ce n'est d'ailleurs pas du fait des élus qui la composent. Pour autant, il ne faut évidemment pas abandonner l'idée d'un projet métropolitain intégrant Saclay, les villes nouvelles, les deux grands aéroports, etc. Les collectivités qui existent peuvent jouer ce rôle, et des établissements publics territoriaux peuvent être transformés en EPCI.

M. Hervé Gillé. - Je vous remercie de ces éléments d'éclairage. Votre rapport a soulevé un certain nombre d'interrogations au sein de l'AMF, des départements et des régions.

Il manque, nous semble-t-il, une étude d'impact qui permettrait de véritablement mesurer les conséquences de vos propositions en matière de fiscalité et de finances locales, d'autant que votre position sur les DMTO suscite des questionnements. Il y a besoin de dispositifs de péréquation pour éviter certaines crises fiscales, comme celle que vivent aujourd'hui les départements.

Pourriez-vous nous apporter des précisions quant à votre vision de l'établissement public départemental des solidarités dont vous prônez la création ? La recentralisation envisagée de certaines compétences nous laisse interrogatifs.

Le transfert des infrastructures pose la question des intermodalités, de leur mode d'organisation, notamment de leur planification et de leur réalisation. Aujourd'hui, il y a un manque de lisibilité.

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble du débat sur le conseiller territorial. Mais comment garantir la parité dans les différents échelons, en cas de mise en place de ce conseiller ?

Enfin, pourriez-vous nous communiquer des éléments plus précis sur le calendrier de travail, par exemple sur la concertation avec les représentants d'élus et de collectivités ?

M. Cédric Vial. - Si je salue l'intention qui a présidé à vos travaux, je ne me retrouve pas complètement dans vos conclusions. Je pense que vous êtes un peu resté au milieu du gué. Ce que nous attendions, c'était une clarification de certaines compétences, mais aussi une simplification de l'organisation. Or non seulement vous n'y arrivez pas toujours, mais j'ai même le sentiment que vous compliquez parfois un peu les choses. L'action publique doit également s'appuyer sur une légitimité démocratique et politique et, là encore, je pense que l'on aurait pu aller plus loin.

Je salue votre démarche lorsque vous dites que le département doit devenir responsable des réseaux : réseaux secs, réseaux humides et voirie. Il faudrait aller plus loin. Dans le domaine de l'aménagement du territoire, par exemple, les schémas de cohérence territoriale (SCOT) ont été conçus pour développer une politique supra communale - intercommunale, voire multicommunautaire. Pourquoi ne pas les confier au département ? Cela allègerait les structures et redonnerait du poids et de la légitimité au conseil départemental.

Lui confier la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) serait une très bonne chose. Il y a une taxe, il faut que son usage soit confié à des élus - charge au département de redéléguer à un syndicat le cas échéant.

Vous connaissez la position du Sénat sur l'eau : la décision doit être au bloc communal. Venez en Haute-Maurienne : vous ne pourrez pas rester sur l'idée que c'est toujours une bonne idée de confier cette compétence à l'intercommunalité.

À cet égard, je propose que l'on supprime les agences de l'eau, que la taxe finance les départements et que ceux-ci mettent en oeuvre les politiques en direction de l'eau directement avec le bloc communal. Cela redonnerait du pouvoir fiscal au département sans création de nouvelle taxe. La taxe aurait par ailleurs plus de légitimité démocratique. Aujourd'hui, les agences de l'eau font ce qu'elles veulent : c'est insupportable sur le plan démocratique. On pourrait aussi parler d'électricité...

M. André Reichardt. - Le Sénat attend une nouvelle étape de la décentralisation depuis plusieurs années. Votre rapport pourrait justifier le dépôt d'un projet de loi. Vous a-t-on donné des assurances sur une mise en application de l'une ou l'autre de vos recommandations ? Pouvons-nous espérer au moins un texte d'ici la fin de l'année ?

Je fais le même constat que Françoise Gatel sur la différenciation. Vous dites qu'elle est évoquée partout dans le rapport - pourtant elle me semble à moi aussi très discrète. En Alsace, vous proposez au mot près ce qu'a proposé le Président de la République le 26 avril 2024 à Strasbourg. Cela pose un problème de calendrier. Dans votre rapport, il n'est pas question d'un découpage des grandes régions ; à l'Alsace, vous ne proposez que de discuter avec le Grand Est pour voir ce qu'elle peut déléguer. C'est ce que le président de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) a fait pendant un mois, conformément au délai accordé par le Président de la République. Le jour de la remise de votre rapport, il rendait compte à son assemblée délibérante de ces discussions en expliquant que le président de région ne voulait rien savoir. Ne pensez-vous pas que, sur l'Alsace, votre rapport est obsolète ?

M. Alain Marc. - En Aveyron, plus personne ne comprend rien à la DGF. Même la direction générale des finances publiques (DGFiP) n'est pas capable de nous expliquer quoi que ce soit. Pourtant, en son temps, nous avons eu un député-mathématicien célèbre, Émile Borel ! Est-il normal qu'en démocratie, le maire d'Onet-le-Château apprenne que sa commune a perdu 90 % de sa DGF en dix ans ?

Vous parlez de réveiller le conseiller territorial, et c'est une bonne chose. La proportionnelle sur un grand territoire produit des élus irresponsables. À cet égard, je ne comprends pas le choix qui a été fait pour les élections européennes. Mieux aurait valu des élections territorialisées. C'est différent pour les communes de moins de 1 000 habitants.

M. Grégory Blanc. - Merci d'avoir adossé à un travail de ventilation des compétences un volet financier - ce n'est pas toujours le cas. Je reste sur ma faim, s'agissant de l'approche centrée sur le parcours des personnes. Dans votre rapport, la relation entre départements et État est mise en tension. La création d'un service public est une façon de chercher des solutions, mais vous continuez à distribuer les compétences. Concernant la petite enfance et les personnes âgées, l'essentiel est d'avoir un pilote clairement identifié, responsable devant les électeurs. Pourquoi confier les Ehpad à l'agence régionale de santé (ARS) et le domicile aux départements, alors que l'on veut développer l'Ehpad à domicile et les centres de ressources territoriaux (CRT) ? On crée à nouveau de la complexité à force de ne pas vouloir clarifier le pilotage. Les départements sont sans doute les bons acteurs pour appliquer une logique de parcours de vie. Mais il est vrai qu'il faut clarifier le financement.

On ne peut pas penser prévention et placement l'une sans l'autre. Les départements innovent dans ce sens. Pour anticiper la vague du vieillissement, il faudra clarifier ce qui relève des départements et un peu moins de l'État.

Par ailleurs, quel est votre avis sur les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et leur coût pour les communes ?

M. Éric Kerrouche. - Merci pour votre rapport. S'agissant de la démocratie locale, nous pouvons avoir des points d'accord, comme sur le mode de scrutin des communes de moins de 1 000 habitants : votre solution permet d'être paritaire et d'éviter le « tir aux pigeons ». Je note cependant une absence étonnante : celle du citoyen. C'est pourtant de lui que dépend la crédibilité du système local.

Je note aussi des points de désaccord forts : vous réglez la question du cumul horizontal, et en même temps vous voulez réinstaurer un cumul vertical, idée que je croyais dépassée - je ne comprends même pas que vous repreniez les arguments sur le lien entre action nationale et locale... C'est une injure aux parlementaires de l'ensemble des pays occidentaux, qui ne cumulent pas. Ce serait autorisé sans limite de seuil et de population... Ce n'est pas sérieux !

Vous revenez au conseiller territorial, ce qui nécessite de retransformer encore les cantons - le dernier redécoupage, quoique nécessaire en raison de disparités de 1 à 16 dans la représentation des populations, a pourtant été compliqué à mettre en oeuvre. On aboutirait à un système qui n'existe nulle part : un élu à deux niveaux différents exerçant des compétences différentes. Ce fonctionnement n'est ni possible ni souhaitable.

M. Hervé Reynaud. - Votre travail est étayé, pour une matière néanmoins explosive. Vous souhaitez clarifier, simplifier, mais votre rapport n'a rien d'un jardin à la française. Pourriez-vous expliciter votre proposition de répartition ?

Le transfert de la compétence eau à l'EPCI au 1er janvier 2026 n'est pas remis en cause. Ce dernier pourrait-il déléguer ? L'ajout de la notion de chef de file n'apporte-t-il pas de la confusion ?

Chaque collectivité doit disposer d'une certaine prévisibilité de la ressource. Vous évoquez toutefois la fin de l'exonération de taxes foncières pour les constructions de logements sociaux après 2026, afin de financer les services publics nécessaires à l'accueil de nouveaux habitants. J'ai du mal à appréhender cette notion.

Enfin, pouvez-vous nous indiquer ce que le gouvernement compte faire de votre rapport ?

M. Pierre-Alain Roiron. - Merci pour ce rapport qui va dans le sens de ce que souhaitent de nombreux élus locaux, notamment sur le fait de centraliser les aides dans les mains du préfet, plutôt qu'au sein des agences.

Il est toujours compliqué de répartir les compétences - en particulier concernant le tourisme.

Je ne comprends pas ce que vous dites à propos de la carence. Lorsqu'un service public ne serait plus assuré par une collectivité, le préfet reprendrait-il la main ? Où est la décentralisation ? Je suis d'accord avec mes collèges sur le sujet du conseiller territorial, qui pose un problème de parité.

M. Guy Benarroche. - Je trouve parfaite votre trentième proposition, qui préconise d'interdire le cumul de la présidence de l'EPCI, d'un département ou d'une région. Je l'avais déjà avancée au Sénat, sous forme d'amendement, sans succès. Je trouve extraordinaire, comme vous, qu'une même personne puisse être maire, président de métropole, vice-président de région, ce qui réduit sa capacité à exercer ses responsabilités exécutives. J'applaudis... Mais être maire de grande ville et parlementaire, c'est tout aussi absurde !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Sénatrice de Paris, je ne vous surprendrai pas en vous demandant de développer vos deux propositions concernant la capitale.

La proposition 25 consiste à changer le mode électoral. Le Président de la République a dit qu'il fallait que Paris rentre dans le droit commun - nulle part, pourtant, il n'y a, à ma connaissance, d'élection directe du maire. Vous inventez un vote à deux urnes. Paris n'a de maire que depuis 1977 et Jacques Chirac disait qu'il fallait absolument préserver l'unité de Paris en articulant bien les arrondissements et la mairie centrale. Comment justifier cette acrobatie ? Les alternances ont bel et bien eu lieu ; elles ne sont donc pas bloquées. Des travaux ont même été menés, qui montrent que l'actuelle majorité aurait été renforcée si votre proposition avait été mise en oeuvre. Au passage, comment élisez-vous les conseillers territoriaux à Paris ?

Votre proposition 40 porte sur la nationalisation du périphérique. Pourquoi ? On ne sait pas. Le mouvement inverse a été fait à Lyon, où 16 kilomètres de l'A6 et de l'A7 ont été transférés à la métropole, sans compter le transfert de routes nationales vers les départements. Notre obsession, à Paris, est de lutter contre la pollution. Or il y a près de 500 000 riverains du périphérique. Je ne veux pas croire que votre proposition soit motivée par des raisons politiciennes afin de s'opposer à la mise en place prochaine d'une voie de covoiturage - une voie, ce n'est pourtant pas la révolution en marche ! Non, il doit y avoir une autre motivation !

Mme Céline Brulin. - Je me pose les mêmes questions que mes collègues concernant le service départemental des solidarités, et j'ai les mêmes inquiétudes car vous semblez vous inspirer des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui ne sont pourtant pas ce qui fonctionne le mieux. Il en est de même pour les trains d'équilibre du territoire. Élue de Seine-Maritime, j'ai pu constater après leur transfert à la région que, pour faire circuler des trains, il faut des infrastructures au niveau. Quand du retard est pris, ce n'est pas un cadeau pour les régions.

Par ailleurs, on peut trouver logique de mettre le financement en adéquation avec les compétences. Mais cela peut déboucher sur une surspécialisation des collectivités et conduire à leur attribuer des modes de financement qui ne sont pas toujours les plus populaires. Ainsi, une des mesures prises après la crise des gilets jaunes a été de diminuer la CSG pour les retraités dont la pension était inférieure à 2 000 euros. Dans le contexte actuel, il est tentant et légitime de demander à baisser la TVA, alors même que les collectivités sont de plus en plus financées par une fraction de cette taxe. Qu'en est-il donc de la solidité de ces ressources ?

Vous avez tenu à montrer que vous vouliez coordonner, et non mettre sous tutelle, mais votre rapport contient des éléments qui suggèrent une forme de recentralisation. Je ne reviens pas sur ce qui a été dit sur la carence ; vous proposez en outre quelque chose qui ressemblerait à l'Agence nationale d'appui à la performance (Anap) que l'on connaît dans le secteur médico-social. Son arrivée ne se traduit pas toujours, pour les établissements médico-sociaux, par des mesures très réjouissantes...

Enfin, je me demande ce que serait la France avec 100 000 élus locaux de moins, connaissant notamment l'engagement dont ils ont fait preuve lors des crises que nous avons récemment traversées. Il faut leur redonner le pouvoir et les moyens d'agir. Ce que vous proposez ne permettra sans doute pas de répondre aux problèmes rencontrés par nos collectivités.

M. Louis Vogel. - Le paysage législatif est encombré sur le sujet de la décentralisation : il y a votre rapport, mais aussi celui de Boris Ravignon sur le coût du millefeuille administratif, ainsi que des travaux menés au Sénat et à l'Assemblée nationale. Comment coordonner ces efforts ? Un chef d'orchestre pilotera-t-il ces initiatives afin que nous n'aboutissions pas à des textes contradictoires ?

M. Fabien Genet. - « Décentralisation : le temps de la confiance » : le titre même de votre rapport rappelle la nature du défi à l'heure où la défiance, notamment à l'égard de la représentation nationale, a gagné nos concitoyens. Ces derniers doutent de la capacité de la sphère publique à répondre à leurs besoins en matière de sécurité, de santé, de logement, d'aménagement du territoire ou de transition écologique. Vous avez le mérite d'ouvrir le débat.

Votre proposition de rénover la démocratie municipale est emblématique. En effet, l'objectif semble incontestable. Cependant, vous proposez de réduire de 20 % le nombre de conseillers municipaux dans les communes de plus de 1 500 habitants, de réduire leur nombre de 11 à 9 dans les communes de moins de 499 habitants et de 15 à 13 dans les communes de 500 à 1 499 habitants. Cette baisse d'environ 100 000 du nombre d'élus municipaux viserait aussi à rendre du pouvoir d'agir aux maires ; avez-vous vraiment le sentiment qu'ils se sentent empêchés d'agir à cause de leurs conseillers municipaux ? Est-ce ainsi que vous comptez rénover la démocratie ?

Vous continuez en précisant que les maires seraient entourés d'une équipe plus restreinte dont les membres pourraient être mieux rémunérés. Que penseront les conseillers municipaux bénévoles d'une telle proposition ?

Enfin, vous écrivez que cette mesure pourrait faciliter « la constitution de listes, renforçant, de fait, la liberté de candidature ». L'abaissement du nombre de conseillers municipaux sur une liste serait-il la meilleure façon de garantir cette liberté ? Il faudra m'expliquer la logique de cette proposition, qui semble un peu techno. Cette question n'est pas centrale pour les élus municipaux.

Enfin, les propositions 33 et 35 sont emblématiques d'une certaine conception des collectivités locales. Sur la réforme des attributions de compensation dans les EPCI, vous proposez que la présidence de la commission locale d'évaluation des charges transférées (Clect), organe chargé de fixer ces attributions, soit confiée à un magistrat de la chambre régionale des comptes. Les élus locaux sont assez allergiques à ces formes de tutelle.

Vous proposez aussi la dissolution du pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) en expliquant que, depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), l'existence de cette catégorie d'établissement public n'est plus justifiée. La simplification ne peut se faire au détriment d'outils techniques et juridiques dont les collectivités peuvent avoir besoin.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - La proposition 41, qui concerne la métropole de Lyon, s'inscrit dans la lignée des propositions formulées dans le rapport de Françoise Gatel et Mathieu Darnaud, Métropole de Lyon - Communes : le pari d'un destin commun, adopté par la commission des lois en décembre 2022. Il faut continuer d'avancer sur le sujet et cette proposition est pertinente.

M. Éric Woerth. - Je vous remercie pour toutes ces remarques, qui montrent bien que ce rapport ne provoque pas l'indifférence... J'y ai fait état de mes convictions parce que l'exercice le réclame et qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi. Le rapport offrira une base à la concertation, au terme de laquelle certaines mesures disparaîtront, certaines seront retenues et d'autres seront poussées plus loin. J'ai souhaité que cette base soit la plus complète possible.

La plupart du temps, les nombreux interlocuteurs que j'ai rencontrés dans le cadre de ce travail jugeaient en fonction de leur propre situation, ce que je comprends aisément. Je ne suis pas un « techno » : j'ai été maire pendant 22 ans, et président d'une communauté de communes. Mais ces sujets demandent de la technicité et on peut être technique sans être techno. La technique finit par vous rattraper si vous la laissez de côté et les bonnes intentions disparaissent alors très vite.

Concernant la création proposée d'établissements publics dédiés aux solidarités, j'ai rencontré de nombreux présidents de départements et des membres de l'ADF. Il y a bien une crise en la matière. Celle-ci prend la forme d'une crise du financement, mais aussi d'une remise en cause par les départements du partenaire État, qui ne financerait pas assez et s'occuperait de tout, et d'une incompréhension de l'État face aux reproches qui lui sont faits.

Pourrait-on simplifier les choses ? Aujourd'hui, aucun financement n'est affecté au social et les ressources provenant de l'État ne sont pas fléchées. De plus, les objectifs sont peu dictés par l'État, qui finance pourtant une grande partie de leur mise en oeuvre. Il faut clarifier les choses. À titre d'exemple, un enfant ne peut pas être traité différemment, que l'on soit dans le Tarn, dans la Collectivité européenne d'Alsace ou dans l'Oise. Mais le système actuel ne fonctionne pas et nous avons besoin de le rendre plus efficace, dans l'intérêt des citoyens, qui sont cités 60 fois dans un rapport qui leur est avant tout destiné.

Nous proposons de créer des établissements publics qui isolent les compétences sociales, autour de la protection de l'enfance, de l'autonomie des personnes âgées et en situation de handicap, et de l'insertion. Le président du conseil départemental en assurerait la présidence et son conseil d'administration pourrait être en majorité composé de conseillers départementaux. Le préfet négocierait chaque année avec le président les objectifs à fixer et l'État brancherait un tuyau bien identifié, pour financer ces politiques de solidarité. Ce système devra faire l'objet de discussions et permettre d'éviter les mises en cause systématiques.

Il y a une autre option : l'État pourrait reprendre cette compétence. À cet égard, le débat sur les mineurs non accompagnés (MNA) a été symbolique et je mentionne cette possibilité concernant l'aide sociale à l'enfance (ASE). Aujourd'hui, quand un enfant se suicide dans un hôtel où l'encadrement manque, personne n'en prend la responsabilité. Or il y a sans doute une part de responsabilité de la collectivité publique. Il faut clarifier les choses dans l'intérêt des personnes concernées et choisir entre une recentralisation et une organisation plus précise au sein des départements.

Dans le cas des Ehpad, il est compliqué de comprendre qui décide et d'identifier la tutelle. Afin de clarifier et parce que ces établissements ont vocation à être de plus en plus médicalisés, nous proposons de recentraliser leur financement et leur tutelle. Par ailleurs, le parcours domiciliaire doit être développé.

Il faut établir un lien entre les différents niveaux de décision ; plus il y a de strates, plus la parole et les outils de parole sont nécessaires. Les collectivités n'ont pas la clause de compétence générale, à l'exception des communes. Il est logique que la spécialisation des collectivités corresponde à leur taille, au mode de scrutin qu'elles retiennent et à leur histoire.

En ce qui concerne les routes, il s'agit d'un problème de transfert de charges. Les régions ont hérité de cette charge, mais les compétences et l'ingénierie restent dans les départements. Si nous souhaitons transférer des réseaux d'État, il faudra donc les confier aux départements.

Pour les conseillers territoriaux, la parité est plus difficile à atteindre mais c'est constitutionnellement possible et le mode de scrutin le permet.

J'en viens à la question de la simplification, dont la recherche est ingrate. Si nous acceptons plusieurs niveaux de collectivités, la question de la relation entre elles se pose obligatoirement. Personne ne souhaite vraiment recourir aux financements croisés mais quand une infrastructure un peu lourde doit être réalisée, ils sont nécessaires. Nous tentons de mettre un peu d'ordre pour que les politiques publiques soient plus efficaces. À cet égard, nous souhaitons injecter plus de liberté en matière d'intercommunalité et laisser les collectivités choisir, au-delà du bloc des compétences. Il existe aujourd'hui quatre niveaux d'intercommunalité et nous pourrions revenir à un seul niveau juridique. Nous proposons aussi de donner un peu plus de liberté aux maires pour contester certains projets. Je suis très favorable à l'intercommunalité dans un pays qui compte 35 000 communes, mais il faut l'organiser.

Dans une perspective de simplification, nous proposons aussi de supprimer les syndicats qui ne s'avèreraient pas utiles. Dans la plupart des cas, les collectivités peuvent exercer directement les compétences concernées. Pourquoi créer des strates techniques supplémentaires ? Nous proposons de procéder à une revue générale de ces syndicats. Il faut simplifier mais, dès que nous proposons de toucher à un niveau particulier, comme celui des PETR, on nous explique qu'il ne s'agit pas du bon niveau. L'idée d'une collaboration entre EPCI est bonne, mais a-t-on besoin d'inventer des structures juridiques supplémentaires ? La réponse est non.

La question de l'eau et de l'assainissement est revenue régulièrement. Une loi a été votée, les intercommunalités s'en saisissent, mais la liberté demeure. Les intercommunalités pourraient transmettre la compétence aux départements, qui ont une taille supérieure et qui pourront aussi, à un moment donné, se poser la question de la convergence du prix de l'eau. L'intercommunalité ne peut pas mettre en place certaines infrastructures ; la vision départementale, sans s'imposer de façon systématique aux élus communaux, peut être utile.

Quant aux agences de l'eau, leur périmètre géographique est souvent bien plus large que celui du département. Elles sont responsables du grand cycle de l'eau et sont utiles. Certes, leur fonctionnement est complexe, mais nous n'avons pas prôné leur disparition.

En ce qui concerne la différenciation, les collectivités peuvent fusionner si elles le souhaitent, comme cela a été fait en Alsace, où a été créée la Collectivité européenne d'Alsace, qui porte l'identité alsacienne. En affirmant qu'une région Alsace ne serait pas créée, le Président de la République a tranché le débat. De nombreux sujets constitutifs de l'identité alsacienne pourront être abordés dans le cadre de la discussion entre les présidents de la Collectivité européenne d'Alsace et de la région Grand-Est, et le préfet. La Collectivité doit aussi utiliser à plein les pouvoirs qui lui ont été donnés et ne doit pas s'affaiblir en revendiquant de façon systématique la création d'une région.

Ai-je l'assurance que le rapport sera mis en oeuvre ? Non. Il vise à nourrir des projets de loi qui doivent faire évoluer la décentralisation de manière profonde. Il sera soumis à la concertation et doit susciter des débats. Il faudra plusieurs textes législatifs et il sera nécessaire de scinder les sujets, par grands blocs de compétences. Des questions financières et constitutionnelles se poseront aussi. Les textes législatifs pourront prendre la forme de projets ou propositions de loi, de projets de loi constitutionnelle et de projets de loi de finances, et il faudra sans doute modifier la loi organique relative aux lois de finances. Mais nous devons déjà nous mettre d'accord sur ce que nous souhaitons faire.

Concernant le calendrier, il n'existe qu'une contrainte fondamentale : s'il doit y avoir une modification de la loi électorale, elle doit intervenir un an avant le scrutin concerné.

J'en viens à la DGF. Cette dotation est composée d'un certain nombre de dotations, répondant à des critères différents, et de nombreuses références au passé subsistent. Une remise à plat a été demandée, qui n'a pas eu lieu, et nous avons émis des hypothèses dans le rapport. En la matière, il faut aussi tenir compte de la dotation de solidarité dont bénéficient les départements. Nous avons identifié deux grands critères : le potentiel financier et tout ce qui concerne l'espace et le patrimoine, qui représentent un coût et qui, étant d'intérêt national, ne peuvent pas être seulement pris en charge par la collectivité.

J'en viens aux conseillers municipaux. De nombreux maires, et pas des moindres, considèrent que leur nombre pourrait être réduit. Ce qui compte, c'est ce que font ces conseillers. Les maires s'appuient essentiellement sur le bloc des adjoints, dont il n'est pas question de réduire le nombre, et sur les conseillers délégués.

J'ai aussi tenté de lutter contre l'anonymisation des élus, qui entraîne un effacement des responsabilités. De plus en plus, les Français connaissent bien leur maire et le Président de la République mais, entre les deux échelons, les choses se gâtent. Indépendamment de la qualité du travail qu'ils accomplissent, les conseillers départementaux et régionaux peinent à être connus. Quant aux députés, ils changent de plus en plus souvent, ne peuvent plus être maires et ont du mal à émerger. Cette anonymisation n'est pas bonne. Le nombre d'élus ne compte pas, mais il faut que les citoyens se reconnaissent en eux ; c'est ainsi que nous rendrons la démocratie plus vivante. L'instauration d'un conseiller territorial permettra à un élu intermédiaire puissant d'émerger, qui appartiendra à la fois au département et à la région. Le vote cantonal entraînera aussi une reconnaissance, quand un scrutin de liste aurait coupé le lien de territorialisation.

Le Président de la République a commandé ce rapport et a suivi l'évolution de nos travaux, comme l'ont fait ses équipes et celles de Matignon. L'intention d'apporter une pierre supplémentaire à la décentralisation existe donc bien. Mais nous voulons le faire en gardant en tête le citoyen, qui devra constater que les services publics s'améliorent. Cet objectif nécessite de déployer, en miroir, une vision en matière de déconcentration, ce que j'ai fait à la fin du rapport. Si les élus sont plus importants, les préfets doivent avoir plus de moyens et les dotations doivent être simplifiées, pour être moins dispersées.

Pourquoi la carence ? Plus on décentralise, plus il faut contrôler le processus, ce qui ne signifie pas qu'il faille faire à la place des acteurs responsables. Néanmoins, s'il existe une carence et que le principe fondamental de l'égalité des citoyens devant le service public n'est pas respecté, alors le préfet doit pouvoir rétablir la situation.

J'en viens à l'élection des maires de Paris, Lyon et Marseille. Le droit commun n'est jamais une erreur. Le scrutin direct éviterait de s'en remettre au vote par arrondissement ou par secteur pour élire le maire de la commune et permettrait l'expression d'un choix de l'ensemble des habitants ; la démocratie y gagnerait. Quant aux arrondissements et aux secteurs, ils ne seront pas remis en cause et il y aura deux urnes, ce que les citoyens comprendront très bien.

Le périphérique est une voirie d'intérêt national...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - ... mais quid de ce qui est fait à Lyon ?

M. Éric Woerth. - Je parle de Paris ; pourquoi toujours évoquer les autres ?

Mme Audrey Linkenheld. - Ça s'appelle le droit commun !

M. Éric Woerth. - Il ne s'agit pas du droit commun. Certaines artères sont considérées comme nationales et le périphérique est bordé de communes autres que Paris.

Le rapport de Boris Ravignon a été commandé pour se concentrer sur l'aspect financier de la question. En effet, je ne voulais pas aborder le sujet par le prisme financier, notamment dans l'objectif d'établir de la confiance. Cependant, je suis bien conscient du concours des collectivités locales à la maîtrise des finances publiques et mes propositions ne sont pas inflationnistes. Par ailleurs, nous avons prévu des mécanismes d'assurance, notamment un couloir de recettes, qui permettrait l'utilisation d'éventuelles sur-recettes pour compenser des sous-recettes.

Le chef d'orchestre est maintenant le Premier ministre, qui dirigera l'orchestre de la concertation et organisera des travaux autour des propositions de ce rapport. Le processus aura lieu dans les mois qui viennent et commencera en juin.

Dans les petites communes rurales, les élus expriment une forte demande en faveur d'une réduction du nombre de conseillers municipaux. De plus, les maires s'estiment trop souvent visés. En effet, le service de l'intérêt général peut contredire les intérêts particuliers et certaines de leurs actions déplaire aux citoyens.

Enfin, j'en viens aux attributions de compensation, qui posent de nombreuses questions. Nous proposons notamment de passer d'une adoption à l'unanimité par le conseil communautaire à un vote à la majorité des deux tiers afin de laisser plus de souplesse. De plus, le montant des attributions de compensation ne pourrait plus dépasser l'évaluation des charges transférées réalisée par la Clect. Enfin, l'évocation d'un recours à un magistrat de la chambre régionale des comptes se fait au conditionnel. Parfois, les élus préfèrent qu'une telle fonction soit remplie par quelqu'un d'extérieur. La même question se pose dans le cas de la métropole du Grand Paris. En effet, il faudra peut-être revoir la cartographie des établissements publics territoriaux (EPT), si ces derniers devaient être transformés en EPCI. Il s'agira alors de confier la coordination au préfet de région. En effet, quand un élu pilote ce genre de processus, on peut toujours considérer qu'il cherche à mettre en avant son territoire. Tout cela sera soumis à concertation.

Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Vous avez le grand mérite de ne pas promettre de grand soir. Le rapport est technique, ce qui est nécessaire, et il formule des propositions intéressantes. J'ai notamment apprécié votre contribution sur le volet des finances, qui met en avant la prévisibilité ainsi que la cohérence des finances et des compétences. Nous partageons cet objectif : l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre. À cette fin, vous avez accordé au maire un rôle central, ce que nous apprécions. Je souhaite que nous puissions avancer de manière efficace, au gré d'un calendrier qui sera rythmé par les scrutins électoraux.

Enfin, je signale que nous avons remis avec le sénateur Max Brisson un bref rapport d'information qui revient sur le dispositif de différenciation, prévu dans la loi « 3DS », et qui conclut que les possibilités ouvertes par la loi sont insuffisamment mises en oeuvre.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 05.